Une Ville Autrefois Miniere: La Grand-Combe

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Une Ville Autrefois Miniere: La Grand-Combe
Universite Paris V
“Rene Descartes”
Sciences Humaines – Sorbonne
Thèse présentée par Cornelia ECKERT
“Une Ville Autrefois Miniere:
La Grand-Combe”
Etude d’Anthropologie Sociale
Paris, 1991
RESUME
Nous partons d'une étude ethnographique d'un groupe ouvrier habitant
La Grand-Combe (Gard) pour comprendre un processus de construction
d'identité sociale face à son expérience de travail comprise comme singulière.
Le "monde de la mine" est perçu comme une référence à la fois différentielle et
structurelle de l'identité dans la construction de projets de vie des familles de
mineurs. Un repère "positif", une "Valeur-Travail" sur laquelle les frontières
symboliques du groupe d'appartenance sont cartographiées. A partir de leurs
représentations, de leur manière singulière d'attribuer des significations aux
pratiques et interactions sociales et de leur manière de penser l'ordonnance
sérielle du temps du vécu et du temps de la vie, notre but est de dimensionner
une "communauté de travail" et cerner leur mode de vie familial et les relations
sociales "autrefois" et "aujourd'hui". La Grand-Combe, après avoir vécu une
longue période régie par un système de mono-industrialisation et d'urbanisation
du type ville minière, subit actuellement, après la fermeture des puits, l'impact
de la récession industrielle. Ce processus est vécu par la communauté de
travail comme la discontinuité d'un quotidien rythmé par le travail à la mine.
Face à ces changements sociaux qui inscrivent la ville dans un processus de
dés-industrialisation, nous décrivons comment vivent les mineurs et leurs
familles qui sont restés dans la ville. Nous élucidons comment sont
réactualisées les références identitaires du groupe dans ce processus
d'attribution d'un sens à l'univers social, comment est ré-élaborée l'interaction
quotidienne après la disparition de ce point de repère traditionnel et comment
est repens‚ l'ordre quotidien à partir de ces nouveaux facteurs déterminants: la
mutation et la crise, le chômage, le recul économique, le besoin de qualification
professionnelle, la société de consommation et de la communication.
Nous montrons qu'aujourd'hui, malgré la disparition des espaces réels
sur lequel le groupe fonde son identité, la mémoire peut coller ces références
dans certains moments, instants d'interaction qui sont vécus comme étant leur
propre rythme construit. C'est dans ces temps de la sociabilité qu'ils restituent
un rythme au quotidien, un sens à l'existence du groupe qui se reconnaît à
partir d'une identité-valeur (le travail à la mine, la famille corporative, valeurs
comme la complicité et la solidarité, une trajectoire commune, par un "lignage"
minier, etc.). C'est dans la sociabilité que nous avons cherché à comprendre
comment est engendré un rythme qui leur assure une même conception de
l'existence, un "repos".
ABSTRACT
On the basis of an ethnographic study of La Grand-Combe (GardFrance), we consider the singularity of a mining populations work experience
and the influence of this experience on group identity. The "mining world" is
perceived as both a differentiating and a structuring part of identity as
evidenced in the elaboration of family projects. It is perceived, further, as a
"Work-Value", a positive reference for the mapping out of the groups symbolic
frontiers. By looking at the group representations, the manner in which these
people assign meanings to their practices and social interactions, as well as the
way in which they arrange the serial order of their everyday profile of a "work
community", its pattern of family and social interaction both today and in the
past.
The Grand-Combe, after having gone through a long period of monoindustrialization and mining-city urbanization, is now suffering, with the
shutdown of the mines, the impact of industrial recession. This process is
experienced by the community as the end of a daily rythm axed on work in the
mines. We describe the lifestyle of the families who have stayed on in the face
of the dramatic social change brought on by de-industrialization. We detail the
way in which elements of group identity have been ressemantisized in the
process of building a meaningful symbolic universe, the way social interactions
have beeen rethroughtout in the absence of traditional reference points, and
how daily life has been reorganized along the lines of nex determinants:
professional change and crisis, unemployment, economic recession, the need
for professional recycling, the consumer and communication society.
RESUMO
Partimos do estudo etnográfico de um grupo operário habitantes de La
Grand-Combe
(Gard-França)
para
compreender
o
seu
processo
de
construçãoo de identidade social face à experiência de trabalho concebida
como singular. O "mundo da mina" ‚ percebido como uma referência
dialeticamente diferencial e estruturante da identidade na construção de
projetos de vida das famílias de mineiros. Mais ainda ‚ percebido como um
"Valor-Trabalho", uma referência positiva para cartografar as fronteiras
simbólicas do grupo de pertencimento. Partindo das representações, da
maneira própria do grupo de atribuir significado às práticas e às interações
sociais e do como pensa o ordenamento serial do tempo vivido/tempo da vida,
nosso objetivo consiste em dimensionar a "comunidade de trabalho" e apreciar
seu modo de vida familiar, bem como as relações sociais "ontem" e "hoje".
La Grand-Combe, após ter vivido um longo período regido por um
sistema de mono-industrialização do tipo vila mineira, sofre, atualmente com o
fechamento das minas, o impacto da recessão industrial. Este processo ‚ vivido
pela comunidade de trabalho como a descontinuidade de um cotidiano ritmado
pelo trabalho na mina. Face a estas mudanças sociais que inscrevem a vila
num processo de desindustrialização, descrevemos como vivem os mineiros e
suas famílias que ficaram em La Grand-Combe. Elucidamos como são reatualizadas as referências da identidade do grupo no processo de dar
significação ao universo social e como re-elaboram a interação cotidiana após
o desaparecimento deste ponto de referência tradicional. Do mesmo modo
buscamos esclarecer como ‚ repensada a ordem cotidiana a partir de novos
fatores determinantes: a mutação profissional, a crise, o desemprego, a
recessão econômica, a mobilização residencial, a necessidade de requalificação de trabalho, a sociedade de consumo e da comunicação.
Nosso objetivo ‚ mostrar como hoje, apesar do desaparecimento dos
espaços reais sobre os quais o grupo funda sua identidade, a memória coletiva
pode colar estas referências em certos momentos, instantes de interação que
são vividos como sendo seu próprio ritmo de vida construído. É no tempo da
sociabilidade que verificamos a maneira pela qual eles restituem um ritmo no
cotidiano, um senso a existência do grupo que se reconhece a partir de uma
identidade-valor (o trabalho na mina, a família corporativa, valores como o de
cumplicidade e de solidariedade, uma trajetória comum, uma linhagem mineira,
etc). É na sociabilidade que nós procuramos compreender como ‚ engendrado
um ritmo que lhes assegura uma concepção de existência, um "repouso".
Francês:
"Une ville autrefois minière: La Grand-Combe. Etude d'Anthropologie Sociale".
Inglês:
"A mining town: La Grand-Combe. A study in Social Anthropology".
Português:
"Era uma vez uma vila de mineiros de carvão : La Grand-Combe. Um estudo de
Antropologia Social".
REMERCIEMENTS
Arrivant à la fin de ce travail et regardant derrière moi ces cinq années
de cheminement parcouru dans l'élaboration de cette thèse, je construis dans
mon imagination un grand "portrait de famille" avec tant de personnes envers
qui j'ai une grande dette de reconnaissance dans ma démarche, qu'il ne me
serait pas possible de décliner les noms de tous. Que chacun trouve ici le
témoignage de ma profonde gratitude et de mon amitié sincère.
Sur le terrain de recherche, les remerciements reviennent en tout
premier lieu à tous les grand-combiens (de naissance ou de "coeur") qui sont
non seulement la matière de ce travail, mais les acteurs du drame que cette
monographie raconte, et en premier plan les mineurs, leurs femmes et enfants,
qui sont les véritables auteurs de mes narratives. Cette thèse n'aurait pu exister
sans l'accueil compréhensif et courtois de tous ceux qui m'ont accordé des
entretiens. A tous et, particulièrement aux mineurs grand-combiens (ou
cévenols), j'offre cette thèse. Peut-être y trouveront-ils des erreurs, des oublis,
des manques. Qu'ils m'en excusent.
Je remercie chaleureusement Béatrice LADRANGE qui m'a accueillie si
amicalement pendant mon séjour sur le terrain. Je rends hommage à André
PARLEBAS pour son appui et pour l'appréciable matériel de recherche qu'il m'a
fourni.
Je tiens aussi à exprimer ma reconnaissance à MM. WIENIN, PEZON et
SUGIER et au personnel du Bureau d'Etat-Civil de La Grand-Combe.
Je remercie, par sa gentillesse, la famille VUEZ chez qui j'ai pris un
logement.
Je plie mes bagages, remplis de souvenirs et d'amitiés qui pour moi n'ont
pas de prix... Je rentre à Paris pour donner suite à l'élaboration de la thèse. Je
regarde de temps en temps la "photo-imaginaire" que j'ai prise à La GrandCombe, en Alès, enfin, dans les Cévennes et je pense à vous. Je sens que j'ai
pris des racines à jamais.
Ma gratitude au Professeur Jacques GUTWIRTH va sans dire. C'est à lui
que je dois l'honneur d'avoir été guidée dans ma recherche et à qui je rends
tout particulièrement hommage parce qu'il a été non seulement un directeur de
recherche dynamique et un ethnographe provocant, mais encore un père
soucieux des conditions de vie et d'adaptation de ses étudiants. Il n'a pas hésité
à intervenir pour régler tous les problèmes administratifs et à recevoir - ainsi
que son épouse Christa - ma famille et moi dans sa demeure accueillante.
Je tiens à exprimer également ma reconnaissance au Professeur
Antoine PROST qui m'a toujours conseillée avec clairvoyance et sympathie. Je
le remercie pour ses efficaces recommandations.
Ce programme de doctorat a été réalisé dans le cadre de l'Accord
CAPES/COFECUB. Sans l'aide financière de la CAPES, je n'aurais pas pu le
mener à bien. Je lui suis spécialement reconnaissante, ainsi qu'au COFECUB,
pour leur appui matériel.
Veuillez trouver ici, Mme BOUVIER, l'expression de mon remerciement.
Je tiens à exprimer ma profonde gratitude à Ana Luiza ROCHA, Carmen
Silvia RIAL et Claude BOUSTANY à qui je dois énormément. De très "près"
elles m'ont animée intellectuellement et affectivement. A elles je dois beaucoup
de cette "symphonie" finalement "achevée".
Je suis heureuse de remercier Maria Lucia GONÇALVES DE
CARVALHO et ses enfants Fabrícia et Hémilton. Avec eux j'ai partagé pendant
trois ans un foyer plein d'affection.
Merci à Pierre CASTEBO par son amitié.
J'exprime ma vive gratitude envers Erickson GAVAZZA MARQUES,
Isabel MALLMANN, Cristina GOELZER et Susan KLEEBANK, pour leur amical
soutien et leur fidèle solidarité.
Je tiens à remercier particulièrement Paulo M. MORS et Jacques
CHOURAKI pour ses utiles suggestions et pour leur amitié.
Mon merci à Rejane BEAUX, à Susana H. BARCELOS, à Angela
BUARQUE, à Sérgio BARROS, à Marcelo GATTI, à Bruno CLOAREC et à
Valérie HARDY.
Je remercie sincèrement le Professeur Olivier KOURCHID pour sa
solidarité, témoignant que cette référence identitaire est aussi présente chez les
mineurs que chez les chercheurs intéressés à comprendre "le monde de la
mine".
Je remercie les Professeurs Ruben George OLIVEN, Maria Rosilene
BARBOSA ALVIM, José Sérgio LEITE LOPES, Alice R. de PAIVA ABREU et
Jean-Marie GIBBAL pour leurs conseils et Liana ORIA, Ivaldo GEHLEN,
Rogério do VALLE et Marta ARRETCHE pour les fructueuses discussions.
Ma gratitude sincère à MA TU FU et à Wellington LAGE par leur aide
dans le domaine de l'informatique.
Je remercie Gérard LE CLERRE pour la correction générale de cette
thèse et Benjamin KALA-NGOMA, Mme Marie Claire LORRAIN (BAPUE) et
Catherine BARRANES pour la révision de certains chapitres.
En Allemagne ma gratitude s'adresse à la famille ECKERT. Que tous
veuillent bien trouver ici l'expression de mon affection.
Au Brésil, ma soeur Clarissa BAETA NEVES a pris en charge toutes les
démarches administratives, me permettant un séjour sans souci en France. Je
l'en remercie de tout mon coeur.
Je remercie mes confrères professeurs d'Anthropologie Sociale de
l'UFRGS pour leur solidarité. Merci à Cláudia FONSECA, Ruben G. OLIVEN,
Noemí C. BRITO, Sérgio TEIXEIRA, Ondina F. LEAL, Daisy BARCELOS, M.
Eunice MACIEL et Ari P. ORO. Merci encore aux nombreux amis qui ont
constamment continué à me transmettre leur soutien et leur confort moral.
Merci Lola TEIXEIRA, Marcos GOMES, Otávio AQUINO, Miriam ANDRIOTTI.
Ma gratitude à Jacqueline par son aide et à Maria ROCHA qui a fait la
couverture.
Bruno C. M. MAGNE a assuré la révision finale de cette thèse. Je le
remercie vivement d'avoir accompli avec compétence cette démarche. Merci à
Lucie de Lannoy qui a corrigé mes derniers écrits.
INTRODUCTION
Ce travail est une réflexion sur les rapports sociaux qui caractérisent une
ville née du charbon et sur les incertitudes quant à l'avenir économique des
villes "autrefois" minières. Notre but consiste à saisir le mode de vie familial et
les rapports des relations sociales des réseaux d'échange et de sociabilité
(famille, parenté, voisinage, vie associative, etc.) d'une ville qui a vécu un
attachement à une structure mono-industrielle - le travail à la mine - et qui,
actuellement, subit l'impact de la récession industrielle.
La trame de notre recherche va consister dès lors à étudier comment
vivent les mineurs et leurs familles qui, à une autre époque, celle d'une ville
minière, voyaient leurs projets, leurs ambitions, leurs façons de vivre liés à ce
qu'avait tracé le code industriel, la mine. Comment identifient-ils l'univers social
de leur interaction quotidienne après la fermeture des puits? Comment, avec la
disparition de ce point de repère traditionnel qui structurait autrefois
l'élaboration du processus de construction de projets de vie, les familles de
mineurs ré-élaborent-elles de telles constructions dans le contexte actuel?
Comment repensent-ils l'ordre quotidien à partir de ces nouveaux facteurs
déterminants: la mutation et la crise, le chômage, le recul économique local, le
besoin de qualification du travail, mais aussi les nouveaux temps modernes, de
la société de consommation, de l'ère de la communication dans laquelle
"l'information n'est plus un instrument pour la production de biens économiques
mais elle est devenue le bien principal"... de l'ère du "village global"(1)?
C'est par rapport au contexte grand-combien que nous voulions mettre
en relief un groupe social, celui des mineurs de charbon et leurs familles.
C'est en lisant l'oeuvre de Rolande Trempé(2) sur les mineurs de
Carmaux que notre attention fut attirée pour la première fois vers la ville de La
Grand-Combe citée dans le texte.(3) C'est ainsi que nous avons trouvé le point
de départ et que notre choix s'est porté sur la ville de La Grand-Combe. Située
au nord-ouest du Département du Gard, à 192 kilomètres de la Méditerranée,
650 kilomètres de Paris et 270 kilomètres de Lyon, La Grand-Combe est née du
charbon au début du XIXème siècle. Cette ville est le résultat de la volonté
d'une Compagnie de mettre en place une agglomération urbaine. Le charbon y
a joué pendant plus d'un siècle un rôle économique déterminant. Actuellement,
la ville et ses habitants vivent les conséquences d'une grave récession
économique, et c'est toute l'organisation sociale qui se trouve remise en cause.
A l'exemple d'autres villes qui ont connu le recul économique, nous pouvions
alors suggérer qu'à La Grand-Combe on assistait également à la fin du
"processus de reproduction d'une classe ouvrière qui trouvait en elle-même, par
la solidité des liens familiaux et la solidarité des rapports de travail, les
ressources suffisantes pour transmettre un savoir-faire, la fierté du métier et, en
même temps, tout un mode de vie fondé sur une communauté profondément
intégrée".(4) La Grand-Combe incarnait en ce sens le contexte revêtit (dans
notre esprit) d'un caractère idéal pour notre étude: connaître les changements
sociaux subis par une ville qui se trouve engagée dans un processus de désindustrialisation après avoir vécu une longue période régie par un système de
mono-industrialisation et d'urbanisation du type ville minière.
Le scénario ayant été ainsi ébauché, il restait à concrétiser notre
recherche. Nous avons développé notre travail sur le terrain pendant les
périodes de juin 1987, février à juillet 1988, novembre-décembre 88, mai-juin 89
et avril 90.
Nous avons consacré notre étude à saisir comment ce groupe urbain va
se réorganiser dans ce processus de déstructuration industrielle, face à la
remise en cause de l'identité sociale de la communauté minière. Comment cette
population, après avoir subi la fermeture des puits et la disparition des emplois,
se réorganise-t-elle et se reconstitue-t-elle dans le présent? Comment, après
les remous du passé, aspire et construit-elle son devenir?
A cet égard nous voulons rendre compte des discontinuités vécues dans
les temps de la communauté de travail(5) qui exprime des rythmes variables du
"temps vécu" et du "temps de la vie"(6), entre "l'autrefois" et "l'aujourd'hui"
considérés dans un mouvement de continuités et de discontinuités temporelles
et spatiales.(7) Nous avons pensé aussitôt que, pour comprendre ce groupe au
"présent", il nous fallait concevoir le temps comme une série de ruptures,
évitant de voir le groupe comme vivant un temps continu et uniforme. Cette
position nous motivait à "travailler" avec la mémoire collective et sociale(8) et à
privilégier nos enquêtes auprès d'une population plus âgée: les retraités de la
mine(9).
Dans notre exercice d'enquêtes et d'observation sur place de la vie
quotidienne, nous avons essayé de reconnaître dans la représentation
singulière du passé, la fréquence des moments qui ponctuent le vécu des
acteurs sociaux comme de forte rupture. Au même temps, nous tentons de
saisir leur manière singulière de reconstituer, sur les transformations, leur
continuité, leur "durée"(10).
Dès les premiers entretiens, nos interlocuteurs grand-combiens ont
identifié et raconté l'histoire locale et leur propre trajectoire de vie à travers
différentes périodes (intervalles temporels)(11). Par la mémoire, ou mémoires
successives, les sujets reconstituent et nous expriment le vécu "d'autrefois"
quand la mine était, plus qu'un moyen de travail, tout un réseau de vie et la vie
"d'aujourd'hui" extériorisé comme une époque marquée par la disparition du
travail à la mine. Nous avons ainsi recueilli des propos évoquant un "autrefois",
traduit par l'expression "au temps de la Compagnie", un long temps rythmé par
le travail à la mine et au sein duquel les séries discontinues ne sont pas
per‡ues comme suffisamment radicales et bouleversantes pour les empêcher
de penser ce temps comme continu et homogène.
Evidement cette ville est implantée dans un espace traversé par
"d'autres temps", des temps antérieurs à celui de la ville minière et à celui d'un
quotidien rythmé par le travail industriel à la mine et qui la transpercent, la
filtrent(12). Mais ce sont les temps sociaux d'un passé rythmé par le travail à la
mine et de la naissance de leur ville qu'ils ordonnent pour enchaîner le passé
en une "opposition logique" au temps présent. C'est dans ce temps que sont
localisées les origines de la communauté de travail, que ce fonde le temps de la
collectivité et de la grande famille corporative.
C'est la Compagnie des Mines de La Grand-Combe qui a forlancé le
projet de constitution de cette commune et, dans le même élan, de mise en
place d'une ville ouvrière(13). C'est "au temps de la Compagnie" que la ville est
fondée, qu'on rencontre cimenté le "mythe" de création. La Grand-Combe est
créée en 1846 conformément à la structure typique des cités industrielles
développées au XIXème siècle sous l'égide d'une entité économique. Elle a été
baptisée du même nom que la Compagnie. L'agglomération urbaine reflétera
donc la force de l'industrialisation de l'activité charbonnière. La Compagnie
implanta une ville minière en aménageant rationnellement l'espace urbain,
instituant, selon sa logique, les principes urbanistiques, car il fallait y attirer et
enraciner une main-d'oeuvre autochtone ou immigrante. Son fonctionnement en
tant que ville industrielle a impliqué un important processus de migration,
auquel ont d'abord participé les paysans des alentours, puis des ouvriers venus
d'autres régions et d'autres pays, qui y ont fait souche et "fondé" la "population
grand-combienne".
Pendant plus d'un siècle, la Compagnie a marqué de sa présence la vie
locale, toute une époque oû bon nombre de grand-combiens ont vu leur "devenir" déjà tracé. Il existait une forte interaction entre deux mondes travail/domestique - dont les espaces se sont avérés complémentaires. Nous
soulignons la politique menée par la Compagnie pour stimuler l'endogamie
professionnelle et l'auto-reproduction de la famille ouvrière grand-combienne,
ceci assurant la pérennité du travail à la mine de père en fils. La famille a donc
toujours occupé une place primordiale dans cette société.
Dans tous les domaines sociaux, la Compagnie s'est imposée comme
pilote. Elle prendra à sa charge la responsabilité de loger son personnel, de
l'éducation des enfants, et la mise en place de tout un système de protection
sociale, notamment à travers la mise en oeuvre d'une Caisse de Secours, d'une
Caisse de Retraites et d'écoles, une assistance rare dans le monde ouvrier du
XIXème siècle.(14)
La Compagnie
fait naître donc non seulement un
noyau
de
développement industriel sur lequel elle a le contrôle direct, mais elle engendre
également le développement d'un noyau urbain "maquillé" des "principes
urbanistiques" qui suivent la "logique" de la Compagnie. C'est une ville
artificielle qui démarre d'une "stratégie industrielle"(15): une ville qui est fondée
par la volonté de cette Compagnie. Certes, ce n'est pas une "ville-industrielle"
au sens d'une prise en charge directe par la Compagnie; celle-ci doit garantir
un contrôle sur le développement urbain par le biais d'un domaine politique
local, par la maîtrise du pouvoir urbain, à fin de garantir la reproduction des
intérêts du capital. Effectivement, la Compagnie aura ce contrôle administratif et
exécutif pendant une longue période et combinera son action politicopaternaliste auprès de la communauté de travail à l'exécution du pouvoir local:
la ville sera le miroir des intérêts de la Compagnie. Cependant, l'espace de la
ville est "espace public" par excellence, théâtre oû les intérêts antagoniques se
confrontent "librement". De plus en plus les conflits latents qui se cachent sous
le tissu urbain s'exaspèrent, ici et là les tensions deviennent conflits(16),
l'opposition s'organise, revendique et finit par gagner par la prise du pouvoir
politique local en 1925. La ville ouvrière fondée par la Compagnie devient ville
ouvrière dirigée par des représentants-défenseurs des intérêts ouvriers.
Une ville, toutefois, oû la force de cette mono-industrie demeure
dominante au niveau économique et au niveau idéologique. Malgré les
coupures qui bouleversent le cadre du pouvoir politique, le "temps pensé"
demeure ordonné comme étant celui vécu "au temps de la Compagnie".
Finalement, les transformations engendrées au sein de ce "temps" (nous
parlons de l'impact des antagonismes de classes au niveau local) sont
enchaînés par des transformations globales (contradictions de la société
capitaliste, la Deuxième Guerre, les plans économiques internationaux, la
modernisation
industrielle,
etc.)
qui
finissent
par
engendrer
des
bouleversements dans la société avec un radicalisme si grand que la rupture
avec la structure dominante, cimentée sur le système paternaliste développé
par la Compagnie, est irrévocable.
La conjoncture de la Deuxième Guerre Mondiale brise cette durée, le
temps historique engendre une profonde rupture. Dans ce moment, ils situent
les faits qui les forcent a réactualiser les repères d'organisation du temps
collectif. Les événements historiques viennent briser l'efficacité d'un continuum
illusoire. "Le groupe n'est pas resté immobile, prisonnier de son passé, mais
s'est plié aux aléas de l'Histoire"(17), événements qui bouleversent plus
profondément "le monde de la mine". Une autre représentation de temps vécu
se succède: "au temps de la nationalisation", temps également vécu comme
ayant des hauts et des bas - diversifications de temps ponctuées dans leurs
discours - mais un temps repéré aussi en continuité (assurées) parce que
scandé par la solidité du temps industriel, du travail à la mine.
Les mineurs vont connaître également une nouvelle réalité politique
vécue un peu comme la concrétisation de projets (des politiques jusqu'à
matériaux) aspirés et menés dans la lutte d'émancipation de la classe ouvrière
(la conquête du Statut du mineur, par exemple). Ils verront également surgir un
programme de récupération économique du pays dans lequel les mineurs
seront engagés en première ligne et transformés en héros de la patrie.
La ville (dans ses différents domaines) se transforme. La nouvelle
"configuration" ne fait qu'exprimer les changements globaux qui s'opèrent dans
les divers ordres (l'instance politique, économique, et au sens large, culturelle).
Les mineurs ne sont plus seulement "mineurs de la Compagnie",
"mineurs grand-combiens", mais ils vivent l'interpénétration d'autres temps et
espaces (la région, la nation et au-delà) - le "dehors", les environnements et le
cours du temps, pour citer Balandier(18) - incorporant à leur propre "singularité"
ces effets profonds des changements sociaux dûs au développement du
capitalisme, de l'industrialisation et de l'urbanisation, ces défis de la vie
moderne qui les force à s'engager continuellement à confronter, à défier, à
recommencer. Nous cherchons à vérifier ces aspects dans le contexte et dans
le domaine du travail.
Au "temps de la nationalisation" est un temps vécu pensé sur
l'appartenance régionale (traversé par la nation) - qui revêtit pour sa part le
local. Le sentiment d'appartenance et la "durée" brouillent "les frontières intramuros" du "temps de la Compagnie" pour réfléchir une identité tellurienne
ancestrale, le temps vécu pensé dans la mémoire s'est élargi.
Nous suggérons alors que les références identitaires locales en relation
"au monde du travail" sont de plus en plus traversées, enveloppées par des
références qui situent un univers plus large. Références éclatées dans le temps
et dans l'espace, comme si le contexte social, le cadre conjoncturel, légitimaient
finalement le fait que certaines valeurs (les racines cévenoles) gardées dans
cette sorte de "foyer virtuel" (à la Lévi-Strauss) peuvent être "ré-actualisées"
comme références identitaires de premier ordre d'importance. Nous suggérons
que alors le travail à la mine demeure une expérience immédiate de leur
quotidien mais ils voient le "temps" de leur ville vivre plus intensivement cette
interpénétration avec "d'autres temps". C'est-à-dire que les mineurs continuent
à exister comme catégorie professionnelle tout en étant insérés dans une autre
unité-économique (nationale, cette
fois, mais organisée en instances
régionales) qui, de sa part, propose encore ce "monde"-synthèse de leurs
références autour de l'existence à la mine. La cohérence, l'unité identitaire de la
communauté de travail sont désormais "collées" (par le biais du travail) sur "le
régional" (le terroir culturel). Nous avons conscience, ici, de "sculpter" d'une
manière réduite l'identité sociale de par l'emphase donnée à l'identité-valeur
"travail" qui n'est qu'un "miroir" parmi les "jeux de miroirs" (un principe parmi les
multiples principes) par lequel l'identité sociale peut être réfléchie. Nous nous
justifions par le choix de reconnaître un groupe qui tient sur ce savoir-faire
singulière (le travail à la mine) les références identitaires d'un groupe
"occupationnel" et que nous analysons situées dans un contexte spécifique,
recoupé par une expérience différentielle.
C'est par l'appellation d'une collectivité de travail - la corporation des
mineurs des H.B.C. - insérés dans une entité économique régionale et, sur
l'appartenance à une région culturelle - les mineurs cévenols - qu'ils élaborent
dans la mémoire collective les points de repères, les valeurs de référence
normative de leur identité sociale. Et c'est sur cette base symbolique qu'ils
"résisteront" à la crise économique dans les secteurs traditionnels de
production: "pour vivre et travailler au pays".
Au "temps de la nationalisation", les conditions de vie s'améliorent, le
Statut du mineur garantit son avenir: victoire des partis de gauche et des
syndicats ouvriers. L'Etat prend en charge la construction de nouveaux
logements (soit à travers l'appareil industriel - les Houillères - soit par le
programme national d'habitation - les H.L.M.).
Néanmoins, au sein du "temps de la nationalisation" se produisent
également les contradictions propres du système capitaliste et de l'idéologie
moderne. Ces contradictions ne cessent d'entraîner des changements.
Plusieurs traits de ces transformations sont d'ailleurs aspirés par les uns,
revendiqués par les autres: la modernisation de la vie, l'ascension sociale par la
formation et par la qualification, une volonté d'avenir social.
Mais ces changements dévoilent rapidement la véritable dynamique de
la modernisation industrielle: la ville minière plonge dans une "crise". Récession
économique qui met en cause la structure de la mono-industrie, mais crise
également à tous les autres niveaux de la vie quotidienne de la ville, de par le
bouleversement provoqué dans la vie des familles - le temps familial assis sur
l'espace de la ville minière est brisé - par le basculement de leur mode de vie et
par la sensation de chaos que ces changements engendrent au sein de la
communauté. Selon la logique propre de nos interviewés, c'est "la crise" qui
demeure la référence d'un "aujourd'hui" en opposition à "l'autrefois" qui prend
désormais très souvent la coloration d'un âge d'or des rapports sociaux
"singuliers" de la communauté de travail.
Hier, "au temps de la Compagnie et au temps de la nationalisation", la
vie était rythmée par le travail à la mine(19), l'histoire de la ville et celle de la
mono-industrie du charbon s'entrecroisaient, les flux et reflux de la population
restant directement proportionnels aux avancées et aux reculs de cette
industrie. Ces temps sont mémorisé à partir d'un stock qui localise les unités
économiques qui leur paraît, dans leur expérience immédiate, régir le rythme
imposé par l'ordre industriel.
Le temps présent, quant à lui, est considéré comme un temps tributaire
des erreurs accumulées du passé et d'une conjoncture de crise qui a débuté
dans les années 6O avec la fermeture des puits. A côté des changements
économique-industriels survenus dans cet ancien bastion du développement
charbonnier, un autre changement social profond a vu le jour. Quelque chose
était brisé: c'était la fin du travail traditionnel à la mine, et donc la fin du métier
de mineur. Vidée de sa substance industrielle qui avait forgé l'identité des
habitants, La Grand-Combe sera déchue de son statut de ville minière. Cela
signifiait aussi la rupture d'une tradition du groupe, de la "grande famille
corporative" et, d'une tradition familiale, celle des "familles de mineurs".
Le "présent" est perçu donc comme un temps "après la fermeture de
mines", identifié comme "au temps de la crise", "au temps de la récession".
Vivre "l'aujourd'hui" consiste à condenser ces temps qui ont "le travail à la mine"
par référence. Autrement dit, ils réordonnent les temps malgré l'absence de
cette référence dominante, comme une façon de garantir dans leur mémoire
une continuité du groupe et de surmonter la rupture, la discontinuité du temps
collectif. C'est dans l'ordre de ces temps qu'ils se reconnaissent comme
appartenant localement à un groupe social en continuité, doté d'une histoire en
mouvement mais qui sécrète dans son sein un temps permanent.
La fermeture des puits d'extraction étant généralement considérée
comme le point de repère dans les changements sociaux subis par les mineurs
et leurs familles, nous nous proposons de l'utiliser comme point d'inflexion du
processus qui va déclencher "les temps de la récession" par la violence avec
laquelle cette rupture dégrade la situation de l'emploi et installe un temps
inactif. Ce présent est un temps marqué par la disparition et "la mort de la
mine"(20), la mort de la ville minière, par le départ et le vieillissement de la
population, "par les désharmonies et les devenirs sans figure (...) par un repos
mal constitué"(21) qui les fait souffrir. Ainsi, même si l'adoption de nouveaux
"temps modernes" fut souhaitée, la force de la rupture dépasse l'ampleur de
"ces aspirations" (au niveau réel et imaginaire) parce qu'elle met en "désordre"
tout un mode de vie et met en cause la propre existence du groupe
d'appartenance.
Aujourd'hui, devant cette réalité oû le travail n'est plus assuré, oû la
filière d'embauche qui passait de père en fils a été rompue, la nouvelle
génération grand-combienne est confrontée aux manques de perspectives
d'avenir (professionnelles) dus au fait qu'elle a hérité d'une ville désarticulée, au
sens économique du terme, déshéritée, déchue de sa "vocation" de toujours.
Les transformations successives dans les temps nouveaux ont mis en
place un processus de récession qui s'est étendu aux différents domaines de la
société locale. L'espace urbain a changé. Il s'est vidé, provoquant un
phénomène de mutation résidentielle interne chez les familles de mineurs (des
quartiers aux maisons vétustes vers d'autres quartiers rénovés). C'est
notamment dans les quartiers pavillonnaires - les cités minières d'autrefois - ou
dans les quartiers d'immeubles - ensembles H.L.M. - qu'habitent les familles de
la dernière génération de mineurs. Ce sont des retraités ou pré-retraités des
Houillères, et donc une population dont la trajectoire professionnelle est passée
par le travail à la mine. Plus rarement, l'ancien mineur fait bâtir une maison
dans un "quartier neuf". La majorité des habitants de ces quartiers se trouvent
dans une même situation, dans de mêmes conditions de vie: l'âge, la retraite, la
référence aux anciens rapports de travail, l'appartenance à une même histoire
locale, la stabilité résidentielle. Ce sont d'ailleurs ces familles (retraités et
épouses, parfois aussi les enfants) que nous avons avant tout interviewées
pour répondre aux interrogations qui vont être développées dans ce chapitre
(ceci est justifié dans la "Partie I").
D'une façon ou d'une autre, les grand-combiens qui sont restés réactualisent les pratiques sociales. Le groupe "ré-travaille" dans la discontinuité
une continuité. Cette continuité est construite, elle est pensée, projetée. Nous
essayons alors de décoder les temps et les espaces qui sécrètent ces
"courants de pérennité"(22) dans lesquels les habitants "ancrent" leurs repères
identitaires, répondant, ainsi, à l'interrogation qui donne le ton de notre
recherche et que Zonabend a su fort bien élaborer dans son étude sur la
communauté de Minot: "Mais y a-t-il véritablement césure entre hier et
aujourd'hui? Ce présent vécu, partout et toujours, comme un temps de
bouleversement et de crise des valeurs morales, s'oppose-t-il irrémédiablement
au passé? La communauté ne doit-elle pas constamment, pour exister, renouer
avec son temps, retrouver sa durée?"(23).
C'est dans les rapports de sociabilité(24), dans les jeux d'interaction,
dans les lieux de socialisation que nous focalisons un processus de ré-invention
du quotidien, de ré-création des points de repères qui permettent de
réactualiser les pratiques sociales, de réordination du temps collectif pour vivre
une continuité dans l'actualité. C'est dans les variations autour des rapports de
sociabilité que nous cherchons à décoder l'extériorisation de l'ordonnance d'un
temps continuel, l'investissement de leurs repères identitaires (qui condensent
les temps). C'est dans la cadence des rapports de sociabilité que nous
localisons la construction d'un temps collectif. Et c'est dans la cadence de ce
rythme retrouvé de la vie qu'ils peuvent finalement "reposer" pour penser leur
durée.
En effet, nous constatons après les fermetures de puits un changement
de tout ordre du "rythme" de la vie quotidienne: ce n'est plus le rythme
déterminé par le travail à la mine qui va mouvoir le quotidien de la ville, mais le
rythme d'un temps rempli par diverses occupations liées au domaine des
pratiques de sociabilité dans la sphère du domestique, du voisinage, des loisirs
(sphères privée et publique)(25). Nous tenterons de cerner les stratégies de
réorganisation des pratiques sociales; de l'identité collective, de l'appartenance
au groupe et au lieu, la constitution des pratiques de sociabilité en référence à
la mémoire collective de cette société locale et en référence aux pratiques
sociales qui les intronisent dans une espèce de "mondialisation" des moeurs.
La vie associative apparaît comme une "stratégie" visant à réorganiser
les rapports sociaux, à tisser différents réseaux qui recomposeront un noyau
urbain. Elles interviennent dans la définition des positions sociales et des rôles,
d'un ordonnancement de la place des acteurs sociaux en scène permettant de
porter sur le sentiment d'appartenance locale. Il s'agit d'une recomposition de
l'organisation sociale de la communauté, d'une ré-considération du sentiment
de localité, du temps de la collectivité (l'imaginaire de référence), de l'histoire du
groupe. La mine, le travail à la mine, la grande famille minière, etc., sont des
thématiques qui président à la construction de l'identité sociale, ce qui nous
conduit à étudier l'identité de cette communauté de travail en référence à un
point de repère qui les "enveloppe" en tant que groupe inscrit sur un temps et
des espaces vécus et pensés par cette collectivité.
