Une Ville Autrefois Miniere: La Grand-Combe
Transcription
Une Ville Autrefois Miniere: La Grand-Combe
Universite Paris V “Rene Descartes” Sciences Humaines – Sorbonne Thèse présentée par Cornelia ECKERT “Une Ville Autrefois Miniere: La Grand-Combe” Etude d’Anthropologie Sociale Paris, 1991 RESUME Nous partons d'une étude ethnographique d'un groupe ouvrier habitant La Grand-Combe (Gard) pour comprendre un processus de construction d'identité sociale face à son expérience de travail comprise comme singulière. Le "monde de la mine" est perçu comme une référence à la fois différentielle et structurelle de l'identité dans la construction de projets de vie des familles de mineurs. Un repère "positif", une "Valeur-Travail" sur laquelle les frontières symboliques du groupe d'appartenance sont cartographiées. A partir de leurs représentations, de leur manière singulière d'attribuer des significations aux pratiques et interactions sociales et de leur manière de penser l'ordonnance sérielle du temps du vécu et du temps de la vie, notre but est de dimensionner une "communauté de travail" et cerner leur mode de vie familial et les relations sociales "autrefois" et "aujourd'hui". La Grand-Combe, après avoir vécu une longue période régie par un système de mono-industrialisation et d'urbanisation du type ville minière, subit actuellement, après la fermeture des puits, l'impact de la récession industrielle. Ce processus est vécu par la communauté de travail comme la discontinuité d'un quotidien rythmé par le travail à la mine. Face à ces changements sociaux qui inscrivent la ville dans un processus de dés-industrialisation, nous décrivons comment vivent les mineurs et leurs familles qui sont restés dans la ville. Nous élucidons comment sont réactualisées les références identitaires du groupe dans ce processus d'attribution d'un sens à l'univers social, comment est ré-élaborée l'interaction quotidienne après la disparition de ce point de repère traditionnel et comment est repens‚ l'ordre quotidien à partir de ces nouveaux facteurs déterminants: la mutation et la crise, le chômage, le recul économique, le besoin de qualification professionnelle, la société de consommation et de la communication. Nous montrons qu'aujourd'hui, malgré la disparition des espaces réels sur lequel le groupe fonde son identité, la mémoire peut coller ces références dans certains moments, instants d'interaction qui sont vécus comme étant leur propre rythme construit. C'est dans ces temps de la sociabilité qu'ils restituent un rythme au quotidien, un sens à l'existence du groupe qui se reconnaît à partir d'une identité-valeur (le travail à la mine, la famille corporative, valeurs comme la complicité et la solidarité, une trajectoire commune, par un "lignage" minier, etc.). C'est dans la sociabilité que nous avons cherché à comprendre comment est engendré un rythme qui leur assure une même conception de l'existence, un "repos". ABSTRACT On the basis of an ethnographic study of La Grand-Combe (GardFrance), we consider the singularity of a mining populations work experience and the influence of this experience on group identity. The "mining world" is perceived as both a differentiating and a structuring part of identity as evidenced in the elaboration of family projects. It is perceived, further, as a "Work-Value", a positive reference for the mapping out of the groups symbolic frontiers. By looking at the group representations, the manner in which these people assign meanings to their practices and social interactions, as well as the way in which they arrange the serial order of their everyday profile of a "work community", its pattern of family and social interaction both today and in the past. The Grand-Combe, after having gone through a long period of monoindustrialization and mining-city urbanization, is now suffering, with the shutdown of the mines, the impact of industrial recession. This process is experienced by the community as the end of a daily rythm axed on work in the mines. We describe the lifestyle of the families who have stayed on in the face of the dramatic social change brought on by de-industrialization. We detail the way in which elements of group identity have been ressemantisized in the process of building a meaningful symbolic universe, the way social interactions have beeen rethroughtout in the absence of traditional reference points, and how daily life has been reorganized along the lines of nex determinants: professional change and crisis, unemployment, economic recession, the need for professional recycling, the consumer and communication society. RESUMO Partimos do estudo etnográfico de um grupo operário habitantes de La Grand-Combe (Gard-França) para compreender o seu processo de construçãoo de identidade social face à experiência de trabalho concebida como singular. O "mundo da mina" ‚ percebido como uma referência dialeticamente diferencial e estruturante da identidade na construção de projetos de vida das famílias de mineiros. Mais ainda ‚ percebido como um "Valor-Trabalho", uma referência positiva para cartografar as fronteiras simbólicas do grupo de pertencimento. Partindo das representações, da maneira própria do grupo de atribuir significado às práticas e às interações sociais e do como pensa o ordenamento serial do tempo vivido/tempo da vida, nosso objetivo consiste em dimensionar a "comunidade de trabalho" e apreciar seu modo de vida familiar, bem como as relações sociais "ontem" e "hoje". La Grand-Combe, após ter vivido um longo período regido por um sistema de mono-industrialização do tipo vila mineira, sofre, atualmente com o fechamento das minas, o impacto da recessão industrial. Este processo ‚ vivido pela comunidade de trabalho como a descontinuidade de um cotidiano ritmado pelo trabalho na mina. Face a estas mudanças sociais que inscrevem a vila num processo de desindustrialização, descrevemos como vivem os mineiros e suas famílias que ficaram em La Grand-Combe. Elucidamos como são reatualizadas as referências da identidade do grupo no processo de dar significação ao universo social e como re-elaboram a interação cotidiana após o desaparecimento deste ponto de referência tradicional. Do mesmo modo buscamos esclarecer como ‚ repensada a ordem cotidiana a partir de novos fatores determinantes: a mutação profissional, a crise, o desemprego, a recessão econômica, a mobilização residencial, a necessidade de requalificação de trabalho, a sociedade de consumo e da comunicação. Nosso objetivo ‚ mostrar como hoje, apesar do desaparecimento dos espaços reais sobre os quais o grupo funda sua identidade, a memória coletiva pode colar estas referências em certos momentos, instantes de interação que são vividos como sendo seu próprio ritmo de vida construído. É no tempo da sociabilidade que verificamos a maneira pela qual eles restituem um ritmo no cotidiano, um senso a existência do grupo que se reconhece a partir de uma identidade-valor (o trabalho na mina, a família corporativa, valores como o de cumplicidade e de solidariedade, uma trajetória comum, uma linhagem mineira, etc). É na sociabilidade que nós procuramos compreender como ‚ engendrado um ritmo que lhes assegura uma concepção de existência, um "repouso". Francês: "Une ville autrefois minière: La Grand-Combe. Etude d'Anthropologie Sociale". Inglês: "A mining town: La Grand-Combe. A study in Social Anthropology". Português: "Era uma vez uma vila de mineiros de carvão : La Grand-Combe. Um estudo de Antropologia Social". REMERCIEMENTS Arrivant à la fin de ce travail et regardant derrière moi ces cinq années de cheminement parcouru dans l'élaboration de cette thèse, je construis dans mon imagination un grand "portrait de famille" avec tant de personnes envers qui j'ai une grande dette de reconnaissance dans ma démarche, qu'il ne me serait pas possible de décliner les noms de tous. Que chacun trouve ici le témoignage de ma profonde gratitude et de mon amitié sincère. Sur le terrain de recherche, les remerciements reviennent en tout premier lieu à tous les grand-combiens (de naissance ou de "coeur") qui sont non seulement la matière de ce travail, mais les acteurs du drame que cette monographie raconte, et en premier plan les mineurs, leurs femmes et enfants, qui sont les véritables auteurs de mes narratives. Cette thèse n'aurait pu exister sans l'accueil compréhensif et courtois de tous ceux qui m'ont accordé des entretiens. A tous et, particulièrement aux mineurs grand-combiens (ou cévenols), j'offre cette thèse. Peut-être y trouveront-ils des erreurs, des oublis, des manques. Qu'ils m'en excusent. Je remercie chaleureusement Béatrice LADRANGE qui m'a accueillie si amicalement pendant mon séjour sur le terrain. Je rends hommage à André PARLEBAS pour son appui et pour l'appréciable matériel de recherche qu'il m'a fourni. Je tiens aussi à exprimer ma reconnaissance à MM. WIENIN, PEZON et SUGIER et au personnel du Bureau d'Etat-Civil de La Grand-Combe. Je remercie, par sa gentillesse, la famille VUEZ chez qui j'ai pris un logement. Je plie mes bagages, remplis de souvenirs et d'amitiés qui pour moi n'ont pas de prix... Je rentre à Paris pour donner suite à l'élaboration de la thèse. Je regarde de temps en temps la "photo-imaginaire" que j'ai prise à La GrandCombe, en Alès, enfin, dans les Cévennes et je pense à vous. Je sens que j'ai pris des racines à jamais. Ma gratitude au Professeur Jacques GUTWIRTH va sans dire. C'est à lui que je dois l'honneur d'avoir été guidée dans ma recherche et à qui je rends tout particulièrement hommage parce qu'il a été non seulement un directeur de recherche dynamique et un ethnographe provocant, mais encore un père soucieux des conditions de vie et d'adaptation de ses étudiants. Il n'a pas hésité à intervenir pour régler tous les problèmes administratifs et à recevoir - ainsi que son épouse Christa - ma famille et moi dans sa demeure accueillante. Je tiens à exprimer également ma reconnaissance au Professeur Antoine PROST qui m'a toujours conseillée avec clairvoyance et sympathie. Je le remercie pour ses efficaces recommandations. Ce programme de doctorat a été réalisé dans le cadre de l'Accord CAPES/COFECUB. Sans l'aide financière de la CAPES, je n'aurais pas pu le mener à bien. Je lui suis spécialement reconnaissante, ainsi qu'au COFECUB, pour leur appui matériel. Veuillez trouver ici, Mme BOUVIER, l'expression de mon remerciement. Je tiens à exprimer ma profonde gratitude à Ana Luiza ROCHA, Carmen Silvia RIAL et Claude BOUSTANY à qui je dois énormément. De très "près" elles m'ont animée intellectuellement et affectivement. A elles je dois beaucoup de cette "symphonie" finalement "achevée". Je suis heureuse de remercier Maria Lucia GONÇALVES DE CARVALHO et ses enfants Fabrícia et Hémilton. Avec eux j'ai partagé pendant trois ans un foyer plein d'affection. Merci à Pierre CASTEBO par son amitié. J'exprime ma vive gratitude envers Erickson GAVAZZA MARQUES, Isabel MALLMANN, Cristina GOELZER et Susan KLEEBANK, pour leur amical soutien et leur fidèle solidarité. Je tiens à remercier particulièrement Paulo M. MORS et Jacques CHOURAKI pour ses utiles suggestions et pour leur amitié. Mon merci à Rejane BEAUX, à Susana H. BARCELOS, à Angela BUARQUE, à Sérgio BARROS, à Marcelo GATTI, à Bruno CLOAREC et à Valérie HARDY. Je remercie sincèrement le Professeur Olivier KOURCHID pour sa solidarité, témoignant que cette référence identitaire est aussi présente chez les mineurs que chez les chercheurs intéressés à comprendre "le monde de la mine". Je remercie les Professeurs Ruben George OLIVEN, Maria Rosilene BARBOSA ALVIM, José Sérgio LEITE LOPES, Alice R. de PAIVA ABREU et Jean-Marie GIBBAL pour leurs conseils et Liana ORIA, Ivaldo GEHLEN, Rogério do VALLE et Marta ARRETCHE pour les fructueuses discussions. Ma gratitude sincère à MA TU FU et à Wellington LAGE par leur aide dans le domaine de l'informatique. Je remercie Gérard LE CLERRE pour la correction générale de cette thèse et Benjamin KALA-NGOMA, Mme Marie Claire LORRAIN (BAPUE) et Catherine BARRANES pour la révision de certains chapitres. En Allemagne ma gratitude s'adresse à la famille ECKERT. Que tous veuillent bien trouver ici l'expression de mon affection. Au Brésil, ma soeur Clarissa BAETA NEVES a pris en charge toutes les démarches administratives, me permettant un séjour sans souci en France. Je l'en remercie de tout mon coeur. Je remercie mes confrères professeurs d'Anthropologie Sociale de l'UFRGS pour leur solidarité. Merci à Cláudia FONSECA, Ruben G. OLIVEN, Noemí C. BRITO, Sérgio TEIXEIRA, Ondina F. LEAL, Daisy BARCELOS, M. Eunice MACIEL et Ari P. ORO. Merci encore aux nombreux amis qui ont constamment continué à me transmettre leur soutien et leur confort moral. Merci Lola TEIXEIRA, Marcos GOMES, Otávio AQUINO, Miriam ANDRIOTTI. Ma gratitude à Jacqueline par son aide et à Maria ROCHA qui a fait la couverture. Bruno C. M. MAGNE a assuré la révision finale de cette thèse. Je le remercie vivement d'avoir accompli avec compétence cette démarche. Merci à Lucie de Lannoy qui a corrigé mes derniers écrits. INTRODUCTION Ce travail est une réflexion sur les rapports sociaux qui caractérisent une ville née du charbon et sur les incertitudes quant à l'avenir économique des villes "autrefois" minières. Notre but consiste à saisir le mode de vie familial et les rapports des relations sociales des réseaux d'échange et de sociabilité (famille, parenté, voisinage, vie associative, etc.) d'une ville qui a vécu un attachement à une structure mono-industrielle - le travail à la mine - et qui, actuellement, subit l'impact de la récession industrielle. La trame de notre recherche va consister dès lors à étudier comment vivent les mineurs et leurs familles qui, à une autre époque, celle d'une ville minière, voyaient leurs projets, leurs ambitions, leurs façons de vivre liés à ce qu'avait tracé le code industriel, la mine. Comment identifient-ils l'univers social de leur interaction quotidienne après la fermeture des puits? Comment, avec la disparition de ce point de repère traditionnel qui structurait autrefois l'élaboration du processus de construction de projets de vie, les familles de mineurs ré-élaborent-elles de telles constructions dans le contexte actuel? Comment repensent-ils l'ordre quotidien à partir de ces nouveaux facteurs déterminants: la mutation et la crise, le chômage, le recul économique local, le besoin de qualification du travail, mais aussi les nouveaux temps modernes, de la société de consommation, de l'ère de la communication dans laquelle "l'information n'est plus un instrument pour la production de biens économiques mais elle est devenue le bien principal"... de l'ère du "village global"(1)? C'est par rapport au contexte grand-combien que nous voulions mettre en relief un groupe social, celui des mineurs de charbon et leurs familles. C'est en lisant l'oeuvre de Rolande Trempé(2) sur les mineurs de Carmaux que notre attention fut attirée pour la première fois vers la ville de La Grand-Combe citée dans le texte.(3) C'est ainsi que nous avons trouvé le point de départ et que notre choix s'est porté sur la ville de La Grand-Combe. Située au nord-ouest du Département du Gard, à 192 kilomètres de la Méditerranée, 650 kilomètres de Paris et 270 kilomètres de Lyon, La Grand-Combe est née du charbon au début du XIXème siècle. Cette ville est le résultat de la volonté d'une Compagnie de mettre en place une agglomération urbaine. Le charbon y a joué pendant plus d'un siècle un rôle économique déterminant. Actuellement, la ville et ses habitants vivent les conséquences d'une grave récession économique, et c'est toute l'organisation sociale qui se trouve remise en cause. A l'exemple d'autres villes qui ont connu le recul économique, nous pouvions alors suggérer qu'à La Grand-Combe on assistait également à la fin du "processus de reproduction d'une classe ouvrière qui trouvait en elle-même, par la solidité des liens familiaux et la solidarité des rapports de travail, les ressources suffisantes pour transmettre un savoir-faire, la fierté du métier et, en même temps, tout un mode de vie fondé sur une communauté profondément intégrée".(4) La Grand-Combe incarnait en ce sens le contexte revêtit (dans notre esprit) d'un caractère idéal pour notre étude: connaître les changements sociaux subis par une ville qui se trouve engagée dans un processus de désindustrialisation après avoir vécu une longue période régie par un système de mono-industrialisation et d'urbanisation du type ville minière. Le scénario ayant été ainsi ébauché, il restait à concrétiser notre recherche. Nous avons développé notre travail sur le terrain pendant les périodes de juin 1987, février à juillet 1988, novembre-décembre 88, mai-juin 89 et avril 90. Nous avons consacré notre étude à saisir comment ce groupe urbain va se réorganiser dans ce processus de déstructuration industrielle, face à la remise en cause de l'identité sociale de la communauté minière. Comment cette population, après avoir subi la fermeture des puits et la disparition des emplois, se réorganise-t-elle et se reconstitue-t-elle dans le présent? Comment, après les remous du passé, aspire et construit-elle son devenir? A cet égard nous voulons rendre compte des discontinuités vécues dans les temps de la communauté de travail(5) qui exprime des rythmes variables du "temps vécu" et du "temps de la vie"(6), entre "l'autrefois" et "l'aujourd'hui" considérés dans un mouvement de continuités et de discontinuités temporelles et spatiales.(7) Nous avons pensé aussitôt que, pour comprendre ce groupe au "présent", il nous fallait concevoir le temps comme une série de ruptures, évitant de voir le groupe comme vivant un temps continu et uniforme. Cette position nous motivait à "travailler" avec la mémoire collective et sociale(8) et à privilégier nos enquêtes auprès d'une population plus âgée: les retraités de la mine(9). Dans notre exercice d'enquêtes et d'observation sur place de la vie quotidienne, nous avons essayé de reconnaître dans la représentation singulière du passé, la fréquence des moments qui ponctuent le vécu des acteurs sociaux comme de forte rupture. Au même temps, nous tentons de saisir leur manière singulière de reconstituer, sur les transformations, leur continuité, leur "durée"(10). Dès les premiers entretiens, nos interlocuteurs grand-combiens ont identifié et raconté l'histoire locale et leur propre trajectoire de vie à travers différentes périodes (intervalles temporels)(11). Par la mémoire, ou mémoires successives, les sujets reconstituent et nous expriment le vécu "d'autrefois" quand la mine était, plus qu'un moyen de travail, tout un réseau de vie et la vie "d'aujourd'hui" extériorisé comme une époque marquée par la disparition du travail à la mine. Nous avons ainsi recueilli des propos évoquant un "autrefois", traduit par l'expression "au temps de la Compagnie", un long temps rythmé par le travail à la mine et au sein duquel les séries discontinues ne sont pas per‡ues comme suffisamment radicales et bouleversantes pour les empêcher de penser ce temps comme continu et homogène. Evidement cette ville est implantée dans un espace traversé par "d'autres temps", des temps antérieurs à celui de la ville minière et à celui d'un quotidien rythmé par le travail industriel à la mine et qui la transpercent, la filtrent(12). Mais ce sont les temps sociaux d'un passé rythmé par le travail à la mine et de la naissance de leur ville qu'ils ordonnent pour enchaîner le passé en une "opposition logique" au temps présent. C'est dans ce temps que sont localisées les origines de la communauté de travail, que ce fonde le temps de la collectivité et de la grande famille corporative. C'est la Compagnie des Mines de La Grand-Combe qui a forlancé le projet de constitution de cette commune et, dans le même élan, de mise en place d'une ville ouvrière(13). C'est "au temps de la Compagnie" que la ville est fondée, qu'on rencontre cimenté le "mythe" de création. La Grand-Combe est créée en 1846 conformément à la structure typique des cités industrielles développées au XIXème siècle sous l'égide d'une entité économique. Elle a été baptisée du même nom que la Compagnie. L'agglomération urbaine reflétera donc la force de l'industrialisation de l'activité charbonnière. La Compagnie implanta une ville minière en aménageant rationnellement l'espace urbain, instituant, selon sa logique, les principes urbanistiques, car il fallait y attirer et enraciner une main-d'oeuvre autochtone ou immigrante. Son fonctionnement en tant que ville industrielle a impliqué un important processus de migration, auquel ont d'abord participé les paysans des alentours, puis des ouvriers venus d'autres régions et d'autres pays, qui y ont fait souche et "fondé" la "population grand-combienne". Pendant plus d'un siècle, la Compagnie a marqué de sa présence la vie locale, toute une époque oû bon nombre de grand-combiens ont vu leur "devenir" déjà tracé. Il existait une forte interaction entre deux mondes travail/domestique - dont les espaces se sont avérés complémentaires. Nous soulignons la politique menée par la Compagnie pour stimuler l'endogamie professionnelle et l'auto-reproduction de la famille ouvrière grand-combienne, ceci assurant la pérennité du travail à la mine de père en fils. La famille a donc toujours occupé une place primordiale dans cette société. Dans tous les domaines sociaux, la Compagnie s'est imposée comme pilote. Elle prendra à sa charge la responsabilité de loger son personnel, de l'éducation des enfants, et la mise en place de tout un système de protection sociale, notamment à travers la mise en oeuvre d'une Caisse de Secours, d'une Caisse de Retraites et d'écoles, une assistance rare dans le monde ouvrier du XIXème siècle.(14) La Compagnie fait naître donc non seulement un noyau de développement industriel sur lequel elle a le contrôle direct, mais elle engendre également le développement d'un noyau urbain "maquillé" des "principes urbanistiques" qui suivent la "logique" de la Compagnie. C'est une ville artificielle qui démarre d'une "stratégie industrielle"(15): une ville qui est fondée par la volonté de cette Compagnie. Certes, ce n'est pas une "ville-industrielle" au sens d'une prise en charge directe par la Compagnie; celle-ci doit garantir un contrôle sur le développement urbain par le biais d'un domaine politique local, par la maîtrise du pouvoir urbain, à fin de garantir la reproduction des intérêts du capital. Effectivement, la Compagnie aura ce contrôle administratif et exécutif pendant une longue période et combinera son action politicopaternaliste auprès de la communauté de travail à l'exécution du pouvoir local: la ville sera le miroir des intérêts de la Compagnie. Cependant, l'espace de la ville est "espace public" par excellence, théâtre oû les intérêts antagoniques se confrontent "librement". De plus en plus les conflits latents qui se cachent sous le tissu urbain s'exaspèrent, ici et là les tensions deviennent conflits(16), l'opposition s'organise, revendique et finit par gagner par la prise du pouvoir politique local en 1925. La ville ouvrière fondée par la Compagnie devient ville ouvrière dirigée par des représentants-défenseurs des intérêts ouvriers. Une ville, toutefois, oû la force de cette mono-industrie demeure dominante au niveau économique et au niveau idéologique. Malgré les coupures qui bouleversent le cadre du pouvoir politique, le "temps pensé" demeure ordonné comme étant celui vécu "au temps de la Compagnie". Finalement, les transformations engendrées au sein de ce "temps" (nous parlons de l'impact des antagonismes de classes au niveau local) sont enchaînés par des transformations globales (contradictions de la société capitaliste, la Deuxième Guerre, les plans économiques internationaux, la modernisation industrielle, etc.) qui finissent par engendrer des bouleversements dans la société avec un radicalisme si grand que la rupture avec la structure dominante, cimentée sur le système paternaliste développé par la Compagnie, est irrévocable. La conjoncture de la Deuxième Guerre Mondiale brise cette durée, le temps historique engendre une profonde rupture. Dans ce moment, ils situent les faits qui les forcent a réactualiser les repères d'organisation du temps collectif. Les événements historiques viennent briser l'efficacité d'un continuum illusoire. "Le groupe n'est pas resté immobile, prisonnier de son passé, mais s'est plié aux aléas de l'Histoire"(17), événements qui bouleversent plus profondément "le monde de la mine". Une autre représentation de temps vécu se succède: "au temps de la nationalisation", temps également vécu comme ayant des hauts et des bas - diversifications de temps ponctuées dans leurs discours - mais un temps repéré aussi en continuité (assurées) parce que scandé par la solidité du temps industriel, du travail à la mine. Les mineurs vont connaître également une nouvelle réalité politique vécue un peu comme la concrétisation de projets (des politiques jusqu'à matériaux) aspirés et menés dans la lutte d'émancipation de la classe ouvrière (la conquête du Statut du mineur, par exemple). Ils verront également surgir un programme de récupération économique du pays dans lequel les mineurs seront engagés en première ligne et transformés en héros de la patrie. La ville (dans ses différents domaines) se transforme. La nouvelle "configuration" ne fait qu'exprimer les changements globaux qui s'opèrent dans les divers ordres (l'instance politique, économique, et au sens large, culturelle). Les mineurs ne sont plus seulement "mineurs de la Compagnie", "mineurs grand-combiens", mais ils vivent l'interpénétration d'autres temps et espaces (la région, la nation et au-delà) - le "dehors", les environnements et le cours du temps, pour citer Balandier(18) - incorporant à leur propre "singularité" ces effets profonds des changements sociaux dûs au développement du capitalisme, de l'industrialisation et de l'urbanisation, ces défis de la vie moderne qui les force à s'engager continuellement à confronter, à défier, à recommencer. Nous cherchons à vérifier ces aspects dans le contexte et dans le domaine du travail. Au "temps de la nationalisation" est un temps vécu pensé sur l'appartenance régionale (traversé par la nation) - qui revêtit pour sa part le local. Le sentiment d'appartenance et la "durée" brouillent "les frontières intramuros" du "temps de la Compagnie" pour réfléchir une identité tellurienne ancestrale, le temps vécu pensé dans la mémoire s'est élargi. Nous suggérons alors que les références identitaires locales en relation "au monde du travail" sont de plus en plus traversées, enveloppées par des références qui situent un univers plus large. Références éclatées dans le temps et dans l'espace, comme si le contexte social, le cadre conjoncturel, légitimaient finalement le fait que certaines valeurs (les racines cévenoles) gardées dans cette sorte de "foyer virtuel" (à la Lévi-Strauss) peuvent être "ré-actualisées" comme références identitaires de premier ordre d'importance. Nous suggérons que alors le travail à la mine demeure une expérience immédiate de leur quotidien mais ils voient le "temps" de leur ville vivre plus intensivement cette interpénétration avec "d'autres temps". C'est-à-dire que les mineurs continuent à exister comme catégorie professionnelle tout en étant insérés dans une autre unité-économique (nationale, cette fois, mais organisée en instances régionales) qui, de sa part, propose encore ce "monde"-synthèse de leurs références autour de l'existence à la mine. La cohérence, l'unité identitaire de la communauté de travail sont désormais "collées" (par le biais du travail) sur "le régional" (le terroir culturel). Nous avons conscience, ici, de "sculpter" d'une manière réduite l'identité sociale de par l'emphase donnée à l'identité-valeur "travail" qui n'est qu'un "miroir" parmi les "jeux de miroirs" (un principe parmi les multiples principes) par lequel l'identité sociale peut être réfléchie. Nous nous justifions par le choix de reconnaître un groupe qui tient sur ce savoir-faire singulière (le travail à la mine) les références identitaires d'un groupe "occupationnel" et que nous analysons situées dans un contexte spécifique, recoupé par une expérience différentielle. C'est par l'appellation d'une collectivité de travail - la corporation des mineurs des H.B.C. - insérés dans une entité économique régionale et, sur l'appartenance à une région culturelle - les mineurs cévenols - qu'ils élaborent dans la mémoire collective les points de repères, les valeurs de référence normative de leur identité sociale. Et c'est sur cette base symbolique qu'ils "résisteront" à la crise économique dans les secteurs traditionnels de production: "pour vivre et travailler au pays". Au "temps de la nationalisation", les conditions de vie s'améliorent, le Statut du mineur garantit son avenir: victoire des partis de gauche et des syndicats ouvriers. L'Etat prend en charge la construction de nouveaux logements (soit à travers l'appareil industriel - les Houillères - soit par le programme national d'habitation - les H.L.M.). Néanmoins, au sein du "temps de la nationalisation" se produisent également les contradictions propres du système capitaliste et de l'idéologie moderne. Ces contradictions ne cessent d'entraîner des changements. Plusieurs traits de ces transformations sont d'ailleurs aspirés par les uns, revendiqués par les autres: la modernisation de la vie, l'ascension sociale par la formation et par la qualification, une volonté d'avenir social. Mais ces changements dévoilent rapidement la véritable dynamique de la modernisation industrielle: la ville minière plonge dans une "crise". Récession économique qui met en cause la structure de la mono-industrie, mais crise également à tous les autres niveaux de la vie quotidienne de la ville, de par le bouleversement provoqué dans la vie des familles - le temps familial assis sur l'espace de la ville minière est brisé - par le basculement de leur mode de vie et par la sensation de chaos que ces changements engendrent au sein de la communauté. Selon la logique propre de nos interviewés, c'est "la crise" qui demeure la référence d'un "aujourd'hui" en opposition à "l'autrefois" qui prend désormais très souvent la coloration d'un âge d'or des rapports sociaux "singuliers" de la communauté de travail. Hier, "au temps de la Compagnie et au temps de la nationalisation", la vie était rythmée par le travail à la mine(19), l'histoire de la ville et celle de la mono-industrie du charbon s'entrecroisaient, les flux et reflux de la population restant directement proportionnels aux avancées et aux reculs de cette industrie. Ces temps sont mémorisé à partir d'un stock qui localise les unités économiques qui leur paraît, dans leur expérience immédiate, régir le rythme imposé par l'ordre industriel. Le temps présent, quant à lui, est considéré comme un temps tributaire des erreurs accumulées du passé et d'une conjoncture de crise qui a débuté dans les années 6O avec la fermeture des puits. A côté des changements économique-industriels survenus dans cet ancien bastion du développement charbonnier, un autre changement social profond a vu le jour. Quelque chose était brisé: c'était la fin du travail traditionnel à la mine, et donc la fin du métier de mineur. Vidée de sa substance industrielle qui avait forgé l'identité des habitants, La Grand-Combe sera déchue de son statut de ville minière. Cela signifiait aussi la rupture d'une tradition du groupe, de la "grande famille corporative" et, d'une tradition familiale, celle des "familles de mineurs". Le "présent" est perçu donc comme un temps "après la fermeture de mines", identifié comme "au temps de la crise", "au temps de la récession". Vivre "l'aujourd'hui" consiste à condenser ces temps qui ont "le travail à la mine" par référence. Autrement dit, ils réordonnent les temps malgré l'absence de cette référence dominante, comme une façon de garantir dans leur mémoire une continuité du groupe et de surmonter la rupture, la discontinuité du temps collectif. C'est dans l'ordre de ces temps qu'ils se reconnaissent comme appartenant localement à un groupe social en continuité, doté d'une histoire en mouvement mais qui sécrète dans son sein un temps permanent. La fermeture des puits d'extraction étant généralement considérée comme le point de repère dans les changements sociaux subis par les mineurs et leurs familles, nous nous proposons de l'utiliser comme point d'inflexion du processus qui va déclencher "les temps de la récession" par la violence avec laquelle cette rupture dégrade la situation de l'emploi et installe un temps inactif. Ce présent est un temps marqué par la disparition et "la mort de la mine"(20), la mort de la ville minière, par le départ et le vieillissement de la population, "par les désharmonies et les devenirs sans figure (...) par un repos mal constitué"(21) qui les fait souffrir. Ainsi, même si l'adoption de nouveaux "temps modernes" fut souhaitée, la force de la rupture dépasse l'ampleur de "ces aspirations" (au niveau réel et imaginaire) parce qu'elle met en "désordre" tout un mode de vie et met en cause la propre existence du groupe d'appartenance. Aujourd'hui, devant cette réalité oû le travail n'est plus assuré, oû la filière d'embauche qui passait de père en fils a été rompue, la nouvelle génération grand-combienne est confrontée aux manques de perspectives d'avenir (professionnelles) dus au fait qu'elle a hérité d'une ville désarticulée, au sens économique du terme, déshéritée, déchue de sa "vocation" de toujours. Les transformations successives dans les temps nouveaux ont mis en place un processus de récession qui s'est étendu aux différents domaines de la société locale. L'espace urbain a changé. Il s'est vidé, provoquant un phénomène de mutation résidentielle interne chez les familles de mineurs (des quartiers aux maisons vétustes vers d'autres quartiers rénovés). C'est notamment dans les quartiers pavillonnaires - les cités minières d'autrefois - ou dans les quartiers d'immeubles - ensembles H.L.M. - qu'habitent les familles de la dernière génération de mineurs. Ce sont des retraités ou pré-retraités des Houillères, et donc une population dont la trajectoire professionnelle est passée par le travail à la mine. Plus rarement, l'ancien mineur fait bâtir une maison dans un "quartier neuf". La majorité des habitants de ces quartiers se trouvent dans une même situation, dans de mêmes conditions de vie: l'âge, la retraite, la référence aux anciens rapports de travail, l'appartenance à une même histoire locale, la stabilité résidentielle. Ce sont d'ailleurs ces familles (retraités et épouses, parfois aussi les enfants) que nous avons avant tout interviewées pour répondre aux interrogations qui vont être développées dans ce chapitre (ceci est justifié dans la "Partie I"). D'une façon ou d'une autre, les grand-combiens qui sont restés réactualisent les pratiques sociales. Le groupe "ré-travaille" dans la discontinuité une continuité. Cette continuité est construite, elle est pensée, projetée. Nous essayons alors de décoder les temps et les espaces qui sécrètent ces "courants de pérennité"(22) dans lesquels les habitants "ancrent" leurs repères identitaires, répondant, ainsi, à l'interrogation qui donne le ton de notre recherche et que Zonabend a su fort bien élaborer dans son étude sur la communauté de Minot: "Mais y a-t-il véritablement césure entre hier et aujourd'hui? Ce présent vécu, partout et toujours, comme un temps de bouleversement et de crise des valeurs morales, s'oppose-t-il irrémédiablement au passé? La communauté ne doit-elle pas constamment, pour exister, renouer avec son temps, retrouver sa durée?"(23). C'est dans les rapports de sociabilité(24), dans les jeux d'interaction, dans les lieux de socialisation que nous focalisons un processus de ré-invention du quotidien, de ré-création des points de repères qui permettent de réactualiser les pratiques sociales, de réordination du temps collectif pour vivre une continuité dans l'actualité. C'est dans les variations autour des rapports de sociabilité que nous cherchons à décoder l'extériorisation de l'ordonnance d'un temps continuel, l'investissement de leurs repères identitaires (qui condensent les temps). C'est dans la cadence des rapports de sociabilité que nous localisons la construction d'un temps collectif. Et c'est dans la cadence de ce rythme retrouvé de la vie qu'ils peuvent finalement "reposer" pour penser leur durée. En effet, nous constatons après les fermetures de puits un changement de tout ordre du "rythme" de la vie quotidienne: ce n'est plus le rythme déterminé par le travail à la mine qui va mouvoir le quotidien de la ville, mais le rythme d'un temps rempli par diverses occupations liées au domaine des pratiques de sociabilité dans la sphère du domestique, du voisinage, des loisirs (sphères privée et publique)(25). Nous tenterons de cerner les stratégies de réorganisation des pratiques sociales; de l'identité collective, de l'appartenance au groupe et au lieu, la constitution des pratiques de sociabilité en référence à la mémoire collective de cette société locale et en référence aux pratiques sociales qui les intronisent dans une espèce de "mondialisation" des moeurs. La vie associative apparaît comme une "stratégie" visant à réorganiser les rapports sociaux, à tisser différents réseaux qui recomposeront un noyau urbain. Elles interviennent dans la définition des positions sociales et des rôles, d'un ordonnancement de la place des acteurs sociaux en scène permettant de porter sur le sentiment d'appartenance locale. Il s'agit d'une recomposition de l'organisation sociale de la communauté, d'une ré-considération du sentiment de localité, du temps de la collectivité (l'imaginaire de référence), de l'histoire du groupe. La mine, le travail à la mine, la grande famille minière, etc., sont des thématiques qui président à la construction de l'identité sociale, ce qui nous conduit à étudier l'identité de cette communauté de travail en référence à un point de repère qui les "enveloppe" en tant que groupe inscrit sur un temps et des espaces vécus et pensés par cette collectivité. La ville vide est le théâtre d'une "nouvelle" orientation urbanistique pour l'instauration d'une "nouvelle" conception de ville. La Grand-Combe, selon l'équipe municipale de l'époque, va essayer de faire peau neuve grâce au "projet vert", éliminant toutes les maisons vétustes, démolissant ou rénovant les anciens quartiers construits par la Compagnie en même temps qu'elle met en place des projets de conservation d'un "patrimoine industriel" local afin de sauvegarder les souvenirs et perpétuer la "mémoire du social"(26). Une stratégie politique et sociale, le patrimoine remet en scène les valeurs et le sens d'un savoir-faire, la culture technique et la "mémoire du social", il permet cette illusion de remplir d'un sens qui vient du passé les vides qui appartiennent au présent. Comme l'a fort bien montré Jeudy: le patrimoine industriel, nous dit-il, "tente d'apporter l'image d'une continuité historique et sociale en restituant à l'innovation technologique le cadre de sa mémoire". En outre, ce mouvement patrimonial, la mémoire muséale, témoigne d'un temps perdu (désordonné) recherché. La mort de la mine est scellée, est intériorisée. L'espace du travail du mineur disparaît. Cette disparition est acceptée comme entr'acte nécessaire pour transformer la ville, qui, une fois munie des nouveaux atouts, part à la recherche d'un nouveau statut. Des "restes culturels", quelques-uns sont démolis, d'autres sont sélectionnés pour pétrifier les symboles d'un passé retrouvé, transformés en "sanctuaires de la mémoire".(27) Quelles que soient les représentations construites pour nous parler de leurs récits de vie, de leur trajectoire familiale, de l'histoire du groupe, de la dimension spatiale des diverses formes d'enjeux sociaux, le repère reste le travail à la mine. C'est en relation à la naissance, l'existence et la disparition de cette activité que se construisent un mode de vie et l'identité sociale du groupe. C'est par la présence de l'image traditionnelle de la mine dans le passé et son absence dans l'aujourd'hui que se dessine une spécificité et que se concrétise la référence identitaire de ce groupe social. D'oû notre effort d'aborder la question de l'identité. Aujourd'hui, par la condensation temporelle, la "communauté de travail" locale ré-actualise le passé et vit le présent oû la référence "au monde de la mine" devient de plus en plus diversifiée et floue: la ville sinistrée, la ville léthargique. Par ailleurs, nous avons favorisé comme champ d'étude la famille du mineur, que nous considérons comme étant l'espace social privilégié pour situer l'interaction des individus sur la collectivité et le système économique. Le temps familial continuellement recréé "introduit l'homme dans son vécu social"(28). En effet, la famille introduit significativement l'individu au sein d'une histoire collective, une histoire vécue avec signification, qui permet en même temps de construire la trajectoire de chacun. Dans ce sens, l'objectif de notre recherche est d'étudier la façon dont les habitants représentent l'organisation familiale et des réseaux sociaux(29) qui caractérisent la communauté de travail à deux moments distincts, "autrefois" et "aujourd'hui", l'emphase étant donnée à leur parcours biographique. Ce cheminement conduit à la reconnaissance de leur mode de vie et de leur vision du monde dans la situation actuelle qu'impliquent de nombreuses pratiques sociales que nous voulons reconstituer en tant que système de valeurs de référence. Nous voulons aborder les différents thèmes qui s'inscrivent dans la tension entre le pôle de la famille et celui de son contexte social(30); traiter les sujets de l'habitat, du travail, de la sociabilité, des usages et des représentations de la ville selon la trame de l'existence de ces familles, et aussi selon les points forts du temps familial exprimés dans leurs discours. Nous essayons de montrer quelques traits de l'organisation familiale (tout en tenant compte des rapports de parenté et de voisinage) à travers les différentes époques vécues: l'époque oû la Compagnie déterminait elle-même la distribution du temps et de l'espace des habitants, en passant par le temps de la nationalisation et celui de la récession qui n'est plus déterminée par la Compagnie mais par le temps de la société elle-même (oû le rôle joué par l'Etat est déterminant). Les cas présents de situations familiales sont les plus divers, et nous ne retiendrons que quelques cas particuliers, ceux qui, sans nécessairement être les plus importants, nous autorisent à parler des familles grand-combiennes d'aujourd'hui.(31) *** Notre thèse se compose de 5 parties. Dans la première partie, nous parlons succinctement de la méthodologie (aspects méthodologiques et techniques de travail de terrain) qui oriente notre recherche. Nous présentons également le lieu dans lequel nous avons développé notre travail de terrain, et nous parlons de notre rapport avec les acteurs sociaux interviewés et des pratiques de leur quotidien que nous avons pu observer. Pour structurer les quatre autres parties, nous avons suivi l'ordre de temps à partir de la représentation que s'en font les personnes interviewées. Dans la deuxième partie, "au temps de la Compagnie", nous consacrons notre recherche à la "contextualisation" du groupe dans le temps et dans l'espace de cet intervalle. Nous jetterons par conséquent un coup d'oeil sur l'histoire de la Compagnie des Mines de La Grand-Combe et, conjointement, sur celle de la ville, toutes deux étant indissociables. Dans la troisième partie, "au temps de la nationalisation" nous mettons en relief les changements survenus après la Grande Guerre. Avec la nationalisation des mines en 1946, La Grand-Combe verra une nouvelle entité régionale économique exploiter ses richesses naturelles: les Houillères du Bassin des Cévennes. D'emblée "la Compagnie" n'est plus ce point fort de référence de leur imaginaire collectif. Désormais les mineurs travaillent pour l'Etat, plus encore, ils "luttent" pour la patrie: la "bataille du charbon". Dans la quatrième partie, "au temps de la récession", nous étudions l'impact causé par la crise économique et sociale. Après le choc des fermetures de puits d'extraction (et nous disons bien fermeture des puits et non pas épuisement du charbon), le cadre général de la ville minière va changer, avec, d'un côté, un programme de reconversion économique locale et, de l'autre, le recyclage des travailleurs des Houillères. Les corollaires d'une telle conjoncture se manifestent aussitôt: le dépeuplement, la dispersion du groupe local, le chômage des jeunes qui restent et le vieillissement de la population. Dans la cinquième partie, "la ville léthargique", nous focalisons la situation de crise et de récession que vivent actuellement les familles de mineurs à La Grand-Combe, nous évoquons aussi les souvenirs du "temps de la Compagnie" comme celui de la "nationalisation". La question à laquelle nous voulions répondre était, malgré son vaste contenu: comment vivent aujourd'hui les habitants-héritiers d'une ville autrefois minière? La question ainsi posée paraît tellement ouverte que la réponse peut sembler infinie. Nous analysons comment les familles, comment ce groupe héritier d'un temps collectif, porteur d'un passé qui est repéré à travers le regard qu'ils posent sur "l'autrefois" ("au temps de la Compagnie" et "au temps de la nationalisation") se réorganise et se restructure dans la conjoncture actuelle. Nous essayons de connaître la représentation que les habitants se font actuellement de leur ville tout en distinguant les domaines susceptibles de nous révéler les pratiques sociales à travers lesquelles se manifestent leurs sentiments à l'égard des changements survenus. Nous avons inclus dans cette dernière partie des réflexions sur le développement d'un programme d'urbanisation qui a débuté dans les années 70. La perte de l'ancien "statut" local et la recherche d'un nouveau "statut" sont devenues un enjeu politique et idéologique. Nous analysons, enfin, sous l'angle ethnographique la fête de SainteBarbe: patronne des mineurs, en la replaçant tantôt dans le passé, tantôt dans le présent. L'histoire du groupe sera alors envisagée à travers le système complexe de pratiques rituelles (sacrées/profanes) et dans ce que le rituel de la fête permet aux habitants de la ville de reconstituer les repères identitaires et de prendre conscience de leur existence en tant que groupe avec une trajectoire spécifique. *** * Afin de tenir cachée l'identité de nos informateurs, nous avons cru bon de leur donner des noms fictifs à l'exception des représentants des Associations et historiens locaux. * * Chaque fois qu'il s'agit d'un interviewé qui "parle", nous l'avons mis en italique. 1. Pour paraphraser Eco. In: ECO, Umberto. "Chroniques du village global". (Articles écrits au cours de plusieurs années - 1967 à 1983 - pour des quotidiens et des hebdomadaires). In: La guerre du faux. Paris, Grasset & Fasquelle, 1985. p. 175 à 260. 2. Rolande Trempé, dans son travail, nous introduit dans l'ambiance d'une commune déterminée par le système "ville-usine", en analysant fort bien le processus de prolétarisation des anciens paysans qui sont devenus paysansmineurs et, finalement, le processus d'exploitation d'une main-d'oeuvre devenue le mineur tout court. In: TREMPE, Rolande. Les mineurs de Carmaux 1848-1914. Paris, Les Editions Ouvrières, 1971. Tome I et II. 1O12 p. 3. La ville apparaissait citée dans cette note: "D'après les renseignements fort dispersés et assez fragmentaires que nous avons pu réunir, la Compagnie des Mines de La Grand-Combe (Gard) est 'une de celles qui s'est le plus tôt et le plus totalement engagée dans une telle politique (logement). Dès 1837, elle commença à édifier les premières casernes. Non seulement elle se chargea du logement de ses ouvriers, mais elle créa de toutes pièces à ses frais l'infrastructure économique et administrative de la commune de La GrandCombe qui fut véritablement sa création' (d'après PUECH, Compagnie des Mines de La Grand-Combe, 1901, 2 vol. dactylo. Bibl. Ecole des Mines)." Ibidem. Tome l. p. 262. 4. A l'exemple des familles de métallurgistes de Nouzonville, nous suivons, ici, Pinçon. In: PIN€ON, Michel. Désarrois ouvriers. Familles de métallurgistes dans les mutations industrielles et sociales. Paris, L'Harmattan, 1987. p. 172. 5. Nous identifions ce groupe ouvrier comme une communauté de travail parce que cette conceptualisation nous aide à saisir leur manière singulière de "cartographier" leur monde d'appartenance sociale et de recouper les frontières culturelles qui délimitent ce groupe social ayant un rapport avec le monde minier. Nous voulions par là échapper aux limites du concept de communauté tel qu'il a été utilisé par les scientistes sociaux anglo-saxons qui donnent l'idée de groupe fermé et organisé, oû la totalité est perçue dans la juxtaposition de parties autonomes et indépendantes tout en rendant compte des réseaux sociaux de relations, système de parenté, voisinage, amitié, sociabilité, etc., entre les familles des mineurs. Donc, un système de rapports sociaux plus large, avec des différentiations internes et entrecoupés par d'autres réseaux sociaux dans lesquels les mineurs circulent. 5. Nous suivons, ici, Zonabend. In: ZONABEND, Fran‡oise. La mémoire longue. Temps et histoires au village. Paris, PUF, 1980. p. 9. 6. C'est-à-dire que nous ne concevons pas ces temps divers et pluriels comme antagoniques, mais superposés, emboîtés, interceptés. En outre: "(...) le débat renvoie à la dialectique de la continuité (évoquée sous le titre: tradition) et de la discontinuité. Dans ce contexte, la modernité et la tradition n'apparaissent plus comme radicalement contradictoires". In: BALANDIER. (1985.a.). Op. cit. p. 285. 7. "Chacun sait qu'une mémoire ne se conforme pas nécessairement à un ordre chronologique, qu'elle peut être irruptive, projective, confuse, contradictoire... Les fonctions culturelles des mémoires dites collectives ne correspondent qu'à une manière parmi d'autres d'établir un ordre dynamique des trace mnésiques" (...). "La mémoire a aussi quelque chose d'accidentel, d'événementiel, elle n'est pas seulement un moyen de consacrer la continuité, la durée ou encore de faire lien. Les images du passé restent mouvantes et la manière dont se trace l'origine trahit nécessairement ses propres effets de disparition, d'évanescence". In: JEUDY, Henri-Pierre. Mémoires du social. Paris, PUF, 1986. pp. 29, 32, 33, 65 et 66. 8. Nous reviendrons là-dessus plus loin. 9. "... comment la durée va se mouler dans des formes temporelles définies". In: BACHELARD. (1989.a.). Op. cit. pp. 81. 10. "Evans-Pritchard l'a montré quand, repérant les catégories temporelles chez les Nuer, qu'elles s'harmonisaient avec le rythme des saisons, le cycle des classes d'âge et les récits mythiques. D'autres ethnologues après lui, pour d'autres sociétés lointaines ou proches, ont repéré ces mémoires successives qui s'actualisent selon le moment, l'interlocuteur, la circonstance. Chacune de ces mémoires a sa fonction propre (...)". In: Zonabend, Fran‡oise. La mémoire longue. Temps et histoires au village. Paris, PUF, 1980. pp. 3O7 et 3O8. 11. "Car le temps au village est comme éclaté, feuilleté, en une suite de temps parallèles et intégrés les uns aux autres, révélant ainsi, peut-être, une des dimensions fondamentales de toute vie sociale." Ibidem. p. 9. 12. "La ville a donc joué un rôle important dans le take off (Rostov), c'est-à-dire dans le démarrage de l'industrie". In: LEFEBVRE. (1968). Op. cit. p. 16. 13. "On est dans le cadre de ce qu'il est convenu d'appeler une politique paternaliste". (...) "La majorité des aspects de la vie quotidienne des habitants y est contrôlée, réglementée". (...) "La plupart des quartiers, des maisons, des équipements et des monuments ont été con‡us et produits par le patronat". In: FREY, Jean-Pierre. La ville industrielle et ses urbanités. La distinction ouvriers/employés. Le Creusot 1870-1930. Bruxelles, Pierre Mardaga, 1986. (Architecture et Recherches nø 25). p. 1O. 14. Nous suivons ici Devillers et Huet. In: DEVILLERS, Christian et HUET, Bernard. Le Creusot. Naissance et développement d'une ville industrielle. 17821914. Seyssel, Champ Vallon, 1981. p. 11. 15. Nous suivons ici LEFEVBRE. (1968). Op. cit. p. 20. "Nous avons devant nous un double processus ou si l'on veut un processus à deux aspects: industrialisation et urbanisation, croissance et développement, production économique et vie sociale. Les deux 'aspects' de ce processus, inséparables, ont une unité, et cependant le processus est conflictuel. Il y a historiquement, heurt violent entre la réalité urbaine et la réalité industrielle (...)". In: LEFEBVRE. (1968). Op. cit. p. 17. 16. ZONABEND. (1980). Op. cit. p. 309. 17. BALANDIER. (1985.a.). Op. cit. p. 282. 18. "Le temps (déterminé par le travail industriel), est un élément qui lui est totalement extérieur. Le temps le contient. Il s'y trouve situé par la force des choses. Il ne saurait en avoir la maîtrise. On ne le con‡oit pas capable de produire des temps à lui, expressions de son être." Selon, GROSSIN, William. "Le temps industriel: une représentation du temps désormais contestée". In: Sociétés: Revue des Sciences Humaines et Sociales. Nø 9, juin 1986 - vol. 2, nº 3. p. 36. 19. Expression de Lucas. In: LUCAS, Philippe. La religion de la vie quotidienne. Paris, PUF, 1981. pp. 11 et 12. 20. BACHELARD. (1989.a.). Op. cit. p. 37. 21. Pour paraphraser Zonabend. In: ZONABEND. (1980). Op. cit. p. 17. 22. Ibidem. p. 17. 23. Mais aussi socialité comme l'action de faire du social. "Ce concept porte à la fois la dynamique inspiratrice du terme et ouvre sur une ligne définie d'investigation du social, privilégiant tant au niveau collectif qu'aux niveaux intermédiaires, voire individuels, l'historicité, le devenir, les formes toujours redessinées de l'être ensemble et de la construction du social". Cf. BERTHELOT, J.M. "La socialisation". In: Sociétés. nø 3. Mars 1985 - vol. 1. p. 6. 24. Autrement dit, par le temps "libre", celui des loisirs, du repli sur le domestique et de la participation à des institutions associatives, etc. 25. Pour paraphraser Jeudy. In: JEUDY. Op. cit. 26. Comme le suggère Jeudy: le patrimoine, "malgré son côté 'rétro', est appelé à combler l'apparence de vide 'humain' que peut engendrer l'innovation technologique". Mais, suit-il, "l'humanisme survit-il en se parodiant activement?". Ibidem. p. 61. Voir également pp. 62 et 63. Nous avons également suivi ZONABEND. (1980). Op. cit. pp. 25 et 26. 27. "Un vécu fait de contraintes acceptées, de normes imposées par l'appartenance à un ensemble de consanguins, à un réseau d'alliés, à des ancêtres disparus. (...) Alors le temps familial rejoint le temps de la collectivité, un temps lui aussi permanent, perpétuel oû l'Histoire est occultée, la durée contractée, maîtrisée". In: ZONABEND. (1980). Op. cit. p. 308. 28. "Aborder la famille sous l'angle des réseaux, c'est se situer d'emblée dans une sociologie" - anthropologie - "des acteurs. C'est postuler que la société n'est pas faite d'individus interchangeables, passivement modelés par l'ordre social, mais faite par des personnes, liées à un contexte précis, mais disposant d'une marge de manoeuvre pour la transformer. Le social n'est pas donné, immuable, institué une fois pour toutes, il est en perpétuel processus d'autoinstitution; les hommes et les femmes refont la société qui les avait faits". Cf. FORTIN, Andrée. Histoires de familles et de réseaux. La sociabilité au Québec d'hier à demain. Montréal, Saint-Martin, 1987. p. 8. 29. Nous suivons ici: SEGALEN, Martine. Nanterriens. Les familles dans la ville. Une ethnologie de l'identité. Toulouse, PU. du Mirail, 1990. p. 67. 30. En ce sens, ce que nous cherchons à connaître, ce sont l'impact, les conséquences de la fermeture des puits sur l'endogamie professionnelle qui a caractérisé la communauté pendant un siècle, ainsi que les nouveaux enjeux sociaux qui sont entrés en scène dans les rapports entre les habitants. PARTIE I REMARQUES METHODOLOGIQUES CHAPITRE 1 LE "PAYS" GRAND-COMBIEN ET LE RITUEL D'INSTALLATION. Il est temps de présenter la façon dont nous nous sommes insérée dans la ville, les premiers aperçus, le déroulement de la pratique ethnographique, les résultats des premières observations et réflexions menées sur le terrain. Notre expérience ethnographique a commencé en juin 1987 par un voyage de reconnaissance à La Grand-Combe. Au début de ce mois-là, nous partions de Paris. La distance qui nous séparait du Midi de la France a été vite parcourue grƒce à l'avance technologique du train à grande vitesse. Après Nîmes, les changements de train nous ont offert des conditions de transport beaucoup moins rapide, ce qui nous a permis de mieux saisir une région encore inconnue pour nous. A Alès, un autre changement de train, le dernier avant d'arriver à La Grand-Combe. Cette fois, notre moyen de transport consistait en un petit train local qui relie Alès à La Grand-Combe. Nous n'étions plus alors qu'à 14 Km du but de notre voyage. Dès les premiers kilomètres sur le bassin d'Alès, nous avons identifié une image qui nous était déjà familière d'après les cartes postales et affiches que nous avions. Ces images relatent la grève "de Ladrecht", qui a eu lieu en 1980/81, elles illustrent le puits de charbon nommé Destival, le chevalement, la tour d'extraction et le "mur de Ladrecht" (une fresque de 480mý peinte en avril 1981 par l'Union Régionale des Artistes Plasticiens - Nîmes). Déjà presque effacée par les intempéries des saisons, cette fresque symbolise la victoire et la résistance des mineurs cévenols dans leur lutte "pour travailler au pays". L'approche s'est faite par l'entrée sud-est de La Grand-Combe, annoncée par les terrils, un lavoir en construction, des friches industrielles, deux chevalements et un grand bƒtiment dont nous avons appris plus tard qu'ils étaient respectivement ceux du puits des Oules et celui de la centrale thermique du Fesc (qui a été mise en route en 1953). A gauche, l'on apercevait la route nationale 107 bis, un des accès routiers à la ville. Dès notre arrivée à La Grand-Combe, nos premières impressions ont confirmé l'imaginaire que nous nous étions créé autour des villes minières: une petite concentration urbaine très marquée par l'ancienne activité extractive dominante et aujourd'hui désactivée. L'on connaît cette ambiance décrite maintes fois par la littérature sur ce thème. Le style de vie minier était partout resté figé. Certaines traces en étaient encore très présentes: les maisons en enfilade, les friches industrielles, les carreaux de mine, les terrils de charbon, les rues portant les noms de personnalités liées au monde du charbon, les appellations des établissements commerciaux, les chevalements restés inactifs, la poudre noire recouvrant les maisons, témoignant d'un passé récent, d'un milieu industriel florissant. Mais si ces quelques vestiges annoncent l'arrivée en pays minier, il y a quelque chose dans le paysage qui distingue celui-ci du classique cadre gris des régions minières. Ce sont les collines qui produisent cette sensation, car La Grand-Combe se trouve blottie au milieu d'une vallée, sur la rive gauche du Gardon. "Au coeur des Cévennes, dans les forêts de pins et de chƒtaigniers", pouvions-nous lire dans un prospectus touristique diffusé par la Mairie, qui ajoutait: "avec un passé lié à l'industrialisation de notre pays"(1). Les maisons du style "ville minière" se succèdent alignées et contiguës sur les rues, comme pour prouver que l'urbanisation locale a été poussée par un complexe minier. Par ailleurs, quelques signes plus modernes sont d'emblée perceptibles. Déjà, de la gare "La Grand-Combe-La Pise", l'on aperçoit, sur l'arrière-colline (d'Arboux), une importante concentration d'édifices de type moderne (H.L.M.). De fait, les maisons anciennes et souvent vétustes des premières rues parcourues contrastent avec les bƒtiments que l'on voit au loin sur la colline d'Arboux. Mais le plus frappant à première vue, c'est la présence d'une vallée noire ("vallée de La Grand-Combe" ou "vallée Ricard") où s'éparpillent des friches industrielles. Elle s'étire jusqu'au pied de la montagne de Sainte-Barbe située au nord, déchirant la ville et la coupant en deux. D'un côté, (ouest) le centre ville, et, de l'autre (l'est), les quartiers appelés respectivement "cité de Ribes" et "cité de la Pise", reliés par un pont étroit (passerelle d'Aubignac). Parmi les bƒtiments abandonnés, l'un se distingue par sa taille et son style: une ancienne centrale électrique du même nom que le quartier, "La Pise". Dans la vallée, le va-et-vient des camions fait voler une fine poussière de charbon, signes léthargiques d'une autre époque de dynamisme industriel(2). Depuis la gare et en prenant la première rue à droite, nous trouvons tout au long de cette vallée noire les maisons alignées où habitaient autrefois ouvriers et quelques commerçants. Nous étions dans la rue de la Clède, puis dans la rue des Poilus et la rue de la Grand'Combe, rues qui longent cette vallée jalonnée de friches industrielles. C'est, en fait, dans ces rues que nous constatons vraiment une typologie plus minière. Il y a là des bƒtiments très anciens, et plusieurs maisons se trouvent abandonnées dans un état vétuste, renforçant l'impression de ville minière en crise. En suivant la vallée par la rue de la Grand'Combe, c'est un grand chevalement qui s'impose, et aussi des bâtiments industriels en briques. C'est le chevalement du puits Ricard, désactivé depuis les années 70, devenu, par sa beauté archéologique industrielle, le symbole d'une histoire singulière, un patrimoine historique. La "vallée de La Grand-Combe", qui prend ensuite le nom de Ricard, donne accès aux quartiers de "la Forêt", de "Sainte-Barbe" et de "camps Fourgère". Et nous parcourons cette voie bordée de maisons alignées uniformément, les unes en complet état d'abandon de par leur vétusté, les autres encore habitées, enchaînant le passé au présent. Tout en repensant à la phrase d'un historien pour définir La Grand-Combe: "ville uniforme, villedortoir, ville sans passé"(3) nous la relativisons dans notre regard alors que tous ces monuments étaient bien figés, évocateurs de mémoires encore présentes, d'une "manière de vivre" du passé, fragments d'une histoire devenus les signes d'une ville autrefois minière. Néanmoins (nous le savions déjà) la démolition de ces anciennes maisons serait bientôt entreprise; comme pour en chasser quelques "mauvais souvenirs"(4) qui y demeurent. Dans un autre axe partant de la rue des Poilus s'étend la rue Anatole France, qui lie cette partie de la vallée au centre de la ville. En fait, à mesure que l'on approche de la place centrale, nous trouvons des bƒtiments un peu plus somptueux, à deux ou trois étages avec balcon. Dans cette rue l'on trouve aussi divers établissements de commerce, deux maisons de culte (Eglise Evangélique et Temple de l'Assemblée de Dieu), le Syndicat d'Initiative, la poste et au bout de la rue l'on débouche sur l'abside de l'église catholique. Autour de la place centrale (place Jean-Jaurès(5)) nous découvrons sans surprise une réplique de structure urbaine obéissant à un ordre géométrique déjà traditionnel avec la disposition des principaux bƒtiments administratifs et de services: l'église catholique, le presbytère, la Mairie, deux écoles (une, à ouest, est l'ancien hôpital et l'autre, à l'est, est l'ancien bureau de la Compagnie), la gendarmerie, les offices d'H.L.M, quelques commerces et quelques appartements avec balcon. Le témoignage de l'insertion de la ville dans le contexte historique national est aussi apporté par le monument aux morts au milieu de la place. Les différences que nous pouvons remarquer entre les constructions observées le long des premières rues parcourues et celles des rues plus proches de la place est frappante, car ces bƒtiments "parlent" d'une distinction de position sociale, traces d'une hiérarchie, reflets du "temps de la Compagnie". Contrastant avec les rues de la Clède, des Poilus et de La Grand-Combe avec leurs bâtiments de construction simple, typiquement ouvrière, l'architecture de la rue Anatole France et du pourtour de la place, des bƒtiments à balcon, exprime un statut de noblesse datant de l'époque où y habitaient des médecins, des cadres, des maîtres-mineurs, des religieux, rappelant une ancienne occupation des espaces selon des conditions sociales différenciées. Les bƒtiments, comme tout le reste d'ailleurs, dans ce tissu urbain, sont les vestiges d'une histoire locale née du charbon, les traces d'une morphologie urbaine engendrée par la Compagnie, maître d'oeuvre pendant plus d'un siècle. La place est aussi le centre de la ville et le carrefour des diverses rues principales: la rue Pasteur, où se concentrent le plus grand nombre de commerces, la rue de la République, le bd. Jules-Callon (ancien ingénieur de la Compagnie(6)), le Boulevard Talabot (constructeur du chemin de fer), l'Avenue Germain-Soustelle et le pont du même nom (ancien Maire) et la rue AnatoleFrance, qui donnent accès aux rues secondaires et aux quartiers et hameaux plus éloignés. Inutile d'y chercher le Temple Protestant, dont nous savions déjà qu'il avait été bƒti sur la place principale du hameau de Trescol (place Victor-Hugo), situé à 2 Km au nord de La Grand-Combe. Derrière l'église, dans la rue en pente de Sainte-Barbe, un deuxième monument, important par sa taille, a attiré notre attention. C'est un buste de Mathieux Lacroix, un poète "gueule noire". Face à ce monument se trouve le presbytère de l'Eglise Réformée Evangélique. Sur la rive droite de la vallée, de l'autre côté de la passerelle d'Aubignac, l'on arrive aux quartiers ou cités minières de la Verrerie, des Ribes, de la Pise, d'Aubignac, etc. Ce premier voyage à La Grand-Combe avait aussi pour but la recherche de possibilités de nous installer dans la ville. Nous avons d'abord cherché un hôtel dont nous avions trouvé l'adresse dans l'annuaire. Mais nous avons constaté, en arrivant à l'adresse indiquée, que l'hôtel était fermé depuis quelques années. Nous avons alors recouru à la Mairie et au Syndicat d'Initiative pour connaître les autres possibilités d'hébergement. La réaction de surprise des fonctionnaires contactés était flagrante, et tous nous ont recommandé unanimement de nous installer dans la ville voisine, Alès. Nous étions frustrée de ne pouvoir nous installer dans la ville même. Nous avons pu être secourue par une amie d'Alès, Béatrice Ladrange, qui nous hébergea. Les portes de la maison de Béatrice nous sont restées ouvertes pendant toute la période de la recherche, nous ouvrant aussi un foyer plein d'amitié et de confort. Cette amie est devenue pour nous ce que les anthropologues appellent traditionnellement la "marraine d'initiation" ("initiation" dans les premiers pas à effectuer dans le travail de terrain). Grƒce au rôle d'intermédiaire affectif et actif qu'elle a joué en nous accueillant et en nous suggérant les premiers points de recherche, elle nous permit une meilleure intégration dans la région. Le coeur de la ville nous est devenu peu à peu familier et c'est à la découverte de ses cités satellites de Trescol, Champclauson et La Levade que nous avons dédié nos premiers jours de reconnaissance locale. Ces lieux expriment un passé fortement attaché à la mine. Tous ont existé autour d'un puits d'extraction et ont été construits, comme La Grand-Combe, par la Compagnie. Ces hameaux reprennent beaucoup d'éléments de la structure urbaine que nous avons trouvée à La Grand-Combe, chacun gardant toutefois sa particularité. Trescol, par exemple, est le hameau le plus proche de La Grand-Combe: il en est distant de 2 Km, et un boulevard relie les deux agglomérations. Dans ce hameau, la place principale a été installée face au temple protestant à deux pas du puits de mine (Gouffre 2, mis en activité en 1851). Pendant longtemps, la vie de ses habitants tournera autour de ce puits qui sera fermé en 1953. Actuellement, Trescol est le hameau qui présente le plus de constructions de type moderne (avec un important ensemble d'H.L.M.) qui, à côté des maisons du type "cité minière" et des immeubles collectifs appartenant aux houillères, expriment une diversité significative des secteurs résidentiels. Maints de ces bƒtiments ont bénéficié d'importants travaux, surtout pour l'installation de douches et de W.-C. En outre, les anciennes maisons abandonnées, comme celle où nous pouvons lire "bains municipaux", témoignent des habitudes de confort du passé. C'est aussi Trescol qui fait figure d'espace social le plus critique et le plus stigmatisé par la "ghetto‹sation" de la communauté d'origine maghrébine, et plus spécialement algérienne, sur son territoire. Ce phénomène s'est surtout vérifié à l'arrivée de cette population venue des quartiers ("camps" et "cités") où les maisons étaient considérées comme vétustes. Ces gens ont été préférentiellement concentrés à Trescol. Notre guide du moment nous a esquissé un tableau de conflit latent: "(...) on supporte bien les espagnols, les italiens, les polonais, etc., mais pas les arabes". Ce jugement nous introduisait aux problèmes du racisme et de la cohabitation dans une ville où le mélange de races a toujours donné le ton de la problématique autour de la construction sociale de l'identité de ce groupe. Surnommé parfois péjorativement comme le "Mini-Chicago", le hameau se différencie donc de Champclauson et de La Levade par le nombre important d'H.L.M. qui y ont été construites dans les années 1950/60 et par le stigmate d'une population d'origine nord-africaine dont les jeunes surtout seront vus comme "dangereux" dans ce village de "chômeurs et d'oisifs". Les bâtiments du "temps de la Compagnie" existent toujours et l'ancienne voie ferrée le divise en deux espaces résidentiels. Nous avons d'un côté la cité H.L.M. et de l'autre les bâtiments construits par les Houillères. Mais cette frontière géographique cache aussi une situation de "friction ethnique" et sociale où deux groupes se différencient dans le processus de classement social: d'un coté de la voie ferrée se concentre une importante communauté d'origine nord-africaine, notamment les algériens, et de l'autre côté se rassemblent les familles françaises et d'autres origines mais qui ont vécu leur intégration plus facilement (notamment les immigrants venus des pays de l'Est). Ainsi, malgré l'appartenance à une même "condition de classe", plusieurs aspects distinguent(7) ces deux groupes: l'origine ethnique, le mode de vie, la religion, "ethos" et la vision du monde(8), etc. A Trescol, l'état des habitations et les problèmes sociaux que cela entraînait ont été "à la une" des efforts municipaux dans les années 70. Un important programme de ré-urbanisation et revalorisation du quartier a été alors mis en place. En suivant une route assez tortueuse qui part de Trescol, l'on arrive, après 2 Km, à Champclauson. Au fur et à mesure que nous approchons, l'aspect de l'environnement nous donne une sensation grandissante de désolation. Champclauson est une petite ville encerclée par la montagne, où la forêt a été complètement détruite par un incendie en 1982. La morphologie urbaine correspond au même type grand-combien, avec l'église catholique au centre, à côté de l'ancienne école privée, avec la prédominance des bƒtiments à deux étages et des maisons appartenant encore aux houillères(9). Ainsi que pour Trescol et La Levade, la vie tournait autour du puits d'extraction, dont l'entrée se localise pratiquement au milieu de la ville (galerie Therond), et qui est fermé depuis 1965. L'arrêt de l'activité économique a brutalement dévalorisé le village par le désintéressement à l'égard du travail et l'abandon des biens immobiliers. De plus, aucun moyen de transport public, à l'exception de l'autocar pour les écoliers, ne relie ce village à La Grand-Combe. La dégradation du marché du travail et le chômage ont rejeté les jeunes, qui sont partis ailleurs. La ville "est vide", "il n'y a rien à faire" nous disait notre cicérone, désarroi que nous avons pu mesurer dès la première rencontre, lors de notre première visite au village. Là, nous avons fait la connaissance d'un vieux mineur. Il nous regardait d'un air curieux et nous l'avons interrogé. M. Denoît avait travaillé 35 ans dans la mine et, motivé par le fait que nous étions là pour une recherche sur l'histoire de Champclauson, il nous a raconté, à sa manière, la vie d'autrefois, les allées et venues dans les puits, l'entassement dans les baraquements et les activités commerciales... "c'était très vivant". Après une heure, il nous a demandé de l'excuser car il devait apporter le journal "Midi Libre" à son beau-frère, étant donné qu'ils partageaient le même journal, l'un le lisant le matin, l'autre l'après-midi. Nous allions comprendre plus tard que l'achat collectif et l'échange d'un journal entre deux personnes ou plus (voisins ou parents) représentaient un véritable rituel quotidien d'échange, une importante manifestation de sociabilité entre les personnes âgées et/ou seules. Notre visite de reconnaissance a continué et nous nous sommes arrêtée au principal café où notre guide savait que le patron possédait une collection d'anciennes photos de la ville. Là, nous avons appris que l'ancien bureau qui servait d'annexe à la Mairie de La Grand-Combe était devenu une salle de retraités où nous pouvions retrouver les vieux mineurs à la retraite qui avaient l'habitude de s'y réunir pour jouer aux cartes, et qui nous raconteraient volontiers l'histoire de leur vie. Nous avons suivi les conseils du cafetier et, en arrivant sur place, nous avons rencontré, dans une salle pleine de tables et de chaises inoccupées, M. Denoît qui jouait tout seul aux cartes. Lors de cette nouvelle rencontre, il nous a semblé gêné, comme si nous l'avions surpris en flagrant délit de solitude. Comme pour justifier la situation, il nous a parlé de l'animation que l'on trouvait autrefois dans cette salle, quand, à la sortie de la mine ou le dimanche, les mineurs s'y rassemblaient nombreux alors que pour aujourd'hui il exprimait un "go–t amer du vide". Nous avons trouvé à La Levade la même structure de petite ville minière. On accède à La Levade soit par la route nationale nº 106, soit par l'ancienne route qui débouche sur la rue de l'Ecole. Le carrefour où cette dernière croise la rue de l'Eglise joue le rôle de centre-ville. Ce village présente aussi ses particularités: il voisine avec le hameau des Taillades (Commune de Branoux), dont elle se différencie par la topographie. Bien qu'il ne s'y arrête plus aucun train, la gare construite par la Compagnie, vestige d'un passé attaché à la mine, est toujours là. En montant la rue de l'Eglise, l'on trouve l'ancienne annexe de la Mairie et des bureaux, et plus haut, l'église catholique. Si l'on va jusqu'au bout de cette petite rue, on arrive au Chƒteau de La Levade, qui a servi longtemps de centre administratif, de résidence aux directeurs de la Compagnie et de maison d'hébergement pour les membres du conseil d'administration venus de Paris, Marseille, etc. Aujourd'hui, le Château est la propriété d'une Association: "Vision Développement". Si nous reconnaissons dans l'ensemble de ces environnements visités, un enracinement à un "ethos" minier, les pratiques sociales actuelles devraient être comprises par rapport aux changements profonds provoqués par le recul industriel et par la situation de crise qui en découle. Notre première impression a été celle d'une commune abattue et cette observation nous révélait une problématique de fond sur la violence avec laquelle la ville avait vécu une régression économique et démographique. Ce qui a été confirmé dès nos premiers contacts sur place. Embarras que notre guide, épanchant son coeur, synthétisait en disant: "Ici c'est une drôle de ville. C'est une ville jeune dans son âge mais déjà morte". "Une ville sinistrée", nous disait un ancien mineur qui exprimait plutôt un sentiment de nostalgie difficile à dissimuler en parlant des nombreuses maisons vides (soit au centre-ville, soit dans les quartiers des alentours), des anciens chevalements devenus silencieux et des vieux bƒtiments des houillères désaffectés et vides. Un processus de dés-industrialisation qui a eu un impact sur la ville. D'ailleurs, cela signifie une forte réduction de la recette municipale, et des problèmes pour les finances locales qui se répercuteront sur différents aspects de la vie de la population. La fermeture des mines entraîne une rupture, une discontinuité dans l'histoire locale. Mais il se produit simultanément une situation de recomposition sociale et de continuité perceptible dans l'observation de leur quotidien, dans leur représentation et mémoire sociale. Dès les premiers jours, nous nous sommes efforcée d'emblée de contacter les familles de mineurs grand-combiennes. Notre approche des premières d'entre elles, auprès de qui nous voulions développer une enquête ethnographique, s'est faite à la cité minière de La Forêt. Ce quartier est l'un des plus anciens de la ville et aussi l'un des plus touchés par la dépopulation et la démolition des maisons (plus précisément au Camp Fourgère) depuis la fermeture des puits d'extraction. Ce quartier se situe à 2 Km au nord du centre de la ville et il apparaît, dans les premiers recensements de la commune, lié à celui nommé quartier "de La Grand-Combe", puisque c'est là qu'était placé la première siège de l'administration de la Compagnie de La Grand-Combe. Plus tard, le puits La Forêt (exploité de 1882 à 1935) est construit et le quartier est baptisé du même nom. C'est là encore que nous trouvons les casernes les plus anciennes, encore habitées par les familles de mineurs retraités. Lors de notre première visite dans ce quartier, nous accompagnions un fonctionnaire du "Service des Domaines des Houillères de Cévennes", rencontré dans le bureau de ce service. Ce fonctionnaire nous a fait visiter la cité minière de La Forêt où se situe aussi le "Camp Fougère" en démolition. Il était venu dans le quartier pour effectuer des réparations dans les caves de quelques maisons et, pendant ce temps, nous discutions avec certains des habitants auxquels il rendait visite. Quelques jours plus tard, nous y sommes retournée seule et avons cherché nos premiers contacts au hasard, en pratiquant le porte-à-porte. Cette forme d'approche n'est pas toujours efficace et, malgré l'explication du but de la visite et la déclinaison de notre identité, l'on nous a parfois reçue avec hésitation ou ennui et quelquefois nous avons été confrontée à des refus. Nous avons perçu la chose, tantôt comme une réticence à faire entrer chez soi et dans son intimité quelqu'un d'étranger au groupe local (surtout à un moment - nous l'avons su plus tard - où le journal local prévenait la population de faire attention aux voleurs se présentant comme des contrôleurs d'institutions publiques attribuant des amendes inexistantes), tantôt comme une difficulté à consacrer à un entretien un moment de sa vie privée, ce qui dérangerait et briserait une routine tournée de préférence vers la télé, le sommeil, la pétanque, le jeu de loto et les promenades, vu que la majorité de ces habitants est constituée de personnes âgées et retraitées. Au départ, nous avons évité de retourner chez les habitants que nous avions rencontrés en accompagnant le fonctionnaire des Services des Domaines, craignant de passer pour un allié des Services des Houillères. Mais, face à la difficulté d'inspirer confiance et de prouver la légitimité de notre démarche, nous avons décidé de retourner voir les gens rencontrés lors de la première visite. Nous étions déterminée à élucider autant que possible nos objectifs en montrant qu'ils n'avaient rien à voir avec un "contrôle" des Houillères. Finalement, les premières portes nous étaient ouvertes. En fait, la première famille à nous avoir reçue est devenue une espèce de laissez-passer. Il s'agissait en effet d'un personnage qui avait joué dans le passé un important rôle politique dans la vie du quartier: un ancien conseiller municipal très populaire (aujourd'hui retiré de la politique pour des raisons de santé). En outre, c'était un mineur retraité pour qui les entrevues n'étaient pas une nouveauté et pour qui le monde de la recherche n'était pas un mystère: dans son "histoire de vie", il nous a parlé d'autres entretiens, du film sur la vie des mineurs auquel il avait participé ("La Vallée Longue", production Antenne 2), etc. Nous allions enfin comprendre pourquoi les divers livres sur le sujet "mineurs et mines" parus au cours des dernières années présentaient en préface des excuses pour aborder, "encore une fois", ce thème. Le sentiment de peur de mener une enquête sur un terrain déjà saturé, un sujet de recherche déjà épuisé est resté présent dans nos premières démarches. Cependant, de même que le quotidien n'est jamais la répétition de ce qu'on a fait hier - c'est le faire à nouveau - nous pensons aussi pouvoir dire à nouveau et raconter autrement l'expérience sociale de ce groupe. Autrement dit, même si cet univers social était déjà connu de l'académie scientifique, nous comprenions que les points d'abordage sont divers et qu'il nous était possible d'aborder divers aspects sans être redondants. Un autre sentiment que nous avons éprouvé lors des premiers contacts a été une certaine angoisse à l'idée de la réaction positive ou non des habitants de se voir interrogés par une étrangère qui, outre le fait qu'elle venait d'un pays "exotique" et appartenant au Tiers-monde (Brésil), pouvait être prise pour une intruse et par là même s'avérer "dangereuse" pour la vie privée du groupe social local. Pour nous, en revanche, cette enquête "chez eux" (le premier monde) signifiait l'inverse du habituel, puisque la recherche d'une anthropologie passée a été traditionnellement mené dans "les pays exotiques et sousdéveloppés". Dans nos approches des familles ou des personnes isolées, nous nous sommes présentée comme étudiante brésilienne en anthropologie faisant une recherche sur La Grand-Combe (d'hier et d'aujourd'hui). Les gens ne nous ont pas semblé autrement surpris par notre présence. Ils étaient souvent curieux, rarement méfiants à l'égard de ce que nous faisions dans la ville. C'est en fin de compte à cette catégorie d'étudiante brésilienne que l'on nous a assimilée. La curiosité à connaître les raisons pour lesquelles nous étions venue de si loin pour travailler à La Grand-Combe s'est traduite par une question souvent posée à ce propos, et il nous fallait alors faire un petit récit de notre trajectoire personnelle et scientifique, stimulant ainsi un processus aboutissant à la reconnaissance. Nous avons bientôt compris, d'ailleurs, que non seulement notre présence dans la ville ne passait pas inaperçue mais aussi que ceux qui l'avaient remarquée savaient à peu près qui nous étions et ce que nous faisions là. A titre d'exemple, nous citerons la situation où, ayant pris un rendez-vous avec un technicien agricole dans un café proche de la Mairie, nous avons surpris ce que se disaient tout bas deux clients du café. L'un d'eux posait la question "qui sont-ils, que font-ils ici?", et son interlocuteur répondait que nous étions venue du Brésil pour étudier l'histoire de La Grand-Combe et que, pour cela, nous allions tous les jours à la Mairie consulter des documents. D'autre part, la question de savoir si nous avions du travail au Brésil nous a été posée à plusieurs reprises, comme si le fait d'être une étudiante brésilienne leur semblait plutôt vague. Nous répondions alors que nous travaillions au Brésil en tant que professeur, et les fréquentes réactions de surprise nous ont fait réfléchir. Dans nos recherches au Brésil, nous nous étions toujours présentée comme professeur sans pour autant causer de surprise ou de malaise, puisque la catégorie "professeur" englobe tous les enseignants sans discrimination. En France, après les premières réactions d'étonnement devant notre position professionnelle, nous avons vite compris que les réactions d'incrédulité ou même de gêne venaient du privilège que revêt le statut de professeur universitaire. En revanche, nous n'avons pas voulu omettre de mentionner sur notre carte de visite notre identité professionnelle d'anthropologue, et quelques personnes nous ont montré qu'elles connaissaient l'étymologie du mot: "Ceux qui étudient la culture des hommes!", nous a dit un retraité, par exemple. A d'autres occasions, c'est la franchise et la modestie des gens interrogés qui nous a surprise, comme pour ce mineur retraité à qui nous avions laissé une carte de visite lors du premier contact pour fixer un rendezvous. Au moment de notre retour chez lui pour l'interview, il a déclaré que, tout de suite après notre départ, ce jour-là, il avait cherché dans son dictionnaire ce que signifiait l'anthropologie, et qu'il craignait sur le moment "d'avouer son ignorance". Cette reconnaissance mutuelle était bien la mise en lumière de l'exercice d'observation et de "classification", du mouvement constant d'identification réciproque entre le chercheur et le groupe étudié. Au fil des premiers entretiens, nous nous sommes rendue compte que le facteur "être étrangère" pouvait même se transformer en un atout de plus pour donner de l'intérêt à la rencontre. A maintes reprises, cela a même permis de briser la glace dans la conversation entre enquêteur et personnes interviewées, où le fait d'un rapport artificiel imposé est souvent un élément perturbateur dans le processus initial de construction d'une identification et de recherche de critères et de points de référence communs. Ainsi, comme dans tout acte d'échange, les gens, au cours de notre conversation sur leur mode de vie, nous posaient fréquemment des questions sur le Brésil. De notre côté, il nous a fallu souvent demander à nos informateurs la signification de certaines expressions, de certains mots de vocabulaire (qu'ils disaient être soit de l'argot soit du patois grand-combien) et de certains gestes de la région ou même personnels employés dans leurs discours, et ceci exigeait d'eux une interprétation intellectuelle capable de nous rendre familière leur singularité de communication. Au fur et à mesure de notre engagement prolongé sur le terrain, nous avons vu se développer un sentiment d'hospitalité chez les familles qui acceptaient d'être interviewées et, avec quelques-unes d'entre elles, nous avons pu maintenir un contact régulier et même partager des moments qui ne se limitaient pas à ceux de l'entretien. Le fait de nous accueillir parmi elles ne consistait après tout qu'à recevoir quelqu'un n'appartenant ni au groupe local, ni à leur position sociale: quelqu'un de l'extérieur. Nous ne nous faisons donc pas d'illusions quant à notre intégration à l'intimité du foyer. Ce que nous voulons signaler, c'est le processus qu'a suivi notre acceptation parmi ces gens, à l'intérieur de leur quartier et au sein de leur famille. Nous avons pu également mesurer la transformation: d'inconnue que nous étions de la population, nous sommes devenue reconnue de quelques grand-combiens et au fur et à mesure nous recevions les premiers saluts dans la rue, les embrassements des femmes interviewées (quatre bises, commençant sur la joue gauche), et les invitations pour de nouvelles visites, pour un anniversaire, une fête, etc. Il faut surtout signaler que la première famille interviewée, dont nous avons parlé plus haut, est devenue aussi pour nous un foyer d'accueil où nous trouvions une affection sans limites. Nous y retournions deux à trois fois par semaine, pour avoir de ses nouvelles, donner des nôtres, demander des conseils, trouver de l'amitié, boire un thé, et cette relation amicale n'a cessé de se fortifier. Une fois de retour à Paris après la fin de notre recherche sur le terrain, les échanges téléphoniques ont été fréquents et nous avons même reçu la visite d'un membre de la famille. Ceci ne veut pas dire que nous n'avons pas essuyé de refus ou fait naître la méfiance de certaines personnes, bien que cela soit devenu plus rare qu'avant la phase de reconnaissance. La situation plutôt optimiste présentée dans le paragraphe précédent cache quelques difficultés que nous avons parfois connues, et que nous avons notées dans notre journal comme constituant "les coulisses de la recherche" (avril 1988). C'est à cette époque que nous avons écrit un rapport racontant certaines situations inattendues à caractère anecdotique, auxquelles la recherche ethnographique doit se confronter. Exemples: un chien nous empêchait de nous approcher de la maison où nous avions un rendez-vous fixé, ou encore notre consternation lorsqu'à notre question sur l'histoire d'un bƒtiment posée à un monsieur, celui-ci nous a répondu n'importe quoi, mais nous avons su plus tard qu'il était sourd, ce qui n'est pas rare dans une ville de retraités ayant travaillé au fond de la mine, etc. A partir des premières familles interrogées et à travers elles, nous avons pu accéder à l'univers de leurs rapports sociaux. En effet, dans la mesure où ils nous délimitaient leurs réseaux de relations, c'est-à-dire en indiquant "qui appartenait" et "qui n'appartenait pas" au monde de leurs rapports quotidiens, nous avons demandé leur médiation pour nous présenter aux personnes qui, à leur avis, pouvaient aussi nous aider en nous permettant de les interviewer. On nous décrivait tout un monde de parenté(10) et de voisinage(11) où étaient classés ceux qui, en hypothèse, accepteraient ou non d'être interviewés. Nous avions ainsi: 1) ceux qui accepteraient certainement de nous recevoir, 2) ceux qui seraient peut-être d'accord pour nous accorder une visite, et 3) ceux qui refuseraient s–rement de nous recevoir pour des motifs aussi divers que la maladie, ou le fait d'être "des gens repliés sur eux-mêmes et qui ne recevaient jamais personne", des "gens bizarres", des "gens pas bien", "des gens élitistes", etc., selon les catégories (classificatoires) de nos intermédiaires. Lorsque nous demandions la permission de rencontrer des personnes susceptibles d'accepter un entretien, des fois c'était un membre de leur réseau familial qui nous était présenté, d'autres c'était un ami ou un voisin. Dans ce dernier cas, ils nous accompagnaient jusqu'à la maison qui était localisée dans la même rue ou le même quartier, mais rarement au-delà. Notre médiateur faisait alors les présentations en expliquant pourquoi nous étions là et en les encourageant à accepter l'entrevue. Nous nous trouvions ainsi introduite dans un réseau de voisinage tout en suivant le fil des liens d'appartenance et d'affectivité. Nous avons ainsi pu suivre les contours des réseaux(12) de voisins et d'amis à interviewer, ce qui situait les rôles et les positions de chacun dans leur réseau de relations. Toutefois, les raisons pour lesquelles tel voisin ou ami, et non pas tel autre, nous était présenté, n'étaient pas toujours évidentes. Par exemple, chez l'une des familles interviewées, notre hôte nous a présenté de façon très pessimiste la possibilité d'être reçue par l'un de ses voisins, surtout parce qu'il était "trop renfermé sur lui-même et peu ouvert aux autres". Malgré ce premier refus, nous avons essayé à plusieurs reprises de nous faire introduire par notre "famille-ego" auprès de leurs voisins habitant dans les maisons attenantes. Mais la réponse restait la même et ils justifiaient de différentes manières les difficultés d'une telle approche, ayant sur chaque voisin un reproche à faire. Ainsi, cette famille nous maintenait de manière presque exclusive comme un hôte privilégié et qui devait rester leur privilège. Bien sûr, nous avons réussi plus tard à interviewer d'autres familles dans le même quartier, mais jamais leurs voisins les plus proches, et ce n'était pas parce qu'ils avaient rompu avec eux. Peu à peu, nous avons compris que ces proches voisins étaient tout à fait au courant de nos visites. Mais, ce sont eux qui informaient les voisins du développement de notre rapport, sans jamais pour autant stimuler une approche quelconque. De notre côté, nous avons respecté ce refus et avons tenté de le comprendre dans notre analyse des réseaux de voisinage et de la sociabilité que nous développons dans un chapitre ultérieur. A notre retour en 1988, nous avons été ré-introduite dans la ville par le chercheur en Histoire Industrielle, M. Wiénin(13), qui nous a donné les repères permettant de saisir les frontières socio-géographiques, politiques et culturelles de la région. Il a ensuite intercédé en notre faveur à la Mairie, ce qui nous a permis de prendre contact avec les responsables des services techniques et sociaux de la municipalité, lesquels nous ont fourni des documents et matériaux pour notre recherche. Nous avons pu aussi interviewer quelques-uns d'entre eux. C'est à ce moment-là, que nous considérons comme le début de la deuxième étape de notre recherche, que notre approche des familles de mineurs a pu être appuyée par un grand-combien fonctionnaire de la Mairie. Dans ce cas, les familles contactées appartenaient aux réseaux de relations proches et lointaines de cet habitant, bien qu'étant dispersées dans différents quartiers et hameaux de La Grand-Combe. Ainsi, le terrain sur lequel s'est déroulée notre enquête s'élargissait. Nous avons alors interviewé des familles habitant dans les cités minières de Ribes, de Pelouse, de la Clède, de la Pise, du centre-ville, et dans les H.L.M de l'Arboux à La Grand-Combe. Nous avons aussi fait la connaissance d'habitants des communes de Salles-du-Gardon et de Branoux. Toutefois notre présence dans ces hameaux et ces deux dernières communes n'a pas été aussi régulière qu'à La Grand-Combe. Les raisons en étaient le souci de ne pas trop dilater notre univers géographique de travail de terrain. Le fait aussi d'être dépourvue de voiture, condition aggravée par l'inexistence de transport public entre les agglomérations, nous forçait à nous déplacer à pied. Cet aspect, il est vrai, nous a beaucoup limitée, mais en revanche, le handicap de la locomotion a fini par adoucir notre approche des personnes. En nous voyant arriver et repartir à pied, elles ne nous ont pas caché leur surprise devant l'effort que nous entreprenions pour arriver à les contacter et venir aux rendez-vous. A plusieurs reprises, on nous a même conduite pour des visites du quartier, de la ville, de la région, ou bien on nous déposait à la gare à la fin de l'entretien. Les contextes des entrevues ont été si divers qu'il nous est difficile de les décrire sans rien omettre. Evaluer le nombre de personnes interviewées est une tƒche malaisée, étant donné le nombre variable de participants à une interview. Dans une première interview, c'était simplement un membre de la famille ou un couple qui participait à l'entretien, mais nous en sommes souvent arrivé, dans la mesure où nous avons pu fréquenter plus longuement certaines familles, à parler avec un fils, une fille, ou alors la soeur, le frère, ou d'autres personnes de la parenté ou du voisinage. Nous pouvons malgré tout dénombrer 65 entrevues dont le rendez-vous avait été pris de manière formelle et prévoyait une "situation d'entretien". En ce qui concerne les entretiens biographiques auprès de familles de mineurs retraités, nous en avons totalisé 20, avec qui nous avons pu établir une relation quotidienne.(14) Le magnétophone nous a paru un instrument très important, surtout à l'occasion de la première visite chez une famille: cela nous permettait de réécouter l'interview et de nous habituer à la singularité des expressions. Pour "imposer" la présence du magnétophone, nous devions expliquer les raisons de l'importance d'enregistrer les entretiens au moins lors de notre première visite, et il nous semble qu'en général l'appareil se faisait oublier à mesure que l'entretien se développait, si ce n'est à chaque changement de cassette. Pour en arriver là, nous laissions toujours le magnétophone à l'écart et nous enregistrions sans interruptions toute la durée de la visite. Ceci nous permet d'ailleurs de nous souvenir encore des moments de gêne, par exemple lorsque le chien de la maison s'est mis à aboyer sans interruption, ou lorsque le canari de notre hôte chante tout au long de l'interview, son qui se superpose dans l'enregistrement à la voix de notre interviewé, quand une télévision ou un poste de radio marchait tellement fort qu'il devenait difficile de se concentrer et de dialoguer, provoquant parfois un malaise, ou alors des moments de détente comme les visites inattendues, les pauses-café, etc. Nous avons également essayé de photographier toutes les "situations d'interview", notre but étant de mémoriser par la photo notre regard sur l'intérieur des maisons, les habitants, l'extérieur des maisons aussi, les alentours, etc. Cette requête nous a toujours semblé la plus difficile à satisfaire, mais les personnes interviewées n'ont refusé que rarement que nous les photographions, eux et leur maison. La majorité se contentait cependant de nous introduire dans le salon, la cuisine, le garage (ou l'atelier), le jardin potager et ce n'est qu'à deux occasions que nous avons pu accéder à la chambre à coucher. A chaque fois que nous avons pris des photos, nous en avons fait des copies et nous sommes retournée voir les gens pour les leur donner et les commenter ensemble. Si nous ne considérions pas ces visites ultérieures sous l'angle formel de "situation d'entretien", elles n'en demeuraient pas moins aussi significatives que la première. Les entretiens avec les familles de mineurs ont eu lieu à domicile. Le plus souvent, nous commencions la conversation dans le séjour pour la finir à la cuisine, autour de la table, en prenant un thé, un sirop (généralement de groseille ou de citron), ou un pastis(15) qui nous était très souvent proposé. Quant aux couples, l'homme et la femme participaient avec le même intérêt, ce qui n'empêchait pas celle-ci, quelquefois, de poursuivre ses travaux domestiques, comme la vaisselle ou la lessive, ou même de s'absenter quelques instants pour faire un saut chez le boulanger, aller jouer au loto, etc. Dans certains cas, on nous a présenté au cours de l'entretien un fils, une fille, la grand-mère ou alors un voisin. Nous avons procédé à un autre groupe d'enquêtes plus technique (objectives) et "intellectualisé" du fait de leurs rattachements à des institutions dans différents domaines: politique, pédagogique, administratif, religieux, etc. Nous en avons cherché sur leur lieu même de travail et leur avons exposé notre volonté de les interroger. Nous avons ainsi interviewé des fonctionnaires de la Mairie, des prêtres, le pasteur, des instituteurs, des directeurs de centres sociaux et de formation, des syndicalistes, des employés des Houillères, des techniciens, et aussi un historien de la région(16). Les informations qu'ils nous ont fournies concernent les différents domaines de la vie sociale: elles nous ont permis de mieux appréhender leurs points de vue sur la qualité de vie des grand-combiens, la situation économique et sociale, tout comme elles nous ont éclairée sur le comportement et la vie politique-économique-culturels de la ville, etc. Cela nous a permis de mieux contextualiser les "inter-relations" du social et du local. Cette étape de la recherche correspond aussi à notre plus long séjour dans la ville (de février à juillet 1988; novembre et décembre 1988). C'est donc la période où nous avons pu le plus longuement observer le quotidien de cette ville, prenant connaissance de son rythme de vie, des événements les plus marquants, des fêtes les plus significatives, du rapport population/pouvoir, etc. Leur histoire vécu était repérée à partir de leur mémoire collective. Un vécu pour nous dépaysée, fragmentée, il devenait dès lors urgent d'élargir notre connaissance de l'histoire locale et de la trajectoire des familles également à partir des sources historiques, comme "outil" épistémologique qui élucide également "la dialectique de la durée"(17). Nous avons donc entrepris de dépouiller documents et archives. C'est avec cet objectif que nous avons établi un programme de recherche à la bibliothèque municipale de La Grand-Combe et d'Alès, dans les Archives Municipales d'Alès, au Bureau d'Etat-Civil à la Mairie et à la Permanence d'Accueil, d'Information et d'Orientation de La Grand-Combe, et enfin, au Syndicat d'Initiative et au Service du Domaine des Houillères des Cévennes. Nous avons étudié les dénombrements de population de La GrandCombe à partir de 1846, les listes électorales, registres d'état-civil (naissances, mariages, décès), archives... Consultations que nous avons réalisées tout au long de notre séjour dans la région. Pour étamer notre recherche sur la ville et sur la communauté de travail dans son passé, nous comptons avec une bibliographie de poids comme la thèse de Jean-Michel Gaillard "Un Exemple Français de 'Ville-Usine': La GrandCombe (Gard) et sa 'Compagnie des Mines' 1836-1921", ainsi que d'autres travaux(18). Pour connaître le temps vécu d'autrefois et pour reconstituer le vécu "au temps de la Compagnie", nous avons cherché à connaître la trajectoire historique de cette Compagnie et de la ville(19), et aussi à analyser le rapport existant entre les habitants et les espaces sociaux où ils produisent des relations significatives dans leur quotidien. Pour cela, nous avons non seulement consulté des documents écrits et une bibliographie concernant la Compagnie et la ville, mais nous avons fait aussi appel à la recherche historique à partir de leur représentation. Nous avons également "épluché" la presse locale et, à l'exception des journaux "Midi Libre", "Le Pays Cévenol et Cévennes"/"Petit Cévenol", auxquels nous nous sommes abonnée, les autres quotidiens, hebdomadaires, bulletins municipaux, anciennes affiches, etc, nous ont été fournis soit par les personnes interviewées elles-mêmes, soit par le Syndicat d'Initiative ou par le responsable d'alors du Service de Développement de la Mairie de La Grand-Combe, M. André Parlebas. Il n'est pas négligeable d'insister ici sur le fait que bien souvent nous avons enquêté auprès de mineurs retraités ou d'autres personnages passionnés par l'histoire de la mine, qui nous ont fait découvrir chez eux des collections de photos, des documents anciens, des livres, de vieux journaux (quotidiens, journaux engagés ou bulletins syndicaux). Nous avons trouvé assez souvent de véritables mini-musées chez les mineurs qui collectionnent des objets-souvenirs tels que d'anciens outils de travail à la mine, des médailles, photos, vêtements, etc. Ces objets-souvenirs ou traces culturels font normalement office de décor et sont habituellement exposés sur les buffets. Chez l'un de ces mineurs retraités, tout un étage de la maison avait été transformé en mini-musée de la mine, entreprise à laquelle il s'était dédié dès son départ à la retraite. Il est aujourd'hui ouvert à tous ceux qui désirent le visiter. A mesure que notre séjour dans la ville se prolongeait, nous avons pu observer les endroits privilégiés de convivialité dans l'univers des habitants, les événements sociaux remplis de signification se déroulant dans la sphère de la vie publique, ce que Goffman nomme "rites d'interaction"(20). Ces "rites d'interaction" sont tantôt très réguliers, comme c'est le cas du marché du mercredi et du samedi, tantôt plus espacés, comme pour les fêtes annuelles. Une occasion bihebdomadaire et facile d'accès pour nous introduire dans les pratiques sociales réfléchissant les habitudes, sociabilités et traditions du groupe: c'est bien sûr l'événement du marché traditionnel à La GrandCombe. Déjà, lorsqu'il était question de fixer un rendez-vous pour un entretien, les grand-combiens disaient: "pas le mercredi ou le samedi matin, c'est jour de marché". Dès notre première visite au marché, sur la place, un mercredi, nous allions comprendre qu'il s'agissait de l'événement collectif bihebdomadaire le plus "spectaculaire" et le plus important pour les habitants de cette ville, parce que c'était l'occasion non seulement de faire les achats pour la semaine, mais surtout d'un déploiement d'un intense phénomène de sociabilité. Nous avons écrit à cette occasion dans notre journal ethnographique: "Samedi, 12 mars 1988: le matin, je suis allée au marché pour observer et prendre quelques photos. Je savais que j'assistais à quelque chose d'ordinaire pour eux, mais pour moi, quelle mise en scène de la différence! Le mot "mélange" m'a frappé l'esprit. La diversité des habits, des teintes de peau, des accents, tout prouvait que j'avais là une manifestation des différentes identités; on y voyait des grand-combiens français, d'autres d'origine maghrébine, espagnole, italienne, des noirs, des blancs, des cévenols vendant le "pélardon" (j'en ai d'ailleurs acheté). Et puis, partout, des gens s'arrêtent pour bavarder, on a l'impression que tous se côtoient. Tout le monde bavarde: si la moitié de cette foule est venue pour les achats, l'autre moitié - j'en suis sûre n'est là que pour bavarder". Comme s'il était un peu le miroir du quotidien de la ville, nous avons observé dans le marché ce qui constitue la population de La Grand-Combe: un groupe humain où se mêlent des gens d'origines diverses. Nous ne doutons pas qu'à travers ce premier regard plusieurs aspects du marché nous échappent, les relations d'évitement, les conflits, "la tenue et la déférence", etc., ces "éléments rituels inhérents aux interactions sociales"( ), les absences. Mais nous n'en ferons pas ici une présentation détaillée, laquelle trouvera sa place ultérieurement dans ce travail. Pour le moment, nous voulons seulement décrire quelques premières impressions des activités de la ville que nous avons suivies avec beaucoup d'intérêt, et là, chaque mercredi et chaque samedi, c'est à un événement plein d'animation et de rencontres auquel l'on peut participer. C'est l'occasion de rencontrer parents, amis et voisins, de retrouver ou avoir des nouvelles des familiers habitant la montagne et de se replonger dans l'atmosphère cévenole. D'autres activités collectives, qui prennent parfois la propre allure d'un rituel, nous ont aussi paru être des seuils à franchir afin de nous introduire dans le champ des pratiques sociales des habitants dans la ville. Nous voulons parler des fêtes, multiples et diverses. Nous nous sommes renseignée, les avons observées, et y avons participé. Deux fêtes d'origine religieuse se distinguent: celle de Sainte-Barbe et celle de Notre-Dame-de-Laval. Mais il y a les fêtes populaires: la fête du Corso, le Carnaval, la fête des retraités, la fête de la musique, les fêtes politiques et familiales. Nous avons encore observé et enquêté sur les différentes options de loisir et formes de divertissement, dont nous citons, entre autres, la fréquentation des cafés, où il a été possible regarder le comportement des clients et de ressentir l'ambiance. En effet, en dépit de notre souhait de fréquenter ces établissements avec plus d'assiduité, le fait que la clientèle y soit à prédominance masculine nous a contrainte à limiter notre présence. Par contre, lors d'événements culturels comme les concerts, les représentations théâtrales, les festivals, les expositions de peinture, etc, notre présence était moins remarquée par "ce" que nous considérons comme le regard du code culturel du groupe. A certaines de ces occasions, nous avons même reçu des invitations grâce à nos contacts avec des organisateurs, ou alors c'était une personne que nous avions déjà interviewée qui nous invitait et nous accompagnait. Un loisir en particulier s'avère remarquable par le nombre significatif de pratiquants du sexe masculin (sur-représenté), mais aussi par celui - non moins significatif - des jeunes et des femmes (sous-représentés): c'est la pétanque. Le public, masculin, de même que la clientèle pour un bon nombre de cafés, est surtout représenté par des personnes ƒgées et retraitées. Plaisir quotidien pour quelques-uns, sporadique pour d'autres, pur divertissement pour les uns, réel vice pour les autres, ce jeu suscite des rassemblements journaliers. Il nous est difficile de reconstituer mentalement l'atmosphère grand-combienne sans nous rappeler ces groupes qui se forment durant tout l'après-midi et des fois même le matin autour de ces boules quasi sacrées, le long des rues qui voisinent la place Jean-Jaurès ou ailleurs. Sans doute avons-nous à faire ici à un loisir qui nous permet de penser à une occasion importante d'interaction sociale. Seule la pluie est capable de retenir les joueurs à la maison ou au café. En mai et juin 1989 nous sommes retournée à La Grand-Combe pour donner suite au travail de terrain. Finalement, nous nous sommes installée dans la ville même, grƒce à la réouverture de son hôtel. Cette fois, nous avons emprunté d'autres canaux de communication afin de connaître le contexte local de la pratique sociale et des processus de convivialité entre les personnes et groupes de personnes (les styles sociaux de comportement)(22). Ainsi, nous nous sommes penchée sur la vie associative et communautaire. Nous avons contacté pour cela plusieurs associations formelles qui, justement, animent officiellement la vie urbaine. Le contact a été souvent établi avec le président lui-même, ou alors avec un membre de la direction de l'Association, avec qui nous prenions rendez-vous soit par téléphone, soit en nous déplaçant personnellement. Les entretiens ont eu lieu en général au siège des associations, parfois à la Mairie, dans un café, ou alors chez l'un des membres. Les associations avec lesquelles nous avons pris contact étaient de différentes sortes, quelques-unes existant depuis le "temps de la Compagnie". C'est le cas notamment des Joyeux Mineurs, société de danse et de farandole, de l'Harmonie Municipale, groupe de musiciens qui descendent de l'Harmonie des Mines de La Grand-Combe, et l'Essor Cévenol, association de beaux-arts. La sur-représentation des personnes âgées justifie l'importance que les clubs de troisième âge ont prise dans la commune. Nous avons ainsi interviewé les membres de trois importantes associations de ce genre, respectivement l'Age d'Or, qui siège à La Grand-Combe, le Club de l'Amitié, installé à Trescol, et la Belle Epoque à La Levade. Les clubs sportifs contactés n'ont pas été nombreux. Nous n'avons recueilli sur eux que des informations très ponctuelles. Dans ce domaine, nous avons interviewé le président de l'Association de Football de Champclauson, deux des fondateurs du club de danse et le président du club de ski. Nous avons également interviewé: A) à Trescol: l'animateur du Centre Social Trescol et président de l'Union d'Associations de Trescol; la présidente de l'Union des Femmes Françaises; B) à La Grand-Combe: le président de l'Association des Vieux Travailleurs; le directeur du Centre de Formation Professionnelle des Adultes; le président de la Maison de la Famille; deux membres de l'Amicale des Algériens en Europe; le président de la Confédération Syndicale du Cadre de Vie de la commune; les responsables du Centre de Formation Individualisée et de la Permanence d'Accueil, d'Information et d'Orientation aux Jeunes, services rattachés à la Mairie de La Grand-Combe. En ce qui concerne les autres associations existante dans la ville, nous avons fait appel à d'autres sources pour obtenir des informations, soit par consultation bibliographique de documents, journaux, brochures, soit grƒce à des informations éparses recueillies lors des entretiens, principalement lorsque notre interlocuteur participait activement à l'une de ces associations. En ce qui concerne le monde religieux des habitants grand-combiens, comme nous l'avons déjà signalé, nous avons observé les principales fêtes religieuses de la ville, mais également quelques rituels religieux, à l'église catholique, au temple protestant et à l'Assemblée de Dieu. Quant à l'importante communauté musulmane, c'est avec les responsables de l'association des algériens que nous avons eu des renseignements à son sujet. Reconnaître ces formes diverses de rassemblement, d'interaction, de sociabilité, nous a permis de considérer les différences de référence et quelquefois même les oppositions entre les divers groupes (et réseaux) sociaux existant à La Grand-Combe. Ainsi, quoique subsiste une sorte d'homogénéisation des modes de vie imposée par une tradition d'attachement à une Compagnie minière, puisque cela reste de toutes façons un point de repère, nous ne la comprenons pas comme synonyme de collectivité homogène. Comme le suggère Bozon, "c'est bien en effet le contact quotidien, la coexistence et la cohabitation de groupes et d'individus très différents socialement, la confrontation de styles d'être en société opposée qui définissent sociologiquement la situation des groupes sociaux dans une petite ville"(23). Notre position épistémologique et la méthode ethnographique nous a permis de prendre en compte la représentation du groupe étudié à travers le quotidien et les rapports sociaux les plus significatifs aux différents "temps" (vécus et pensés) de son histoire locale. Ce processus, d'interaction et d'intersubjectivité, qui permet d'observer les gens et de vivre avec eux, nous a conduite simultanément à la rencontre d'autrui et à interagir dans le propre temps et espace social vécu par le groupe, et par là même à partager leur histoire singulière. Positions hiérarchisées, intérêts différenciés, conceptions du monde distinctes, objectifs hétéroclites, tout nous ramène à la constante relativisation de ce rapport entre le chercheur et le groupe étudié, ou de nos observations, sources de notre exercice ethnographique. Nous n'avons pas cherché la situation idéale pour pratiquer le travail de terrain, mais tout au moins cet exercice d'interaction, cet effort d'aller vers les autres qui permet la rencontre et l'échange et qui nous autorise, pour répéter Geertz, à ré-interpréter leur interprétation de la réalité vécue(24), ce qui nous permet de suggérer cet exercice ethnologique comme une "lecture" et une "traduction" du "social" (pour suivre ce qui Lévi-Strauss nous enseigne). CHAPITRE 2 ESQUISSE DU CHOIX METHODOLOGIQUE. En racontant son expérience ethnographique au Brésil, Claude LéviStrauss disait: "... on conçoit généralement les voyages comme un déplacement dans l'espace. C'est peu. Un voyage s'inscrit simultanément dans l'espace, dans le temps, et dans la hiérarchie sociale."(25) Plus qu'un simple déplacement, cet "aller sur le terrain" signifie se reconnaître en tant qu'anthropologue "en action" dans le quotidien d'un groupe et de mettre en oeuvre cette rencontre entre subjectivités et des remarques plus objectives. Traditionnellement intéressé par la diversité culturelle des groupes, l'anthropologue débute généralement sa recherche de terrain par un déplacement (dans le quartier, dans la ville, ou ailleurs ce qui lui engage à "voyager") dans l'espace (et dans le temps), soit pour étudier ses propres groupe et milieu, soit pour étudier un groupe "différent" parce qu'il n'est pas le sien (au sens où il n'est pas celui avec qui il partage son quotidien). Dans le cas où le chercheur "n'appartient" pas au groupe, à la ville étudiée, il cherche immanquablement, en arrivant sur le terrain (de recherche), à reconnaître ce que lui est "familier" et ce que lui est "dépaysé" (ou "étranger"). En même temps, il est "reconnu" par les habitants comme n'appartenant pas "au pays", et c'est seulement après une convivialité plus systématique au sein du groupe qu'il arrive à perdre son "invisibilité"(26) pour acquérir leur reconnaissance, à partir d'un processus de classification à travers lequel les autochtones codifient la place que le chercheur occupe dans l'espace social qui leur est quotidien. A une époque pas très lointaine, les anthropologues s'engageaient à étudier des groupes sociaux différents, éloignés et, aux yeux de leur propre société, "très exotiques". L'anthropologie, de nos jours, a hérité de la méthode ethnographique comme d'un instrument de recherche pour étudier la société contemporaine, plus complexe, car c'est ici la société urbaine que nous observons, inscrite dans la définition de "moderne" et donc plus familière au chercheur du fait qu'il s'agit de la sienne propre. Il cherche à y connaître les pratiques sociales et les interprétations des différents groupes et personnes dans leur manière de donner une signification à leur univers social, ce qui exige de lui d'aborder la pratique de terrain avec plus de recul et avec une vigilante relativisation de leur propre interaction (à l'environnement et aux sujets) et de leur propre perception (objectivation) des données ethnographiques qui lui semblent pertinentes parce que pertinentes à leur démarche, telle que nous l'élucide Lévi-Strauss en définissant que "toute société différente de la nôtre est objet, tout groupe de notre propre société, autre que celui dont nous relevons, est objet, tout usage de ce groupe même, auquel nous n'adhérons pas, est objet. Mais cette série illimitée d'objets, qui constitue l'Objet de l'ethnographie, et que le sujet devrait arracher douloureusement de lui si la diversité des moeurs et des coutumes ne le mettait en présence d'un morcellement opéré d'avance, jamais la cicatrisation historique ou géographique ne saurait lui faire oublier (...) qu'ils procèdent de lui, et que leur analyse, la plus objectivement conduite, ne saurait manquer de les réintégrer dans la subjectivité"(27). A l'exemple de ce qu'a dit un écrivain, "c'est en écrivant qu'on devient écrivain"(28), la même formule peut être reprise ici, puisque c'est en observant, en écoutant et en parlant avec autrui que l'on devient anthropologue social, et ce n'est que dans la rencontre des personnages si divers - le chercheur, les enquêtés, "les uns et les autres" - que nous construisons un acte d'interaction, d'échange (de communication) par lequel le chercheur obtient les récits qui permettent d'élaborer une espèce d'architecture des mots, bric-à-brac de pensées, d'images, "bricolant" toutes les données nécessaires à la construction d'un texte qui a pour but de décrire et comprendre la façon de vivre d'un groupe et leur manière d'exprimer la vie sociale. L'observation et l'analyse de leur représentation sur les faits vécus nous permet de mettre en relief ce qui donne le "ton" d'une collectivité ainsi que de la codification des processus collectifs inconscients. C'est ce en quoi consiste d'ailleurs notre principale démarche de recherche, c'est-à-dire une pratique de terrain capable, à partir de notre insertion dans le milieu et dans le quotidien du groupe social analysé, de nous faire connaître les représentations et catégories propres aux acteurs sociaux comme manière d'appréhender les perceptions et conceptions que le groupe étudié construit autour de la réalité vécue, et ceci à travers leur forme singulière et originale - à la fois individuelle et collective - de classification et d'organisation symbolique du monde, soit dans l'extériorisation des contraintes sociales, soit dans la dimension de leur créativité et de leur capacité de transformation. Compte tenu des objectifs de notre travail et de la prédominance des réflexions qualitatives dans lesquelles les acteurs sociaux, pris dans leur manière d'expression (discours, gestes, etc.) constituent des éléments significatifs, nous avons opté pour les méthodes d'observation directe et d'observation participante comme instruments de recherche. Ceci nous amène à une approche plus systématique de chercheur de terrain, à une observation du quotidien du groupe enquêté, par la recherche de ce qui est aussi bien apparent que latent, par l'étude de l'organisation et de la classification de la société extériorisées dans les représentations qu'en ont ses acteurs. C'est la formule trouvée par l'anthropologue social pour saisir et identifier les valeurs et les codes combinés d'une société. Le travail ethnographique de terrain qui permet l'observation directe et participante nous a paru être une méthode active et valable pour appréhender, à travers une approche localisée, le mode de vie, la manière de penser, de s'exprimer et d'agir à l'intérieur d'une relation construite sur le plan de l'intersubjectivité entre le chercheur et les sujets de l'enquête. Notre choix s'est porté sur la technique des entretiens libres et autobiographiques( ), pour rendre compte des mémoires individuelle et collective, lesquelles s'interpénètrent comme si l'étude glissait vers une socio-anthropologie de la mémoire et du souvenir. "C'est dire qu'un récit de vie isolé, privé du support de l'enquête ethnographique, apparaît comme une coquille vide. Eclairée par d'autres entretiens menés auprès d'autres interlocuteurs, relayée par l'histoire économique et sociale du groupe, la biographie devient alors un instrument de connaissance de la société".(30) Epauler cette monographie sur "la mémoire" des interviewés nous paraît important car il s'agit de la mémoire de leur vie, "qui reste une des choses dont l'individu n'a pas été totalement désapproprié"(31). En plus, à l'exemple de Segalen, il n'y a rien dans la mémoire des enquêtés qui soit "juste" ou "faux", ou qui "manquerait": tout témoignage apporte un éclairage sur la vie quotidienne, et aucune expérience n'est atypique, elle est seulement l'une des expressions de la culture du groupe. C'est une mémoire "faite de redondances et de redoublements, de variantes individuelles au sein d'un schéma collectif qui se construit, et indique qu'à un certain moment, il est temps de clore provisoirement - l'enquête".(32) Sans perdre totalement de vue le point de vue de la population plus jeune, c'est chez les familles de retraités des Houillères que nous avons privilégié le développement de nos enquêtes et tenté de cerner la quotidienneté et les styles sociaux des divers groupes qui coexistent dans la ville.(33) Le fait de privilégier le point de vue d'une population plus ƒgée signifie que c'est chez ces familles que nous avons voulu connaître la trajectoire personnel/social (individuel et/ou collective) vécue, dans les différents temps de leur histoire de vie - le temps vécu et pensé(34) - qui se superposent(35) dans leur mémoire collective pour parler de l'histoire de leur vie, de l'histoire locale.(36) En outre, il n'y a pas une mémoire plus légitime qu'une autre, il y a certes des familles de veille souche, des familles nouvellement arrivés, il y a surtout un groupe ethnique très divers et de brassages sociaux sur le local dont nous essayons de reconnaître et de situer quelques données sur leur trajectoire. Mais la population âgée, encore nombreuse, a en commun cette connaissance de l'autrefois (le temps de la Compagnie et le temps de la nationalisation) et de l'aujourd'hui (le temps de la crise). Elle partage cette identité forgée par une expérience commune des mouvements migratoires, du mélange racial. Chez les retraités ou pré-retraités, la représentation est beaucoup plus imprégnée de cette superposition des temps anciens. L'expérience d'une trajectoire commune dans la même ville les homogénéise, celle qui se rapporte à la vie "dans le temps de la mine" ou "quand tournaient les molettes". Ils sont les porteurs privilégiés d'une mémoire collective qui amalgame les réflexions sur les temps vécus et d'où ressortent des récits qui mêlent au souvenir enchanté du passé et à l'amertume de la nostalgie les réflexions positives ou réalistes quant à la dynamique des pratiques sociales du présent. C'est elle qui dispose de la mémoire de la ville, alors que cette expérience vécue en commun fait défaut aux plus jeunes. Chez les jeunes, qui ont grandi au cours de cette période de récession charbonnière ou qui n'ont vécu que "le temps de crise", la représentation s'avère moins ambigu‰ et plus réaliste, la tendance consistant à penser que le présent est tel qu'il est et à le vivre intensément, sur les lieux de sociabilité et de complicité de la jeunesse. Il est certain que les exemples individuels sont les plus divers et il nous semble difficile, parfois inutile, d'énumérer les caractéristiques plus générales sans tenir compte des expériences personnelles, les observations plus particulières qui expriment - par la représentation, les pratiques et les relations sociales - la manière singulière de vivre une situation social, ce qui nous permet de relativiser toute tendance à la généralisation. Mettre en relief les spécificités, les particularités, nous permet de saisir les différences ainsi que (dialectiquement) de reconnaître les aspects communs vécus par les familles de mineurs dans ce processus de construction sociale de la réalité, ce qui donne une sorte de "ton" local à ces singularités. La diversité de groupe apporte donc des points de vue très divers, des mémoires en dissonance mais "l'unité se fait au niveau de l'espace urbain, dans la représentation qui en est donnée, dans les usages qui en sont faits"(37). Cette diversité, nous l'abordons munie des instruments anthropologiques, afin de saisir la nature sociale de l'action humaine et la pratique du quotidien en tant que un système de significations. Dès lors, la culture est vue comme un corps de connaissances qui structure chez l'individu non seulement un ensemble de pratiques, mais aussi un ensemble de représentations. Nous recomposons, à la suite de Marcel Mauss et de manière systématique, le social intégré et compris comme système doté de signification, en nous basant sur son concept de fait social total.(38) A partir du rapprochement des expériences collectives et des trajectoires individuelles, en les situant dans les divers domaines de l'activité sociale, nous cherchons à comprendre le monde des rapports mis en place aux différents "temps vécus", selon leur ordre temporelle de continuité/discontinuité, qui constituent pour eux des moments significatifs de rupture et de continuation. 1. Dans cette brochure touristique nous lisons également: "La Grand-Combe occupe une des entrées des Cévennes par la haute vallée du Gardon d'Alès. Son altitude est de 190 m au centre-ville. Son exposition la met à l'abri des vents du Nord et la proximité des côtes méditerranéennes et des hauts sommets du Lozère lui confèrent un climat idéal. Les villages environnants du Canton, Laval-Pradel, Lamelouze-Branoux, Sainte-Cécile-d'Andorge, La Favède sont des coins de séjour agréable et des hauts lieux de la gastronomie régionale". In: "Prospectus Touristique. Mairie de La Grand-Combe. 1975". 2. Le flux assez important de camions dans cette vallée se justifie par le transport de charbon exploité à ciel ouvert au nord, tandis que le nouveau lavoir se situe au sud, au bord du Gardon. 3. GAILLARD, Jean-Michel. Un exemple français de "ville-usine": La GrandCombe (Gard) et sa "Compagnie des mines" (1836-1921). Thèse 3ème cycle. Université de Nanterre, 1974. p. 172. 4. Expression de l'un de nos interlocuteurs. A ce sujet voir plus loin: Partie V; chapitre 6. 5. La place construite en 1846 était alors nommée Place Bouzac. En 1918, elle prit le nom de Place de la Victoire et depuis la Libération, Place Jean-Jaurès. 6. Le maintien du nom de cette rue provoque actuellement des contestations parmi la population grand-combienne, qui proteste contre cet hommage rendu à un ingénieur qui a eu un rôle répressif lors de la grève de 1848. 7. Selon Bourdieu, de nombreuses propriétés d'une classe sociale proviennent du fait que leurs membres interagissent délibérément ou objectivement dans des rapports symboliques avec les individus d'autres classes, exprimant par là des différences de situation et de position selon une logique systématique, et les transfigurant en "distinctions avec signification". Selon: BOURDIEU, Pierre. "Condition de classe et position de classe". In: Archives Européennes de Sociologie, VII (1966), pp. 201 et 223. Nous avons lue ce texte en portugais, In: BOURDIEU, Pierre. A economia das trocas simb¢licas. S„o Paulo, Perspectiva, 1974. p. 14. 8. Nous utilisons "ethos" et "vision de monde" selon GEERTZ, Clifford. A interpretaç„o das culturas. Rio de Janeiro, Zahar, 1978. pp. 103 et 104. (1e édition: The Interpretation of Cultures. New York, Basic Books,Inc, Publishers, 1973). 9. Houillères du Bassin du Centre et du Midi. 10. Pour une discussion sur le concept de "parenté", voir parmi d'autres: A) FLANDRIN, Jean-Louis. Familles, parenté, maison, sexualité dans l'ancienne société. Paris, Seuil, 1984. (le édition 1976). 288 p. B) HERITIER, Françoise. L'exercice de la parenté. Paris, Gallimard/Seuil, 1981. 2O5 p. C) LEVISTRAUSS, Claude. Les structures élémentaires de la parenté. Paris, Mouton, 1967. (le édition: 1949). D) SEGALEN, Martine. Sociologie de La Famille. Paris, Armand Colin, 1981. 335 p. E) YOUNG, Michael et WILLMOTT, Peter. Le village dans la ville. Paris, Centre Georges Pompidou/CCI, 1983. 255 p. (1e édition: Routledge and Kegan Paul Plc., 1957). 11. Pour une discussion sur le concept de "voisinage", voir parmi d'autres: A) JOLAS, Tina et ZONABEND, Françoise. "Cousinage et Voisinage". In: Echanges et Communications. Mélanges offerts à Claude Lévi-Strauss. (Réunis par Jean POUILLON et Pierre MARANDA). Tome I. The Hague, Paris, Mouton, 1970. pp. 169 à 180. B) MCKENZIE, Roderick D. "Le voisinage. Une étude de la vie locale à Colombus, Ohio". In: L'ECOLE DE CHICAGO. Naissance de l'écologie urbaine. Paris, Aubier Montaigne, 1984. pp. 231 à 240. (1e édition: Paris, Champ Urbain, 1979). C) SEGALEN. (1981). Op. cit. 12. Pour une discussion sur le concept "réseaux sociaux", voir: A) BOTT, Elizabeth. Família e rede social. Rio de Janeiro, Francisco Alves, 1976. 319 p. (1e édition: Family and Social Network. London, Tavistock Publications, 1957. 363 p). B) FORTIN. Op. cit. 225 p. 13. Chercheur en Histoire Industrielle au Centre Culturel Scientifique et Technique (CCST) d'Alès (Gard). Théologien, chercheur en géologie, histoire et culture occitane et fils de mineur. 14. Parmi les familles de mineurs interviewées, 3 habitent la cité minière La Forêt, 1 la cité minière Sainte-Barbe, 7 la cité minière des Ribes, 1 habite le quartier de La Pise, 1 la cité minière de La Pelouse, 2 au centre ville, 1 les H.L.M de La Grand-Combe, 1 à Trescol, 1 à Champclauson, 1 à Salles-duGardon, 1 la commune de Branoux. 15. Pastis: boisson traditionnelle dans cette région de la France, élaborée à base de fenouil sauvage ou à d'anis . 