télécharger cet article - l`Institut d`Histoire sociale

Transcription

télécharger cet article - l`Institut d`Histoire sociale
dossier
CUBA : SUITE ET FI
par Antoine de Tournemire*
L’embrigadement
par les livres scolaires
La consultation d’une dizaine de livres scolaires utilisés aujourd’hui à Cuba et distribués
gratuitement aux écoliers, permet d’apprécier leur rôle déterminant pour forger de petits
révolutionnaires prêts à mourir pour la Cause castriste.
On y voit comment une certaine histoire est mise au service de la Révolution et du culte de
Fidel Castro. Ainsi, dans le manuel de lecture du primer grado (six ans), avec lequel les enfants
apprennent à lire, la lettre « F » est enseignée à l’aide des mots « Fidel » et « fusil »!
On trouve cinq textes sur Fidel Castro et un seulement sur José Martí[1]… qui d’ailleurs parle
aussi de Fidel ! Bien qu’il n’ait vécu sur l’île que ses seize premières années, José Martí est
vénéré par les Cubains ; Fidel s’est emparé facilement du
culte un peu infantile dont il est l’objet. Un texte explique
ainsi que « ce que José Martí a rêvé, Fidel Castro l’a fait! »,
permettant de faire apparaître Fidel comme supérieur au
« rêveur ». Fidel a utilisé Martí pour combler un vide philosophique dans sa propre idéologie. Le paradoxe, c’est que la
pensée de Martí a été tant assenée aux élèves pendant des
générations, qu’il est, aujourd’hui, rejeté, alors que sa pensée
est universelle.
On voit aussi l’impact dans le système scolaire cubain de la
Q… Comme tanque…
propagande anti-américaine. À l’école, les enfants répètent en
cœur, comme des perroquets, qu’aux États-Unis règnent la misère, la faim et l’exploitation. On dit
même que les hommes y sont des esclaves. Durant la guerre du Vietnam, on disait aux enfants
– ou l’on écrivait sur les murs – que « des enfants étaient immolés par le feu pour la paix ».
1. José Martí (1853-1895), poète et père de l’indépendance cubaine.
N° 35
53
HISTOIRE & LIBERTÉ
Certains enfants cubains ont maintenant peur que les Américains débarquent à Cuba. On leur
montre des vidéos d’enfants irakiens sortant des ruines après les bombardements et on leur
dit que Bush veut aussi bombarder Cuba.
Apprendre l’orthographe avec Fidel
Même les manuels d’orthographe portent la marque du líder máximo. Dans Ortografia, Facultad
obrera y campesina, le premier chapitre, consacré à l’accentuation, est illustré par une citation de
Fidel Castro extraite de sa préface au Journal du Che en Bolivie: « Che dit un jour aux guérilleros:
Ce type de lutte nous donne l’occasion de devenir des révolutionnaires… ». Dans le paragraphe
Le culte de la personnalité
de Fidel se niche même
dans les détails.
Dans ce livre
d’apprentissage
de la lecture,
on apprend le son « ll »
que l’on rencontre dans
« lluvia » (la pluie).
– en l’occurrence,
la pluie qui tomba,
selon la légende,
sur le yacht « Granma »
qui ramenait Fidel à Cuba.
suivant, consacré au rôle du mot dans une phrase, c’est sur cette expression de Fidel que l’élève
travaille. Ensuite il doit « prononcer lentement chacun des mots tirés du Journal du Che: Lu-tte
[…] ré-vo-lu-tio-nnai-re […] » et donner le nombre de syllabes qu’ils contiennent. Plus loin, il
lui est demandé de séparer en syllabes les mots – sans doute choisis au hasard! – : « hostile,
Américains, humain, répressif, objectif, ennemi, courage […] » Ou encore de distinguer les
voyelles ouvertes des voyelles fermées dans douze substantifs et verbes parmi lesquels: « durer,
lacérer, économique, échelon, guérilleros, forces, révolutionnaire, bolivien… ».
Y est présent
dans Yacht.