La ville vide est le théâtre d'une "nouvelle" orientation urbanistique pour
l'instauration d'une "nouvelle" conception de ville. La Grand-Combe, selon
l'équipe municipale de l'époque, va essayer de faire peau neuve grâce au
"projet vert", éliminant toutes les maisons vétustes, démolissant ou rénovant les
anciens quartiers construits par la Compagnie en même temps qu'elle met en
place des projets de conservation d'un "patrimoine industriel" local afin de
sauvegarder les souvenirs et perpétuer la "mémoire du social"(26). Une
stratégie politique et sociale, le patrimoine remet en scène les valeurs et le sens
d'un savoir-faire, la culture technique et la "mémoire du social", il permet cette
illusion de remplir d'un sens qui vient du passé les vides qui appartiennent au
présent. Comme l'a fort bien montré Jeudy: le patrimoine industriel, nous dit-il,
"tente d'apporter l'image d'une continuité historique et sociale en restituant à
l'innovation technologique le cadre de sa mémoire". En outre, ce mouvement
patrimonial, la mémoire muséale, témoigne d'un temps perdu (désordonné)
recherché. La mort de la mine est scellée, est intériorisée. L'espace du travail
du mineur disparaît. Cette disparition est acceptée comme entr'acte nécessaire
pour transformer la ville, qui, une fois munie des nouveaux atouts, part à la
recherche d'un nouveau statut. Des "restes culturels", quelques-uns sont
démolis, d'autres sont sélectionnés pour pétrifier les symboles d'un passé
retrouvé, transformés en "sanctuaires de la mémoire".(27)
Quelles que soient les représentations construites pour nous parler de
leurs récits de vie, de leur trajectoire familiale, de l'histoire du groupe, de la
dimension spatiale des diverses formes d'enjeux sociaux, le repère reste le
travail à la mine. C'est en relation à la naissance, l'existence et la disparition de
cette activité que se construisent un mode de vie et l'identité sociale du groupe.
C'est par la présence de l'image traditionnelle de la mine dans le passé et son
absence dans l'aujourd'hui que se dessine une spécificité et que se concrétise
la référence identitaire de ce groupe social. D'oû notre effort d'aborder la
question de l'identité.
Aujourd'hui, par la condensation temporelle, la "communauté de travail"
locale ré-actualise le passé et vit le présent oû la référence "au monde de la
mine" devient de plus en plus diversifiée et floue: la ville sinistrée, la ville
léthargique.
Par ailleurs, nous avons favorisé comme champ d'étude la famille du
mineur, que nous considérons comme étant l'espace social privilégié pour situer
l'interaction des individus sur la collectivité et le système économique. Le temps
familial continuellement recréé "introduit l'homme dans son vécu social"(28). En
effet, la famille introduit significativement l'individu au sein d'une histoire
collective, une histoire vécue avec signification, qui permet en même temps de
construire la trajectoire de chacun. Dans ce sens, l'objectif de notre recherche
est d'étudier la façon dont les habitants représentent l'organisation familiale et
des réseaux sociaux(29) qui caractérisent la communauté de travail à deux
moments distincts, "autrefois" et "aujourd'hui", l'emphase étant donnée à leur
parcours biographique. Ce cheminement conduit à la reconnaissance de leur
mode de vie et de leur vision du monde dans la situation actuelle qu'impliquent
de nombreuses pratiques sociales que nous voulons reconstituer en tant que
système de valeurs de référence. Nous voulons aborder les différents thèmes
qui s'inscrivent dans la tension entre le pôle de la famille et celui de son
contexte social(30); traiter les sujets de l'habitat, du travail, de la sociabilité, des
usages et des représentations de la ville selon la trame de l'existence de ces
familles, et aussi selon les points forts du temps familial exprimés dans leurs
discours. Nous essayons de montrer quelques traits de l'organisation familiale
(tout en tenant compte des rapports de parenté et de voisinage) à travers les
différentes époques vécues: l'époque oû la Compagnie déterminait elle-même
la distribution du temps et de l'espace des habitants, en passant par le temps
de la nationalisation et celui de la récession qui n'est plus déterminée par la
Compagnie mais par le temps de la société elle-même (oû le rôle joué par l'Etat
est déterminant). Les cas présents de situations familiales sont les plus divers,
et nous ne retiendrons que quelques cas particuliers, ceux qui, sans
nécessairement être les plus importants, nous autorisent à parler des familles
grand-combiennes d'aujourd'hui.(31)
***
Notre thèse se compose de 5 parties.
Dans la première partie, nous parlons succinctement de la méthodologie
(aspects méthodologiques et techniques de travail de terrain) qui oriente notre
recherche. Nous présentons également le lieu dans lequel nous avons
développé notre travail de terrain, et nous parlons de notre rapport avec les
acteurs sociaux interviewés et des pratiques de leur quotidien que nous avons
pu observer.
Pour structurer les quatre autres parties, nous avons suivi l'ordre de
temps à partir de la représentation que s'en font les personnes interviewées.
Dans la deuxième partie, "au temps de la Compagnie", nous consacrons
notre recherche à la "contextualisation" du groupe dans le temps et dans
l'espace de cet intervalle. Nous jetterons par conséquent un coup d'oeil sur
l'histoire de la Compagnie des Mines de La Grand-Combe et, conjointement,
sur celle de la ville, toutes deux étant indissociables.
Dans la troisième partie, "au temps de la nationalisation" nous mettons
en relief les changements survenus après la Grande Guerre. Avec la
nationalisation des mines en 1946, La Grand-Combe verra une nouvelle entité
régionale économique exploiter ses richesses naturelles: les Houillères du
Bassin des Cévennes. D'emblée "la Compagnie" n'est plus ce point fort de
référence de leur imaginaire collectif. Désormais les mineurs travaillent pour
l'Etat, plus encore, ils "luttent" pour la patrie: la "bataille du charbon".
Dans la quatrième partie, "au temps de la récession", nous étudions
l'impact causé par la crise économique et sociale. Après le choc des fermetures
de puits d'extraction (et nous disons bien fermeture des puits et non pas
épuisement du charbon), le cadre général de la ville minière va changer, avec,
d'un côté, un programme de reconversion économique locale et, de l'autre, le
recyclage des travailleurs des Houillères. Les corollaires d'une telle conjoncture
se manifestent aussitôt: le dépeuplement, la dispersion du groupe local, le
chômage des jeunes qui restent et le vieillissement de la population.
Dans la cinquième partie, "la ville léthargique", nous focalisons la
situation de crise et de récession que vivent actuellement les familles de
mineurs à La Grand-Combe, nous évoquons aussi les souvenirs du "temps de
la Compagnie" comme celui de la "nationalisation".
La question à laquelle nous voulions répondre était, malgré son vaste
contenu: comment vivent aujourd'hui les habitants-héritiers d'une ville autrefois
minière? La question ainsi posée paraît tellement ouverte que la réponse peut
sembler infinie. Nous analysons comment les familles, comment ce groupe
héritier d'un temps collectif, porteur d'un passé qui est repéré à travers le regard
qu'ils posent sur "l'autrefois" ("au temps de la Compagnie" et "au temps de la
nationalisation") se réorganise et se restructure dans la conjoncture actuelle.
Nous essayons de connaître la représentation que les habitants se font
actuellement de leur ville tout en distinguant les domaines susceptibles de nous
révéler les pratiques sociales à travers lesquelles se manifestent leurs
sentiments à l'égard des changements survenus.
Nous avons inclus dans cette dernière partie des réflexions sur le
développement d'un programme d'urbanisation qui a débuté dans les années
70. La perte de l'ancien "statut" local et la recherche d'un nouveau "statut" sont
devenues un enjeu politique et idéologique.
Nous analysons, enfin, sous l'angle ethnographique la fête de SainteBarbe: patronne des mineurs, en la replaçant tantôt dans le passé, tantôt dans
le présent. L'histoire du groupe sera alors envisagée à travers le système
complexe de pratiques rituelles (sacrées/profanes) et dans ce que le rituel de la
fête permet aux habitants de la ville de reconstituer les repères identitaires et
de prendre conscience de leur existence en tant que groupe avec une
trajectoire spécifique.
***
* Afin de tenir cachée l'identité de nos informateurs, nous avons cru bon
de leur donner des noms fictifs à l'exception des représentants des
Associations et historiens locaux.
* * Chaque fois qu'il s'agit d'un interviewé qui "parle", nous l'avons mis
en italique.
1. Pour paraphraser Eco. In: ECO, Umberto. "Chroniques du village global".
(Articles écrits au cours de plusieurs années - 1967 à 1983 - pour des
quotidiens et des hebdomadaires). In: La guerre du faux. Paris, Grasset &
Fasquelle, 1985. p. 175 à 260.
2. Rolande Trempé, dans son travail, nous introduit dans l'ambiance d'une
commune déterminée par le système "ville-usine", en analysant fort bien le
processus de prolétarisation des anciens paysans qui sont devenus paysansmineurs et, finalement, le processus d'exploitation d'une main-d'oeuvre
devenue le mineur tout court. In: TREMPE, Rolande. Les mineurs de Carmaux
1848-1914. Paris, Les Editions Ouvrières, 1971. Tome I et II. 1O12 p.
3. La ville apparaissait citée dans cette note: "D'après les renseignements fort
dispersés et assez fragmentaires que nous avons pu réunir, la Compagnie des
Mines de La Grand-Combe (Gard) est 'une de celles qui s'est le plus tôt et le
plus totalement engagée dans une telle politique (logement). Dès 1837, elle
commença à édifier les premières casernes. Non seulement elle se chargea du
logement de ses ouvriers, mais elle créa de toutes pièces à ses frais
l'infrastructure économique et administrative de la commune de La GrandCombe qui fut véritablement sa création' (d'après PUECH, Compagnie des
Mines de La Grand-Combe, 1901, 2 vol. dactylo. Bibl. Ecole des Mines)."
Ibidem. Tome l. p. 262.
4. A l'exemple des familles de métallurgistes de Nouzonville, nous suivons, ici,
Pinçon. In: PIN€ON, Michel. Désarrois ouvriers. Familles de métallurgistes dans
les mutations industrielles et sociales. Paris, L'Harmattan, 1987. p. 172.
5. Nous identifions ce groupe ouvrier comme une communauté de travail parce
que cette conceptualisation nous aide à saisir leur manière singulière de
"cartographier" leur monde d'appartenance sociale et de recouper les frontières
culturelles qui délimitent ce groupe social ayant un rapport avec le monde
minier. Nous voulions par là échapper aux limites du concept de communauté
tel qu'il a été utilisé par les scientistes sociaux anglo-saxons qui donnent l'idée
de groupe fermé et organisé, oû la totalité est perçue dans la juxtaposition de
parties autonomes et indépendantes tout en rendant compte des réseaux
sociaux de relations, système de parenté, voisinage, amitié, sociabilité, etc.,
entre les familles des mineurs. Donc, un système de rapports sociaux plus
large, avec des différentiations internes et entrecoupés par d'autres réseaux
sociaux dans lesquels les mineurs circulent.
5. Nous suivons, ici, Zonabend. In: ZONABEND, Fran‡oise. La mémoire
longue. Temps et histoires au village. Paris, PUF, 1980. p. 9.
6. C'est-à-dire que nous ne concevons pas ces temps divers et pluriels comme
antagoniques, mais superposés, emboîtés, interceptés. En outre: "(...) le débat
renvoie à la dialectique de la continuité (évoquée sous le titre: tradition) et de la
discontinuité. Dans ce contexte, la modernité et la tradition n'apparaissent plus
comme radicalement contradictoires". In: BALANDIER. (1985.a.). Op. cit. p.
285.
7. "Chacun sait qu'une mémoire ne se conforme pas nécessairement à un ordre
chronologique, qu'elle peut être irruptive, projective, confuse, contradictoire...
Les fonctions culturelles des mémoires dites collectives ne correspondent qu'à
une manière parmi d'autres d'établir un ordre dynamique des trace mnésiques"
(...). "La mémoire a aussi quelque chose d'accidentel, d'événementiel, elle n'est
pas seulement un moyen de consacrer la continuité, la durée ou encore de faire
lien. Les images du passé restent mouvantes et la manière dont se trace
l'origine trahit nécessairement ses propres effets de disparition,
d'évanescence". In: JEUDY, Henri-Pierre. Mémoires du social. Paris, PUF,
1986. pp. 29, 32, 33, 65 et 66.
8. Nous reviendrons là-dessus plus loin.
9. "... comment la durée va se mouler dans des formes temporelles définies".
In: BACHELARD. (1989.a.). Op. cit. pp. 81.
10. "Evans-Pritchard l'a montré quand, repérant les catégories temporelles chez
les Nuer, qu'elles s'harmonisaient avec le rythme des saisons, le cycle des
classes d'âge et les récits mythiques. D'autres ethnologues après lui, pour
d'autres sociétés lointaines ou proches, ont repéré ces mémoires successives
qui s'actualisent selon le moment, l'interlocuteur, la circonstance. Chacune de
ces mémoires a sa fonction propre (...)". In: Zonabend, Fran‡oise. La mémoire
longue. Temps et histoires au village. Paris, PUF, 1980. pp. 3O7 et 3O8.
11. "Car le temps au village est comme éclaté, feuilleté, en une suite de temps
parallèles et intégrés les uns aux autres, révélant ainsi, peut-être, une des
dimensions fondamentales de toute vie sociale." Ibidem. p. 9.
12. "La ville a donc joué un rôle important dans le take off (Rostov), c'est-à-dire
dans le démarrage de l'industrie". In: LEFEBVRE. (1968). Op. cit. p. 16.
13. "On est dans le cadre de ce qu'il est convenu d'appeler une politique
paternaliste". (...) "La majorité des aspects de la vie quotidienne des habitants y
est contrôlée, réglementée". (...) "La plupart des quartiers, des maisons, des
équipements et des monuments ont été con‡us et produits par le patronat". In:
FREY, Jean-Pierre. La ville industrielle et ses urbanités. La distinction
ouvriers/employés. Le Creusot 1870-1930. Bruxelles, Pierre Mardaga, 1986.
(Architecture et Recherches nø 25). p. 1O.
14. Nous suivons ici Devillers et Huet. In: DEVILLERS, Christian et HUET,
Bernard. Le Creusot. Naissance et développement d'une ville industrielle. 17821914. Seyssel, Champ Vallon, 1981. p. 11.
15. Nous suivons ici LEFEVBRE. (1968). Op. cit. p. 20. "Nous avons devant
nous un double processus ou si l'on veut un processus à deux aspects:
industrialisation et urbanisation, croissance et développement, production
économique et vie sociale. Les deux 'aspects' de ce processus, inséparables,
ont une unité, et cependant le processus est conflictuel. Il y a historiquement,
heurt violent entre la réalité urbaine et la réalité industrielle (...)". In:
LEFEBVRE. (1968). Op. cit. p. 17.
16. ZONABEND. (1980). Op. cit. p. 309.
17. BALANDIER. (1985.a.). Op. cit. p. 282.
18. "Le temps (déterminé par le travail industriel), est un élément qui lui est
totalement extérieur. Le temps le contient. Il s'y trouve situé par la force des
choses. Il ne saurait en avoir la maîtrise. On ne le con‡oit pas capable de
produire des temps à lui, expressions de son être." Selon, GROSSIN, William.
"Le temps industriel: une représentation du temps désormais contestée". In:
Sociétés: Revue des Sciences Humaines et Sociales. Nø 9, juin 1986 - vol. 2,
nº 3. p. 36.
19. Expression de Lucas. In: LUCAS, Philippe. La religion de la vie quotidienne.
Paris, PUF, 1981. pp. 11 et 12.
20. BACHELARD. (1989.a.). Op. cit. p. 37.
21. Pour paraphraser Zonabend. In: ZONABEND. (1980). Op. cit. p. 17.
22. Ibidem. p. 17.
23. Mais aussi socialité comme l'action de faire du social. "Ce concept porte à
la fois la dynamique inspiratrice du terme et ouvre sur une ligne définie
d'investigation du social, privilégiant tant au niveau collectif qu'aux niveaux
intermédiaires, voire individuels, l'historicité, le devenir, les formes toujours
redessinées de l'être ensemble et de la construction du social". Cf.
BERTHELOT, J.M. "La socialisation". In: Sociétés. nø 3. Mars 1985 - vol. 1. p.
6.
24. Autrement dit, par le temps "libre", celui des loisirs, du repli sur le
domestique et de la participation à des institutions associatives, etc.
25. Pour paraphraser Jeudy. In: JEUDY. Op. cit.
26. Comme le suggère Jeudy: le patrimoine, "malgré son côté 'rétro', est appelé
à combler l'apparence de vide 'humain' que peut engendrer l'innovation
technologique". Mais, suit-il, "l'humanisme survit-il en se parodiant
activement?". Ibidem. p. 61. Voir également pp. 62 et 63. Nous avons
également suivi ZONABEND. (1980). Op. cit. pp. 25 et 26.
27. "Un vécu fait de contraintes acceptées, de normes imposées par
l'appartenance à un ensemble de consanguins, à un réseau d'alliés, à des
ancêtres disparus. (...) Alors le temps familial rejoint le temps de la collectivité,
un temps lui aussi permanent, perpétuel oû l'Histoire est occultée, la durée
contractée, maîtrisée". In: ZONABEND. (1980). Op. cit. p. 308.
28. "Aborder la famille sous l'angle des réseaux, c'est se situer d'emblée dans
une sociologie" - anthropologie - "des acteurs. C'est postuler que la société
n'est pas faite d'individus interchangeables, passivement modelés par l'ordre
social, mais faite par des personnes, liées à un contexte précis, mais disposant
d'une marge de manoeuvre pour la transformer. Le social n'est pas donné,
immuable, institué une fois pour toutes, il est en perpétuel processus d'autoinstitution; les hommes et les femmes refont la société qui les avait faits". Cf.
FORTIN, Andrée. Histoires de familles et de réseaux. La sociabilité au Québec
d'hier à demain. Montréal, Saint-Martin, 1987. p. 8.
29. Nous suivons ici: SEGALEN, Martine. Nanterriens. Les familles dans la ville.
Une ethnologie de l'identité. Toulouse, PU. du Mirail, 1990. p. 67.
30. En ce sens, ce que nous cherchons à connaître, ce sont l'impact, les
conséquences de la fermeture des puits sur l'endogamie professionnelle qui a
caractérisé la communauté pendant un siècle, ainsi que les nouveaux enjeux
sociaux qui sont entrés en scène dans les rapports entre les habitants.
PARTIE I
REMARQUES METHODOLOGIQUES
CHAPITRE 1
LE "PAYS" GRAND-COMBIEN ET LE RITUEL D'INSTALLATION.
Il est temps de présenter la façon dont nous nous sommes insérée dans
la ville, les premiers aperçus, le déroulement de la pratique ethnographique, les
résultats des premières observations et réflexions menées sur le terrain.
Notre expérience ethnographique a commencé en juin 1987 par un
voyage de reconnaissance à La Grand-Combe. Au début de ce mois-là, nous
partions de Paris. La distance qui nous séparait du Midi de la France a été vite
parcourue grƒce à l'avance technologique du train à grande vitesse. Après
Nîmes, les changements de train nous ont offert des conditions de transport
beaucoup moins rapide, ce qui nous a permis de mieux saisir une région
encore inconnue pour nous. A Alès, un autre changement de train, le dernier
avant d'arriver à La Grand-Combe. Cette fois, notre moyen de transport
consistait en un petit train local qui relie Alès à La Grand-Combe. Nous n'étions
plus alors qu'à 14 Km du but de notre voyage.
Dès les premiers kilomètres sur le bassin d'Alès, nous avons identifié
une image qui nous était déjà familière d'après les cartes postales et affiches
que nous avions. Ces images relatent la grève "de Ladrecht", qui a eu lieu en
1980/81, elles illustrent le puits de charbon nommé Destival, le chevalement, la
tour d'extraction et le "mur de Ladrecht" (une fresque de 480mý peinte en avril
1981 par l'Union Régionale des Artistes Plasticiens - Nîmes). Déjà presque
effacée par les intempéries des saisons, cette fresque symbolise la victoire et la
résistance des mineurs cévenols dans leur lutte "pour travailler au pays".
L'approche s'est faite par l'entrée sud-est de La Grand-Combe,
annoncée par les terrils, un lavoir en construction, des friches industrielles,
deux chevalements et un grand bƒtiment dont nous avons appris plus tard qu'ils
étaient respectivement ceux du puits des Oules et celui de la centrale
thermique du Fesc (qui a été mise en route en 1953). A gauche, l'on apercevait
la route nationale 107 bis, un des accès routiers à la ville.
Dès notre arrivée à La Grand-Combe, nos premières impressions ont
confirmé l'imaginaire que nous nous étions créé autour des villes minières: une
petite concentration urbaine très marquée par l'ancienne activité extractive
dominante et aujourd'hui désactivée.
L'on connaît cette ambiance décrite maintes fois par la littérature sur ce
thème. Le style de vie minier était partout resté figé. Certaines traces en étaient
encore très présentes: les maisons en enfilade, les friches industrielles, les
carreaux de mine, les terrils de charbon, les rues portant les noms de
personnalités liées au monde du charbon, les appellations des établissements
commerciaux, les chevalements restés inactifs, la poudre noire recouvrant les
maisons, témoignant d'un passé récent, d'un milieu industriel florissant.
Mais si ces quelques vestiges annoncent l'arrivée en pays minier, il y a
quelque chose dans le paysage qui distingue celui-ci du classique cadre gris
des régions minières. Ce sont les collines qui produisent cette sensation, car La
Grand-Combe se trouve blottie au milieu d'une vallée, sur la rive gauche du
Gardon. "Au coeur des Cévennes, dans les forêts de pins et de chƒtaigniers",
pouvions-nous lire dans un prospectus touristique diffusé par la Mairie, qui
ajoutait: "avec un passé lié à l'industrialisation de notre pays"(1).
Les maisons du style "ville minière" se succèdent alignées et contiguës
sur les rues, comme pour prouver que l'urbanisation locale a été poussée par
un complexe minier.
Par ailleurs, quelques signes plus modernes sont d'emblée perceptibles.
Déjà, de la gare "La Grand-Combe-La Pise", l'on aperçoit, sur l'arrière-colline
(d'Arboux), une importante concentration d'édifices de type moderne (H.L.M.).
De fait, les maisons anciennes et souvent vétustes des premières rues
parcourues contrastent avec les bƒtiments que l'on voit au loin sur la colline
d'Arboux.
Mais le plus frappant à première vue, c'est la présence d'une vallée noire
("vallée de La Grand-Combe" ou "vallée Ricard") où s'éparpillent des friches
industrielles. Elle s'étire jusqu'au pied de la montagne de Sainte-Barbe située
au nord, déchirant la ville et la coupant en deux. D'un côté, (ouest) le centre
ville, et, de l'autre (l'est), les quartiers appelés respectivement "cité de Ribes" et
"cité de la Pise", reliés par un pont étroit (passerelle d'Aubignac).
Parmi les bƒtiments abandonnés, l'un se distingue par sa taille et son style: une
ancienne centrale électrique du même nom que le quartier, "La Pise". Dans la
vallée, le va-et-vient des camions fait voler une fine poussière de charbon,
signes léthargiques d'une autre époque de dynamisme industriel(2).
Depuis la gare et en prenant la première rue à droite, nous trouvons tout
au long de cette vallée noire les maisons alignées où habitaient autrefois
ouvriers et quelques commerçants. Nous étions dans la rue de la Clède, puis
dans la rue des Poilus et la rue de la Grand'Combe, rues qui longent cette
vallée jalonnée de friches industrielles. C'est, en fait, dans ces rues que nous
constatons vraiment une typologie plus minière. Il y a là des bƒtiments très
anciens, et plusieurs maisons se trouvent abandonnées dans un état vétuste,
renforçant l'impression de ville minière en crise.
En suivant la vallée par la rue de la Grand'Combe, c'est un grand
chevalement qui s'impose, et aussi des bâtiments industriels en briques. C'est
le chevalement du puits Ricard, désactivé depuis les années 70, devenu, par sa
beauté archéologique industrielle, le symbole d'une histoire singulière, un
patrimoine historique. La "vallée de La Grand-Combe", qui prend ensuite le
nom de Ricard, donne accès aux quartiers de "la Forêt", de "Sainte-Barbe" et
de "camps Fourgère". Et nous parcourons cette voie bordée de maisons
alignées uniformément, les unes en complet état d'abandon de par leur vétusté,
les autres encore habitées, enchaînant le passé au présent. Tout en repensant
à la phrase d'un historien pour définir La Grand-Combe: "ville uniforme, villedortoir, ville sans passé"(3) nous la relativisons dans notre regard alors que
tous ces monuments étaient bien figés, évocateurs de mémoires encore
présentes, d'une "manière de vivre" du passé, fragments d'une histoire devenus
les signes d'une ville autrefois minière. Néanmoins (nous le savions déjà) la
démolition de ces anciennes maisons serait bientôt entreprise; comme pour en
chasser quelques "mauvais souvenirs"(4) qui y demeurent.
Dans un autre axe partant de la rue des Poilus s'étend la rue Anatole
France, qui lie cette partie de la vallée au centre de la ville. En fait, à mesure
que l'on approche de la place centrale, nous trouvons des bƒtiments un peu
plus somptueux, à deux ou trois étages avec balcon. Dans cette rue l'on trouve
aussi divers établissements de commerce, deux maisons de culte (Eglise
Evangélique et Temple de l'Assemblée de Dieu), le Syndicat d'Initiative, la
poste et au bout de la rue l'on débouche sur l'abside de l'église catholique.
Autour de la place centrale (place Jean-Jaurès(5)) nous découvrons sans
surprise une réplique de structure urbaine obéissant à un ordre géométrique
déjà traditionnel avec la disposition des principaux bƒtiments administratifs et
de services: l'église catholique, le presbytère, la Mairie, deux écoles (une, à
ouest, est l'ancien hôpital et l'autre, à l'est, est l'ancien bureau de la
Compagnie), la gendarmerie, les offices d'H.L.M, quelques commerces et
quelques appartements avec balcon. Le témoignage de l'insertion de la ville
dans le contexte historique national est aussi apporté par le monument aux
morts au milieu de la place.
Les différences que nous pouvons remarquer entre les constructions
observées le long des premières rues parcourues et celles des rues plus
proches de la place est frappante, car ces bƒtiments "parlent" d'une distinction
de position sociale, traces d'une hiérarchie, reflets du "temps de la Compagnie".
Contrastant avec les rues de la Clède, des Poilus et de La Grand-Combe avec
leurs bâtiments de construction simple, typiquement ouvrière, l'architecture de
la rue Anatole France et du pourtour de la place, des bƒtiments à balcon,
exprime un statut de noblesse datant de l'époque où y habitaient des médecins,
des cadres, des maîtres-mineurs, des religieux, rappelant une ancienne
occupation des espaces selon des conditions sociales différenciées. Les
bƒtiments, comme tout le reste d'ailleurs, dans ce tissu urbain, sont les vestiges
d'une histoire locale née du charbon, les traces d'une morphologie urbaine
engendrée par la Compagnie, maître d'oeuvre pendant plus d'un siècle.
La place est aussi le centre de la ville et le carrefour des diverses rues
principales: la rue Pasteur, où se concentrent le plus grand nombre de
commerces, la rue de la République, le bd. Jules-Callon (ancien ingénieur de la
Compagnie(6)), le Boulevard Talabot (constructeur du chemin de fer), l'Avenue
Germain-Soustelle et le pont du même nom (ancien Maire) et la rue AnatoleFrance, qui donnent accès aux rues secondaires et aux quartiers et hameaux
plus éloignés.
Inutile d'y chercher le Temple Protestant, dont nous savions déjà qu'il
avait été bƒti sur la place principale du hameau de Trescol (place Victor-Hugo),
situé à 2 Km au nord de La Grand-Combe.
Derrière l'église, dans la rue en pente de Sainte-Barbe, un deuxième
monument, important par sa taille, a attiré notre attention. C'est un buste de
Mathieux Lacroix, un poète "gueule noire". Face à ce monument se trouve le
presbytère de l'Eglise Réformée Evangélique.
Sur la rive droite de la vallée, de l'autre côté de la passerelle d'Aubignac,
l'on arrive aux quartiers ou cités minières de la Verrerie, des Ribes, de la Pise,
d'Aubignac, etc.
Ce premier voyage à La Grand-Combe avait aussi pour but la recherche
de possibilités de nous installer dans la ville. Nous avons d'abord cherché un
hôtel dont nous avions trouvé l'adresse dans l'annuaire. Mais nous avons
constaté, en arrivant à l'adresse indiquée, que l'hôtel était fermé depuis
quelques années. Nous avons alors recouru à la Mairie et au Syndicat
d'Initiative pour connaître les autres possibilités d'hébergement. La réaction de
surprise des fonctionnaires contactés était flagrante, et tous nous ont
recommandé unanimement de nous installer dans la ville voisine, Alès. Nous
étions frustrée de ne pouvoir nous installer dans la ville même. Nous avons pu
être secourue par une amie d'Alès, Béatrice Ladrange, qui nous hébergea. Les
portes de la maison de Béatrice nous sont restées ouvertes pendant toute la
période de la recherche, nous ouvrant aussi un foyer plein d'amitié et de
confort. Cette amie est devenue pour nous ce que les anthropologues appellent
traditionnellement la "marraine d'initiation" ("initiation" dans les premiers pas à
effectuer dans le travail de terrain). Grƒce au rôle d'intermédiaire affectif et actif
qu'elle a joué en nous accueillant et en nous suggérant les premiers points de
recherche, elle nous permit une meilleure intégration dans la région.
Le coeur de la ville nous est devenu peu à peu familier et c'est à la
découverte de ses cités satellites de Trescol, Champclauson et La Levade que
nous avons dédié nos premiers jours de reconnaissance locale. Ces lieux
expriment un passé fortement attaché à la mine. Tous ont existé autour d'un
puits d'extraction et ont été construits, comme La Grand-Combe, par la
Compagnie.
Ces hameaux reprennent beaucoup d'éléments de la structure urbaine
que nous avons trouvée à La Grand-Combe, chacun gardant toutefois sa
particularité.
Trescol, par exemple, est le hameau le plus proche de La Grand-Combe:
il en est distant de 2 Km, et un boulevard relie les deux agglomérations. Dans
ce hameau, la place principale a été installée face au temple protestant à deux
pas du puits de mine (Gouffre 2, mis en activité en 1851). Pendant longtemps,
la vie de ses habitants tournera autour de ce puits qui sera fermé en 1953.
Actuellement, Trescol est le hameau qui présente le plus de constructions de
type moderne (avec un important ensemble d'H.L.M.) qui, à côté des maisons
du type "cité minière" et des immeubles collectifs appartenant aux houillères,
expriment une diversité significative des secteurs résidentiels.
Maints de ces bƒtiments ont bénéficié d'importants travaux, surtout pour
l'installation de douches et de W.-C. En outre, les anciennes maisons
abandonnées, comme celle où nous pouvons lire "bains municipaux",
témoignent des habitudes de confort du passé.
C'est aussi Trescol qui fait figure d'espace social le plus critique et le plus
stigmatisé par la "ghetto‹sation" de la communauté d'origine maghrébine, et
plus spécialement algérienne, sur son territoire. Ce phénomène s'est surtout
vérifié à l'arrivée de cette population venue des quartiers ("camps" et "cités") où
les maisons étaient considérées comme vétustes. Ces gens ont été
préférentiellement concentrés à Trescol.
Notre guide du moment nous a esquissé un tableau de conflit latent:
"(...) on supporte bien les espagnols, les italiens, les polonais, etc., mais
pas les arabes".
Ce jugement nous introduisait aux problèmes du racisme et de la
cohabitation dans une ville où le mélange de races a toujours donné le ton de la
problématique autour de la construction sociale de l'identité de ce groupe.
Surnommé parfois péjorativement comme le "Mini-Chicago", le hameau se
différencie donc de Champclauson et de La Levade par le nombre important
d'H.L.M. qui y ont été construites dans les années 1950/60 et par le stigmate
d'une population d'origine nord-africaine dont les jeunes surtout seront vus
comme "dangereux" dans ce village de "chômeurs et d'oisifs".
Les bâtiments du "temps de la Compagnie" existent toujours et
l'ancienne voie ferrée le divise en deux espaces résidentiels. Nous avons d'un
côté la cité H.L.M. et de l'autre les bâtiments construits par les Houillères. Mais
cette frontière géographique cache aussi une situation de "friction ethnique" et
sociale où deux groupes se différencient dans le processus de classement
social: d'un coté de la voie ferrée se concentre une importante communauté
d'origine nord-africaine, notamment les algériens, et de l'autre côté se
rassemblent les familles françaises et d'autres origines mais qui ont vécu leur
intégration plus facilement (notamment les immigrants venus des pays de l'Est).
Ainsi, malgré l'appartenance à une même "condition de classe", plusieurs
aspects distinguent(7) ces deux groupes: l'origine ethnique, le mode de vie, la
religion, "ethos" et la vision du monde(8), etc.
A Trescol, l'état des habitations et les problèmes sociaux que cela
entraînait ont été "à la une" des efforts municipaux dans les années 70. Un
important programme de ré-urbanisation et revalorisation du quartier a été alors
mis en place.
En suivant une route assez tortueuse qui part de Trescol, l'on arrive,
après 2 Km, à Champclauson. Au fur et à mesure que nous approchons,
l'aspect de l'environnement nous donne une sensation grandissante de
désolation. Champclauson est une petite ville encerclée par la montagne, où la
forêt a été complètement détruite par un incendie en 1982. La morphologie
urbaine correspond au même type grand-combien, avec l'église catholique au
centre, à côté de l'ancienne école privée, avec la prédominance des bƒtiments
à deux étages et des maisons appartenant encore aux houillères(9). Ainsi que
pour Trescol et La Levade, la vie tournait autour du puits d'extraction, dont
l'entrée se localise pratiquement au milieu de la ville (galerie Therond), et qui
est fermé depuis 1965. L'arrêt de l'activité économique a brutalement dévalorisé
le village par le désintéressement à l'égard du travail et l'abandon des biens
immobiliers. De plus, aucun moyen de transport public, à l'exception de
l'autocar pour les écoliers, ne relie ce village à La Grand-Combe.
La dégradation du marché du travail et le chômage ont rejeté les jeunes,
qui sont partis ailleurs. La ville "est vide", "il n'y a rien à faire" nous disait notre
cicérone, désarroi que nous avons pu mesurer dès la première rencontre, lors
de notre première visite au village. Là, nous avons fait la connaissance d'un
vieux mineur. Il nous regardait d'un air curieux et nous l'avons interrogé. M.
Denoît avait travaillé 35 ans dans la mine et, motivé par le fait que nous étions
là pour une recherche sur l'histoire de Champclauson, il nous a raconté, à sa
manière, la vie d'autrefois, les allées et venues dans les puits, l'entassement
dans les baraquements et les activités commerciales... "c'était très vivant".
Après une heure, il nous a demandé de l'excuser car il devait apporter le journal
"Midi Libre" à son beau-frère, étant donné qu'ils partageaient le même journal,
l'un le lisant le matin, l'autre l'après-midi. Nous allions comprendre plus tard que
l'achat collectif et l'échange d'un journal entre deux personnes ou plus (voisins
ou parents) représentaient un véritable rituel quotidien d'échange, une
importante manifestation de sociabilité entre les personnes âgées et/ou seules.
Notre visite de reconnaissance a continué et nous nous sommes arrêtée
au principal café où notre guide savait que le patron possédait une collection
d'anciennes photos de la ville. Là, nous avons appris que l'ancien bureau qui
servait d'annexe à la Mairie de La Grand-Combe était devenu une salle de
retraités où nous pouvions retrouver les vieux mineurs à la retraite qui avaient
l'habitude de s'y réunir pour jouer aux cartes, et qui nous raconteraient
volontiers l'histoire de leur vie. Nous avons suivi les conseils du cafetier et, en
arrivant sur place, nous avons rencontré, dans une salle pleine de tables et de
chaises inoccupées, M. Denoît qui jouait tout seul aux cartes. Lors de cette
nouvelle rencontre, il nous a semblé gêné, comme si nous l'avions surpris en
flagrant délit de solitude. Comme pour justifier la situation, il nous a parlé de
l'animation que l'on trouvait autrefois dans cette salle, quand, à la sortie de la
mine ou le dimanche, les mineurs s'y rassemblaient nombreux alors que pour
aujourd'hui il exprimait un "go–t amer du vide".
Nous avons trouvé à La Levade la même structure de petite ville minière.