16. Pour donner la mesure de ces enquêtes, nous avons enregistré l'interview de 2 prêtres, 1 frère catholique, 1 pasteur, 1 membre de l'Assemblée de Dieu, 1 instituteur, 5 fonctionnaires de la Mairie, 1 fonctionnaire des Secours Miniers, 2 fonctionnaires du Syndicat d'Initiative, 1 technicien agricole, 1 commerçant, 14 responsables d'associations culturelles et sportives de La Grand-Combe, Trescol, Champclauson et La Levade, 1 directeur de Centre de Formation de Jeunes, 2 maraîchers/marchands, 2 responsables syndicaux, 6 jeunes dont 3 fils de mineur retraité, 1 historien. 17. "L'histoire est une dialectique de la durée; par elle, grƒce à elle, elle est étude du social, de tout le social, et donc du passé, et donc aussi du présent, l'un et l'autre inséparables". Cf: BRAUDEL, Fernand. Ecrits sur l'histoire. Paris, Flammarion, 1969. p. 104. 18. Parmi d'autres: A) COMPAGNIE DES MINES DE LA GRAND-COMBE (1836-1936). LIVRE D'OR. Edité par la Compagnie des Mines de la Grand'Combe, 25 avril 1936 sur les presses de l'imprimerie "La Semeuse" à Etampes (Seine-et-Oise). 5O p. B) DUCKERT, Jean-Luc et LARGUIER, Christophe. La Grand-Combe: Evolution - Immobilité... Reconversion. Mémoire de Maîtrise de Géographie. Sous la direction du Professeur Mme Faidutti. Université Paul-Valéry - Montpellier III. Arts et Lettres, Langues et Sciences Humaines. Année 1987. 2OO p. C) FAVEDE, Yves. La Grand-Combe d'hier et d'aujourd'hui à travers la mine. Epreuve Culturelle à Option du CAPASE. Octobre 1980. 109 p. D) FLECHON, Etienne. Trente Ans de Fond. Chƒteaurenard, 1987. Manuscrit d'un ancien ingénieur des Mines de La GrandCombe (1927-1963). Tome I: 200 p. Tome II: 300 p. E) LAMORISSE, René. La Population de la Cévenne Languedocienne. Publiée avec le concours du Ministère de l'Education Nationale, du Centre National de la Recherche Scientifique et de l'Université Paul-Valéry, Montpellier, 1975. F) LIVET, Georges. La Grand'Combe à travers les Ages. Alès, Imp. Compan-Brabo, 1956. 39 p. G) PACZKOWSKI, Claude et VIELZEUF, Aimé. La Grand'Combe en Cévennes, jadis canton de gueules noires... Nîmes, C. Lacour Editeur, 1989. 2O6 p. H) PIN, Henri. Les Mines de Houilles dans le Gard - la condition du mineur. Thèse de Droit, Montpellier, 1914. I) PUECH. La Compagnie de la Grand-Combe. Société Anonyme - Capital 6.375.OOO. Paris, Ecole Nationale des Mines, 1901. Tome I: "Origine - Fondation et Organisation de la Compagnie. Ses Oeuvres et ses Institutions de Prévoyance". 363 p. Tome II: "Historique. Document Officiels. Evénements et faits divers survenus de 1837 à 1899". 558 p. Dactylo. 19. A l'exemple de LEITE LOPES. In: LEITE LOPES, José Sérgio. A tecelagem dos conflitos de classe na cidade das Chaminés". Bras¡lia, CNPq., 1988. p. 20. 20. "(...) il s'agit de cette classe d'événements qui ont lieu lors d'un présence conjointe et en vertu de cette présence conjointe. Le matériel comportemental ultime est fait des regards, des gestes, des postures et des énoncés verbaux que chacun ne cesse d'injecter, intentionnellement ou non, dans la situation où il se trouve. Ce sont là les signes externes d'une orientation et d'un implication, états d'esprits et de corps que l'on considère rarement en fonction de l'organisation sociale où ils s'insèrent." In: GOFFMAN. (1974). Op. cit. p. 7. Voir aussi: La mise en scène de la vie quotidienne. Paris, Ed. de Minuit, 1973. 21. Goffman les analyse, in: GOFFMAN. (1974). Op. cit. 22. Cf. BOZON, Michel. Vie quotidienne et rapports sociaux dans une petite ville de province. Lyon, PUL. 1984. p. 10. 23. En plus, "l'objectif est plutôt de décrire et d'analyser les processus essentiels à travers lesquels s'affirme l'identité des groupes sociaux qui coexistent dans une petite ville". Ibidem. p. 18. 24. GEERTZ. Op. cit. 25. En outre: "Chaque impression n'est définissable qu'en la rapportant solidairement à ces trois axes, et comme l'espace possède à lui seul trois dimensions, il en faudrait au moins cinq pour se faire du voyage une représentation adéquate". In: LEVI-STRAUSS, Claude. Tristes Tropiques. Paris, Plon, 1987. p. 92. (le édition: Paris, Plon, 1955). 26. Nous utilisons ici l'idée de Geertz. Cf: GEERTZ, Clifford. "Um jogo absorvente: Notas sobre a briga de galos Balinesa". In: GEERTZ. Op. cit. Partie V. Chapitre 9. p. 282. 27. LEVI-STRAUSS, Claude. "Introduction à l'oeuvre de Marcel Mauss". In: MAUSS, Marcel. Sociologie et anthropologie. Paris, Quadrige/PUF, 1985. pp. XXIX et XXX. (1e édition: 1950). 28. GAILLY, Christian. K.622. Paris, De Minuit, 1989. 29. Prenant parfois les dimensions d'une histoire de vie. Sur la technique de l'histoire de vie, nous suggérons: A) "(...) Idéalement, l'histoire de vie garde la forme gestative des stéréotypes, elle induit la répétition d'une possibilité d'expression des émotions autant que la rigueur d'une explicitation des origines sociales, politiques et économiques. En même temps, elle clôt un champ d'investigation par l'effet même de sa modélisation". (...) "La méthode des histoires de vie peut réaliser idéalement une harmonie entre" (...) "la conception structuralisante de la culture et la reconnaissance des complexités de son vécu existentiel, (...) il n'en demeure pas moins que la perception de la durée des systèmes culturels, de leurs facultés de transmission des savoirs et des usages se fonde sur les stéréotypes comme les restes immuables des signes mêmes de la distinction et de la mutation des cultures". In: JEUDY. Op. cit. pp. 58 et 59. B) FERRAROTTI, Franco. Histoire histoires de vie. La méthode biographique dans les sciences sociales. Paris, Librairie des Méridiens, 1983. 195 p. C) DESMARAIS, Danielle et GRELL, Paul (sous la direction). Les récits de vie. Théorie, méthode et trajectoires types. Montréal, Saint-Martin, 1986. 180 p.; D) DELHEZ-SARLET, Claudette et CATANI, Maurizio (Direction). Individualisme et autobiographie en Occident. (Actes du Colloque "Individualisme et autobiographie en Occident". Cerisy-la-Salle du 10 au 20 juillet 1979). Centre Culturel International de Cerisy-la-Salle. Bruxelles, Ed. de L'Université de Bruxelles, 1983. 292 p.; E) PINEAU, Gaston et JOBERT, Guy (coordinateurs). Histoires de vie. Tome I: 240 p. et II: 286 p. et CENTLIVRES, Pierre et alii. Histoires de vie. Approche pluridisciplinaire. Paris - EMSH.; Neuchƒtel - Ed. de L'Institut d'Ethnologie, 1987. 129 p. 30. ZONABEND. (1980). Op. cit. p. 7. 31. JEUDY. Op. cit. p. 146. 32. SEGALEN. (1990). Op. cit. p. 69. 33. Faute de conditions, nous n'avons pu suivre la trajectoire des familles qui sont parties de La Grand-Combe. Nous avons seulement pu contacter les membres (couple, veuf, veuve) de la famille d'origine restée à La Grand-Combe ou d'enfants également restés dans la ville, ou encore des enfants qui sont venus occasionnellement visiter leur famille pendant la période de notre recherche. 34. BACHELARD. (1989.a.). Op. cit. p. IX. 35. "(...) le temps a plusieurs dimensions; le temps a une épaisseur. Il n'apparaît continu que sous une certaine épaisseur, grƒce à la superposition de plusieurs temps indépendants. Réciproquement, toute psychologie temporelle unifiée est nécessairement lacuneuse, nécessairement dialectique." Selon, BACHELARD, Gaston. "Les superpositions temporelles". In: BACHELARD. (1989.a.). Op. cit. Chapitre VI. p. 92. 36. "(...) La temporalité des traditions et des savoir-faire s'impose au-delà des événements eux-mêmes en traduisant l'aptitude à durer d'une culture jusqu'alors méconnue. Les conflits passés peuvent être parlés, évoqués, leur dénouement fatal semble soulever magiquement le voile sur l'existence préalable des traditions culturelles méconnues. Cette arrière-scène des identités culturelles va passer sur le devant de la scène sociale quand celle-ci se vide de ses acteurs. Un tel effet de réversibilité temporelle est une catastrophe sociale sans précédent avec l'éclatement de tout un 'bassin d'emploi', livre idéalement les codes d'une dynamique culturelle, ses structures fondamentales et originaires. Alors, ce sont d'abord les pré-retraités et les retraités qui sont interrogés sur les aspects de cette 'culture ouvrière'. Ils peuvent dire, comme à la fin d'un combat, l'ardeur des idéaux qui les animait et ils amorceront ce mouvement complexe et infini de la reconstitution des traces, des origines de leur mentalité. La mémoire se trame avec cet arrêt sur le temps qui la rend ainsi prospective. Et les entretiens prendront nécessairement la forme d'histoires de vie parce que la 'culture ouvrière' se fonde sur des valeurs incarnées tout au long d'une vie quotidienne. La violence des effets de la crise se trouve réduite à une crise des identités collectives. (...)". In: JEUDY. Op. cit. pp. 29, 32, 33, 65 et 66. 37. SEGALEN. (1990). Op. cit. p. 69. 38. "Le fait social total se présente donc avec un caractère tri-dimensionnel. Il doit faire co‹ncider la dimension proprement sociologique avec ses multiples aspects synchroniques, la dimension historique ou diachronique, et enfin la dimension physio-psychologique". Cf: LEVI-STRAUSS, Claude. "Introduction à l'oeuvre de Marcel Mauss". In: MAUSS. (1985). Op. cit. p. XXV. Pour Mauss, il n'y a aucun phénomène social qui ne soit pas partie intégrante du tout social; par conséquent, chaque phénomène social est simultanément juridique, économique, moral, religieux, esthétique, etc. La particularité est appréhendée dans le cadre de l'altérité et de l'hétérogénéité existant entre les sociétés et les groupes sociaux dans lesquels les sujets ordonnent un monde doté de signification, constitutif et reproducteur de codes socialement significatifs et en grande partie arbitraires. Les discours fragmentés, stratégies, refus, concepts, pratiques, rites et valeurs constituent un système structuré dans lequel est mise en relief la complémentarité entre le psychique et le social, où "toute interprétation doit faire co‹ncider l'objectivité de l'analyse historique ou comparative avec la subjectivité de l'expérience vécue". Ibidem. p. XXV. PARTIE II "AU TEMPS DE LA COMPAGNIE" "Notre ville n'est pas vieille. Notre passé ici, il n'est pas vieux, il n'est pas vieux du tout... Je veux vous raconter une chose: ici à La Grand-Combe, l'église, les maisons, tout ‡a, c'est la Compagnie qui l'a fait construire. Nous habitons ici il y a 55 ou 56 ans. Je suis né ici à la Frugère, du côté de Ribes (quand on sort de la gare là à droite). J'habitais dans une maison qui appartenait à la Compagnie... Au temps de la Compagnie tout a été bâti par elle, c'était pour les mineurs mais c'est elle qui commandait. A cette époque tout appartenait à la Compagnie". (M. Chêne. Mineur retraité). CHAPITRE 1 LA NAISSANCE D'UNE VILLE MINIERE A) "MANS NEGROS, PAN BLANC".( 1) Un mineur retraité qui a travaillé trente ans au fond de la mine à La Grand-Combe nous a dit: "Vous savez pourquoi dans notre blason il est écrit mans negros, pan blanc"? "C'est parce que, au fond de la mine, on a toujours été noirs de poussière de charbon et qu'on mangeait du pain blanc. Au début, il n'y avait pas d'eau au fond. Voilà, c'est pour ça". Le blason de la ville nous permet, dans une approche symbolique, de reconnaître un milieu social singulier, un groupe identifié à une histoire collective par l'appartenance à une ville minière, créée et développée durant la vague de croissance capitaliste du XIXe siècle. Ce "marqueur emblématique", qui porte aussi les outils traditionnels du labeur d'extraction, ébauche l'univers de travail, la relation de l'homme avec l'environnement et le mode de vie d'autrefois de ce groupe. Sur ce blason nous trouvons, par ailleurs, trois châteaux représentant les importants domaines dont les origines remontent à un "passé antérieur", avant la fondation de la ville. Nous nous référons ici à l'époque où le charbon en était encore à une phase artisanale et où l'institutionnalisation du capitalisme n'avait pas encore démarré. Il s'agit d'une époque marquée par les luttes pour les domaines et pour le droit aux prospections minières.(2) Il a fallu attendre 1810 pour voir édicté le droit de propriété sur les mines (sous Napoléon Ier), qui devait enfin conduire à la formation de sociétés envisageant la production industrielle du charbon et le développement des forces productives. C'est dans ce contexte qu'un groupe composé de divers concessionnaires forme la "Société Civile des Houillères de La Grand'Combe & Pluzor et autres concessions réunies" entre 1818 et 1826. La Société avait du mal à surmonter les problèmes techniques de production et de voies de communications, qui demandaient d'importantes transformations pour le développement industriel de la région. Analysés par Jean-Pierre Gaillard dans sa thèse, ces obstacles peuvent être résumés en trois points: "le manque de capitaux locaux, le manque de bras, le manque de voies de communications"(3). Cependant, pour pouvoir faire face à la concurrence existante dans ce secteur, pour attirer les capitaux et la main-d'oeuvre, ce sont les moyens de transport qui sont devenus, dans un premier temps, l'objectif primordial pour atteindre un marché situé au-delà des frontières locales. C'est justement pour des raisons de développement des moyens de transport qu'un ingénieur, Paulin Talabot, arrive en 1829 dans la région. Venu d'abord pour diriger les projets concernant la navigation (Canal de Beaucaire Sète), Talabot se tourne aussitôt vers les projets portant sur les chemins de fer. Les premières concessions de construction de chemins de fer ont été obtenues entre 1833 et 1836 (respectivement, Alais à Beaucaire en 1833, et Alais aux Mines de La Grand'Combe en 1836)(4). A partir de 1835, "il semble évident que le développement du Bassin Houiller du Gard ne pourra se faire qu'en simplifiant et unifiant les exploitations et en axant essentiellement le travail sur la question des voies de communication, plus encore que sur la mécanisation de la mine elle-même. C'est au cours de la période suivante, de 1835 à 1852, que l'on assiste véritablement à la naissance du capitalisme minier, dont le plus beau fleuron sera la 'Compagnie des Mines de La Grand-Combe'"(5). Effectivement, nous enregistrons la constitution de la "Société des Mines de La Grand'Combe et des Chemins de Fer du Gard" par les actes du 10 mai 1836 et du 27 juillet 1837. Dès le départ, elle est dirigée en commandite par actions (capital de 24 millions en 24.000 parts) ayant son siège à Nîmes. La direction, composée alors sous la forme d'un "conseil de gérance", en est assurée par M. Paulin Talabot et ses frères, Jules et Léon Talabot, les négociants nîmois M. Louis Veaute, Daniel Mourier et M. Théophile Delord(6). Ainsi s'est établie une entreprise dans cette vallée du Midi de la France, dans le but d'exploiter le charbon. Son domaine englobait alors un vaste territoire contenant diverses concessions. Dans le rapport du conseil de gérance de l'Assemblée Générale du 25 avril 1855, l'inventaire général définit les concessions suivantes(7): 1) Concession de la Grand-Combe: domaines de La Forêt d'Abilon, du Mas-Dieu et leurs dépendances; 2) Concession de Champclauson et ses dépendances; 3) Concession de Laffenadou; 4) Concessions de Trescol et Pluzor et dépendances; 5) Concessions de la Trouche et de La Levade; 6) Concession de St-Jean-de-Valériscle. Néanmoins, les capitaux régionaux étaient encore peu nombreux dans cette région de forte tradition agricole, alors que l'ambition était de la transformer en une prometteuse zone industrielle. De plus, 1848 est une année révolutionnaire et la société subit les conséquences des troubles sociaux. Dans ces conditions, c'est plutôt aux capitaux étrangers à la région que la Société fait appel. C'est non seulement l'Etat qui vient offrir son aide, mais aussi le Groupe Rothschild, qui achète des actions. Cet apport de crédits signe désormais la participation de l'Etat et du système financier parisien dans l'histoire de la Compagnie(8). Les travaux de construction du chemin de fer sont mis en route et les inaugurations de lignes qui se succèdent vont permettre une valorisation de la région par le rapprochement d'importants centres économiques comme Alès, Nîmes, Avignon, Montpellier, de centres portuaires comme Marseille, et par la mise en service de lignes qui allaient relier les lieux d'extraction et les villes. L'exécution de ce projet sous la direction de Talabot vaudra à ce dernier une grande reconnaissance en tant qu'entrepreneur puisqu'il avait "réalisé en deux ans et demi le chemin de fer le plus long de France (88Km)"(9). Parallèlement, s'établissent les structures nécessaires au développement de l'industrie minière, à la transformation des forces productives et des modes d'extraction en vue d'une augmentation de la production et d'une accumulation de capital. L'extraction du charbon devient plus rationnelle et plus moderne avec l'utilisation de plans inclinés, selon la méthode développée par l'ingénieur des mines invité par Talabot pour diriger l'exploitation de La Grand-Combe, M. Jules Callon. Considéré par l'administration comme "l'âme de l'entreprise"(10), il y reste attaché, comme ingénieur en chef, jusqu'en 1875. En 1852, face aux modifications de la politique d'exploitation des chemins de fer, la Compagnie cède les "Chemins de Fer du Gard" à la "Compagnie des Chemins de Fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée" et concentre ses intérêts sur l'exploitation des mines de houille. Compte tenu du transfert du Chemin de Fer du Gard au Chemin de Fer de Lyon à Avignon, la Société des Mines de La Grand'Combe devient une société anonyme avec une nouvelle raison sociale, "Compagnie des Mines de La Grand'Combe". Cette transformation existant par acte du 18 septembre 1855 a été approuvée par décret impérial le 3 octobre de la même année(11). Mais revenons aux années qui suivent la création de cette entreprise. La Compagnie, comme les grand-combiens ont pris l'habitude de l'appeler jusqu'à présent, coordonne une importante extension des zones d'extraction, malgré des carences en infrastructure de base. Dès le début, pour former la force de travail, elle compte évidement sur une main-d'oeuvre locale et composée de paysans. Ceux-ci viennent des environs, de la ville déjà existante de Salles-du-Gardon(12) ou des communes voisines de Portes, Laval, Sainte-Cécile, Branoux, Alès et Saint-Jean-duValériscle, dont la majorité de la population se livrait à des activités rurales. Habituée à un mode de vie entièrement soumis au travail agricole, cette population présentait alors une tendance à garder son habitat rural antérieur, instaurant un comportement migratoire et alternant. Toutefois, il fallait recruter et former une population ouvrière plus stable et plus qualifiée pour le travail industriel, mesure indispensable pour augmenter la production et gagner le marché. La Compagnie oriente alors ses stratégies vers l'accroissement de la main-d'oeuvre, l'aménagement du territoire et l'organisation d'un complexe urbain. Pour cette raison, afin d'attirer et de fixer une main-d'oeuvre encore peu nombreuse, et avant d'entreprendre les pourparlers destinés à négocier la création d'une nouvelle commune, elle structure le territoire en développant une politique d'habitation. En même temps que l'espace industriel est aménagé, divers logements ouvriers et une école sont bâtis. Dans le même élan, elle crée des institutions sociales, telles que des institutions de prévoyance: la caisse de secours et la caisse de retraites. Bien que son pouvoir s'étende à tous les environs, son but se limite à ériger une nouvelle commune, étant donné que dans les communes rurales déjà existantes "(...) les intérêts, tant politiques que matériels, ne sont pas directement dépendants de la Compagnie des Mines de La Grand-Combe"(13). A la veille de l'érection de la commune de La Grand-Combe, la localité réunissait à peu près 4.000 habitants - une population dispersée, dense sur les communes de Salles-du-Gardon (2281 h), Portes (941 h) et raréfiée sur celles de Laval (221 h) et Sainte-Cécile-d'Andorge (102 h). Il est rare de pouvoir se référer à la naissance d'une ville avec une telle parcimonie de mots et de dates. La Grand-Combe, en effet, n'est pas une ville comme les autres, puisqu'elle a eu comme inspirateur et promoteur la Compagnie des Mines de La Grand-Combe, qui voulait développer l'industrie du charbon et construire une ville ouvrière en ayant pour politique un encadrement paternaliste(14) et la mainmise sur les activités urbaines. La ville est née de la volonté de la Compagnie et, pour citer Lefebvre, "l'agglomération tombe" pour long temps "sous le contrôle" (presque?) "absolu de l'entreprise, c'est-à-dire de ses dirigeants (capitalistes)". "La Compagnie s'entoure d'une ville à son service, sécrétée par elle".(15) "Peut-être pourrait-on" l'appeler de "ville politique", suggère François Ewald(16). A partir de 1843, la Direction des Mines de La Grand-Combe entame les procédures nécessaires pour arriver à la fondation d'une nouvelle commune et à l'élargissement de ses activités industrielles. Dans le cadre de ces négociations, le préfet du Gard spécifie, dans une lettre datée de juin 1844 au président de la Compagnie, les conditions pour la création de cette nouvelle commune. Les gérants de l'époque lui répondent en février 1845 qu'ils les acceptent(17). Ils entreprennent dès lors la construction de divers établissements publics indispensables à l'érection de la nouvelle commune et qui répondaient aux exigences du pouvoir administratif du Gard, à savoir des écoles pour gar‡ons et filles, la mairie (pouvant occuper deux pièces du bâtiment de l'école), une église catholique, un temple et un cimetière(18). Toutefois, le programme de constructions de la Compagnie, quant à lui, était plus vaste. Nous lisons dans les notes de M. Paulin Talabot en 1847 que, au-delà des exigences du Ministère de l'Intérieur, la Compagnie projetait de construire, dans un court délai, un presbytère, une mairie avec un bureau pour le commissaire de police, une caserne de 12 pièces pour la brigade de gendarmerie, des écoles à Trescol et Champclauson, un hôpital de 40 lits avec une pharmacie, un asile, un embarcadère, un bâtiment administratif avec dépendances pour les gérants et pour le directeur des Mines, un appartement pour l'ingénieur des mines et des bureaux (comptable, commis, bureau pour les plans), et encore des logements pour les employés et les ouvriers de la Compagnie, une cantine et un magasin aux vivres, un bâtiment-hôtel ou auberge pour les voyageurs, placé près de la gare ferroviaire et, finalement, une place publique ou place du marché située dans le centre(19). C'est la Compagnie qui établit le plan urbain pour la nouvelle commune qui est née, ainsi, de cette manière "artificielle" au sein d'une région typiquement rurale. Une ville naît avec un but précis: l'extraction du charbon. Livet, dans son ouvrage consacré à La Grand-Combe, a su cerner avec précision le compromis sur lequel cette ville a été créée: "(...) on lui a fait contracter, dès sa naissance, un mariage de raison. Elle a d– épouser un très grand Seigneur de la Terre: le Charbon"(20). Baptisée du nom même de la Compagnie, La Grand-Combe est créée en tant que commune par une loi du 7 juin, promulguée le 17 juin 1846(21), et s'étend sur une superficie de 6.000 hectares. Avec un territoire mordant sur les communes des Salles-du-Gardon, de Laval, Portes et Ste-Cécile-d'Andorge (canton de Génolhac), la nouvelle commune appartient au canton de St-Martinde-Valgalgues, arrondissement d'Alais, département du Gard. La Grand-Combe est située sur la rive gauche du Gardon et a comme communes limitrophes, sur la rive droite, Salles-du-Gardon, Branoux et La Mélouse. Salles-du-Gardon est ainsi la ville voisine. Le Gardon forme la division naturelle et un pont rejoint ces deux villes. Le premier recensement de la commune de La Grand-Combe en 1846 désigne une population totale de 4.011 habitants, dont 1.594 répartis dans les trois hameaux de La Levade (396 h), Trescol (580 h) et Champclauson (618 h), et 2.417 disséminés dans les différents quartiers du centre-ville et de ses alentours, ainsi que dans les anciens mas et fa‹sses(_). La majorité de la population se compose d'un prolétariat d'installation récente et venu pour le travail industriel, ce qui explique le décalage entre le nombre de jeunes gens et d'hommes célibataires (1.587) et celui des hommes mariés (841) ou veufs (37), ou alors celui des femmes (757 filles, 712 femmes mariées et 77 veuves). En mai 1858, la commune de La Grand-Combe devient chef-lieu du canton qui comprend aussi celles de Branoux, Salles-du-Gardon, La Melouse, Laval et Ste-Cécile-d'Andorge. En 1860, elle annexait à son territoire 162 hectares et 23 ares de plus, concernant la partie haute du village de Champclauson (distraite de la commune de Portes) malgré les protestations de la commune voisine de Portes (Canton de Génolhac, Arrondissement d'Alès, Département du Gard)(_). Le personnel de la Compagnie, qui se limitait à 1.000 individus avant la fondation de la commune, ne cessera de croître dans les années suivantes, pour atteindre en 1866 2.217 personnes pour les effectifs de fond et 1.183 personnes pour ceux de surface. L'histoire de la ville devient synonyme de celle de la Compagnie et des cycles de la houille, la fluctuation de la population restant directement proportionnelle aux flux et reflux de la production de charbon. Dès leur création, la ville et la Compagnie vont grandir ensemble en un mouvement presque homogène. L'usine sera l'ombre de la ville.(24) La démographie positive ou négative de la ville exprimera les besoins de maind'oeuvre, les stratégies de recrutement de la Compagnie. L'urbanisation sera conditionnée par les intérêts et les besoins structurels de cette mono-industrie, le pouvoir local est exercé par les représentants de la Compagnie qui garantissent les intérêts patronaux assurant leur domaine sur l'aire urbaine, inscrivant sur l'urbain leur stratégie industrielle et cristallisant en quelque sorte l'image de ville industrielle dans l'espace public et dans l'espace domestique. Au fur et à mesure que l'exploitation des mines s'accroît, la Compagnie articule la mise en place d'un tissu industriel et urbain dans son large domaine, dont La Grand-Combe constitue le centre, relié aux divers hameaux et autres noyaux d'agglomération, et aux lieux de production (puits d'extraction) par les routes, le chemin de fer et les ponts. En ce qui concerne les chemins de fer, une ligne relie depuis 1840 "La Pise-La Grand-Combe" à "Alais", et depuis 1842 une autre "La Levade" à "La Pise-La Grand-Combe". Les ponts relient, quant à eux, "La Levade" à "Branoux", le quartier du "Riste-La Pise" au centre-ville et "La Grand-Combe" à "Salles-du-Gardon". Dans ce vaste domaine, avec sa "carte absolument abracadabrante du point de vue géographique"(25) et ses puits d'extraction et de regroupement dispersés un peu partout, les problèmes de distance devenaient flagrants. Pour les minimiser, la Compagnie avait fait construire des logements afin de raccourcir le trajet, rapprochant les travailleurs des zones d'extraction de La Grand-Combe, Trescol, Champclauson, La Levade, Laval, Montagne d'Abilon, Montagne Sainte-Barbe, etc. Cet espace ainsi aménagé concevait la "cohabitation" de deux types d'environnement: l'un typiquement agricole, montagneux avec des habitations de type rural et l'autre plus urbain, caractérisé par l'espace industriel et par les agglomérations ouvrières. C'est avec cette organisation spatiale ainsi morcelée sur le territoire de la Compagnie que se forme la population grand-combienne. A l'instar d'autres grandes entreprises industrielles de l'époque, celle-ci est située en pleine campagne et, dans son essor, il lui faut résoudre le problème crucial du manque de main-d'oeuvre qu'elle doit recruter massivement. De manière à réunir cette population travailleuse, la Compagnie pratique un recrutement endogène et exogène en faisant appel à des groupes sociaux de différentes origines: les gens appartenant au terroir même, ceux venus des départements limitrophes, et d'autres de l'étranger. Avant la fondation de la ville - nous l'avons déjà vu - la Compagnie a pu compter sur la population de souche gardoise, dans sa majorité liée à la terre par le travail rural. Cela explique d'ailleurs un comportement saisonnier commun à l'époque. Il était plus difficile de compter sur les travailleurs ruraux et textiles dans les zones cévenoles qui s'adonnaient grandement à la sériciculture, cette occupation limitant leur recrutement pour le travail à la mine(26). Une autre aire de recrutement concernait les départements limitrophes, avec une forte préférence pour la Lozère et l'Ardèche (Départements), secteurs pauvres d'agriculture familiale montagnarde, avec polyculture en terrasses et élevage, suivis de loin par l'Aveyron et les Bouches-du-Rhône (Départements)(27). La population, pour la plupart d'origine paysanne, manifestera souvent ce caractère de migrants temporaires: les "gavots" comme demeurent nommés les émigrants issus de la montagne. Accrochée à son mas rural depuis des années, la famille paysanne produisait son blé, ses légumes, son vin, ramassait les châtaignes et gardait ses chèvres et ses moutons. Le travail à la mine va se présenter comme une diversification d'activités, les protéger contre l'insécurité et les aléas de l'exploitation agricole, élargir l'horizon économique. L'activité minière est séduisante dans la mesure o— elle apporte un salaire et des ressources complémentaires à celles du labeur rural; cependant, les paysans resteront autant que possible liés à la terre. Les motifs sont divers, mais il suffit de rappeler le choc que l'environnement et les conditions de travail à la mine provoquent, surtout dans le sous-sol, qui apparaît comme opposé au monde habituel du travail agricole (le champ, la montagne, le grand air), ainsi que le difficile changement vers le mode de résidence et de réseau social de la société industrielle, qui signifie éloignement du code social et culturel propre à la société paysanne. Ceci justifie la lenteur du processus de déruralisation et de déracinement de ces paysans. Si, dans les premières décennies de son existence, la Compagnie peut compter sur une main-d'oeuvre autochtone qui s'installe dans la nouvelle ville, elle devra cependant accepter, toujours en essayant de les convertir, ces travailleurs saisonniers et temporaires: les "paysans-mineurs"(28). Dans ce milieu géographique montagneux, la population se trouvait assez éparse. Il en est de même pour la disposition spatiale des puits, dispersés eux aussi sur le territoire de la Compagnie, tantôt rapprochés, tantôt éloignés des lieux d'habitation, conséquence du relief très accidenté de la région. Les paysans-mineurs habitant à 4 ou 5 Km des points d'extraction mèneront une vie de va-et-vient quotidien entre leur domicile (en général un petit mas) et la mine. Ils feront le trajet à pied et, vu le temps passé à la mine à l'époque (10 à 12 heures), resteront de 14 à 15 heures absents de chez eux: "Ils partaient le matin à 4 ou 5 heures en sabots, cabas sur le dos, canne et lampe à la main vers les nombreuses entrées de galeries qui s'ouvraient dans la montagne et par lesquelles on extrayait le charbon. C'était l'époque o— les mines n'étaient pas encore très profondes et o— l'on exploitait le charbon à partir des affleurements".(29) Pour de nombreux travailleurs recrutés, le déplacement journalier était impossible. Ils s'installeront à La Grand-Combe, avec leurs familles ou seuls, quittant l'habitat rural pour des casernes proches des chantiers. Ceux qui arrivent seuls sont de jeunes célibataires (surtout des cadets de familles paysannes(30)), ou des hommes mariés dont la famille est restée sur le lopin de terre (surtout dans les premiers temps). Ces paysans-mineurs retourneront à la terre pendant les saisons où les travaux agricoles exigent leur présence. Les mineurs retraités interviewés soulignent cette infinie mobilité entre le monde rural et celui de la mine: "Parce qu'à la population de La Grand-Combe, il y a eu des mutations, tu vois? Au départ, c'étaient des paysans qui venaient de Lozère ou d'Ardèche, tu sais! Ils venaient travailler à la mine pendant 2 mois ou 6 mois, et après ils remontaient travailler à la terre. Et après, il y a eu ceux qui ont fait venir les leurs, tu vois? Et il y a ceux qui se sont mariés et sont restés ici, tu vois?...". (M. Delacroix, mineur retraité). Malgré les possibilités de se stabiliser dans la nouvelle ville d'accueil, ce qui d'ailleurs motive la migration familiale ou alors le mariage des célibataires à La Grand-Combe, la migration saisonnière reste une habitude pour certains de ces paysans devenus mineurs qui se déplaçaient à périodes fixes, travaillant à la mine entre la mi-octobre et la mi-novembre, et retournant à la terre vers la fin mars ou en avril, quoique des déplacements moins réguliers et sans correspondance avec le calendrier agricole aient été aussi constatés.(31) Lamorisse rapporte plusieurs exemples de mineurs-paysans, comme celui de cet ardéchois travaillant aux Mines de La Grand-Combe en 1876. A la fin de cette année-là, le paysan en question remonte à la terre comme domestique dans une ferme près de son village natal. Il retourne à La GrandCombe, o— il est réembauché par la Compagnie, mais part de nouveau travailler dans une ferme à La Levade. Puis il se retrouve à La Grand-Combe en 1898 comme chef manoeuvre, et ce n'est qu'en 1914, certainement à cause de la guerre, qu'il sera promu à la dignité de mineur: "Il passera ainsi sa vie active entre le charbon, l'agriculture et les chantiers de travaux publics"(32). L'attachement au sol par la sériciculture, l'absentéisme saisonnier et la difficile et lente adaptation au travail dans des galeries de plus en plus longues et profondes, entravent les intérêts de la Compagnie, d'autant que la demande de charbon devenait supérieure à la production à cause du manque de personnel. La main-d'oeuvre locale était donc insuffisante pour les objectifs d'expansion de la direction de la Compagnie. En effet, il a fallu attendre bien plus tard (lors de la crise de la sériciculture qui a débuté en 1860 et qui s'est accentuée en 1880) pour que la reconversion des paysans cévenols au statut de mineurs devienne significative et que la Compagnie puisse compter sur cette main-d'oeuvre de manière plus systématique(33). La Compagnie envisage alors de former une main-d'oeuvre plus qualifiée, plus fixe, plus urbanisée; c'est pourquoi elle fait bientôt appel - entre 1840 et 1847 - à des "étrangers"(34), c'est-à-dire des mineurs professionnels venus de régions plus éloignées ou de pays voisins. Les premiers mineurs étrangers sont recherchés dans les pays "où l'exploitation de la houille est la mieux entendue(35)". En 1840 arrivent les mineurs italiens venus du Piémont, considérés comme "des ouvriers habiles"(36). Les mineurs migrants venus de Forez, dans la Loire (Département), étaient aussi considérés comme qualifiés. Les mineurs originaires des mines de Saône-et-Loire (Département) s'étaient surtout installés à Champclauson entre 1842 et 1843. En 1846, la Compagnie fait appel aux mineurs de la M–re en Isère (Département), de Bourgogne (ancienne province de France), des grenoblois du Dauphiné (ancienne province de France) et encore à ceux de la Haute-Loire et du Rhône (Départements). Et, en 1847, arrive une vague de belges, qualifiés professionnellement surtout pour le travail au fond de la mine, et originaires de régions de tradition minière(37). L'événement politique des années 1848 provoque une diminution des effectifs étrangers.(38) En effet, après les années de pionniers de la Compagnie et de la ville, l'immigration(39) se stabilise et même s'affaiblit.(40) Grâce aux excédents de naissance dans la ville dans ces premières décennies - ce que nous expliquerons plus loin - les effectifs de la Compagnie à partir des années 1880-90 seront d'avantage natifs de La Grand-Combe ou issus du voisinage.(41) B) ENRACINER LES DERACINES.(42) Qu'est-ce qui sous-tend ces départs? Qu'est-ce qui pousse les gens à quitter leur milieu et leur entourage pour une nouvelle ville? Qu'est-ce qui les attire au point d'accepter non seulement cette mobilité, mais aussi un nouveau mode de vie et des mentalités nouvelles? Pourquoi les nouveaux arrivants acceptent-ils de composer une main-d'oeuvre qui réponde aux appels d'un métier si dur? La réponse est complexe, mais nous pouvons en déceler des indices dans l'ensemble des moyens entrepris par la Compagnie pour stimuler l'enracinement à La Grand-Combe: le développement d'une communauté industrielle, la création d'une ville minière basé sur un pouvoir paternaliste et une attitude d'assistance. Le patronat (représenté localement par le Directeur des Mines) assure son emprise paternaliste en adoptant une certaine attitude politique et idéologique, une "stratégie de pouvoir"(43) face à la population laborieuse et face à la ville: c'est principalement sa mainmise sus le pouvoir politique local qui permet à la Compagnie d'assurer le contrôle des activités collectives (la ville politique). L'enjeu politique et la stratégie industrielle s'appuient tout d'abord sur la construction d'une ville ouvrière et cela signifie l'attribution d'un logement. Associé au travail s–r de salarié, le logis apparaît comme un avantage suffisamment efficace pour expliquer l'effet créé dans l'imaginaire de ces paysans confrontés aux difficultés du travail agricole, ou de ces ouvriers confrontés aux dures conditions de travail et de vie qu'impose le développement industriel à ses débuts. Nous connaissons les méfaits subis par la population ouvrière au XIXe siècle: fragilité des gains, irrégularité du travail, promiscuité, absence d'hygiène, sous-alimentation, énorme mortalité infantile, etc... Le duo "travail-toit" est, sans doute, un instrument de séduction important dans un programme de recrutement de main-d'oeuvre. Mais cela ne suffit pas à fixer les travailleurs: il faut aussi les adapter à un nouveau mode de vie, en stimulant l'adéquation à un "habitus"(44) conforme aux exigences du capital par la transformation de la force productive en une sociabilité ouvrière de la population. Cette politique publicitaire, visant à fixer la main-d'oeuvre et basée sur des avantages tels que l'habitation, correspond plus à une tactique de stabilisation - d'enracinement - qu'à une stratégie d'immobilisation des ouvriers. Dans l'ensemble de la vie locale de La Grand-Combe, la Compagnie voulait que le travail f–t l'élément dominant dans la culture ouvrière. Pour cela, la Compagnie développe une politique "d'ordre moral" définition qu'elle donne à plusieurs reprises dans les rapports administratifs qu'elle considère comme le pilier de son système d'organisation productive et sociale en harmonie avec les rapports sociaux dominants dans la ville minière. L'enjeu était la construction d'un quotidien équilibré fondé sur une vie de famille, institution sociale considérée comme base de stabilisation et de consolidation des effectifs et de la collectivité. Elle s'appuie sur les réseaux familiaux et sur des groupes de parenté pour composer et recomposer la main-d'oeuvre, ce qui va motiver une organisation sociale locale fortement structurée autour de cette institution qu'est la famille dans la nouvelle ville, apte à recevoir cette communauté travailleuse. A l'exemple d'autres villes ouvrières, La Grand-Combe "fait globalement figure de médiation dans la reproduction/réorganisation élargie de la force de travail"(45). Les arguments de propagande se réfèrent à la famille attachée au foyer, en tant qu'institution morale qui serait soutenue et garantie par la Compagnie en ce qui concerne sa sécurité matérielle (travail, habitation, besoins de première nécessité, etc.) et en ce qui concerne aussi l'assistance spirituelle, morale et physique (église, école, hôpital, etc.). "(...) ce qui nous préoccupe surtout, c'est l'amélioration du sort de l'ouvrier pour tout ce qui dépend de nous. C'est en effet en rendant attrayant pour lui la colonie de La Grand-Combe, c'est en lui assurant la vie à bon marché, l'éducation et l'emploi de ses enfants, l'assistance morale et matérielle, une administration équitable et paternelle que nous parviendrons à attirer et à conserver les bons ouvriers, c'est-à-dire les ouvriers laborieux, rangés, pères de famille".(46) A partir des premiers arrivants, c'est tout un réseau de parenté qui est poussé à rejoindre le frère, le mari, l'oncle, le cousin, l'ami, etc., déjà employé à la mine. Si la Compagnie, au début, mobilise de préférence des familles entières, les arrivants célibataires seront pourtant nombreux. Par la suite, elle stimulera le travailleur recruté à fonder une famille sur place, là o— il trouvera une série de dispositions (sociales, économiques, culturelles) lui permettant de construire un projet familial en référence à la mine et à l'entreprise. Pour parler à la manière de Bourdieu, la famille du mineur véhicule des valeurs et un style de vie "convenables" avec le "ton pédagogique" de la Compagnie, en tant que "capital familial" à transmettre aux descendants de la communauté de travail. Pour la majorité, d'origine paysanne, cela signifie d'abord l'éloignement des membres de la famille élargie, qui est restée dans le mas cévenol, la maison rurale ou dans le village natal, et ensuite l'insertion dans une nouvelle réalité de vie en famille - plus restreinte - dans des maisons qui répondent au nouveau système d'habitation: les maisons ouvrières. Ainsi, beaucoup de paysans devenus mineurs connaîtront le passage du mode de vie à l'ancienne, en famille élargie(47), à une vie de ménage nucléaire(48). En revanche, le couple est encouragé par la Compagnie à former une famille nombreuse, ce qui n'empêche pas les familles d'un même groupe de parenté de se retrouver dans une même agglomération de maisons ouvrières et d'appartenir à un même réseau de voisinage. Les rapports sociaux qui auraient d– normalement prédominer dans l'espace familial, au sens large du terme, prennent en fait des formes intimement liées au système hiérarchique inscrit dans une politique d'encadrement paternaliste. La hiérarchie de l'entreprise, quant à elle, devait être reconnue comme une hiérarchie de famille. Le père de la grande famille grand-combienne était le patronat de la Compagnie(49): "Les conditions de rapport avec les ouvriers (...) comportent (...) tout cet ensemble de mesures tutélaires et de procédés en quelque sorte paternels qui constituent notre population ouvrière à l'état d'une grande famille dont notre administration est le chef".(50) Le paternalisme de la Compagnie à l'endroit des ouvriers n'implique pas l'usage de contraintes physiques ou de forces répressives violentes, comme c'est le cas du système esclavagiste, mais l'obtention d'un consensus de construction de la communauté de travail grand-combienne en une famille, avec un père autoritaire et protectionniste qui a la légitimité du pouvoir. L'option prise par le patronat est basée sur un discours et une action persuasifs. "C'est au travail et en dehors du travail, en côtoyant les ouvriers, que l'on se fait apprécier des ouvriers, que l'on ne leur apparaît plus comme un étranger, que l'on devient un familier. Ainsi, de l'ingénieur au maître mineur, chaque échelon hiérarchique du personnel d'encadrement doit certes exercer fermement son autorité, mais comme un père dans sa famille, c'est-à-dire une autorité acceptée, reconnue, légitimée et surtout re‡ue sans hostilité, à la fois comme une nécessité et un bienfait" (...) "Une famille, c'est une solidarité d'intérêts, un réseau de relations humaines fraternelles, un certain nombre de règles sociales émises par le père, qui détient l'autorité légitime, et acceptées par les enfants pour le bien commun. C'est ce père que veut être le patron aux yeux de ses ouvriers qui seraient ses enfants, c'est cette famille que veut être l'entreprise pour son personnel, tous échelons hiérarchiques compris".(51) Toutefois l'ouvrier, en arrivant à La Grand-Combe, signait un contrat qui l'insérait dans un rapport inégal de "don et contre-don", par lequel la Compagnie offrait des avantages de sécurité matérielle et morale contre son engagement dans la communauté de travail et son acceptation d'une vie réglée sur des devoirs et obligations résultant de son rôle de travailleur, d'élément familial et de citoyen. Cette stratégie de "normalisation" de la Compagnie explique que les espaces de résidence de la ville minière aient cristallisé une forme d'organisation familiale et un modèle de réseau social fondés sur les relations de travail. Le patronat de la Compagnie des Mines de La Grand-Combe orchestrera l'organisation de la vie quotidienne, en structurant non seulement l'espace et le temps familial, mais aussi les formes de reproduction de la famille ouvrière. Face à la nécessité d'accroître le nombre d'ouvriers, c'est sur ses propres ressources humaines que la Compagnie espère compter: "par l'accroissement naturel de notre population ouvrière elle-même"... "(...) Le but une fois atteint, le nombre de nos ouvriers augmentera de lui-même sans nouveaux sacrifices de notre part."(52) Pour éviter les problèmes de recrutement futur, la Compagnie entreprend de promouvoir la reproduction de la main-d'oeuvre initiale. Son objectif était de stimuler l'auto-reproduction de sa force de travail afin de mettre en place une hérédité professionnelle, c'est-à-dire d'assurer la reproduction endogène de la population en vue d'un apport exclusif de personnel, ceci en amenant les familles ouvrières à observer une disposition résolument prolifique. Le ménage conjugal - une structure nucléarisée (père, mère, enfants) est idéalisé, et des allocations encouragent matériellement le développement des familles nombreuses. Une méthode "efficace pour augmenter le taux de natalité"(53). Cette incitation au mariage et à la procréation a effectivement abouti aux résultats attendus, puisque jusqu'à la fin du siècle dernier la population de La Grand-Combe n'a cessé de croître, atteignant 11.341 habitants en 1886 et 13.358 en 1896, grâce non seulement à l'immigration mais aussi à un taux croissant de natalité(54). Depuis le début l'attribution de hauts salaires comme élément d'attraction pour les travailleurs est refusée par le conseil d'administration. "(...) nous croyons qu'un travail assuré d'une manière permanente, un salaire équitablement et paternellement réglé, les denrées de première nécessité livrées dans les meilleures conditions de prix et de qualité, enfin tous les secours, d'ordre spirituel comme d'ordre matériel, assurés à nos hommes et à leur famille par notre Eglise, nos écoles, notre système hospitalier, sont préférables pour l'ouvrier aux salaires excessifs".(55) Pour réaliser cet objectif, la Compagnie met en place un ensemble d'institutions sociales destinées à assister son personnel. Si la liste des actions sociales est longue, ce n'est pas l'individu qu'elle concerne, mais le mineur-père de famille et les siens. Celui-ci doit donc aimer son travail, sa maison, sa famille; en d'autres termes, être un mineur et un bon père de famille qui entretient des relations conviviales avec les siens, ses collègues, amis, voisins et chefs. De l'habitation à l'achat des produits de base à des prix réduits, tout est promis: "Pour tout ce qui concerne l'existence de l'ouvrier, son logement, sa nourriture, les secours à leur administrer en cas d'accidents ou de maladie, il reste peu à faire (...). Bien convaincus que c'est sur le bien-être et l'amélioration de la condition de l'ouvrier que doit être établie la prospérité de l'entreprise, nous ne négligerons rien pour améliorer, en tout ce qui dépendra de nous, l'existence de la population qui exploite nos mines".(56) Ce n'est donc pas seulement dans la sphère du travail que la Compagnie développe son action hégémonique: elle prend également les commandes dans les différents domaines de la vie quotidienne - la vie familiale et toutes les institutions sociales qui s'y réfèrent, c'est-à-dire l'église, l'école, les loisirs, l'alimentation, l'assistance, etc. De plus, la Compagnie offre des avantages encore inconnus des ouvriers de l'époque, ceci pour éviter la répulsion à l'égard du travail à la mine et le comportement saisonnier des ouvriers. "Ces paysans, venus du froid s'accommodaient de cette frugalité" (il se réfère ici aux modestes habitudes alimentaires des ouvriers), "appréciant les avantages en nature de logement et de chauffage, la Sécurité Sociale obligatoire, et la modeste retraite qui permettait de vivre chichement."(57) De cette manière, le personnel avait la garantie d'être assuré en cas de maladie, de blessure ou de retraite, et d'être assisté spirituellement par les services religieux proposés par la Compagnie. C) LES PILIERS DU POUVOIR PATERNALISTE C.1. Le pouvoir municipal et législatif de la ville. A La Grand-Combe, ce que la Compagnie décide pour elle-même est aussitôt confirmé par le pouvoir municipal. La vie politique locale se confond avec l'administration de la Compagnie(58). La Compagnie assumera dès le début les pouvoirs exécutif et législatif de la ville et de la région. Le Directeur de la Compagnie, ou l'ingénieur-chef, est le maire et conseiller général de la région; les ingénieurs sont les adjoints. En fait, les dirigeants de la Compagnie garderont en main le pouvoir politique de la ville pendant plus 75 ans. "Depuis la création de la commune et jusqu'en 1922, le maire de la ville, soit directement, soit par adjoint interposé était le Directeur de la Compagnie des Mines".(59) Ce lien entre Compagnie et pouvoir municipal explique aussi l'existence d'une influence coercitive sur l'électorat. Etant donné que le "patron" de la Compagnie est aussi le maire, le contrôle et la pression exercés sur les électeurs étaient très nets. Les ouvriers devaient voter pour les candidats présentés par le patronat, le châtiment pour un vote contraire pouvant aller jusqu'au licenciement.(60) Pendant longtemps cette étroite relation entre la Compagnie et la ville se prolongera. Encore pour les années 1920, l'ingénieur Flechon observa: "Après tout c'est la Compagnie, fondatrice de la commune, qui subvenait dans une très large mesure à ses besoins; assurant, par deux filiales, l'alimentation en eau potable puisée au Gardon, et l'électricité produite par sa centrale thermique, usages domestiques et industriels étant étroitement mêlés".(61) Mais les années 20/30 sont aussi celles dans lesquelles la Compagnie connaît les premiers grands contrecoups à "l'écrasante omniprésence" dans tous les domaines de la vie quotidienne de la ville. Et c'est dans l'espace de la ville, cet espace qu'elle-même avait engendré, que les forces d'opposition arrivent à franchir le seuil de son pouvoir jusqu'alors intouchable, provoquant les premières fortes coupures dans cette longue durée du temps de la Compagnie. En 1925, la Mairie connaîtra le premier Maire socialiste. A cette époque, d'ailleurs, la Mairie est finalement installée dans des locaux indépendants de l'usine(_). La Grand-Combe est le théâtre de profondes mutations politiques mais ces changements n'apportent pas une rupture du temps collectif pensé comme étant "au temps de la Compagnie" qui enveloppe encore ces discontinuités du temps vécu exprimé. D'abord ce n'est que sous le Front Populaire que de nouveaux rapports de forces politiques de gauche se stabiliseront et, deuxièmement, ce n'est que après la Deuxième Guerre que la structure industrielle et sociale de la Compagnie est mise en échec et restructuré à partir d'une nouvelle stratégie industrielle. Mais se sont là d'autres temps, celui de la nationalisation de mines que nous développons dans la partie III. C.2. L'Eglise. Les efforts de la Compagnie pour bâtir aussitôt un lieu de culte pour les catholiques ne sont pas négligeables(_). Le 4 octobre 1857, la première pierre est posée. A cette occasion, les ouvriers, à qui on avait accordé une demijournée de congé, ont rendu hommage à Léon Talabot, représentant le Conseil d'Administration de la Compagnie et l'un des fondateurs de la Compagnie, qui était présent à la solennité. La cérémonie, qui se déroule en présence d'autres autorités, Monseigneur Plantier, évêque de Nîmes, et de M. Lazare Luce, l'administrateur, est fortement marquée par le discours de M. Talabot: "Ouvriers Mineurs de La Grand-Combe, Je vous remercie des sentiments que vous venez d'exprimer; j'en rendrai témoignage au Conseil, qui partagera mes impressions. Je lui dirai ce que j'ai vu ici, ce que je vois en ce moment. Les temps et les lieux ont bien changé depuis qu'il y a plus de vingt ans, je suis venu ici pour la première fois. J'y venais avec mes collègues, avec mes frères, avec mon frère Paulin, surtout, auquel vous venez de rendre un si juste hommage, le principal auteur de notre grande entreprise. Nous venions pour fonder la société de La Grand-Combe. La tentative était hardie, la tâche laborieuse et difficile. Mais Dieu a béni nos efforts, comme il bénit toujours le travail, la persévérance, et le dévouement sans bornes à une oeuvre éminemment morale et utile comme celle-ci. A travers bien des vicissitudes, nous avons réussi et les mines de La Grand-Combe comptent aujourd'hui parmi les grandes exploitations charbonnières. Nous venons en remercier Dieu; nous venons, en posant cette première pierre, fonder une Eglise o— vous viendrez à votre tour remercier Dieu de ses bienfaits et lui demander des consolations aux jours d'épreuve. Les jours d'épreuve, nous aussi nous les avons connus, et si nous sommes enfin arrivés au port, nous n'y sommes pas tous parvenus. Un bon nombre dans tous nos rangs, le plus grand nombre, est resté sur la route. Qu'il me soit permis de prier votre vénérable pasteur de conserver à la mémoire de ceux qui ont succombé au service de La Grand'Combe les premières prières qu'il adressera à Dieu, dans cette Eglise que la société a voulu vous donner pour satisfaire et encourager les sentiments religieux qui vous animent. C'est que nous savons que de tous les travailleurs, les mineurs sont les plus religieux, comme ils sont les plus exposés et les plus braves. De même, que parmi les mineurs, les charbonniers sont au premier rang, les plus religieux, les plus dévoués, les plus intrépides, parce qu'ils ont, plus que tous les autres, de grands dangers à courir. Entre tous ces dangers, braves mineurs, mes amis, mes enfants, ce n'est pas le courage que nous avons besoin de vous recommander, vous n'en manquez jamais; ce que nous vous recommandons, c'est la prudence, c'est une soumission docile aux excellents conseils que vous recevez, et l'imitation des bons exemples qui ne vous manquent jamais. Soyez donc prudents et confiants en Dieu et venez souvent dans ce temple que vous lui élevez avec nous, venez lui rendre des actions de grâce et lui demander sa protection divine et son assistance." Léon TALABOT (64) Cette cérémonie sera le prologue à la construction d'une église à architecture imposante d'un maître d'oeuvre parisien, M. Chabrol. En 1864, en présence de M. Luce et de M. Beau, alors directeur général(65), l'église de Notre-Dame de La Grand'Combe est inaugurée. M. Beau fit aussi un long discours, à la fin duquel il déclara: "(...) c'est dans une large mesure de ses forces que l'Administration de La Grand'Combe a élevé un monument qui ne f–t pas indigne de la grandeur de sa destination, mais comme la meilleure part de ses succès est due au concours de son personnel si remarquable et de son excellente population d'ouvriers, il était juste que le premier et le plus important des édifices publics créé dans la commune témoignât hautement de notre gratitude et de notre bienveillance (...)".(66) L'évêque de Nîmes, M. Plantier, sanctifie alors la Compagnie et la nouvelle Eglise inaugurée, geste qu'il joint aux paroles suivantes: "cette église est le témoignage éclatant d'une magnificence dont, nous ne craignons pas de le dire, aucune compagnie industrielle n'a fait encore preuve sur une aussi grande échelle". La construction d'une grande église au centre de la ville manifeste tout à fait cette volonté d'illustrer, à travers ce monument, les valeurs dominantes susceptibles de rassembler les hommes. C'est dans la même logique que dans les hameaux, les chapelles sont remplacées par des églises, plus modestes que celle de La Grand-Combe, mais toujours inaugurées en grande pompe, à Champclauson en 1852, à La Levade en 1879 et plus tard à Trescol, en 1932. Chaque cérémonie religieuse mettait en exergue la hiérarchie du monde de la mine. Le directeur et les ingénieurs occupaient des places privilégiées, créant à chaque office un espace discriminatoire afin de mettre en relief la distance sociale qui les séparait de leurs ouvriers. A chaque messe, le sermon du prêtre confirmait la légitimité des structures d'encadrement imposées par la Compagnie, l'idéologie(67) de l'ordre et de la discipline qui allait de pair avec l'action cléricale. Ce "rituel de pouvoir" perdure pendant toute l'existence de "la Compagnie". "Ils étaient beaucoup d'ingénieurs comme ‡a, favorisés quoi, par rapport à nous. Ils allaient à la messe, tous les ingénieurs de mine, tout ‡a, ils allaient à la messe, avant c'était comme ‡a, et ils marquaient si vous y étiez, là, vous voyez? Les ingénieurs ils allaient à la messe toutes les dimanches et ils nous marquaient, hé!". (M. Delan. Mineur retraité). L'importance de l'église dans le mode de vie des ouvriers peut être mesurée par le rôle que le clergé joue au sein de la communauté de travail en remplissant la fonction de contrôle social. La Compagnie attribue à l'Eglise le rôle d'organisateur disciplinaire par excellence. Le clergé devient le surveillant privilégié des "règles de la grande famille" définies par la Compagnie. C'est dans ce sens que les responsables des services religieux développent un "regard inquisiteur" sur la conduite de la population. Toute sorte de marginalité populaire est déconseillée et réprimée (rixes, alcoolisme, concubinage, liaisons illégitimes), tandis que les valeurs morales fortement ancrées dans la vie religieuse sont, quant à elles, mises en valeur. Garant de l'ordre moral, le clergé est "bien informé" sur la valeur et le comportement de chaque famille. De plus, le clergé joue auprès de la Compagnie un rôle considérable dans le processus de recrutement des travailleurs autochtones.(68) Ainsi, à l'opposé des méthodes utilisées pour recruter la main-d'oeuvre à l'étranger, o— une "commission d'embauche" est envoyée, la Compagnie compte sur le clergé pour sélectionner les travailleurs "du pays". Celui-ci, en liaison avec les paroisses voisines de Lozère et d'Ardèche, fait déjà un premier tri du personnel à intégrer dans les chantiers et dans la communauté. Les migrants quotidiens (paysans-mineurs) ou les mineurs qui souhaitent l'embauche de quelqu'un de leur entourage recourent d'abord à la médiation du clergé pour obtenir le poste convoité. Ceci confère un pouvoir significatif au clergé, qui voit son champ d'action non plus restreint à l'univers religieux, à travers l'église et l'assistance des âmes, mais élargi à d'autres domaines. C'est le cas notamment du domaine éducatif - nous le verrons plus loin - o— l'action pédagogique du clergé consiste, à travers les écoles, à inciter les gens à suivre un comportement social idéalisé par la Compagnie. Les travailleurs protestants ne sont pas laissés à la traîne: ils bénéficient eux aussi des secours religieux. En réponse aux engagements pris auprès du Préfet du Gard, la Compagnie construit le temple et de même que pour les catholiques, elle soutenait matériellement les édifices et leurs desservants(69) puisque tout comme chez les prêtres catholiques, le pasteur est logé et payé par la Compagnie(70). Néanmoins, leur lieu de culte, pour la paroisse de La Grand-Combe (dépendante du consistoire d'Alais), est construit dans une ville satellite: Trescol. Le temple protestant est inauguré en 1868. Le témoignage d'un historien local suggère une intention spéciale dans le choix de son site: "Il n'est pas sans sous-entendu, le fait que le Temple soit tout à fait horsville de La Grand-Combe. Vous comprenez? Alors, bien s–r, on préfère un bon protestant qu'un socialiste en 1880, cela va de soi, encore que, dans la région, ‡a soit presque synonyme".(M. Wiénin). D'ailleurs, les paysans cévenols protestants rechignent à s'engager auprès de la Compagnie, comme le signale Lamorisse: "Lorsque la Compagnie installe l'infrastructure sociale, elle ne manque pas de construire un temple pour le culte réformé; de même, les écoles (...) sont de l'une et de l'autre confession (...). Ce libéralisme, ce respect affiché des convictions ne peuvent empêcher que le Cévenol, non seulement protestant, mais aussi républicain de coeur, se sente mal à l'aise dans un milieu très réactionnaire".(71) Ainsi, c'est l'église catholique qui jouera le rôle d'alliée favorite dans la mission de construction d'un sens commun autour de la politique paternaliste de la Compagnie. A travers la religion, le patronat cherche à inspirer un comportement d'harmonie entre la direction et son personnel. C.3. L'école. A l'instar des lieux de culte, et toujours dans un but de "moralisation" de la masse laborieuse, la Compagnie construit des écoles, choisissant, payant et logeant elle-même les enseignants. Cette institution répond aussi aux intérêts de la Compagnie, à savoir la formation à long terme de la main-d'oeuvre. La politique paternaliste s'étend donc au domaine éducationnel à travers la construction d'écoles et la formation scolaire. Non seulement les enfants étaient assurés de recevoir une éducation scolaire, mais, en sortant de l'école à 12 ou 13 ans, ils avaient la garantie d'un emploi dans la mine. Dès 1842, une école la‹que sise à La Grand-Combe (dans le quartier de l'Airolle) re‡oit des enfants; elle est subventionnée par la Compagnie.(72) Pour répondre à ses intérêts immédiats, celle-ci souhaite en fait y établir, le plus vite possible, l'enseignement chrétien. Parce qu'elle se révèle insuffisante, la Compagnie construit en 1846 deux nouvelles écoles, mais encore la‹ques, à Champclauson et à Trescol (une pour les filles, une pour les garçons). Toujours afin de servir ses propres intérêts par l'enseignement chrétien, elle fait venir les religieux en 1849, installant et aménageant une école dans une maison particulière louée par ses soins. C'est dans le quartier de la Verrerie, à la Grand-Combe, que cette première école chrétienne est construite. Le développement des écoles sera fonction de l'augmentation des effectifs. Les établissements devenant bientôt inaptes à recevoir tous les enfants, elle va entreprendre la construction de plusieurs écoles sur tout son territoire. Celles-ci concernent évidement à l'enseignement chrétien alors que les écoles la‹ques seront supprimé au moins jusqu'aux années 1880. En 1854, une école de Frères est ouverte à Champclauson et, en 1856, Trescol voit s'en installer une deuxième dans une maison particulière louée par la Compagnie. En 1866, c'est au centre de la ville, sur la place de Bouzac, que la Compagnie construit une grande école, toujours sous la direction des Frères de doctrine chrétienne (d'o— la désignation "aux Frères", par les grandcombiens). En 1879, une autre école est construite à Trescol (sur le chemin de Trescol à Champclauson, 25O élèves et 4 enseignants). L'école de Champclauson (160 élèves et 4 enseignants) est agrandie en 1876. Dans le même esprit, la Compagnie signe en 1854 une convention avec la Supérieure Générale des Soeurs de Saint-Vincent-de-Paul à Paris. En 1855, dix Soeurs arrivent et s'installent à Champclauson et à La Grand-Combe, o— elles vont assurer non seulement l'enseignement des filles, mais aussi des services dans les asiles et hôpitaux, suivant même les malades convalescents à domicile. Le nombre de soeurs augmentera progressivement au fur et à mesure de l'accroissement des besoins.(73) Un vaste établissement scolaire dont la construction commence, en mars 1861, à La Grand'Combe sur la place Bouzac, est remis entre les mains des Soeurs en 1863. Elles prendront également sous leur responsabilité les écoles de Champclauson et l'école de filles à La Grand-Combe (casernes Larrieu dans le quartier de la Verrerie), qui accueillent au total 320 élèves. A Champclauson, durant les premières années, l'école est provisoirement aménagée dans les casernes, jusqu'à ce qu'elle soit reconstruite sur une aire plus vaste, en 1877. D'autres écoles et asiles leur sont confiés: en 1878, à La Levade. Pour l'occasion de son centenaire, le livre d'Or de la Compagnie présente un bilan: "Aujourd'hui la population a de vastes écoles dirigées par les soeurs de Saint-Vincent-de-Paul au nombre de 6 écoles et des asiles à La Grand-Combe, Champclauson et La Levade, aux frais de la Compagnie, o— les filles jusqu'à 13 ans et plus, et les enfants à partir de 3 ans leur sont confiés dans de vastes salles d'Ecole et asiles ayant des préaux couverts, à l'abri de la pluie et du soleil".(74) D'autres écoles sont construites sur la demande des pères de famille (dont la plupart étaient propriétaires ruraux et ouvriers du chantier), habitants du Pradel et du Laffénadou, quartiers éloignés des agglomérations ouvrières. En 1873, au Pradel, ce sont respectivement une école de Frères et une autre, conduite par des Soeurs de la confrérie de Saint-Joseph-de-Ruoms qui voient le jour, pouvant recevoir un total de 80 gar‡ons et 100 filles. En ce qui concerne les enfants protestants, eux aussi sont assistés. Deux premières écoles sont bâties à Trescol en 1852 (loyer payé par la Compagnie), l'une pour les garçons et l'autre pour les filles, toutes deux dirigées par des instituteurs protestants payés et logés par la Compagnie. Malgré les travaux d'agrandissement entrepris en 1868 et destinés à recevoir 22O élèves, elle se retrouvent vite surchargées. La Compagnie fait construire alors une autre école protestante dans le quartier de la Frugère à La GrandCombe (qui sera ouverte en 1876), mixte cette fois, avec des logements pour les instituteurs et pouvant recevoir 100 élèves.(75) L'école de la Frugère et le groupe de Trescol restent à la charge de la Compagnie jusqu'au 1e juillet 1884, époque à laquelle l'Administration de l'Instruction Publique du Gard les prit à sa charge. La Compagnie fournira, néanmoins, le logement, chauffage et indemnité de résidence aux instituteurs et institutrices de ces écoles. Grâce à la loi de 1881-82 (IIIe République(76)), d'autres écoles laïques (obligatoires et gratuites) sont bâties à La Grand-Combe. En 1891, la Compagnie en fait construire deux dans le quartier de l'Arboux (une de gar‡ons, une de filles) avec une capacité totale de 3OO élèves. De la même manière que pour les enseignants religieux, la Compagnie fournissait le chauffage, le logement (ou indemnisait la dépense de résidence) et subventionnait l'école. Evidemment, c'est elle aussi qui nommait les instituteurs et institutrices et qui surveillait le contenu de l'enseignement. Elle réglait en outre les principes de discipline.(77) En résumé, nous avons vers 1879 16 instituteurs et 484 élèves à La Grand'Combe; 4 Frères et 254 élèves à Trescol; 4 Frères et 151 élèves à Champclauson; 4 instituteurs pour 79 élèves à Pradel.(78) La répartition des enfants dans les différentes écoles obéit à des critères divers tels que l'appartenance religieuse de la famille et le sexe. Les écoles catholiques ont toujours eu une position privilégiée aux yeux de la Compagnie. Les enfants protestants, très tôt, ont pu cependant suivre l'enseignement de leur foi, tandis que les parents dissidents ont dû attendre le retour de l'enseignement public sur scène pour pouvoir envoyer leurs enfants dans des écoles laïques. En ce qui concerne la localisation des écoles, la Compagnie s'efforce de les construire proches des importants noyaux de concentration de population. Chaque fois que cela sera possible, la séparation des sexes sera envisagée: école pour les garçons, école pour les filles. En 1899, la Compagnie assure l'instruction primaire de 1.257 garçons et de 1.058 filles. Avec les salles d'asile (927 enfants), où le service, là aussi, est gratuit, elle assure la "moralisation" de 3.242 enfants(79). Et la gratuité scolaire est étendue à tous les enfants de la commune: "Moyennant une subvention payée par la commune à la Compagnie des Mines, les enfants des habitants de la commune étrangers aux chantiers et ateliers seront admis gratuitement dans les écoles et asiles de la Compagnie".(80) Cette oeuvre sociale à but pédagogique atteint alors huit écoles.(81) Elle fait également construire un orphelinat, et encore cinq garderies et salles d'asile. Elle crée aussi une école ménagère et met sur pied un dispensaire antituberculeux modèle. De plus elle entretiendra une propriété de 400 hectares en montagne (Lozère) servant de colonie de vacances pour les enfants.(82) Ainsi que pour la nouvelle forme d'habitat proposée, l'apprentissage d'une nouvelle quotidienneté se fera davantage à travers l'école. Celle-ci sera fondamentale dans le processus de construction d'un mode de vie plus urbain et d'un mode d'organisation du travail industriel. Ceci nous rapproche de l'analyse faite par Frey à propos de la ville du Creusot: "(...) l'institution scolaire élargit, d'une certaine fa‡on, la marge de manoeuvre du patronat dans la mesure o—, au-delà des aspects techniques et quantifiables du contrôle, de la programmation et de la planification à long terme de la formation et du recrutement de la main-d'oeuvre, elle assoit plus globalement l'idéologie patronale dominante sur l'ensemble de la population".(83) L'école constituait ainsi un autre domaine d'assistance "morale" apportée par la Compagnie à ses ouvriers. L'enfant était envoyé à l'école à temps plein: il y restait jusqu'à l'âge de douze ou treize ans et devait en principe arriver à obtenir son diplôme de formation primaire. La vie propre des écoles est mise au point par la Compagnie: le contenu des disciplines, les règles internes, l'ensemble du programme scolaire visant à enseigner l'ordre et la discipline physique et morale aux fils et aux filles de mineur.(84) C'est elle qui désignait les enseignants et c'est d'elle qu'ils dépendaient: "A travers toutes ces précautions, elle vise bien entendu à s'entourer de toutes les garanties nécessaires pour que le fonctionnement des établissements scolaires soit tel qu'elle le souhaite et que les enseignants, triés par ses soins, soient le plus possible dépendants, matériellement et par la même idéologie, d'elle. L'école et son personnel doivent être les 'choses' de la Compagnie".(85) Les conditions de fonctionnement des écoles et la formation des enfants répondent donc aussi aux intérêts de la Compagnie de former des contingents de main-d'oeuvre selon les besoins de sa production. L'ampleur de la réussite de cette politique et de sa répercussion nationale peut être mesurée quand, en 1867, la Compagnie se voit décorée à l'occasion de l'Exposition Universelle d'une bannière d'honneur et d'un diplôme pour la tenue et l'organisation de ses écoles. C.4. Services de première nécessité. A la même cadence qu'augmentait la population ouvrière, augmentait la nécessité de la nourrir. La Compagnie crée l'institution des "magasins aux vivres", o— tout le personnel pouvait acheter depuis le pain et le vin jusqu'aux vêtements, chaussures, et même des produits de luxe. Selon la Direction de la Compagnie, l'objectif de cette institution était de "faire livrer au personnel à des prix modérés tous les objets de première nécessité. Ils servent surtout de modérateur au commerce extérieur et mettent un frein aux exigences des commer‡ants peu scrupuleux".(86) En effet, le monopole de la Compagnie dans le domaine alimentaire et d'autres objets de consommation oblige les ouvriers à dépendre presque totalement de ce service, l'enchaînement de la communauté de travail à l'égard du patronat se trouvant ainsi renforcé. C'est lui qui met en place le système de la dette, augmentant encore son rayon de contrôle sur le personnel. Monopole, d'ailleurs, qui décourage le développement du commerce libre (à l'exception des cafés et petites boutiques). En résumé, le contrôle des prix par la Compagnie signifie un co–t de vie réglé par elle à La Grand-Combe, ce qui lui évite les augmentations de salaires(87). Après 1839, la Compagnie va passer les droits d'exploitation à des particuliers, MM. Santet père & fils (négociants à Nîmes). Le seul secteur alimentaire qu'elle continuera à exploiter directement est celui de la boucherie, mais elle tient à contrôler et surveiller le développement des affaires de ses sous-traitants, surtout par rapport à la qualité des produits et des prix, comme nous pouvons le constater en ce qui concerne le pain et le vin: "Le pain ne pouvait être vendu au-dessus du prix pratiqué à Alais et le vin devait être vendu deux centimes au dessous des prix pratiqués dans cette même ville".(88) Les quinze premières années, ces particuliers ont exploité les magasins aux vivres en adoptant le système des jetons payants. Jusqu'en 1844, la famille Santet s'est limitée à exploiter un seul magasin dans le haut de la "vallée de La Grand-Combe" (à côté de la "Maison de l'Administration"), mais des filiales ont été ouvertes plus tard dans les casernes Elise en 1844 (à La Grand-Combe), à Champclauson en 1845 et à La Levade en 1846. En 1848, le système de ventes à crédit(_) vient remplacer celui des jetons payants. Dans sa politique d'assistanat, la Compagnie contrôle principalement le prix du pain (toujours au-dessous de 0,35F le kilo), du vin (toujours au-dessous de 0,35F le litre) et celui de la viande de mouton, base de la nourriture à La Grand-Combe (au-dessous de 1,80F/K). Selon le rapport de l'Administration, la Compagnie a largement subventionné ces trois produits de base, assumant pour la période de 1853 à 1857 une perte totale de 32O.793,22F pour le pain et le vin et de 76.836,41F pour la boucherie. En 1862, la Compagnie reprend le droit d'exploitation des magasins aux vivres appartenant à la Maison Santet (MM.. Santet) et établit un grand magasin - appelé Magasin Général - dans la rue de la Verrerie. Celui-ci centralise et englobe tous les services de première nécessité, y compris la boucherie, sous la désignation de "service des subsistances". Dans les années qui suivent, deux filiales seront ouvertes: l'une en 1867 sur la place de Bouzac (La Grand-Combe) et l'autre à Trescol en 1887, dans les casernes Thibaudet. En 1894, une première diminution importante des ventes est constatée, dont les causes sont principalement la suppression des articles de luxe et, ensuite, les contrecoups de la grève de 1897, qui entraîneront une réduction drastique du personnel et, par conséquent, une nouvelle chute des ventes. Le système d'exploitation de l'approvisionnement alimentaire change aussi, d'abord à travers le système d'Economat, et plus tard celui des coopératives qui est, en fait, le système qu'ont connu les mineurs retraités interviewés, puisqu'il se maintiendra jusque dans les années 195O. La Société Grand'combienne d'Alimentation était une société anonyme coopérative à personnel et à capital variables, selon les dispositions des lois du 24 juillet 1867, du ler ao–t 1893 et du 16 novembre 1903. L'objectif de cette société est mentionné dans l'article 3 de ses statuts: "(...) de fournir à ses actionnaires et adhérents des denrées et marchandises de consommation et d'utilisation familiale, et ce, au besoin après transformation des dites denrées et marchandises; et, par suite, de réaliser au moyen de la création de magasins coopératifs, et au bénéfice de ses actionnaires et adhérents, des économies sur leurs dépenses de consommation".(90) Chaque quinzaine, les comptes des clients - c'est-à-dire le personnel actif ou retraité et l'administration de la Compagnie - étaient faits et il fallait régler à la fin de la quinzaine suivante. A part le personnel de la Compagnie et de la propre Société d'Alimentation, seuls les employés de la Société Grand'combienne d'Eclairage et d'Energie (fondée en 1909) pouvaient adhérer à la société. A titre exceptionnel, d'autres personnes y étaient parfois admises décision subordonnée à l'agrément du Conseil d'Administration(91). Les autres possibilités d'approvisionnement restent les marchés et foires, qui deviennent peu à peu coutumiers dans la région, ou alors les quelques magasins qui s'y installeront, surtout durant la deuxième moitié du siècle dernier à La Grand-Combe. C.5. Chauffage. En ce qui concerne le chauffage, une allocation de charbon était distribuée toutes les semaines.(92) Tous les lundis, les femmes de mineurs (aidées de leurs enfants) se consacraient à cette tâche, travail pénible de transport et de remplissage des caves. Plus tard, c'est un transporteur particulier qui fera la distribution aux familles au prix d'une rétribution. Le charbon alloué ainsi gratuitement était celui rejeté par le commerce, ce qui permet de se faire une idée de sa qualité.(93) Dans le souvenir des mineurs, la récolte des miettes de charbon tombées à terre et dans les décombres n'était pas une chose négligeable, et cela était devenu pour eux une routine. D'ailleurs, du moins jusqu'en 1881, les ouvriers de surface n'avaient pas le droit au chauffage.(94) La Compagnie, à ce sujet, "tolérait que les ouvriers ramènent, tous les jours, dans leurs cabas un souquet, c'est-à-dire un morceau de butte (usagée) servant à étayer les galeries...".(95) C.6. Service d'ordre et discipline. Les services publics engagés par la Compagnie pour assurer un encadrement moral et idéologique ne se sont pas limités à des institutions de caractère plutôt persuasif (services religieux, pédagogiques): il y avait aussi ceux de caractère répressif. Afin de garantir "l'harmonie et le bien-être" de son personnel, les services des forces de l'ordre - la police et la gendarmerie - sont requis dès le début.(96) L'étroite relation entre la Compagnie et le pouvoir municipal associe la force policière à la nature du paternalisme. Tous les frais que va occasionner la création d'un commissariat à La Grand'Combe sont pris en charge par la Compagnie des Mines, qui s'engageait à payer la somme annuelle de 7OOF pour le commissaire de police (500F pour le traitement d'un commissaire de police et 200F pour frais de bureau). De plus, elle fournit le chauffage domestique aux agents, indemnise la location des bureaux et fournit également le papier et autres fournitures de bureau.(97) En 1849, deux agents ont été ainsi nommés. A partir de 1853 la Compagnie payera directement au Receveur Général le traitement du commissaire de police, d'une valeur de 1500F par an. De ce commissaire, en 1850, dépendaient les communes de La Grand'Combe, Laval, Les Salles du Gardon, Blannaves, Portes et Sainte-Cécile, alors qu'après 1862 son pouvoir ne s'étendait plus qu'au territoire de la commune de La Grand'Combe. Comme elle l'a fait pour celle de la police, la Compagnie va négocier auprès des autorités l'installation de la gendarmerie dans la ville. Pour ce faire, elle va en prendre à sa charge toute l'infra-structure. Une lettre envoyée par la Compagnie au préfet du Gard témoigne ce compromis: "Nîmes, le 18 mars 1847. Monsieur le Préfet du Gard, Nous nous empressons de répondre à votre lettre du 17 de ce mois, que notre Compagnie désireuse de faire ce qui peut être agréable à l'administration, se charge de fournir le logement à titre gratuit à la Brigade de Gendarmerie à pied, dans le cas o— sa résidence serait établie à La Grand'Combe, ce que nous croyons convenable dans l'intérêt de la tranquillité publique. Recevez, etc. (...) l'Un des Gérants, M. L. Veaute"(98). Entre 1847 et 1874, la gendarmerie déménage à plusieurs reprises, jusqu'à la construction de locaux plus définitifs sur la place Bouzac, o— un casernement aménagé et construit par la Compagnie sur un terrain lui appartenant, est mis à sa disposition pour recevoir une brigade à pied et une brigade à cheval.(99) A mesure que les conflits entre le patronat et la classe travailleuse prennent des formes plus offensives (comme la grève de 1881), la Compagnie engage de nouvelles brigades à pied et construit d'autres casernes à La Levade et à Trescol pour les loger.(100) C.7. La politique d'assistance.(101) Le terme paternalisme prend toute sa force lorsqu'il se rapporte au système de protection des travailleurs répondant aux vues de la Compagnie dans sa stratégie d'embauche et de fixation de la main-d'oeuvre. Elle favorisera une politique de prévoyance grandiose pour l'époque. Le personnel, outre les avantages de l'habitation, bénéficiaient ainsi d'un système d'assistance sociale. Les services assurés par la Caisse de Secours, tels que les soins en cas de maladie ou de blessure (service médical assuré par six docteurs), par la Caisse de Retraite et les pensions versées aux veuves et orphelins signifiaient une couverture sociale encore inédite dans le milieu ouvrier.(102) Ce sont surtout ces avantages qui, du point de vue d'un vieux mineur, attiraient les travailleurs à une époque o— ils se trouvaient souvent assaillis par la maladie, la mort, les accidents, le handicap: " (...) Si, par exemple, un homme se faisait tuer accidentellement dans la mine, l'épouse touchait à vie une pension d'accident de son mari, et si cette épouse avait un enfant, ou deux, ou trois, bon! ces deux ou trois enfants étaient pris en charge par la Compagnie jusqu'à l'âge de la majorité de l'enfant. C'est pour ça que les gens venaient travailler dans la mine". (M. Pondes. Mineur retraité). La Compagnie va faire figure de précurseur et anticiper la propre loi en établissant des institutions de prévoyance telles que la Caisse de Secours (dès l'année 1845), les retraites pour la vieillesse (créées à La Grand'Combe dès 1870)(103), ou encore les allocations familiales (appliquées à partir de 1910). Gaillard dit à ce sujet: "Les institutions sociales destinées au personnel n'ont pas été, pour le patronat de La Grand-Combe, le fruit du hasard. Elles leur ont été, semble-t-il, en grande partie imposées au début par des conditions matérielles spécifiques à l'entreprise, puis théorisées en une véritable philosophie sociale et politique que l'on a coutume de nommer 'paternalisme'...".(104) La création de la Caisse de Secours date de 1845.(105) D'après le règlement, elle retenait une part de 2,5% du salaire total. Elle concernait l'ensemble du personnel et leur famille, à qui elle profitait sous la forme d'indemnités de secours en cas de blessure et de maladie, de pensions attribuées aux vieillards âgés de 60 ans et plus (justifiant avoir travaillé pendant vingt années consécutives), de pensions pour les veuves et les enfants de moins de 10 ans des ouvriers tués dans les travaux, de soins médicaux et pharmaceutiques, ou même en participant aux dépenses scolaires. Après les événements de 1848, qui sont à l'origine d'un important déficit (étant donné le départ de nombreux mineurs et employés), des modifications substantielles sont intervenues dans la Caisse de Secours qui en est venue à retenir 3% sur les salaires.(106) Les règles de fonctionnement de cette politique de protection donneront des pouvoirs importants à la Compagnie dans le contrôle de la vie familiale de son personnel. En réalité, les statuts de la Caisse de Secours et Prévoyance régissent avant tout des comportements voulus par la Compagnie, qui se justifie de la sorte: "Pour que l'ordre règne dans l'entreprise et dans la ville". La conduite du personnel et la conduite familiale se trouvent donc réglées par les dispositions de ces "oeuvres sociales": "Toute personne qui ne se pliera pas à cette idéologie que les dirigeants de La Grand-Combe veulent imposer à la ville entière - veuve menant une conduite déréglée, ouvrier fréquentant le cabaret, couples illégitimes, mineur chômant le lundi ou faisant de la politique, etc...- sera irrémédiablement punie: suppression d'indemnité, amende, licenciement, etc. (...). Donc, si les conseils ne suffisent pas pour dissuader tel ou tel ouvrier de fréquenter le cabaret, avec toutes les conséquences néfastes que cela comporte aux yeux de l'entreprise, tant pour sa vie privée que pour sa productivité au travail, on fait peser sur lui la menace de la suppression des allocations chômage en cas de blessure ou de maladie".(107) Ainsi, tout ce que la Compagnie comprenait par comportement marginal est puni: rixe, inconduite, imprudence, fréquentation des cabarets, alcoolisme, absentéisme, etc. Il n'était pas étonnant dans ce cas que des ouvriers soient renvoyés pour concubinage. La vie privée restait parfaitement sous contrôle. La preuve en est les articles réglant le comportement des veuves d'ouvriers qui, dans le cas de mauvaise conduite, perdaient leurs droits personnels à la pension: "(...) toute veuve pensionnée qui mènerait une conduite déréglée ou ferait une faute qui serait un scandale public serait (...) privée de la pension (...)".(108) Dans le cas de demande de remariage, le comité administratif de la Caisse de Secours pouvait accorder, suivant ses ressources, une somme à titre de dot; les enfants du premier mariage ayant droit à la pension jusqu'à l'âge de 10 ans.(109) "(...) toute veuve pensionnée par l'association qui se remariera perdra ses droits à la pension qui lui est faite par la caisse de secours, comme cela a eu lieu jusqu'à ce jour, mais elle touchera comme dot une somme de 4OO francs, immédiatement après qu'elle aura justifié de la célébration de son second mariage".(110) La veuve voulant se remarier devrait toutefois tenir le conseil d'administration de la Caisse de Secours au courant de ses intentions pour savoir si la dot lui serait accordée. D'autre part, certaines habitudes dans le mode de vie des ouvriers, qui affectaient directement leur productivité, se voient sanctionnées et à court terme modifiées. C'est ce que nous pouvons constater par rapport à l'habitude de chômer le lundi. Dans la séance du 16 juillet 1865, le conseil d'administration de la Caisse de Secours(111) délibère: "Le président fait part au Conseil d'une mesure qui lui paraît nécessaire pour la bonne marche du chantier et pour le bon ordre dans l'intérieur, il remarque que depuis quelque temps les chantiers sont déserts tous les premiers jours du mois et les lundis de chaque semaine, cela porte un préjudice réel à la Compagnie et à la famille, et il propose au Conseil comme mesure disciplinaire une amende de 2 francs pour tous les manques de poste des lundis et premiers jours du mois".(112) Les punitions inhibaient aussi les grèves prolongées, puisqu'il y avait punition en cas d'absence. "Tout sociétaire qui restera absent du travail sans autorisation ou pour un motif que la Compagnie ne reconnaîtra pas valable pendant plus de quinze jours, perdra tous ses droits à la retraite".(113) Elle encourage en revanche à entreprendre les démarches qu'elle a idéalisées. Par exemple, le règlement de la Société de Prévoyance de 1891 prévoit, en cas de mariage, des avantages tels qu'une amélioration des secours de 25 centimes pour l'ouvrier marié(114). Ou alors pour la scolarité, dont - on l'a déjà vu - elle assure la gratuité et sur laquelle elle garde la mainmise en ce qui concerne l'institution scolaire (dont elle garde la maîtrise sur les dispositions générales et les programmes). En effet, depuis 1853, la Compagnie subventionne tous les frais relatifs à l'école, à l'exemple de ce qu'elle fait déjà pour les dépenses de culte, d'entretien de la commune, de chauffage de tout le personnel, sans parler de la gratuité des bâtiments occupés par les hôpitaux et pharmacies.(115) En 1854, elle délibère à propos de divers articles concernant les accidents et blessures de travail.(116) Sous cet aspect, l'espace et le temps de travail industriel étaient rigoureusement structurés et détaillés: les mineurs, c'est-à-dire les ouvriers de sous-sol, étaient considérés comme étant au travail à partir du moment o— ils prenaient leur lampe à la lampisterie; pour les ouvriers de l'extérieur, à partir du moment o— ils entraient sur le chantier ou dans l'atelier de service. Dans le cas d'accident en dehors du travail, les secours étaient beaucoup moins conséquents. En 1866, après délibération d'une commission spécialement nommée, d'importants emprunts sont faits par la Compagnie à la Caisse de Secours. A cette commission participent le directeur, un maître mineur, cinq mineurs de fond et un mineur de surface.(117) Par ce système d'emprunts, la Compagnie s'approprie des ressources tirées des salaires des ouvriers. Pour Gaillard, il s'agit là d'une voie indirecte pour "reprendre un peu d'une main ce que l'on donne de l'autre sous forme de salaires, et d'augmenter encore les profits en utilisant cet argent soit à des placements rémunérateurs, soit à des postes divers d'amortissement ou d'investissement".(118) En décembre 1890, la Caisse de Secours est transformée en société de prévoyance (effectivement, à partir du le juin 1891), et elle est mise ensuite en liquidation par la loi du 29 juin 1894 (effectivement, à partir du le juillet 1895). Un autre type d'assistance mise en place a trait à la retraite. En 1869, le Directeur d'Exploitation, M. Graffin, communique à la commission nommée pour élaborer un nouveau règlement de la Caisse de Secours que le Directeur Général M. Beau et lui-même avaient délibéré sur la création d'une Caisse de Retraite pour la Vieillesse qui fonctionnerait parallèlement à la première sous le patronage de la Compagnie. Cette Caisse de Retraite avait pour capital "les versements obligatoires pour les employés, facultatifs pour les ouvriers, de 1% sur le chiffre de leurs appointements et salaires mensuels, sans que ce versement puisse dépasser 24F par an".(119) Contrairement aux autres caisses, celle-ci était obligatoire pour les employés, mais les ouvriers étaient libres d'y adhérer ou non. Cette caisse est créée en 1870. Le montant de la retraite était fixé selon l'âge. A 60 ans, les affiliés pouvaient la demander à condition d'avoir travaillé 2O années consécutives sur le chantier.(120) Plus tard, le droit à la pension de retraite (employés, ouvriers, femmes) concernera également les personnes âgées de 55 ans justifiant d'au moins vingt-cinq années de service consécutif.(121) Elle s'élève dans les deux cas à 1,20F par jour, les 2O ou 25 années de travail consécutif pouvant cependant être interrompues par suite de maladie ou de blessures. Les autres cas de pensions, comme on l'a vu, concernent les veuves et enfants de mineurs tués à la mine ou morts à la suite d'un accident de travail, et les malades et handicapés mis hors d'état de travailler. En 1890, face aux changements de la politique de prévoyance au niveau national, la Compagnie, de nouveau, anticipe les lois sociales et fait fusionner les deux caisses, celle des secours et celle des retraites, en une Société de Prévoyance.(122) Néanmoins, la Compagnie ne peut faire face aux engagements pris par rapport à cette nouvelle formule d'assistance. Pour éviter l'effondrement, elle licenciera un bon nombre de travailleurs qui auront participé à la grève de 1897 (surtout ceux appartenant au syndicat), évitant ainsi le paiement de leur pension lors de la retraite. Il est même logique de suspecter la Compagnie d'avoir provoqué elle-même cette grève afin de renvoyer les mineurs grévistes: "On peut affirmer, nous semble-t-il, qu'il y a bien dans les licenciements et dans le désir de provoquer une grève, une préoccupation directement liée à la caisse de retraites (...). La Compagnie a commis une erreur de gestion considérable en s'engageant dans un véritable gouffre financier. En voulant maintenir intact l'ensemble de son système de prévoyance, elle a compromis l'équilibre financier de l'entreprise et les licenciements massifs d'ouvriers proches de la retraite étaient bien, en effet, un excellent moyen pour éviter une crise grave".(123) Ces "oeuvres sociales" promues par le patronat recèlent vraisemblablement une préméditation dans la "gestion" de la main-d'oeuvre, qui visait la rentabilisation des investissements effectués sur la reproduction élargie de la force de travail, ce que l'on peut appeler optimisation de l'économie sociale. Nous avançons cette supposition en nous basant sur l'analyse faite par Frey à propos des caisses de prévoyance pour le cas du système paternaliste développé dans la ville minière du Creusot: "Les caisses de prévoyance et les soins divers ont permis d'assurer la sécurité et l'entretien de la force de travail pour le personnel actif. La pérennité de cette situation au-delà de la période active permet d'éviter la charge des vieux sur les générations suivantes, évitant une contrainte aux enfants qui acquièrent, ainsi, une nouvelle marge de manoeuvre dans leurs possibilités de formation et d'activités. La retraite et les assurances vieillesse constituent, à ce titre, un transfert planifié de charges, que la salarisation généralisée permet d'opérer globalement et non plus dans le cadre étroit de chaque famille élargie o— la convivialité s'échelonne sur plusieurs générations".(124) A partir de 1910, la Compagnie des Mines de La Grand-Combe va appliquer le système des allocations familiales.(125) Cette mesure et celles visant à stimuler diverses formules d'épargne (Caisse d'Epargne) constituent des stratégies qui, à long terme, permettront d'avoir la mainmise sur l'ensemble des activités quotidiennes du personnel. Le fonctionnement institutionnel de l'épargne est institué par la Compagnie en 1870, sous le titre de "dépôts en compte courant". Cela évitera l'évasion des capitaux vers des destinations autres que celles touchant à l'économie de la ville prise en main par le patronat.(126) Toutes ces mesures sociales permettent à la Compagnie de freiner les augmentations de salaires et de maximiser le temps de travail. En outre, l'épargne conduit à l'apprentissage d'une discipline très étroitement liée à l'idéologie dominante quant aux formes de consommation. Elle évite surtout les dépenses pour des occupations dépréciées par le patronat (alcoolisme, cabarets, etc.), réglant le comportement du personnel dans la vie, aussi bien privée que publique. Enfin, il faut noter que la politique d'assistance concerne aussi la philanthropie. Il s'agit, par exemple, de l'attribution annuelle d'un secours (d'une valeur de 2.000F à 2.200F) aux nécessiteux du chantier pour achats de vêtements ou pour être distribuée en nature pendant l'hiver aux indigents et aux malades du chantier.(127) C.8. Loisir. Les manifestations de sociabilité des familles ouvrières composent un autre point important de l'action paternaliste de la Compagnie. Les loisirs aussi ont leurs agréments et leur potentiel moralisateur. En effet, dès le début, elle organise et subventionne des associations permettant la rencontre des membres de la communauté autour de l'intérêt commun du délassement et du divertissement. Ainsi, en dehors du temps de travail et des activités touchant au quotidien et à l'espace domestique, les travailleurs pouvaient profiter de diverses formes de groupement visant à une sociabilité promue par la Compagnie. L'action de cette dernière consiste soit à organiser (par intervention directe) des pratiques de loisir, soit à subventionner des sociétés récréatives. Si toutes les associations ne sont pas directement créées par la Compagnie, c'est elle du moins qui les subventionne, afin que toutes les formes de loisir, à La Grand-Combe, lui soient dévouées, qu'il s'agisse d'activités récréatives comme le sport, la société de musique, les fêtes et les bals, ou d'autres concernant des rituels ou cérémonies. On verra souvent, dans des brochures qu'elle édite, la Compagnie s'adresser à elle-même des éloges pour son rôle d'avant-garde joué dans ce domaine. Un exemple en est la lancée à l'occasion du centenaire de la Compagnie: "La Compagnie encourage le bon emploi des loisirs de son personnel. De vastes terrains de jeux, des salles d'exercice ou de réunion et des salles de fêtes sont mises à la disposition des diverses Sociétés que la Compagnie patronne ou subventionne, et qui intéressent petits et grands, depuis les retraités jusqu'aux 'pupilles' des sociétés de gymnastique".(128) En effet, dans cette communauté de travail qui se construit, il importe de renforcer le sentiment d'appartenance au groupe ouvrier. Tout le personnel peut s'engager dans les pratiques sportives offertes par la Compagnie, mais celle-ci entretient aussi ses propres équipes. D'ailleurs, s'engager dans une association qui représente la Compagnie et défendre ses devises dans un championnat signifie aussi prolonger une fidélité professionnelle. Dans le domaine sportif, la Compagnie s'est surtout occupée de football et d'éducation physique. Elle aménage spécialement des terrains de jeux (à l'Impostaire et à la Villa Béchard), tandis que le stade réservé au football et à l'éducation physique n'est construit que beaucoup plus tard, en 1912, ce qui dans l'histoire de la Compagnie sera vu comme une oeuvre d'un mérite tout spécial. Il reste l'arène où se concentrent les principales activités sportives: une équipe de football, une section de gymnastique, d'éducation physique, d'athlétisme, de tir. Les fêtes populaires les plus importantes sont celles instituées par la Compagnie elle-même, telles que la Fête de Sainte-Barbe, célébrée par les mineurs en hommage à leur patronne. Les bals locaux étaient également organisés et promus par la Compagnie, qui mettait à cet effet une salle des fêtes à la disposition de la population(129). Elle subventionne en outre une Société de Musique et un secteur d'enseignement musical gratuit. Ce groupe culturel participera activement à la vie de la ville par des concerts sur la place, dans les fêtes locales et à l'occasion d'événements spéciaux. Les participants sont bien s–r des ouvriers et des employés de la Compagnie des Mines de La Grand-Combe. Au fur et à mesure que les groupes de loisir se composent, leur liaison avec la Compagnie est évidente. C'est elle qui encourage le groupe de danse folklorique (société de danses et de farandoles), diverses sections de gymnastique (à La Grand-Combe et dans ses hameaux) et le scoutisme à partir de 1911 ("scouts catholiques", groupes d'Eclaireuses et d'Eclaireurs unionistes protestants)(130). Les loisirs que promeut la Compagnie ne se limitent pas à la distraction: ils se tournent également vers l'accès à l'information. Les bibliothèques, à l'entretien desquelles sera consacrée une somme de 250F par an, vont jouer un rôle complémentaire dans la "formation morale" du personnel.(131) Un bâtiment avait été spécialement réquisitionné à cet effet à La Grand-Combe, où l'on pouvait consulter et emprunter gratuitement les ouvrages. De même à Trescol dès 1874, la population a pu fréquenter une bibliothèque ouverte à côté du Temple. Plus tard, Champclauson sera aussi pourvu de la sienne. L'association famille/loisir était mise en valeur par l'encouragement à certains travaux domestiques, notamment le jardinage et l'élevage(132), pratiqués sur des terrains appartenant à la Compagnie et qu'elle louait à des prix modérés.(133) C.9. Monuments Les monuments érigés par la Compagnie sont ceux auxquels elle a voulu que la communauté rende hommage, perpétuant la hiérarchie du travail. Le premier monument est construit en 1875. Cette année-là, le 7 juin, l'ingénieur M. Jules Callon est décédé. La Compagnie décide alors de rendre hommage à l'homme qui était resté son chef ingénieur depuis 1846, pour ses services prêtés notamment dans l'organisation du processus de travail. Ce monument concerne une pyramide construite à La Grand-Combe au centre de la grand-place principale. En 1879, M. Beau, directeur général de la Compagnie depuis 1850 et administrateur depuis 1872, est décédé. Le Conseil d'Administration, à l'Assemblée Générale du 29 avril 1879, décide d'ériger un buste de M. Beau sur la place de Bouzac, à côté du monument élevé en 1875 à la mémoire de M. Callon. Cet acte de pétrification de l'image des personnages qui avaient joué un rôle important dans le développement de la Compagnie et de la ville, est à la fois l'établissement d'une image idéalisante de la Compagnie et l'établissement d'une ordre de conservation de ce "idéal" perpétué dans la mémoire par la monumentalité.(134) *** A La Grand-Combe, la Compagnie contrôle donc le mode de vie de son personnel. Avant même que la classe ouvrière ne prenne conscience de ses "besoins-revendications", la Compagnie s'évertue à lui fournir les conditions "morales, matérielles et intellectuelles", cherchant par là même à les convaincre des avantages d'une vie communautaire favorisée par un sentiment de protection. "Les directeurs monarchistes sont des cléricaux à la mentalité aristocratique, ils se considèrent comme les tuteurs légitimes de leurs ouvriers: à travers l'école, l'église, la mine, ils se donnent pour mission d'inculquer à leur personnel une morale fondée sur deux notions d'ordre (ordre dans le ménage, ordre dans la conduite, ordre dans le travail) et d'épargne (épargne intérieure par le refus du luxe chez soi, dans le vêtement ou dans la vie quotidienne). L'ordre et l'épargne sont deux valeurs que l'on acquiert grâce au travail (élément moralisateur par excellence) et à la religion".(135) Partant d'une analyse des raisons de l'efficacité de ce système paternaliste et des bénéfices qu'en tire l'entreprise, nous constatons une intentionnalité de construire un modèle d'ouvrier qui aime son travail et sa maison, un père de famille qui entretient des relations conviviales avec ses proches, ses amis, ses voisins et ses chefs. Pour ces ouvriers, dont la plupart sont de nouveaux arrivés qui cherchent à lutter contre l'insécurité et la précarité des revenus, il est évident qu'au début ce réseau de tutelle détient le fil conducteur permettant de comprendre les raisons de leur attachement à ce système protectionniste et les bénéfices qu'en a tirés l'entreprise. C'est sur cette base que la Compagnie fonde l'espace de travail et de résidence. En tenant compte de son rôle dans la construction de l'espace social, nous pouvons saisir aussi la dynamique des relations des groupes familiaux dans la ville. Ce que nous allons développer dans les chapitres suivants. CHAPITRE 2 L'ORGANISATION SPATIALE DE LA "VILLE MINIERE".(136) A) CONSTITUTION DU TISSU URBAIN. La Grand-Combe est née d'un projet urbain tracé par la Compagnie qui implantait une "ville" au milieu d'une région traditionnellement rurale. Dès les premières années de son existence, La Grand-Combe donne d'emblée l'image d'une ville. L'aménagement urbain sera conditionné par les intérêts et les besoins structurels de la mono-industrie qui établit une organisation de "ville minière" dans la relation entre l'espace de travail, l'espace public et l'espace domestique. Ceci dit, lors de la fondation de la commune, les lieux d'exploitation minière sont déjà établis; conséquemment, la localisation de l'espace de travail se trouve d'ores et déjà définie. L'espace urbain proprement dit se développe collé à l'objectif de rentabiliser la matière première (charbon). Nous ne trouvons pas à La Grand-Combe l'image classique de la "ville industrielle" concentrée autour d'une seule usine. La Grand-Combe est une ville engagée pour loger (et enraciner) les ouvriers et cette ville ainsi ouvrière devrait suivre les multiples points d'extraction dispersés sur tout le territoire.(137) L'aménagement du lieu répond aux exigences de la production industrielle qui s'y implante: dispersées, les concessions d'exploitation s'étendent au-delà des limites de la commune "intra-muros". Les constructions, tantôt celles destinées à l'utilisation industrielle, tantôt celles de caractère domestique, se sont disséminées sur ce vaste territoire que les habitants appellent "le pays minier"(138). Si l'espace du travail est déterminé par l'existence des prospections minières(139), l'espace public lui est déterminé par la centralité de l'agglomération. Déjà les espaces domestiques observent, soit la proximité d'avec l'espace public, soit celle d'avec l'espace du travail. Dans le centre de la ville nous trouvons davantage de maisons de commerçants, de fonctionnaires, d'employés, de groupes plus favorisés dans la hiérarchie sociale. La localisation des maisons des mineurs obéit à la logique du rapprochement de l'espace du travail. L'organisation spatiale se définit par un éparpillement des quartiers ouvriers dans l'enceinte des puits d'extraction, visant à raccourcir et à limiter les distances entre les lieux de résidence et les lieux de travail.(140) Parmi nos interviewés, quelques-uns évoquent cette facilité d'accès de jadis. Un mineur retraité de Champclauson raconte que, ne travaillant pas au fond de la mine, il pouvait rentrer déjeuner chez lui. Il se souvient d'une grève partielle sur son chantier quand la Compagnie a voulu interdire cette habitude incontestable alors pour certains ouvriers.(141) En outre, cette structure permet aux mineurs-paysans, habitant près d'un chantier, de rester enracinés dans leurs mas, où ils pouvaient pratiquer la culture potagère et le petit élevage, utiles en périodes de licenciements et de grèves(142). Certes, ils seront de moins en moins nombreux à pouvoir rester liés à leur mas (nous le verrons plus loin) mais cette rupture du milieu rural un peu plus "adouci" pour ces paysans attachés à leur terre a vraisemblablement diminué l'impact que constitue ce processus de transformation de paysan en mineur. Un nombre important de travailleurs sont ainsi rapprochés du lieu de travail mais, par contre, éloignés du centre-ville, des services publics. Certes, le train sert d'élément de liaison entre les agglomérations, mais son circuit est limité. A une époque où les limites technologiques des moyens de transport doivent être prises en compte et où seule une minorité aisée se déplace en calèche il fallait alors parcourir à pied de longs trajets jusqu'au centre-ville (ou centre des hameaux) pour accéder aux équipements publics (le marché, l'hôpital, par exemple). Et ce sans perdre de vue que la Compagnie a garanti le fonctionnement d'équipements publics minimaux tels qu'écoles, magasins-auxvivres, poste de sauvetage ou services religieux (les chapelles), non seulement dans les hameaux mais aussi dans les quartiers les plus éloignés du centreville. La ville de La Grand-Combe est enclavée entre les collines (du Gouffre, d'Arboux, de Sainte-Barbe, d'Airolle et des Ribes) et le Gardon(143). Le programme de construction de la ville (il est tenu compte ici des limites technologiques d'édification de l'époque) est alors soumis aux limites naturelles. Le "centre" de la ville c'est la place construite sur un plateau (dit de "Bouzac"). De cette place centrale partent rues et boulevards. En sortant du "centre", la seule possibilité d'expansion de la ville construite est de se déployer sur toute la longueur de la "vallée de la Grand-Combe" étranglée entre les pentes des collines: au nord, jusqu'aux collines de Sainte-Barbe et d'Airolle; à l'est de la vallée, en direction des collines de Ribes et Aubignac; à l'ouest, en direction de la colline de l'Arboux. Perpendiculaire à la précédente se prolonge la "vallée du Gardon". Les rives du Gardon, "au cours capricieux et aux crues dévastatrices"(144), ne sont pas propices à la construction. Une route parallèle au cours du ruisseau, sur le flanc de la colline du Gouffre, relie La GrandCombe à Trescol. Les débuts de l'opération immobilière de la Compagnie correspondent à la période 1837-1838. Dans cette politique de construction en vue d'une "véritable ville ouvrière"(145), la Compagnie des Mines de La Grand-Combe fait figure de précurseurs.(146) En ce qui concerne "l'opération bâtir", la Compagnie se charge de la construction des bâtiments industriels et publics, mais favorise l'initiative privée pour la construction d'habitations sur des terrains lui appartenant. Dans ce cas, les constructeurs lui versent un loyer sur le terrain. Selon les notes de M. P. Talabot (le Président de la Compagnie en 1846), c'est la Compagnie qui donne les alignements pour ces constructions des particuliers, autrement dit, ils obéissent aux principes urbanistiques tracés par la Compagnie(147), tant en ce qui concerne la localisation du terrain, qu'en ce qui concerne le type de bâtiment et matériau à utiliser, et la population à loger. Pour développer cette initiative privée, elle propose le rachat des casernes au bout de 15 ou 20 ans et garantit le loyer aux constructeurs particuliers pendant cette période. Au terme du bail, ou bien la Compagnie rembourse aux constructeurs le montant des dépenses, déductions faites des détériorations, ou bien, elle rachète les casernes par une annuité.(148) Ce groupe de constructeurs sont des notaires nîmois, alésiens et d'autres environs, ou des notables locaux, c'est-à-dire, le groupe qui compose le cadre dirigeant de la Compagnie (très souvent d'origine parisienne), ou alors le groupe établi dans la région et ayant en général d'étroits rapports avec la Compagnie: agents de maîtrise, commer‡ants, professionnels libéraux, entrepreneurs, etc. Au total, la Compagnie a eu recours à 14 constructeurs, à qui elle versait un loyer annuel qui s'élevait à plus de 10.760F.(149) Les habitants-locataires, de leur côté, versent un loyer dont le prix varie suivant certains critères: la taille de la famille, le travail effectué dans la mine, etc. Par ailleurs, la Compagnie préside à la construction de toute l'infrastructure urbaine, puisqu'elle s'occupe des services publics (hygiène, égouts, lavoirs, fontaines, eau potable(150), courrier, services de justice et, vers 1909, électricité.(151) La Compagnie organise la distribution spatiale selon une logique qui révèle les principes "urbanistiques" qu'elle-même a définis. Quels ont été ces principes urbanistiques? Si l'on pense en termes de planification urbaine, l'on peut suggérer que le "centre" et l'axe défini par la "vallée de La Grand-Combe" composeront le squelette du développement urbain de la "ville minière": - La construction du centre de la ville - l'espace public par excellence - a pour orientation la concentration des équipements urbains et espaces domestiques. - L'axe défini par la "vallée de La Grand-Combe" est la principale voie d'expansion de la ville. Ce territoire est avant tout un important "espace de travail". Dans sa partie basse, la vallée traverse la ville de La Grand-Combe et se dirige, vers le nord, en direction d'importants puits d'extraction, comme celui de "Sainte-Barbe" ou de la "Forêt" (partie haute de la vallée(152)). Tout au long de cette vallée seront bâtis les principaux bâtiments industriels (lavoirs, usines et officines diverses, etc.), mais aussi des maisons ouvrières. Non seulement les principaux puits d'extraction de l'époque se localisent dans la partie haute de cette vallée mais la première maison d'administration aussi est construite à cet endroit. C'est cet axe, nommé aussi de la "Vallée Noire", qui sera l'âme de la vie productive (l'espace de travail, le haut lieu de gérance des Mines et l'espace domestique) en rapport avec la ville (l'espace public et espace domestique). La ville de La Grand-Combe est également le noyau principal de l'urbanisation du "pays minier", c'est le "centre" de la commune, comportant dans la périphérie les hameaux: Trescol, Champclauson et La Levade. Les hameaux reproduisent, en moindre proportion, les principes urbanistiques tracés pour La Grand-Combe, par exemple celui de créer à partir du centre de l'agglomération les voies principales qui donnent accès aux espaces de travail situés dans les environs. L'on accède aux villes-satellites par une route qui se prolonge au long de la "vallée du Gardon". Cet axe se caractérise également comme une importante zone de production; par contre, à cause du "Gardon", la ville de La GrandCombe ne se développera pas sur cet axe et il faut arriver à Trescol pour retrouver un terrain favorable au développement d'un programme de construction.(153) A.1.) Le centre-ville. Le centre de La Grand-Combe est le noyau de la ville, le centre urbain proprement dit, où se concentrent les principales activités publiques et collectives. Une urbanisation linéaire se développe, avec des bâtiments alignés et contigus. Le centre-ville est du type traditionnel. Au coeur de la ville, la Compagnie a fait construire une place du nom de Bouzac. Désormais, place centrale et principale de la ville, elle dispose d'une fontaine et, plus tard, de monuments et d'un kiosque à musique destiné aux concerts dominicaux de l'Harmonie des Mines. Suivant la logique initiale, dans le centre de la ville se concentrent les bâtiments destinés aux principaux services urbains. Tout autour de la place centrale sont édifiés les bâtiments les plus "somptueux" de la ville: une vaste église est bâtie sur le plateau de Bouzac, sa fa‡ade donnant sur la place et le Gardon et l'abside tournée vers la vallée, au nord. Son style est jugé "gothique" par quelques historiens, "sans caractère" par d'autres, mais le plus souvent, "sans attrait" par nos interviewés. Le clocher, avec ses quatre horloges visibles aux quatre points cardinaux, marque le temps de la vie quotidienne; un presbytère, entouré d'un jardin, adjacent à l'église, o— habite le clergé; un hôpital d'une capacité de 4O lits, avec une pharmacie; une mairie, construite sur trois étages. Au rez-de-chaussée, dans deux pièces (de 50 et 30mý), sont implantés les différents services de la mairie. Au-dessus fonctionne une école. D'autres écoles privées ont été construites sur la place; juxtaposée à la mairie, est bâtie la caserne de gendarmerie. Selon l'appréciation d'un interviewé: "Si vous regardez notre église, vous allez dire que c'est une église de style parisien. Elle ne ressemble pas aux églises romanes de notre tradition rurale. Ceci indique déjà que la classe dirigeante vient du bassin parisien. Si vous regardez les anciennes maisons de la Compagnie comme la mairie, l'ancienne gendarmerie, l'école, tout ‡a confirme un style "Parisien". Un type d'architecture qui n'a aucun point commun avec celle, traditionnelle de la région". (M. Wiénin). L'observation des bâtiments publics ou religieux localisés au centre-ville révèle l'apparition d'une conception plus urbaine de planification et plus bourgeoise de construction (rationalité, ordre et économie), véritable signe de l'origine régionale et du statut social des dirigeants de la Compagnie. A partir de 1848, à La Grand-Combe, des immeubles de deux à trois étages sont construits au centre-ville à l'initiative des particuliers et mis en location. Deux types de maisons sont bâtis, destinées à deux groupes sociaux différents. Ceci dit, le centre-ville proprement dit est caractérisé par deux territoires qui se différencient par le type des bâtiments, par la fonctionnalité de ces bâtiments et par la population qui y habite. Dans les proximités de la place centrale, et surtout dans les rues et avenues qui en partent, (ou dans les rues qui convergent vers la place) nous voyons des immeubles dans d'un style "bourgeois". Notamment dans la rue Salavert (aujourd'hui rue Pasteur), dans la rue de la République, dans la rue François Beau (aujourd'hui rue Anatole France) et sur le boulevard Jules Callon qui se prolonge par le boulevard Talabot. Cossus, ces bâtiments sont destinés aux commerçants(154), employés et contremaîtres de la Compagnie, professionnels libérales (médecins, pharmaciens, vétérinaires, dentistes, géomètres), magistrats, officiers ministériels, directeurs des établissements publics, instituteurs, etc. Dans l'axe qui part du centre-ville vers l'ouest, se prolonge la rue nommée Salavert en 1846 (rue Pasteur aujourd'hui) jusqu'au carrefour avec la rue Talabot (carrefour qui prend le nom de place Salavert). Très tôt, cette rue concentrera d'importantes activités urbaines: successivement celles d'un coiffeur, d'un hôtel, bureau de tabac, un bazar, une fabrique de limonades, une librairie, un marchand de vêtements et de chaussures, des cafés, etc. Les gens des divers groupes sociaux la fréquentent toujours d'avantage. Y habitent notamment commer‡ants et employés, et, en raison de la proximité de l'hôpital et des écoles, les médecins, pharmaciens, religieux et religieuses, infirmières, sages-femmes, etc. L'important flux de circulation ne cessera de croître avec l'apparition de nouveaux commerces et d'autres activités. Plus tard, d'autres services, vecteurs de l'activité collective, s'y implanteront: le premier cinéma(155) et la salle polyvalente (celle-ci construite par la Compagnie) près de la place centrale. Plus qu'un espace de circulation et d'échanges mercantiles, cette rue devient un espace de rencontre et d'échanges culturels. Aujourd'hui, elle demeure la rue la plus vivante de la ville. Au sud de la place Bouzac, le boulevard qui mène à la gare prend le nom de Talabot, en hommage à Paulin Talabot, constructeur de la voie ferrée, parallèle à cette rue. En fait, cette avenue commence place Salavert sous le nom de boulevard Jules Callon, en hommage au premier ingénieur-chef de la Compagnie. C'est une des voies privilégiées d'accès à la ville, puisqu'elle établit la liaison la plus directe, à partir du centre-ville, entre La Grand-Combe/Trescol, La Levade, Champclauson; La Grand-Combe-Les Salles du Gardon et d'accès à la route nationale. Il n'est pas sans importance que la toponymie des rues centrales rende précisément hommage au patronat de la Compagnie. En outre, du centre partent d'autres importantes artères. Celle qui commence au niveau de l'abside de l'église et va en direction de la rue de la Verrerie (nous parlons de cette rue plus loin) porte le nom de Fran‡ois Beau, directeur de l'exploitation à partir de 1850. C'est une des rues qui compte des "bâtiments aisés", ornés de balcons et habités par des commer‡ants et des employés de la Compagnie et de l'Etat: "C'est la rue des maîtres-mineurs, si vous voulez, ou alors des mineurs qualifiés, d'encadrement, et quelques commer‡ants. L'architecture est adaptée à la ville minière et les balcons en fer ont été fabriqués dans les fourneaux sur La Grand-Combe. Ces balcons métalliques sont un signe d'appartenance à une classe relativement aisée. Si vous suivez cette rue vers les puits, rue de la Clède, rue des Poilus, ou le vieux quartier minier de la Fourgère, vous voyez se succéder une hiérarchisation spatiale très nette. Au fur et à mesure qu'on s'éloigne de la partie centrale et de l'axe dominant on va dans la direction des quartiers les plus pauvres. Enfin, lorsqu'on se rapproche du quartier productif, on trouve le quartier plus ouvrier, celui qui est en train d'être démoli". (M. Wiénin, interview réalisée en février 1988). Un atelier d'horlogerie semble jouer le rôle de frontière entre cette zone plus "ostentatoire" et celle qui débute dans la rue de la Verrerie (rue des Poilus) avec ses maisons et boutiques plus modestes. En partant de la place Bouzac, un des accès à la zone Est de la ville se fait par la rue de la République, importante voie qui débouche sur la partie basse de la vallée de La Grand-Combe, le quartier de la Clède: intermédiaire entre la place centrale et ce quartier populaire. Cette disposition oppose ces deux zones et crée une certaine hiérarchie des lieux, puisque la rue de la République est dominé par les immeubles urbains des plus favorisés, révélant le statut de ses habitants (commer‡ants, cadres, employés administratifs). De plus, quelques établissements révèlent la diversité des activités, d'une part commerciales (chapellerie, boutique de journaux, pâtisserie), d'autre part administratives: la "maison de la gendarmerie", l'école des garçons, et dans l'angle avec la rue Nationale (aujourd'hui Emile Zola), la poste. Parmi les rues secondaires du centre-ville également importantes, nous citerons la rue Sainte-Barbe, perpendiculaire à l'abside de l'église et qui, en forte pente, relie la rue de la Clède (partie basse) à un carrefour. Celui-ci est dénommé à partir de 1899 Place Mathieu Lacroix(156). Sur cette place, quelques années plus tard, un presbytère protestant (avec une salle de réunion) est bâti, lieu de rencontre pour les membres de cette communauté. Deux rues relient cette place à la rue Salavert: la rue St-Vincent et la rue Raoul Mourier. Rues de résidence elles aussi, elles sont surtout utilisées comme passage entre cette place et la rue Salavert. Dans la partie nord-ouest du centre, toutes les rues donnent accès au cimetière catholique dans les quartiers Salavert (aujourd'hui St-Vincent) et au petit cimetière protestant placé à côté de la place de l'Arboux. Celle-ci est le seuil d'accès au quartier du même nom. Il s'agit de la colline d'Arboux qui, pendant le XIXe siècle, garde une physionomie de campagne avec ces mas disséminés avec ses pins et châtaigniers(157). Le bas de la ville (sur la rive gauche du Gardon) est, alors, une zone facilement inondable ("les gardonnades") et, de ce fait, pas encore approprié aux constructions. Ce n'est que vers 1920 que ces quartiers - Les Pelouses, Brugas, Le Riste - seront aménagés dans le cadre d'un important programme de construction. Suivant le projet de l'Administration(158), le centre de la ville est relié aux vallées à partir de deux raies qui partent de la place centrale et qui forment l'armature proprement urbaine de La Grand-Combe: l'une relie la place à la "vallée de la Grand-Combe", l'autre à la "vallée du Gardon". Un troisième raie relie le centre à la gare. Celle-ci est située dans le quartier de la Pise, d'o— son nom, "Gare La Grand-Combe/La Pise". A.2.) La "vallée de la Grand-Combe". La "vallée de la Grand-Combe" sera l'épine dorsale de la vie économicoindustrielle de la ville. Elle se caractérise en deux zones: la partie basse de la vallée qui coupe la ville en deux et la partie haute, o— se situent d'importants puits d'extraction et les quartiers "la Grand-Combe" et "Airolle". La partie basse de la "vallée de la Grand-Combe" se situe dans les franges du centre-ville, autrement dit, c'est la "partie basse du centre-ville". Cet axe compte les rues les plus populeuses (et populaires), par la plus forte concentration des ménages ouvriers, des bâtiments plus modestes à deux étages, mais, et surtout, ce sont ces rues qui servent de parcours pour accéder aux divers lieux de travail situés tout au long de la vallée. Tantôt côté droit, tantôt côté gauche, les rues s'allongent le long de la "vallée de la GrandCombe": la rue de la Clède, la rue de la Verrerie et la rue de la Grand-Combe, côté ouest et, la rue de la Pise et la rue Frugères, côté est. Toutes ces rues sont très poussiéreuses. Quelques puits d'extraction sont tout proches. A vrai dire, la partie basse et la partie haute de la "vallée de la GrandCombe" sont zones caractérisées en tant qu'espace d'habitation et en tant que zone productive. L'espace du travail et l'espace domestique se développent ainsi mêlés, comme l'observe l'ingénieur Flechon: "A la sortie de la galerie Sainte-Barbe, d'un côté de la vallée se pressaient les ateliers o— le charbon brut était débarrassé de ses pierres, lavé et calibré; o— les produits fins, mêlés au brai, donnaient, dans de fortes presses, des ovo‹des et des briquettes de grande réputation. Sur l'autre rive s'allongeaient des parcs o— s'entassaient, en hautes meules cubiques, les bois destinés au soutènement des galeries. Et toutes ces installations industrielles enserraient étroitement les cités o— logeait le personnel, faisant participer, dans une promiscuité vivante, mais malsaine par l'air pollué que l'on y respirait, toute la population, aux vicissitudes de l'activité dont elle dépendait".(159) En bordant la vallée de La Grand-Combe, la rue de la Clède va du rondpoint de la gare (o— elle rejoint le Gardon) au carrefour des les rues de la Verrerie (rue des Poilus) et François Beau (rue Anatole France). C'est une zone à forte densité ouvrière, avec ses bâtiments alignés sur la rue qui se succèdent accolés latéralement. Dans cette rue, zone de passage importante pour accéder aux lieux de travail, se trouvent plusieurs cafés, un cabaret, des bureaux de tabac, des petites boutiques exploitées par des artisans (cordonniers, coiffeurs, tailleurs, etc.). A la gare commence la rue, frontière avec le quartier de la Pise. C'est un lieu de va-et-vient constant lié à l'afflux des voyageurs venant de l'extérieur. Tout proche de la rue de la Verrerie (dans l'angle qu'elle forme avec le mas Laffont), se trouve le lavoir public(160): les femmes de mineurs s'y rassemblent quotidiennement pour faire la lessive à la force des bras, jusqu'aux années 1950. C'est là aussi que la Compagnie a installé la première salle des fêtes pour le personnel. Ainsi, plus qu'une zone de résidence avec les rapports que cela implique (rapport familial, et de voisinage), elle concentre de multiples activités (ludiques, par exemple) qui jouent un rôle important de socialisation ouvrière. "La rue de la Clède longeait l'usine d'agglomération, la centrale électrique et le lavoir de La Frugère. Elle était très poussiéreuse, crasseuse même, les gamins, cruels, l'appelaient, le quartier des pouilleux. Là, s'entassait, dans des appartements sombres au confort plus que sommaire, une population très hétérogène (venue de partout). Plusieurs commerces, des cafés surtout une salle des fêtes et une maison close ('chez David') la seule officielle de la ville (...)".(161) La rue de la Clède débouche sur une autre rue habitée massivement par des ménages ouvriers: la rue de la Verrerie (dénommée, depuis la Grande Guerre, rue des Poilus). Les historiens du pays décrivent l'importance de ces rues "au temps de la Compagnie": "Ce quartier ne faillit pas à la tradition de l'esprit minier, il était très vivant et animé - l'on twistait dans les caves. Jusqu'à l'après-guerre, la rue de la Clède, la rue des Poilus et rue de la Grand-Combe vont constituer l'âme de La Grand-Combe".(162) En effet, la rue de la Verrerie (rue des Poilus), prend, plus au nord le nom de rue de la Grand-Combe et se prolonge le long de la "vallée de la Grand-Combe", en faible pente, jusqu'aux collines de Sainte-Barbe et d'Airolle, où se trouvent d'autres puits et galeries de mine, un atelier de triage et plusieurs casernes, outre une fabrique de verre "produit avec la houille locale"(163). Elle aussi comporte des cafés et des petites boutiques (épiciers, tailleurs, etc.). Vers les années 1900, la coopérative des mineurs y est bâtie. Déjà lieu de résidence et zone de passage aux heures de sortie et de rentrée des casernes, elle devient une importante zone d'approvisionnement. Les cafés les plus fréquentés sont situés sur les chemins empruntés par les mineurs rentrant du travail. Ils s'y arrêtaient pour un apéritif, une partie de cartes, pour bavarder avec un ami avant de rentrer dans les casernes. Important espace social masculin, le mouvement s'intensifiait en particulier à chaque quinzaine après la paie et le dimanche. Certes, la fréquentation des cafés n'est pas appréciée et même déconseillée par la Compagnie. Mais les cafés sont tolérés, dans la mesure même o— il semble impossible d'interdire l'existence de ces lieux de rencontre et de détente, véritables "institutions" de la culture ouvrière. Les clients du quartier avaient même leurs habitudes tout particulières: "(...) les cabaretiers avaient trouvé un moyen habile pour se constituer une clientèle fixe: chaque mineur possédait, dans le café qu'il s'était choisi sa propre bouteille d'absinthe, marquée à son nom; et il en buvait un peu, chaque jour, en sortant de la mine ou de l'atelier et le dimanche, après la messe, avant d'aller déjeuner".(164) En traversant cette vallée d'ouest en est, l'on rencontre les quartiers de la Frugère et de la Pise, qui s'étendent toujours au bord de la "vallée de la Grand-Combe". Ici sont installés différents ateliers, définissant ce lieu en espace de travail. Dans le quartier de La Pise, une fonderie pour la production de zinc s'installera dès 1846. Les ateliers y sont concentrés, comme ceux des usines d'agglomération, les fours à coke(165) et, plus tard, ceux de la briqueterie et l'usine centrale électrique de La Pise(166). Dans le quartier de La Frugère se trouvent implantés les services de lavage central (lavoir de Frugère) et l'embarcadère de charbon(167), etc. Mais c'est aussi un important espace d'habitation, où les casernes alternent ici et là avec les ateliers. A vrai dire, dans la rue de la Pise et la rue Frugères, lieux de résidence et zone d'activité productive cohabitent, l'on pourrait dire qu'ils se mêlent. Dans le haut de la "vallée de La Grand-Combe" et située à la périphérie urbaine - au pied des collines Sainte-Barbe et d'Airolle - le quartier de la "Grand-Combe" est choisi pour construire le premier siège de l'Administration, la maison du Directeur de l'Exploitation et les maisons des ingénieurs. Toujours dans le haut de la vallée, mais cette fois proche des prospections qui deviendront les puits de La Forêt et de Sainte-Barbe, les premières maisons ouvrières sont bâties. En 1846, ce quartier compte déjà un important nombre de maisons et d'habitants.(168) Dans cette zone - le haut de cette vallée - se concentreront donc le centre administratif de la Compagnie - qui sera éloigné du centre-ville jusqu'en 1923 - les principaux bâtiments industriels et de nombreuses habitations ouvrières. A.3.) La "vallée du Gardon". C'est la route du Gouffre, qui court parallèle à la vallée du Gardon, reliant la ville de La Grand-Combe aux hameaux de Trescol, La Levade et Champclauson. Du centre de La Grand-Combe, l'on accède à cette route à partir de la place Salavert. Les hameaux, de leur côté, se bâtissent de plus en plus. Trescol, le plus gros des hameaux de La Grand-Combe, connaît une importante concentration de casernes.(169) A Trescol est construit également le principal atelier de triage de charbon proche de la voie ferrée. Celui-ci présente un aspect assez particulier, pour être un des seuls chantiers o— la Compagnie emploie des femmes (les placières). Dans la citation ci-dessous sur Trescol, les historiens attirent l'attention sur la proximité des espaces de production et résidentiels: "Un passage à niveau franchi, le visiteur longeait une caserne sordide et nauséabonde, puis empruntait une rue en forte pente serpentant entre les installations du triage à gauche, et, à droite, quelques maisons collées les unes aux autres, ou séparées par un compresseur bruyant et un plan incliné par o— descendaient les berlines amenant sur la place de Trescol - le charbon venant des galeries de Champclauson ou des puits du Ravin et de la Fontaine".