« C’est un yacht célèbre »…
54
ÉTÉ- AUTOMNE 2008
Rien d’étonnant donc que l’accentuation des mots soit illustrée par le texte « Martyr et héros »
et que les trois exemples choisis de mots composés soient « sous-marin », « désarmé » et
« international ». Sans oublier la place de la virgule à méditer à partir de l’aphorisme de José
Martí: « Les grands droits ne s’achètent pas avec des larmes, mais avec du sang », ou l’emploi
du passé simple dans ce paradoxe : « Il doit expier ses fautes, même s’il fut absous par le
tribunal », hommage au célèbre « l’Histoire m’absoudra » de Fidel Castro.
Pas étonnant non plus l’illustration de la diérèse par la phrase: « Le Camagüeyen [habitant de
Camagüey] Joaquin de Agüero fut fusillé en 1851 par le gouvernement de la métropole » et la
diphtongue par « Notre artillerie antiaérienne mit en fuite les avions mercenaires », une allusion évidente à la Baie des Cochons. L’expression « accord cubano-soviétique » est l’un des
deux exemples donnés pour la leçon sur les traits d’union, tandis que les dictées sont faites à
partir des discours de Fidel Castro conclus par « La patrie ou la mort! Nous vaincrons! »
Bref, ces exercices forgent les outils permettant de comprendre les discours martiaux de Fidel
Castro, alors qu’il s’agit d’un livre d’orthographe destiné aux ouvriers et aux paysans; ils ne
donnent en revanche aucun exemple lié à l’activité agricole ou industrielle, qui serait utile à
ces professions…
Naturellement, l’ouvrage fourmille de citations de Fidel Castro. Mais le líder máximo laisse
aussi la parole à d’autres. À Ernesto Che Guevara, en particulier, qui l’encense: « Fidel m’impressionna comme un homme extraordinaire ». Une politesse rendue quand le livre aborde la
fonction des guillemets en citant Fidel Castro: « Le Che dit:
“Créer deux, trois… plusieurs Viet Nam, telle est la
consigne” ». Le frère cadet actuellement au pouvoir n’apparaît, lui, que dans un exemple d’utilisation des majuscules:
“Raúl”, aux côtés du “Che” et de “Sergio Gonzalez” ! Son
arrivée au pouvoir pourrait changer les choses.
À Cuba, on apprend aussi l’orthographe à partir de phrases
de José Martí et, plus rarement, d’auteurs « neutres » tels
que Rabindranath Tagore, Montesquieu ou Hugo (pour sa
phrase révolutionnaire : « L’insurrection est l’accès à la
fureur de la vérité, à la fois insurrection et résurrection »),
La Place [de la Révolution NDLR]
voire Manuel Sanguily[2]. Un exercice demande à l’élève de
est très jolie.
ponctuer une phrase de ce dernier: « Cette guerre est une
Le ciel est bleu.
Le peuple milicien défile.
guerre sacrée. Nous sommes en train de détruire pour consDes milliers de foulards saluent.
truire. Nous combattons pour la vie et non pour la mort »
C’est Fidel ! On le voit heureux.
Vive Fidel !
Précisons d’ailleurs que l’appel au martyre est, paradoxale2. Manuel Sanguily (1849-1925), patriote cubain.
N° 35
55
dossier
L’EMBRIGADEMENT PAR LES LIVRES SCOLAIRES
HISTOIRE & LIBERTÉ
ment, plus présent dans les livres
cubains que dans les livres
iraniens. Cette mythologie socialiste mortifère est notamment illustrée par le slogan « La Liberté ou la mort », inventé
par les révolutionnaires français, repris par Fidel
Castro et récemment par Hugo Chávez. Dans cet
ouvrage un certain nombre de citations vont dans
ce sens : « À une multitude de générations d’esclaves doit succéder une génération de martyrs »
(José Martí) ou « Si je meurs, je veux mourir en
combattant » (Ciro Redondo) ».
Un des rares poèmes dédiés à Raú [Castro], qui
débute par ces mots : « Il était si jeune, si enfant !