On accède à La Levade soit par la route nationale nº 106, soit par l'ancienne
route qui débouche sur la rue de l'Ecole. Le carrefour où cette dernière croise la
rue de l'Eglise joue le rôle de centre-ville. Ce village présente aussi ses
particularités: il voisine avec le hameau des Taillades (Commune de Branoux),
dont elle se différencie par la topographie. Bien qu'il ne s'y arrête plus aucun
train, la gare construite par la Compagnie, vestige d'un passé attaché à la mine,
est toujours là. En montant la rue de l'Eglise, l'on trouve l'ancienne annexe de la
Mairie et des bureaux, et plus haut, l'église catholique.
Si l'on va jusqu'au bout de cette petite rue, on arrive au Chƒteau de La
Levade, qui a servi longtemps de centre administratif, de résidence aux
directeurs de la Compagnie et de maison d'hébergement pour les membres du
conseil d'administration venus de Paris, Marseille, etc. Aujourd'hui, le Château
est la propriété d'une Association: "Vision Développement".
Si nous reconnaissons dans l'ensemble de ces environnements visités,
un enracinement à un "ethos" minier, les pratiques sociales actuelles devraient
être comprises par rapport aux changements profonds provoqués par le recul
industriel et par la situation de crise qui en découle.
Notre première impression a été celle d'une commune abattue et cette
observation nous révélait une problématique de fond sur la violence avec
laquelle la ville avait vécu une régression économique et démographique. Ce
qui a été confirmé dès nos premiers contacts sur place. Embarras que notre
guide, épanchant son coeur, synthétisait en disant:
"Ici c'est une drôle de ville. C'est une ville jeune dans son âge mais déjà
morte".
"Une ville sinistrée", nous disait un ancien mineur qui exprimait plutôt un
sentiment de nostalgie difficile à dissimuler en parlant des nombreuses maisons
vides (soit au centre-ville, soit dans les quartiers des alentours), des anciens
chevalements devenus silencieux et des vieux bƒtiments des houillères
désaffectés et vides. Un processus de dés-industrialisation qui a eu un impact
sur la ville. D'ailleurs, cela signifie une forte réduction de la recette municipale,
et des problèmes pour les finances locales qui se répercuteront sur différents
aspects de la vie de la population.
La fermeture des mines entraîne une rupture, une discontinuité dans
l'histoire locale. Mais il se produit simultanément une situation de recomposition
sociale et de continuité perceptible dans l'observation de leur quotidien, dans
leur représentation et mémoire sociale.
Dès les premiers jours, nous nous sommes efforcée d'emblée de
contacter les familles de mineurs grand-combiennes. Notre approche des
premières d'entre elles, auprès de qui nous voulions développer une enquête
ethnographique, s'est faite à la cité minière de La Forêt. Ce quartier est l'un des
plus anciens de la ville et aussi l'un des plus touchés par la dépopulation et la
démolition des maisons (plus précisément au Camp Fourgère) depuis la
fermeture des puits d'extraction.
Ce quartier se situe à 2 Km au nord du centre de la ville et il apparaît,
dans les premiers recensements de la commune, lié à celui nommé quartier "de
La Grand-Combe", puisque c'est là qu'était placé la première siège de
l'administration de la Compagnie de La Grand-Combe. Plus tard, le puits La
Forêt (exploité de 1882 à 1935) est construit et le quartier est baptisé du même
nom. C'est là encore que nous trouvons les casernes les plus anciennes,
encore habitées par les familles de mineurs retraités.
Lors de notre première visite dans ce quartier, nous accompagnions un
fonctionnaire du "Service des Domaines des Houillères de Cévennes",
rencontré dans le bureau de ce service. Ce fonctionnaire nous a fait visiter la
cité minière de La Forêt où se situe aussi le "Camp Fougère" en démolition. Il
était venu dans le quartier pour effectuer des réparations dans les caves de
quelques maisons et, pendant ce temps, nous discutions avec certains des
habitants auxquels il rendait visite.
Quelques jours plus tard, nous y sommes retournée seule et avons
cherché nos premiers contacts au hasard, en pratiquant le porte-à-porte.
Cette forme d'approche n'est pas toujours efficace et, malgré l'explication
du but de la visite et la déclinaison de notre identité, l'on nous a parfois reçue
avec hésitation ou ennui et quelquefois nous avons été confrontée à des refus.
Nous avons perçu la chose, tantôt comme une réticence à faire entrer chez soi
et dans son intimité quelqu'un d'étranger au groupe local (surtout à un moment
- nous l'avons su plus tard - où le journal local prévenait la population de faire
attention aux voleurs se présentant comme des contrôleurs d'institutions
publiques attribuant des amendes inexistantes), tantôt comme une difficulté à
consacrer à un entretien un moment de sa vie privée, ce qui dérangerait et
briserait une routine tournée de préférence vers la télé, le sommeil, la
pétanque, le jeu de loto et les promenades, vu que la majorité de ces habitants
est constituée de personnes âgées et retraitées.
Au départ, nous avons évité de retourner chez les habitants que nous
avions rencontrés en accompagnant le fonctionnaire des Services des
Domaines, craignant de passer pour un allié des Services des Houillères. Mais,
face à la difficulté d'inspirer confiance et de prouver la légitimité de notre
démarche, nous avons décidé de retourner voir les gens rencontrés lors de la
première visite. Nous étions déterminée à élucider autant que possible nos
objectifs en montrant qu'ils n'avaient rien à voir avec un "contrôle" des
Houillères. Finalement, les premières portes nous étaient ouvertes.
En fait, la première famille à nous avoir reçue est devenue une espèce
de laissez-passer. Il s'agissait en effet d'un personnage qui avait joué dans le
passé un important rôle politique dans la vie du quartier: un ancien conseiller
municipal très populaire (aujourd'hui retiré de la politique pour des raisons de
santé). En outre, c'était un mineur retraité pour qui les entrevues n'étaient pas
une nouveauté et pour qui le monde de la recherche n'était pas un mystère:
dans son "histoire de vie", il nous a parlé d'autres entretiens, du film sur la vie
des mineurs auquel il avait participé ("La Vallée Longue", production Antenne
2), etc. Nous allions enfin comprendre pourquoi les divers livres sur le sujet
"mineurs et mines" parus au cours des dernières années présentaient en
préface des excuses pour aborder, "encore une fois", ce thème.
Le sentiment de peur de mener une enquête sur un terrain déjà saturé,
un sujet de recherche déjà épuisé est resté présent dans nos premières
démarches. Cependant, de même que le quotidien n'est jamais la répétition de
ce qu'on a fait hier - c'est le faire à nouveau - nous pensons aussi pouvoir dire à
nouveau et raconter autrement l'expérience sociale de ce groupe. Autrement
dit, même si cet univers social était déjà connu de l'académie scientifique, nous
comprenions que les points d'abordage sont divers et qu'il nous était possible
d'aborder divers aspects sans être redondants.
Un autre sentiment que nous avons éprouvé lors des premiers contacts a
été une certaine angoisse à l'idée de la réaction positive ou non des habitants
de se voir interrogés par une étrangère qui, outre le fait qu'elle venait d'un pays
"exotique" et appartenant au Tiers-monde (Brésil), pouvait être prise pour une
intruse et par là même s'avérer "dangereuse" pour la vie privée du groupe
social local. Pour nous, en revanche, cette enquête "chez eux" (le premier
monde) signifiait l'inverse du habituel, puisque la recherche d'une anthropologie
passée a été traditionnellement mené dans "les pays exotiques et sousdéveloppés".
Dans nos approches des familles ou des personnes isolées, nous nous
sommes présentée comme étudiante brésilienne en anthropologie faisant une
recherche sur La Grand-Combe (d'hier et d'aujourd'hui). Les gens ne nous ont
pas semblé autrement surpris par notre présence. Ils étaient souvent curieux,
rarement méfiants à l'égard de ce que nous faisions dans la ville. C'est en fin de
compte à cette catégorie d'étudiante brésilienne que l'on nous a assimilée. La
curiosité à connaître les raisons pour lesquelles nous étions venue de si loin
pour travailler à La Grand-Combe s'est traduite par une question souvent posée
à ce propos, et il nous fallait alors faire un petit récit de notre trajectoire
personnelle et scientifique, stimulant ainsi un processus aboutissant à la
reconnaissance.
Nous avons bientôt compris, d'ailleurs, que non seulement notre
présence dans la ville ne passait pas inaperçue mais aussi que ceux qui
l'avaient remarquée savaient à peu près qui nous étions et ce que nous faisions
là. A titre d'exemple, nous citerons la situation où, ayant pris un rendez-vous
avec un technicien agricole dans un café proche de la Mairie, nous avons
surpris ce que se disaient tout bas deux clients du café. L'un d'eux posait la
question "qui sont-ils, que font-ils ici?", et son interlocuteur répondait que nous
étions venue du Brésil pour étudier l'histoire de La Grand-Combe et que, pour
cela, nous allions tous les jours à la Mairie consulter des documents.
D'autre part, la question de savoir si nous avions du travail au Brésil
nous a été posée à plusieurs reprises, comme si le fait d'être une étudiante
brésilienne leur semblait plutôt vague. Nous répondions alors que nous
travaillions au Brésil en tant que professeur, et les fréquentes réactions de
surprise nous ont fait réfléchir. Dans nos recherches au Brésil, nous nous étions
toujours présentée comme professeur sans pour autant causer de surprise ou
de malaise, puisque la catégorie "professeur" englobe tous les enseignants
sans discrimination. En France, après les premières réactions d'étonnement
devant notre position professionnelle, nous avons vite compris que les réactions
d'incrédulité ou même de gêne venaient du privilège que revêt le statut de
professeur universitaire. En revanche, nous n'avons pas voulu omettre de
mentionner
sur
notre
carte
de
visite
notre
identité
professionnelle
d'anthropologue, et quelques personnes nous ont montré qu'elles connaissaient
l'étymologie du mot: "Ceux qui étudient la culture des hommes!", nous a dit un
retraité, par exemple. A d'autres occasions, c'est la franchise et la modestie des
gens interrogés qui nous a surprise, comme pour ce mineur retraité à qui nous
avions laissé une carte de visite lors du premier contact pour fixer un rendezvous. Au moment de notre retour chez lui pour l'interview, il a déclaré que, tout
de suite après notre départ, ce jour-là, il avait cherché dans son dictionnaire ce
que signifiait l'anthropologie, et qu'il craignait sur le moment "d'avouer son
ignorance". Cette reconnaissance mutuelle était bien la mise en lumière de
l'exercice d'observation et de "classification", du mouvement constant
d'identification réciproque entre le chercheur et le groupe étudié.
Au fil des premiers entretiens, nous nous sommes rendue compte que le
facteur "être étrangère" pouvait même se transformer en un atout de plus pour
donner de l'intérêt à la rencontre. A maintes reprises, cela a même permis de
briser la glace dans la conversation entre enquêteur et personnes interviewées,
où le fait d'un rapport artificiel imposé est souvent un élément perturbateur dans
le processus initial de construction d'une identification et de recherche de
critères et de points de référence communs. Ainsi, comme dans tout acte
d'échange, les gens, au cours de notre conversation sur leur mode de vie, nous
posaient fréquemment des questions sur le Brésil. De notre côté, il nous a fallu
souvent demander à nos informateurs la signification de certaines expressions,
de certains mots de vocabulaire (qu'ils disaient être soit de l'argot soit du patois
grand-combien) et de certains gestes de la région ou même personnels
employés dans leurs discours, et ceci exigeait d'eux une interprétation
intellectuelle
capable
de
nous
rendre
familière
leur
singularité
de
communication.
Au fur et à mesure de notre engagement prolongé sur le terrain, nous
avons vu se développer un sentiment d'hospitalité chez les familles qui
acceptaient d'être interviewées et, avec quelques-unes d'entre elles, nous
avons pu maintenir un contact régulier et même partager des moments qui ne
se limitaient pas à ceux de l'entretien. Le fait de nous accueillir parmi elles ne
consistait après tout qu'à recevoir quelqu'un n'appartenant ni au groupe local, ni
à leur position sociale: quelqu'un de l'extérieur. Nous ne nous faisons donc pas
d'illusions quant à notre intégration à l'intimité du foyer. Ce que nous voulons
signaler, c'est le processus qu'a suivi notre acceptation parmi ces gens, à
l'intérieur de leur quartier et au sein de leur famille.
Nous avons pu également mesurer la transformation: d'inconnue que
nous étions de la population, nous sommes devenue reconnue de quelques
grand-combiens et au fur et à mesure nous recevions les premiers saluts dans
la
rue, les
embrassements
des
femmes
interviewées (quatre
bises,
commençant sur la joue gauche), et les invitations pour de nouvelles visites,
pour un anniversaire, une fête, etc. Il faut surtout signaler que la première
famille interviewée, dont nous avons parlé plus haut, est devenue aussi pour
nous un foyer d'accueil où nous trouvions une affection sans limites. Nous y
retournions deux à trois fois par semaine, pour avoir de ses nouvelles, donner
des nôtres, demander des conseils, trouver de l'amitié, boire un thé, et cette
relation amicale n'a cessé de se fortifier. Une fois de retour à Paris après la fin
de notre recherche sur le terrain, les échanges téléphoniques ont été fréquents
et nous avons même reçu la visite d'un membre de la famille.
Ceci ne veut pas dire que nous n'avons pas essuyé de refus ou fait
naître la méfiance de certaines personnes, bien que cela soit devenu plus rare
qu'avant la phase de reconnaissance. La situation plutôt optimiste présentée
dans le paragraphe précédent cache quelques difficultés que nous avons
parfois connues, et que nous avons notées dans notre journal comme
constituant "les coulisses de la recherche" (avril 1988). C'est à cette époque
que nous avons écrit un rapport racontant certaines situations inattendues à
caractère anecdotique, auxquelles la recherche ethnographique doit se
confronter. Exemples: un chien nous empêchait de nous approcher de la
maison où nous avions un rendez-vous fixé, ou encore notre consternation
lorsqu'à notre question sur l'histoire d'un bƒtiment posée à un monsieur, celui-ci
nous a répondu n'importe quoi, mais nous avons su plus tard qu'il était sourd,
ce qui n'est pas rare dans une ville de retraités ayant travaillé au fond de la
mine, etc.
A partir des premières familles interrogées et à travers elles, nous avons
pu accéder à l'univers de leurs rapports sociaux. En effet, dans la mesure où ils
nous délimitaient leurs réseaux de relations, c'est-à-dire en indiquant "qui
appartenait" et "qui n'appartenait pas" au monde de leurs rapports quotidiens,
nous avons demandé leur médiation pour nous présenter aux personnes qui, à
leur avis, pouvaient aussi nous aider en nous permettant de les interviewer. On
nous décrivait tout un monde de parenté(10) et de voisinage(11) où étaient
classés ceux qui, en hypothèse, accepteraient ou non d'être interviewés. Nous
avions ainsi: 1) ceux qui accepteraient certainement de nous recevoir, 2) ceux
qui seraient peut-être d'accord pour nous accorder une visite, et 3) ceux qui
refuseraient s–rement de nous recevoir pour des motifs aussi divers que la
maladie, ou le fait d'être "des gens repliés sur eux-mêmes et qui ne recevaient
jamais personne", des "gens bizarres", des "gens pas bien", "des gens
élitistes", etc., selon les catégories (classificatoires) de nos intermédiaires.
Lorsque nous demandions la permission de rencontrer des personnes
susceptibles d'accepter un entretien, des fois c'était un membre de leur réseau
familial qui nous était présenté, d'autres c'était un ami ou un voisin. Dans ce
dernier cas, ils nous accompagnaient jusqu'à la maison qui était localisée dans
la même rue ou le même quartier, mais rarement au-delà. Notre médiateur
faisait alors les présentations en expliquant pourquoi nous étions là et en les
encourageant à accepter l'entrevue. Nous nous trouvions ainsi introduite dans
un réseau de voisinage tout en suivant le fil des liens d'appartenance et
d'affectivité.
Nous avons ainsi pu suivre les contours des réseaux(12) de voisins et
d'amis à interviewer, ce qui situait les rôles et les positions de chacun dans leur
réseau de relations. Toutefois, les raisons pour lesquelles tel voisin ou ami, et
non pas tel autre, nous était présenté, n'étaient pas toujours évidentes. Par
exemple, chez l'une des familles interviewées, notre hôte nous a présenté de
façon très pessimiste la possibilité d'être reçue par l'un de ses voisins, surtout
parce qu'il était "trop renfermé sur lui-même et peu ouvert aux autres". Malgré
ce premier refus, nous avons essayé à plusieurs reprises de nous faire
introduire par notre "famille-ego" auprès de leurs voisins habitant dans les
maisons attenantes. Mais la réponse restait la même et ils justifiaient de
différentes manières les difficultés d'une telle approche, ayant sur chaque voisin
un reproche à faire. Ainsi, cette famille nous maintenait de manière presque
exclusive comme un hôte privilégié et qui devait rester leur privilège. Bien sûr,
nous avons réussi plus tard à interviewer d'autres familles dans le même
quartier, mais jamais leurs voisins les plus proches, et ce n'était pas parce qu'ils
avaient rompu avec eux. Peu à peu, nous avons compris que ces proches
voisins étaient tout à fait au courant de nos visites. Mais, ce sont eux qui
informaient les voisins du développement de notre rapport, sans jamais pour
autant stimuler une approche quelconque. De notre côté, nous avons respecté
ce refus et avons tenté de le comprendre dans notre analyse des réseaux de
voisinage et de la sociabilité que nous développons dans un chapitre ultérieur.
A notre retour en 1988, nous avons été ré-introduite dans la ville par le
chercheur en Histoire Industrielle, M. Wiénin(13), qui nous a donné les repères
permettant de saisir les frontières socio-géographiques, politiques et culturelles
de la région. Il a ensuite intercédé en notre faveur à la Mairie, ce qui nous a
permis de prendre contact avec les responsables des services techniques et
sociaux de la municipalité, lesquels nous ont fourni des documents et matériaux
pour notre recherche. Nous avons pu aussi interviewer quelques-uns d'entre
eux.
C'est à ce moment-là, que nous considérons comme le début de la
deuxième étape de notre recherche, que notre approche des familles de
mineurs a pu être appuyée par un grand-combien fonctionnaire de la Mairie.
Dans ce cas, les familles contactées appartenaient aux réseaux de relations
proches et lointaines de cet habitant, bien qu'étant dispersées dans différents
quartiers et hameaux de La Grand-Combe. Ainsi, le terrain sur lequel s'est
déroulée notre enquête s'élargissait.
Nous avons alors interviewé des familles habitant dans les cités minières
de Ribes, de Pelouse, de la Clède, de la Pise, du centre-ville, et dans les H.L.M
de l'Arboux à La Grand-Combe. Nous avons aussi fait la connaissance
d'habitants des communes de Salles-du-Gardon et de Branoux. Toutefois notre
présence dans ces hameaux et ces deux dernières communes n'a pas été
aussi régulière qu'à La Grand-Combe. Les raisons en étaient le souci de ne pas
trop dilater notre univers géographique de travail de terrain. Le fait aussi d'être
dépourvue de voiture, condition aggravée par l'inexistence de transport public
entre les agglomérations, nous forçait à nous déplacer à pied. Cet aspect, il est
vrai, nous a beaucoup limitée, mais en revanche, le handicap de la locomotion
a fini par adoucir notre approche des personnes. En nous voyant arriver et
repartir à pied, elles ne nous ont pas caché leur surprise devant l'effort que
nous entreprenions pour arriver à les contacter et venir aux rendez-vous. A
plusieurs reprises, on nous a même conduite pour des visites du quartier, de la
ville, de la région, ou bien on nous déposait à la gare à la fin de l'entretien.
Les contextes des entrevues ont été si divers qu'il nous est difficile de les
décrire sans rien omettre. Evaluer le nombre de personnes interviewées est
une tƒche malaisée, étant donné le nombre variable de participants à une
interview. Dans une première interview, c'était simplement un membre de la
famille ou un couple qui participait à l'entretien, mais nous en sommes souvent
arrivé, dans la mesure où nous avons pu fréquenter plus longuement certaines
familles, à parler avec un fils, une fille, ou alors la soeur, le frère, ou d'autres
personnes de la parenté ou du voisinage. Nous pouvons malgré tout dénombrer
65 entrevues dont le rendez-vous avait été pris de manière formelle et prévoyait
une "situation d'entretien". En ce qui concerne les entretiens biographiques
auprès de familles de mineurs retraités, nous en avons totalisé 20, avec qui
nous avons pu établir une relation quotidienne.(14)
Le magnétophone nous a paru un instrument très important, surtout à
l'occasion de la première visite chez une famille: cela nous permettait de réécouter l'interview et de nous habituer à la singularité des expressions. Pour
"imposer" la présence du magnétophone, nous devions expliquer les raisons de
l'importance d'enregistrer les entretiens au moins lors de notre première visite,
et il nous semble qu'en général l'appareil se faisait oublier à mesure que
l'entretien se développait, si ce n'est à chaque changement de cassette. Pour
en arriver là, nous laissions toujours le magnétophone à l'écart et nous
enregistrions sans interruptions toute la durée de la visite. Ceci nous permet
d'ailleurs de nous souvenir encore des moments de gêne, par exemple lorsque
le chien de la maison s'est mis à aboyer sans interruption, ou lorsque le canari
de notre hôte chante tout au long de l'interview, son qui se superpose dans
l'enregistrement à la voix de notre interviewé, quand une télévision ou un poste
de radio marchait tellement fort qu'il devenait difficile de se concentrer et de
dialoguer, provoquant parfois un malaise, ou alors des moments de détente
comme les visites inattendues, les pauses-café, etc.
Nous avons également essayé de photographier toutes les "situations
d'interview", notre but étant de mémoriser par la photo notre regard sur
l'intérieur des maisons, les habitants, l'extérieur des maisons aussi, les
alentours, etc. Cette requête nous a toujours semblé la plus difficile à satisfaire,
mais les personnes interviewées n'ont refusé que rarement que nous les
photographions, eux et leur maison. La majorité se contentait cependant de
nous introduire dans le salon, la cuisine, le garage (ou l'atelier), le jardin
potager et ce n'est qu'à deux occasions que nous avons pu accéder à la
chambre à coucher. A chaque fois que nous avons pris des photos, nous en
avons fait des copies et nous sommes retournée voir les gens pour les leur
donner et les commenter ensemble.
Si nous ne considérions pas ces visites ultérieures sous l'angle formel de
"situation d'entretien", elles n'en demeuraient pas moins aussi significatives que
la première. Les entretiens avec les familles de mineurs ont eu lieu à domicile.
Le plus souvent, nous commencions la conversation dans le séjour pour la finir
à la cuisine, autour de la table, en prenant un thé, un sirop (généralement de
groseille ou de citron), ou un pastis(15) qui nous était très souvent proposé.
Quant aux couples, l'homme et la femme participaient avec le même intérêt, ce
qui n'empêchait pas celle-ci, quelquefois, de poursuivre ses travaux
domestiques, comme la vaisselle ou la lessive, ou même de s'absenter
quelques instants pour faire un saut chez le boulanger, aller jouer au loto, etc.
Dans certains cas, on nous a présenté au cours de l'entretien un fils, une fille, la
grand-mère ou alors un voisin.
Nous avons procédé à un autre groupe d'enquêtes plus technique
(objectives) et "intellectualisé" du fait de leurs rattachements à des institutions
dans différents domaines: politique, pédagogique, administratif, religieux, etc.
Nous en avons cherché sur leur lieu même de travail et leur avons exposé notre
volonté de les interroger. Nous avons ainsi interviewé des fonctionnaires de la
Mairie, des prêtres, le pasteur, des instituteurs, des directeurs de centres
sociaux et de formation, des syndicalistes, des employés des Houillères, des
techniciens, et aussi un historien de la région(16).
Les informations qu'ils nous ont fournies concernent les différents
domaines de la vie sociale: elles nous ont permis de mieux appréhender leurs
points de vue sur la qualité de vie des grand-combiens, la situation économique
et sociale, tout comme elles nous ont éclairée sur le comportement et la vie
politique-économique-culturels de la ville, etc. Cela nous a permis de mieux
contextualiser les "inter-relations" du social et du local.
Cette étape de la recherche correspond aussi à notre plus long séjour
dans la ville (de février à juillet 1988; novembre et décembre 1988). C'est donc
la période où nous avons pu le plus longuement observer le quotidien de cette
ville, prenant connaissance de son rythme de vie, des événements les plus
marquants, des fêtes les plus significatives, du rapport population/pouvoir, etc.
Leur histoire vécu était repérée à partir de leur mémoire collective. Un vécu
pour nous dépaysée, fragmentée, il devenait dès lors urgent d'élargir notre
connaissance de l'histoire locale et de la trajectoire des familles également à
partir des sources historiques, comme "outil" épistémologique qui élucide
également "la dialectique de la durée"(17). Nous avons donc entrepris de
dépouiller documents et archives.
C'est avec cet objectif que nous avons établi un programme de
recherche à la bibliothèque municipale de La Grand-Combe et d'Alès, dans les
Archives Municipales d'Alès, au Bureau d'Etat-Civil à la Mairie et à la
Permanence d'Accueil, d'Information et d'Orientation de La Grand-Combe, et
enfin, au Syndicat d'Initiative et au Service du Domaine des Houillères des
Cévennes. Nous avons étudié les dénombrements de population de La GrandCombe à partir de 1846, les listes électorales, registres d'état-civil (naissances,
mariages, décès), archives... Consultations que nous avons réalisées tout au
long de notre séjour dans la région.
Pour étamer notre recherche sur la ville et sur la communauté de travail
dans son passé, nous comptons avec une bibliographie de poids comme la
thèse de Jean-Michel Gaillard "Un Exemple Français de 'Ville-Usine': La GrandCombe (Gard) et sa 'Compagnie des Mines' 1836-1921", ainsi que d'autres
travaux(18). Pour connaître le temps vécu d'autrefois et pour reconstituer le
vécu "au temps de la Compagnie", nous avons cherché à connaître la
trajectoire historique de cette Compagnie et de la ville(19), et aussi à analyser
le rapport existant entre les habitants et les espaces sociaux où ils produisent
des relations significatives dans leur quotidien. Pour cela, nous avons non
seulement consulté des documents écrits et une bibliographie concernant la
Compagnie et la ville, mais nous avons fait aussi appel à la recherche
historique à partir de leur représentation.
Nous avons également "épluché" la presse locale et, à l'exception des
journaux "Midi Libre", "Le Pays Cévenol et Cévennes"/"Petit Cévenol", auxquels
nous nous sommes abonnée, les autres quotidiens, hebdomadaires, bulletins
municipaux, anciennes affiches, etc, nous ont été fournis soit par les personnes
interviewées elles-mêmes, soit par le Syndicat d'Initiative ou par le responsable
d'alors du Service de Développement de la Mairie de La Grand-Combe, M.
André Parlebas.
Il n'est pas négligeable d'insister ici sur le fait que bien souvent nous
avons enquêté auprès de mineurs retraités ou d'autres personnages
passionnés par l'histoire de la mine, qui nous ont fait découvrir chez eux des
collections de photos, des documents anciens, des livres, de vieux journaux
(quotidiens, journaux engagés ou bulletins syndicaux).
Nous avons trouvé assez souvent de véritables mini-musées chez les
mineurs qui collectionnent des objets-souvenirs tels que d'anciens outils de
travail à la mine, des médailles, photos, vêtements, etc. Ces objets-souvenirs
ou traces culturels font normalement office de décor et sont habituellement
exposés sur les buffets. Chez l'un de ces mineurs retraités, tout un étage de la
maison avait été transformé en mini-musée de la mine, entreprise à laquelle il
s'était dédié dès son départ à la retraite. Il est aujourd'hui ouvert à tous ceux qui
désirent le visiter.
A mesure que notre séjour dans la ville se prolongeait, nous avons pu
observer les endroits privilégiés de convivialité dans l'univers des habitants, les
événements sociaux remplis de signification se déroulant dans la sphère de la
vie publique, ce que Goffman nomme "rites d'interaction"(20).
Ces "rites d'interaction" sont tantôt très réguliers, comme c'est le cas du
marché du mercredi et du samedi, tantôt plus espacés, comme pour les fêtes
annuelles.
Une occasion bihebdomadaire et facile d'accès pour nous introduire
dans les pratiques sociales réfléchissant les habitudes, sociabilités et traditions
du groupe: c'est bien sûr l'événement du marché traditionnel à La GrandCombe. Déjà, lorsqu'il était question de fixer un rendez-vous pour un entretien,
les grand-combiens disaient: "pas le mercredi ou le samedi matin, c'est jour de
marché".
Dès notre première visite au marché, sur la place, un mercredi, nous
allions comprendre qu'il s'agissait de l'événement collectif bihebdomadaire le
plus "spectaculaire" et le plus important pour les habitants de cette ville, parce
que c'était l'occasion non seulement de faire les achats pour la semaine, mais
surtout d'un déploiement d'un intense phénomène de sociabilité. Nous avons
écrit à cette occasion dans notre journal ethnographique:
"Samedi, 12 mars 1988: le matin, je suis allée au marché pour
observer et prendre quelques photos. Je savais que j'assistais à quelque
chose d'ordinaire pour eux, mais pour moi, quelle mise en scène de la
différence! Le mot "mélange" m'a frappé l'esprit. La diversité des habits,
des teintes de peau, des accents, tout prouvait que j'avais là une
manifestation des différentes identités; on y voyait des grand-combiens
français, d'autres d'origine maghrébine, espagnole, italienne, des noirs,
des blancs, des cévenols vendant le "pélardon" (j'en ai d'ailleurs
acheté). Et puis, partout, des gens s'arrêtent pour bavarder, on a
l'impression que tous se côtoient. Tout le monde bavarde: si la moitié de
cette foule est venue pour les achats, l'autre moitié - j'en suis sûre n'est là que pour bavarder".
Comme s'il était un peu le miroir du quotidien de la ville, nous avons
observé dans le marché ce qui constitue la population de La Grand-Combe: un
groupe humain où se mêlent des gens d'origines diverses.
Nous ne doutons pas qu'à travers ce premier regard plusieurs aspects
du marché nous échappent, les relations d'évitement, les conflits, "la tenue et la
déférence", etc., ces "éléments rituels inhérents aux interactions sociales"( ),
les absences. Mais nous n'en ferons pas ici une présentation détaillée, laquelle
trouvera sa place ultérieurement dans ce travail. Pour le moment, nous voulons
seulement décrire quelques premières impressions des activités de la ville que
nous avons suivies avec beaucoup d'intérêt, et là, chaque mercredi et chaque
samedi, c'est à un événement plein d'animation et de rencontres auquel l'on
peut participer. C'est l'occasion de rencontrer parents, amis et voisins, de
retrouver ou avoir des nouvelles des familiers habitant la montagne et de se
replonger dans l'atmosphère cévenole.
D'autres activités collectives, qui prennent parfois la propre allure d'un
rituel, nous ont aussi paru être des seuils à franchir afin de nous introduire dans
le champ des pratiques sociales des habitants dans la ville. Nous voulons parler
des fêtes, multiples et diverses. Nous nous sommes renseignée, les avons
observées, et y avons participé.
Deux fêtes d'origine religieuse se distinguent: celle de Sainte-Barbe et
celle de Notre-Dame-de-Laval. Mais il y a les fêtes populaires: la fête du Corso,
le Carnaval, la fête des retraités, la fête de la musique, les fêtes politiques et
familiales.
Nous avons encore observé et enquêté sur les différentes options de
loisir et formes de divertissement, dont nous citons, entre autres, la
fréquentation des cafés, où il a été possible regarder le comportement des
clients et de ressentir l'ambiance. En effet, en dépit de notre souhait de
fréquenter ces établissements avec plus d'assiduité, le fait que la clientèle y soit
à prédominance masculine nous a contrainte à limiter notre présence.
Par contre, lors d'événements culturels comme les concerts, les
représentations théâtrales, les festivals, les expositions de peinture, etc, notre
présence était moins remarquée par "ce" que nous considérons comme le
regard du code culturel du groupe. A certaines de ces occasions, nous avons
même reçu des invitations grâce à nos contacts avec des organisateurs, ou
alors c'était une personne que nous avions déjà interviewée qui nous invitait et
nous accompagnait.
Un loisir en particulier s'avère remarquable par le nombre significatif de
pratiquants du sexe masculin (sur-représenté), mais aussi par celui - non moins
significatif - des jeunes et des femmes (sous-représentés): c'est la pétanque. Le
public, masculin, de même que la clientèle pour un bon nombre de cafés, est
surtout représenté par des personnes ƒgées et retraitées. Plaisir quotidien pour
quelques-uns, sporadique pour d'autres, pur divertissement pour les uns, réel
vice pour les autres, ce jeu suscite des rassemblements journaliers. Il nous est
difficile de reconstituer mentalement l'atmosphère grand-combienne sans nous
rappeler ces groupes qui se forment durant tout l'après-midi et des fois même le
matin autour de ces boules quasi sacrées, le long des rues qui voisinent la
place Jean-Jaurès ou ailleurs. Sans doute avons-nous à faire ici à un loisir qui
nous permet de penser à une occasion importante d'interaction sociale. Seule
la pluie est capable de retenir les joueurs à la maison ou au café.
En mai et juin 1989 nous sommes retournée à La Grand-Combe pour
donner suite au travail de terrain. Finalement, nous nous sommes installée
dans la ville même, grƒce à la réouverture de son hôtel.
Cette fois, nous avons emprunté d'autres canaux de communication afin
de connaître le contexte local de la pratique sociale et des processus de
convivialité entre les personnes et groupes de personnes (les styles sociaux de
comportement)(22). Ainsi, nous nous sommes penchée sur la vie associative et
communautaire. Nous avons contacté pour cela plusieurs associations
formelles qui, justement, animent officiellement la vie urbaine.
Le contact a été souvent établi avec le président lui-même, ou alors avec
un membre de la direction de l'Association, avec qui nous prenions rendez-vous
soit par téléphone, soit en nous déplaçant personnellement. Les entretiens ont
eu lieu en général au siège des associations, parfois à la Mairie, dans un café,
ou alors chez l'un des membres.
Les associations avec lesquelles nous avons pris contact étaient de
différentes sortes, quelques-unes existant depuis le "temps de la Compagnie".
C'est le cas notamment des Joyeux Mineurs, société de danse et de farandole,
de l'Harmonie Municipale, groupe de musiciens qui descendent de l'Harmonie
des Mines de La Grand-Combe, et l'Essor Cévenol, association de beaux-arts.
La sur-représentation des personnes âgées justifie l'importance que les
clubs de troisième âge ont prise dans la commune. Nous avons ainsi interviewé
les membres de trois importantes associations de ce genre, respectivement
l'Age d'Or, qui siège à La Grand-Combe, le Club de l'Amitié, installé à Trescol,
et la Belle Epoque à La Levade.
Les clubs sportifs contactés n'ont pas été nombreux. Nous n'avons
recueilli sur eux que des informations très ponctuelles. Dans ce domaine, nous
avons interviewé le président de l'Association de Football de Champclauson,
deux des fondateurs du club de danse et le président du club de ski.
Nous avons également interviewé: A) à Trescol: l'animateur du Centre
Social Trescol et président de l'Union d'Associations de Trescol; la présidente
de l'Union des Femmes Françaises; B) à La Grand-Combe: le président de
l'Association des Vieux Travailleurs; le directeur du Centre de Formation
Professionnelle des Adultes; le président de la Maison de la Famille; deux
membres de l'Amicale des Algériens en Europe; le président de la
Confédération Syndicale du Cadre de Vie de la commune; les responsables du
Centre
de
Formation
Individualisée
et
de
la
Permanence
d'Accueil,
d'Information et d'Orientation aux Jeunes, services rattachés à la Mairie de La
Grand-Combe.
En ce qui concerne les autres associations existante dans la ville, nous
avons fait appel à d'autres sources pour obtenir des informations, soit par
consultation bibliographique de documents, journaux, brochures, soit grƒce à
des informations éparses recueillies lors des entretiens, principalement lorsque
notre interlocuteur participait activement à l'une de ces associations.
En ce qui concerne le monde religieux des habitants grand-combiens,
comme nous l'avons déjà signalé, nous avons observé les principales fêtes
religieuses de la ville, mais également quelques rituels religieux, à l'église
catholique, au temple protestant et à l'Assemblée de Dieu. Quant à l'importante
communauté musulmane, c'est avec les responsables de l'association des
algériens que nous avons eu des renseignements à son sujet.
Reconnaître ces formes diverses de rassemblement, d'interaction, de
sociabilité, nous a permis de considérer les différences de référence et
quelquefois même les oppositions entre les divers groupes (et réseaux) sociaux
existant
à
La
Grand-Combe.
Ainsi,
quoique
subsiste
une
sorte
d'homogénéisation des modes de vie imposée par une tradition d'attachement à
une Compagnie minière, puisque cela reste de toutes façons un point de
repère, nous ne la comprenons pas comme synonyme de collectivité
homogène. Comme le suggère Bozon, "c'est bien en effet le contact quotidien,
la coexistence et la cohabitation de groupes et d'individus très différents
socialement, la confrontation de styles d'être en société opposée qui définissent
sociologiquement la situation des groupes sociaux dans une petite ville"(23).