(170) De la même manière qu'à La Grand-Combe, sur la place centrale se trouve l'église, mais il s'agit dans ce cas d'un Temple Protestant. A deux pas de là se trouvent le puits du Gouffre número 2 et une fontaine publique qui ravitaille la population en eau. Tout cela explique l'important va-et-vient sur la place, où "Trescoliennes et Trescoliens venaient (...) souvent tailler une bavette"(171). Le hameau de La Levade, à l'image des autres, présente la même structure spatiale avec l'église catholique au faîte de la rue en pente, la rue de l'Eglise. Celle-ci constitue avec la rue de l'Ecole (car c'est là o— se trouve l'école) les deux axes principaux du village. Dès les premières années d'existence de la nouvelle commune, la Compagnie établit à La Levade une annexe du bureau de l'administration(172). Elle se situe à l'angle de la rue des Ecoles et de la rue de l'Eglise et une annexe de la mairie y fonctionne aussi. De l'autre côté de la rue se situe la gare, importante structure pour le transport de la production, mais aussi, pour le village, une voie de communication avec les environs. Située sur la rive gauche du Gardon, la particularité de cette localité est le voisinage avec le hameau des Taillades appartenant à la commune de Branoux dont elle est séparée par le Gardon et reliée (depuis 1875) par un pont métallique. A partir de 1896/97, ce village est le siège d'une brigade de gendarmerie (brigade à pied et brigade à cheval). Distant de deux kilomètres au nord de Trescol, le hameau de Champclauson est atteint par une "route tortueuse et pentue"(173). Le troisième hameau de la commune garde encore les traces des casernes o— s'entassaient les travailleurs et leurs familles, juste à côté de l'entrée du puits d'extraction situé au coeur du village o— les familles des mineurs ont habité jusqu'à récemment (années 1970). "Avant de monter ici on habitait dans les casernes en pierre de la Compagnie, là en bas, c'était la caserne des mineurs à côté du puits de mine. C'était je crois les premières casernes ici (à Champclauson)... vous aviez d'avoir vu dans le passage sur le pont on habitait là et, vous savez, là, on avait deux pièces, pas de confort, rien du tout. On était bien quand même". (M. Bertaux. Mineur retraité). Champclauson, définiront les historiens, c'est "une bourgade minière typique, o— ateliers, habitations, chapelle catholique, tous construits par la Compagnie, se côtoient"(174). A.4.) La rive droite du "Gardon". Quand le sujet en question est le processus de développement du tissu urbain de La Grand-Combe, l'on doit tenir compte de l'existence des communes limitrophes situées sur la rive droite du "Gardon", telles que Salles-du-Gardon (la commune voisine) et Branoux-Les Taillades. Cela parce que sur ces communes la Compagnie a fait construire des bâtiments pour accueillir un certain nombre d'ouvriers travaillant dans les mines. Ces communes, malgré cet accueil à une nouvelle population ouvrière, restent typiquement rurales puisque, en fait, les chantiers de travail (les prospections minières) se trouvent, dans leur majorité, localisés sur la rive gauche de la rivière (commune de La Grand-Combe). Pour traverser journellement le "Gardon", les mineurs utilisaient les "passes" naturelles, c'est-à-dire, "des pierres alignées dans le lit du Gardon", ou alors les "passerelles en bois, tout à fait sommaires et assez dangereuses les nuits sans lune, qui étaient emportées à chaque 'gardonnade'".(175) C'est seulement avec la construction des ponts reliant La Levade et Taillades, Salles-du-Gardon et La Grand-Combe (quartiers du Riste et de La Pise), que les conditions d'accès au travail pour ces ouvriers habitants de la rive droite du Gardon se sont améliorées. B) HABITER "AU TEMPS DE LA COMPAGNIE". La création de la commune voit une accélération immédiate de la transformation de l'environnement rural en un espace urbain. Un programme de construction a été entrepris pour accueillir une population qui ne cesse de croître du fait de l'augmentation massive de la main-d'oeuvre. Les biens immobiliers de la Compagnie sont importants: bâtiments industriels et administratifs, bâtiments publics, logements pour les ouvriers, maisons pour les employés, pour les ingénieurs, les médecins, les instituteurs, les prêtres, etc., tout se construit rapidement, non sans définir la position sociale précise de chacun dans l'espace de la ville nouvellement créée, y imprimant son ordre hiérarchique.(176) En effet, les types de constructions et la distribution spatiale correspondront aux hiérarchies instituées dans le processus de répartition des tâches dans le monde du travail: ce que Frey appelle "la dynamique statutaire des différents groupes sociaux"(177). Ainsi, les ingénieurs et cadres dirigeants de la Compagnie habitent des villas, les commer‡ants, les professions libérales, les employés de bureau, les ouvriers d'encadrement ("contremaîtres", les "chefs porions") résident davantage dans des immeubles du centre-ville ou dans les quartiers qui leur sont attribués. Par contre, les ouvriers résident dans des logements construits par la Compagnie. Ceux-ci habitent, qui des baraquements, qui dans des casernes, qui dans des maisonnettes et, plus rarement, dans le mas familial. Quelques-uns prennent pension chez les particuliers (surtout les célibataires), d'autres s'établissent avec leurs familles dans les différents quartiers ouvriers. B.1.) Les Casernes. Les premières maisons destinées à loger les ouvriers étaient du type caserne, modèle dont l'origine sont les concentrations du type militaire, avec leur alignement uniforme. Ce type, très répandu au XIXe siècle, a été massivement adopté par les industriels pour loger les ouvriers. Ces habitations ouvrières, peu co–teuses par leur architecture et les matériaux utilisés, sont constituées de bâtiments très longs, comportant généralement un étage. Chaque logement comporte deux pièces dans la largeur de la construction (et plus rarement, trois pièces). Chaque "caserne" correspond à un corps de bâtiment. Une "habitation" regroupe plusieurs casernes juxtaposées et/ou superposées. En outre, les baraquements en bois ont également été souvent proposés comme réponse hâtive, sommaire et immédiate à la pénurie de logements destinés à accueillir une nouvelle population. Toutes les habitations ouvrières construites par, ou sur commande de la Compagnie, ont été désignées "casernes"(178). Même reconstruites et améliorées, elles demeurent ainsi désignées dans les rapports du Conseil de l'Administration de la Compagnie des Mines et, ainsi nommées, encore aujourd'hui, par les habitants locaux. La note suivante le démontre: "A part l'essai fait après la guerre de 1914-1918 aux mines de La GrandCombe o— une cité, celle de Ribes, avec plan d'urbanisme, maisons indépendantes et jardin fut édifiée, on peut dire que les 'logements ouvriers' étaient plus souvent du type 'casernes' comme l'on peut en voir encore un peu partout dans le bassin minier".(179) Les premières maisons ouvrières ont été bâties dans le haut de la "vallée de la Grand-Combe", dans le quartier du même nom, à l'extérieur de la ville, et étaient destinées principalement à des mineurs: il s'agit d'un groupe de casernes construites par la Compagnie sur un terrain lui appartenant depuis 1836. Bâties en 1837/38, elles sont nommées les "Casernes Neuves"(180). Si l'on en croit le discours officiel, elles "ont été autant que possible adaptées au climat et au genre de vie de leurs occupants"(181), c'est-à-dire, à la conception de l'habitat en milieu rural. A ce moment-là, elles se composent de 5 casernes avec rez-de-chaussée et lø étage, chacune composant un corps séparé de bâtiments abritant un total de 240 logements. Elles sont juxtaposées, avec alignement des façades sur la rue. L'accès à chaque appartement se fait séparément et la porte d'entrée accède directement à la pièce principale: la cuisine, pièce où la vie familiale se déroule principalement. On peut, vraisemblablement, considérer celle-ci comme la structure spatiale la plus courante du milieu ouvrier à La Grand-Combe(182): "A l'intérieur d'une maison traditionnelle du mineur, vous avez en général deux pièces, la cuisine, ce qu'on appelle en tout cas cuisine, est la salle à tout faire, et puis une chambre à côté pour toute la famille. Le plus souvent le chauffage est une cuisinière à charbon". (M. Wiénin). Chaque appartement au rez-de-chaussée permet une relation directe entre cette pièce et l'extérieur (la rue), rappel du mode de vie rurale traditionnel. Une autre porte, attenante, donne accès à un escalier intérieur desservant l'étage. La culture potagère est possible en utilisant les champs situés derrière. Mais les conditions sont spécifiques: puisqu'on est sur la colline, la culture y est pratiquée en terrasses. La caserne número 4, encore existante, abritait à l'époque 25 pièces habitables sur deux plans, c'est-à-dire 13 appartements et 8 caves, dont 12 appartements de deux pièces; une cuisine par devant (4m80 sur 5m40) et une chambre donnant sur l'arrière (5m55 sur 5m6O), un seul appartement ne comprenait qu'une pièce(183). On accède au rez-de-chaussée par la fa‡ade. Pour accéder à l'étage, on utilise un escalier intérieur. La porte d'entrée de chaque appartement accède directement à la "cuisine". Les toilettes n'existent pas et "on jetait les ordures dans le fossé en face (...) une odeur épouvantable...". (Mme Combet, épouse de mineur retraité). Dans ces premières décennies - nous l'avons déjà mentionné - le haut de la vallée (quartier de La Grand-Combe, quartier de l'Airolle) est considérablement peuplé. En 1851, le quartier de la Grand-Combe compte alors pour une population de 5OO personnes (et 117 ménages) 11 "habitations", et celui d'Airolle compte 3 "habitations" pour loger 129 personnes ou 31 ménages. Depuis cette époque-là, le nombre de la population de ces quartiers s'est stabilisé. Vers 1882, ce quartier est nommé "La Forêt", nom du puits d'extraction qui y est creusé(184). A l'orée de ce domaine, d'autres casernes sont érigés, notamment celle du Coke et la caserne Vieille (au pied de la colline de Sainte-Barbe). Dès 1841, sur tout le territoire de la Compagnie, les casernes poussent comme des champignons, tantôt construites par la Compagnie même, tantôt par des particuliers sur les terrains lui appartenant.(185) Partout ont été construites des maisons alignées dans des rues qui se ressemblent. Elles portent souvent le nom de leurs constructeurs. D'autres casernes construites par la Compagnie portent des noms divers, parfois de la localité, parfois du puits les plus proche. Ces casernes ne sont pas pourvues de jardins, l'étroitesse des terrains ne le permettant pas, mais les mineurs ont accès aux terrains de la Compagnie où, pour un loyer minime, ils peuvent pratiquer la culture potagère. Tous les bâtiments, dénommés "casernes", n'ont pas la fonction d'une résidence pour les ouvriers. C'est le cas des casernes construites par MM. Santet qui servent, à Champclauson, de magasin-aux-vivres, de logements pour l'employé du magasin, de boulangerie (à côté du logement d'ouvriers) et, à La Levade, de magasin-aux-vivres et de logement pour le premier commis, etc. D'ordinaire, la porte d'entrée au rez-de-chaussée donne sur la rue. L'étage supérieur est desservi par un escalier extérieur, en général latéral au bâtiment, qui donne sur un corridor intérieur commun aux appartements. On trouve aussi, le cas d'entrées plus "individualisées": les portes d'entrée sont séparées - à l'exemple du type des Casernes Neuves - et on accède à chaque logement supérieur par un escalier intérieur du bâtiment. Les W.-C. individuels et la douche ne font leur apparition, à l'intérieur de la maison, qu'après la Deuxième Grande Guerre. Les latrines sont toujours collectives, situées normalement derrière les casernes.(186) En 1848, les habitations pour les ouvriers dispersées sur tout le territoire et appartenant à la Compagnie (entre La Grand-Combe, Champclauson, Trescol, La Levade, La Trouche, La Pise, Laval, etc.), sont constituées par 18 groupes de casernes de 1 à 2 pièces (plus rarement 3 pièces), à un ou deux étages. Il s'y ajoute d'autres casernes construites depuis 1848, par l'initiative privée, dans les bordures de la partie basse de la vallée de La Grand-Combe et du chemin de fer: dans les quartiers de la Clède, de la Verrerie, de la Pise, le Fougère. Destinées aux ménages ouvriers, ce sont, d'après Gaillard, des maisons "d'allure assez pauvre", à deux étages, destinées à loger les mineurs et, selon Mariette, modestes et basses(187). Celles qui ne sont pas rachetées par la Compagnie, demeurent exploitées par des particuliers où les célibataires et veufs prennent très souvent pension(188). Elles sont en général à deux niveaux (de deux pièces qui se commandent), chaque étage comprenant de deux à quatre logements: chaque "ménage" dispose de deux pièces (une cuisine et une chambre) et d'un "réduit obscur"(189) (cave à charbon). Elles sont alignées sur la rue. Les cuisines donnent généralement sur la rue et les chambres, sur le puits. La porte d'entrée sur fa‡ade est commune aux rez-de-chaussée et aux étages supérieurs. Le resserrement spatial est évident dans ces petites pièces d'environ 25 à 30 mý, prévues pour loger des familles de 5 à 10 personnes(190). D'ailleurs, l'alignement sur la rue et l'étroitesse des habitations nous permettent d'émettre l'hypothèse d'un rapport étroit entre l'intérieur et l'extérieur - espace public/espace domestique - dans lequel la rue demeure l'extension de l'habitation. Malgré une vie étroitement surveillée par le patronat, la rue est l'important lieu de production et d'échanges sociaux de la classe ouvrière: lieu de passage, de rencontre, lieu de rapports de voisinage et de socialisation enfantine(191). Les maisons construites dans les parties à grande déclivité sont adaptées au terrain: on accède aux appartements par un long balcon commun situé en fa‡ade, d'où partent les escaliers latéraux donnant accès aux étages supérieurs (comme la rue des Lavoirs ou la rue de l'Escalier, perpendiculaires à rue de la Clède, partie basse du centre-ville). Jusqu'à la dernière décennie du XIXe siècle, le quartier à plus haute densité est celui nommé "Casernes Basses" ou "Casernes des Mineurs". Elles se situent près du puits de Sainte-Barbe, c'est-à-dire, à peu près au point qui caractérise le milieu de la "vallée de la Grand-Combe". Destiné aux ouvriers, ce quartier est constitué par un ensemble de casernes alignées au bord de la rue de la Grand-Combe. De caractère typiquement collectiviste(192), cet ensemble de bâtiments se répartit sur les deux côtés de la rue, avec des façades identiques. En 1846, ce quartier comprend 9 "habitations" où résident 779 individus, soit 93 ménages. La majorité des occupants travaillent comme mineurs dans la Compagnie et une minorité exerce des activités diverses(193). Surpeuplés sont les logements situés dans les Casernes Basses. En 1851, se concentre toujours le nombre le plus important d'habitants par quartier: 87O personnes (soit 204 ménages) sur seulement 11 "habitations" (groupe de casernes). En 1856, alors que le nombre d'habitations est recensé à 8, les Casernes Basses sont habités par 1.016 individus. Dans ce groupe, la caserne "Elise", construite en 1841 par M. Bourdaloue (sur un terrain d'une superficie de 3.350mý appartenant à la Compagnie), est devenue aussitôt une des plus peuplées. Elle comprenait 3 corps de bâtiments de 2O appartements au rez-de-chaussée. La porte d'entrée donnait sur la rue de la Grand-Combe, le seul accès d'ailleurs sur la rue, puisque les chambres situées à l'arrière donnaient sur la "vallée de la Grand-Combe". En 1844, suite à la détérioration des toitures, M. Bourdaloue élève la construction d'un étage, correspondant à un total de 120 pièces supplémentaires(194). Face à la "surhabitation" dans les casernes, d'une manière générale, et fur et à mesure que la population laborieuse augmente, les logements ne suffisent plus pour recevoir tous les nouveaux venus. Par conséquent, habiter les casernes est synonyme d'entassement - "les maisons étaient habitées de la cave au grenier"(195) - et d'insalubrité: "C'est ainsi que La Grand-Combe étalait (...) ses casernes (...), maisons sordides alignées le long du ruisseau noirâtre qui captait ensemble les eaux usées par les hommes et par les laveries de charbon".(196) M. Landes, dans le récit de son passé, fait allusion à la petitesse de l'habitation attribuée à son père et à sa famille, au grand "mélange" ethnique du quartier et aux "bons souvenirs" liés à la solidarité d'autrefois dans les rapports de voisinage. Quoiqu'évoquant une époque plus récente (années 1930/40), son observation nous permet de reproduire un exemple des pratiques et du mode de sociabilité qui fondaient les rapports dans le quotidien des familles "au temps de la Compagnie": "Moi, je suis né à La Grand-Combe dans la rue de la Clède. Ils viennent de démolir la maison où je suis né (1989). Notre maison était du côté mine, et tout ‡a a été démoli ‡a fait six mois. Je suis né dans cette maison et j'ai vécu trois ans dans une autre, à la Clède, près de l'escalier, là où il y avait un lavoir. Je pourrais vous raconter les conditions de vie parce que j'en ai un assez bon souvenir. Nous vivions dans une cave, c'était une pièce réduite, noire. J'ai le souvenir de la couleur de l'ambiance gris-jaune de mes rêves d'alors. Cela explique un peu la couleur de mes peintures que je vous ai montrées. On vivait dans cette cave, on n'avait rien, on était une famille nombreuse (à l'époque 6 enfants). Mais on était bien. Il y avait une ambiance qu'on ne voit plus aujourd'hui. On avait des voisins étrangers, mais c'était tous la même famille. Il fallait s'aider. Il y avait pas mal de familles nombreuses, d'ailleurs. A l'époque il y avait, c'est vrai, les allocations familiales qui permettaient de vivre mieux avec les enfants, mais surtout il y avait le problème d'hygiène, les problèmes médicaux, etc. Les moyens de contraception à l'époque n'étaient pas développés et il y avait la religion... Pendant des années nous avons vécu dans ce quartier très populaire. Il y avait des italiens, des espagnols, des fran‡ais, des gavots cévenols, toutes les ethnies étaient représentées. A l'époque, il n'y avait pas la télévision, alors on jouait dans la rue, nous les gamins. Il y avait un personnage célèbre, une dame très forte qui nous faisait peur. On la taquinait et puis on se cachait. C'était drôle. Le soir on allait chez un voisin, mon père jouait aux cartes, on chantait. Puis les gens s'aimaient bien, il y avait de bons rapports. Nos amis les plus proches, c'étaient nos voisins, les Martinez, une famille espagnole, mais tout le monde vivait ensemble. Chacun avait son appartement, c'est s–r, mais tout le monde se connaissait et il n'y avait pas de problèmes raciaux." (M. Landes. Mineur retraité, fils de mineur). Toutefois, la promiscuité comme tout comportement considéré comme immorale, est surveillée par les mouchards (à la solde de la Compagnie) et par le clergé.(197) Non seulement la construction de l'habitation n'est pas régie par l'institution familiale, elles l'est par la Compagnie, mais encore celle-ci contrôle le "bon fonctionnement" de cette "institution" à l'intérieur de l'espace par elle réglementé. En 1876, plus de 1.500 familles (ou personnes seules) résident dans les logements construits par la Compagnie, ou pour elles loués à ces fins.(198) En ce qui concerne la commune dans sa totalité, en 1886, le parc immobilier est assez développé(199). Selon le recensement de cette année-là, pour une population résidente d'un total de 11.341 personnes, dont 11.248 résidents présents et 93 résidents absents, le nombre des "habitations" occupées est de 649 (dont 3 vacantes). Le nombre d'appartements ou logements occupés sont de 3.195 (dont 248 se trouvent alors vacants).(200) B.2.) Les mas.(201) L'apparition d'une industrie dans une région rurale entraîne, sur la commune, la coexistence de différents types architecturaux qui contrastent: maisons anciennes du type rural par opposition aux casernes con‡ues selon une nouvelle rationalisation du logis. Avant la fondation de la ville, la région est essentiellement agricole. Y vécurent des générations de paysans cévenols, en général propriétaires fonciers résidant dans un mas avec leur groupe domestique. Les mas ont quelquefois été rachetées par la Compagnie ou par des particuliers. Dans d'autres cas, ils sont restés à l'usage du propriétaire et de son groupe domestique. Face à l'emprise industrielle et urbaine, plusieurs d'entre ceux acquis par la Compagnie ont été démolis pour faire place aux établissements industriels et publics(202). C'est le cas des mas existant dans les quartiers du FESC et des Oules, achetés par la Compagnie. Certains quartiers recensés en 1846 sont en réalité des propriétés foncières (un mas), offrant la particularité que les propriétaires et leurs enfants, quoique restant dans leur propriété, travaillent dans la mine(203). Nous avons effectué des recherches, à titre d'exemple, sur le mas Puech. Dans le premier recensement de La Grand-Combe (1846), M. Jean Fran‡ois Puech est le propriétaire de cette ferme. Il a alors 49 ans, catholique, il est marié et père de 7 enfants (2 fils et 5 filles) et travaille comme mineur pour la Compagnie. En 1866, les fils et un gendre co-résident dans la propriété et travaillent pour la Compagnie comme manoeuvres. Ce fermier entretient sa propriété, au moins jusqu'au recensement de 1876 (il a alors 79 ans), et déclare encore une double identité professionnelle. A cette date, son fils aîné, marié et père de deux gar‡ons, habite toujours la propriété et travaille comme mineur. En 1886, c'est la dernière fois que le mas Puech est recensé, mais cette fois dans la section de la population dite éparse comme ferme (4 personnes y habitent encore). Quelle qu'ait pu être la quantité des fermiers, nous pouvons supposer qu'ils pratiquaient une double activité (la culture et la mine). C'est, en tout cas, ce que l'analyse du recensement de 1866 permet de déduire, puisque les propriétaires ruraux vivant uniquement de leurs terres ou les cultivant eux- mêmes, sur la commune, sont au nombre de 2. En 1872, la répartition par branche d'activité sur la commune de La Grand-Combe indique l'existence d'un seul fermier vivant uniquement de l'exploitation foncière(204). Malgré la diminution des activités agricoles, divers mas restent figées par-ci, par-là, dans ce nouveau tissu urbain, témoignant de l'origine rurale de l'environnement. Quelques anciens propriétaires conservent ainsi, du moins pendant une certaine période, leur propriété et y habitent avec leur famille. C'est l'exemple de la famille de M. Orsel, mineur retraité qui habite entre les quartiers de la Pise et Ribes dans une grande maison d'origine rurale qui a toujours appartenu à la famille. Bien s–r, elle a été transformée, au fur et à mesure, mais elle est restée, par suite d'héritages dans la même famille. Ses ascendants étaient les paysans-mineurs typiques, puisque tout en restant sur le lopin de terre, selon lui, "depuis l'exploitation de charbon, la famille 'Orsel' a travaillé dans les mines" (au moins 5 générations). Le type de maison isolée et le principe d'occupation des parcelles distinguent les conditions d'habitat de ces familles de celles habitant les casernes à occupation collective. Gaillard repère la présence de quelques mas sur les quartiers de La Pelouse, Le Riste et Brugas. Ce sont des petites maisons individuelles situées non loin de la voie ferrée et proche du Gardon: des "maisonnettes entourées de jardins, véritable exception dans une ville, o— faute de place, le mineur dispose très rarement d'un lopin de terre à cultiver près de son habitation"(205). Mais, si le domaine foncier reste un privilège, ceci n'est pas toujours synonyme de supériorité de confort à l'intérieur des maisons. Selon M. Wiénin, notre interviewé, les logements ouvriers mis à disposition par la Compagnie, étaient connus pour être parfois plus confortables que certaines maisons rurales. En revanche, les rares mineurs qui avaient pu garder leur mas se trouvaient très souvent avantagés (au niveau de l'espace) par rapport aux habitants renfermés dans une caserne: "Nous habitions un mas (trois pièces cuisine sans poste d'eau et sans confort) cerné de fa‹sses, près du cimetière de L'Arboux. Mes parents élevaient une chèvre, un cochon, quelques poules, quelques lapins; nous étions des privilégiés par rapport aux gens de la caserne du Gouffre que les personnes huppées de la ville appelaient par dérision - avec celui de la Clède - 'le quartier des Pouilleux'!".(206) B.3.) Les logements des employés. Une analyse des premiers recensements de La Grand-Combe révèle que quelques "individus", au statut socio-professionnel d'"employés" résident dans des logements spécialement construits pour eux dans le quartier situé en haut de la vallée.(207) En outre, le personnel des bureaux et les contremaîtres de la Compagnie seront généralement logés au centre de La Grand-Combe dans des bâtiments localisés dans les rues qui font figure d'épine dorsale de la ville (rue François Beau, rue Salavert, rue de la République, boulevard Talabot) où habitent également professionnels libéraux, commerçants, etc. Ces édifices, de deux ou trois étages, sont prévus pour un ou deux ménages (par étage). Etant situés au centre de la ville, ces bâtiments sont dans l'alignement de la rue, mitoyens, sans espace pour un petit jardin (en général situé à l'arrière du terrain). L'entrée se fait sur la fa‡ade. La distribution de l'espace intérieur s'articule autour d'un espace commun, vestibule ou couloir, spacieux, permettant l'accès à chaque appartement. On accède aux étages par un escalier intérieur. A l'intérieur des appartements le sentiment de confort se dégage. La salle à manger est séparée de la cuisine et le nombre de chambres en est variable. Les W.-C. se situent, en général, à l'étage. De l'extérieur, la présence de balcons en fer forgé sur les fa‡ades côté rue révèle le caractère privilégié de ces immeubles. Généralement, les commer‡ants, qui s'y installeront, au fur et à mesure, exploiteront un magasin au rez-de-chaussée et habiteront les étages supérieurs. Mais, si nous avons pu observer que quelques employés(208) et ouvriers exer‡ant une activité à responsabilité ont bénéficié de conditions privilégiées d'habitation, par contre, dans les premières décennies d'existence de la ville, on trouve aussi des employés logés aussi dans les casernes. En effet, selon le recensement de 1846, quelques ouvriers exer‡ant une activité de commandement ou de coordination (gardes-mines, chefs de poste, chefs de travaux, commis et employés), résident dans les casernes (Casernes Neuves, Casernes Basses et autres à Trescol, Champclauson, La Levade, etc.). Les raisons peuvent en être: a) l'intention d'habiter tout près du chantier; b). les logements sont au début insuffisants et la Compagnie a déjà une lourde charge de constructions publiques; c) il n'est pas impossible que cela ait un rapport avec la volonté de la Compagnie d'un contrôle social, comme nous l'avons suggéré, plus haut, dans la "surveillance" exercée par les "mouchards" (employés et ouvriers-chefs) résidant en milieu ouvrier.(209) C'est seulement vers les années 1920 que la Compagnie planifie la construction de nouveaux quartiers, avec des bâtiments spécialement con‡us pour abriter les employés et ouvriers d'encadrement. Une des zones-cibles concerne le quartier de Ribes, d'autres zones sont les quartiers de la Pelouse, Brugas et Riste, situés en contrebas de la ville, alors aménagée pour y établir un programme plus prétentieux de construction. "(...) quartiers récents, groupement de petites villas étagées sur le coteau, généralement réservées aux employés et techniciens, bénéficiaires d'une instruction plus poussée et d'une promotion sociale, facilitée par le travail de leurs pères ou de leurs grand-père mineurs de fond des âges passés".(210) Il devient plus évident que la Compagnie établit une ségrégation sociale par zones. B.4.) La "maison de l'administration" et les villas. Le haut de "la vallée de la Grand-Combe", non loin du groupe de casernes, est aussi l'endroit choisi pour installer la première "maison de l'Administration" de la Compagnie et les premières "villas" (maisons pour les ingénieurs), ainsi qu'un magasin-de-vivres, un poste de sauvetage, une chapelle et, plus tard, une école et une garderie. La "rue de l'Ancienne Administration" témoigne de l'origine de ces bâtiments. Faisant partie de la "maison de l'Administration", des logements juxtaposés étaient à la disposition des cadres dirigeants de l'entreprise ("gérants" et des "employés supérieurs"). Ces logements comprenaient plusieurs pièces: salon, salle à manger, deux bureaux de travail, trois chambres et cabinets. Dans un autre corps de bâtiments, entouré par un jardin, se trouvaient les bureaux de l'ingénieur, des caissiers, des employés et des dessinateurs. En outre, dans le voisinage sont bâties des villas: la maison du Directeur et quelques maisons pour les ingénieurs. Si une certaine distance entre les casernes et les villas existait, c'est néanmoins dans le même quartier (aujourd'hui "cité de la Forêt") que nous trouvons tantôt les premiers logements ouvriers, tantôt les premières maisons des ingénieurs, comme celle de l'ingénieur M. Claude Thibauder en 1846 (maire de la ville de 1847 à 1848). En 1851 le recensement du quartier révèle qu'y habitent un important nombre d'ouvriers et employés mais aussi le directeur d'exploitation des mines(211). Ces villas nommées par la population "maisons des ingénieurs", étaient des maisons luxueuses avec de grands jardins.(212) Les motifs pour lesquels la Compagnie aurait installé dans un même quartier éloigné du centre-ville ces deux types de résidence suit probablement les principes urbanistiques de vouloir bâtir davantage au long de la "vallée de la Grand-Combe" devenue important "espace de travail". Afin d'établir une proximité entre le lieu de travail et le lieu d'habitation et réduire les longs parcours (le haut de la vallée étant éloigné du centre-ville), la cohabitation dans le même quartier n'a pas pu être évitée, quoique respectant une certaine distance entre les villas et les casernes.(213) Ainsi la proximité de la montagne de Sainte-Barbe - où l'exploitation bat son plein de 1836 à 1840 - pourrait justifier l'installation du centre administratif de la Compagnie et des premières casernes à cet endroit. Dans ce cas, c'est surtout l'occupation du terrain et du type de maisons qui distingue clairement les conditions d'habitation des ingénieurs de celles des ouvriers: celles des ingénieurs sont privilégiés par l'usage privatif de la parcelle de terrain et par l'usage mono-familial de l'habitation.(214) En outre, cette proximité peut correspondre aussi à une volonté de surveillance de la part du patronat. Ce n'est qu'une supposition, mais cette proximité est également observée dans le cas de la construction du logement de l'ingénieur à Champclauson, non loin des autres casernes, et nommé, d'ailleurs, "Caserne Adèle" (construit en 1844 par M. Deleuze et racheté par la Compagnie en 1854). Cette "caserne", où habitent l'ingénieur et sa famille, se différencie des autres: elle est constituée d'un rez-de-chaussée avec 8 chambres et cabinets. Les mineurs retraités interviewés témoignent sur le type d'habitations destinées aux ingénieurs: "Les ingénieurs! Ils avaient des belles maisons avec douze ou quinze pièces. On n'a jamais eu de rapport, c'était bonjour, bonsoir. Ils se comprenaient entre eux. Même les enfants des ingénieurs ne parlaient pas avec les nôtres." (M. Chamborinaud. Mineur retraité). La typologie représentée par "Ils ont des belles maisons" résume le contraste le plus vif d'une différence entre les conditions d'habitation. La hiérarchie spatiale des positions sociales se fait par le biais du confort des maisons des ingénieurs et leur ostentation. Ce n'est qu'en 1953 que la "maison de l'Administration" et la maison du Directeur s'éloignent des groupes des casernes. A cette époque, la Compagnie achète le Château de La Levade et divers terrains où sont transférés les bureaux de la Compagnie. Ce siège est localisé à l'extrémité (opposée à la ville de La Grand-Combe) de l'axe dominé par la "vallée du Gardon". La Levade devient alors le siège principal de l'Administration et le château, le nouveau lieu de résidence du Directeur des Mines. Selon le recensement de 1856, le directeur M. François Beau y réside. "(...) la Maison d'administration de La Levade, grande maison bourgeoise au flanc de la colline, entourée d'un parc en terrasses, que l'on appelait souvent 'le Château'".(215) Ce déménagement de La Forêt pour La Levade déplace aussi la caisse de l'administration. Quelques activités continueront à être assurées à La Forêt, tels le poste de sauvetage, les magasins-aux-vivres, les villas pour les ingénieurs et les hauts fonctionnaires. Avec ce changement la Compagnie abstrait le siège principal et la maison du Directeur du reste de la "ville ouvrière". Ce changement n'altère pas fondamentalement la structure du hameausiège. La maison du Directeur acquiert désormais un contenu distinctif et aristocrate plus fort: le château (espace de travail et domestique). Plutôt que de promouvoir le centre urbain (et public), la maison de l'administration reste à l'écart du village. Une distance qui suggère une hiérarchie spatiale des lieux (entre la maison directoriale et les habitants du hameau). C'est ce château qui reste dans les souvenirs de nos interviewés comme étant la résidence de la Direction de la Compagnie. "Le Directeur de Mines habitait à La Levade, il était le patron ici, mais les 'autres patrons' (Président et membres du Conseil d'Administration) habitaient à Paris. Le 'vrai patron' (Président) descendait tous les mois pour les réunions qui se passaient dans le Château de La Levade là-haut...". (M. Vial. Mineur retraité). Pour héberger les visiteurs, la Compagnie achète encore le château de La Pomarède, dans la commune voisine des Salles-du-Gardon, transformé plus tard en maternité, puis en Maison de Santé et de Repos. Si le château de La Levade demeura, jusqu'à la fin du "règne du charbon", siège de l'Administration et maison du Directeur, la Compagnie, face à la croissance de ses activités commerciales, installe, en 1923, ses bureaux centraux au coeur de la ville de La Grand-Combe, sur la place Bouzac (appelée depuis 1918, place de la Victoire). La Compagnie construit un luxueux bâtiment, où se concentrent ses services administratifs, transformant le paysage du centre de la ville. Désormais, ce haut lieu de travail de la Compagnie dominait le coeur de la ville, image symbolique d'un pouvoir immanent "au temps de la Compagnie".(216) Ce vaste édifice d'architecture "victorienne" correspond à la période de récupération économique de la Compagnie grâce à la conjoncture favorable de l'après-guerre. Mais la monumentalité de ce bâtiment ne correspond pas à la réalité structurelle d'un "royaume" et de son "ciment idéologique" - le paternalisme - qui ne cessent de s'effondrer. Le monument devient bientôt "mausolée" de la Compagnie des Mines de La Grand-Combe, et reconverti en siège sectoriel des Houillères du Bassin de Cévennes, depuis la Nationalisation (en 1946). B.5.) Les camps. L'événement de la "Grande Guerre" détermine une conjoncture de crise ayant des conséquences sur le programme de construction. En effet, pour recevoir les prisonniers de guerre et une nouvelle main-d'oeuvre recrutée, la Compagnie a développé un programme provisoire de logement, et construit à la hâte, pendant la guerre, plusieurs camps pour les loger.(217) Les camps sont situés dans des terrains périphériques de la ville de La Grand-Combe ou ses hameaux. Ils consistent en des "baraquements", constructions simples et sommaires, où les prisonniers étaient entassés à plusieurs sur quelques metro quadrado.(218) En ce qui concerne les nouveaux venus, ils seront logés dans les baraquements, surtout dans les périodes d'arrivées massives de main-d'oeuvre étrangère. Nord-Africains, Espagnols, Italiens, y ont étés logés - surtout ceux qui sont arrivés seuls. Ceux d'entre eux, qui, au fil des années, arrivent à se stabiliser dans le travail, et qui décident de se fixer avec leur famille, font une demande auprès du Service des Domaines pour un logement dans de meilleures conditions. Mais l'attente est en général longue (1 à 2 ans) et l'insertion au nouveau milieu, pleine d'embûches. Ces baraquements seront démolis plus tard, et à leur place de nouvelles maisons seront bâties. Malgré l'imprécision du terme, ces quartiers garderont la désignation de "camps", même après la réhabilitation de ces quartiers et malgré la protestation de quelques habitants. B.6.) La création des "cités". Pour répondre à la reprise économique de l'après-guerre, une importante nouvelle main-d'oeuvre est recrutée par la Compagnie. Les nouveaux immigrants arrivent à différentes époques. D'ailleurs, même dans les périodes de crise, la Compagnie ne cessera d'engager des nouveaux arrivants: "La Compagnie, dans la mesure des logements disponibles, favorise les entrées de familles même en temps de crise et de chômage. La Compagnie, en faisant de la venue des familles une faveur et non un droit, pense ainsi prendre de l'emprise sur les ouvriers. Dans le même esprit, elle rembourse le transfert des meubles ou de la famille à ceux qui paraissent le mériter. En 1934, 66% des étrangers ont leurs familles sur place".(219) Pour répondre à ce phénomène d'immigration massive, la Compagnie procède à une rapide extension des espaces bâtis.(220) C'est alors que furent bâtis les grands ensembles d'habitations qu'elle définit comme "cités", ce qui étend la surface bâtie par la Compagnie. Quelques changements dans la délimitation de l'espace urbain et dans la distribution de la population s'instaurent. Quelques maisons répondant à ce nouveau programme de construction ont été bâties avant 1914, mais c'est surtout entre la période de 1920 et 1935 que la Compagnie a mis en chantier un important nombre de nouvelles maisons.(221) Le jardin agrémente maintenant la façade de la maison (il peut être situé latéralement), instaurant désormais les cités-jardins. Sur l'arrière de la maison, des jardins potagers sont partagés équitablement entre les ménages. Elles bénéficient alors de l'eau courante et de l'électricité. Dans un premier temps, les W.-C. sont encore en fond de la parcelle de terrain octroyé. Mais les nouvelles maisons des "cités minières", offraient aux locataires un confort appréciable et deviennent le modèle de référence privilégié du mode d'habitat des salariés. Hygiénisme et économie sociale ont là toute leur portée dans la ville minière. "En effet, à la fin de cette année 1920, la Compagnie loge en dortoirs et baraquements 125 ouvriers et 1.032 en maisons. Et si elle dispose encore de quatre cents places disponibles pour célibataires, toutes les maisons pour familles sont alors occupées".(222) Dans la commune de La Grand-Combe, divers nouveaux ensembles d'habitations typiquement ouvriers sont bâtis près du centre-ville, dans l'axe de la "vallée de la Grand-Combe", dans les hameaux et désormais aussi sur les abords du "Gardon" (sur l'axe de la "vallée du Gardon"), tantôt sur la rive gauche, tantôt sur la rive droite. Les nouvelles cités se localisent tantôt sur d'anciens quartiers proches des anciennes casernes - c'est le cas de la cité de la Forêt - tantôt sur de nouveaux quartiers bâtis sur tout le territoire de la commune - cité de Ribes, cité des Pelouses, cité du Riste, cité de Sans-Nom à La Grand-Combe et encore à Champclauson, à Trescol, au Pontil et aux Taillades (rive droite du Gardon), etc.(223) Ces quartiers, ou agglomérations ouvrières, sont dorénavant nommés "cités". Cette nouvelle terminologie concerne aussi une nouvelle image qu'on veut donner des conditions d'habitations. La zone qui comprend les quartiers Les Pelouses, Brugas et Riste, est alors valorisée par un vaste programme de construction de nouveaux bâtiments. Les types de constructions seront dorénavant très variables.(224) M. Gibert, âgé aujourd'hui de 65 ans, a habité dans son enfance le quartier de Pelouse, dans un bâtiment à deux étages avec, sur la façade, des balcons ouverts et communs. Ils ne donnaient pas sur la rue mais sur une cour intérieure, face à un autre bâtiment tout à fait semblable et distant de quelques mètres seulement. Cette disposition architecturale a proportionné un espace collectif qui, à son avis, a joué un important rôle de sociabilité: "A l'époque il n'y avait pas la télévision. On s'amusait dans le quartier, surtout l'été. Vous savez, on avait des balcons dans la cité et, c'était une cité dont les balcons faisaient face, alors on parlait d'un balcon à l'autre, on rigolait, on blaguait, on chantait, c'était la grande famille. Bon, il y avait des autres quartiers, quoi. On avait des rapports tout aussi bons avec les autres à côté, mais enfin là c'était plus, parce que c'étaient deux habitations qui se faisaient face. Il y avait vingt familles, dix familles de chaque côté, il avait une famille dans chaque appartement mais on formait une grande famille, c'était vraiment sensationnel. Oh! je ne dis pas que des fois, bon, il n'avait pas un machin à régler entre l'un et l'autre, mais c'était vite réglé". (M. Gibert, employé des Houillères retraité. Fils de contremaître). Certains bâtiments dans les nouveaux quartiers de la Pelouse, Brugas et Riste, situés dans la partie basse de la ville de La Grand-Combe (rive gauche du Gardon) seront plus particulièrement destinés à loger les contremaîtres et le personnel des bureaux. La première expérience importante de construction d'une "cité-jardin" ouvrière, par la Compagnie des Mines de La Grand-Combe, a été la cité de Ribes (côté est de la partie basse de la "vallée de la Grand-Combe"). Elle reçoit un plan spécial d'urbanisme. C'est l'inauguration d'un nouveau style de constructions: des maisons avec de petits jardins. Ce lotissement résidentiel se divise en deux zones bien distinctes, destinées à différents groupes sociaux: ingénieurs d'un côté, personnel d'encadrement, ouvriers "qualifiés", de l'autre. Le programme de construction s'est développé sur quatre rues parallèles. Sa topographie différencie et hiérarchise les lieux. La rue des Eglantiers, con‡ue particulièrement pour des ingénieurs, est celle qui se situe plus haut, en direction de la colline des Ribes. En déclivité, se suivent respectivement la rue des Tilleuls, celle des Marronniers et, sur le niveau le plus bas, l'Avenue des Mineurs, qui est le prolongement de la rue de la Pise. Ces trois dernières artères sont reliées en perpendiculaire par une petite rue. Par contre, pour accéder la rue des Eglantiers, il faut monter un large escalier pavé, ce qui établit une frontière entre les deux zones. En outre, cette rue est reliée au centre-ville, à l'ouest, par la rue de Ribes. Vers l'est, ses habitants peuvent accéder directement à la route nationale - vers Alès, par exemple - sans traverser le centre-ville. (M. Claudrec): "La cité de Ribes a été construite vers les années 1920. On avait un W.-C. dans l'appartement, mais pas la douche, pas la salle de bain. C'est nous qui avons fait la douche. Sauf dans la maison des ingénieurs, ils ont eu toujours le sanitaire complet. Dans les Eglantiers, là haut, c'étaient les maisons des ingénieurs, elles étaient belles, avec 14, 15, 17 pièces, énormes, fantastiques". (Chercheur): "C'est-à-dire, que la population de cette cité n'a pas été constituée, dans sa majorité, par des familles de mineurs?" (M. Claudrec): "Ici à Ribes, quand ‡a a commencé, la rue des Eglantiers c'était pour les ingénieurs, la rue des Marronniers c'était pour les employés de bureau, les chefs si vous voulez. Dans la rue en bas, rue des Mineurs, rue de la Pise, là, c'était plus mélangé." (Chercheur): "Et puis, ‡a a changé?" (M. Claudrec): "Oui, ‡a a changé, à mesure que la situation changeait, ici, changeait aussi. Au début ils (la Compagnie) choisissaient un peu et les mineurs étaient concentrés dans les Casernes des Mineurs (casernes Basses). Il y avait cette stratification là entre les quartiers. Parce qu'ici les employés, les chefs, étaient plus considérés que le mineur qui arrachait le charbon, ils gagnaient plus, ils avaient plus d'avantages. Mais après, au fur et à mesure que ‡a changeait, on ne faisait plus autant la différence". (M. Claudrec. Mineur retraité). Les maisons pour les ingénieurs situées rue des Eglantiers sont dotées de véritables signes distinctifs: confort et nombreuses pièces.(225). Les maisons construites sur les rues des Mineurs, rue des Marronniers et rue des Tilleuls, forment un ensemble de maisons, à deux étages, chacune servant à quatre familles locataires. Elles ont été construites à différentes périodes(226), et étaient destinées surtout aux employés de bureau, dans un premier temps, et aux ouvriers en général, dans un deuxième temps.(227) En haut de la "vallée de la Grand-Combe", la Compagnie fait construire la cité de La Forêt, éloignée du centre ville, bénéficiant des divers bâtiments publics existants autour de l'ancienne "maison de l'Administration" (coopérative, poste de sauvetage, chapelle, école, garderie).(228) L'autre cité ouvrière construite en haut de la vallée, c'est celle de SainteBarbe. Elle est caractérisée par de grandes bâtisses ayant des balcons ou couloirs collectifs extérieurs, situés sur la fa‡ade de la maison, accédés par un escalier latéral. Des cités hors-ville, citons celle de Pontil (hameaux) destinée aux agents de maîtrise. Voyons leur description: "Les hameaux environnants, tels celui du Pontil, rassemblaient, non loin des carreaux des puits, les appartements récents et coquets de la maîtrise et des ouvriers spécialistes: machinistes d'extraction, chauffeurs de chaudières, etc.".(229) Quelques cités ont été prévues pour regrouper les nouveaux arrivants d'une même nationalité. Cela a été le cas pour les Nord-Africains dans les camps Ravin et camps Fougère et pour les polonais a St-Jean-du-Valériscle (1929). Comme l'observe un ancien ingénieur: "Les étrangers qui avaient la chance d'être en famille jouissaient d'une situation identique à celle de leurs camarades français et bénéficiaient la plupart du temps d'un logement de fonction".(230) Il est vraisemblable que celle destinée aux polonais ait été la plus privilégiée. Gaillard a décrit cette cité ouvrière: "En ce qui concerne le logement, les Polonais ont été installés à la cité Combe-Ferral à St-Jean-de-Valériscle. Cette cité comprend six maisons à un étage, soit au total quarante huit logements. La cité est alimentée en eau potable distribuée à des bornes fontaines et l'évacuation des eaux résiduelles se fait par égout et épandage dans les terrains voisins appartenant à la Compagnie. L'éclairage électrique est installé dans chaque pièce ainsi qu'aux abords des maisons. Dans chacune des deux agglomérations polonaises, la Compagnie a établi un cantinier qui exerce librement son commerce. Elle met, en outre, à la disposition des familles et même des célibataires qui le désirent des fourneaux pour faire eux-mêmes leur cuisine".(231) Les polonais, regroupés à Saint-Jean-de-Valériscle, ont ainsi bénéficié de maints avantages: la Compagnie a fait construire des édifices publics (école libre) et mis à leur disposition un professeur polonais (1923) et un prêtre polonais (1929)(232). Dans les années 30, époque de plein essor dans l'exploitation du puits Ricard(233), la Compagnie fait démolir les Casernes Basses dans leur presque totalité: ce quartier disparaîtra dans les recensements de la commune du XXème siècle. A la place est construite une annexe des bureaux centraux du haut de la "vallée de la Grand-Combe". La démolition des Casernes Basses (ou Casernes des Mineurs) provoque un important mouvement de déplacement des familles ouvrières, réinstallées dans les cités que la Compagnie vient de construire: cité de la Forêt et cité Sainte-Barbe à La Grand-Combe, cité Joffre et Foch à Trescol, etc. En outre, de nouvelles constructions prendront place sur les quartiers dénommés "camps" ("Camp Fougère" à côté de la cité de La Forêt, "Camp Ravin" à Trescol). D'autres casernes sont réhabilitées et améliorées et existent encore. C'est le cas des Casernes Neuves (seule une partie fut démolie en raison des risques de glissement de terrain). D'autres, non entretenues, deviennent vite vétustes et insalubres, surtout celles sur la rue de la Clède et de la rue des Poilus ("vallée de la Grand-Combe"). De plus, cette artère devient un lieu de transit des camions qui arrivent au lavoir et à l'embarcadère. Comme l'observe l'étude suivante: "(...) la boue du terril, engorgent les évacuations en cas de pluie, inondant certaines maisons. Les tirs de mines, les effondrements de terrain et le trafic de poids lourds fissurent les murs et provoquent même un tassement des planchers (en terre). Un boulanger était obligé de refaire périodiquement ses fours, à cause de ces fissures".(234) La poussière rend la vie difficile (sinon insupportable) dans cet endroit, situation qui ne cesse de s'aggraver: "Quand la production de la mine était petite, il n'y avait pas de gros problèmes de pollution. On a eu des maisons près des puits de mine jusqu'au développement des machines importantes, surtout à la fin du XIXe siècle. La pollution se développe lorsque la machine à vapeur remplace les machines à force animale. C'est la vraie pollution qui apparaît avec la fumée de la machine à charbon". (M. Vial. Mineur retraité). Les dégradations sont énormes, ce qui explique l'abandon de la part des habitants, petit à petit, de ces maisons. Cette condition, associée au vieillissement de ces maisons, a entraîné une importante dégradation de ce patrimoine: image "négative" de ces quartiers ouvriers dans la partie basse du centre-ville. On constate dans les rapports du Conseil d'Administration à l'époque la décision de leur démolition, qui n'interviendra que 70 ans plus tard(235). En arrivant à 1936, la Compagnie s'auto-félicite dans son livre commémoratif du centenaire, pour avoir mis à disposition des chefs de famille de son personnel plus de 2.650 logements et plus de 2.200 jardins. Ces nouvelles "cités-jardin" répondent donc à un programme d'amélioration de l'habitat ouvrier. Le réaménagément des logements, des mineurs, lié tantôt à la vétusté de certains logements tantôt à la construction massive des nouvelles cités, avec un confort supérieur à celui des anciennes casernes, a entraîné des changements importants sur les conditions de vie des familles ouvrières.(236) En effet, ces cités ouvrières, outre qu'elles sont fonctionnelles pour la production, sont aussi des instruments stratégiques de formation, d'éducation, de domestication et de transformation de la classe laborieuse active, avec ses traditions et données culturelles, selon le modèle que la bourgeoisie a construit.(237) C) QUELQUES CHANGEMENTS AU TOURNANT DU SIECLE. Les dernières décennies du siècle passé révèlent quelques changements importants, surtout dans l'axe désigné par "la vallée de la GrandCombe". Proche du quartier dénommé autrefois "Casernes Basses" est installé le puits d'extraction qui sera l'un des plus important de la Compagnie: le puits Ricard (plus de 800m de profondeur). Cette réalisation débute vers 1896 avec la construction de divers ateliers (criblage, etc...) et du chevalement métallique. Le paysage du quartier change davantage. Les casernes alors existantes sont, en grande partie, démolies, et leurs habitants transférés, au fur et à mesure, dans d'autres quartiers populaires, ceux de la Verrerie, de la Clède, la Pise, de La Grand-Combe (aujourd'hui, La Forêt et Sainte-Barbe), etc. La rue de la Grand-Combe devient en effet la "place Ricard" et la "vallée de la Grand-Combe" est désormais aussi nommé "Vallée Ricard". Dès lors, le centre de la ville et le haut de la vallée sont séparés par ces énormes installations du puits Ricard qui occupent tout le territoire le long de la rue de la Grand-Combe. Cette époque est d'ailleurs marquée par une expansion de l'espace industriel bâti et par le creusement de nouveaux puits. Ils ont été nombreux et concernent tout le territoire des concessions de la Compagnie. Contentonsnous de donner un aperçu de cette évolution productive. Cela a été le cas du puits de la Forêt - dans le haut de la vallée - ouvert en 1882 et qui dynamise encore plus ce quartier. A Champclauson, en 1888, le creusement du puits du Petassas dynamise le village. Il en est de même à Trescol avec les puits de la Trouche, de Trescol, du Ravin et du Gouffre, exploités à plein rendement. Plusieurs autres puits sont commencés ou alors approfondis: non loin de La Levade et de Trescol, le puits La Fontaine nø 1 est commencé en 1883, celui de la Fontaine nø 2, commencé en 1891. Citons encore les puits creusés dans les communes de Saint-Jean-du-Valériscle, Pontil, Laval, et aussi sur la rive droite du Gardon, etc. Les dernières décennies du XIXe et le début du XXe siècle sont ainsi caractérisées par l'expansion et l'extension de l'espace industriel par le creusement de nouveaux puits et la construction de nouveaux ateliers un peu partout sur le territoire minier appartenant à la Compagnie, notamment sur l'axe de la "vallée de la Grand-Combe". Tout cela provoque donc un changement de la physionomie des quartiers existants: démolition en partie de celui des Casernes Basses, qui de zone résidentielle se transforme en zone de travail, densification des autres quartiers près des puits d'extraction ou des ateliers, expansion et sur-utilisation des hameaux, etc. Changements que la Compagnie analyse comme étant une phase de rénovation, de vitalité de l'activité, qui lui permettra d'aborder avec "tranquillité et confiance le nouveau siècle"(238). Le centre de la ville et ses principales artères sont eux aussi dynamisés, surtout à partir de 1880, époque à laquelle le marché hebdomadaire s'affirme comme l'un des plus importants de la région et attire les maraîchers, les marchands et habitants qui viennent des environs (le déplacement est facilité par le train). Selon Gaillard, le marché devient un "haut lieu" de la vie quotidienne des grand-combiens: "Ainsi, la vie s'écoule à la Grand-Combe. Pour le mineur, les heures de travail et de repos occupent la majeure partie du temps et limitent bien s–r la vie de famille. Celle-ci est surtout intense le dimanche, jour de distraction par excellence, consacré à la messe, au concert quelquefois, au repos de famille, à la promenade, au sport en tant qu'acteur ou spectateur, au café et aux palabres. Hors cette journée au cours de laquelle la ville s'anime, la cité est en général très calme sauf le matin et le soir aux heures de rentrée et de sortie de la mine ou des écoles. Elle s'anime cependant deux matinées par semaine, le mercredi et le samedi, jours de marché. On voit alors affluer les paysans des environs venant apporter leurs produits. Certains viennent de basse Lozère et proposent les marchandises de leurs fermes (...), d'autres montent de la prairie d'Alais, munis des légumes de leurs jardins. La place Bouzac grouille alors de monde, femmes de mineurs, femmes d'ingénieurs suscitant toujours la curiosité lors de leur arrivée dans les calèches fournies par les houillères, tout ce petit monde achetant et discutant abondamment auprès des étalages. En dehors de ces jours de marché, les femmes d'ouvriers se retrouvent journellement pour faire leurs achats dans les économats de la Compagnie puisque le commerce privé est quasiment inexistant à la Grand-Combe. On conçoit alors parfaitement la joie qu'elles éprouvent les mercredis et samedis à flâner au milieu des étals des paysans des environs: frustrées du plaisir de faire leurs courses dans différents commerces comme dans les autres villes, mécontentes de la monotonie des économats, elles apprécient d'autant la possibilité de choisir, de bavarder, de marchander qui leur est ainsi offerte deux fois par semaine par les marchés. Véritable cérémonie pour toute femme, ils sont à la Grand-Combe une bouffée d'air pur dans la grisaille quotidienne et donnent aux épouses de mineurs une impression de liberté qu'elles n'ont pas souvent l'occasion de ressentir par ailleurs".(239) Stimulé par ce mouvement et la croissance de la ville, le commerce libre s'y installe davantage: "Ces magasins, le plus souvent clairs, spacieux, coquets même, dont les devantures peintes mettent une note de gaîté dans des rues poussiéreuses aux maisons uniformes et sans recherche aucune, ont une nombreuse et fidèle clientèle. La plupart des commer‡ants faisaient crédit, ce qui incitait les femmes du canton, surtout celles des ouvriers, à acheter chez eux".(240) En 1901(241), les quartiers de la commune présentent déjà une physionomie assez modifiée par rapport aux premières années. L'expansion industrielle explique le gonflement de la population de la ville et de ses hameaux, du moins jusqu'à la fin du XIXe siècle (1896/7). Nous verrons (plus loin) qu'à cette époque les ouvriers se battaient pour de meilleures conditions de vie. Mais c'est seulement après la première Grande Guerre que la Compagnie développera un autre programme important d'habitations ouvrières à La Grand-Combe, avec la construction des "cités-jardins" - sujet que nous avons développé dans la section précédente - époque à partir de laquelle, peu à peu, les éléments de confort seront implantés: eau potable, électricité, travaux de viabilité, etc. CHAPITRE 3 LES ENJEUX D'UNE "FAMILLE CORPORATIVE" A) LA "GRANDE FAMILLE" ET SES DISTANCES SOCIALES.(242) A La Grand-Combe, l'essentiel de la population est constitué par les familles ouvrières travaillant pour la Compagnie. Celle-ci reproduit cette communauté de travail comme une "grande famille", où, en même temps que l'on se "côtoie", l'on assimile les pères de famille aux patrons: "L'on perçoit alors, dans la philosophie de recrutement et du comportement du personnel d'encadrement, la volonté très nette du patronat de La Grand-Combe de faire passer l'idéologie de la concorde entre les classes, de masquer les antagonismes fondamentaux du capitalisme afin de proposer aux ouvriers la vision d'une entreprise comparable à une famille".(243) Par le biais d'une domination symbolique(244) et comme une "valeur" constitutive de leur identité (la valeur-travail), ces catégories de perception sont internalisées(245) par les familles ouvrières dans la représentation qu'elles se font d'elles-même et du groupe d'appartenance (qui spécifie leurs rapports avec la société)(246). C'est pourquoi les clivages créés par la division du travail dans la Compagnie et par le travail social dans la "communauté de métier" sont enveloppés par cet esprit qui devrait régner dans les relations sociales, celles d'une "grande famille". Cela est soutenu par une composition sociale peu complexe, corollaire d'une structure professionnelle concentrée de façon monolithique dans le secteur de production de charbon. En effet, l'emprise de la Compagnie sur l'ensemble des domaines de la vie sociale et l'hégémonie patronale sur la vie locale s'accompagnent d'un univers professionnel très uniforme. "On ne découvre donc pas dans la 'ville-usine' la complexité des hiérarchies sociales si caractéristiques des villes en général et même des cités ouvrières. D'une part, tous les métiers sont directement liés à la mine et, d'autre part, les groupes sociaux n'ont pas leur densité habituelle puisque la classe ouvrière elle-même est beaucoup plus uniforme qu'ailleurs".(247) Mais, dans la mesure o— la structure sociale est peu ou pas du tout flexible, le groupe ouvrier rencontre vite les limites d'une "proximité" fictive suggérée par le rassemblement de cette "grande famille": la place qu'ils occupent réellement dans cette société minière(248). *** Philippe Ariès constate dans le "Pays Noir" une structure sociale caractérisée par 4 "castes": "La population fut ainsi répartie en quatre castes, bien définies par un régime de salaires et surtout de privilèges: le compagnon mineur, puis le contremaître ou porion, puis l'employé, et enfin, coiffant le tout, comme jadis la bourgeoisie ou la noblesse, l'ingénieur. Dans le pays noir, on ne dit pas le 'bourgeois' mais 'l'ingénieur' et, socialement, les deux qualités sont synonymes. L'employé n'a pas le même charbon que le patron ou le mineur. Le porion re‡oit un logement plus vaste, plus représentatif que celui du compagnon. Encore faut-il, dans le monde des employés, distinguer l'employé commissionné du titulaire, plus avantagé".(249) Le fait de retrouver ce classement parmi les habitants de La GrandCombe n'a rien d'une co‹ncidence exceptionnelle. Cela semble être la tendance des "civilisations minières" au XIXe siècle. "Ce qui caractérise La Grand-Combe, c'est qu'il y a une hiérarchie sociale et non pas à proprement parler des classes sociales. Les secteurs secondaires et tertiaires sont en nombre infime par rapport à l'énorme masse ouvrière. Ainsi, s'il y a une aristocratie, celle des 'chefs' de l'exploitation houillère, il n'y a pas de bourgeoisie".(250) La Grand-Combe était dotée d'une organisation professionnelle peu diversifiée qui allait de pair avec la hiérarchie dans ce contexte paternaliste. A maintes reprises, les historiens ont attiré l'attention sur La Grand-Combe comme étant une société à prédominante ouvrière et peu différenciée de l'intérieur: "Les ouvriers forment une masse très homogène car les différences de qualification ne permettent pas de distinguer une aristocratie ouvrière et un sous-prolétariat".(251) Dans ce processus, qui renforce les liens du groupe (contrainte communautaire), le collectif ouvrier est assimilé par le modèle social de travailleur du mineur comme "idéal-type", qui devient - par son activité bien particulière dans le sous-sol de la mine - symbole "identitaire" pour toute la communauté locale. Assurément, le mineur est le type de travailleur le plus présent dans le quotidien du labeur grand-combien. Son personnage marque le quotidien de la ville: il est décrit comme étant celui qui, de bonne heure le matin, partait vers les puits portant son panier ou "cabas", o— il gardait son casse-cro–te (également appelé "cabas"). A la tombée de la nuit, il rentrait à la caserne, visage mâchuré de poussière, fatigué, rapportant le charbon (l'avantage en nature concédé par la mine pour le chauffage), pendant que d'autres mineurs, ceux du poste du soir, s'empressaient de descendre au fond.(252) Cette homogénéisation est sans doute accentuée parmi le groupe des mineurs qui se confrontent quotidiennement à ces conditions de travail fortement dangereuses et insalubres. On trouve très souvent redit, par les auteurs et les travailleurs eux-mêmes, que le métier de mineur de fond confère une certaine autonomie dans l'organisation du travail et que c'est grâce à un esprit très développé de compagnonnage qu'on "apprend" ce métier et à connaître "le monde de la mine". "Bien que le mineur ne considère pas que son statut soit particulièrement enviable, il a conscience de détenir un savoir-faire acquis au fil des difficultés surmontées. Malgré la concurrence entretenue entre les producteurs par la Compagnie, les travailleurs de fond se per‡oivent comme appartenant à une même communauté. Les rivalités qui peuvent exister n'aboutissent pas à une hiérarchisation: face à la maîtrise et aux cadres, ils s'affirment progressivement comme groupe homogène. Ainsi, un métier qui n'était à l'origine qu'une occupation secondaire pour les paysans (...) récoltant quelques miettes de 'charbon de terre', est progressivement devenu une condition".(253) Certes, la division du travail n'est pas complexe dans l'industrie extractive, et le groupe s'identifie facilement en tant que "communauté fondée sur le travail" ou "communauté égalitaire" (au sens de la solidarité de groupe). Mais cette "égalité" du groupe ouvrier dans la division du travail reste relative. Comme l'observe Lamorisse, "le bassin houiller est plus une entité économique qu'un espace homogène"(254), et si cette égalité concerne davantage les conditions de vie de la classe ouvrière, socialement homogènes (où les distinctions sont moins transparentes), l'insertion dans une structure de relations de travail, quant à elle, témoigne d'une diversité de pratiques, quoique cette mobilité professionnelle n'implique pas une mobilité sociale expressive. Ainsi, même s'il demeure socialement plutôt "invisible", le travail à la mine comprend différentes activités ou, plus précisément, différentes formes d'insertion dans le processus de travail (extraction, transport, boisement, manutention, etc.), dans l'environnement (travailleur de fond/travailleur de surface), dans l'atmosphère de travail (plus bruyante et asphyxiante à l'abattage, insupportablement chaude dans divers puits, notamment les puits de la vallée Ricard, froide comme dans certaines zones du puits des Oules, tolérable comme dans les galeries de Champclauson), et aussi des différences dans l'échelle salariale(255). Les activités, variables dans leur nature, changeaient aussi selon le cycle de la vie. Très souvent, l'ouvrier est soumis à une certaine mobilité pendant sa vie active à la Compagnie, selon la compétence acquise et la tranche d'âge: "c'est la carrière". Il débute comme apprenti-mineur (les "gamins" ou "galibots") et, successivement, exerce les divers métiers de surface ou de fond. Quelques-uns finissent même comme chefs. Sans compter les mutations techniques des méthodes d'exploitation survenues au fil des ans et faisant disparaître certaines activités, en créant et en faisant évoluer d'autres. En outre, on observe à La Grand-Combe, en surface, le travail féminin et le travail des enfants (ce dernier parfois aussi en sous-sol), ce qui ajoute les critères d'âge et de sexe aux éléments de distinction dans l'organisation du travail (nous y reviendrons). Nous pourrions décrire les dures conditions du métier de "mineur", en développant tantôt ses différentes pratiques, tantôt ses difficultés, le degré de risque (accidents et maladies)(256), de responsabilité, de compétence, de dextérité: bref, le quotidien du travail. Nous ne reparlerons toutefois que de quelques aspects, puisque cette étude a été réalisée exhaustivement à maintes reprises.(257) L'activité la plus globalisante, celle de "mineur", indique surtout le travail "au fond", l'abattage et l'extraction du charbon.(258) Mais la division du travail comprend des tâches spécifiques qui différencient les mineurs dans le processus d'exploitation du charbon: les mineurs "au rocher" qui forent les galeries, les piqueurs qui abattent le charbon, les traîneurs qui poussent les wagonnets et conduisent les chevaux (ou encore les rouleurs, ou les charretiers), les boiseurs, etc. Parfois, ces tâches se confondent (piqueur et boiseur); parfois, l'ouvrier exécute diverses opérations pour des questions de sécurité, de réduction des effectifs et/ou de rendement. En général les diverses fonctions sont exécutés par des équipes(259), l'ouvrier compte parfois sur les aides ou les apprentis qui exécutent des tâches secondaires: aides-piqueurs, aides-boiseurs, freineurs, encageurs, remblayeurs, etc. Dans le sous-sol, les activités se différencient aussi selon le degré de difficulté(260), de responsabilité et d'expérience (ou qualification(261)), du travail qui leur est confié dans ce métier à haut risque. Le boisage, par exemple, est compris comme étant de haute responsabilité: "La connaissance des modes de boisage applicables et la technique d'élaboration de ces systèmes depuis la taille - parfaite - du bois, jusqu'à la mise en place permettant de garantir la sécurité des ouvriers, est un élément de la valeur au travail".(262) Au fur et à mesure de l'évolution technique de l'exploitation du charbon, certaines activités acquièrent une plus grande "qualification", tandis que d'autres spécialités sont créées pour désigner ceux qui ont plus de "responsabilité" (et de pouvoir) dans certaines charges, comme le boutefeux (chef d'équipe qui contrôle le processus d'explosion du rocher), au début du siècle.(263) Les travailleurs du fond se différencient des travailleurs de surface, nommés "mineurs (ou ouvriers) du jour" ou manoeuvres, qui exécutent des activités complémentaires à celles qui débutent au fond. Certaines d'entre elles sont bien spécialisées: chauffeurs, charretiers d'extérieur, mécaniciens, ma‡ons, etc. Pour de nombreux mineurs, travailler "au jour" n'est que l'étape initiale d'une longue carrière à la mine. A titre d'exemple, R. Trempe rapporte ainsi l'itinéraire professionnel d'un mineur à Carmaux: "Après avoir débuté à l'extérieur comme trieur de schistes, il était admis au fond comme rouleur de wagonnets. Il était successivement conducteur de cheval, freineur, encageur au puits, poseur de voies et aide-boiseur. Elevé enfin à la dignité de boiseur, il progressait plus lentement. Ce n'est qu'après plusieurs années qu'il devenait piqueur et parfois mineur. Telle était la carrière classique d'un ouvrier de l'intérieur au XIXe siècle et au début du XXe. Elle pouvait être couronnée par l'accès à la maîtrise".(264) Pour d'autres mineurs, travailler "au jour" pouvait aussi correspondre aux dernières années de vie active dans la mine, puisque très souvent, le mineur de sous-sol qui n'arrivait pas à atteindre l'âge de la retraite en travaillant au fond (pour des problèmes de santé) était obligé de compléter son temps de travail à la surface. Dans le travail en surface, le péril ne prend pas les mêmes proportions qu'en sous-sol. Il est des secteurs, d'ailleurs, où les femmes sont admises(265) à côté des jeunes travailleurs: le triage du charbon, par exemple (trier, cribler et laver le charbon). Ces femmes forment un groupe professionnel typique dans la localité: les "placières"(266). "Celles-ci fournissent, avec les enfants pendant les vacances, l'essentiel de la main-d'oeuvre occupée au triage du charbon: ce sont les placières, type particulier de la société grand-combienne. (...) En 1882, elles sont ainsi plus de trois cents, travaillant sous des hangars en plein vent, immobiles toute la journée devant des tapis roulants qui amènent le charbon à trier".(267) En effet, les placières vont participer activement de la vie laborieuse de la communauté grand-combienne jusqu'aux années 1945. "J'ai travaillé 7 ans dans la place à Trescol, dehors à la mine, quand j'étais jeune fille. On triait le charbon, on touchait la berline, on carrait la berline, on graissait la berline. Ce qu'il fallait faire on le faisait, mais ‡a faisait une occupation fatigante, c'était pâlissant" (Mme Durand. Ex-placière. Veuve de Mineur). Sur une photo de 1925, ces jeunes filles apparaissent coiffées d'un chiffon, recouvert d'un bonnet dont la forme varie suivant les "places" (Trescol, Grand-Combe, Champclauson, La Levade).(268) "Les douches n'existant pas, ces jeunes personnes devaient protéger leurs cheveux, longs en général (...). Elles attachaient de l'importance à l'arrangement correct de ce foulard".(269) Les jeunes filles sont embauchées vers l'âge de 13 ou 14 ans, après la remise du "livret de l'école primaire". Mais, contrairement aux gar‡ons, cette activité n'était pas, pour les femmes, extensible à tous les cycles de la vie. Les placières étaient embauchées jusqu'à leur mariage, lorsque la Compagnie ne les prenait plus: "J'ai commencé, j'avais pas 14 ans, et j'ai quitté quand je me suis mariée. Parce que, au fur et à mesure qu'on se marie, on peut plus, même que vous voudriez continuer. Quand on est marié, ils ne prennent pas les femmes, tandis que pour les hommes c'était pas le cas." (Mme Enjolras. Ex-placière. Femme de mineur retraité). "Mais les femmes, quand elles sont mariées, allez! hop! restez à la maison! et ils en prenaient une autre". (Mme Michel. Ex-placière. Femme de mineur retraité). Par contre, une veuve devant faire face aux difficultés avec un revenu souvent très maigre pour un foyer qui avait perdu son "chef de famille", reprenait fréquemment le travail comme placière, cumulant les deux charges: domestique et productive. Ainsi, pour les placières, aux occupations quotidiennes (aider la mère pour les filles, élever les enfants pour les veuves), s'ajoute le travail professionnel qui permettait un apport économique à la maison. Les autres emplois féminins possibles dans la ville sont très rares. Et quand ils existent, ils se limitent à ceux traditionnels du prolétariat féminin. La femme ayant besoin d'exercer une activité productive - un travail rémunéré s'embauchera, par exemple, dans un commerce comme vendeuse, mais le plus souvent à domicile comme domestique, blanchisseuse, ou pour des travaux de couture, de broderie, etc.(270) La population ouvrière masculine qui ne travaille pas comme "mineur" pour la Compagnie exerce, en général, des activités dites complémentaires à la production du charbon: agglomération des minerais, aux fours à coke, dans les hauts-fourneaux, etc.; ou alors, elle appartient à des entreprises subsidiaires de maçonnerie, serrurerie, transport, ou travaille sur les chantiers de chemins de fer, qui dépendent indirectement de l'existence de l'industrie extractive. Le monde du travail à la mine comporte aussi le personnel d'encadrement, une petite minorité parmi les ouvriers, qui assure la maîtrise et joue un rôle de surveillance, pouvoir qui les éloigne de la base ouvrière et les fait glisser vers un groupe social plus privilégié: celui des "cols blancs". Leurs fonctions comprenaient, entre autres, les métiers de maîtres-mineurs et de chefs-porions, de conducteurs de travaux, etc. Ils se différenciaient des ouvriers non seulement par l'activité exercée, mais encore par le salaire, par de meilleurs logements, par des avantages divers(271), etc. "Si devenir maître-mineur était intéressant pour la famille, parce qu'il avait plus d'argent et tout, aux yeux des collègues ceux qui devenaient maîtresmineurs étaient sergents du patron". (M. Crozet. Fils de mineur). Il s'agit des mineurs qui arrivent à un poste de maître-d'oeuvre par voie d'ancienneté ou de mérite dans le travail.(272) Il faut considérer ici les gardes particuliers de la Compagnie "qui assuraient la police des carreaux, la surveillance des paies et veillaient au bon ordre dans les cantines de célibataires"(273). Selon Flechon, les agents de maîtrise n'arrivaient certes pas à la situation sinon aisée, du moins correcte des ingénieurs, mais par contre ils avaient beaucoup plus de chance que les mineurs d'assurer à leurs enfants une situation moins pénible que la leur, les orientant vers les emplois de surveillants du fond ou du jour, de géomètres, d'ouvriers spécialistes du jour, et, quand ils en avaient vraiment les aptitudes, d'employés de bureau. Mais, observe-t-il, toujours dans la Compagnie, et rares étaient ceux qui la quittaient, sinon pour le service de l'Etat.(274) "Leurs conditions de vie étaient modestes et leur dépense mesurée. Comme pour les ouvriers on ne renouvelait que rarement le pardessus acheté avec les premières économies et le complet foncé de l'époque du mariage; on ne rempla‡ait que les vêtements d'usage plus courant, après usure. Les plus frileux, en hiver, s'enveloppaient d'une grande pèlerine. Leur femme et leurs enfants étaient, par contre, plus coquettement vêtus".(275) Mais d'autres groupes professionnels sont présents dans la population grand-combienne, malgré leur nombre peu représentatif. Certaines activités concernent les nouveaux services dont la ville a besoin, mais d'autres restent des pratiques traditionnelles (bien qu'étant de moins en moins courantes dans la commune).(276) Les modalités d'organisation sociale du travail se reflètent dans la vie urbano-industrielle. L'observation de la structure socioprofessionnelle(277), confirme la prédominance du secteur industriel au détriment du secteur rural et d'un secteur commercial peu développé.(278) Les paysans du "pays minier" seront peu nombreux à se consacre exclusivement à la culture (à pratiquer leurs activités traditionnelles). Quelquesuns deviendront maraîchers et joueront un rôle important dans la vie économique de la ville en vendant leurs produits sur le marché hebdomadaire grand-combien. D'autres se reconvertiront en mineurs ou alors pratiqueront la mixité des activités. Comme l'observe Lamorisse: "Dans la population active, les cultivateurs n'ont pas disparu mais ils sont submergés par le flot des manoeuvres, mineurs et ouvriers".(279) Assujetti au contrôle de la Compagnie au fil des années, l'essor économique de la ville attire aussi des commerçants et divers services comprenant (toutes proportions gardées) un secteur tertiaire. Tantôt la démarche a un rapport avec la Compagnie, tantôt elle est indépendante et vise à tirer profit d'une situation favorable. C'est surtout vers les années 1880 que diverses boutiques vont s'ouvrir, malgré le monopole des magasins-aux-vivres exercé par la commande de la Compagnie. Ces commer‡ants seront des cafetiers, boutiquiers, buralistes et marchands de journaux, mais aussi des boulangers, des livreurs, etc. Quoique minoritaires, ils marqueront de leur présence le quotidien de la ville. Parmi eux, certains exercent aussi une double activité (commerçant/mineur), surtout durant les phases de forte production de charbon.(280) Il est vraisemblable qu'à leur retraite quelques mineurs se sont lancés dans ce secteur. Mais, au temps de la Compagnie, les exemples restent rares, comme celui d'un marchand de vins, cité dans un article écrit par un ancien ingénieur.(281) En ce qui concerne l'existence d'un groupe social intermédiaire - les "cols blancs" - maints auteurs préfèrent minimiser leur importance à La GrandCombe. Gaillard indique qu'ils sont une minorité: "(...) un petit monde des employés et des maîtres-mineurs qui ne forment qu'une minuscule classe moyenne (...)".(282) De fait, les employés de bureau - leur nombre avoisinait 200 vers 1846 et s'est stabilisé à 500 personnes environ dans la deuxième moitié du XIXe siècle - se trouvaient placés, en tant que groupe, dans des conditions plus favorables que les ouvriers. Ils se différenciaient également des ouvriers par des conditions de vie plus aisées (meilleurs salaires, meilleurs logements, etc.): "Le personnel de bureau forme une catégorie à part, sorte de classe moyenne cherchant à bien marquer ses différences avec la masse ouvrière".(283) Ce repli du groupe des "cols blancs" sur lui-même correspond aussi à une certaine hérédité de métier. Un fils de mineur peut cependant y entrer lui aussi. D'ailleurs, étant donné la proximité sociale entre ce groupe et celui des ouvriers, il s'agit là d'un projet constant (aspiration) d'ascension socioprofessionnelle. Quelques enfants de mineurs arriveront effectivement à franchir les barrières et à exercer la fonction d'employé, mais ce processus de mobilité professionnelle reste plutôt exceptionnel. Nous développerons ce point dans la prochaine section. Pour le moment, reportons-nous à Ariès: "Avec de l'énergie et de l'instruction, un fils d'ouvrier peut parvenir aux bureaux, et accéder à la classe privilégiée des employés. Mais pour franchir l'étape décisive et devenir ingénieur, rien à faire. Ce n'est pas une question de diplôme ni d'argent, mais de classe".(284) Les fonctionnaires publics, les employés du P.L.M. (Chemin de Fer), etc., appartiennent plutôt, eux aussi, à ce groupe des "cols blancs". "Pour les mineurs, seuls les fonctionnaires de l'Etat leur paraissaient mieux traités qu'eux-mêmes qui avaient réussi 'à se faire une situation' comme ils le disaient parfois, sans ironie".(285) La structure des classes sociales à La Grand-Combe oppose ainsi une grande majorité, de condition ouvrière, à un groupe minoritaire mais dominant. Celui-ci est composé tout d'abord par les hauts dirigeants de la Compagnie, mais aussi par tous les cadres qu'elle a engagés pour exercer une fonction de chef: les ingénieurs, sous-ingénieurs, géomètres, comptables, dessinateurs, etc., "lous moussus" comme le dénomment les mineurs dans le "patois cévenol"(286), cette langue vernaculaire pour les mineurs. "Mais là où la distance est la plus marquée, c'est entre l'employé et l'ingénieur. (...) La Compagnie défend le prestige de ses ingénieurs en élevant la barrière qui interdit l'accès de leur fonction. Car ce n'est plus une profession, mais bien une fonction, une fonction d'autorité, de commandement. Ils doivent être des seigneurs - la race des maîtres. Les vassaux doivent sentir qu'ils sont d'une autre nature, d'une autre essence. Les ingénieurs ont leur quartier résidentiel, leurs écoles, fermées même aux fils d'employés. Et si la Compagnie entrouvre avec circonspection la porte des bureaux et la classe des employés, elle verrouille sans appel la caste des chefs, le monde des ingénieurs".(287) Ceux-ci composent non seulement le groupe dirigeant de la Compagnie(288), mais celui de la ville, qui est désigné par la population comme les "notables de La Grand-Combe". "Les anciens notables n'étaient pas grand-combiens mais ils étaient intégrés dans la Compagnie. Ils n'étaient pas grand-combiens, pas natifs d'ici, mais ils participaient bien à la vie de la ville. (...) Ils faisaient leur carrière ici. Puis ils partaient à la retraite". (M. Surrel. Mineur retraité). A La Grand-Combe, la plus haute autorité du patronat est le Directeur Général de la Mine. C'est lui "le patron de la Compagnie" celui qui gère l'entreprise, qui commande localement le capital. Il est d'ailleurs le capital personnifié aux yeux des ouvriers. Il habite la ville et il y est une figure de direction présente dans sa vie économique. Certes, les familles ouvrières n'ignorent pas l'existence de "deux types de patrons", ceux qui composent le patronat et coordonnent la Direction de la Compagnie des Mines à La Grand-Combe, et "les patrons eux-mêmes", les membres du Conseil d'Administration(289) ceux qui gèrent le capital, qui siègent à Paris, auprès des capitalistes financiers (la famille Rothschild, par exemple). Mais ils composent un corpus séparé, formant une entité plus abstraite. Les membres du Conseil d'Administration (Président et conseillers) habitent Paris ou d'autres grandes villes comme Marseille et Nîmes. Leur existence devient cependant moins "invisible" pour les habitants à chaque visite de ces "nobles" à La Grand-Combe, et surtout lors de la réunion annuelle au Château de La Levade. A cette occasion, leur présence est très remarquée, puisque toute la ville s'est préparée à les recevoir, comme "une maison bien arrangée et nettoyée". Après le Directeur, les "grands" de la Compagnie à La Grand-Combe étaient le chef du service commercial et l'ingénieur-en-chef de l'exploitation. Mais l'atmosphère locale était surtout imprégnée de l'autorité des ingénieurs d'une manière générale, qui complétait celle de l'appareil dirigeant. C'étaient eux qui avaient un contact direct et journalier avec les ouvriers, incarnant la figure du patron dans le quotidien du travail, eux, les responsables directs du processus de prolétarisation du personnel. La majorité des ingénieurs forme un groupe allogène. Ils sont sortis pour la plupart des rangs des Ecoles des Mines: Paris et Saint-Etienne, en général, pour ceux spécialisés dans le travail de sous-sol, ou des Ecoles Centrales de Paris ou de Lyon pour les ingénieurs du jour. Ils occupaient une place hégémonique significative dans la ville. Plusieurs ont fait toute leur carrière dans la Compagnie des Mines de La Grand-Combe dès qu'ils incarnaient les "règles de la maison". L'ingénieur Flechon nous rapporte l'interview échangée avec le Directeur de la Compagnie des Mines de La Grand-Combe, M. Bonnevay, en 1927. Citons ceci: "Et maintenant (dit le directeur à l'ingénieur) je dois vous préciser comment nous entendons le travail de nos ingénieurs. Ils ont la responsabilité d'une mine, des hommes, des installations et de la production. En conséquence ils doivent être à la disposition de la compagnie vingt-quatre heures par jour. On doit donc pouvoir les trouver rapidement quand ils ne sont ni à leur bureau ni à leur domicile. Bien entendu, ils ne peuvent découcher qu'avec l'accord préalable de leurs supérieurs. Pour les dimanches et jours fériés, un tour de garde est d'ailleurs établi dans chaque division. En contre-partie, nous donnons à nos ingénieurs un congé annuel de quatre semaines."(290) Selon cet ancien ingénieur, non seulement ils étaient rigoureusement sélectionnés mais on exigeait d'eux aussi une vie privée exemplaire. "On s'entourait à leur sujet de beaucoup de renseignements: classement de formation, enquête de moralité, enquête sur la famille. (...) S'ils étaient célibataires, ils devaient donner dans le périmètre de la concession minière, Alès incluse, l'exemple d'une vie sentimentale stricte, exempte de liaisons affichées; s'ils étaient mariés, celui d'une grande rectitude de comportement et l'obligation de s'astreindre à un certain mode de vie relativement fermé... la Compagnie ne saurait admettre pour ses ingénieurs la moindre histoire de moeurs qui donnerait à jaser, et compromettrait leur autorité".(291) D'autres encore, les responsables des services publics placés sous le commandement de la Compagnie, font partie de ce groupe aisé qui incarne le capital, le pouvoir et le prestige social. Nous nous référons ici aux structures d'assistance aux professionnels allant des services religieux à ceux de première nécessité: clergé, autres religieux (Frères et Soeurs), médecins, dentistes, pharmaciens, chefs d'institutions publiques, et autres professionnels "nobles". Citons, parmi d'autres, quelques exemples d'ingénieurs qui ont fini leur trajectoire professionnelle en exer‡ant les plus hauts pouvoirs: en devenant chefs d'exploitation et Directeurs des Mines de La Grand-Combe(292). Le rôle important qu'ils ont joué dans l'expansion de la Compagnie revient à maintes reprises dans les documents historiques de l'entreprise. Exemples, donc, de personnages qui ont bien mené la politique paternaliste dans la gestion de la main-d'oeuvre et le contrôle de l'ensemble de la vie locale. L'ingénieur Jules Callon est né en 1815 dans la Seine-Maritime (Houlme). De 1834 à 1838, il a suivi les cours de l'Ecole Polytechnique et de l'Ecole des Mines à Paris. En 1845, il est chargé comme ingénieur des fonctions de directeur de l'Ecole des Maîtres-Mineurs à Alès, époque à laquelle il effectue plusieurs voyages d'étude en Allemagne, Belgique, Amérique du Nord (il est aussi professeur de mécanique et d'exploitation à l'Ecole des Mines de Saint-Etienne). En 1846, le Directeur Général (et co-propriétaire) des Mines de La Grand-Combe, Paulin Talabot, l'engage comme ingénieur et Directeur des Mines de La Grand-Combe, fonction qu'il cumule avec celle de directeur de l'Ecole des Maîtres-Mineurs d'Alès. Responsable d'un processus accéléré de prolétarisation, il est la cible des mécontentements des ouvriers lors des événements du printemps 1848, ce à quoi il répondra énergiquement en convoquant l'armée pour organiser la répression(_). Fin 1848, il est nommé à l'Ecole des Mines de Paris comme professeur suppléant de mécanique et d'exploitation des Mines (en 1856, il est nommé professeur titulaire). Malgré ses fonctions qui l'occupaient à Paris (et ailleurs), il séjournait fréquemment à La Grand'Combe. Il devient ensuite ingénieur-conseil et le reste jusqu'en 1863, date à laquelle il est promu administrateur-délégué. En 1872, il est nommé Inspecteur Général des Mines. Il publie plusieurs ouvrages sur l'exploitation des Mines et participe comme membre du Jury International aux Expositions Universelles de Paris (1855 et 1867) et de Londres (1862). M. Callon s'est marié en 1846 à la petite-fille du naturaliste Lamarck (et fille de l'ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, M. Monet de Lamarck). François Beau, son successeur, nommé Directeur des Mines de la Compagnie des Mines de La Grand-Combe en 1848, est né dans le Finistère en 1815. Il a suivi l'Ecole Polytechnique à Paris à partir de 1836. En 1840, il est engagé pour diriger les Mines de Rochebelle à Alès, où il coopère à l'organisation de l'Ecole des Maîtres-ouvriers mineurs d'Alès. En 1864, il est nommé Directeur Général des Mines de La Grand-Combe. Son successeur, M. Graffin, ingénieur issu des écoles parisiennes, fait toute sa carrière dans la Compagnie. Débutant comme sous-ingénieur en 1852, il est nommé ingénieur principal en 1856, à l'âge de 27 ans. En 1863, il se retrouve Directeur de l'exploitation et, en 1879, avec la mort de M. Beau, Directeur Général de la Compagnie. Un dernier exemple concerne le géologue de la Compagnie, M. Georges Livet, né à Paris en 1884 et o— il suit ses études. En juillet 1914, il entre à la Compagnie des Mines de La Grand-Combe. D'ao–t 1914 à juin 1916, il est mobilisé par la guerre. En 1919, il devient chef du service des études géologiques et géométriques. En 1938, il soutient sa thèse de Docteur ès sciences à l'Université de Montpellier. En 1942, il organise un centre d'apprentissage et dirige la formation professionnelle des jeunes ouvriers mineurs de la Compagnie des Mines de La Grand-Combe. Le cercle des familles des ingénieurs est restreint et compose un "monde à part" vis-à-vis de la majorité de la population grand-combienne. "Normalement, ils étaient étrangers au pays, mais ils faisaient toute leur carrière ici. Bien s–r, il y avait ceux qui venaient de la région même. Ils se mariaient entre eux... Par exemple, la fille du Directeur, je ne me souviens plus de son nom, mais elle s'est mariée avec le fils du docteur spécialiste en silicose". (M. Penot, mineur retraité). Les femmes des ingénieurs, elles aussi en général d'origine allogène, s'enfermaient - sur la recommandation, d'ailleurs, de la Compagnie - dans un réseau de relations relevant d'un mode de comportement et de positions de classe s'affiliant au groupe dominant. "Dans ce milieu, très fermé, limité aux seuls ingénieurs et médecins de la puissante compagnie des mines, au total une cinquantaine de familles, les règles de vie étaient bien arrêtées. Madame C., la femme du Directeur, recevait le lundi après-midi. Le go–ter y était servi par un valet de chambre, chauffeur de Madame à ses heures, et il était convenable que les femmes des ingénieurs s'y rendissent environ une fois par mois. Le mardi était réservé à Madame M., femme de l'ingénieur principal du fond; le mercredi à Madame T., femme de l'ingénieur-en-chef. On y apportait son ouvrage et les conversations allaient bon train sur les vie 'de ces Messieurs', les études des enfants, les événements de la ville, les projets de mariage, etc. Mme Flechon y venait deux ou trois fois par mois dans la victoria affectée à titre personnel à l'ingénieur du Pontil. Elle quittait la réunion vers dix-huit heures, prenait son mari au bureau de Ricard, et le pas lent du cheval qui soufflait pour atteindre le col de Maupertus les conduisait en trois quarts d'heure à leur domicile".(294) Ceci montre que les familles de "notables" doivent elles aussi répondre à un statut moral défini par la Compagnie. Elles reproduisent les valeurs et les pratiques de la classe dominante: "caractéristique d'un style de vie, d'une mode et d'une consommation ostentatoire"(295). "Il n'y en avait pas une qui nous adressait la parole...". (Mme Chambot. Femme de mineur retraité). Leur réseau de relations est bien sûr restreint aux familles d'ingénieurs, les seules ouvertures se faisant hors de la commune. Cette ostentation est visible depuis le type d'habitation - les villas - qui exprime un statut social supérieur, jusqu'à tout un ensemble de conditions privilégiées qui les classent en haut de la hiérarchie et qui définissent un style de vie confortable. Dans ce sens, le signe le plus frappant de distinction pour les femmes de mineur est la vie de femme d'ingénieur et maîtresse de maison, car elle dispose de domestiques pour assurer la bonne tenue de celle-ci: "Parce que dans la journée, ces gens, les ingénieurs, avaient un homme en calèche et puis un vélomoteur qui faisaient les courses pour les dames. Alors, elles passaient la commande et ce monsieur, il allait acheter du pain, un paquet de je ne sais pas quoi, du sucre, ce qu'elles avaient besoin, il était payé pour ça. Et en plus, elles avaient une bonne pour faire le ménage et tout, un homme pour faire le jardin, etc.".(Mme Chambot. Femme de mineur retraité). Un autre trait encore revient à plusieurs reprises dans les représentations de nos interlocuteurs pour exprimer ce qu'était le mode de vie "bourgeois" du groupe social des ingénieurs: leurs privilèges de déplacement. L'usage des calèches d'abord, de voitures plus tard, marquait bien une différence "de naissance" par rapport à la grande majorité de la population. "Notre fille, quand elle allait à l'école, c'était à pied, alors que la fille d'un ingénieur, là, elle avait une calèche. Ils n'amenaient jamais personne d'autre dans les calèches." (Mme Enfil. Femme de mineur retraité). (M. Gany): "Dites, les enfants des ingénieurs ne se mélangeaient pas avec les enfants des ouvriers, dans l'école et tout ‡a." (M. Champec): "Jamais..." (M. Gany): "Ils avaient une voiture, une calèche et une voiture particulière. Ils ne se mélangeaient pas avec les affaires des ouvriers, là!" (Mme Champec): "Même pour aller à l'école, les enfants des ingénieurs ne prenaient pas le car. Les nôtres allaient à pied. Ils avaient une charrette, au départ, bon! En 54, ils avaient encore la calèche à cheval, après ils avaient une voiture particulière." (M. Gany et M. Champec, mineurs retraités). La distance sociale est exprimée dans les différentes pratiques de la vie urbaine. Les femmes d'ingénieurs ne sont d'ailleurs vues par la population qu'en de rares occasions, et toujours se dépla‡ant dans leurs calèches conduites par un cocher (plus tard dans les premières voitures apparues dans la ville). L'une de ces occasions survenait à l'église, lors de chaque messe, quand se jouait impérativement "la scène" du statut social. La hiérarchie spatiale représentait alors la hiérarchie sociale: les ingénieurs et leur famille occupaient les premiers rangs, les ouvriers les derniers. "A cause de la structure sociale hiérarchisée, tout à fait particulière: on ne fait pas cohabiter population ouvrière et cadres supérieurs de la Compagnie, femmes de mineurs et femmes d'ingénieurs ne se rencontrent qu'à l'église ou au temple et (plus rarement) au marché; mais les secondes, 'les damettes', y sont conduites en calèche".(296) La majorité de la population grand-combienne étant ouvrière, et afin de ne pas briser la structure envisagée par la Compagnie pour cette "grande famille", la cohabitation dans la vie publique est une rencontre sociale à éviter chaque fois que cela est possible. En général, les femmes d'ingénieur ne fréquentaient pas le marché: leurs employés faisaient les achats. S'il leur arrivait de s'y rendre, cela était mal vu par la Compagnie. Très tôt, les enfants de mineurs comprenaient qu'il existait des interdits d'échange avec les enfants d'ingénieurs. Cette inégalité dans le mode de vie était tout d'abord per‡ue quand les premiers voyaient les seconds confortablement transportés jusqu'à l'école, et ensuite à travers leurs habits, leurs moeurs bourgeoises, etc. Le franchissement des limites n'était pas vu d'un bon oeil par la Compagnie, comme le révèle ce récit d'un mineur et de sa femme qui habitaient la cité de Forêt, non loin des villas des ingénieurs. (M. Condera): "Il y avait un fils d'ingénieur, là, qui venait ici jouer avec notre gar‡on, en cachette, bien s–r". (Mme Condera): "Oui, il venait s'amuser avec notre gosse, là. Mais il n'a jamais pris mon gosse dans sa calèche, jamais, jamais." L'appartenance à un "monde" distinct était ainsi déjà connue par l'extériorisation d'une posture sociale privilégiée qu'on exigeait des enfants d'ingénieur. Mais, en général, ces derniers ne restaient pas longtemps dans les écoles de La Grand-Combe, et partaient pour des établissements privés d'Alès, de Montpellier(297), de Nîmes ou Paris. Le départ pour faire une éducation ailleurs, comme l'observe Pinçon, "accompagne une prise de distance sociale dont la manière d'envisager la formation au métier constitue un symptôme"(298). Parfois, ce fils d'ingénieur, après ses études, revient pour donner suite à la carrière de son père, en héritant de son poste à la Compagnie: "Quelquefois, le fils d'ingénieur devenait ingénieur ici aussi. Celui qui habite à l'Impostaire (Les Salles-du-Gardon), là, son père a fait sa carrière entière ici. Il est né ici, et après ça, école d'ingénieur. Il a succédé son père. (M. Pezon. Employé Houillères retraité). Le monde à part o— vit le groupe social des ingénieurs étant mis en évidence dans les différentes circonstances du quotidien - travail, loisir, éducation, etc. - il est clair que les ouvriers reconnaissent en lui le groupe dirigeant et privilégié. Toutes ces prises de distance sociale permettaient au patronat d'affirmer son hégémonie sur la vie locale. Cela ne devait pas être compris par les familles ouvrières comme une contrainte sociale, mais comme un déterminisme social et culturel(299) inculqué comme une reproduction naturelle - dans un domaine plus large de rapports (ceux de la "grande famille") - de l'ordre hiérarchique d'une famille. C'est pour garantir cet ordre social que la Compagnie exigeait même de ses ingénieurs certaines marques de reconnaissance et de "familiarité". L'acte de saluer, celui de conseiller les ouvriers sur leur vie privée, et dans une certaine mesure la charité et services sociaux(300), composaient des pratiques suggérées pour prêter à l'entreprise des "rapports familiaux et d'estime". D'ailleurs, selon le récit de l'ingénieur Flechon qui a servi les Mines de La Grand-Combe pendant 30 ans, c'est pour cela aussi que la Compagnie exigeait d'eux un comportement exemplaire: la rectitude dans la vie, la dignité dans l'existence familiale, les qualités professionnelles, le dévouement et un comportement très humain dans le travail, "un prestige réel dont bénéficiait toute la corporation". C'est ainsi que cet ingénieur raconte ne pas avoir été surpris de voir que, même quand il était encore jeune (25 ans), les contremaîtres et mineurs lui accordaient non seulement leur respect mais aussi leur confiance. De temps en temps, il conseillait un ouvrier sur l'attitude à prendre à l'égard d'un fils qui avait "pris des avances" avec sa fiancée avant le mariage, ou alors à l'égard d'une jeune fille ayant fait une tentative de fugue avec un jeune homme d'un niveau social plus élevé que le sien.(301) Cependant, les limites de cette "familiarité" sont vite retrouvées par la société ouvrière, face à l'inégalité des conditions de vie. "Nous, les ouvriers, on ne s'entendait pas avec les ingénieurs. On se disait 'Bonjour! Comment ça va?', c'est tout. Il y avait trop de différences entre eux et nous". (M. Champeac, mineur retraité). Ces distances ont été respectées comme règles de la "maison" pendant longtemps, et selon les historiens du pays, cette situation s'est perpétuée malgré la disparition de la Compagnie et les changements économico-politiques survenus avec la nationalisation des mines (sujet de la Partie III): "Après la Libération, les femmes d'ingénieur ont commencé à fréquenter le marché. Elles y étaient amenées en calèche par un employé de la Compagnie qui chargeait les paquets et les ramenait à leur domicile. De même, jusqu'en 1954, la calèche amenait les enfants à l'école. Cela s'est perpétué jusqu'en 1968, où femmes et enfants d'ingénieur disposaient encore d'un chauffeur particulier. Il était mal vu de refuser ces privilèges et les ingénieurs qui ne les ont pas acceptés ne sont pas restés très longtemps aux houillères".(302) *** Une autre source du clivage différenciant alors la population est l'appartenance religieuse, qui est définie par un conditionnement social(303). Par-delà l'identité ponctuelle d'une condition de prolétaire (identité de classe sociale), on apprenait, dans les différents domaines de socialisation, que le monde minier était organisé selon un critère convenable de différences politicoreligieuses. C'est en se basant sur le catholicisme que la Compagnie a cherché à légitimer toute une série de valeurs morales imposées aux habitants et appropriées pour informer un champ de pratiques déterminé par l'ordre paternaliste. Etre un "bon catholique" correspondait aux codes de comportement définis par la Compagnie: une vertu qui allait de pair avec celle de bon travailleur et de citoyen apolitique. "La Cévenne gardoise est en majorité protestante. Elle a toujours été républicaine et donc de comportement socio-politique contradictoire avec celui de la France rurale catholique. Ce qui fait que nous trouvons à La GrandCombe une situation spécifique. Au coeur de la tache protestante, s'instaure une communauté ouvrière catholique. L'hostilité inter-communautaire y est présente. La Compagnie crée des difficultés à l'embauche d'un protestant mais, évidemment elle n'osait pas, au XIXe siècle, mettre officiellement des barrières religieuses, et elle a même fait bâtir un Temple...". (M. Wiénin). Le catholicisme est proposé comme étant le fondement de l'existence, l'institution supérieure à laquelle la Compagnie s'assujettit en tant que "grande famille", alors que le protestantisme était respecté en tant que confession religieuse (édit de tolérance de culte, 1787), mais pas du tout encouragé. Or, le cévenol gardois est l'héritier des luttes camisardes: "Les vieilles familles enracinées au pays cévenol depuis longtemps étaient protestantes et en grande majorité de tendance politique de gauche: radicales ou socialistes; celles venues plus récemment de la montagne étaient catholiques et d'opinions généralement plus modérées".(304) Ce sont avant tout les ouvriers catholiques que la Compagnie a voulu embaucher. Etant donné que le Gard descendait d'une tradition protestante - et une majorité votant à gauche - cette volonté de la Compagnie de préférer une communauté à la majorité catholique correspond à sa stratégie de s'assurer un prolétariat politiquement conservateur. En 1846, la population recensée à La Grand-Combe (4.011 h) est de 3.372 catholiques et 634 protestants. En 1851, la population s'élevait à 4.730 habitants et comptait 3.992 catholiques pour 738 protestants, confirmant ainsi cette tendance. Pour atteindre son objectif, la Compagnie est allée chercher les ouvriers catholiques là o— ils étaient, dans les régions limitrophes du bassin minier, comme la Lozère et l'Ardèche, zones de tradition agricole et catholique(305), et o— elle entreprendra un recrutement systématique. "(...) il est normal que les Compagnies préfèrent engager une maind'oeuvre politiquement s–re; comme les candidats ne manquent pas et que le personnel d'encadrement est dévoué et avisé, il est facile d'écarter les éléments subversifs. Dans cette optique, il devient compréhensible que les Cévennes ardéchoises, enclavées, sans voie ferrée, éloignées de La Grand'Combe, lui fournissent plus de gens que les Cévennes languedociennes: ces vallées sont de religion catholique, comme le sont les plateaux o— se confinent les départements de l'Ardèche, de la Lozère et de la Haute-Loire (...)".(306) C'est cette population qu'elle juge la plus soumise et la plus docile à ses principes paternalistes d'organisation sociale et économique, et par là la plus facile à enraciner. Et, dans ce projet, elle compte l'église (à travers le rôle du clergé) comme alliée. Il est évident que la Compagnie n'a pas pu négliger le fait qu'elle s'enracinait en plein bastion du protestantisme, puisque, dans le cas contraire, elle s'exposait à faire ressurgir l'hostilité religieuse entre catholiques et protestants (1680-1760)(307), ou alors l'hostilité politique entre royalistes et républicains(308), encore présente dans les mémoires. Mais les cévenols protestants, eux aussi, étaient réticents face aux systèmes développés par la Compagnie, et la soi-disant "méfiance" était plutôt réciproque(309). L'appartenance religieuse a été ainsi adoptée comme un critère de classement "en plus", la Compagnie suggérant de la sorte le style de vie et l'ethos idéaux aux membres de la communauté de travail de cette ville minière, "ville paternaliste, dont le discours politique est avant tout axé sur la propagande cléricale et en faveur de l'ordre moral"(310). Nous pouvons percevoir dans le récit des personnes interrogées cette volonté de la Compagnie de produire des ségrégations autour de la réputation religieuse, afin de contrôler l'opposition de la base au statu quo: (Chercheur): "Est-ce que tout le monde était traité également par la Compagnie? (Mme Volvic): "Non, la différence c'était l'Eglise. Dans le temps de mon père et de mon mari, ils étaient obligés d'aller à l'Eglise. Ceux qui n'allaient pas à la messe, alors, ne touchaient presque rien....". (M. Volvic): "Parce que l'Eglise s'était mise du côté du plus fort, du patron. Moi, personnellement, je pense qu'elle n'avait pas bien choisi son morceau...". (Mme Volvic): "Maintenant, ‡a ne me regarde pas... chacun a ses idées, mais avant, il fallait être du côté de l'Eglise...". (M. Volvic): "Maintenant c'est plus pareil, les gens sont moins hypocrites. Mais avant, il fallait que tout le monde pense la même chose, on ne pouvait pas avoir ses propres idées...". (M. Volvic, mineur retraité, et sa mère. Mme Volvic, veuve de mineur). Déjà à l'école, la distinction des enfants obéit à des critères religieux et, par voie de conséquence, politiques. Certes, les enfants protestants ont pu très tôt suivre l'enseignement de leur foi, mais les écoles catholiques ont toujours pris une position dominante dans la préférence de la Compagnie. Cela était bien compris par les jeunes gens, comme l'observe Pelen: "L'école est d'ailleurs longtemps un lieu où se différencient et s'opposent les communautés religieuses. Sur le chemin des écoliers, les petits catholiques qui vont à l'Ecole des Frères invectivent les petits protestants de l'Ecole La‹que: 'L'Ecole la‹que! L'école du Diable! L'Ecole La‹que! L'école du Diable'!".(311) Avec les changements survenus dans la structure scolaire fran‡aise (par exemple, l'avènement des écoles laïques), si beaucoup d'enfants catholiques continuent à fréquenter les écoles privées qui gardaient leur prestige auprès la Compagnie, d'autres, dont les parents osaient affronter la toute-puissante Compagnie, étaient envoyés à l'école la‹que. Dans leurs souvenirs, la différence entre suivre l'école privée et l'enseignement public est pendant longtemps restée présente. "Oui, dans le temps de la Compagnie, même les écoles étaient à l'Eglise, parce qu'il y avait des écoles la‹ques et vous aviez les écoles des Frères qui étaient l'école de la religion. Ils avaient le monopole de tout. Moi, quand j'étais gosse, j'allais à l'école des Frères; sinon, j'étais montré du doigt, hé!." (M. Poincaré, mineur retraité). "A cette époque-là, l'école libre c'était pas une obligation, mais mama avait toujours peur. Mon frère travaillait à la mine et moi, je suis allée à l'école libre parce que mon frère et ma mère voulaient garder leur travail. A cette époque-là, c'était comme ça. On avait la crainte d'être renvoyé". (Mme Noël. Fille de mineur). On peut dire que ce choix de l'école la‹que de certains parents considérés comme dissidents malgré leur droit de citoyen à le faire - constituait l'enjeu d'une lutte, marquait une opposition qui, si elle ne les confrontait pas directement au capital, était malgré tout une prise de position de contre-pouvoir. Prise de position idéologique certainement difficile à défendre pour les parents ouvriers s'opposant à cette société paternaliste, quand on sait que le choix de l'école était fondamental pour la carrière des enfants.(312) La répartition géographique de la population laborieuse s'ordonnait aussi - chaque fois que la Compagnie le jugeait nécessaire - selon sa croyance. L'appartenance religieuse (et politique) était ainsi la base d'une distribution préférentielle dans l'espace "urbain"/"périphérie". Mais ceci cachait la préoccupation de la Compagnie de régler avant tout la question de l'appartenance politique. Ainsi, dans la mémoire collective du groupe, parler des anciennes tensions "religieuses" existantes amène à parler d'une distribution résidentielle distincte sur le "territoire" de la Compagnie selon l'appartenance religieuse. Ainsi, le découpage de la ville en quartiers comportait non seulement le critère de fonction mais aussi celui de l'appartenance religieuse. Encore aujourd'hui, M. Franchis rappelle le poids du critère de la "religion" pour pouvoir obtenir une maison dans un quartier nettement plus favorisé: "Quand mes parents sont venus ils ont eu une place ici à la cité de Ribes, mon père était bien placé. Autrement c'était que des gens choisi ici, c'était des catholiques ici... c'est un peu comme la guerre de religion, ou ‡a joue. Ici si vous alliez à la messe vous aviez une place. Ici on regardait ‡a. Si vous alliez à l'église vous aviez une bonne place dehors, dans le bureau, la cité, n'importe où". (M. Delan. Mineur retraité). Nous avons également pu appréhender cette problématique dans les récits des habitants interviewés du hameau de La Levade. Dans leurs souvenirs, le vécu quotidien était marqué par une sociabilité religieuse différenciée. C'est sur la rive gauche du Gardon (et à gauche de la ligne de chemin de fer) que se trouvait le hameau de La Levade, où la Compagnie a installé presque exclusivement des familles issues de Lozère et d'Ardèche, créant un noyau d'habitat catholique. Juste à côté (sur la rive droite du Gardon et à droite de la ligne de chemin de fer), se trouvait le hameau "Les Taillades", appartenant à la commune de Branoux, de forte tradition agricole et formant un noyau d'habitat protestant. Bien que ce "territoire" soit lui aussi devenu concession de la Compagnie, ses habitants, qui depuis des générations étaient enracinés dans le "pays", vont rester très ancrés dans leur tradition religieuse. Ces paysans protestants habitant Les Taillades vont peu à peu répondre aux appels du marché du travail qui s'impose: la mine. Toutefois, la Compagnie fera toujours attention à leur "tendance de gauche". Pour cela, elle fait bâtir des logements sur place, aux Taillades, les "isolant" ainsi d'une certaine fa‡on. Remarquons que la résistance des protestants à habiter la nouvelle commune "catholique" a peut-être coïncidé avec le zèle de la Compagnie à éviter de les mélanger dans l'espace résidentiel de la nouvelle ville, aux effectifs soigneusement sélectionnés venus d'ailleurs. C'est ainsi que les mineurs (et/ou paysans-mineurs) protestants de la commune voisine sont restés, par rapport à celle de La Grand-Combe, à la "périphérie". La Levade, en revanche, située tout juste de l'autre côté du pont, appartenait à la commune de La Grand-Combe, où, de plus, était installé le siège administratif de La Compagnie. Les nombreuses familles ouvrières catholiques qui s'y étaient fixées, tendaient à se concentrer dans la rue de l'Eglise et la rue de l'Ecole, qui constituaient le centre du hameau. Selon les habitants les plus anciens du hameau, ce quartier central était autrefois, dénommé par les voisins protestants "Le Vatican", attribuant ainsi une image métaphorique à ce lieu, qui, dans une certaine mesure, représentait le pouvoir global. Les catholiques, pour leur part, interprétaient cette appellation comme signe marquant leur apanage, et ils discriminaient les protestants restant à l'écart de la nouvelle commune, ségrégation qui se trouvait renforcée par des signes négatifs de distinction, chargés de "propriétés" d'exclusion: ceux de Les Taillades étaient "les rouges", ou alors ceux "de tendance politique" tout court. "A l'origine, on appelait ici le 'Vatican', parce que les gens qui sont de l'autre côté, là (Les Taillades), de tendance politique, appelaient ici Le Vatican. €a, c'était quelque chose! hé! Il y avait une barrière entre nous. Ceux de tendance politique ne venaient pas croiser par ici, 'la rue du Vatican'. Il y avait une barrière. Et nous, on passait pas de l'autre côté du pont. Après le pont, on ne passait pas parce que ce n'était pas la même mentalité. Ce n'était pas les mêmes idées, ni les mêmes opinions. Ah oui! Ça, c'était quelque chose". (Mme Delma. Commerçante retraitée. Habitante de La Levade). On peut supposer qu'à travers la socialisation catholique, les habitants transplantés de la "Cévenne catholique" à La Levade trouvent un support à une identification territoriale et à une socialisation urbaine et prolétaire plus rapides et plus faciles, soulagés qu'ils étaient de bénéficier des faveurs de la Compagnie. Mais il est certain que ce facteur a pris une ampleur de "stigmate de distinction" (pour plagier Bourdieu) dans la mesure o— le groupe voisin s'est défini "en relation" et/ou en opposition au groupe hégémonique, créant ce que l'un de nos interlocuteurs a défini plus loin comme "hostilité intercommunautaire"(313). Cette référence à une distribution de l'espace urbain selon l'appartenance religieuse réapparaît dans les récits des personnes interrogées lorsqu'elles parlent d'autres quartiers et espaces "en relation de distinction". C'est le cas de Salles-du-Gardon, où les "rouges", des paysans cévenols en grande partie convertis au nouveau métier de mineur, restent les habitants les plus nombreux. Cette problématique interfère donc sur l'interaction famille/ville. Cela nous permet de supposer que, à La Grand-Combe, non seulement les "modalités de qualification et de gestion de la main-d'oeuvre" étaient liées aux pratiques concernant l'habitat et d'autres mesures de protection (institution scolaire, promotion sociale), mais aussi que l'appartenance à une idéologie catholique était déterminante.(314) Au-delà d'une apparente "harmonie sociale", des positions, des hiérarchies explicites et implicites, des signes différencient les uns et les autres. Depuis la classe sociale jusqu'à la fonction exercée dans la mine, en passant par l'appartenance religieuse et le choix politique, le monde minier est rempli d'éléments de distinction. Ceux-ci sont produits par le système même - inégal qu'engendre la Compagnie. Ainsi, en même temps que la classe ouvrière trouve une unité par la distance qui l'oppose à d'autres classes sociales en rapport avec des forces plus hégémoniques, les relations interindividuelles à l'intérieur du groupe ouvrier et le comportement de chaque membre par rapport à celui de l'ensemble révèlent aussi les circonstances très diverses à travers lesquelles chacun s'insère dans la vie laborieuse et citadine. B) LE CONTEXTE FAMILIAL "AU TEMPS DE LA COMPAGNIE". La majorité de la population, dans cette ville minière nouvellement fondée, est formée par les ouvriers. Ceux-ci sont soit des autochtones, soit des nouveaux-venus. Les axes biographiques (ou généalogiques), les trajectoires géographiques de ces gens, jusqu'à leur arrivée à La Grand-Combe, sont les plus divers(315). Nous connaissons ce qui les pousse à s'y installer: en général, pour plusieurs générations, c'est l'accès au marché du travail industriel. Le travail à la mine étant le facteur par lequel ils s'y sont rassemblés, le "vécu social" de ces familles et de ces jeunes, autochtones ou immigrés, est désormais en rapport avec la nouvelle ville(316). Une vie collective intense va se servir de cet univers de référence et au fur et à mesure que les familles s'y enracinent, le travail à la mine, par l'hégémonie d'une mono-industrie traditionnelle, devient le centre de gravité des projets familiaux(317). Cela moins par "idéal de vie" (ou "vocation") que par l'héritage de conditions d'existence déterminées: celles du prolétariat minier. Un choix qui est contraint et forcé parce que par-dessus du risque assumé il y a la question humaine de reproduction, de vie. Face à l'incertitude de la vie sans un travail sûr, l'on opte pour ce travail dangereux, risqué, et la fatalité de la condition du travail minier se transforme en entreprise hasardeuse, et l'incertitude subie devient "coup de dés décidé"(318). Nous suggérons par là que l'univers de cette société minière détermine un contexte caractéristique: le monde prolétarien des mineurs rend objectif et limité, par la condition de classe, le champ des possibilités(319) de construction de projets de vie(320) (dispositions intériorisées, d'une certaine manière héréditaires(321)). L'autre face de la monnaie, c'est la sécurité matérielle assurée par la Compagnie qui "séduit". On court le risque de la fatalité physique (la mort) par la compensation (ou condition) d'avoir un travail, une "précaution" (prudence matérielle) prise pour éviter l'impossible survivance quotidienne (la famine, la misère, etc.). La Compagnie incite célibataires à se marier, les femmes à s'occuper de la maison, le mineur à travailler, les couples à faire des enfants(322), comme le suggère Gaillard en se référant aux allocations familiales fournies par la Compagnie: "Comment ne pas être franchement nataliste et souhaiter une famille nombreuse, d'autant plus que l'entreprise offre une prime aux foyers de plus de trois enfants. Ainsi, les institutions sociales ont un quatrième objectif: la reproduction élargie de la main-d'oeuvre initiale... ".(323) Fonder une famille nombreuse, suggère Goffman, peut être également un moyen de "prendre ses précautions" pour compenser les "coups de dés". Selon lui, cela peut aussi être une question de sécurité, qui concourt à la recherche de "tranquillité" pour ranger son existence.(324) Ainsi, au fil des années, une "homogamie professionnelle"(325) ainsi qu'une "hérédité professionnelle" se manifestent. Cela définit des aspects singuliers dans cette communauté de travail: les générations du temps de la Compagnie. (Chercheur): "C'est vous qui avez choisi de travailler à la mine?" (M. Chambot): "C'est-à-dire qu'il n'y avait pas autre chose. Nous avons été père-mineur, fils-mineur, et ainsi de suite, jusqu'à la génération de mon fils". (Chercheur): "Vous êtes fils de mineur?" (M. Chambot): "Oui, et j'avais un frère qui était mineur aussi. Lui, il est rentré à la mine à 13 ans et ça faisait jeune. Depuis l'époque de Zola ça a été comme ça". (M. Chambot. Mineur Retraité). Emile Zola, dans son roman Germinal (1885)(326), raconte l'histoire d'une famille qui pendant cinq générations est liée au travail de la mine. On a beaucoup écrit sur l'hérédité dans l'univers prolétarien des mineurs, parfois en évoquant comme la continuité de la "lignée du mineur fils de mineur" ("le mythe?")(327), parfois analysant les mécanismes par lesquels les Compagnies ont entrepris, dans les milieux miniers, de créer ce primat du destin: l'hérédité professionnelle. Dans ce dernier cas, les auteurs tantôt analysent l'intention de créer un "stock héréditaire de travailleurs" (des villes-stocks), une villeréservoir, afin d'y parquer la classe "dangereuse" en assurant l'autoreproduction indéfiniment élargie d'une main-d'oeuvre héréditaire (fixée à la mine depuis plusieurs générations)(328), tantôt démontrent que ce processus comporte des refus dus à la répugnance au pénible travail de la mine de la part d'un prolétariat récemment converti(329). Tout en prenant en compte ces analyses critiques, nous visons ici à démontrer que la Compagnie des Mines de La Grand-Combe s'est prévalue de cette "recette" traditionnelle pour résoudre le problème de pénurie de maind'oeuvre: la fixation et la reproduction élargie de la population minière. Cela est la base d'une structure familiale singulière; elle est surtout nucléaire, tournée vers le foyer, raison du proverbe "charbonnier est maître chez lui"(?)(330). Mais la famille devait en même temps être prolifique, ce qui supposait une mentalité trouvant sa légitimité dans une tradition chrétienne. Certes, elle n'est pas encore du type malthusien, parce que la Compagnie motive encore sa fécondité. Mais déjà la procréation n'est plus fondamentale en tant que reproduction de main-d'oeuvre pour la famille, mais (et, par-dessus tout) pour la Compagnie. Elle doit être nombreuse, certes, mais la Compagnie prend soin d'elle et se charge des enfants(331). Nous partons des évidences. D'un côté, la forte concentration ouvrière sera dorénavant la base d'un nombre important d'alliances matrimoniales à l'intérieur du réseau de la communauté de travail "grand-combienne" - une homogamie socioprofessionnelle marquera les unions. (M. Chabrol): "J'ai travaillé 33 ans à la mine. Au fond. D'abord, j'ai fait deux ans de place, pour séparer la pierre du charbon. Ma femme aussi a travaillé là comme placière pendant 5 ans". (Chercheur): "Où est-ce que avez-vous connu votre femme?" (M. Chabrol): "A la mine... c'était l'époque". (Chercheur): "Et vous êtes fils de mineur?" (M. Chabrol): "Oui, mon père était mineur, mon grand-père de même, aussi bien que du côté de ma femme". (M. Chabrol. Mineur retraité). D'un autre côté, le monopole d'une mono-industrie construit un champ de possibilités professionnelles limitées: le monde du travail est celui de la mine, ce qui a pour corollaire un héritage socioprofessionnel. Ce sont là les effets, sans doute, de la politique d'encadrement paternaliste que la Compagnie déploie. Mais, comme l'observe Schwartz pour la société minière dans le Nord (France): "Il reste que la violence de l'encerclement patronal a marqué la société minière d'une spécificité durable, que même la nationalisation des compagnies, intervenue à la Libération, n'a pas suffi à démentir. Par suite d'une forte soumission des individus au travail, d'une dissuasion constamment exercée par le système sur toute ambition sociale, d'un effort pour attacher les ouvriers à la mine par le biais du logement et de la famille, le monde des mineurs est demeuré, en plein coeur de notre siècle, un monde clos".(332) Grâce aux stratégies d'encadrement paternaliste, la Compagnie réussit dans son programme de stabilisation de la main-d'oeuvre. Celle-ci se voit contrainte à respecter son engagement, parce que la mine représente le seul élément économique local dynamique - le "champ des possibles"(333). En même temps, la Compagnie homogénéise cette main-d'oeuvre par le biais du partage des conditions de vie, créant ainsi une unité dans ce groupe social, ce que nous prenons en compte comme un système de pratiques et de valeurs sur-valorisées par une communauté, autrement dit, une "emblématique identitaire", parce que marque distinctive réinvesti dans un autre niveau de signification totalisante, élément structurant de l'identité (indissociable de la formation sociale), "un principe d'unification identitaire".(334) C'est sur la mise en lumière de ces aspects que nous concentrerons nos efforts dans ce chapitre. *** Il va de soi qu'étant le fruit de la cohabitation dans un même univers social, les réseaux de communications s'y circonscrivent. Un vieux couple grand-combien nous raconte qu'ils se sont connus dans un bal à Champclauson. En effet, les activités ludiques (religieuses ou profanes) dans la commune et dans la région, les fêtes familiales, etc., offrent aux jeunes l'occasion de se réunir, de s'approcher et de donner naissance à maints projets de mariages. "Il y avait des jeunes qui se connaissaient dans la même rue et qui se mariaient entre eux. Il y a ceux qui se sont connus dans les fêtes, les bals du coin, la fête de Sainte-Barbe, la fête Votive, etc., (...) et puis, il y avait les mouvements de jeunesse, le mouvement catholique, les associations sportives... Comme partout, n'est-ce pas?". (M. Pezet. Employé des Houillères retraité). Notre interlocuteur grand-combien a raison de dire que "c'est comme partout". Une étude d'ethnologie des mariages à La Grand-Combe montrerait certainement que les "agencements sociaux" qui permettent aux jeunes - qui constituent l'univers matrimonial - de se rencontrer et de se retrouver concernent les événements traditionnels dans les villages et les "quartiers" de la province: bals et fêtes du "pays", promenades du dimanche, etc.(335). Néanmoins, comme toute société, celle-ci compte ses particularités. Ces jeunes autochtones, ces jeunes immigrants ou enfants d'immigrants (surtout ceux d'origine paysanne), connaîtront de nouvelles conditions de vie, de travail, d'habitat, de relations, d'entraide, etc. Maintenant, "le village" est constitué de casernes, de quartiers ouvriers; des bals et des fêtes sont organisés par la Compagnie; les offices religieux sont aussi des "obligations" de la communauté de travail. Bref, on s'installe dans un territoire très particulier - une zone minière - on s'insère dans une société ouvrière.(336) Lorsqu'on parle des nouveaux mariés, nous savons qu'il y a là une bonne dose de choix personnel, mais à laquelle s'ajoutent une norme sociale, des codes collectifs, l'existence d'une aire matrimoniale... bref, les enjeux dans lesquels s'inscrivent ces alliances. Les motivations combinent alors des options personnelles aux projets d'intégration familiale (les protagonistes) et professionnelle (y compris des calculs de rationalité économique), ainsi qu'à d'autres critères culturels, démographiques, géographiques, etc. Cependant, ces aspects sont circonscrits au contexte social de l'époque, où il faut remarquer un autre déterminant, extérieur au choix personnel, qui établit des conventions réglant les relations familiales : en toutes circonstances, on agit selon "l'éthique" de la Compagnie. Nous avons déjà invoqué les moyens - persuasifs - que la Compagnie emploie pour inciter les ouvriers à vivre "en famille": "la famille, garant d'un ordre de la socialisation, deviendra la cellule de base de l'édifice institutionnel"(337). Aujourd'hui, encore, cet aspect est assez clair pour les descendants de cette communauté: "Avant la nationalisation, au temps de la Compagnie, elle intervenait beaucoup dans cet aspect: la famille. Parce qu'il fallait qu'elle garde le personnel. Elle avait besoin de personnel et elle allait chercher des familles ou alors, elle les faisait venir - directement ou indirectement. Automatiquement, il y avait cet aspect: retombée sur la famille. Mon père, quand il s'est pointé vers la guerre de 14, par là, il est venu tout seul. Ma mère est venue plus tard avec ses gamins. Et il y avait quand même du travail. C'est-à-dire que mon frère aîné, moi et mon autre frère cadet, tous les trois on a travaillé au fond de la mine. Alors, nous, on était trois bons hommes. Nous nous sommes tous mariés ici. Cela faisait grossir la famille. Alors, par là, la Compagnie avait de la maind'oeuvre. Et, bon... elle s'occupait de la famille. On restait là parce qu'on était logé, qu'on avait un toit. Et la famille, on était quand même garanti pour la maladie, l'hospitalisation, les blessures. Si, par exemple, vous aviez une blessure, vous aviez droit à des pensions, à des avantages. Voilà! Ici on avait beaucoup de trucs". (M. Chazalle. Il a commencé comme mineur dans la Compagnie et fini comme cadre dans les Houillères). Autrement dit, ce "vécu familial" ne correspond pas fortuitement à un certain mode de vie, de résidence, à une certaine vie en famille. C'est l'assignation d'une politique d'encadrement paternaliste débouchant sur un processus de "familialisation" qui y est déterminant. Nous avons déjà évoqué la famille idéalisée par la Compagnie - une famille construite sur les principes matrimoniaux et les valeurs chrétiennes - qui assure la stabilité par l'indissolubilité même du lien conjugal et répond à ses intérêts de reproduction élargie de la main-d'oeuvre par l'accroissement naturel du nombre des enfants jusqu'au surnombre.(338) "Ainsi, natalité et nuptialité sont directement fonction de l'avenir prévisible de la Compagnie des Mines de la Grand-Combe et l'on mesure là toute l'importance de la conjoncture économique à court et moyen terme sur les attitudes humaines face au mariage et aux enfants".(339) Ce processus débute au moment de la création de la Compagnie. On compte alors un nombre déjà expressif de familles, ou d'ouvriers mariés qui arrivent seuls. Dans ce dernier cas, leur famille tantôt restera dans le village d'origine, tantôt les rejoindra plus tard. C'est ce qui se produit pour les mineurs saisonniers mariés: "Tous ne s'étaient pas fixés sur place immédiatement, nombre d'entre eux n'y venant que pour les mois d'hiver et conservant leur ferme de montagne pour la belle saison". (...) "A l'entrée de l'hiver, arrivaient les 'gavots', descendus des hauts plateaux de la Lozère et de l'Ardèche. Vivant en célibataires chez des parents ou dans des cantines de la Compagnie, pendant que là-haut leurs femmes soigneraient les bêtes, récolteraient le lait, prépareraient et vendraient le beurre, ils repartiraient, le printemps venu, nantis des économies péniblement amassées par un travail soutenu de plusieurs mois, pour aller planter leurs pommes de terre, répandre sur les herbages le fumier accumulé et se gorger d'air pur après ces mois de poussière souterraine."(340) Le nombre d'ouvriers célibataires est encore parlant, ce qui démontre le caractère encore pionnier de la ville(341). Plusieurs se marieront passées les premières années "d'installation" dans la nouvelle ville.(342) "Il est vraisemblable d'imaginer maint paysan-manoeuvre se mariant dans son village après quelques hivers passés à la mine, puis le nouveau couple abandonnant la terre natale pour s'entasser avec d'autres dans les cités ouvrières".(343) Les jeunes gens célibataires ou mariés étaient aussitôt embauchés dans la mine. "C'était le divisionnaire le responsable de l'embauche. Tous les aprèsmidi, P. introduisait dans son bureau les candidats au travail. On y voyait, mêlés, des fran‡ais, la plupart du temps venus directement des hauts-plateaux voisins, quelques-uns en provenance d'autres compagnies du Bassin, et même parfois originaires du Pays-bas, qu'ils aient trouvé un logement chez des parents déjà fixés à La Grand-Combe, ou qu'ils aient envisagé de prendre une chambre dans un petit hôtel ou dans une cantine, organisée et contrôlée par la Compagnie".(344) Il est plus difficile de connaître les conditions dans lesquelles arrivaient les filles célibataires. La ville en attirait certainement un nombre important, qui venaient pour être embauchées comme placières, comme domestiques chez les ingénieurs, etc., ou tout simplement pour trouver plus facilement à se marier. Très tôt, le taux de nuptialité est assez élevé(345), preuve que les célibataires sont poussés au mariage par un ensemble de dispositifs mis en place par la Compagnie. Preuve aussi que, par la constitution d'alliances, l'initiation aux avatars d'une nouvelle condition de vie est moins malaisée. Qui sont donc ces jeunes qui fondent les familles grand-combiennes? Lorsque l'on observe les lieux de naissance des couples qui se marient à La Grand-Combe, l'on constate une importante exogamie, conséquence d'une ville nouvellement créée: une ville jeune et encore "d'accueil".