[…] Et c’était déjà un petit soldat ! » confirme la
volonté de convaincre les plus jeunes de rejoindre un
combat éternel. Plus loin, on incite l’enfant à
apprendre un hymne de guerre peu ambigu
« Si tu dois mourir, dit le vieux singe,
c’est que c’était écrit »
d’Enrique Loynaz del Castillo: « Chassons le tyran de
la patrie ! Vaincre ou mourir […] il est glorieux de
mourir pour des idées… ». Voilà qui est clair. Rappelons que le livre s’adresse à des enfants de
neuf ans, que l’on familiarise avec le « sacrifice ultime ».
Pour se convaincre de la manière dont la mort est minimisée, feuilletons ce livre de lecture du
cuarto grado; une fable amusante met en scène un vieux singe et un jeune singe. Au jeune singe
qui dit « J’ai peur, car l’autre jour j’ai presque été mangé par les caïmans », le sage répond « Sur
les lâches, on n’a jamais rien écrit ». « Et s’ils me tuent? », poursuit le jeune: « S’ils te tuent, c’est
que c’était écrit »… Des considérations bien morbides pour un livre destiné aux petits.
L’embrigadement du petit pionnier
Le livre du professeur d’éducation générale, niveau moyen, réserve également une part non
négligeable à la politique. Dans le chapitre dédié à la « Compréhension de la lecture », on
trouve des textes de Fidel Castro, d’Ernesto Che Guevara, de José Martí et l’éloge du Che de
Nicolás Guillén.
Ainsi, dès le tercer grado (huit ans), le petit pionnier est embrigadé. Dans le manuel d’espagnol, une gentille préface explique: « Tu découvriras la beauté de ta langue […] celle avec
laquelle tu dis à ta maman et à ton papa combien tu les aimes, celle avec laquelle tu réponds à
tes professeurs, parle avec tes amis, tu défends la Révolution ».
56
ÉTÉ- AUTOMNE 2008
Dès le premier chapitre, le poème intitulé « 26 de Julio » célèbre la prise – manquée – de la
Moncada par les hommes de Fidel Castro. Quant à la « libération » de Cuba, « si ce fut le
mandat de Martí, celui qui l’accomplit fut Fidel ». Pour fixer les esprits, un petit questionnaire
suit le texte : « Que s’est-il passé ? Qui a dirigé l’assaut ? Pourquoi cette date est-elle
importante? », etc. On lit ensuite: « Si tu vas à Santiago de Cuba, tu connaîtras le lieu où était
la caserne Moncada. Grâce à la Révolution, c’est aujourd’hui une école ».
À la page suivante, l’enfant doit lire un poème: « […] Notre école est très belle. Vive Cuba! On
a beaucoup de livres. […] Nous vaincrons! ».
Plus loin, un court récit raconte l’histoire d’une renarde qui s’étonne de croiser un sanglier en
train de charger sans raison apparent. Quand elle demande pourquoi il agit ainsi, le sanglier
lui répond « De cette façon, si l’on m’attaque, je serai prêt ». Cette petite fable « nous enseigne
que l’on ne doit pas attendre le danger pour préparer notre défense ». Suivent quelques questions comme: « Crois-tu que ce que fait le sanglier soit nécessaire? Pourquoi? ». Puis « Croistu que seuls les animaux doivent être préparés à affronter le danger? Qui doit aussi bien se
préparer? » Pour laisser éclater au grand jour la vraie question: « Comment notre peuple
prépare-t-il sa défense? ».