Notre position épistémologique et la méthode ethnographique nous a
permis de prendre en compte la représentation du groupe étudié à travers le
quotidien et les rapports sociaux les plus significatifs aux différents "temps"
(vécus et pensés) de son histoire locale. Ce processus, d'interaction et
d'intersubjectivité, qui permet d'observer les gens et de vivre avec eux, nous a
conduite simultanément à la rencontre d'autrui et à interagir dans le propre
temps et espace social vécu par le groupe, et par là même à partager leur
histoire singulière.
Positions hiérarchisées, intérêts différenciés, conceptions du monde
distinctes, objectifs hétéroclites, tout nous ramène à la constante relativisation
de ce rapport entre le chercheur et le groupe étudié, ou de nos observations,
sources de notre exercice ethnographique. Nous n'avons pas cherché la
situation idéale pour pratiquer le travail de terrain, mais tout au moins cet
exercice d'interaction, cet effort d'aller vers les autres qui permet la rencontre et
l'échange et qui nous autorise, pour répéter Geertz, à ré-interpréter leur
interprétation de la réalité vécue(24), ce qui nous permet de suggérer cet
exercice ethnologique comme une "lecture" et une "traduction" du "social" (pour
suivre ce qui Lévi-Strauss nous enseigne).
CHAPITRE 2
ESQUISSE DU CHOIX METHODOLOGIQUE.
En racontant son expérience ethnographique au Brésil, Claude LéviStrauss disait: "... on conçoit généralement les voyages comme un
déplacement dans l'espace. C'est peu. Un voyage s'inscrit simultanément dans
l'espace, dans le temps, et dans la hiérarchie sociale."(25) Plus qu'un simple
déplacement, cet "aller sur le terrain" signifie se reconnaître en tant
qu'anthropologue "en action" dans le quotidien d'un groupe et de mettre en
oeuvre cette rencontre entre subjectivités et des remarques plus objectives.
Traditionnellement intéressé par la diversité culturelle des groupes,
l'anthropologue débute généralement sa recherche de terrain par un
déplacement (dans le quartier, dans la ville, ou ailleurs ce qui lui engage à
"voyager") dans l'espace (et dans le temps), soit pour étudier ses propres
groupe et milieu, soit pour étudier un groupe "différent" parce qu'il n'est pas le
sien (au sens où il n'est pas celui avec qui il partage son quotidien). Dans le cas
où le chercheur "n'appartient" pas au groupe, à la ville étudiée, il cherche
immanquablement, en arrivant sur le terrain (de recherche), à reconnaître ce
que lui est "familier" et ce que lui est "dépaysé" (ou "étranger"). En même
temps, il est "reconnu" par les habitants comme n'appartenant pas "au pays", et
c'est seulement après une convivialité plus systématique au sein du groupe qu'il
arrive à perdre son "invisibilité"(26) pour acquérir leur reconnaissance, à partir
d'un processus de classification à travers lequel les autochtones codifient la
place que le chercheur occupe dans l'espace social qui leur est quotidien.
A une époque pas très lointaine, les anthropologues s'engageaient à
étudier des groupes sociaux différents, éloignés et, aux yeux de leur propre
société, "très exotiques". L'anthropologie, de nos jours, a hérité de la méthode
ethnographique comme d'un instrument de recherche pour étudier la société
contemporaine, plus complexe, car c'est ici la société urbaine que nous
observons, inscrite dans la définition de "moderne" et donc plus familière au
chercheur du fait qu'il s'agit de la sienne propre. Il cherche à y connaître les
pratiques sociales et les interprétations des différents groupes et personnes
dans leur manière de donner une signification à leur univers social, ce qui exige
de lui d'aborder la pratique de terrain avec plus de recul et avec une vigilante
relativisation de leur propre interaction (à l'environnement et aux sujets) et de
leur propre perception (objectivation) des données ethnographiques qui lui
semblent pertinentes parce que pertinentes à leur démarche, telle que nous
l'élucide Lévi-Strauss en définissant que "toute société différente de la nôtre est
objet, tout groupe de notre propre société, autre que celui dont nous relevons,
est objet, tout usage de ce groupe même, auquel nous n'adhérons pas, est
objet. Mais cette série illimitée d'objets, qui constitue l'Objet de l'ethnographie,
et que le sujet devrait arracher douloureusement de lui si la diversité des
moeurs et des coutumes ne le mettait en présence d'un morcellement opéré
d'avance, jamais la cicatrisation historique ou géographique ne saurait lui faire
oublier (...) qu'ils procèdent de lui, et que leur analyse, la plus objectivement
conduite, ne saurait manquer de les réintégrer dans la subjectivité"(27).
A l'exemple de ce qu'a dit un écrivain, "c'est en écrivant qu'on devient
écrivain"(28), la même formule peut être reprise ici, puisque c'est en observant,
en écoutant et en parlant avec autrui que l'on devient anthropologue social, et
ce n'est que dans la rencontre des personnages si divers - le chercheur, les
enquêtés, "les uns et les autres" - que nous construisons un acte d'interaction,
d'échange (de communication) par lequel le chercheur obtient les récits qui
permettent d'élaborer une espèce d'architecture des mots, bric-à-brac de
pensées, d'images, "bricolant" toutes les données nécessaires à la construction
d'un texte qui a pour but de décrire et comprendre la façon de vivre d'un groupe
et leur manière d'exprimer la vie sociale. L'observation et l'analyse de leur
représentation sur les faits vécus nous permet de mettre en relief ce qui donne
le "ton" d'une collectivité ainsi que de la codification des processus collectifs
inconscients.
C'est ce en quoi consiste d'ailleurs notre principale démarche de
recherche, c'est-à-dire une pratique de terrain capable, à partir de notre
insertion dans le milieu et dans le quotidien du groupe social analysé, de nous
faire connaître les représentations et catégories propres aux acteurs sociaux
comme manière d'appréhender les perceptions et conceptions que le groupe
étudié construit autour de la réalité vécue, et ceci à travers leur forme singulière
et originale - à la fois individuelle et collective - de classification et
d'organisation symbolique du monde, soit dans l'extériorisation des contraintes
sociales, soit dans la dimension de leur créativité et de leur capacité de
transformation.
Compte tenu des objectifs de notre travail et de la prédominance des
réflexions qualitatives dans lesquelles les acteurs sociaux, pris dans leur
manière d'expression (discours, gestes, etc.) constituent des éléments
significatifs, nous avons opté pour les méthodes d'observation directe et
d'observation participante comme instruments de recherche. Ceci nous amène
à une approche plus systématique de chercheur de terrain, à une observation
du quotidien du groupe enquêté, par la recherche de ce qui est aussi bien
apparent que latent, par l'étude de l'organisation et de la classification de la
société extériorisées dans les représentations qu'en ont ses acteurs. C'est la
formule trouvée par l'anthropologue social pour saisir et identifier les valeurs et
les codes combinés d'une société.
Le travail ethnographique de terrain qui permet l'observation directe et
participante nous a paru être une méthode active et valable pour appréhender,
à travers une approche localisée, le mode de vie, la manière de penser, de
s'exprimer et d'agir à l'intérieur d'une relation construite sur le plan de
l'intersubjectivité entre le chercheur et les sujets de l'enquête. Notre choix s'est
porté sur la technique des entretiens libres et autobiographiques( ), pour
rendre
compte
des
mémoires
individuelle
et
collective,
lesquelles
s'interpénètrent comme si l'étude glissait vers une socio-anthropologie de la
mémoire et du souvenir.
"C'est dire qu'un récit de vie isolé, privé du support de l'enquête
ethnographique, apparaît comme une coquille vide. Eclairée par d'autres
entretiens menés auprès d'autres interlocuteurs, relayée par l'histoire
économique et sociale du groupe, la biographie devient alors un instrument de
connaissance de la société".(30)
Epauler cette monographie sur "la mémoire" des interviewés nous paraît
important car il s'agit de la mémoire de leur vie, "qui reste une des choses dont
l'individu n'a pas été totalement désapproprié"(31). En plus, à l'exemple de
Segalen, il n'y a rien dans la mémoire des enquêtés qui soit "juste" ou "faux", ou
qui "manquerait": tout témoignage apporte un éclairage sur la vie quotidienne,
et aucune expérience n'est atypique, elle est seulement l'une des expressions
de la culture du groupe.
C'est une mémoire "faite de redondances et de
redoublements, de variantes individuelles au sein d'un schéma collectif qui se
construit, et indique qu'à un certain moment, il est temps de clore provisoirement - l'enquête".(32)
Sans perdre totalement de vue le point de vue de la population plus
jeune, c'est chez les familles de retraités des Houillères que nous avons
privilégié le développement de nos enquêtes et tenté de cerner la quotidienneté
et les styles sociaux des divers groupes qui coexistent dans la ville.(33) Le fait
de privilégier le point de vue d'une population plus ƒgée signifie que c'est chez
ces familles que nous avons voulu connaître la trajectoire personnel/social
(individuel et/ou collective) vécue, dans les différents temps de leur histoire de
vie - le temps vécu et pensé(34) - qui se superposent(35) dans leur mémoire
collective pour parler de l'histoire de leur vie, de l'histoire locale.(36)
En outre, il n'y a pas une mémoire plus légitime qu'une autre, il y a certes
des familles de veille souche, des familles nouvellement arrivés, il y a surtout un
groupe ethnique très divers et de brassages sociaux sur le local dont nous
essayons de reconnaître et de situer quelques données sur leur trajectoire.
Mais la population âgée, encore nombreuse, a en commun cette connaissance
de l'autrefois (le temps de la Compagnie et le temps de la nationalisation) et de
l'aujourd'hui (le temps de la crise). Elle partage cette identité forgée par une
expérience commune des mouvements migratoires, du mélange racial. Chez
les retraités ou pré-retraités, la représentation est beaucoup plus imprégnée de
cette superposition des temps anciens. L'expérience d'une trajectoire commune
dans la même ville les homogénéise, celle qui se rapporte à la vie "dans le
temps de la mine" ou "quand tournaient les molettes". Ils sont les porteurs
privilégiés d'une mémoire collective qui amalgame les réflexions sur les temps
vécus et d'où ressortent des récits qui mêlent au souvenir enchanté du passé et
à l'amertume de la nostalgie les réflexions positives ou réalistes quant à la
dynamique des pratiques sociales du présent. C'est elle qui dispose de la
mémoire de la ville, alors que cette expérience vécue en commun fait défaut
aux plus jeunes. Chez les jeunes, qui ont grandi au cours de cette période de
récession charbonnière ou qui n'ont vécu que "le temps de crise", la
représentation s'avère moins ambigu‰ et plus réaliste, la tendance consistant à
penser que le présent est tel qu'il est et à le vivre intensément, sur les lieux de
sociabilité et de complicité de la jeunesse.
Il est certain que les exemples individuels sont les plus divers et il nous
semble difficile, parfois inutile, d'énumérer les caractéristiques plus générales
sans tenir compte des expériences personnelles, les observations plus
particulières qui expriment - par la représentation, les pratiques et les relations
sociales - la manière singulière de vivre une situation social, ce qui nous permet
de relativiser toute tendance à la généralisation. Mettre en relief les spécificités,
les
particularités,
nous
permet
de
saisir
les
différences
ainsi
que
(dialectiquement) de reconnaître les aspects communs vécus par les familles
de mineurs dans ce processus de construction sociale de la réalité, ce qui
donne une sorte de "ton" local à ces singularités. La diversité de groupe
apporte donc des points de vue très divers, des mémoires en dissonance mais
"l'unité se fait au niveau de l'espace urbain, dans la représentation qui en est
donnée, dans les usages qui en sont faits"(37).
Cette
diversité,
nous
l'abordons
munie
des
instruments
anthropologiques, afin de saisir la nature sociale de l'action humaine et la
pratique du quotidien en tant que un système de significations. Dès lors, la
culture est vue comme un corps de connaissances qui structure chez l'individu
non seulement un ensemble de pratiques, mais aussi un ensemble de
représentations. Nous recomposons, à la suite de Marcel Mauss et de manière
systématique, le social intégré et compris comme système doté de signification,
en nous basant sur son concept de fait social total.(38)
A partir du rapprochement des expériences collectives et des trajectoires
individuelles, en les situant dans les divers domaines de l'activité sociale, nous
cherchons à comprendre le monde des rapports mis en place aux différents
"temps vécus", selon leur ordre temporelle de continuité/discontinuité, qui
constituent pour eux des moments significatifs de rupture et de continuation.
1. Dans cette brochure touristique nous lisons également: "La Grand-Combe
occupe une des entrées des Cévennes par la haute vallée du Gardon d'Alès.
Son altitude est de 190 m au centre-ville. Son exposition la met à l'abri des
vents du Nord et la proximité des côtes méditerranéennes et des hauts
sommets du Lozère lui confèrent un climat idéal. Les villages environnants du
Canton,
Laval-Pradel,
Lamelouze-Branoux,
Sainte-Cécile-d'Andorge,
La
Favède sont des coins de séjour agréable et des hauts lieux de la gastronomie
régionale". In: "Prospectus Touristique. Mairie de La Grand-Combe. 1975".
2. Le flux assez important de camions dans cette vallée se justifie par le
transport de charbon exploité à ciel ouvert au nord, tandis que le nouveau lavoir
se situe au sud, au bord du Gardon.
3. GAILLARD, Jean-Michel. Un exemple français de "ville-usine": La GrandCombe (Gard) et sa "Compagnie des mines" (1836-1921). Thèse 3ème cycle.
Université de Nanterre, 1974. p. 172.
4. Expression de l'un de nos interlocuteurs. A ce sujet voir plus loin: Partie V;
chapitre 6.
5. La place construite en 1846 était alors nommée Place Bouzac. En 1918, elle
prit le nom de Place de la Victoire et depuis la Libération, Place Jean-Jaurès.
6. Le maintien du nom de cette rue provoque actuellement des contestations
parmi la population grand-combienne, qui proteste contre cet hommage rendu à
un ingénieur qui a eu un rôle répressif lors de la grève de 1848.
7. Selon Bourdieu, de nombreuses propriétés d'une classe sociale proviennent
du fait que leurs membres interagissent délibérément ou objectivement dans
des rapports symboliques avec les individus d'autres classes, exprimant par là
des différences de situation et de position selon une logique systématique, et
les transfigurant en "distinctions avec signification". Selon: BOURDIEU, Pierre.
"Condition de classe et position de classe". In: Archives Européennes de
Sociologie, VII (1966), pp. 201 et 223. Nous avons lue ce texte en portugais, In:
BOURDIEU, Pierre. A economia das trocas simb¢licas. S„o Paulo, Perspectiva,
1974. p. 14.
8. Nous utilisons "ethos" et "vision de monde" selon GEERTZ, Clifford. A
interpretaç„o das culturas. Rio de Janeiro, Zahar, 1978. pp. 103 et 104. (1e
édition: The Interpretation of Cultures. New York, Basic Books,Inc, Publishers,
1973).
9. Houillères du Bassin du Centre et du Midi.
10. Pour une discussion sur le concept de "parenté", voir parmi d'autres: A)
FLANDRIN, Jean-Louis. Familles, parenté, maison, sexualité dans l'ancienne
société. Paris, Seuil, 1984. (le édition 1976). 288 p. B) HERITIER, Françoise.
L'exercice de la parenté. Paris, Gallimard/Seuil, 1981. 2O5 p. C) LEVISTRAUSS, Claude. Les structures élémentaires de la parenté. Paris, Mouton,
1967. (le édition: 1949). D) SEGALEN, Martine. Sociologie de La Famille. Paris,
Armand Colin, 1981. 335 p. E) YOUNG, Michael et WILLMOTT, Peter. Le
village dans la ville. Paris, Centre Georges Pompidou/CCI, 1983. 255 p. (1e
édition: Routledge and Kegan Paul Plc., 1957).
11. Pour une discussion sur le concept de "voisinage", voir parmi d'autres: A)
JOLAS, Tina et ZONABEND, Françoise. "Cousinage et Voisinage". In:
Echanges et Communications. Mélanges offerts à Claude Lévi-Strauss. (Réunis
par Jean POUILLON et Pierre MARANDA). Tome I. The Hague, Paris, Mouton,
1970. pp. 169 à 180. B) MCKENZIE, Roderick D. "Le voisinage. Une étude de
la vie locale à Colombus, Ohio". In: L'ECOLE DE CHICAGO. Naissance de
l'écologie urbaine. Paris, Aubier Montaigne, 1984. pp. 231 à 240. (1e édition:
Paris, Champ Urbain, 1979). C) SEGALEN. (1981). Op. cit.
12. Pour une discussion sur le concept "réseaux sociaux", voir:
A) BOTT, Elizabeth. Família e rede social. Rio de Janeiro, Francisco Alves,
1976. 319 p. (1e édition: Family and Social Network. London, Tavistock
Publications, 1957. 363 p). B) FORTIN. Op. cit. 225 p.
13. Chercheur en Histoire Industrielle au Centre Culturel Scientifique et
Technique (CCST) d'Alès (Gard). Théologien, chercheur en géologie, histoire et
culture occitane et fils de mineur.
14. Parmi les familles de mineurs interviewées, 3 habitent la cité minière La
Forêt, 1 la cité minière Sainte-Barbe, 7 la cité minière des Ribes, 1 habite le
quartier de La Pise, 1 la cité minière de La Pelouse, 2 au centre ville, 1 les
H.L.M de La Grand-Combe, 1 à Trescol, 1 à Champclauson, 1 à Salles-duGardon, 1 la commune de Branoux.
15. Pastis: boisson traditionnelle dans cette région de la France, élaborée à
base de fenouil sauvage ou à d'anis .
16. Pour donner la mesure de ces enquêtes, nous avons enregistré l'interview
de 2 prêtres, 1 frère catholique, 1 pasteur, 1 membre de l'Assemblée de Dieu, 1
instituteur, 5 fonctionnaires de la Mairie, 1 fonctionnaire des Secours Miniers, 2
fonctionnaires du Syndicat d'Initiative, 1 technicien agricole, 1 commerçant, 14
responsables d'associations culturelles et sportives de La Grand-Combe,
Trescol, Champclauson et La Levade, 1 directeur de Centre de Formation de
Jeunes, 2 maraîchers/marchands, 2 responsables syndicaux, 6 jeunes dont 3
fils de mineur retraité, 1 historien.
17. "L'histoire est une dialectique de la durée; par elle, grƒce à elle, elle est
étude du social, de tout le social, et donc du passé, et donc aussi du présent,
l'un et l'autre inséparables". Cf: BRAUDEL, Fernand. Ecrits sur l'histoire. Paris,
Flammarion, 1969. p. 104.
18. Parmi d'autres: A) COMPAGNIE DES MINES DE LA GRAND-COMBE
(1836-1936). LIVRE D'OR. Edité par la Compagnie des Mines de la
Grand'Combe, 25 avril 1936 sur les presses de l'imprimerie "La Semeuse" à
Etampes (Seine-et-Oise). 5O p. B) DUCKERT, Jean-Luc et LARGUIER,
Christophe. La Grand-Combe: Evolution - Immobilité... Reconversion. Mémoire
de Maîtrise de Géographie. Sous la direction du Professeur Mme Faidutti.
Université Paul-Valéry - Montpellier III. Arts et Lettres, Langues et Sciences
Humaines. Année 1987. 2OO p. C) FAVEDE, Yves. La Grand-Combe d'hier et
d'aujourd'hui à travers la mine.
Epreuve Culturelle à Option du CAPASE.
Octobre 1980. 109 p. D) FLECHON, Etienne. Trente Ans de Fond.
Chƒteaurenard, 1987. Manuscrit d'un ancien ingénieur des Mines de La GrandCombe (1927-1963). Tome I: 200 p. Tome II: 300 p. E) LAMORISSE, René. La
Population de la Cévenne Languedocienne. Publiée avec le concours du
Ministère de l'Education Nationale, du Centre National de la Recherche
Scientifique et de l'Université Paul-Valéry, Montpellier, 1975. F) LIVET,
Georges.
La Grand'Combe à travers les Ages. Alès, Imp. Compan-Brabo,
1956. 39 p. G) PACZKOWSKI, Claude et VIELZEUF, Aimé. La Grand'Combe
en Cévennes, jadis canton de gueules noires...
Nîmes, C. Lacour Editeur,
1989. 2O6 p. H) PIN, Henri. Les Mines de Houilles dans le Gard - la condition
du mineur. Thèse de Droit, Montpellier, 1914. I) PUECH. La Compagnie de la
Grand-Combe. Société Anonyme - Capital 6.375.OOO. Paris, Ecole Nationale
des Mines, 1901. Tome I: "Origine - Fondation et Organisation de la
Compagnie. Ses Oeuvres et ses Institutions de Prévoyance". 363 p. Tome II:
"Historique. Document Officiels. Evénements et faits divers survenus de 1837 à
1899". 558 p. Dactylo.
19. A l'exemple de LEITE LOPES. In: LEITE LOPES, José Sérgio. A tecelagem
dos conflitos de classe na cidade das Chaminés". Bras¡lia, CNPq., 1988. p. 20.
20. "(...) il s'agit de cette classe d'événements qui ont lieu lors d'un présence
conjointe et en vertu de cette présence conjointe. Le matériel comportemental
ultime est fait des regards, des gestes, des postures et des énoncés verbaux
que chacun ne cesse d'injecter, intentionnellement ou non, dans la situation où
il se trouve. Ce sont là les signes externes d'une orientation et d'un implication,
états d'esprits et de corps que l'on considère rarement en fonction de
l'organisation sociale où ils s'insèrent." In: GOFFMAN. (1974). Op. cit. p. 7. Voir
aussi: La mise en scène de la vie quotidienne. Paris, Ed. de Minuit, 1973.
21. Goffman les analyse, in: GOFFMAN. (1974). Op. cit.
22. Cf. BOZON, Michel. Vie quotidienne et rapports sociaux dans une petite
ville de province. Lyon, PUL. 1984. p. 10.
23. En plus, "l'objectif est plutôt de décrire et d'analyser les processus
essentiels à travers lesquels s'affirme l'identité des groupes sociaux qui
coexistent dans une petite ville". Ibidem. p. 18.
24. GEERTZ. Op. cit.
25. En outre: "Chaque impression n'est définissable qu'en la rapportant
solidairement à ces trois axes, et comme l'espace possède à lui seul trois
dimensions, il en faudrait au moins cinq pour se faire du voyage une
représentation adéquate". In: LEVI-STRAUSS, Claude. Tristes Tropiques.
Paris, Plon, 1987. p. 92. (le édition: Paris, Plon, 1955).
26. Nous utilisons ici l'idée de Geertz. Cf: GEERTZ, Clifford. "Um jogo
absorvente: Notas sobre a briga de galos Balinesa". In: GEERTZ. Op. cit. Partie
V. Chapitre 9. p. 282.
27. LEVI-STRAUSS, Claude. "Introduction à l'oeuvre de Marcel Mauss". In:
MAUSS, Marcel. Sociologie et anthropologie. Paris, Quadrige/PUF, 1985. pp.
XXIX et XXX. (1e édition: 1950).
28. GAILLY, Christian. K.622. Paris, De Minuit, 1989.
29. Prenant parfois les dimensions d'une histoire de vie. Sur la technique de
l'histoire de vie, nous suggérons: A) "(...) Idéalement, l'histoire de vie garde la
forme gestative des stéréotypes, elle induit la répétition d'une possibilité
d'expression des émotions autant que la rigueur d'une explicitation des origines
sociales, politiques et économiques. En même temps, elle clôt un champ
d'investigation par l'effet même de sa modélisation". (...) "La méthode des
histoires de vie peut réaliser idéalement une harmonie entre" (...) "la conception
structuralisante de la culture et la reconnaissance des complexités de son vécu
existentiel, (...) il n'en demeure pas moins que la perception de la durée des
systèmes culturels, de leurs facultés de transmission des savoirs et des usages
se fonde sur les stéréotypes comme les restes immuables des signes mêmes
de la distinction et de la mutation des cultures". In: JEUDY. Op. cit. pp. 58 et 59.
B) FERRAROTTI, Franco. Histoire histoires de vie. La méthode biographique
dans les sciences sociales. Paris, Librairie des Méridiens, 1983. 195 p. C)
DESMARAIS, Danielle et GRELL, Paul (sous la direction). Les récits de vie.
Théorie, méthode et trajectoires types. Montréal, Saint-Martin, 1986. 180 p.; D)
DELHEZ-SARLET, Claudette et CATANI, Maurizio (Direction). Individualisme et
autobiographie
en
Occident.
(Actes
du
Colloque
"Individualisme
et
autobiographie en Occident". Cerisy-la-Salle du 10 au 20 juillet 1979). Centre
Culturel International de Cerisy-la-Salle. Bruxelles, Ed. de L'Université de
Bruxelles, 1983. 292 p.; E) PINEAU, Gaston et JOBERT, Guy (coordinateurs).
Histoires de vie. Tome I: 240 p. et II: 286 p. et CENTLIVRES, Pierre et alii.
Histoires de vie. Approche pluridisciplinaire. Paris - EMSH.; Neuchƒtel - Ed. de
L'Institut d'Ethnologie, 1987. 129 p.
30. ZONABEND. (1980). Op. cit. p. 7.
31. JEUDY. Op. cit. p. 146.
32. SEGALEN. (1990). Op. cit. p. 69.
33. Faute de conditions, nous n'avons pu suivre la trajectoire des familles qui
sont parties de La Grand-Combe. Nous avons seulement pu contacter les
membres (couple, veuf, veuve) de la famille d'origine restée à La Grand-Combe
ou d'enfants également restés dans la ville, ou encore des enfants qui sont
venus occasionnellement visiter leur famille pendant la période de notre
recherche.
34. BACHELARD. (1989.a.). Op. cit. p. IX.
35. "(...) le temps a plusieurs dimensions; le temps a une épaisseur. Il
n'apparaît continu que sous une certaine épaisseur, grƒce à la superposition de
plusieurs temps indépendants. Réciproquement, toute psychologie temporelle
unifiée est nécessairement lacuneuse, nécessairement dialectique." Selon,
BACHELARD, Gaston. "Les superpositions temporelles". In: BACHELARD.
(1989.a.). Op. cit. Chapitre VI. p. 92.
36. "(...) La temporalité des traditions et des savoir-faire s'impose au-delà des
événements eux-mêmes en traduisant l'aptitude à durer d'une culture
jusqu'alors méconnue. Les conflits passés peuvent être parlés, évoqués, leur
dénouement fatal semble soulever magiquement le voile sur l'existence
préalable des traditions culturelles méconnues. Cette arrière-scène des
identités culturelles va passer sur le devant de la scène sociale quand celle-ci
se vide de ses acteurs. Un tel effet de réversibilité temporelle est une
catastrophe sociale sans précédent avec l'éclatement de tout un 'bassin
d'emploi', livre idéalement les codes d'une dynamique culturelle, ses structures
fondamentales et originaires. Alors, ce sont d'abord les pré-retraités et les
retraités qui sont interrogés sur les aspects de cette 'culture ouvrière'. Ils
peuvent dire, comme à la fin d'un combat, l'ardeur des idéaux qui les animait et
ils amorceront ce mouvement complexe et infini de la reconstitution des traces,
des origines de leur mentalité. La mémoire se trame avec cet arrêt sur le temps
qui la rend ainsi prospective. Et les entretiens prendront nécessairement la
forme d'histoires de vie parce que la 'culture ouvrière' se fonde sur des valeurs
incarnées tout au long d'une vie quotidienne. La violence des effets de la crise
se trouve réduite à une crise des identités collectives. (...)". In: JEUDY. Op. cit.
pp. 29, 32, 33, 65 et 66.
37. SEGALEN. (1990). Op. cit. p. 69.
38. "Le fait social total se présente donc avec un caractère tri-dimensionnel. Il
doit faire co‹ncider la dimension proprement sociologique avec ses multiples
aspects synchroniques, la dimension historique ou diachronique, et enfin la
dimension physio-psychologique". Cf: LEVI-STRAUSS, Claude. "Introduction à
l'oeuvre de Marcel Mauss". In: MAUSS. (1985). Op. cit. p. XXV. Pour Mauss, il
n'y a aucun phénomène social qui ne soit pas partie intégrante du tout social;
par conséquent, chaque phénomène social est simultanément juridique,
économique, moral, religieux, esthétique, etc. La particularité est appréhendée
dans le cadre de l'altérité et de l'hétérogénéité existant entre les sociétés et les
groupes sociaux dans lesquels les sujets ordonnent un monde doté de
signification, constitutif et reproducteur de codes socialement significatifs et en
grande partie arbitraires. Les discours fragmentés, stratégies, refus, concepts,
pratiques, rites et valeurs constituent un système structuré dans lequel est mise
en relief la complémentarité entre le psychique et le social, où "toute
interprétation doit faire co‹ncider l'objectivité de l'analyse historique ou
comparative avec la subjectivité de l'expérience vécue". Ibidem. p. XXV.
PARTIE II
"AU TEMPS DE LA COMPAGNIE"
"Notre ville n'est pas vieille. Notre passé ici, il n'est pas vieux, il n'est pas vieux
du tout... Je veux vous raconter une chose: ici à La Grand-Combe, l'église, les
maisons, tout ‡a, c'est la Compagnie qui l'a fait construire. Nous habitons ici il y
a 55 ou 56 ans. Je suis né ici à la Frugère, du côté de Ribes (quand on sort de
la gare là à droite). J'habitais dans une maison qui appartenait à la
Compagnie... Au temps de la Compagnie tout a été bâti par elle, c'était pour les
mineurs mais c'est elle qui commandait. A cette époque tout appartenait à la
Compagnie". (M. Chêne. Mineur retraité).
CHAPITRE 1
LA NAISSANCE D'UNE VILLE MINIERE
A) "MANS NEGROS, PAN BLANC".( 1)
Un mineur retraité qui a travaillé trente ans au fond de la mine à La
Grand-Combe nous a dit: "Vous savez pourquoi dans notre blason il est écrit
mans negros, pan blanc"? "C'est parce que, au fond de la mine, on a toujours
été noirs de poussière de charbon et qu'on mangeait du pain blanc. Au début, il
n'y avait pas d'eau au fond. Voilà, c'est pour ça".
Le blason de la ville nous permet, dans une approche symbolique, de
reconnaître un milieu social singulier, un groupe identifié à une histoire
collective par l'appartenance à une ville minière, créée et développée durant la
vague de croissance capitaliste du XIXe siècle. Ce "marqueur emblématique",
qui porte aussi les outils traditionnels du labeur d'extraction, ébauche l'univers
de travail, la relation de l'homme avec l'environnement et le mode de vie
d'autrefois de ce groupe.
Sur ce blason nous trouvons, par ailleurs, trois châteaux représentant les
importants domaines dont les origines remontent à un "passé antérieur", avant
la fondation de la ville. Nous nous référons ici à l'époque où le charbon en était
encore à une phase artisanale et où l'institutionnalisation du capitalisme n'avait
pas encore démarré. Il s'agit d'une époque marquée par les luttes pour les
domaines et pour le droit aux prospections minières.(2)
Il a fallu attendre 1810 pour voir édicté le droit de propriété sur les mines
(sous Napoléon Ier), qui devait enfin conduire à la formation de sociétés
envisageant la production industrielle du charbon et le développement des
forces productives.
C'est
dans
ce
contexte
qu'un
groupe
composé
de
divers
concessionnaires forme la "Société Civile des Houillères de La Grand'Combe &
Pluzor et autres concessions réunies" entre 1818 et 1826. La Société avait du
mal à surmonter les problèmes techniques de production et de voies de
communications, qui demandaient d'importantes transformations pour le
développement industriel de la région. Analysés par Jean-Pierre Gaillard dans
sa thèse, ces obstacles peuvent être résumés en trois points: "le manque de
capitaux
locaux,
le
manque
de
bras,
le
manque
de
voies
de
communications"(3).
Cependant, pour pouvoir faire face à la concurrence existante dans ce
secteur, pour attirer les capitaux et la main-d'oeuvre, ce sont les moyens de
transport qui sont devenus, dans un premier temps, l'objectif primordial pour
atteindre un marché situé au-delà des frontières locales.
C'est justement pour des raisons de développement des moyens de
transport qu'un ingénieur, Paulin Talabot, arrive en 1829 dans la région. Venu
d'abord pour diriger les projets concernant la navigation (Canal de Beaucaire Sète), Talabot se tourne aussitôt vers les projets portant sur les chemins de fer.
Les premières concessions de construction de chemins de fer ont été obtenues
entre 1833 et 1836 (respectivement, Alais à Beaucaire en 1833, et Alais aux
Mines de La Grand'Combe en 1836)(4).
A partir de 1835, "il semble évident que le développement du Bassin
Houiller du Gard ne pourra se faire qu'en simplifiant et unifiant les exploitations
et en axant essentiellement le travail sur la question des voies de
communication, plus encore que sur la mécanisation de la mine elle-même.
C'est au cours de la période suivante, de 1835 à 1852, que l'on assiste
véritablement à la naissance du capitalisme minier, dont le plus beau fleuron
sera la 'Compagnie des Mines de La Grand-Combe'"(5).
Effectivement, nous enregistrons la constitution de la "Société des Mines
de La Grand'Combe et des Chemins de Fer du Gard" par les actes du 10 mai
1836 et du 27 juillet 1837. Dès le départ, elle est dirigée en commandite par
actions (capital de 24 millions en 24.000 parts) ayant son siège à Nîmes. La
direction, composée alors sous la forme d'un "conseil de gérance", en est
assurée par M. Paulin Talabot et ses frères, Jules et Léon Talabot, les
négociants nîmois M. Louis Veaute, Daniel Mourier et M. Théophile Delord(6).
Ainsi s'est établie une entreprise dans cette vallée du Midi de la France, dans le
but d'exploiter le charbon.
Son domaine englobait alors un vaste territoire contenant diverses
concessions. Dans le rapport du conseil de gérance de l'Assemblée Générale
du 25 avril 1855, l'inventaire général définit les concessions suivantes(7): 1)
Concession de la Grand-Combe: domaines de La Forêt d'Abilon, du Mas-Dieu
et leurs dépendances; 2) Concession de Champclauson et ses dépendances;
3) Concession de Laffenadou; 4) Concessions de Trescol et Pluzor et
dépendances; 5) Concessions de la Trouche et de La Levade; 6) Concession
de St-Jean-de-Valériscle.
Néanmoins, les capitaux régionaux étaient encore peu nombreux dans
cette région de forte tradition agricole, alors que l'ambition était de la
transformer en une prometteuse zone industrielle. De plus, 1848 est une année
révolutionnaire et la société subit les conséquences des troubles sociaux.
Dans ces conditions, c'est plutôt aux capitaux étrangers à la région que
la Société fait appel. C'est non seulement l'Etat qui vient offrir son aide, mais
aussi le Groupe Rothschild, qui achète des actions. Cet apport de crédits signe
désormais la participation de l'Etat et du système financier parisien dans
l'histoire de la Compagnie(8).
Les travaux de construction du chemin de fer sont mis en route et les
inaugurations de lignes qui se succèdent vont permettre une valorisation de la
région par le rapprochement d'importants centres économiques comme Alès,
Nîmes, Avignon, Montpellier, de centres portuaires comme Marseille, et par la
mise en service de lignes qui allaient relier les lieux d'extraction et les villes.
L'exécution de ce projet sous la direction de Talabot vaudra à ce dernier
une grande reconnaissance en tant qu'entrepreneur puisqu'il avait "réalisé en
deux ans et demi le chemin de fer le plus long de France (88Km)"(9).
Parallèlement, s'établissent les structures nécessaires au développement de
l'industrie minière, à la transformation des forces productives et des modes
d'extraction en vue d'une augmentation de la production et d'une accumulation
de capital.
L'extraction du charbon devient plus rationnelle et plus moderne avec
l'utilisation de plans inclinés, selon la méthode développée par l'ingénieur des
mines invité par Talabot pour diriger l'exploitation de La Grand-Combe, M. Jules
Callon. Considéré par l'administration comme "l'âme de l'entreprise"(10), il y
reste attaché, comme ingénieur en chef, jusqu'en 1875.
En 1852, face aux modifications de la politique d'exploitation des
chemins de fer, la Compagnie cède les "Chemins de Fer du Gard" à la
"Compagnie des Chemins de Fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée" et
concentre ses intérêts sur l'exploitation des mines de houille.
Compte tenu du transfert du Chemin de Fer du Gard au Chemin de Fer
de Lyon à Avignon, la Société des Mines de La Grand'Combe devient une
société anonyme avec une nouvelle raison sociale, "Compagnie des Mines de
La Grand'Combe". Cette transformation existant par acte du 18 septembre
1855 a été approuvée par décret impérial le 3 octobre de la même année(11).