(346) Cela est confirmé par la thèse de Lamorisse qui observe que, en 1876, dans plus de la moitié des mariages à La Grand-Combe (54%), les familles nouvelles se sont constituées de jeunes venus d'horizons géographiques très différents.(347) En effet, cette exogamie est très présente dans les récits de nos interlocuteurs les plus âgés à chaque fois qu'ils parlent de la trajectoire de leurs ascendants: "Ma mère elle est venue à La Grand-Combe quand elle s'est mariée. Elle était du côté de Bessèges. Mes grands-parents maternels sont du côté de l'Ardèche. Mon père est né ici, mais mon grand-père (paternel) est de Mende (Lozère). Je ne sais pas trop quand est-ce qu'ils sont venus. Ma femme est de Lozère. (M. Combet. Mineur retraité). Ainsi, dans les premières décennies après la fondation de la ville, période à laquelle la Compagnie recrute intensivement, l'immense majorité de la main-d'oeuvre est issue des montagnes cévenoles: Cévennes gardoises, lozériennes, ardéchoises, qui représentent à elles seules 90% des personnes mentionnées dans les actes de mariage(348). Cette "diversité" du peuplement suit en fait certains critères qu'il faut retenir. Nous avons déjà fait référence à l'intérêt de la Compagnie de construire une communauté de travail à prédominance catholique. Vue sous cet aspect, si l'aire matrimoniale est étendue, elle correspond quand même à une affinité géographique qui révèle aussi une affinité idéologique avec la Compagnie. Les zones limitrophes dans lesquelles la Compagnie va recruter préférentiellement son personnel sont à prédominance catholique. Ainsi, elle "propose" le catholicisme pour légitimer le fondement d'un mode d'existence. Les raisons à cela - nous les avons déjà évoquées - sont non seulement l'obtention d'un travailleur discipliné, mais aussi le désir de voir tous les membres de la famille subordonnés aux normes établies dans cette société minière. Si leur origine géographique est encore diversifiée, leur orientation sociale, en revanche, est aussitôt déterminée. Puisque c'est une ville minière, le fiancé est avant tout un mineur de charbon. Le dépouillement des registres de mariage, d'après l'activité exercée par les époux, démontre que c'est à l'intérieur du champ de relations de groupes domestiques ouvriers que se construisent les nouveaux rapports conjugaux par excellence.(349) Cela nous permet de remarquer, tout d'abord, la présence d'un nombre élevé d'alliances parmi le groupe socioprofessionnel ouvrier à La GrandCombe. Malgré la mobilité propre de cette population (ouvrière) à l'époque, une importante homogamie socioprofessionnelle se manifeste aussitôt. Deuxièmement, l'on observe la présence d'autres professions liées à une urbanité, mais qui, par leur faible nombre, dénotent encore un stade prématuré. Et, finalement, le faible taux de mariages dans le groupe des agriculteurs(350) décèle le petit nombre de familles paysannes et la dilution rapide de celles-ci et des exploitations agricoles dans la commune(351). A une nuptialité qui s'intensifie s'ajoute la précocité des mariages. Certes, dans les premiers recensements, l'âge des mariés s'avère un peu tardif, mais il s'abaisse très vite (surtout pour les filles), ceci étant dû entre autres choses, à un mode de résidence indépendant.(352) La grande majorité des jeunes travailleurs ont connu leur fiancé(e) après leur arrivée à La Grand-Combe. Au fur et à mesure de leur enracinement et d'une meilleure stabilité dans le travail, les jeunes immigrés célibataires finissent par se marier à La Grand-Combe, avec le projet d'y rester. Et, comme l'observe Lamorisse, pour ceux qui sont allogènes et qui épousent une fille née dans la commune, "la rupture avec le milieu rural dont ils proviennent ne peut que s'accentuer et le mariage est sans doute une circonstance favorable à l'installation définitive dans le secteur industriel".(353) L'observation des actes de mariage de 1847 montre, par rapport au lieu de résidence, que sur 30 actes recensés, 48 des conjoints (22 hommes et 26 femmes) résidaient sur la commune au moment du mariage. Parmi les autres, 3 habitaient Alès, 1 l'Ardèche, 1 la Lozère, 1 l'Aveyron, et 6 avaient une résidence inconnue. Ainsi, les nouveaux couples, dans leur grande majorité, résident déjà dans la ville ou les hameaux proches au moment des noces.(354) Cela n'est cependant pas la règle. Il est possible que des immigrés célibataires aient laissé leur fiancée dans son village natal, situé le plus souvent en amont immédiat du bassin houiller, jusqu'à la veille du mariage.(355) De même pour ceux qui arrivent déjà mariés et qui, dans un premier temps, laissent leur famille dans le village d'origine. Viennent les difficultés d'une vie loin de la famille, dont les contrecoups sont la solitude, la nourriture de la cantine à laquelle on ne s'habitue pas toujours, etc. Les facilités proposées par la Compagnie pour faire venir la famille incitent le mineur à se stabiliser définitivement dans la ville d'accueil. L'arrivée de l'épouse et des enfants scellera cette option.(356) Pour ceux qui proviennent d'un milieu rural, les mariages à la ville n'obéissent certainement pas aux mêmes stratégies matrimoniales que celles de leur groupe d'origine, puisque la question d'héritage (terres et dots) ne joue pas ici le même rôle.(357) Quoique concernant une période postérieure, certains récits apportent un exemple de rupture définitive avec le lopin familial: "Mon père, d'abord, il a gardé la terre et puis il l'a louée. Mais il ne s'en sortait pas; alors il a tout vendu et il est venu à la mine. Il est venu en 35 et on est venu un an plus tard en 36". (M. Pondes, Mineur retraité). "Mes grands-parents sont restés là-haut (Lozère), ils sont paysans. Mon père n'a pas voulu rester, il n'avait pas beaucoup de terre, c'est pour ‡a qu'il a abandonné le métier paysan. Ce n'était pas rentable, et c'était mieux de faire le mineur". (M. Voldan. Mineur retraité). Pour une grande majorité, l'insertion à La Grand-Combe implique une nouvelle réalité: une re-définition sociale et une re-définition spatiale. Tout d'abord, ce qui distingue surtout le monde urbain du monde rural est la condition de salarié du travailleur, synonyme d'une situation d'émancipation plutôt rare dans le monde rural. L'indépendance économique de l'ouvrier célibataire, qui en plus d'un salaire obtient la garantie d'un toit pour sa famille, lui permet d'envisager un mariage que ne suit plus les mêmes codes juridiques et culturels que ceux des familles paysannes. A cela s'ajoutent les changements concernant les problèmes liés à l'avenir de la famille: éducation des enfants, assistance aux vieux, aux veuves, à la maladie, etc. Ces problèmes, qui dans une société rurale devaient être réglés à l'intérieur des systèmes de parenté organisés selon leurs situations culturelles spécifiques(358), sont désormais pris en charge par une politique de protection sociale développée par la Compagnie. Cela ne veut pas dire absence de stratégie matrimoniale. Les prescriptions sociales sont ancrées dans les valeurs et principes moraux, tant anciens(359) que nouveaux, aussi bien par rapport au "choix" des conjoints qu'en ce qui concerne leurs droits et devoirs envers leurs famillessouches(360). On s'allie à la nouvelle population rassemblée là en même temps qu'on y retrouve la conformité des codes traditionnels pratiqués dans le groupe d'origine. A cela s'additionne la volonté de la Compagnie d'orienter la vie des familles ouvrières qui dépendent d'elle. C'est tantôt elle, tantôt l'église (le clergé(361)), qui devient l'interlocuteur essentiel pour codifier les valeurs susceptibles de motiver ces événements sociaux que sont le mariage et la procréation.(362) Le couple, bien sûr, appartient préférentiellement aux mêmes prescriptions religieuses et l'espace familial est supposé reproduire ces principes. "(...) il semble en effet que chaque fois qu'un ouvrier ou un employé catholique de l'entreprise désirait épouser une fille protestante, le curé et quelquefois le patronat lui-même exerçaient des pressions sur la famille et le futur mari pour que le projet ne soit pas mené à bien. C'est dans ce cas une autre forme, parmi tant d'autres, d'intervention dans la vie privée du personnel qui confirme, s'il en était besoin, cette tutelle de tous les instants que prétend exercer la Compagnie sur la main-d'oeuvre".(363) En effet, la Compagnie réussit à stabiliser un nombre important de "familles" ouvrières. C'est du moins ce que nous pouvons supposer au vu de l'importance de l'homogamie sociale, et, lorsque l'on regarde le lieu de résidence des conjoints au moment des noces, de l'endogamie locale. Cette réussite n'est pas difficile à comprendre: contrastant avec les conditions traumatisantes auxquelles une grande majorité du prolétariat était soumise en France au XIXe siècle, la reproduction de la vie de l'ouvrier et de sa famille était effectivement assurée à La Grand-Combe par la Compagnie, dans un contexte de sécurité - en ce qui concerne l'emploi, le logement, la retraite, etc. - qui assimilait les rapports sociaux aux rapports familiaux. C'est d'ailleurs l'origine du slogan que nous allons entendre à plusieurs reprises, chaque fois que le statut de la femme du mineur était évoqué dans l'espace social: "femme de mineur, femme de seigneur", et qui résume d'une part cette conception de s–reté, d'autre part le rôle que celle-ci doit jouer selon une morale familiale: "(...) 'Femme de mineur, femme de seigneur', disait le proverbe pour souligner que la femme mariée ne travaillait que si elle le voulait bien; la paye de son mari et les quelques avantages sociaux (logement, chauffage, sécurité sociale minière, retraite) consentis à la profession lui permettant de ne travailler hors de la maison que si elle le désirait vraiment".(364) Au fil des années les groupes domestiques grand-combiens se définissent(365). La structure des ménages et l'organisation de la résidence se conforment, sous des traits spécifiques, à la "ville minière": le père, pourvoyeur du soutien familial, travaille à la Compagnie; la mère, maîtresse de maison, veille sur les enfants. En 1914, H. Pin écrit une thèse sur les mineurs du Gard, dans laquelle il déplore les raisons qui poussaient les mineurs à fréquenter les "cabarets" et à s'adonner à l'alcoolisme, dont la faute revient à son avis à la femme qui ne saurait pas retenir son mari à la maison. Il propose le "foyer idéal": "Si la ménagère savait arranger un intérieur confortable et accueillant, l'ouvrier ne serait pas tenté d'aller se distraire en dehors, il resterait chez lui. Le remède n'est pas difficile à trouver. Il ne suffit pas de donner à la famille un logis agréable et sain, il faut en même temps former de bonnes ménagères, des femmes d'intérieur pénétrées de leur mission dans la famille qui l'après-midi, au lieu d'aller bavarder dans le quartier, resteront chez elles, dirigeront la maison avec économie. Le mineur mieux soigné sera physiquement plus apte, plus fort et plus ardent au travail. Tout en profiterait, même le budget familial qui, mieux équilibré, se solderait au bout de l'an par un supplément de recettes".(366) Ces principes sont ceux connus de la société contemporaine: la construction des unités domestiques renfor‡ait la vie privée et les rôles bien hiérarchisés des géniteurs. "Plus la structure familiale est forte, plus il y a de chances que la famille soit prolifique. En restaurant l'autorité de l'homme sur la femme, on lui permettra de la cantonner au foyer, de la 'libérer' de toutes autres activités que reproductrices et domestiques. La perte de gain qui s'ensuivrait serait compensée par l'augmentation des revenus due à la progéniture, les allocations familiales qu'il faut promouvoir et le salaire des enfants lorsqu'ils ont passé douze ans. Ainsi on rendrait à la famille le caractère d'une petite entreprise intéressée à multiplier ses membres, donc ses forces".(367) C'est à travers la Compagnie que les familles ouvrières vivent leur insertion dans la vie sociale de la ville. L'identité professionnelle des époux qui se sont mariés à La Grand-Combe confirme en quelque sorte la structure familiale dominante au temps de la Compagnie, par rapport à la distribution des rôles dans le ménage: c'est le mari qui exerce un métier rémunéré tandis que la femme s'occupe des activités domestiques et des soins aux enfants(368), régle les rythmes de la vie familiale (l'heure du départ au travail et à l'école, du retour, les rythmes des repas et du sommeil, etc.). Les "territoires" occupés par les groupes féminin et masculin sont ainsi découpés: pendant qu'aux hommes est réservée la tâche de garantir le revenu par le travail à la mine, la femme, ou mieux, la femme du mineur et la mère de ses enfants, doit se plier à l'exercice d'une fonction tutélaire sur l'ensemble du foyer. "(...) la 'ville-usine' fige la femme d'ouvrier dans le statut de femme au foyer".(369) Cantonnée dans la sphère du domicile, la femme du mineur est chargée de garantir l'accomplissement des tâches domestiques. Elle veille à l'achat des aliments quotidiens, à la préparation de la nourriture, à l'entretien du linge, à la vaisselle, au nettoyage du logement (pour lequel elle compte, quand cela est possible, sur l'aide de ses filles), permettant ainsi au chef de famille de récupérer pleinement ses forces après un travail épuisant. Les logements et les unités résidentielles dans lesquels sont insérées les familles répondent d'une manière plus ou moins adéquate aux nouveaux besoins. Dès lors, les conditions d'habitation proposées par la Compagnie, de protection sociale, etc., encouragent le développement d'un type d'organisation familiale qui, l'on peut le supposer, deviendra le plus courant dans la communauté ouvrière grand-combienne: la famille restreinte basée sur un système bilatéral de parenté et sur le mariage. Le plus souvent, le ménage est à noyau conjugal simple, sans ou avec descendants (enfants). Il est convenu d'appeler ce type-là de famille nucléaire (et/ou conjugale). Cependant, celui-ci ne constituait pas le seul modèle de structure familiale et, d'ailleurs, cette structure n'invalide ni les liens de parenté, ni ceux d'amitié ou de voisinage développés dans la communauté de travail.(370) En outre, il faut se rendre compte des situations d'un individu vivant seul, composant une structure simple de ménage, aussi bien que les liens créés autour de lui. La tendance du ménage conjugal est, le plus souvent, de constituer une famille de résidence néolocale, celle-ci étant un principe établi par la Compagnie, ce qui signifie que dès le mariage la famille va s'installer dans une maison indépendante des deux groupes parentaux. Mais quand cela n'est pas possible, surtout dans les premières années du mariage, le nouveau couple va habiter chez les ascendants ou chez des parents collatéraux en attendant leur propre logement. Ce genre de cohabitation se manifeste aussi dans d'autres cas, comme, par exemple, celui d'une mère veuve qui se rapproche du ménage d'un fils ou d'une fille, ou même d'un frère ou d'un cousin célibataire, etc. La cohabitation de deux générations qui travaillent à la mine peut être parfois comprise comme une prévention pour le jour où l'âge de la retraite arrive: "Lorsque venait, pour les mineurs l'heure de la retraite, le logement qu'ils occupaient, s'il appartenait à la Compagnie, était mis généralement sur le nom de l'un des enfants travaillant à la mine".(371) Les cas de cohabitation sont multiples et rappellent l'importance des rapports de parenté dans ce milieu, bien qu'ils soient moins souvent dus à des critères de "lignée" qu'à une nécessité, synonyme d'entassement sur quelques mý (surtout dans les périodes de grande demande de main-d'oeuvre et de pénurie des logements prévus par la Compagnie). C'était la Compagnie qui logeait tout le monde, et je crois que la période le plus pénible pour les logements ici, ça a été en 35, par là, c'était la période la plus pénible pour avoir un logement ici. On est resté un an et demi avec les beaux-parents, avant d'avoir un logement, vous voyez! Tellement qu'il n'avait pas une pièce pour loger les gens...". (M. Volda. Mineur retraité). "On a toujours habité un deux-pièces. On était cinq, mon mari, moi, les enfants. Toujours à Champclauson, c'était la vieille cité; maintenant, ils ont tout démoli. Alors après, j'avais mon père avec moi parce que ma maman était décédée. Il avait 90 ans quand il est mort". (Mme Michel, femme de mineur retraité, fille de mineur, parle des années 1920/30). En outre, le recours du ménage conjugal à la cohabitation avec des ascendants ou descendants correspondait très souvent à une période d'attente d'un logement qui serait délivré par la Compagnie: (Mme Combet): "J'ai rien à voir avec l'histoire de la mine, je suis de Lozère. Je connais l'histoire comme ‡a parce que mon mari a travaillé 30 ans au fond. J'ai connu mon mari parce que j'avais une tante ici. Je me suis mariée et j'ai habité avec mes beaux-parents, dans la caserne à la Fougère, près de Ribes. J'ai une fille, elle est née chez ma belle-mère (...). Puis, on a eu cet appartement (Casernes Neuves), ‡a fait 55 ou 56 ans qu'on habite ici. Mais on a habité avant dans la cité qu'il y avait là, à côté (Casernes Basses)". (Mme Combet. Femme de mineur retraité). A titre d'analyse, nous avons observé l'organisation régnant dans une caserne située dans le quartier "Caserne Basses", où résidaient, en 1846, 779 personnes ou 193 ménages pour 9 habitations (casernes). Nous avons pris l'une de ces casernes et relevé 83 cas o— le chef du ménage a déclaré comme profession celle de "Mineur"(372). Nous avons pu constater la structure suivante: Des 83 familles dont le chef est "Mineur"(373): A) Le Mineur est marié et habite avec sa Femme = 68 couples. A.1.) De ces 68 ménages conjugaux: Ménages à noyau conjugal simple: Ménages conjugaux avec descendants: l enfant = 13 ménages. 50 ménages. 15 familles. 2 enfants = 15 3 enfants = 10 4 enfants = 4 5 enfants = 4 7 enfants = 1 Ménages conjugaux o— cohabite un frère célibataire (collatéraux) aussi Mineur= 3 Ménages conjugaux o— cohabite un frère marié aussi Mineur= 1 Ménages conjugaux avec un ascendant du mari = Ménages conjugaux avec un ascendant de la femme = 2 1 Ménages conjugaux o— cohabite un autre Mineur célibataire non apparenté: 1 Mineur = 3 familles 2 Mineurs = 2 familles 3 Mineurs = 3 familles B) Mineur marié, mais la femme n'a pas été déclarée comme cohabitant avec lui = 3 ménages B.1) Dans ces 3 ménages: 1 chef de famille habite seul. 1 cohabite avec 4 frères du mari. 1 cohabite avec 2 autres Mineurs. C) Homme Veuf: 3 habite seul (ménage solitaire)= 1 veuf habite avec 2 fils = 1 habite avec 4 fils = 1 D) Le chef de famille est le "fils aîné" et avec lui habite la mère veuve: 2 habitent avec eux aussi: 1 frère = 1 2 frères= 1 E) Mineurs célibataires habitant seuls (ménage solitaire) = 5 F) Mineurs non déclarés à l'Etat-Civil et avec qui habite un fils = 2 Nous pouvons conclure que 75,9% des ménages vus ici - habitant dans ce logement de type caserne - présentent la structure de famille restreinte ou nucléaire (60,2% de ménages conjugaux avec descendants, 15,7% de ménages conjugaux simples): un père, une mère et des enfants cohabitent un même espace domestique. Ce sont des couples apparemment jeunes: seuls 4 d'entre eux ont leur fils aîné (âgé de 12 à 16 ans) travaillant déjà comme apprenti à la mine. C'est ainsi que la famille idéalisée par la Compagnie, "la famille nucléaire", arrive souvent à représenter la majorité des foyers. La tendance aux familles composées d'un ou deux enfants a été vraisemblablement prédominante dans les premières décennies, moins par malthusianisme que par le fait d'un taux élevé de mortalité infantile.(374) Bien s–r, l'afflux migratoire des hommes, femmes et enfants est garant d'une augmentation des naissances; certes, il naissait plus d'enfants(375), mais cela n'empêchait pas une importante mortalité infantile. Quelques thèses nous parlent d'une "voracité de la mortalité infantile"(376). C'est seulement après un certain délai que l'auto-reproduction de la population commence à se stabiliser et la politique envisagée par la Compagnie à porter ses fruits. A un ralentissement du peuplement d'immigrants, à partir des années 1860, co‹ncide un excédent des naissances.(377) Selon Lamorisse, c'est un bilan migratoire très nettement positif qui s'exprime dans un premier temps; il se ralentit quelque peu ensuite mais il est relayé par une vigoureuse poussée de la natalité; enfin, la balance naturelle rend compte à elle seule d'une progression bien ralentie par une forte mortalité, tandis que le solde migratoire devient négatif.(378) Au fil des années, le mouvement migratoire décroît(379) mais la population ne cessera d'augmenter. Le célibat masculin diminue(380) - "preuve que le charbon a fixé une main-d'oeuvre désormais structurée en familles"(381) - les mariages de souche autochtone augmentent(382), le nombre des personnes âgées grossit, etc. Tout ceci démontre que la période pionnière du peuplement s'estompe, "signe de maturité" de la ville"(383). Mais il faut prendre en compte les différentes situations de vie en famille. Il existe aussi des foyers avec une structure plus complexe: la présence de parents (ou non-parents) autres que les enfants. Cela nous amène a suggérer que le groupe de parenté n'a pas perdu sa place et que la solidarité parentale joue parfois un rôle important parmi les familles ouvrières. C'est pourquoi l'entassement des membres d'une famille dans un logement ou une unité domestique n'inclut pas toujours le seul couple et ses enfants (comme le suppose la dénomination "famille nucléaire"). Quelquefois, le système parental incluait une personne ne faisant pas partie du groupe nucléaire: un frère célibataire ou marié, une mère veuve, un beau-père, une belle-mère, un cousin, ou même des pensionnaires(384). Les situations étaient tantôt stables, tantôt occasionnelles: le frère qui après son mariage déménagera pour son propre logement (résidence néolocale), etc. Cela nous autorise à suggérer que des rapports de famille étendue (ou élargie) sont présents dans certains foyers. Il s'agit parfois de pensionnés (mineurs qui prennent pension), de personnes non apparentées qui sont hébergées tantôt pour aider à boucler le budget d'un ménage ouvrier, tantôt du fait de relations antérieures, o— la question d'entraide joue. Dans le contexte particularisé par la politique paternaliste de la Compagnie, une certaine densité familiale est très souvent requise. Les conditions d'habitat imposées aux familles sont celles de l'étroitesse, de l'exigu‹té, et de l'absence de confort élémentaire. Toutefois, ce confinement des couples ne signifie pas pour autant qu'ils vivent solitaires. La "forme-famille", dans sa configuration aussi bien nucléaire qu'élargie, informe et encadre très profondément la vie quotidienne de la classe ouvrière. Par ailleurs, dès que l'habitat collectif temporaire pourra être évité (en raison de la parcimonie d'espace), par l'obtention d'un logement individuel, il est probable que la proximité spatiale avec les parents et amis sera souhaitée. Proximité qui permettra à la pratique de la famille étendue de jouer un rôle. "L'arrivée de tout ce monde renouvelle sensiblement le fonds humain de la région d'accueil. Sans doute le phénomène commun à tous les secteurs d'immigration transparaît-il (...): venus de telle ou telle région, les gens ont tendance à se regrouper dans des immeubles voisins (...)".(385) Les liens de parenté tissent un réseau serré sur l'espace social. Ils sont essentiels aux échanges (biens, services, informations), par exemple, et renforcent le code traditionnel de comportement en assurant une surveillance plus étroite. De plus, face à la situation de proximité des foyers, les rapports de voisinage s'imposent en général d'une manière impérative(386). Dans un espace domestique de voisinage très dense, cela implique un quotidien rempli de situations où entrent en jeu l'interconnaissance, la solidarité, mais qui sont aussi parfois sources de frictions et de conflits(387). Ces liens anciens et nouveaux qui reconstituent le tissu de parenté, de voisinage, d'alliances, c'est le réseau ouvrier. La famille n'est donc pas isolée: son rapport avec l'entourage est actif. Les actes de soutien devant la nécessité sont évidents, auxquels s'ajoutent le réconfort moral, les relations amicales, etc. Surtout si l'on considère que les premières familles immigrées sont toujours à l'origine de la mobilisation des autres membres de leur parenté et de leur entourage, qui arrivent eux aussi attirés par le travail et sachant qu'ils seront accueillis sur place, du moins provisoirement, ou alors aidés à s'intégrer au milieu local. "Quant au logement, les fran‡ais venus seulement pour la saison d'hiver étaient souvent hébergés chez des parents ou dans des familles amies fixées à La Grand-Combe".(388) "(...) le plus souvent, les migrants saisonniers prennent pension dans une famille dont le mari ou la femme sont originaires de la même vallée ou mieux, du même village qu'eux-mêmes. Pour l'hôte, c'est un moyen de ne pas perdre contact avec 'le pays' et ceux qu'il y a laissés; pour le locataire, dont nous connaissons la situation matérielle et intellectuelle, c'est une fa‡on de s'intégrer à un milieu qui, du fait qu'il est nouveau, est d'emblée rébarbatif".(389) Aujourd'hui encore, nos interlocuteurs citent à maintes reprises le mot "solidarité"(390) pour parler des qualités dominantes qui fondaient la vie collective d'autrefois - la solidarité qui orchestrait les rapports d'entraide, d'échange et de sociabilité -: "la solidarité unit entre eux tous les mineurs".(391) Tout cela doit être compris dans le contexte du milieu: ils appartiennent tous à un groupe qui connaît bien des difficultés quotidiennes. Identité face à une situation de mutation spatiale (mouvement migratoire et multiplicité des origines géographiques) et parfois d'activité, identité dans le fait d'avoir quitté le "pays" d'origine, le "quartier" de naissance, identité dans le partage des mêmes contraintes pratiques que l'impact de l'insertion à un nouveau "mode de vie" entraîne, identité aussi face à un métier dur et identité enfin dans la condition d'encadrement paternaliste. Ces conditions, face aux difficultés communes, construisent en revanche, les formes d'une complicité réglée par les principes de la réciprocité (et de la complémentarité), par l'enjeu de la construction d'une vision du monde qui leur est singulière (le sens et les consensus sur le sens), qui fait leur unité et l'identité du groupe. Plus complexe est l'acte d'appropriation que le groupe engendre par la définition d'un langage commun, à la fois signe d'identification à l'espace de référence du groupe et marque d'appartenance au groupe. La langue occitane, qui devient le "patois minier" et même base du "patois grand-combien", évoque un acte de classement, par lequel le groupe cherche à re-connecter des codes et des valeurs d'appartenance à une spatialité et à une temporalité (projection dans l'espace d'une référence culturelle et historique). Grâce à un trait commun, la langue, ils trouvent et/ou récupèrent un support d'identité ("une propriété culturelle") qui lie les membres dans ce coin du pays cévenol(392): un pays minier (l'occitan, support de la mémoire de la communauté cévenole, est ré-élaboré aussi comme support d'identité des membres de la communauté de travail minier). Il est certain que la grande majorité des grand-combiens étant originaires d'une région cévenole, la pratique de la langue, comme moyen de reconnaissance, comme moyen de "lutte de classement", permet cet acte de "magie sociale" par lequel les membres s'identifient et s'intègrent plus facilement au pays minier.(393) Le "patois" de la mine en est la preuve: "A la mine on parlait le patois grand-combien. On disait qu'on parlait 'le chinois'! Ni les français, ni les étrangers ne le comprenaient pas, seulement les mineurs. (...) On ne parlait pas le patois à l'école, c'était défendu, mais à la mine si. Ah oui!". (M. Surrel. Mineur retraité). "L'occitan, c'était la langue des mineurs au fond, la langue officielle des mineurs cévenols pendant très longtemps pratiquement jusqu'à la venue massive des nord-africains (après la Première Guerre). Il y avait là quelque chose très net sur le plan social". (M. Wiénin). Cette situation de complicité n'en est pas moins significative d'un mode de vie spécifique. Elle devient un élément d'identification, un signe de reconnaissance de ceux qui appartiennent à la communauté de travail. Parfois, ce processus est celui de renoncements et de compromis, donc reproducteur en lui-même d'un statu quo. Ce sont des valeurs bien ancrées dans l'esprit de la famille chrétienne(394). Néanmoins, dans une certaine mesure, il existe là aussi une négation des conditions de vie telles que les a structurées la Compagnie, et une prise de conscience des conditions d'existence du groupe. Il est difficile de mesurer le niveau des rapports de force avec le patronat dans ces signes de résistance, que nous pourrions déceler dans l'existence de relations solidaires à l'encontre d'un consentement servile.(395) Sans doute trouve-t-on dans ces manifestations de moeurs prolétariennes un champ de contestation, un enjeu des luttes. Le réseau d'amitié et d'aide présent parmi les familles ouvrières est-il soumission ou refus? Il s'agit s–rement, en tout cas, d'une sociabilité intense, l'une des bases sur laquelle se construit localement l'identité sociale (ou, sûrement, d'un phénomène qui établit des valeurs à partir desquelles les personnes et le groupe partagent un sentiment d'identité). La solidarité rapproche les membres de la communauté comme condition nécessaire d'unité, de cohésion, qui remplit une fonction de mise en ordre du monde social. C'est pour eux prendre conscience de leur singularité. Celle-ci est expérimentée à travers la spécificité de l'activité dans la mine, les conditions de travail étant étroitement liées aux notions de danger, d'insalubrité, de fatalité. Ces familles appartiennent à un univers évoluant sous le regard de la mort(396) et de la maladie(397). Cette familiarité avec la mort engendre les représentations du quotidien: "Les maris partaient à la mine le matin, on savait pas s'ils allaient rentrer le soir". (M. Enjolras, femme de mineur retraité). Les contraintes auxquelles ces ouvriers sont soumis dans la sphère du travail envahissent la sphère privée, élargissant la problématique des conditions de travail à celle des conditions de vie de la famille du mineur. Or, la solidarité, elle, commen‡ait tout d'abord là où le danger existait: au fond de la mine. C'est cet espace qui alimente l'identité attachée à un métier difficile et malsain, où la solidarité du groupe est très présente. Le récit d'un ancien mineur retrace cette "ambiance": Les mineurs sont solidaires entre eux. Un mineur au fond de la mine, n'importe quoi qui lui arrivait, il se cassait un doigt, n'importe quoi, tous autour de lui, j'sais pas, c'était tous, tout le monde laissait tomber son travail pour aller se mettre à la chaîne et sauver le copain. On n'avait pas besoin d'être commandé, c'était comme ‡a, on laissait tout tomber pour sauver le gars. Ah oui! dans la mine c'était quelque chose de formidable. A ce moment-là, il n'y avait pas d'équipe de secours, rien, et il n'y avait même pas un dispensaire. On avait une boîte à pharmacie, mais n'importe qui pouvait prendre cette boîte, il n'y avait pas un gars qui était désigné pour ‡a, c'était un savoir-faire, quoi, c'est tout. Alors n'importe qui se débrouillait pour sauver le copain, alors que maintenant le gars dit 'ah! non, ce n'est pas mon boulot, il y a des équipes pour ça'!. Mais nous dans la mine, il n'y avait pas d'équipe de secours, personne... c'était la solidarité, c'était le coeur qui commandait, on prenait des risques, parce que la mine, attention! des fois, c'est pas commode". (M. Ponce. Mineur retraité). Ces formes de complicité(398) sont dues à un travail à haut risque, qui exigeait un important savoir-faire ne pouvant être acquis qu'à partir de certaines formes d'entente parmi les compagnons de travail. Ainsi se forgeaient des mécanismes de sociabilité ouvrière. Cela explique cette chaîne de solidarité professionnelle, par le partage des sentiments de peur et d'insécurité attachés aux conditions de travail et de vie. L'angoisse, disent des ethnologues qui ont étudié ce groupe, renforce sa cohésion, et c'est ce qui lie ces gens à une même condition: "L'inquiétude commune, l'idée permanente que cela peut arriver à soi, qu'il suffisait d'une heure pour que ce soit son père ou son frère qui soit là, enseveli sous les décombres, intoxiqué par les gaz toxiques ou emmuré vivant sans espoir de se dégager, cette angoisse, est la condition première du sens de la solidarité".(399) La vie pour ces familles ouvrières, dans la ville minière, était loin d'être idyllique. Le travail à la mine est, pour 80% de la population grand-combienne, ce qui rythme la cadence du quotidien. Dans le milieu ouvrier grand-combien, la vie du ménage consiste tout d'abord en une lutte pour le gagne-pain. Le récit d'un interlocuteur résume cette condition: "Mon enfance, ‡a n'a pas été la joie. On a été élevés comme on a pu. Pour nos parents, leur problème à eux, c'était de nous mettre quelque chose dans les assiettes pour pouvoir manger. Nous, on n'a pas re‡u d'éducation proprement dite. Il y avait trop de monde à la maison. Mon père, il travaillait à la mine 10 heures par jour pour nourrir toute cette famille. Quand il arrivait le soir, c'était un homme fatigué. Il n'avait pas le temps de s'occuper de nous. Il ne pouvait pas. Il aurait voulu, mais il n'aurait pas pu, parce qu'il avait dépensé une force physique énorme pour pouvoir gagner l'argent. Parce qu'il n'est pas arrivé ici pour recueillir des perles à La Grand-Combe. Il est venu ici pour travailler". (M. Pondes. Mineur retraité. Ses parents sont arrivés à La Grand-Combe après la Première Guerre). Ainsi, du modèle familial établi sous la bienveillance de la Compagnie celui du mineur régnant en maître, de l'homme prolétaire valorisé par son travail et de sa femme s'occupant de la maison, le corollaire est celui du mineur et de sa femme mis, à leur tour, à la discipline industrielle. A ceci se somme le bénéfice que la Compagnie tire à médiatiser l'image du mineur comme aimant son métier, courageux, prêt à tous les sacrifices: "On va répétant que le métier de mineur n'est pas un métier comme un autre et que le mineur n'est pas un ouvrier comme un autre. Cet amour/particularité se nourrit d'une double thématique, qui met en avant la dureté et la dangerosité du travail. Le travail est dur parce qu'il se joue dans un face-à-face permanent avec la nature abyssale. Il est dangereux parce qu'il comporte des risques incalculables, des catastrophes, la mort. D'o— très tôt cette assimilation du mineur à 'un soldat', à 'un combattant' de l'abîme. De fa‡on corollaire la dureté et la dangerosité engendrent des vertus spécifiques à la corporation: le courage (le mineur est un homme courageux) et le sacrifice (il se sacrifie volontiers)".(400) Si on y repère "l'ambiance idéologique" percé dans les discours, les récits et valeurs, brefs, les dispositifs idéologiques et moraux créés par la Compagnie, destinés à représenter le travailleur "idéal", la "vie en famille" consistaient en effet en voir, d'une part, un père absent de la maison une bonne partie de la journée et, quand il y était, fatigué par le travail(401), et, d'autre part, une femme affrontant quotidiennement le dur labeur de reproduire la scène domestique. "Nous, notre affaire c'était la maison. Je vous dis, c'était pas agréable pour les femmes, hé! Les gens disent 'Femme de mineur, femme de seigneur' parce que tout les mois on gagnait la paie. Voilà! la paie était régulière, le charbon, les avantages, vous voyez! Alors les gens disaient qu'on était 'femme de seigneur' parce qu'il y avait des avantages. Bon, pour les avantages c'est vrai. Mais c'était comme ça pour qu'on travaille. Pour le travail, ah! c'était pas agréable, pas agréable. Moi, j'ai travaillé ma vie, hé!" (M. Jentel. Femme de mineur retraité). Les avantages, base du slogan qui revient dans ce récit et qui est repensé lucidement par cette femme de mineur, c'est la contrainte de la tutelle de la Compagnie, la pression exercée en vue d'une soumission à une hiérarchie en faveur du rendement. On parle beaucoup de la passivité et de la résignation des comportements familiaux dans cette société. Des études ethnologiques sur le "pays minier" signalent une acceptation de la part du mineur de son rôle de pourvoyeur de la famille, qui la nourrit et fait grandir les enfants, et de la part de la femme de ses tâches féminines(402). Mais le contexte de la vie familiale au temps de la Compagnie est aussi l'histoire des familles qui refusent et luttent pour rompre avec cette chaîne tutélaire de la Compagnie. Au cours des dernières décennies du XIXe siècle, les grèves sont plus fréquentes et à chaque fois les familles vivent ces moments comme un déchirement, surtout celles o— le mari est politiquement engagé dans le syndicat. La conséquence la plus rude à surmonter en était le licenciement du chef de famille, ce qui signifiait aussi l'expulsion de la "maison" concédée et contrôlée par la Compagnie, et la privation des services de prévoyance et de sécurité. C'est alors l'infortune et l'affliction qui s'abattent sur les familles des mineurs congédiés. Fin juin 1897, 6OO de ces mineurs quittent la ville, provoquant un mouvement d'exode expressif et qui se répercute par la décroissance de la population. Ceux qui partent cherchent surtout à se réembaucher dans un autre bassin minier. Pour ceux qui ne peuvent pas partir, faute de moyens, c'est la pénurie. Les uns s'entassent dans la gare avec la famille et les meubles pendant plusieurs semaines en attendant que l'Etat accorde la gratuité des frais de transport, les autres essaient d'obtenir des ressources auprès des conseils municipaux ou du Conseil Général de la région en attendant des jours meilleurs. Il nous semble logique que le départ pour cause de licenciement, plus qu'un départ plus ou moins volontaire, soit tragique pour le travailleur qui se voit obligé d'emmener avec lui toute sa famille. Il est difficile de connaître les nouvelles destinations, les réussites ou les échecs. Paris, le bassin minier du nord de la France, l'étranger, les directions prises sont diverses, mais on part toujours à la recherche de travail. A titre d'exemple, voyons la trajectoire de la famille de ce petit-fils de mineur, M. Rabot, que nous avons interviewé. Il est originaire de La GrandCombe, son grand-père et son père ont été mineurs. Ayant participé à un mouvement de grève, ils sont licenciés: "(...) la lutte syndicale est dure à l'époque, ils étaient engagés dans le mouvement syndical. Bon, c'est le début du syndicalisme et je parle du syndicalisme rouge. En plus, ils étaient athées, enfin non catholiques, donc hors du système de l'entreprise (...)". (M. Rabot. Petit-Fils de mineur, instituteur). Inscrit sur la liste rouge, "ils ont pris leurs sacs et pris le bateau pour l'Amérique". Ils ont quitté la France pour les Etats-Unis. Le père de notre interlocuteur décide de retourner à Alès, où il se marie avec une fran‡aise. Selon son fils, qui est né à La Grand-Combe, ce retour est d– à des causes plus ou moins involontaires, mais auxquelles s'ajoute une bonne dose d'intentionnalité. Il analyse le retour de son père comme une trajectoire exceptionnelle, mais qui s'explique néanmoins par le fait que son père se sentait attaché au "pays minier", et que la complicité du groupe d'appartenance lui manquait. Retracer, donc, la vie du groupe minier au temps de la Compagnie, c'est parler, d'un côté, de l'habitude de la hiérarchie, de la résignation à une condition d'exploité, de l'intériorisation des rôles sexuels différenciés; de l'autre, des liens familiales, de parenté, du réseau de solidarité dans la communauté de travail, de la cohésion du groupe, de la "résistance". Tout ceci finit par révéler, dans une certaine mesure, un ré-investissement et/ou une ré-appropriation affective de "l'univers minier", autre facteur décisif d'enracinement(403). Dans le domaine de la formation scolaire des enfants, comme l'explique Zonabend: "De constantes relations se tissent entre le foyer et les autres espaces de socialisation - l'église, l'école, le village - et tous jouent comme autant de dispositifs de normalisation. Non seulement dans ce réseau de relations, l'enfant est comme pris au piège, mais en outre, la société locale impose son contrôle au processus d'éducation de ses membres".(404) Afin de comprendre le contexte social dans lequel l'éducation des enfants prend toute sa signification à La Grand-Combe il faut considérer également le rôle joué par la Compagnie dans ce domaine. "Ce type de société, c'est celui imposé par la Compagnie des Mines de La Grand-Combe et qui veut que les enfants des mineurs trouvent naturel et presque obligatoire pour eux de devenir mineurs à leur tour, des mineurs respectueux de l'ordre et de la discipline tels que l'entreprise les définit, des mineurs attachés à la religion (...) ".(405) La formation scolaire est l'épine dorsale de l'ensemble des institutions visant à orienter les enfants dans un programme d'attachement aux règles de la Compagnie et de fidélité à ses principes moraux ancrés dans le pouvoir hégémonique du travail. A La Grand-Combe, la Compagnie contrôlera activement les carrières de ses familles en garantissant un emploi pour l'enfant. "La grande majorité des fils et filles de mineurs qui, jusqu'en 1914 vont fréquenter à La Grand'Combe surtout les écoles religieuses, malgré la création d'un enseignement la‹que qui n'accueillera jamais qu'une très petite partie de la jeunesse scolarisée, seront fa‡onnés par un enseignement dont le but est de leur inculquer une adhésion sans faille à un type de société".(406) Vecteur de l'idéologie dominante, la Compagnie, à travers l'école, veut non seulement assurer l'enseignement, mais convaincre les enfants, futurs travailleurs de la Compagnie, de leur condition prolétarienne - dans ce domaine l'on retrouve la volonté d'enraciner et stabiliser la population, ou comme le signale Frey à propos du Creusot: "(...) Du coup, dans cette ville industrielle constamment transformée par les exigences de la production, les codes d'institutions partielles comme les écoles jouent le rôle de relais et d'introduction à l'ordre plus général de la cité, et contribuent à la définition de l'identité même des habitants".(407) Dans ce récit de vieux mineur, il apparaît clairement que l'objectif de l'école était de composer les nouveaux rangs de la population laborieuse: (M. Voldan): "Ici, tout le monde était embauché dans la mine. Parce que au temps de la Compagnie même, il y avait des Frères qui faisaient l'école, et ils disaient aux enfants: 'mais vous avez pas besoin de beaucoup d'intelligence, parce que vous allez faire comme vos parents, vous irez à la mine'. Vous voyez comment c'était la mentalité? C'est l'inverse d'aujourd'hui. Parce qu'ils nous envoyaient à l'école, ici même à Champclauson, mais ils ne poussaient pas pour continuer l'école, ils nous laissaient comme ‡a, et quand on arrivait à 13, 14 ans on allait à la mine. Moi, j'ai eu 14 ans en décembre 1928 et de suite j'ai été embauché". (Mme Voldan): "Et ils étaient contents, hein!" (M Voldan): "Voilà, ils étaient contents, les gens. On était content de quitter l'école pour aller travailler à la mine". (Mme Voldan): "Comme ‡a, hein, content de ne pas aller à l'école." (Chercheur): "Mais qui a pris la décision que vous alliez travailler à la mine?" (M. Voldan): "Mon père et ma mère. Ils disaient tout le temps: 'celui qui ne travaille pas à l'école, il part à la mine'!. C'était pour menacer, mais on ne voulait pas aller à l'école, on ne faisait rien à l'école, personne faisait rien. Nous, on voulait travailler". (M. et Mme Voldan. Mineur retraité et épouse). Certes, l'école contribue à former la main-d'oeuvre pour le travail à la mine, mais il va de soi qu'elle introduit surtout cette "vision de monde" à travers laquelle la carrière dans la Compagnie est l'unique horizon professionnel possible. Nombreux sont les enfants qui n'envisagent qu'un seul destin: prendre le même métier que le père. Pendant le temps de la Compagnie, la trajectoire sociale parcourue par un enfant, issue d'une famille de mineur, a été très généralement la même. Tout d'abord, les enfants sont immergés très tôt dans le tissu social de parenté et de voisinage. Après l'éducation familiale, c'est dans l'école que l'enfant sera socialisé. Théoriquement, tous les enfants, fils et filles du personnel de la Compagnie des Mines de La Grand-Combe, doivent suivre les cours gratuits dans les écoles construites par elle jusqu'à l'âge de 12 ou 13 ans. Une fois terminée cette période scolaire - et cela jusqu'à la période de la Première Guerre Mondiale - les gar‡ons pouvaient déjà travailler à la mine(408). Et ils y travailleront puisque les choix professionnels proposés dans ce monde minier se limitaient à cette réalité: "Oui, mon père était mineur, il a fait plus de 30 ans à la mine, mon grandpère aussi. De père en fils, ah oui! De mon grand-père à moi, de père en fils, tous ont travaillé à la mine". (M. Combet, Mineur retraité). "Quand j'ai commencé à la mine, j'avais 13 ans. Je travaillais à la 'place'. C'était comme ça. Les gens 'Mineurs', c'était ça la carrière. Le travail de mineur permettait de vivre, on vivait juste mais on soutenait la famille". (M. Perez. Mineur retraité). La carrière est, par conséquent, ouvrière. Quoiqu'il existe une certaine dose de "consentement au Destin", suivre la même trajectoire de père en fils est plutôt vu comme étant "le monde du possible". (Chercheur): "Pourquoi avez-vous choisi ce travail?" (M. Suriet): "C'est-à-dire qu'il n'y avait pas autre chose, on choisissait pas trop à cette époque là, hé! A 14 ans on commençait, et des fois on commen‡ait encore plus tôt". (M. Suriet. Mineur retraité). Parmi les jeunes garçons, quelques-uns connaissent déjà le monde du travail, parce que pendant les vacances scolaires et depuis l'âge de 10 ans, ils pouvaient travailler comme apprentis-mineurs ou au le triage du charbon. L'insertion dans l'espace de travail se faisait normalement sur le chantier du père mineur. Pour ceux qui ne débutaient pas encore dans le domaine minier, l'embauche temporaire chez un fermier, dans la montagne (pour les vendanges, etc.) était une autre activité usuelle pendant les vacances. L'école, pour sa part, joue le rôle important de former les générations suivantes à la prolétarisation. Ce qui était mené avec beaucoup de rigueur et de discipline par les enseignants qui devaient répondre aux exigences du patronat. En effet, pour la majorité des enfants, le monde de l'école était un monde d'obligations et de punitions. Aux difficultés familiales se sommaient celles d'une école rigide, o— les enfants se montraient rarement favorables à la poursuite des études. A ce propos, observons ce que nous raconte un mineur retraité: "A la maison, on était sept. On a été élevés comme de petites bêtes, vous savez, comme ça. Bon, le problème, c'était de mettre quelque chose dans les assiettes pour manger. On se levait de bonne heure, n'importe comment. Alors celui qui en voulait, il avait la chance d'apprendre, parce qu'il y avait des écoles. Moi, je me rappelle, je n'étais pas poussé, moi, pour aller à l'école. Je me cachais derrière la porte et puis c'est tout. Ma mère était une pauvre femme. Ma grande soeur aurait voulu, elle me prenait par la main et elle m'apprenait des choses, mais je ne voulais pas aller à l'école. C'était comme ça. Quand j'avais 10 ans, bon, il y avait cette pénurie de nourriture, toute cette maison qu'il fallait nourrir. Il y avait des problèmes incroyables pour élever une bouche dans la maison. Alors j'ai commencé à garder des vaches. Mon père m'a envoyé en Lozère. A 10 ans je suis parti. Et je me souviens, parce que je ne suis pas gras, hé! je me souviens quand j'étais gosse, j'étais mince comme un clou. Quand je me suis pointé devant ces bêtes énormes, j'avais une peur incroyable, j'en avais peur des vaches, mais je les ai gardées quand même pendant 4 ans de suite. Alors vous vous rendez compte! De 10 à 14 ans j'ai travaillé sans un crayon, sans livre, sans rien. J'ai rien appris de rien. Et il y avait beaucoup de jeunes comme moi. Par contre j'avais deux soeurs qui aimaient l'école, parce que ‡a leur plaisait. Automatiquement elles se levaient d'elles-mêmes et elles allaient à l'école. Il y avait la possibilité". (M. Rinald. Mineur retraité). (A l'âge de 14 ans, notre interlocuteur retourne à La Grand-Combe et débute dans la mine). Le couronnement des années d'apprentissage écolier était l'obtention d'un certificat d'études: le seuil d'un nouveau cycle de la vie - la phase adulte et le début de la trajectoire dans la vie laborieuse auprès de la Compagnie. Celle-ci commen‡ait donc normalement vers l'âge de 13, 14 ans. En effet, le certificat d'études primaires était la garantie de l'obtention d'un emploi. Celui-ci et l'accord médical étaient les exigences "officielles" pour l'embauche(409). Cependant, au XIXe siècle, le besoin en travailleurs supplémentaires étant énorme, ils débutaient avec ou sans le certificat: "L'avenir des enfants ne préoccupait pas particulièrement les parents. Le jour de leurs treize ans, le papa les accompagnait au bureau de l'ingénieur divisionnaire qui prenait également filles et gar‡ons, pour épierrer le charbon à la mine sur les toiles de transport des ateliers de criblage; et qui, à une époque relativement prospère, o— l'on se préoccupait moins des prix de revient qu'on ne le fit par la suite, ne refusait jamais personne".(410) Malgré leur jeune âge, garçons et filles sont insérés dans l'univers de travail. Ils débutaient comme apprentis dans les travaux dits "accessoires", en surface, en général dans le triage du charbon. Les garçons pouvaient envisager aussi de travailler comme apprentis au côté des mineurs plus expérimentés, par lesquels transitaient les savoir-faire(411). "Les enfants, les 'gamins' comme on les appelait ici, les frères des 'galibots' du Nord-Pas-de-Calais, étaient présentés par leur père à la fin de l'année scolaire ou dès qu'ils avaient atteint l'âge de treize ans. Il y avait toujours une place pour eux, soit au jour à l'atelier de triage, soit au fond, o— ils étaient d'abord commissionnaires, porteurs de lampes ou de cabas pour la maîtrise, ou assistants des maîtres-boiseurs que le règlement interdisait de laisser seuls dans des galeries isolées. Certains conduisaient les treuils des plans inclinés, mais c'était là un travail que l'on préférait réserver à des ouvriers handicapés par une blessure ou une maladie. De toute fa‡on, les agents de maîtrise, tout en s'attachant à leur éviter des accidents, ne se disputaient pas ces jeunes recrues, qui comptaient dans le calcul des rendements sur lesquels on les jugeait, alors qu'en fait ces enfants ne produisaient pratiquement rien".(412) Il n'existe pas à ce moment-là de véritable formation professionnelle. Les jeunes apprentis-mineurs acquéraient le savoir-faire transmis par les mineurs plus âgés (c'est parfois leur père)(413). A partir 12 à 16 ans ils font les travaux accessoires à la surface et/ou au fond, et cela jusqu'à 18 ans(414), quand ils pouvaient travailler dans l'abattage du charbon en devenant "mineur de fond". Après l'âge de 12, 13 ans, "la plupart des gar‡ons descendaient au fond. Quelques-uns, et principalement dans les familles qui avaient été éprouvées par un accident grave ou la mort au travail d'un père ou d'un grand-père, demeuraient au jour".(415) Il est compréhensible que les gar‡ons en général souhaitent quitter l'école le plus tôt possible. La possibilité de pouvoir travailler comme leur père signifiait partager avec lui un statut adulte et l'accès une condition salariale. "(...) moi, l'école ne m'intéressait pas, alors j'ai voulu aller à la mine comme mon père".(M. Volda. Mineur retraité). Les jeunes filles aussi étaient embauchées très tôt comme placières dans le triage du charbon. Sinon, c'étaient les responsabilités domestiques à côté de la mère jusqu'à leur mariage. Pour ceux qui ne voulaient pas finir les études primaires ou bien qui refusaient d'aller à l'école, la vie active débutait précocement, tantôt dans les fermes (Lozère, Ardèche, etc.), tantôt dans la mine: "J'ai commencé à travailler, moi, quand j'avais 12 ans et demi parce que je ne voulais pas aller à l'école. Tout le monde, si on avait son certificat d'études, on était embauché de suite. Mais quand on ratait, on était embauché bien avant. C'est tôt, n'est-ce pas?". (M. Cibuet, mineur retraité). Ainsi, si l'itinéraire "officiel" était de commencer à 13 ans, la norme n'a pas toujours été la règle et le travail prématuré des enfants dans les Mines de La Grand-Combe a été signalé à maintes reprises. Malgré la loi qui interdisait aux chefs d'atelier d'employer les enfants, quel que soit leur âge, qui ne sauraient ni lire, ni écrire (loi Villermé, 22 mars 1841), la Compagnie des Mines de La Grand-Combe emploie en 1867 dans ses mines 9 enfants de 8 à 12 ans faisant 10 heures de travail effectif, "soit 2 heures et demie en sus du maximum légal", dénonce le sous-préfet du Gard dans son rapport de la même année. Il continue: "cette infraction a toujours été signalée dans mes rapports annuels. La Compagnie des Mines mise en demeure de se conformer à la loi a présenté des observations auxquelles il n'a pas encore été répondu"(416). A cette époque, le nombre des enfants de 12 à 16 ans était de 354. Les difficultés de la vie obligeaient à cela: "A La Grand'Combe, un père qui n'a que le produit de sa journée pour nourrir sa famille, ne pouvant y suffire, envoie dès l'âge de huit ans ses enfants à l'atelier et leur salaire, quoique bien faible, allège toujours un peu les lourdes charges du ménage".(417) Les difficultés à nourrir une famille nombreuse avec un budget familial insuffisant, la possibilité d'amenuiser ces difficultés par le travail des enfants et, de plus, le rejet du travail scolaire sont quelques aspects qui poussent les parents à envoyer leurs enfants au travail dès l'âge de 8 ans. Au fil des années, l'évolution de la législation tient compte d'un réglementation sur le travail des enfants et devient plus sévère, conjurant l'âge minimum, la durée du travail, le repos du dimanche et les jours de fêtes, le travail de nuit et l'instruction primaire.(418) La descendance familiale correspond aussi à une descendance professionnelle et on travaillera à la mine de père en fils dans la mesure o— l'univers des possibilités était restreint à cette réalité. "Voyez, les parents de mon père étaient mineurs, et puis lui, il n'avait pas d'instruction, alors, qu'est-ce que vous voulez? A cette époque, on risquait pas d'aller ailleurs. Il savait lire et écrire mais il n'avait pas de niveau d'instruction, rien du tout. Alors il était bien obligé de travailler à la mine. Et puis, à ce moment-là c'était tout naturel, on était là, dans le pays, il y avait la mine, on commen‡ait jeune et ... voilà! C'était naturel, tout ça". (Mme Michel, fille de mineur, épouse de mineur, ex-placière). Au "temps de la Compagnie" la majorité de la population, donc, travaillera pour elle. Etre mineur "de père en fils" était l'itinéraire possible devant l'impossibilité pour les enfants d'ouvriers de dépasser dans le système scolaire le niveau du certificat d'études. "On choisit pas": c'est là une condition qui traduit un ordre social à partir duquel les projets familiaux étaient construits. "C'est en ce sens qu'on peut parler d'un certain ascétisme, expression d'un destin accepté pendant des générations comme le seul possible"(419). Sans doute, l'hérédité du métier ne signifie-t-elle pas forcément vocation et affinité avec le métier, ou encore perpétuité d'une tradition de ce que Noiriel appelle de "mythe du mineur fils de mineur"(420), puisque le mépris, le refus et la désertion du travail à la mine ont été relevés par quelques écrivains prolétaires (auto-biographies notamment)(421) et par maints historiens. Toutefois, il est certain que le travail à la mine devient le centre de gravité des projets familiaux. "Ah! fils de mineur, c'était tout le monde ici. C'était rare, quelqu'un qui partait pour faire autre chose." (Mme Régis. Veuve de mineur). Les possibilités pour un gar‡on de connaître une ascension professionnelle restaient minimes, corollaire d'une hiérarchie professionnelle où le haut et le bas de l'échelle étaient très lointains. Dans ce sens, le capital scolaire acquis ne correspondait pas à un capital culturel et social privilégié, puisque, par rapport à leur totalité, rares sont les élèves grimperont les échelons professionnels. Gaillard a attiré l'attention sur la faible marge d'ascension sociale: "Ainsi, dans la 'ville-usine', le prolétaire reste prolétaire, et c'est la même chose que dire: le mineur reste mineur; et cela peut être considéré comme une véritable loi sociale, tant les exceptions sont peu nombreuses".(422) La possibilité de promotion à l'intérieur de la mine impliquait un ensemble si large d'exigences que pour la grande majorité les limites étaient infranchissables. Les historiens locaux l'observent: "Jusqu'après la Grande Guerre, comme il n'y avait pas dans le canton de Cours complémentaire ou de Collège, passés douze ans la plupart des gar‡ons allaient travailler à la Compagnie, au jour ou au fond. Les plus doués - surtout parmi ceux dont les parents de confession catholique 'pensaient bien' pouvaient devenir des 'géomètres', des employés - qu'on appelait des 'cols blancs ' ou des 'bureaucrates' - ou des agents de maîtrise. Les autres suivaient les traces de leurs aînés, descendaient 'au fond' ou travaillaient 'à la surface' dans les divers ateliers de triage ou de conditionnement. Certaines jeunes filles de familles nombreuses et des veuves, les 'placières', triaient aussi le charbon".(423) La moindre possibilité de mobilité professionnelle était fondée sur un système très rigide d'accès "méritocratique". Celui qui souhaitait pour son fils une possibilité d'ascension professionnelle devait être bon ouvrier, bon père, apolitique, et de préférence catholique, pour ne citer que quelques critères. L'enfant, pour sa part, devrait être un bon élève et soumis à cette formation rigoureuse que dictait la Compagnie.(424) Pour la majorité des enfants, la seule chance de promotion professionnelle - c'est-à-dire d'arriver à effectuer un travail qualifié - vue comme signe d'ascension sociale est restreinte à l'intérieur de la Compagnie. Ils appartiennent à la localité et à la "grande famille"(425). "Les serviteurs fidèles de la Compagnie, les agents de maîtrise et employés divers, bénéficiaient d'une certaine priorité dans l'accès de leurs enfants à un poste de géomètre, dessinateur, ouvrier d'entretien mécanique et électrique. C'était là pour la direction une fa‡on de récompenser les longs services et le dévouement des pères 'qui avaient fait', comme ils disaient, la Compagnie".(426) L'enfant, pour sa part, devait réussir sa formation scolaire. Le clergé ou les instituteurs intervenaient alors en donnant des conseils sur le chemin à suivre par l'élève, sur son avenir professionnel: la mine ou les bureaux. Ils étaient les agents de médiation dans la concrétisation des projets familiaux. D'ailleurs, nous l'avons déjà signalé, c'est très souvent à travers le clergé (ou à travers l'avis de l'instituteur) que l'enfant aura sa place dans la mine(427). Ainsi, les enfants qui peuvent monter l'échelle sociale sont ceux qui ont réussi leurs études et qui ont été recommandés par le clergé pour un travail plus qualifié. "Ainsi, l'école religieuse remplit parfaitement le rôle qui lui est assigné dans le vaste système de reproduction des rapports de production".(428) D'ailleurs, pour souhaiter une mobilité professionnelle, il fallait vraiment être issu d'une école d'enseignement catholique: "Il n'en était fait mention nulle part et cela n'était en aucune fa‡on une règle mais pour obtenir par exemple un emploi dans un service administratif des houillères il fallait passer une épreuve de calligraphie que seules les écoles privées enseignaient".(429) C'est seulement en de rares occasions et à long terme que les familles de mineurs peuvent penser à une stratégie promotionnelle à travers leurs descendants, et ici le paradoxe demeure: c'est l'école qui fonctionne comme médiation indispensable d'un processus ascensionnel et d'acquisition de capital culturel. "Les plus évolués des jeunes, qui avaient pu passer leur Brevet Elémentaire, présentaient des concours de recrutement dans la fonction publique; certains arrivaient à se faire admettre sur place dans des emplois de techniciens ou d'employés de bureau".(430) Ainsi, l'école apparaît bien comme un paradoxe. D'un côté, elle permet de convaincre les enfants de leur condition prolétarienne, et de l'autre, pour le "bon" élève (fils de "bon" mineur), c'est le "moyen privilégié des stratégies de fuite de la condition ouvrière"(431). Cela n'empêche pas que ces familles continuent à espérer pour leurs enfants, grâce à une formation scolaire réussie, la possibilité de promotion à l'intérieur de la mine. Mais c'est très rarement que les parents peuvent épargner suffisamment pour investir dans des études plus poussées qui permettraient à l'enfant d'échapper au système de formation dominé par la Compagnie. En général les rares chances de "faire carrière" sont liées à la Compagnie ou alors stimulées et subventionnées par elle. Dans ce dernier cas, elle pouvait faire profiter un "bon élève" du système de bourse en l'envoyant aux Ecoles Techniques d'Alès(432) ou d'ailleurs. Une autre possibilité de rompre avec la trajectoire imposée par la Compagnie était d'aller chercher du travail ailleurs qu'à la mine, avec la perspective d'un meilleur salaire (et d'ascension sociale), ou alors d'aller étudier ailleurs(_). Mais cela, comme nous l'expliquent les personnes interrogées, a été très rare, et "il est difficile de citer un exemple": "Il y en avait quelques-un qui s'en allaient pour travailler ailleurs, mais c'était rare... ou sinon il fallait être mieux placé, mais enfin c'était rare. Il fallait vraiment avoir des occasions pour être mieux placé, mais pardi! c'était rare!". (Mme Michel, fille de mineur, épouse de mineur, ex-placière). Enfin, si la famille est l'institution par excellence de la socialisation des enfants (centre de toute sociabilité et d'éducation), les établissements scolaires jouent à ce sujet un rôle aussi important et complémentaire: à une politique encourageant la vie en famille s'ajoute celle de la formation scolaire des enfants les poussant à l'hérédité professionnelle. CHAPITRE 4 ANNEES DE STABILITE ET LA MISE EN CAUSE DU STATU QUO A) "SIGNES DE PROFIT", "SIGNES D'ANTAGONISME". L'encadrement paternaliste développé par la Compagnie, la mainmise du pouvoir municipal et l'influence morale du catholicisme ont réussi, à cette époque, à garantir le pouvoir de la Compagnie sur l'ensemble des domaines de la vie grand-combienne, plus encore ont réussi à susciter un large "consensus", celui de la notion de "continuité", de "durée" totalisée par ce "temps de la Compagnie". Elle non seulement contrôle la vie industrielle, mais elle a également contrôle du développement urbain et de la vie sociale en ville. Cela a permis à la Compagnie de désamorcer les conflits, de détourner les protestations, et de développer des stratégies de conciliation. Son personnel a même la réputation d'être docile et résigné. La mobilité du personnel se stabilise et le recrutement se ralentit. Le problème de bras ne se pose plus, grâce à la reproduction de la main-d'oeuvre locale. En effet, les petits signes de résistance existants ne suffisent pas à remettre en cause le pouvoir de la Compagnie "bienveillante" sur l'ensemble de la vie de son personnel. A plusieurs reprises, les conflits sociaux régionaux, comme en 1890 dans le Gard, ne déteignent pas sur les mineurs grand-combiens. Les remerciements qui apparaissent dans les discours que la Compagnie adresse à ses ouvriers chaque fois que cette fidélité est confirmée et reconduite sont une preuve manifeste de ce compromis. Cependant, la résignation des travailleurs grand-combiens n'a pas été totale. Parlons brièvement de quelques petites coupures dans ce "temps de la Compagnie" qui, en quelque sorte, ne laissent pas d'engendrer d'autres ruptures et la superposition d'autres temps. L'on a pu voir des réticences et prises de positions se heurtant et s'opposant à l'emprise paternaliste: résistance à la toute-puissante Compagnie, "instants" d'un mouvement de contrehégémonie (pour parler à la Gramsci), mais insuffisantes pour "rompre" avec la "continuité" du "temps de la Compagnie". Les grèves sont les meilleurs points de repère de l'expression d'un contre-pouvoir contre "le bastion du cléricalisme et du conservatisme". Développons donc quelques aspects qui permettront d'éclairer ce préambule. Lors des événements de 1848, déjà, les ouvriers grand-combiens se joignent aux ouvriers français dans la grève d'Avril, quand les revendications s'inscrivent essentiellement dans un refus de la prolétarisation: "(...) refus de l'autorité patronale, du contrôle strict des méthodes d'extraction, des règles imposées, des plans de production définis par les ingénieurs, de la surveillance, etc... ".(434) D'autre part, l'explosion de ce mouvement politique correspond à un fort comportement xénophobe de la part des ouvriers fran‡ais qui, dans de violentes confrontations, ont expulsé les belges et italiens travaillant à La Grand-Combe. Ce sentiment d'hostilité ne se limite pas à cette réaction chauvine, le conflit passe aussi par l'image que les mineurs fran‡ais ont de ces ouvriers étrangers: celle d'être les responsables d'inculquer une discipline. En effet, les belges et italiens étaient des mineurs expérimentés "à qui fut dévolue une tâche pédagogique: enseigner aux paysans cévenols l'art et la manière d'extraire correctement le charbon"(435). Or, l'action des ouvriers français contestait justement le processus de prolétarisation. "En effet, en ce printemps 1848, le maire de la Grand-Combe est un ingénieur de la Compagnie, Thibaudet, et son premier adjoint est comptable de l'entreprise (...) cette revendication met en cause ce qui sera l'un des fondements de la ville-usine, à savoir la symbiose entre le patronat local et les autorités municipales, symbiose dont la Compagnie tirera de multiples avantages. Dans le contexte de l'agitation de 1848, les ouvriers obtiennent rapidement satisfaction puisque le sous-commissaire du gouvernement à Alès obtient leur démission. Ils sont remplacés par deux citoyens parmi les plus populaires et influents de la commune, André Gilly propriétaire; et Aimé Larguier".(436) La position de refus s'élevait surtout contre ceux qui dressaient le processus de prolétarisation, c'est-à-dire contre la maîtrise des mines, les ingénieurs, sous-ingénieurs et entourage, "les responsables directs de la prolétarisation".(437) L'année 1848 a eu d'importantes et graves conséquences. Tout ceci compliqué par l'arrêt de toute opération bancaire, de mauvaises récoltes, des événements d'Italie et d'une épidémie en 1849(438). Situation conflictuelle qui se résoudra par l'appel de la part de la Compagnie et surtout de l'ingénieur Jules Callon, aux forces de l'ordre qui réprimeront avec violence la révolte ouvrière. En juillet de cette année, Talabot retrouve toute son influence, invoque l'ordre et la discipline, et l'ingénieur-chef est remplacé par M. François Beau(439). Après ces années de troubles sociaux(440), l'équilibre s'installe pendant une longue période. C'est une période d'expansion pour l'entreprise qui lui permet d'atteindre des objectifs plus audacieux: l'augmentation de la production et la hausse des profits. Plusieurs puits sont forés et la production devient de plus en plus appréciable. Effectivement, elle grimpe rapidement pour arriver à son moment de plus grande prospérité. "L'Age d'Or" correspond à la période entre 1872 et 1891. Pendant cette conjoncture favorable, le patronat à La Grand-Combe est dirigé par le parisien Fran‡ois Beau et ce jusqu'à sa mort le 13 septembre 1879. Il est alors remplacé par un autre parisien d'origine, M. Graffin, ingénieur principal et directeur de l'exploitation qui devient directeur général de la Compagnie. C'est sous l'autorité de ces directeurs que la Compagnie connaît son apogée avec une hausse de production et des profits locaux et un élargissement du marché.(441) En effet, le succès commercial de la Compagnie est mesurable par la conquête d'un important marché, par l'extension de la superficie d'exploitation et par la modernisation du processus de travail. Cependant, cette performance ne se limite pas au domaine immédiat de la production mais aussi à l'ensemble du système "d'usine et ville ouvrière". La meilleure preuve en est quand la Compagnie re‡oit en 1867 la médaille d'Or à l'Exposition Universelle. Elle est distinguée par le jury spécial sur les établissements industriels et, a fin de récompenser sa politique en faveur de la communauté de travail, le Directeur de la Compagnie est, à cette occasion, décoré.(442) La production n'arrête pas de grimper. En 1891, c'est le record de production (960.000 tonnes de charbon)(443), les effectifs ne cessent de grossir, la population de la ville s'élève à 13.141 habitants, "La Grand-Combe devient après Nîmes et Alès la 3ème ville du département"(444). Par contre, le revers de la médaille est tout autre. Cette satisfaction de la Compagnie (signes de profit) n'est pas atteinte sans conséquences dramatiques sur la population confrontée à des conditions de travail et de vie désastreuses. On peut en donner un exemple probant à travers les problèmes d'hygiène: l'entassement de la population laborieuse dans des casernes mal éclairées, humides et malsaines, facilite la propagation de maladies infectieuses et d'épidémies. De plus, les mineurs travaillent dans des conditions très insalubres et putrides à l'intérieur des puits, ce qui augmente encore les risques d'infection. Les bains-douches n'existent pas encore et les ouvriers ne peuvent ni se nettoyer ni se désinfecter avant de rentrer à la maison.(445) De plus en plus, des voix, parmi le prolétariat, s'élèvent pour réagir à ces conditions (signes d'antagonisme). Bien s–r, revendications et résistances ont toujours existé, mais ce n'étaient encore que des "voix" et des "gestes" isolés. Le rayonnement de l'idéal républicain, dans un premier temps, "superposé" par celui du temps de l'idéal socialiste, est réel, mais les difficultés pour organiser la classe travailleuse sont multiples. Pour que le travail pédagogique socialiste produise ses premiers fruits, il a fallu attendre 1881, année des élections législatives. Malgré l'échec du candidat socialiste (le parisien Brissac), l'organisation politique des mineurs de la Grand-Combe atteint alors une phase de plus grande maturité. Finalement, en confrontant les différentes formes de pression qui empêchent leur mouvement, un groupe crée le "cercle des travailleurs" à La Grand-Combe (déjà très actifs dans la ville voisine métallurgique de Bessège)(446). L'action politique des ouvriers trouve une coordination. Certes, on n'est pas encore nombreux, mais dans ce cercle, on discute les conditions de vie et de travail, la liberté et les droits sociaux, on apprend et on s'organise. Une résistance organisée, contre la classe dominante réactionnaire, se forme. Cet organisme est à l'origine de diverses confrontations avec la Compagnie, comme par exemple la grève de décembre 1881. Ce mouvement éclate pour demander de meilleurs salaires et protester contre le monopole sur les magasins-aux-vivres par la Compagnie. Mouvement qui pendant une semaine s'est beaucoup battu, même si Champclauson ne s'y est pas rallié. Les forces de l'ordre combattent le mouvement et 180 ouvriers "dangereux" sont licenciés. La répression mise en oeuvre et les licenciements ont été la formule utilisée par la Compagnie pour punir les agitateurs et décourager toute velléité d'engagement au cercle et la formation d'une chambre syndicale, bref, briser un mouvement idéologique qui commence à prendre de l'ampleur(447). On demande aussi "le renvoi de quelques maîtres-mineurs, mettant une nouvelle fois en cause la tutelle d'encadrement"(448). La toute puissance de la Compagnie dans les années qui suivent est efficace puisque les grand-combiens ne se sont pas ralliés aux gardois dans les grèves de 1882, 1887, 1888 et 1890. Situation hégémonique assurée par la garantie du pouvoir dans les élections législatives de 1885, 1889 et 1893, occasions au cours desquelles les candidats du parti conservateur et royaliste qui incarnent l'idéologie de la Compagnie remportent la majorité des votes à La Grand-Combe, assurant la défaite des candidats socialistes.(449) Situation qui a subsisté plus au moins jusqu'aux années 1890, quand le mouvement ouvrier fran‡ais est déjà largement organisé (création de la C.G.T.Confédération générale du travail, en 1895). A ce moment-là, plus précisément en 1896, les mineurs grand-combiens voient apparaître le premier syndicat ouvrier dans la ville, encore indépendant cependant de la centrale nationale(450). Mais la détermination des ouvriers prend de l'ampleur et la consolidation d'un "véritable prolétariat industriel" à La Grand-Combe fait son chemin: le refus de la tutelle patronale semble irréversible. Cela signifie que les ouvriers grand-combiens expérimentaient leur entrée définitive dans le "monde ouvrier organisé", ce qui va déboucher sur des conflits politiques plus ouverts. En 1896, un mouvement de grève éclate à La Grand-Combe contre les baisses successives de salaire et, par là, contre la dégradation économique, sociale et morale imposées par les patrons aux travailleurs(451). Cette grève prend un fort caractère politique suscité par les cercles et les députés socialistes. Un ancien document anonyme la considère comme "la première grève des mineurs de La Grand'Combe" et qui a compté avec la solidarité de toute la communauté minière, les piquets de grève, la "soupe populaire" organisée par les "familles grévistes" (les commerçants de la ville participent à leur financement) et qui assurait des milliers de repas par jour, n'étaient que des petits exemples de leur volonté de victoire. Des mouvements avaient déjà eu lieu, mais celui-ci était le premier organisé dans l'esprit d'un mouvement syndical. "(...) le 9 octobre 1896 est une des grandes dates de l'histoire sociale de la 'ville-usine', elle marque une rupture, elle ouvre une brèche, elle pose un jalon dans le long processus qui fera du personnel de la 'Compagnie des Mines de La Grand-Combe' des hommes à part entière et non plus des êtres mineurs, des assistés, de véritables esclaves".(452) La grève est réussie. Le 16 octobre, la fin de la grève est annoncée sur la place de La Grand-Combe par le mineur Rouquette, tête du mouvement, qui lit le procès-verbal de la déclaration du Conseil d'Administration devant les ouvriers en liesse. De plus, un mouvement social est mené par le syndicat en 1896 contre le monopole des magasins par la Compagnie, auquel adhèrent les commer‡ants de la ville(453). En 1897, les élections de délégués à la sécurité des mineurs accordent un mandat, pour la première fois, aux candidats du syndicat des mineurs.(454) En effet, à partir de cette expérience de mouvement social, la lutte ouvrière s'imposait avec plus de vitalité à l'encontre de l'encadrement paternaliste. Epoque marquée par des signes d'indignation: placards contre les patrons, pétitions, petites détériorations. Et par des signes plus fermes: la consolidation du syndicat - désormais un syndicalisme de masse et réformiste les grèves et aussi des manifestations violentes: dynamite, pierres, incendies(455). On peut dire que cela marqua un tournant dans l'histoire de ce groupe(456). Les revendications sont vastes et portent non seulement sur une amélioration des conditions de travail et de salaire, mais aussi sur de meilleures conditions d'existence dans différents domaines de la vie quotidienne. L'organisation syndicale des mineurs grand-combiens et l'opposition ouverte à la structure dominante devient alors une réalité dans la vie des familles ouvrières grand-combiennes. Les formes de lutte, plus organisées, reflètent les changements survenus dans la vie de ces gens. On assiste maintenant à des manifestations dans les rues, à des cortèges o— les mineurs chantent(457) et crient des mots d'ordre, et des réunions publiques, des assemblées générales avec 1000 à 2000 participants, o— viennent souvent les femmes de mineurs et o— participent des militants socialistes venus d'ailleurs. L'émancipation politique de ce groupe fait tomber le masque du paternalisme. Une corporation minière articulée fournit de nouvelles références pour la construction d'une identité collective basée désormais autour des luttes et des résistances ouvrières.(458) Au niveau économique, les années d'apogée concernant la vente du charbon sont déjà loin derrière. Depuis cinq ans, la Compagnie lutte contre les difficultés commerciales qui deviennent chaque année de plus en plus inquiétantes.(459). La concurrence, par contre, ne cesse d'augmenter: "en 1900, on trouve sur le littoral, non seulement des combustibles anglais, mais encore des belges, des allemands, des américains et des français du Nord et Pas-de-Calais"(460). En effet, devant la stagnation des affaires et pour répondre à une diminution vertigineuse de la production du charbon auquel s'ajoute le déficit de la Caisse de Retraites, le patronat communique son objectif de réduire le personnel effectif au 25 mars 1897 (800 sur 5.200 ouvriers): "il vaut mieux savoir se priver d'un membre que d'y laisser tout le corps. Et nous devons agir énergiquement pour éviter un désastre (...)", déclare le Directeur Graffin(461). La Compagnie commence par licencier les ouvriers qui avaient été à la tête du mouvement d'octobre 1896 et des mineurs syndiqués. Les mineurs résistent en déclarant une grève le 12 Avril 1897 et la menant pendant plus de deux mois(462). Les délégués de la chambre syndicale essaient des tractations auprès du Directeur Graffin, puisque ce sont les mineurs qui avaient participé à la grève de 96 qui ont été mis à la porte. Aucune négociation entre syndicat, patronat et Etat ne parvient à aboutir. Les résultats sont désastreux pour les mineurs: 578 mineurs ont été renvoyés et elle considère comme démissionnaires 668 mineurs qui avaient participé à la grève de 1896(463). En outre, la Compagnie supprime aussi le poste de nuit devenu plus rentable(464). Voilà donc les représailles de la Compagnie de la défaite de 1896. Comme l'observe Turpin: "(...) la Compagnie des Mines de La Grand'Combe conduisait son activité d'une main ferme. Elle exigeait de son personnel une disponibilité de tous les instants, des cadres et de la maîtrise en particulier. Elle récompensait ceux qui la servaient, mais elle broyait ceux qui s'opposaient à elle".(465) Le renvoi des ouvriers grand-combiens fut vécu comme une grande tragédie par la population. Les conséquences ont été très difficiles pour les familles licenciées et on ne constatera plus aucune grève jusqu'en 1914. Mais l'harmonie qui allait se suivre n'était qu'apparente, quelque chose était déjà brisé dans cette "continuité" du "temps de la Compagnie". "La paix sociale qui a suivi la grève de 1897 n'est qu'une fa‡ade imposée par la crainte de la répression et le souvenir des drames de 1897. En effet, derrière elle se cache une évolution, lente, difficile mais réelle des esprits vers la la‹cité et le socialisme: le paternalisme théocratique a perdu beaucoup de son impact et, après 1897, rien ne sera plus jamais comme avant à La GrandCombe".(466) La population locale qui est de 13.141, en 1891 (et de 13.358 en 1896) chute à 11.484 en 1901(467). Selon Lamorisse: "La production de charbon stagne ou s'affaiblit de 1891 à 1893; (...) A La Grand-Combe la semaine de travail est ramenée à quatre jours en avril 1896; en dépit du vieil atavisme de résignation, des mouvements de grève éclatent (...). Le bassin industriel perd donc des habitants pendant toute une génération humaine: de 1881 à 1911, le passif migratoire représente le tiers de la population recensée en 1881. Leurs départs ont été en fait beaucoup plus nombreux que ne le suggère ce bilan, mais ils ont été compensés par une immigration (...)".(468) Pour certains historiens locaux, cette répression, qui licencie 1.500 ouvriers choisis parmi les contestataires, "contenait en germe la condamnation du paternalisme grand-combien"(469). Certes, le mouvement ouvrier s'amplifiera désormais vers l'émancipation de la main-d'oeuvre. Mais, quoique de plus en plus contestés, les dirigeants de la Compagnie se serviront encore un demi siècle du système paternaliste. Les difficultés de ces années-là ne se réduisent pas à ces seuls événements. Un cataclysme naturel qui a eu lieu les 13 et 14 février 1896 bouleverse la vie dans la ville déjà agitée. Un glissement de terrain, entre La Grand-Combe et Trescol coupe l'accès par la route et la voie ferré qui fait la liaison avec Clermont-Ferrand. Accident rappelé par le "glissement du Gouffre", puisqu'il concerne la montagne du Gouffre qui descend sur le Gardon(470). Les préjudices économiques seront énormes et cet environnement ne sera plus exploité ou habité. B) LES AVATARS DU DEBUT DU SIECLE - LE DECLIN DE LA COMPAGNIE. Avec l'arrivée du XXe siècle, les conditions de travail, d'hygiène et de vie s'améliorent peu à peu. A titre d'exemple, citons la réglementation limitant à 8 heures la journée de travail(471), le repos hebdomadaire (loi de 1906), la prise de position en faveur de la sécurité et de l'hygiène, comme l'installation des bains-douches pour le personnel (loi de 1911), les diverses lois en faveur de la retraite, etc. La montée du socialisme et de la la‹cité chez les ouvriers grandcombiens est encore freinée par la Compagnie, mais ils s'organisent de plus en plus. En 1914, le congrès départemental des mineurs du Gard, qui siège à La Grand-Combe, consolide l'affiliation des mineurs grand-combiens à la C.G.T. et au mouvement ouvrier au niveau national. Les résultats des élections législatives dans la période de 1897 à 1914 confirment le succès des candidats socialistes(472). Certes, le mouvement ouvrier ne cessera de croître et le règne du paternalisme va être discrédité. Cependant, l'avènement de la Première Guerre va retarder le processus d'écroulement du système paternaliste. Grâce à cette conjoncture exceptionnelle, l'extraction du charbon retrouve une bonne productivité. "La production annuelle (...) fut anormalement dépassée en 1917 et 1918 avec plus de 1.200.000 tonnes. Ces années furent une période d'exceptionnel effort pour répondre aux besoins de la Défense Nationale".(473) La Compagnie redresse alors la situation et rétablit ses bénéfices surtout grâce au maintien des salaires à un niveau très bas au préjudice des ouvriers(474). Un nombre important de mineurs sont mobilisés durant la guerre (1.476 mineurs sur les 5.205 des effectifs). Les difficultés de travail et de vie pendant la guerre se multiplient: "Les conditions difficiles de travail et de vie, l'allongement des journées de travail, le doublement des heures du samedi, le travail lors des jours de fêtes, les difficultés d'approvisionnement, le manque de pain et de viande, la fatigue et les contraintes vont permettre la renaissance du mouvement syndical dans les années 1914-1918. Mais les délégués syndicaux restent très prudents; en effet la menace d'être renvoyé au front pour les mobilisables n'est pas symbolique".(475) Poussée par la guerre, incitée par une période de besoins productifs(476), la production devra redoubler et à cause de cela, la question itérative du recrutement de la main-d'oeuvre est reposé. Pour suppléer au manque, le recrutement va compter sur les prisonniers de guerre. Ceux-ci arrivent autour de 1916. A la fin de la guerre, ils seront environ 1.200(477) en comptant les travailleurs réfugiés venus du Nord, de Belgique, de Pologne, de Serbie, d'Espagne (parmi eux, certains régulariseront leur situation au fur et à mesure de leur embauche(478)). Or, cette situation n'est pas stable. En outre, la fin de la guerre laisse apparaître de lourdes pertes: 349 individus ne reviendront pas(479) et les prisonniers allemands sont rapatriés. En 1918, une épidémie (grippe espagnole) fait de nombreuses victimes et l'immigration spontanée, arrivant au compte-goutte, ne suffit plus. En outre, la fin de la Première Guerre exige de l'industrie extractive une récupération dans le plus court délai afin de répondre aux besoins de reconstruction du pays. A La Grand-Combe, "tout le monde concourt à la production; même des jours fériés comme Pâques et Noël sont ouvrés"(480). La revitalisation rapide de l'exploitation productive pousse à l'admission d'un nombre important de travailleurs. Néanmoins, c'est toute la France qui est affectée par le manque d'effectifs(481). Une telle situation entraîne l'embauche d'une nouvelle vague d'immigrants. La Compagnie refait appel à un nouveau flux de main-d'oeuvre étrangère(482). "Aux besoins nécessaires au redémarrage des activités s'ajoute la défection du bassin du Nord-Pas-de-Calais en partie détruite qui permet à la Compagnie d'accroître la production. Or, dans ce domaine minier, les améliorations techniques, si elles sont notables, ne suffisent pas le plus souvent à compenser un déficit de main-d'oeuvre. La mine est une industrie très consommatrice de personnel, ce qui favorise le peuplement des régions qu'elle affecte. La Grand'Combe n'échappe pas à la règle et devant le déficit de la main d'oeuvre nationale, elle va se tourner vers la main-d'oeuvre immigrée".(483) Cette période se caractérise donc par un afflux de nouvelles familles ouvrières étrangères. Il est vrai que la migration venant d'un choix délibéré a toujours été une réalité, mais cette nouvelle vague massive d'immigrants bouleverse plus fortement la communauté villageoise et la vie locale. Signes de temps nouveaux qui se superposent au temps majeur rythmé par "la Compagnie". Bien sûr, l'on compte toujours sur les paysans originaires de la région environnante, lesquels se heurtent, de leur côté, à l'aggravation des difficultés au sein de l'économie agricole(484): "Mon père était paysan dans la montagne, dans l'Ardèche. Après la guerre de 14, il est venu pour travailler dans la mine. Il a vendu sa propriété et il est venu. Il était un 'gavot' comme on dit par ici. Voilà! La propriété n'était pas rentable". (M. Enjolras. Mineur retraité). ou, "Des 'gavots'(paysans), des ouvriers étrangers et des ouvriers algériens, étaient immédiatement productifs, comme manoeuvres d'abords, comme mineurs d'abattage ou de creusement des galeries, quelques mois plus tard".(485) Mais l'effondrement démographique est général. La France rurale avait elle aussi été touchée par la guerre et, comme l'observe une personne interviewée, "à ce moment-là, dans certains villages, il y avait plus de noms sur le monument aux morts que d'habitants en âge de travail" (M. Wiénin). La France rurale seule ne suffit pas à fournir des bras à la France industrielle: elle aussi est touchée par la baisse de la natalité(486). En outre, les paysans du Massif Central sont de plus en plus attirés par le travail moins pénible du secteur tertiaire dans les villes comme celle d'Alès ou celle de Saint-Jean-duGard(487). Tout cela amène la Compagnie à se tourner vers l'immigration massive. Dès lors, la majorité des immigrants caractérisant ce nouveau peuplement proviendra de l'étranger. Pour cela, la Compagnie cible d'une part des pays ayant souffert énormément les effets des conflits qui ont secoué l'Europe, et d'autre part les pays sous-industrialisés et surpeuplés. A cela s'ajoute la volonté de la Compagnie de reprendre en main le contrôle de la situation, car son personnel se montre de plus en plus politisé. "(...) en accueillant des travailleurs étrangers, d'abord à petite dose pour les tester, puis en masse à partir de 1924, la Compagnie cherche à retrouver sa main-d'oeuvre d'antan, docile et disciplinée, pour faire contrepoids à ce prolétariat fran‡ais qui, lui, s'est éveillé à la conscience et à la lutte des classes".(488) Les nouveaux venus européens viendront d'Europe Centrale et de la Méditerranée Occidentale. Les polonais arrivent dès 1920 et jusqu'en 1940. A la fin de novembre 1920, 103 polonais travaillent dans la mine. Le 15 juin 1921, la colonie polonaise de La Grand-Combe est composée de 189 personnes (64 ouvriers célibataires, 34 accompagnés de leur famille)(489). Les yougoslaves sont moins nombreux: les premiers arrivent en 1928. L'arrivée des tchèques et des slaves est signalée entre 1924 et 1926. On recrute aussi des italiens en 1920, des espagnols en 1926. Ceux-ci arrivent en plus grand nombre vers 1940 à la fin de la guerre d'Espagne. Les portugais arriveront beaucoup plus tard et seront peu nombreux. Ce sont les nord-africains qui constitueront le groupe numériquement le plus important. La première vague des ouvriers venus des pays colonisés a lieu à partir de 1914, surtout vers 1916, époque de la création du Service des Travailleurs Coloniaux, chargé de les répartir dans les différents secteurs productifs français(490). Dès 1927, ils sont environ 1.000 à La GrandCombe(491). A partir de 1936, l'immigration nord-africaine s'accroît, "qui entrent pour 16% dans la composition du personnel dans la société"(492), pour culminer vers 1949(493). Les mineurs venus de l'Est sont considérés comme une main-d'oeuvre qualifiée. Cependant, à cette époque, c'est surtout le critère quantitatif (pour faire le travail au fond) qui est préféré par la Compagnie, ce qui explique la forte proportion de travailleurs nord-africains engagés. "Les nord-africains forment le groupe le moins stable et le moins spécialisé, la Compagnie s'en sert comme d'un volant de maind'oeuvre...".(494) Les effectifs étrangers de 1923 à 1936 oscillent entre 1.200 et 2.000 personnes.(495) Gaillard signale qu'entre 1919 et 1921, La Grand-Combe est en train de devenir "une ville cosmopolite", dans laquelle on trouve, en 1927, près de 2.000 étrangers, soit près de 15% de la population totale.(496) En 1936, ils seront 2.232, et 2.960 en 1940.(497) Tout cet apport humain renouvelle significativement la population par l'arrivée aussi des familles ouvrières. La morphologie sociale et la physionomie ethnique et culturelle de La Grand-Combe se modifient rapidement; le tissu humain se diversifie de plus en plus, faisant cohabiter des groupes sociaux différents: les autochtones, les immigrants d'hier (mineurs de la vieille souche) et les immigrants d'aujourd'hui.(498) En ce début de siècle, les immigrés viennent avec des contrats, sous le contrôle de leur gouvernement. Les agents recruteurs envoyés par l'Administration et avec qui ils signaient un contrat, en général temporaire, allaient les chercher sur place: "On est arrivés ici avec un contrat déjà signé et ils nous ont donné une paillasse, comme on appelait ça...". (M. Spagnolo. Mineur retraité, immigrant espagnol). Les ouvriers italiens, par exemple, ont été recrutés par le C.C.H.F. (Comité Central des Houillères de France, organisme patronal) en Italie même. Ces ouvriers venaient accompagnés de l'agent recruteur. A la frontière, à Modane, ils présentaient un papier indiquant qu'ils étaient recrutés pour travailler à la Compagnie des Mines de La Grand-Combe dans le Gard. En juin 1920 arrivent les premiers italiens. Après quelques désistements, à la fin de juillet 1920, 94 italiens forment une petite colonie "qui ne passe pas inaper‡ue dans la ville, surtout le dimanche où, regroupés, ils se promènent dans leur nouvelle cité d'accueil"(499). Dans un premier temps, ce nouveau recrutement est plus collectif, plus "tribal". C'est-à-dire que plusieurs personnes appartenant au même groupe ethnique arrivent ensemble. La Compagnie, à partir du groupe souche, recrute parmi le groupe d'entourage (parents et amis) des premiers immigrés. Autrement dit, le groupe ethnique et les premières familles, comme autrefois, jouent le rôle de "groupe-auteur" dans la mobilisation des nouveaux arrivants. "Mon oncle, mon père, sont venus travailler en France par contrat. Immigrés, mais par contrat. Le premier à venir a été mon oncle. Mon père a suivi son frère. J'ai commencé à 13 ans à la place". (M. Andorrez. Mineur retraité, immigrant espagnol). La venue des familles est accompagnée d'un discours (ou position) de "faveur" de la part de la Compagnie, et non de droit. Par là, le patronat envisage de montrer une position de force et de contrôle sur les nouveaux arrivants. Elle commanditait le transfert de la famille d'un ouvrier (et de ses meubles) seulement quand cela lui convenait, c'est-à-dire que le critère était le "mérite de l'ouvrier" en question(500). Ainsi, la Compagnie reprend la vieille "recette" traditionnelle: le "caractère familial de l'entreprise". Cela paraît encore efficace, comme nous pouvons le constater dans le récit d'un fils de mineur, lui-même mineur retraité: "C'était dur ce métier, parfois même pas humain, mais ils venaient quand même, ces gens. Les polonais venaient et ils ne partaient plus, ils restaient. Les espagnols venaient, ils ne partaient plus, les italiens venaient, ils ne repartaient plus. Mon père (espagnol) a été d'abord aux Amériques je ne sais pas trop où, mais il est retourné de là-bas parce que là, c'était des cow-boys, c'était l'aventure. Et, en France, non. En France, ils venaient et il fallait qu'ils travaillent. Les italiens, les espagnols, les immigrants, tous venaient pour ça. Parce qu'ils savaient qu'ici ils avaient ce soutien: ils faisaient partie d'une famille dans la mine". (M. Poincaré, mineur retraité). Ce sont surtout les polonais, les tchèques, les italiens, les espagnols, ("bien plus prolifiques que ne le sont les ménages fran‡ais"(501)) qui amèneront avec eux leur famille. Celles-ci arrivent soit avec les ouvriers, comme c'est le cas des polonais, soit en rejoignant le mari plus tard, après une installation plus sûre, comme c'est le cas des italiens: "Lors de ces différentes vagues, l'ordre dans lequel la famille arrive est variable: soit le ménage arrive en une seule fois, soit c'est le chef de famille qui s'installe d'abord puis le reste du ménage vient quelques années après. Les deux solutions sont de proportion équivalente".(502) Ils seront également nombreux à arriver en célibataires ou seuls, sans envisager forcément la venue de leur famille. Les nord-africains (algériens et/ou kabyles de la région de Constantine) se caractériseront, dans un premier temps, par une arrivée solitaire. Une grande majorité d'entre eux est mariée, et ceux-là sont venus avec le projet de retourner au pays. Ils laissent donc leur famille dans le pays d'origine et ils rentreront après quelques années. Certains y retournent même après quelques mois de travail. Au fur et à mesure que les nouvelles vagues d'immigrants algériens se font plus massives, formées surtout de familles entières, ils tendent dès lors se fixer. En outre, les immigrants - surtout les réfugiés - qui voulaient se fixer à La Grand-Combe comptaient sur les réseaux de parenté pour intercéder en leur faveur et leur trouver une place dans la mine. Les espagnols, les portugais et d'autres, qui viennent se faire embaucher seront nombreux à être des réfugiés fuyant les régimes fascistes de leur pays(503). C'est le cas de M. Ram¡rez. Son père, sa mère, ses frères et lui ont fui la répression politique en Espagne et la misère de fin de la guerre, et ils ont traversé la frontière clandestinement en 1940. Ils sont arrivés à La Grand-Combe, o— ils ont été hébergés et nourris par un oncle qui était venu sous contrat et s'était installé (cet oncle avait auparavant travaillé en Espagne dans une Compagnie fran‡aise). M. Ram¡rez est finalement embauché par la Compagnie et reçoit un logement. Aujourd'hui, marié, père de trois enfants, il est naturalisé français. Les dernières vagues d'italiens arrivent entre 1946 et 1947, d'espagnols entre 1939 et 1940 et de portugais en 1963. La Compagnie continue à s'efforcer d'imprégner le monde ouvrier et la mémoire collective de ce "caractère familial", comme si c'était une tradition de l'univers minier - "recette" encore pertinente et performante pour enraciner et stabiliser la main-d'oeuvre. Cela ne cache pas qu'elle observe un classement "professionnel" de sa force de travail, qui tient, à ce moment-là, au critère de nationalité. Nous voulons dire par là que la position occupée par les nouveaux groupes dans le système de stratification sociale déjà définie de la communauté tient au rôle tenu dans la hiérarchie de la Compagnie: elle n'était pas seulement définie par la place de chacun à l'usine, mais par des critères autres, qui trouvent leur origine dans ceux assignés par la Compagnie, dans son mode particulier de classification "professionnelle". Cela dit, cette nouvelle force de travail est engagée pour le travail le plus pénible, l'extraction, ce qui n'est pas sans effet sur le processus d'intégration de ces travailleurs au sein de la communauté de travail installée là depuis des années.(504) Selon les historiens locaux, il n'y a pas eu, de la part des grand- combiens, de réaction xénophobe, du moins violente, envers les nouveaux venus. Ils dessinent, d'ailleurs, très souvent un portrait "d'intégration" des immigrants au milieu minier cévenol: "La terrible saignée humaine de 14-18 exigea de successives importations de main-d'oeuvre. Polonais, Tchèques, Espagnols, Italiens, Algériens et Marocains se laissaient prendre aux charmes rugueux de la Cévenne. Ils s'initiaient voluptueusement au jardin, à la pétanque, aux châtaignes blanchettes, aux cèpes, à la belote, au pastis, à la valse musette, aux truites, aux merles et à l'occitan".(505) Néanmoins, cette cohabitation, ou ce processus d'intégration, ne se déroule pas sans une certaine complexité. "La mine de charbon demeure indispensable à la vie du bassin, c'est vrai; mais son omnipotence s'affaiblit: relayée par les immigrés étrangers, la population autochtone peut songer à prendre ses distances, ce que n'avaient jamais pu faire les générations qui l'avaient précédée ici. Parce que les nouveaux venus s'intègrent par le bas de l'échelle sociale, en poussant forcément les autres vers le haut, ils apparaissent comme différents: la langue, les usages, certes; mais aussi leur affectation aux tâches les plus ingrates, leur rassemblement dans des cités, leur nombreuse progéniture".(506) Aussi paradoxal que cela puisse paraître, dans cette communauté construite du mélange de divers groupes régionaux et même d'étrangers, la classification par nationalité dans le travail, ou le "déclassement" de la nouvelle force de travail, à laquelle on doit ajouter les différences culturelles et religieuses, influe dans une certaine mesure sur les relations sociales des habitants, où certains groupes ethniques sont plus stigmatisés et discriminés par la population "déjà" grand-combienne que d'autres. Dans ce sens, nous suggérons, paraphrasant Segalen, qu'un imaginaire commun les distingue des nouveaux venus, dépourvus de cette mémoire locale et qui cherchent - ou non à se "ré-enraciner" localement.(507) Certes, ils se voient tous confier des tâches dans l'abattage, mais la Compagnie relève cependant certains critères de différenciation. A côté des polonais et des tchèques, les italiens sont considérés comme de bons ouvriers par l'Administration. Les espagnols, considérés comme moins qualifiés, sont appréciés néanmoins pour leur régularité dans le travail: ils ont une réputation de sérieux et d'honorabilité(508). Les polonais, plus particulièrement, re‡oivent maints avantages dès leur arrivés: désignation d'une cité ouvrière spécialement bâtie pour eux, école spéciale (professeur de langue polonaise), assistance religieuse particulière (prêtre polonais). En ce qui concerne les conditions de travail, les ouvriers polonais "fonctionnent aux mêmes heures et aux mêmes conditions que les ouvriers fran‡ais. Alors qu'au début, des fronts de taille distincte leur étaient spécialement réservés, désormais certains sont mélangés aux ouvriers français. Quant à la surveillance et à la direction des travaux, elle est confiée à des chefs de poste polonais ou connaissant un peu de polonais ou d'allemand qu'ils ont appris alors qu'ils étaient prisonniers pendant la guerre de 19141918"(509). "Ces gens venaient avec des contrats bien précis. Pour cela, la Compagnie a construit des écoles polonaises, et des cités que pour des polonais, de véritables petites 'Polognes'. Par exemple, la Compagnie regroupe un important groupe à Saint-Jean-de-Valériscle, avec une école polonaise à mitemps et une institutrice polonaise à mi-temps, c'est-à-dire que les enfants ont une demi-journée en fran‡ais et une demi-journée en polonais. De plus, vous avez encore une paroisse polonaise avec un curé polonais (...). Ceci explique que les polonais se sont quand même intégrés. Certains ne voulaient pas s'intégrer au départ. J'ai connu des enfants de polonais qui n'ont jamais entendu parler fran‡ais chez eux, vu que les parents refusaient de parler fran‡ais. Les femmes restaient à la maison et parlaient que le polonais, et le père aussi parlait que le polonais et travaillait dans les chantiers de polonais à Saint-Jean-de-Valériscle, o— il y avait des chantiers entiers à la mine seulement de polonais, avec un encadrement parlant aussi polonais. Et dans les quartiers il y habitait que des polonais (...). Il ne faut pas négliger cet aspect. Mais pour la grande majorité, l'intégration a été rapide. Il y a même eu des mariages entre polonais et fran‡ais. Mon père même est polonais et s'est marié avec une fran‡aise." (M. Wiénin). Avec ces conditions favorables de logement(510), et malgré les premières manifestations de résistance à une intégration rapide, ils seront le groupe le plus facilement intégré au pays, parmi les autochtones, et ils seront les moins visés dans les périodes de licenciements(511). "Pour ce qui est des polonais, l'assimilation a été très rapide et s'est d'abord faite dans le travail: mineurs de profession, souvent très expérimentés, robustes et durs au travail, ceux qui ont été placés dans les fronts de taille avec les Français ont été très vite appréciés. Dans les groupes de travail à la tâche, ils furent parmi les plus vaillants, donc très prisés de leurs collègues fran‡ais dans la mesure où ils concouraient à augmenter le rendement des groupes et donc des gains. Des liens d'amitié, créés dans et par le travail se sont ainsi rapidement tissés entre ouvriers polonais et ouvriers français. On a très vite commencé, car il n'est pas besoin de se comprendre pour cela, à aller au café ensemble et l'ardeur à la boisson de ces étrangers n'était pas pour déplaire aux mineurs de La Grand-Combe. Au fond, et c'est là le facteur fondamental d'assimilation, ce que le milieu receveur demande à des immigrés, c'est de se comporter à son image. Aussi bien que la xénophobie naît du 'ils ne sont pas comme nous', l'intégration est favorisée par le 'finalement, ils ne sont pas si différents de nous', et comme les polonais travaillent dur, boivent avec entrain, acceptent volontiers une assimilation qu'ils souhaitent d'autant plus rapide qu'ils sont venus avec leurs familles, ils seront très vite adoptés".(512) Ces égards pour les polonais répondent aussi aux termes du contrat passé avec le gouvernement polonais, qui envisage leur retour pour la reconstruction du pays. Seulement, entre-temps, il y aura la Deuxième Guerre, qui finira par en enraciner un grand nombre à La Grand-Combe. Très peu, en fait, repartiront en Pologne. La Compagnie préférait de loin les polonais, les tchèques et les slaves, qu'elle jugeait être des travailleurs qualifiés(513). Grâce à cela, à côté des anciens ouvriers (critère d'ancienneté) et des Français (critère de nationalité(514)), ils peuvent eux aussi aspirer aux emplois d'encadrement. Cela, ajouté à l'identité culturelle (religieuse - catholique , en l'occurrence), a facilité leur acceptation par la population autochtone. Ils sont considérés par nos interlocuteurs comme "parfaitement intégrés à la communauté des mineurs français". Pour Mme Durant, "on ne fait pas de différence entre les français, les polonais et les tchèques, c'est tous la même chose" - malgré le fort accent de sa voisine d'origine polonaise. Par le biais du travail, les polonais (ainsi que les tchèques et slaves) se sont intégrés "sans problème", selon l'expression d'un habitant. Ainsi, au fur et à mesure de leur enracinement, ces populations immigrées sont devenues "invisibles" au sein de la communauté grand-combienne, au sens où elles ne sont socialement pas un problème, où elles ne font pas parler d'elles(515). Les polonais, par exemple, avant d'apprendre le français, ont appris l'argot de la mine, code que seuls les autochtones pouvaient leur transmettre(516): (Chercheur): "A votre avis, les polonais se sont bien intégrés parmi la population, où alors ils sont restés un groupe plus fermé? (M. Wiénin): "Les polonais se sont tout à fait intégrés. J'en suis un. Certes, ma mère était fran‡aise et, moi-même, je ne connais pas un mot de polonais. Mon père parlait polonais à la maison et très mal le fran‡ais, mais un peu plus l'occitan. Les polonais apprenaient l'occitan avec les mineurs cévenols. Vous comprenez?... Lorsque les ouvriers polonais ou tchèques se mélangeaient avec les ouvriers du milieu, ils apprenaient la langue usuelle, l'occitan. Ils se sont facilement intégrés par cet atout".(517) Nous pouvons supposer par là que la situation de syncrétisme a été facteur de l'intégration peu conflictuelle des polonais dans la communauté grand-combienne, ce qui est vraisemblablement une réalité qui peut être étendue, avec des nuances, aux populations immigrées européennes: La Grand-Combe reproduit l'image du "creuset français". Les italiens, beaucoup plus que les autres ouvriers, n'ont jamais cessé d'arriver et de repartir. Cette instabilité n'était guère appréciée de la Compagnie. Cet aspect n'est sûrement pas négligeable, puisque dans tout le pays minier, il y a un certain mépris à l'égard des italiens ou leur tendance à la "bougeotte": "cette antipathie envers les italiens est certainement due au choc de deux mentalités différentes, et la réaction des gens du pays, solidement installés, envers une population qui l'est très peu"(518). En outre, certains groupes ethniques italiens "ont pris du temps pour s'intégrer", comme c'est le cas des Siciliens ou des Calabrais, groupe très homogène et refermé sur luimême, caractérisés par une immigration non familiale et le désir du retour "au pays, à plus ou moins brève échéance"(519). Les italiens, d'ailleurs, avaient une réputation de "gréviculteurs liée à leur massive mobilisation dans les mines et sur les docks"(520). Néanmoins, ce groupe national, ainsi que les espagnols, comme l'observe Santucci, était considéré comme "aptes à un travail qualifiés" et pour cela ils ont bénéficié des "bons logements", c'est-à-dire, qu'ils ont été logés dans les "cités ouvrières": "Dans les mines du Languedoc, (...), le patronat cherche à stabiliser les mineurs espagnols ou italiens vivant en cité avec leur famille, car ils constituent, avec les mineurs-paysans des villages environnants, le personnel qualifié ou en voie de l'être. Par contre, les 'célibataires' kabyles sont parqués dans des baraquements car leur rôle premier est de servir de 'volant' de sécurité en fonction des besoins du moment".(521) Moins appréciés par la Compagnie, qui leur reproche d'être instables et de manquer de savoir-faire, les nord-africains seront dans leur totalité embauchés pour travailler à l'abattage du charbon. Ils seront très nombreux, mais leur hébergement dans les "camps" réglait le problème du logement. "Les algériens, les arabes, ils les mettaient à 8, 9 par pièce, dans une seule pièce, vous voyez? Ils couchaient tous ensemble, ou alors quand les uns entraient pour se reposer, les autres sortaient pour travailler". (M. Gibuel. Mineur retraité). Dans les cas de licenciements, c'est la main-d'oeuvre d'origine nordafricaine, considérée comme "la moins qualifiée" par la Compagnie, qui sera la première visée: "(...) en cas de crise, elle commence par les licencier ou au moins à ne pas les renouveler. Ce sera le cas lors des crises de 1927, de 1931-1935 et, plus tard, de 1950-1953. De 1936 à 1939, la colonie nord-africaine représente en moyenne 43% de la population étrangère de La Grand-Combe".(522) Malgré cette "dé-classification", nos interlocuteurs mineurs fran‡ais considèrent que dans la sphère du travail, l'assimilation des nord-africains a été "normale" et, à maintes reprises, ils signalent que, si la maîtrise (les chefs), assez souvent, les réprimait faisant appel à un stigmate ethnique négatif, parmi les mineurs dans le charbon - couverts de poussière - il n'existait pas de critère pour différencier les uns et les autres: "Au fond de la mine, on travaillait tous ensemble. Les arabes ne parlaient pas fran‡ais, mais on se comprenait, parce que, au fond tout le monde était 'noir'. C'était une vie humaine et il fallait se regarder tous, il n'y avait pas de racisme. Dans le fond, il n'y avait pas de racisme. Seulement les chefs, parfois, les abusaient. Et puis cette différence existait entre le fond et le jour, parce qu'il y a le mineur du jour et celui du fond. Le mineur du fond était moins avantagé que celui du jour parce qu'il n'avait pas le même air, mais ils avaient une mentalité de fraternité. Dehors, c'était autre chose, il y avait du racisme, dehors, ah oui!". (M. Rocades. Mineur retraités).(523) C'est dans la vie quotidienne de la ville que la cohabitation, à travers la mémoire collective, apparaît comme la plus conflictuelle: les souvenirs retracent la présence des chocs culturels et religieux. Si autrefois l'origine sociale expliquait avant tout les clivages internes à la communauté grand-combienne, plus qu'hier, l'étiquette nationale que porte la personne est désormais un facteur important d'acceptation (où la question de la tolérance est mise en cause) au sein de la communauté. Gaillard observe que vers 1919-1921, les étrangers nord-africains étaient dans la ville un sujet fréquent de discussions multiples et d'étonnement. Nos interlocutrices françaises (femmes de mineurs) racontent leur stupéfaction de l'époque: "Ils élevaient des chèvres dans la cuisine...". "Ils arrachaient le parquet de la cuisine et faisaient du feu par terre... ". Malgré la "ghettoïsation" de ce groupe dans les "camps", l'étrangeté de ces différences culturelles s'exprimera avant tout dans le domaine des rapports de voisinage et dans la vie domestique. La population "déjà" grand-combienne, surtout fran‡aise, couvrira la communauté nord-africaine de critiques pour ses "habitudes peu civilisées". Mais, peu à peu, ils prennent leur place dans le quotidien grand-combien: ils fréquentent les marchés, les enfants vont à l'école, etc. "Ils deviendront aussi Grand-Combiens que les Français et le cours normal de l'existence journalière de la population de la ville reprendra jusqu'aux heures chaudes et animées du Front Populaire. Mais c'est là une toute autre question".(524) Malgré le bouleversement survenu dans la ville avec le renouvellement de la population au lendemain de la Première Guerre, les formes de gestion ouvrière se développent à La Grand-Combe et dans tout le bassin houiller du Gard. L'activisme politique des syndicats ouvriers se fortifie et l'on assiste à une croissance des effectifs de syndiqués. Les journaux engagés (par exemple "L'Emancipateur", le "Marteau Piqueur") dénoncent et critiquent le patronat, et les dirigeants syndicaux ne craignent plus de s'opposer ouvertement à lui, les délégués-mineurs munis d'un discours militant naissant ne cessent de dénoncer les conditions de travail et de vie: "L'on peut dire que pendant que des familles nombreuses grouillent dans les taudis infects et exigus, des ingénieurs célibataires occupent des maisons de 10 à 12 pièces. Monsieur le directeur appelle la bénédiction divine sur les familles nombreuses: croissez et multipliez-vous! Dieu bénit les familles nombreuses, oui! Mais il ne les loge pas et ne les nourrit pas".(525) Dès lors, le mouvement ouvrier grand-combien correspond à l'histoire de protestations de l'ensemble des mouvements des mines françaises. "C'est ainsi que les mouvements de revendications sociales ne se passent plus dès 1917 dans l'univers clos de la ville usine, les syndicats maintenant organisés ont pris pied dans tout le pays et déclenchent des offensives suivies par toutes les mines fran‡aises. Ce sera le cas en 1919, en 1921, en 1923, en 1929, en 1933, en 1936; où les principales revendications sont d'ordre social": augmentation de salaire, retraite, etc.(526) Au fur et à mesure que le syndicalisme monte et que ses effectifs augmentent, les formes traditionnelles du paternalisme s'effondrent et l'emprise de la Compagnie s'affaiblit. Les conditions de travail sont de plus en plus combattues par l'action des syndicalistes. Les grèves de 1919 et de 1921 seront des victoires pour les ouvriers grand-combiens et elles consolident leur nouvelle force en tant que classe.(527) "En effet, dès la fin de 1918 et jusqu'à la fin de 1921 et ce, à des degrés divers, la ville-usine va être le théâtre de profonds bouleversements avec l'apparition, durable cette fois, d'un mouvement ouvrier puissant et combatif, ce qui n'avait pas été le cas jusque là, à part le court épisode des années 18961898. (...) Nous le voyons, la 'ville-usine' rejoint de plus en plus, par ses caractéristiques, l'ensemble du monde de la mine française; elle perd son originalité de 'théocratie capitaliste', de lieu de la paix sociale et ce, d'autant plus que ce syndicat, fort actif, réussit à entraîner la grande masse des ouvriers dans les célèbres grèves des années 1919-1921".(528) Signe de mutation des temps, une grande fête syndicaliste a lieu à La Grand-Combe en 1919, symbolisant l'émancipation de la classe ouvrière grandcombienne. De plus en plus le groupe expérimente des moments de discontinuités dans ce temps "de continuité" ordonné comme celui "du temps de la Compagnie". Les changements sont forts. En fait, le compromis avec le système paternaliste est brisé. Les ouvriers grand-combiens s'intègrent, alors, à ce mouvement de forces internationales s'élevant contre le patronat capitaliste.(529) "Ainsi, entre 1919 et 1921, le mouvement ouvrier connaît à la GrandCombe de grands développements qui traduisent la rapidité d'un processus d'émancipation qui détruit progressivement tout ce qui caractérisait la 'théocratie capitaliste' (...)".(530) A cela se conjugue le succès électoral de la gauche. Le renversement du pouvoir local est ainsi consommé. En 1921, un candidat socialiste arrive en tête aux élections législatives, mettant en échec le candidat de la Compagnie. En 1925, finalement, le Directeur de la Compagnie se retire des commandes de la vie politique, délogé par un maire socialiste qui garde le pouvoir municipal jusqu'en 1929 (cette victoire est due au cartel de la gauche socialiste et communiste). Les transformations sont énormes pour les grand-combiens: la période comprise entre 1919 et 1921 est le point de départ de profonds changements. L'action ouvrière - surtout les grèves - s'établit comme un mode de rapport fortement ancré dans la quotidienneté. La force absolue d'un patronat légitimé par le catholicisme est mise en échec. Dès lors, La Grand-Combe change de décor politique et, de la même manière que pour la majorité de la classe ouvrière française, l'engagement est à la gauche. Pour Gaillard, La Grand-Combe devient alors une cité ouvrière "normale" et "perd les caractéristiques qui faisaient son originalité"(531). En effet, les mineurs grand-combiens s'inscrivent de plus en plus à l'intérieur d'une ordre et d'un mouvement dans un horizon plus large, rythmé par des déterminations externes autres telles que le mouvement de la classe ouvrière à un niveau international, les transformations de la politique et de la dynamique capitaliste, etc. C'est la conquête en quelque sorte de l'espace de la ville pour ceux qui sont majoritaires, les ouvriers, les mineurs. Mais elle reste par ce biais plus que jamais une ville "minière" et "ouvrière". Ce n'est pas une rupture d'un quotidien rythmé par le travail à la mine que l'on souhaite, mais tout simplement des transformations au niveau de la gérance des biens capitaux produits. D'ailleurs, si l'action paternaliste est remise en cause, elle n'est pas encore entravée. Les changements structurels au niveau de l'organisation industrielle sont encore limités, de même que l'autonomie du mouvement ouvrier trouve encore des limites pour renverser la structure paternaliste. Quoi qu'il en soit des temps nouveaux soufflaient. La force des transformations engendrait des ruptures plus radicales à l'horizon. Les mineurs connaissent de nouveaux rapports de forces politiques et situent définitivement un mouvement contre-hégémonique, pour parler à la Gramsci, au processus de gestion politico-économique de la ville. Les conditions pour une rupture plus profonde étaient réunies, ce qui est concrétisé dans la conjoncture de la Libération quand l'Etat Fran‡ais organise les forces de renaissance (quand le P.C. sort fortement enraciné grâce à la Résistance), implantant les bases pour qu'une nouvelle structure économique se produise. Mais nous ne sommes pas encore arrivés à cette disposition, et les années 1920 ont été de développement pour la Compagnie. Elle contrôle l'embauche et peut attaquer de front l'autonomie ouvrière grandissante. L'option pour une nouvelle vague de main-d'oeuvre immigrante est, parmi d'autres raisons, la poursuite de la manutention d'un contrôle ouvrier.(532) Au niveau production, la situation était rassurante. La Compagnie arrachait chaque année près d'un million de tonnes de charbon au sous-sol d'une concession étendue sur plus de 10.000 hectares. Cela grâce aux investissements pour élever la productivité du travail. En 1921, sous le contrôle des financiers parisiens, 102.000 actions nouvelles renforcent le capital social de 6,3 à 31,8 millions de francs(533). Un indice de productivité qu'elle atteint non sans des conséquences pénibles pour la catégorie épuisée par les conditions de travail. Une grève est organisée, appelée par les syndicats pour de meilleures conditions de salaire et de travail, déclenchée pour des raisons de "dignité humaine". Les mineurs grand-combiens font grève en 1929 pour le rattrapage des salaires avec le mot d'ordre "Nostre cin franc, noun dé Diou!" (qui signifie 'un salaire meilleur, au nom de Dieu' en langue vernaculaire, le 'patois cévenol'). La grève est réprimée avec violence par la Compagnie qui envoie la garde pour intervenir. La grève pour un salaire décent est perdue et les mineurs reprennent le travail suivant la décision syndicale annoncée.(534) "L'ordre de reprise étant donné, la mort dans l'âme, mon père, sans aucun enthousiasme, reprit le chemin de la mine Roux. Le soir, il dit avoir retrouvé ses outils au même endroit et s'être assis à côté d'eux en attendant que l'heure tourne. Ne vous méprenez pas, ce n'était pas par paresse, mais par découragement... D'avoir gagné ne suffisait pas à la direction de la Compagnie: elle expulsa, sans ménagement, des dizaines de 'meneurs' de la grève et de syndicalistes (...), sans prendre en considération qu'elle se privait ainsi de ses meilleurs ouvriers...".(535) Mais, au lendemain de la crise internationale de 1929, un certain nombre de difficultés surviennent dans l'industrie charbonnière(536). Certes, au niveau municipal, la Compagnie, c'est-à-dire la droite, reprend le pouvoir (le Maire élu est M. Bernadou, médecin des Mines). Mais la période de marasme pour les mines françaises touche très lourdement la Compagnie, la morosité semble tomber sur l'activité économique de La Grand-Combe(537). En ce qui concerne la production de charbon, les problèmes sont surtout dus à un étranglement des marchés locaux, à des difficultés commerciales, des prix de revient du charbon trop élevés, une concurrence étrangère forte venant surtout du charbon anglais déversé sur le marché méditerranéen, etc. Les stocks s'accumulent et sont de plus en plus difficiles à écouler. La Compagnie impose de plus en plus de jours chômés à son personnel(538) et la crise dans ce secteur ne cesse de s'aggraver. Ce n'est que sous le Front Populaire que le programme de récupération économique et d'accroissement de la production de charbon prend plus d'ampleur. Les mesures de protection du commerce charbonnier au niveau national permettent à la Compagnie de reprendre son souffle. Le relèvement du pays dépendant avant tout du charbon, on exigera des Compagnies une augmentation de la production, et des ouvriers qu'ils y consacrent tous leurs efforts(539). C'était la première phase d'un programme de revitalisation ou réactivation de ce secteur au niveau national, la "Bataille du Charbon"(540), où tantôt les sociétés charbonnières, tantôt les ouvriers sont appelés à servir la politique gouvernementale: il s'agissait "de créer une 'mystique de la production' au nom du sacro-saint 'intérêt national'"(541). Propagande nationaliste qui s'appuyait largement sur le stimulant idéologique d'une corporation minière dévouée, "avant-garde du prolétariat"; identité prolétarienne "fabriquée" comme fondée sur l'amour du travail. Elévation de l'image de l'ouvrier "consciencieux et déterminé" qui trouve, néanmoins des voix discordantes et disposées à dénoncer ce cadre épique, comme c'est le cas du mineur Constant Malva, écrivain prolétarien belge qui défait, en racontant les sentiments des mineurs dans ses ouvres comme celle de "Ma nuit au jour le jour", la "mythologie" créée autour du monde minier(542). L'amélioration économique est apportée grâce aussi aux efforts fournis dans le sens d'un progrès technique (mécanisation, électrification des machines d'extraction des divers puits, forage de nouveaux puits, etc.): mise en valeur des puits d'extraction de Ricard (dans la vallée de La Grand-Combe), et des Lumières (au nord de la concession, près du puits La Fontaine nº 2), exploitation par des machines électriques, augmentation de l'énergie motrice des installations (électriques) grâce à une centrale installée dans le quartier de la Pise, etc.(543). Tout cela est détaillé dans le livre d'Or de la Compagnie, publié en 1936/37, à l'occasion de son Centenaire. Un événement pour lequel une grande fête a lieu dans la ville. Mais si au niveau économique la conjoncture est de nouveau optimale pour la Compagnie, son emprise connaît un reflux au niveau politique. A ce moment, le bouleversement politique qui bat son plein au niveau national gagne également La Grand-Combe: création des congés payés (1936)(544), reconnaissance du 1º mai comme jour des travailleurs, loi limitant à 40 heures la durée hebdomadaire du travail, élection de délégués d'ateliers dans les entreprises et hausse des salaires (entre 7 et 15%)(545). De plus, aux élections municipales de 1935, la droite traditionnelle est détrônée(546). Succédant au Docteur Bernadou (candidat de la Compagnie), M. Germain Soustelle, socialiste, est élu Maire de la commune arrivant en tête dans les élections du 18 mai 1935 et restant au pouvoir municipal jusqu'à 1941(547). En 1936, les candidats communistes au siège de député obtiennent un bon score à La Grand-Combe(548). Les tensions sociales s'accroissent et il devient de plus en plus difficile pour la Compagnie de les étouffer face à un mouvement syndical encore plus ferme. Mais, en 1939, la Deuxième Guerre Mondiale éclate et va entraîner la répétition d'un cadre conjoncturel déjà connu: situation de crise économique, mobilisation du personnel sur le front (1.746 personnes), diminution des effectifs en même temps qu'il faut augmenter la production dans une large mesure - ce qui exige des mineurs une intensification de leurs efforts afin d'obtenir une hausse du rendement (qui malgré tout se maintient à un bon niveau)(549). Profitant de cette situation de guerre, comme le signale Trempe, l'Etat étend son contrôle sur les mines et sur le marché charbonnier(550). C'est la deuxième phase de la "Bataille du Charbon" pour le gouvernement, pendant que la Compagnie, de son côté, sauvegarde ses profits. A La Grand-Combe comme partout (quoique restée zone libre), les conditions de vie et de travail se sont dégradées pendant les années de guerre: la pénurie, le rationnement, la perte des proches, ce sont des aspects qui reviennent avec force dans la mémoire de nos interlocuteurs. Bien que devant affronter ces difficultés, l'esprit de lutte de classe (auquel s'ajoute l'esprit de la "Résistance"(551)) se maintient. Ici et là les grèves éclatent, déclenchées à cause du mauvais ravitaillement: à La Grand-Combe en 1941(552), et se solidarise également dans la grève de 1942 (12 mars)(553), ainsi que dans celle de 1943 qui s'étend sur toute la France. "Le milieu minier était en perpétuelle agitation, et la tension qui y régnait était une source d'inquiétude constante tant pour Vichy que pour les Allemands (...). Par ailleurs, elles sont de plus en plus coordonnées et centralisées à l'initiative de la Fédération du sous-sol reconstituée clandestinement".(554) La Deuxième Guerre est à la fois conflit politique, opposition idéologique, choc maximal entre les classes sociales, aboutissements de processus de formations nationales, etc., c'est une situation inédite d'accélération des changements structurels déterminés par des forces transformatrices produites continuellement par la société moderne. Menée à terme sous cette forme explosive et meurtrière, tous les pays sont tributaires de cette suractivation de "développement". Structures existantes mises en cause, modes de vivre et penser bouleversés, peuplements re-mobilisés, hiérarchies, prestiges, valeurs affectés, bref, cette conjoncture de guerre (ou événements qu'elle accumule), apporte une "transformation structurelle globale de caractère révolutionnaire" (pour paraphraser Balandier). Nous ne pourrions pas ici nous prolonger sur l'intensité des changements survenus. Il importe d'y localiser une profonde rupture, des profondes transformations régies par la modernisation (et par la modernité). Une discontinuité tellement profonde qu'elle superpose de nouvelles références structurelles de l'ordonnance du temps et des espaces vécus et pensés, de nouvelles valeurs sociales et culturelles. Cet événement historiquement, pour nous, "contextualisé" est ressenti par les grand-combiens, comme pour quelque autre groupe dans cette société industrielle, comme des transformations généralisées. Mais tout n'est pas rupture, et dialectiquement à ces mutations, une "permanence" se conforme, se maintient (sur certains terrains, d'ailleurs, les facteurs de continuité sont même renforcés).(555) La fin de la guerre s'accompagne d'un bouleversement du secteur industriel français. Les changements politiques importants survenus au niveau national vont impliquer des répercussions sur le secteur minier: "Le 25 septembre 1944, le commissaire de la République de la région Languedoc-Roussillon en application des dispositions élaborées par le gouvernement provisoire d'Alger, réquisitionne les installations de la Compagnie".(556) A l'occasion, le commissaire de la République du Languedoc, crée les "Houillères des Bassins du Gard, de l'Hérault, et de l'Aude" et nomme M. Ducasteing(557), comme directeur général, M. Pierre Boyer, directeur du groupe de La Grand-Combe(558) et les comités de gestion, composés de syndicalistes, ouvriers et employés sont nommés dans la fonction d'assistance à la direction.(559) "La nouvelle équipe ainsi mise en place s'emploie à fond à accroître la production, puissamment aidée dans cette tâche par le comité de gestion qui appuie sans réserve les directives du gouvernement du Général de Gaulle".(560) C'était une nouvelle politique de gestion qui était mise en pratique, passage néanmoins qui sera marqué par le "réformisme": "Il est intéressant de noter que dans une entreprise aussi hiérarchisée que la mine, le passage de la propriété privée à la propriété nationale s'effectue sans heurts, simplement en changeant le conseil d'administration".(561) L'effort de reconstruction marque le début de la troisième et dernière phase (la plus importante par son ampleur) de la "Bataille du Charbon" (19451947), mais c'est maintenant l'Etat le "maître du secteur charbonnier"(562). "Dans les mines de La Grand-Combe comme dans celles de l'ensemble du Bassin, on s'attache à remettre progressivement en marche les installations; car, plus que jamais, la France, exsangue et meurtrie, a besoin de charbon pour se relever de ses ruines".