D’ailleurs, l’ennemi extérieur est cité: ce sont les « mercenaires » de la Playa Giron. Un petit
poème de Nicolás Guillén exhorte d’ailleurs à « couper la tête des Yankees », à « donner son
sang et sa vie » avant – comme il se doit– de crier: « La Patrie ou la Mort! ». L’enfant doit aussi
connaître l’armement. Ainsi, dans un petit test on demande à l’élève: « Quelles armes maniées
par le peuple pour la défense de la patrie connais-tu? ». Suit un exposé –intitulé « Le savaistu? » – de dix lignes sur les balles de fusil…
Plus amusant est le texte de Fidel Castro lui-même qui explique le fonctionnement de la
société cubaine, du Parti au CDR en passant par la Fédération des femmes. Le grand chef
affirme, notamment, qu’il est « sûr qu’il n’y a pas un seul d’entre vous qui ne veuille être
communiste ». Pour fixer les esprits, l’exercice final consiste à répondre en classe à la question:
« Que veux-tu faire plus tard? »
Valorisation du martyre
Martyr sans doute ! Un exercice en effet consiste à prononcer huit mots, dont ceux de
« guérillero » et de « martyr ». Puis l’élève doit répéter le mot « martyr ». « Connais-tu sa
signification? » La réponse ne se fait pas attendre: « Le mot martyr se réfère à une personne
qui a donné sa vie en défendant la patrie. Frank Pais et Abel Santamaria sont des martyrs.
Connais-tu d’autres martyrs de notre Révolution? Lesquels? ».
À chaque fin de chapitre, le livre aborde des « curiosités d’Amérique ». L’une d’entre elles
évoque Managua, la capitale du Nicaragua. « Cette ville a été détruite plusieurs fois par des
tremblements de terre, mais son peuple révolutionnaire a toujours travaillé pour la recons-
N° 35
57
dossier
L’EMBRIGADEMENT PAR LES LIVRES SCOLAIRES
HISTOIRE & LIBERTÉ
Giron (La Baie des Cochons). En avril s’ouvrent les fleurs. Et avril est le mois de Girón. Une fois, les
Yankees nous attaquèrent. Ils ont envoyé beaucoup de gens méchants. Ils voulaient en finir avec
Cuba libre. Le peuple les a battus. Fidel dirigeait la lutte.
truire et l’embellir ». Plus loin, est cité Augusto César Sandino, « héros du Nicaragua » qui
« lutta avec son peuple contre l’impérialisme yankee ». L’exercice consiste à recopier de sa plus
belle écriture: “Sandino vit dans le cœur de son peuple” ».
On demande ensuite aux jeunes élèves de dire pourquoi Martí admirait Bolivar. Le Che apparaît en tête du chapitre 11 dans un poème de Jesus Orta Ruiz intitulé « Portrait du Che », qui
dépeint le guérillero à la « barbe douce, dans les montagnes, sac à dos sur les épaules, en sueur,
le fusil en bandoulière ». « Il n’est pas mort en Bolivie, il vit dans les cœurs; les peuples qui
souffrent prennent les armes ». Le pionnier doit ensuite dire ce qu’il sait du Che puis
apprendre le poème par cœur.
En guise de rédaction, il lui est demandé d’écrire une « lettre de félicitations à tous les
travailleurs de son école » pour la fête du 1er Mai.
« Ma patrie n’est ni l’Espagne ni les États-Unis; elle appartient au peuple en armes derrière
Fidel » énonce le poème Patria de Mirta Aguirre[3] à la première page du livre de lecture du
cuarto grado (neuf ans). Un discours de Fidel Castro, adressé aux enfants, confirme les intentions d’endoctrinement de l’ouvrage. Dans les pages suivantes, après un texte consacré à David
et Goliath, un petit poème de la zélée Mirta Aguirre les compare à « Fidel et l’Oncle Sam ».
Pour orienter les esprits, dans le texte Escuala de Guerrilleros (École de guérilleros), Rosa Leyva
vante ces jeunes qui « avec des fusils en bois participaient aux actions de guerre, ce qui leur
3. Ancienne rédactrice en chef de la revue marxiste La Última Hora.
58
ÉTÉ- AUTOMNE 2008
dossier
L’EMBRIGADEMENT PAR LES LIVRES SCOLAIRES
« Si le Bataillon de la frontière le permettait,
je surveillerais la frontière.
Avec mon foulard de pionnière,
debout près du drapeau,
je serais de garde,
qu’il pleuve, qu’il grêle ou sous le soleil,
si le Bataillon de la frontière le permettait ».