Mais revenons aux années qui suivent la création de cette entreprise. La
Compagnie, comme les grand-combiens ont pris l'habitude de l'appeler jusqu'à
présent, coordonne une importante extension des zones d'extraction, malgré
des carences en infrastructure de base.
Dès le début, pour former la force de travail, elle compte évidement sur
une main-d'oeuvre locale et composée de paysans. Ceux-ci viennent des
environs, de la ville déjà existante de Salles-du-Gardon(12) ou des communes
voisines de Portes, Laval, Sainte-Cécile, Branoux, Alès et Saint-Jean-duValériscle, dont la majorité de la population se livrait à des activités rurales.
Habituée à un mode de vie entièrement soumis au travail agricole, cette
population présentait alors une tendance à garder son habitat rural antérieur,
instaurant un comportement migratoire et alternant.
Toutefois, il fallait recruter et former une population ouvrière plus stable
et plus qualifiée pour le travail industriel, mesure indispensable pour augmenter
la production et gagner le marché. La Compagnie oriente alors ses stratégies
vers l'accroissement de la main-d'oeuvre, l'aménagement du territoire et
l'organisation d'un complexe urbain. Pour cette raison, afin d'attirer et de fixer
une main-d'oeuvre encore peu nombreuse, et avant d'entreprendre les
pourparlers destinés à négocier la création d'une nouvelle commune, elle
structure le territoire en développant une politique d'habitation. En même temps
que l'espace industriel est aménagé, divers logements ouvriers et une école
sont bâtis. Dans le même élan, elle crée des institutions sociales, telles que des
institutions de prévoyance: la caisse de secours et la caisse de retraites.
Bien que son pouvoir s'étende à tous les environs, son but se limite à
ériger une nouvelle commune, étant donné que dans les communes rurales
déjà existantes "(...) les intérêts, tant politiques que matériels, ne sont pas
directement dépendants de la Compagnie des Mines de La Grand-Combe"(13).
A la veille de l'érection de la commune de La Grand-Combe, la localité
réunissait à peu près 4.000 habitants - une population dispersée, dense sur les
communes de Salles-du-Gardon (2281 h), Portes (941 h) et raréfiée sur celles
de Laval (221 h) et Sainte-Cécile-d'Andorge (102 h).
Il est rare de pouvoir se référer à la naissance d'une ville avec une telle
parcimonie de mots et de dates. La Grand-Combe, en effet, n'est pas une ville
comme les autres, puisqu'elle a eu comme inspirateur et promoteur la
Compagnie des Mines de La Grand-Combe, qui voulait développer l'industrie
du charbon et construire une ville ouvrière en ayant pour politique un
encadrement paternaliste(14) et la mainmise sur les activités urbaines. La ville
est née de la volonté de la Compagnie et, pour citer Lefebvre, "l'agglomération
tombe" pour long temps "sous le contrôle" (presque?) "absolu de l'entreprise,
c'est-à-dire de ses dirigeants (capitalistes)". "La Compagnie s'entoure d'une
ville à son service, sécrétée par elle".(15) "Peut-être pourrait-on" l'appeler de
"ville politique", suggère François Ewald(16).
A partir de 1843, la Direction des Mines de La Grand-Combe entame les
procédures nécessaires pour arriver à la fondation d'une nouvelle commune et
à l'élargissement de ses activités industrielles. Dans le cadre de ces
négociations, le préfet du Gard spécifie, dans une lettre datée de juin 1844 au
président de la Compagnie, les conditions pour la création de cette nouvelle
commune. Les gérants de l'époque lui répondent en février 1845 qu'ils les
acceptent(17).
Ils
entreprennent
dès
lors
la
construction
de
divers
établissements publics indispensables à l'érection de la nouvelle commune et
qui répondaient aux exigences du pouvoir administratif du Gard, à savoir des
écoles pour gar‡ons et filles, la mairie (pouvant occuper deux pièces du
bâtiment de l'école), une église catholique, un temple et un cimetière(18).
Toutefois, le programme de constructions de la Compagnie, quant à lui,
était plus vaste. Nous lisons dans les notes de M. Paulin Talabot en 1847 que,
au-delà des exigences du Ministère de l'Intérieur, la Compagnie projetait de
construire, dans un court délai, un presbytère, une mairie avec un bureau pour
le commissaire de police, une caserne de 12 pièces pour la brigade de
gendarmerie, des écoles à Trescol et Champclauson, un hôpital de 40 lits avec
une pharmacie, un asile, un embarcadère, un bâtiment administratif avec
dépendances pour les gérants et pour le directeur des Mines, un appartement
pour l'ingénieur des mines et des bureaux (comptable, commis, bureau pour les
plans), et encore des logements pour les employés et les ouvriers de la
Compagnie, une cantine et un magasin aux vivres, un bâtiment-hôtel ou
auberge pour les voyageurs, placé près de la gare ferroviaire et, finalement,
une place publique ou place du marché située dans le centre(19).
C'est la Compagnie qui établit le plan urbain pour la nouvelle commune
qui est née, ainsi, de cette manière "artificielle" au sein d'une région
typiquement rurale. Une ville naît avec un but précis: l'extraction du charbon.
Livet, dans son ouvrage consacré à La Grand-Combe, a su cerner avec
précision le compromis sur lequel cette ville a été créée:
"(...) on lui a fait contracter, dès sa naissance, un mariage de raison. Elle a d–
épouser un très grand Seigneur de la Terre: le Charbon"(20).
Baptisée du nom même de la Compagnie, La Grand-Combe est créée en
tant que commune par une loi du 7 juin, promulguée le 17 juin 1846(21), et
s'étend sur une superficie de 6.000 hectares. Avec un territoire mordant sur les
communes des Salles-du-Gardon, de Laval, Portes et Ste-Cécile-d'Andorge
(canton de Génolhac), la nouvelle commune appartient au canton de St-Martinde-Valgalgues, arrondissement d'Alais, département du Gard. La Grand-Combe
est située sur la rive gauche du Gardon et a comme communes limitrophes, sur
la rive droite, Salles-du-Gardon, Branoux et La Mélouse. Salles-du-Gardon est
ainsi la ville voisine. Le Gardon forme la division naturelle et un pont rejoint ces
deux villes.
Le premier recensement de la commune de La Grand-Combe en 1846
désigne une population totale de 4.011 habitants, dont 1.594 répartis dans les
trois hameaux de La Levade (396 h), Trescol (580 h) et Champclauson (618 h),
et 2.417 disséminés dans les différents quartiers du centre-ville et de ses
alentours, ainsi que dans les anciens mas et fa‹sses(_). La majorité de la
population se compose d'un prolétariat d'installation récente et venu pour le
travail industriel, ce qui explique le décalage entre le nombre de jeunes gens et
d'hommes célibataires (1.587) et celui des hommes mariés (841) ou veufs (37),
ou alors celui des femmes (757 filles, 712 femmes mariées et 77 veuves).
En mai 1858, la commune de La Grand-Combe devient chef-lieu du canton qui
comprend aussi celles de Branoux, Salles-du-Gardon, La Melouse, Laval et
Ste-Cécile-d'Andorge. En 1860, elle annexait à son territoire 162 hectares et 23
ares de plus, concernant la partie haute du village de Champclauson (distraite
de la commune de Portes) malgré les protestations de la commune voisine de
Portes (Canton de Génolhac, Arrondissement d'Alès, Département du Gard)(_).
Le personnel de la Compagnie, qui se limitait à 1.000 individus avant la
fondation de la commune, ne cessera de croître dans les années suivantes,
pour atteindre en 1866 2.217 personnes pour les effectifs de fond et 1.183
personnes pour ceux de surface. L'histoire de la ville devient synonyme de celle
de la Compagnie et des cycles de la houille, la fluctuation de la population
restant directement proportionnelle aux flux et reflux de la production de
charbon.
Dès leur création, la ville et la Compagnie vont grandir ensemble en un
mouvement presque homogène. L'usine sera l'ombre de la ville.(24) La
démographie positive ou négative de la ville exprimera les besoins de maind'oeuvre, les stratégies de recrutement de la Compagnie. L'urbanisation sera
conditionnée par les intérêts et les besoins structurels de cette mono-industrie,
le pouvoir local est exercé par les représentants de la Compagnie qui
garantissent les intérêts patronaux assurant leur domaine sur l'aire urbaine,
inscrivant sur l'urbain leur stratégie industrielle et cristallisant en quelque sorte
l'image de ville industrielle dans l'espace public et dans l'espace domestique.
Au fur et à mesure que l'exploitation des mines s'accroît, la Compagnie
articule la mise en place d'un tissu industriel et urbain dans son large domaine,
dont La Grand-Combe constitue le centre, relié aux divers hameaux et autres
noyaux d'agglomération, et aux lieux de production (puits d'extraction) par les
routes, le chemin de fer et les ponts.
En ce qui concerne les chemins de fer, une ligne relie depuis 1840 "La
Pise-La Grand-Combe" à "Alais", et depuis 1842 une autre "La Levade" à "La
Pise-La Grand-Combe". Les ponts relient, quant à eux, "La Levade" à
"Branoux", le quartier du "Riste-La Pise" au centre-ville et "La Grand-Combe" à
"Salles-du-Gardon".
Dans ce vaste domaine, avec sa "carte absolument abracadabrante du
point de vue géographique"(25) et ses puits d'extraction et de regroupement
dispersés un peu partout, les problèmes de distance devenaient flagrants. Pour
les minimiser, la Compagnie avait fait construire des logements afin de
raccourcir le trajet, rapprochant les travailleurs des zones d'extraction de La
Grand-Combe, Trescol, Champclauson, La Levade, Laval, Montagne d'Abilon,
Montagne Sainte-Barbe, etc. Cet espace ainsi aménagé concevait la
"cohabitation" de deux types d'environnement: l'un typiquement agricole,
montagneux avec des habitations de type rural et l'autre plus urbain,
caractérisé par l'espace industriel et par les agglomérations ouvrières. C'est
avec cette organisation spatiale ainsi morcelée sur le territoire de la Compagnie
que se forme la population grand-combienne.
A l'instar d'autres grandes entreprises industrielles de l'époque, celle-ci
est située en pleine campagne et, dans son essor, il lui faut résoudre le
problème
crucial
du
manque
de
main-d'oeuvre
qu'elle
doit
recruter
massivement.
De manière à réunir cette population travailleuse, la Compagnie pratique
un recrutement endogène et exogène en faisant appel à des groupes sociaux
de différentes origines: les gens appartenant au terroir même, ceux venus des
départements limitrophes, et d'autres de l'étranger.
Avant la fondation de la ville - nous l'avons déjà vu - la Compagnie a pu
compter sur la population de souche gardoise, dans sa majorité liée à la terre
par le travail rural. Cela explique d'ailleurs un comportement saisonnier
commun à l'époque. Il était plus difficile de compter sur les travailleurs ruraux et
textiles dans les zones cévenoles qui s'adonnaient grandement à la
sériciculture, cette occupation limitant leur recrutement pour le travail à la
mine(26).
Une autre aire de recrutement concernait les départements limitrophes,
avec une forte préférence pour la Lozère et l'Ardèche (Départements), secteurs
pauvres d'agriculture familiale montagnarde, avec polyculture en terrasses et
élevage,
suivis
de
loin
par
l'Aveyron
et
les
Bouches-du-Rhône
(Départements)(27). La population, pour la plupart d'origine paysanne,
manifestera souvent ce caractère de migrants temporaires: les "gavots" comme
demeurent nommés les émigrants issus de la montagne.
Accrochée à son mas rural depuis des années, la famille paysanne
produisait son blé, ses légumes, son vin, ramassait les châtaignes et gardait
ses chèvres et ses moutons. Le travail à la mine va se présenter comme une
diversification d'activités, les protéger contre l'insécurité et les aléas de
l'exploitation agricole, élargir l'horizon économique.
L'activité minière est séduisante dans la mesure o— elle apporte un
salaire et des ressources complémentaires à celles du labeur rural; cependant,
les paysans resteront autant que possible liés à la terre. Les motifs sont divers,
mais il suffit de rappeler le choc que l'environnement et les conditions de travail
à la mine provoquent, surtout dans le sous-sol, qui apparaît comme opposé au
monde habituel du travail agricole (le champ, la montagne, le grand air), ainsi
que le difficile changement vers le mode de résidence et de réseau social de la
société industrielle, qui signifie éloignement du code social et culturel propre à
la société paysanne. Ceci justifie la lenteur du processus de déruralisation et de
déracinement de ces paysans.
Si, dans les premières décennies de son existence, la Compagnie peut
compter sur une main-d'oeuvre autochtone qui s'installe dans la nouvelle ville,
elle devra cependant accepter, toujours en essayant de les convertir, ces
travailleurs saisonniers et temporaires: les "paysans-mineurs"(28).
Dans ce milieu géographique montagneux, la population se trouvait
assez éparse. Il en est de même pour la disposition spatiale des puits,
dispersés eux aussi sur le territoire de la Compagnie, tantôt rapprochés, tantôt
éloignés des lieux d'habitation, conséquence du relief très accidenté de la
région. Les paysans-mineurs habitant à 4 ou 5 Km des points d'extraction
mèneront une vie de va-et-vient quotidien entre leur domicile (en général un
petit mas) et la mine. Ils feront le trajet à pied et, vu le temps passé à la mine à
l'époque (10 à 12 heures), resteront de 14 à 15 heures absents de chez eux:
"Ils partaient le matin à 4 ou 5 heures en sabots, cabas sur le dos, canne
et lampe à la main vers les nombreuses entrées de galeries qui s'ouvraient
dans la montagne et par lesquelles on extrayait le charbon. C'était l'époque o—
les mines n'étaient pas encore très profondes et o— l'on exploitait le charbon à
partir des affleurements".(29)
Pour de nombreux travailleurs recrutés, le déplacement journalier était
impossible. Ils s'installeront à La Grand-Combe, avec leurs familles ou seuls,
quittant l'habitat rural pour des casernes proches des chantiers. Ceux qui
arrivent seuls sont de jeunes célibataires (surtout des cadets de familles
paysannes(30)), ou des hommes mariés dont la famille est restée sur le lopin
de terre (surtout dans les premiers temps).
Ces paysans-mineurs retourneront à la terre pendant les saisons où les
travaux agricoles exigent leur présence. Les mineurs retraités interviewés
soulignent cette infinie mobilité entre le monde rural et celui de la mine:
"Parce qu'à la population de La Grand-Combe, il y a eu des mutations, tu
vois? Au départ, c'étaient des paysans qui venaient de Lozère ou d'Ardèche, tu
sais! Ils venaient travailler à la mine pendant 2 mois ou 6 mois, et après ils
remontaient travailler à la terre. Et après, il y a eu ceux qui ont fait venir les
leurs, tu vois? Et il y a ceux qui se sont mariés et sont restés ici, tu vois?...". (M.
Delacroix, mineur retraité).
Malgré les possibilités de se stabiliser dans la nouvelle ville d'accueil, ce
qui d'ailleurs motive la migration familiale ou alors le mariage des célibataires à
La Grand-Combe, la migration saisonnière reste une habitude pour certains de
ces paysans devenus mineurs qui se déplaçaient à périodes fixes, travaillant à
la mine entre la mi-octobre et la mi-novembre, et retournant à la terre vers la fin
mars ou en avril, quoique des déplacements moins réguliers et sans
correspondance avec le calendrier agricole aient été aussi constatés.(31)
Lamorisse rapporte plusieurs exemples de mineurs-paysans, comme
celui de cet ardéchois travaillant aux Mines de La Grand-Combe en 1876. A la
fin de cette année-là, le paysan en question remonte à la terre comme
domestique dans une ferme près de son village natal. Il retourne à La GrandCombe, o— il est réembauché par la Compagnie, mais part de nouveau
travailler dans une ferme à La Levade. Puis il se retrouve à La Grand-Combe
en 1898 comme chef manoeuvre, et ce n'est qu'en 1914, certainement à cause
de la guerre, qu'il sera promu à la dignité de mineur: "Il passera ainsi sa vie
active entre le charbon, l'agriculture et les chantiers de travaux publics"(32).
L'attachement au sol par la sériciculture, l'absentéisme saisonnier et la
difficile et lente adaptation au travail dans des galeries de plus en plus longues
et profondes, entravent les intérêts de la Compagnie, d'autant que la demande
de charbon devenait supérieure à la production à cause du manque de
personnel.
La main-d'oeuvre locale était donc insuffisante pour les objectifs
d'expansion de la direction de la Compagnie. En effet, il a fallu attendre bien
plus tard (lors de la crise de la sériciculture qui a débuté en 1860 et qui s'est
accentuée en 1880) pour que la reconversion des paysans cévenols au statut
de mineurs devienne significative et que la Compagnie puisse compter sur cette
main-d'oeuvre de manière plus systématique(33).
La Compagnie envisage alors de former une main-d'oeuvre plus
qualifiée, plus fixe, plus urbanisée; c'est pourquoi elle fait bientôt appel - entre
1840 et 1847 - à des "étrangers"(34), c'est-à-dire des mineurs professionnels
venus de régions plus éloignées ou de pays voisins. Les premiers mineurs
étrangers sont recherchés dans les pays "où l'exploitation de la houille est la
mieux entendue(35)". En 1840 arrivent les mineurs italiens venus du Piémont,
considérés comme "des ouvriers habiles"(36).
Les mineurs migrants venus de Forez, dans la Loire (Département),
étaient aussi considérés comme qualifiés. Les mineurs originaires des mines de
Saône-et-Loire (Département) s'étaient surtout installés à Champclauson entre
1842 et 1843. En 1846, la Compagnie fait appel aux mineurs de la M–re en
Isère (Département), de Bourgogne (ancienne province de France), des
grenoblois du Dauphiné (ancienne province de France) et encore à ceux de la
Haute-Loire et du Rhône (Départements). Et, en 1847, arrive une vague de
belges, qualifiés professionnellement surtout pour le travail au fond de la mine,
et originaires de régions de tradition minière(37). L'événement politique des
années 1848 provoque une diminution des effectifs étrangers.(38) En effet,
après les années de pionniers de la Compagnie et de la ville, l'immigration(39)
se stabilise et même s'affaiblit.(40)
Grâce aux excédents de naissance dans la ville dans ces premières
décennies - ce que nous expliquerons plus loin - les effectifs de la Compagnie à
partir des années 1880-90 seront d'avantage natifs de La Grand-Combe ou
issus du voisinage.(41)
B) ENRACINER LES DERACINES.(42)
Qu'est-ce qui sous-tend ces départs? Qu'est-ce qui pousse les gens à
quitter leur milieu et leur entourage pour une nouvelle ville? Qu'est-ce qui les
attire au point d'accepter non seulement cette mobilité, mais aussi un nouveau
mode de vie et des mentalités nouvelles? Pourquoi les nouveaux arrivants
acceptent-ils de composer une main-d'oeuvre qui réponde aux appels d'un
métier si dur?
La réponse est complexe, mais nous pouvons en déceler des indices
dans l'ensemble des moyens entrepris par la Compagnie pour stimuler
l'enracinement à La Grand-Combe: le développement d'une communauté
industrielle, la création d'une ville minière basé sur un pouvoir paternaliste et
une attitude d'assistance. Le patronat (représenté localement par le Directeur
des Mines) assure son emprise paternaliste en adoptant une certaine attitude
politique et idéologique, une "stratégie de pouvoir"(43) face à la population
laborieuse et face à la ville: c'est principalement sa mainmise sus le pouvoir
politique local qui permet à la Compagnie d'assurer le contrôle des activités
collectives (la ville politique).
L'enjeu politique et la stratégie industrielle s'appuient tout d'abord sur la
construction d'une ville ouvrière et cela signifie l'attribution d'un logement.
Associé au travail s–r de salarié, le logis apparaît comme un avantage
suffisamment efficace pour expliquer l'effet créé dans l'imaginaire de ces
paysans confrontés aux difficultés du travail agricole, ou de ces ouvriers
confrontés aux dures conditions de travail et de vie qu'impose le
développement industriel à ses débuts. Nous connaissons les méfaits subis par
la population ouvrière au XIXe siècle: fragilité des gains, irrégularité du travail,
promiscuité, absence d'hygiène, sous-alimentation, énorme mortalité infantile,
etc...
Le duo "travail-toit" est, sans doute, un instrument de séduction important
dans un programme de recrutement de main-d'oeuvre. Mais cela ne suffit pas à
fixer les travailleurs: il faut aussi les adapter à un nouveau mode de vie, en
stimulant l'adéquation à un "habitus"(44) conforme aux exigences du capital par
la transformation de la force productive en une sociabilité ouvrière de la
population. Cette politique publicitaire, visant à fixer la main-d'oeuvre et basée
sur des avantages tels que l'habitation, correspond plus à une tactique de
stabilisation - d'enracinement - qu'à une stratégie d'immobilisation des ouvriers.
Dans l'ensemble de la vie locale de La Grand-Combe, la Compagnie voulait
que le travail f–t l'élément dominant dans la culture ouvrière.
Pour cela, la Compagnie développe une politique "d'ordre moral" définition qu'elle donne à plusieurs reprises dans les rapports administratifs qu'elle considère comme le pilier de son système d'organisation productive et
sociale en harmonie avec les rapports sociaux dominants dans la ville minière.
L'enjeu était la construction d'un quotidien équilibré fondé sur une vie de famille,
institution sociale considérée comme base de stabilisation et de consolidation
des effectifs et de la collectivité.
Elle s'appuie sur les réseaux familiaux et sur des groupes de parenté
pour composer et recomposer la main-d'oeuvre, ce qui va motiver une
organisation sociale locale fortement structurée autour de cette institution qu'est
la famille dans la nouvelle ville, apte à recevoir cette communauté travailleuse.
A l'exemple d'autres villes ouvrières, La Grand-Combe "fait globalement figure
de médiation dans la reproduction/réorganisation élargie de la force de
travail"(45).
Les arguments de propagande se réfèrent à la famille attachée au foyer,
en tant qu'institution morale qui serait soutenue et garantie par la Compagnie
en ce qui concerne sa sécurité matérielle (travail, habitation, besoins de
première nécessité, etc.) et en ce qui concerne aussi l'assistance spirituelle,
morale et physique (église, école, hôpital, etc.).
"(...) ce qui nous préoccupe surtout, c'est l'amélioration du sort de l'ouvrier pour
tout ce qui dépend de nous. C'est en effet en rendant attrayant pour lui la
colonie de La Grand-Combe, c'est en lui assurant la vie à bon marché,
l'éducation et l'emploi de ses enfants, l'assistance morale et matérielle, une
administration équitable et paternelle que nous parviendrons à attirer et à
conserver les bons ouvriers, c'est-à-dire les ouvriers laborieux, rangés, pères
de famille".(46)
A partir des premiers arrivants, c'est tout un réseau de parenté qui est
poussé à rejoindre le frère, le mari, l'oncle, le cousin, l'ami, etc., déjà employé à
la mine. Si la Compagnie, au début, mobilise de préférence des familles
entières, les arrivants célibataires seront pourtant nombreux. Par la suite, elle
stimulera le travailleur recruté à fonder une famille sur place, là o— il trouvera
une série de dispositions (sociales, économiques, culturelles) lui permettant de
construire un projet familial en référence à la mine et à l'entreprise. Pour parler
à la manière de Bourdieu, la famille du mineur véhicule des valeurs et un style
de vie "convenables" avec le "ton pédagogique" de la Compagnie, en tant que
"capital familial" à transmettre aux descendants de la communauté de travail.
Pour la majorité, d'origine paysanne, cela signifie d'abord l'éloignement
des membres de la famille élargie, qui est restée dans le mas cévenol, la
maison rurale ou dans le village natal, et ensuite l'insertion dans une nouvelle
réalité de vie en famille - plus restreinte - dans des maisons qui répondent au
nouveau système d'habitation: les maisons ouvrières.
Ainsi, beaucoup de paysans devenus mineurs connaîtront le passage du
mode de vie à l'ancienne, en famille élargie(47), à une vie de ménage
nucléaire(48). En revanche, le couple est encouragé par la Compagnie à former
une famille nombreuse, ce qui n'empêche pas les familles d'un même groupe
de parenté de se retrouver dans une même agglomération de maisons
ouvrières et d'appartenir à un même réseau de voisinage.
Les rapports sociaux qui auraient d– normalement prédominer dans
l'espace familial, au sens large du terme, prennent en fait des formes
intimement liées au système hiérarchique
inscrit dans une
politique
d'encadrement paternaliste. La hiérarchie de l'entreprise, quant à elle, devait
être reconnue comme une hiérarchie de famille. Le père de la grande famille
grand-combienne était le patronat de la Compagnie(49):
"Les conditions de rapport avec les ouvriers (...) comportent (...) tout cet
ensemble de mesures tutélaires et de procédés en quelque sorte paternels qui
constituent notre population ouvrière à l'état d'une grande famille dont notre
administration est le chef".(50)
Le paternalisme de la Compagnie à l'endroit des ouvriers n'implique pas
l'usage de contraintes physiques ou de forces répressives violentes, comme
c'est le cas du système esclavagiste, mais l'obtention d'un consensus de
construction de la communauté de travail grand-combienne en une famille,
avec un père autoritaire et protectionniste qui a la légitimité du pouvoir. L'option
prise par le patronat est basée sur un discours et une action persuasifs.
"C'est au travail et en dehors du travail, en côtoyant les ouvriers, que l'on
se fait apprécier des ouvriers, que l'on ne leur apparaît plus comme un
étranger, que l'on devient un familier. Ainsi, de l'ingénieur au maître mineur,
chaque échelon hiérarchique du personnel d'encadrement doit certes exercer
fermement son autorité, mais comme un père dans sa famille, c'est-à-dire une
autorité acceptée, reconnue, légitimée et surtout re‡ue sans hostilité, à la fois
comme une nécessité et un bienfait" (...) "Une famille, c'est une solidarité
d'intérêts, un réseau de relations humaines fraternelles, un certain nombre de
règles sociales émises par le père, qui détient l'autorité légitime, et acceptées
par les enfants pour le bien commun. C'est ce père que veut être le patron aux
yeux de ses ouvriers qui seraient ses enfants, c'est cette famille que veut être
l'entreprise pour son personnel, tous échelons hiérarchiques compris".(51)
Toutefois l'ouvrier, en arrivant à La Grand-Combe, signait un contrat qui
l'insérait dans un rapport inégal de "don et contre-don", par lequel la
Compagnie offrait des avantages de sécurité matérielle et morale contre son
engagement dans la communauté de travail et son acceptation d'une vie réglée
sur des devoirs et obligations résultant de son rôle de travailleur, d'élément
familial et de citoyen. Cette stratégie de "normalisation" de la Compagnie
explique que les espaces de résidence de la ville minière aient cristallisé une
forme d'organisation familiale et un modèle de réseau social fondés sur les
relations de travail.
Le patronat de la Compagnie des Mines de La Grand-Combe orchestrera
l'organisation de la vie quotidienne, en structurant non seulement l'espace et le
temps familial, mais aussi les formes de reproduction de la famille ouvrière.
Face à la nécessité d'accroître le nombre d'ouvriers, c'est sur ses propres
ressources humaines que la Compagnie espère compter: "par l'accroissement
naturel de notre population ouvrière elle-même"...
"(...) Le but une fois atteint, le nombre de nos ouvriers augmentera de lui-même
sans nouveaux sacrifices de notre part."(52)
Pour éviter les problèmes de recrutement futur, la Compagnie entreprend
de promouvoir la reproduction de la main-d'oeuvre initiale. Son objectif était de
stimuler l'auto-reproduction de sa force de travail afin de mettre en place une
hérédité professionnelle, c'est-à-dire d'assurer la reproduction endogène de la
population en vue d'un apport exclusif de personnel, ceci en amenant les
familles ouvrières à observer une disposition résolument prolifique.
Le ménage conjugal - une structure nucléarisée (père, mère, enfants) est idéalisé, et des allocations encouragent matériellement le développement
des familles nombreuses. Une méthode "efficace pour augmenter le taux de
natalité"(53).
Cette incitation au mariage et à la procréation a effectivement abouti aux
résultats attendus, puisque jusqu'à la fin du siècle dernier la population de La
Grand-Combe n'a cessé de croître, atteignant 11.341 habitants en 1886 et
13.358 en 1896, grâce non seulement à l'immigration mais aussi à un taux
croissant de natalité(54).
Depuis le début l'attribution de hauts salaires comme élément d'attraction
pour les travailleurs est refusée par le conseil d'administration.
"(...) nous croyons qu'un travail assuré d'une manière permanente, un salaire
équitablement et paternellement réglé, les denrées de première nécessité
livrées dans les meilleures conditions de prix et de qualité, enfin tous les
secours, d'ordre spirituel comme d'ordre matériel, assurés à nos hommes et à
leur famille par notre Eglise, nos écoles, notre système hospitalier, sont
préférables pour l'ouvrier aux salaires excessifs".(55)
Pour réaliser cet objectif, la Compagnie met en place un ensemble
d'institutions sociales destinées à assister son personnel. Si la liste des actions
sociales est longue, ce n'est pas l'individu qu'elle concerne, mais le mineur-père
de famille et les siens. Celui-ci doit donc aimer son travail, sa maison, sa
famille; en d'autres termes, être un mineur et un bon père de famille qui
entretient des relations conviviales avec les siens, ses collègues, amis, voisins
et chefs. De l'habitation à l'achat des produits de base à des prix réduits, tout
est promis:
"Pour tout ce qui concerne l'existence de l'ouvrier, son logement, sa
nourriture, les secours à leur administrer en cas d'accidents ou de maladie, il
reste peu à faire (...). Bien convaincus que c'est sur le bien-être et l'amélioration
de la condition de l'ouvrier que doit être établie la prospérité de l'entreprise,
nous ne négligerons rien pour améliorer, en tout ce qui dépendra de nous,
l'existence de la population qui exploite nos mines".(56)
Ce n'est donc pas seulement dans la sphère du travail que la Compagnie
développe son action hégémonique: elle prend également les commandes dans
les différents domaines de la vie quotidienne - la vie familiale et toutes les
institutions sociales qui s'y réfèrent, c'est-à-dire l'église, l'école, les loisirs,
l'alimentation, l'assistance, etc.
De plus, la Compagnie offre des avantages encore inconnus des
ouvriers de l'époque, ceci pour éviter la répulsion à l'égard du travail à la mine
et le comportement saisonnier des ouvriers.
"Ces paysans, venus du froid s'accommodaient de cette frugalité" (il se
réfère ici aux modestes habitudes alimentaires des ouvriers), "appréciant les
avantages en nature de logement et de chauffage, la Sécurité Sociale
obligatoire, et la modeste retraite qui permettait de vivre chichement."(57)
De cette manière, le personnel avait la garantie d'être assuré en cas de
maladie, de blessure ou de retraite, et d'être assisté spirituellement par les
services religieux proposés par la Compagnie.
C) LES PILIERS DU POUVOIR PATERNALISTE
C.1. Le pouvoir municipal et législatif de la ville.
A La Grand-Combe, ce que la Compagnie décide pour elle-même est
aussitôt confirmé par le pouvoir municipal. La vie politique locale se confond
avec l'administration de la Compagnie(58).
La Compagnie assumera dès le début les pouvoirs exécutif et législatif
de la ville et de la région. Le Directeur de la Compagnie, ou l'ingénieur-chef, est
le maire et conseiller général de la région; les ingénieurs sont les adjoints. En
fait, les dirigeants de la Compagnie garderont en main le pouvoir politique de la
ville pendant plus 75 ans.
"Depuis la création de la commune et jusqu'en 1922, le maire de la ville,
soit directement, soit par adjoint interposé était le Directeur de la Compagnie
des Mines".(59)
Ce lien entre Compagnie et pouvoir municipal explique aussi l'existence
d'une influence coercitive sur l'électorat. Etant donné que le "patron" de la
Compagnie est aussi le maire, le contrôle et la pression exercés sur les
électeurs étaient très nets. Les ouvriers devaient voter pour les candidats
présentés par le patronat, le châtiment pour un vote contraire pouvant aller
jusqu'au licenciement.(60)
Pendant longtemps cette étroite relation entre la Compagnie et la ville se
prolongera. Encore pour les années 1920, l'ingénieur Flechon observa:
"Après tout c'est la Compagnie, fondatrice de la commune, qui subvenait dans
une très large mesure à ses besoins; assurant, par deux filiales, l'alimentation
en eau potable puisée au Gardon, et l'électricité produite par sa centrale
thermique, usages domestiques et industriels étant étroitement mêlés".(61)
Mais les années 20/30 sont aussi celles dans lesquelles la Compagnie
connaît les premiers grands contrecoups à "l'écrasante omniprésence" dans
tous les domaines de la vie quotidienne de la ville. Et c'est dans l'espace de la
ville, cet espace qu'elle-même avait engendré, que les forces d'opposition
arrivent à franchir le seuil de son pouvoir jusqu'alors intouchable, provoquant
les premières fortes coupures dans cette longue durée du temps de la
Compagnie. En 1925, la Mairie connaîtra le premier Maire socialiste. A cette
époque, d'ailleurs, la Mairie est finalement installée dans des locaux
indépendants de l'usine(_). La Grand-Combe est le théâtre de profondes
mutations politiques mais ces changements n'apportent pas une rupture du
temps collectif pensé comme étant "au temps de la Compagnie" qui enveloppe
encore ces discontinuités du temps vécu exprimé. D'abord ce n'est que sous le
Front Populaire que de nouveaux rapports de forces politiques de gauche se
stabiliseront et, deuxièmement, ce n'est que après la Deuxième Guerre que la
structure industrielle et sociale de la Compagnie est mise en échec et
restructuré à partir d'une nouvelle stratégie industrielle. Mais se sont là d'autres
temps, celui de la nationalisation de mines que nous développons dans la partie
III.
C.2. L'Eglise.
Les efforts de la Compagnie pour bâtir aussitôt un lieu de culte pour les
catholiques ne sont pas négligeables(_). Le 4 octobre 1857, la première pierre
est posée. A cette occasion, les ouvriers, à qui on avait accordé une demijournée de congé, ont rendu hommage à Léon Talabot, représentant le Conseil
d'Administration de la Compagnie et l'un des fondateurs de la Compagnie, qui
était présent à la solennité. La cérémonie, qui se déroule en présence d'autres
autorités, Monseigneur Plantier, évêque de Nîmes, et de M. Lazare Luce,
l'administrateur, est fortement marquée par le discours de M. Talabot:
"Ouvriers Mineurs de La Grand-Combe,
Je vous remercie des sentiments que vous venez d'exprimer; j'en rendrai
témoignage au Conseil, qui partagera mes impressions. Je lui dirai ce que j'ai
vu ici, ce que je vois en ce moment.
Les temps et les lieux ont bien changé depuis qu'il y a plus de vingt ans,
je suis venu ici pour la première fois. J'y venais avec mes collègues, avec mes
frères, avec mon frère Paulin, surtout, auquel vous venez de rendre un si juste
hommage, le principal auteur de notre grande entreprise.
Nous venions pour fonder la société de La Grand-Combe. La tentative
était hardie, la tâche laborieuse et difficile. Mais Dieu a béni nos efforts, comme
il bénit toujours le travail, la persévérance, et le dévouement sans bornes à une
oeuvre éminemment morale et utile comme celle-ci. A travers bien des
vicissitudes, nous avons réussi et les mines de La Grand-Combe comptent
aujourd'hui parmi les grandes exploitations charbonnières.
Nous venons en remercier Dieu; nous venons, en posant cette première
pierre, fonder une Eglise o— vous viendrez à votre tour remercier Dieu de ses
bienfaits et lui demander des consolations aux jours d'épreuve. Les jours
d'épreuve, nous aussi nous les avons connus, et si nous sommes enfin arrivés
au port, nous n'y sommes pas tous parvenus. Un bon nombre dans tous nos
rangs, le plus grand nombre, est resté sur la route. Qu'il me soit permis de prier
votre vénérable pasteur de conserver à la mémoire de ceux qui ont succombé
au service de La Grand'Combe les premières prières qu'il adressera à Dieu,
dans cette Eglise que la société a voulu vous donner pour satisfaire et
encourager les sentiments religieux qui vous animent.
C'est que nous savons que de tous les travailleurs, les mineurs sont les
plus religieux, comme ils sont les plus exposés et les plus braves. De même,
que parmi les mineurs, les charbonniers sont au premier rang, les plus
religieux, les plus dévoués, les plus intrépides, parce qu'ils ont, plus que tous
les autres, de grands dangers à courir. Entre tous ces dangers, braves mineurs,
mes amis, mes enfants, ce n'est pas le courage que nous avons besoin de
vous recommander, vous n'en manquez jamais; ce que nous vous
recommandons, c'est la prudence, c'est une soumission docile aux excellents
conseils que vous recevez, et l'imitation des bons exemples qui ne vous
manquent jamais.