(563) Avec la nationalisation des mines promulguée le 17 mai 1946(564) et la constitution des Houillères du Bassin des Cévennes par décret au 28 Juin 1946, l'histoire de la toute-puissante Compagnie des Mines de La Grand- Combe s'achève. Il faut souligner qu'à ce moment-là, la Compagnie de La Grand-Combe est de loin celle qui produit le plus massivement et qui reste "le baromètre du bassin houiller du Gard"(565). La Grand-Combe est, en autre, la commune qui présente la plus importante proportion de travailleurs étrangers dans tout le bassin. La moitié demande la naturalisation française, requête parfois très lente. La Compagnie, qui avait créé la ville et, pendant 110 ans, l'avait "dirigée" selon ses intérêts, particularisé les moeurs des habitants, transfiguré les paysages et monopolisé l'économie, va s'écrouler. Même les monuments qu'elle avait édifiés ont été enlevés. Sur la place centrale une sculpture en hommage aux morts du pays dans la guerre de 1914-1918(566) substitue ces anciennes "marques symboliques" par laquelle la Compagnie voulait pétrifier leur puissance. Dès lors, les nouvelles rues prendront très souvent les noms des héros nationaux, la place centrale prend le nom du chef incontesté du parti socialiste "Jean Jaurès" (1946) et les fêtes politiques "du parti révolutionnaire" auront lieu, comme pour prouver que la classe ouvrière grand-combienne était désormais "consciente" (conscience de classe) et "internationaliste" (appartenance à la classe et à la lutte ouvrière internationales). La nomenclature des biens publics ne cessera pas de changer. L'événement de la Deuxième Guerre a ensuite soulevé à La Grand-Combe un important mouvement de résistance et la ville va rendre hommage aux résistants de cette guerre. La Grand-Combe n'est plus désormais une ville marquée par un rapport étroit avec une unité industrielle, avec un système paternaliste fort. Elle demeure, certes, une "ville minière", mais ce n'est plus l'espace social dominé par la Compagnie, à son service. La ville a été re-appropriée par les grandcombiens, un espace urbain qui con‡oit sans les contraintes d'hier le statut du travailleur-citoyen ("libre"). Cependant cela ne veut pas dire que cette transformation efface des "mentalités"(567) et de "l'urbain" les traces, les références, les marques, etc., engendrées par la Compagnie ou par la collectivité et intériorisées au long du "temps de la Compagnie" et des temps sur lesquels il s'est superposé. Les événements vécus et orchestrés jusqu'alors par la Compagnie restent gravés dans la mémoire collective des habitants grand-combiens et dans l'espace social significativement scandé par ce "long temps" qu'ils retransmettent comme étant le vécu "au temps de la Compagnie". La mémoire collective ("par un savoir commun des origines, que l'on sait être lointaines, enracinées dans une vallée où il est connu que des générations et des générations d'ancêtres ont travaillé" dans le charbon) s'appuie sur l'omniprésence de la Compagnie(568). "La Grand-Combe est bien une caricature de la ville minière (...). Cette situation va laisser immanquablement des traces sur le comportement et la mentalité de ses habitants".(569) L'originalité de cette communauté de travail demeure dynamisée par la mémoire collective du groupe, qui non seulement s'attache au souvenir d'autrefois (prise de conscience d'un éloignement avec le passé), mais aussi qui reproduit leurs sentiments et les valeurs de leur enracinement dans le pays minier, grâce aux liens cimentés par les générations précédentes, par la rudesse de leur vie, par le travail de la mine, par la construction d'un quotidien imprégné de leurs traditions et de leurs valeurs culturelles, ce qui permet d'engendrer l'identité sociale, cette force qui permet au groupe de se reconnaître dans la recherche d'une nouvelle temporalité mais qui les assure dialectiquement une continuité (où ils peuvent ressaisir les repères d'identité) dans le présent(570), autrement dit, d'engendrer le recommencement du groupe dans la discontinuité. Le travail (le métier), facteur de base d'identification reste l'activité économique par excellence, et l'espace vécu demeure fondamentalement minier. Tout cela permet aux habitants de la ville (les individus et la collectivité) de se reconnaître comme appartenant à un milieu singulier: un groupe social qui s'identifie "par ses propriétés de condition et de position" (pour paraphraser Bourdieu). Un travail estimé par les uns, méprisé par les autres, mais important comme source de vie, comme source de rapport social et culturel, comme source d'identité au sein du groupe ouvrier grand-combien. Le quotidien demeure rythmé par ce temps "fort" industriel et la "valeur-travail" (minier) demeure, comme dans un acte d'enveloppement, donnant "qualité" et "sens" à la construction de l'identité sociale du groupe d'appartenance. 1. Blason de La Grand-Combe de Marcel Feydédié: Trois châteaux, une lampe de mineur et deux pics, avec en pointe la devise "Mans negros, pan blanc" (en langue d'oc). 2. Voir Annexe 1: "Mines de La Grand'Combe". 3. GAILLARD, Jean-Michel. "De la Réussite Initiale au Déclin Progressif: Histoire Economique de la Compagnie des Mines de La Grand'Combe (18361921)". In: GAILLARD. Op. cit. Chapitre I. 4. PUECH. Op. cit. Tome I. p. 95. 5. GAILLARD. Op. cit. p. 18. 6. "(...) le 27 juillet 1837, la Société fut réorganisée en commandite par actions au capital de 16 millions sous la raison sociale Talabot Frères, Louis Veaute, Eugène Abric, Daniel Mourier, Jacques Fraissinet, Roux, Jean Luce, Simon Thérond, Joseph Ricard, Fournier et frères avec 3000 actions à Veaute et Compagnie, 3000 aux associés en nom collectif, 4000 aux mêmes sous la forme d'actions contre le versement d'un quart de leur valeur, 6000 à l'Etat, soit 16000 actions de 1000F, la Société devant se transformer en Société Anonyme après le remboursement des six millions". In: GAILLARD. Op. cit. p. 24. Selon Turpin, cette Société, créée sous Louis-Philippe et Napoléon III, s'est constituée avec l'intention secrète de soustraire l'approvisionnement de la flotte et l'industrie naissante à l'influence de nations dont on pouvait craindre l'hostilité; politique prudente". In: TURPIN, Michel. "Histoire de la Compagnie des Mines de La Grand'Combe". La Grand-Combe. (Date probable 1982). 23 p. Manuscrit. 7. Ces concessions correspondent aujourd'hui à La Grand-Combe (commune), La Forêt et Montagne Sainte-Barbe (quartiers), Trescol, La Levade et Champclauson (hameaux), et une bonne partie de Laval-Pradel et St-Jean-deValériscle (communes). 8. "(...) L'intervention décisive de l'Etat et des Rothschild surtout montre la faiblesse et la routine du marché des capitaux dans cette partie du Midi Méditerranéen". Cf. GAILLARD. Op. cit. p. 24. 9. Sur M. Talabot, voir GAILLARD. Op. cit. pp. 25 et 26. 10. Fondateur de l'Ecole des Mines d'Alès, élève de l'Ecole Polytechnique, il deviendra après 1848 ingénieur-Conseil de la Compagnie, selon le Journal Le Pays Cévenol et Cévennes. D'Alès - La Grand'Combe à Florac. Hebdomadaire Régional d'Informations d'Annonces Légales et Judiciaires agréé pour l'ensemble du département du Gard. Le 19 Mars 1983. Ceci montre aussi l'importance de la figure de l'ingénieur dans la gérance du capital. 11. Cette société anonyme formée pour une durée de 50 années (devant prendre fin en 1905) a été prorogée de 50 années de plus par décret du 17 août 1895 (par le même décret la Compagnie fut autorisée à jouir du bénéfice du régime de la loi de 1867 sur les sociétés anonymes). Cf. PUECH. Op. cit. Tome I. p. 107. 12. La ville des Salles-du-Gardon se situe sur la rive droite du Gardon. En 1844, cette ville comptait une population de 3.720 habitants, dont 1.439 pour la section des Salles (sur la rive droite du Gardon) et 2.281 pour la section de StVincent-des-Salles (sur la rive gauche, rattachée plus tard à la ville de La Grand-Combe). 13. LIVET. Op. cit. p. 23. 14. Pour le concept "paternalisme", nous citons: A) "(...) le paternalisme désigne un rapport social dont l'inégalité est déniée, transfigurée par une métaphore qui assimile le détenteur de l'autorité à un père et les agents, soumis à cette autorité, à ses enfants. Cette métaphore tend à transformer les rapports d'autorité et d'exploitation en rapports éthiques et affectifs. Le devoir et le sentiment se substituent au règlement et au profit". In: PINÇON. Op. cit. p. 58. B) Gaillard l'a ainsi défini: "(...) le paternalisme est un ensemble de pratiques nécessitant une certaine ponction sur les bénéfices d'une entreprise. Cette ponction, qui est à la fois un investissement comme un autre et une assurance contre la lutte de classe, a pour but, à travers la mise en place d'appareils idéologiques d'entreprise, de suppléer aux failles que laissent subsister les appareils idéologiques d'Etat dans la reproduction de la soumission de la force de travail à l'idéologie dominante. Par là, il est un instrument destiné à obtenir une main-d'oeuvre à la fois totalement docile (pas de grève) et totalement efficace (maximum de productivité) afin de lui extorquer une plus-value maxima et donc de réaliser le plus grand profit possible". In: GAILLARD. Op. cit. p. 159. C) "La Compagnie préféra se substituer à l'Etat, un Etat qui, à l'époque (18511872) limitait au minimum ses interventions. En revendiquant le rôle d'assistance et de salubrité, elle exer‡ait, en somme, une fonction de gouvernement ou d'administration, et renforçait d'autant son autorité sur l'humble peuple des mineurs". In: ARIES, Philippe. Histoire des populations françaises. Paris, Seuil, 1971. p. 88. D) Pour une analyse du concept "paternalisme", voir également: NOIRIEL, Gérard. "Du 'Patronage' au 'Paternalisme': la restructuration des formes de domination de la main-d'oeuvre ouvrière dans l'industrie métallurgique française". In: Revue Mouvement Social, nº 144, juillet-septembre 1988. Les Editions Ouvrières, Paris. p. 17 à p. 35. - et - LOWN, Judy. "'Père plutôt que maître...': le paternalisme à l'usine dans l'industrie de la soie à Halstead au XIXe siècle". Ibidem. p. 51 à p. 70. 15. "Les travailleurs tendent donc à perdre le statut qui fait d'eux des travailleurs libres, des ouvriers, des 'prolétaires' au sens de Marx: disposant de leur temps en dehors du temps de travail cédé au capitaliste qui achète la force de travail (et non le travailleur en tant qu'être physique et personne humaine). Dans la mesure où les entreprises capitalistes installent des îlots de dépendance complète et d'assujettissement des travailleurs, ces îlots sont disjoints au sein de l'espace où se déploie la 'liberté', celle des individus, celle du capital lui-même (commercial et industriel). Mais dans la mesure où ces îlots tendent à se rejoindre, ils établissent le tissu dans lequel règnerait un capitalisme totalitaire (économique et le politique fusionnant)." In: LEFEBVRE, Henri. La production de l'espace. Paris, Anthropos, 1986. p. 367. (1e édition: 1974). 16. "Par 'ville politique', il faudrait entendre non pas seulement la cité industrielle, mais l'ensemble unifié, formé par l'usine et les équipements qui l'accompagnent, organisé selon les principes d'une même économie. Une ville politique, ce serait en ce sens une entreprise industrielle, dès lors qu'elle tend à se constituer sous l'unique direction d'un patron comme société, c'est-à-dire non seulement comme instrument de production, mais comme organisation sociale." In: EWALD. Op. cit. pp. 119 à 122. Pour le concept de "ville politique", selon François Ewald, voir Annexe 2: "Ville Politique". 17. Voir à ce sujet la lettre du préfet du Gard à M. Paulin Talabot du 28 juin 1844. In: LIVET. Op. cit. p. 25. 18. Selon PUECH. Op. cit. Tome I. p. 126. 19. PUECH. Op. cit. Tome I. pp. 138 bis à 143. 20. LIVET. Op. cit. p. 1. 21. Bulletin des Lois nº 1302, par le roi des Fran‡ais Louis-Philippe. In: LIVET. Op. cit. p. 27. 22. Dénombrement de la population de 1846. Département du Gard. Etat Nominatif des Habitants de la commune de La Grand-Combe. Mairie de La Grand-Combe. 23. A ce sujet voir LIVET. Op. cit. pp. 29 et 30. 24. TABLEAU DE LA POPULATION/PRODUCTION DE CHARBON DANS LA COMMUNE DE LA GRAND-COMBE (1836-1946): La production de charbon La population. 1836 35.250 tonnes 1840 109.000 t 1845 294.800 t 3.545 h 1846 4.011 h 1850 217.900 t 1851 4.730 h 1855 359.856 t 1856 6.315 h 1860 418.281 t 1861 475.000 t 7.780 h 1865 512.490 t 1866 491.000 t 9.367 h 1872 525.000 t 8.872 h 1876 575.000 t 10.152 h 1886 11.341 h 1891 960.000 t 13.141 h 1921 11.232 h 1926 12.378 h 1931 12.116 h 1936 12.343 h 1946 1.200.000 t 14.165 h Source: A) TURPIN. Op. cit. p. 4. B) Dénombrements de la population Département du Gard. Etat Nominatif des Habitants de la commune de La Grand-Combe 1846 à 1946. Mairie de La Grand-Combe. 25. Expression de l'un de nos interlocuteurs, M. Wiénin. 26. Voir à ce sujet: LAMORISSE. Op. cit. Deuxième Partie. pp. 71 à 315. 27. A ce sujet voir LAMORISSE. Ibidem. pp. 206 et 207. 28. Le meilleur analyse de ce thème reste TREMPE, Rolande. "Du paysan mineur à l'ouvrier mineur: formation d'une main-d'oeuvre industrielle". In: TREMPE. Op. cit. Deuxième Partie. La Prolétarisation des Mineurs. Chapitre II. Tome 1. pp. 189 à 253. Nous reviendrons à ce sujet dans le Chapitre 4. 29. Article de Raymond AUBARET. "Paysans et Mineurs Cévenols". Paru dans "Le Pays Cévenol et Cévennes". Nov. 1982. 30. La famille paysanne cévenole est du type famille élargie: "la cellule humaine de base dans la vieille Cévenne est la famille qui s'étale sur plusieurs générations. (...) Ce groupe humain de base que constitue la famille élargie occupe un espace privilégié qui est l'exploitation proprement dite. Il en est soit propriétaire, un membre de la lignée ancestrale en ayant fait l'acquisition, soit fermier ou métayer. L'exploitation regroupe plusieurs parties plus ou moins aménagées. Il y a tout d'abord l'espace bâti, généralement appelé 'mas', comprenant des locaux à usage d'habitation et des locaux à vocation agricole pour abriter le bétail, les récoltes, le matériel. (...) L'exploitation comprend ensuite les surfaces cultivables (...). Le groupe des anciens se compose des ascendants directs ayant toujours vécu sur la propriété et des collatéraux restés célibataires, souvent pour ne pas engendrer de progéniture afin de limiter les partages et conserver le patrimoine intact". Cf: TRAVIER, Daniel. "Technique et vie quotidienne". In: JOUTARD, PH. (Sous la Direction de). Les Cévennes de la montagne à l'homme. Toulouse, Privat, 1979. pp. 164 à 167. 31. Cf. LAMORISSE. Op. cit. p. 209. 32. Ibidem. p. 150. D'ailleurs, cet auteur a remarqué que le va-et-vient entre la petite polyculture de montagne et la mine a condamné ces travailleurs a un genre de vie qui paralyse la promotion sociale: "un paysan qui vivote à l'abri d'une législation protectionniste, un ouvrier qui n'est qu'un manoeuvre, certes mieux payé qu'un journalier agricole, mais dont l'avenir professionnel est entravé par de bien faibles chances, voire l'impossibilité d'acquérir une qualification". Ibidem. p. 209. 33. "Il n'y a donc eu aucune co‹ncidence entre l'exode rural cévenol et les besoins de l'entreprise en ouvriers. La dépopulation du milieu rural ne va s'accélérer qu'à partir des années 1880, mais elle viendra trop tard pour les mines de La Grand-Combe puisque c'est vers 1880-1890 que commence pour elles la période cruciale au cours de laquelle cette main-d'oeuvre est trop abondante". GAILLARD. Op. cit. p. 119. 34. Sur les principes juridiques et sociales qui déterminent la situation (droit et limites) des étrangers aux XIXe siècle, nous suggérons l'analyse de, NOIRIEL, Gérard. Le Creuset Fran‡ais. Histoire de L'immigration XIXe-XXe siècles. Paris, Seuil, 1988. Chapitre 2: "La Carte et Le Code". p. 69. 35. PUECH. Op. cit. Tome II. p. 65. 36. Ibidem. p. 65. 37. Cf. PUECH. Op. cit. Tome I. p. 109 et Tome II. pp. 65 et 66. 38. Voir Annexe 3: Recensement de la population 1851 et 1866. 39. Quoique le terme "immigration" pour identifier les étrangers soit présente dans la littérature juridique et sociologique à partir de la IIIe République en France, nous l'utilisons ici comme synonyme, malgré la décalage d'époque. A ce sujet voir NOIRIEL. (1988). Op. cit. pp. 78 à 124. 40. "Mais un des cas les plus intéressants est sans doute celui de la Compagnie des Mines de la Grand-Combe. Elle conn–t dès ses débuts les plus grandes difficultés de recrutement. Dès 1840, elle fait appel à des Piémontais, puis à des mineurs du Forez; en 1842 et 1843, ce sont des houillers de Saôneet-Loire qui s'installent; en 1846 des ouvriers venus de la M–re, en 1847 enfin elle s'adresse à la Belgique. La xénophobie des travailleurs fran‡ais dispersera, lors des troubles de 1848, la petite colonie des 300 étrangers, et, dès lors, la Compagnie recrutera sur le Massif central concurremment avec les mines de la Loire, non sans avoir tenté, pour résoudre la pénurie de main-d'oeuvre, d'acclimater, en 1862, des ouvriers cotonniers chassés de la région rouennaise par la crise (Note 2). Les essais d'implantation 'd'étrangers' ne paraissent guère avoir été plus heureux à la Grand-Combe qu'à Carmaux". (Note 2: Cie. de la Grand-Combe, 2. vol. dactylo., 1901, Bibliothèque Ecole des mines, Paris, vol. II, p. 281. et B. GILLE, dans l'Histoire de la Maison Rothschild Paris, 1965, tome I, 493 p., souligne la pénurie d'ouvriers dont la Grand-Combe souffrit durant ces années et il cite une lettre o— la Direction fait état du recours à la maind'oeuvre étrangère, p. 388). Selon, TREMPE. (1971). Op. cit. Tome I. p. 168. 41. Comme le démontre Lamorisse par rapport l'origine géographique des ouvriers: ORIGINE: 1888-90 1898-1900 1908-10 La Grand'Combe 23 (34,7%) 65 (42,7%) 87 (44,2%) Communes voisines 25 (37,9%) 46 (30,2%) 66 (33,5%) Hautes terres du Plateau Central 16 (24,4%) 39 (25,6%) 38 (19,3%) Garrigues/plaines du Bas-Languedoc 2 2 3 Ailleurs 3 Total 66 152 197 Source: LAMORISSE. Op. cit. p. 206. 42. "L'enracinement est peut-être le besoin le plus important et le plus méconnu de l'âme humaine...". In: WEIL, Simone. "L'enracinement". Paris, Gallimard, 1949. p. 61. 43. "Il faut en somme admettre que ce pouvoir s'exerce plutôt qu'il ne se possède, qu'il n'est pas le 'privilège' acquis ou conservé de la classe dominante, mais l'effet d'ensemble de ses positions stratégiques - effet que manifeste et parfois reconduit la position de ceux qui sont purement et simplement, comme une obligation ou une interdiction, à ceux qui 'ne l'ont pas'; il les investit, passe par eux et à travers eux; il prend appui sur eux, appui à leur tour sur les prises qu'il exerce sur eux". In: FOUCAULT, Michel. Surveiller et punir. Naissance de la prison. Paris, Gallimard, 1975. "D'abord le pouvoir (chez Foucault) n'est pas seulement répression et interdiction, il est aussi incitation au discours et production de savoir; en second lieu, comme l'indique également Barthes, le pouvoir n'est pas un, n'est pas massif, n'est pas un processus unidirectionnel entre une identité qui commande et ses propres sujets". Foucault nous a obligé à revoir "en même temps que la notion de pouvoir, celle de l'initiative politique. (...) Le fait est que dans cet enchevêtrement de problèmes se profilent de nouvelles notions de pouvoir, de force, de bouleversements politiques et d'ajustements progressifs à travers de lents glissements périphériques, dans un univers sans centre, où tout est périphérie et o— rien n'a plus de 'coeur'". In: ECO. Op. cit. pp. 333 à 354. 44. Nous suivons ici Pierre Bourdieu pour qui l'habitus est "un système de dispositions durables et transposables qui, intégrant toutes les expériences passées, fonctionne à chaque moment comme une matrice de perceptions, d'appréciations et d'actions". BOURDIEU, Pierre. Esquisse d'une théorie de la pratique. Genève-Paris, Droz, 1972. p. 178. 45. FREY. Op. cit. p. 60. 46. Assemblée Générale du 28 mars 1847. Rapport des gérants sur l'exercice 1846. In: PUECH. Op. cit. Tome II. pp. 49 à 51. 47. Nous avons déjà expliqué ce concept. En outre: Dans ce cas, le groupe domestique est l'unité de production et, de génération en génération, cette maison doit être transmise dans sont intégrité. Un système de parenté où le plus âgé des parents détient l'autorité. C'est, selon Segalen, la "famille-souche" ou une forme de "grandes familles". Cf. SEGALEN. (1981). Op. cit. pp. 38 et 39. 48. Le concept de famille nucléaire ou conjugale apparaît avec les thèses qui analysent les changements survenus dans la société occidentale dans le contexte de l'industrialisation. La théorie de Talcott Parsons, par exemple, définit la famille contemporaine avec les traits structurels suivants: "(...) c'est une famille nucléaire ou conjugale, relativement isolée de la parenté large, sa résidence est néolocale, elle est basée sur un système bilatéral de parenté et repose sur le mariage, ses valeurs sont orientées vers la rationalité. Enfin, elle différencie fortement les rôles des sexes et des générations". In: MICHEL, Andrée. Sociologie de la famille et du mariage. Paris, PUF, 1972. pp. 82 à 90. En outre, la société industrielle introduit, selon Segalen, une coupure fondamentalement nouvelle entre lieu de résidence et lieu de travail. Cependant, "lorsque le groupe domestique cesse d'être un groupe de production, devient-il forcément nucléaire? Le schéma évolutionniste qui lie industrialisation et 'nucléarisation' du groupe domestique est mal fondé". Cf: SEGALEN. (1981). Op. cit. pp. 46 et 221. Nous utilisons le concept de famille nucléaire tout en prenant en compte l'existence des liens familiaux plus larges. La conception de nucléarisation familiale selon la théorie parsonnienne nous limite à une structure précise, surtout parce qu'elle ne tient pas compte du rôle joué par la parenté en son sein. Michael Young et Peter Willmott, en analysant le cas d'un quartier ouvrier (Bethnal Green, 1950-55) à l'Est de Londres, ont observé que "la famille nucléaire" n'était, apparemment, pas isolée. La famille étendue constituait l'unité de vie sociale la plus importante - chez les gens, dans les pubs, dans les rues - et apportait un système informel d'entraide à grande échelle. Ils abordent le système de parenté comme un processus dynamique et c'est par le biais des rapports sociaux, ainsi actualisés pour parler de notre société, qu'ils appellent de "famille élargie". In: YOUNG et WILLMOTT. Op. cit. A ce propos, Segalen observe également: "On peut en effet résider dans un ménage restreint aux parents et aux enfants non mariés et cependant s'inscrire dans un tissu familial qui remplit bien des usages assignés au ménage élargi". In: SEGALEN. (1990). Op. cit. p. 44. 49. Selon Sennet: "Les paternalistes des grandes entreprises tentèrent d'unir symboliquement famille et travail en s'offrant eux-mêmes comme images d'autorité. Leur but, en agissant ainsi, était d'obtenir une communauté cohérente et, grâce à cette communauté stable de travail, une productivité supérieure" (...) "les allusions à la famille constituent des tentatives pour rendre ces contacts personnels chaleureux, au lieu d'en faire une question de piété ou d'agressivité partagée. La métaphore choisie vise à l'intimité. Le pathétique de cette quête d'une image d'autorité personnelle, c'est que son projet est dénaturé par les caractères de la puissance économique qui la détermine". In: SENNET, Richard. Autorité. Paris, Fayard, 1981. pp. 94 et 107. (1e édition: Authority. 1980). 50. Assemblée Générale du 10 mai 1857. Rapport a L'Assemblée Générale, exercice 1856. In: PUECH. Op. cit. Tome II. pp. 270 à 278. 51. GAILLARD. Op. cit. p. 136. 52. Assemblée Générale du 28 mars 1847. Rapport des gérants sur l'exercice 1846. In: PUECH. Op. cit. Tome II. pp. 49 à 51. 53. GAILLARD. Op. cit. p. 128. 54. Une politique très vite réussie, puisque la courbe migratoire baissera dès les années 1860 grâce à l'augmentation des naissances. Cf: LAMORISSE. Op. cit. p. 132. 55. Conseil d'Administration de 1863. In: GAILLARD. Op. cit. p. 124 et 125. Outre le travail payé à la tâche, une politique de compensations est développée à travers divers types de primes (rendement, fonction, situation, panier, poste, ancienneté, complément de salaire à la tâche, de production, prime de SainteBarbe, etc.). En ce qui concerne les modes de rémunération voir: FAVEDE. Op. cit. p. 54. 56. Assemblée Générale du 28 mars 1847. Rapport des gérants sur l'exercice 1846. In: PUECH. Op. cit. Tome II. pp. 49 à 51. 57. FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 90. 58. "Voici la liste des maires qui se sont succédé depuis la fondation de la ville: 1º) THIBAUDET Claude de 1/1/1847 au 28 mai 1848, suivi de LARGUIER Joseph, Adjoint faisant fonction de Maire du 3O/5/l848 au 10 juin 1848. 2º) VEYVIALLE Barthélémy-Antoine, 12/6/1848 au 11/4/1850. Suivi de LARGUIER Joseph, Adjoint faisant fonction de Maire du 12/4/1850 au 1/6/1850. 3º) BEAU Fran‡ois-Pierre, Mairie, 4/6/l85O au 2O/12/l863. 4º) TABARE Fran‡ois-Thomas-Zéphirin, 21/l2/l863 au 7/3/l868. et LARGUIER Joseph, Adjoint faisant fonction de Maire, du 7/3/1868 au 27/4/l868. 5º) GRAFFIN Louis-Christian-Emile, 28/4/l868 au 4/5/l898 et BARRY Joseph, Adjoint faisant fonction de Maire, 6/5/l898 au 17/6/1898. 6º) DARODES Georges, 2O/6/l898 au 8/9/l908. 7º) MAZODIER Joseph, 11/9/1908 au 9/l2/l919. 8º) DEJEAN Charles, 10/12/1919 au 24/8/1922 TROUSSIER, Félicien, adjoint faisant fonction de Maire, 25/8/1922 au 16/10/1922 9º) ROUSSEL Alphonse, 16/10/1922 au 14/5/1925 10º) DAUDE Adolphe 17/5/1925 au 11/5/1929 (Maire socialiste) 11º) BERNADOU Fran‡ois 16/5/1929 au 17/5/1935 (Maire de droite, médecin des mines). 12º) SOUSTELLE Germain, 18/5/1935 au 17/3/1941 (Maire socialiste). 13º) THOMAS Auguste, 19/3/1941 au 25/7/1944 (gouvernement de Vichy). SERPENTIER Joseph, Adjoint faisant fonction de Maire 1/8/1944 au 20/8/1944. 14º) ROUVIERE Roger: a) Président du CLN, 24/8/1944 au 6/11/1944; b) président de la délégation spéciale, 7/11/l944 au 17/5/1945; c) Maire communiste , 2O/5/l945. 15º) M. SOUSTELLE. De 1947 à 1965, Maire socialiste. 16º) M. LARGUIER. De 1965 à 1989. Maire socialiste". In: LIVET. Op. cit. p. 35. 59. Selon M. André MICHEL (ancien correspondant de presse pour le Journal Régional Midi Libre) dans une lettre envoyé avril 1991. 60. Nous avons observé que cette réalité a connu des refus de la part des ouvriers qui ont pu les exprimer pendant les événements de 1848, période de conflits sociaux où ils ont protesté contre la concentration du pouvoir municipal entre les mains du Directeur des Mines. 61. FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 54. 62. "La ville de La Grand'Combe, ne prit son 'autonomie' qu'en 1920 en s'installant dans un bâtiment dévolu à jouer le rôle de Mairie. Jusque là, La Grand'Combe, ville-usine, dépendait totalement de la Compagnie dont les destinées n'étaient pas séparées". In: TURPIN. Op. cit. p. 14. 63. Tout au début, pour participer aux offices religieux, la population était obligée de se rendre aux villes voisines de Salles-du-Gardon, Portes et Laval, ou d'y assister dans la chapelle aménagée à cet effet par la Compagnie dans l'atelier de La Frugère au milieu des bâtiments de réparation de matériel. D'autres chapelles sont aussi provisoirement ouvertes à La Levade, à Champclauson et à Trescol. Pour changer ce cadre, la Compagnie a mis en oeuvre son projet d'érection d'une grande église au centre-ville et d'un presbytère. L'église devait apporter "aux ouvriers un certain réconfort spirituel dans un métier qui n'est pas facile à exercer quotidiennement". In: GAILLARD. Op. cit. p. 123. 64. PUECH. Op. cit. Tome II. p. 273. 65. En 1863, M. Léon Talabot est décédé. M. Beau devient le Directeur Général et M. Graffin le Directeur d'Exploitation des Mines à La Grand-Combe. In: PUECH. Op. cit. Tome II. pp. 281 et 282. 66. Rapport du Conseil d'Administration. Année 1864: "Inauguration de L'Eglise de Notre-Dame de La Grand'Combe". In: PUECH. Op. cit. Tome II. pp. 283 à 288. Voir aussi: PACZKOWSKI et VIELZEUF. Op. cit. p. 144. 67. "Système d'idées et de valeurs qui a cours dans un milieu social donné". In: DUMONT. (1983). Op. cit. p. 19. 68. Ce que Gaillard a défini comme un "rôle d'agent recruteur de l'entreprise". GAILLARD. Op. cit. p. 133. Voir aussi p. 149. 69. Cf. FLECHON. Op. cit. p. 54. 70. Sur les lieux de culte protestant et le rôle des pasteurs, voir PACZKOWSKI et VIELZEUF. Op. cit. p. 145. 71. LAMORISSE. Op. cit. p. 207. 72. Selon les informations que nous trouvons dans le travail de Puech, celle-ci était dirigée par des instituteurs la‹ques (un couple) mais qui, pour mauvais traitements envers les élèves, ont été renvoyés et remplacés par d'autres la‹ques. In: PUECH. Op. cit. Tome I. p. 150. 73. En 1901, le nombre des Soeurs à La Grand-Combe était de 14 et elles assuraient les écoles, les asiles (maison Zozan dans le quartier de la Verrerie à La Grand-Combe et l'asile de Champclauson), les hôpitaux et les visites à malades à domicile. Cf. PUECH. Op. cit. Tome I. p. 156. 74. COMPAGNIE DES MINES DE LA GRAND-COMBE (1836-1936). LIVRE D'OR. Op. cit. Section: "Sur les oeuvres d'assistance sociale". p. 35. Voir aussi: PUECH. Op. cit. Tome I. pp. 155 et 156. 75. "Le Traitement des Instituteurs a été à la charge de la Compagnie jusqu'au lø juillet 1884, époque à laquelle l'Administration de l'Instruction publique du Gard les prit à sa charge". In: PUECH. Ibidem. p. 153. Voir aussi: PACZKOWSKI et VIELZEUF. Op. cit. p. 143. 76. La loi de 1881-82 (loi Jules Ferry pendant la IIIe République) créa un enseignement primaire gratuit (loi du 16 juin 1881), la‹que et obligatoire (loi du 28 mars 1882). 77. Cf. PUECH. Op. cit. Tome I. p. 221. Voir aussi: PACZKOWSKI et VIELZEUF. Op. cit. p. 143. 78. PUECH. Op. cit. Tome I. pp. 150 à 155. 79. Ibidem. pp. 154 et 157. 80. Article 14 du service de l'instruction, chapitre III du Règlement de la Caisse de Secours. 81. Les salariés de la Compagnie qui s'occupent de l'enseignement totalisent en 1.899, 14 Soeurs, 11 Frères et 2 aides la‹ques à La Grand-Combe; 5 Soeurs, 4 Frères et 2 aides laïques à Trescol et à La Levade; 6 Soeurs, 4 Frères et 1 aide la‹que à Champclauson; 3 Soeurs et 3 Frères au Pradel. De plus, les instituteurs titulaires laïques de Trescol et de la Frugère, de même que les instituteurs adjoints, touchent un supplément de rémunération de 300F par an. 82. COMPAGNIE DES MINES DE LA GRAND-COMBE (1836-1936). LIVRE D'OR. Op. cit. Section: "Sur les oeuvres d'assistance sociale". p. 35. 83. FREY. Op. cit. p. 109. 84. Sur le contenu de l'enseignement voir: A) GAILLARD. Op. cit. p. 130. B) PACZKOWSKI et VIELZEUF. Op. cit. pp. 143 et 144. 85. GAILLARD. Op. cit. p. 130. 86. PUECH. Op. cit. Tome I. p. 167. 87. "(...) le maintien des bas prix des denrées en supprimant les moyens bénéficiaires inhérents au commerce libre (...) donne à la Compagnie du poids (...) pour ne pas augmenter les salaires au même rythme que les autres industries locales, puisque le coût de la vie est moindre à La Grand-Combe que, par exemple à Alais, où les économats n'existent pas. Mais l'on constate aussi que, si les économats offrent des marchandises à des prix très voisins des prix de gros, ils s'attachent à éviter au maximum les fluctuations des vivres". In: GAILLARD. Op. cit. p. 111. 88. Cf. PUECH. Op. cit. Tome I. p. 166. 89. A crédit avec inscription sur livret individuel et retenue sur la paie. Selon Puech, cela concerne les systèmes de "ventes à crédit aux moyens de livrets personnels, mais pour la maison Santet la Compagnie retenait aux débitants à chaque mois sur leur salaire le montant des marchandises prises le même mois, au moyen des Etats dressés par ses employés, sans que la Compagnie garantisse les dettes de ses ouvriers, mais aussi sans que la maison Santet eût aucune subvention à payer à la Compagnie pour le surcroît de travail occasionné par ces retenues dans les bureaux de la Comptabilité. Ceux des ouvriers et employés qui désiraient payer comptant étaient admis à se libérer". In: PUECH. Op. cit. Tome I. p. 166. 90. Statuts. Société Grand'combienne d'Alimentation. Société Anonyme Coopérative à Personnel et à Capital variables. Titre I, Art. 3. 91. Statuts. Société Grand'combienne d'Alimentation. Société Anonyme Coopérative à Personnel et à Capital variables. Titre IV, Art. 23. 92. Comme suit: - "Aux familles dont plusieurs membres travaillent à la Compagnie: 75 Kg; - Si un seul membre est ouvrier: 5O Kg; - Aux ouvriers vivant seuls: 25 Kg". In: FAVEDE. Op. cit. p. 65. 93. "D'abord de la chatille; puis, plus tard, des briquettes ordinaires, de 10 Kg. Pas celles gravées d'une ancre marine, d'excellente qualité. Celles-ci sont réservées à la vente". Cf. PACZKOWSKI et VIELZEUF. Op. cit. pp. 159 et 16O. 94. "L'un des buts de la grève déclenchée par les ouvriers en décembre 1881 fut justement d'obtenir que tous les travailleurs, sans aucune distinction, bénéficient du chauffage gratuit et cette revendication sera accordée lors du compromis élaboré à la fin du conflit". GAILLARD. Op. cit. p. 114. 95. PACZKOWSKI et VIELZEUF. Op. cit. pp. 159 et 16O. 96. D'ailleurs, après les conflits sociaux de 1848, ces services ont été renforcés. In: PUECH. Op. cit. Tome I. p. 162. 97. Lettre envoyé par la sous-préfecture d'Alais au Maire de La Grand-Combe le 13 mars 1849. In: PUECH. Op. cit. Tome I. pp. 161 et 162. 98. PUECH. Op. cit. Tome I. p. 162. 99. PUECH. Ibidem. Tome I. p. 164. 100. "Outre le logement, la Compagnie donne le terrain pour des jardins potagers et accorde le chauffage domestique, bois et charbon à tous les hommes des deux brigades". In: PUECH. Ibidem. Tome I. p. 165. 101. Revoir ici sur le concept de "ville politique" l'annexe 2. 102. Comme elle le revendique dans le "Livre d'Or" à l'occasion de son centenaire. In: COMPAGNIE DES MINES DE LA GRAND-COMBE (18361936). Livre d'Or. Op. cit. pp. 33 et 34. 103. Alors que la loi ouvrière (sous la IIIe République) ne fut voté qu'en 1883: "caisse de secours et prévoyance en faveur des ouvriers mineurs" (1883), "caisse de retraite en faveur des mineurs" (1883). 104. GAILLARD. Op. cit. p. 118. 105. Puech explique ainsi son fonctionnement: "elle était régie par un règlement qui portait la retenue sur tout le salaire du personnel à raison de 2,5% et sur le produit des amendes pour infractions à la discipline". In: PUECH. Op. cit. TOME I. p. 194. 106. Cf: A) PUECH. Ibidem. pp. 217 et 218. B) GAILLARD. Op. cit. pp. 101 et 102. 107. GAILLARD. Op. cit. pp. 149 et 150. 108. PUECH. Op. cit. Tome I. p. 197. 109. Règlement de la Société de Prévoyance. Mines de La Grand'Combe. Article 30. 1891. p. 13. Voir aussi GAILLARD. Op. cit. pp. 100 et 150. et PUECH. Op. cit. Tome I. pp. 194 à 197. 110. PUECH. Op. cit. Tome I. p. 196. 111. Le Conseil d'Administration était ainsi composé: Le Président du Conseil d'Administration de la Compagnie, Président d'honneur; Le Directeur Général de la Compagnie - Président; Le Directeur de l'Exploitation - vice-président; Le Chef du Service de Comptabilité - secrétaire; Les sous-ingénieurs des mines; Les sous-ingénieurs des agglomérés; L'ingénieur mécanicien; Le gardemagasin en chef; Les maîtres mineurs; Les chefs adjoints au service des places de triage et de la fabrique du coke; Trois surveillants de l'extérieur; Un mineur pour 100 ouvriers de l'intérieur; Un ouvrier de l'extérieur pour 2OO ouvriers de l'extérieur; Pour calculer le nombre de délégués ouvriers, on tiendra compte des journées de travail aux chantiers, quel que soit l'âge des ouvriers. In: Règlement de la Caisse de Secours. Article 3, du chapitre II: Gestion et Administration de la Caisse de Secours Mutuels. 112. PUECH. Op. cit. Tome I. p. 202. 113. "En cas de départ pour un motif quelconque, ou d'absence au travail pendant plus de quinze jours consécutifs" (grèves, par exemple) "pour tout motif que la Compagnie ne reconnaîtra pas valable, le remboursement des versements sera fait à l'ayant-droit sur le pied des trois cinquièmes (3/5) du montant des retenues, sans intérêts, et il perd tous les avantages que lui conféraient ses années antérieures de service. Les autres deux cinquièmes (2/5) resteront acquis à la Société de Prévoyance pour représenter les avantages que le sociétaire en a retirés pendant son temps de service". Règlement de la Société de Prévoyance. Mines de La Grand'Combe. Article 39. 1891. p. 15. (Marseille. Typographie et Lithographie Barlatier et Barthelet). En outre, selon Gaillard "(...) on vise à dissuader l'ouvrier de recourir à la grève car, si celle-ci dure plus de quinze jours, il perd le bénéfice de ses cotisations et n'a plus droit à la pension de retraite ce qui, après des années de versement pris sur un salaire modeste, est un sacrifice que beaucoup hésiteront à faire. C'est donc là une très nette forme de contrainte vis-à-vis d'une main-d'oeuvre qui refuserait de se plier aux règles de discipline voulues par l'entreprise, règles parmi lesquelles le non-recours à la grève, c'est-à-dire à la lutte des classes, occupe une place de choix". GAILLARD. Op. cit. pp. 148 et 149. 114. Dans le cas d'un accident de travail, pour l'ouvrier marié, ce secours est augmenté de "vingt centimes pour sa femme et chacun de ses enfants au-dessous de douze ans ne travaillant pas... ". Règlement de la Société de Prévoyance. Mines de La Grand'Combe. Article. 24, p. 11. 115. "Ainsi l'épargne scolaire et l'accession à la propriété foncière et immobilière, non seulement pour les employés - dont l'attitude est censée ouvrir la voie à la généralisation de cette politique - mais également pour les ouvriers, correspondent-elles à la reprise en main de l'économie de la ville par le patronat". In: FREY. Op. cit. p. 108. 116. Dans le cas de blessure au travail, les secours étaient ainsi définis:- " Si le blessé n'entre pas à l'hôpital: 0F50 par jour pendant la première quinzaine; 1F pendant la deuxième quinzaine; 1F50 pendant la troisième quinzaine et les suivantes. - Il pourra, de plus, lui être alloué, suivant l'état de ses ressources et celles de la Caisse, s'il est marié, 0F50 pour sa femme, et 0F25 pour chacun de ses enfants au-dessous de douze ans, sans que le secours mensuel puisse dépasser 65F. - Une femme ou un enfant, travaillant dans les chantiers de la Compagnie, reçoit, en cas de blessure prise au chantier une pension équivalente à son salaire." Règlement de la Caisse de Secours. Mines de La Grand'Combe. Délibération du 7 mai 1854. 117. "Cet prêt fut fixé à 140.000F par délibération du 9 février 1868, remboursable en 43 années au moyen d'un intérêt de 5% et par le remboursement d'un capital de 1.400F par an rapportant 3% d'intérêt". In: PUECH. Op. cit. Tome I. p. 2O2. 118. Cf. GAILLARD. Op. cit. p. 102. 119. "1e) (...), c'est-à-dire que pour tout appointement ou salaire mensuel dépassant 200F, la retenue de 1% ne sera pas per‡ue sur l'excédent. Pour les ouvriers, la retenue de 1% sera per‡ue sur la journée moyenne du chantier auquel ils appartiennent, sans tenir compte des bénéfices qu'ils peuvent faire sur leurs manoeuvres et apprentis. 2ø) Par une allocation faite par la Compagnie, à titre gracieux, à une somme égale, chaque année, à 1% des bénéfices distribués aux actionnaires". Statut de la Caisse de Retraite des Employés et Ouvriers des Mines de La Grand-Combe. Chapitre I. Article 2. In: PUECH. Op. cit. Tome I. p. 239. 120. PUECH. Op. cit. Tome I. p. 199. 121. Règlement de la Société de Prévoyance. Mines de La Grand'Combe. 1891. Article 35. p. 15. 122. Cf. Gaillard: "Les deux caisses, nous l'avons dit, fonctionnent séparément. Cela durera jusqu'au 31 décembre 1890. A cette date, la caisse de secours et la caisse de retraites ont fusionné dans une "société de Prévoyance", fusion dont le but est d'aller au-devant des projets de loi sur les 'caisses de secours et de retraite des ouvriers mineurs', alors en discussion à la Chambre, et d'éviter que la Grand-Combe ne tombe sous le coup de cette loi". GAILLARD. Op. cit. p. 107. 123. GAILLARD. Op. cit. pp. 290 et 291. 124. FREY. Op. cit. pp. 107 et 108. 125. COMPAGNIE DES MINES DE LA GRAND-COMBE (1836-1936). Livre d'Or. Op. cit. p. 34. 126.La forme d'épargne mise en place pour les ouvriers et employés permet des applications ou dépôts allant de 25F à 10.000F et bénéficiant d'un taux d'intérêt de 5%. En 1884, le nombre des déposants s'élevait à 1.029, avec un capital de 1.820.847,50F. La Compagnie réduit alors les 5% accordés à son personnel. Cette baisse du taux d'intérêts va lui permettre de conserver ce capital, puisqu'en 1886 il sera de 1.850.253,10F, valeur qui ne cessera d'augmenter jusqu'en 1893, époque qui va être marquée par des problèmes de marché du charbon et par la mobilisation politique des ouvriers (grèves). A partir de cette année-là, les taux d'intérêts vont encore diminuer. Il est d'abord fixé à 3% pour toutes les sommes en dépôt et, après les grèves de 1897, à 2,5%. Le nombre des déposants diminuera en conséquence, tombant en 1899 à 850. In: PUECH. Op. cit. Tome I. pp. 189 et 191. 127. "Ces sommes sont remises aux Soeurs supérieures des trois établissements de La Grand-Combe, de La Levade et de Champclauson pour être distribuées par leurs soins et sur les listes qui re‡oivent l'approbation de la Direction pour ce qui concerne les vêtements et les étoffes. Quand à la partie espèces, elles n'ont pas à en rendre compte, si ce n'est que cet argent ne peut être distribué à d'autres qu'au personnel de la Compagnie". In: PUECH. Op. cit. Tome I. p. 169. 128. COMPAGNIE DES MINES DE LA GRAND-COMBE (1836-1936). Livre d'Or. Op. cit. pp. 38 et 39. 129. La Compagnie des Mines construit une salle de fêtes dans la rue de la Clède qui est démolie en 1954. Dans cette salle, chaque année avaient lieu des représentations théâtrales, fêtes de fin d'année des écoles, une représentation ou 2 de la Pastorale Proven‡ale (naissance de Jésus) par les associations catholiques, les bals annuels des associations, la réception annuelle de fin d'année des directeurs de la Compagnie des Mines. (Selon M. André Pezon, notre interviewé). 130. PACZKOWSKI et VIELZEUF. Op. cit. p. 163. 131. PUECH. Op. cit. Tome I. p. 174. 132. Sur les habitudes alimentaires des mineurs à La Grand-Combe selon Flechon (vers 1927-30): "Les ouvriers vivaient un cran au-dessous, se nourrissant de grosse miches de pain, très peu de viande de boucherie, le lapin, le poulet et le porc d'élevage familial étant cependant en honneur; beaucoup de soupes à la mode paysanne, le morceau de viande ou de couenne de porc qui les parfumaient, étant réservés pour le cabas du père, le lendemain matin; beaucoup de châtaignes blanches, séchées sur les 'clèdes' qui constituaient souvent l'essentiel du repas du soir et du petit déjeuner des enfants; et du fromage de chèvre, les fameux 'pélardons' si savoureux achetés à La Grand-Combe lors des grands marchés du mercredi et du samedi." In: FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 90. 133. Sur le rôle des jardins voir: A) Le point de vue du ingénieur de mines Simonin: "(...) Le mineur, par quelques-unes des qualités qui le distinguent, par le milieu dans lequel il est né et il vit, par la nature de son travail, se rattache aux populations agricoles; il aime à fouiller la terre après avoir fouillé la houille. Le plus souvent, dans son village, il a travaillé aux champs étant jeune, et il retrouve dans la culture de son potager quelques-unes de ses habitudes passées. Au temps des récoltes, il est même très difficile de le retenir. Volontiers il s'échappe de la mine pour aller faire la moisson ou prendre part à la vendange; mais c'est là sa seule école buissonnière". In: SIMONIN, Louis. La vie souterraine. Les mines et les mineurs. Paris, Ch. Lahure, 1867. Seyssel, Champ Vallon, 1981. p. 262. B) Ce qui Noiriel appel des formes non monétaires du sursalaire, "rendant quasiment obligatoire, pour une famille ouvrière, l'exploitation d'un jardin, voire d'un champ. Le recours aux ouvriers-paysans et travailleurs immigrés mobiles constituant d'autres moyens de limiter les dépenses de formation et d'entretien de la main-d'oeuvre". In: NOIRIEL, Gérard. Les ouvriers dans la société française. XIXe-XXe. Paris, Seuil, 1986. p. 140. C) MURARD, Lion et ZYLBERMAN, Patrick. Le petit travailleur infatigable ou le prolétaire régénéré. Villes-usines, habitat et intimités au XIXe siècle. Fontenay-sous-Bois, (Recherches nø 25). 1976. pp. 169 à 174. D) WEBER, Florence. Le travail à-côté. Etude d'ethnographie ouvrière. Paris, INRA, Ed. EHESS, 1989. 207 p. 134. Selon Jeudy, les monuments historiques définissent un ordre symbolique du passé. In: JEUDY. Op. cit. p. 14. 135. FAVEDE. Op. cit. pp. 32 et 33. 136. "L'étude de la ville est une grande question d'histoire de la civilisation". In: MAUSS, Marcel. Manuel d'ethnographie. Paris, Payot, 1967. pp. 73 à 78. (1e édition 1947). 137. Décrire l'espace de production, la localisation des puits et des établissements industriels de la Compagnie des Mines de La Grand-Combe dépasse notre champ de recherche. A ce sujet, nous citerons: A) Inventaires Généraux des Concessions, matériels, immeubles, marchandises, etc., à la demande du Gouvernement le 23 ao–t 1853 et relaté dans le rapport de M. Dupont, ingénieur. In: PUECH. Op. cit. Tome II. pp. 238 à 254. B) GUIOLLARD, Pierre-Christian. En Cévennes, quand tournaient les molettes. Tarbes, Presses de Conseil Imprim, 1983. 169 p. 138. "Le pays, dans les régions strictement minières (la basse Cévenne ou la Cévenne noire), et, en liaison avec l'appréhension du passé, c'est avant tout la mine. Le pays est forgé par une histoire spécifique: celle de la mine et du dur travail, des accidents dans les galeries, celle des grèves et des guerres, celle des places de tri où les femmes et les jeunes filles, vêtues de noir, manipulaient avec rapidité le charbon défilant devant elles, histoires des réunions de cafés, des fêtes de la Sainte-Barbe (...)". In: PELEN, Jean-Noël. L'autrefois des Cévenols. Aix-en-Provence, Edisud, 1987. p. 71. 139. C'est d'ailleurs en référence à l'espace de travail que les acteurs sociaux les mineurs de charbon ou les gueules noires, comme les mineurs sont aussi nommés - habitants de la ville que nous voulons mettre en relief se "constituent" et s'identifient en tant que collectivité. 140. A titre de curiosité, M. Taurines et P. Cammarata suggèrent l'hypothèse d'une association galerie - construction, veine - habitat, ou plus largement la montagne et la construction: "Dans les villages situés autour de La GrandCombe (Champclauson, Trescol, La Levade, Branoux) pas ou peu de clôtures entourent les maisons, de sorte qu'on observe des villages sans limites, qui suivent, semble-t-il, les conformations des galeries. (...). Des plans apposés aux plans cadastraux, nous donnent les galeries effectivement, à peu près systématiquement situées parallèlement à l'habitat construit, ou plus exactement le positionnement de la construction est étroitement lié au chemin de la galerie souterraine. De sorte que certains villages ont une conformation, soit tout en longueur, soit tout en largeur avec des méandres liés aux bifurcations de galeries, manifestement avec un centre, que l'on retrouve à la surface; l'église, le bureau d'état-civil le plus souvent. Ce centre nous est apparu au moins une fois comme étant lié à la bifurcation de deux galeries ou bien situé au centre de deux chemins de galeries parallèles". Cf: TAURINES, Michèle et CAMMARATA, Pierre. Du savoir de la Mine en Cévennes. Manuscrit. Montpellier. Association Languedocienne de Recherches Ethnologique et Sociologique. Mars, 1988. pp. 3 et 4. 141. Un article de Raymond Aubaret, "Paysans et Mineurs Cévenols". Paru dans "Le Pays Cévenol et Cévennes". D'Alès - La Grand'Combe à Florac. Hebdomadaire Régional d'Informations d'Annonces Légales et Judiciaires agréé pour l'ensemble du département du Gard. Nov. 1982, confirme ceci: "Dans toutes les mines, particulièrement celles du centre et du Nord du bassin, où les chantiers étaient suffisamment rapprochés de la surface, les mineurs avaient la permission de sortir pour aller prendre leur repas de midi chez eux. Parfois c'était la femme ou les enfants du mineur qui leur apportaient le repas à l'entrée de la mine". En outre, quelques témoignages mentionnent le transfert de mineurs de leur unité de travail, (la Compagnie les déplaçait, elle les obligeait à parcourir de longues distances à pied pour se rendre à leur lieu de travail), forme de punition à laquelle ils pouvaient être soumis dans les périodes d'après-grève. 142. Ce que Noiriel appelle des formes non monétaires du sursalaire, "rendant quasiment obligatoire, pour une famille ouvrière, l'exploitation d'un jardin, voire d'un champ. Le recours aux ouvriers-paysans et travailleurs immigrés mobiles constituant d'autres moyens de limiter les dépenses de formation et d'entretien de la main-d'oeuvre". In: NOIRIEL. (1986). Op. cit. p. 140. 143. Gardon d'Alès en confluence avec le ruisseau dénommé "Sans Nom". 144. PACZKOWSKI et VIELZEUF. Op. cit. p. 21. 145. TREMPE. (1971). Op. cit. Tome. I. p. 262. 146. Voir Annexe 4: Recensement des habitations, ménages et individus par quartiers et hameaux en 1846. 147. A l'exemple de la politique foncière de MM. Schneider et Cie, au Creusot: "En effet, la possession du terrain à bâtir leur permet d'avoir l'exclusivité des décisions sur son usage. C'est important pour l'extension des usines, mais aussi pour développer une structure urbaine répondant à leurs objectifs et pour imposer par contrat aux acheteurs une réglementation très précise de la construction". In: DEVILLERS et HUET. Op. cit. pp. 75 et 76. 148. A titre d'exemple, en 1841, la Compagnie signe avec le constructeur des casernes "Elise", M. Bourdaloue, le traité suivant: "La Compagnie garantit au constructeur pendant 20 années la location à retenir aux ouvriers sur la base de 0,20F par mý et par mois et 0,80F en sus par cheminée, plus 1,20F par mois pour les pièces où se trouve des sous-pente'. Au bout de 20 ans la Compagnie était libre de racheter les casernes au prix coûtant déduction faite de la dépréciation qui serait évaluée par des experts. Dans un traité de 1844, M. Bourdaloue refait les toitures et élève les casernes d'un étage. La Compagnie s'engage à payer pendant 20 ans, jusqu'au 31 décembre 1864, une location annuelle de5.000F. De plus elle s'engage à rembourser la valeur des casernes faites en 1841, fixée à 10.000F payable par annuités de 500F à partir du 1º janvier du 1845. Et enfin, la Compagnie remboursait les dépenses qu'il allait faire pour la réfection de la toiture et l'exhaussement conformément au devis, une somme de 20.000F payable également par annuités de 1.000F à partir du 1º janvier 1845 pour l'amortissement. La Compagnie paye pendant 20 ans et les Casernes Elise deviennent leur propriété à l'expiration de cette période, le 31 décembre 1864". Cf: PUECH. Op. cit. Tome I. p. 110. A l'exemple du Creusot, on peut faire l'hypothèse suivante: en gardant la maîtrise des capitaux investis dans la construction par le biais de l'épargne et en codifiant les types de maisons, le principal souci du patronat fut de garder la maîtrise du processus d'urbanisation sans avoir à immobiliser une part importante de son capital. Nous suivons, ici, FREY. Op. cit. Partie II, Chapitre "C": pp. 181 à 191. A ce sujet, voir aussi: DEVILLERS et HUET. Op. cit. pp. 69 et suivantes. 149. Entre autres, citons, M. Thibaudet, ingénieur et directeur de l'exploitation à La Grand-Combe, avant 1849; M. Veyvialle, maire de La Grand-Combe (18481850); M. Bourdaloue, propriétaire de terres et entrepreneur; M. Larrieu, géomètre-en-chef; MM. Santet, les patrons des magasins-aux-vivres; M. Souleiret, entrepreneur de roulage à Champclauson; M. Gadilhe, vétérinaire à Alès; M. Trousselier, conducteur de travaux; M. Pralong, ingénieur; M. Marcoux, entrepreneur du mouvement des gares; M. Dupuy, ex-chef-de-gare à Alès; etc. 150. En 1866, une conduite d'eau potable est installée sur le terrain du chemin de fer entre La Levade et La Pise à La Grand-Combe (conformément au traité de 1866 entre la Compagnie des Mines de La Grand-Combe et la Compagnie des Chemins de Fer de Paris à Lyon), date à partir de laquelle la ville bénéficie de l'eau. Cf. PUECH. Op. cit. Tome I. 151. Seront filiales de la Compagnie des Mines de La Grand'Combe: 1) La Société Grand'Combienne d'Eclairage et d'Energie, fondée en 1909; 2) La Société Grand'Combienne de Distribution d'Eau, fondée en 1924; 3) Société Grand'Combienne d'Alimentation, etc. 152. Le "haut de la vallée de la Grand-Combe" se situe à une altitude d'environ 300 mètres, alors que la ville est bâtie en majeure partie sur des terrains compris entre 180 et 210 mètres. Cf. MARIETTE, Jacques. De l'abri du prolétaire au logement ouvrier. La Grand-Combe... Proposition pour un habitat social. Thèse 3ème cycle, PROMOCA - Bourgogne, Franche-Comte, Dijon 1979-1981. p. 48. 153. A l'époque de la fondation de la ville, on bâtit également sur le flanc de la montagne du Gouffre entre La Grand-Combe et Trescol tout proche du puits creusé - le puits du Gouffre 1. Un glissement de terrain en 1896, découragera l'exploitation minière et les constructions sur ce terrain. On ne rencontre de constructions qu'à partir de Trescol. 154. "Boulangeries, magasins de produits alimentaires, une fabrique de limonade, d'ustensiles de cuisine, boutiques de ferblanterie, de vitrerie, de vêtements et chaussures, d'horlogerie, une librairie, bureaux de tabac et cafés". In: PACZKOWSKI et VIELZEUF. Op. cit. p. 161. 155. Il semble que le cinéma à La Grand-Combe ait commencé vers 19091910, après l'installation de l'électricité avec "L'Exelcior" ou "Charlus". Vers 1910 le "Cinéma Coste" est installé au milieu de la rue Salavert (rue Pasteur) avec pour enseigne "Kinema Théâtre", dont la salle était aussi louée à la municipalité pour les réunions. Ce cinéma est devenu "Rialto" en 1935. Deux autres salles ont été ouvertes dans les années 20 à l'avènement du parlant, toujours dans la rue Salavert. D'abord le cinéma "Comédia" et puis le "Modern Cinéma" (aussi théâtre) qui fut le dernier a fermer en 1982. Dans les années 25-31 il existait aussi un cinéma muet ouvert le dimanche après-midi dans une salle des écoles des Frères des Ecoles Chrétiennes appartenant à la Compagnie des Mines. Après la Guerre de 39-45, d'autres cinémas ont été ouverts à la Villa Bechard, à La Levade, aux Salles-du-Gardon (salle paroissiale). Tous les cinémas ont fermé à l'avènement de la télévision dans la région. (Informations d'après notre interlocuteur M. André Pezon). 156. Célébration au poète le plus célèbre du "pays" dont le buste ornementa la place. Mathieu Lacroix, poète cévenol né à Nîmes le 12 avril 1819. Ouvrier ma‡on à La Grand-Combe, il y mourut le 13 novembre 1864. Un buste du poète est érigé sur la place qui porte son nom, inaugurée le 12 novembre 1899. Cf. PACZKOWSKI et VIELZEUF. Op. cit. Chapitre V, "Gloires Statufiées". p. 199. 157. Plus tard, ces terrains existant sur la colline d'Arboux ont été rachetés tantôt par des particuliers qui y construisent surtout des maisons privés et résidentielles, tantôt par la municipalité et les services H.L.M. Actuellement, celui-ci est le quartier résidentiel le plus cher et le plus ostentatoire de la ville. 158. Notes de M. Talabot. Cf. PUECH. Op. cit. Tome I. p. 140. 159. FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 19. 160. "Ainsi, dans les quartiers populaires, les fontaines publiques et plus tard les salles d'eau communes - phénomènes typiquement urbains - étaient jadis une occasion notoire d'échange social, de conversations entre voisins. C'est à ces moments-là qu'on prenait conscience d'intérêts communs, de problèmes qu'on partageait - et qu'on acceptait que la similitude de pratiques autour du foyer rapprochait les destinées malgré tout. Cela générait même des moments de vertige où les sentiments tant de haine que d'amour trouvaient l'occasion de se manifester avec violence et intensité - tant par la distribution de conseils que d'épithètes ou encore lors de conversations passionnées. Le repère spatial est ici précis - fontaine ou salle d'eau, lieu qui tisse des liens, en particulier entre femmes, dans un quotidien qui, pour la ménagère, était très dur - la 'fatigue indéfiniment recommencée' dont parle Beauvoir (in: Le deuxième sexe, 1949) et dont les instants d'échange étaient parmi les seuls pouvant lui donner un sens." In: NOSCHIS, Kaj. Signification affective du quartier. Paris, Librairie des Méridiens, 1984. p. 110. 161. PACZKOWSKI et VIELZEUF. Op. cit. p. 35. 162. BRILLARD, Laurent et LAVERGNE, Christian. L'habitat à La GrandCombe. Etude Socio-Economique 1987-1988. 138' promotion - 2ø année. Ecole Nationale Supérieure des Techniques Industrielles et des Mines d'Alès. Alès, avril 1988. p. 10. 163. PACZKOWSKI et VIELZEUF. Op. cit. p. 35. 164. Ibidem. pp. 35 et 148. 165. "Au siècle dernier une partie de la houille était transformée en coke dans des fours spéciaux, à Trescol et à La Grand'Combe. La production de coke qui était de 4.000 tonnes en 1841, de 75.000 en 1877, a été arrêtée à Trescol en 1888 (...). En 1911, toute fabrication de coke cesse à La Grand'Combe". In: Ibidem. p. 122. 166. "L'énergie motrice des installations, presque totalement électriques, est produite dans une centrale située à la Pise près des usines d'agglomération et du lavoir de La Frugère. Cette centrale a débuté en 1904, en remplacement de groupes électrogènes dispersés, dont les premiers avaient été installés dès 1895, et d'une petite centrale de 600Kws, édifiée à partir de 1898 près du puits du Petassas. Elle a subi depuis 1904 plusieurs rénovations qui l'ont tenue à hauteur des rapides progrès dans la production de l'énergie électrique". In: COMPAGNIE DES MINES DE LA GRAND-COMBE (1836-1936). Livre d'Or. Op. cit. p. 29. 167. "Le charbon est expédié à la clientèle par les embranchements de La Pise, sur la gare de La Grand-Combe, de Trescol sur la gare de La Levade, et du Mazel, tous situés sur la ligne de chemin de fer de Nîmes à Paris par ClermontFerrand, et par l'embranchement de Saint-Jean-de-Valériscle sur la ligne de Tarascon au Martinet. Les agglomérés sont expédiés par l'embranchement de La Pise sur la gare de La Grand'Combe". In: COMPAGNIE DES MINES DE LA GRAND-COMBE (1836-1936). Livre d'Or. Op. cit. pp. 28 et 29. 168. Voir Annexe 4. 169. Comme nous l'avons déjà signalé, en 1896, un important glissement de terrain se produisit sur la colline Le Gouffre où se localisait le puits du Gouffre nº 1 (entre La Grand-Combe et Trescol) . Ce sinistre n'a pas fait de victimes mais cette zone est restée dangereuse pour la construction. 170. PACZKOWSKI et VIELZEUF. Op. cit. p. 43. 171. Ibidem. p. 43. 172. Service de la comptabilité, construit en 1845. Cf: PUECH. Op. cit. Tome I. pp. 117 et 118. 173. PACZKOWSKI et VIELZEUF. Op. cit. p. 52. 174. Ibidem. p. 52. 175. "Lors des 'gardonnades' les ouvriers des Salles et de Branoux ne pouvaient accéder à leur chantier, à moins d'aller faire un très grand détour - à pied! - jusqu'au pont de Tamaris (Alès). Pour remédier à cet inconvénient la Compagnie construisit deux pont suspendus: le premier, (...) de La Levade aux Taillades; le second, dit du Riste, de La Pise aux Salles-du-Gardon". In: Ibidem. p. 55. 176. Cf. FREY: "(...) les espaces jouent un rôle dans la spécification des groupes sociaux". In: FREY. Op. cit. p. 21. En plus: Les conditions d'habitation diverses correspondent aux conditions objectives d'existence différentielles, qui "per‡us par des agents dotés des schémas de perception et d'appréciation nécessaires pour en repérer, en interpréter et en évaluer les traits pertinents. Elles fonctionnent comme des styles de vie. Chaque condition est définie, inséparablement, par ses propriétés intrinsèques et par les propriétés relationnelles qu'elle doit à sa position dans le système de conditions qui est aussi un système de différences, de positions différentielles, c'est-à-dire par tout ce qui la distingue de tout ce qu'elle n'est pas et en particulier de tout ce à quoi elle s'oppose: l'identité sociale se définit et s'affirme dans la différence". Cf. BOURDIEU, Pierre. "L'habitus et l'espace des styles de vie". In: BOURDIEU, Pierre. La distinction. Critique sociale du jugement. Paris, De Minuit, 1979. Chapitre 3. p. 191. 177. FREY. Op. cit. pp. 10, 48 et 117. 178. Ce sont les "casernes" qui au dernière siècle ont été très critiquées par la politique fran‡aise de salubrité publique, qui signale les conditions dramatiques des habitations du type "caserne". Plusieurs travaux dénoncent les conditions de vie, la déchéance physique et morale de la classe ouvrière au XIXe siècle. Selon Berthelot, parmi d'autres: BURET, E. De la misère des classes laborieuses en Angleterre et en France. Paris, Paulin, 1840. VILLERME, L.R. Tableau de l'état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie. Paris, Renovard, 1840. LE PLAY, F. Les Ouvriers des deux mondes. Paris, Société d'Economie Sociale, 1857. et ENGELS, F. La Situation de la classe laborieuse en Angleterre. Paris. Edition Fran‡aise: Paris, Editions Sociales, 1960 (le édition: 1845). In: BERTHELOT, J.M. et alii. "Les sociologies et le corps". In: Current Sociology. International Sociological Association/ISA. Volume 33. Number 2. Summer 1985. Centre de Recherches Sociologiques (CNRS - Université de Toulouse-le-Mirail). Ed. James A. Beckford. Département of Sociology, University of Durham. London, SAGE Publications. A ce sujet voir également l'oeuvre de L. Murard et P. Zylbermann qui analysent la politique hygiéniste dans les villes-usines au XIXe siècle. In: MURARD et ZYLBERMANN. Op. cit. 179. Article de Raymond Aubaret, "Le Charbon: aper‡u historique du bassin houiller des Cévennes". In: Journal Le Pays Cévenol et Cévennes. D'Alès - La Grand'Combe à Florac. Hebdomadaire Régional d'Informations d'Annonces Légales et Judiciaires agréé pour l'ensemble du département du Gard. Le 24 septembre 1983. 180. Elles se localisent dans le lieu jadis dénommé Roumestant: "Le Domaine de Roumestant au haut de la vallée de La Grand'Combe d'une superficie de 118 hectares et 31 ares fut vendu par les frères Roumestant à M. Veaute, agissant tant pour lui, que pour MM. Talabot Frères, Veaute, Abric, Mourier. Selon acte re‡u par Me. Pierre Frédéric Simon Gaussorgues, notaire à Alais le 24 novembre 1836, au prix de 30.000F". In: PUECH. Op. cit. Tome I. p. 122. 181. COMPAGNIE DES MINES DE LA GRAND-COMBE (1836-1936). Livre d'Or. Op. cit. pp. 27 à 29. 182. A ce sujet voir: SIMONIN. (1981). pp. 261 et 262. 183. Dossier nº 219.012, nº III, Plan IV, Fiche nº 728, commune de La GrandCombe, quartier Casernes Neuves, maison nº 4, section "D", dite de la Forêt d'Abilon, nº 33OP. Service des Domaines des Houillères des Cévennes. 184. Cf. PUECH. Op. cit. Tome I. p. 1O9. 185. Voir Annexe 5. 186. "Un seul cabinet sommaire, à la turque, en bout de caserne, où les femmes viennent le matin ou à la tombée de la nuit, vider les seaux hygiéniques (...). Pas de robinet, ni d'évier dans les cuisines; mais des fontaines installées dans les rues où ménagères et enfants viennent puiser l'eau nécessaire aux besoins domestiques, et un lavoir public pour la lessive. La douche est inconnue: au retour du travail les hommes se débarbouillent dans un grand baquet, aidés par leurs épouses qui savonnent et rincent les épaules et les dos." In: PACZKOWSKI et VIELZEUF. Op. cit. p. 137. 187. MARIETTE. Op. cit. p. 20. 188. Cf. GAILLARD. Op. cit. p. 99. En outre, M. Elie Bertrand, en racontant ses souvenirs sous la grève de 1929 à La Grand-Combe fait référence à des célibataires fran‡ais et algériens vivant dans les "casernettes, un immeuble avec étage plus vieillot et plus sale que les autres parce que non entretenu, s'étirant en bordure de la voie ferrée de la Compagnie, ceinturé d'eaux croupissantes et d'excréments". Récit recueilli par VIELZEUF, Aimé. "Cinquante ans avant Ladrecht, la grève de 1929 à La Grand'Combe: souvenirs d'enfance". In: BALTERS, Marc (sous la Direction de). Ladrecht... Pour vivre ici. Montpellier, Presses du Languedoc, 1985. p. 10. 189. Cf. MARIETTE. Op. cit. p. 20. 190. Ibidem. p. 19. 191. La rue, c'est un lieu de jeux pour les enfants, surtout l'été, pendant les vacances (puisque les enfants, s'ils ne sont pas à l'école, travaillent). Nous reviendrons à ce sujet plus loin. 192. "Par là, entendons que toutes les parties communes de l'édifice tombent sous le coup d'une réglementation et d'un usage gérés directement par le patronat, qui veille au plus près au bon entretien des lieux. Dans la morphologie même de l'habitat, on retrouve un nombre important d'espaces communs à l'intérieur des édifices, qui firent l'objet de nombreuses critiques concernant la promiscuité et les dangers de la cohabitation". In: FREY. Op. cit. p. 137. 193. Nous développerons, ce sujet-ci, plus loin. 194. PUECH. Op. cit. Tome I. pp. 110 et 111. 195. BRILLARD et LAVERGNE. Op. cit. 196. FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 51. 197. Comme le signale Gaillard: "(...) tout se sait dans cette ville, grâce au clergé très puissant et très bien informé sur les familles et aux nombreux 'mouchards' à la solde de la Compagnie, notamment dans les 'casernes'. Il est donc certain que les haltes réitérées dans les cafés sont connues du patronat et du conseil de la caisse de secours et il y a donc grand risque à ne pas oublier aux ordres supérieurs car il n'est rien de plus dramatique pour un ouvrier, qui ne dispose pas de ressources financières devant lui, qu'un chômage non rémunéré". In: GAILLARD. Op. cit. p. 149. 198. En ce qui concerne les maisons construites par des maîtres d'ouvrage privés et pour l'usage mono-familial, nous ne saurions répondre à l'heure actuelle, si celles-ci ont été réalisées avec l'aide de la Compagnie ou dans quelle mesure il ne s'agirait pas d'une accession à la propriété des habitants. En 1866, il est recensé 8 propriétaires urbains. 199. En ce qui concerne le recensement de 1866, et à titre de comparaison: Nº de ménages entièrement habités non-habités (en partie seulement) total de maisons maison en construction 2249 467 13 480 8 au rez-de-chaussée 65 rez-de-chaussée + 1º étage 261 rez-de-chaussée + 2º étage 139 rez-de-chaussée + 3º étage 15 200. Ceux-ci sont ainsi structurés: n'ayant qu'un rez-de-chaussée: 49 habitations ont l étage: 335 ont 2 étages: 220 ont 3 étages: 43 4 étages: 2 Tout en suivant ce recensement, nous constatons qu'en 1886 ces logements étaient habités par un total de 2.947 ménages, dont 2.695 par des familles et 252 par des individus isolés. De plus, 494 logements sont occupés par 2 personnes, 667 par 3 personnes, 618 par 4 personnes, 409 par 5 personnes et 507 par 6 personnes ou plus. 201. Dans une exploitation agricole, "mas" signifie l'ensemble formé du local d'habitation et de ses dépendances attenantes. "La maison cévenole possède une structure orientée vers l'économie agricole: ce sont des maisons 'en hauteur', divisées en deux parties: le rez-de-chaussée est en général réservé à l'exploitation: bergerie, porcherie, étable. Les étages sont dévolus à l'habitat et au grenier. Ces mas sont le plus souvent isolés, parfois même fortifiés". In: BRILLARD et LAVERGNE. Op. cit. p. 11. Sur les maisons rurales en Cévennes, voir entre d'autres: A) TRAVIER, Daniel. "Technique et vie quotidienne". In: JOUTARD. (Sous la Direction de). Op. cit. Chapitre 5. B) PELEN. (1987). Chapitre III: "L'homme et les hommes". Section: "Le Mas". p. 67. 202. Voir Inventaires Généraux des Concessions, matériels, immeubles, marchandises, etc. Demande faite au Gouvernement le 23 ao–t 1853 et relaté dans le rapport de M. Dupont, ingénieur. In: PUECH. Op. cit. Tome II. pp. 238 à 254. 203. Dans le plan établi par Paulin Talabot sur la délimitation de la commune projetée de La Grand'Combe, on trouve signalée une dizaine de mas ou masures, notamment sur les quartiers de l'Arboux et de Ribes. "Plan Géométrique de la délimitation de la commune projetée de La Grand'Combe indiquant la circonscription actuelle des communes de Portes, Ste-Cécile, Laval et les Salles, qui concourent à former la Commune projetée. M. P. Talabot, 13 aoüt 1846". D'après le plan déposé aux Archives du Gard. C'est singulièrement le cas des propriétés suivantes: mas Le Puech, mas La Manne ou Lamarine, mas La Pénarie, etc. 204. Ceci s'explique par l'évolution de la politique foncière de la Compagnie qui procède à une acquisition massive de terrains, marché dont elle se réserve le monopole. 205. GAILLARD. Op. cit. p. 99. 206. Récit de Elie Bertrand recueilli par VIELZEUF, Aimé. "Cinquante ans avant Ladrecht, la grève de 1929 à La Grand'Combe: souvenirs d'enfance". In: BALTERS (sous la direction de). Op. cit. p. 13. 207. En effet, en 1837/38, un bâtiment pour loger des fonctionnaires travaillant dans les bureaux de l'Administration, et leurs familles, est bâti. Il est attenant à la "maison de l'Administration". Ce bâtiment, en deux étages, compte 14 appartements, 37 pièces habitables, 13 caves et 14 W.-C. 208. Ce groupe social n'est pas très nombreux. Puech indique 306 employés au 31 juillet 1897. Cf. PUECH. Op. cit. Tome II. p. 534. 209. Cette dernière hypothèse (en matière de localisation des employés) est suggérée par Frey, à propos de la ville du Creusot: "Fruit d'un double panoptisme du contrôle social, où le regard de l'employé se porte sur les ouvriers et où son mode de vie et d'habiter s'offre à leur regard, la répartition des groupes sociaux, telle que la conçoivent les Schneider (patrons), relève plus du rituel liturgique de la communion, placé sous l'auspice des saints patrons des quartiers et de leurs agents sacerdotaux, que d'une planification techno-bureaucratique de l'espace et des activités". In: FREY. Op. cit. p. 269. 210. Flechon contraste ces quartiers et nous fournit une image des années 1930. In: FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 51. 211. Le directeur étant, alors, M. Fran‡ois Beau (35 ans, catholique). Il y réside avec son épouse, sa fille et deux domestiques. On y trouve également la maison du sous-directeur (M. Tabare), et d'autres ingénieurs et négociants. Source: Recensement de la commune de La Grand-Combe de 1851. Mairie de La Grand-Combe. 212. Celle du directeur d'exploitation était de 3 étages, avec 15 pièces habitables, et comprenait la cuisine, la salle à manger, le salon, les chambres à coucher, les bureaux (offices), 2 salles de bain, deux cabinets, un vestibule, une cave et un garage. Celle de l'ingénieur-en-chef comprenait la cuisine, la salle à manger, les chambres à coucher, un cabinet. La maison de l'ingénieur Flechon situés dans un quartier voisin (le Pontil) est décrite dans son texte: "C'est une grande maison (9 pièces, dont une chambre pour la servante et des combles) qui domine la vallée, à six kilomètres d'ici... Elle est située au milieu des pins à 200 mètres du puits et de la petite cité ouvrière (...). Grande construction aux pièces nombreuses et bien aérées, elle s'élevait à flanc de coteau. Précédé d'un jardin en terrasses, il était entouré d'un bois de pins fermé d'une clôture. Les pentes de la vallée, recouvertes de châtaigniers, de pins, de genévriers, de bruyères mauves et de fougères, encadraient un petit ruisseau aux eaux claires, qui s'enfon‡ait très vite dans les fissures provoquées par les exploitations souterraines. Quelques maisons neuves, destinées au personnel spécialisé du carreau, s'alignaient pas loin". In: FLECHON. Op. cit. Tome I. pp. 15 et 31. 213. Cette distance, néanmoins, n'était pas suffisante pour que les femmes d'ingénieur, comme nous l'a expliqué une femme de mineur retraité, soient libres de sentir l'odeur des détritus amassés dans le fossé devant les casernes: "l'odeur gênait les femmes d'ingénieurs". (Mme Combertte. Femme de mineur retraité). 214. Gaillard, bien qu'ayant pris en compte l'éloignement des "villas" du centreville, n'a pas considéré la proximité de ces deux types de résidence, au moins pour le quartier de La Forêt, car il affirme, dès le départ, l'éloignement des quartiers comprenant les maisons des ingénieurs et ceux des casernes: "Le quartier des ingénieurs est très nettement séparé du reste de la ville pour éviter au maximum toute fréquentation ou côtoiement entre les classes (...). Grandes bâtisses, édifiées elles aussi par les houillères, entourées de jardins plus au moins importants, elles sont situées dans un quartier résidentiel, légèrement à l'écart du reste de la ville et ne modifient donc pas l'allure générale, noirâtre, triste, monotone d'une ville-usine que ne viennent même pas égayer les devantures des commer‡ants puisque tous les besoins en nourriture et vêtements sont couverts par les magasins de la Compagnie". GAILLARD. Op. cit. pp. 100, 172 et 173. En outre: "Il existe une ségrégation spatiale au niveau de l'habitat; les ingénieurs occupant sur les hauteurs bien ensoleillées de la ville les maisons les plus spacieuses et les plus confortables. Les ouvriers, quand à eux, doivent souvent se contenter de deux ou trois pièces par famille". Cf: DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. Ces affirmations doivent être relativisées dans la mesure où nous avons pus constater la cohabitation dans le même quartier de ces deux groupes sociaux. Cette proximité spatiale a été plutôt la règle que l'exception; autrement dit, cette localisation suit la logique de la mine (on se rapproche des principaux chantiers de travail). 215. FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 42. 216. Ceci n'implique pas le déménagement de la résidence du Directeur de la Compagnie. Probablement la nouvelle technologie de l'automobile a désormais permit à M. le Directeur le déplacement confortable dans une automobile particulière avec chauffeur pouvant être présente facilement tantôt au Château de La Levade, tantôt aux Bureaux Centraux ainsi que dans les bureaux secondaires comme celui de la vallée Ricard. D'ailleurs, la Compagnie stimula parmi leurs ingénieurs l'achat des automobiles leur assurant une indemnité de déplacement en échange. Ainsi la Compagnie aurait-elle pu en contre-partie d'une légère indemnité, effectuer l'économie du salaire du cocher et gagner un cheval. Selon: FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 95. 217. Camp Fougères (quartier La Forêt), camp Ravin (entre Trescol et La Levade), camp Fournier (montagne l'Airolle) et camp des Nonnes (Branoux). "En suivant la R.N. 106, le voyageur découvrait, au pied d'un important 'crassier' fumant, le quartier des Nonnes où s'élevaient de nombreuses baraques sommairement construites, basses, d'un 'camp' où logent encore plusieurs familles". In: PACZKOWSKI et VIELZEUF. Op. cit. p. 65. 218. Sur les camps et campements en France, voir: NOIRIEL. (1988). Op. cit. pp. 154 à 159. Selon cet auteur: "A l'archaïsme du logement correspond l'indigence des infra-structures: pas de véritables rues, mais des chemins boueux; pas d'électricité ou pas partout; pas d'égout, pas de canalisation d'eau potable...". Ibidem. 219. FAVEDE. Op. cit. p. 49. 220. Sur cette problématique à niveau national voir: TREMPE, Rolande. "La question du logement". In: TREMPE, Rolande. Les trois batailles du charbon. 1937-1949. Paris, La Découverte, 1989. pp. 101 à 107. 221. Elles sont du type à 2 logements en duplex ou 4 logements (jumelés), de 3 à 4 pièces, alignés et, en général, en retrait par rapport à la rue. 222. GAILLARD. Op. cit. p. 209. 223. Dans les communes avoisinantes (sur les concessions de la Compagnie), on trouve la cité de Rimes, La Nougarège, et celle de Combe-Ferral dans la commune de St-Jean-de-Valériscle, etc. 224. Il semble que le type dominant concerne des bâtiments à deux étages, desservis par des escaliers à l'extérieur (en général latéraux), visibles de la rue, et l'accès aux appartements est assuré par un long balcon commun (extérieur), avec des bâtiments juxtaposés ou superposés, en général de trois à quatre pièces. Ces habitations sont dotées en général d'une cuisine et d'une salle à manger. Le nombre de chambres est variable (de deux à trois) et un petit couloir distribue les pièces. Tantôt la fa‡ade donne directement sur la rue, tantôt le bâtiment en retrait offre un mur de fa‡ade tourné vers la cour intérieure. Mais, en principe, l'on trouve "un espace intermédiaire" consistant en un jardin ou une cour, rangée d'arbres ou pavée - (la mitoyenneté sera plutôt rare). Vus de la rue, c'est l'escalier extérieur qui distingue ces bâtiments des anciennes casernes: il se situe soit sur les fa‡ades donnant sur la rue, soit à l'arrière des maisons. 225. Selon la Compagnie, "un habitat approprié à leur condition", c'est-à-dire: en 3 étages, 14 pièces habitables, 3 caves et un grenier, une salle à manger, un bureau, un salon, un office, une cuisine, une salle de jeu pour les enfants, un lavabo, et les W.-C. L'escalier intérieur permet d'accéder aux chambres des étages supérieurs: garage, électricité, eau courante, chauffage, et entourée d'un vaste jardin. In: Archives des Services des Domaines des Houillères. Habitation d'Ingénieur, cité de Ribes, section D, nº 538. Commune de La Grand-Combe. 226. Leur édification a été accomplie dans différentes phases: la première après la guerre de 1914-1918, la deuxième en 1930-1935, etc. 227. Celles situées à l'entrée du quartier (sur le côté qui donne vers le centre) sont alignées en retrait par rapport à la rue. Ce sont des maisons jumelées, à deux étages, pour quatre ménages, chacune avec entrée individuelle. Dans ce cas, au rez-de-chaussée, un petit espace libre sur le devant de la maison sépare la porte d'entré de la rue. Les étages supérieurs ont leur entrée de la rue par un passage latéral qui donne accès à la porte située sur le côté de la maison. L'accès aux étages se donne par un escalier intérieur. Le jardin potager se situe derrière la maison. Les autres maisons, prévues aussi pour quatre ménages, comportent des bâtiments superposés et juxtaposés géométriquement. La porte d'entrée donne sur la rue. Un escalier intérieur permet l'accès au premier étage. Dans ce deuxième cas, la porte d'entrée en fa‡ade, est commune pour le rez-de-chaussée et l'étage. Un seuil unique donne sur un vestibule qui dessert les deux logements. Un escalier intérieur accède l'étage supérieur. Le jardin est attenant au logement, et le jardin potager au fond de la parcelle, ainsi que les W.-C. 228. Deux types de maisons y sont bâtis: les "maisons-jardins" et les longs bâtiments à deux étages avec escalier extérieur. Dans ces nouvelles constructions, les W.-C., sont à l'intérieur, mais les douches ne seront installées que vers les années 1950/60. Les maisons-jardins sont constituées tantôt de deux logements superposés, tantôt de logements jumelés. Le premier type de maison comporte en général 5 pièces habitables: cuisine, salle, trois chambres à coucher. Le deuxième type possède 4 pièces: cuisine, salle, deux chambres à l'étage supérieur - chaque appartement ayant une cave. La porte d'entrée dans les deux cas est latérale, à mi-chemin entre le devant et l'arrière de la maison. Toutes ces maisons sont en retrait de quelques mètres de la rue et l'espace est utilisé comme petit jardin. Le terrain derrière la maison peut servir de jardin potager pour une culture en terrasse. Le terrain est assez large pour permettre au locataire de rajouter un garage ou une petite annexe. Les familles habitant les longs bâtiments ont aussi droit à un petit jardin attenant au logement. 229. FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 51. 230. Ibidem. 231. "(...) L'orientation des fa‡ades de ces maisons est Nord-Sud et leur distance d'axe de vingt huit mètres. Elles ont comme dimension hors murs 27,55 m sur 8,62 m. Chaque maison a vingt quatre pièces de 4,25 m sur 3,75 m et 3,25 m de haut en rez-de-chaussée contre 3,15 m à l'étage. L'accès au premier se faisant grâce à un escalier extérieur. A chaque maison est affecté un groupe de W.-C. et caves. " In: GAILLARD. Op. cit. p. 210. 232. Une école libre (1921), engagement ayant été pris pour que les enfants polonais puissent recevoir un enseignement dans leur langue maternelle, la Compagnie adjoint à l'institutrice fran‡aise une monitrice polonaise qu'elle paye et qui dispose de la moitié de l'horaire légal (1923). Les polonais ont droit aussi a un prêtre de leur nationalité (octobre 1929). In: FAVEDE. Op. cit. pp. 46 et 47. 233. Nous parlerons du puits Ricard et de la transformation de la "vallée de la Grand-Combe" en "Vallée Ricard" dans la prochaine section. 234. BRILLARD et LAVERGNE. Op. cit. pp. 13 et 14. 235. Malgré l'approbation à l'époque par le Conseil d'Administration de la Compagnie autorisant la démolition des immeubles crasseux et insalubres de la rue de la Clède, ceux-ci n'ont été démolis que récemment, 1989/1990. Nous reviendrons à ce sujet dans la dernière Partie. 236. Les mineurs propriétaires étaient très rares. La construction des habitations par les ouvriers eux-mêmes semble avoir été minime. Un ancien ingénieur nous parle de quelques maisons bâties par des ouvriers "à force de privations et de travail". Les rares qui se livrent à cette entreprise ne pourront le faire qu'avec l'aide de la Compagnie. L'ouvrier décidé à bâtir achetait un bout de terrain, la plupart du temps appartenant à la Compagnie, ouvrait une carrière et en extrayait les pierres qui lui étaient nécessaires; il engageait un maîtremaçon auprès duquel il remplissait les fonctions de manoeuvre, aidé si besoin était par un ou deux camarades. L'aménagement intérieur (installation sanitaire sommaire et électricité) était confié à un ami plus spécialisé. Quant à lui, il se réservait les peintures. "(...) Ce sont des maisons simples édifiées par certains ouvriers particulièrement sobres et adroits. Ces maisons bâties sur le coteau bénéficiaient souvent d'un point d'eau; quand elles n'en avaient pas, une citerne captait les eaux de pluie de la toiture. Généralement, les W.-C. étaient à l'extérieur, construits en bois avec des planches bien jointives, d'où l'expression: 'planché comme un cabinet', qui caractérisait, au fond (de la mine), le garnissage serré des parois des galeries". In: FLECHON. Op. cit. p. 52. 237. Nous suivons ici Leite Lopes. Cf: LEITE LOPES, José Sérgio. "Anotações em torno do tema 'condições de vida' na literatura sobre a classe operária". In: MACHADO DA SILVA. Luiz Antônio (org). Condições de vida das camadas populares. Rio de Janeiro, Zahar, 1984. 238. COMPAGNIE DES MINES DE LA GRAND-COMBE (1836-1936). Livre d'Or. Op. cit. p. 20. 239. GAILLARD. Op. cit. p. 2O2. 240. PACZKOWSKI et VIELZEUF. Op. cit. p. 148. Bien s–r, ce développement du commerce libre est bien contrôlé par la Compagnie, comme l'observe Sugier: "Mais si tout est organisé pour régler la vie de l'ouvrier dans l'intérêt de l'entreprise, les personnes mêmes qui ne travaillent pas pour la Compagnie sont dépendantes d'elles, un commerçant qui se plaint de la Compagnie risque de se voir mis à l'index, comme ce commer‡ant de Saint-Jean-de-Valériscle, boycotté par toute la population ouvrière, sur ordre de la Compagnie des Mines de La Grand-Combe, après les élections de 1889." Cf: SUGIER, Fabrice. L'Histoire du Mouvement Ouvrier dans le Bassin d'Alais de 1879 à 1904. Apparut en forme d'article dans le journal hebdomadaire Le Pays Cévenol et Cévennes. Alès, La Grand-Combe à Florac. D'Alès - La Grand'Combe à Florac. Hebdomadaire Régional d'Informations d'Annonces Légales et Judiciaires agréé pour l'ensemble du département du Gard. Samedi 3 novembre 1990. 241. Dénombrement de la population du 24 Mars 1901. 242. Dans ce chapitre, nous nous appuyons largement sur la notion de distinction sociale efficace pour dévoiler la structure de la classe sociale telle que Bourdieu le suggère et que Dias Duarte considère comme l'identité constrastive, un des plans sur laquelle l'identité sociale est opérée. En outre, la "grande famille" nous semble une manière d'opérer l'identité emblématique, alors que ces processus de construire "identités" sont pour nous importants dans la mesure dans laquelle l'identité emblématique et l'identité contrastive prennent leur sens en référence à la valeur-travail. 243. GAILLARD, Jean-Michel. "De la Réussite Initiale au Déclin Progressif: Histoire Economique de la Compagnie des Mines de La Grand'Combe (18361921)". In: GAILLARD. Op. cit. Chapitre I. p. 136. 244. Une "violence symbolique, violence douce, invisible, méconnue comme telle, choisie autant que subie, celle de la confiance, de l'obligation, de la fidélité personnelle, de l'hospitalité, du don, de la dette, de la reconnaissance, de la piété, de toutes les vertus en un mot qu'honore la morale de l'honneur, s'impose comme le mode de domination le plus économique parce que le plus conforme à l'économie du système". Cf. BOURDIEU, Pierre. "Les Modes de Domination". In: BOURDIEU, Pierre. Le sens pratique. Paris, De Minuit, 1980. Chapitre 8. p. 219. Voir aussi pp. 221, 230 et 268. 245. Action d'inculcation et/ou effet d'inculcation. Cf: BOURDIEU. (1979). Op. cit. pp. 22 et 124. 246. "(...) l'ordre social s'inscrit progressivement dans les cerveaux. Les divisions sociales deviennent principes de division, qui organisent la vision du monde social. Les limites objectives deviennent sens des limites, anticipation pratique des limites objectives acquise par l'expérience des limites objectives, 'sense of one's place' qui porte à s'exclure (biens, personnes, lieux, etc.) de ce dont on est exclu". In: Ibidem. p. 549. 247. GAILLARD. Op. cit. p. 172. 248. Nous suivons ici BOURDIEU. (1979). Op. cit. Conclusion. pp. 543 à 564. 249. ARIES. (1971). Op. cit. p. 99. 250. FAVEDE. Op. cit. p. 86. 251. DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 37. 252. Cf. PELEN. (1987). Op. cit. p. 64. L'ingénieur Flechon décrit que le quotidien à La Grand-Combe est marqué par le va-et-vient des ouvriers des deux postes: "ceux du matin, qui sortaient, noirs de la tête aux pieds et se hâtaient vers leur domicile où ils trouveraient, sur la cuisinière, la bassine d'eau préparée pour leur toilette; ceux de l'après-midi, à l'allure plus lente, tirant une dernière bouffée, et jetant l'extrémité de leur cigarette, avant que les wagonnets, dans lesquels ils prenaient place, sous la protection d'une bâche de toile qui les séparait du câble électrique de traction, ne s'enfoncent dans les entrailles de la terre, pour les conduire aux recettes des deux puits d'extraction". In: FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 19. 253. PORTET, François et TEITLER, Marcel. "Identité sociale et territorialité de deux villes industrielles de taille moyenne: bistrots et quartiers au Creusot et à Montceau-les-Mines". In: Actes du Séminaire "Société Industrielles et Urbaines Contemporaines". Séminaire du 2 et 3 décembre 1983. Centre Culturel de la Rencontre de la Fondation Royamont. Cahier 1. Paris, EMSH, 1983. p. 62. 254. LAMORISSE. Op. cit. p. 296. 255. "Les mineurs étaient payés soit à la tâche, soit à la journée; leur salaire était composé en général de deux éléments: un taux de base fixé le plus souvent par une convention collective (salaire conventionné) et des primes diverses créées en fonction des circonstances et variant en conséquence; selon la nature, la qualification du travail effectué, l'âge et le sexe, ils étaient classés hiérarchiquement: à chaque catégorie ou classe correspondait un taux de base donné, qui servait à calculer le salaire de ses membres". In: TREMPE. (1989). Op. cit. pp. 155 et 156. 256. En 1857, une littérature patronale sur le sujet: SIMONIN. (1981). Op. cit. Cet ancien ingénieur de mines a fait aussi une série de conférences sur les catastrophes, comme objets de "spectacles et d'exhibition": "Comme si l'idée de la mort au travail était une composante à la fois spectaculaire et normale de la vie du mineur". Cf: MATTEI, Bruno. "Portrait du mineur en héros". In: DEBOIS, Evelyne et alii. Op. cit. p. 94. 257. Voir notamment: Annales publiées par l'Ecomusée de la Communauté Le Creusot/Montceau-lesMines et l'Institut Jean-Baptiste Dumay. L'HOMME et LA MINE. Colloque/Dijon - nov. 1981. Dans les mines de Carmaux: TREMPE, Rolande. "Les mineurs de Carmaux: composition du groupe professionnel et recrutement des mineurs". In: TREMPE. (1971). Op. cit. Deuxième Partie: La Prolétarisation des Mineurs. Tome I. pp. 107 à 188. Dans les mines à La Grand-Combe: A) GAILLARD, Jean-Michel. "L'ouvrier mineur de la Compagnie des Mines de La Grand-Combe à son travail". In: GAILLARD. Op. cit. pp. 174 à 198. B) TAURINES et CAMMARATA. Op. cit. pp. 45 à 66. C) FAVEDE. Op. cit. pp. 51 à 69. 258. L'ingénieur Flechon décrit avec précision le travail au fond de la mine à La Grand-Combe. In: FLECHON. Op. cit. Tome I. Chapitre "Première Journée". p. 21 à 39. Nous citons: "La mécanisation n'avait pas encore transformé les conditions de travail, et en dehors de l'électrification des grosses pompes d'exhaure placées aux abords des puits et l'apparition timide de l'air comprimé, Zola n'aurait pas eu de difficultés à retrouver dans les chantiers de La GrandCombe, l'ambiance lourde et pesante qu'il avait si magistralement décrite dans Germinal quelque soixante années plus tôt". Cf: FLECHON. Ibidem. p. 30. 259. "L'exploitation avait encore son caractère artisanal; chaque équipe de deux hommes disposant d'un chantier qui lui était personnellement affecté. Le mineur, appelé aussi 'partageant' recevait, après attribution au manoeuvre d'un salaire journalier fixe, le gain proportionnel à la tâche réalisée par l'équipe." Cf: FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 30. 260. Le travail au fond dans certaines galeries étroites, accru par la chaleur régnant à l'intérieur, était pénible. "En effet, le bassin houiller du Gard est le plus chaud de tous les bassins fran‡ais. Il est parfois extrêmement dur pour les ouvriers du fond de supporter des températures très élevées car, ajoutées à la poussière et à l'effort demandé pour piquer ou sortir du charbon, elles provoquent des sortes de malaises très fréquents sur les fronts de taille". In: GAILLARD. Op. cit. p. 178. 261. "Donc, pour juger de la qualification de ces catégories, il faut user de critères propres à la mine et non se servir de ceux qui sont couramment utilisés dans l'industrie. C'est dans cette mesure seulement que nous pouvons dire que piqueurs, mineurs et boiseurs sont des ouvriers mineurs qualifiés". In: TREMPE, Rolande. "Les mineurs de Carmaux: composition du groupe professionnel et recrutement des mineurs". In: TREMPE. (1971). Op. cit. Tome I. p. 113. 262. TAURINES et CAMMARATA. Op. cit. p. 46. 263. "Les emplois de spécialistes qui nécessitent une formation longue et une expérience sûre: maître-boiseur, boutefeu, mineur des chantiers de grande hauteur, étaient en général occupés par des français". Selon, FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 52. 264. TREMPE. (1971). Op. cit. Tome I. p. 115. 265. "Dans la grande industrie minière (...) les patrons tirent aussi profit des formes de domination sociale qui existent dans la société traditionnelle, et notamment dans l'univers domestique. Ils profitent ainsi de la soumission des femmes et des enfants pour leur faire accomplir les travaux les plus ingrats qui sont aussi les moins payés". In: NOIRIEL. (1986). Op. cit. p. 66. 266. "Leur emploi se limitait pratiquement à l'épierrage du charbon, au jour, et c'était là une ressource non négligeable pour les familles, la Compagnie se montrant très libérale et peu soucieuse de productivité, quand il s'agissait de donner du travail aux veuves et aux filles de mineurs". Cf. FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 30. Sur les placières à La Grand-Combe voir ayssu: A) TAURINES et CAMMARATA. Op. cit. Chapitre VII. B) FAVEDE. Op. cit. p. 73. C) JOUTARD. (direction). (1979). Op. cit. p. 276. D) Film de Guy Olivier "Jeanne et Hélène": deux grand-mères racontent leur vie de travail à la mine comme placière à partir de l'âge de 13 ans. I.N.A. et Antenne 1, 1970. 267. GAILLARD. Op. cit. p. 174. 268. "Et puis il y a les 'placières', en gare de La Levade, avec leur fichu noir noué sur la nuque, leurs habits noirs et leurs sandales, triant, de leurs mains agiles, les pierres mélangées au charbon, sous le regard attentif des contremaîtres". In: PELEN. (1987). Op. cit. p. 64. 269. Ibidem. 270. Mme Vieille, par exemple, fille de mineur, commence sa vie active à l'âge de 13 ans comme placière et travaille pendant 7 ans à la place à Trescol. En 1938, elle se marie avec un "étranger" (conducteur) malgré l'opposition de sa mère. Ce mari l'abandonne avec deux jeunes enfants. Avec un père décédé et après la rupture avec sa mère, elle se retrouve sans appui financier. Sans abri et sans aide, elle se réfugie avec ses enfants dans un garage, privée du minimum de confort. Pour pouvoir manger, elle se met à tricoter et broder et fait de la vente à domicile. Cette situation a duré environ 10 ans, jusqu'à ce qu'un voisin célibataire, mineur de profession, la demande en mariage. Alors divorcée, elle accepte de se remarier, affrontant la désapprobation des deux familles et du voisinage. Le prix social de ce mariage, pour le couple, est cher à payer. La Compagnie ne concède pas de logement pour ce mineur, et ils continuent a habiter le garage pendant 5 ans, jusqu'au jour où un ingénieur "très humain" et qui "respectait mon travail parce que j'étais sérieux, m'a donné un coup de main", raconte M. Vieille. Finalement, ils recevront un logement parmi un voisinage d'origine surtout polonaise. (Récit de Mme Vieille, femme de mineur retraité. M. Vieille a fini sa carrière comme chef et ouvrier hautement qualifié). 271. Tel comme celui de droit au congé annuel: "Vraiment la Compagnie de La Grand-Combe, comme toutes les compagnies minières d'alors, était exigeante pour le personnel qu'elle employait: ingénieurs, surveillants, ouvriers, malgré les quatre semaines de congé annuel des premiers et les dix jours octroyés aux seconds. Pour les ouvriers, la question, légalement, ne se posait pas. Et ils ne pouvaient justifier d'une absence qu'en contrepartie d'une carte de maladie ou de blessure". In: FLECHON. Op. cit. p. 90. 272. A l'exemple de Carmaux: "Porions et maîtres-mineurs furent en effet, jusqu'à la fin du XIXe siècle, tirés du rang sur simple choix de la Direction (par la suite, les maîtres-mineurs furent formés à l'école d'Alès)". In: TREMPE. (1971). Op. cit. Tome I. p. 115. 273. FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 101. 274. Ibidem. p. 90. 275. Ibidem. p. 90. 276. Le dépouillement des recensements de 1851, 1866 et 1872 nous permet de reconnaître ces groupes, voir: Annexe 6: Recensement des Professions 1851, 1866 et 1872. 277. A titre d'exemple, voir l'annexe 6. 278. Voir Annexe 7. 279. LAMORISSE. Op. cit. p. 152. 280. L'exemple d'un commerçant-boulanger qui travaille aussi comme mineur est donné par BRILLARD et LAVERGNE. Op. cit. p. 10. 281. FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 56. 282. GAILLARD. Op. cit. p. 172. En plus, "les classes moyennes - personnel de bureau, maîtres-mineurs - sont nettement sous-représentées, de même que les cadres supérieurs, ce qui confère une grande homogénéité socioprofessionnelle à l'ensemble de la population". In: DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. pp. 37 et 38. 283. DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 37. 284. ARIES. (1971). Op. cit. p. 99. 285. FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 90. 286. Les Cévennes étant en Occitanie, le 'Patois cévenol' est de l'occitan (terme par lequel on désigne aujourd'hui communément la Langue d'oc): "Actuellement, l'occitan semble sur le point de disparaître. En zone rurale, surtout en montagne, il n'est parlé usuellement que par les plus de 60 ans, occasionnellement (chasse... ) par la génération suivante et n'est même plus compris par les enfants. En ville, on ne l'entend qu'exceptionnellement même si beaucoup de personnes peuvent comprendre; c'était par contre jusqu'à ces dernières années la langue des mineurs (même immigrés!) tandis que la maîtrise n'employait que le français". Cf. WIENIN, Michel. Le pays d'Alès. Alès, Saber, 1986. p. 25. 287. ARIES. (1971). Op. cit. p. 99. 288. Ainsi structuré: Administrateur délégué, Directeur Général, Directeur, Sous-directeur, Secrétariat général, Service commercial, Service des domaines, Service des approvisionnements, Service comptabilité. Services du Fond: ingénieur en chef, 5 ingénieurs de division (un par division), ingénieur ordinaire (un par mine), service géologique. Service du Jour: ingénieur principal, ingénieur de division, service des usines, criblage, lavoir, agglomération, ingénieur mécanicien, ingénieur électricien, etc." In: TURPIN. Op. cit. p. 21. 289. Présidents du Conseil de l'Administration: M. Léo Talabot jusqu'en 1863; M. Poizat, 1863-1869; M. Thirion, 1869-1886; M. Daubrée, 1886-1896; M. Mascart, 1896-1908; M. Nivot, 1908-1919; M. Louis de Lanay, 1936. Cf: TURPIN. Op. cit. p. 18. 290. FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 56. 291. Ibidem. p. 14 et 55. 292. Ceux-ci ont été consultés, "In": PUECH. Op. cit. Tome I et Tome II. et Articles de Raymond AUBERET. In: Journal Le Pays Cévenol et Cévennes. Alès, La Grand-Combe à Florac. D'Alès - La Grand'Combe à Florac. Hebdomadaire Régional d'Informations d'Annonces Légales et Judiciaires agréé pour l'ensemble du département du Gard. Années 1982 et 1983. 293. Sur les événements de 1848, voir: GAILLARD. Op. cit. pp. 217 à 224. 294. FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 95. 295. MICHEL. Op. cit. p. 93. 296. PACZKOWSKI et VIELZEUF. Op. cit. p. 140. 297. L'ingénieur Flechon raconte dans son manuscrit sur la trajectoire scolaire de son fils André qui depuis l'âge d'onze ans était allé comme interne dans un établissement privé de Montpellier, déjà fréquenté par de nombreux enfants de La Grand-Combe. Une formation qui continue dans le lycée d'Alès (baccalauréat de mathématiques) et dans le Lycée "Louis-le-Grand" à Paris jusqu'à sa formation comme ingénieur de mines dans l'école des Mines de Paris. Voir: FLECHON. Op. cit. Tome II. pp. 161 à 163, 180, 185, 188, 217, 241 et 242. 298. PINÇON. Op. cit. p. 70. 299. L'individu intériorise les déterminismes sociaux, en constituant des systèmes de dispositions individuelles comprises comme étant les variantes structurelles de l'habitus. La perception individuelle est donc médiatisée par l'habitus qui constitue un ensemble de représentations structurant et donnant un sens au comportement humain: la culture. Pierre Bourdieu comprend alors la culture en la concevant comme une structure structurante - puisqu'elle assume une fonction logique de mise en ordre du monde - ainsi que comme une structure structurée lorsqu'elle est déterminée par un système de domination. 300. A titre d'exemple, la femme du Directeur de Mines organisait pour que les enfants aient des vêtements pour la communion. Alors que, après, ces vêtements devaient être rendus à la Compagnie. 301. FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 56. 302. FAVEDE. Op. cit. p. 81 303. "C'est dire qu'une classe ou une fraction de classe est définie non seulement par sa position dans les rapports de production telle qu'elle peut être repérée à travers des indices comme la profession, les revenus ou même le niveau d'instruction, mais aussi par un certain sex-ratio, une distribution déterminée dans l'espace géographique (qui n'est jamais neutre socialement) et par tout un ensemble de caractéristiques auxiliaires qui, au titre d'exigences tacites, peuvent fonctionner comme des principes de sélection ou d'exclusion réels sans jamais être formellement énoncées (c'est le cas par exemple de l'appartenance ethnique ou du sexe); nombre de critères officiels servent en effet de masque à des critères cachés, le fait d'exiger un diplôme déterminé pouvant être une manière d'exiger en fait une origine sociale déterminée". In: BOURDIEU. (1979). Op. cit. p. 113. 304. FLECHON. Op. cit Tome I. p. 54. 305. Avec une nette préférence pour la Lozère, non seulement parce que les ardéchois étaient aussi sollicités dans la ville minière de Bessège, mais parce qu'ils étaient considérés de tendance plus "révolutionnaire" que les lozériens. 306. LAMORISSE. Op. cit. p. 2O9. 307. La Guerre des Camisards éclate en 1702. "Pendant 17 ans, les réformés vont subir la persécution sans résister mais en juillet 1702, une arrestation comme bien d'autres va déclencher un mouvement de révolte extraordinaire: la guerre des Camisards. Le mouvement durera deux ans, ruinera la région et surtout laissera une marque indélébile dans la mémoire populaire. Les révoltés ne dépassèrent que rarement 2.000 hommes mais ils mobilisèrent contre eux quelque 50.000 soldats du roi qui durent pour en venir à bout utiliser comme stratégie le 'brûlement' complet des Cévennes avec regroupement de la population dans des places fortifiées". In: WIENIN. Op. cit. p. 24. En outre: "La guerre des Cévennes a recouvert dans le souvenir, non seulement toutes les autres formes de résistance de 1680 à 1760, mais même tous les affrontements religieux avant et après, ceux du XVIe siècle comme ceux du XIXe siècle et même au-delà". Cf. JOUTARD, Ph. "Les Cévennes à leur apogée (fin XVIIe milieu XIXe siècle). In: JOUTARD (sous la direction de). Op. cit. Chapitre 4. p. 140. 308. "Pour eux, (les protagonistes), l'opposition entre républicains et royalistes n'est que la continuation sous une autre forme de la vieille lutte entre catholiques et protestants: les divers épisodes révolutionnaires se confondent donc avec les conflits séculaires aussi bien chez les participants que dans le souvenir des générations postérieures. (...) la Révolution a renforcé l'opposition fondamentale entre 'deux peuples', en ajoutant une nouvelle masse de griefs et de nouveaux souvenirs pour la mémoire collective. Désormais, aux raisons religieuses s'ajouteront des raisons politiques de tensions. Par définition, un protestant sera aussi un libéral et un bon républicain, tandis que le catholique sera royaliste". Cf. JOUTARD, PH. "Les Cévennes, bastion républicain et Vendée méridionale". In: JOUTARD. (sous la direction de). Ibidem. pp. 143 à 151. En outre: "En 1704, les Camisards sont vaincus mais le XVIIIe siècle va voir s'installer progressivement un régime de tolérance avant que la Révolution ne décrète enfin l'égalité de tous. La communauté protestante est dès lors indéfectiblement fidèle au régime républicain pendant tout le XIXe siècle puis résolument à gauche au XXe. Par opposition, les catholiques rejoignent en masse le parti royaliste puis la droite". In: WIENIN. Op. cit. p. 24. 309. Il faut minimiser l'importance de cette manifestation de contre-pouvoir dans l'origine qui s'est organisée contre le paternalisme clérical. Il semble que c'est surtout grâce à la migration des ouvriers catholiques venus des régions de tendance de gauche que cette opposition devient plus explicite: A) "Si les protestants jouent un rôle notable dans les campagnes anticléricales, c'est pour l'essentiel aux catholiques en rupture avec leur Eglise qu'il revient d'organiser et d'entretenir la lutte permanente contre les prêtres". Cf: G. Cholvy, "Les Conflits de la religion". In: CHOLVY, Gérard (Sous la Direction de). Histoire du Languedoc. De 1900 à nos jours. Toulouse, Privat, 1980. Chapitre 7. p. 260. B) L'apparition du socialisme, en milieu ouvrier, gagne des électeurs d'origine catholique sur un programme de transformation de la société. Cf: JOUTARD, Ph. "La Cévenne en difficulté (du milieu du XIXe à nos jours). In: JOUTARD. (Sous la direction de). Op. cit. p. 291. 310. DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 64. 311. PELEN, Jean-No‰l. "La Tradition Culturelle d'hier à aujourd'hui. Vie culturelle et littérature orale". In: JOUTARD, Ph. (Sous la direction de). Op. cit. p. 226. 312. Nous suivons ici une suggestion de Frey, quand il analyse le système écolier au Creusot. In: FREY. Op. cit. p. 87. 313. Ce que nous voulons dire par là, c'est que la force de cette construction morale d'un "territoire" catholique se trouve dans le rapport avec leurs voisins: les protestants. Les migrants catholiques ont certainement utilisé cet ordre social pour favoriser leur enracinement. 314. Frey dit autrement: "C'est l'ensemble des éléments permettant de spécifier le mode de vie des différentes catégories d'habitants qui acquiert une valeur particulière dans la signification des positions sociales en dehors du travail". In: FREY. Op. cit. p. 61. 315. A ce sujet, voir: LAMORISSE. Op. cit. 316. Autrement dit, "le temps familial rejoint le temps de la collectivité", rapports qui s'inscrivent dans la tension entre le pôle de la famille et celui de l'espace social. A ce sujet voir: A) ZONABEND. (1980). Op. cit. B) SEGALEN. (1990). Op. cit. 317. Comprenant pour projet l'intériorisation des chances objectives; autrement dit, "la nature des projets ne dépendrait pas des gens eux-mêmes mais d'une situation objective qui leur serait extérieure". BERTAUX-WIAMME, Isabelle. "Le Projet Familial. Histoires de Vies. Histoires de familles. Trajectoires sociales". In: Annales de Vaucresson, nº 26. 1987-1. p. 64. 318. GOFFMAN. (1974). Op. cit. p. 141. En outre, l'on court le risque de la fatalité physique (la mort) par la "compensation" (ou condition) d'avoir un travail, une précaution (prudence matérielle) prise pour éviter l'impossible survie quotidienne (la famine, la misère, etc.). 319. C'est le champ des possibles qui propose Bourdieu: "Les individus ne se déplacent pas au hasard dans l'espace social, d'une part parce que les forces qui confèrent sa structure à cet espace s'imposent à eux (à travers, par exemple, les mécanismes objectifs d'élimination et d'orientation), d'autre part parce qu'ils opposent aux forces du champ leur inertie propre, c'est-à-dire leurs propriétés, qui peuvent exister à l'état incorporé, sous forme de dispositions, ou à l'état objectivé, dans des biens, des titres, etc. A un volume déterminé de capital hérité, correspond un faisceau de trajectoires à peu près équiprobables conduisant à des positions à peu près équivalentes - c'est le champ des possibles objectivement offert à un agent déterminé -; (...) ". In: BOURDIEU. (1979). Op. cit. p. 122. 320. Ce que nous voulons dire par cela, c'est que "la mine", en tant que champ de travail objectif, et la ville-usine, comme un microcosme social, sont des déterminants, à la fois des projets familiaux objectifs et de l'espace social vécu. Ce qui ne veut pas dire qu'il s'agit de leurs projets idéalisés, de leurs aspirations, de la promotion sociale désirée, ou que cela ne comporte pas un imaginaire quant aux autres fa‡ons d'aménager la vie quotidienne et aux ambitions déçues. Nous nous sentons insuffisamment informés pour pouvoir analyser ces aspects. 321. Une "habileté" à mobiliser le groupe pour le travail à la mine et stratégie complexe et efficace de la Compagnie pour fixer cette population à La GrandCombe. Conditions dans lesquelles l'habitus est produit. 322. Voir ici, LAMORISSE. Op. cit. p. 133. 323. GAILLARD. Op. cit. p. 128. 324. GOFFMAN. (1974). Op. cit. pp. 143 et 144. 325. Il s'agit de la tendance à se marier avec son semblable du point de vue social. De nombreux auteurs utilisent d'ailleurs le terme d'homogamie professionnelle. Parmi eux: A) NOIRIEL. (1986). Op. cit. pp. 46 et 58. B) BOUTOT, Françoise. Glandon, Un Village en Limousin. 1900-1980. Mémoires, Passé, Présent. Mémoire pour l'obtention du diplôme de maîtrise sous la direction de Monsieur A. PROST. Université de Paris I. U.E.R. d'Histoire. 1982. p. 77. C) SEGALEN. (1981). Op. cit. p. 145. D) Sur la littérature consacrée à ce thème voir également J. Kellerhals, J.-F Perrin, G. Steinauer-Cresson, L. Voneche et G. Wirth, qui expliquent les lignes d'interprétation sur la tendance à l'homogamie: 1º) "probabiliste (...) ils sont placés dans des contextes où la probabilité de rencontrer un semblable (et par là de poursuivre une relation) est plus forte (...); 2º) "psychologique (...) a pour base une sorte de théorie des sentiments. Dans cette perspective, le sentiment d'affection serait la résultante d'une similitude socio-culturelle (...); 3º) "économique (...) au sens large de ce terme. Elle émane de tout un courant ethnologique classique en matière de mariage (...). Le mariage est vu fondamentalement comme une stratégie d'échange destinée à conserver et augmenter les capitaux que possèdent les personnes ou les groupes et à transmettre ceux-ci à des rejetons légitimés (...). L'homogamie sociale - entourée ou non d'une idéologie romantique du mariage - serait une stratégie rationnelle des détenteurs de capitaux (matériels ou symboliques). Dans cette ligne, on pourrait distinguer entre une homogamie voulue dans les classes supérieures, et une homogamie subie dans les milieux populaires (...)." Cf. KELLERHALS, J. et alii. "La formation du couple". In: Mariages au quotidien. Inégalités sociales, tensions culturelles et organisation familiale. Lausanne, Suisse, Pierre-Marcel Favre, 1982. Collec. "Regard Sociologique". Chapitre II. pp. 67 et 68. Nous utiliserons aussi le terme "endogamie professionnelle" pour exprimer cette tendance, selon: A) JOLAS et ZONABEND. Op. cit. pp. 169 à 180. B) SEGALEN. (1990). Op. cit. pp. 45 et 46. A titre d'exemple: Actes de mariage nº 18, le 27 juillet de 1847. Nom des fiancés: FERDINAND GAZAY DENISE BAUDOT Age: 19 ans 17 ans Profession: mineur sans profession Lieu de Naissance: Trescol Saint-Vellier(S-Loire). Lieu de Résidence: Champclauson Champclauson Nom du Père: Marcelin Gazay François Baudot Profession du Père: mineur mineur Age du Père: 40 ans 47 ans Nom de la Mère: Marie Rouquette Françoise Chevrean Age de la Mère: 43 ans 45 ans Rés. des Parents: Champclauson Champclauson Témoins: Employés aux Mines. Source: Actes de Mariage 1847. Mairie de La Grand-Combe. 326. Sur une analyse de ce roman voir: RINGGER, Kurt et WEILAND, Christof. "Aspects littéraires de la mine". Université de Mayence. In: Annales du Colloque de Philosophie "L'Homme et la Mine". Dijon - 26 à 28 novembre 1981. Publication réalisée par l'Ecomusée de la Communauté Le Creusot et Montceau-les-Mines et l'Institut Jean-Baptiste Dumay. 54 p. 327. NOIRIEL. (1986). Op. cit. A ce sujet, selon Schwartz: "Les succès impressionnants de l'entreprise paternaliste ont été maintes fois soulignés (Marcel Gillet: 1973, Philippe Ariès: 1971, Gérard Noiriel: 1986). Tout en le reconnaissant, Gérard Noiriel conteste pourtant l'image classique du 'mineur de père en fils', qui surestime fortement, selon lui, l'hérédité professionnelle et sociale de certains univers". In: SCHWARTZ, Olivier. Le monde privé des ouvriers. Hommes et femmes du Nord. Paris, PUF, 1990. p. 70. 328. Voir: A) MURARD et ZYLBERMAN. Op. cit. B) ARIES. (1971). Op. cit. C) GAILLARD. Op. cit. 329. Cf: A) TREMPE. (1971). Op. cit. Tomes I et II. B) NOIRIEL. (1986). Op. cit. 330. Dicton cité par l'ingénieur de mines Simonin en 1867: SIMONIN. (1981). Op. cit. p. 263. Cette oeuvre a été écrite en 1857 par cet ancien ingénieur des mines de la Loire, devenu le principal idéologue des compagnies (Information obtenue auprès de MATTEI, Bruno. "Portrait du mineur en héros". In: DESBOIS, Evelyne et alli. Op. cit. p. 88. 331. L'enfant n'est plus négligé et elle n'est plus la famille nombreuse de l'ancienne société (Ancien Régime). Ainsi, nous pouvons suggérer que la famille du temps de la Compagnie est une famille à mi-chemin de celle qu'Ariès nomme famille moderne. A ce sujet voir: A) ARIES, Philippe. L'enfant et la vie familiale sous l'Ancien Régime. Paris, Seuil, 1973. B) ARIES, Philippe. "Natalité et chrétienté". In: ARIES. (1971). Op. cit. pp. 312 à 342. C) SHORTER, Edward. Naissance de la famille moderne. Paris, Seuil, 1977 (1e édition: 1975). 332. SCHWARTZ. Op. cit. p. 70. 333. BOURDIEU. (1979). Op. cit. 334. Nous suivons ici BROMBERGER; CENTLIVRES; COLLOMB. "Entre le local et le global: les figures de l'identité". In: SEGALEN (présenté par). (1989). Op. cit. p. 139. 335. Voir à ce sujet: A) GIRARD, Alain. Le choix du conjoint. Paris, PURFINED. "Travaux et Documents". Cahier nº 70. 1974 (2e édition). 201 p. B) SEGALEN. (1981). Op. cit. pp. 143 à 149. 336. Nous ne parlons pas de cloisonnement de l'aire matrimoniale. Cela dit, n'oublions pas que nous sommes dans un pays d'origine agricole de fortes traditions cévenoles. Les villages environnants offrent leurs fêtes typiques où les jeunes du bassin minier viennent assez souvent. Ce qui explique d'ailleurs des mariages entre mineurs et filles de paysans et vice-versa (?). 337. A l'exemple du Creusot. Cf: FREY. Op. cit. p. 83. 338. Cela concerne les mécanismes de stimulation à l'auto-reproduction de la communauté de travail grand-combienne dont nous avons parlé précédemment: reproduction initiale de la main-d'oeuvre pour stabiliser sur plusieurs générations la population laborieuse et éviter les problèmes de recrutement dans l'avenir. En outre, voir Annexe 8: "Le mouvement naturel de la natalité à La GrandCombe". 339. GAILLARD. Op. cit. p. 169. 340. FLECHON. Op. cit. Tome I. pp. 50 et 51. 341. "L'intensité du célibat masculin dénonce l'aspect encore pionnier de l'extraction houillère. En revanche, la fréquence des femmes mariées aux âges les plus féconds augure déjà du niveau de la natalité". In: LAMORISSE. Op. cit. pp. 131 et 132. 342. Voir Annexe 9: "Recensement de la Population de La Grand-Combe en 1846, 1851 et pourcentage des célibataires à La Grand-Combe en 1851 selon Lamorisse". 343. Ibidem. p. 152. 344. FLECHON. Op. cit. Tome I. 91. 345. Sur quelques coutumes concernant les noces à La Grand-Combe, voir TAURINES et CAMMARATA. Op. cit. Chapitre IV. pp. 30 à 33. 346. Voir Annexe 10: "Mariages en 1847 selon le lieu de naissance". 347. Voir Annexe 11: "L'examen des lieux de naissance, liste nominative de 1876". 348. Notes de M. Chevalier, cité par: GAILLARD. Op. cit. p. 164 et 165. En plus: "Entre 1870 et 1880, 1455 personnes se sont mariées à La Grand-Combe et les actes de mariage permettent de tirer les enseignements suivants: 60% des personnes mariées au cours de ces 10 années sont natives du Gard, 18% de la Lozère, 12% de l'Ardèche, 1,9% de l'Aveyron, 1,3% de la Haute-Loire, 1,1% de l'Hérault, 0,7% des Bouches-du-Rhône, 0,5% de l'Isère, 0,4% des Hautes-Alpes, 0,3% du Cantal". In: GAILLARD. Op. cit. pp. 164 et 165. Selon des études démographiques de la ville, entre 1846 et 1875, plus de 50% des époux sont nés dans le département du Gard, mais un certain nombre d'entre eux sont originaires des départements limitrophes: Lozère, Ardèche, Aveyron, et aussi de la Haute-Loire, etc. 349. Voir, à titre d'exemple, Annexe 12: "Actes de mariage de 1847 et de 1857". 350. En 1847, deux filles d'agriculteurs convolent avec des agriculteurs, et deux filles d'agriculteurs convolent avec des mineurs. 351. Cela ne veut pas dire baisse numérique de la population autochtone, mais plutôt conversion des agriculteurs à l'industrie minière. 352. Voir à ce sujet, LAMORISSE. Op. cit. pp. 131 à 133. 353. Ibidem. p. 151. 354. Lamorisse le confirme autrement: Dans le brassage démographique observé en 1876, la presque totalité des futurs époux résident à La GrandCombe lorsque les bans sont publiés: 213 fiancés sur 227. Cf. Ibidem. p. 152. 355. Cf. Ibidem. p. 152. 356. Comme l'observe Noiriel: "Un des leitmotiv des théoriciens du 'paternalisme' comme Frédéric Le Play, constamment répété par les patrons de la grande industrie jusque dans les années trente, c'est que la femme est le principal 'agent de stabilisation' des ouvriers nomades. De fait, à toutes les époques, on constate que l'ouvrier immigré marié, c'est-à-dire bientôt père, change ses habitudes. Il va moins souvent au café, parce qu'il n'est plus seul et parce que ses ressources ne le lui permettent plus. Il ne vit plus en cantine, mais cherche un véritable 'toit', un 'chez-soi'. La 'plus haute des solitudes' s'atténue; l'ordinaire (repas, linge, etc.) s'améliore. Une nouvelle logique prend forme. Avec la stabilisation de la population, le logement devient plus décent, que ce soit en cité ouvrière ou en H.L.M. (PIN€ON. 1981). Fréquemment, c'est à ce moment-là que s'achève le processus de regroupement de la 'communauté'". In: NOIRIEL. (1988). Op. cit. pp. 192 et 193. 357. Dans la société patrimoniale, le système d'héritage, "la propriété s'y transmet, de génération à génération, en ligne masculine; ainsi, en Angleterre et en France, la succession par primogéniture faisait passer les biens du fils aîné de chaque génération au fils aîné de la génération suivante". Cf: SENNET. (1981). Op. cit. p. 80. 358. Le système de famille paysanne étendue et élargie, par exemple. Nous avons déjà parlé à ce sujet auparavant). En outre, voir: A) "La famille élargie du Midi est le plus souvent du type communautaire (...)". In: BRAUDEL, Fernand. L'identité de la France. Paris, Arthaud-Flammarion, 1986. p. 89. B) FLANDRIN. (1984). Op. cit. Chapitre II. p. 54. C) SEGALEN. (1981). Op. cit. 359. Il est vrai que dans cette société paternaliste n'existe pas le problème du patrimoine. "Les biens ne sont plus transmis légalement du père au fils aîné selon le principe de primogéniture". Cf. SENNET. (1981). Op. cit. p. 81. Mais, par rapport à la prédominance de l'autorité masculine, celle-ci est bien ancrée dans les valeurs des familles d'origine cévenole. Comme l'observe Travier: "Dans les familles cévenoles, la composante première est le Père. Il en est le chef et le reste jusqu'à la mort, où l'héritier mâle lui succédera. Même âgé, il conserve son autorité sur tous les groupes composant la famille. Dans le cas d'une héritière, c'est l'époux de cette dernière qui assurera les fonctions de responsable de la maisonnée. L'autorité appartient à l'homme qui domine toute la famille et tout particulièrement la femme. Elle est toujours au second plan, effacée derrière l'homme, bien que très active. Dans la Cévenne protestante, elle s'identifie à l'épouse vertueuse des Proverbes 31 (v. 13 à 31). Le but, la finalité de la femme cévenole à l'image du texte biblique est orienté vers l'homme. Toutes les tâches classiques reconnues dans la vieille société patriarcale comme siennes lui incombent (...)". Selon: TRAVIER, Daniel. "Technique et vie quotidienne". In: JOUTARD. (Sous la Direction de). Op. cit. Chapitre 5. p. 164. 360. "Si tout ce qui touche à la famille n'était pas entouré de dénégations, il ne serait pas besoin de rappeler que les relations entre ascendants et descendants elles-mêmes n'existent et ne subsistent qu'au prix d'un travail incessant d'entretien et qu'il y a une économie des échanges matériels et symboliques entre les générations. Quant aux relations d'alliance, c'est seulement lorsqu'on les enregistre comme fait accompli, (...) que l'on peut oublier qu'elles sont le produit de stratégies orientées en vue de la satisfaction d'intérêts matériels et symboliques et organisées par référence à un type déterminé de conditions économiques et sociales". In: BOURDIEU. (1980). Op. cit. p. 280. 361. Sur le rôle du prêtre dans les systèmes des échanges matrimoniaux et procréation, sous l'angle de la moralité familiale, voir entre d'autres: A) ARIES, Philippe. "Natalité et chrétienté". In: ARIES. (1971). Op. cit. pp. 312 à 321. B) DONZELOT, Jacques. La Police des Familles. Paris, De Minuit, 1977. Chapitre 5: "La Régulation des images". Item A: Le Prêtre et le Médecin. p. 155. 362. Lamorisse dans son analyse du cadre de fécondité à La Grand-Combe en 1886, plus significative que celle des villes voisines comme Bessèges, observe: "Cette différence (...) peut se justifier par une emprise mieux assurée du catholicisme à La Grand-Combe; il est permis aux prêtres d'y livrer avec un certain succès 'de vigoureuses batailles dans le secret du confessionnal'" (il cite ici FLANDRIN, Jean-Louis. L'Eglise et le contrôle des naissances. Questions d'histoire. Paris, Flammarion, 1970. p. 83-86). Selon Lamorisse: Nombre d'enfants pour cent femmes âgées de 25-29 20-24 30-34 ans Bessèges 80 148 206 La Grand-Combe 104 172 253 Source: LAMORISSE. Op. cit. p. 134. 363. GAILLARD. Op. cit. p. 204. 364. FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 53. 365. Par groupe domestique, entendons "un ensemble de personnes qui partagent un même espace de vie: la notion de cohabitation, de résidence commune est ici essentielle (...)". In: SEGALEN. (1981). Op. cit. pp. 33 et suivantes. 366. PIN, Henri. Les mines de houilles dans le Gard - la condition du mineur. Thèse de Droit, Montpellier, 1914. (Nous ne connaissons pas le nombre total de pages de cette thèse. Nous n'avons eu accès qu'à quelques chapitres disperses qui ont été aimablement mis à notre disposition par un interviewé). 367. DONZELOT. Op. cit. p. 161. 368. "Dans la famille de l'ouvrier, la contradiction résulte de la nature de la relation entre la femme et son mari, une relation qui ne repose pas sur l'égalité mais qui est aliénée par la dépendance économique de la première à l'égard du second. De même que le mari ouvrier est opprimé dans son travail dont le produit sert la richesse et le pouvoir des autres mais pas lui-même et sa classe sociale, l'épouse de l'ouvrier reproduit au sein du couple la relation de dépendance entre celui-ci et son employeur capitaliste (...)". In: MICHEL. (1986). Op. cit. Chapitre III, section 4: "Dorothy Smith: Famille et capitalisme de monopole". p. 91. 369. GAILLARD. Op. cit. p. 174. 370. Nous avons développé précédemment notre point de vue à ce sujet. Voir Chapitre 1, Section B. 371. FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 54. 372. Ouvrier travaillant à la mine. 373. SOURCE: Recensement de la commune de La Grand-Combe de 1846. Mairie de La Grand-Combe. 374. En effet, selon le récit de Chaleil, nous ne pouvons pas dire qu'à cette époque les familles nombreuses étaient abondantes: "A l'époque, on perdait beaucoup d'enfants en bas âge; dans les familles nombreuses, le tiers, quand ce n'était pas la moitié. J'ai le souvenir de tous ces deuils, et dans les discussions, les femmes parlaient de leurs petits enfants morts. Il me semble que c'était moins dramatique qu'aujourd'hui, les gens voyaient ça comme des épreuves envoyées par Dieu, ils souffraient dans leur chair, mais ils se résignaient. Un autre fils ou une autre fille naissait, et tout rentrait dans l'ordre. La mortalité atteignait surtout les enfants jusqu'à l'âge de sept ans. Ce cap passé, ils devenaient plus résistants. Mourir à onze, douze ans était accidentel. La mauvaise alimentation, le manque d'hygiène, et plus encore les épidémies étaient les responsables. Ou encore un refroidissement ou une rougeole mal soignée. Les parents s'occupaient moins de leurs enfants parce qu'ils travaillaient trop. Mais c'est surtout les épidémies comme la peste, la grippe espagnole et le choléra qui faisaient des ravages. Cela vous décimait un village". In: CHALEIL, Léonce. La mémoire du village. Les Presses du Languedoc, 1983-1989. p. 126. 375. Sur la fécondité féminine voir: LAMORISSE. Op. cit. pp. 133 et 134. 376. Sur la mortalité à La Grand-Combe: A) "Ce sont les conditions d'existence qui se sont délabrées et ce que, d'un point de vue purement statistique, nous convenons d'appeler 'mortalité endogène' (...). Pendant la grossesse, la santé et l'hygiène des femmes sont à la merci d'un travail pénible, d'un habitat défectueux, de maladies sociales, de tout un environnement qui accentue les risques d'accouchements difficiles où la vie du nouveau-né et celle de la mère sont bien précaires"(...). "En effet, l'industrie extractive est devenue indirectement une pourvoyeuse diligente des cimetières (...)". In: LAMORISSE. Op. cit. pp. 136 à 141. B) "(...) alors qu'en France le taux de mortalité ne dépasse que très rarement vingt-cinq pour mille, à La Grand-Combe jusqu'à 1884 il est toujours supérieur à trente-cinq pour mille, comparable à celui que les Fran‡ais connaissaient au temps de Louis XV. La mortalité infantile en particulier est de quatre-vint-cinq points au-dessus de la moyenne fran‡aise (deux cent cinquante-deux pour mille contre cent soixante-sept pour mille, tout à fait comparable au XVIIIe siècle). Après 1890, la situation s'améliore et se rapproche des moyennes nationales". In: JOUTARD, Ph. "La Cévenne en difficulté (du milieu du XIXe à nos jours). In: JOUTARD. (direction). Op. cit. p. 277. 377. Voir Annexe 13. 378. Cf. LAMORISSE. Op. cit. p. 130. 379. Au fil des années l'immigration diminue sensiblement, ceci étant dû à la baisse des effectifs engagés par la Compagnie (stagnation aussi de la production de charbon). 380. "En 1876, le célibat féminin présente des pourcentages voisins de ceux qui s'observaient à la génération précédente". In: LAMORISSE. Op. cit. p. 132. 381. LAMORISSE. Op. cit. p. 132. 382. Selon Lamorisse, depuis 1876, la population autochtone à La GrandCombe ne cesse de s'étoffer: "elle ne cumulait alors que 43,7% du total recensé, pourcentage qui atteint 54% en 1906". In: LAMORISSE. Op. cit. p. 210. 383. Ibidem. p. 200. Voir Annexe 14. 384. Selon Lamorisse, les mineurs pensionnaires correspondent très souvent aux mineurs saisonniers. Cf. Ibidem. p. 145. 385. Ibidem. p. 151. 386. "Imaginez une cité ouvrière. Cent, deux cents ménages y vivent côte à côte: les femmes, promptes à se quereller, surtout quand les maris sont absents; les hommes, rentrés du travail, apportant dans la maison leur part de trouble et de bruit; les enfants, renchérissant sur le tout par leurs cris continus et leurs jeux bruyants (je passe sur d'autres incommodités), tout cela va bien vite rendre cette caserne inhabitable et la changer en un enfer". In: SIMONIN. (1981). Op. cit. Chapitre XI. En effet, cet ingénieur de mines fait dans ce chapitre l'apologie de l'habitat isolé, puisque, continue-t-il: "Avec les logements isolés chacun est libre, ne gêne pas son voisin, et charbonnier est maître chez lui, c'est ici le cas de le dire. Le besoin de l'isolement a été tel sur quelques houillères, qu'il a même fallu renoncer au modèle des cités ouvrières de Mulhouse qu'on avait essayé d'y introduire. Dans ces maisons, quatre familles peuvent s'abriter sous le même toit, mais ont chacune un logement à part. L'indépendance est aussi grande que possible. Eh bien! cela n'a pas suffi, au moins dans les houillères de Saône-et-Loire, et il a fallu partout, à Blanzy, au Creuzot, à Epinac, en venir aux maisons tout à fait isolées". In: Ibidem. p. 263. 387. Maints auteurs analysent la politique du logement ouvrier au XIXe siècle en mettant en relief les dispositifs qu'industriels et hygiénistes développent pour arriver à l'assujettissement des familles ouvrières. Les villes-usines sont vues comme un modèle de panoptique, comme stratégies de "constitution des ménages" où les rapports de voisinages deviennent contrôle social: la police des voisinages/la police des familles. Voir: A) JOSEPH, Isaac; FRITSCH, Philippe et BATTEGAY, Alain. Disciplines à domicile. L'édification de la famille. Fontenay-Sous-Bois. Recherches nø 28. novembre 1977. B) MURARD et ZYLBERMANN. "Réglementer et surveiller le voisinage, faire la police des petites relations quotidiennes, et isoler la famille sur le logement". In: Op. cit. p. 206. 388. FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 51. 389. LAMORISSE. Op. cit. p. 151. Non seulement ceux qui manifestent un comportement saisonnier conservent des liens avec le milieu rural, mais il semble que certains de ceux qui s'étaient enracinés envoyaient une partie du profit aux parents restés au village d'origine. Cf: TAURINES et CAMMARATA. Op. cit. p. 52. 390. "On dirait que ce mot désigne plusieurs expériences. Et que si nous en avons inventé l'image d'une défense des hommes contre ce qui les écrase, cette définition fait encore l'objet d'un conflit. Et qu'elle en appelle à la lutte plus qu'au sentiment". In: DUVIGNAUD, Jean. "La solidarité. Liens de sang et liens de raison. Paris, Fayard, 1986. p. 10. 391. FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 60. 392. Les Cévennes désignées par les géographes concernent l'ensemble du rebord Sud-Est du Massif Central, mais les Cévennes historiques, l'espace où l'on se dit Cévenol, sont bien plus restreintes et s'étalent autour d'Alès, du Vigan (Gard) aux Vans (Ardèche), du massif de l'Aigoual à celui du Lozère. Cf: WIENIN. Op. cit. p. 4. En outre: "La Cévenne appartient traditionnellement à l'arrière-pays bas-languedocien. Cette notion demeure chargée de tout son sens physique: c'est l'imposant gradin par lequel le chênaie d'yeuse, représentative de cette portion du domaine méditerranéen, grimpe jusqu'aux confins de l'étage montagnard que caractérise la hêtraie; c'est le gigantesque talus par lequel on accède aux hautes terres que couronnent les pelouses de l'Aigoual et du Mont Lozère". In: LAMORISSE. Op. cit. p. 406. 393. Nous utilisons ici des expressions de Bourdieu. Cf: BOURDIEU, Pierre. "L'identité et la Représentation. Eléments pour une réflexion critique sur l'idée de région". In: Revue Actes de la Recherche en Sciences Sociales. Paris, Ed. De Minuit, novembre 1980. nº 35. pp. 57 à 69. 394. "(...) On verra également que l'église s'est chargée de développer un esprit et des actions de solidarité, conformant en cela un système qui, d'emblée, s'imposait aux individus au-delà de leurs différences". In: TAURINES et CAMMARATA. Op. cit. pp. 52 et 53. 395. Fruit d'une résistance commune. Beaucoup de choses à redire ici sur la naissance d'une "conscience de classe". Cela échappe à nos propos. 396. "Ce métier, qui attirait des ouvriers d'élite, adroits et puissants, sérieux et ordonnés, par les hauts salaires qu'il assurait, la considération dont il était l'objet, l'indépendance relative qui en était la conséquence, les usait d'une manière rapide et inéluctable. Combien Besson (Flechon) en connut-il de ces hommes, souvent venus quelques années plus tôt de leur Ardèche ou de leur Lozère natales, des pays méditerranéens ou de l'Europe Centrale, les uns avec le visage tanné des paysans de la plaine, les autres avec les pommettes roses des gens de la montagne, mais qui tous montraient dans le halo tremblotant des lampes du chantier leurs silhouettes puissantes qui auraient tenté les plus grands sculpteurs, et qui finissaient, avant la cinquantaine, pâles, amaigris, crachant le sang, haletant pour donner à leurs poumons corrodés les dernières bouffées d'air qu'ils pouvaient absorber! Fiers d'eux-mêmes et de leur travail ('C'est moi qui ai creusé le travers bancs de l'étage 40'), ils croyaient lutter contre le mal insidieux en buvant beaucoup de lait, même s'ils n'abandonnaient pas toujours la chique; ils se sentaient pleins de force et d'allant, jusqu'au jour où la première hémoptysie les conduisait chez le Médecin de la mine. C'était le début d'un long calvaire, entrecoupé de périodes de repos et de reprises d'un travail, moins noble et moins rémunéré; avec les précautions d'hygiène que le docteur imposait dans un logement exigu pour éviter la contamination des enfants; avec les moments de rémission, suivis d'un abattement profond, avec les forces qui peu à peu s'en allaient, les muscles qui s'amollissaient, les joues qui se creusaient chaque jour un peu plus dans un visage où, seuls, les yeux brillaient intensément. Cela durait ainsi quelques années où les camarades disaient de l'ouvrier atteint 'il a fiat du rocher', jusqu'au jour où le coup de froid achevait l'oeuvre commencée par la silice et emportait l'ancien travailleur d'élite". In: FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 63. 397. "Il a fallu attendre 1945 et la création de la Sécurité Sociale pour que la silicose fut enfin reconnue comme maladie professionnelle et la protection des ouvriers au rocher mieux assurée et mieux contrôlée." In: Ibidem. Tome I. p. 64. Sur la maladie "silicose" chez les mineurs grand-combiens vers 1930 voir: Ibidem. Tome I. pp. 63 et 64. 398. Sur la complicité professionnelle voir: A) SIMONIN. (1981). Op. cit. Chapitre XI. B) TOURAINE, Alain. La conscience ouvrière. Paris, Seuil, 1966. pp. 64-82. C) TREMPE. (1971). Op. cit. Tome 1 et 2. 399. TAURINES et CAMMARATA. Op. cit. p. 52. 400. MATTEI, Bruno. "Portrait du mineur en héros". In: DESBOIS, Evelyne et alii. Op. cit. p. 88. 