L’appel au sacrifice des plus jeunes est demandé.
On devine sous le drapeau pirate
la frontière de Guantanamo…
permettait de gagner un vrai fusil. Quand un ennemi tombait, ces jeunes, parfois presque des
enfants, se risquaient parmi les balles pour récupérer l’arme et combattre ».
Sur une autre page, une strophe du court poème La Bandera Cubana (le drapeau cubain) fait
l’apologie du martyre. « Les martyrs nous l’ont
légué, comme le plus précieux des trésors. Son
voile glorieux vaut plus que l’or et que la vie ! ».
Plus loin, un exercice consiste à répondre à la question : « Que fais-tu, toi, pour être digne de notre
drapeau? ».
Du portrait de Camilo (Cienfuegos) au récit de
L’Histoire m’absoudra[4], en passant par les souvenirs du Che, tout est prétexte pour chanter les
louanges du communisme cubain.
L’évolution du communisme international a
cependant du mal à passer: malgré une impression
en 1999, donc bien postérieure à la chute du Mur
Un milicien a un fusil, Il aime la paix.
de Berlin, un texte commence par ces mots étonDans de bonnes mains, un fusil est bon.
namment anachroniques: « Ma petite sœur soviée
(Livre de Lecture 3 niveau)
tique ».
4. Discours célèbre de Fidel Castro lors du procès qui suivit l’attaque de la caserne Moncada.
N° 35
59
HISTOIRE & LIBERTÉ
La petite pomme de Fidel
Le livre de lecture du quinto grado (dix ans) a été imprimé au Mexique sur du papier recyclé.
C’est un recueil de textes – ou d’adaptations – de grands auteurs de langue espagnole. À côté
d’une poignée d’articles « neutres » sur les Jeux olympiques et sur Marie Curie, on trouve
quelques perles. Le récit « Deux anecdotes sur le Che » en est une. On y décrit, notamment, un
Che affamé mangeant un citron avec la peau. Un paysan lui propose alors un fruit et
l’Argentin de répondre: « C’est bien, je vais le rapporter pour le partager avec mes camarades ». Les élèves doivent alors donner des « caractéristiques du Che ». Puis on leur demande
s’ils connaissent « d’autres anecdotes sur le Che ».
Dans l’histoire de « Dé, celle qui tomba de la lune » racontée par Félix Pita Rodriguez, une
petite fille est enlevée plusieurs jours par des soldats. Les rebelles du village se cachent, croyant
que la petite prisonnière interrogée les dénoncera. Mais rien ne se passe. On la croit morte.
Quelques jours après, elle réapparaît. On lui demande si elle a été torturée et si elle a parlé.
« Oui! répond-t-elle, j’ai été torturée et j’ai parlé de tout sauf de ce que les soldats voulaient
savoir ». Cette enfant modèle sert de support à un exercice dans lequel on demande: « Quelles
sont les qualités de Dé? » et « Que penses-tu de son attitude? ».
L’évocation de José Antonio Echeverria, surnommé « la petite pomme » et tombé au combat
en 1957, est utilisée pour inciter le jeune pionnier, même s’il n’est encore qu’un enfant,
prendre le relais. « Regarde, comme les enfants heureux ressemblent à « Manzana »
[pomme] »! La métaphore est filée jusque dans un autre poème: « Fidel est le grand arbre,
nous autres, les pionniers, sommes les graines de sa vie »…
Pour les élèves – qui en douteraient encore? –, « le Serment du drapeau » affirme clairement:
« Plutôt mourir que perdre son honneur ! ». Poème à lire « debout et en levant la tête »,
« Le petit Mambi défie
les Espagnols en criant
sous les balles : Vive Cuba ! »
D’après une adaptation[16]
d’Alvaro de la Iglesia
qui relate l’histoire
d’un héroïque mambi
[indépendantiste insurgé] de
dix ans qui, devant les balles
espagnoles, crie « Viva
Cuba ! », on demande au
jeune lecteur : « Que pensestu de la conduite de ce
garçon ? et Qu’aurais-tu fait
toi, à sa place ? »…
60
ÉTÉ- AUTOMNE 2008
dossier
L’EMBRIGADEMENT PAR LES LIVRES SCOLAIRES
« G »…
comme guérilla,
naturellement.
indique une note. Une incitation au sacrifice ultime pour le pays, à l’exemple de Francisco
Gomez Toro, engagé dans la guérilla malgré l’interdiction de son père et mort à vingt ans pour
libérer sa terre natale.