Soyez donc prudents et confiants en Dieu et venez souvent dans ce
temple que vous lui élevez avec nous, venez lui rendre des actions de grâce et
lui demander sa protection divine et son assistance." Léon TALABOT (64)
Cette cérémonie sera le prologue à la construction d'une église à
architecture imposante d'un maître d'oeuvre parisien, M. Chabrol. En 1864, en
présence de M. Luce et de M. Beau, alors directeur général(65), l'église de
Notre-Dame de La Grand'Combe est inaugurée. M. Beau fit aussi un long
discours, à la fin duquel il déclara:
"(...) c'est dans une large mesure de ses forces que l'Administration de
La Grand'Combe a élevé un monument qui ne f–t pas indigne de la grandeur de
sa destination, mais comme la meilleure part de ses succès est due au
concours de son personnel si remarquable et de son excellente population
d'ouvriers, il était juste que le premier et le plus important des édifices publics
créé dans la commune témoignât hautement de notre gratitude et de notre
bienveillance (...)".(66)
L'évêque de Nîmes, M. Plantier, sanctifie alors la Compagnie et la
nouvelle Eglise inaugurée, geste qu'il joint aux paroles suivantes: "cette église
est le témoignage éclatant d'une magnificence dont, nous ne craignons pas de
le dire, aucune compagnie industrielle n'a fait encore preuve sur une aussi
grande échelle".
La construction d'une grande église au centre de la ville manifeste tout à
fait cette volonté d'illustrer, à travers ce monument, les valeurs dominantes
susceptibles de rassembler les hommes.
C'est dans la même logique que dans les hameaux, les chapelles sont
remplacées par des églises, plus modestes que celle de La Grand-Combe,
mais toujours inaugurées en grande pompe, à Champclauson en 1852, à La
Levade en 1879 et plus tard à Trescol, en 1932.
Chaque cérémonie religieuse mettait en exergue la hiérarchie du monde
de la mine. Le directeur et les ingénieurs occupaient des places privilégiées,
créant à chaque office un espace discriminatoire afin de mettre en relief la
distance sociale qui les séparait de leurs ouvriers. A chaque messe, le sermon
du prêtre confirmait la légitimité des structures d'encadrement imposées par la
Compagnie, l'idéologie(67) de l'ordre et de la discipline qui allait de pair avec
l'action cléricale. Ce "rituel de pouvoir" perdure pendant toute l'existence de "la
Compagnie".
"Ils étaient beaucoup d'ingénieurs comme ‡a, favorisés quoi, par rapport
à nous. Ils allaient à la messe, tous les ingénieurs de mine, tout ‡a, ils allaient à
la messe, avant c'était comme ‡a, et ils marquaient si vous y étiez, là, vous
voyez? Les ingénieurs ils allaient à la messe toutes les dimanches et ils nous
marquaient, hé!". (M. Delan. Mineur retraité).
L'importance de l'église dans le mode de vie des ouvriers peut être
mesurée par le rôle que le clergé joue au sein de la communauté de travail en
remplissant la fonction de contrôle social. La Compagnie attribue à l'Eglise le
rôle d'organisateur disciplinaire par excellence. Le clergé devient le surveillant
privilégié des "règles de la grande famille" définies par la Compagnie.
C'est dans ce sens que les responsables des services religieux
développent un "regard inquisiteur" sur la conduite de la population. Toute sorte
de marginalité populaire est déconseillée et réprimée (rixes, alcoolisme,
concubinage, liaisons illégitimes), tandis que les valeurs morales fortement
ancrées dans la vie religieuse sont, quant à elles, mises en valeur. Garant de
l'ordre moral, le clergé est "bien informé" sur la valeur et le comportement de
chaque famille.
De plus, le clergé joue auprès de la Compagnie un rôle considérable
dans le processus de recrutement des travailleurs autochtones.(68) Ainsi, à
l'opposé des méthodes utilisées pour recruter la main-d'oeuvre à l'étranger, o—
une "commission d'embauche" est envoyée, la Compagnie compte sur le clergé
pour sélectionner les travailleurs "du pays". Celui-ci, en liaison avec les
paroisses voisines de Lozère et d'Ardèche, fait déjà un premier tri du personnel
à intégrer dans les chantiers et dans la communauté. Les migrants quotidiens
(paysans-mineurs) ou les mineurs qui souhaitent l'embauche de quelqu'un de
leur entourage recourent d'abord à la médiation du clergé pour obtenir le poste
convoité.
Ceci confère un pouvoir significatif au clergé, qui voit son champ d'action
non plus restreint à l'univers religieux, à travers l'église et l'assistance des
âmes, mais élargi à d'autres domaines. C'est le cas notamment du domaine
éducatif - nous le verrons plus loin - o— l'action pédagogique du clergé
consiste, à travers les écoles, à inciter les gens à suivre un comportement
social idéalisé par la Compagnie.
Les travailleurs protestants ne sont pas laissés à la traîne: ils bénéficient
eux aussi des secours religieux. En réponse aux engagements pris auprès du
Préfet du Gard, la Compagnie construit le temple et de même que pour les
catholiques, elle soutenait matériellement les édifices et leurs desservants(69)
puisque tout comme chez les prêtres catholiques, le pasteur est logé et payé
par la Compagnie(70). Néanmoins, leur lieu de culte, pour la paroisse de La
Grand-Combe (dépendante du consistoire d'Alais), est construit dans une ville
satellite: Trescol.
Le temple protestant est inauguré en 1868. Le témoignage d'un historien
local suggère une intention spéciale dans le choix de son site:
"Il n'est pas sans sous-entendu, le fait que le Temple soit tout à fait horsville de La Grand-Combe. Vous comprenez? Alors, bien s–r, on préfère un bon
protestant qu'un socialiste en 1880, cela va de soi, encore que, dans la région,
‡a soit presque synonyme".(M. Wiénin).
D'ailleurs, les paysans cévenols protestants rechignent à s'engager
auprès de la Compagnie, comme le signale Lamorisse:
"Lorsque la Compagnie installe l'infrastructure sociale, elle ne manque pas de
construire un temple pour le culte réformé; de même, les écoles (...) sont de
l'une et de l'autre confession (...). Ce libéralisme, ce respect affiché des
convictions ne peuvent empêcher que le Cévenol, non seulement protestant,
mais aussi républicain de coeur, se sente mal à l'aise dans un milieu très
réactionnaire".(71)
Ainsi, c'est l'église catholique qui jouera le rôle d'alliée favorite dans la
mission de construction d'un sens commun autour de la politique paternaliste
de la Compagnie. A travers la religion, le patronat cherche à inspirer un
comportement d'harmonie entre la direction et son personnel.
C.3. L'école.
A l'instar des lieux de culte, et toujours dans un but de "moralisation" de
la masse laborieuse, la Compagnie construit des écoles, choisissant, payant et
logeant elle-même les enseignants. Cette institution répond aussi aux intérêts
de la Compagnie, à savoir la formation à long terme de la main-d'oeuvre.
La politique paternaliste s'étend donc au domaine éducationnel à travers
la construction d'écoles et la formation scolaire. Non seulement les enfants
étaient assurés de recevoir une éducation scolaire, mais, en sortant de l'école à
12 ou 13 ans, ils avaient la garantie d'un emploi dans la mine.
Dès 1842, une école la‹que sise à La Grand-Combe (dans le quartier de
l'Airolle) re‡oit des enfants; elle est subventionnée par la Compagnie.(72) Pour
répondre à ses intérêts immédiats, celle-ci souhaite en fait y établir, le plus vite
possible, l'enseignement chrétien.
Parce qu'elle se révèle insuffisante, la Compagnie construit en 1846
deux nouvelles écoles, mais encore la‹ques, à Champclauson et à Trescol (une
pour les filles, une pour les garçons).
Toujours afin de servir ses propres intérêts par l'enseignement chrétien,
elle fait venir les religieux en 1849, installant et aménageant une école dans
une maison particulière louée par ses soins. C'est dans le quartier de la
Verrerie, à la Grand-Combe, que cette première école chrétienne est construite.
Le développement des écoles sera fonction de l'augmentation des
effectifs. Les établissements devenant bientôt inaptes à recevoir tous les
enfants, elle va entreprendre la construction de plusieurs écoles sur tout son
territoire. Celles-ci concernent évidement à l'enseignement chrétien alors que
les écoles la‹ques seront supprimé au moins jusqu'aux années 1880.
En 1854, une école de Frères est ouverte à Champclauson et, en 1856,
Trescol voit s'en installer une deuxième dans une maison particulière louée par
la Compagnie. En 1866, c'est au centre de la ville, sur la place de Bouzac, que
la Compagnie construit une grande école, toujours sous la direction des Frères
de doctrine chrétienne (d'o— la désignation "aux Frères", par les grandcombiens). En 1879, une autre école est construite à Trescol (sur le chemin de
Trescol à Champclauson, 25O élèves et 4 enseignants). L'école de
Champclauson (160 élèves et 4 enseignants) est agrandie en 1876.
Dans le même esprit, la Compagnie signe en 1854 une convention avec
la Supérieure Générale des Soeurs de Saint-Vincent-de-Paul à Paris. En 1855,
dix Soeurs arrivent et s'installent à Champclauson et à La Grand-Combe, o—
elles vont assurer non seulement l'enseignement des filles, mais aussi des
services dans les asiles et hôpitaux, suivant même les malades convalescents
à domicile. Le nombre de soeurs augmentera progressivement au fur et à
mesure de l'accroissement des besoins.(73) Un vaste établissement scolaire
dont la construction commence, en mars 1861, à La Grand'Combe sur la place
Bouzac, est remis entre les mains des Soeurs en 1863. Elles prendront
également sous leur responsabilité les écoles de Champclauson et l'école de
filles à La Grand-Combe (casernes Larrieu dans le quartier de la Verrerie), qui
accueillent au total 320 élèves.
A
Champclauson,
durant
les
premières
années,
l'école
est
provisoirement aménagée dans les casernes, jusqu'à ce qu'elle soit reconstruite
sur une aire plus vaste, en 1877. D'autres écoles et asiles leur sont confiés: en
1878, à La Levade. Pour l'occasion de son centenaire, le livre d'Or de la
Compagnie présente un bilan:
"Aujourd'hui la population a de vastes écoles dirigées par les soeurs de
Saint-Vincent-de-Paul au nombre de 6 écoles et des asiles à La Grand-Combe,
Champclauson et La Levade, aux frais de la Compagnie, o— les filles jusqu'à
13 ans et plus, et les enfants à partir de 3 ans leur sont confiés dans de vastes
salles d'Ecole et asiles ayant des préaux couverts, à l'abri de la pluie et du
soleil".(74)
D'autres écoles sont construites sur la demande des pères de famille
(dont la plupart étaient propriétaires ruraux et ouvriers du chantier), habitants du
Pradel et du Laffénadou, quartiers éloignés des agglomérations ouvrières. En
1873, au Pradel, ce sont respectivement une école de Frères et une autre,
conduite par des Soeurs de la confrérie de Saint-Joseph-de-Ruoms qui voient
le jour, pouvant recevoir un total de 80 gar‡ons et 100 filles.
En ce qui concerne les enfants protestants, eux aussi sont assistés.
Deux premières écoles sont bâties à Trescol en 1852 (loyer payé par la
Compagnie), l'une pour les garçons et l'autre pour les filles, toutes deux
dirigées par des instituteurs protestants payés et logés par la Compagnie.
Malgré les travaux d'agrandissement entrepris en 1868 et destinés à recevoir
22O élèves, elle se retrouvent vite surchargées. La Compagnie fait construire
alors une autre école protestante dans le quartier de la Frugère à La GrandCombe (qui sera ouverte en 1876), mixte cette fois, avec des logements pour
les instituteurs et pouvant recevoir 100 élèves.(75) L'école de la Frugère et le
groupe de Trescol restent à la charge de la Compagnie jusqu'au 1e juillet 1884,
époque à laquelle l'Administration de l'Instruction Publique du Gard les prit à sa
charge. La Compagnie fournira, néanmoins, le logement, chauffage et
indemnité de résidence aux instituteurs et institutrices de ces écoles.
Grâce à la loi de 1881-82 (IIIe République(76)), d'autres écoles laïques
(obligatoires et gratuites) sont bâties à La Grand-Combe. En 1891, la
Compagnie en fait construire deux dans le quartier de l'Arboux (une de
gar‡ons, une de filles) avec une capacité totale de 3OO élèves. De la même
manière que pour les enseignants religieux, la Compagnie fournissait le
chauffage, le logement (ou indemnisait la dépense de résidence) et
subventionnait l'école. Evidemment, c'est elle aussi qui nommait les instituteurs
et institutrices et qui surveillait le contenu de l'enseignement. Elle réglait en
outre les principes de discipline.(77)
En résumé, nous avons vers 1879 16 instituteurs et 484 élèves à La
Grand'Combe; 4 Frères et 254 élèves à Trescol; 4 Frères et 151 élèves à
Champclauson; 4 instituteurs pour 79 élèves à Pradel.(78)
La répartition des enfants dans les différentes écoles obéit à des critères
divers tels que l'appartenance religieuse de la famille et le sexe. Les écoles
catholiques ont toujours eu une position privilégiée aux yeux de la Compagnie.
Les enfants protestants, très tôt, ont pu cependant suivre l'enseignement de
leur foi, tandis que les parents dissidents ont dû attendre le retour de
l'enseignement public sur scène pour pouvoir envoyer leurs enfants dans des
écoles laïques.
En ce qui concerne la localisation des écoles, la Compagnie s'efforce de
les construire proches des importants noyaux de concentration de population.
Chaque fois que cela sera possible, la séparation des sexes sera envisagée:
école pour les garçons, école pour les filles.
En 1899, la Compagnie assure l'instruction primaire de 1.257 garçons et
de 1.058 filles. Avec les salles d'asile (927 enfants), où le service, là aussi, est
gratuit, elle assure la "moralisation" de 3.242 enfants(79). Et la gratuité scolaire
est étendue à tous les enfants de la commune:
"Moyennant une subvention payée par la commune à la Compagnie des
Mines, les enfants des habitants de la commune étrangers aux chantiers et
ateliers seront admis gratuitement dans les écoles et asiles de la
Compagnie".(80)
Cette oeuvre sociale à but pédagogique atteint alors huit écoles.(81) Elle
fait également construire un orphelinat, et encore cinq garderies et salles
d'asile. Elle crée aussi une école ménagère et met sur pied un dispensaire antituberculeux modèle. De plus elle entretiendra une propriété de 400 hectares en
montagne (Lozère) servant de colonie de vacances pour les enfants.(82)
Ainsi que pour la nouvelle forme d'habitat proposée, l'apprentissage
d'une nouvelle quotidienneté se fera davantage à travers l'école. Celle-ci sera
fondamentale dans le processus de construction d'un mode de vie plus urbain
et d'un mode d'organisation du travail industriel. Ceci nous rapproche de
l'analyse faite par Frey à propos de la ville du Creusot:
"(...) l'institution scolaire élargit, d'une certaine fa‡on, la marge de
manoeuvre du patronat dans la mesure o—, au-delà des aspects techniques et
quantifiables du contrôle, de la programmation et de la planification à long
terme de la formation et du recrutement de la main-d'oeuvre, elle assoit plus
globalement l'idéologie patronale dominante sur l'ensemble de la
population".(83)
L'école constituait ainsi un autre domaine d'assistance "morale" apportée
par la Compagnie à ses ouvriers. L'enfant était envoyé à l'école à temps plein: il
y restait jusqu'à l'âge de douze ou treize ans et devait en principe arriver à
obtenir son diplôme de formation primaire.
La vie propre des écoles est mise au point par la Compagnie: le contenu
des disciplines, les règles internes, l'ensemble du programme scolaire visant à
enseigner l'ordre et la discipline physique et morale aux fils et aux filles de
mineur.(84) C'est elle qui désignait les enseignants et c'est d'elle qu'ils
dépendaient:
"A travers toutes ces précautions, elle vise bien entendu à s'entourer de
toutes les garanties nécessaires pour que le fonctionnement des
établissements scolaires soit tel qu'elle le souhaite et que les enseignants, triés
par ses soins, soient le plus possible dépendants, matériellement et par la
même idéologie, d'elle. L'école et son personnel doivent être les 'choses' de la
Compagnie".(85)
Les conditions de fonctionnement des écoles et la formation des enfants
répondent donc aussi aux intérêts de la Compagnie de former des contingents
de main-d'oeuvre selon les besoins de sa production. L'ampleur de la réussite
de cette politique et de sa répercussion nationale peut être mesurée quand, en
1867, la Compagnie se voit décorée à l'occasion de l'Exposition Universelle
d'une bannière d'honneur et d'un diplôme pour la tenue et l'organisation de ses
écoles.
C.4. Services de première nécessité.
A la même cadence qu'augmentait la population ouvrière, augmentait la
nécessité de la nourrir. La Compagnie crée l'institution des "magasins aux
vivres", o— tout le personnel pouvait acheter depuis le pain et le vin jusqu'aux
vêtements, chaussures, et même des produits de luxe.
Selon la Direction de la Compagnie, l'objectif de cette institution était de
"faire livrer au personnel à des prix modérés tous les objets de première
nécessité. Ils servent surtout de modérateur au commerce extérieur et mettent
un frein aux exigences des commer‡ants peu scrupuleux".(86)
En effet, le monopole de la Compagnie dans le domaine alimentaire et
d'autres objets de consommation oblige les ouvriers à dépendre presque
totalement de ce service, l'enchaînement de la communauté de travail à l'égard
du patronat se trouvant ainsi renforcé. C'est lui qui met en place le système de
la dette, augmentant encore son rayon de contrôle sur le personnel. Monopole,
d'ailleurs, qui décourage le développement du commerce libre (à l'exception
des cafés et petites boutiques). En résumé, le contrôle des prix par la
Compagnie signifie un co–t de vie réglé par elle à La Grand-Combe, ce qui lui
évite les augmentations de salaires(87).
Après 1839, la Compagnie va passer les droits d'exploitation à des
particuliers, MM. Santet père & fils (négociants à Nîmes). Le seul secteur
alimentaire qu'elle continuera à exploiter directement est celui de la boucherie,
mais elle tient à contrôler et surveiller le développement des affaires de ses
sous-traitants, surtout par rapport à la qualité des produits et des prix, comme
nous pouvons le constater en ce qui concerne le pain et le vin:
"Le pain ne pouvait être vendu au-dessus du prix pratiqué à Alais et le
vin devait être vendu deux centimes au dessous des prix pratiqués dans cette
même ville".(88)
Les quinze premières années, ces particuliers ont exploité les magasins
aux vivres en adoptant le système des jetons payants.
Jusqu'en 1844, la famille Santet s'est limitée à exploiter un seul magasin
dans le haut de la "vallée de La Grand-Combe" (à côté de la "Maison de
l'Administration"), mais des filiales ont été ouvertes plus tard dans les casernes
Elise en 1844 (à La Grand-Combe), à Champclauson en 1845 et à La Levade
en 1846.
En 1848, le système de ventes à crédit(_) vient remplacer celui des
jetons payants. Dans sa politique d'assistanat, la Compagnie contrôle
principalement le prix du pain (toujours au-dessous de 0,35F le kilo), du vin
(toujours au-dessous de 0,35F le litre) et celui de la viande de mouton, base de
la nourriture à La Grand-Combe (au-dessous de 1,80F/K). Selon le rapport de
l'Administration, la Compagnie a largement subventionné ces trois produits de
base, assumant pour la période de 1853 à 1857 une perte totale de
32O.793,22F pour le pain et le vin et de 76.836,41F pour la boucherie.
En 1862, la Compagnie reprend le droit d'exploitation des magasins aux
vivres appartenant à la Maison Santet (MM.. Santet) et établit un grand
magasin - appelé Magasin Général - dans la rue de la Verrerie. Celui-ci
centralise et englobe tous les services de première nécessité, y compris la
boucherie, sous la désignation de "service des subsistances". Dans les années
qui suivent, deux filiales seront ouvertes: l'une en 1867 sur la place de Bouzac
(La Grand-Combe) et l'autre à Trescol en 1887, dans les casernes Thibaudet.
En 1894, une première diminution importante des ventes est constatée,
dont les causes sont principalement la suppression des articles de luxe et,
ensuite, les contrecoups de la grève de 1897, qui entraîneront une réduction
drastique du personnel et, par conséquent, une nouvelle chute des ventes.
Le système d'exploitation de l'approvisionnement alimentaire change
aussi, d'abord à travers le système d'Economat, et plus tard celui des
coopératives qui est, en fait, le système qu'ont connu les mineurs retraités
interviewés, puisqu'il se maintiendra jusque dans les années 195O.
La Société Grand'combienne d'Alimentation était une société anonyme
coopérative à personnel et à capital variables, selon les dispositions des lois du
24 juillet 1867, du ler ao–t 1893 et du 16 novembre 1903. L'objectif de cette
société est mentionné dans l'article 3 de ses statuts:
"(...) de fournir à ses actionnaires et adhérents des denrées et
marchandises de consommation et d'utilisation familiale, et ce, au besoin après
transformation des dites denrées et marchandises; et, par suite, de réaliser au
moyen de la création de magasins coopératifs, et au bénéfice de ses
actionnaires et adhérents, des économies sur leurs dépenses de
consommation".(90)
Chaque quinzaine, les comptes des clients - c'est-à-dire le personnel
actif ou retraité et l'administration de la Compagnie - étaient faits et il fallait
régler à la fin de la quinzaine suivante. A part le personnel de la Compagnie et
de la propre Société d'Alimentation, seuls les employés de la Société
Grand'combienne d'Eclairage et d'Energie (fondée en 1909) pouvaient adhérer
à la société. A titre exceptionnel, d'autres personnes y étaient parfois admises décision subordonnée à l'agrément du Conseil d'Administration(91).
Les autres possibilités d'approvisionnement restent les marchés et foires,
qui deviennent peu à peu coutumiers dans la région, ou alors les quelques
magasins qui s'y installeront, surtout durant la deuxième moitié du siècle dernier
à La Grand-Combe.
C.5. Chauffage.
En ce qui concerne le chauffage, une allocation de charbon était
distribuée toutes les semaines.(92) Tous les lundis, les femmes de mineurs
(aidées de leurs enfants) se consacraient à cette tâche, travail pénible de
transport et de remplissage des caves. Plus tard, c'est un transporteur
particulier qui fera la distribution aux familles au prix d'une rétribution.
Le charbon alloué ainsi gratuitement était celui rejeté par le commerce,
ce qui permet de se faire une idée de sa qualité.(93)
Dans le souvenir des mineurs, la récolte des miettes de charbon
tombées à terre et dans les décombres n'était pas une chose négligeable, et
cela était devenu pour eux une routine. D'ailleurs, du moins jusqu'en 1881, les
ouvriers de surface n'avaient pas le droit au chauffage.(94) La Compagnie, à
ce sujet, "tolérait que les ouvriers ramènent, tous les jours, dans leurs cabas un
souquet, c'est-à-dire un morceau de butte (usagée) servant à étayer les
galeries...".(95)
C.6. Service d'ordre et discipline.
Les services publics engagés par la Compagnie pour assurer un
encadrement moral et idéologique ne se sont pas limités à des institutions de
caractère plutôt persuasif (services religieux, pédagogiques): il y avait aussi
ceux de caractère répressif. Afin de garantir "l'harmonie et le bien-être" de son
personnel, les services des forces de l'ordre - la police et la gendarmerie - sont
requis dès le début.(96) L'étroite relation entre la Compagnie et le pouvoir
municipal associe la force policière à la nature du paternalisme.
Tous les frais que va occasionner la création d'un commissariat à La
Grand'Combe sont pris en charge par la Compagnie des Mines, qui s'engageait
à payer la somme annuelle de 7OOF pour le commissaire de police (500F pour
le traitement d'un commissaire de police et 200F pour frais de bureau). De plus,
elle fournit le chauffage domestique aux agents, indemnise la location des
bureaux et fournit également le papier et autres fournitures de bureau.(97)
En 1849, deux agents ont été ainsi nommés. A partir de 1853 la
Compagnie payera directement au Receveur Général le traitement du
commissaire de police, d'une valeur de 1500F par an. De ce commissaire, en
1850, dépendaient les communes de La Grand'Combe, Laval, Les Salles du
Gardon, Blannaves, Portes et Sainte-Cécile, alors qu'après 1862 son pouvoir
ne s'étendait plus qu'au territoire de la commune de La Grand'Combe.
Comme elle l'a fait pour celle de la police, la Compagnie va négocier
auprès des autorités l'installation de la gendarmerie dans la ville. Pour ce faire,
elle va en prendre à sa charge toute l'infra-structure. Une lettre envoyée par la
Compagnie au préfet du Gard témoigne ce compromis:
"Nîmes, le 18 mars 1847.
Monsieur le Préfet du Gard,
Nous nous empressons de répondre à votre lettre du 17 de ce mois, que
notre Compagnie désireuse de faire ce qui peut être agréable à l'administration,
se charge de fournir le logement à titre gratuit à la Brigade de Gendarmerie à
pied, dans le cas o— sa résidence serait établie à La Grand'Combe, ce que
nous croyons convenable dans l'intérêt de la tranquillité publique.
Recevez, etc. (...)
l'Un des Gérants, M. L. Veaute"(98).
Entre 1847 et 1874, la gendarmerie déménage à plusieurs reprises,
jusqu'à la construction de locaux plus définitifs sur la place Bouzac, o— un
casernement aménagé et construit par la Compagnie sur un terrain lui
appartenant, est mis à sa disposition pour recevoir une brigade à pied et une
brigade à cheval.(99)
A mesure que les conflits entre le patronat et la classe travailleuse
prennent des formes plus offensives (comme la grève de 1881), la Compagnie
engage de nouvelles brigades à pied et construit d'autres casernes à La
Levade et à Trescol pour les loger.(100)
C.7. La politique d'assistance.(101)
Le terme paternalisme prend toute sa force lorsqu'il se rapporte au
système de protection des travailleurs répondant aux vues de la Compagnie
dans sa stratégie d'embauche et de fixation de la main-d'oeuvre.
Elle favorisera une politique de prévoyance grandiose pour l'époque. Le
personnel, outre les avantages de l'habitation, bénéficiaient ainsi d'un système
d'assistance sociale. Les services assurés par la Caisse de Secours, tels que
les soins en cas de maladie ou de blessure (service médical assuré par six
docteurs), par la Caisse de Retraite et les pensions versées aux veuves et
orphelins signifiaient une couverture sociale encore inédite dans le milieu
ouvrier.(102) Ce sont surtout ces avantages qui, du point de vue d'un vieux
mineur, attiraient les travailleurs à une époque o— ils se trouvaient souvent
assaillis par la maladie, la mort, les accidents, le handicap:
" (...) Si, par exemple, un homme se faisait tuer accidentellement dans la
mine, l'épouse touchait à vie une pension d'accident de son mari, et si cette
épouse avait un enfant, ou deux, ou trois, bon! ces deux ou trois enfants étaient
pris en charge par la Compagnie jusqu'à l'âge de la majorité de l'enfant. C'est
pour ça que les gens venaient travailler dans la mine". (M. Pondes. Mineur
retraité).
La Compagnie va faire figure de précurseur et anticiper la propre loi en
établissant des institutions de prévoyance telles que la Caisse de Secours (dès
l'année 1845), les retraites pour la vieillesse (créées à La Grand'Combe dès
1870)(103), ou encore les allocations familiales (appliquées à partir de 1910).
Gaillard dit à ce sujet:
"Les institutions sociales destinées au personnel n'ont pas été, pour le
patronat de La Grand-Combe, le fruit du hasard. Elles leur ont été, semble-t-il,
en grande partie imposées au début par des conditions matérielles spécifiques
à l'entreprise, puis théorisées en une véritable philosophie sociale et politique
que l'on a coutume de nommer 'paternalisme'...".(104)
La création de la Caisse de Secours date de 1845.(105) D'après le
règlement, elle retenait une part de 2,5% du salaire total. Elle concernait
l'ensemble du personnel et leur famille, à qui elle profitait sous la forme
d'indemnités de secours en cas de blessure et de maladie, de pensions
attribuées aux vieillards âgés de 60 ans et plus (justifiant avoir travaillé pendant
vingt années consécutives), de pensions pour les veuves et les enfants de
moins de 10 ans des ouvriers tués dans les travaux, de soins médicaux et
pharmaceutiques, ou même en participant aux dépenses scolaires.
Après les événements de 1848, qui sont à l'origine d'un important déficit
(étant donné le départ de nombreux mineurs et employés), des modifications
substantielles sont intervenues dans la Caisse de Secours qui en est venue à
retenir 3% sur les salaires.(106)
Les règles de fonctionnement de cette politique de protection donneront
des pouvoirs importants à la Compagnie dans le contrôle de la vie familiale de
son personnel. En réalité, les statuts de la Caisse de Secours et Prévoyance
régissent avant tout des comportements voulus par la Compagnie, qui se
justifie de la sorte: "Pour que l'ordre règne dans l'entreprise et dans la ville". La
conduite du personnel et la conduite familiale se trouvent donc réglées par les
dispositions de ces "oeuvres sociales":
"Toute personne qui ne se pliera pas à cette idéologie que les dirigeants
de La Grand-Combe veulent imposer à la ville entière - veuve menant une
conduite déréglée, ouvrier fréquentant le cabaret, couples illégitimes, mineur
chômant le lundi ou faisant de la politique, etc...- sera irrémédiablement punie:
suppression d'indemnité, amende, licenciement, etc. (...). Donc, si les conseils
ne suffisent pas pour dissuader tel ou tel ouvrier de fréquenter le cabaret, avec
toutes les conséquences néfastes que cela comporte aux yeux de l'entreprise,
tant pour sa vie privée que pour sa productivité au travail, on fait peser sur lui la
menace de la suppression des allocations chômage en cas de blessure ou de
maladie".(107)
Ainsi, tout ce que la Compagnie comprenait par comportement marginal
est puni: rixe, inconduite, imprudence, fréquentation des cabarets, alcoolisme,
absentéisme, etc. Il n'était pas étonnant dans ce cas que des ouvriers soient
renvoyés pour concubinage.
La vie privée restait parfaitement sous contrôle. La preuve en est les
articles réglant le comportement des veuves d'ouvriers qui, dans le cas de
mauvaise conduite, perdaient leurs droits personnels à la pension:
"(...) toute veuve pensionnée qui mènerait une conduite déréglée ou
ferait une faute qui serait un scandale public serait (...) privée de la pension
(...)".(108)
Dans le cas de demande de remariage, le comité administratif de la
Caisse de Secours pouvait accorder, suivant ses ressources, une somme à titre
de dot; les enfants du premier mariage ayant droit à la pension jusqu'à l'âge de
10 ans.(109)
"(...) toute veuve pensionnée par l'association qui se remariera perdra
ses droits à la pension qui lui est faite par la caisse de secours, comme cela a
eu lieu jusqu'à ce jour, mais elle touchera comme dot une somme de 4OO
francs, immédiatement après qu'elle aura justifié de la célébration de son
second mariage".(110)
La veuve voulant se remarier devrait toutefois tenir le conseil
d'administration de la Caisse de Secours au courant de ses intentions pour
savoir si la dot lui serait accordée.
D'autre part, certaines habitudes dans le mode de vie des ouvriers, qui
affectaient directement leur productivité, se voient sanctionnées et à court
terme modifiées. C'est ce que nous pouvons constater par rapport à l'habitude
de chômer le lundi. Dans la séance du 16 juillet 1865, le conseil
d'administration de la Caisse de Secours(111) délibère:
"Le président fait part au Conseil d'une mesure qui lui paraît nécessaire
pour la bonne marche du chantier et pour le bon ordre dans l'intérieur, il
remarque que depuis quelque temps les chantiers sont déserts tous les
premiers jours du mois et les lundis de chaque semaine, cela porte un préjudice
réel à la Compagnie et à la famille, et il propose au Conseil comme mesure
disciplinaire une amende de 2 francs pour tous les manques de poste des
lundis et premiers jours du mois".(112)
Les punitions inhibaient aussi les grèves prolongées, puisqu'il y avait
punition en cas d'absence.
"Tout sociétaire qui restera absent du travail sans autorisation ou pour un
motif que la Compagnie ne reconnaîtra pas valable pendant plus de quinze
jours, perdra tous ses droits à la retraite".(113)
Elle encourage en revanche à entreprendre les démarches qu'elle a
idéalisées. Par exemple, le règlement de la Société de Prévoyance de 1891
prévoit, en cas de mariage, des avantages tels qu'une amélioration des secours
de 25 centimes pour l'ouvrier marié(114). Ou alors pour la scolarité, dont - on l'a
déjà vu - elle assure la gratuité et sur laquelle elle garde la mainmise en ce qui
concerne l'institution scolaire (dont elle garde la maîtrise sur les dispositions
générales et les programmes). En effet, depuis 1853, la Compagnie
subventionne tous les frais relatifs à l'école, à l'exemple de ce qu'elle fait déjà
pour les dépenses de culte, d'entretien de la commune, de chauffage de tout le
personnel, sans parler de la gratuité des bâtiments occupés par les hôpitaux et
pharmacies.(115)
En 1854, elle délibère à propos de divers articles concernant les
accidents et blessures de travail.(116) Sous cet aspect, l'espace et le temps de
travail industriel étaient rigoureusement structurés et détaillés: les mineurs,
c'est-à-dire les ouvriers de sous-sol, étaient considérés comme étant au travail
à partir du moment o— ils prenaient leur lampe à la lampisterie; pour les
ouvriers de l'extérieur, à partir du moment o— ils entraient sur le chantier ou
dans l'atelier de service. Dans le cas d'accident en dehors du travail, les
secours étaient beaucoup moins conséquents.
En 1866, après délibération d'une commission spécialement nommée,
d'importants emprunts sont faits par la Compagnie à la Caisse de Secours. A
cette commission participent le directeur, un maître mineur, cinq mineurs de
fond et un mineur de surface.(117) Par ce système d'emprunts, la Compagnie
s'approprie des ressources tirées des salaires des ouvriers. Pour Gaillard, il
s'agit là d'une voie indirecte pour "reprendre un peu d'une main ce que l'on
donne de l'autre sous forme de salaires, et d'augmenter encore les profits en
utilisant cet argent soit à des placements rémunérateurs, soit à des postes
divers d'amortissement ou d'investissement".(118)
En décembre 1890, la Caisse de Secours est transformée en société de
prévoyance (effectivement, à partir du le juin 1891), et elle est mise ensuite en
liquidation par la loi du 29 juin 1894 (effectivement, à partir du le juillet 1895).
Un autre type d'assistance mise en place a trait à la retraite. En 1869, le
Directeur d'Exploitation, M. Graffin, communique à la commission nommée pour
élaborer un nouveau règlement de la Caisse de Secours que le Directeur
Général M. Beau et lui-même avaient délibéré sur la création d'une Caisse de
Retraite pour la Vieillesse qui fonctionnerait parallèlement à la première sous le
patronage de la Compagnie. Cette Caisse de Retraite avait pour capital "les
versements obligatoires pour les employés, facultatifs pour les ouvriers, de 1%
sur le chiffre de leurs appointements et salaires mensuels, sans que ce
versement puisse dépasser 24F par an".(119) Contrairement aux autres
caisses, celle-ci était obligatoire pour les employés, mais les ouvriers étaient
libres d'y adhérer ou non.
Cette caisse est créée en 1870. Le montant de la retraite était fixé selon
l'âge. A 60 ans, les affiliés pouvaient la demander à condition d'avoir travaillé
2O années consécutives sur le chantier.(120) Plus tard, le droit à la pension de
retraite (employés, ouvriers, femmes) concernera également les personnes
âgées de 55 ans justifiant d'au moins vingt-cinq années de service
consécutif.(121) Elle s'élève dans les deux cas à 1,20F par jour, les 2O ou 25
années de travail consécutif pouvant cependant être interrompues par suite de
maladie ou de blessures. Les autres cas de pensions, comme on l'a vu,
concernent les veuves et enfants de mineurs tués à la mine ou morts à la suite
d'un accident de travail, et les malades et handicapés mis hors d'état de
travailler.