401. A l'exemple des mineurs à Carmaux: "Son exercice entraîne une organisation particulière de la vie quotidienne. Selon que les mineurs travaillent au fond ou à la surface, qu'ils appartiennent au poste du matin ou du soir, ils peuvent participer normalement ou non à l'existence familiale. Le mineur de fond travaille à des heures telles qu'il doit dormir une partie du jour. Il se lève, mange et se couche à contretemps par rapport aux occupations normales de sa femme et de ses enfants. Si ceux-ci ou l'un d'entre eux est aussi employé à la mine et fait partie de postes différents, il n'y a plus à proprement parler de vie de famille possible, sauf le dimanche...". In: TREMPE. (1971). Op. cit. Tome 1. p. 319. 402. Plus qu'une preuve de solidarité, le chef de famille adhère à son rôle de père nourricier sans le remettre en question. Cf: TAURINES et CAMMARATA. Op. cit. pp. 52 et 53. Selon Ariès, ce sont là des caractéristiques de la famille moderne: "La famille ancienne était centrée autour de l'autorité paternelle et de la gestion domaniale. La famille moderne s'organise en fonction de l'enfant et de son avenir". Cf: ARIES. (1971). Op. cit. p. 330. 403. Nous suivons ici Schwartz, qui suggère: "(...) à la mine comme dans le coron, les mineurs se sont suffisamment approprié leur univers pour s'y retrouver 'chez eux'. Cette ré-appropriation défensive du territoire fut elle aussi un facteur décisif d'enracinement: c'est par elle que le groupe s'est constitué en sujet actif de sa vie sociale, et que chacun de ses membres, arrimant sa vie à toute la communauté, pouvait reconquérir des forces et une identité. Du même coup, le monde des mineurs se soudait autour d'une forte conscience d'appartenance". In: SCHWARTZ. Op. cit. pp. 71 et 72. 404. ZONABEND. (1980). Op. cit. pp. 121 et 122. 405. GAILLARD. Op. cit. p. 131. 406. Ibidem. p. 123. 407. FREY. Op. cit. p. 96. 408. En France le décret du 3 janvier 1813 interdit le travail au fond de la mine aux enfants de moins de 10 ans. La loi du 19 mai 1874 fixait à 12 ans l'âge d'embauche et interdisait le travail de nuit avant 16 ans. La loi du 2 novembre 1892 stipule que les enfants munis du certificat d'études primaires institué par la loi du 22 mars 1882 (établissant la scolarité obligatoire) pouvait y être employés à l'âge de 12 ans (loi qui interdit avant 12 ans le travail des enfants). Pour le contenu des lois promulguées sur la scolarisation de l'enfant-ouvrier et une analyse voir: SANDRIN, Jean. Enfants trouvés, enfants ouvriers. 17e-19e siècle. Paris, Aubier, 1982. 255 p. 409. "Au milieu du siècle, pour les mines fran‡aises, dix ans était l'âge minimum d'admission au travail, en vertu de la loi de 1810 et du décret de 1813, mais il semble bien qu'il s'agisse d'un âge théorique pour les Compagnies houillères qui ne respectaient pas les dispositions légales, (...)". In: TREMPE. (1971). Op. cit. Tome 1. p. 140. 410. FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 55. 411. "Faute d'un apprentissage organisé et rationnel, le jeune gar‡on désireux de devenir mineur s'initiait à son travail en exécutant, un à un, tous les métiers du fond dont chacun lui apportait une connaissance nouvelle". In: TREMPE. (1971). Op. cit. Tome 1. p. 115. 412. FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 92. 413. "La lutte de chaque jour contre ce que nous avons appelé avec notre grand poète Hugo l'anankè, la fatalité des éléments, a fait du houilleur un sorte d'ouvrier-soldat, discipliné, plein d'énergie. Dans cette armée du travail, les vieux instruisent les jeunes, et ceux-ci acquièrent bien vite, par la pratique assidue du chantier, une foule de qualités solides, la patience, la réflexion, le sang-froid, sans lesquelles il n'est pas de bon mineur. Il faut rompre aussi le corps aux plus dures fatigues, braver en face de continuels périls, s'accoutumer à la vie sous terre". In: SIMONIN. (1981). Op. cit. p. 257. 414. La loi du 13 mai 1875 précisait que les enfants de 12 à 16 ans pouvaient être utilisés que pour les fonctions dites accessoires. La loi du 2 novembre 1892, retarda à dix-huit ans le moment où le jeune ouvrier recevait l'autorisation de travailler au fond. Cf. TREMPE. (1971). Op. cit. Tome I. p. 140. 415. FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 55. 416. Journal Le Pays Cévenol et Cévennes. D'Alès - La Grand'Combe à Florac. Hebdomadaire Régional d'Informations d'Annonces Légales et Judiciaires agréé pour l'ensemble du département du Gard. 1983. Document: "Le travail des Enfants dans les manufactures, usines, mines, ateliers, de l'arrondissement d'Alais - Rapport - Gard, 1867". 417. Article de R. Aubaret, 7 juin 1980. Journal Le Pays Cévenol et Cévennes. D'Alès - La Grand'Combe à Florac. Hebdomadaire Régional d'Informations d'Annonces Légales et Judiciaires agréé pour l'ensemble du département du Gard. Le 7 Juin 1980. 418. A ce sujet voir: TREMPE. (1971). Op. cit. Tome I. pp. 140 et 141. 419. SCHWARTZ. Op. cit. p. 68. 420. NOIRIEL. (1986) Op. cit. p. 1O9. 421. Parmi d'autres: MALVA, Constant. Ma nuit au Jour le Jour. Journal écrit en 1937, divulgué par l'auteur en 1938, publié en Belgique en 1952. Cet auteur écrira: "Ce n'est pas vrai que le mineur aime son métier. Ils ont du mal à s'en défaire, mais de là à l'aimer! Ils se maudissent tout le temps de l'avoir choisi: ils ne l'ont d'ailleurs pas choisi, il leur fut imposé par certaines circonstances. oui, les mineurs maudissent leur métier." In: MALVA, Constant. Ma nuit au jour le jour. Paris, Maspéro, 1978. 2O3 p. 422. GAILLARD. Op. cit. p. 175. 423. PACZKOWSKI et VIELZEUF. Op. cit. p. 52. 424. Quoique le but idéologique développé par les écoles privées créées par le système Schneider au Creusot (industrie métallurgique, 1856), et par la Compagnie à La Grand-Combe, finisse par être le même - "l'école constitue une préparation à la division du travail; elle représente l'antichambre de l'univers hiérarchisé de l'entreprise" - celui développé par les établissements Schneider est plus spécialisé, ayant formé non seulement la plus grande partie du personnel "non qualifié" mais aussi des ouvriers qualifiés et des ingénieurs 'maison', ce qui n'a pas été le cas à La Grand-Combe où le personnel spécialisé venait du rang des grandes écoles d'ailleurs... Ce qui n'invalide pas pour autant la comparaison par rapport au contrôle exercé par ces deux administrations industrielles dans les établissements d'enseignement. Nous nous approprions ici l'analyse faite par Fran‡ois PORTET et Marcel TEITLER dans le texte "Identité sociale et territorialité de deux villes industrielles de taille moyenne: bistrots et quartiers au Creusot et à Montceau-les-Mines". In: Op. cit. p. 60. 425. Pour Gaillard, cette stratégie de "recrutement" de la Compagnie visait à masquer l'antagonisme irréductible existant entre le capital et le travail (...) et par là même les antagonismes de classe sont rendus plus flous, moins perceptibles, voire même annihilés. Cf. GAILLARD. Op. cit. p. 135. 426. FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 55. A l'exemple du système Schneider au Creusot: "La promesse d'une mobilité sociale intergénérationnelle est donc étroitement associée avec une éducation morale au service des intérêts de la famille Schneider. L'éventualité que cette possibilité devienne réalité dépend à la fois de critères 'objectifs' (l'intelligence, le talent) et de la fa‡on dont les valeurs et les normes encouragées par le patronat sont intériorisées par les candidats à la promotion". Cf: PORTET, Fran‡ois et TEITLER, Marcel. "Identité sociale et territorialité de deux villes industrielles de taille moyenne: bistrots et quartiers au Creusot et à Montceaules-Mines". In: Op. cit. pp. 60 et 61. 427. Cf. GAILLARD. Op. cit. p. 133. 428. Ibidem. p. 131. 429. FAVEDE. Op. cit. pp. 79 et 80. 430. FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 55. 431. FREY. Op. cit. p. 76. De plus: "L'institution scolaire en est le support et sanctionne, par la réussite ou l'échec, les chances que l'on a de changer de situation dans la succession des générations". Dans ce sens l'école apparaît comme "moyen de production des qualifications et compétences dont l'usine a besoin, la scolarisation devient l'instrument privilégié de l'insertion de la condition salariale dans la quotidienneté". In: FREY. Op. cit. p. 98. 432. Nous nous référons à l'Ecole des Maîtres Mineurs d'Alès, dirigée par M. Jules Callon, ingénieur-chef des Mines de La Grand-Combe. Un arrêté ministériel du 25 février 1845 le chargea des fonctions de directeur de cette école qui venait d'être fondée par ordonnance royale. En 1846, le ministre des travaux publics, de passage à Alès, l'autorisait à cumuler ses fonctions avec celles d'ingénieur-chef des Mines de La Grand-Combe. Cette école avait pour objet de donner une instruction théorique, modeste mais suffisante, à des jeunes gens justifiant par la production de leur livret, qu'ils ont pendant un an au moins travaillé comme ouvrier dans une mine. Callon assuma aussi la coordination de la cuisine et des dortoirs de cet établissement, et les programmes d'étude: 'Après avoir dressé la liste des matières enseignées, il allait jusqu'à fixer la composition de l'ordinaire et à imposer des mesures d'ordre, de discipline et d'hygiène, comme la toilette à grande eau le matin, dans la cour, qui donnera à des mineurs le go–t et l'habitude de la propreté'. Trente ans après, l'organisation de l'école suivait encore le programme établi par Callon, sans changement. Cf: Journal Le Pays Cévenol et Cévennes. D'Alès - La Grand'Combe à Florac. Hebdomadaire Régional d'Informations d'Annonces Légales et Judiciaires agréé pour l'ensemble du département du Gard. Nø 1114. Le 1ø Octobre 1983. 433. Selon Gaillard, c'est grâce à l'émigration occasionnelle et aux licenciements - qui augmentent à partir de 1896 - qu'on observe quelques situations de rupture de ce système. In: GAILLARD. Op. cit. 434. GAILLARD. Op. cit. p. 22O. En outre: "Nul doute que la fin de 1848 et l'année 1849 ont été pour les ouvriers de la Compagnie des 'années terribles', celles de la répression et de la prolétarisation accélérée. Cependant, pour le patronat de la Grand-Combe, le germe de la révolte avait été extirpé, le terrain avait été déblayé pour la mise en place des mécanismes fondamentaux de la ville-usine tels que nous les avons analysés, mécanismes destinés à éviter à jamais le retour d'événements aussi préjudiciables à la bonne marche d'une entreprise capitaliste". In: Ibidem. p. 224. 435. GAILLARD. Op. cit. p. 217. Selon cet auteur, ces étrangers étaient perçus par les autochtones comme "les agents, inconscients et involontaires, de la prolétarisation. En faisant un travail à la fois de pédagogie et de commandement, ils apparaissent, aux yeux des paysans-mineurs de la GrandCombe, comme des alliés objectifs de la maîtrise, des ingénieurs, du Directeur". In: Ibidem. p. 218. 436. Ibidem. pp. 219 et 22O. 437. Gaillard raconte la révolte des ouvriers par rapport à l'ingénieur de mines M. Callon, arrivé en 1846 pour mener le processus de prolétarisation. Cf. Ibidem. pp. 221 et 222. Voir aussi: DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 64. 438. Voir: A) PUECH. "Panique financière à la suite des événements de 1848". In: PUECH. Op. cit. Tome II. p. 76. B) TURPIN. Op. cit. pp. 3 et 16. C) GAILLARD. Op. cit. pp. 217 à 224. 439. Cf. Gaillard Op. cit. pp. 223 et 224. De plus: "Cette année-là, à la faveur du mouvement révolutionnaire des 22, 23, 24 février qui substitua la République à la Monarchie de Juillet et prit fin le 26 juin 1848 avec l'écrasement des forces révolutionnaires, 3OO ouvriers belges et piémontais furent expulsés par les ouvriers de la mine qui sabotèrent les chantiers. C'est cet événement qu'on a appelé "l'affaire des Piémontais". M. Thibaudet, ingénieur, fut débarqué pour "manque d'énergie". Il fut remplacé le 24 octobre 1849 par M. Fran‡ois Beau (qui était directeur des Mines de Rochebelle) avec le titre de directeur (...)". In: PACZKOWSKI et VIELZEUF. Op. cit. p. 197. 440. Le recensement de 1851 confirme une forte chute du nombre des étrangers au sein de la population agglomérée qui, en augmentant, était cependant passée à 4.730 habitants (4.693 fran‡ais, 5 allemands, 2 belges, 5 espagnols, l polonais et 24 autres). 441. "Cet essor est du à l'émergence de la révolution industrielle dans le sud de la France et notamment à l'augmentation massive des demandes de charbonnières. Les augmentations de la demande auront différentes origines; essor de la métallurgie gardoise jusqu'en 1880, accroissement des besoins sur le marché méditerranéen et notamment dans le domaine des chemins de fer et de la navigation fluviale et maritime et pour l'industrie marseillaise en plein essor". In: DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 52. 442. A ce sujet voir: PUECH. Op. cit. pp. 291 et 292. Voir aussi: GAILLARD. Op. cit. pp. 132 et 133. 443. Turpin parle de 955.742 tonnes de charbon pour 1891. In: TURPIN. Op. cit. p. 7. 444. Ibidem. 445. Voir à ce sujet: A) DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 38. B) LAMORISSE. Op. cit. Chapitre: "La mortalité". p. 136. 446. "Cercle du Progrès et Cercle de l'Avenir, à La Grand-Combe, début 1881". A ce sujet voir: SUGIER, Fabrice. Mouvement ouvrier et mouvement socialiste dans le Bassin Industriel d'Alès. Maîtrise, Montpellier III, 1985, 155 p. En plus: "Le cercle des travailleurs de la Grand-Combe se transforma rapidement en chambre syndicale des Travailleurs, d'autres groupes se forment dans les localités environnantes peuplées d'ouvriers de l'entreprise: "Cercle des Travailleurs des Salles du Gardon", ville située en face de la Grand-Combe de l'autre côté de la rivière; "cercle de l'Union de Trescol", plus au nord dans la vallée; "cercle de l'Avenir du Pradel", à l'est de la ville-usine; "cercle de l'Egalité des Taillades", hameau ouvrier de Branoux, près de Trescol, sur la rive droite du Gardon". In: GAILLARD. Op. cit. p. 233. 447. Suivant la suggestion de Frey pour les licenciements effectués à Creusot 1814-1925, cela présente au moins trois aspects: "force de dissuasion, ils incitent à la soumission; répression de quelques éléments politiques précis, ils permettent, au-delà d'une efficacité immédiate, d'avoir l'impression de reprendre en main une situation conflictuelle; justifiés par des conflits et des grèves, ils permettent de réajuster les effectifs aux besoins de la production". In: FREY. Op. cit. p. 111. 448. DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 65. De plus, sur la grève de 1881, origine, déroulement et conséquences, voir: GAILLARD. Op. cit. pp. 233 à 247. 449. Sur les élections législatives dans cette période voir: A) "Les objectifs implicites contenus dans la répression de 1881 ont donc été parfaitement atteints: La Grand-Combe est redevenue le point faible de la lutte des classes dans le Gard, rebelle à l'anarchisme qui se développe à Bessèges, au socialisme implanté à Alais et même au Républicanisme et à la la‹cité, credo officiel du régime. Bastion du conservatisme, du monarchisme, du cléricalisme, la théocratie capitaliste coule des jours heureux alors que la tempête sociale secoue périodiquement une ville comme Bessèges pourtant si proche". In: GAILLARD. Op. cit. p. 247. De plus, voir: Ibidem. p. 245 et suivantes. B) LAMORISSE. Op. cit. p. 204. C) SUGIER. (1985). Op. cit. 155 p. 450. Sur le syndicalisme à La Grand-Combe voir: A) GAILLARD. Op. cit. pp. 249 et suivantes. B) Voir aussi PUECH. Op. cit. C) SUGIER. (1985). Op. cit. 451. Voir Annexe 15. 452. Gaillard. Op. cit. pp. 253 et 255. 453. "Si l'on croit le journal 'Le Petit Proven‡al' du 21 février 1897, ce sont maintenant les économats qui risquent de voir leur clientèle diminuer au profit du commerce local: (...)". In: Ibidem. p. 292 et 263. 454. Voir à ce sujet Ibidem. p. 259 à 262. 455. Ibidem. p. 283. 456."(...) on mesure ici la rapidité et la profondeur des événements car, en quelques mois, l'on est passé de l'ordre et de la discipline la plus totale, à la révolte ouverte contre ces principes mêmes qui fondent toute l'idéologie et la pratique patronale depuis plus d'un demi-siècle". (...) "... une évolution des esprits, en d'autres termes, une prise de conscience, qui brûle les étapes et fait voler en éclats, en quelques mois, tout le système d'institution mise en place par la Compagnie dans le cadre de la théocratie capitaliste. Les placards contre Graffin et les ingénieurs, les explosions, le syndicat, la grève d'octobre 1896, les conflits ouvriers-maîtrise sur les chantiers, l'élection des délégués mineurs syndiqués, le rôle de Rouquette - président du syndicat - qui ne cesse de s'amplifier, les chahuts contre de Ramel - député, homme politique officiel de la Compagnie des Mines - la manifestation de joie lors du succès du mouvement d'octobre, les drapeaux rouges, la désaffection vis-à-vis des économats, forment un tout et illustrent les multiples facettes de ce vertigineux processus d'émancipation du prolétariat de La Grand-Combe si longtemps prisonnier de la toile d'araignée patronale". In: Ibidem. pp. 259 et 263. 457. Voir la chanson des grévistes de La Grand-Combe in Gaillard. Ibidem. p. 281. 458. Comme le signale Sennet par rapport à l'effondrement de la politique paternaliste:"(...) le paternalisme tire sa force du contrôle de fait que les pères exercent en ce qui concerne leurs enfants. Dans aucune famille ce contrôle n'est amour pur ou pouvoir pur; altruisme et égoïsme s'y allient. Comme le dit Hawthorne: 'La bienveillance est ici la soeur jumelle de l'orgueil'. Cette alliance devient consciente quand les enfants s'irritent d'être ainsi dominés et que le parent se sent trahi par leur révolte. Elle est pleinement ressentie à ce moment critique, parce que toutes les parties concernées ont pris conscience de sa structure". In: SENNET. (1981). Op. cit. pp. 102 et 103. 459. Depuis 1892, la production va toujours en diminuant. Elle était en 1892 de 891.5OO tonnes, en 1895 elle chute à 729.OOO tonnes, soit 162.500 tonnes en moins. Les difficultés sont surtout dans l'ordre de la commercialisation du charbon, causées par la co‹ncidence d'un tarif exorbitant de transport ferroviaire vers la Méditerranée et la concurrence avec les charbons anglais qui envahissent littéralement les marchés méditerranéens. "Les problèmes principaux de l'entreprise ne sont pas liés à la production mais à la commercialisation du produit". Cf. DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. pp. 55 et 56. De plus: "Depuis 1875-80, l'essor économique mondial est jalonné de crises plus ou moins localisées; dès 1890, la situation s'aggrave partout en raison de la chute généralisée des prix industriels. Le bassin cévenol est sévèrement touché par cette dépression; le malaise se dissipera au début du XXe siècle". In: LAMORISSE. Op. cit. pp. 2O4 et 205. 460. TURPIN. Op. cit. p. 7. 461. Communication au Conseil d'Administration de la Caisse des Retraites. Séance du 25 mars 1897. In: PUECH. Op. cit. Tome II. pp. 511 à 516. 462. "Historique de la grève de 1897, le 12 avril". In: PUECH. Op. cit. Tome II. pp. 508 à 535. 463. Résultat de la grève du 12 avril 1987: Ouvriers congédiés = 578; Ouvriers démissionnaires = 668; Total = 1.246 renvoyés sur 5.200 ouvriers (et sur 319 employés); Départs volontaires ou mises à la retraite = 381 (368 ouvriers et 13 employés); Effectifs le 31 juillet = 3.650 ouvriers et 306 employés. Cf: PUECH. Op. cit. Tome II. pp. 534 et 535. Un total de 1.246 personnes, selon la lettre du délégué syndicaliste M. Vita de 2 avril 1897 au Préfet, qui dénonce que sur 21 membres du conseil syndical, 19 figuraient sur la liste des renvoyés. Cf. GAILLARD. Op. cit. pp. 288 et 289. Vielzeuf parle d'autour de 4.000 licenciements dans la grève des mineurs de 1897 à La Grand-Combe (du 11 avril au 14 juin 1897), sur 5.000 ouvriers que comptait alors la Compagnie des Mines de La Grand Combe. Cf: VIELZEUF, Aimé. "Cinquante ans avant Ladrecht, la grève de 1929 à La Grand'Combe: souvenirs d'enfance". In: BALTERS (sous la direction de). Op. cit. Mais si la Compagnie licencie un grand nombre de mineurs, ce n'est pas seulement par mesure de répression vis-à-vis du mouvement syndical. Cela résulte, selon Gaillard de la convergence de trois types de motivations: lº) Tuer le syndicalisme naissant et, avec lui, tout le processus d'émancipation qui progresse à une vitesse vertigineuse et menace de ruine l'ensemble du paternalisme théocratique; 2º) Assainir les finances de l'entreprise en limitant au maximum le coût des retraites qu'elle s'était engagé à verser en vertu des statuts de la "caisse de prévoyance" de 1891; 3º) Perfectionner l'outillage et améliorer l'organisation du travail pour augmenter la production par mineur et baisser les prix de revient pour survivre aux difficultés économiques du moment. Cf: GAILLARD. Op. cit. p. 292. 464. Sur les préjudices du poste de nuit comme prix de revient voir: PUECH. Op. cit. Tome II. p. 538. 465. TURPIN. Op. cit. p. 13. 466. GAILLARD. Op. cit. p. 298. 467. Selon le recensement de 1901 la population totale de 11.484 habitants dans la commune de La Grand-Combe comprend 11.423 individus français et 61 étrangers. En plus, 834 maisons et 3.164 ménages. 468. LAMORISSE. Op. cit. p. 205. 469. DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 66. 470. Les marchandises sont arrêtées, les voyageurs transportés entre Trescol et la caserne du Gouffre. Selon le Compte-rendu de l'exercice de 1896, dans l'Assemblée de l'Administration de la Compagnie en 1897: "L'exercice de 1896 a été particulièrement difficile pour la Compagnie des Mines de La Grand'Combe. Dans la perte du puits du Gouffre 1, dans la catastrophe naturelle, tout le matériel se trouvant au fond et dans les puits a été perdu, dont nous avons parlé dans le compte-rendu de l'exercice précédent". In: PUECH. Op. cit. Tome II. p. 493. Sur cette catastrophe voir aussi: TURPIN. Op. cit. p. 14. 471. "(...) La règle des huit heures fut introduite dans les mines en 1905. Elle ne s'applique d'abord qu'aux seuls ouvriers occupés à l'abattage. La loi du 31 Décembre 1913 la généralisa à l'ensemble du personnel du fond des houillères, tandis que les ouvriers du jour n'en bénéficièrent qu'en 1919" ("loi de huit heures" votée en avril 1919). In: Annales des Mines. "Evolution de la sécurité dans les mines, minières et carrière de 1841 à 1962". Janvier 1985. p. 28. 472. En effet, les élections législatives de 1914 consacrent le socialiste M. Valette, qui bat le candidat de la Compagnie, M. De Ramel. Mais nous n'allons pas nous attarder sur ce sujet, développé clairement dans les thèses suivantes: A) GAILLARD. Op. cit. Chapitre "Crise Economique et Lutte de Classes: la fin du mythe paternaliste (1896-1914). pp. 248 à 308. B) SUGIER, Fabrice. La Classe Ouvrière et le Mouvement Ouvrier dans les Mines de Charbon du Bassin d'Alès, 1914-1922. Thèse de Doctorat, Université Paris VIII, 1990. 1081 p. 473. COMPAGNIE DES MINES DE LA GRAND-COMBE (1836-1936). LIVRE D'OR. Op. cit. p. 35. Voir aussi: A) PUECH. Op. cit. Tome I. p. 155 et 156. B) "La guerre de 1914-1918 a ouvert l'ère des crises charbonnières: la destruction d'une partie des mines du Nord et du Pas-de-Calais, en tête de la production française depuis la seconde moitié du XIXe siècle, a provoqué une pénurie de combustibles qui entravait la reconstruction du pays. A cette cause fondamentale, mais circonstancielle, s'ajoutaient les effets de la chute du rendement des mineurs de fond, et de la réduction des effectifs. Deux données alarmantes qui mettaient en péril le redressement de la production, car elles étaient communes à toutes les mines de France. Pour compenser le recul de la production, le gouvernement devait accroître les importations, (...) mais les pays exportateurs, dont l'Angleterre, eux-mêmes en proie à une crise de production, réduisaient leurs livraisons tout en augmentant leurs prix. Il était donc urgent pour toutes ces raisons (difficultés et chute des importations) de réduire l'écart entre production et consommation, en élevant le niveau français de l'extraction, et d'assurer l'alimentation du pays en énergie, au meilleur compte". In: TREMPE. (1989). Op. cit. p. 5. 474. Cf. JOUTARD, Ph. "La Cévenne en difficulté (du milieu du XIXe à nos jours)". In: JOUTARD. (sous la direction de). Op. cit. Chapitre 7. p. 279. 475. FAVEDE. Op. cit. p. 36. 476. Cadre de production: 1864 500.000 tonnes 1915 715.069 1891 955.749 1916 812.674 1913 903.753 1917 1.236.858 1914 769.526 1918 1.278.340 "En fait, la production ne représentera jamais les possibilités réelles de l'entreprise qui peut, dès le début du XXe siècle, extraire plus d'un million de tonnes de charbon par an. Les deux guerres mondiales révèlent la tendance au fonctionnement en sous-capacité. 1.278.000 Tonnes de charbon extraites en 1918 contre 635.000 en 1919". In: DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 43. 477. Gaillard parle de 1038 prisonniers en mai 1918, dont un fort contingent d'allemands. En 1917, c'est sur des ouvriers russes que la Direction a pu compter. Le 25 Janvier 1918, la Compagnie renvoie les ouvriers russes et quelques allemands. In: GAILLARD. Op. cit. p. 206. 478. Cf. TURPIN. Op. cit. p. 8. 479. Le nombre de morts est de 3O4, selon COMPAGNIE DES MINES DE LA GRAND-COMBE (1836-1936). LIVRE D'OR. Op. cit. p. 18. 480. TURPIN. Op. cit. p. 8. 481. De plus, il faut tenir compte de la "répugnance des Français envers ce métier dur et dangereux", qui entraîne des difficultés de recrutement de la maind'oeuvre nationale. Cf: TREMPE. (1989). Op. cit. pp. 107 à 110. 482. En France, "dans les mines, la proportion des immigrés passe de 6,4% en 1901 à 42% en 1931". Cf.: NOIRIEL. (1988). Op. cit. p. 141. 483. DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 68. 484. Sur le déclin du milieu rural, voir LAMORISSE. Op. cit. pp. 214 à 321. 485. FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 92. 486. "La mobilisation (1914) n'ayant pas plus épargné les ouvriers que les paysans, la population du bassin industriel ne sort pas moins éprouvée du conflit que celle des vallées rurales. Dans l'ensemble, on peut estimer que 10 à 20% des décès enregistrés de 1914 à 1918 concernent des soldats. Pour la même raison, la natalité tombe de 1915 à 1919 jusqu'à la moitié de ce qu'elle était auparavant. C'est ainsi qu'au recensement de 1921 apparaît un déficit global de quelque mille personnes par rapport à 1911 et que, ultérieurement, les pyramides des âges porteront les stigmates classiques de la tragédie: sousreprésentation de plusieurs classes masculines et encoches de basse natalité". Cf: LAMORISSE, René. "Une Vitalité Diversement Menacée dans le Bassin Houiller et les Petites Villes". In: Op. cit. p. 283. 487. JOUTARD, Ph. "La Cévenne en difficulté (du milieu du XIXe à nos jours). In: JOUTARD. (sous la direction de). Op. cit. pp. 284 et 285. 488. GAILLARD. Op. cit. p. 212. Ce recours à l'immigration massive n'est pas de la même nature que celui des périodes précédentes. A) D'abord cette affaire permet à l'Etat et au grand patronat de freiner un peu les avances rapides de la classe ouvrière française sur les droits démocratiques. De plus, "ce type de main-d'oeuvre peut être étroitement adapté aux nécessités de la conjoncture, donnant une souplesse au marché du travail que l'économie française n'avait pas connue depuis longtempp. De même, l'immigration massive a permis d'exercer une pression à la baisse sur les salaires qui n'est pas sans rapport avec l'ampleur des bénéfices constatés". In: NOIRIEL. (1986). pp. 131 à 136. B) Le but était de renforcer mais aussi de renouveler une main-d'oeuvre locale et d'introduire dans la mine une plus grande discipline ainsi que le principe de la division du travail. En autre, la loi sociale réduisant à quarante-huit heures la durée de la semaine de travail, réduit le profit sur les effectifs, obligeant la Compagnie à augmenter sa force de travail. 489. Questionnaire du C.C.H.F. sur la main-d'oeuvre polonaise travaillant dans les houillères fran‡aises. In: GAILLARD. Op. cit. p. 209. 490. Cf. FAVEDE. Op. cit. pp. 39 et 40. Cela concerne la Société Générale de l'Immigration. 491. GAILLARD. Op. cit. p. 221. 492. DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 69. Cette orientation expressive vers les pays nord-africains s'explique aussi par les difficultés d'embauche d'étrangers européens: loi de 1932, loi de 1938 et la politique du contingentement... Voir à ce sujet: TREMPE. (1989). Op. cit. pp. 111 et 114. 493. Mais cela concerne une autre époque: "au temps de la nationalisation des mines" que nous allons développer plus loin. L'autre conjoncture favorable à cette immigration a surgi après la Seconde Guerre, à partir de 1947, surtout entre 1953 et 1955, et entre 1963 et 1966. 494. FAVEDE. Op. cit. pp. 43 et 44. 495. "Le contraste est frappant entre 1876 où Lamorisse recense seulement cinquante étrangers à La Grand-Combe et 1936 où il en compte deux mille deux cent trente-deux". Cf: JOUTARD, Ph. "La Cévenne en difficulté (du milieu du XIXe à nos jours). In: JOUTARD. (Sous la Direction de). Op. cit. Chapitre 7. p. 285. Effectifs de la Mine en 1933: espagnols: 139 italiens: 337 algériens: 148 tchèques: 395 polonais: 189 divers: 27 En ce qui concerne la totalité des effectifs travaillant dans la Compagnie des Mines de La Grand-Combe: Effectifs Jours Fonds Maîtrises Cadres 1920 2642 3434 1930 2964 3779 1933 2016 3180 207 27 Source: TURPIN. Op. cit. p. 9. 496. GAILLARD. Op. cit. p. 211. 497. Sur l'ensemble du bassin houiller: "En valeur relative, ces immigrés constituent, dès 1923, 18,5% du personnel des Compagnies (...)". Cf: JOUTARD, Ph. "La Cévenne en Difficulté". (du milieu du XIXe à nos jours). In: JOUTARD. (Sous la Direction de). Op. cit. Chapitre 7. p. 285. 498. Voir Annexe 16. 499. GAILLARD. Op. cit. pp. 206 et 207. 500. Nous suivons ici FAVEDE. Op. cit. p. 49. 501. LAMORISSE. Op. cit. p. 292. 502. DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 87. 503. Voir à ce sujet: A) BEAURAIN, Nicole. "Le 'creuset' français ou le mythe de l'intégration douce: les Républicains espagnols". In: Revue Internationale de Recherches et de Synthèses Sociologiques. L'Homme et la Société. "La Mode des Identités". Paris, L'Harmattan, Nouvelle série nø 83. 1987/1. 504. "De plus, comme l'a montré Max Weber, à propos de l'attitude des ouvriers américains pauvres vis-à-vis des Noirs, la xénophobie populaire s'explique aussi parce que 'l'honneur social' du groupe qui correspond le mieux aux normes dominantes dépend du déclassement des nouveaux venus, de ceux qui apparaissent comme différents". In: NOIRIEL. (1986). Op. cit. p. 139. D'ailleurs, "(...) si l'on trouve des Français dans les secteurs dévalorisés de la production, c'est aux postes de commande (ingénieur), d'encadrement (contremaîtres, porions dans les mines), ou au moins de forte qualification (ouvriers d'entretien). (...) Bien que nous n'ayons pas de statistiques qui distinguent des échelons à l'intérieur de la classe ouvrière avant la Deuxième Guerre mondiale, toutes nos sources (...) prouvent que la main-d'oeuvre étrangère monopolise les emplois inférieurs appelés de façon indifférenciée jusqu'en 1945 'manoeuvres'". In: NOIRIEL. (1988). Op. cit. p. 143. A ce sujet voir également les études ethnologiques des banlieues de Colette Petonnet, notamment: PETONNET, Colette. "On est tous dans le brouillard". Paris, Galilée, 1985. 26O p. Dans ce livre, chapitre 6, elle dit à ce sujet: (...) la "nécessité de recréer des différences et de se démarquer par rapport à l'infériorisation apparaît clairement." Ibidem. p. 220. 505. CHABROL, Jean-Pierre. "L'adieu au charbon". In: GeoSociété. Nø 64. Juin 1984. p. 63. 506. LAMORISSE. Op. cit. p. 295. 507. SEGALEN. (1990). Op. cit. p. 115. 508. Cf. FAVEDE. Op. cit. p. 46. 509. GAILLARD. Op. cit. pp. 209 et 210. 510. S'il y a eu préméditation d'isoler la communauté polonaise, il est sûr que ce détail ressort peu dans les souvenirs des habitants grand-combiens, alors que, parmi les mineurs du Nord-Pas-de-Calais, la communauté polonaise a beaucoup souffert de la discrimination (c'est du moins ce que nous pouvons supposer en lisant les mémoires des mineurs du Nord). Voir à ce sujet: EDE, François et MERCIER, Pierre. Mémoire de la mine. Images d'histoires. INA et Editions le Sycomore - 1981. Section: "L'immigration polonaise dans les années 20". p. 14 à 23. 511. Cela dit, la Compagnie a pris la précaution d'expulser les polonais "auteurs et promoteurs de résistance à l'ordre et la discipline", en décembre 1920. Ceux qui restent entonnent le credo du patronat de La Grand-Combe. Voir les lettres de la Direction de la Compagnie envoyées au Secrétariat de la main-d'oeuvre étrangère au CCHF. In: GAILLARD. Op. cit. pp. 208 et 209. 512. GAILLARD. Op. cit. p. 213. 513. Tous les études sur La Grand-Combe signalent sur ce fait à maintes reprises: GAILLARD, FAVEDE, DUCKERT et LARGUIER. Opp. cits. 514. Courant 1933, "les ouvriers étaient, soit des français qui remplissaient au fond des postes de chefs d'équipe et deviendraient plus tard des porions, soit des étrangers, polonais, italiens, espagnols; il y avait également quelques nordafricains." Cf: FLECHON. Op. cit. Tome. II. p. 144. 515. "En effet, pour nuancer sans doute l'apparente facilité d'un tel processus, on 'remarque' généralement qu'il s'agissait alors de populations étrangères certes, mais 'moins étrangères' cependant que les Turcs ou les Maghrébins d'aujourd'hui. Question d'identité! Il y aurait des identités plus ou moins différentes* (*. Cette idée d'une différenciation des identités implique bien évidemment celle d'une hiérarchie des identités mais alors qu'en général cette hiérarchisation appartient au domaine du non-dit... ) de l'identité française, non par nature mais plus ou moins proches géographiquement, techniquement ou culturellement. Par exemple, entre Français, Espagnols et Italiens la distance serait moindre: ne sommes-nous pas voisins et même parents puisque latins et catholiques romains?". Cf: BEAURAIN, Nicole. "Le 'creuset' fran‡ais ou le mythe de l'intégration douce: les Républicains espagnols". In: Op. cit. 516. L'identité politique, du moins en ce qui concerne les sentiments antiAllemagne, n'est pas dérisoire non plus. La Guerre joue certainement un rôle important dans le processus d'intégration régionale. Cet aspect mérite d'être approfondi, mais déborde de nos objectifs présents, plus ponctuels. 517. Ceci ne veut pas dire qu'il n'a pas existé de conflits dans leur processus d'intégration. Voir, par exemple, les problèmes qui éclatent avec la crise de 1934 et l'expulsion des polonais des mines françaises. In: EDE et MERCIER. Op. cit. p. 17. 518. Cf. FAVEDE. Op. cit. p. 45. 519. GAILLARD. Op. cit. p. 212. 520. NOIRIEL. (1988). Op. cit. p. 330. 521. Santucci, M.R., "La main-d'oeuvre étrangère dans les mines de La Grand'Combe jusqu'en 1940". In: Colloque mines et mineurs en LanguedocRoussillon, Montpellier, Dehan, 1977. Cité par NOIRIEL. Ibidem. p. 313. 522. FAVEDE. Op. cit. pp. 43 et 44. 523. Quoique nous ayons à revenir plus tard sur ce sujet, nous n'avons pas pour objectif ici de développer les représentations concernant la "construction sociale de la différence" dans le processus du travail. Notre critère ici se limite à rappeler la forte hérédité professionnelle développée par la Compagnie, dans la gestion de son personnel. Nous avons démontré l'importance que l'appartenance religieuse joue pendant le XIXe siècle. Après la Première Guerre, tandis que ces critères tendent à s'affaiblir - puisque la Compagnie engage elle-même des travailleurs de différentes appartenances religieuses (chrétiennes et non chrétiennes) - celui de la nationalité tend à prendre un poids plus important. 524. GAILLARD. Op. cit. p. 213. 525. Journal l'Emancipateur, article signé de Fontanieu, cité par: GAILLARD. Op. cit. pp. 319 et 320. 526. DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 66. 527. Dans ce sens, le rôle joué par le syndicaliste Georges Vital est fondamental. Sur son action, voir GAILLARD. "Après l'entracte social et politique de 'l'union sacrée', la Grand'Combe est le théâtre d'une intense lutte de classes (1914-1921)". In: GAILLARD. Op. cit. pp. 308 et suivantes. 528. "Voici donc La Grand-Combe, à l'image des autres cités minières voisines, dotée d'un syndicat puissant, appelant ouvertement les ouvriers à le rejoindre, créant une coopérative ouvrière pour prendre en charge une partie de la distribution et lutter ainsi contre la cherté de la vie, occupant les postes de délégués-mineurs et de délégués à la caisse de secours, postes faisant partie intégrante jusque là du domaine réservé du patronat local". Selon: GAILLARD, Jean-Michel. "La vigueur nouvelle du mouvement ouvrier à La Grand-Combe". In: GAILLARD. Op. cit. pp. 313 à 315. 529. "Dès la fin de 1918, l'apparition d'un mouvement ouvrier et combatif amène le développement du mouvement syndical, qui tend à s'affilier au mouvement ouvrier national. Dès lors, l'histoire des grèves de la Compagnie suit l'ensemble des mouvements des mines françaises. C'est ainsi que les mouvements des revendications sociales ne se passent plus dès 1917 dans l'univers clos de la vieille usine, les syndicats maintenant organisés ont pris pied dans tout le pays et déclenchent des offensives suivies par toutes les mines françaises. Ce sera le cas en 1919, en 1921, en 1923, 1929, 1933, 1936, où les principales revendications sont d'ordre social... ". In: DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 66. 530. GAILLARD. Op. cit. p. 319. 531. GAILLARD. Op. cit. 532. En effet, l'appel à une nouvelle main-d'oeuvre étrangère à ce moment-ci concerne, entre autres aspects, un effort de la Compagnie de reprendre en main la situation et la position de souveraine qui ne cesse de s'affaisser face au processus de politisation des mineurs grand-combiens qui n'hésitent plus à critiquer leur condition de vie. Empruntons ici à Ariès, tout en émettant quelques réserves en raison des spécificités de chaque groupe ouvrier, son analyse sur les mineurs du Nord depuis la guerre de 1914: "(...) dégagés de l'emprise du groupe, ils devinrent plus critiques, plus raisonneurs. L'individu s'émancipa de la collectivité. Désormais, le travail de la mine leur parut plus dur, quelques-uns hésitèrent à le reprendre. Beaucoup songèrent à le quitter. Personne ne s'estima tout à fait rivé à sa profession. Ainsi, dans le pays noir, le milieu perd de sa ancienne cohésion. Les forces collectives ne sont plus assez puissantes pour retenir le travailleur, s'il est sollicité de s'établir ailleurs. Il ne serait même plus nécessaire qu'intervienne une trop grande dénivellation des salaires". In: ARIES. (1971). Op. cit. p. 106. 533. "(...) Si les détenteurs de capitaux languedociens n'en souscrivent que le tiers, les financiers marseillais et surtout parisiens en acquièrent la moitié, les de Rothschild ayant, à eux seuls, retenu 11.000 parts". Cf. CARRIERE, P. "Les industries cévenoles aujourd'hui". In: JOUTARD, Ph. (sous la direction de). Op. cit. Chapitre 8. pp. 300 et 301. 534. Voir Annexe 17: "La grève de 1929". 535. VIELZEUF, Aimé. "Cinquante ans avant Ladrecht, la grève de 1929 à La Grand'Combe: souvenirs d'enfance". In: BALTERS (sous la direction de). Op. cit. p. 15. Voir également p. 8. 536. "L'énorme handicap de la Compagnie des Mines de La Grand-Combe se situe au niveau du prix de revient du produit, plus cher que le charbon exporté. Dès lors, l'échec était inévitable. (...). La production est peu concentrée, les investissements sont trop faibles et les structures financières dépassées". In: DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 60. 537. "La Compagnie des Mines de La Grand-Combe, qui produisait surtout des charbons de chauffage et des briquettes pour les trains rapides, traversa cette période avec des ennuis limités. On embaucha peu et les jours de chômage, consécutifs aux difficultés d'écoulement de la production, furent relativement moins nombreux que dans d'autres compagnies, qui produisaient des charbons industriels. Même réduits en nombre, ils furent cependant douloureux à supporter pour les ouvriers, payés à l'heure, alors que les 'mensuels' n'étaient pratiquement pas touchés. (...) Pour faire face à ces multiples difficultés, il devenait encore plus nécessaire de moderniser l'outil de production, en développant une concentration des travaux, rendue maintenant possible par la mécanisation qui pénétrait au fond. La consommation d'air comprimé augmentait dans les mines grisouteuses, entraînant au jour l'installation de nouveaux compresseurs.(...)". In: FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 136. 538. DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. pp. 57 et 58. 539. "Quant aux compagnies minières, une fois passés les trois mois difficiles qui ont suivi la victoire du Front populaire (de juin à septembre 1937), elles ont tiré le meilleur parti de la double nécessité nationale de protection du marché charbonnier et d'augmentation de la production fran‡aise. Afin de leur permettre d'investir (au moins théoriquement) elles ont obtenu de l'Etat la reconstitution de leurs marges bénéficiaires réduites par la crise économique... Dès 1937, leurs bénéfices sont en ascension. Le niveau élevé qu'ils atteindront en 1938-1939 leur sera garanti par le gouvernement de Vichy sous lequel les compagnies ont prospéré en dépit des difficultés: les augmentations de capital, les prises de participation, en font foi". In: TREMPE. (1989). Op. cit. p. 237. Sur les dispositifs développés pour appeler les mineurs à leur identité de travailleurs sous le Front populaire, réactivation également du "mythe du mineur" au service d'un gouvernement de gauche, voir: DEBOIS, Evelyne et alii. Op. cit. pp. 39 et 41. 540. Trempe définit trois phases de cette "Bataille du Charbon": "la première débuta en 1937 sous le Front Populaire, la deuxième se déroula sous l'occupation allemande, la troisième s'ouvrit à la Libération". TREMPE. (1989). Op. cit. p. 6. 541. TREMPE. Ibidem. 542. Nous suivons ici: A) MATTEI, Bruno. "Portrait du mineur en héros". In: DEBOIS et alii. Op. cit. p. 97. B) MALVA. Op. cit. 543. Selon, TURPIN. Op. cit. p. 21. A ce moment-là, les services administratifs sont centralisés dans les nouveaux bureaux, sur la place Bouzac à La GrandCombe, construits en 1923. L'organisation administrative était alors, ainsi déterminée: 1º division) Exploitations de Ricard, Le Pontil, La Fontaine et Sans Nom; 2º division) Exploitation de la région de Trescol; 3º division) Exploitation de la région de Champclauson. Entre les deux guerres, cette division a été supprimée et rattachée à la 2º division; 4º division) Exploitation de Laval; 5ø division) Exploitation de St-Jean-de-Valériscle. 544. "(...) le Front Populaire arriva au pouvoir, en mai 1936. Les occupations d'usines qui se produisirent alors en France ne trouvèrent que peu d'échos à La Grand-Combe; quelques journées de grèves interrompirent le travail. Mais, bien vite, syndicats et directions se réunirent et adoptèrent un accord, calqué sur celui établi dans les houillères du Nord-Pas-de-Calais, stipulant la suppression "des heures en bas", c'est-à-dire du fait, que sur les lieux du travail, un chef porion pouvait décider de pénaliser un ouvrier qui remplissait mal sa tâche, en lui supprimant une, deux, ou plusieurs heures de pointage, qui ne seraient alors pas payées. Une telle pratique n'existait pas dans les charbonnages des Cévennes, encore que le système des amendes pour infractions au règlement y fut admis; mais le produit de ces amendes devait être versé à la Société de Secours des mineurs. Il y avait cependant la sanction de l'arrêt de travail par mesure disciplinaire, ce que l'on appelait, pour ceux du fond, 'arrêter la lampe'; ou encore le déplacement au jour, aux salaires plus faibles. Mais ces sanctions relevaient de l'ingénieur; l'intéressé pouvant présenter une réclamation et, depuis les derniers accords, se faire assister dans sa démarche par le déléguémineur. Les salaires furent augmentés; quelques ouvriers licenciés après la grève de 1929 furent réintégrés. La loi reconnut à ceux qui jusque là n'avaient rien un minimum de deux semaines de congés payés. La semaine de quarante heures, en cinq jours de travail, sans baisse de salaire, fut instituée. (...) L'explosion de joie apportée par le Front Populaire fut grande dans le bassin minier. Tous ces hommes qui, auparavant, ne pouvaient prendre de repos que lorsqu'ils étaient blessés ou malades, voyaient enfin reconnaître leur dignité. Ils pourraient désormais, sans perdre leur salaire, rendre visite à des parents éloignés, faire des courses à la ville, ou passer quelques jours dans une location au bord de la mer." In: FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 147 à 149. 545. PROST, Antoine. Petite histoire de la France au XXe siècle. Paris, Armand Colin, 1979. p. 38. et 39. 546. Sur les élections en 1936, voir: LAMORISSE. Op. cit. pp. 306 et 307. 547. Nous retournons à ce sujet plus loin. 548. Quoique la Droite elle aussi fasse un bon score, comme l'analyse Lamorisse pour les élections de 1936. "(...) la redistribution des suffrages au second tour est symptomatique d'un état d'esprit: la crainte d'une écrasante victoire communiste conduit à droite une fraction des bulletins S.F.I.O (...). Très 'rouge' le 29 avril, l'électorat de La Grand-Combe en paraît si effrayé que le 6 mai le candidat communiste ne retrouve même pas toutes les voix qui l'avaient désigné le dimanche précédent; Fran‡ois de Ramel effectue ainsi une très belle remontée avec les suffrages qui s'étaient égarés auparavant du côté de la S.F.I.O. et du Parti communiste. (...) Alors qu'autrefois le bassin houiller composait un bloc réactionnaire en face d'une Cévenne rurale plus émancipée, c'est la situation inverse qui se dessine en 1936. Toutefois, si le candidat communiste s'impose partout (...), il convient de noter que son concurrent, socialiste modéré ou conservateur, garde encore de nombreux partisans et que La Grand'Combe reste un fief (certes délabré) de la Droite". Ce glissement à l'extrême-gauche "traduit les progrès de la propagande politique et syndicale parmi des travailleurs massés en noyaux denses, plus jeunes que les ruraux des hautes vallées, plus perméables à l'idée de propriété collective des moyens de production et plus réceptifs aux promesses touchant l'amélioration de leur pouvoir d'achat, la défense de l'emploi et la conquête des avantages sociaux". In: LAMORISSE. Op. cit. pp. 307 à 308. 549. "La guerre et la défaite de juin 1940 ont aussi déclenché une crise de la main-d'oeuvre. L'invasion allemande a provoqué l'exode des populations et des milliers de mineurs se sont dispersés à travers la France. Certains ont été immobilisés à Paris, d'autres ont pu atteindre les zones minières du Centre et du Midi (comme en 1914); 15.000 mineurs mobilisés environ étaient prisonniers de guerre; des étrangers, dans des proportions impossibles à préciser, avaient profité de l'occasion pour rejoindre leur pays. C'est le cas d'un certain nombre d'espagnols attachés jusque-là aux mines du Midi, et de milliers de nordafricains. D'autre part, à peine installés, les Allemands avaient déporté 8.000 mineurs polonais en Allemagne, réduisant encore leur contingent déjà amoindri par l'enrôlement volontaire de milliers d'entre eux dans l'armée polonaise levée en France et prisonnière en Suisse". In: TREMPE. (1989). Op. cit. p. 99. 550. "Les Compagnies minières en contrepartie de la limitation de la concurrence et pour sauvegarder leurs prix de vente, donc leurs bénéfices, ont dû composer avec lui et accepter une surveillance de plus en plus étroite de leur gestion et de leurs méthodes d'exploitation". Ibidem. p. 235. Sur le contexte de l'exploitation minière française et les conditions de travail sous l'occupation, voir: A) KOURCHID, Olivier. Production Industrielle et Travail sous l'Occupation. Les Mines de Lens et les Mineurs. 1940-1944. ANT-CNRS. "Travail-EmploiMode de Vie". Groupe de Sociologie du Travail. Paris, CNRS, Université Paris VII, 1985. 405 p. B) DEBOIS, Evelyne. "Des ingénieurs perdus. Le procès de l'exercice du métier d'ingénieur dans les mines sous l'occupation". In: DEBOIS et alii. Op. cit. pp. 114 à 119. 551. Parmi les résistants "maquisards", nombreux étaient des mineurs de La Grand-Combe. "Le pays cévenol, pays de liberté, où la résistance à l'oppression est, de tradition, solidement enracinée dans les coeurs, retrouve facilement la dure voie de l'opposition armée. Nombreux sont les jeunes mineurs qui, chaque mois, vont grossir les rangs des combattants; ils reviennent la nuit, se fournir en outils, en autos, en explosifs, dans les dépôts de la compagnie des mines qu'ils connaissent bien." In: FLECHON. Op. cit. Tome II. p. 185. Sur la résistance dans le Gard, voir: VIELZEUF, Aimé. Ardente Cévenne. L'organisation de résistance de l'Armée du Gard et de Héraut. Nîmes, Lacour/Rediviva, 1988. 326 p. 552. "En 41 (...) le ravitaillement est très médiocre. (...) Dans le domaine du vêtement, même pénurie. (...) Les hommes grognent, et, un matin le mécontentement éclate: la grève est déclenchée. Dans les heures qui suivent, l'intendant de police de Vichy arrive d'urgence à La Grand-Combe avec ses hommes. Des voitures automobiles munies de hauts-parleurs parcourent les différents quartiers de la ville: 'Mineurs de La Grand-Combe reprenez le travail demain'. Le lendemain, des policiers en camion interpellent les passants dans les rues, leur demandant s'ils sont des mineurs en grève, et sur leur réponse affirmative les arrêtent. L'après-midi ils sont transférés, au nombre de plusieurs centaines, dans un camp, près de Nîmes. Ils y resteront plusieurs jours, cependant que les chefs syndicalistes les plus notoires seront envoyés quelque part du côté de Colomb-Béchar pour y construire une voie ferrée. (...) Après quelques jours de détention dans la garrigue nîmoise la plupart des mineurs sont renvoyés à leur travail. La grève a été brisée, mais la haine grandit dans les coeurs." In: FLECHON. Op. cit. Tome II. p. 181. 553. TREMPE. (1989). Op. cit. p. 228. 554. Ibidem. pp. 228 et 229. Sur la grève du 10 au 22 octobre 1943, voir: KOURCHID. (1985). Op. cit. p. 381. 555. "La société est toujours le lieu d'un affrontement permanent entre facteurs de maintien et facteurs de changement; elle porte en elle les raisons de son ordre et les raisons du désordre qui provoquera sa modification. Cette instable balance explique néanmoins que les adaptations (connotées en langage politique par le terme: réformisme) soient plus nombreuses, plus fréquentes, que les transformations structurelles globales (de caractère révolutionnaire). Cette caractéristique du système social - être le produit de dynamismes qui le constituent et le menacent tout à la fois, les uns étant agents de la continuité et les autres de la transformation - comporte une conséquence dans le cas des sociétés globales. En leur sein, la coupure résultant du succès de l'entreprise révolutionnaire n'est jamais complète. La révolution n'est jamais totalement victorieuse; ce qui détermine les diverses tentatives conduites afin d'entretenir la révolution dans la révolution, selon la formule reprise par R. Debray". In: BALANDIER, Georges. Sens et puissance. Les dynamiques sociales. Paris, Quadrige/PUF, 1983. p. 107. (1e édition: 1971). 556. Selon Turpin, la Compagnie des Mines de La Grand-Combe laissait une infra-structure d'exploitation du charbon "fatiguée" par plusieurs années d'exploitation intense, mais entièrement électrifiées et qui allaient permettre de porter la production, dès 1946, à un million de tonnes de charbon de la qualité maigre à la qualité 1/2 gras dans les exploitations suivantes: - exploitation des puits de Champclauson et des Luminières; - exploitation des puits de La Fontaines, de Castelnau et du Pontil ; - exploitation (gisement d'anthracite) du puits Ricard; - exploitation du puits Laval; - exploitation du puits en St-Jean-deValériscle; - exploitation de la découverte de Mercoirol; - lavoirs de Trescol, de la Frugère et de St-Jean-de-Valériscle; - usine d'agglomération de La Pise; centrale d'air comprimé de La Forêt; - centrale d'électricité de La Pise; - ateliers de mécanique, de chaudronnerie et d'électricité de La Pise; - les chantier du futur siège des puits des Oules; - nouvelle usine d'agglomération de La Verrerie et le fon‡age du puits de même nom; - d'autres projets: criblage et lavoir de Ricard; renforcement de la capacité du lavoir de Trescol; centrale thermique du FESC; grand siège des Oules, etc. Cf: TURPIN. Op. cit. pp. 12 et 13. 557. En 1945 M. Bonnevay qui était le Directeur de la Compagnie des Mines de La Grand-Combe prend sa retraite. M. Ducasteing devient alors également le Directeur de la Compagnie. (Voir Annexe 18). 558. L'ingénieur M. Flechon, devient ingénieur principal de l'exploitation (fond et jour). Cf: FLECHON. Op. cit. Tome II. pp. 191 et 194. 559. Cf. Ibidem. p. 187. 560. Ibidem. p. 192. 561. Ibidem. p. 187. 562. TREMPE. (1989). Op. cit. p. 235. 563. FLECHON. Op. cit. Tome II. p. 187. 564. Les Mines de La Grand-Combe sont nationalisés en même temps que les cinq autres Sociétés Minières régionales (la S.A. des Mines de Trélys, la S.A. des Houillères de Rochebelle à Alès, la Compagnie Houillère de Bessèges, la Société des Houillères du Nord d'Alès et la Compagnie Nouvelle des Mines de Portes et Sénéchas) et que la Compagnie des Quatre Mines Réunies de Graissessac, pour devenir partie des Houillères du Bassin des Cévennes. Cf: TURPIN. Op. cit. p. 12. 565. DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 70. 566. Elevée par souscription publique en 1923 567. Nous utilisons le terme "mentalité" comme une catégorie du natif, parce que ce sont nos interlocuteurs qui le favorisent, en nous expliquant, à maintes reprises, l'existence d'une "mentalité grand-combienne". Nous y reviendrons plus loin. 568. Nous nous approprions ici l'analyse faite par Pinçon sur la communauté de travail (fer) à Nouzonville. In: PINÇON. Op. cit. p. 70. 569. DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 70. 570. "Et comme l'a dit Erikson, (...) le passé est reconstruit en fonction du présent tout autant que le présent est expliqué par le passé. Il y a interaction". Cf: LE GOFF, Jacques. Histoire et mémoire. Paris, Gallimard, 1988. p. 54. (1e édition, 1977). P A R T I E III "AU TEMPS DE LA NATIONALISATION" "Depuis la guerre ça a changé, ça a changé beaucoup... C'est-à-dire, quand c'était la Compagnie elle était le patron, et tout ici c'était du patron, tandis que là ça s'est nationalisé, c'était du gouvernement et c'était nous les patrons. Alors là, on travaillait pour le gouvernement. (...) Mais après ils ont envoyé les CRS, c'était la grève. Et puis ça a commencé a fermer, et alors là le gouvernement a fait une croix rouge sur la Grand-Combe et voilà... on n'aura jamais plus rien, jamais." (M. Cibuet, mineur retraité). CHAPITRE 1 MOBILISATION ECONOMIQUE, MOBILISATION IDEOLOGIQUE: LA NATIONALISATION DES MINES ET LES HEROS DU TRAVAIL. Avec la réquisition de la Compagnie des Mines de La Grand-Combe par l'Etat Français, suivie par la promulgation de la nationalisation des houillères, le changement d'époque est patent. Les habitants grand-combiens s'y réfèrent comme le vécu au "temps de la nationalisation des mines". Un moment de profondes transformations pour la ville et ses habitants, dont les plus ponctuelles (ou immédiates) concernaient les domaines économique et politique. En effet, ce secteur mono-industriel réquisitionné et nationalisé est absorbé dans une nouvelle organisation productive - les "Houillères du Bassin des Cévennes"(1), qui réunissent également la Cie. des Houillères de Bessèges, la Sté. Anonyme des Mines de Cessous, la Cie des Mines de Graissessac, la Cie des Houillères Nord d'Alès et de Saint-Martin-deValgalgues - formant un pôle de production régionale, dont le rôle est d'exploiter les concessions du bassin cévenol (région englobant le Gard et un centre d'extraction associé dans l'Hérault) et dont la nouvelle direction organise les exploitations à partir de zones ainsi structurées:(2) Groupe Nord: Bessèges, Trelys, Saint-Jean-de-Valériscle (cette dernière mine était exploitée par la Compagnie des Mines de La Grand'Combe). Les Compagnies sont regroupées sur le siège de Saint-Florent-sur-Auzonnet (une des installations les plus modernes d'Europe à l'époque). Groupe Centre: La Grand-Combe, Cessous, La Vernarède. La concentration dans la vallée de Ricard des ateliers de traitement des anthracites et des charbons maigres, et dans celle de Trescol, les productions provenant des différents sièges et de la vallée de Cessous. Les principaux secteurs de La Grand-Combe sont alors les puits Ricard et Oules II, profonds respectivement de 680 et 450 mètres, au centre du bassin de La GrandCombe. Groupe Sud: Rochebelle et Nord d'Alès. Pour assurer une extraction unique des charbons près des usines de traitement de Fontanes et Destival, les divers puits sont liés: puits Destival (755 m), puits de Saint-Martin-deValgalgues (ancienne compagnie du Nord d'Alès), gisement de Drulhes et, plus tard, les puits de Rochebelle. Groupe de Graissessac (dans l'Hérault): les quatre mines de Graissessac sont réunies.(3) Les anciennes concessions des diverses houillères du bassin cévenol (21 puits en galeries d'extraction et 13 installations de criblage-lavage) ont ainsi fusionné pour ne former qu'un seul centre régional producteur de charbon qui englobait un territoire très vaste, intégrant diverses communes elles-mêmes productrices de charbon. Les concessions appartenant anciennement à la Compagnie des Mines de La Grand-Combe sont désormais identifiées comme formant le "Groupe Centre", les plus "modernisées" à ce moment-là.(4) "Sur le plan technique, la nationalisation supprime les limites de concession, tracées arbitrairement, depuis la surface, et permet, de ce fait, la continuité de certaines exploitations qui devaient parfois s'arrêter à dix ou vingt mètres de cette limite, sans aucune nécessité technique. Enfin les ingénieurs se connaîtront mieux, se documenteront mutuellement, visiteront leurs travaux respectifs, alors que les anciennes sociétés, surtout sur le plan local, où la concurrence était plus vive, s'opposaient souvent à ces visites et à l'établissement de relations techniques suivies, comme s'il s'agissait de protéger des secrets de fabrication. A moins qu'il n'y ait eu, dans cette façon d'agir, le désir inavoué de conserver un certain mystère du problème de la rémunération des cadres".(5) La direction générale des Houillères du Bassin des Cévennes était commandée par M. Jean Ricateau(6) (venu du groupe de l'Hérault) qui substitue M. Ducasteing, qui reçoit un poste d'"ingénieur-conseilleur" aux Charbonnages de France(7). M. Pierre Boyer est confirmé comme directeur du groupe Centre et M. Flechon demeure l'ingénieur-en-chef.(8) Les ouvriers grand-combiens, quant à eux, sont dorénavant recensés parmi l'ensemble des effectifs des Houillères des Cévennes, qui atteignaient environ 21.000 personnes en 1947. Les différences liées à l'appartenance villageoise ou communale des mineurs - l'intra-muros du pays minier du "temps de la Compagnie" - ont été alors résorbées grâce à un facteur d'identification qui les intégrait dans les limites du "bassin cévenol". Ainsi, mineurs béssegiens, grand-combiens, alésiens, autochtones ou immigrants, sont désignés par une appellation toponymique qui les lie: "mineurs cévenols" (nous réservons pour un chapitre ultérieur la discussion concernant cette problématique). Dans le domaine du pouvoir politique local, départemental et régional, de nouveaux rapports de forces politiques s'installent avec l'hégémonie de la gauche. A La Grand-Combe, les premières élections municipales après-guerre, le 20 mai 1945, sont remportées par les communistes avec la victoire de M. Rouvière (qui a été président du Comité de Libération d'ao–t à novembre 1944), suivie par celle des socialistes en 1947, lesquels assument le contrôle définitif du pouvoir municipal (nous développons ce sujet plus loin). En réalité, la ville minière suit la même orientation que tant d'autres municipalités ont connue en France au cours des années qui suivent la Libération. "A la Libération, les forces politiques de gauche prennent le pouvoir dans la plupart des municipalités du bassin minier".(9) Côté travail, pour les ouvriers grand-combiens, l'innovation était avant tout celle du "changement de patron", par le passage d'une "direction d'élite" à une "direction de masse": "Avant c'était la Compagnie et depuis la guerre, c'est l'Etat et le syndicat", nous déclare un mineur grand-combien. L'allusion au syndicat comme participant à la gérance des Houillères est expliqué par la participation des représentants des "mineurs" à la coordination des Charbonnages de France(10) et par la "participation ouvrière" à la gestion socio-économique des Houillères, avec la mise en place des "comités d'entreprise" créés en 1945. "Le syndicat a accompli le même rôle d'assistance que jouait jadis la Compagnie. Parce que vous avez la caisse de la sécurité sociale minière dirigée par le syndicat, par les syndicalistes plutôt. Tout passait par là, les emplois... Pour embaucher un jeune, il fallait voir un délégué C.G.T. ou un délégué C.F.D.T., il fallait si vous vouliez être mieux placé... Si on veut, le syndicat est devenu un petit peu le patron parce qu'il dirigeait le conseil d'administration et, après la nationalisation, ce sont eux qui sont devenus les patrons, le nouveau patronat, je crois. Je suis pas contre, mais en contrepartie c'est 'la politique', tout ça, qui a provoqué les malentendus et difficulté le progrès." (M. Landes. Fils de mineur). Mais le changement vient aussi de la liberté de filiation politique et syndicale. L'enthousiasme initial est énorme et les ouvriers militent en grand nombre auprès du "parti ouvrier" (P.C.) et du "syndicat ouvrier" (la C.G.T.): "il y a eu une période de fraternisation dans les mines du Gard" (M. Favede. Directeur du C.F.P.A., section de La Grand-Combe). Les changements de l'époque se révèlent d'une surprenante complexité. Les mines passant de la condition "privée" à la condition "publique", la vie et le travail des mineurs grand-combiens doivent être englobés dans le contexte général de la politique de transformation du secteur charbonnier au niveau national, devenu plus que jamais un point névralgique des forces de renaissance de l'économie nationale. Certes, avant "les nationalisations", les mineurs avaient déjà connu d'autres époques de mobilisation pour atteindre un excédent de production, mais une nouvelle "bataille du charbon" est déclenchée en 1945, par la remise en marche des houillères et l'indépendance énergétique du pays(11), avec un déploiement de propagande énorme organisé d'un commun accord par les Houillères, le P.C. et la C.G.T, dans une véritable "mobilisation psychologique des mineurs"(12). En effet, le processus de réquisition des mines était supposé aboutir à une "vraie nationalisation, où les mineurs devaient participer à la gestion et à la direction"(13). "Autrement dit, des nationalisations qui feraient des houillères une véritable propriété nationale et dont les ouvriers auraient aussi la possession. Mais pour cela, il fallait gagner la bataille du charbon".(14) Sur le terrain des transformations du cadre politique interne, la position de force qu'acquiert le syndicat C.G.T., par l'ampleur de son action et le prestige qu'il obtient auprès de la classe ouvrière, et chez les mineurs plus particulièrement, constitue véritablement une "révolution". La participation du P.C.F. au gouvernement constitue elle aussi une nouveauté(15). Un gouvernement qui, par ailleurs, face à la nécessité de reconstruire le pays et de "sauvegarder l'indépendance nationale"(16), met en place un ensemble de dispositifs tels que celui de la nationalisation des mines et celui de la promulgation du Statut du mineur. "1945: La bataille de la production succède à la bataille militaire. A travers une mission économique (reconstruire la France) et politique (assurer l'indépendance et la liberté), des enjeux idéologiques et institutionnels se proclament ou se tapissent. Au nom d'une modernité sociale et politique - la nationalisation du charbon, le statut d'avant-garde octroyé aux mineurs - une autre scène se joue. Le mineur est baptisé 'premier ouvrier de France'. Il est aussi témoin 'de la classe ouvrière devenue majeure' pour ceux qui, au Parti communiste et à la C.G.T. se chargent de mener le combat en première ligne, au nom de l'idéal socialiste et, l'histoire le voulant, du gouvernement français de l'après-guerre (1944-1947). Une bataille du charbon où les mineurs furent convoqués à une nouvelle gestion de leurs forces".(17) De la sorte, autant le Parti que le syndicat joueront un rôle fondamental auprès du pouvoir central dans le processus de nationalisation des mines et dans l'élaboration des statuts de la catégorie des mineurs, promulgués en 1946. "La C.G.T. entre dans les organes de décision des Houillères nationales et contribue à élaborer le statut du mineur, qui depuis, régit la corporation. Pendant deux ans, 1945 et 1946, les mineurs sont confrontés à une nouvelle donne politique et se voient assigner un rôle déterminant dans la production, donc dans le redressement économique du pays".(18) En février 1946, c'est un mineur, Léon Delfosse, qui est nommé directeur-adjoint des Houillères nationales. Dès lors, c'est l'Etat-patron, en une coalition avec le Parti (P.C.F) et le syndicat (C.G.T), qui mobilise les mineurs et demande un grand effort à la corporation pour qu'elle augmente sa productivité, tout en promettant, par le Statut du mineur, des avantages sociaux(19). La législation consacre l'Etat non seulement comme activeur industriel mais aussi comme promoteur de progrès social pour les travailleurs mineurs et leur famille: "il apporta beaucoup matériellement et moralement aux mineurs"(20). Effectivement, après la nationalisation des mines, la victoire la plus significative de la catégorie sera celle de l'approbation du Statut du Mineur, qui entre en vigueur en 1946. Dorénavant, tout ce qui concerne les conditions de vie de la communauté de travail minier sera réglé par le Statut, un régime spécifique qui propose aussi des avantages de sécurité sociale et de retraite et la reconnaissance de la silicose comme maladie professionnelle(21). Par le biais du Statut, tous les mineurs connaîtront des améliorations dans divers domaines du cadre de vie. Désormais, le mineur reçoit un salaire supérieur à celui des autres industries, l'habitation (et le chauffage) gratuite est garantie. De plus, ses enfants peuvent obtenir des bourses d'études (famille nombreuse) et vont dans des colonies de vacances subventionnées par les Houillères (maison de vacances sur la Côte d'Azur). Des sociétés de loisirs sont organisées ou aidées par les Houillères. La nouvelle "bataille du charbon", lancée au nom de l'intérêt national(22), prend forme. Les années pendant lesquelles se déroule cette action de base ne correspondront qu'à un bref laps de temps, mais les changements apportés seront profonds. Plus que jamais, les forces coalisées ont recours à des moyens de propagande pour construire et diffuser l'image d'un ouvrier modèle faisant appel à celle d'un personnage "mythique": "l'Homme-Charbon"(23). Cette propagande élabore un prolétaire prototype et fait appel à un imaginaire tournant autour du personnage héroïque du mineur de charbon vu comme un être courageux, aimant son travail, attaché à sa fosse et à son quartier, "brandi à l'époque comme parangon de la classe ouvrière"(24). L'appareil étatique justifie sa politique par l'émergence d'une conjoncture de reconstruction nationale appelant l'adhésion patriotique à cet engagement. "(...) Mais au-delà de la situation nationale et internationale, l'oeuvre entreprise vise à instaurer de nouveaux rapports entre les travailleurs, leurs syndicats et l'Etat - à l'échelle d'un secteur de production - en construisant un nouveau profil de l'ouvrier, un modèle 'moderne' où les luttes contre le patronatexploiteur laissent place à une collaboration avec l'Etat-employeur. L'ouvrier cogérant obtient en contrepartie de sa responsabilité des conditions de vie décentes (salaire, sécurité sociale, logement, loisirs)".(25) Ainsi, le mineur et sa famille sont appelés à la réalisation d'une importante mission: assurer l'indépendance et la liberté économique de la France. "Responsabilité morale et politique: conscience nationale et conscience de classe mêlées ne doivent plus faire qu'un. La propagande reste donc au niveau des généralités, représentant des systèmes (économiques) ou des abstractions (intérêt national)".(26) De même que tous les mineurs en France, les grand-combiens sont engagés dans le plan de redressement de l'économie nationale, galvanisés par le climat psychologique créé autour de la "bataille du charbon" (phase 1945: pré-nationalisation, et 46-47, nationalisation), exaltés comme dans un combat patriotique.(27) "Pour hâter la reprise de la production, une 'bataille du charbon' est lancée, (...). A nouveau l'imagerie est sollicitée: la 'fierté du mineur' et l'héroïsation vont connaître une nouvelle fortune. Le mineur est l'homme du renouveau, le 'soutier de la nation'. Et, plus le travail est dur, dangereux, contraignant, plus il faut lui inventer un supplément de noblesse. Le parti communiste et la C.G.T., qui institutionnalisent le salaire au rendement individuel (dans le Statut du mineur), vont s'en charger".(28) C'est pour la mise en place de la structure administrative par les "Houillères des Cévennes" que les mineurs cévenols se sont engagés dans la "bataille du charbon". L'ingénieur Flechon rapporte les événements à l'époque: "Vers la fin de 1945, une première fois, Robert Lacoste ministre de l'industrie vient demander un effort particulier aux mineurs, au cours d'une réunion spéciale à Alès, à l'école des mines. (...) C'est alors une période de collaboration exaltante dans l'effort. L'Etat-Major travaille en moyenne dix heures par jour, tant au fond qu'à la surface. Sans compter, en supplément, les descentes nocturnes, lorsqu'un accident grave, la mise en marche d'une nouvelle méthode de travail ou une anomalie particulière du gisement ou de l'exploitation nécessitent la visite immédiate des autorités et la prise de décisions rapides. (...) Tous ces efforts sont suivis et appuyés avec sympathie par le personnel des comités de gestion. La nationalisation des charbonnages, intervenue en 1946, crée dans chaque Bassin Houiller français un établissement autonome sous l'autorité d'un directeur général; les charbonnages de France devant coordonner l'action de tous les Bassins tant du point de vue technique que du point de vue financier. Un décret du 14 juin 1946 promulgue le Statut du Mineur, qui fixe les modalités d'engagement, de classification, de titularisation, de promotion, et de rémunération, de l'ensemble du personnel: ouvriers, maîtrise, techniciens, ingénieurs. Y figure la grille des coefficients hiérarchiques des différentes catégories d'agents, assurant ainsi à une corporation tout entière vouée à des tâches particulièrement pénibles et lourdes de responsabilités, des avantages certains, à l'époque, sur les autres professions. Si, par la suite, et devant la substitution progressive au charbon de nouvelles sources d'énergie, ces avantages furent quelques peu réduits, du moins réussirent-ils, au départ et pendant un temps, à récompenser l'effort particulier des mineurs. C'était à l'époque où le communiste Maurice Thorez, ministre de l'Industrie du Général de Gaulle, demandait et obtenait du bassin du Nord-Pasde-Calais cent mille tonnes de charbon par jour pour contribuer au relèvement de la France, où la solidarité était bien réelle entre les différentes catégories professionnelles, du manoeuvre à l'ingénieur. C'était l'époque où Auguste Lecoeur, délégué par Thorez, venait à Alès, comme l'avait fait Robert Lacoste l'année précédente, et recevait ensemble ingénieurs, maîtrise et délégués des ouvriers, pour leur demander un effort accru de production. Avec la C.G.T., majoritaire, dans les charbonnages, la présidence du Conseil d'Administration des Charbonnages de France, comme celle du Bassin des Cévennes étaient assurées par les secrétaires des fédérations nationale et cévenole des travailleurs du sous-sol. Dans le même esprit de coopération, de nombreux ingénieurs groupés dans des syndicats de Bassin autonomes, adhéraient à la C.G.T.".(29) Les Houillères des Cévennes vont ainsi contribuer aux succès économiques de cette nouvelle relance nationale, en répondant à la demande croissante de charbon pour la reconstruction de la France, par l'élévation du rendement à un bon niveau de productivité.(30) Pour les mineurs, c'étaient là des "temps nouveaux" dont la figure de l'Etat était la référence externe qui permettait d'ordonner ce temps vécu. La perspective, chez les mineurs, était que les changements allaient permettre la sereine continuité d'une communauté basée sur le travail, bénéficiant d'une amélioration de la qualité des conditions de vie, ceci grâce au Statut qui codifie désormais l'essentiel des revendications de la catégorie et gomme les inégalités sociales. En effet, le Statut du mineur promettait d'assurer une condition de vie décente aux mineurs et à leur famille, ainsi que la stabilité du travail et la sécurité sociale. Tout un programme de modernisation des équipements est lancé, dans le cadre de l'aide Marshall, regardant le Bassin des Cévennes. C'est M. Jean Ricateau qui lance le programme sur place. Ce plan de production envisageait une production annuelle de trois millions de tonnes pour les Bassins des Cévennes, soit pratiquement le double de ce qui était produit avant la nationalisation. Selon le témoignage de l'ingénieur Flechon, le lancement du programme des travaux de modernisation du bassin des Cévennes donne lieu à un événement important et solennel. Le directeur général des Charbonnages de France la préside. Une grande cérémonie est organisée sur la place JeanJaurès (ancienne place Bouzac) à La Grand-Combe. Toute la hiérarchie du Bassin, tous les délégués syndicaux sont présents, ainsi que le représentant officiel du ministère de l'Industrie, au milieu d'un grand concours de la population. Les discours officiels à l'occasion se succèdent et mettent en avant le programme de trois millions de tonnes fixé au bassin dans le cadre des soixante-dix millions de tonnes prévues sur le plan national. La "tonalité" des discours prévoyait dans la concrétisation de ces grands travaux, "le meilleur gage de l'avenir de la population, celui de ses enfants et la prospérité de toute la région Cévenole". Afin d'arroser l'événement, un grand banquet réunit les invités dans les locaux du centre d'apprentissage de La Grand-Combe tout récemment inauguré. Flechon décrit le "climat" dominant à l'occasion: "L'euphorie de l'heure s'étend à tous les assistants, qui se sentent pleinement disposés à apporter toute leur contribution personnelle d'intelligence et de travail à l'oeuvre commune au programme ainsi défini".(31) L'unité du bassin permet alors une exploitation beaucoup plus rationnelle du gisement, par la création de nouveaux sièges d'exploitation(32), par l'accélération d'une organisation du travail à la tâche - stimulé par le profit individuel (pratique du salaire individuel)(33) - et par l'intensification du rendement au moyen de la rationalisation et de la mécanisation de certaines fonctions d'exploitation. Cela démontre que les mineurs cévenols ont répondu aux appels du gouvernement de gauche à la production et au rendement, en acceptant, par idéal de lutte (en se mobilisant pour le P.C. et la C.G.T.) et comme étant la seule issue pour la nation, la "militarisation du travail"(34). Pour motiver ces mineurs et afin d'encourager au maximum l'effort de production, l'Etat institutionnalise, entre autres, un prix régional de productivité qui récompensait, par l'octroi d'un diplôme et d'une prime, les ouvriers d'un chantier ou d'une taille qui obtenaient les meilleurs rendements.(35) Le processus est maîtrisé par l'action syndicale. Les syndicats ont le vent en poupe et reçoivent massivement de nouveaux adhérents. C'est la C.G.T. qui concentre l'affluence des nouvelles adhésions et, surtout parmi les mineurs de fond, elle va accentuer son monopole. Quant au P.C.F., c'est en tant qu'orientation politique qu'il gagne du terrain parmi les ouvriers. Après quelques années de satisfaction, résultat des actions menées pour démocratiser la vie des Houillères, tout semblait aller pour le mieux. On vivait une réforme où le processus de division du travail, autant dans le système productif que hiérarchique, se modifiait et se démocratisait. Les ouvriers se syndicalisaient massivement et les ingénieurs, de leur côté, leur emboîtaient le pas. Le conseil d'administration des charbonnages était communiste et parlait d'une lutte où les forces ouvrières et patronales devaient se rassembler dans un but commun. Une expérience de démocratisation à tous les niveaux était ainsi menée dans les Houillères, les représentants syndicaux participant à la gestion de l'entreprise. On stimulait les primes à la production individuelle (bicyclette, voyage pour toute la famille, etc.); on en faisait bénéficier aussi la collectivité, c'est-àdire la famille du mineur, la communauté de travail. On créait des primes pour les familles nombreuses(36) et des bourses d'études pour les élèves du secondaire étaient attribuées, toujours aux familles nombreuses, etc. L'on imagine mal alors que, conjointement aux reformes de structure économique et sociale, vont subsister des conditions de travail difficilement tenables et en réalité très dures: la prolongation de la durée du travail, une contrainte disciplinaire énorme menant à la fatigue, à la maladie, en même temps qu'une détérioration de plus en plus réelle de la politique d'exploitation des mines, dont le métier de mineur va subir le contrecoup. "Après la Guerre, la mine a été nationalisée et c'est devenu les Houillères des Cévennes. Bien, et alors là on n'était plus commandé comme avant. Le syndicat ouvrier (la C.G.T.) était intervenu. Alors, tout le monde s'était engagé politiquement parce qu'ils disaient qu'il fallait se syndiquer. Ils étaient majoritaires à 100% et on payait la cotisation et tout pour le syndicat, parce qu'il était révolutionnaire. Mais ça n'a pas duré, et ça n'a pas duré parce qu'ils avaient des méthodes qui ne plaisaient pas. Et ça n'a pas duré parce qu'il n'y avait qu'eux qui commandaient. Alors, après un certain temps j'en ai eu marre et je me suis dit que je ne prendrais plus cette carte, et j'ai déchiré ma carte syndicale. Je ne suis pas un gars du patron, mais j'étais déçu par le syndicat ouvrier. Alors, je me suis décidé à mener mon bateau moi-même. Si j'ai quelque chose à défendre, je me défends moi-même". (M. Ponte. Mineur retraité). Ce récit n'est qu'un point de vue parmi tant d'autres, mais il constitue une analyse révélatrice de la situation vécue par les mineurs dans les années qui suivent la nationalisation des mines, un point de repère pour les changements sociaux subis par les mineurs et leurs familles. Après qu'il a coopéré avec la collectivité, par son travail, à relever le pays, le refus qu'exprime ce mineur en quittant le syndicat est un geste individuel, qui sera répété par d'autres, mais il reste néanmoins un geste minoritaire qui traduit sa déception face à une bataille du rendement gagnée... mais par qui et pour qui? En effet, le contexte est très ambigu. La conjoncture qui caractérise cette période s'avère complexe, du fait que c'est la gauche qui, étant au pouvoir (et conjuguant ses efforts à ceux de la C.G.T.), entreprend la promotion de ce modèle moderne de travailleur qui coopère avec l'Etat. Un Etat qui accorde donc d'un côté des avantages en élaborant le Statut du mineur, ceci en réponse à d'importantes revendications au niveau des salaires et de l'assistance sociale. Mais un Etat aussi qui, d'un autre côté, en s'alliant au Syndicat et au Parti, lance un appel aux mineurs à se mettre au travail(37) faisant en cela ressurgir des valeurs qui consacrent l'identité collective du groupe; ce que l'on peut mettre en rapport avec le discours d'une autre époque, lorsque les Compagnies reproduisaient les rapports sociaux à travers le système paternaliste: "Selon Léon Delfosse, la nationalisation et le statut du mineur ont consacré 'la mort du paternalisme patelin des anciennes compagnies'. En réalité, les Houillères n'ont fait que substituer un paternalisme d'Etat au paternalisme 'patelin', en améliorant les dispositifs de fixation et de prise en charge sociale qui fonctionnaient depuis le XIXe siècle. La loi sur la 'sécurité sociale minière' votée en 1946 instaure un régime de prise en charge totale de la santé du mineur et de sa famille".(38) Comme à une époque pas si lointaine, l'incitation au travail s'appuie sur une propagande officielle qui évoque la valorisation du métier, affirmant l'héroïsme du groupe, ses rapports solidaires et son système de lignage, promettant un système d'assistance avantageux pour le mineur et sa famille: "le devoir et le sentiment" - "rapports éthiques et affectifs" - "se substituent au règlement et au profit"(39). La stratégie consistait à reprendre ces valeurs et à les "ré-élaborer" à travers un discours "moderne". Aux thèmes moraux s'ajoutent les thèmes nationaux. Cela ressemble à un jeu de séduction, où la propagande de revalorisation de l'image du mineur diffuse celle d'un travailleur érigé en modèle par son attachement au travail et par sa coopération avec la patrie(40). Le dispositif patronal est mis en place autrement, certes, mais l'accélération du rythme de travail est telle que les conditions de labeur ne vaudront, en fin de compte, guère mieux que celles de la fin du XIXe siècle. Il s'agit là d'une reproduction de dispositifs que Mattéi qualifie à juste titre de "ventriloque" dans son analyse du rôle joué par le syndicat qui, s'il a d'un côté dénoncé les finalités patronales (profit et exploitation), relance d'un autre côté, comme il revêtirait du prêt-à-porter, l'idée de cette identité "mythique" bâtie autour du mineur.(41) Les objectifs sont atteints, mais un coup dur est porté à la catégorie, épuisée par une prolongation de la durée du travail, une intensification du rendement et une rationalisation du travail - déterminée par le système Bedaux(42), chronométrage et salaire au rendement individuel renforçant la compétition entre les travailleurs, - qui seront la source d'une recrudescence de la silicose, de l'exacerbation des accidents et du mécontentement des héros. L'absentéisme très élevé(43) va dénoncer, entre autres choses, leur fatigue et leur désespoir. Tout se passe comme s'il y avait un décalage entre la reconnaissance professionnelle et la réalité qui s'installe après la "bataille du charbon". (M. Chapelet): "Moi, je me suis attrapé par la cravate deux fois avec les ingénieurs, après la nationalisation, parce que je travaillais au chantier et alors, bon, ils me disaient: 'je vous donne tant par mètre, c'est-à-dire une somme pour faire un mètre, et pour tous les centimètres en plus que tu fais je te donne tant de plus. Moi j'étais jeune, je croyais que la mine était à nous, j'ai foncé. Et à un moment, j'avais tellement bien travaillé que j'avais gagné plus que lui (le chef), et lui il n'a pas tenu sa promesse. Alors un jour, en descendant au chantier, je lui ai dit: 'il faut régler cette affaire, parce que moi je n'ai pas touché l'argent que j'ai gagné'. Il m'a répondu: 'oui, mais tu comprends, celui qui travaille avec toi là-bas, un poste avant, il travaille un peu moins. Alors j'ai fait une moyenne'. J'ai dit: 'moi, je travaille pour moi, je ne travaille pas pour les autres'. Eh bien, j'étais tombé dans le piège, et puis il y a eu une grande grève. Là, il y a eu un mois, deux mois de grève. Là, tous les mineurs ont fait grève. Au fond, en 48, les mines étaient inondées, c'était rempli d'eau. Et puis quand on a repris, j'ai insisté sur ma paye. Le chef m'a dit: 'oh! maintenant tu m'embêtes parce que j'ai d'autres choses à faire, il faut relever la mine'. Bon, j'ai dit: 'relever la mine! Quand la mine était relevée, j'ai dit: 'dites'!, et lui: 'tu m'embêtes encore?' Alors, je l'ai attrapé par la cravate... Moi, je me disais: peut-être qu'ils vont me foutre à la porte, mais ils ne m'ont pas foutu à la porte. Le lendemain, je descends au chantier, le chef vient et me dit: 'tu vas travailler', et j'ai dit: 'non, tant qu'ils ne m'ont pas payé, je ne reprends pas mon travail'. Pendant deux mois, il m'a fait travailler n'importe où et il m'a dit: 'tu fait ce que tu veux à la mine', et j'ai pas travaillé, j'attendais ma paye. C'était un système qui poussait à la production et je suis tombé dans le piège. Ils ont poussé les gens à la production, pour un mètre ils donnaient une somme, puis chaque centimètre en plus, ils ont poussé les ouvriers, et le charbon entrait, et l'ouvrier disait: 'bon, aujourd'hui, sur un mètre vingt j'ai fait 6 mètres et on gagnait un peu plus. On arrivait à 7 m. Alors moi, après, quand j'étais bien placé, le maître mineur disait: 'mais vous vous rendez compte, ces ouvriers, l'argent qu'ils gagnent? Où on va aller si ça continue!' Alors, il y avait une mise en scène comme au cinéma, ils passaient dans la taille où il y avait tous les ouvriers et ils disaient: 'combien de mètres tu as fait?'- '7 mètres, alors j'ai gagné tant'. Et lui: 'oui, tu comprends, mais c'est pas possible...'. Le lendemain, le maître mineur venait tout seul et disait à l'ouvrier: 'tu te rends compte, je me fais engueuler par l'ingénieur, je te paye trop, ça vas plus, ça peut pas durer... je suis obligé de couper ta paye'. Alors, si le gars tombait dans le panneau, acceptait tout ça sans rien dire. Encore des fois, le maître disait: 'bon, tu fais un mètre de plus ou tu ne touches pas. Pour le même prix on est arrivé à doubler la production, même à la tripler, comme ça. Et chaque fois, il y avait une mise en scène. C'était l'exploitation de l'homme." (Chercheur): "Et le syndicat...?" (Chapelet): "Vous savez, le syndicat, il n'a pas bougé. Le syndicat a bougé à un moment: après la Libération. A un certain temps, il n'y avait pas de cadres et les chefs de poste faisaient partie de la C.G.T. Mais quand les cadres ont eu des avantages, ils ont dit: 'maintenant on n'en a plus besoin', et ils ont laissé tomber la C.G.T. Il y a eu toujours des trucs comme ça dans la mine, tout le temps, tout le temps. Et toujours pour faire travailler l'ouvrier, pour le faire produire et pour essayer de le payer un peu moins." (M. Chapelet. Mineur retraité). En 1947, la situation au niveau politique se modifie et les ministres communistes qui se trouvaient à la tête de ce programme des Houillères sont chassés du gouvernement par le socialiste Ramadier(44). Certes, bien que la conjoncture caractérisée comme étant "de bataille" ait pris fin, la productivité reste importante et l'institution charbonnière subsiste, mais, avec l'éviction des ministres communistes, les forces changent au pouvoir des Charbonnages et le progrès social annoncé fait un pas en arrière: la nationalisation et la Sécurité sociale sont remises en question. Racine d'une fuite d'efficacité symbolique de la "métaphore": "progrès social pour la classe ouvrière". Le "progrès"... en arrière? Une idéologie trompeuse? Quoi qu'il en soit, pour les "héros", ces changements semblent mettre à l'envers leur monde si idéalisé. La conjoncture qui voit le jour est celle déterminée par le redressement économique de la France, mais cette fois selon les dispositifs du plan Marshall, qui freine l'activité des communistes dans le domaine économique national. Les syndicalistes communistes, pour leur part, reprennent la bataille au moyen de grèves qui se succéderont pour combattre les plans gouvernementaux (Marschall, Monnet, Schuman), lesquels imposaient un prix social très élevé pour la modernisation de la France et qui atteignait de plein fouet le milieu minier. Les grèves qui se suivent dévoilent une nouvelle situation aux mineurs: l'autorité patronale demeure plus intransigeante que jamais. La réalité, concrète, effondre les intérêts et idéaux du groupe, les acteurs de cette histoire - la bataille du charbon - deviennent le héros d'un mythe. Seul compte alors le rapport de forces. Les grèves de 1947 et 1948, d'ampleur nationale, se montrent violentes.(45) Le paradoxe réside dans le fait que ces grèves sont appelées par la C.G.T et le P.C, qui étaient pourtant les promoteurs de cette conjoncture de "crise", trahissant ainsi leur incohérence et les erreurs commises dans la gestion de cette "bataille du charbon".(46) "La situation était devenue scabreuse; les mineurs ne pouvaient à la fois accepter les privilèges - ces satisfactions substitutives - et freiner la production pour exiger une évaluation différente de leur travail. Les frustrations individuelles ne s'exprimèrent librement qu'une fois les ministres communistes sortis du gouvernement. Avec les grèves de 1947 et 1948, les mineurs réendossèrent leur rôle traditionnel d'éléments anti-sociaux".(47) Au cours des années 50, une récession survient sur le marché du charbon, due aux difficultés de vente qu'entraînait la concurrence avec le charbon étranger. Les flux du marché du travail de la mine seront ralentis. En 1950-51, les mesures prises pour l'intégration croissante de la France au marché international à travers le plan Schuman, et visant a créer la "communauté-charbon-acier"(48), produisent des conséquences néfastes pour le secteur traditionnel du charbon. Les traités signés dans le cadre de la politique gouvernementale à ce sujet décrètent des mesures très libérales ouvrant le marché national aux charbons étrangers, ce qui pénalise aussitôt et lourdement certains bassins déjà défavorisés par une conjoncture marquée par l'insuffisance des investissements, les retards en équipements et l'immobilisme du capital.(49) Une fois passées les années de mise en valeur du charbon et lorsque pointeront les premiers signes avant-coureurs d'arrêt de l'exploitation et de reconversion du bassin minier, l'adhésion aux mots d'ordre et la confiance dans les dirigeants du "progrès social" commenceront à s'émousser. Dès lors, les grèves se succèdent pour revendiquer depuis la mise en pratique de la loi établie par le Statut du mineur jusqu'à la reconnaissance matérielle et professionnelle de cette catégorie. Chez les mineurs, le sentiment d'avoir été "trompés" augmente et la nationalisation, promise jadis comme faisant des mines "une vraie propriété nationale et possession des ouvriers", est remise en question en même temps que le rôle joué par le syndicat et par les comités d'entreprises. L'ingénieur Flechon, explique dans son manuscrit cette conjoncture: "Nous sommes donc en 1946. La nationalisation des charbonnages apporte sur le plan social et technique des avantages certains. Le statut du Mineur reconnaît le caractère particulièrement pénible du travail du fond et assure aux ouvriers un salaire plus élevé que dans les autres branches professionnelles, avec indexation sur le salaire de l'ouvrier de la métallurgie de la région parisienne. L'esprit de ces dispositions ne fut pas toujours respecté par la suite, lorsque le recul du charbon dans l'approvisionnement du pays rendit les mineurs moins indispensables et cette déviation entraîna de nombreux conflits salariaux. D'autre part, la disparition des comités de gestion mis en place en ao–t 1944, par le commissaire de la République, et leur remplacement par les comités d'entreprises légalement constitués réduisirent le pouvoir ouvrier, même si des mineurs continuèrent à figurer dans les conseils d'administration des Charbonnages de France et des Houillères de Bassins. Ces modifications furent la source de mécontentements et incitèrent parfois le personnel à réclamer des vraies nationalisations. (...) Et lorsque, recevant la réclamation d'un ouvrier, ils étaient contraints de lui déclarer qu'ils ne pouvaient faire autrement qu'appliquer des directives de la Direction générale, des Charbonnages de France, il n'était pas rare que celui-ci leur réponde: 'Autrefois, ce n'était pas comme ça. Quand je faisais une réclamation à l'ingénieur, il me répondait par oui ou par non; il ne me disait jamais: je verrai ou je transmettrai'. (...) ce qu'ils voulaient c'étaient de 'vraies nationalisations', et non pas l'omnipotence des technocrates parisiens".(50) Le climat général était devenu celui du désenchantement et les mineurs exprimaient leur scepticisme par l'absentéisme, par le détachement du syndicat C.G.T., par l'affiliation à un autre syndicat (F.O. par exemple), ou encore par le simple exercice de la critique ou le refus d'engager un fils sur le même chemin. L'un des mineurs interviewés évoque aujourd'hui le fait qu'après la "victoire" de la bataille du charbon, le principe hiérarchique des Houillères était redevenu aussi contraignant qu'auparavant, c'est-à-dire du ressort de la technocratie parisienne. Lorsqu'ils réfléchissent à cette époque, les mineurs trahissent leur déception quant à la politique de nationalisation des mines: "La nationalisation, ça alors, ça a été notre ruine...". (M. Champeac. Mineur retraité). "Le problème, c'est que ces gens-là ont fait plus de tort que de bien, en particulier à notre ville. Ils ont pris le mauvais chemin. Ils n'ont encore rien compris, même les responsables n'ont pas encore compris ce qui c'est passé. Il y a eu tellement d'ambition politique qu'ils ont empêché l'évolution". (M. Crozet. Mineur retraité). Au fur et à mesure que certains facteurs politico-économiques jouaient de plus en plus en défaveur du charbon, par la substitution des sources d'énergie, les conséquences que n'avait pas encore prévues la catégorie commençaient à se manifester: la fermeture des puits d'extraction signifiait en effet la désarticulation du travail des mineurs. On ne modernisait pas le métier "mineur" - on l'"enterrait" tout simplement. C'est le début d'un autre ordre de problèmes et d'angoisses: "il ne s'agit pas seulement de la perte d'un emploi ou de l'obsolescence d'une qualification, c'est tout l'univers du mineur qui est touché: travail, habitat, famille, réseau associatif, région".(51) Mais, comme nous l'expliquera un fils de mineur, "il y a deux aspects à considérer": "Il y a une chose qui est certaine, c'est que la nationalisation a permis de faire des conquêtes sociales pour le mineur ou le fonctionnaire. Donc au niveau de l'emploi, ça a été intéressant, ça a permis à ces gens d'envisager l'avenir. Et si d'une part les mines avaient été condamnées à la fermeture, d'un autre côté, quand même, ces familles ont eu la sécurité, et la preuve c'est que les grandspères d'aujourd'hui nourrissaient encore leurs enfants de 3O ans. Cet aspect n'est pas du tout négatif". (M. Landes. Fils de mineur). Des éléments divers sont lucidement mis en relief par ce fils de mineur. Les changements, les améliorations, les réformes structurelles, etc., apportés au "monde du travail minier" par le programme de nationalisation des mines ont permis, d'une part, l'émancipation des mineurs du "machiavélisme patronal"(52), la conquête de pouvoir "envisager l'avenir" avec plus de liberté de construire le(s) projet(s) de vie de leurs enfants, garantissant leur place (leurs droits) dans un processus de qualification de la main-d'oeuvre et d'acquisition de capital culturel (si on peut, ici, "maquiller" les contraintes sociales) -, d'autre part, la garantie "par loi" des améliorations des conditions de vie de cette classe laborieuse. Mais tout cela se concrétise à partir de ce que la nationalisation a fondé: une profonde rupture, plus forte que celles que les "grand-combiens" situent (et ordonnent) à l'intérieur d'un temps qui leur apparaît plutôt comme continu: le "long" temps de la Compagnie. La rupture, ici, ne cache plus le visage du "moderne": la déstructuration de structures identifiées comme "traditionnelles" et, dans le même bateau, les racines de l'effondrement de cette "communauté de travail traditionnel". La "nationalisation" et la "C.G.T.", selon lui, sont devenus après la fermeture des mines (sujet que nous développons dans la Partie IV.), un peu le bouc émissaire d'une population préoccupée par un déclassement de plus en plus prononcé de leur ville minière et une manière d'exprimer un sentiment d'angoisse face à une situation de désarticulation du groupe d'identité, de cette communauté qui vivait un quotidien rythmé et un temps ordonné selon la cadence du "travail traditionnel", celui de la mine. CHAPITRE 2 "QUELLES RUPTURES? QUELLES CONTINUITES? DANS LES "TEMPS NOUVEAUX". La Grand-Combe, qui n'avait pas connu de réduction démographique grave après la Deuxième Guerre (contrairement à d'autres noyaux miniers comme dans le Nord et le Pas-de-Calais, qui se sont trouvés sous occupation allemande), présentait une population d'environ 14.000 habitants à l'époque "des nationalisations". "Notre ville, contrairement à tant d'autres, n'a point trop souffert du fer et du feu pendant l'affreuse guerre (...)".(53) Néanmoins, le charbon demeurait le seul élément économique vital capable de dynamiser le marché du travail. On assiste en réalité au renforcement du caractère "mono-industriel" d'une ville vivant de l'extraction du charbon. De 1949 à 1951, la majorité "travaille au charbon", c'est-à-dire que 80% de la population active de La Grand-Combe est employée aux Houillères du Bassin des Cévennes (H.B.C.), qui comptent alors 19.200 ouvriers dont 12.000 mineurs de fond (6,7% du personnel des houillères françaises)(54). En 1954, cette proportion est la même, mais cette fois est prise en compte la population employée dans l'ensemble du secteur primaire (agriculture et extraction). L'agriculture étant restée une occupation très accessoire dans la commune, c'est donc l'activité extractive qui continue à représenter l'essentiel du secteur primaire. En effet, depuis plus d'un siècle que durent le monopole du secteur extractif et la forte emprise qu'exerçait la Compagnie, les transformations survenues dans la ville ne réussissent guère à stimuler le développement de nouveaux secteurs de production et, mis à part le petit commerce libre qui entreprend ici et là quelques initiatives, les autres branches de l'économie (comme le tertiaire) semblent peu mobiles. Cette époque constitue un archétype d'une communauté de travail minier, parfaitement symbolisée par les fêtes et loisirs qui marquent les lieux et les moments forts de la sociabilité du groupe: Fête de Sainte-Barbe, l'Harmonie de la Compagnie, Club de Gymnastique, Stade de Football Sainte-Barbe, etc. En 1959, c'est encore La Grand-Combe qui présente, par rapport aux autres villes rattachées aux Houillères des Cévennes, la proportion la plus expressive de population active travaillant à la mine: 27,1%.(55) En outre, la "vocation collective" continue de se tourner vers l'activité extractive - la ville a été créé grâce a charbon - et le monde du travail quotidien est systématiquement lié à la mine, surtout au moment où le puits Ricard connaît une pleine activité. En effet, selon les mineurs, c'est de la "Vallée Ricard" que sort "le meilleur anthracite du monde", qualité qui va être diffusée dans toute la France à travers une campagne de publicité. De plus, le programme de relance de la production charbonnière pour le Groupe Centre prévoyait en particulier de maximiser la productivité des puits Oules, très modernes pour l'époque, et l'ouverture d'une centrale thermique à La GrandCombe. Au vu de tout cela, la ville se voyait encore promise à une relative prospérité. L'image de la pérennité du monde charbonnier permettait avant tout à la communauté de travail de reproduire comme naguère ce sentiment de stabilité, d'un avenir sûr pour leurs enfants. L'embauche dans la mine demeure le motif de base de mobilisation dans l'itinéraire singulier d'une famille liée à ce milieu. En effet, quoique l'avènement d'un nouveau marché de travail - surtout dans les grandes villes comme Paris, Lyon, etc.- attire la jeunesse vers les grands centres urbains, la génération grand-combienne d'après-guerre ne part que rarement, car elle sait que dans la mine leur place est assurée d'avance, surtout à cette période précise où les familles de mineurs connaissent une amélioration du niveau de vie. Partir pour la grande ville, à ce moment-là, apparaît davantage comme la réalisation d'une aspiration (d'un rêve), due en général aux valeurs de sociabilité que les grands centres urbains supposent, que comme un besoin, ou une contrainte, provoqué par une situation précaire. Par ailleurs, la reprise industrielle de l'extraction de charbon par les Houillères va permettre une dynamisation du marché du travail minier, le recrutement redevenant un besoin urgent. Comme autrefois, les paysans cévenols sont attirés par ce travail salarié et stable. Les difficultés qu'ils connaissent dans le milieu agricole les poussent sans cesse à partir, ne serait-ce que temporairement, à se consacrer à un métier dont les avantages économiques et sociaux sont plus immédiats. La mine est encore capable de leur assurer un avenir et, comme hier, cherchant à rejoindre une famille souche, frères et amis s'y établissent à leur tour. Outre cette population qui descend des villages de tradition agricole vers la mine, comme dans la France entière, la région connaît un important afflux de travailleurs étrangers. Cette fois, la politique d'immigration est contrôlée par l'Office national de l'immigration (créé en 1945)(56). En effet, en 1945, le bassin compte déjà 42% d'immigrés au sein de son personnel. En 1947 et pour l'ensemble du bassin cévenol, on dénombre près de 7.000 travailleurs étrangers(57) pour environ 13.000 travailleurs français. Dans les années suivantes, la proportion restera à peu près égale.(58) La plupart des étrangers seront issus des pays ibériques, d'Italie et plus massivement du Maghreb et de l'Afrique francophone, colonisée ou décolonisée. A partir de 1946, les immigrants algériens arrivent massivement dans le bassin cévenol et, vers 1949, ils représentent déjà 16% des étrangers dans la même région. Le flux de ces arrivants est continuel, quoique 1953-1955 et 1963-1966 constituent des périodes où l'immigration algérienne s'intensifie dans le bassin. Ils forment le groupe national quantitativement le plus important et ce sont eux alors qui composent la plus grande partie des familles nombreuses. Les immigrants italiens arrivent entre 1946 et 1947 (5,7% de la population étrangère), ainsi que des portugais, dont nous avons déjà parlé. En dehors des nord-africains, les ouvriers étrangers représentaient en 1956, 18% des effectifs des Houillères des Cévennes. C'est à toutes les Cévennes qu'est assignée la fonction d'accueillir cette société minière formée d'anciens et de nouveaux travailleurs. Comme à chaque occasion d'une arrivée massive d'immigrants, les "grand-combiens" de vieille souche se sentent un peu menacés, un peu envahis dans leur "foyer identitaire". Malgré tout un passé marqué par le mélange ethnique, la mémoire se fait sélective pour notre interlocutrice et les mineurs anciennement enracinés deviennent les "carrément grand-combiens" face à l'arrivé d'une nouvelle vague d'"étrangers". "(...) parce qu'avant il y avait beaucoup d'italiens, beaucoup d'espagnols, beaucoup de polonais qui sont venus mais ils se sont mariés, vous comprenez? Ils se sont bien adaptés... Mais, après, il y a eu beaucoup d'étrangers qui sont venus pour la mine tout ça, beaucoup d'arabes, beaucoup, et puis tout ça, tout a changé, vous comprenez? C'était plus mélangé, tandis qu'avant c'était carrément les grand-combiens, pas pareil... Il y avait quand même une bonne ambiance, surtout les anciens qu'on se connaissait bien quoi! Puis avec les plus jeunes ça c'était pas pareil... ". (Mme Regis. Veuve de mineur). La condition du "brassage" d'hier est représentée "enveloppée" par le critère d'"ancienneté" devenue, ici, "emblématique identitaire". Mais comme toujours, cela n'est pas raison de conflit, "la mine", c'est-à-dire, "le travail" les intégrera rapidement. Parmi les villes rattachés aux Houillères, La Grand-Combe demeure une importante zone d'accueil pour les nouveaux arrivants. Les opérations de construction de nouveaux logements destinés à les recevoir en sont une preuve. CHAPITRE 3 "HABITER" A LA GRAND-COMBE "AU TEMPS DE LA NATIONALISATION". A) Le parc immobilier des H.B.C. L'avènement de la nationalisation des mines n'apportera pas de transformation importante sur le plan urbain (ou la structure urbaine) à La Grand-Combe. La commune reste très marquée géographiquement, économiquement et socialement, par son caractère minier. Néanmoins, le processus de la "nationalisation" s'inscrit dans une nouvelle logique industrielle, s'appuie sur de nouveaux principes urbanistiques. La multiplication successive des îlots d'habitations (nouveaux quartiers), les "cités-minières" des Houillères, mais surtout la nouvelle politique d'habitation populaire (les H.L.M.) c'est la projection d'une réflection urbanistique au plan national sur le local ("la projection du global sur le terrain", pour paraphraser Lefebvre).(59) La ville minière est de plus en plus brouillée dans une nouvelle politique du "habiter", plus centralisée par (ou dans) l'Etat: "la rationalité étatique va jusqu'au bout)".(60) C'est une nouvelle société nationale qui se projette sur le local: "Ce qui s'inscrit et se projette, ce n'est pas seulement un ordre lointain, une globalité sociale, un mode de production, un code général, c'est aussi un temps, ou plutôt des temps, des rythmes. La ville s'écoute comme une musique (...)".(61) La Grand-Combe vit un nouveau rythme, certes, scandé par le travail industriel, mais la ville vit de plus en plus un rythme qui ne lui est pas spécifique, mais elle mêle de plus en plus un rythme qui lui est à la fois externe et qui l'enveloppe. De plus en plus la ville minière vit un nouveau type d'influence urbaine, d'une cité cosmopolite, plus ouvert. La Grand-Combe n'a plus la Compagnie comme chef d'orchestre... En ce qui concerne les services administratifs, les Houillères vont occuper les anciens bureaux des Compagnies. Le Groupe Centre aura son siège administratif à La Grand-Combe, alors que le château de La Levade et les bureaux situés sur la place Jean-Jaurès et dans la Vallée Ricard seront conservés comme siège des services bureaucratiques et lieu de réunion. En fait, les H.B.C. "héritent" de tout le parc immobilier de la Compagnie des Mines et, d'emblée, elles prennent la responsabilité d'entretenir dans la commune de La Grand-Combe 2.65O logements (en bon état et vétustes) et 2.000 jardins. Seulement, si l'espace urbain demeurait celui marqué pendant plus d'un siècle par la Compagnie, ce qui différencie dès lors la politique du logement par rapport à autrefois est que les conditions de vie et d'habitation des familles ouvrières sont désormais réglementées par le Statut du mineur, qui réclamait l'accès gratuit au logement pour les mineurs (et leurs veuves) jusqu'à la mort droits prévus par l'article 23 du Statut du mineur(62) - et mettait en place en 1946 une nouvelle politique de l'habitat ouvrier. Ceci s'est traduit par une amélioration des logements, mais posait aussi la question d'habiter dans "un nouveau rapport de forces, et surtout en fonction de l'objectif majeur de la période qui s'ouvre: relancer la production"(63). En effet, la loi sur le droit à l'habitation gratuite pour les mineurs constitue l'une des victoires les plus grandioses obtenues en faveur de la catégorie dans le domaine de la politique sociale. Il en est résulté une amélioration quasiment automatique des conditions globales d'habitation et, pour la majorité de la population anciennement installée, les changements survenus apporteront la stabilité du logement. Situation qui favorise grandement les retraités et les veuves, qui jouissent désormais du droit de passer chez eux leur vieillesse. Fini, la crainte de se voir jeté à la rue dès l'entrée en "inactivité" (retraite ou maladie), pénalité qui frappait les mineurs quand ils atteignaient en général un âge déjà avancé et qu'ils se trouvaient parfois éprouvés par la maladie. Finie aussi l'angoisse après la perte du chef de famille. C'est donc par le biais de la construction de nouveaux espaces d'habitation mise en oeuvre depuis 1946 par les Houillères que surviennent des améliorations dans le tissu urbain de la ville minière au lendemain de la nationalisation. Les Houillères construisent en effet dans tout le bassin cévenol (habitations, nouveaux ateliers et bâtiments industriels), renouvelant ainsi le parc immobilier de l'entreprise. Elles interviennent également sur le parc déjà existant, réhabilitant de nombreux logements dans les anciens quartiers ouvriers, afin d'y doter les maisons d'un confort adapté à la nouvelle politique du logement que demande l'évolution de la société.(64) La charge financière que représente pour les Houillères le fait de reloger ou de dédommager leurs ouvriers et retraités est intégrée au calcul du prix de revient de la tonne extraite. Sur la commune de La Grand-Combe, le programme de réhabilitation a été mis en pratique dans les cités de Ribes, du Riste, des Pelouses et de la Forêt (soit 2% du parc des cités ou 470 logements), et dans la cité Joffre à Trescol (66 logements).(65) Une série de travaux ont été également menés par les Houillères dans des réaménagéments internes apportés aux maisons. Les principales actions de réhabilitation consistaient à restaurer les toitures et les murs, et à installer des douches et des W.-C., qui, finalement, ont été construits à l'intérieur de la maison. Les foyers encore dépourvus d'eau courante (et d'évier), ont pu à leur tour bénéficier de ce nouveau confort.(66) Le programme de construction de nouvelles habitations, concrètement, ne s'éloignera guère de celui mené par la Compagnie dans les dernières années de son existence. Tout comme la Compagnie, les H.B.C. cherchent à offrir à leurs bénéficiaires des "cités minières" conçues de façon plus moderne et confortable en "cités-jardins". En même temps est développé parallèlement un programme de constructions qui, par la qualité inférieure du matériel, par le faible confort et par la population à laquelle elles sont destinées, ressemblent davantage à des "cités de transit"(67), édifiées notamment pour assurer ponctuellement l'hébergement de la population immigrante. (Nous reviendrons à ce sujet un peu plus loin). Ce qui sera commun à tous les "types de construction" est la localisation du terrain. Le programme envisage l'éloignement des puits d'extraction et des ateliers - des espaces de travail - évitant par là la pollution atmosphérique et sonore, et encourageant ainsi la construction sur des terrains plutôt éloignés du centre-ville et de la Vallée Ricard (l'ancienne Vallée de la Grand-Combe), zone qui réunit les puits Ricard, l'usine de La Pise, les ateliers de lavage, etc. Un important parc de résidences destinées au "Groupe Centre" sera bâti sur un territoire débordant tantôt sur la commune voisine des Salles-du-Gardon, tantôt sur la commune de Branoux, tantôt sur La Grand-Combe, etc. Ce territoire se prolonge au long de la rive droite du Gardon et de la RN 106 ou alors sur la rive gauche. Cette zone jusqu'alors peu bâtie - parce que très éloignée des puits - abritera un nombre croissant de "cités-jardins": cité Pomarède, cité de l'Impostaire, cité Maisons-Neuves, cité Gravelongue, par exemple, mais aussi des constructions collectives plus modernes dans le style des "H.L.M". avec des appartements standard, c'est le cas de la cité de L'Habitarelle, située sur la commune des Salles-du-Gardon, destinés à recevoir tantôt les habitants qui voulaient se reloger, tantôt des nouveaux venus.(68) La cité de l'Impostaire est connue comme l'une des plus modernes, avec ses maisons-jardins construites par les Houillères, des maisons "confortables et ayant belle allure"(69), des bâtiments composés de deux ou quatre logements dotés de trois à quatre pièces chacun, entourés de jardinets, disposant de W.C., de l'eau et de l'électricité, destinés surtout aux effectifs "de fonction" des Houillères: "En 65 je suis devenu chef et on a demandé un logement et l'ingénieur m'a accordé celui-ci, parce qu'avant on habitait dans deux petits pièces. Alors parce que j'étais chef, chef technicien, ils nous ont donné un logement de fonction, alors on pouvait choisir le logement de fonction soit à l'Impostaire soit à Ribes. Mais à Ribes j'ai pas voulu parce que, à cette époque-là, ma mère était très malade et elle habitait aux Branoux-Taillades là-haut et ici (l'Impostaire) c'était plus proche". (M. Brial. Retraité des Houillères). D'autres "cités-jardins" sont édifiées sur tout le territoire des Houillères: cité Gamma pour le Groupe Nord, cité Cendra pour le Groupe Sud, par exemple. On assiste donc à une amélioration expressive des conditions de logement dans tout le bassin cévenol. Cette amélioration que garantissait le Statut permet aux "mal logés" d'un parc ancien et vétuste, d'envisager le déménagement, soit pour de nouveaux logements déjà bâtis, soit pour ceux réhabilités par les Houillères, ou encore pour les logements sociaux qui seront construits et administrés par les Offices H.L.M. et mis à la disposition de la population. Plus particulièrement sur La Grand-Combe (Groupe Centre), c'est à cette époque que nous observons un mouvement de relogement des ménages d'ancienne souche encore installés dans des d'anciennes casernes insalubres, notamment dans les quartiers situés sur la partie basse du centre-ville à La Grand-Combe (ancienne partie basse de la Vallée de la Grand-Combe), centreville à Champclauson et Trescol. M. Sellen, père d'une famille nombreuse, trace son itinéraire de l'époque: (M. Sellen, père): Quand c'était la Compagnie, on habitait la rue de la Clède où ils allaient démolir. Alors, après la nationalisation, nous avons déménagé pour l'Habitarelle, aux Salles, dans les logements neufs. Et puis, nous avons déménagé de nouveau pour l'Impostaire, qui était une cité toute neuve...". (Chercheur): "C'était vous qui demandiez chaque fois à déménager?" (M. Sellen, père): "Oui, parce que par rapport au nombre des enfants j'ai eu 11 enfants - alors, il fallait se reloger, et à l'Impostaire on a eu 3 pièces. Enfin, il n'y a pas eu beaucoup de problèmes pour ça, parce que l'ouvrier qui travaillait, il était considéré, il n'avait pas trop de problèmes, on gagnait un bon salaire. Chauffage, docteur gratuit... si on travaillait, on avait des avantages, c'est s–r...". (M. Sellen, fils): "C'est ça, d'abord nous avons déménagé pour la cité de l'Habitarelle, c'était une cité toute neuve pour les mineurs. C'était tout confort et assez grand, c'était très agréable. Il y avait un balcon et nous sommes restés là un an et demi. Par la suite, du fait que la famille grandissait, il a fallu avoir un appartement plus grand et à ce moment-là, on a eu un appartement à la cité de l'Impostaire et là, c'était un très grand quartier, avec un jardin. Et le mineur d'origine paysanne, le gavot, avait la possibilité d'entretenir son jardin, d'avoir ses légumes le soir. Pour passer sa journée, il avait le jardin, les poules, les lapins. Ça, c'était typique du quartier mineur, tous les mineurs aimaient faire leur jardin. Et là, on a vécu jusqu'en 67. Et à l'Habitarelle et à l'Impostaire, on retrouvait la même ambiance, le voisinage, la même chose, toujours le même rapport, toujours agréable entre les gens... Et puis mes parents ont fait construire une maison aux Salles, voilà!" (M. Sellen, père: Mineur retraité. M. Sellen, fils: enseignant). Les mutations spatiales, à l'époque, des zones dévalorisées pour leur vétusté et la proximité des puits et usines, vers des logements construits ou réhabilités par les Houillères ne sont pas synonymes d'un déracinement traumatisant, même si elles ont provoqué des changements au niveau du réseau de voisinage, de la référence territoriale, etc. Au contraire, le déplacement vers les nouvelles cités a été en général bien vécu par les habitants et l'accès à de nouvelles demeures perçu comme le résultat des améliorations du mode de vie dans la catégorie professionnelle, la reconnaissance matérielle "juste" pour cette catégorie professionnelle que la France avait tant requérie pour le redressement de l'économie nationale. Tout d'abord, ils restent dans le même "pays", là où s'inscrivent leur histoire et les lieux traditionnels des pratiques quotidiennes, comme le marché, le syndicat, l'église, le travail, garants d'une continuité de la sociabilité, noyaux déjà traditionnels de la rencontre collective. Ce sont souvent eux-mêmes, d'ailleurs, qui avaient fait la demande de déménagement depuis plusieurs années. Cela parce que les anciennes casernes devenaient inhabitables et l'environnement, du fait de la proximité des puits, insalubre. Ainsi, le départ du quartier, où très souvent le père mineur avait habité et où les enfants avaient grandi, pour une nouvelle cité - impliquant parfois l'établissement de nouveaux rapports de voisinage - n'a apparemment pas causé de troubles (socio-psychologiques), puisque toutes ces cités se trouvaient dans les alentours de la ville et dans des zones arborisées et propres. L'aménagement de la nouvelle maison s'accompagnait aussi de l'achat de nouveaux meubles et de menus éléments de confort au fur et à mesure que les habitudes proposées par la société de consommation et les possibilités de crédit s'installaient. En 1958, 1.400 nouveaux logements avaient été bâtis par les H.B.C., portant à environ 6.700 le nombre total mis à la disposition de leur personnel (soit 40% des effectifs actifs)(70) dans tout le bassin cévenol. Le parc immobilier des Houillères ne cessera de grandir jusqu'aux années 60, époque à laquelle elles comptent dans le bassin 18 "cités ouvrières" et 1.000 logements indépendants. Plus de la moitié du parc immobilier grandcombien leur appartient alors, avec 1.123 logements correspondant à la structure "cités-jardins". En ce qui concerne le patrimoine "hérité" des Compagnies dans un état vétuste (ou dans un "état médiocre", selon la nomenclature des H.B.C.), aucun programme de récupération n'a été prévu. Suite à une politique d'habitation davantage tournée vers les quartiers périphériques, la situation du patrimoine immobilier des Houillères situé au centre-ville (partie basse de la vallée de la Grand-Combe ou vallée Ricard) même ne bénéficiera pas de travaux de rénovation. Cela parce que les dispositions adoptées ne visaient pas les habitations considérées à la fois comme vétustes et "irrécupérables". Dans le quartier central, les anciens logements ouvriers construits par la Compagnie sont restés en état de total abandon, dévalorisant énormément le centre-ville et notamment les bords de la Vallée Ricard: rue de la Clède, rue Poilus, rue Frugères, rue de la Pise, etc. Ainsi, en dépit d'une sensation de "continuité" dans ces nouveaux temps de la nationalisation (travail, assurance logement, assurance maladie, etc.) assurée par le Statut et coordonnée localement par les H.B.C., la mésestime pour un renouvellement de ces anciens quartiers - une grande partie du centre-ville - révélait les signes d'une "discontinuité" (rupture avec le passé): les anciennes maisons construites "au temps de la Compagnie", en état de vétusté, ne connaîtront pas l'action des Houillères qui n'ont pas touché à la "restauration" de la structure urbaine plus ancienne de La Grand-Combe. Cette situation ne cessera de s'aggraver tout au long du processus de recul économique et du fait de l'important exode de la population (sujet de notre prochain chapitre). Le nombre de logements vétustes et insalubres tendra à augmenter, entravant le développement de la structure urbaine du centre. Cela tient aux moyens limités dont dispose l'administration municipale pour les travaux de restauration et au fait que le centre-ville ne suscite pas un "intérêt historique" pouvant justifier un tel financement. Des parcelles abandonnées et insalubres s'y maintiendront longtemps figées au centre de La Grand-Combe et leur démolition n'interviendra effectivement qu'en 1989/1990. Ainsi pouvons-nous avancer l'idée que c'est d'abord la "dépendance" visà-vis de cette institution "externe" à la ville, et ensuite la conjoncture de récession que connaîtra celle-ci, qui "ont fossilisé tout le centre urbain, lui évitant une modernisation massive comme à Alès ou alors sa conservation comme patrimoine historique", comme le dit M. Wiénin. *** Par ailleurs, la péripétie de la "bataille du charbon" apporte un flux énorme de masse laborieuse immigrante. Pour les héberger, les Houillères développent un programme de construction tourné vers une population considérée comme mobile (migration temporaire). Ces cités ouvrières - "de transit" - seront construites à la hâte avec des matériaux de détérioration rapide, se situeront à la périphérie de la ville, et, comme un peu partout en France, obéiront à certains critères de regroupement par nationalité (ou minorités nationales). La cité ouvrière Fougères constitue parmi d'autres un exemple de "cité transit" et d'espace de ségrégation, dans le sens où elle était destinée à recevoir la main-d'oeuvre immigrante. L'objectif en effet était d'y concentrer la main-d'oeuvre étrangère, surtout les nord-africains (essentiellement des français d'Algérie). Le surpeuplement y était évident et on y trouvait une majorité de familles nombreuses, mais également des couples et des célibataires. Quelques familles algériennes appartenaient à l'ancienne vague d'immigration, d'autres sont récemment arrivées. Le "camps Fougères", bâti depuis 1945, se situe dans le haut de la vallée Ricard (vallée de la Grand-Combe) et prolonge en quelque sorte la cité Forêt. La majorité de ses habitants travailleront dans la vallée Ricard, le puits le plus proche. C'est à cause de l'ancienne utilisation de ce terrain que la cité est populairement nommée de "camps Fougères". En effet, l'ancienne Compagnie y avait installé des baraquements en bois pour abriter les prisonniers de guerre, et c'est sur ces mêmes fondations qui est construit des nouveaux logements ouvriers. Les Houillères y édifieront un total de 20 bâtiments d'habitation comportant chacun quatre logements identiques: 2 au rez-de-chaussée et 2 à l'étage(71). L'aspect ségrégatif de l'espace que nous évoquons n'est pas justifié si l'on met dans la balance le fait que la propension au regroupement correspond très souvent aux aspirations des immigrés eux-mêmes, qui s'y retrouvent par famille, par village. Pouvoir habiter parmi les siens (surtout parmi quelques uns appartenant à l'ancienne vague d'immigration et très souvent déjà "mieux intégrée") permet un repli sur son réseau familial et amical qui facilite ensuite la médiation dans le processus d'intégration au groupe villageois déjà constitué. L'avantage de pouvoir communiquer à l'intérieur du quartier dans la langue d'origine, les petites commodités comme celle de compter quotidiennement sur la boulangerie et la boucherie musulmane ambulantes (grâce auxquelles les femmes peuvent éviter de faire leurs courses au centre-ville, et d'affronter l'obstacle de la "distance" géographique et sociale - et de la communication), tout cela favorise le processus d'établissement dans un pays étranger où l'on peut mesurer l'impact qui connaissent ces gens face à la réorganisation des habitudes et des relations sociales. Comme le rappelle Noiriel: "Si les étrangers, quelle que soit l'époque et quelle que soit la forme, éprouvent le besoin de se regrouper, c'est, nous l'avons dit, pour échapper aux agressions quotidiennes d'un univers qui ne leur est pas familier".(72) Néanmoins, cette cité apparaît à de nombreux égards représentative de conditions d'habitation peu confortables, comparée à d'autres cités alors bâties ou réhabilitées (où les éléments d'innovation étaient: W.-C. intérieurs, salle d'eau, système d'aération, de chauffage et d'évacuation suffisants). Dans ces logements de "transit", il était prévu un confort minimum: l'évier, l'eau courante, l'électricité et le chauffage au po‰le à charbon. Mais ni eau chaude, ni salle de bains, ni baignoire ou même douche, pas d'égout, et toilettes collectives construites en annexe pour chaque groupe de 4 appartements, etc. Répétonsle, ces bâtiments avaient été construits à la hâte et l'état de vétusté et d'insalubrité où ils se trouvaient déjà vers 1970 prouve la qualité moyenne des matériaux de construction. L'état de dégradation de plus en plus critique de ces bâtiments pousse petit à petit les occupants à partir soit à La Grand-Combe, soit pour être relogés dans les H.L.M. de Trescol ou dans les anciennes habitations rénovées. En 1978/9, y habitaient encore cependant 26 ménages dont 24 familles maghrébines, 1 d'origine allemande et une de souche française, totalisant 156 personnes de diverses tranches d'âge(73). *** B) "Les inévitables H.L.M.": les nouveaux lotissements socio-collectifs. A partir des années 60, "les inévitables H.L.M."(74) font leur apparition dans le village, faisant désormais partie intégrante du paysage minier. En effet, à partir de cette époque les Houillères tendent à ralentir leurs efforts dans le programme de constructions d'habitations, préférant parallèlement recourir à un autre programme de logement social développé par l'Etat français: les H.L.M.(75). En effet, le mouvement de construction d'habitat à loyer modéré mettra en place le seul équipement collectif important que la ville ait vu s'établir au cours des années 60 et qui va constituer, après celui des Houillères, le deuxième parc immobilier (en nombre de logements) de la commune. La Grand-Combe, cette ville autrefois "plus intra-muros", est désormais imprégnée des nouveaux "enjeux" politico-nationaux sur l'urbain. "L'habiter", concerne alors de nouveaux principes urbanistiques, de nouvelles typologies, de nouvelles propositions, etc. Rien de plus significatif pour ces changements que de voir le traditionnel hameau minier de Trescol dénommé - au fur et à mesure du développement de ces nouveaux principes urbanistiques - de "MiniChicago" (ce que nous parlons plus loin). Nous ne nous sommes pas trompée et nous nous trouvons bien au site minier. Certes, ce n'est qu'une image, un surnom, mais le paramètre de cette image n'est plus collé sur le local, il se trouve ailleurs, dans l'urbain éclaté et ségrégué, dans le centre moderne, cosmopolite (Chicago). C'est donc auprès des représentants du pouvoir municipal, à travers la gérance de l'institution alors créée de l'Office Municipal du Logement, que la communauté grand-combienne pourra disposer de logements sociaux. Toujours est-il que la majorité de leurs occupants seront, logiquement, rattachés aux Houillères, puisque celles-ci prenaient en charge le loyer de leur personnel qui y habitait grâce au système d'indemnité mensuelle de logement. Avec la mise en service des habitations du type H.L.M., ceux qui n'étaient pas logés dans le parc immobilier des Houillères recevaient, en optant pour les H.L.M., une indemnité mensuelle "qui pouvait être supérieure à la valeur du loyer".(76) De 1960 à 1980, le rythme de construction des logements locatifs sociaux s'accélère. Durant cette période, 913 habitations de type H.L.M. sont bâties ("soit 22% de l'ensemble des logements de la commune"), parmi lesquelles sont inclus deux foyers pour personnes seules et personnes âgées dans les quartiers de Ribes et l'Arboux(77). Quatre "territoires" seront désormais caractérisés par leur important parc immobilier H.L.M., dont le principal, représentant environ 42% du total, se situe à Trescol et réunit 3 groupes de bâtiments de 379 appartements (2 groupes d'immeubles H.L.M. et 1 groupe d'immeubles P.S.R. - "programme social de relogement") . Une autre zone importante, avec 37% du parc H.L.M. (4 groupes de 341 appartements), se situe dans le quartier de l'Arboux. Les deux zones restantes sont respectivement le quartier Les Pelouses, avec 11% du parc H.L.M, et celle qui s'éparpille autour du centre-ville (rue des Lavoirs, et square Macé à côté de la place de l'Arboux) et surtout au long de la rive gauche du Gardon et du quai du 11 Novembre 1918. Les grands ensembles de Trescol ont été construits entre 1960 et 1970, tandis que ceux de La Grand-Combe sont plus récents (à partir de 1970).(78) La construction de H.L.M. va introduire un nouveau style d'habitation, affichant une allure plus "moderne" à la ville typiquement minière et l'image d'un "progrès" considérable (dans le secteur d'habitation). Comme un peu partout en France, sur la commune de La Grand-Combe, la construction des H.L.M. suit des objectifs plus généraux, liés à la politique du gouvernement visant à abriter les catégories les plus modestes de la population. En effet, le nombre important de logements sociaux de type H.L.M. bâtis alors était destiné à loger la population habitant des logements insalubres, mais aussi, peu à peu, les nouveaux arrivants composant la dernière vague de main-d'oeuvre, outre les familles de revenu moyen issues des diverses classes professionnelles grandcombiennes qui s'y installeront à leur tour. Dans le principe, il n'y a pas eu de critère sélectif (la nationalité, par exemple) dans le processus d'installation de la population dans les immeubles H.L.M. Malgré ce postulat, une ségrégation spatiale semble s'être établie à partir du critère d'appartenance ethnique et sociale. L'origine de cette ségrégation reste floue. Parfois, elle est le résultat naturel de la propre demande des locataires qui, appartenant à une même "communauté d'origine", souhaitent rester proches. Parfois, c'est l'institution immobilière qui cherche par là à éviter les conflits de voisinage et à faciliter leur vie communautaire. Trescol, qui reçoit le principal parc H.L.M., sera le théâtre d'un bouleversement considérable de l'espace: la petite bourgade minière connaît désormais un nouveau visage, celui de "cité-béton", ce qui lui vaut le surnom péjoratif de "la mini-Chicago". Ces édifices sont localisés entre le Gardon et le côté droit de la voie ferrée, alors que du côté gauche de cette voie se trouvent les anciens lotissements et logements miniers appartenant aux Houillères. "La cité H.L.M. s'étire du Nord-ouest au Sud-est, coincée entre la voie ferrée et le Gardon, véritables 'limites dures' qui ne posent pas de problème de localisation. Le débouché naturel de la cité s'ouvre directement vers La GrandCombe, évitant le village auquel la cité est pourtant juxtaposée. Sa situation marque son individualité".