Le même appel se lit en filigrane dans « Un héros de onze ans ». Un homme a deux fils, l’un de
quatorze ans, l’autre de onze. L’aîné veut suivre son père pour défendre la patrie. « Moi aussi je
veux y aller! ». Malgré les protestations de sa mère, le père tranche: « On manque d’hommes à
Cuba, et mon fils est un homme ». Mais, le père de famille prévient son cadet qu’il ne peut
l’emmener: « Si les Espagnols viennent […] je t’ai laissé un pistolet et des balles! ». Hélas, les
Espagnols arrivent et interrogent l’enfant qui résiste. Un capitaine le menace de son pistolet et
lui ordonne de parler. Résigné, le courageux enfant, voyant sa fin venir, crie: « Dites à mon
père que je suis mort comme un mambi [indépendantiste insurgé]. Vive Cuba! ». L’exercice
consiste à répondre la question suivante: « Dans d’autres pays, des enfants ont la même attitude. Donne des exemples ». Les auteurs du livre veulent-ils faire référence aux enfants palestiniens?
Un texte de Haydée Santamaria confirme cette invitation au martyre par un titre sans équivoque, « Il est bon de savoir mourir pour vivre toujours! », dans lequel le héros, avant de
mourir, déclare: « Celui qui ne peut mourir d’aucune façon, c’est Fidel. Le principal, c’est que
Fidel vive. Si Fidel vit, la Révolution triomphera! »
Un discours de Fidel de 1982, destiné à remercier les maîtres d’école internationalistes de
retour du Nicaragua, est utilisé également dans un exercice où il s’agit de réfléchir sur la
phrase du Comandante : « Le sang des jeunes maîtres internationalistes a nourri la terre
héroïque de Sandino ».
L’exemple de Maximo Gomez sert aussi ce grand dessein. En 1895, le libérateur tente de
N° 35
61
HISTOIRE & LIBERTÉ
convaincre des paysans de s’engager contre l’armée espagnole. Les candidats manquent. Ils se
défaussent en prétextant être indispensables à leurs parents. Ce à quoi Gomez répond: « Et
nous, croyez-vous que nous soyons tombés des palmiers? ». L’élève doit expliquer le sens de
cette « parabole » et terminer la phrase: « La patrie est première parce que… ».
Quelques pages plus loin, le patriotisme est chanté par le poète Juan Marinello[5], « Cubain,
donne ton amour à celui qui fonda les temps nouveaux et réserve ton bâton pour les traîtres! »
Le dernier ouvrage, Geografia de Cuba, destiné aux élèves de onze ans, permet de leur fixer les
idées sur la grandeur du pays. Ainsi, dans le chapitre « Cuba socialiste », il est rappelé avec
orgueil que « les succès obtenus par notre pays le démarquent des autres nations sud-américaines en dépit de quelques difficultés économiques et sociales, qui seront éradiquées quand le
peuple cubain travaillera avec plus d’efficacité et sera mieux formé ».
Le plus étonnant pour un livre toujours utilisé en classe à Cuba, reste les références à la lutte
nécessaire contre le colonialisme, le néocolonialisme et même l’apartheid pourtant aboli en…
1991. Manière de masquer le faible nombre de Noirs dans les instances dirigeantes de Cuba?
Antoine de Tournemire
5. Poète, mais aussi secrétaire général de l’ancien Parti communiste, le PSP.
62
ÉTÉ- AUTOMNE 2008