En 1890, face aux changements de la politique de prévoyance au niveau
national, la Compagnie, de nouveau, anticipe les lois sociales et fait fusionner
les deux caisses, celle des secours et celle des retraites, en une Société de
Prévoyance.(122)
Néanmoins, la Compagnie ne peut faire face aux engagements pris par
rapport à cette nouvelle formule d'assistance. Pour éviter l'effondrement, elle
licenciera un bon nombre de travailleurs qui auront participé à la grève de 1897
(surtout ceux appartenant au syndicat), évitant ainsi le paiement de leur
pension lors de la retraite. Il est même logique de suspecter la Compagnie
d'avoir provoqué elle-même cette grève afin de renvoyer les mineurs grévistes:
"On peut affirmer, nous semble-t-il, qu'il y a bien dans les licenciements
et dans le désir de provoquer une grève, une préoccupation directement liée à
la caisse de retraites (...). La Compagnie a commis une erreur de gestion
considérable en s'engageant dans un véritable gouffre financier. En voulant
maintenir intact l'ensemble de son système de prévoyance, elle a compromis
l'équilibre financier de l'entreprise et les licenciements massifs d'ouvriers
proches de la retraite étaient bien, en effet, un excellent moyen pour éviter une
crise grave".(123)
Ces
"oeuvres
sociales"
promues
par
le
patronat
recèlent
vraisemblablement une préméditation dans la "gestion" de la main-d'oeuvre, qui
visait la rentabilisation des investissements effectués sur la reproduction élargie
de la force de travail, ce que l'on peut appeler optimisation de l'économie
sociale. Nous avançons cette supposition en nous basant sur l'analyse faite par
Frey à propos des caisses de prévoyance pour le cas du système paternaliste
développé dans la ville minière du Creusot:
"Les caisses de prévoyance et les soins divers ont permis d'assurer la
sécurité et l'entretien de la force de travail pour le personnel actif. La pérennité
de cette situation au-delà de la période active permet d'éviter la charge des
vieux sur les générations suivantes, évitant une contrainte aux enfants qui
acquièrent, ainsi, une nouvelle marge de manoeuvre dans leurs possibilités de
formation et d'activités. La retraite et les assurances vieillesse constituent, à ce
titre, un transfert planifié de charges, que la salarisation généralisée permet
d'opérer globalement et non plus dans le cadre étroit de chaque famille élargie
o— la convivialité s'échelonne sur plusieurs générations".(124)
A partir de 1910, la Compagnie des Mines de La Grand-Combe va
appliquer le système des allocations familiales.(125) Cette mesure et celles
visant à stimuler diverses formules d'épargne (Caisse d'Epargne) constituent
des stratégies qui, à long terme, permettront d'avoir la mainmise sur l'ensemble
des activités quotidiennes du personnel.
Le fonctionnement institutionnel de l'épargne est institué par la
Compagnie en 1870, sous le titre de "dépôts en compte courant". Cela évitera
l'évasion des capitaux vers des destinations autres que celles touchant à
l'économie de la ville prise en main par le patronat.(126)
Toutes ces mesures sociales permettent à la Compagnie de freiner les
augmentations de salaires et de maximiser le temps de travail. En outre,
l'épargne conduit à l'apprentissage d'une discipline très étroitement liée à
l'idéologie dominante quant aux formes de consommation. Elle évite surtout les
dépenses pour des occupations dépréciées par le patronat (alcoolisme,
cabarets, etc.), réglant le comportement du personnel dans la vie, aussi bien
privée que publique.
Enfin, il faut noter que la politique d'assistance concerne aussi la
philanthropie. Il s'agit, par exemple, de l'attribution annuelle d'un secours (d'une
valeur de 2.000F à 2.200F) aux nécessiteux du chantier
pour achats de
vêtements ou pour être distribuée en nature pendant l'hiver aux indigents et aux
malades du chantier.(127)
C.8. Loisir.
Les manifestations de sociabilité des familles ouvrières composent un
autre point important de l'action paternaliste de la Compagnie. Les loisirs aussi
ont leurs agréments et leur potentiel moralisateur. En effet, dès le début, elle
organise et subventionne des associations permettant la rencontre des
membres de la communauté autour de l'intérêt commun du délassement et du
divertissement.
Ainsi, en dehors du temps de travail et des activités touchant au
quotidien et à l'espace domestique, les travailleurs pouvaient profiter de
diverses formes de groupement visant à une sociabilité promue par la
Compagnie. L'action de cette dernière consiste soit à organiser (par intervention
directe) des pratiques de loisir, soit à subventionner des sociétés récréatives.
Si toutes les associations ne sont pas directement créées par la
Compagnie, c'est elle du moins qui les subventionne, afin que toutes les formes
de loisir, à La Grand-Combe, lui soient dévouées, qu'il s'agisse d'activités
récréatives comme le sport, la société de musique, les fêtes et les bals, ou
d'autres concernant des rituels ou cérémonies.
On verra souvent, dans des brochures qu'elle édite, la Compagnie
s'adresser à elle-même des éloges pour son rôle d'avant-garde joué dans ce
domaine. Un exemple en est la lancée à l'occasion du centenaire de la
Compagnie:
"La Compagnie encourage le bon emploi des loisirs de son personnel.
De vastes terrains de jeux, des salles d'exercice ou de réunion et des salles de
fêtes sont mises à la disposition des diverses Sociétés que la Compagnie
patronne ou subventionne, et qui intéressent petits et grands, depuis les
retraités jusqu'aux 'pupilles' des sociétés de gymnastique".(128)
En effet, dans cette communauté de travail qui se construit, il importe de
renforcer le sentiment d'appartenance au groupe ouvrier. Tout le personnel
peut s'engager dans les pratiques sportives offertes par la Compagnie, mais
celle-ci entretient aussi ses propres équipes. D'ailleurs, s'engager dans une
association qui représente la Compagnie et défendre ses devises dans un
championnat signifie aussi prolonger une fidélité professionnelle.
Dans le domaine sportif, la Compagnie s'est surtout occupée de football
et d'éducation physique. Elle aménage spécialement des terrains de jeux (à
l'Impostaire et à la Villa Béchard), tandis que le stade réservé au football et à
l'éducation physique n'est construit que beaucoup plus tard, en 1912, ce qui
dans l'histoire de la Compagnie sera vu comme une oeuvre d'un mérite tout
spécial. Il reste l'arène où se concentrent les principales activités sportives: une
équipe de football, une section de gymnastique, d'éducation physique,
d'athlétisme, de tir.
Les fêtes populaires les plus importantes sont celles instituées par la
Compagnie elle-même, telles que la Fête de Sainte-Barbe, célébrée par les
mineurs en hommage à leur patronne. Les bals locaux étaient également
organisés et promus par la Compagnie, qui mettait à cet effet une salle des
fêtes à la disposition de la population(129).
Elle subventionne en outre une Société de Musique et un secteur
d'enseignement musical gratuit. Ce groupe culturel participera activement à la
vie de la ville par des concerts sur la place, dans les fêtes locales et à
l'occasion d'événements spéciaux. Les participants sont bien s–r des ouvriers
et des employés de la Compagnie des Mines de La Grand-Combe.
Au fur et à mesure que les groupes de loisir se composent, leur liaison
avec la Compagnie est évidente. C'est elle qui encourage le groupe de danse
folklorique (société de danses et de farandoles), diverses sections de
gymnastique (à La Grand-Combe et dans ses hameaux) et le scoutisme à partir
de 1911 ("scouts catholiques", groupes d'Eclaireuses et d'Eclaireurs unionistes
protestants)(130).
Les loisirs que promeut la Compagnie ne se limitent pas à la distraction:
ils se tournent également vers l'accès à l'information. Les bibliothèques, à
l'entretien desquelles sera consacrée une somme de 250F par an, vont jouer un
rôle complémentaire dans la "formation morale" du personnel.(131)
Un
bâtiment avait été spécialement réquisitionné à cet effet à La Grand-Combe, où
l'on pouvait consulter et emprunter gratuitement les ouvrages. De même à
Trescol dès 1874, la population a pu fréquenter une bibliothèque ouverte à côté
du Temple. Plus tard, Champclauson sera aussi pourvu de la sienne.
L'association famille/loisir était mise en valeur par l'encouragement à
certains travaux domestiques, notamment le jardinage et l'élevage(132),
pratiqués sur des terrains appartenant à la Compagnie et qu'elle louait à des
prix modérés.(133)
C.9. Monuments
Les monuments érigés par la Compagnie sont ceux auxquels elle a voulu
que la communauté rende hommage, perpétuant la hiérarchie du travail.
Le premier monument est construit en 1875. Cette année-là, le 7 juin,
l'ingénieur M. Jules Callon est décédé. La Compagnie décide alors de rendre
hommage à l'homme qui était resté son chef ingénieur depuis 1846, pour ses
services prêtés notamment dans l'organisation du processus de travail. Ce
monument concerne une pyramide construite à La Grand-Combe au centre de
la grand-place principale.
En 1879, M. Beau, directeur général de la Compagnie depuis 1850 et
administrateur depuis 1872, est décédé. Le Conseil d'Administration, à
l'Assemblée Générale du 29 avril 1879, décide d'ériger un buste de M. Beau sur
la place de Bouzac, à côté du monument élevé en 1875 à la mémoire de M.
Callon.
Cet acte de pétrification de l'image des personnages qui avaient joué un
rôle important dans le développement de la Compagnie et de la ville, est à la
fois l'établissement d'une image idéalisante de la Compagnie et l'établissement
d'une ordre de conservation de ce "idéal" perpétué dans la mémoire par la
monumentalité.(134)
***
A La Grand-Combe, la Compagnie contrôle donc le mode de vie de son
personnel. Avant même que la classe ouvrière ne prenne conscience de ses
"besoins-revendications", la Compagnie s'évertue à lui fournir les conditions
"morales, matérielles et intellectuelles", cherchant par là même à les convaincre
des avantages d'une vie communautaire favorisée par un sentiment de
protection.
"Les directeurs monarchistes sont des cléricaux à la mentalité
aristocratique, ils se considèrent comme les tuteurs légitimes de leurs ouvriers:
à travers l'école, l'église, la mine, ils se donnent pour mission d'inculquer à leur
personnel une morale fondée sur deux notions d'ordre (ordre dans le ménage,
ordre dans la conduite, ordre dans le travail) et d'épargne (épargne intérieure
par le refus du luxe chez soi, dans le vêtement ou dans la vie quotidienne).
L'ordre et l'épargne sont deux valeurs que l'on acquiert grâce au travail
(élément moralisateur par excellence) et à la religion".(135)
Partant d'une analyse des raisons de l'efficacité de ce système
paternaliste et des bénéfices qu'en tire l'entreprise, nous constatons une
intentionnalité de construire un modèle d'ouvrier qui aime son travail et sa
maison, un père de famille qui entretient des relations conviviales avec ses
proches, ses amis, ses voisins et ses chefs. Pour ces ouvriers, dont la plupart
sont de nouveaux arrivés qui cherchent à lutter contre l'insécurité et la précarité
des revenus, il est évident qu'au début ce réseau de tutelle détient le fil
conducteur permettant de comprendre les raisons de leur attachement à ce
système protectionniste et les bénéfices qu'en a tirés l'entreprise.
C'est sur cette base que la Compagnie fonde l'espace de travail et de
résidence. En tenant compte de son rôle dans la construction de l'espace
social, nous pouvons saisir aussi la dynamique des relations des groupes
familiaux dans la ville. Ce que nous allons développer dans les chapitres
suivants.
CHAPITRE 2
L'ORGANISATION SPATIALE DE LA "VILLE MINIERE".(136)
A) CONSTITUTION DU TISSU URBAIN.
La Grand-Combe est née d'un projet urbain tracé par la Compagnie qui
implantait une "ville" au milieu d'une région traditionnellement rurale. Dès les
premières années de son existence, La Grand-Combe donne d'emblée l'image
d'une ville. L'aménagement urbain sera conditionné par les intérêts et les
besoins structurels de la mono-industrie qui établit une organisation de "ville
minière" dans la relation entre l'espace de travail, l'espace public et l'espace
domestique. Ceci dit, lors de la fondation de la commune, les lieux d'exploitation
minière sont déjà établis; conséquemment, la localisation de l'espace de travail
se trouve d'ores et déjà définie. L'espace urbain proprement dit se développe
collé à l'objectif de rentabiliser la matière première (charbon).
Nous ne trouvons pas à La Grand-Combe l'image classique de la "ville
industrielle" concentrée autour d'une seule usine. La Grand-Combe est une ville
engagée pour loger (et enraciner) les ouvriers et cette ville ainsi ouvrière devrait
suivre les multiples points d'extraction dispersés sur tout le territoire.(137)
L'aménagement du lieu répond aux exigences de la production industrielle qui
s'y implante: dispersées, les concessions d'exploitation s'étendent au-delà des
limites de la commune "intra-muros". Les constructions, tantôt celles destinées
à l'utilisation industrielle, tantôt celles de caractère domestique, se sont
disséminées sur ce vaste territoire que les habitants appellent "le pays
minier"(138).
Si l'espace du travail est déterminé par l'existence des prospections
minières(139), l'espace public lui est déterminé par la centralité de
l'agglomération. Déjà les espaces domestiques observent, soit la proximité
d'avec l'espace public, soit celle d'avec l'espace du travail. Dans le centre de la
ville nous trouvons davantage de maisons de commerçants, de fonctionnaires,
d'employés, de groupes plus favorisés dans la hiérarchie sociale. La localisation
des maisons des mineurs obéit à la logique du rapprochement de l'espace du
travail. L'organisation spatiale se définit par un éparpillement des quartiers
ouvriers dans l'enceinte des puits d'extraction, visant à raccourcir et à limiter les
distances entre les lieux de résidence et les lieux de travail.(140)
Parmi nos interviewés, quelques-uns évoquent cette facilité d'accès de
jadis. Un mineur retraité de Champclauson raconte que, ne travaillant pas au
fond de la mine, il pouvait rentrer déjeuner chez lui. Il se souvient d'une grève
partielle sur son chantier quand la Compagnie a voulu interdire cette habitude incontestable alors pour certains ouvriers.(141)
En outre, cette structure
permet aux mineurs-paysans, habitant près d'un chantier, de rester enracinés
dans leurs mas, où ils pouvaient pratiquer la culture potagère et le petit
élevage, utiles en périodes de licenciements et de grèves(142). Certes, ils
seront de moins en moins nombreux à pouvoir rester liés à leur mas (nous le
verrons plus loin) mais cette rupture du milieu rural un peu plus "adouci" pour
ces paysans attachés à leur terre a vraisemblablement diminué l'impact que
constitue ce processus de transformation de paysan en mineur.
Un nombre important de travailleurs sont ainsi rapprochés du lieu de
travail mais, par contre, éloignés du centre-ville, des services publics. Certes, le
train sert d'élément de liaison entre les agglomérations, mais son circuit est
limité. A une époque où les limites technologiques des moyens de transport
doivent être prises en compte et où seule une minorité aisée se déplace en
calèche il fallait alors parcourir à pied de longs trajets jusqu'au centre-ville (ou
centre des hameaux) pour accéder aux équipements publics (le marché,
l'hôpital, par exemple). Et ce sans perdre de vue que la Compagnie a garanti le
fonctionnement d'équipements publics minimaux tels qu'écoles, magasins-auxvivres, poste de sauvetage ou services religieux (les chapelles), non seulement
dans les hameaux mais aussi dans les quartiers les plus éloignés du centreville.
La ville de La Grand-Combe est enclavée entre les collines (du Gouffre,
d'Arboux, de Sainte-Barbe, d'Airolle et des Ribes) et le Gardon(143). Le
programme de construction de la ville (il est tenu compte ici des limites
technologiques d'édification de l'époque) est alors soumis aux limites naturelles.
Le "centre" de la ville c'est la place construite sur un plateau (dit de "Bouzac").
De cette place centrale partent rues et boulevards. En sortant du "centre", la
seule possibilité d'expansion de la ville construite est de se déployer sur toute la
longueur de la "vallée de la Grand-Combe" étranglée entre les pentes des
collines: au nord, jusqu'aux collines de Sainte-Barbe et d'Airolle; à l'est de la
vallée, en direction des collines de Ribes et Aubignac; à l'ouest, en direction de
la colline de l'Arboux. Perpendiculaire à la précédente se prolonge la "vallée du
Gardon". Les rives du Gardon, "au cours capricieux et aux crues
dévastatrices"(144), ne sont pas propices à la construction. Une route parallèle
au cours du ruisseau, sur le flanc de la colline du Gouffre, relie La GrandCombe à Trescol.
Les débuts de l'opération immobilière de la Compagnie correspondent à
la période 1837-1838. Dans cette politique de construction en vue d'une
"véritable ville ouvrière"(145), la Compagnie des Mines de La Grand-Combe fait
figure de précurseurs.(146)
En ce qui concerne "l'opération bâtir", la Compagnie se charge de la
construction des bâtiments industriels et publics, mais favorise l'initiative privée
pour la construction d'habitations sur des terrains lui appartenant. Dans ce cas,
les constructeurs lui versent un loyer sur le terrain. Selon les notes de M. P.
Talabot (le Président de la Compagnie en 1846), c'est la Compagnie qui donne
les alignements pour ces constructions des particuliers, autrement dit, ils
obéissent aux principes urbanistiques tracés par la Compagnie(147), tant en ce
qui concerne la localisation du terrain, qu'en ce qui concerne le type de
bâtiment et matériau à utiliser, et la population à loger. Pour développer cette
initiative privée, elle propose le rachat des casernes au bout de 15 ou 20 ans et
garantit le loyer aux constructeurs particuliers pendant cette période. Au terme
du bail, ou bien la Compagnie rembourse aux constructeurs le montant des
dépenses, déductions faites des détériorations, ou bien, elle rachète les
casernes par une annuité.(148)
Ce groupe de constructeurs sont des notaires nîmois, alésiens et
d'autres environs, ou des notables locaux, c'est-à-dire, le groupe qui compose
le cadre dirigeant de la Compagnie (très souvent d'origine parisienne), ou alors
le groupe établi dans la région et ayant en général d'étroits rapports avec la
Compagnie: agents de maîtrise, commer‡ants, professionnels libéraux,
entrepreneurs, etc. Au total, la Compagnie a eu recours à 14 constructeurs, à
qui elle versait un loyer annuel qui s'élevait à plus de 10.760F.(149) Les
habitants-locataires, de leur côté, versent un loyer dont le prix varie suivant
certains critères: la taille de la famille, le travail effectué dans la mine, etc.
Par ailleurs, la Compagnie préside à la construction de toute l'infrastructure urbaine, puisqu'elle s'occupe des services publics (hygiène, égouts,
lavoirs, fontaines, eau potable(150), courrier, services de justice et, vers 1909,
électricité.(151)
La Compagnie organise la distribution spatiale selon une logique qui
révèle les principes "urbanistiques" qu'elle-même a définis. Quels ont été ces
principes urbanistiques? Si l'on pense en termes de planification urbaine, l'on
peut suggérer que le "centre" et l'axe défini par la "vallée de La Grand-Combe"
composeront le squelette du développement urbain de la "ville minière":
- La construction du centre de la ville - l'espace public par excellence - a
pour orientation la concentration des équipements urbains et espaces
domestiques.
- L'axe défini par la "vallée de La Grand-Combe" est la principale voie
d'expansion de la ville. Ce territoire est avant tout un important "espace de
travail". Dans sa partie basse, la vallée traverse la ville de La Grand-Combe et
se dirige, vers le nord, en direction d'importants puits d'extraction, comme celui
de "Sainte-Barbe" ou de la "Forêt" (partie haute de la vallée(152)). Tout au long
de cette vallée seront bâtis les principaux bâtiments industriels (lavoirs, usines
et officines diverses, etc.), mais aussi des maisons ouvrières.
Non seulement les principaux puits d'extraction de l'époque se localisent
dans la partie haute de cette vallée mais la première maison d'administration
aussi est construite à cet endroit. C'est cet axe, nommé aussi de la "Vallée
Noire", qui sera l'âme de la vie productive (l'espace de travail, le haut lieu de
gérance des Mines et l'espace domestique) en rapport avec la ville (l'espace
public et espace domestique).
La ville de La Grand-Combe est également le noyau principal de
l'urbanisation du "pays minier", c'est le "centre" de la commune, comportant
dans la périphérie les hameaux: Trescol, Champclauson et La Levade. Les
hameaux reproduisent, en moindre proportion, les principes urbanistiques
tracés pour La Grand-Combe, par exemple celui de créer à partir du centre de
l'agglomération les voies principales qui donnent accès aux espaces de travail
situés dans les environs.
L'on accède aux villes-satellites par une route qui se prolonge au long de
la "vallée du Gardon". Cet axe se caractérise également comme une importante
zone de production; par contre, à cause du "Gardon", la ville de La GrandCombe ne se développera pas sur cet axe et il faut arriver à Trescol pour
retrouver un terrain favorable au développement d'un programme de
construction.(153)
A.1.) Le centre-ville.
Le centre de La Grand-Combe est le noyau de la ville, le centre urbain
proprement dit, où se concentrent les principales activités publiques et
collectives. Une urbanisation linéaire se développe, avec des bâtiments alignés
et contigus. Le centre-ville est du type traditionnel. Au coeur de la ville, la
Compagnie a fait construire une place du nom de Bouzac. Désormais, place
centrale et principale de la ville, elle dispose d'une fontaine et, plus tard, de
monuments et d'un kiosque à musique destiné aux concerts dominicaux de
l'Harmonie des Mines.
Suivant la logique initiale, dans le centre de la ville se concentrent les
bâtiments destinés aux principaux services urbains. Tout autour de la place
centrale sont édifiés les bâtiments les plus "somptueux" de la ville: une vaste
église est bâtie sur le plateau de Bouzac, sa fa‡ade donnant sur la place et le
Gardon et l'abside tournée vers la vallée, au nord. Son style est jugé "gothique"
par quelques historiens, "sans caractère" par d'autres, mais le plus souvent,
"sans attrait" par nos interviewés. Le clocher, avec ses quatre horloges visibles
aux quatre points cardinaux, marque le temps de la vie quotidienne; un
presbytère, entouré d'un jardin, adjacent à l'église, o— habite le clergé; un
hôpital d'une capacité de 4O lits, avec une pharmacie; une mairie, construite
sur trois étages. Au rez-de-chaussée, dans deux pièces (de 50 et 30mý), sont
implantés les différents services de la mairie. Au-dessus fonctionne une école.
D'autres écoles privées ont été construites sur la place; juxtaposée à la mairie,
est bâtie la caserne de gendarmerie. Selon l'appréciation d'un interviewé:
"Si vous regardez notre église, vous allez dire que c'est une église de
style parisien. Elle ne ressemble pas aux églises romanes de notre tradition
rurale. Ceci indique déjà que la classe dirigeante vient du bassin parisien. Si
vous regardez les anciennes maisons de la Compagnie comme la mairie,
l'ancienne gendarmerie, l'école, tout ‡a confirme un style "Parisien". Un type
d'architecture qui n'a aucun point commun avec celle, traditionnelle de la
région". (M. Wiénin).
L'observation des bâtiments publics ou religieux localisés au centre-ville
révèle l'apparition d'une conception plus urbaine de planification et plus
bourgeoise de construction (rationalité, ordre et économie), véritable signe de
l'origine régionale et du statut social des dirigeants de la Compagnie.
A partir de 1848, à La Grand-Combe, des immeubles de deux à trois
étages sont construits au centre-ville à l'initiative des particuliers et mis en
location. Deux types de maisons sont bâtis, destinées à deux groupes sociaux
différents. Ceci dit, le centre-ville proprement dit est caractérisé par deux
territoires qui se différencient par le type des bâtiments, par la fonctionnalité de
ces bâtiments et par la population qui y habite.
Dans les proximités de la place centrale, et surtout dans les rues et
avenues qui en partent, (ou dans les rues qui convergent vers la place) nous
voyons des immeubles dans d'un style "bourgeois". Notamment dans la rue
Salavert (aujourd'hui rue Pasteur), dans la rue de la République, dans la rue
François Beau (aujourd'hui rue Anatole France) et sur le boulevard Jules Callon
qui se prolonge par le boulevard Talabot.
Cossus, ces bâtiments sont destinés aux commerçants(154), employés
et contremaîtres de la Compagnie, professionnels libérales (médecins,
pharmaciens,
vétérinaires,
dentistes,
géomètres),
magistrats,
officiers
ministériels, directeurs des établissements publics, instituteurs, etc.
Dans l'axe qui part du centre-ville vers l'ouest, se prolonge la rue
nommée Salavert en 1846 (rue Pasteur aujourd'hui) jusqu'au carrefour avec la
rue Talabot (carrefour qui prend le nom de place Salavert). Très tôt, cette rue
concentrera d'importantes activités urbaines: successivement celles d'un
coiffeur, d'un hôtel, bureau de tabac, un bazar, une fabrique de limonades, une
librairie, un marchand de vêtements et de chaussures, des cafés, etc. Les gens
des divers groupes sociaux la fréquentent toujours d'avantage. Y habitent
notamment commer‡ants et employés, et, en raison de la proximité de l'hôpital
et des écoles, les médecins, pharmaciens, religieux et religieuses, infirmières,
sages-femmes, etc. L'important flux de circulation ne cessera de croître avec
l'apparition de nouveaux commerces et d'autres activités. Plus tard, d'autres
services, vecteurs de l'activité collective, s'y implanteront: le premier
cinéma(155) et la salle polyvalente (celle-ci construite par la Compagnie) près
de la place centrale. Plus qu'un espace de circulation et d'échanges
mercantiles, cette rue devient un espace de rencontre et d'échanges culturels.
Aujourd'hui, elle demeure la rue la plus vivante de la ville.
Au sud de la place Bouzac, le boulevard qui mène à la gare prend le
nom de Talabot, en hommage à Paulin Talabot, constructeur de la voie ferrée,
parallèle à cette rue. En fait, cette avenue commence place Salavert sous le
nom de boulevard Jules Callon, en hommage au premier ingénieur-chef de la
Compagnie. C'est une des voies privilégiées d'accès à la ville, puisqu'elle établit
la liaison la plus directe, à partir du centre-ville, entre La Grand-Combe/Trescol,
La Levade, Champclauson; La Grand-Combe-Les Salles du Gardon et d'accès
à la route nationale. Il n'est pas sans importance que la toponymie des rues
centrales rende précisément hommage au patronat de la Compagnie.
En outre, du centre partent d'autres importantes artères. Celle qui
commence au niveau de l'abside de l'église et va en direction de la rue de la
Verrerie (nous parlons de cette rue plus loin) porte le nom de Fran‡ois Beau,
directeur de l'exploitation à partir de 1850. C'est une des rues qui compte des
"bâtiments aisés", ornés de balcons et habités par des commer‡ants et des
employés de la Compagnie et de l'Etat:
"C'est la rue des maîtres-mineurs, si vous voulez, ou alors des mineurs
qualifiés, d'encadrement, et quelques commer‡ants. L'architecture est adaptée
à la ville minière et les balcons en fer ont été fabriqués dans les fourneaux sur
La Grand-Combe. Ces balcons métalliques sont un signe d'appartenance à une
classe relativement aisée. Si vous suivez cette rue vers les puits, rue de la
Clède, rue des Poilus, ou le vieux quartier minier de la Fourgère, vous voyez se
succéder une hiérarchisation spatiale très nette. Au fur et à mesure qu'on
s'éloigne de la partie centrale et de l'axe dominant on va dans la direction des
quartiers les plus pauvres. Enfin, lorsqu'on se rapproche du quartier productif,
on trouve le quartier plus ouvrier, celui qui est en train d'être démoli". (M.
Wiénin, interview réalisée en février 1988).
Un atelier d'horlogerie semble jouer le rôle de frontière entre cette zone
plus "ostentatoire" et celle qui débute dans la rue de la Verrerie (rue des Poilus)
avec ses maisons et boutiques plus modestes.
En partant de la place Bouzac, un des accès à la zone Est de la ville se
fait par la rue de la République, importante voie qui débouche sur la partie
basse de la vallée de La Grand-Combe, le quartier de la Clède: intermédiaire
entre la place centrale et ce quartier populaire. Cette disposition oppose ces
deux zones et crée une certaine hiérarchie des lieux, puisque la rue de la
République est dominé par les immeubles urbains des plus favorisés, révélant
le statut de ses habitants (commer‡ants, cadres, employés administratifs). De
plus, quelques établissements révèlent la diversité des activités, d'une part
commerciales (chapellerie, boutique de journaux, pâtisserie), d'autre part
administratives: la "maison de la gendarmerie", l'école des garçons, et dans
l'angle avec la rue Nationale (aujourd'hui Emile Zola), la poste.
Parmi les rues secondaires du centre-ville également importantes, nous
citerons la rue Sainte-Barbe, perpendiculaire à l'abside de l'église et qui, en
forte pente, relie la rue de la Clède (partie basse) à un carrefour. Celui-ci est
dénommé à partir de 1899 Place Mathieu Lacroix(156). Sur cette place,
quelques années plus tard, un presbytère protestant (avec une salle de
réunion) est bâti, lieu de rencontre pour les membres de cette communauté.
Deux rues relient cette place à la rue Salavert: la rue St-Vincent et la rue Raoul
Mourier. Rues de résidence elles aussi, elles sont surtout utilisées comme
passage entre cette place et la rue Salavert.
Dans la partie nord-ouest du centre, toutes les rues donnent accès au
cimetière catholique dans les quartiers Salavert (aujourd'hui St-Vincent) et au
petit cimetière protestant placé à côté de la place de l'Arboux. Celle-ci est le
seuil d'accès au quartier du même nom. Il s'agit de la colline d'Arboux qui,
pendant le XIXe siècle, garde une physionomie de campagne avec ces mas
disséminés avec ses pins et châtaigniers(157).
Le bas de la ville (sur la rive gauche du Gardon) est, alors, une zone
facilement inondable ("les gardonnades") et, de ce fait, pas encore approprié
aux constructions. Ce n'est que vers 1920 que ces quartiers - Les Pelouses,
Brugas, Le Riste - seront aménagés dans le cadre d'un important programme
de construction.
Suivant le projet de l'Administration(158), le centre de la ville est relié aux
vallées à partir de deux raies qui partent de la place centrale et qui forment
l'armature proprement urbaine de La Grand-Combe: l'une relie la place à la
"vallée de la Grand-Combe", l'autre à la "vallée du Gardon". Un troisième raie
relie le centre à la gare. Celle-ci est située dans le quartier de la Pise, d'o— son
nom, "Gare La Grand-Combe/La Pise".
A.2.) La "vallée de la Grand-Combe".
La "vallée de la Grand-Combe" sera l'épine dorsale de la vie économicoindustrielle de la ville. Elle se caractérise en deux zones: la partie basse de la
vallée qui coupe la ville en deux et la partie haute, o— se situent d'importants
puits d'extraction et les quartiers "la Grand-Combe" et "Airolle".
La partie basse de la "vallée de la Grand-Combe" se situe dans les
franges du centre-ville, autrement dit, c'est la "partie basse du centre-ville". Cet
axe compte les rues les plus populeuses (et populaires), par la plus forte
concentration des ménages ouvriers, des bâtiments plus modestes à deux
étages, mais, et surtout, ce sont ces rues qui servent de parcours pour accéder
aux divers lieux de travail situés tout au long de la vallée. Tantôt côté droit,
tantôt côté gauche, les rues s'allongent le long de la "vallée de la GrandCombe": la rue de la Clède, la rue de la Verrerie et la rue de la Grand-Combe,
côté ouest et, la rue de la Pise et la rue Frugères, côté est. Toutes ces rues
sont très poussiéreuses. Quelques puits d'extraction sont tout proches.
A vrai dire, la partie basse et la partie haute de la "vallée de la GrandCombe" sont zones caractérisées en tant qu'espace d'habitation et en tant que
zone productive. L'espace du travail et l'espace domestique se développent
ainsi mêlés, comme l'observe l'ingénieur Flechon:
"A la sortie de la galerie Sainte-Barbe, d'un côté de la vallée se
pressaient les ateliers o— le charbon brut était débarrassé de ses pierres, lavé
et calibré; o— les produits fins, mêlés au brai, donnaient, dans de fortes
presses, des ovo‹des et des briquettes de grande réputation. Sur l'autre rive
s'allongeaient des parcs o— s'entassaient, en hautes meules cubiques, les bois
destinés au soutènement des galeries. Et toutes ces installations industrielles
enserraient étroitement les cités o— logeait le personnel, faisant participer,
dans une promiscuité vivante, mais malsaine par l'air pollué que l'on y respirait,
toute la population, aux vicissitudes de l'activité dont elle dépendait".(159)
En bordant la vallée de La Grand-Combe, la rue de la Clède va du rondpoint de la gare (o— elle rejoint le Gardon) au carrefour des les rues de la
Verrerie (rue des Poilus) et François Beau (rue Anatole France). C'est une zone
à forte densité ouvrière, avec ses bâtiments alignés sur la rue qui se succèdent
accolés latéralement. Dans cette rue, zone de passage importante pour
accéder aux lieux de travail, se trouvent plusieurs cafés, un cabaret, des
bureaux de tabac, des petites boutiques exploitées par des artisans
(cordonniers, coiffeurs, tailleurs, etc.). A la gare commence la rue, frontière
avec le quartier de la Pise. C'est un lieu de va-et-vient constant lié à l'afflux des
voyageurs venant de l'extérieur. Tout proche de la rue de la Verrerie (dans
l'angle qu'elle forme avec le mas Laffont), se trouve le lavoir public(160): les
femmes de mineurs s'y rassemblent quotidiennement pour faire la lessive à la
force des bras, jusqu'aux années 1950. C'est là aussi que la Compagnie a
installé la première salle des fêtes pour le personnel. Ainsi, plus qu'une zone de
résidence avec les rapports que cela implique (rapport familial, et de voisinage),
elle concentre de multiples activités (ludiques, par exemple) qui jouent un rôle
important de socialisation ouvrière.
"La rue de la Clède longeait l'usine d'agglomération, la centrale
électrique et le lavoir de La Frugère. Elle était très poussiéreuse, crasseuse
même, les gamins, cruels, l'appelaient, le quartier des pouilleux. Là, s'entassait,
dans des appartements sombres au confort plus que sommaire, une population
très hétérogène (venue de partout). Plusieurs commerces, des cafés surtout
une salle des fêtes et une maison close ('chez David') la seule officielle de la
ville (...)".(161)
La rue de la Clède débouche sur une autre rue habitée massivement par
des ménages ouvriers: la rue de la Verrerie (dénommée, depuis la Grande
Guerre, rue des Poilus). Les historiens du pays décrivent l'importance de ces
rues "au temps de la Compagnie":
"Ce quartier ne faillit pas à la tradition de l'esprit minier, il était très vivant
et animé - l'on twistait dans les caves. Jusqu'à l'après-guerre, la rue de la
Clède, la rue des Poilus et rue de la Grand-Combe vont constituer l'âme de La
Grand-Combe".(162)
En effet, la rue de la Verrerie (rue des Poilus), prend, plus au nord le
nom de rue de la Grand-Combe et se prolonge le long de la "vallée de la
Grand-Combe", en faible pente, jusqu'aux collines de Sainte-Barbe et d'Airolle,
où se trouvent d'autres puits et galeries de mine, un atelier de triage et
plusieurs casernes, outre une fabrique de verre "produit avec la houille
locale"(163). Elle aussi comporte des cafés et des petites boutiques (épiciers,
tailleurs, etc.). Vers les années 1900, la coopérative des mineurs y est bâtie.
Déjà lieu de résidence et zone de passage aux heures de sortie et de rentrée
des casernes, elle devient une importante zone d'approvisionnement.
Les cafés les plus fréquentés sont situés sur les chemins empruntés par
les mineurs rentrant du travail. Ils s'y arrêtaient pour un apéritif, une partie de
cartes, pour bavarder avec un ami avant de rentrer dans les casernes.
Important espace social masculin, le mouvement s'intensifiait en particulier à
chaque quinzaine après la paie et le dimanche. Certes, la fréquentation des
cafés n'est pas appréciée et même déconseillée par la Compagnie. Mais les
cafés sont tolérés, dans la mesure même o— il semble impossible d'interdire
l'existence de ces lieux de rencontre et de détente, véritables "institutions" de la
culture ouvrière. Les clients du quartier avaient même leurs habitudes tout
particulières:
"(...) les cabaretiers avaient trouvé un moyen habile pour se constituer
une clientèle fixe: chaque mineur possédait, dans le café qu'il s'était choisi sa
propre bouteille d'absinthe, marquée à son nom; et il en buvait un peu, chaque
jour, en sortant de la mine ou de l'atelier et le dimanche, après la messe, avant
d'aller déjeuner".(164)
En traversant cette vallée d'ouest en est, l'on rencontre les quartiers de
la Frugère et de la Pise, qui s'étendent toujours au bord de la "vallée de la
Grand-Combe". Ici sont installés différents ateliers, définissant ce lieu en
espace de travail. Dans le quartier de La Pise, une fonderie pour la production
de zinc s'installera dès 1846. Les ateliers y sont concentrés, comme ceux des
usines d'agglomération, les fours à coke(165) et, plus tard, ceux de la
briqueterie et l'usine centrale électrique de La Pise(166). Dans le quartier de La
Frugère se trouvent implantés les services de lavage central (lavoir de Frugère)
et l'embarcadère de charbon(167), etc. Mais c'est aussi un important espace
d'habitation, où les casernes alternent ici et là avec les ateliers. A vrai dire, dans
la rue de la Pise et la rue Frugères, lieux de résidence et zone d'activité
productive cohabitent, l'on pourrait dire qu'ils se mêlent.