(79) Si l'on tient compte de l'activité du chef de famille, les familles habitant Trescol se ressemblent: la majorité d'entre eux sont ouvriers aux Houillères. Par ailleurs, les habitants des logements du parc immobilier H.B.C. ne forment pas un groupe socio-culturel homogène. Bien qu'il soit constitué en majorité de familles françaises anciennement installées, on y trouve aussi des familles nouvellement arrivées ou d'une autre nationalité européenne. Mais cet aspect n'a pas empêché le groupe de chercher à se distinguer des habitants des H.L.M., et c'est là un phénomène social de plus en plus évident. Cela est d– au fait que, de plus en plus, la population des H.L.M. de Trescol se compose de familles nord-africaines, alors que dans le groupe P.S.R. et dans les maisons des Houillères se concentrent des familles de souches diverses, mais à prédominance française, et dans leur majorité catholiques.(80) Les H.L.M. de Trescol seront identifiés comme étant le "ghetto arabe" à cause de la forte proportion de familles immigrées et surtout algériennes qui y résident. Ce sont la forte cohésion interne de ces familles algériennes, leurs tendance à se regrouper autour d'un mode de vie particulier, leurs difficultés d'adaptation, etc., qui vont créer peu à peu la diffusion de stéréotypes liés à des moeurs différentes: bruit, odeurs de cuisine, etc., qui deviennent les signes "de différences" - justificateurs des difficultés de coexistence de ces populations de souches diverses. Comme un peu partout en France, les familles nordafricaines sont "accusées" de ne pas s'adapter au confort des immeubles collectifs, et les images de charbon stocké dans les baignoires ou d'animaux élevés puis égorgés sur les balcons deviennent des clichés largement répandus.(81) La voie ferrée, plus qu'une simple limite, devient une frontière qui démarque des espaces habités par des groupes différenciés. Situation de conflit latent qui gêne dans la quotidienneté et qui crée des difficultés à l'intégration. Quoique, tant qu'existera "la mine", il n'y a pas de raison pour dramatiser le phénomène de cohabitation, nous expliquera un animateur social de Trescol: "Les H.L.M. à Trescol forment un 'ghetto arabe'. La voie ferrée est la barrière entre deux quartiers. Les communautés vivent l'une à côté de l'autre mais ne s'intègrent pas. Mais dire qu'il y a une situation conflictuelle, c'est trop dire. Il y a du racisme, on a beaucoup de problèmes chez les jeunes qui s'organisent en bandes et font de petites délinquances (...), mais il y a une mentalité ici en rapport avec la vie minière, et tant qu'il y a eu du travail, les problèmes sociaux n'étaient pas conflictuels". (M. Michel BRIAND. Animateur du Centre Social et Culturel de Trescol). Ce récit nous montre déjà une problématique autre, qui éclate avec la crise(82) et le chômage, problème d'actualité et sur lequel nous reviendrons plus tard. Nous nous limitons ici à exemplifier la manière dont les habitants vivent alors un rapport hiérarchique d'espace communal par le biais de l'appartenance ethnique et socio-culturelle. Notre interlocuteur a raison de ne pas dramatiser le processus de cohabitation entre les anciennes familles de la commune et les nouveaux arrivants de l'époque. Aussi difficile que cette cohabitation, imposée à des groupes culturels si différents, ait pu être, nos interviewés on insisté à plusieurs reprises sur l'importance de la "solidarité" de la communauté minière vis-à-vis des nord-africains. Mme Condera nous raconte qu'à l'époque, des femmes de mineurs se sont engagées dans des actions "solidaires" pour aider les femmes nord-africaines à apprendre la langue française, leur donner des cours de cuisine, etc. Les limites d'une intégration plus réussie parmi les femmes, selon Mme Condera, se trouvait moins dans la discrimination des femmes françaises envers les "arabes", qu'à l'intérieur de la propre communauté ethnique, dont les codes moraux suivent très strictement les traditions culturelles: "La différence entre les femmes ça existe toujours quoi, mais vous voyez, si elles venaient pas au cours, ce n'est pas parce que les femmes arabes ne voulaient pas. Nous, on fait moins de différence. C'est-à-dire que pas entre femmes. Mais les hommes algériens gardent leur mentalité sur la femme. Ça difficultait. Mais moi, française, avec elles, je n'ai eu jamais de problèmes. On s'embrasse et tout, ce que je faisais, je faisais pour elles aussi, l'alphabétisation, beaucoup de choses." (Mme Condera. Femme de mineur retraité). D'ailleurs, à plusieurs reprises nos interlocuteurs diront qu'il n'y a pas eu vraiment de problèmes de cohabitation avec la première génération des nordafricains, des difficultés, certes, de voisinage, surtout à cause du bruit des enfants et, en effet, "on ne se fréquentait pas" - c'est-à-dire, on assiste à la coexistence de "deux communautés" et non à leur mélange - mais ils insisteront à ce sujet sur la tradition chez les mineurs d'une forte "solidarité" qui "enveloppait" les différences de tous ordres. Les échanges matrimoniaux n'existent alors qu'exceptionnellement, ce qui limite les points de conflits. On ne souhaite pas par là minimiser l'aspect ségrégatif (déjà signalé) existant, surtout au niveau des conditions et de la localisation des habitations comme nous pouvons exemplifier par rapport aux H.L.M. de Trescol et de La Grand-Combe. Si à Trescol, les H.L.M. ont été isolés par rapport aux anciens quartiers, cette ségrégation devient encore plus frappante si l'on tient compte du fait que les H.L.M. de La Grand-Combe deviendront un espace résidentiel "de prestige". En effet, dans ces derniers, les locataires seront d'une manière générale des familles appartenant à la couche moyenne, avec une forte majorité de familles jeunes de souche française et européenne. Si un grand nombre d'entre elles sont rattachées aux Houillères, on y trouve aussi des enseignants, des techniciens, des commerçants, etc. On constate, en effet, une hiérarchie parmi les H.L.M., ceux qui occupent la position la plus haute étant les H.L.M. établis dans le quartier de l'Arboux, dont bénéficie la population la plus solvable. Il va de soi que ces logements jouissent d'un standing et d'un espace privilégiés. En fait, leur destination sociale s'avère plus sélective et donne lieu à une interprétation plus large de ce qui est dit dans le Code de l'Urbanisme et de l'Habitat, à l'article 153: loger les "personnes et familles de ressources modestes". D'ailleurs, très souvent, le Syndicat du Cadre de Vie de La Grand-Combe dénoncera le refus d'attribuer les appartements des H.L.M. de l'Arboux à des personnes de revenus modestes et d'origine "étrangère".(83) Pour les jeunes ménages, ce déménagement est parfois même souhaité, parce qu'il représente, par un calcul imaginaire, le franchissement d'un échelon hiérarchique qui les rapproche du mode de vie de la couche sociale supérieure et confère ainsi une signification promotionnelle à un tel mode de vie. Cet argument était basé d'une part sur le fait de la cohabitation avec une couche sociale plus prestigieuse, et d'autre part sur le caractère de modernité des immeubles et par le nombre plus élevé d'équipements de confort. D'ailleurs, pour obtenir une place dans l'Arboux, il fallait "être bien coté", "avoir du piston". (M. Justin, un grand-combien). La mise en valeur des H.L.M. de l'Arboux et leur aspect séducteur se justifient non seulement par une meilleure qualité des logements, mais par la localisation. Ce quartier sera en effet le seul à connaître une valorisation foncière importante grâce à l'implantation de résidences privées (pavillons). Situé sur le sommet de la colline du même nom, le terrain est arborisé, ensoleillé, dispose d'un système de gardiennage, d'un parc pour les enfants, etc. La route qui relie les H.L.M. de l'Arboux au centre-ville est tortueuse et bordée de constructions résidentielles d'initiative privée et habitées par les classes plus aisés (commerçants, professionnels libéraux, employés). Cela "promouvra" cet espace qui, désormais, va jouir d'une réputation de prestige. Le même phénomène, bien qu'à une moindre échelle, aura lieu dans le quartier d'Aubignac, situé au pied de la colline du même nom, qui se verra valorisé quant à lui par l'implantation d'un club de tennis. Ces quartiers résidentiels vont devenir au fil des années les "zones nobles" de La Grand-Combe (nous y reviendrons). Un autre public "préférentiel" vers lequel les H.L.M. se sont tournées concerne les mineurs retraités mariés (y compris les veufs et les veuves) habitant d'anciennes maisons des Houillères devenues vétustes. En accord avec la municipalité et les Offices H.L.M., les H.B.C. incitent les retraités à se transférer dans des logements de caractère H.L.M., concentrés en général dans le quartier des Pelouses. "Les quartiers où il y a la plus forte concentration de retraités, généralement, sont les cités où il y a des anciennes maisons des Houillères. Ceux qui habitent les H.L.M. se trouvent surtout aux Pelouses, où il y a une forte concentration de personnes d'un certain âge. Déjà aux Arboux et à Trescol, c'est beaucoup plus jeune. A Trescol, la majorité, ce sont des immigrés et ils ont beaucoup d'enfants, c'est pas pareil".(M. Chauzal. Président de l'Association Cantonale des Familles). Si le déménagement pour une "cité minière" n'a vraisemblablement pas occasionné de refus, le transfert pour un H.L.M. ne sera pas toujours accepté par les personnes plus âgées ou même par certaines familles habituées à la vie "en cité". Nous ne connaissons pas de statistique évaluant ces refus, mais nous avons rencontré quelques familles qui ont préféré rester dans leur maison traditionnelle et dans leur ancien quartier en attendant les travaux de réhabilitation, ou bien partir pour une nouvelle cité. "Avant, on habitait les casernes à côté de Ricard. Alors, ils ont abattu ces maisons et ils voulaient nous mettre dans un H.L.M. Mais nous, on n'a pas voulu. Ils nous ont proposé un H.L.M. trop loin (Cendras). Mais je suis têtu, on n'a pas voulu partir du coin. On a préféré un vieux logement (cité Forêt). Ils ont encore mis du temps pour mettre la douche ici. Mais, on n'est pas mal ici!" (M. Quies. Mineur retraité). L'argument majeur des interlocuteurs ayant refusé à l'époque de déménager pour un H.L.M. est que les rapports de voisinage n'étaient pas les mêmes et que, dans une "cité", la vie "est plus agréable". La vie collective dans les casernes est déjà éloignée dans le temps, et depuis qu'on connaît la vie dans les "maisons-jardins" (cette amélioration de qualité de vie marque du XXe siècle) le retour à un logement collectif du type H.L.M. semble même désastreux pour notre informatrice: "On est logé gratuitement. Tout ça appartient aux Houillères. Même que le mari meurt, la femme a le droit de rester à la maison, elle a droit au logement, heureusement! Parce que-oh, là, là! - dans les H.L.M. - ah non! Ils nous ont proposé les H.L.M., mais je préfère mourir que d'habiter dans un H.L.M. Parce que la bagarre, le bruit... si vous entendiez ça! Je me demande comment ils peuvent vivre là-dedans. J'ai un fils qui habite un H.L.M. Il m'a dit 'maman, si tu entendais le soir le bruit qu'ils (les voisins) font, tout s'entend, tout'. Alors là! moi? Ah non! Je reste ici (cité Ribes), ici c'est plus agréable". (Mme Leclerc. Femme de Mineur). Plus que le refus de rompre avec le quartier caractérisé par l'univers minier, les couples que nous avons interviewés et qui se sont montrés hostiles aux H.L.M., exprimaient une opinion négative quant aux rapports dominants présents dans de tels lotissements. En revanche, ils faisaient l'apologie de la cité minière en cherchant à construire une hiérarchie de type symbolique et en plaçant l'emphase sur les valeurs de sociabilité identifiant les familles de mineurs insérées dans cet espace social: les habitudes conviviales et les relations de solidarité et d'entraide. Alors que dans les H.L.M., la "modernité" du logement entraîne aussi la "modernité" des rapports: c'est "l'indifférence" et c'est "chacun chez soi", la méconnaissance: "Ici, on connaît tout le monde (cité de la Forêt), on se parle, mais dans les H.L.M. personne se parle... on connaît personne. Une fois, on est passé dans les H.L.M., personne se parlait. Ma fille, quand elle s'est mariée, elle habitait les H.L.M. de l'Arboux. C'est beau comme tout, mais elle ne savait pas qui étaient ses voisins, elle ne connaissait personne. Ce n'est pas la même vie que nous. Tandis que nous, ici, on discute, on aime parler dans la rue et tout. Quand on se retrouve avec une voisine au marché, on s'arrête, on parle des heures. Non, les H.L.M., je n'y resterais pas". (M. et Mme Chêne. Mineur retraité et son épouse). Ce n'est donc pas la perte matérielle ou le déplacement géographique qui les gêne, mais la perte affective, la rupture avec une sociabilité authentique (celle des cités), inexistante parmi les H.L.M selon ces grand-combiens enracinés dans leurs "cités". *** C) Privilèges d'habitation "au temps de la nationalisation". Après la Deuxième Guerre, pressées par une conjoncture d'accélération expressive de la production, les Houillères augmentent le nombre de leur personnel dirigeant, depuis les ingénieurs venus des écoles alésiennes(84), stéphanoises, parisiennes, etc., et les employés, techniciens jusqu'aux agents de maîtrise. Les besoins en personnel étaient énormes. La ville, dont le décor économique n'avait pas beaucoup changé (la mono-industrie), connaît comme avant une structure sociale hiérarchisée. Avec celui qui réunit quelques commerçants, les cadres supérieurs des Houillères demeurent un groupe aisé de la population. Certes, les ingénieurs ne composent plus forcément la classe dirigeante politique, mais, malgré les "nouveaux temps", les groupes sociaux les plus aisés se trouvaient surtout parmi les cadres travaillant aux Houillères: ingénieurs, médecins, dentistes, employés de bureau, etc. Bien sûr, au niveau des conditions de vie, les mineurs avaient connu des améliorations, mais les limites sociales les séparant des couches aisées étaient encore cristallisés dans certains "signes de distinction" tels que le type de résidence et la localisation du quartier. Comme naguère, la hiérarchisation des fonctions exercées dans la mine correspond aux agencements des espaces bâtis. Les frontières géographiques démarquées par l'occupation spatiale des villas habitées par les ingénieurs, c'est-à-dire les anciens quartiers "privilégiés", demeurent les mêmes. En effet, malgré les changements survenus, les ingénieurs représentent encore pour la majorité de la population le groupe qui occupe la position sociale dominante, celui qui reçoit de nombreux avantages du fait de son statut professionnel: plus de charbon, plus de confort, plus de pièces, plus d'espace et qui peut, surtout, "gaspiller", vus comme "signes d'abondance" (de richesse) d'une minorité privilégiée: (Mme Quidet): "Les plus beaux logements, c'était toujours pour eux... les ingénieurs. Ils étaient toujours les premiers. Ce sont des choses qu'on voyait, mais...". (M. Quidet): "Il y a trop de gaspillage." (Mme Quidet): "Mon fils par exemple, il travaille dans la tapisserie. Et bien, il m'a dit que les ingénieurs plaçaient de la moquette par terre aujourd'hui, demain ils arrachaient tout. Et ils jetaient la tapisserie. On tapissait une pièce aujourd'hui, demain ils l'arrachaient et la jetaient. J'ai dit: 'Quand même! Tout ce gaspillage qu'il y a!' Il m'a dit: 'Maman, si tu voyais la belle tapisserie qu'on mettait et qu'après il fallait arracher!" (M. Quidet): "C'est une honte, ça... !" (Mme Quidet): "Alors où est le bénéfice, là? Et c'était comme ça. Trop de gaspillage. Il n'y a pas de bénéfice, là. Au contraire, on a des dettes. Pourquoi? Parce que rien a changé. Au contraire, je pense même qu'à l'époque de la Compagnie les ingénieurs était plus contrôlés, il y avait moins de gaspillage comme ça, ils surveillaient, quoi! en ce temps-là ... ". (M. et Mme Quidet, mineur retraité et son épouse). Les Houillères construisaient des maisons de fonction pour ses contremaîtres ou ses cadres. Face à leur nombre important, elles auront également recours à d'autres solutions telles que la location de maisons dans les quartiers résidentiels d'Alès. A La Grand-Combe, mises à part les anciennes villas à La Forêt, à Ribes et à La Levade où les villas sont toujours habités par des familles d'ingénieurs, d'autres ingénieurs, "une quarantaine à l'époque", les agents de maîtrise et autres services qui leur sont rattachés (dentiste, médecin, etc.), les Houillères construisent alors des maisons-jardins dans le quartier de l'Impostaire pour les loger, maisons soit sous forme d'alignements continus (en particulier le long de la rive droite du Gardon sur la commune de Branoux), soit sous forme de pavillons indépendants. Plus encore, les Houillères ayant concentré leurs bureaux centraux sur le quartier de Rochebelle à Alès, un important nombre de cadres habiteront dans ses environs. Les "notables" peu à peu s'éloignent de la "ville ouvrière" pour s'enraciner à Alès, la ville voisine plus prospère. En effet, la tendance parmi les cadres sera de chercher à fixer leur résidence de plus en plus dans les quartiers résidentiels chics d'Alès, une ville dotée d'une structure de secteur tertiaire bien développée et où les enfants pouvaient fréquenter les lycées d'enseignement général (2ème cycle, inexistants à La Grand-Combe), et plus tard l'Ecole d'Ingénieur des Mines. D'autres préfèrent habiter les villes cévenoles où l'environnement est valorisé par le tourisme (Anduze, par exemple). Surtout, à l'âge de la retraite ils ne restent que très rarement dans le "pays minier" et l'habitude est de la prendre ailleurs, en général en retournant à la ville d'origine.(85) Il faut encore ajouter que "le temps de la nationalisation" permettra à un nombre important de mineurs, surtout parmi les français, de connaître une mobilité professionnelle croissante au fur et à mesure de l'acquisition d'une meilleure qualification. Celle-ci sera obtenue grâce à l'école technique mise en fonctionnement par les Houillères (nous y reviendrons plus loin). Au fur et à mesure de leur montée dans l'échelle des qualifications, ils connaîtront également une ascension dans celle de la hiérarchie sociale et pourront alors accéder à des maisons destinées aux agents de maîtrise. Si le critère de la fonction exercée dans les Houillères demeure important pour agencer une hiérarchie professionnelle et si celle-ci fixe encore des critères de découpage des habitants par quartiers dans la ville, d'autres, jadis expressifs et qui discriminaient socialement les habitants, perdent leur valeur symbolique et pratique que comme le critère d'appartenance religieuse qui ne joue plus un rôle "au temps de la nationalisation". (Mme Lamart): "Ici c'était un quartier religieux, c'était que des catholiques, on mettait pas d'autres gens, on ne mélangeait pas". (M. Lamart): "C'est vrai. Pour habiter au Ribes il fallait aller à la messe. Comme nous qu'on n'allait pas, on n'avait pas le droit. On avait demandé mais on n'a jamais eu... là, pour venir à Ribes, on a eu par un cheveu, parce que l'ingénieur était de notre avis." (M. Roubert): "C'était pas facile pour venir à Ribes. C'était que des gens de l'église ici, et nous on n'y allait pas. Mais maintenant on regarde pas ça. C'était à l'époque de mes parents, en 39. Mais de ce temps-là, il ne reste pas beaucoup de gens". ((M. et Mme Lamart. Mineur retraité et sa femme. M. Roubert. Mineur retraité, un voisin du couple interviewé). Le critère d'appartenance religieuse ne différencie plus les familles de mineurs par l'habitat, par quartier. De plus en plus la différenciation sociale par l'appartenance religieuse demeure dans les souvenirs des plus anciens: "ici c'était un quartier religieux". CHAPITRE 4 LA GRAND-COMBE: MICROCOSME DU "CREUSET FRANÇAIS"(86). Les immigrants qui arrivent à La Grand-Combe "au temps de la nationalisation", comme "au temps de la Compagnie", viennent dans le but précis de se faire engager dans la mine et, comme autrefois, c'est l'univers du travail qui recompose et articule les trajectoires familiales. Comme dans les périodes précédentes, l'arrivée de travailleurs correspond aux périodes d'embauche aux Houillères. Ce qui a changé, c'est que si autrefois l'intention de la Compagnie était d'enraciner tous les nouveaux venus, français et étrangers, après la Deuxième Guerre, l'objectif majeur des Charbonnages Français est d'employer une main-d'oeuvre massive pour un rendement immédiat et sans réelle planification d'enracinement de la population. Au contraire, beaucoup plus qu'avant, les nouveaux arrivants viennent avec la perspective d'un retour prochain au "pays" d'origine. Cela est surtout vrai pour les travailleurs étrangers. En effet, on observe parfois le retour d'immigrants italiens et espagnols une fois passées les conjonctures fascistes. Ce sont en tout cas les algériens qui retourneront le plus souvent chez eux, après quelques mois ou quelques années de travail intense, et surtout après l'indépendance de l'Algérie. Mais à mesure que les conditions de vie s'améliorent en France, grâce en particulier à l'assistance familiale, la tendance sera plutôt de se sédentariser, et la stabilisation des premiers immigrants s'enracinant en France va faire boule de neige et encourager leurs compatriotes à en faire autant. Voyons à ce sujet le récit de nos interlocuteurs algériens. Selon eux, il est vrai qu'avec l'indépendance de leur pays, beaucoup sont retournés en Algérie, mais pour ceux qui avaient des enfants déjà nés en France ou qui se sentaient attirés par la stabilité et l'assistance garantie par le travail dans les Houillères, le projet de retour est devenu de moins en moins déterminant. "Nous, on est des kabyles. A l'époque, l'Algérie était un pays colonisé et le travail dans les champs, c'était dur. Les salaires? Très peu! Limité! Là-bas, on travaillait pour un peu de raisin, un peu de vin... Les premiers algériens qui ont travaillé ici venaient pour passer les vacances en Algérie et disaient: 'voilà, je touche tant par mois'. Ici, à la Grand-Combe, je parle, hein? Alors, pour nous, ici, c'était la Californie. Il y avait une différence énorme entre ce qu'on gagnait là et ce que les algériens touchaient ici. Bon alors là, on faisait venir son ami, sa famille et comme ça, petit à petit, les algériens sont venus à La Grand-Combe où on connaissait des moyens financiers beaucoup plus importants. Au départ, pratiquement, il n'y avait que des célibataires. Les kabyles, c'était le noyau des familles, du même village. Ils venaient ici et restaient, comme en Algérie, la même cellule, toujours ensemble. On habitait ensemble, la même coutume. Notre objectif était de travailler 6 mois ici et rester là-bas 6 mois, et de revenir parce qu'avant il y avait beaucoup de facilité à trouver de travail. Avant! ici à La Grand-Combe! Si on était débauché, l'après-midi on trouvait du travail, c'était la mine. Ce n'est pas comme maintenant. Notre objectif, c'était de gagner de l'argent mais pas de s'installer en France, mais de gagner de l'argent, de retourner au pays pour aider la famille parce qu'en Algérie on touchait pas grand-chose, un salaire de misère. Il n'y avait rien, quoi! Et l'objectif, donc, des algériens à venir travailler en France, c'était de ramasser un peu d'argent et d'acheter un champ d'oliviers, vivre de l'agriculture en Algérie. Mais malheureusement le système colonial était tellement dur, il y avait des impôts a payer. (...). Au niveau de l'administration française (en Algérie), c'était mal géré. Les gens tombaient dans le système, s'endettaient, et ne s'en sortaient plus jusqu'à ce qu'ils meurent. Alors, ici, on était des travailleurs salariés. Petit à petit, on a fait venir la famille. Depuis les années 1950, ça ne s'est plus arrêté. Et puis ici, il y a eu la multiplication des enfants. Mais malgré que nous avons fait venir la famille, il y avait toujours l'idée de retour... Tous les parents algériens travaillaient, le travail difficile dans la mine de charbon. Alors, on travaillait vraiment consciemment pour que nos enfants n'aillent pas à la mine. Nous, on a travaillé... mais on voulait retourner avec les enfants et acheter un champ d'oliviers. On allait passer les vacances en Algérie pour que les enfants connaissent le pays, les coutumes... Mais ici, ça embauchait. Alors les enfants finissaient par travailler à la mine. Jusqu'aux années 7O, ça embauchait et alors on travaillait. Dans les années 80, ça a été la liquidation; mais bon! ils embauchaient encore, mais pas comme avant". (M. Beldozqui. Mineur retraité). Il n'y a donc pas eu rupture définitive avec le pays et le village d'origine, avec lesquels les membres de la communauté algérienne gardent très souvent un étroit contact. D'ailleurs, ils se marieront fréquemment avec la fiancée promise, pendant les vacances (grâce aux congés payés), lors d'une visite au village natal. Il est vrai aussi que, du fait surtout de la paupérisation du pays d'origine qui coïncide avec le besoin qu'a la France d'une relance économique, ils cherchent beaucoup plus qu'autrefois à rester définitivement en s'intégrant à la société globale, les liens unissant une catégorie professionnelle au sein de l'univers de travail tendant à se reproduire dans la vie quotidienne et à composer une mise en scène d'une apparente harmonie. Nous l'avons déjà montré, cette intégration ne se produit pas de façon identique pour tous les "étrangers", et ce sont surtout les nord-africains qui subiront le processus d'infériorisation, même si l'abondance de travail permet encore l'ancrage (la cohésion) social de la population. Autrement dit, la cohabitation sans conflit ne signifie pas pour autant que leur position sociale ne dépend pas "du regard de la société globale", qui crée une distance par rapport aux immigrants, et surtout aux nord-africains. Les étrangers étaient embauchés en grand nombre dans l'abattage. Comme avant, ils se sont insérés dans la société grand-combienne en assurant les travaux les plus difficiles de la mine. Malgré la rudesse du travail, les algériens interviewés reconnaissent que, au fur et à mesure d'une intégration "sans grands problèmes", le retour devenait de plus en plus difficile. Le travail encore assuré pour qui avait une famille nombreuse, la garantie de l'assistance sociale et de l'éducation pour les enfants, la possibilité d'économiser pour passer les vacances dans le village natal d'outre-mer, les enfants qui se sentent plus français qu'algériens, tout cela faisait de la sédentarisation un choix presque irrésistible.(87) Ainsi, l'arrivée de cette nouvelle vague d'étrangers, comme souvent autrefois, n'a pas causé de "désordre" (pour paraphraser Balandier) dans cette ville déjà marquée par le "mélange", gardant les "distances sociales et culturelles". Comme avant, cette nouvelle vague d'immigrants s'intègre par le biais du travail à la société grand-combienne et à la société cévenole(88). Il faut ajouter toutefois que cette vague de travailleurs étrangers était vue par la majorité des français comme étant une migration temporaire après laquelle ils rentreraient "chez eux" peu à peu. Au fil du temps, les mariages mixtes entre français et étrangers européens augmenteront, ce qui facilitera (comme hier) l'intégration, tant des enfants d'immigrants déjà enracinés, tant des nouveaux venus à la communauté française, mais ce qui est moins vrai pour les nord-africains, pour qui le mariage et le choix de la fiancée restent contrôlés par la communauté d'origine: la majorité des femmes algériennes épousent des hommes du même groupe ethnique. Parmi les immigrants, ce sont surtout les espagnols, les italiens et les portugais (peu de nord-africains) qui pratiquent le militantisme politique, soit à travers le Parti (surtout le Parti Communiste, mais aussi chez les socialistes), soit dans un syndicat (surtout la C.G.T.), institutions qui entre 1945 et 1948 ont exercé une forte emprise auprès des Houillères, ouvrant de ce fait la voie à une importante intégration. Si nous l'abordons sous l'angle des pratiques de sociabilité, il est important de constater la montée de l'influence syndicale parmi la communauté de travail. Le syndicat devient, avec les partis, la référence institutionnelle essentielle dans le quotidien des habitants. D'ailleurs, toutes proportions gardées, le rôle joué par le syndicat fait penser au rôle joué autrefois par le curé. Grâce à son influence aux Houillères, le syndicat est une porte d'entrée pour embaucher ses protégés. N'ayant pas droit au vote, les immigrés de La Grand-Combe ne pourront pas traduire leur confiance dans le parti communiste aux élections. Pour résoudre ce genre de problème, et d'autres également - pour les uns cela facilitera leur intégration et celle de leurs enfants à la société locale; pour d'autres, il s'agissait de se simplifier la vie grâce à une carte d'identité française - ils choisiront de plus en plus la naturalisation afin de s'insérer définitivement à la société politique, avec leurs enfants nés en France. Vers les années 1955, cette tendance sera très forte: 57% des italiens, 50% des polonais et 42% des espagnols(89) sont devenus français. Tendance qui ne cessera de croître surtout chez les italiens, suivis par les espagnols. CHAPITRE 5 LA FAMILLE PROTEGEE. Les événements survenus avec la nationalisation des mines n'ont pas provoqué d'impact substantiel sur la forme traditionnelle d'organisation familiale ou sur l'itinéraire particulier de chaque famille et/ou les projets de vie des enfants. La continuité de la communauté de travail correspond à celle des familles grand-combiennes attachées au monde du travail minier. A part l'arrivée d'une nouvelle vague de travailleurs français et étrangers, pour qui de nouvelles habitations ont été bâties, les familles anciennement installées vivent cette période, dans le champ interne des relations familiales et du réseau social, comme une période de continuité. Les changements économiques ne bouleversent pas obligatoirement la stabilité du groupe de parenté et d'affinité. Autrement, le fait que la nationalisation des mines assure la continuité de ce marché de travail - et le métier - assure par là à celui des rapports familiaux et de voisinage traditionnels(90) la continuation de la dynamique du groupe: espace d'entraide et de solidarité, d'échange et de sociabilité forte, malgré la grande diversité des origines. Le style de vie demeure centré sur cette force déterminante qu'est le travail à la mine. Les rôles respectifs de l'homme et de la femme restent ceux traditionnellement assignés par la communauté. Le premier est attaché aux Houillères, où le travail salarié lui permet d'assurer le soutien de la famille. Les femmes - les enfants non plus, d'ailleurs - ne travaillant plus sur les chantiers miniers, elle s'en tiennent donc à garder le foyer et à gérer le logis. A cette époque, les familles grand-combiennes, vu qu'elles dépendaient en majorité des Houillères, vont connaître une amélioration des conditions de vie, grâce surtout à l'élaboration du Statut du Mineur qui stipulait la gratuité de l'habitat non seulement pour les travailleurs en activité, mais aussi pour les retraités et les veuves. La forte assistance sociale garantie par la nouvelle structure économicopolitique sera fondamentale dans le sens où elle va perpétuer un processus de dépendance de la communauté de travail vis-à-vis de l'entreprise. Dans ce sens, le passage de la condition privée à la condition publique renforcera ce que nos interlocuteurs identifient eux-mêmes comme étant la "mentalité grandcombienne d'assistés". En même temps, les changements plus globaux qui touchent le monde capitaliste vont permettre, grâce à une élevation universelle des conditions de vie à travers l'avènement de la "modernisation" - synonyme de confort standard - des changements aussi dans le mode de vie des familles, surtout par l'allégement des lourdes tâches domestiques. Les premières machines à laver font leur apparition chez les ouvriers. Finis les éternels aller et retours aux lavoirs avec les lourdes charges de linge. En contrepartie, l'on assiste également à l'extinction graduelle de ces "lieux intenses" de la sociabilité des femmes de mineurs. Et pour les ménages qui ne peuvent pas encore accéder au confort, il y aura le recours possible à une Association civile qui jouera désormais dans la ville un rôle significatif: la Maison de la Famille. Cette association est créée en 1946 dans le but d'assister les familles nombreuses et d'adoucir les difficultés de l'après-guerre, surtout en ce qui concernait l'alimentation des enfants et la mère de famille dans son "rôle social"(91), l'assistant dans des tâches domestiques comme la lessive, considérée la plus pénible, en leur permettant l'accès à de nouveaux outils de confort: la machine à laver, le fer à repasser. Selon l'actuel président: "A l'époque on avait un service d'aide à domicile, on tenait à la disposition des familles des machines à laver et d'autres conforts ménagers. Elles venaient les chercher ici ou les utiliser sur place. Enfin, au début, l'association existait pour faciliter la vie des familles nombreuses au point de vue nourriture, au point de vue aide ménagère, et aussi pour les écouter et les guider, bien s–r". (M. Chauzal, Président de l'Association Cantonale des Familles). Ainsi, si les familles de mineur vivaient cette étape sans grands bouleversements au niveau de l'organisation sociale du groupe (réseau familiale et de parenté), elles étaient amenées parallèlement à assimiler de nouvelles données domestiques porteuses de "progrès", surtout pour la femme: l'électricité et l'eau courante dans les maisons, les nouvelles conditions d'hygiène, les appareils électro-ménagers, etc. CHAPITRE 6 LES PROJETS FAMILIAUX EN QUESTION. Grâce à la stabilité du marché du travail et à celle de la structure sociale, l'interaction entre la vie familiale et le monde minier est importante. La mine reste l'option de travail la plus concrète pour la communauté, car elle lui dispense tout un ensemble d'assurances et d'avantages - pour ne pas citer de nouveau les valeurs collectives traditionnelles de ce monde du travail. Cette stabilité va permettre de consolider une tradition collective où la mine continue à donner une forme concrète aux trajets familiaux. Pour une grande majorité de la population active, la mine reste donc un choix de métier primordial et déterminant(92). En effet, la nationalisation des exploitations minières françaises dans le cadre de la reconstruction du pays confirme l'existence de conditions objectives de travail dans le secteur. D'ailleurs, pendant les années de la bataille du charbon, tous les discours officiels (l'Etat et le syndicat) répètent sans cesse qu'il s'agit d'une catégorie professionnelle "traditionnelle" et "héréditaire", visant ainsi à stimuler le "mythe du mineur fils de mineur". C'est encore la "possibilité" la plus intériorisée pour la construction des projets de vie. Cela permet de renforcer l'identité collective du groupe au niveau local.(93) Mais ces années de l'après-guerre sont aussi celles des innovations technologiques qui ouvrent une voie à l'amélioration du niveau de qualification à certains postes, dont bénéficiera la génération de l'après-guerre. En effet, à cette époque, suite à la modernisation des équipements et des fonctions, des formes nouvelles l'administration des de mobilité Houillères socio-professionnelle a besoin sont d'augmenter offertes, son et personnel administratif.(94) Cette ouverture du champ de la promotion professionnelle sera assimilé comme un facteur de réussite sociale. Cela ne signifie pas pour autant que l'accès aux postes les plus qualifiés était devenu une voie d'ascension sociale offerte à tous. La mine a encore besoin de bras. Les tâches traditionnelles les plus dures ne sont pas encore abolies et le travail d'abattage reste celui qui occupe le plus grand nombre d'ouvriers. Les possibilités d'ascension professionnelle sont donc très sélectives et ne concernent qu'une partie du groupe. Nombreux sont ceux qui restent non qualifiés, surtout parmi les nouveaux immigrés, et notamment ceux venus d'Afrique du Nord et de la péninsule ibérique, pour qui l'abattage reste la principale chance de travail. Ce sont donc les mineurs français (et d'autres origines européenne comme les polonais, etc.) qui vont bénéficier en priorité d'un recyclage destiné à leur donner une qualification.(95) "Je travaillais au fond de la mine, mais depuis la nationalisation j'ai fait de la formation et il y a eu un concours que j'ai passé. J'ai commencé à travailler dans le secteur d'exportation au niveau gestion. Mais mon milieu a été toujours le milieu ouvrier-mineur, que ce soit mes grand-parents ou mon père ou tous mes collègues, ils étaient du milieu mineur. Seulement j'ai pu monter l'échelle par la formation. Et j'ai fini dans le secteur commercial du charbon". (M. Champliet). Ce qui est vrai, c'est que les chances de qualification, et par là de gravir les échelons, s'accroissent et que les mineurs rechercheront de plus en plus la mobilité professionnelle (et sociale) et souhaiteront pour leurs enfants des postes plus qualifiés. Si les fils de mineur peuvent recevoir une formation à l'école technique, les anciens mineurs peuvent obtenir une qualification (recyclage) qui leur permettra de rendre performant l'équipement installé dans les nouveaux puits en activité et de s'adapter aux nouveaux systèmes d'exploitation. "J'ai travaillé 30 ans au fond mais après je suis allé à l'école de la mine. Je suis allé apprendre le métier d'ajusteur et j'ai fini ma carrière à la Centrale (Thermique). Celle qui maintenant ne marche plus, là". (M. Rose. Mineur retraité). "J'ai eu de la chance, ils m'ont envoyé à l'école. Je n'étais pas beaucoup instruit, mais j'ai fait ajusteur à l'école et ma situation s'est un peu améliorée. Et puis, comme ils ont vu que ça marchait, ils m'ont demandé de faire électromécanicien et j'ai fait un an et demi d'électro-mécanicien. J'étais à l'école en bas, dans le Centre d'Apprentissage des Mines, à l'école du centre. Seulement j'ai péiné beaucoup, plus que les autres, parce que ma démarche intellectuelle n'était pas au niveau des autres. Alors le soir, quand j'arrivais, j'essayais parce que je voulais sortir de ça. J'ai travaillé plus pour m'en sortir parce que mon niveau intellectuel était plus bas, je faisais beaucoup de fautes d'orthographe, pour compter et tout ça. On m'avait laissé à un niveau très bas. Quand même, ça ne m'a pas empêché; on était dix, et j'ai eu tellement de volonté que j'ai fini et j'ai eu mon certificat d'études." (M. Voldany. Mineur retraité). Cela signifie qu'il existait la possibilité d'un "accompagnement" (formation) technique dans certains cycles de la vie laborieuse, qui ouvrait des voies de promotion professionnelle. "J'ai travaillé à la mine. C'était dur, mais plus on travaillait, plus on faisait de métrage, plus on gagnait. Puis je suis parti pour la formation et j'étais un ouvrier hautement qualifié. J'ai eu le mérite du travail. J'ai gagné une médaille. C'était rare parce qu'il fallait la mériter. C'était en 68 que j'ai été médaillé, j'ai été qualifié un des meilleurs travailleurs. J'étais maître-boiseur et je risquais ma vie." (M. Endolre. Mineur retraité). En effet, ces possibilités de qualification augmentent grâce à la formation professionnelle promue par les centres d'apprentissage des Houillères de La Grand-Combe et d'Alès. Pour les enfants, c'est le certificat d'aptitudes professionnelles qui va donner une chance de "réussite sociale": (M. Ponde): "Mon arrière-grand-père était cokeur, mon grand-père était mineur de fond (...). Mon père aussi travaillait au fond, mais moi je faisais de la réparation, j'étais un technicien parce que j'ai fait des études dans l'école des Houillères. A 16 ans je suis entré pour la formation professionnelle et puis j'ai été embauché par les Houillères directement". (Chercheur): "Les élèves de cette école venaient tous du milieu minier?" (M. Ponde): "Oui, la majorité était fils de mineur". (M. Ponde. Technicien retraité). La différence avec l'époque précédente, explique Ariès, c'est que l'ascension sociale au XIXe siècle consistait avant tout à quitter le poste d'ouvrier pour devenir employé, un col blanc, alors que la qualification permet désormais une ascension à l'intérieur de la propre condition sociale ouvrière. Non pas qu'abandonner sa condition n'est plus souhaitable, mais il est également possible d'accéder à la mobilité sans en sortir.(96) Certes, Ariès se réfère au contexte parisien ("cette seconde génération ouvrière et banlieusarde"), car les chances de mobilité dans le monde de la mine sont beaucoup plus limitées que dans les "fabriques qualifiées" de la région parisienne. Mais, toutes proportions gardées, cela peut s'appliquer aux activités des Houillères et des entreprises sous-traitantes (thermoélectrique, par exemple), qui tirent plutôt profit de la dynamique générale des mutations technologiques donnant naissance à de nouvelles fonctions plus qualifiées. De plus en plus, des récits de trajectoire de réussite apparaissent. Constamment, les personnes interviewées y font référence dans leur discours: "j'ai commencé au charbon" mais "j'ai fini à un haut poste". De telles phrases émaillent sans cesse nos entretiens. Si par ailleurs les opportunités de changement de secteur sont de plus en plus nombreuses, réaliser une trajectoire professionnelle à l'intérieur du monde de la mine symbolise encore la réussite idyllique. "Moi, je me suis fait disputer par mon père quand j'ai décidé de suivre la peinture. Nous nous sommes disputés, il voulait que je fasse l'école d'ingénieurs. Oh! C'était dur. A ses yeux j'étais un faignant, c'est ça (...). Mon père me disait de travailler bien à l'école pour devenir un jour ingénieur, il voulait quand même un métier comme chef pour son fils, ils voulaient que leur fils devienne ingénieur. C'était l'idéal. Parce que c'était leur chef à eux, l'ingénieur. Parce que si on voulait travailler à la mine et monter dans l'échelle, c'était ça...". (M. Landes. Fils de mineur, artiste peintre). Pour les mineurs, voir un fils arriver au poste d'ingénieur était encore le critère pour définir la réussite. Mais si ce père a voulu pour son fils une ascension professionnelle par le biais de la formation universitaire, les familles aspirent de moins en moins à ce que leurs enfants "travaillent au charbon", même en y acquérant une qualification. Autrement dit, si M. Landes a négligé la volonté de son fils de suivre un chemin individuel, cela ne signifie pas qu'il souhaitait tout simplement le voir perpétuer une hérédité de travail à la mine. Mais le souhait des parents en général est que leurs enfants puissent jouir d'une mobilité ascendante socialement liée à la structure économique qui reste pour eux celle de référence. Il faut remarquer ici que la formation professionnelle contribua non seulement à la formation de spécialistes parmi les jeunes mineurs mais leur apporta aussi une plus grande information des conditions de travail. D'autre part, les Statuts de Mineur ont poussé à reconnaissance de la silicose comme maladie professionnelle (finalement la catégorie est dotée d'un régime de retraite complémentaire et les examens de dépistage deviennent systématiques). Cela permettra aux mineurs de cette nouvelle génération à combattre avec plus d'information et d'assistance médicale les "maux" provoqués par le travail souterrain. Exemplifions cette prise de conscience par le récit de M. Gallet, formé en mécanique dans le centre d'apprentissage des Houillères. Il a travaillé dans la mine "au fond" et selon lui, après avoir vécu la souffrance de son père silicosé à 100%, il a toujours porté le masque. D'autre part, avec les changements que connaît la société en général (le "progrès", la lutte politique, etc.), et qui permettent à certaines familles une ouverture plus large, les jeunes commencent à vouloir s'éloigner de plus en plus des sphères de travail traditionnelles. Mais la période est encore marquée par un système de valeurs collectives suffisamment fortes et l'idéal de réussite garde ses références au monde local. Néanmoins, la structure économique des Houillères est "très fermée" et, face à une société "moderne" qui ne cesse d'offrir (et de séduire) des "innovations" au niveau d'une ouverture du champ des possibilités de travail, la rupture des jeunes avec une trajectoire traditionnelle devient, par-là, une amplification des chances objectives de choix professionnel. Les années d'après-guerre sont celles de la mise en place d'une "société de consommation" et, face aux transformations de la société française et à l'expansion de son économie, les chances de suivre une autre trajectoire professionnelle se concrétisent davantage.(97) Cela concerne surtout les départs volontaires de jeunes vers un projet individuel. Parfois avec l'accord, parfois contre la volonté des parents, les enfants se lanceront de plus en plus vers un marché du travail plus qualifié.(98) "Mon fils habite à Marseille. Il est d'abord allé travailler à Paris et puis à Marseille. Il travaille aux P.T.T., lui et sa femme. Ils n'ont pas voulu rester et puis c'était pas que ça ne leur plaisait pas, le métier de mineur, mais mon mari ne voulait pas qu'il fasse la mine. La mine c'était dur, c'était ingrat, la poussière, le danger. Il y avait un côté de bon, parce que vous aviez le travail devant la porte. Si on voulait, il y avait du travail. Ça c'est un avantage. Mais enfin, c'était pénible". (Mme Boss. Femme de mineur retraité). Nous nous référons à une émigration volontaire des jeunes vers la grande ville, plutôt rare, soit pour les études, soit pour la recherche d'une condition salariale plus favorable et même de la réussite sociale (aller à Paris, Marseille, etc., et réussir, par exemple). Mais, au fur et à mesure que la récession économique étrangle le marché du travail local, ces départs ne seront plus seulement volontaires et synonymes d'un projet de réussite sociale: ils deviendront obligatoires, car ils mettent en cause la propre survivance et la reproduction de la famille. Pour ceux qui ne veulent pas partir, comme Michel, fils de mineur, la réalité serait bien autre que celle que leurs ascendants ont connue avec le travail sûr. "C'est ça, depuis trois générations je suis le premier à ne plus porter le cabas. Je suis en chômage, mais de toute façon je ne quitterai pas la montagne".(99) Ce sont le chômage et les "petits boulots temporaires et très souvent au noir" qui deviennent l'ordinaire, l'offre réelle d'un marché de travail de plus en plus sélectif et, face à ces contraintes, c'est toute une génération de "fils de mineurs" qui se sent menacée d'un "déclassement" social, principe d'une sorte de "désenchantement" commun à toute cette génération (sujet que nous développerons principalement dans les Parties IV.). CHAPITRE 7 LES GRAND-COMBIENS AU CARREFOUR DE LA CONTRADICTION: L'ECOLE PUBLIQUE/L'ECOLE PRIVEE. Parmi les transformations de la société globale, les grand-combiens connaissent aussi celles relatives à la re-contextualisation du système éducatif français et aux dispositions qui s'y attachent(100). Depuis la Deuxième Guerre, comme partout en France, beaucoup de parents envoient leurs enfants à l'école laïque sans crainte des représailles idéologiques que cette option entraînait anciennement. L'école publique, qui offre l'enseignement gratuit, ainsi que le matériel scolaire, devient l'école de la majorité. L'école républicaine grandcombienne remplit d'ailleurs une fonction institutionnelle autre que celle "de la Compagnie" de jadis: non plus l'apprentissage scolaire selon une structure hiérarchisée déterminée par l'institution économique dominante, mais celle de découvrir les valeurs "officielles" de la société globale, c'est-à-dire les droits du citoyen et de l'individu (égalité, fraternité). Moins de pouvoir de contrainte et une plus grande reconnaissance des conditions sociales, politiques, économiques, culturelles, idéologiques, symboliques auxquelles a droit chaque citoyen dans l'ensemble de société - droit de l'individu et droit au suffrage universel (et aux valeurs d'un monde réglé par l'économie libérale(101)). Autrement dit, l'école publique n'était plus un lieu d'apprentissage pour "devenir un bon mineur", mais pour devenir citoyen. Comme d'autres archétypes, elle représentait de surcroît la victoire des forces politiques de gauche. En effet, à l'époque, les écoles privées "de la Compagnie" sont mises au service de l'enseignement public. Au grand contentement des parents militants de gauche, l'école laïque s'impose: écoles maternelles à La Grand-Combe (dans la rue Jules-Ferry), à Trescol et au Pontil, écoles primaires à La GrandCombe (dans la rue Jules-Ferry et dans la cité de Ribes et de La Forêt), à Trescol, Champclauson et La Levade. L'ancienne école des garçons à La Grand-Combe - place Jean-Jaurès (derrière la Mairie) - donne naissance au collège Léo-Larguier, subventionné par la municipalité (et par l'Etat) qui pourvoit aussi au matériel d'enseignement collectif. Elle subventionnera aussi l'Association des Parents d'Elèves du Collège Léo-Larguier, qui va octroyer aux enfants le matériel scolaire. Il est vrai que pendant cette période dominée par cet esprit de transformations représentaient d'ordre avant social, tout le les écoles système libres paternaliste grand-combiennes et l'enseignement conservateur qu'il fallait mater. Mais, si l'école laïque est comprise comme jouant un rôle social dans un système éducatif orienté vers l'égalisation des citoyens, cela n'empêche pas que de telles démarches réformatrices faites en dépit de l'école libre trouvent aussitôt des limites parmi la communauté grandcombienne. En effet, passées ces premières années de mise en place d'une société égalitaire (nationalisation des mines, enseignement public, etc.,) et dès l'apparition de la menace de fermeture de l'école privée, plusieurs défenseurs grand-combiens de cette institution vont se battre contre la reprise de celle située place Jean-Jaurès. A côté des administrateurs et enseignants catholiques, les grand-combiens s'érigent en défenseurs acharnés de la continuité de "leurs écoles" (entendons "les écoles privées"). Autrement dit, ainsi, comme souvent un peu partout en France, l'école libre trouve à La GrandCombe des défenseurs du maintien de la place occupée par l'école libre au sein de la communauté. A travers ce comportement, contradictoire (ou pas), les grand-combiens révèlent à quel point ils avaient intériorisé les dispositions socio-culturelles "du temps de la Compagnie" et leur importance pour la mémoire collective du groupe, dans ce processus de maintien des repères quotidiens d'identité qui sous-tendaient leurs sentiments d'appartenance à un groupe particulier et au monde minier. L'affaire aura un retentissement au-delà du "pays". L'occupation de l'école par les groupes de résistance à la fermeture gagne des adeptes et les forces de l'ordre est obligée d'intervenir. L'enseignement privé n'arrive pas à récupérer l'école, définitivement "volée par l'Etat"(102), mais un nouvel établissement est construit dans la rue villa Béchard (ancien quartier Salavert), qui porte le nom de "l'Ecole de la Liberté". Peu à peu, l'école libre reprend son rôle de formation des enfants grand-combiens pour un monde, en fait, hiérarchisé lui aussi et caractérisé par l'individualisation de l'enseignement. Elle se réaffirme comme le tremplin le plus s–r pour accéder à un marché du travail plus qualifié. M. F. Sugier, historien du mouvement ouvrier dans le bassin cévenol(103), nous écrira: "Bien sûr, il y a rejet du paternalisme mais il y a quand même eu une très forte intériorisation des principes paternalistes dans les populations concernées, et, en premier lieu, à La Grand-Combe. Il n'y a qu'à voir la violence des manifestations à La Grand-Combe quand, lors de la nationalisation, on a voulu fermer les écoles privées de la Compagnie: pour les grand-combiens, c'étaient 'leurs écoles'". (Lettre de M. Fabrice Sugier. Privas, le 3 avril 1991). La force avec laquelle l'école libre est défendue à La Grand-Combe n'est qu'un exemple de ce processus à travers lequel les sujets ré-élaborent leurs valeurs de référence d'identité dans un nouvel ordre social. La ville (comme la société globale) avait réellement subi une transformation, comme le prouvent les réformes de la structure de l'enseignement français après la Libération, de même que ce mouvement n'était pas synonyme d'une pratique religieuse de l'Eglise catholique des grand-combiens à l'ancienne. La présence à la messe n'est plus une obligation et peu à peu, le fait d'aller à la messe, ou non, ne sert plus à distinguer les groupes comme "au temps de la Compagnie", si n'est par l'appartenance religieuse. Ni la distinction sexiste n'aura lieu comme avant. Les femmes participent aux messes les jours de fête de mineurs et, plus que les hommes, maintiennent une pratique religieuse régulière. D'ailleurs, le syndicat devient un important noyau de sociabilité masculine en dépit de l'Eglise. On peut même observer que celle-ci devient surtout fréquentée par les fidèles féminines. Le curé ne joue plus l'ancien rôle d'autorité absolue et indiscutée et se limite à remplir ses fonctions sacerdotales et il partage de plus en plus avec la collectivité l'action religieuse et communautaire (ou, humanitaire). Son autorité est assouplie quoique son influence demeure considérable au sein de la communauté(104). Mais cela n'invalidait pas pour autant la motivation pour la continuité, ou le maintien de cette micro-société - l'école privée - qui prenait encore en compte l'environnement socio-culturel - un monde minier en effet hiérarchisé et attaché aux valeurs catholiques. Quoi qu'il en soit, au terme des "années de paternalisme", les enfants des familles ouvrières n'étaient plus soumis à un appareil scolaire unique monopolisé par la Compagnie. Les clivages sociaux, certes, n'avaient pas disparu, mais du moins cette liberté d'inscrire les enfants dans l'établissement du choix de chacun était-elle assurée. A La Grand-Combe comme ailleurs, la formation intellectuelle et morale souhaitée était celle prévue par l'Education Nationale de façon à subvenir aux besoins de tous les citoyens sans distinction. Cela n'empêchera pas le prestige de l'enseignement libre de conserver sa place, parce que c'était dans une certaine mesure "la tradition", l'institution à laquelle les habitants identifient aussi leur histoire locale et leur sociabilité villageoise. Sa disparition heurte les esprits grand-combiens, qui extériorisent dans l'appréhension de ce processus de discontinuité le désir de maintenir un trait d'union avec le passé. L'on peut parler de prise de conscience de leur attachement au passé ou de leur ancrage dans les pratiques sociales qui les identifient. Deux écoles privées fonctionnent désormais à La Grand-Combe (rue Pasteur, l'ancienne école ménagère pour les filles, et celle de la rue VillaBéchard) et une à Trescol. Ainsi, les parents les plus attachés aux valeurs traditionnelles renvoient peu à peu leurs enfants dans les établissements catholiques. Les parents, face à la charge qu'occasionne cet enseignement payant, pourront néanmoins bénéficier de bourses d'études accordées par l'Etat(105) mais aussi par les Houillères, qui gardaient quant à elles certains critères sélectifs: "J'ai toujours tout payé pour ma fille. Elle était dans l'école payante 'des frères'. Les Houillères donnaient des bourses, mais comme on n'était pas une famille nombreuse (fille unique), on ne nous avait pas accordé la gratuité. On n'a jamais donné de bourse pour ma fille: un enfant seul, il n'avait rien. J'ai toujours payé. Et puis pour le lycée, ma fille était pensionnaire à Mendes, et elle n'a jamais rien eu, j'ai payé les livres. Les Houillères regardaient votre salaire et s'ils jugeaient que vous gagniez assez, vous n'aviez rien. Surtout parce que c'était une fille; si c'était un garçon, il gagnait. Ils donnaient parfois une bourse pour une fille, mais une sur 15 garçons, hein!. Le garçon, même que le papa gagnait beaucoup plus, ils lui donnaient une bourse, parce que c'était un garçon. Parce qu'un garçon risquait plus tard de faire l'école technique, l'école des ingénieurs et des trucs comme ça, alors que les femmes n'y entraient pas". (M. Roux. Mineur retraité). A l'époque, environ 3.000 élèves fréquentaient l'appareil scolaire de la commune. Les enfants pouvaient suivre la formation scolaire de la Maternelle jusqu'à la classe de 3ème au Collège, ou alors fréquenter l'école de formation professionnelle des Houillères. Les H.B.C, en effet établissent une école de formation professionnelle dans le quartier des Pelouses. On y donnait un enseignement technique visant à former les apprentis-mineurs et délivrant le certificat d'aptitude professionnelle. Plutôt que de suivre le même métier que leurs parents, ces "fils de mineurs" pouvaient envisager une rapide ascension vers les postes les plus qualifiés des Houillères. Avec la réforme de 1959, le centre d'apprentissage devient collège d'enseignement technique (C.E.T).(106) Les Houillères implantent également un centre de formation professionnelle, pour les adultes (secteur Ricard) dans l'objectif de permettre aux mineurs l'accès à l'enseignement technique(107). Néanmoins, au fur et à mesure que les mines ferment, les écoles techniques prises en charge par les Houillères ont été mises en sommeil. Le vide laissé par la désactivation du C.E.T. est en partie substitué par le centre de formation professionnelle pour adultes créé en 1971 (C.F.P.A.), proposant, du moins jusqu'aux années 80, un système de formation parallèle à l'enseignement national, envisageant la promotion professionnelle des adultes à partir de 18 ans. "A l'époque le C.F.P.A. considérait qu'il devrait remplir son contrat avec la société dans la mesure où nos élèves sortaient avec un diplôme de formation, c'est-à-dire qu'elle était partie de quelqu'un qui n'avait pas de formation et elle donnait cette formation, et à l'extrême on ne suivait pas le diplômé dans son chemin d'insertion au système économique, alors qu'aujourd'hui nous avons évolué... C'était une époque en tout cas où le système économique absorbait facilement la main-d'oeuvre qualifiée". (M. Favede. Directeur de la C.F.P.A.) L'objectif étant celui de former ces jeunes adultes et de recycler les adultes pour un niveau de qualification professionnelle. CHAPITRE 8 LA POLITIQUE VECUE AUTREMENT.(108) La vie politique avait bien été transformés dans la ville. Depuis des décennies de vote à droite, l'initiative politique locale change de mains et une municipalité de gauche se stabilise au pouvoir, réactualisée chaque fois par le jeu démocratique des partis et acteurs politiques. Mais, avec quelques caractéristiques originales. Au contraire d'Alès, qui s'affirme comme bastion du communisme, le pouvoir municipal à La Grand-Combe glissera vers la gauche socialiste. D'ailleurs, si dans l'ensemble du bassin cévenol le parti communiste demeure majoritaire, c'est le parti socialiste qui s'impose à La Grand-Combe. En effet, la ville au "temps de la nationalisation" et à l'heure de la Libération confirme les engagements politiques conquis à l'époque du Front Populaire, quand la ville connaît des transformations après presque un siècle de centralisation et de monopole du pouvoir politique (et économique) dans les mains de la Direction de la Compagnie des Mines de La Grand-Combe. Tout d'abord, les grand-combiens connaissent une courte période d'une mairie communiste par l'élection de Roger Rouvière, élu en mai 1945 et restant au pouvoir jusqu'en 1947 (M. Jules Martin, adjoint). Les élections de 1945 prouvaient que la situation politique dans la ville était bien renversée. La victoire des communistes est due à l'allure forte avec laquelle ce Parti sort de la lutte de résistance pour l'indépendance nationale: "car Rouviére a bénéficié du fait que la Résistance dans le bassin minier a été presque uniquement communiste jusqu'à 1944"(109). Après la Libération, c'est le moment de récolter les fruits. Le communiste Rouvière a été d'abord maire de 1944 à 1945 (comme président du C.N.L. et de la délégation spéciale) et les élections du 20 mai 1945, lui confirment le siège de premier magistrat avec un conseil municipal formé de communistes, M.R.P. et socialistes. Mais, après cette courte parenthèse chez les communistes, le pouvoir local depuis 1947 s'imposait dans les mains d'un maire socialiste. M. Germain Soustelle(110), avec une nette orientation centriste et avec le soutien de la droite revient sur le pouvoir local. Cette situation n'est pas limité à La GrandCombe, et une situation semblable a lieu dans d'autres localités de la région. En effet, selon nos informateurs, passées les premières années de reconstruction nationale, et "une fois repris les habitudes et les comportements sociaux et politiques traditionnels"(111), Soustelle, qui est par ailleurs une expressive figure politique locale, puisqu'il milite alors depuis près de trente ans (c'est lui qui à "pris" la Mairie à la Cie. en 1925), n'a pas eu de mal à revenir sur "la scène" politique et à reprendre le pouvoir municipal. Les autres Partis se partagent les sièges au conseil municipal. Depuis 1947, la municipalité était régulièrement restée aux mains des socialistes ayant toujours en tête le maire, M. Soustelle, qui permettait la cohésion des alliances partisanes malgré de profondes oppositions. En effet, il est réélu en 1953 par la même composition de forces. En 1959, allié aux communistes, c'est encore le candidat des socialistes qui permet la coalition et Soustelle conquiert son troisième mandat consécutif. En 1965, affaibli par un échec aux élections législatives, Soustelle ne se présente pas, et à sa place c'est un autre socialiste Maurice Larguier qui est lancé candidat, tête d'une liste soutenue par les socialistes, centristes et gens de droite. Il emporte la mairie et cette alliance permettra la stabilité des socialistes dans les élections de 1971 et celles de 1977. A chaque occasion M. Larguier est réélu. En 1983, conjoncture marquée par l'Union de la Gauche, M. Larguier s'allie aux communistes et emporte de nouveau la mairie. Au plan local, les communistes faisaient toutefois certaines concessions au niveau des adjoints dont les délégations effectives les plus importantes restaient aux socialistes. M. Maurice Larguier reste maire de La Grand-Combe jusqu'en 1989. Ce qui explique la stabilité des socialistes occupant le siège de premier magistrat à La Grand-Combe est lié à leur stratégie de coaliser les forces d'opposition à chaque élection: "S'alliant tantôt à droite, tantôt à gauche, le Parti socialiste a pu conserver longuement le siège du premier magistrat de la commune".(112) Il est certain que les alliances composés entre S.F.I.O. (centre gauche), P.C., et M.R.P. (centre-droit et droite), ont construit une voie convergente de négociations et de distribution de pouvoir, permettant à chaque fois aux socialistes de remporter la mairie. La droite, par exemple, vote très souvent socialiste au deuxième tour (à Bessèges par exemple, la droite - 30 à 40% donne la victoire aux socialistes au deuxième tour). Il est vrai que le P.C. arrive normalement en tête au premier tour, mais les socialistes l'emportent au deuxième. Il irait au-delà de nos propos d'analyser les alliances qui permettent à chaque fois cette stabilité des socialistes au pouvoir municipal.(113) Ce qui nous semble, néanmoins, significatif, a trait au comportement électoral grandcombien et nos interviewés sont unanimes pour le mettre en rapport avec le fait d'une dépendance de plus d'un siècle à la Compagnie et l'idéologie catholique. "Ainsi, à La Grand'Combe, le passé se mêle au présent, le pénètre et lui donne cette mentalité politique particulière si différente de la mentalité alésienne où ouvriers, commerçants, fonctionnaires sont suffisamment face-àface pour prendre conscience de leurs classes respectives et de leurs intérêts sociaux....".(114) Pour Favede, cette condition du passé a structuré une "mentalité grandcombienne" qui diffère de celle d'Alès. Selon lui, malgré la forte emprise du syndicat C.G.T. sur les Houillères, celle de l'église catholique, qui s'exerçait depuis un siècle, reste très forte à La Grand-Combe.(115) Malgré le revirement d'époque, la tradition parle fort et, autour de cela, se crée tout un enjeu politique. L'appartenance politique, ou du moins le comportement électoral sont aussi révélateurs de certains éléments forts de l'identité du passé "en raison du partage d'une personnalité sociale et historique"(116) ce qui ne leur paraît pas toujours contradictoire avec la filiation syndicale ouvrière, ni même avec l'appartenance "à une des régions plus communistes de France" (M. Sellen, fils de mineur). L'identité du groupe apporte ses références discontinues du passé/présent et la ville garde ses particularités. Effectivement, il faut tenir compte du poids social hérité des Compagnies minières dont la trame est fournie par "la forte et durable emprise paternaliste"(117). Partout où la ville a été, pendant plus d'un siècle, sous la domination politique et sociale d'une des deux grandes Compagnies paternalistes du Bassin (Compagnie des Mines de la Grand-Combe et Compagnie Houillères de Bessèges) les conseils municipaux sont socialistes.(118) Ce phénomène n'est pas simple à expliquer, mais peut-être faut-il voir là un effet à long terme des politiques paternalistes, une sorte d'"intériorisation" de ses principes de négociation à l'amiable, de refus de tout bouleversement, par opposition aux conflits ouverts et à la volonté de rupture avec le passé prônés par les communistes.(119) L'on se trouve donc un peu face à un paradoxe, nous dira Sugier: plus l'emprise des Compagnies a été forte de 1830-1840 à 1914, moins la réaction d'émancipation vis-à-vis d'elle s'est investie dans le parti représentant le mieux la volonté de bouleverser la structure sociale.(120) D'autres éléments sont aussi un point plus au moins important: le vote féminin assumé après la Libération, les mineurs lozériens et auvergnats très catholiques et les immigrés naturalisés parfois très catholiques (Espagnols, Polonais), sont très souvent inclinés à voter comme leur curé. De plus, une frange de la population, tout un personnel technique et administratif, veulent se différencier des "gueules noires" non seulement par des signes (façon d'habiller, accès au confort, etc.), mais aussi à travers le comportement politique ou syndical. Tous tendent à former une base du socialisme ou voter socialiste au deuxième tour des élections. Mais, en effet, cette perspective d'identifier les groupes votant P.C., P.S., etc., nous semble complexe. Parfois dans un même foyer les tendances peuvent être diverses, c'est-à-dire, nous trouvons le père mineur, celui qui a vécu la Libération, votant P.C. alors que le fils mineur ou la mère votent socialiste. "Mon père était communiste à fond, il avait sa carte du syndicat C.G.T., mais moi j'étais pour les socialistes, parce que je voyais tout ce qui se passait. Chaque fois je me disputais avec mon père c'était dur, hein!. Chaque fois qu'on parlait politique ça chauffait. Mais je suis resté socialiste et lui, aujourd'hui (1989) il a changé, il est anti-communiste, carrément anti-communiste". (M. Debriet. Mineur retraité, aujourd'hui mécanicien). Mais le groupe de base catholique de la population n'est pas le seul en faveur du socialisme. La minorité protestante de la population grand-combienne est elle aussi très fortement organisée et est adepte des socialistes. D'ailleurs, c'est très souvent de cette minorité que sortent les conseillers municipaux et quelques adjoints. CHAPITRE 9 L'ENCHEVETREMENT DE DEUX REFERENCES IDENTITAIRES: LES GRAND-COMBIENS ET LES MINEURS CEVENOLS. L'époque de la nationalisation des mines coïncide avec le Centenaire de la ville de La Grand-Combe (la fête a eu lieu en 1947). Ce tournant d'un siècle de vie est célébré en grande pompe. Les grand-combiens fêtent, certes, les événements qui ont marqué l'histoire de la ville dans "le temps de la Compagnie", l'on rend hommage à la mémoire des précurseurs de la Compagnie des Mines de La Grand-Combe et aux "maires-patrons" qui se sont succédé au pouvoir municipal. Mais plus que cette intention restauratrice qui marque la nostalgie(121), la fête ponctuait ce passage d'époque et commémorait les changements porteurs de "progrès" grâce à l'autonomie politique conquise et à la consécration de La Grand-Combe comme importante base productive de charbon au sein d'un réseau national de production, doté d'une structure "modernisée". Centrée sur l'économie du charbon, la temporalité du travail continuait à donner le "ton" du rythme de la vie quotidienne, en revanche l'espace (du travail) prend place sur une aire géographique plus large qui correspond à une aire "cartographiée" sur une base "culturelle", une aire linguistique (dialectale) support d'une identification collective (d'imaginaire régional): la région de Cévennes. En ce sens, s'il est vrai qu'au niveau politique la ville gagne son "indépendance" (ce qui permet à La Grand-Combe certaines particularités dans la dynamique politique), au niveau économique, le processus correspond plutôt à une "translation de dépendance", à cause du nouveau rapport qui s'établit avec l'Etat et qui sera "déterminant" pour l'avenir de la ville. La ville, plus qu'elle ne développera sa vie économique interne, va connaître par le biais de la fusion de sa mono-industrie en Houillères de Cévennes une ouverture sur la région. Elle qui, pendant tout le "temps de la Compagnie", s'était caractérisée en tant qu'"univers clos", connaît désormais l'unité économique avec d'autres villes. Une unité agencée par l'Etat. La GrandCombe se rapproche, et à plusieurs niveaux, des autres centres voisins producteurs de charbon.(122) La communauté minière grand-combienne connaît donc une ouverture de ses "frontières", non pas cartographiques - elles demeurent les mêmes mais parce qu'elle "appartient", économiquement parlant, à un territoire défini par les limites du "bassin cévenol", les mineurs grand-combiens se confondent avec les mineurs de tout le bassin. Désormais il faut mieux parler de mineurs cévenols. Les mineurs - par la pratique professionnelle - connaissent une amplification de l'appartenance territoriale. L'ouverture du monde du travail suppose une ouverture du sentiment d'appartenance locale sur l'appartenance régionale qui marque, dans leur imaginaire collectif, l'unité et la communion des références d'identification du groupe de travail. L'analyse reste ici à tailler: autrement dit, la clé de l'enjeu ne repose pas sur l'avis que l'identité locale est mourante à l'égard d'une identité régionale conquise, mais plutôt une interpénétration du procès d'identification(123). Ces "identités territoriales" régionale et locale (ainsi que celle, nationale) - ainsi superposées parlent symboliquement de l'insertion, de l'appartenance à un territoire. A cet égard peut-être faudrait-il mettre en relief la notion d'"imaginaire local", d'"imaginaire régional"(124). Or, pour nous le fait essentiel réside dans une sorte d'"épanouissement" de l'appartenance régionale, c'est ce sentiment qui est réélaboré, réactualisé.(125) C'est justement à travers cet enjeu que l'identité régionale(126) - "cévenol" - s'actualise, et si jadis elle se montrait surtout efficace pour représenter un groupe social qui trouvait ses racines dans un pays de traditions agricoles (le paysan cévenol), elle devient alors fortement valorisée par le rapport au "pays minier cévenol". Autrement dit, depuis toujours les mineurs d'origine cévenole, ex-paysans ou mineur-paysans, se sentaient très attachés à leurs racines cévenoles; être "cévenol" a toujours porté une charge symbolique importante pour les habitants grand-combiens au fur et à mesure de leur enracinement dans ce "pays de montagne et de vallées", surtout pour les mineurs chez qui l'occitan (plus spécifiquement la langue d'oc) était la "langue officielle" et de "reconnaissance" pour le groupe des mineurs du fond. Mais il ne faut pas oublier que dans "le temps de la Compagnie", l'aveu "officiel" d'une unité régionale demeurait "dangereux", car la Compagnie craignait que son personnel ne f–t influencé par les ouvriers d'autres compagnies, plus politisés, très souvent "anarchistes" et "agitateurs", comme à Bessèges et Alès par exemple. "Au temps de la Compagnie", la constatation d'une appartenance régionale secrétait une menace pour la toute-puissante Compagnie, de par le danger que signifiait la prise de conscience d'un "au-delà" de l'appartenance à "la Compagnie". Avec la nationalisation et les nouvelles dispositions administratives stimulant la reconnaissance d'une institution de raison sociale régionale et d'un territoire plus ample d'activité professionnelle(127), les travailleurs des H.B.C. se reconnaissent profondément par la référence identitaire régionale: les "mineurs cévenols", autrement dit, "cévenol" supportent l'efficacité d'une "emblématique identitaire", un système de signes à travers lesquels les mineurs mettent en scène l'identité par contraste.(128) Ce "mouvement" de construction sociale de l'identité s'avère complexe et met "en oeuvre" différents univers symboliques, d'autant que, par le "processus" constamment de la dans représentation des formes identitaire, collectives les individus diverses s'inscrivent (identifications relationnelles). L'on ne saurait réduire les systèmes de représentations spécifiques des divers groupes ethniques et culturels composant les communautés de La Grand-Combe à la simple projection de la condition sociale qui traduit toutes leurs pratiques par une inscription symbolique dans l'espace social "cévenol". Les entrecroisements des espaces et des groupes de référence sont multiples: micro-espace, quartier, école, travail, macro-espace national et international. Les références d'appartenance sont multiples: d'un côté, la mémoire collective qui est de l'ordre du temps vécu et du temps pensé, de l'autre les références locales, régionales, etc., qui se réfèrent à une histoire qui transcende les sujets sans les asseoir immédiatement dans leur quotidien(129). Pour l'identité locale et/ou régionale (construction identitaire unificatrice), construite sur un support historique et par rapport au "passé", son efficacité réside dans la définition d'un réseau de références permettant la projection des actions de la collectivité vers le futur. Ce que nous suggérons par là, c'est qu'il existe une motivation pour une forte identification au "sujet" et aux "valeurs" régionales par le biais de la régionalisation du secteur économique principal (le charbon), de l'unité de travail et de l'unité syndicale. Le "passé" local permettra une référence identitaire au présent. Par la mémoire sociale, le passé de la ville ("ville minière") sera ré-actualisé comme des repères qui donnent un sens à l'expérience de vie au présent, et comme un symbole (valeurs du passé qui servent comme référence identitaire dans le présent, qui "informent" la tradition du groupe), comme support d'une identité sociale singulière. A l'égard d'une connotation politique, ce n'est plus seulement sur l'histoire locale que les mineurs grand-combiens peuvent, "officiellement", "négocier" la construction de références identitaires, "travailler" un système classificatoire - exprimer à la fois un sentiment d'interaction au groupe professionnel et régional et leurs différences par rapport à l'autre - mais également sur la région et au-delà. Désormais, grand-combiens, alésiens, béssegiens, etc, forment une unité régionale (par rapport à d'autres groupes régionaux "miniers" qui se composent, et dont l'unité nationale est agencée par l'Etat). La classe ouvrière grand-combienne, ainsi que celle des communes voisines, s'intégrait à l'intérieur d'une corporation (et un mouvement) plus ample - "régional" (intégré à son tour, à la corporation "nationale"). Cela ne signifie pas que se manifeste une uniformité, un image homogène de ces différentes villes. D'ailleurs, chacune garde ses particularités, dont le comportement politique est un exemple, et à La Grand-Combe, au contraire des municipalités communistes, il n'y a pas de passage automatique au comportement électoral et, malgré la forte influence de la C.G.T., ce sont les socialistes qui se stabilisent au pouvoir.(130) Malgré les transformations qu'a connues la ville, les mineurs peuvent y rester enracinés parce que le travail est garanti. C'est avant tout pour cette garantie du travail mineur, de l'existence de l'espace de travail (la mine), de la continuité de la famille corporative, que le groupe s'est battu depuis si longtemps. Tout en conquérant des améliorations, ils veulent que la ville s'intègre dans ce mouvement majeur défini comme "progrès": une dynamique propre des centres urbains. Ainsi, ce que nous pouvons lire au-delà de cette énonciation d'un ancien mineur, "rester attaché au métier de mineur était une mentalité". Et il ajoute: "c'était la mentalité à La Grand-Combe (...) il y avait cette fraternité de rester attaché au métier", c'est qu'avec la garantie du travail, ils trouvent dans leur ville la stabilité (nous voulons dire l'enracinement, sentiment d'appartenance) souhaitée, le support spatial pour leur "repos" ("la dialectique de la durée" à la Bachelard) nécessaire pour pouvoir ordonner leur temps - trouver dans les transformations, la continuité du groupe. La ville garantit sa spécificité, elle reste un "pays minier", parce que les hommes y retrouvent garantie la "famille corporative". C'est comme si la ville gardait une "vocation" - "la vocation minière"(131) - et que, du fait de cet état "d'esprit du temps", de la tradition d'un groupe de "solidarité" (disponibilité référentielle définie et dominante), elle participait à la fois économiquement et socioculturellement au "progrès" de la région. Pour une ville comme La Grand-Combe, cette ré-actualisation de l'identité locale en une identité régionale signifie avant tout son insertion - par son potentiel économique - dans d'autres temps (et d'autres discontinuités), sur la région et la nation. De surcroît, ce mouvement vers l'identification du groupe "mineurs" par référence au régional traduit la fin du cloisonnement de la ville minière (il est significatif, par exemple, que le marché bihebdomadaire de cette ville minière devienne alors "le plus important marché cévenol" de la région). Mais passé les années de "bataille du charbon", la référence à l'unité des mineurs cévenols prend une autre "performance" et l'identité régionale est appropriée comme support d'une action des mineurs qui prend l'allure d'un "mouvement régionaliste"(132) quand il s'agissait d'organiser un mouvement de protestation et de résistance contre la fermeture des puits. A la lutte des mineurs d'organisation politique et syndicale se lie le mouvement occitan(133) celui des luttes occitanes contre une "crise régionale", pour défendre les catégories sociales et la région en difficulté(134). Les mineurs, pour défendre leur travail, s'approprient les leitmotivs d'un mouvement de défense et de renaissance de la région. Action qui concerne toute une région et provoque des réactions de défense communautaire, économique et culturelle. Les mineurs, dans leur lutte pour empêcher la liquidation de leurs mines, organiseront des "moments rituels" où ils s'exprimeront en occitan "comme langue officielle". Dans ces "situations ritualisées", ils exprimeront fortement un sentiment d'appartenance à l'unité régionale: leur lutte articule aussi celle de toute une "région" (une aire de comportements culturels et linguistiques) avec une action culturelle (occitane) et une action socio-économique (contre les excès de la centralisation française). Disons que cette façon de marquer l'unité, de construire l'identité du groupe, cette "lutte des classements qui est la lutte pour la définition de l'identité régionale" (nous paraphrasons ici Bourdieu) est surtout "efficace" dans les situations où la mobilisation des "cévenols" devenait une stratégie de lutte contre une politique de récession dans les secteurs économiques régionaux de base (lutte de défense du secteur charbonnier, par exemple, mais aussi celle des viticultures méridionales, des éleveurs, des agriculteurs). Dans ces mouvements de résistance, l'on défend les groupes sociaux qui appartiennent au pays cévenol, la continuité des "corporations" menacées, on crée des stratégies contre la menace de la dissolution du groupe (de l'identité régionale du groupe) "dans le temps". A ce moment, l'esprit régionaliste, l'attachement au "pays", deviennent respectivement la tradition, le territoire, le patrimoine, le métier que l'on défend. Un mouvement de résistance qui, par la légitimité héritée du passé, veut assurer le présent et organiser le futur: par le droit à travailler dans ces espaces d'enracinement. Un mouvement pour la "durée" en s'appuyant sur la mémoire collective. Mais, c'est surtout la fin du vice de la mémoire collective de s'arrêter au seuil du temps "minier" pour parler de leur passé en cherchant désormais, plus reculées qu'au temps de la Compagnie, les racines, les références de la mémoire collective qui supportent également leur présent. Le "temps antérieur", lointain, est meublé dans la mémoire et devient plus proche. "Phénomène surprenant", dit l'historien Joutard(135), celui de voir les mineurs, "les catholiques!" prendre à leur compte l'héritage camisard: "Résultat d'une mode historiographique ou conséquence de l'engagement politique de cette région minière à gauche? (...) Du côté rural, un embellissement du passé, même le plus sombre, conforme à une tendance que connaissent bien tous ceux qui sont à l'écoute de la mémoire paysanne. Du côté minier, la conscience d'une époque terrible, d'une époque de tension, d'injustice dont les Camisards ne sont qu'une expression."(136) De telles définitions emblématiques - "mineurs de la Compagnie", "mineurs grand-combiens", "mineurs cévenols" (signes identitaires) - indiquent par le biais du travail l'appartenance à une territorialité et à un groupe social qui s'identifie. Elles ne définissent pas seulement des mineurs de souche française, mais l'ensemble des travailleurs de la mine venus de partout (le creuset cévenol). La ville de La Grand-Combe, d'ailleurs, a toujours été caractérisée par sa forte composition de migrants, comme un espace urbain de regroupement, comme noyau pluri-ethnique et multiracial. Et la nationalisation n'a pas provoqué de rupture dans sa faculté de regrouper constamment des français et des étrangers venus de régions et de pays divers. La masse des anciens immigrants déjà enracinés et surtout celle des immigrants plus récents cherchent à s'intégrer au pays, à leur nouvel univers. Sans doute les groupes immigrés combinent-ils les caractéristiques culturelles propres à leurs sociétés d'origine et les statuts sociaux qui leur sont conférés en France, mais il est vraisemblable qu'ayant été insérés dans le monde du travail minier, ils s'inscrivent également dans l'émergence d'une identité régionale dans laquelle ils trouvent mieux leur place que dans une identité nationale française, pour laquelle ils se montrent plus réticents. Comme l'observent, à titre d'exemple, Gardés-Madray et Brés par rapport aux algériens ayant participé à une grève: "Chez les nombreux Algériens de Destival, la fibre cévenole est tout aussi forte. Déchirés pour la plupart entre deux pays, entre deux cultures, ils se sont construit de nouvelles racines dans la région qui les a accueillis, autour de cette mine où ils se sentent acceptés et, risquons le mot, protégés. Les anciens disent avec discrétion ce que les nouveaux embauchés, enfants de la deuxième génération, affirment avec conviction: Rachid: 'Pendant la grève, franchement, j'étais souvent sur le plateau. Quand j'entendais la sirène sonner, que les CRS arrivaient, j'y montais pour les soutenir. Ces treize mois, tu vois, j'aurais aimé les vivre. Pas la grève, parce que personne aime vivre une grève, mais cette solidarité qu'il y avait entre eux, c'est ça que j'aurais aimé vivre'. J.: 'Tu as la nationalité algérienne, Rachid?' Rachid: 'Oui!' J.: 'Et tu penses un jour rentrer en Algérie?' Rachid: 'Je crois pas non: je suis né ici, j'ai vécu ici...'. F.: 'Tu te sens quoi? Français? Cévenol? Algérien?' Rachid: 'Algérien cévenol.'"(137) Les "dénominations" évoquées ci-dessus totalisent la diversité des composantes régionales et nationales. Mais, ainsi qu'au "temps de la Compagnie", les nouveaux venus, bien qu'attachés à leurs racines territoriales seront soumis par le biais d'une nouvelle identification communautaire locale et régionale à un facteur unificateur des identités individuelles d'un groupe pluriel et multidimensionnel. La différence culturelle et identitaire du pays d'origine est enveloppée par cette action intégrative. Plus encore, face aux nouveaux temps difficiles qui se définissent de plus en plus durs est "recréée l'unité 'originelle' de la Cévenne (...)": "Aussi, chacun a-t-il le passé de son présent: ici un passé dur, pour un présent en plein essor (...), là un passé effectivement dense, et qui devient un âge d'or, pour un présent en décrépitude".(138) Par cette "force" qu'est la représentation identitaire, la communauté de travail malgré le brassage du groupe, gagne une unité qui inscrit les individus dans un cercle d'appartenance forgeant une homogénéité d'ensemble et dans un mouvement régionaliste, celui-ci un enjeux politique et économique. Les agents mobilisateurs d'une telle référence collective (références symboliques sur le régional appropriés par le mouvement régionaliste) se retrouvent largement dans l'action des syndicats et des syndicalistes militants et/ou du parti de gauche qui sont à la tête de la résistance.(139) Quels qu'en soient les agents, la corporation minière se reconnaît dans ce mouvement que l'on pourrait définir comme une "lutte de résistance contre la fermeture des mines" dont l'identité régionale est la construction "imaginaire" d'une continuité, la négation d'une discontinuité, de "la mort". CHAPITRE 10 LE PRELUDE DE LA CRISE. Après la conjoncture des "années de la bataille du charbon", les mineurs cévenols sont épuisés par le travail. La mécanisation avait certes substitué l'homme dans certaines tâches très dures, mais aussi augmenté l'insalubrité du lieu de travail, et la pénibilité du labeur demeurait réelle. Des manifestations d'insatisfaction s'expriment peu à peu. Des grèves s'engagent en 47 et 48. Au cours de cette dernière, pendant 8 semaines les mineurs de diverses tendances syndicales (F.O., C.F.T.C., C.G.T.) se sont mobilisés. A La Grand-Combe, ils occupent plusieurs jours le fond de la mine (Ricard). L'armée intervient dans les divers bassins houillers. L'envoi des troupes par le gouvernement déclenche de violentes bagarres et on se souvient encore des voitures blindées devant l'église de la ville. Ces grèves traduisent la révolte des mineurs contre la direction des Charbonnages, et contre l'Etat qui a envisagé la révision du Statut du mineur en mettant en cause les droits acquis par rapport au salaire, à la gestion des accidents dans les caisses de secours, etc.(140) Ainsi que la grève de 47, celle de 48 sera considérée comme ayant eu des résultats limités pour les mineurs et c'est l'époque où plusieurs d'entre eux retourneront leurs critiques contre l'action gouvernementale et syndicale dans la gestion des houillères. Les grèves se succéderont dans les années suivantes. Celle de 1952 s'étend à tout le Bassin du Gard et dès le début elle a été dure, "la direction se dérobant aux discussions et les mineurs occupant symboliquement, au fond, le puits de Ricard pour obliger à des entretiens et peser sur leur déroulement". La grève dura plusieurs semaines et les grévistes, à la fin, n'obtinrent qu'une satisfaction partielle de leurs revendications.(141) L'application du plan Schuman (en 1951), est subi par le bassin des Cévennes comme un châtiment: contraction des ventes charbonnières de 1952 à 1955 liée à une conjoncture nationale d'austérité (causée par les difficultés de redressement économique du pays - la guerre froide). Le phénomène de mévente va se trouver démesurément amplifié par les conditions d'exploitation(142). Les Houillères démarrent un plan plus systématique de fermeture des petits puits du bassin minier qui entraînera une récession de l'entreprise. En conséquence, la tendance est dès lors de diminuer le nombre des effectifs. Certes, dans un premier temps, cela est rendu possible grâce à un rendement plus efficace des mineurs cévenols dans leur travail (1949: 963 kilogrammes de charbon par poste et par jour; en 1950, ce chiffe atteint 1.643)(143); mais les décisions de restriction à l'embauche que prennent dès cette époque-là les H.B.C. seront prolongées par des mesures de mise au chômage technique et de reconversion du personnel (reconversion sur le bassin même et sur d'autres). En effet, dans quelques localités, les puits d'extraction (sous-utilisés) sont fermés. C'est le cas de celui de Trescol, sur la commune de La GrandCombe. La population de Trescol recevra de plein fouet le tarissement de la principale source économique du hameau. Le personnel est transféré sur d'autres lieux d'exploitation plus modernes sur la même commune de La GrandCombe (gisements de Ricard, Oules, la Fontaine). Anticipant ce qui adviendra ensuite à La Grand-Combe et ses autres hameaux, Trescol se réduira ainsi à un espace dortoir. Les puits alors fermés sont ceux qui n'ont pas bénéficié d'améliorations et de modernisation de l'équipement. Les Houillères inaugurent d'ailleurs de nouveaux puits plus modernes, comme celui de St.-Florent en 1950 et, l'un des plus importants qu'elle mettra en fonctionnement, celui de Destival (Tammaris, commune d'Alès) à 10 Km de La Grand-Combe. En fait, la modernisation des moyens d'extraction correspondait à l'objectif majeur de la nationalisation de ce secteur(144), qu'avait structurée un plan daté de 1954 et nommé "plan Jeannerey". A La Grand-Combe les H.B.C. entreprennent par ailleurs la construction d'une centrale thermique, dite du FESC, pour alimenter tout le bassin houiller du Gard et remplacer les petites centrales. "En 1953, la mise en route de la centrale thermique du Fesc, à l'entrée Sud-Est de La Grand'Combe, devait déjà permettre de transformer sur place du charbon qu'il était difficile de valoriser autrement".(145) Les années 1957/58 (naissance de la Ve République) seront de nouveau très favorables pour les Charbonnages Français et aussi pour le bassin cévenol, car le programme de réduction accélérée de la production de charbon avait été repoussé de quelques années. Grâce surtout à la modernisation des mines alors en exploitation, la production atteindra en 1958 le chiffre record de 3.300.000 tonnes pour le Bassin des Cévennes. On identifiera encore cet effort à une victoire des années de la bataille du charbon: "Il a fallu après-guerre les besoins en combustible d'une économie renaissante pour que, sur le 'front' cévenol de cette fameuse 'bataille', on ait extrait jusqu'à plus de trois millions de tonnes en 1957".(146) Comme avant, le boom productif permet l'ouverture du marché du travail et les Houillères embauchent de nouveau. Economiquement, la conjoncture est supposée optimale, mais ce seront aussi les dernières années dorées pour la production. Une fois passée la Bataille du Charbon, le contexte jouera en défaveur de l'industrie charbonnière cévenole. Il y a encore la période assez favorable qu'il faut mentionner, entre 1963 et 1965, quand la France manque de charbon et ouvre de nouveau le marché. Mais, dans le même temps les puits ferment et la situation salariale de la catégorie provoque des mécontentements. "(...) mineurs et syndicats constatent que leurs salaires perdent de plus en plus de terrain non seulement par rapport au privé (11%), mais encore par rapport aux autres entreprises nationalisées".(147) Les syndicats préparent alors (entre 1963-65) une série de grèves appelées au niveau national pour le rattrapage des salaires. Début mars 1963, par exemple, une grève illimitée est déclenché (C.F.T.C., F.O, C.G.T.). Elle est totale et se déroule dans un climat extrêmement favorable aux mineurs, qui comptent avec un large soutien de la collectivité. Les mineurs arrivent à la satisfaction le 5 avril après les négociations avec le gouvernement.(148) "La grève qu'on a gagné plus c'est en 1963. On s'est battu, il y a fait deux morts. De Gaulle volait et nous avons refusé. Le syndicat était fort, alors que maintenant, maintenant, bof, ça ne me plaît pas... ". (M. Vial. Mineur retraité). Déjà depuis 1958, les prix de revient devenant peu concurrentiels par rapport aux autres sources d'énergie, la production baisse progressivement. La réalité est incompréhensible (ou, incroyable) pour les mineurs, les puits ferment l'un après l'autre: la Jasse en 1960, St.-Martin-de-Valguagues en 1962, Le Pontel en 1963, Molières en 1969: "ils disaient qu'il n'y avait plus de charbon, alors qu'il y en avait" (M. Champeac, mineur retraité). C'était "une époque de tromperie", nous dira un ancien mineur, qui dénonçait l'intention des Houillères de cacher les véritables motifs de la fermeture des mines. Les raisons, dira-t-il, ont été politiques alors qu'ils voulaient faire croire que les mines n'étaient plus rentables et qu'elles étaient épuisées: "La Forêt, par exemple, c'était une petite mine qui marchait bien. Il n'y avait pas de danger: bonne sécurité, pas trop de grisou, on risquait rien. La couche faisait un mètre vingt et tout le monde était content parce que ça marchait bien. C'était une petite mine qui employait 300 ou 400 mineurs et ils voulaient l'abandonner parce qu'elle n'était plus rentable pour eux. Alors pour éviter la colère des mineurs ils ont essayé de tromper la masse. Pendant un jour de congé ils ont dit: 'Il y a de la fumée là-bas!'. Alors j'ai posé la question au gars: 'Mais vous l'avez vue?'. Il m'a répondu: 'Et bée, quelqu'un a vu la fumée'. Quelqu'un a fait un petit feu et puis ils ont dit: 'Oh! il y a de la fumée, il faut fermer la mine'. Voilà! C'est comme ça que ça s'est passé. Parce que c'était une mine bien aérée, bien sèche. Et puis ensuite dans d'autres mines. Sur le Ricard, ils disaient: 'ce n'est plus rentable'. Mais mon chef, un jour, m'a avoué: 'S'ils avaient voulu, ils auraient pu encore exploiter'. Parce qu'au Ricard c'était le plus beau charbon de tout le bassin des Cévennes, de l'anthracite, du joli charbon, brillant, qui faisait un feu très puissant. Mais ils ont décidé de fermer et ça s'est fermé. (M. Champeac. Mineur retraité). D'abord, les mineurs seront de plus en plus regroupés, surtout dans les puits de Ricard et des Oules à La Grand-Combe, ou mutés pour Alès, etc. Les cadres seront eux aussi concentrés dans les puits encore en pleine activité: "A cette époque, dans certains puits, il y a eu autant d'ingénieurs que d'ouvriers". (M. Champenois. Mineur retraité). Après, ce sont les reconversions dans d'autres bassins et puis les mutations professionnelles qui ont été intensifiées pour les mineurs. Au cours des années suivantes, on assistera à l'échelle nationale à une stagnation des investissements dans le secteur charbonnier et au soutien de ceux de l'électricité et des carburants. Le gaz naturel prend une place grandissante, et la mise en oeuvre de la politique d'importation du charbon crée des difficultés insurmontables pour la région. La concurrence des autres sources d'énergie retirera le charbon de la compétition. Débute alors la crise charbonnière qu'avait d'ailleurs prévue le plan économique de la C.E.E.: "temps de la régression ordonnée de la production"(149). Au niveau régional, les problèmes sont énormes, la crise du bassin cévenol devançant celle d'autres bassins: "(...) assez vite, l'entreprise n'a pas pu tenir ses promesses, non seulement parce que des problèmes techniques en interdisaient l'extension, mais surtout parce que l'énergie fournie était aisément concurrencée par les usines hydrauliques du Rhône et de la Durance".(150) En effet, le plan Jeannerey qui revient vers les années 60, avec de nouveaux dispositifs, fixe dès lors la régression systématique de la production de charbon. C'est l'attestation d'une crise irréversible qui s'installe - la "crise du charbon" - au niveau national mais qui frappe aussitôt le bassin cévenol, et certainement pas à cause de la qualité de son charbon - "un des meilleurs existants" - mais par l'apparition d'une série de "difficultés" que mettent en avant les H.B.C.: l'éloignement du bassin par rapport aux centres économiques importants, la structure géologique difficile, etc. A court terme, ces mesures entraîneront la compression du personnel et de nombreuses suppressions d'emploi sur le bassin cévenol. La récession s'installe dans le secteur charbonnier et, désormais, la crise s'amorce dans la "ville minière", chez les familles de mineurs, chez les jeunes, chez les commerçants. Les fournisseurs de biens et services ferment, puis, par contagion, la crise gagne tous les domaines de la vie quotidienne. La ville minière cessera peu à peu d'incarner un haut lieu de la vie collective d'une communauté de travail, dans laquelle le métier traditionnel de mineur se trouve dorénavant menacé(151). 1. Situation administrative qui subsistera jusqu'en avril 1968. 2. En novembre 1955 la Direction Unique du Bassin est divisée en trois secteurs. 3. SOURCE: Journal Le Pays Cévenol et Cévennes. D'Alès - La Grand'Combe à Florac. Hebdomadaire Régional d'Informations d'Annonces Légales et Judiciaires agréé pour l'ensemble du département du Gard. Le 2 Mai 1982. 4. "Les bouleversements de l'époque se traduisent sur le plan de l'encadrement par de nombreuses mutations d'ingénieurs entre les différents bassins miniers, entraînant des échanges entre le Nord, l'Est, le Midi et la Sarre, placée sous la haute autorité d'un commissaire français". In: FLECHON. Op. cit. Tome II. p. 187. A ce sujet voir également pp. 196 à 198. 5. Ibidem. p. 200. 6. C'est le premier Directeur Général des H.B.C. après la Nationalisation ayant M. Georges Morel, qui continuait à diriger le groupe Sud, comme directeur général adjoint. Cf. Ibidem. p. 196. 7. Sur M. Ducasteing, voir Annexe 18. 8. Cf. FLECHON. Op. cit. Tome II. p. 196. 9. DEBOIS, Evelyne et alii. Op. cit. p. 13. 10. Le président des Charbonnages est alors le responsable de la fédération CGT du sous-sol (M. Duguet). 11. Dans les limites des propositions de notre travail, nous n'esquissons que superficiellement les réformes de structures instituant les mines en tant que secteur public, et leur rôle dans la gestion économique de l'après-guerre. Pour un aperçu plus profond, nous recommandons, entre autres: A) DEBOIS, Evelyne et alii. Op. cit. B) Sur l'orchestration de la bataille du charbon dans sa dernière phase voir: TREMPE. (1989). Op. cit. pp. 211 à 218. 12. "C'est la crise sociale du printemps 1945 qui décida la direction des Houillères du Nord-Pas-de-Calais à organiser une campagne de mobilisation psychologique des mineurs, car, selon le directeur général, la question du charbon prenait un caractère dramatique. L'idée naquit sans doute le 17 mars, lorsque Robert Lacoste, ministre de la Production industrielle, rencontra à Lille le commissaire de la République, les syndicats et la direction générale des houillères (...); l'alliance des exploitants et des syndicats ouvriers devait porter le maximum de fruits (...)". Trois étapes avaient été prévues et programmées en détail: la préparation et l'information, la mobilisation et la victoire, grâce à la hausse triomphale du rendement. L'objectif fixé était les 100.000 tonnes. In: TREMPE. (1989). Op. cit. pp. 212 et 213. 13. L'objectif était de surmonter l'étape de réquisition (où les conseils n'étaient que consultatifs et les directeurs nommés par le ministre avec pleins pouvoirs) pour arriver à la nationalisation où les représentants ouvriers ne seraient plus minoritaires dans les conseils. Cf. Ibidem. p. 216. 14. Ibidem. p. 216. 15. Gouvernement où s'illustrent notamment Maurice Thorez, Léon Delfosse, etc. Maurice Thorez, par exemple, était fils de mineur et devient ministre de 1945 à 1947. Il a été l'un des meneurs de la "bataille du charbon" (programme de production et rentabilité dans le secteur charbonnier). Dans la conduite de ce programme à bon terme, il s'est avéré un agent mobilisateur d'une performance incontestable, et son discours de Waziers en 1945 en fait la preuve. Le leitmotiv de son discours met en place le "mythe" communiste du mineur de "père en fils", fondement d'une généalogie fictive de la classe ouvrière. Selon: A) MATTEI, Bruno. "Après la guerre... la bataille (1945-1947)". In: DEBOIS, Evelyne et alii. Op. cit. p. 17. B) NOIRIEL. (1986). Op. cit. pp. 193 et 194. 16. Expression de Léon Delfosse, responsable CGT, 1945. 17. DEBOIS, Evelyne et alii. Op. cit. p. 15. 18. Ibidem. p. 13. 19. "Le Statut du mineur était une revendication de la Fédération nationale du sous-sol (C.G.T) depuis septembre 1944. Le statut va réglementer toute la profession: composition du personnel, conditions de titularisation, embauche, licenciement, durée du travail, congés, avantages en nature, hiérarchie professionnelle, salaire à la tâche, droit syndical". In: Ibidem. p. 51. 20. "Tout d'abord, il satisfait globalement au désir de revalorisation de la profession; il reconnaît le droit au logement gratuit pour les actifs et les retraités réclamé depuis 1937; il détermine la fixation des salaires de base par rapport aux ouvriers métallurgistes, de telle manière que les mineurs sont placés au sommet de la hiérarchie ouvrière, comme ils le souhaitaient; il garantit le personnel contre l'arbitraire et le 'caporalisme' de la maîtrise, par la création des commissions paritaires qui réduisent le pouvoir discrétionnaire des chefs (petits et grands) et interdisent les pratiques abusives et quotidiennes contre lesquelles les mineurs s'étaient dressés en 1936: déclassements, renvois, mises à pied, amendes... Les sanctions sont désormais sous contrôle. Les syndicats ont même obtenu un droit de regard sur les embauchages. Le statut règle aussi la durée du travail et des congés selon les normes de 1936; il classifie et hiérarchise tout le personnel, du fond et du jour, de l'ingénieur au manoeuvre, définit les règles d'avancement d'une catégorie à l'autre et précise le mode et le niveau de rétribution propre à chacune d'elles. Enfin le statut reconnaît la silicose comme maladie professionnelle. La sécurité sociale minière, le régime des retraites et des accidents forment un ensemble autonome par rapport à la Sécurité sociale, reconnu par le statut, qui se présente donc comme une véritable charte de l'activité professionnelle des mineurs garantie par la loi". In: TREMPE. (1989). Op. cit. p. 239. 21. Loi du 2 ao–t 1945. Sur le problème de la silicose, voir DEBOIS, Evelyne. "La silicose: un malheureux concours de circonstances". In: DEBOIS, Evelyne et alii. Op. cit. pp. 137 à 149. 22. "Tout d'abord, qu'entendait-on par intérêt national? Il s'agissait, comme le disent et le redisent Paul Ramadier et le service des Mines, de sauvegarder 'l'équilibre financier et monétaire de la France', dans lequel le marché charbonnier joue un rôle essentiel. (...). Pour maîtriser l'inflation, pour alimenter au meilleur compte nos industries qui ont besoin de charbon à bas prix, il faut non seulement intensifier la production, mais limiter les prix de vente; donc freiner la hausse des prix de revient... Quand on sait la place occupée par les salaires dans la formation des prix de revient et de vente du charbon, l'on voit tout de suite que ceux qui étaient intéressés au premier chef par la défense de l'intérêt général, et qui sont d'ailleurs les premiers sollicités, étaient bien les mineurs". In: TREMPE. (1989). Op. cit. p. 203. 23. "Pudeur ou maintien de l'anonymat: l'absence de représentation du corps du mineur, sa réduction à une paire de mains robustes et viriles, contribuent à asseoir l'idée du combattant anonyme et pourtant déterminant, du soldat courageux mais humble, héroïque mais discret. L'ouvrier modèle, amoureux du travail bien fait et confiant dans la justice sociale que garantit la nationalisation. Journaux et radios reprennent quotidiennement et plusieurs fois par jour l'ensemble des slogans évoqués. Des brochures d'information sur la nationalisation sont distribuées à tout le personnel à la paye du 10 septembre". JEANNEAU, Yves. "Les murs de l'histoire. L'imagerie de la bataille du charbon". In: DEBOIS, Evelyne et alii. Op. cit. p. 69. 24. Ibidem. pp. 2 à 5 et 13. 25. Ibidem. p. 14. 26. JEANNEAU, Yves. "Les murs de l'histoire. L'imagerie de la bataille du charbon". In: Ibidem. p. 69. 27. Robert Lacoste, ministre de la Production industrielle, déclare en mai 1945: "Mineurs de France, on a besoin de vous pour que vive la France". 28. MATTEI, Bruno. "Introduction". In: MALVA, Costa. Ma nuit au jour le jour (Journal de 1937). Paris, François Maspéro, 1978. p. 23. 29. En plus: "La plupart des ingénieurs ne la quitteront qu'après les grandes grèves de 1948, où les tâches de sécurité et de sauvegarde de l'outil de travail, ne furent plus assurées, pour la première fois, par les gueules noires." In: FLECHON. Op. cit. Tome II. p. 196. 30. TABLEAU: PRODUCTION DE CHARBON SUR LE BASSIN CEVENOL. Année Production B.C.- Houille 1939 655.813 tonnes 1942 1.037.374 tonnes 1944 703 202 tonnes 1945 788 425 tonnes 1946 1.011 863 tonnes Source: TURPIN. Op. cit. p. 12. 31. FLECHON. Op. cit. Tome II. p. 207. 32. "On approfondit certains puits comme le Gouffre-de-Castelnau et la Fontaine, en même temps que débute le creusement d'un nouveau puits à Laval, précédant de peu la mise en exploitation du puits Ricard". In: DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 57. 33. Le Statut du mineur fixait les conditions d'embauche, de licenciement, de durée du travail et de rémunérations. Pour ce qui est des rémunérations, le salaire sera journalier jusqu'en 1975, où la mensualisation sera appliquée. Le salaire, selon le Statut du mineur, est à la tâche: "Les prix de tâche seront fixés de telle sorte que l'ouvrier mineur qualifié de robustesse normale fournissant un bon travail puisse gagner un salaire de 60% plus élevé que le salaire minimum. Le même ouvrier fournissant un travail moyen gagnera un salaire de 20% plus élevé que le salaire minimum. Les primes se rattachant au salaire de base sont nombreuses. On trouve des primes mensuelles (de rendement, de fonction, de situation, de panier, de poste, une majoration par ancienneté, le complément de salaire à la tâche), des primes semestrielles (de résultat, correspondant à un 13ème et 14ème mois) et des primes annuelles (de production et de SainteBarbe au mois de décembre). Cf: FAVEDE. Op. cit. p. 62. 34. "Ce sont en l'occurrence les bons et loyaux services que rendront pendant trois ans le PCF et la CGT, dont l'influence et le prestige sur les mineurs sont très importants au sortir de la guerre. (...) Au-delà des antagonismes politiques, la convergence est à peu près totale entre le programme du C.N.R. qui porte la marque du PCF et le plan Monnet d'inspiration anglo-américaine. Tous deux concluent à la nécessité de moderniser et de ré-équiper rapidement l'industrie dans un environnement où la marchandise est appelée plus que jamais à être une 'monnaie' sur le marché mondial. La production industrielle ne s'envisage qu'en termes de bataille économique. D'où la fascination pour des structures et des méthodes de production très disciplinarisées (...)". Cf: MATTEI, Bruno. "Après la guerre... la bataille". In: DEBOIS, Evelyne et alii. Op. cit. pp. 20 et 21. 35. Cf: PACZKOWSKI et VIELZEUF. Op. cit. p. 205. 36. André Stil dans son roman parle de concours du "plus beau bébé". Il raconte la "Bataille du Charbon" dans le Chapitre XI intitulé "La Taille qui Chante". In: STIL, André. Les berlines fleuries. (Roman). Paris, Hachette, 1981. p. 131 à 146. 37. Campagne lancée au Nord-Pas-de-Calais, afin de produire "100.000 tonnes" en 1945 et "120.000 tonnes" en 1946. 38. Ou encore: "Elle ne remet pas du tout en cause l'idéologie du 'risque professionnel' qui est le fondement des anciennes caisses de secours minier et de la loi sur les accidents du travail votée en 1898. Elle pousse aussi loin que possible le dispositif social et juridique qui permet d'envisager l'accident ou la maladie sous l'angle de ses conséquences et, très secondairement, sous celui de ses causes (...)". In: DEBOIS, Evelyne et alii. Op. cit. p. 51. 39. PINÇON. Op. cit. p. 58. 40. "Produire, faire du charbon, c'est la forme la plus élevée de votre devoir de classe, de votre devoir de Français", déclare le secrétaire général du Parti communiste, Maurice Thorez, le 22 juillet 1945, en condamnant les mouvements de grève. De plus, en ce qui concerne la publicité et la propagande qui ont produit l'image du mineur en tant que héros du travail et de la société, nous nous référons au texte de JEANNEAU, Yves. "Les murs de l'histoire; l'imagerie de la Bataille du Charbon". In: DESBOIS, Evelyne et alii. Op. cit. pp. 58 à 81. 41. MATTEI, Bruno. "Portrait du mineur en héros". In: DEBOIS, Evelyne et alii. Op. cit. p. 91. 42. Sur le système Bedaux voir: DEBOIS, Evelyne. "Des ingénieurs perdus. Le procès de l'exercice du métier d'ingénieur dans les mines sous l'occupation". In: DEBOIS, Evelyne et alii. Op. cit. pp. 108 à 112. 43. "(...) 20%, un taux d'absentéisme qui ne peut être négligé par les gestionnaires et comptables de la bataille de la production". In: JEANNEAU, Yves. "Les murs de l'histoire; l'imagerie de la Bataille du Charbon". In: DESBOIS, Evelyne et alii. Op. cit. p. 58. 44. Sous la IVe République (Vincent Auriol, socialiste, est élu président de la IVe République le 16 janvier 1947, le gouvernement est présidé par le socialiste Ramadier): "Le socialiste Paul Ramadier forme un gouvernement qui poursuit le tripartisme, associant communistes, socialistes, républicains populaires. Mais, lorsque les communistes s'opposent à la politique des salaires du gouvernement, le président du Conseil, usant des pouvoirs que la Constitution lui donne, révoque les ministres communistes par le décret du 5 mai 1947. Ils espèrent d'abord revenir au pouvoir, mais l'entrée dans la guerre froide et la pression de Moscou conduisent à l'automne de 1947 le Parti communiste à une opposition radicale au régime (...)." In: CARPENTIER, Jean et LEBRUN, François (sous la direction de). Histoire de France. Paris, Seuil, 1987. p. 347 et 348. "La CGT éclate alors en deux: la majorité, contrôlée par les communistes, reste à la CGT, tandis qu'avec L. Jouhaux, la minorité fonde la CGT-Force ouvrière." In: PROST. (1979). Op. cit. p. 61. 45. A ce sujet voir plus loin le chapitre 10: "Le prélude de la crise". 46. "En dirigeant ces mouvements, en criant au dévoiement de la nationalisation, la CGT et le PCF vont canaliser à leur profit les espérances déçues et trahies de la bataille du charbon, dont ils furent pourtant les maîtres d'oeuvre". In: MATTEI, Bruno. "Après la guerre... la bataille (1945-1947). In: DEBOIS, Evelyne et alii. Op. cit. p. 55. Voir aussi: TREMPE. (1989). Op. cit. Conclusion. 47. DEBOIS, Evelyne et alii. Op cit. p. 182. 48. Voir Annexe 19. 49. Cf. DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. Chapitre III: "L'Adieu au Charbon". p. 74. 50. FLECHON. Op. cit. Tome II. pp. 199 et 277. 51. DEBOIS et alii. Op. cit. Conclusion. p. 183. 52. "(...) qui ne tenterait de dénier l'exploitation et la domination que pour mieux en assurer les conditions d'exercice, et celle de la collaboration de classe des fractions les moins éclairées du prolétariat". In: PINÇON. Op. cit. p. 58. 53. LIVET. Op. cit. p. 36. 54. Selon, CARRIERE, P. "Les industries cévenoles aujourd'hui". In: JOUTARD, Ph. (sous la direction de). Op. cit. Chapitre 8. pp. 301 et 302. 55. Ibidem. 56. "La mise en place de l'O.N.I. témoignait également du souci de contrôler les entrées en retirant au patronat le monopole des recrutements qu'il détenait jusque-là". In: GASPARD, Françoise et SERVAN-SCHREIBER, Claude. La fin des immigrés. Paris, Seuil, 1985. p. 18. (1e édition, Paris, Seuil, 1984). 57. Cf. JOUTARD, Ph. "La Cévenne en difficulté (du milieu du XIXe à nos jours)". In: JOUTARD. (sous la direction de). Op. cit. p. 285. 58. FAVEDE. Op. cit. 59. LEFEBVRE. (1968). Op. cit. p. 62. 60. Ibidem. p. 28. 61. Ibidem. p. 64. 62. Statut du Mineur (extrait). Logement - Article 23: a) Les membres du personnel, chefs ou soutiens de famille, sont logés gratuitement par l'entreprise, ou à défaut, perçoivent de celle-ci une indemnité mensuelle de logement; b) les autres membres du personnel peuvent percevoir également une indemnité mensuelle de logement; c) les montants et conditions d'attribution de ces avantages sont fixés, par exploitation ou groupe d'exploitations, par arrêtés du ministre chargé des Mines et du ministre des Finances et des Affaires économiques; d) les anciens membres du personnel et les veuves, bénéficiaires de prestations à la charge de la Caisse autonome nationale de sécurité sociale dans les mines au titre des risques vieillesse, invalidité et décès (pensions de survivants) ou titulaires de rentes prévues par la législation générale sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, peuvent recevoir des prestations de logement, en nature ou en espèces, dont les montants et les conditions d'attribution sont fixés par arrêtés du ministre chargé des Mines et du ministre des Finances et des Affaires économiques. In: JEANNEAU, Yves. "Le logement et son mineur". In: DEBOIS, Evelyne et alii. Op. cit. p. 162. 63. Ibidem. p. 159. 64. La nouvelle forme de gestion des logements (administrés par les Services des Domaines des H.B.C.) va permettre d'importantes mesures de progrès social quant à la qualité de vie domestique des mineurs: construction de nouvelles habitations, amélioration de celles déjà existantes et garantie de logement gratuit jusqu'à la mort. 65. Et dans l'ensemble du parc immobilier (Champclauson et La Levade inclus) au fil des années et au fur et à mesure de la demande des locataires. 66. Cf: DUCKERT ET LARGUIER. Op. cit. p. 106. 67. "Elles se caractérisent par une association étroite entre le logement et le travail social. (...) Ce programme se développe progressivement au début des années soixante en France avec l'arrivée massive de travailleurs immigrés. L'insistance sur leur ignorance du mode d'habitat permet de justifier une action d'intégration qui prend le logement comme dispositif éducatif". Cf: GROUPE D'ETUDE ET DE RECHERCHE SUR LE TRAVAIL ET L'URBAIN. Politique française en faveur des mal-loges. (1945-1985). Grenoble, Ministère de L'équipement, du logement, de l'aménagement du territoire et des transports. AILSA - 1987. p. 154. Sur les cités de transit, voir entre autres: A) MOUREAU DE BELLAING, Louis. La misère blanche. Les modes de vie des exclus. Paris, L'Harmattan, 1988. 167 p. B) PETONNET, Colette. Ces gens-là. Paris, François Maspéro, 1968. 253 p. C) PETONNET. (1979). Op. cit. D) PETONNET, Colette. Espaces habités, Ethnologie des banlieues. Paris, Galilée, 1982. 175 p. 68. "Jusqu'en 1956, le hameau de L'Habitarelle ne regroupait que quelques gros mas vétustes. Depuis cette date ont été construites par les Houillères du Bassin des Cévennes une cité ouvrière et une chapelle. Dans l'immeuble réservé aux Nord-Africains, une vaste pièce a été aménagée en mosquée pour les musulmans pratiquants". In: PACZKOWSKI et VIELZEUF. Op. cit. p. 61. 69. "Au lendemain de la Libération, les Houillères du Bassin des Cévennes élaborèrent un programme d'habitations modernes, d'accès facile, tout en étant en dehors du lieu de travail, pour éviter les nuisances (poussière, fumée, bruit). Dans le Groupe Centre - l'ancienne compagnie des Mines de La Grand'Combe - on édifia la remarquable cité de l'Impostaire: des villas confortables, de deux ou quatre logements, entourées de jardinets, ayant belle allure". In: PACZKOWSKI et VIELZEUF. Op. cit. p. 140. 70. Article de Raymond Aubaret, "Le Charbon: aperçu historique du bassin houiller des Cévennes". In: Journal Le Petit Cévenol. Designé pour l'insertion des annonces legales et judiciaires pou le Département du Gard. Hebdo. Alès, du 24 Septembre 1983. 71. Construites sur un terrain décliné 7 à 8 m en moyenne, (desservis par un système de coursives et d'emmarchement), "le plan de chaque logement est identique, à savoir 4 pièces carrées de 11 mý environ. La première pièce par où l'on entre est la cuisine avec son point d'eau, elle commande 1 chambre et le séjour qui lui-même commande la deuxième chambre". Cf. MARIETTE. Op. cit. p. 48. 72. NOIRIEL. (1988). Op. cit. p. 177. 73. Selon MARIETTE, en 1979 cette population se compose ainsi: Enfants non scolarisés (- de 2 ans) 4 Enfants scolarisés (2 à 6 ans) 7 Enfants scolarisés (de 6 à 12 ans) 25 Enfants de 12 à 18 ans scolarisés à La G-Combe ou Alès 25 Adultes actifs ou inactifs confondus et formant pour l'essentiel des couples de 19 à 50 ans 73 Adultes de plus de 50 ans et retraités 22 Nous suivons ici l'étude faite par MARIETTE. Op. cit. p. 50. 74. Expression de notre interviewé, l'historien M. Wiénin. 75. Les H.L.M. trouvent leur origine dans la loi du 3 septembre 1947, qui concernait alors les habitations à bon marché. En 1951, est mise en place un programme d'H.L.M. à normes réduites, remplacé en 1952 par celui des logements économiques normalisés. "Cette différenciation de deux catégories d'H.L.M. inaugure une politique qui ira en se développant au cours du temps au fur et à mesure qu'il apparaîtra de plus en plus difficile de faire face aux besoins de logement des catégories les plus défavorisées. Cette différenciation s'accompagne d'une détérioration de la valeur d'usage des logements qui aura tendance à s'aligner sur la catégorie la plus basse". Cf: GROUPE D'ETUDE ET DE RECHERCHE SUR LE TRAVAIL ET L'URBAIN. Politique Française en Faveur des Mal-Logés. (1945-1985). Grenoble, Ministère de L'équipement, du Logement, de l'aménagement du territoire et des transports. A.I.L.S.A. -1987. p. 125. Voir aussi p. 296. Cette politique concerne des logements sociaux financés par l'Etat dans des zones à urbaniser en priorité (Z.U.P.). "Les logements H.L.M. sont construits exclusivement par les organismes d'habitations à loyer modéré. Ils doivent répondre à des normes techniques, avoir un prix de revient défini et sont réservés aux familles dont les ressources ne dépassent pas un certain plafond". HEYMANN-DOAT, Arlette. "La Politique Publique du Logement en France". In: HEYMANN-DOAT, Arlette (Etudes coordonnées par). L'Etat et le logement. Histoire Comparée des Techniques Juridiques. Paris, L'Arbre Verdoyant Editeur, 1987. p. 113 à 127. 76. FAVEDE. Op. cit. pp. 69 et 70. 77. Rapport. Etude de Développement de La Grand-Combe. Mairie de La Grand-Combe. BETURE. 1987. p. 6. 78. "L'ensemble du parc est composé de moyens logements, une majorité de F3 et F4. Les grands logements (F5 et F6) - moins de 10% - sont concentrés sur la cité de Trescol (...). On ne compte aucun F1 et seulement une minorité de F2 (20 sur 913)". Rapport. Etude de Développement de La Grand-Combe. Mairie de La Grand-Combe. BETURE. 1987. p. 6. 79. DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 96. 80. "Ce phénomène n'est pas lié au prix de location, qui ne varie pas d'un bloc à l'autre, mais plutôt à la taille moyenne des logements". In: DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 96. 81. Selon le GROUPE D'ETUDE ET DE RECHERCHE SUR LE TRAVAIL ET L'URBAIN. Op. cit. p 153. En outre: "Contre cet état de fait, le seul 'territoire' sur lequel l'immigré peut se retrancher, c'est l'affirmation de sa spécificité, ce sont tous les traits d'une civilisation archaïque que la nôtre ne peut supporter car elle lui renvoie ses manques en reflet. L'égorgement du mouton dans le H.L.M. est l'image de l'affirmation, de la revendication d'être de l'immigré, de même que le Coran, la famille élargie qui appelle au niveau de l'habitat l'élargissement de l'espace du logement absolument contradictoire avec les normes actuelles du code de bâtir". In: AUFFRAY, Danièle, COLLIN, Michèle, BAUDOUIN, Thierry, GUILLERM, Alain. La Grève et la Ville. Paris, Christian Bourgois Editeur, 1979. p. 20. Voir à ce sujet, également, les études d'"ethnologie des banlieues" suivantes: PETONNET. (1968). Op. cit. 253 p., (1979). Op. cit. 26O p., (1982). Op. cit. 175 p. 82. A l'exemple de Noiriel, "ce terme équivoque désigne le processus global des mutations économiques, technologiques et sociales auxquelles la société occidentale est aujourd'hui confrontée". Cf: NOIRIEL. (1986). Op. cit. p. 284. note 1 du chapitre 7. 83. Cela n'est pas un phénomène isolé et limité à La Grand-Combe. La Cour des Comptes fait une enquête en octobre 1955, au niveau national, qui "confirme l'évincement des ouvriers du secteur H.L.M. Les catégories les plus avantagées dans l'attribution des H.L.M. sont les professions libérales, les cadres supérieurs, les cadres moyens et les employés. Les ouvriers ne viennent qu'en dernière position". Cf: GROUPE D'ETUDE ET DE RECHERCHE SUR LE TRAVAIL ET L'URBAIN. Op. cit. p 145. 84. L'Ecole de Formation pour les maîtres-mineurs devient l'Ecole nationale des ingénieurs des Mines d'Alès. 85. A Saint-Etienne, à Paris, etc., ils se retrouvent avec les anciens collègues dans les Amicales des Ingénieurs de l'Ecole de Mines. 86. Pour reprendre le titre du livre de Noiriel. In: NOIRIEL. (1988). Op. cit. 87. Evidemment, les raisons pour lesquelles l'immigration de cette époque est attirée par l'intégration dans la société française méritent une analyse beaucoup plus sérieuse. Hélas, les limites des nos propos ne nous permettent pas de nous étendre là-dessus. Voyons par exemple l'analyse de Gaspard et ServanSchreiber: "Après un premier flux d'hommes intimement liés au pays, et demeurant dans leur âme et leur mentalité des ruraux dont l'ambition est de réintégrer un jour leur village, une seconde vague apparaît, une nouvelle génération, aux aspirations différentes. (...). La dévalorisation de l'image du paysan dans des sociétés en pleine mutation économique, le sousdéveloppement et la conscience qu'on en a grâce aux progrès des communications, l'ouverture du Tiers-Monde sur le monde développé, le fait que ce dernier soit regardé avec fascination, l'explosion démographique, constituent autant de facteurs qui poussent au départ. Ceux qui s'en vont ne se considèrent plus comme étant en 'mission' pour améliorer le sort des leurs: ils partent tenter leur chance personnelle ailleurs et ne se sentent plus, comme leur prédécesseurs, au service de la communauté restée au pays. Sans doute, des liens, souvent forts, sont-ils maintenus avec celle-ci, et les émigrés continuent-ils d'aider matériellement leur famille. Mais ils vivent leur exil comme une fuite vers un monde meilleur, parfois même une terre promise. L'émigré espère réussir, s'enrichir. Son but ultime reste le retour, mais dans des conditions qui lui permettront d'apporter aux siens, à son entourage, la preuve d'une réussite sociale. L'itinéraire n'a plus le même caractère. Plus individualiste, il prend plus aisément et plus rapidement un caractère familial". In: GASPARD et SERVAN-SCHREIBER. Op. cit. p. 30. 88. Cette situation "d'ordre" (conflit latent et contrôlé) tend à dégringoler au fur et à mesure que le marché du travail s'étrangle, et ce sont les enfants d'immigrants (les beurs) qui seront les plus exposés à la xénophobie générale et au racisme quotidien. 89. Cf. FAVEDE. Op. cit. p. 50. 90. Les rapports de voisinage étant marqués par un développement des réseaux à mailles relativement serrées dans les termes de BOTT. Op. cit. 91. "L'Association des familles nombreuses (...) s'était donné comme objectif de défendre une politique familiale, le rôle social de la mère de famille, les enfants, il fallait aussi penser à l'évolution rapide des progrès techniques, dans une société en permanente mutation". Cf. Article de A.D: "La Grand-Combe Samedi à la Salle Louis-Aragon. L'association Cantonale des Familles Nombreuses a tenu sa 44e Assemblée Générale". In: Journal Le Pays Cévenol et Cévennes. D'Alès - La Grand'Combe à Florac. Hebdomadaire Régional d'Informations d'Annonces Légales et Judiciaires agréé pour l'ensemble du département du Gard. Le 20 Avril 1991. p. 7. 92. Pour utiliser une formule de Bourdieu, c'est encore et toujours l'activité minière qui choisissait ces travailleurs et non le contraire. BOURDIEU, Pierre. Algérie 60. Structures économiques et structures temporelles. Paris, De Minuit, 1977. p. 49. 93. Noiriel observe: "Les années cinquante sont aussi la grande époque du 'réalisme socialiste' qui offre une nouvelle version du fantasme ouvrier combinant populisme et misérabilisme. Le mineur devient ainsi tout à la fois le prototype de l'homme nouveau, haute figure du prolétariat, belle et noble, et le symbole des stigmates de la condition ouvrière: mains arrachées, corps meurtris, silicosés". In: NOIRIEL. (1986). Op. cit. p. 208. 94. "En effet, la modernisation du matériel du fond, et la concentration croissante des travaux, qui en était la conséquence, l'évolution des méthodes d'exploitation avec haveuses, rabots, convoyeurs blindés, étançons métalliques remplaçant le bois, l'usage étendu de l'électricité, exigeaient de la formation électro-mécanique de base". In: FLECHON. Op. cit. Tome II. p. 242. 95. Pour une analyse qui met en rapport une classe ouvrière qualifiée, stable et une classe ouvrière instable et déqualifiée dans le contexte national, voir: VERRET, Michel. Le travail ouvrier. Paris, Armand Colin, 1982. Chapitre IV. 96. "C'est sa condition tout entière qui subit un relèvement. Un spécialiste est considéré et payé, mieux payé que l'employé, parfois même que l'ingénieur. Les propagandes communistes et syndicales ont certainement contribué à lui révéler son importance sociale et économique. Il sait qui il est, une sorte de seigneur du travail, un travail qui n'est plus un automatisme inintelligent, mais une technique qui exige des connaissances au moins empiriques de science appliquée. (...). Il a conscience de pouvoir accéder à un certain nombre de privilèges bourgeois: l'aisance, le confort, l'instruction, mais sans sortir de sa condition, de sa condition ouvrière; un condition puissante, puisqu'elle lui permet désormais de peser sur les décisions de l'Etat". In: ARIES. (1971). Op. cit. p. 164. Cité également par NOIRIEL. (1986). Op. cit. pp. 202 et 203. 97. "Le gigantesque développement des sciences et des techniques après la Seconde Guerre mondiale, l'extension des services collectifs (école, santé, culture) et de l'administration publique et privée, provoquent dans ces deux décennies un accroissement massif des 'nouvelles classe moyennes': les professions libérales et les cadres supérieurs voient leur effectif multiplié par 3, les cadres moyens par 2,5, les employés par 1,8." In: NOIRIEL. (1986). Op. cit. p. 211. 98. "Avec la scolarisation de masse, les représentations de l'avenir, auparavant bornées par les limites de la classe, se modifient. Et en même temps que l'on proclame 'l'amour du travail', on se mobilise, toutes forces familiales confondues, pour que les enfants 'n'aient pas la vie qu'on a eue'. Mais l'expérience persistante de l'école, en retardant notamment l'entrée dans la vie active, c'est-à-dire en prolongeant la période 'd'irresponsabilité sociale' de l'enfance, contribue à la constitution d'une 'jeunesse ouvrière'; catégorie auparavant réservée aux classes aisées. (...) ". Ibidem. p. 226. 99. Michel travail comme garçon dans les restaurants touristiques, surtout aux époques de haute demande. 100. A ce sujet voir: A) PROST, Antoine. L'enseignement en France de 1800 à 1967. Paris, Armand Colin, 1968. B) PONTEIL, F. Histoire de l'enseignement 1789-1965. Paris, Sirey, 1966. Livre III: "Vers la démocratisation de l'enseignement 1871-1964". p. 280 à 400. C) LEON, Antoine. Histoire de L'enseignement en France. Paris, PUF, 1990. 128 p. (1e édition: 1967). 101. "En fait, le développement de l'instruction a répondu à une demande sociale. L'instruction semblait aux Français la clef de la promotion sociale. La démocratisation et l'égalité des chances ont été prises au sérieux: on croyait que l'instruction permettrait à tous d'accéder aux emplois supérieurs. Ce désir des Français a suscité un effort budgétaire sans précédent, puisque les dépenses d'instruction, qui représentaient 7% des dépenses de l'Etat au début des années 1950, atteignent 17% vers 1967 et se maintiennent à ce niveau". In: PROST. (1979). Op. cit. p. 88. 102. Expression du curé local. 103. SUGIER. (1985). Op. cit. 155 p., (1990). Op. cit. 104. Il fallait ici faire allusion au mouvement J.C.C. Flechon se réfère dans son manuscrit à un prêtre ouvrier à La Grand-Combe vers les années 1950. Cf: FLECHON. Op. cit. Tome II. p. 268. 105. Depuis 1951, ils peuvent aussi bénéficier de bourses accordées aux enfants, selon la loi du 21 septembre 1951. 106. "En raison de l'insuffisance des moyens scolaires d'initiation technique, l'Etat est conduit à se pencher sur le sort de la main-d'oeuvre juvénile. Il intervient, soit pour améliorer les conditions générales du travail, soit pour garantir un minimum de formation aux jeunes ouvriers". Selon, LEON. Op. cit. pp. 99 et 111. 107. "Le préambule de la Constitution de 1946, confirmé dans ses grandes lignes par celui de la Constitution de 1958, exprime en ces termes la volonté de réaliser une véritable éducation nationale: La nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L'organisation de l'enseignement public, gratuit et laïque à tous les degrés, est un devoir de l'Etat." Ibidem. p. 106. 108. Il échappe à notre propos de relever les nombreux enjeux et forces qui définissent les rapports politiques et situent les groupes sociaux par rapport au pouvoir. Les données de ce chapitre ont été fournies par MM.: M. André MICHEL, correspondant de presse pour le Journal Régional Midi Libre pour la région de La Grand-Combe; M. Fabrice SUGIER, Docteur en Histoire, auteur des thèses (Maîtrise et Doctorat) sur l'histoire du mouvement ouvrier dans le Bassin d'Alès; M. Michel WIENIN, Chercheur en Histoire Industrielle au Centre Culturel Scientifique et Technique (C.C.S.T) d'Alès (Gard). Nous les remercions d'avoir promptement collaboré avec leurs informations à la confection de ce chapitre. 109. Cf. Lettre de Fabrice SUGIER. Privas le 3 avril 1991. 