Libération Laura, étudiante à tout prix

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Libération Laura, étudiante à tout prix
Quotidien
Charlotte
Rotman
16/01/2008
Libération
Laura, étudiante à tout prix
En arrivant en fac, elle ne peut faire face aux coûts de ses études. Elle
raconte dans un livre sa dérive vers une prostitution ponctuelle.
On en croise des milliers comme elle, sur les bancs de la fac. Pas outrageusement
belle, loin d’être moche. Mignonne. Elle a découvert qu’elle était «jolie» la
première fois qu’elle s’est déshabillée devant un client quand il s’est exclamé
«waouh» en détaillant son corps nu. Laura, 20 ans, est étudiante. C’est aussi une
prostituée occasionnelle. Elle a financé ses études en se faisant payer par des
clients, racolés sur Internet. Laura, c’est un pseudo qu’elle a choisi pour un livre
de témoignage, Mes Chères Etudes aujourd’hui en librairie (1). Combien sont-ils,
comme Laura, à monnayer leur corps pour assumer leur vie à l’université ? Il n’y a
aucun chiffre officiel et fiable. Le syndicat Sud étudiant avance, lui, le nombre
faramineux de 40 000 (filles et garçons confondus) sur une population totale de
2,2 millions. Les étudiantes préfèrent se présenter comme Escort ou
accompagnatrice. Lors d’un entretien à Paris chez son éditeur, la jeune femme
sourit : «C’est assez hypocrite de ne pas dire "prostituée".»
Essorée. Laura n’aurait jamais pensé en devenir une. Fille d’un ouvrier et d’une
infirmière, elle n’est pas boursière. «Très loin de ce que l’on peut qualifier de
riches, pas assez pauvres pour recevoir des aides étudiantes», écrit-elle. Après le
bac, à la rentrée 2006, elle entame avec avidité sa première année en langues
vivantes en province. Sa mère lui a fait un chèque de 400 euros pour les droits
d’inscription. «On n’avait pas vraiment réfléchi à ce que cela coûtait d’être à la
fac. J’ai peut-être un peu empêché mes parents d’y penser», analyse-t-elle
aujourd’hui. Elle imagine alors qu’elle se débrouillera, qu’elle trouvera «un petit
job». «Je ne me rendais pas compte que la vie quotidienne n’est pas donnée :
boire un café, manger, payer ses factures…» Elle s’installe chez son petit ami de
l’époque, trouve un boulot dans le télémarketing. «Au maximum, je pouvais
gagner 700 euros par mois.» La moitié de sa paye passe dans sa part de loyer. Il
faut rajouter les courses, les bouquins, le portable, les transports et, comme
beaucoup de jeunes, un prêt étudiant. Bref, elle est essorée chaque mois. «A un
moment, mon banquier m’appelait tellement que je voulais lui dire : "On va se
tutoyer et s’appeler par nos prénoms."»
A la fac, elle ne cherche pas vraiment d’oreille amie. Bien sûr, elle entend des
étudiants parler de leur galère. «Mais quand on n’a plus rien à manger, on n’est
plus dans le démonstratif.» Elle ne veut pas qu’on «juge» son copain, plus à l’aise
financièrement mais aveugle sur ses difficultés, qui tient à partager les placards
en deux et impose que chacun paye ses propres courses. Elle maigrit mais assure à
sa famille que tout va bien. De l’aide, elle en sollicite une seule fois, au Crous. On
la renvoie vers les Restos du cœur. «Mais je ne me sentais pas comme une
précaire.»
Hôtel. Décidée à trouver des extras, elle tape «job étudiant» sur Internet et se
rend sur un site d’annonces en tous genres. Elle pense faire des photos ou de la
figuration. Très vite elle tombe sur des offres types : «Jeune homme de 50 ans
recherche masseuse occasionnelle. Etudiantes bienvenues.» Elle met une semaine
à répondre. «J’ai zappé, au début. Et puis les factures étaient là. Je pouvais me
faire 100 euros pour une heure. Je me disais que ce serait ponctuel, rapide.» Sur
le chemin du premier rencard, elle se trouve «ridicule». Elle a pris soin de troquer
ses Petit Bateau pour des culottes à dentelles qui ne lui ressemblent pas. Elle a
peur de tomber «sur un fou» ou un «gros pervers», mais se répète aussi : «Une
heure, c’est quoi, une heure ?» Elle se prépare à un «truc horrible». Dans une
chambre d’hôtel, dont elle se souvient des rideaux verts «immondes», le client,
malin, la touche à peine, et lui donne 250 euros, plus de deux fois la mise
espérée. Elle en ressort avec l’impression de l’avoir «pigeonné». Le soir, elle
retrouve son copain et lui dit qu’elle a passé une journée «banale».Elle croit que
cette fois sera la dernière.
Mais il y a les besoins et «l’addiction à l’argent». Elle recommence. C’est toujours
«ponctuel». Au coup par coup . Elle remplit frénétiquement ses placards, achète
«sans regarder les prix, même des bonnes marques». Elle peut avoir deux clients
dans la même semaine, ou un seul le mois d’après. Elle ne prend pas moins de
400 euros de l’heure. Cela dure presque un an, malgré la «violence» de la
«domination». Un jour, dans le café où elle a ses habitudes, elle croise un client,
accompagné de sa femme et de son enfant. «Mes deux vies se confondaient. Ce
n’était plus possible. Je pouvais être rattrapée à tout moment.» Elle fait ses
valises et deux jours plus tard débarque à Paris. Ici, elle a fait deux fois appel à
des annonces. «A Paris, c’est pas les mêmes prix, ça peut être 1 000 euros pour un
resto le soir.» Aujourd’hui Laura vit en colocation avec une amie. Elle a arrêté les
clients : «Ça me dégoûte, j’ai fait comme un abandon de poste quand on ne
supporte plus son travail.» Elle est célibataire et se sent «insultée» quand on la
drague. Elle vient de quitter un emploi de management dans une grande
entreprise (2 000 euros par mois) pour se consacrer entièrement à ses examens.
L’an dernier elle a été reçue avec mention.

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