110. A cette date, eurent lieu les élections au suffrage proportionnel intégral décidé par le général, chef du gouvernement. Treize M.R.P., neuf communistes, cinq socialistes. A la tête de la commune, M. Soustelle secondé par MM. Castor et Hermet, adjoints municipaux. Selon le Journal Le Pays Cévenol et Cévennes. D'Alès - La Grand'Combe à Florac. Hebdomadaire Régional d'Informations d'Annonces Légales et Judiciaires agréé pour l'ensemble du département du Gard. Le 3 Ao–t 1991. M.1. (Article: "A Trescol des Lecteurs désirent savoir"). p. 6. 111. Cf. Lettre de Fabrice SUGIER. Privas, le 3 avril 1991. 112. Informations de M. André MICHEL. Avril 1991. 113. "Il n'est pas facile d'analyser la mentalité politique de La Grand-Combe. Ce qui explique la victoire des socialistes depuis 1935, c'est leur alliance avec le M.R.P. (Mouvement républicain populaire constitué en 1944). Alliance délicate, sinon au point de vue économique et social, du moins sur le plan idéologique. Il est difficile en effet de concilier les principes catholiques du M.R.P. promoteur de la liberté de l'enseignement, avec les sentiments traditionnellement laïques de la S.F.I.O. Mais c'est cette alliance qui permet aux socialistes, en ralliant l'électorat de droite, de remporter les élections. Elle rencontre l'adhésion des électeurs des deux tendances en fondant sa propagande sur l'impérieuse nécessité de faire échec au communisme" (...). "Si pour l'ouvrier toute adhésion à une droite très conservatrice sur le plan social lui semble maintenant une trahison, il ne verra aucun inconvénient à donner son suffrage à un parti bourgeois, mais 'populaire' et conforme à son idéologie catholique. Si le facteur idéologique l'emporte sur sa conscience d'appartenir au prolétariat, l'ouvrier vote M.R.P. Il votera socialiste ou communiste dans le cas contraire. Mais à La Grand-Combe, les laïques de la S.F.I.O. et les catholiques du M.R.P. communient dans la même peur du communisme pour lequel votent les ouvriers d'Alès, par exemple. Car l'emprise catholique reste très forte à La Grand'Combe à cause d'un siècle de domination, même si les écoles privées n'ont plus le rôle idéologique d'antan... ". In: FAVEDE. Op. cit. p. 84. 114. Ibidem. p. 87. 115. Ibidem. p. 87. 116. Pour paraphraser Segalen. In: SEGALEN. (1990). Op. cit. p. 123. 117. Cf. Lettre de Fabrice SUGIER. Privas le 3 avril 1991. 118. C'est le cas de La Grand-Combe et St-Jean-de-Valériscle, sièges d'exploitation de la Cie. de La Grand-Combe et de Bessèges, Robiac et Moliéres, pour la Cie. de Bessèges. Déjà à Alès ainsi que dans les villes où les Compagnies ont développé une politique paternaliste moins forte, où leur poids social a été moins écrasant (à la Vernarède, à St.-Martin-de-Valgalgnes) et même dans la voisinage de La Grand-Combe où la puissance de la Cie. a été forcément moins absolue, la domination communiste ne s'est jamais démentie à Salles-du-Gardon et à Branoux-les-Taillades, où les municipalités sont à dominante communiste, par exemple. 119. Cf. Lettre de Fabrice SUGIER. Privas le 3 avril 1991. 120. Ibidem. 121. Expression de OZOUF, Mona. La fête révolutionnaire. 1789-1799. Paris, Gallimard, 1976. pp. 21 et 22. 122. Les moyens de transport étant aussi plus développés, la communication avec les villes voisines plus importantes s'intensifie. La construction d'une nouvelle route, par exemple, permettra un déplacement rapide jusqu'à Alès (10 minutes en voiture), la ville qui présente alors le dynamisme urbain de plus grande envergure dans la région. 123. BROMBERGER; CENTLIVRES; COLLOMB. "Entre le local et le global: les figures de l'identité". In: SEGALEN (présenté par). (1989). Op. cit. p. 140. 124. "Comme un lieu où peuvent se mettre en forme et se reproduire ces mémoires collectives qui structurent et nourissent l'affirmation identitaire et les pratiques qui la symbolisent". L'identité ici, "privilégie les processus à l'oeuvre dans la production historique et l'affirmation contextuelle des identités, à l'intérieur des cadres culturels contraignants ou structurants que sont les habitus, et les mémoires - individuelles et existentielles, ou collectives et mythiques". Ibidem. p. 141. 125. "En effet, le lieu auquel un individu se rattache est l'une des spécificités sociales qui le définissent, parmi d'autres (le sexe, l'âge, la profession, le statut familial, etc.). On pourrait dire que l'identité locale est une relation entre l'individu et lui-même, médiatisée par le lieu ou la représentation du lieu. L'appartenance locale désigne non plus cette construction de soi mais la relation entre l'individu et un lieu; il se peut que cette relation d'appartenance soit médiatisée elle-même par une relation de co-appartenance avec d'autres individus: alors, le lieu n'est plus seulement un objet dans lequel se projette ou se reflète une partie de 'soi'; il devient la représentation spatiale d'un groupe d'appartenance". In: WEBER. (1989). Op. cit. p. 183. 126. "A l'image du national, le régional est un raccourci de la réalité, une catégorie qui permet de classer les gens et les espaces et, par conséquent, une façon de délimiter des frontières et d'établir des limites. Le régional constitue un point de référence de base autour duquel se rassemblent des identités et des idéologies. L'identité est une construction sociale formulée à partir de différences réelles ou inventées fonctionnant en tant que signes diacritiques, c'est-à-dire des lignes qui confèrent une marque de distinction. C'est dans ce sens que Lévi-Strauss a affirmé: '(...) l'identité est une sorte de foyer virtuel auquel il nous est indispensable de nous référer pour expliquer un certain nombre de choses, mais sans qu'il ait jamais d'existence réelle' (Claude LéviStrauss, conclusion du séminaire sur l'Identité - 1974-1975 - Paris, Grasset, p. 331 et 332.)". In: OLIVEN, Ruben. A atualidade da questão regional. UFRGS. Porto Alegre, Brasil. 1985. p. 9. Manuscrito. (Traduction de G. le Clerc). 127. D'ailleurs, si la majorité travaille sur sa propre commune, il n'est pas exceptionnel d'aller travailler dans des puits appartenant à une commune voisine. Dans ce dernier cas, le déplacement sera facilité par des cars et autres moyens de transport que subventionnent les Houillères. 128. Emblématique identitaire comme un "système de signes, un ensemble de pratiques et de valeurs survalorisés par une collectivité". (...) "Au travers de l'expression emblématique des identités serait alors à l'oeuvre, ainsi que le propose Jean Camy (A propos de joutes et du rock givordins: emblèmes, symboles et identité), 'un travail social de qualification des pratiques, passant par une négociation autour des valeurs dont les acteurs sont porteurs'. On déboucherait dès lors sur une interprétation polémologique de l'identité, qui considérerait l'emblématique comme un lieu crucial où se jouent les luttes pour accorder ou refuser aux acteurs sociaux la légitimité de dire l'identification". Nous suivons et citons ici: BROMBERGER; CENTLIVRES; COLLOMB. "Entre le local et le global: les figures de l'identité". In: SEGALEN (présenté par). (1989). Op. cit. pp. 142 et 143. 129. A ce sujet, voir: A) ORTIZ, Renato. Cultura brasileira & Identidade nacional. São Paulo, Brasiliense, 1985. B) BERGER, Peter I. et LUCKMANN, Thomas. A construção social da realidade. 5e ed. Petrópolis, Vozes, 1983. (1e édition: The Social Construction of Reality. London, Doubleday & Company, INc. 1966). 130. "Il paraît peu significatif de faire un rapprochement entre le contenu sociologique des Houillères où effectivement la CGT était prééminente et l'électorat grand-combien. Le personnel des Houillères comprenant à l'époque considérée des habitants de toutes les communes du canton. Notamment celles des Salles-du-Gardon et de Branoux-les-Taillades où les municipalités sont à dominante communiste depuis la Libération". Cf. A. MICHEL (Lettre, mars 1991). 131. "Il y aurait beaucoup à dire, je crois, sur l'amour du métier et la 'vocation' minière. Ceux-ci obéissent à la règle de toute vocation: l'imposition, c'est-à-dire à un ensemble, voire à un 'système de déterminants sociaux' (...) parmi lesquels il faut compter bien évidemment l'origine sociale, mais aussi l'hérédité, le rang dans la fratrie, le 'travail' de l'école, etc." In: LUCAS, Philippe. La rumeur minière ou le travail retravaillé. Paris, P.U. de Lyon, 1985. p. 68. 132. "Le régionalisme (ou le nationalisme) n'est qu'un cas particulier des luttes proprement symboliques dans lesquelles les agents sont engagés soit individuellement et à l'état dispersé, soit collectivement et à l'état organisé, et qui ont pour enjeu la conservation ou la transformation des rapports de forces symboliques et des profits corrélatifs, tant économiques que symboliques; ou, si l'on préfère, la conservation ou la transformation des lois de formation des prix matériels ou symboliques attachés aux manifestions symboliques (objectives ou intentionnelles) de l'identité sociale." In: BOURDIEU, Pierre. "L'identité et la représentation. éléments pour une réflexion critique sur l'idée de région". In: Revue Actes de la Recherche en Sciences Sociales. Op. cit. pp. 57,59 et 69. 133. "(...) Le mouvement occitan n'est ni seulement un mouvement de classe ni entièrement un mouvement national. Il est porté à la fois par le Midi rouge et par une conscience d'occitanité. (...) L'observation montre que les militants occitans définissent l'Occitanie qu'ils défendent en termes culturels, et l'adversaire qu'ils combattent à la fois comme l'Etat français et comme les grands intérêts marchands et industriels, toujours qualifiés d'étrangers, tandis qu'ils veulent échapper à leur situation d'assistés et conquérir une autonomie qui peut être entendue de manières très diverses. Ils défendent un passé, une culture qu'ils veulent transmettre; ils s'opposent aussi à la chute de leur économie; ils veulent acquérir la capacité de transformer leur société. Thèmes culturels, économiques et politiques se mêlent sans que leur intégration soit facile." In: TOURAINE, Alain; DUBET, François et alii. Les pays contre l'Etat. Luttes occitanes. Paris, Seuil, 1981. p. 17. De plus, sur le mouvement occitan, voir: Annexe 21. 134. Où s'engagent, par exemple, l'Institut d'Etudes Occitanes (IEO organisé dès 1945) et le Parti nationaliste occitan (PNO, créé en 1959 par François Fontan). 135. Professeur d'histoire moderne à l'Université de Provence. 136. Car ici, l'activité économique interfère avec l'origine religieuse. L'opposition entre le haut et le bas pays n'est pas seulement celle des huguenots et des papistes; c'est aussi la différence entre un monde resté agricole et qui s'enfonce lentement dans la mort et l'univers minier à l'histoire récente plus heurtée, traversée de crises économiques, de luttes sociales et dont le déclin est plus brutal." Selon JOUTARD, Philippe. "D'une version à l'autre". In: PELEN. (1987). Op. cit. p. 9. 137. Interview concédée à GARDES-MADRAY, Françoise et BRES, Jacques. Parole ouvrière. Autour de Ladrecht. Paris, Messidor/Editions sociales, 1986. p. 129. 138. PELEN. (1987). Op. cit. p. 175. 139. D'ailleurs, les Charbonnages de France s'efforcent de déplacer ("reconvertir") les éléments les plus agitateurs, c'est-à-dire les plus combatifs. 140. Voir Annexe 22: "La Grève de 1948". 141. Cf. FLECHON. Op. cit. Tome II. p. 231. En outre: Les grèves pour une augmentation de salaire se succéderont: "En 1947, un ouvrier gagne en moyenne journalière 'au fond' 755f et au jour 510f. En 1949 ces salaires sont respectivement de 1.057f et 736f. En 1950/51, les revendications sont également étayées par des grèves: le 1er mai 1951, le gain moyen d'un mineur est porté à 1.420f, celui d'un ouvrier de jour à 1.019f. Mais la hausse qui atteint à cette époque le co–t de certaines denrées alimentaires provoque un nouveau mécontentement et une reprise de l'agitation. En 1953, une nouvelle grève a pour but une revalorisation des salaires. En 1956, compte tenu des divers éléments, primes et indemnités, un mineur gagne en moyenne - par jour ouvrable - 1.855f, un ouvrier de jour 1.480f. Les salaires continueront à progresser par la suite d'une manière constante et avec un avantage salarial non négligeable lors de la mensualisation en 1975." In: FAVEDE. Op. cit. pp. 63 et 64. 142. Cf. DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. pp. 74 à 78. 143. Ibidem. 144. Selon Trempé, "Tel a bien été le rôle tenu par la nationalisation des mines, qui, par la concentration des exploitations et par l'unité de conception, a permis de moderniser l'industrie houillère. Le plan, mis en oeuvre à partir de 1946, donnera enfin à ce secteur la capacité de production dont les gouvernants et le service des Mines avaient rêvé depuis 1937". TREMPE. (1989). Op. cit. p. 263. 145. LAMORISSE. Op. cit. p. 344. 146. Ibidem. 147. MAEREL, Marie-Jo (responsable). Le mouvement ouvrier. 1815.1977. Paris, Montholon-Services, 1978. Collection CFDT/REFLEXION. p. 178. 148. Ibidem. p. 179. 149. DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 76. 150. LAMORISSE. Op. cit. p. 344. En plus: "Certes, l'entrée en service de la centrale thermoélectrique du FESC, près de La Grand-Combe, en 1953, a accru sensiblement la demande du charbon, mais la concurrence faite à cette énergie par les centrales hydrauliques aménagées au long tant du Rhône que des fleuves et rivières descendus du Massif Central décide les pouvoirs publics à ne pas développer davantage la production d'électricité d'origine thermique: dès lors, les charbonnages cévenols sont condamnés à cesser leur activité". CARRIERE, P. "Les industries cévenoles aujourd'hui". In: JOUTARD. (sous la direction de). Op. cit. Chapitre 8. pp. 303 et 304. 151. Cf. SCHWARTZ. Op. cit. p. 72. PARTIE IV "AU TEMPS DE LA RECESSION". (M. Volder): "C'était la récession, et alors là, ce n'était plus la même chose, parce que les mines ont été fermées et le pays minier a décliné". (Mme Volder): "C'était pas du tout pareil. Les mines ont été arrêtées et la population est allée ailleurs pour chercher du travail". (M. et Mme Volder. Mineur retraité et son épouse). CHAPITRE 1 APRES LE DEFI... LA DEFAITE. Dans les années cinquante, c'est le lent déclin de la production de charbon qui commence avec la liquidation des premiers puits(1). D'autres vont suivre le même chemin(2). Néanmoins, les H.B.C. connaissent un court moment de reprise économique, qui permet de maintenir les apparences et de situer la cause des quelques fermetures dans la modernisation nécessaire des systèmes d'exploitation. Dans les années 60, la concurrence d'autres sources d'énergie balaiera irrémédiablement le charbon (national) du marché. Il était de moins en moins autarcique. Les agents gouvernementaux parlent d'une ré-orientation de l'économie, d'une transformation du secteur de production, des nouveaux investissements de capitaux qu'appelle l'arrivée de nouvelles industries. "Ceci expliquait cela, et il ne servait à rien de vouloir remonter les heures à l'horloge du temps. Une nouvelle période venait de s'ouvrir, et il faudrait un jour le refus des livraisons des rois du pétrole, pour que l'on en vînt à s'interroger sur le bien-fondé d'une telle politique malthusienne".(3) Certes, les promesses de reconversion industrielle de la région faisaient la Une des programmes de la classe politique, mais on doutait toujours de ces "rumeurs" qui couraient au sujet de "la fin du charbon", alors que la France en avait encore besoin. Néanmoins, il était vrai que les Houillères des Cévennes supporteraient très mal la concurrence grandissante des autres sources d'énergie. Par exemple, au fur et a mesure qu'un nouveau système de chauffage domestique est proposé aux consommateurs, ceux-ci substituent le charbon par le fioul, par le gaz, par l'électricité, et cela signifie que les Houillères des Cévennes sont en train de perdre leur principal débouché, et elles perdront bientôt celui que représentent les centrales thermiques.(4) Cela voulait dire que les subventions destinées aux secteurs énergétiques de pointe augmentaient au détriment des houillères, qui verront leur budget diminuer et les signes d'une récession charbonnière apparaître de plus en plus au grand jour.(5) Les plans de restriction draconienne de la production de charbon se succèdent (plan Jeanneney en 1960, plan Bettencourt en 1968(6)). Certes, ces projets gouvernementaux visent le "progrès" de l'économie nationale, mais en délaissant des communautés comme celle de La Grand-Combe, dont le charbon constituait la richesse économique de base. Prélude de la crise, un reflux économique irréversible s'installe. A l'exemple d'autres villes minières, face à ces nouvelles données incontournables qui dévitalisent économiquement la région, La Grand-Combe voit sa principale industrie locale aborder une récession fatale dont les corollaires seront très durs pour la population minière. Elle ne se ressaisira plus après le déclenchement de la dépression économique. Si jusqu'à cette période les habitants grand-combiens se référaient à la vie quotidienne et à l'histoire vécue avec pour référence des "signes" externes et déterminants (institutions fortes) des pratiques sociales - "au temps de la Compagnie" (la Compagnie), "au temps de la nationalisation" (l'Etat et le syndicat) - ils se réfèrent désormais à l'insécurité du lendemain, à un "non-lieu" (à un vide de déterminant institutionnel économique) et identifient ce moment comme le point de non-retour dans une trajectoire de vie, dont la représentation du métier de mineur qui se perpétuait de père en fils est très forte. Les grandcombiens évoquent une situation de "crise"(7), vue comme une discontinuité dans la vie d'un groupe social remettant en cause l'organisation sociale d'une ville fondée sur une histoire économique et professionnelle qui avait produit une communauté de travail où les familles se sentaient assurées par la stabilité de l'emploi, par la politique d'assistanat et par le système des dispositions et des valeurs qui fondait le groupe de travail minier (solidarité, entraide, etc).(8) Un grand-combien déclare à la presse: "Trop de graves problèmes se posent journellement. Saura-t-on les résoudre où alors s'accoutumer au fait de vivre constamment dans l'insécurité. Ah certes, elle fut très longtemps noire, notre vallée, mais avec le charbon on y a aussi extrait de solides vertus, hélas! disparues la fraternité, l'honnêteté et la solidarité".(9) Certes, les "hachures du discontinu" ("durées discontinues"), on les verra toujours, mais cette rupture est si dramatique qu'on superpose la représentation d'un autre temps. Dans ce changement, la continuité est restituée par une autre ordonnance de temps: "au temps de la crise", "au temps de la récession". Le début du "temps de la crise" ressenti par la communauté des mineurs n'est pas déterminé avec précision dans l'esprit des personnes interviewées. Avec le recul, quelques-unes l'assimilent à la fermeture des premiers puits (dans les années 50). Néanmoins, elles reconnaissent aussi que, si à l'époque les "temps étaient difficile", ils croyaient que cela se devait à la "modernisation des mines", et elles croyaient à cette nécessité de moderniser les mines - une période de transition. Mais elles ne pensaient pas que la récession charbonnière deviendrait irréversible. Il était plut“t question de rumeurs et il est vrai, comme nous en reparlerons plus loin, que les promesses de reconversion économique de la région paraissaient à certains membres du groupe, et d'une manière générale, séduisantes pour l'avenir des jeunes. En effet, très souvent, les parents auraient aimé voir leurs enfants suivre une autre carrière que celle de mineur, un métier peu qualifié. Il faut ici se rendre compte que c'est, sans doute, toute une société qui fait face à une ère nouvelle, celle de la consommation de masse et du progrès (ou réussite) social. Il n'est pas négligeable qu'on aspire à ce que ces "temps de crise" soient ceux qui apporteront une diversification du marché de travail et la "modernisation" dans le mode de vie. De plus en plus, la formation scolaire et la formation technique, le travail dans des secteurs plus "modernes", devaient permettre l'accès à une place de "prestige" dans la structure et "l'armature mentale" de la société dans son ensemble, même si la "carrière" de la mine était encore, aux yeux des mineurs, la plus prestigieuse symboliquement parlant. La "promotion" devient de plus en plus récurrente au sens où elle apporte non seulement une augmentation des conditions salariales, mais surtout le franchissement des limites intellectuelles qui renferment le groupe. La promotion professionnelle représentera la conquête d'un statut (symbolique) supérieur.(10) Les innombrables cours de formation, de plus en plus souvent promus et suivis, vont constituer l'une des stratégies à travers lesquelles les familles vont aspirer à ce que leurs enfants construisent des projets ambitieux de carrière et de promotion sociale. Les récits de "j'ai commencé dans le charbon et j'ai fini ma carrière dans le plus haut poste" deviennent plus fréquents. "Je faisais des réparations comme ça mais je travaillais pas au fond, j'ai eu mes études à l'école de la mine... je suis entré avec 16 ans, pour la formation professionnelle et puis embauché directement dans le chantier. La formation durait deux ans et après on était incorporé dans le chantier... la majorité était fils d'ouvrier ou de mineur...". (M. Lefort. Mineur retraité). Cela influera localement sur l'élargissement des qualifications professionnelles, grâce au développement des écoles techniques à La GrandCombe et Alès, toujours dans l'intérêt des Houillères. Comme nous l'avons déjà signalé, non seulement des fils de mineur mais aussi d'anciens mineurs se sont mis à fréquenter ces écoles pour recevoir une qualification technique appropriée aux temps nouveaux de la modernisation du système d'exploitation, et devenir mécanicien, électricien, etc. La majorité de nos interlocuteurs situent plutôt au cours des années 60 l'époque à laquelle ils commencent à vivre un "temps de crise". La ville minière qui, pendant plus d'un siècle - tout en suivant le rythme des cycles économiques - avait attiré et retenu une importante population active, vit les années 60 comme une contrainte. Cette prise de conscience intervient en fait à partir des premières fermetures de puits et des reconversions: "Du moment où ils commençaient à payer les jeunes gens pour partir, on a commencé à croire vraiment que les mines allaient fermer. Cela se tenait encore en peu en secret, mais ils savaient bien déjà ce qu'ils allaient faire. Ils commençaient à payer les jeunes pour se reconvertir". (M. Pontes. Mineur retraité). "Ça a commencé à changer en 62, 63 par là! Parce qu'ils commençaient à renvoyer à travailler ailleurs. Alors là ce n'était plus pareil". (M. Grellier. Mineur retraité). Mais, et surtout, à partir des premières expériences d'une pratique encore inédite parmi la communauté des mineurs: protester contre cette fermeture. Les réactions sont multiples et il est impossible de reconstruire la trajectoire qu'a vécue chaque famille à partir de cette époque. Nous pouvons cependant déceler ce que semblent avoir été les sensations les plus générales, comme la façon de percevoir ou d'interpréter la coupure de ce qui était vital pour la santé économique de la ville comme un "drame" familial, un "drame" pour la ville. Evidement, la perspective de la disparition du travail à la mine se traduit par un bouleversement dans la projection habituelle d'une situation de stabilité du groupe vers l'avenir. Ce sont d'abord les conditions d'administration de "la Compagnie" qui permettaient la mobilité sociale des habitants de La Grand-Combe, puis ce sont les Houillères qui monopolisaient ce pouvoir de dynamiser la ville. Le point névralgique étant surtout la rupture que la récession locale provoquait pour la société grand-combienne, en particulier chez les familles de mineurs qui connaissaient depuis de plus d'un siècle l'équilibre du processus de construction de projets de vie: ceux-ci peuvent de moins en moins voir dans le travail à la mine la référence centrale de l'existence des individus. Ainsi, si le processus de nationalisation des mines avait jusqu'à alors permis une continuation de la référence de la mine comme projet "professionnel" pour les membres d'une famille, la contrainte majeure des fermetures de puits réside justement dans le fait de la rupture de cette source de s–reté pour la société locale: c'est la fin de "l'endogamie professionnelle", des "générations de la mine", "mineur de père en fils", et même le métier de "mineur du fond" disparaît. Parmi les fils de mineurs, "beaucoup d'entre eux, se détournaient d'une carrière qui, parce que dure, avait apporté à leurs pères la sécurité de l'emploi, et une législation sociale plus avancée qu'ailleurs. Autrefois, en effet, entrer à la mine, pour les robustes montagnards des plateaux de la Lozère et de l'Ardèche, c'était se faire une situation, presque aussi enviable que celle que pouvait offrir la fonction publique, car, si les garanties n'y étaient pas aussi s– res, elles étaient en fait pratiquement assumées par les compagnies, depuis des décennies, alors que les salaires y étaient plus élevés".(11) L'assurance et la projection de savoir le fils absorbés dans le marché de travail minier n'était désormais plus possible. Plus qu'avant il faut réfléchir et choisir sur l'avenir du ménage (comme si dans chaque foyer les projets de vie se trouvaient en effet des stratégies plus auto-déterminées), au sens qu'il fallait faire le choix de la trajectoire à construire pour les enfants qui jusqu'alors avaient toujours eu la mine comme une garantie d'emploi(12). En effet, les facteurs politico-économiques qui jouent en défaveur du charbon par rapport aux autres secteurs d'énergie ont pour conséquence non seulement la perte pour la ville de son revenu principal, mais aussi la désarticulation du groupe des mineurs, qui se voient impliqués dans un processus de changement social au niveau de l'organisation professionnelle, familiale et sociale. La crise économique apporte des conséquences graves pour la ville: dépeuplement, ch“mage, éparpillement du groupe actif local, accroissement de la population ƒgée. Le taux de fécondité diminue presque de moitié(13). Cet écroulement va marquer les structures démographiques des années 60. La population adulte de La Grand-Combe travaille de moins en moins dans les Houillères: en 1962, les mineurs représentent moins de la moitié de la population active(14). La moyenne d'ƒge des effectifs, encore "jeune" au début des années 60 (20,9% des travailleurs de fond ont moins de 30 ans en 1960), tendra à s'accroître rapidement (ce même pourcentage tombe à 15% en 1966)(15). Les années 60 sont donc celles où nous pouvons reconnaître un point de repère dans les changements sociaux cruciaux qu'ont subis les familles grandcombiennes: l'exode minier, d'abord peu expressif, s'exacerbe et, au cours des années 60/70, la réduction de la population se mue en débƒcle. C'est là que demeure le point d'inflexion d'un processus de transformation qui sera vécu comme une récession économique. La grève de 1965 témoigne du grand mécontentement qui dominait dans l'ensemble des Bassins français, où "toute espérance était morte": "(...) La grande grève des mineurs, en 1965, apparaît maintenant à certains comme un tournant dans l'histoire de la cinquième République. Depuis plusieurs années, les mineurs étaient inquiets pour l'avenir de leur profession, leur propre destin et celui de leurs enfants. Car, sans désemparer, se poursuivait le plan de réduction progressive de la production charbonnière, mis en place en 1960: embauche suspendue, sauf pour les fils de mineurs destinés à recevoir une formation dans les écoles d'apprentissage du Bassin, et pour certains adultes, jeunes et vigoureux, indispensables à la marche des chantiers du fond; mises à la retraite anticipées des ouvriers et agents de maîtrise ayant trente années de service; toutes mesures qui modifiaient profondément les conditions de vie de nombreuses familles. D'autant que, d'une façon mesquine, les retraites étaient calculées sur le nombre d'années de travail réellement effectuées et non, ce qui aurait été plus décent pour de vieux serviteurs, sur le nombre d'annuités que l'intéressé aurait pu acquérir s'il était allé au terme normal de sa carrière, cinquante ans d'ƒge pour le fond, cinquante-cinq pour le jour. Enfin dans cette ambiance de déflation de la production et de résultats financiers aggravés, les salaires prenaient du retard sur ceux des branches d'activité moins pénibles, mais plus prospères."(16) Effectivement, quand les jeunes grand-combiens se mettent à partir pour Alès, Montpellier, Lyon, Marseille, Paris, etc., à la recherche d'un emploi; quand les mariages diminuent et deviennent de moins en moins "endogamicoprofessionnels"; quand la natalité s'affaiblit sous l'effet dévastateur de l'émigration - alors que les couples pratiquent de plus en plus le malthusianisme(17) - et ceci d'autant plus que la population commence à vieillir; quand, finalement, le pouvoir local ne parle que des efforts à faire pour arrêter "l'hémorragie" des habitants de la ville, on peut se rendre compte à quel point les transformations subies par la population sont profondes: elle connaît une crise économique que affecte la ville et la région, elle connaît une rupture dans une existence traditionnellement liée à la mine. Les familles de mineurs vivent alors ces transformations comme une contrainte qui provoque une sensation de "désordre"(18) dans le quotidien, à dire, le départ des jeunes, l'éparpillement des membres du réseau de parenté, etc. L'ingénieur Flechon, rapporte dans son manuscrit l'ambiance et l'état "d'humeur désenchantée"(19) à l'époque: "Le moral de tous était bien bas dans le Bassin. Des puits, creusés à grands frais quelques années auparavant, n'étaient pas mis en service ou n'avaient qu'une utilisation limitée; les mines les moins rentables furent fermées et leur personnel déplacé dans d'autres mines plus favorables. L'embauchage était suspendu, sauf toutefois pour les fils d'ouvriers destinés à recevoir une formation de spécialistes, rendue nécessaire par la modernisation des méthodes, dans le centre d'apprentissage du bassin."(20) La modernisation "souhaitée", l'évolution "bienvenue" imposait une dynamique qui engendrait "un monde à l'envers" et La Grand-Combe subit "des épreuves que les conditions extérieures lui imposent"(21): le déclin du charbon, la récession et leur cortège de corollaires, d'obstacles à surmonter. Dans la représentation que s'en fait l'un de nos interlocuteurs, la fermeture des mines apparaît d'ailleurs comme le chemin qui conduira à plus ou moins long terme à participer et à profiter d'un progrès généralisé de la société: "Finalement, si la région avait vu s'installer de nouvelles industries, cela était le progrès n'est ce pas?" (M. Champeac. Mineur retraité). Les habitants vivent donc ce paradoxe sur lequel nous avons déjà attiré l'attention. "le temps de la crise" dans la ville est aussi le temps du progrès pour la société en général, une amélioration généralisée des conditions de vie et donc un stimulant pour les parents, une raison d'aspirer pour leurs enfants à une vie meilleure. Pour beaucoup de pères et mères, la fin du travail souterrain et les promesses de reconversion apparues dans les années 60 alliaient le soulagement et l'espoir de voir finalement leurs héritiers pratiquer un métier moins dur et plus qualifié, devenir techniciens ou ingénieur dans des industries de substitution du système d'exploitation charbonnier ou encore des industries de l'énergie susceptibles de s'installer dans la région. Néanmoins - nous l'avons vu - le programme de reconversion s'avère plut“t médiocre et le travail tend à devenir une denrée rare. Que ce soit pour suivre la voie scolaire ou rechercher un marché du travail plus prometteur de promotion sociale, l'exode de La Grand-Combe drainera la population jeune vers les villes plus modernes de la région, notamment Alès. Les grand-combiens trouvent d'ailleurs à Alès la possibilité d'un engagement sur le marché du travail tout en habitant La GrandCombe. Le qualificatif qui a toujours été prêté à La Grand-Combe de "villedortoir" correspond sans doute cette fois à la réalité. A partir de cette époque, et cela pendant 30 ans, la population, les politiques locaux et départementaux, les syndicats et partis, etc., vont tout essayer pour protester contre la récession économique imposée au milieu minier. Ce non-conformisme peut être mesuré à travers les innombrables grèves organisées et auxquelles les grand-combiens participent. La lutte ouvrière se complexifie: ils ne se battent plus seulement pour le salaire ou pour la garantie du Statut de 1946, mais contre la politique de fermeture des mines. Cependant, s'ils ont obtenu des satisfactions sur le premier plan, la lutte pour la survie du bassin semblait plus difficile à mener. L'Etat préférait payer le co–t social de cette récession, en avançant l'argument de la perte de "plus-value" qu'entraînait la non-rentabilité des mines face à un contexte de modernisation d'autres sources d'énergie. Pour résoudre le problème d'occupation de la maind'oeuvre, l'Etat propose des solutions ponctuelles: mutation, reconversion, préretraite. C'est aux villes minières et à leurs habitants de subir le prix d'une évolution qui va les déclasser au nom du "remodelage" que l'Etat avait déterminé pour le secteur charbonnier. CHAPITRE 2 "NON A LA FERMETURE DES MINES"! En décembre 1961, les mineurs de Decazeville, ville minière de la région de l'Aveyron, se mettent en grève, inaugurant une résistance sans précédent contre la politique menée par le gouvernement (régime gaulliste, Ve République) à l'égard des charbonnages et pour protester contre le démantèlement de leur industrie minière. Pendant 66 jours, et sous l'organisation d'une coalition intersyndicale (F.O., C.F.T.C. et C.G.C.), ils vont crier le mot d'ordre "NON à la fermeture du bassin minier". En dépit de cela, les puits de la région seront fermés et plus aucun doute ne subsistera dans les esprits quant à l'orientation de la politique et à ses conséquences: la reconversion, la peur de la perte d'emploi, l'angoisse du chômage. Les mineurs prennent dès lors conscience que le combat pour la défense des droits à l'existence de la corporation minière doit s'intensifier. Suivant l'exemple de Decazeville devenu celui de "la grève symbole" contre la fermeture des puits, les manifestations ne cesseront plus d'éclater tant au niveau local que régional ou national(22). La lutte des mineurs de Decazeville a été encore plus symbolique par l'engagement de toute une région (méridionale) dans un mouvement de solidarité dont participent l'I.E.O et le P.N.O. La résistance des mineurs contre la fermeture des mines est aussi celle d'un peuple pour la valorisation économique, culturel et social du sud de la France: le mouvement occitan originairement culturel-linguistique s'articule à l'action politico-économique d'une classe.(23) En 1961, "éclate la crise du bassin minier de Decazeville, la grève pour le maintien de l'emploi est dure, les mineurs vont même jusqu'à occuper le fond du puits et y camper en faisant une grève de la faim. On espère que la puissante corporation syndicale des mineurs les soutiendra, la C.G.T. lance des consignes de solidarité. En fait il ne se produit rien à ce niveau, la corporation des mines reste passive. Mais c'est alors qu'un autre soutien, inattendu, apparaît. La 'région', qui gagne, cette année-là, son nom d'Occitanie, qu'elle n'avait peut-être jamais eu, même au temps des comtes de Toulouse, se mobilise: tout le Massif Central et le Languedoc soutiennent Decazeville".(24) A l'exemple de Decazeville une nouvelle forme de pratique sociale s'impose au sein de la communauté de travail grand-combienne et du bassin cévenol et les "mineurs cévenols" participent à des manifestations où sont répétés les mots d'ordre: "contre la fermeture des mines", "lutte pour vivre au pays"(25). En outre, ils défendent aussi le désir d'une existence meilleure, un marché de travail plus qualifié, et voient dans cette époque de grandes changements la possibilité pour leurs enfants de disposer de meilleures conditions de travail. On ne saurait comptabiliser ici toutes les manifestations qui constituent "la résistance pour travailler au pays", mais ces actes de résistance faisaient partie désormais du quotidien des villes minières. Peu à peu, l'on ne parlera plus que de cela dans chaque foyer. Les rumeurs deviennent des faits, et la crise devient... l'avenir(?). Ce sont surtout les syndicats qui organisent le mouvement d'information et de mobilisation de la catégorie sous la forme de discussions, de protestations, etc., afin de sensibiliser d'un côté le pouvoir à ses divers niveaux (national, départemental, local) à une situation qui ne cessait d'empirer, mais aussi d'alerter la population sur le caractère irréversible du recul de la production du charbon. C'est le syndicat majoritaire chez les mineurs (C.G.T) qui prend la tête de la résistance, car il doute des possibilités d'une véritable reconversion industrielle du bassin, mais peut-être cherche-t-il également à réparer ses propres erreurs des années précédentes dans la gérance du secteur charbonnier. On critiquait surtout la mauvaise gestion de l'administration des Houillères. A maintes reprises, les mineurs diront que "il y a eu trop de gaspillage" et dénonceront le fait que c'était le secteur de production qui était le premier visé dans ce processus de fermeture, alors que la bureaucratie (les employés de bureaux, etc.) étaient "protégés": (M. Martin): "Ils disaient que le charbon n'était plus rentable et pourtant il y avait beaucoup de charbon. C'était des mensonges. Parce qu'il faut comprendre une chose, parce que si vous avez 6OO ouvriers qui arrachent le charbon au fond de la mine, et puis si vous en avez 3.OOO qui grattent du papier dans le bureau ça peut ne pas être rentable, vous comprenez bien?" (Mme Martin): "Alors ils mangeaient tout le budget des Houillères. C'était tout pour eux, parce qu'ils avaient de meilleurs salaires que celui-là des mineurs... Il y a eu trop de monde qui a tété la-dessus". (M. et Mme Martin. Mineur retraité et son épouse). Quelques représentants des classes politiques locales et départementales s'engagent elles aussi à combattre le recul économique face à la faillite financière, surtout pour ces villes minières. Le maire de La Grand-Combe déclara que la fermeture des mines et de la Centrale du FESC provoquait "un trou au budget municipal difficile à combler".(26) En effet, le pouvoir municipal, qui était habitué à gérer la commune à côté d'une institution économique forte qui prévoyait tout (logement, services publics, etc), se trouve de plus en plus confronté à disputer l'aide financière prévue dans le budget de l'Etat pour les "zones en difficultés économiques". Si, au niveau de la presse et des discours syndicaux, la mobilisation de la communauté de travail semblait totale, il n'en a pas toujours été de même pour la participation concrète à "la résistance". Au contraire, il était souvent difficile d'impliquer la collectivité locale d'une manière unanime dans ce mouvement politico-social. "C'est vrai qu'il y avait une tranche de la population qui disait 'le charbon, on en a ras-le-bol, c'est fini'. Mais, en général, il y avait une forte complicité autour d'un espoir. Il avait encore un espoir que ça se poursuivrait. Les gens ont eu toujours l'espoir d'une façon ou d'une autre. Je crois que tout le monde était un peu prisonnier d'une espèce de combat qu'il fallait mener, soit obligé, soit par adhésion. Le syndicat en tout cas poussait pour ça. Mais c'est compliqué, parce que les gens voulaient que le charbon continue, parce que cela faisait la raison de vivre à La Grand-Combe. Mais il y avait beaucoup de contradictions. Parce que c'est vrai que le travail au fond n'était pas facile, il y avait la silicose, les accidents de travail, alors, les gens voulaient que ça change. Mais les gens avaient aussi un souvenir du travail, et je parle de bons souvenirs". (M. Lemoine. Ancien employé de la Mairie). Certes, chez les familles de mineurs syndicalisés militants, cette lutte représente une question d'honneur, et les commerçants de la ville, quant à eux, s'y engagent du fait même que c'est la mine qui les fait vivre. On en parle aussi dans les écoles, mais dans certains foyers on doutait encore de la véracité de la situation pour des raisons diverses: méfiance vis-à-vis d'un mouvement mené par la C.G.T. (l'institution qui justement les avait "trompés" en même temps que certains élus de gauche), ou encore, c'était tout simplement la passivité, l'apathie, et le désespoir qui les figeaient. Ou enfin, parce que la disparition d'anciens systèmes d'exploitation étaient compris comme synonyme de "progrès", et que les mineurs avaient l'espoir d'un tournant vers la qualification, et surtout ils avaient l'espoir que les Houillères pouvaient encore garantir une "carrière" à leurs enfants, surtout pour ceux en formation professionnelle: "La mine d'autrefois procurait à chacun, même si la tƒche était rude, la sécurité de l'emploi et la garantie matérielle du lendemain. S'il n'en était plus tout à fait de même aujourd'hui, on pouvait cependant espérer que le Bassin, au cours des vingt années à venir, assurerait aux jeunes d'aujourd'hui le déroulement normal de leur carrière".(27) Au fond, la mine est constituée, dans la représentation de nos interviewés, comme un univers structuré possédant sa logique propre; il convient d'en dénoncer les conditions de travail inhumaines, tout en se réservant de valoriser l'activité de mineur elle-même, qui est aussi celle de la valeur du groupe: la mine est l'univers de travail et "mineur" est le "métier" qui engendre l'identité du groupe. En effet, cette position était défendable par certains segments politiques, ce qui n'était pas en désaccord avec le discours officiel des Charbonnages et du Gouvernement. Dans ce sens, quelques émissaires politiques argumentaient que la fin du travail traditionnel était la conséquence irréversible du "progrès" et d'une nouvelle étape du capitalisme. Les représentants "officiels" de cette position et leurs adeptes justifiaient les besoins d'améliorations des techniques de travail au bénéfice de l'homme. Un ancien élu socialiste grand-combien élucide cet argument: "(...) Et par rapport à la fermeture, cela il fallait que ça arrive un jour. Je peux vous dire une chose, que cela soit exploitation privée ou système nationalisé, les mines, il fallait que ça ferme. Parce que, humainement, elle n'était pas défendable. Parce que quand on voit les gens qui se faisaient crever là-dedans, dans le fond d'un trou, s'étouffant à 50 ans, la silicose tout ça, pour permettre que quelques-un roulent sur l'or, non! Ce n'était pas normal et il fallait que ça change. Il fallait fermer les puits et utiliser d'autres moyens d'exploiter la mine. On envoyait le mineur au charbon comme on envoyait le soldat à la guerre. Les gens payaient de leur vie. Alors qu'il y a d'autres moyens d'exploitation, la découverte, d'autres moyens d'extraire de l'énergie du charbon. Il fallait arrêter de payer avec la vie humaine la richesse du charbon. C'est n'est pas l'avis de la classe politique en général mais c'est la mienne en tant que penseur". (M. Demari). Ainsi, les représentations sur les expectatives à l'époque sont contradictoires et "le temps de la crise" est n'est pas toujours compris sous son aspect de débâcle mais au sens aussi de changement (production novatrice)(28), un mouvement de transformation vers des améliorations d'époque. Mais la menace majeure demeurait celle de voir disparaître la seule source s–re de travail dans une ville minière: la mine. Sans la mine, c'était non seulement le métier qui disparaissait, mais aussi toute une complicité (les valeurs de référence d'identité du groupe) établie autour d'une pratique sociale et d'un mode de vie. Certes, la communauté des mineurs défend son "pays minier" menacé par le déclin économique, ils se battent contre la stagnation de la ville et contre "la fin de la mine", puisque c'était la source-base de revenu de la communauté de travail. C'est cette remise en cause de l'enracinement, selon Noiriel, qui est à l'origine des grandes grèves de mineurs avec occupation du fond (Decazeville fin 1961, parmi d'autres) qui symbolisent la lutte de tout un "pays" pour sa survie et qui connaissent leur apothéose en 1963 avec la grande "marche sur Paris".(29) CHAPITRE 3 "LE CHANT DU CYGNE": "LE CHARBON, UN MOTEUR ECONOMIQUE MOURANT". En 1968, une autre réforme administrative amoindrira davantage encore les chances de rattrapage des Houillères des Cévennes. En effet, l'accélération du déclin de l'empire minier précipite la mise en place d'une nouvelle organisation administrative. Le 16 avril 1968, les Houillères des Cévennes sont associées aux "Houillères du Bassin du Centre et du Midi", qui supportaient plus mal encore que les autres charbonnages la concurrence des autres sources d'énergie.(30) Parmi les 7 houillères que cette nouvelle organisation réunit, les plus touchées par la récession charbonnière seront les Houillères des Cévennes, à cause de la fermeture de la plus grande partie de leurs puits et de la réduction importante de leur personnel. Les années 70 connaissent des circonstances encore plus désastreuses pour la communauté minière. En 1974, c'est le puits Saint-Florent-surAuzonnet, alors considéré comme l'un de plus modernes d'Europe, qui est fermé, et en 1975 il est dynamité avec toutes les installations attenantes. Cet événement provoque une certaine consternation chez les mineurs: dès lors, il devient clair que ni même la modernisation du secteur ne limitait le déclin, les "temps difficiles" s'aggravent. Après la fermeture, le dynamitage des établissements corroborait l'anéantissement de l'avenir économique de la région. Les répercussions sociales, économiques et psychologiques, atteindront gravement les mineurs et leurs familles. Le personnel se ressent immédiatement du ralentissement des activités à travers une réduction rapide des embauches. Les effectifs de fond sont réduits. En 1970, les grand-combiens ne sont déjà plus que 2.697 à travailler dans les Houillères. Le total des effectifs embauchés par les H.B.C. est ramené à 4.610 en 1970 et 2.578 en 1976.(31) Face à l'arrêt de l'embauche et à l'obligation de chercher du travail ailleurs, l'exode des jeunes augmente(32), ce qui entraînera très vite le vieillissement des forces actives. En 1978, l'un des principaux puits d'extraction encore en fonctionnement à La Grand-Combe, le "Ricard", ainsi que la centrale thermique de la Pise, sont mis en sommeil et ferment leurs "portes" aux 1.100 travailleurs qu'ils occupaient, et parmi lesquels 700 résidaient à La Grand-Combe. C'est un nouvel ouragan qui balaye la ville. Une crise d'une telle envergure est un fait sans précédent et le mouvement d'afflux de population se renverse pour devenir reflux. Cette société minière "qui avait régné sur les corps et les esprits depuis plusieurs générations"(33), voit la population et la vie de la ville refluer comme si elle s'était transformée en appareil centrifugeur. En effet, la ville, les grand-combiens, connaissent désormais un changement marqué par un mouvement de "décélération"(34), corollaire d'un processus de dégradation économique et démographique. "Les statistiques INSEE montrent une perte absolue de 2.788 habitants entre les recensements de 1968 et 1975, la population de la commune passant de 13.240 en 1968 à 10.452 en 1975. Ce déclin se poursuit de manière similaire lors de la dernière période intercensitaire 1975-1982, la population franchissant ainsi la limite inférieure des 10.000 habitants: 8.324 en 1982".(35) Les troubles démographiques que la ville connaît alors étaient symbiotiques au déclin de la production de charbon et à la fermeture des puits.(36) Entre 1954 et 1975, La Grand-Combe perd presque la moitié de sa population, et l'immigration, bien qu'encore positive, n'arrive plus à compenser les pertes croissantes. Entre 1962 et 1975, 27,6% de la population grandcombienne émigre. La situation démographique ne cessera de se détériorer et, entre 1975 et 1982, la ville perdra encore 1.837 habitants, soit 2O,3% de sa population totale, par le seul biais des migrations.(37) Dix ans après la fermeture des premiers puits, la situation prenait ainsi une tournure plus alarmante encore puisque jusqu'en 1975 la croissance démographique était restée malgré tout positive. "(...) Découragée par la perspective d'un niveau de vie médiocre et refusant une existence désuète, la jeunesse décampe et le remplacement des générations est de moins en moins assuré...".(38) La baisse du nombre des mariages à La Grand-Combe constitue un autre indice révélateur du départ des jeunes, ce qui va déséquilibrer la croissance naturelle de la population et faire tomber le taux de natalité.(39) Lamorisse attire d'ailleurs notre attention sur la trajectoire suivie par les jeunes qui partent et parle de "l'intérêt que semble offrir le mariage comme pourvoyeur de l'émigration".(40) De cette manière si autrefois l'un des rôles majeurs du mariage était de permettre aux migrants de créer des racines à La Grand-Combe, c'est la perspective inverse qui va jouer au "temps de la crise", où l'intentionnalité que cache le mariage des jeunes est non seulement d'apaiser le déchirement du départ, mais aussi de dédramatiser la perspective de l'enracinement dans une autre ville qui, si elle offre un marché du travail plus prometteur, n'en comporte pas moins des contraintes d'intégration propres aux grands centres urbains et que l'actualité ne cesse de confirmer.(41) La crise économique va en déclencher d'autres et le contexte social deviendra des plus alarmants si l'on en croit l'augmentation du chômage et du désespoir des gens de ne pas pouvoir "rester au pays".(42) L'un après l'autre, les habitants s'en vont, les portes et les fenêtres se ferment dans les cités et les maisons se vident. En effet, La Grand-Combe (ainsi que tant d'autres villes minières) payait très cher le prix d'avoir eu une structure économique "monolithique", où le charbon avait été pendant plus d'un siècle la voie presque unique de développement. Les changements politico-économiques apportés par la nationalisation n'ont fait que confirmer cette structure économique, cimentée dans une mono-activité extractive, ce qui a sérieusement limité une diversité d'activités. La Grand-Combe payait aussi cette "captivité" d'avoir été "une ville de la Compagnie" qui s'était toujours occupée des besoins de la population, ce qui explique en partie le faible développement du secteur de services. La stagnation du marché de travail décourage encore plus une municipalité qui voudrait stimuler le secteur tertiaire. L'on peut imaginer le traumatisme que signifient pour cette société traditionnelle l'exode sans précédent, la dénatalité, le vieillissement rapide de la population. Il n'est plus question dès lors dans les conversations que de reconversion, de chômage, du départ des voisins, des amis, d'un membre de la famille. Demandant à un mineur retraité quel était le genre de commentaires qu'ils échangeaient à l'époque, il nous dit: "Ecoutez, le charbon c'était la vie de tout le monde. Alors du moment où ça a été fermé, les commentaires c'était qu'ils n'embauchaient plus, qu'il fallait que les jeunes partent. Les houillères payaient pour que les gens partent. Ils donnaient une somme d'argent pour que les gens acceptent de partir, d'être remplacés. Beaucoup sont partis et ne sont plus retournés". (M. Combet. Mineur retraité). Ce bouleversement devenu quotidien apporte l'angoisse dans les familles grand-combiennes. Pour certains, le recul économique que connaît la ville est vécu comme un deuil social. "C'est dommage que ça ferme, celui qui voulait travailler il avait du travail, c'était l'économie du pays minier. C'était tout. Maintenant la mine est fermée, et si la mine est fermée, il n'y a plus rien. Maintenant, ici, il n'y a plus rien. Celui qui voulait y travailler, il y allait. Maintenant c'est vidé". (M. Plum. Mineur retraité). "Que voulez-vous? Tout fermait à l'époque, ici il n'y a plus rien. Il avait encore quelque métiers mais celui qui était mineur, que voulez vous qu'il fasse? Plusieurs n'avaient pas d'instruction. Parce que aujourd'hui il faut avoir un certain niveau d'instruction, même le mineur, il fallait qu'il soit instruit." (M. Combet. Mineur retraité). Le moral, comme l'avait suggéré l'ingénieur Flechon, était bas parmi les membres de cette communauté de travail qui voyait son "univers" se fondre. "Sans le travail, la ville a éclaté, c'est fini, et la complicité aussi". (M. Lacoste. Mineur retraité). Comment recomposer l'existence face au "dégringolement" du métier traditionnel, face à la disparition des espaces traditionnels de la vie quotidienne du travail et, par prolongement, des espaces de la complicité masculine et féminine en rapport?(43) La nationalisation des mines révèle de nouveau la domination de la monoindustrie du charbon. L'histoire de cette domination se transforme désormais en une histoire de départs, de reconversions, de "la mort du pays minier", de ceux qui restent et voient le pays mourir ou de ceux qui restent tout en s'insurgeant contre l'incertitude de l'existence qui fait la condition prolétarienne, en défendant ce qu'ils croyaient tenir, les "acquis".(44) Dans les représentations, l'apologie du métier (mineur) dans les conditions pénible de travail est rare, de même qu'il n'est pas idéalisé pour l'avenir, mais il "signifie" existence et possibilité de travail et on regrette l'éclatement du groupe, l'empreinte de communauté que la mine avait créée et avec elle des rapports d'entente, d'amitié, de cohésion - qu'ils répètent être leurs valeurs. CHAPITRE 4 LA RECONVERSION: LES EFFORTS POUR DEGUISER UN CATACLYSME. Face à l'engorgement du marché du travail du à la crise du charbon, à La Grand-Combe le pouvoir municipal et la société civile s'organisent et revendiquent qu'une attention toute spéciale soit accordée à leur ville qui dépérit. En 1972, la classe politique locale, suivie par un groupe de commerçants grand-combiens et de nombreuses associations et organisations, crée l'opération "La Grand'Combe, ville morte", à laquelle s'associent les paysans cévenols, touchés eux aussi par la régression économique de la ville et de la région. La presse reproduit largement le mouvement collectif. Un comité permanent d'Action et de Sauvegarde du Canton de la Grand-Combe voit également le jour. La lutte des mineurs du bassin cévenol contre la liquidation des puits se confondra avec les mouvements locaux qui revendiquent plus encore: une reconversion économique. Le 4 décembre 1976, les mineurs, la classe politique locale et une part importante de la population participent à une protestation qui consiste à retenir le train Paris/Nîmes en gare de La Grand-Combe afin d'attirer l'attention des autorités et de la population française en général sur la situation que vivait cette ville. Deux processus de sauvetage seront entrepris simultanément pour venir au secours des communes en "voie d'extinction" et pour arrêter l'hémorragie de la population. D'abord, au fur et à mesure de la récession du charbon, les Charbonnages de France se chargent de développer un programme de reconversion de leur personnel, établissant dans la majorité des cas une mutation géographique, quand ce n'est pas une mutation professionnelle.(45) En outre, face à l'énorme "désertification" que provoque l'exode de la population, les villes minières deviennent pour l'Etat des zones prioritaires d'assistance, avec les régions agricoles du sud de la France qui se paupérisaient depuis des décennies. Ainsi, La Grand-Combe s'insère dans un programme de reconversion économique de la région. Ce programme, mis en place pour l'ensemble du bassin minier, est géré par un organisme spécialisé - l'Adirra - auquel s'associent les efforts des pouvoirs locaux et régionaux, qui prennent dès lors leurs responsabilités face à la crise. L'objectif était de motiver la création dans la région d'entreprises susceptibles de réemployer la main-d'oeuvre minière et d'embaucher les jeunes sortant d'une formation. En effet, ce programme vise surtout à encourager le développement du secteur industriel dans tout le bassin cévenol.(46) Dans la commune de La Grand-Combe et dans le voisinage, sept entreprises de taille moyenne se sont implantées (la majorité en 1973 et 1974), chacune offrant une vingtaine d'emplois(47), ce qui a donné aux grandcombiens un relatif optimisme initial en égard à la diversification d'activités qu'elles apportaient. Néanmoins, les bénéficies retirés par la ville dans ce programme de reconversion seront limités et concernent surtout la ville voisine d'Alès(48), qui accueillera une importante masse migratoire venue des vallées touchées par la récession, et qui s'entasse dans les logements sociaux des nouvelles banlieues alésiennes(49). On s'y retrouve par famille, parfois même par village. Avec le repli démographique à partir des vallées rurales et du bassin houiller, Alès est la seule ville du bassin à connaître un accroissement de la natalité; "il est certes timide mais la tendance persiste, puisque la moyenne annuelle des nouveaunés s'élève de 654 à 693 puis à 701 de 1954-61 à 1962-67 et à 1967-71".(50) Alès s'affirme comme la ville la plus prospère de l'environnement cévenol. Non seulement Alès va bénéficier du développement accéléré d'une importante infra-structure du secteur tertiaire, mais c'est aussi la ville qui concentrera la majorité des nouvelles installations industrielles. "C'est ainsi que certaines entreprises ont renforcé leur potentiel (RichardDucros) et que d'autre ont été créées de toute pièce, le plus souvent à Alès (S.N.R., Merlin-Gerin, Crouzet) mais aussi dans les vallées minières le plus durement touchées (Alsthom à St.-Florent-sur-Aiyement, les cƒbles de Lyon aux Salles-du-Gardon). La reconversion dont bénéficie surtout Alès est le résultat d'une politique de reconversion volontaire qui permet à de grandes entreprises d'envergure nationale ou internationale d'implanter des établissements bénéficiant d'aides et de diverses incitations".(51) La majorité des petites entreprises qui s'installent à La Grand-Combe arrivent à le faire grƒce aux facilités d'implantation qui leur sont accordées (par exemple les subsides attribués par le Fonds pour l'Industrialisation du bassin d'Alès - FIBA), mais, par la suite, les difficultés deviennent énormes et plusieurs d'entre elles ferment leurs portes quelques années après avoir fait leurs premiers pas.(52) En 1980, le nombre d'emplois créés par la reconversion sur le secteur de La Grand-Combe n'excède pas 467. Salles-du-Gardon a un peu plus de chance grâce à la réussite de l'entreprise des "Câbles de Lyon"(53), qui s'installe sur la zone industrielle de l'Habitarelle. Il est vrai que les activités des Houillères ne cessent pas pour autant et les Charbonnages de France investissent de plus en plus dans le système d'exploitation à ciel ouvert, car c'est là une activité qui continue d'embaucher. Mais, si cette solution s'avère plus rentable quant au prix de revient du charbon extrait, les bulldozers vont remplacer les travailleurs et, pour la commune de La Grand-Combe et celles avoisinantes, ce secteur n'offrira guère plus de 300 emplois. Cela demeure donc une solution marginale(53). Un autre secteur pour lequel la reconversion est stimulée est celui de l'activité agricole (par le crédit agricole), surtout la culture maraîchère. En effet, si l'exploitation agricole orientée vers la commercialisation des produits reste un projet réalisable, la mobilisation pour un retour à la terre était difficile à mettre en effet après que l'exode avait dévitalisé les hautes vallées, qui ont vu pendant des décennies leurs paysans se convertir en mineurs. Lamorisse, dans son chapitre sur "Les Cévennes rurales (l'exode et ses causes; comparaison avec des secteurs ruraux voisins)", parle des difficultés d'un retour à la terre, celle-ci déjà si touchée par les difficultés: "Jusqu'à une époque récente, dont le terme peut se placer dans les années 1950, le bassin houiller a largement bénéficié de la descente des ruraux chassés de leurs vallées par la Révolution économique. Toutefois, et la remarque vaut aussi pour le piedmont industriel et urbain, les rapports humains sont demeurés étroits entre l'arrière-pays et les domaines d'accueil situés immédiatement en contrebas, à moins d'une journée de marche. Dans la mesure où le bassin houiller est menacé de mort, le haut-pays ne paraît pas moins condamné (...)".(55) Malgré le ralentissement initial qu'il provoque, le programme de reconversion ne réussira pas à stopper l'exode de la population active, surtout dans les villes minières. Les conséquences sont désastreuses pour La Grand-Combe. C'est toute une population consommatrice qui part et les fournisseurs de biens et services se trouvent placés dans une situation précaire. "La crise atteint à la Grand-Combe un stade beaucoup plus avancé que partout ailleurs dans le bassin minier. Le déclin économique et démographique se double de difficultés urbaines importantes. Le parc immobilier souffre de son manque d'entretien, d'équipements et de confort. Hormis les logements sociaux construits récemment, le reste du patrimoine doit être valorisé de même que le site urbain, sale, sous-équipé, insuffisamment aéré surtout, trop minéralisé...".(56) L'un après l'autre, les commerçants sont obligés de fermer leurs portes. Ainsi que les cafés, les cinémas disparaissent, les écoles ont de moins en moins d'enfants et beaucoup seront fermées. De plus en plus, il faut se rendre à Alès pour faire les achats, pour aller au cinéma, pour continuer les études de secondaire, pour les services administratifs, etc. La Grand-Combe se réduit presque à un rôle de ville-dortoir. Cela entraîne un réaménagement de la fonction des villes par rapport à l'ensemble de la région, jusqu'alors caractérisée par une relative autonomie et indépendance(57). La tendance est désormais à une "organisation spatiale centre-périphérie". "La crise minière est donc responsable d'un vaste déplacement des zones d'activités qui glissent désormais vers l'avant-pays cévenol. Toute la physionomie traditionnelle du bassin minier est désormais bouleversée. Ce phénomène est confirmé par l'évolution des immigrations alternantes sur l'arrondissement d'Alès (...)".(58) Ce sont là les conséquences d'une crise, mais aussi du programme de reconversion économique du bassin. En ce qui concerne plus spécifiquement la poursuite d'une vie active pour les mineurs, la récession charbonnière les poussera à faire un choix: la reconversion professionnelle. Pour ceux qui ont plus de 15 ans de travail à la mine, la retraite technique reste une solution, mais pour les autres, l'option la plus satisfaisante consiste à accepter les offres de mutation. Sinon, il leur faudra se résoudre à un départ individuel et à la recherche d'un travail vers de nouveaux horizons. Entre les années 1953 et 1955 avaient eu lieu les premières reconversions de mineurs des Houillères des Cévennes ainsi que, peu à peu, des licenciements de la main-d'oeuvre. Mais cette situation est due à ce moment-là à la modernisation des équipements. D'ailleurs, comme l'observent Duckert et Larguier: "A l'origine les compressions de personnel se sont surtout portées sur un volant de main-d'oeuvre mobile, le plus souvent d'origine nord-africaine, qui a permis d'amortir les premiers effets de la crise".(59) La reconversion ne touche alors qu'un effectif peu nombreux, et les mineurs concernés sont déplacés vers d'autres bassins miniers. Dans la décennie de 60-70, par contre, la reconversion répond à d'autres contraintes et elle est présentée comme la solution d'une situation de crise du marché du travail dans les Houillères. Dans les années 70, elle apparaît encore plus évidente et le malaise ne cesse d'envahir l'ambiance grand-combienne. "Les temps avaient bien changé", rapporta l'ingénieur Flechon: "Les temps héroïques des 'gueules noires' étaient passés, et on ne s'était guère gêné pour le leur faire sentir, en interrompant brutalement la carrière des plus anciens, en les jetant à la rue avec une retraite des plus modestes, leur disant en quelque sorte, comme Dante à la porte de son Enfer: 'Abandonnez toute espérance...".(60) En effet, face aux contraintes économiques dues à la perte de la clientèle en potentiel du charbon cévenol, les Houillères dressent un plan de réduction du personnel et les mineurs sont incités à accepter de se reconvertir ou alors à prendre la retraite (par la mise à la retraite anticipée des ouvriers ayant trente années de service). "Peu à peu, ça commençait à fermer. Dans les petits villages d'abord, Vernarède, Champclauson, et petit à petit les gens ont commencé à partir. Il y a des copains qui sont partis et qui avaient 10 ans de mine, d'autres qui avaient 15 ans, des collègues à moi. Ils sont allés à Mendes, Alès, St-Jean. Mon cousin, il avait 20 ans de mine. D'abord, il a travaillé dans une usine de chaussures, mais ensuite ça n'a pas marché. Il est à Alès, il travaille dans une pompe à essence". (M. Plum. Mineur retraité). Pour encourager à la reconversion et à partir, on leur promet des primes et indemnités - "la prime de conversion peut atteindre le montant d'une année de salaire"(61) - et les stages de reconversion était organisés et subventionnés par les Houillères. "Je suis resté parce que j'avais peu de temps à attendre pour avoir la retraite. Mais ceux qui avaient 7, 8 ans de travail ont bien été obligés d'accepter la reconversion. Ils sont ou bien allés à l'électricité de France, aux P.T.T., aux C.R.S. ou dans une usine, mais là ce n'était pas s–r, parce qu'après un an ils pouvaient vous licencier". (M. Rose. Mineur retraité). Ceux qui ont été mis en retraite technique attendaient le temps de la retraite normale. Au moins peuvent-ils rester à La Grand-Combe, ce que leur semble presque un privilège. "Ceux qui étaient volontaires pour partir allaient à Alès, Marseille, Paris, etc. Moi, j'ai refusé de partir et je suis resté. Alors j'ai eu ma retraite avancée et là, j'ai attendu jusqu'au temps de ma retraite normale". (M. Boss. Mineur retraité). Les départs à la retraite anticipée sont accélérés et "les Houillères en arrivent à distribuer un montant de pension égal à la masse salariale; on compte en effet un actif pour trois retraités."(62) On recensera 3.667 départs de mineurs à la retraite anticipée de 1960 à 1979.(63) L'ingénieur Flechon reproduit dans son manuscrit ses sentiments à l'époque: "C'était sinistre de voir, obligés de quitter la mine, des hommes qui n'atteignaient ou ne dépassaient guère quarante-cinq ans; qui avaient commencé à travailler à treize ans, (douze, quand ils avaient obtenu le certificat d'études) qui avaient encore des enfants à élever, les plus jeunes effectuant leurs études primaires, leurs aînés poursuivant souvent des études secondaires ou supérieures. De plus, ils ne pouvaient trouver du travail sur place, la mine étant le seul employeur du pays. Ils n'avaient qu'une retraite modeste, et lorsque cette retraite n'arrivait pas à satisfaire leurs besoins, ils devaient aller occuper ailleurs un emploi de manoeuvre, alors qu'ils avaient connu jusqu'alors la fierté et la noblesse du mineur confirmé. Des ingénieurs, des géomètres, et certains spécialistes comme mécaniciens, se tiraient beaucoup mieux d'affaire que les mineurs du fond. Parmi eux, certains, encore jeunes, et bien que n'étant pas touchés par le plan de réduction, mais craignant pour l'avenir, en arrivaient à quitter volontairement leur emploi pour les débouchés nouveaux qu'offraient alors les grands chantiers atomiques de Pierrelatte et de Marcoule".(64) Le plan de reconversion professionnelle agissait de manière à convaincre les mineurs de choisir le départ. "Ils nous proposaient de l'argent pour partir", nous raconte un mineur retraité, et il continue: "le gars qui avait des enfants encore petits à élever, il ne pensait pas trop: il s'en allait". "Les gens ont reçu des propositions pour partir et ils ont donné de l'argent pour convaincre les gens à partir. C'est ça qui a fait beaucoup de mal, c'est ça qui a vidé La Grand-Combe. Et comme progressivement ça fermait, les gens ont accepté. Il y en a beaucoup qui sont partis pour Carmaux, pour travailler dans les autres mines. Ce n'était pas le licenciement, vous comprenez, le travail était assuré, vous aviez le logement et tout, mais les Houillères ont reclassé les gens. Moi, j'ai préféré rester et attendre la retraite". (M. Michel. Mineur retraité). "Ils donnaient une prime pour les encourager à partir. Ah oui! J'ai mon beau-frère - celui qui a une petite maison - ils voulaient lui donner 8.000 millions pour partir, et pourtant il avait quand même des gens avec 15 ans de service et avec tous les avantages, charbon , loyer, maladie, hospitalisation à 100% mais il fallait qu'il parte. Ils ont données 8.000f et il est parti automatiquement. (M. Ram¡rez. Mineur retraité). La réduction des effectifs atteignait également la maîtrise et les ingénieurs, le personnel technique et administratif, eux aussi prenaient la retraite anticipée ou, comme l'a observé Flechon, c'était la mutation avec beaucoup plus de chance de retrouver ailleurs une place "à la hauteur" de leurs fonctions: "La réduction des effectifs jouait également pour les ingénieurs. L'âge de départ à la retraite avait été abaissé pour eux de soixante-cinq à soixante ans, avec toutefois pour certains, s'ils avaient plus de vingt années de fond, la possibilité de partir à cinquante-cinq ans, en bénéficiant d'une retraite complémentaire de la caisse spéciale des ingénieurs des mines. Cependant bien peu mettaient à profit cette possibilité, la plupart ayant encore des enfants à charge en cours d'études; d'autres désirant faire quelques économies de plus, ou, tout simplement, préférant continuer à travailler, par go–t du travail, et par une crainte diffuse de l'avenir".(65) La reconversion "a vidé la Grand-Combe", la mutation professionnelle impliquant une migration résidentielle. Quelques-uns auront la possibilité de se reconvertir dans la région même et d'être absorbés par les entreprises créées aux alentours, surtout à Alès. Mais de toutes façons, l'étroitesse des perspectives d'un remplacement dans la vallée La Grand-Combe obligera le ménage à quitter le "pays minier", à émigrer vers les métropoles régionales.(66) "Il y a eu relativement peu de mineurs qui se sont reconvertis sur place, il y a eu très peu d'entreprises qui se sont installées à La Grand-Combe. La plupart sont partis suivant le cas dans l'Administration à Alès, Marseille, Nîmes, Paris, dans les P.T.T., les Chemin de Fer, etc" (M. Le Cler. Employé à la Mairie). Le choix de la reconversion ne se fait pas toujours sans difficultés. La mutation professionnelle signifie déjà une adaptation à une autre activité, à d'autres systèmes de travail, à une autre ambiance et à de nouveaux points de référence, et elle entraîne très souvent la rupture avec le "pays" et avec un environnement familier. C'est donc une période de "bouleversements"(67) ou même de "ruptures", à laquelle les reconvertis sont contraints, et qui exige une relative réorganisation du réseau familial et de voisinage, ou parfois de nouvelles stratégies de construction du quotidien et d'un nouveau mode de vie. Tout cela est vécu difficilement par beaucoup, comme l'explique Lamorisse: "La mutation professionnelle du mineur n'est qu'un des aspects du problème; dans les limites du territoire national, chacun pourrait retrouver un emploi... La véritable question tient à la nature même du personnage, au métier qu'il exerce, aux avantages sociaux qu'il en tire, au genre de vie qu'il mène dans un environnement familier; il ne lui semble pas possible de renoncer à tout cela. Or, pour convertir tous les mineurs sur place, il faudrait offrir par ailleurs plusieurs milliers d'emplois! En réalité, jusqu'à la fin de la décennie, en dehors de l'aciérie de Tamaris (Alès), rien ne s'est créé dans le bassin cévenol et il apparaît clairement que les candidats éventuels ne sont pas décidés à 's'enfoncer' plus loin qu'Alès, dont la situation géographique leur semble déjà bien marginale".(68) Certes, quelques-uns acceptent l'idée du départ tout en restant dans la même branche, c'est-à-dire la mine, et partent dans les bassins du Nord-Pasde-Calais, de Lorraine ou de Carmaux. Mais ils seront peu nombreux. La majorité a préféré être replacée dans des entreprises du tertiaire, et c'est à Alès que va la préférence puisque l'enjeu est de rester proche de la famille, du "pays minier". L'influence du mouvement de défense régionaliste ne sera pas négligeable dans la volonté de maintenir ses racines dans la région ("pour vivre et rester au pays"). Après Alès, les centres d'accueils qui regroupent le plus grand nombre de travailleurs qui partent sont Lyon/Montpellier/Marseille et la Région parisienne. Quoi qu'il en soit, l'exode est tel que le solde migratoire à La Grand-Combe devient négatif. Si la baisse démographique n'est pas plus grave, c'est grƒce à l'arrivée continue d'immigrants et surtout de familles nord-africaines. Depuis les années 1970, depuis les algériens, ce sont surtout des familles de turcs et de marocains, et aussi quelques asiatiques, qui migrent à La Grand-Combe attirés encore par les perspectives d'une politique de reconversion industrielle à La Grand-Combe.(69) Ceux qui restent sont constitués dans leur majorité de ménages dont le chef de famille est en retraite ou pré-retraite, et à qui les avantages dus au statut professionnel (garantie de logement, assurance maladie) permettent de continuer à vivre sur place. Quant à ceux qui restent dans l'intention de retrouver un emploi, le marché du travail apparaît très limité. A côté de la municipalité, qui sera le principal employeur, ce sont aux petites activités (commerces, artisanat, cafés, services publics) que s'adressera la demande de ceux qui n'ont pas voulu suivre le processus de reconversion gouvernementale. Les jeunes qui cherchent à rester en attendant des jours meilleurs sont ceux que protège la situation dont bénéficient leurs parents. Nous verrons plus loin que, pour eux aussi, le marché du travail est très restreint et la majorité confrontera très souvent la situation de chômeur et ils se débrouilleront surtout en effectuant des stages de formation (T.U.C., etc.), mais aussi de petits travaux et services au noir. Ce sont par conséquent avant tout les jeunes fils de mineurs qui restent dans la famille (tant ceux de moins de 18 ans que ceux d'âge adulte, encouragés par le régime d'assistance que dispensent les Charbonnages de France. "Jusqu'à 18 ans on a le droit, jusqu'à 18 ans on est pris en charge par les Houillères, c'est-à-dire que jusqu'à l'âge scolaire on a droit à tout, médecin et tout. Mais après il faut partir, après 18 ans on gagne rien, rien du tout".(Michel, fils de mineur). Concrètement, les jeunes ne se sentiront pas toujours capables d'affronter les aléas de la concurrence pour disputer une place sur le marché du travail dans une grande ville, loin de la famille et de La Grand-Combe. Dans ce cas, ils préféreront renoncer aux aspirations à un niveau de vie plus élevé et rester chez des parents qui bénéficient d'un revenu assuré et "d'avantages". La garantie du logement, par exemple, permet au père retraité et à ses enfants d'envisager le développement de petites productions marchandes ou non marchandes d'économie informelle, d'activités de bricolage pratiquées dans des annexes de la maison qui deviennent des ateliers, des garages de réparation de voitures, etc. Les problèmes concernant le programme de reconversion s'avèrent de plus en plus insurmontables. En effet, La Grand-Combe bénéficiera peu de la reconversion économique du bassin. Les promesses initiales ne sont pas tenues. A maintes reprises, nous retrouverons des critiques dans la presse: "le programme de reconversion a été mal géré". Et ce n'est qu'une minorité des entreprises du bassin qui échappera au fiasco, malgré les efforts des municipalités touchées. Selon un représentant du milieu des communications, les limites d'une reconversion économique locale peuvent être trouvées dans la propre "mentalité grand-combienne" qui consiste à se sentir traditionnellement dépendant d'une grande entreprise permettant, dans une certaine mesure, à la ville de "continuer" dans son r“le de "ville ouvrière": "Il y a beaucoup de contradictions. Il y a le signe d'un héritage de la Compagnie et des Houillères qui a créé une mentalité ici, parce qu'il y avait une seule entreprise qui s'occupait de tout, parce qu'elle a tout fait; elle a fait les logements, elle a fait l'église, elle a fait le temple, les écoles, l'hôpital; elle s'occupait de la nourriture des gens, de la vie culturelle, enfin de tout. Donc c'est une énorme entreprise qui était quasiment unique. Donc, le réflexe des gens était de dire que si on supprimait le charbon, il fallait nous apporter une autre entreprise de 'là-haut', je ne sais pas trop d'où. Quelque chose de pareil, mais en même temps différent. ça veut dire que les gens voulaient une grosse usine comme la Compagnie qui donnait à peu près mille emplois. Une nouvelle industrie mais différente. Ils disaient: 'bon il y avait une entreprise qui occupait tant de personnes et donc maintenant il faut s'occuper d'en trouver une autre qui occupe le même nombre de personnes'. Alors que les politiques voulaient trouver des solutions petit à petit, c'est-à-dire trouver des entreprises petites, mais très diverses, qui occuperaient la main-d'ouvre, et qui finiraient par se multiplier. Mais la population disait 'non'!. Alors, c'était refaire à peu près le même système qu'avant avec la même fragilité. C'est la mentalité, ici. Parce qu'une grande entreprise avec 8.000 personnes, c'est un problème lorsqu'elle ferme: ce sont 8.000 personnes qui sautent. Alors que j'imagine un autre type de développement, un autre type de production, faire autre chose. Mais ça, ça a été rejeté complètement, ça posait des problèmes culturels, des problèmes syndicaux... enfin tout, quoi! Et puis, comme il n'y a pas eu une grande entreprise qui a voulu s'installer ici, il n'y a pas eu de solution". (M. Le Cler). La "mentalité des grand-combiens"(70) était celle mise en place par les rapports avec une grande entreprise et un repli sur la spécificité économique: le charbon. La volonté de la classe politique et du mouvement populaire était d'accepter les propositions gouvernementales de reconversion tout en essayant d'articuler la région au progrès économique national. On cherchait en vain des sources alternatives de vitalité économique. Le revenu municipal est lui aussi très limité, touché par la perte de la source économique principale et par la perte de population. Les efforts entrepris pour attirer d'autres entreprises se montrent frustrants et les résultats très maigres. Avec un point de vue qui dénonce l'amertume vis-à-vis de l'échec de la politique de reconversion locale et du déchirement de sa ville, M. Maurice LARGUIER, maire de La GrandCombe de 1965 à 1989, déclare: "(...) 'Pour reconvertir un pays comme La Grand'Combe, il aurait fallu s'y prendre il y a vingt ans! C'est pas maintenant. Il va y avoir une retraite anticipée, on va faire miroiter aux mineurs sept ou huit millions (anciens) et ils partiront'... 'à ce rythme, en 2020, il n'y aura plus d'habitants'".(71) Les tentatives de reconversion demeurent un phénomène marginal(72). C'est dans un contexte général déjà très déprimé que le programme de reconversion - ou cette "opération chirurgicale" visant à redresser la situation de récession - est arrivé, trop tardivement donc, et dans une conjoncture économique nationale (ou internationale) qui ne favorise guère sa mise en vigueur. En effet, les difficultés d'une conversion industrielle locale sont énormes.(73) Le départ massif de la population, le chômage ne cesseront de s'accroître.(74) Ce mouvement forcé d'émigration est renforcé par la faiblesse du développement d'autres secteurs d'activités dynamiques, particulièrement le tertiaire, qui pourraient retenir les grand-combiens. Non seulement le programme de reconversion entraîne un départ massif du personnel des Houillères, mais il provoque aussi un sentiment de frustration, de rejet et de fuite chez les jeunes qui se retrouvent face à un milieu jugé ingrat, enlaidi et dégradé. Puisque les expériences de reconversion n'ont pas relancé la confiance de la population jeune, celle-ci part en nombre chaque fois plus expressif vers les grandes villes à la recherche de travail.(75) C'est justement le départ de cette couche jeune de la population qui va aggraver l'hémorragie dont la ville est victime. "Ils nous ont promis d'ouvrir les usines, mais les usines ne sont pas venues. Il devait y avoir des usines mais tout s'est vidé...". (M. Delacroix. Mineur retraité). Comme l'observeront les linguistes Gardes-Madray et Brès, les anciennes installations délabrées, les vastes bƒtisses de type H.L.M abandonnées, les villages où la plupart des maisons qui gardent été comme hiver fenêtres et portes closes, qu'on voit au long des routes du bassin minier des Cévennes, semblent donner désormais une autre sémantique du mot reconversion. Ce concept qui signifie "adaptation aux conditions nouvelles de l'économie" prend, par rapport au bassin cévenol, un autre sens, celui de traduire un état de "pays en crise": pour le bassin cévenol, reconversion signifie dépérissement, désertification, gâchis.(76) CHAPITRE 5 "VIURE, TRAVALHAR, DECIDIR AL PAYS".(77) Les dernières résistances contre la mort du lieu - le fond de la mine - et de la pratique - le métier - qui définissent une "civilisation" minière, se manifestent sur la région dans les années 80. Deux grèves auront une répercussion régionale et nationale importante. La première, celle de Ladrecht, est déclenchée uniquement par les mineurs de fond, "mineurs cévenols" autochtones et étrangers sous le commandement local de Francis Iffernet (mineur cévenol)(78). Un événement, cependant, qui a réussi à mobiliser une partie expressive de la population et à sensibiliser l'opinion publique grƒce à la fermeté des grévistes - mais il vaut mieux parler ici des "mineurs cévenols" - et qui s'achève par la victoire de la catégorie. Cela prend naissance dans un puits qui se situe entre Alès et La Grand-Combe et qui emploie des mineurs résidant à Alès, à La Grand-Combe et des environs. Divers organismes, et surtout la C.G.T., s'engagent dans la lutte. La deuxième grève a lieu à La Grand-Combe et s'oppose à la fermeture des puits Oules. Là aussi, l'action s'est amplifiée, précipitant l'éveil d'une conscience locale et régionale et entraînant toute la population dans la revendication des mineurs, au moment où la crise prenait corps et menaçait le pays minier. La grève de Ladrecht - l'une des plus dures et des plus longues de l'histoire de la corporation minière(79) - a lieu au début des années 1980, quand la fermeture du puits Destival est annoncée par les Houillères. Le bassin comptait encore 180 effectifs dans ses puits d'extraction(80). Révoltés par la perspective de fermer un puits pourtant encore si rentable, le 5 mai, les mineurs, cégétistes dans leur majorité, et sous l'orientation de Francis Iffernet - "le meneur du combat dans les Cévennes" - occupent "le puits" (le fond) et revendiquent l'ouverture du gisement de "Ladrecht" (facilement exploitable à partir du puits Destival). "A Ladrecht, entre Alès et La Grand-Combe, au coeur des Cévennes, quelque deux cents mineurs entraient le 5 mai 1980 en 'grève active'. Pendant plus d'un an, ils ont occupé le puits, arraché le charbon pour le vendre euxmêmes. Le 10 mai 1981, la victoire de la gauche était la leur."(81) La grève est déclenchée contre la fermeture de la mine, contre la politique du gouvernement après les mesures prises par Giscard d'Estaing pour favoriser les importations, et pour protester contre la gestion des Houillères. Elle aura une importante répercussion grâce aux médias qui diffusent en gros titre ses mots d'ordre: "pour vivre et travailler au pays", lutter par "amour et fidélité au métier et au pays". Une grève médiatique, grƒce au début à l'action de la Radio créée par la C.G.T. - "Radio-Castagne" - et ensuite à d'autres formes de médiatisation qui en divulgueront le déroulement. "Ladrecht a marqué toute une période de la vie de la région. Cette lutte a eu une signification et un retentissement national. Il s'est agi d'une lutte pour le charbon, ressentie dans l'espace occitan comme un élément essentiel du combat pour la vie régionale dans toute sa richesse".(82) Mais il n'y aura pas d'unité d'action syndicale(83). La méthode de la grève est déterminée par la C.G.T. et elle est suivie à 90%. Les mineurs grandcombiens, pour leur part, s'engagent dans la grève. (Chercheur): "Les mineurs de la Grand-Combe ont-ils participé à la grève?" (M. Ramírez): "Pas tous, mais presque, au fond de la mine on était presque 100%. Nous avons occupé le fond." (Mme Ramírez): "On est allé visiter. Il y avait du monde. Et puis la publicité." (M. Ramírez): "Oui, on recevait de monde qui venait d'Allemagne, Andalousie, de toute part". (Chercheur): "Et à La Grand-Combe?" (M. Ramírez): "Ici tout était paralysé, enfin le mineur, au fond de la mine, paralysé, complètement. Mais les usines dehors travaillaient". (M. et Mme Ram¡rez. Mineur retraité et son épouse). Plus qu'un geste plein de symbolisme qui a été l'occupation du puits de Ladrecht, pendant treize mois, les grévistes vivent une situation d'exception, exploitant les mines à travers une expérience autogestionnaire, prouvant que le pays minier pouvait survivre et avait encore besoin du charbon. "Et pendant treize mois, les mineurs tiendront tête aux Charbonnages de France et au pouvoir en place. Pendant treize mois, les mineurs manifestent, collectent, arrachent le charbon, le trient, le pèsent, le livrent à la multitude des demandeurs. Treize mois de découragements, d'espoirs, d'interrogations, de doutes, de rires, de fêtes ... Treize mois pendant lesquels les gueules noires se font mineurs, charbonniers, cuisiniers, guides ... Guides de tous ces visiteurs qui, par centaines, par milliers - parents, amis - descendent au fond de la mine 'voir de leurs yeux' le charbon. Des visiteurs inconnus ou célèbres - seuls, en famille, en délégation - ouvriers, employés, enseignants, écrivains, artistes, journalistes ou mineurs - de Gardanne, du Nord-Pas-de-Calais, de Belgique, d'URSS, de Grande-Bretagne, de Bolivie ... viennent soutenir leur combat."(84) Une grève soutenue par d'autres catégories professionnelles de la région (viticulteurs, pêcheurs, commerçants, etc) et de l'étranger (syndicats de mineurs de divers points du monde). Soutien aussi de la "Lutte occitane" et "V.V.A.P." (Volem viure al païs).(85) De plus en plus, ils sont soutenus par la communauté cévenole. Un nombre important de femmes de mineurs grévistes participent elles aussi, d'abord timidement, et ensuite avec fermeté, s'engageant aux côtés de leur mari de manière effective. Parmi "les femmes de Ladrecht", comme elles ont été nommées, presque toutes découvraient pour la première fois l'univers de travail du mari mineur. Mais une grève difficile à maintenir, qui se confronte à toutes sortes de difficultés: menace de renvoi pour les grévistes, d'expulsion de France pour les grévistes étrangers, risques de répression et d'incarcération; et aussi les soucis personnels, surtout au niveau familial: le drame du manque d'argent, de la peur des représailles. Malgré tout cela, du 5 mai 1980 au 11 juin 1981, jour après jour, les mineurs du fond ont occupé (et travaillé) le puits de Destival. L'action menée pendant la grève sera très vaste et elle a déjà été décrite à maintes reprises(86): manifestions régionales à Alès (à l'appel du P.C. et de la C.G.T.); collecte au péage de l'autoroute; séquestration du directeur des Houillères des Cévennes suivie d'une manifestation à Alès; occupation du Chƒteau de La Levade; rencontre à Destival entre mineurs, universitaires et chercheurs; événements artistiques et fêtes; envoi d'une délégation de femmes de mineurs à l'Elysée; fêtes de fin d'année célébrées au fond de la mine; peinture d'une fresque par des artistes nîmois célébrant le combat des mineurs; événements divers. A La Grand-Combe, des collectes d'argent sont organisées durant le marché bi-hebdomadaire par le "mouvement de solidarité" qui s'organise. Les mineurs grand-combiens, leurs épouses, amis, enfin les citoyens, s'engagent dans la grève. Si elle est soutenue par le pouvoir grand-combien, celui-ci ne s'engage qu'avec des réticences. Le maire, qui était socialiste, restera à l'écart de l'organisation de la grève, qu'il définira comme une "grève de prestige", monopole de la C.G.T. et du P.C.(87). La grève de Ladrecht devient le symbole de la région, d'un "combat" des mineurs cévenols. Elle est donc la preuve d'une "conscience régionale" des mineurs, et c'est ce qu'a voulu matérialiser la manifestation du 13 mars 1981 à Montpellier. A cette occasion, et cela face à 50.000 manifestants, la C.G.T. invite des personnalités engagées dans un "mouvement régionaliste occitan": l'écrivain Jean-Pierre Chabrol, le militant et écrivain occitan Robert Lafont(88) et le leader viticole Emmanuel Maffre-Baugé, auteurs en 1978 d'un manifeste régional - "Mon païs escorjat" - qui est un cri d'alarme et un appel à une prise de conscience régionale. La C.G.T. invite donc ces trois hommes à intervenir à la tribune aux côtés d'Emile Grevoul, Francis Iffernet et Henri Krasucki. Le point fort de la manifestation syndicale, et de connotation hautement symbolique, sera le discours prononcé en occitan par Lafont. Dans la manifestation, les mineurs porteront le bonnet phrygien et la population coiffera les casquettes de mineur. La lutte n'était pas seulement celle des travailleurs mineurs, mais celle de toutes les communautés régionales souhaitant "vivre au pays". "Il fallait créer une situation où, au-delà de la solidarité, ça devienne la propre affaire de tous; se battre non seulement pour que les mineurs aient un travail, mais parce que tout le monde a quelque chose à gagner si on exploite le gisement, à Alès et au plan même de la région. Je me souviens de la manifestation de Montpellier: tous ceux qui avaient quelque chose à défendre, qui une école, qui un bureau de poste, qui une gare, se reconnaissaient dans cette lutte. La dimension régionale a été d'abord syndicale; les Unions départementales, les professions de la région, puis on a dit: 'Il faut beaucoup plus de souffle; cette région est capable de beaucoup plus'. C'était aussi la bataille de l'Occitanie. Et ce jour-là, à Montpellier, c'était l'affaire de tous. Le phénomène régional a été considérable; on s'est demandé: 'Peut-on imaginer un rassemblement avec Lafont, Chabrol, Maffre, ceux qui conduisent la lutte, et puis moi?' Lafont affirmait très fort à travers ce conflit qu'il n'y a pas d'avenir culturel pour la région sans avenir économique; Maffre de son c“té avait compris depuis longtemps, lui le viticulteur, l'importance de la classe ouvrière. Il en avait confirmation là. Chabrol, bien avant Ladrecht, savait à quoi s'en tenir sur l'importance de la classe ouvrière. Tous les trois ont été très bien, chacun avec sa personnalité, je dirais même, avec son personnage. Maffre a été luimême, Chabrol a écrit un très beau texte et Lafont a eu cette idée de parler en occitan. J'ai trouvé ça merveilleux: l'accueil qu'il a eu montre assez que c'était une bonne idée".(89) Sans vouloir nous étendre sur une description détaillée de cette lutte, disons que c'est à travers ce meeting que les meneurs de la grève reconnaissent l'adhésion populaire massive. Cela dépassait en effet le caractère ponctuel d'une simple "défense de l'emploi", et la grève de Ladrecht s'est transformée en une lutte pour la défense des potentialités régionales. L'occitan, la langue des mineurs de fond, était celle par laquelle les mots d'ordre étaient lancés et la "chanson" des grévistes était exprimée. La grève des mineurs devient ainsi un mouvement qui donne au combat économique et politique une dimension symbolique. La lutte pour l'emploi est aussi la lutte pour rester "au pays" dans lequel ils se sentent enracinés: c'est elle qui mobilise leurs sentiments collectifs d'identité sociale. "Notre souci a été de faire gravir des crans à la conscience régionale autour de cette lutte; on voulait ouvrir Ladrecht, mais aussi que les gens se rendent compte qu'il s'agissait d'une lutte symbole, la possibilité pour cette région de faire d'autres choix que ce à quoi on la destinait, le bronze-cul de l'Europe, comme on dit".(90) Devant le processus de déchirement du groupe des mineurs, le mouvement de résistance se reproduit aussi à l'échelle de l'identité régionale. L'objectif n'est pas de prendre le pouvoir politique, mais de conduire une action "pédagogique" qui se répercute sur les mentalités, qui marque l'événement dans la mémoire collective de la communauté. A la tendance défensive du syndicalisme s'unifie un mouvement populaire. Il s'agit d'une stratégie, une stratégie de lutte réussie qui consiste à récupérer les valeurs de la tradition du groupe régional: la "résistance". Cette "valeur" de tradition est récupérée ici comme une emblématique identitaire qui représente "le pays cévenol" par l'évocation du temps des camisards(91), mais aussi "le pays minier cévenol" et, de surcroît, les mineurs expliquent "qu'en Cévenne" non seulement ils ont été mineurs de père en fils, mais qu'ils se sont battus de père en fils. Les mineurs qui ont vécu la grève confirment que cette volonté de lutte relève de la tradition cévenole. Ils revendiquaient à travers elle cette prestigieuse résistance remontant soit à la tradition du "pays cévenol" - le temps des Camisards (même si ceux-ci étaient des paysans) - soit de la tradition de combativité qui a toujours caractérisé la catégorie de mineurs. Il est ainsi fait appel à l'histoire du pays cévenol et au passé "héro‹que" des mineurs. La volonté de se battre, "c'est le tempérament du mineur cévenol", dira le leader de la grève, Iffernet. Le combat se trouve donc rapporté à un "mouvement de solidarité" dont la motivation est "l'honneur du mineur cévenol" et qui est justifié comme relevant d'une "tradition de résistance", au long de laquelle le cévenol a toujours cherché à rester attaché au pays et à y travailler. Les mineurs qui ont participé à ce combat rapportent aux sociologues, dans le livre Paroles Ouvrières, qu'à cette occasion, face à "la loi" (la police) ils se sont tous auto-dénommés de "Ladrecht": "Face au représentant de la loi, les grévistes se donnent une nouvelle identité - Ladrecht - ils se font fragment des Cévennes, justifiant leur présent par un long passé de résistance au pouvoir. Ce nom de lieu brusquement promu nom de personne signifie l'appropriation d'une lutte et d'une terre".(92) Un point fort de la grève, organisée jusqu'au bout par la C.G.T., sera la marche sur Paris. Afin de sensibiliser l'ensemble de la population française, une journée d'occupation d'un quartier populaire de la capitale est réalisée au début de 1981. Intellectuels, universitaires, artistes, écrivains, scientifiques, religieux, professionnels libéraux et politiciens apporteront leur soutien à la grève. Le 11 juin 1981 (sous le gouvernement de F. Mitterrand, élu le 10 mai 1981), un accord stipulant l'ouverture de travaux de reconnaissance du gisement est signé(93). La fête succède à la résistance: le 12 juin 1981, un grand bal est réalisé sur "le carreau" et la victoire est célébrée par des feux d'artifice. Après une grève qui aura duré 436 jours, le travail est repris au puits Destival le 16 juin 1981. Pour les mineurs, c'est la victoire, et, pour les familles, le soulagement. La victoire, diront les mineurs, concrétisait l'effort de la communauté pour assurer la continuité du travail dans l'espace qui les définit comme professionnels, le fond de la mine - "Là, on est les rois!"(94) - autant que de l'univers du mineur, de l'espace de son quotidien: la maison, le quartier, la ville, la région. Si la grève n'est pas suivie à 100%, c'est qu'elle révèle les difficultés matérielles de ceux qui n'ont pas voulu s'engager, mais peut-être aussi leur désaccord politique ou idéologique, ou même leur passivité. La reprise du travail s'effectue donc dans une ambiance de tension et de mépris à l'égard des ouvriers non-grévistes. Pour la C.G.T., cette victoire sera aussi celle du syndicat. La victoire, c'est la reprise du travail, ce sont les accords obtenus sur les salaires et les sanctions supprimées. Après la grève (1981), elle entame les procédures nécessaires pour réclamer et obtenir 300 nouvelles embauches aux H.B.C., l'objectif étant pour le gisement de Ladrecht un total de 9 millions de tonnes d'anthracite exploité par an et une prévision d'encore 30 ans d'activité et de travail pour environ 1.100 personnes dans les seules Houillères du Bassin Cévenol. Selon le Journal "Travailleur du Sous-Sol", "des jeunes, qui n'avaient comme horizon que le chômage, découvrent, apprennent, aiment le métier de mineur"(95), le "métier", répétons-le, "c'est le travail". Cependant, la reprise de l'embauche sera sans lendemain. Après 6 mois d'exploitation, l'activité du gisement se ralentit. Les licenciements, les reconversions sont de nouveaux présents. La grève de Ladrecht, "grève de prestige d'un monde qui part à la retraite"(96), n'aura pas changé la situation: la menace de désintégration de l'univers du mineur ne cessera de s'accroître et de se concrétiser. "... elle est loin, l'euphorie du fameux 10 mai où un Ladrecht victorieux s'inscrivait en feux d'artifice dans le ciel. La lutte a repris sur le carreau. La même, par les mêmes. Qui sont ces irréductibles? Descendants des huguenots rebelles que, déjà, Louis XIV nommait les 'récalcitrants', ou encore les 'opiniƒtres', ils se battent contre la fermeture de leur mine, pour l'exploitation du gisement de Ladrecht (en occitan: le versant ensoleillé). Leur combat dépasse la question économique et sociale. Quand une mine ferme, les villages alentour meurent en peu de temps. C'est un lambeau palpitant d'humanité qui disparaît à jamais".(97) En effet, en 1985, c'est à La Grand-Combe que les Houillères font encore converger leur action de fermeture. Ce sont les puits "modernes" des Oules qui sont visés. "Quand ça a commencé à fermer ils ont mis les gens dans la retraite anticipée. C'était encore les jeunes et puis il y avait les gosses alors ils ont commencé à partir. Beaucoup de gens, ils ont trouvé des emplois dans d'autres villes. Beaucoup sont partis à Nîmes, à Lyon, partout. Il y avait encore des mineurs travaillant aux Oules, mais puis ça été aussi fermé, et alors les jeunes sont partis. Et puis, des fois, les parents allaient les rejoindre, pour se rapprocher de leurs enfants. Dans l'affaire de quelques années, ça a vidé ici". (M. Briand. Mineur retraité). Un nouveau mouvement de résistance s'organise, empreint du même esprit de solidarité qu'auparavant. Les mineurs occupent les puits des Oules les 16 et 17 février. Mais la grève reste sans effet. "Dès lors tout espoir de reprise minière en Cévennes semble perdu", diront les historiens locaux(98). "16 septembre 1985: le puits des Oules est en grève, les mineurs l'occupent. Dix kilomètres le séparent de Destival, quatre ans et demi le séparent de la grève de Destival. Entre les deux, il y a ce gisement de 9 millions de tonnes de Ladrecht. Entre les deux, il y a les promesses, les engagements, les renoncements et la colère des mineurs. Entre les deux, il y a une zone industrielle quasiment nue, mais entre les deux, il y a aussi un enjeu de taille: l'emploi pour des milliers de personnes, une activité économique et sociale pour toute la région".(99) Le changement de gouvernement survenu en 1981 ne modifie pas la réalité de la production charbonnière nationale. Si l'élection de Mitterrand du 10 mai 1981 représentait l'espoir de renverser la situation dictée par le gouvernement de Giscard, elle débouchera pourtant sur la liquidation des puits. En 1985, et tout en continuant à défavoriser la politique de production interne - la France importe déjà 23 millions de tonnes, soit 60% des besoins nationaux en charbon(100) - des postes d'extraction sont fermés dans les Cévennes, en Lorraine, dans le Nord-Pas-de-Calais, en Provence, à Montceau, à Carmaux, à Decazeville, à la Mure, à l'Aumance (pour ne citer que quelques exemples). Si le "mouvement social" est "réussi", c'est-à-dire si une forte conscience de classe et régionaliste se manifeste, si la lutte minière politique devient un chapitre significatif de "histoire de résistance cévenole", elle ne débarrassera pas pour autant l'avenir de l'hypothèque de la production charbonnière régionale, démentant ainsi les affiches que l'on persistait à coller sur les murs: "Le charbon! Ladrecht, c'est l'avenir". De plus en plus, la mine devient "l'arrièrepays de l'industrie", un "combat d'arrière-garde" (pour paraphraser Lucas(101)).(102) L'innovation technologique ne peut plus tromper la réelle dynamique sociale de "l'idéologie du progrès": l'imposition des changements qui provoquent des ruptures dans les modes de vie et de perception de sens dans ce vécu social. "Preuve que les grandes valeurs du progrès ne fonctionnent plus comme des éléments catalyseurs de la dynamique sociale, la technologie ne paraît pas satisfaire d'emblée des demandes sociales, elle impose des mutations (...) elle n'assure pas ses propres liaisons de sens".(103) 1. A La Grand-Combe, ceux de Trescol, La Verrerie et Portes en 1953 2. Rochessadoule et La Vernarède en 1954, Bessèges en 1957. 3. FLECHON. Op. cit. Tome II. p. 287. 4. "Tributaire d'un marché où les principaux consommateurs sont des foyers domestiques, des chaudières de petites usines et de locomotives, cette houille ne résiste pas à la concurrence du mazout, du gaz naturel et de l'électricité". In: LAMORISSE. Op. cit. p. 344. Voir aussi: FAVEDE. Op. cit. p. 93. 5. Voyons à ce sujet le point de vue de l'ingénieur Flechon, alors Secrétaire Général des H.B.C.: "(...) que pouvait-on reprocher aux Houillères? Des investissements, effectués dans les années d'euphorie et, qui, n'étant pas utilisés au plein de leurs capacités, pesaient sur les résultats de tout le poids de leurs amortissements, et de leurs charges financières, entraînant un co–t excessif à la tonne produite? Des charges sociales particulièrement lourdes, avec le poids du passé, les importants effectifs d'alors, et leur cortège de rentes d'accidents du travail et de maladies professionnelles rapportées aux versements plus légers des effectifs réduits? Des salaires en augmentation et des prix de vente à peu près stables? C'était là le problème général des houillères françaises dans une économie qui, prospère sur le plan national, voyait cependant la part du charbon s'amenuiser sans cesse; et chacune parmi ces houillères, avait à faire face aux mêmes problèmes avec des résultats inégaux, mais toujours médiocres". In: FLECHON. Op. cit. Tome II. p. 274. 6. Jean-Marcel Jeanneney, ministre du Travail du premier gouvernement Pompidou. "En 1960, le plan Jeanneney fixe pour 1965 un objectif de production de 53 millions de tonnes. En 1965 le gouvernement accentue la régression à 48 millions de tonnes pour 1970. Dès 1967, l'objectif est atteint et en 1968 le plan Bettencourt fixe un plan de réduction draconien, les charbonnages de France ne devant pas produire plus de 26 millions de tonnes en 1975, 14 millions en 1980, 10 millions de tonnes en 1983. L'objectif de 1975 étant atteint dès 1973. Car en plus du gaz naturel, le pétrole puis l'énergie nucléaire viennent concurrencer le charbon national". In: DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 76. "Le plan Jeanneney (1960) prévoyait une baisse de la production charbonnière française de six millions de tonnes en cinq ans et des mesures de reclassement; en 1968, le plan Bettencourt complétait le premier par un accroissement de la productivité (mécanisation intense des puits les plus rentables, modernisation de la gestion, recours aux filiales et à la soustraitance). C'est cette politique qu'interrompt la brève relance de 1981." In: LUCAS. (1985). Op. cit. p. 72. 7. "La crise est pour une part une mise en panne. A quoi se lie le problème de sa perception, de la prise de conscience de ce qu'elle est 'en soi' et de ce qu'elle est 'pour' un sujet. Celui-ci ne l'appréhende pas immédiatement (elle existe d'abord à l'état latent); il l'interprète, lorsqu'elle est devenue manifeste, par le moyen de 'programmes' et d'images qui lui sont antérieurs et mal ou non ajustés, variables selon les conditions et les intérêts individuels. Un rapport dialectique s'établit entre la crise et sa perception, qui opère d'abord dans le sens d'un renforcement, d'un heurt des interprétations et des actions, avec des effets de rétro-action. La crise replace au premier plan les idées, leur force et leur faiblesse, ou plut“t les cosmologies sociales, selon la formule de Johan Galtung. La conscience de la crise est de celle-ci partiellement constitutive, comme celle du désordre l'est de celui-ci. Dans une perspective classique, la crise est saisie en termes de dysfonctionnement, voire de pathologie; elle est le signal que 'quelque chose ne fonctionne pas'; elle est alors définie par des sympt“mes et un diagnostic, évaluée dans son devenir par un pronostic. Société anomique, société sous choc, société malade sont quelques-unes des formules qui désignent cet état critique. Dans une perspective scientifique plus actuelle, la crise est rapportée au mouvement, à une évolution dissociée de l'interprétation darwinienne. Elle est une contrainte plus apparente, plus lourde, de procéder à une recombinaison de l'ordre et du désordre, à une bonne utilisation du 'chaos'. Elle impose de transformer l'improbable en probable, d'établir des structures relativement stables sur une assise mouvante. Elle est l'exaspération du mode d'existence du social, et non sa maladie". In: BALANDIER. (1988). Op. cit. p. 80. 8. "La crise économique, c'est aussi une crise des rapports sociaux et de l'identité.", dit Pinçon sur les familles de métallurgistes dans les mutations industrielles et sociales à Nouzonville. In: PINçON. Op. cit. p. 105. 9. Journal Le Pays Cévenol et Cévennes. Hebdomadaire régional d'informations d'annonces légales et judiciaires agréé pour l'ensemble du Département du Gard. Le 7 septembre 1991. p. 8. 10. Sur une nouvelle "logique du système scolaire et du système économique", voir: BOURDIEU. (1979). Op. cit. 11. FLECHON. Op. cit. Tome II. p. 273. 12. Les "fils de mineurs" identifiaient leur entrée dans le statut d'homme adulte avec la descente à la mine. C'est à l'intérieur du monde de la mine que se donnaient les chances réelles (et objectives) de travail, d'avoir une "situation" ("comme on disait autrefois"), ce qu'ils acceptaient "parfois avec empressement", "presque toujours comme allant de soi, le destin social". Nous suivons ici, BOURDIEU. (1979). Op. cit. p. 161. 13. Taux de fécondité à La Grand-Combe: 1954: 97%; 1975: 45%. Source: DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 85. 14. DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 83. 15. "La part des ouvriers de moins de dix-huit ans est passée de 681 en 1950 à 100 en 1962 et à 60 en 1966". In: LAMORISSE. Op. cit. p. 344. 16. FLECHON. Op. cit. Tome II. pp. 285 et 286. En plus, sur la grève de 1965, voir Annexe 23. 17. Pour l'agglomération de La Grand-Combe: A) Ménages n'ayant aucun enfant. 1975 71,2% 1982 76,3% b) Ménages à deux enfants 1975 8,0% 1982 6,9% SOURCE: DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 85. 18. "Le désordre s'inscrit en ce qui définit l'ordre. La liberté partielle, l'irruption du nouveau et sa stabilisation relative, le déterminisme limité trouvent ainsi leur place". (...) "Il n'est pas pour autant ignoré que l'inversion de l'ordre n'est pas son renversement"; (il parle ici d'un société de la tradition) "elle peut servir à son renforcement ou en être constitutive sous une figure nouvelle. (...)." In: BALANDIER. (1988). Op. cit. pp. 81 et 117. 19. Pour paraphraser Bourdieu. In: BOURDIEU. (1979). Op. cit. p. 164. 20. FLECHON. Op. cit. p. 273. 21. "La modernité brouille les cartes" (d'une cartographie de l'ordre et du désordre), dit Balandier. "Elle connaît les défis de l'histoire, elle subit des épreuves que les conditions extérieures (dont celles du milieu) lui imposent, elle est ouverte à l'événement et aux aléas, elle engendre des refus briseurs de conformité, des discordes et des affrontements, elle bouge et n'est pas simplement répétitive d'elle-même de génération en génération. Ce par quoi elle diffère essentiellement est d'une nature, et peut-être révélateur de certains manques apparents dans la société de la modernité, ceux qui engendrent un désir de retour au passé (la nostalgie apaisante) ou une certaine fascination pour l'archaïque). In: BALANDIER. (1988). Op. cit. p. 150. 22. La grève nationale des mineurs de 1963, par exemple, a duré 35 jours et a été menée pour la défense du droit de grève et pour les revendications de la corporation minière tant au niveau salarial qu'à celui de la mise en place d'une table ronde où devait se discuter l'avenir de la profession et à laquelle devrait être ouvert le dossier concernant la réduction du temps de travail. Pour une analyse des grèves des mineurs à l'époque voir: CASTORIADIS, Cornelius. L'expérience du mouvement ouvrier. Prolétariat et organisation 2. Paris, Union Générale d'Editions, 1974. Chapitre: "La Grève des Mineurs". pp. 367 à 372. 23. Voir Annexe 21. 24. AUFFRAY, Danièle et alii. Op. cit. p. 13. 25. "Volem viure al pa‹s", mot d'ordre du mouvement VVAP que devient vers 1974 la principale force politique du mouvement occitan. "Organisée en comités locaux, sur la base du village ou de la ville, avec une double coordination (régionale et occitane), VVAP allie l'occitanisme au programme commun de la gauche. Au-delà d'un nationalisme essentiellement culturel, les comités VVAP se construisent autour d'un projet qui en appelle à une régionalisation démocratique, à l'institution d'un 'pouvoir régional des travailleurs' sous la forme, en particulier, d'assemblées régionales élues au suffrage universel. Des propositions très concrètes sont élaborées et Robert Lafont publie en 1976 un ouvrage, Autonomie, de la région à l'autogestion, qui exprime très clairement les orientations régionalistes du mouvement naissant, tandis qu'un rapprochement de plus en plus sensible s'opère avec la gauche communiste et socialiste: soutien critique au programme commun et possibilité d'une double appartenance ( à VVAP et à un parti politique). (...) Au milieu des années soixante-dix, le mouvement occitan semble avoir réussi une double synthèse, celle des revendications économiques et de la lutte culturelle et celle de l'affirmation nationale et de la participation à la gauche française. C'est aussi le moment où semblent s'unir le mouvement occitan et celui des viticulteurs". In: TOURAINE et alii. Op. cit. pp. 48 et 49. 26. Informatif de la Mairie de La Grand-Combe. "26 ans d'activités, 1957-1983: Le mot du Maire". La Grand-Combe 1983. 27. FLECHON. Op. cit. Tome II. p. 290. 28. BALANDIER. 1985(a). Op. cit. p. 26. 29. Cf: NOIRIEL. (1986). Op. cit. p. 215. En outre: "Si les décisions ne sont pas remises en cause, ces luttes constituent un puissant facteur de développement des relations contractuelles. La 'Table ronde' de 1963 aboutit à un 'marchandage' généralisé assurant la reconversion des mineurs et inaugurant une forme de compromis qui aura beaucoup de succès par la suite: les préretraites". Ibidem. pp. 215 et 216. 30. Cf. CARRIERE, P. "Les industries cévenoles aujourd'hui". In: JOUTARD. (sous la direction de). Op. cit. Chapitre 8. p. 302. 31. Ibidem. pp. 303 et 304. En outre, voir Annexe 24. 32. RAPPORT. Etude de développement de La Grand-Combe. BETURE. Mairie de La Grand-Combe. 1987. 33. Expression de Schwartz, pour parler de la récession charbonnière et de la marginalisation économique vécues par la société minière du Nord et du Pasde-Calais depuis les années 60. In: SCHWARTZ. Op. cit. p. 12. 34. "Ainsi que l'a fait remarquer Bateson, la forme de changement la plus simple et la plus familière est le mouvement, c'est-à-dire le changement de position. Mais le mouvement peut être lui aussi sujet au changement, c'est-àdire à l'accélération ou à la décélération, ce qui constitue un changement (un méta-changement) de position". WATZLAWICK, P.; VEAJKABD. J.; FISCH, P. Changements, paradoxes et psychothérapie. Paris, Seuil, 1975. Collection Points. p. 25. 35. RAPPORT. Etude de développement de La Grand-Combe. BETURE. Mairie de La Grand-Combe. 1987. 36. A ce sujet voir Annexe 25. 37. Selon: A) LAMORISSE. Op. cit. B) DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 83 et 84. 38. LAMORISSE. Op. cit. p. 398. 39. Voir Annexe 26. 40. Autrement dit, le mariage est vu comme facteur d'intégration sociale dans la ville choisie pour "recommencer" la vie. Selon l'auteur, d'après le dépouillement des bulletins de mariages entre 1963 et 1967 pour l'agglomération de La Grand-Combe, sur un total de 728, 429 futurs maris habitaient sur place, 92 étaient domiciliés à Alès ou dans une autre commune du bassin, 118 venaient du triangle Lyon-Marseille-Montpellier, et 63 du reste de la France (surtout de la région parisienne). Le lieu de domicile du mari nous indique les lieux de destination des jeunes partant de La Grand-Combe. Selon: LAMORISSE. Op. cit. p. 345. 41. Ibidem. p. 345. 42. Voir Annexe 27. 43. Schwartz suggère autrement: "Avec la perte du travail, l'homme ne perd pas seulement ses ressources, mais aussi un espace et une légitimité qui constituent ses attributs masculins traditionnels. Dans une société ouvrière comme celle du bassin minier, où le travail représente un pilier des identités masculines, celles-ci s'effritent immédiatement lorsque surgit le ch“mage." In: SCHWARTZ. Op. cit. p. 83. Nous suggérons plus loin des formes de réélaboration et de réinvention de la sociabilité du groupe face à l'éclatement de la ville, au nombre important des départs de jeunes et à l'image d'une "ville sinistrée", "d'une ville de retraités". Voir Partie V. 44. Nous suivons ici, Philippe LUCAS: "Nous sommes en présence de bien autre chose, en effet, que de nostalgies d'une époque révolue et dont on sait bien qu'elle n'a pas été l'ƒge d'or, parce qu'on sait bien aussi que la mine nous fout les quatre fers en l'air, qu'on se fout de nous, que tant qu'on produit on est bon (et) quand on ne produit plus, hop, vous pouvez bien crever, vous n'êtes plus bons à rien (Témoignages de mineurs retraités, 1981). Défendre son 'métier', même et peut-être surtout si ce métier n'en est pas un, c'est sans doute s'insurger contre l'incertitude de l'existence qui fait la condition prolétarienne, mais moins au nom d'un passé mythique, ou de l'avenir qui se dérobe, qu'au nom de ce qu'on croit tenir et qu'après le syndicat, on croit pouvoir désigner dans les 'acquis'. Ce qu'on défend alors en défendant un impossible - et deux fois impossible - métier, c'est sans doute autant ce que menace objectivement et immédiatement la récession minière, que ce qu'on ne sait pas nommer autrement que dans un langage d'emprunt, une sorte de pas-encore-là dont les contigu‹tés de la mine (une hérédité et peut-être une histoire, plus prosa‹quement des outils, un savoir, une maison, un jardin aussi) seraient la trace". In: LUCAS. (1985). Op. cit. p. 111. 45. Sur le processus de reconversion des mineurs dans le Bassin des Cévennes, voir: A) CAUCANAS, Gérard. Alès: activité industrielle et reconversion. M.M.G. Thèse de Maîtrise. Université Paul-Valéry, Montpellier, 1972. 107 p. ronéo. B) CORNU, R. et alii. "Analyse contextuelle de la mobilité". In: Revue Recherches Economiques et Sociales. Notes Critiques et Débats. 1976. nø 2. p. 29 à 34. C) CORNU, R. et PIçON, B. "Analyse Contextuelle de la Mobilité. 2ème Partie: "Mineurs Cévenols et Provençaux face à la crise des Charbonnages". Rapport. Laboratoire d'Economie et de Sociologie du Travail. Aix-en-Provence, 1975, VIII. 407 p. 46. Du secteur tertiaire également. Mais c'est surtout Alès qui connaîtra un développement important dans ce secteur. 47. DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 105. 48. Ce qui peut expliquer que le déclin démographique accéléré qui caractérisera La Grand-Combe n'est pas le même pour tout le bassin charbonnier. Alès attire, grƒce à un secteur tertiaire très développé, une grande partie de l'exode des petites villes minières en décadence. Ainsi le jeune grandcombien, qui a plus de chance d'y trouver un emploi, même temporaire, n'est pas obligé de s'éloigner du "pays" minier. Lamorisse, explique l'attirance qu'Alès exerce alors: "Avec une situation géographique meilleure que celle des impasses d'amont, avec une structure sociale plus différenciée et plus urbanisée, elle supporte mieux la retraite du charbon; mais, si elle ne fait que profiter momentanément des tribulations du voisinage, elle risque de dépérir à son tour". Cf. LAMORISSE. Op. cit. p. 400. 49. "Alès enregistre un solde migratoire positif supérieur à 20% entre 1968 et 1975". In: DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 82. 50. LAMORISSE. Op. cit. p. 385. 51. DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 82. 52. Voir Annexe 28. 53. Ses activités consistent en la fabrication de cƒbles pour le transport d'énergie et de télé-communications terrestres et sous-marins, système H.F., et en ingénierie et réalisation de systèmes complets de connecteurs et accessoires. L'usine des Salles-du-Gardon est l'une des huit usines françaises de C.D.L. En 1989, 25O personnes y sont employées, dont la moyenne d'ƒge est de 38 ans. Selon: Article: "Journée portes ouvertes. Grosse affluence aux Cƒbles de Lyon". In: Journal Midi Libre. Vendredi 27 octobre 1989. N 6. 54. "Remarquons au passage que les 'découvertes' utilisent beaucoup moins de personnel - surtout qualifié et d'entretien - que le fond. Il ne s'agit donc pas d'une évolution technique mais d'un processus de fermeture ralenti pour éviter les remous sociaux. Par contre, les dégƒts sur l'environnement sont infiniment plus graves: seuls les pins pourront s'accrocher à ces versants bouleversés, au sol rare et où l'eau s'infiltre immédiatement dans la caillasse". Cf: WIENIN. Op. cit. p. 56. 55. LAMORISSE. Op. cit. p. 346. 56. DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 104. 57. Jusqu'alors caractérisées comme des "cellules bien individualisées: La Grand-Combe, ses environs, vallée de l'Aiyement, Alès". In: DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 82. 58. Ibidem. 59. Ibidem. 60. FLECHON. Op. cit. Tome II. p. 287. 61. Cf. G. Caucanas (1972). p. 83. Cité par: LAMORISSE. Op. cit. p. 388. Sur les primes offertes pour la reconversion, voir également: FAVEDE. Op. cit. 95. 62. LAMORISSE. Op. cit. p. 344. 63. Voir Annexe 29: "Tableau de Départs à la retraite anticipée". 64. FLECHON. Op. cit. Tome II. p. 272. 65. Ibidem. p. 273. 66. Voyons, à titre indicatif, le dépouillement fait par Favede sur un total de 697 personnes reconverties entre 1960 et 1979. Sur ce total, 154 personnes ont été reconverties "avec contrat" dans des entreprises installées dans la région cévenole et 55 personnes "avec contrat" dans des entreprises d'autres régions (ils se sont distribués dans 171 entreprises régionales et 188 entreprises hors région, notamment Provence, Sa“ne-et-Loire, Nord-Pas-de-Calais et Lorraine). 17 personnes se sont reconverties "sans contrat" dans les entreprises locales et 129 hors région. En ce qui concerne les mutations volontaires, les secteurs visés ont été: l'agriculture (4 sur place et 6 dans d'autres localités), l'artisanat (18 sur place et 6 hors-région), le commerce (21 conversions locales et 13 excentrées), les mines (3 sur place et 3 dans d'autres régions), la fonction publique (9 sur place et 77 ailleurs), les professions libérales (3 sur place), l'E.D.F. (1 hors région), les départs à l'étranger (12), et divers (50 sur place et 113 dans d'autres localités). 67. Ce que peut être analysé comme une situation de "perturbation": au contraire du concept d'événement - un fait qui s'inscrit dans un répertoire de situations attendues (Christian Lalive d'Epinay) - celui de perturbation est un moment de rupture et implique une réorganisation relative du fonctionnement du ménage à partir des "stratégies de vie" du ménage. Nous suivons ici PANET-RAYMOND, Jean avec la collaboration de Charlotte Poirier. "L'utilisation des récits de vie dans une enquête statistique". In: DESMARAIS et GRELL. Op. cit. p. 109. 68. LAMORISSE. Op. cit. p. 345. 69. Les turcs arrivent à La Grand-Combe en 1974 et, dans leur majorité, ils vivaient déjà en France auparavant. Ils n'arrêteront plus de venir s'installer dans la ville, surtout dans les années 80. En 1986 ils composent 8,4% de la population étrangère de la ville. Les marocains sont moins nombreux (4,5% de la population étrangère) et ne sont arrivés qu'après 1976. Les asiatiques sont des réfugiés et sont peu nombreux (11 laotiens et 5 vietnamiens): ils arriveront après 1982 et viendront à La Grand-Combe pour être placés dans le Centre de Formation Professionnelle installé dans le quartier de Ribes, où ils suivront également des cours de français. Mais, depuis 1970 les nouveaux venus sont aussi et encore des espagnols et des italiens, respectivement 18% et 3% du total des étrangers dans la ville alors que 15% des habitants sont des populations étrangères. Cf: DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. pp. 88, 89 et 91. 70. Nous utilisons le concept mentalité en tant que catégorie "du natif", c'est-àdire, par nos interviewés. Nous y reviendrons plus loin. 71. Interview menée par GARDES-MADRAY et BRES. Op. cit. pp. 230 et 231. 72. DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 78. 73. Sur les efforts de reconversion concrétisés à La Grand'Combe: DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 93. 74. "Si la faible diversification des demandes est une source de difficultés supplémentaires, la principale cause du ch“mage est la faiblesse de l'armature industrielle et commerciale de la ville." In: DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 93. 75. "En somme, depuis qu'on sait l'échéance proche, aucun progrès n'a été accompli sur la voie d'une authentique conversion, génératrice de nouvelles richesses, capable de rendre confiance à une population jeune, active, forte, consommatrice de denrées, biens et services, et de reconstituer, dans ce secteur moribond, surtout desservi par sa mauvaise réputation, un réseau de relations animé par des villes comme Bessèges, St-Ambroix, La Grand-Combe et Alès. Mais jusque-là, personne n'a cru au succès d'une entreprise qui ne pourrait jamais surmonter de trop puissants obstacles: des paysages enlaidis par l'industrie lourde, la méfiance qui inhibe toute initiative, l'implacable loi du profit où, dans notre société, l'homme est plus un facteur de production qu'un habitant." In: LAMORISSE. Op. cit. p. 345. 76. GARDES-MADRAY et BRES. Op. cit. p. 114. 77. "Vivre, travailler, décider au pays": Mot d'ordre occitan forgé durant la grève des mineurs de Decazeville, et repris lors d'autres luttes locales et par les grévistes de Ladrecht. 78. Par décret du 23-12-1982, Iffernet est fait chevalier de l'ordre national du Mérite pour son r“le joué dans la lutte pour l'avenir de Ladrecht. Il devient une "figure historique de la conscience ouvrière et de la défense régionale". Malgré cela, en 85 intervient la répression et la décision gouvernementale de le révoquer ainsi que d'autres militants, "ce qui ne s'était pas vu dans la corporation minière depuis près de 35 ans". Cf: LADRECHT. "Résister, conquérir, lutter". Supplément au "Travailleur du Sous-sol" nø 520 - Février 1986. Fédération Nationale des Travailleurs C.G.T. du Sous-Sol. p. 42 et 43. 79. Ibidem. p. 7. 80. GARDES-MADRAY et BRES parlent de 200 mineurs de fond (sur un effectif total de 1200 employés aux Houillères du Bassin des Cévennes). Op. cit. 81. CHABROL. "L'Adieu au Charbon". In: Op. cit. p. 60. 82. Préface de Henri Krasucki. In: GARDES-MADRAY et BRES. Op. cit. p. 12. 83. F.O. ne s'engage pas, car il y a désaccord autour d'une grève "téléguidée par le P.C." (Jean Aforti). La C.F.D.T. n'était pas représentée au fond au moment du conflit (elle était mieux placée par rapport aux travailleurs de surface). 84. GARDES-MADRAY et BRES. Op. cit. 85. "L'intervention sociologique a montré comment, par des cheminements divers, de nombreux militants occitans se sentaient attirés par cette politique qui a conduit le parti communiste à soutenir fortement la culture occitane, qui devient ainsi le ciment de l'unité des forces populaires dans les régions du Midi, premières victimes de la crise économique". In: TOURAINE et alii. Op. cit. p. 278. 86. Sur la grève de Ladrecht, voir: A) GARDES-MADRAY et BRES. Op. cit. B) BALTERS (sous direction de). Op. cit. 143 p. C) LADRECHT. "Résister, conquérir, lutter". Supplément au "Travailleur du Sous-sol" nø 520 - Février 1986. Fédération Nationale des Travailleurs C.G.T. du Sous-Sol. 87. Interview concédée en 1984 à GARDES-MADRAY et BRES. Op. cit. p. 232. 88. Robert Lafont: écrivain occitan, il est aussi théoricien du régionalisme et milite depuis longtemps pour que les luttes ouvrières revendiquent l'exigence de vivre au pays. Dès 1962, il rejoignait les mineurs de Decazeville qui avaient fait leur le drapeau occitan. GARDES-MADRAY et BRES. Op. cit. p. 250. 89. Entretien entre Henri Krasucki et les sociolinguistiques GARDES-MADRAY et BRES. Op. cit. pp. 215 et 216. 90. Interview à Myriam Barbéra, secrétaire du comité régional du P.C. In: GARDES-MADRAY et BRES. Op. cit. p. 236. 91. "On ne peut pas expliquer Ladrecht si on oublie qu'on est au pays des camisards, au pays de la résistance cévenole". In: GARDES-MADRAY et BRES. Op. cit. p. 233. 92. Ibidem. p. 128. 93. Voir Annexe 30. 94. Phrase d'un mineur gréviste de Ladrecht, citée par GARDES-MADRAY et BRES. Op. cit. p. 129. 95. Au niveau économique, Ladrecht est considéré comme rentable: "équilibre les trois premières années; bénéficiaires dès la troisième année; excédentaires de 6 millions de francs dès la neuvième année"; et socialement indispensable pour la région: "La région Languedoc-Roussillon, avec plus de 100.000 sansemploi, est la plus touchée des régions de France par l'aggravation du ch“mage. Le maintien en activité, voire le développement d'une industrie de base comme le charbon, constitue un point d'appui considérable pour le renouveau économique et social de la région. Dès la première année en exploitation de Ladrecht, c'est 300 mineurs supplémentaires qu'il faut embaucher, c'est 300 ch“meurs de moins, c'est 300 familles assurées de conditions d'existence normales. C'est aussi pour toute l'activité économique de la région, (commerce, enseignement, etc) à partir du charbon et des activités qu'il entraîne, en amont ou en aval, un renouveau industriel et d'emploi". In: Supplément au "Travailleur du Sous-Sol". nø 520 - Février 1986. Fédération Nationale des Travailleurs C.G.T. du Sous-Sol. 96. Expression de Maurice Larguier, maire de La Grand-Combe. Interviewé en 1984 cité par GARDES-MADRAY et BRES. Op. cit. p. 232. 97. CHABROL. "L'Adieu au Charbon". In: Op. cit. p. 60. 98. DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 79. 99. LADRECHT. "Résister, conquérir, lutter". In: Op. cit. p. 41. 100. Comme celle du charbon venu de l'Afrique du Sud, dont le bas prix avait un rapport étroit avec le régime du pays et les conditions d'exploitation de la main-d'ouvre noire: "La production charbonnière nationale ne suffit pas à satisfaire les besoins du pays. En 1985, la consommation de charbon en France aura oscillé entre 39 et 40 millions de tonnes, la production intérieure a plafonné à moins de 17 millions de tonnes. Il a donc fallu importer 23 millions de tonnes, soit 60% de nos besoins, importations qui ont pesé lourdement dans la balance commerciale. C'est en même temps notre indépendance nationale qui est menacée". In: Ibidem. p. 15. Le grand avantage de l'importation, selon l'ingénieur Jean Salze, interviewé par les sociolinguistes Gadès-Madrey et Brès, est le suivant: "les circuits de distribution du charbon importé ne sont pas nationalisés; donc, jusqu'à présent, ce sont des sociétés privées qui font cette opération, ce qui leur rapporte beaucoup d'argent. Les distributeurs l'achètent à des prix de dumping aussi bien en Pologne qu'en Union soviétique, qui vendent à des prix qui ne nous facilitent pas la tƒche. Ils achètent à des prix défiant toute concurrence, et où ils se foutent pas mal des accidents mortels qui peuvent arriver. Par ailleurs, ils ont négocié des quantités de marchés, fait à l'étranger des investissements dans des ports charbonniers, en Amérique, en Afrique du Sud, alors tout ça fait qu'ils ont intérêt à poursuivre leur politique." In: GARDES-MADRAY et BRES. Op. cit. p. 192. 101. LUCAS. (1985). Op. cit. p. 146. 102. Voir ici Annexe 31. 103. JEUDY. Op. cit. p. 61. PARTIE V LA VILLE LETHARGIQUE "Ici, il reste que les tombes. En fait, ce sont les tombes qui font bouger ici, c'est-à-dire que les jeunes viennent pour un décès ou voir la tombe d'un parent, de quelqu'un de la famille. Voilà, il n'y a que les tombes qui font des événements, ici. Chaque décès, c'est une maison qui se ferme. Il n'y a pas un attachement à la maison. Elles appartiennent aux Houillères. Ici, personne ne reste. Ce n'est pas un pays du tiers-monde comme chez vous. Ici, les gens ne sont pas malheureux au niveau financier, mais ils n'attendent plus rien, ils n'ont pas d'espoir. Ils attendent la mort, c'est tout. (...). La fête la plus vivante? Ce n'est pas la Sainte Barbe, c'est la fête des morts; ça fait bouger la ville, les jeunes viennent voir les tombes de leurs parents; c'est la seule fête qui fait bouger, ici. C'est la tombe qui attire les gens. Alors ce jour-là, la ville bouge. Ici, c'était une vallée pleine de vie, il y avait des jardins, davantage. C'est vrai que la vallée était noire et sale, mais vivante. Aujourd'hui, le vert a poussé et couvre le crassier. Mais c'est mort quand même. Les habitants, ils sont vieux, ils savent qu'ils ont leur place au cimet