Dans le haut de la "vallée de La Grand-Combe" et située à la périphérie
urbaine - au pied des collines Sainte-Barbe et d'Airolle - le quartier de la
"Grand-Combe" est choisi pour construire le premier siège de l'Administration,
la maison du Directeur de l'Exploitation et les maisons des ingénieurs. Toujours
dans le haut de la vallée, mais cette fois proche des prospections qui
deviendront les puits de La Forêt et de Sainte-Barbe, les premières maisons
ouvrières sont bâties. En 1846, ce quartier compte déjà un important nombre de
maisons et d'habitants.(168)
Dans cette zone - le haut de cette vallée - se concentreront donc le
centre administratif de la Compagnie - qui sera éloigné du centre-ville jusqu'en
1923 - les principaux bâtiments industriels et de nombreuses habitations
ouvrières.
A.3.) La "vallée du Gardon".
C'est la route du Gouffre, qui court parallèle à la vallée du Gardon, reliant
la ville de La Grand-Combe aux hameaux de Trescol, La Levade et
Champclauson. Du centre de La Grand-Combe, l'on accède à cette route à
partir de la place Salavert.
Les hameaux, de leur côté, se bâtissent de plus en plus. Trescol, le plus
gros des hameaux de La Grand-Combe, connaît une importante concentration
de casernes.(169) A Trescol est construit également le principal atelier de triage
de charbon proche de la voie ferrée. Celui-ci présente un aspect assez
particulier, pour être un des seuls chantiers o— la Compagnie emploie des
femmes (les placières). Dans la citation ci-dessous sur Trescol, les historiens
attirent l'attention sur la proximité des espaces de production et résidentiels:
"Un passage à niveau franchi, le visiteur longeait une caserne sordide et
nauséabonde, puis empruntait une rue en forte pente serpentant entre les
installations du triage à gauche, et, à droite, quelques maisons collées les unes
aux autres, ou séparées par un compresseur bruyant et un plan incliné par o—
descendaient les berlines amenant sur la place de Trescol - le charbon venant
des galeries de Champclauson ou des puits du Ravin et de la Fontaine".(170)
De la même manière qu'à La Grand-Combe, sur la place centrale se
trouve l'église, mais il s'agit dans ce cas d'un Temple Protestant. A deux pas de
là se trouvent le puits du Gouffre número 2 et une fontaine publique qui
ravitaille la population en eau. Tout cela explique l'important va-et-vient sur la
place, où "Trescoliennes et Trescoliens venaient (...) souvent tailler une
bavette"(171).
Le hameau de La Levade, à l'image des autres, présente la même
structure spatiale avec l'église catholique au faîte de la rue en pente, la rue de
l'Eglise. Celle-ci constitue avec la rue de l'Ecole (car c'est là o— se trouve
l'école) les deux axes principaux du village.
Dès les premières années d'existence de la nouvelle commune, la
Compagnie établit à La Levade une annexe du bureau de l'administration(172).
Elle se situe à l'angle de la rue des Ecoles et de la rue de l'Eglise et une annexe
de la mairie y fonctionne aussi. De l'autre côté de la rue se situe la gare,
importante structure pour le transport de la production, mais aussi, pour le
village, une voie de communication avec les environs. Située sur la rive gauche
du Gardon, la particularité de cette localité est le voisinage avec le hameau des
Taillades appartenant à la commune de Branoux dont elle est séparée par le
Gardon et reliée (depuis 1875) par un pont métallique. A partir de 1896/97, ce
village est le siège d'une brigade de gendarmerie (brigade à pied et brigade à
cheval).
Distant de deux kilomètres au nord de Trescol, le hameau de
Champclauson est atteint par une "route tortueuse et pentue"(173). Le
troisième hameau de la commune garde encore les traces des casernes o—
s'entassaient les travailleurs et leurs familles, juste à côté de l'entrée du puits
d'extraction situé au coeur du village o— les familles des mineurs ont habité
jusqu'à récemment (années 1970).
"Avant de monter ici on habitait dans les casernes en pierre de la
Compagnie, là en bas, c'était la caserne des mineurs à côté du puits de mine.
C'était je crois les premières casernes ici (à Champclauson)... vous aviez
d'avoir vu dans le passage sur le pont on habitait là et, vous savez, là, on avait
deux pièces, pas de confort, rien du tout. On était bien quand même". (M.
Bertaux. Mineur retraité).
Champclauson, définiront les historiens, c'est "une bourgade minière
typique, o— ateliers, habitations, chapelle catholique, tous construits par la
Compagnie, se côtoient"(174).
A.4.) La rive droite du "Gardon".
Quand le sujet en question est le processus de développement du tissu
urbain de La Grand-Combe, l'on doit tenir compte de l'existence des communes
limitrophes situées sur la rive droite du "Gardon", telles que Salles-du-Gardon
(la commune voisine) et Branoux-Les Taillades. Cela parce que sur ces
communes la Compagnie a fait construire des bâtiments pour accueillir un
certain nombre d'ouvriers travaillant dans les mines. Ces communes, malgré
cet accueil à une nouvelle population ouvrière, restent typiquement rurales
puisque, en fait, les chantiers de travail (les prospections minières) se trouvent,
dans leur majorité, localisés sur la rive gauche de la rivière (commune de La
Grand-Combe). Pour traverser journellement le "Gardon", les mineurs utilisaient
les "passes" naturelles, c'est-à-dire, "des pierres alignées dans le lit du
Gardon", ou alors les "passerelles en bois, tout à fait sommaires et assez
dangereuses
les
nuits
sans
lune,
qui
étaient
emportées
à
chaque
'gardonnade'".(175) C'est seulement avec la construction des ponts reliant La
Levade et Taillades, Salles-du-Gardon et La Grand-Combe (quartiers du Riste
et de La Pise), que les conditions d'accès au travail pour ces ouvriers habitants
de la rive droite du Gardon se sont améliorées.
B) HABITER "AU TEMPS DE LA COMPAGNIE".
La création de la commune voit une accélération immédiate de la
transformation de l'environnement rural en un espace urbain. Un programme de
construction a été entrepris pour accueillir une population qui ne cesse de
croître du fait de l'augmentation massive de la main-d'oeuvre. Les biens
immobiliers de la Compagnie sont importants: bâtiments industriels et
administratifs, bâtiments publics, logements pour les ouvriers, maisons pour les
employés, pour les ingénieurs, les médecins, les instituteurs, les prêtres, etc.,
tout se construit rapidement, non sans définir la position sociale précise de
chacun dans l'espace de la ville nouvellement créée, y imprimant son ordre
hiérarchique.(176)
En effet, les types de constructions et la distribution spatiale
correspondront aux hiérarchies instituées dans le processus de répartition des
tâches dans le monde du travail: ce que Frey appelle "la dynamique statutaire
des différents groupes sociaux"(177). Ainsi, les ingénieurs et cadres dirigeants
de la Compagnie habitent des villas, les commer‡ants, les professions
libérales, les employés de bureau, les ouvriers d'encadrement ("contremaîtres",
les "chefs porions") résident davantage dans des immeubles du centre-ville ou
dans les quartiers qui leur sont attribués. Par contre, les ouvriers résident dans
des logements construits par la Compagnie. Ceux-ci habitent, qui des
baraquements, qui dans des casernes, qui dans des maisonnettes et, plus
rarement, dans le mas familial. Quelques-uns prennent pension chez les
particuliers (surtout les célibataires), d'autres s'établissent avec leurs familles
dans les différents quartiers ouvriers.
B.1.) Les Casernes.
Les premières maisons destinées à loger les ouvriers étaient du type
caserne, modèle dont l'origine sont les concentrations du type militaire, avec
leur alignement uniforme. Ce type, très répandu au XIXe siècle, a été
massivement adopté par les industriels pour loger les ouvriers. Ces habitations
ouvrières, peu co–teuses par leur architecture et les matériaux utilisés, sont
constituées de bâtiments très longs, comportant généralement un étage.
Chaque logement comporte deux pièces dans la largeur de la construction (et
plus rarement, trois pièces). Chaque "caserne" correspond à un corps de
bâtiment. Une "habitation" regroupe plusieurs casernes juxtaposées et/ou
superposées.
En outre, les baraquements en bois ont également été souvent proposés
comme réponse hâtive, sommaire et immédiate à la pénurie de logements
destinés à accueillir une nouvelle population.
Toutes les habitations ouvrières construites par, ou sur commande de la
Compagnie, ont été désignées "casernes"(178). Même reconstruites et
améliorées, elles demeurent ainsi désignées dans les rapports du Conseil de
l'Administration de la Compagnie des Mines et, ainsi nommées, encore
aujourd'hui, par les habitants locaux. La note suivante le démontre:
"A part l'essai fait après la guerre de 1914-1918 aux mines de La GrandCombe o— une cité, celle de Ribes, avec plan d'urbanisme, maisons
indépendantes et jardin fut édifiée, on peut dire que les 'logements ouvriers'
étaient plus souvent du type 'casernes' comme l'on peut en voir encore un peu
partout dans le bassin minier".(179)
Les premières maisons ouvrières ont été bâties dans le haut de la "vallée
de la Grand-Combe", dans le quartier du même nom, à l'extérieur de la ville, et
étaient destinées principalement à des mineurs: il s'agit d'un groupe de
casernes construites par la Compagnie sur un terrain lui appartenant depuis
1836. Bâties en 1837/38, elles sont nommées les "Casernes Neuves"(180). Si
l'on en croit le discours officiel, elles "ont été autant que possible adaptées au
climat et au genre de vie de leurs occupants"(181), c'est-à-dire, à la conception
de l'habitat en milieu rural. A ce moment-là, elles se composent de 5 casernes
avec rez-de-chaussée et lø étage, chacune composant un corps séparé de
bâtiments abritant un total de 240 logements. Elles sont juxtaposées, avec
alignement des façades sur la rue. L'accès à chaque appartement se fait
séparément et la porte d'entrée accède directement à la pièce principale: la
cuisine, pièce où la vie familiale se déroule principalement. On peut,
vraisemblablement, considérer celle-ci comme la structure spatiale la plus
courante du milieu ouvrier à La Grand-Combe(182):
"A l'intérieur d'une maison traditionnelle du mineur, vous avez en général
deux pièces, la cuisine, ce qu'on appelle en tout cas cuisine, est la salle à tout
faire, et puis une chambre à côté pour toute la famille. Le plus souvent le
chauffage est une cuisinière à charbon". (M. Wiénin).
Chaque appartement au rez-de-chaussée permet une relation directe
entre cette pièce et l'extérieur (la rue), rappel du mode de vie rurale traditionnel.
Une autre porte, attenante, donne accès à un escalier intérieur desservant
l'étage. La culture potagère est possible en utilisant les champs situés derrière.
Mais les conditions sont spécifiques: puisqu'on est sur la colline, la culture y est
pratiquée en terrasses.
La caserne número 4, encore existante, abritait à l'époque 25 pièces
habitables sur deux plans, c'est-à-dire 13 appartements et 8 caves, dont 12
appartements de deux pièces; une cuisine par devant (4m80 sur 5m40) et une
chambre donnant sur l'arrière (5m55 sur 5m6O), un seul appartement ne
comprenait qu'une pièce(183). On accède au rez-de-chaussée par la fa‡ade.
Pour accéder à l'étage, on utilise un escalier intérieur. La porte d'entrée de
chaque appartement accède directement à la "cuisine". Les toilettes n'existent
pas et "on jetait les ordures dans le fossé en face (...) une odeur
épouvantable...". (Mme Combet, épouse de mineur retraité).
Dans ces premières décennies - nous l'avons déjà mentionné - le haut
de la vallée (quartier de La Grand-Combe, quartier de l'Airolle) est
considérablement peuplé. En 1851, le quartier de la Grand-Combe compte
alors pour une population de 5OO personnes (et 117 ménages) 11
"habitations", et celui d'Airolle compte 3 "habitations" pour loger 129 personnes
ou 31 ménages. Depuis cette époque-là, le nombre de la population de ces
quartiers s'est stabilisé. Vers 1882, ce quartier est nommé "La Forêt", nom du
puits d'extraction qui y est creusé(184). A l'orée de ce domaine, d'autres
casernes sont érigés, notamment celle du Coke et la caserne Vieille (au pied de
la colline de Sainte-Barbe).
Dès 1841, sur tout le territoire de la Compagnie, les casernes poussent comme
des champignons, tantôt construites par la Compagnie même, tantôt par des
particuliers sur les terrains lui appartenant.(185)
Partout ont été construites des maisons alignées dans des rues qui se
ressemblent. Elles portent souvent le nom de leurs constructeurs. D'autres
casernes construites par la Compagnie portent des noms divers, parfois de la
localité, parfois du puits les plus proche.
Ces casernes ne sont pas pourvues de jardins, l'étroitesse des terrains
ne le permettant pas, mais les mineurs ont accès aux terrains de la Compagnie
où, pour un loyer minime, ils peuvent pratiquer la culture potagère.
Tous les bâtiments, dénommés "casernes", n'ont pas la fonction d'une
résidence pour les ouvriers. C'est le cas des casernes construites par MM.
Santet qui servent, à Champclauson, de magasin-aux-vivres, de logements
pour l'employé du magasin, de boulangerie (à côté du logement d'ouvriers) et, à
La Levade, de magasin-aux-vivres et de logement pour le premier commis, etc.
D'ordinaire, la porte d'entrée au rez-de-chaussée donne sur la rue.
L'étage supérieur est desservi par un escalier extérieur, en général latéral au
bâtiment, qui donne sur un corridor intérieur commun aux appartements. On
trouve aussi, le cas d'entrées plus "individualisées": les portes d'entrée sont
séparées - à l'exemple du type des Casernes Neuves - et on accède à chaque
logement supérieur par un escalier intérieur du bâtiment. Les W.-C. individuels
et la douche ne font leur apparition, à l'intérieur de la maison, qu'après la
Deuxième Grande Guerre. Les latrines sont toujours collectives, situées
normalement derrière les casernes.(186)
En 1848, les habitations pour les ouvriers dispersées sur tout le territoire
et appartenant à la Compagnie (entre La Grand-Combe, Champclauson,
Trescol, La Levade, La Trouche, La Pise, Laval, etc.), sont constituées par 18
groupes de casernes de 1 à 2 pièces (plus rarement 3 pièces), à un ou deux
étages.
Il s'y ajoute d'autres casernes construites depuis 1848, par l'initiative
privée, dans les bordures de la partie basse de la vallée de La Grand-Combe et
du chemin de fer: dans les quartiers de la Clède, de la Verrerie, de la Pise, le
Fougère. Destinées aux ménages ouvriers, ce sont, d'après Gaillard, des
maisons "d'allure assez pauvre", à deux étages, destinées à loger les mineurs
et, selon Mariette, modestes et basses(187). Celles qui ne sont pas rachetées
par la Compagnie, demeurent exploitées par des particuliers où les célibataires
et veufs prennent très souvent pension(188).
Elles sont en général à deux niveaux (de deux pièces qui se
commandent), chaque étage comprenant de deux à quatre logements: chaque
"ménage" dispose de deux pièces (une cuisine et une chambre) et d'un "réduit
obscur"(189) (cave à charbon). Elles sont alignées sur la rue. Les cuisines
donnent généralement sur la rue et les chambres, sur le puits. La porte d'entrée
sur fa‡ade est commune aux rez-de-chaussée et aux étages supérieurs. Le
resserrement spatial est évident dans ces petites pièces d'environ 25 à 30 mý,
prévues pour loger des familles de 5 à 10 personnes(190). D'ailleurs,
l'alignement sur la rue et l'étroitesse des habitations nous permettent d'émettre
l'hypothèse d'un rapport étroit entre l'intérieur et l'extérieur - espace
public/espace domestique - dans lequel la rue demeure l'extension de
l'habitation. Malgré une vie étroitement surveillée par le patronat, la rue est
l'important lieu de production et d'échanges sociaux de la classe ouvrière: lieu
de passage, de rencontre, lieu de rapports de voisinage et de socialisation
enfantine(191).
Les maisons construites dans les parties à grande déclivité sont
adaptées au terrain: on accède aux appartements par un long balcon commun
situé en fa‡ade, d'où partent les escaliers latéraux donnant accès aux étages
supérieurs (comme la rue des Lavoirs ou la rue de l'Escalier, perpendiculaires à
rue de la Clède, partie basse du centre-ville).
Jusqu'à la dernière décennie du XIXe siècle, le quartier à plus haute
densité est celui nommé "Casernes Basses" ou "Casernes des Mineurs". Elles
se situent près du puits de Sainte-Barbe, c'est-à-dire, à peu près au point qui
caractérise le milieu de la "vallée de la Grand-Combe". Destiné aux ouvriers, ce
quartier est constitué par un ensemble de casernes alignées au bord de la rue
de la Grand-Combe. De caractère typiquement collectiviste(192), cet ensemble
de bâtiments se répartit sur les deux côtés de la rue, avec des façades
identiques. En 1846, ce quartier comprend 9 "habitations" où résident 779
individus, soit 93 ménages. La majorité des occupants travaillent comme
mineurs dans la Compagnie et une minorité exerce des activités diverses(193).
Surpeuplés sont les logements situés dans les Casernes Basses. En
1851, se concentre toujours le nombre le plus important d'habitants par
quartier: 87O personnes (soit 204 ménages) sur seulement 11 "habitations"
(groupe de casernes). En 1856, alors que le nombre d'habitations est recensé à
8, les Casernes Basses sont habités par 1.016 individus. Dans ce groupe, la
caserne "Elise", construite en 1841 par M. Bourdaloue (sur un terrain d'une
superficie de 3.350mý appartenant à la Compagnie), est devenue aussitôt une
des plus peuplées. Elle comprenait 3 corps de bâtiments de 2O appartements
au rez-de-chaussée. La porte d'entrée donnait sur la rue de la Grand-Combe, le
seul accès d'ailleurs sur la rue, puisque les chambres situées à l'arrière
donnaient sur la "vallée de la Grand-Combe". En 1844, suite à la détérioration
des toitures, M. Bourdaloue élève la construction d'un étage, correspondant à
un total de 120 pièces supplémentaires(194).
Face à la "surhabitation" dans les casernes, d'une manière générale, et
fur et à mesure que la population laborieuse augmente, les logements ne
suffisent plus pour recevoir tous les nouveaux venus. Par conséquent, habiter
les casernes est synonyme d'entassement - "les maisons étaient habitées de la
cave au grenier"(195) - et d'insalubrité:
"C'est ainsi que La Grand-Combe étalait (...) ses casernes (...), maisons
sordides alignées le long du ruisseau noirâtre qui captait ensemble les eaux
usées par les hommes et par les laveries de charbon".(196)
M. Landes, dans le récit de son passé, fait allusion à la petitesse de
l'habitation attribuée à son père et à sa famille, au grand "mélange" ethnique du
quartier et aux "bons souvenirs" liés à la solidarité d'autrefois dans les rapports
de voisinage. Quoiqu'évoquant une époque plus récente (années 1930/40), son
observation nous permet de reproduire un exemple des pratiques et du mode
de sociabilité qui fondaient les rapports dans le quotidien des familles "au temps
de la Compagnie":
"Moi, je suis né à La Grand-Combe dans la rue de la Clède. Ils viennent
de démolir la maison où je suis né (1989). Notre maison était du côté mine, et
tout ‡a a été démoli ‡a fait six mois. Je suis né dans cette maison et j'ai vécu
trois ans dans une autre, à la Clède, près de l'escalier, là où il y avait un lavoir.
Je pourrais vous raconter les conditions de vie parce que j'en ai un assez bon
souvenir. Nous vivions dans une cave, c'était une pièce réduite, noire. J'ai le
souvenir de la couleur de l'ambiance gris-jaune de mes rêves d'alors. Cela
explique un peu la couleur de mes peintures que je vous ai montrées. On vivait
dans cette cave, on n'avait rien, on était une famille nombreuse (à l'époque 6
enfants). Mais on était bien. Il y avait une ambiance qu'on ne voit plus
aujourd'hui. On avait des voisins étrangers, mais c'était tous la même famille. Il
fallait s'aider. Il y avait pas mal de familles nombreuses, d'ailleurs. A l'époque il
y avait, c'est vrai, les allocations familiales qui permettaient de vivre mieux avec
les enfants, mais surtout il y avait le problème d'hygiène, les problèmes
médicaux, etc. Les moyens de contraception à l'époque n'étaient pas
développés et il y avait la religion... Pendant des années nous avons vécu dans
ce quartier très populaire. Il y avait des italiens, des espagnols, des fran‡ais,
des gavots cévenols, toutes les ethnies étaient représentées. A l'époque, il n'y
avait pas la télévision, alors on jouait dans la rue, nous les gamins. Il y avait un
personnage célèbre, une dame très forte qui nous faisait peur. On la taquinait et
puis on se cachait. C'était drôle. Le soir on allait chez un voisin, mon père jouait
aux cartes, on chantait. Puis les gens s'aimaient bien, il y avait de bons
rapports. Nos amis les plus proches, c'étaient nos voisins, les Martinez, une
famille espagnole, mais tout le monde vivait ensemble. Chacun avait son
appartement, c'est s–r, mais tout le monde se connaissait et il n'y avait pas de
problèmes raciaux." (M. Landes. Mineur retraité, fils de mineur).
Toutefois, la promiscuité comme tout comportement considéré comme
immorale, est surveillée par les mouchards (à la solde de la Compagnie) et par
le clergé.(197)
Non seulement la construction de l'habitation n'est pas régie par
l'institution familiale, elles l'est par la Compagnie, mais encore celle-ci contrôle
le "bon fonctionnement" de cette "institution" à l'intérieur de l'espace par elle
réglementé. En 1876, plus de 1.500 familles (ou personnes seules) résident
dans les logements construits par la Compagnie, ou pour elles loués à ces
fins.(198)
En ce qui concerne la commune dans sa totalité, en 1886, le parc
immobilier est assez développé(199). Selon le recensement de cette année-là,
pour une population résidente d'un total de 11.341 personnes, dont 11.248
résidents présents et 93 résidents absents, le nombre des "habitations"
occupées est de 649 (dont 3 vacantes). Le nombre d'appartements ou
logements occupés sont de 3.195 (dont 248 se trouvent alors vacants).(200)
B.2.) Les mas.(201)
L'apparition d'une industrie dans une région rurale entraîne, sur la
commune, la coexistence de différents types architecturaux qui contrastent:
maisons anciennes du type rural par opposition aux casernes con‡ues selon
une nouvelle rationalisation du logis.
Avant la fondation de la ville, la région est essentiellement agricole. Y
vécurent des générations de paysans cévenols, en général propriétaires
fonciers résidant dans un mas avec leur groupe domestique.
Les mas ont quelquefois été rachetées par la Compagnie ou par des
particuliers. Dans d'autres cas, ils sont restés à l'usage du propriétaire et de son
groupe domestique. Face à l'emprise industrielle et urbaine, plusieurs d'entre
ceux acquis par la Compagnie ont été démolis pour faire place aux
établissements industriels et publics(202). C'est le cas des mas existant dans
les quartiers du FESC et des Oules, achetés par la Compagnie.
Certains quartiers recensés en 1846 sont en réalité des propriétés
foncières (un mas), offrant la particularité que les propriétaires et leurs enfants,
quoique restant dans leur propriété, travaillent dans la mine(203).
Nous avons effectué des recherches, à titre d'exemple, sur le mas
Puech. Dans le premier recensement de La Grand-Combe (1846), M. Jean
Fran‡ois Puech est le propriétaire de cette ferme. Il a alors 49 ans, catholique, il
est marié et père de 7 enfants (2 fils et 5 filles) et travaille comme mineur pour
la Compagnie. En 1866, les fils et un gendre co-résident dans la propriété et
travaillent pour la Compagnie comme manoeuvres. Ce fermier entretient sa
propriété, au moins jusqu'au recensement de 1876 (il a alors 79 ans), et déclare
encore une double identité professionnelle. A cette date, son fils aîné, marié et
père de deux gar‡ons, habite toujours la propriété et travaille comme mineur.
En 1886, c'est la dernière fois que le mas Puech est recensé, mais cette fois
dans la section de la population dite éparse comme ferme (4 personnes y
habitent encore).
Quelle qu'ait pu être la quantité des fermiers, nous pouvons supposer
qu'ils pratiquaient une double activité (la culture et la mine). C'est, en tout cas,
ce que l'analyse du recensement de 1866 permet de déduire, puisque les
propriétaires ruraux vivant uniquement de leurs terres ou les cultivant eux-
mêmes, sur la commune, sont au nombre de 2. En 1872, la répartition par
branche d'activité sur la commune de La Grand-Combe indique l'existence d'un
seul fermier vivant uniquement de l'exploitation foncière(204).
Malgré la diminution des activités agricoles, divers mas restent figées
par-ci, par-là, dans ce nouveau tissu urbain, témoignant de l'origine rurale de
l'environnement. Quelques anciens propriétaires conservent ainsi, du moins
pendant une certaine période, leur propriété et y habitent avec leur famille.
C'est l'exemple de la famille de M. Orsel, mineur retraité qui habite entre les
quartiers de la Pise et Ribes dans une grande maison d'origine rurale qui a
toujours appartenu à la famille. Bien s–r, elle a été transformée, au fur et à
mesure, mais elle est restée, par suite d'héritages dans la même famille. Ses
ascendants étaient les paysans-mineurs typiques, puisque tout en restant sur le
lopin de terre, selon lui, "depuis l'exploitation de charbon, la famille 'Orsel' a
travaillé dans les mines" (au moins 5 générations).
Le type de maison isolée et le principe d'occupation des parcelles
distinguent les conditions d'habitat de ces familles de celles habitant les
casernes à occupation collective. Gaillard repère la présence de quelques mas
sur les quartiers de La Pelouse, Le Riste et Brugas. Ce sont des petites
maisons individuelles situées non loin de la voie ferrée et proche du Gardon:
des "maisonnettes entourées de jardins, véritable exception dans une ville, o—
faute de place, le mineur dispose très rarement d'un lopin de terre à cultiver
près de son habitation"(205). Mais, si le domaine foncier reste un privilège, ceci
n'est pas toujours synonyme de supériorité de confort à l'intérieur des maisons.
Selon M. Wiénin, notre interviewé, les logements ouvriers mis à disposition par
la Compagnie, étaient connus pour être parfois plus confortables que certaines
maisons rurales. En revanche, les rares mineurs qui avaient pu garder leur mas
se trouvaient très souvent avantagés (au niveau de l'espace) par rapport aux
habitants renfermés dans une caserne:
"Nous habitions un mas (trois pièces cuisine sans poste d'eau et sans
confort) cerné de fa‹sses, près du cimetière de L'Arboux. Mes parents élevaient
une chèvre, un cochon, quelques poules, quelques lapins; nous étions des
privilégiés par rapport aux gens de la caserne du Gouffre que les personnes
huppées de la ville appelaient par dérision - avec celui de la Clède - 'le quartier
des Pouilleux'!".(206)
B.3.) Les logements des employés.
Une analyse des premiers recensements de La Grand-Combe révèle
que quelques "individus", au statut socio-professionnel d'"employés" résident
dans des logements spécialement construits pour eux dans le quartier situé en
haut de la vallée.(207)
En outre, le personnel des bureaux et les contremaîtres de la Compagnie
seront généralement logés au centre de La Grand-Combe dans des bâtiments
localisés dans les rues qui font figure d'épine dorsale de la ville (rue François
Beau, rue Salavert, rue de la République, boulevard Talabot) où habitent
également professionnels libéraux, commerçants, etc.
Ces édifices, de deux ou trois étages, sont prévus pour un ou deux
ménages (par étage). Etant situés au centre de la ville, ces bâtiments sont dans
l'alignement de la rue, mitoyens, sans espace pour un petit jardin (en général
situé à l'arrière du terrain). L'entrée se fait sur la fa‡ade. La distribution de
l'espace intérieur s'articule autour d'un espace commun, vestibule ou couloir,
spacieux, permettant l'accès à chaque appartement. On accède aux étages par
un escalier intérieur. A l'intérieur des appartements le sentiment de confort se
dégage. La salle à manger est séparée de la cuisine et le nombre de chambres
en est variable. Les W.-C. se situent, en général, à l'étage. De l'extérieur, la
présence de balcons en fer forgé sur les fa‡ades côté rue révèle le caractère
privilégié de ces immeubles. Généralement, les commer‡ants, qui s'y
installeront, au fur et à mesure, exploiteront un magasin au rez-de-chaussée et
habiteront les étages supérieurs.
Mais, si nous avons pu observer que quelques employés(208) et ouvriers
exer‡ant une activité à responsabilité ont bénéficié de conditions privilégiées
d'habitation, par contre, dans les premières décennies d'existence de la ville, on
trouve aussi des employés logés aussi dans les casernes. En effet, selon le
recensement
de
1846,
quelques
ouvriers
exer‡ant
une
activité
de
commandement ou de coordination (gardes-mines, chefs de poste, chefs de
travaux, commis et employés), résident dans les casernes (Casernes Neuves,
Casernes Basses et autres à Trescol, Champclauson, La Levade, etc.). Les
raisons peuvent en être: a) l'intention d'habiter tout près du chantier; b). les
logements sont au début insuffisants et la Compagnie a déjà une lourde charge
de constructions publiques; c) il n'est pas impossible que cela ait un rapport
avec la volonté de la Compagnie d'un contrôle social, comme nous l'avons
suggéré, plus haut, dans la "surveillance" exercée par les "mouchards"
(employés et ouvriers-chefs) résidant en milieu ouvrier.(209)
C'est seulement vers les années 1920 que la Compagnie planifie la
construction de nouveaux quartiers, avec des bâtiments spécialement con‡us
pour abriter les employés et ouvriers d'encadrement. Une des zones-cibles
concerne le quartier de Ribes, d'autres zones sont les quartiers de la Pelouse,
Brugas et Riste, situés en contrebas de la ville, alors aménagée pour y établir
un programme plus prétentieux de construction.
"(...) quartiers récents, groupement de petites villas étagées sur le
coteau, généralement réservées aux employés et techniciens, bénéficiaires
d'une instruction plus poussée et d'une promotion sociale, facilitée par le travail
de leurs pères ou de leurs grand-père mineurs de fond des âges passés".(210)
Il devient plus évident que la Compagnie établit une ségrégation sociale
par zones.
B.4.) La "maison de l'administration" et les villas.
Le haut de "la vallée de la Grand-Combe", non loin du groupe de
casernes, est aussi l'endroit choisi pour installer la première "maison de
l'Administration" de la Compagnie et les premières "villas" (maisons pour les
ingénieurs), ainsi qu'un magasin-de-vivres, un poste de sauvetage, une
chapelle et, plus tard, une école et une garderie. La "rue de l'Ancienne
Administration" témoigne de l'origine de ces bâtiments.
Faisant partie de la "maison de l'Administration", des logements
juxtaposés étaient à la disposition des cadres dirigeants de l'entreprise
("gérants" et des "employés supérieurs"). Ces logements comprenaient
plusieurs pièces: salon, salle à manger, deux bureaux de travail, trois chambres
et cabinets. Dans un autre corps de bâtiments, entouré par un jardin, se
trouvaient les bureaux de l'ingénieur, des caissiers, des employés et des
dessinateurs.
En outre, dans le voisinage sont bâties des villas: la maison du Directeur
et quelques maisons pour les ingénieurs. Si une certaine distance entre les
casernes et les villas existait, c'est néanmoins dans le même quartier
(aujourd'hui "cité de la Forêt") que nous trouvons tantôt les premiers logements
ouvriers, tantôt les premières maisons des ingénieurs, comme celle de
l'ingénieur M. Claude Thibauder en 1846 (maire de la ville de 1847 à 1848). En
1851 le recensement du quartier révèle qu'y habitent un important nombre
d'ouvriers et employés mais aussi le directeur d'exploitation des mines(211).
Ces villas nommées par la population "maisons des ingénieurs", étaient
des maisons luxueuses avec de grands jardins.(212)
Les motifs pour lesquels la Compagnie aurait installé dans un même
quartier éloigné du centre-ville ces deux types de résidence suit probablement
les principes urbanistiques de vouloir bâtir davantage au long de la "vallée de la
Grand-Combe" devenue important "espace de travail".
Afin d'établir une
proximité entre le lieu de travail et le lieu d'habitation et réduire les longs
parcours (le haut de la vallée étant éloigné du centre-ville), la cohabitation dans
le même quartier n'a pas pu être évitée, quoique respectant une certaine
distance entre les villas et les casernes.(213) Ainsi la proximité de la montagne
de Sainte-Barbe - où l'exploitation bat son plein de 1836 à 1840 - pourrait
justifier l'installation du centre administratif de la Compagnie et des premières
casernes à cet endroit. Dans ce cas, c'est surtout l'occupation du terrain et du
type de maisons qui distingue clairement les conditions d'habitation des
ingénieurs de celles des ouvriers: celles des ingénieurs sont privilégiés par
l'usage privatif de la parcelle de terrain et par l'usage mono-familial de
l'habitation.(214)
En outre, cette proximité peut correspondre aussi à une volonté de
surveillance de la part du patronat. Ce n'est qu'une supposition, mais cette
proximité est également observée dans le cas de la construction du logement
de l'ingénieur à Champclauson, non loin des autres casernes, et nommé,
d'ailleurs, "Caserne Adèle" (construit en 1844 par M. Deleuze et racheté par la
Compagnie en 1854). Cette "caserne", où habitent l'ingénieur et sa famille, se
différencie des autres: elle est constituée d'un rez-de-chaussée avec 8
chambres et cabinets. Les mineurs retraités interviewés témoignent sur le type
d'habitations destinées aux ingénieurs:
"Les ingénieurs! Ils avaient des belles maisons avec douze ou quinze
pièces. On n'a jamais eu de rapport, c'était bonjour, bonsoir. Ils se
comprenaient entre eux. Même les enfants des ingénieurs ne parlaient pas
avec les nôtres." (M. Chamborinaud. Mineur retraité).
La typologie représentée par "Ils ont des belles maisons" résume le
contraste le plus vif d'une différence entre les conditions d'habitation. La
hiérarchie spatiale des positions sociales se fait par le biais du confort des
maisons des ingénieurs et leur ostentation.
Ce n'est qu'en 1953 que la "maison de l'Administration" et la maison du
Directeur s'éloignent des groupes des casernes. A cette époque, la Compagnie
achète le Château de La Levade et divers terrains où sont transférés les
bureaux de la Compagnie. Ce siège est localisé à l'extrémité (opposée à la ville
de La Grand-Combe) de l'axe dominé par la "vallée du Gardon". La Levade
devient alors le siège principal de l'Administration et le château, le nouveau lieu
de résidence du Directeur des Mines. Selon le recensement de 1856, le
directeur M. François Beau y réside.
"(...) la Maison d'administration de La Levade, grande maison bourgeoise
au flanc de la colline, entourée d'un parc en terrasses, que l'on appelait souvent
'le Château'".(215)
Ce déménagement de La Forêt pour La Levade déplace aussi la caisse
de l'administration. Quelques activités continueront à être assurées à La Forêt,
tels le poste de sauvetage, les magasins-aux-vivres, les villas pour les
ingénieurs et les hauts fonctionnaires. Avec ce changement la Compagnie
abstrait le siège principal et la maison du Directeur du reste de la "ville
ouvrière".
Ce changement n'altère pas fondamentalement la structure du hameausiège. La maison du Directeur acquiert désormais un contenu distinctif et
aristocrate plus fort: le château (espace de travail et domestique). Plutôt que de
promouvoir le centre urbain (et public), la maison de l'administration reste à
l'écart du village. Une distance qui suggère une hiérarchie spatiale des lieux
(entre la maison directoriale et les habitants du hameau). C'est ce château qui
reste dans les souvenirs de nos interviewés comme étant la résidence de la
Direction de la Compagnie.
"Le Directeur de Mines habitait à La Levade, il était le patron ici, mais les
'autres patrons' (Président et membres du Conseil d'Administration) habitaient à
Paris. Le 'vrai patron' (Président) descendait tous les mois pour les réunions qui
se passaient dans le Château de La Levade là-haut...". (M. Vial. Mineur
retraité).
Pour héberger les visiteurs, la Compagnie achète encore le château de
La Pomarède, dans la commune voisine des Salles-du-Gardon, transformé plus
tard en maternité, puis en Maison de Santé et de Repos.
Si le château de La Levade demeura, jusqu'à la fin du "règne du
charbon", siège de l'Administration et maison du Directeur, la Compagnie, face
à la croissance de ses activités commerciales, installe, en 1923, ses bureaux
centraux au coeur de la ville de La Grand-Combe, sur la place Bouzac (appelée
depuis 1918, place de la Victoire). La Compagnie construit un luxueux bâtiment,
où se concentrent ses services administratifs, transformant le paysage du
centre de la ville. Désormais, ce haut lieu de travail de la Compagnie dominait
le coeur de la ville, image symbolique d'un pouvoir immanent "au temps de la
Compagnie".(216)
Ce vaste édifice d'architecture "victorienne" correspond à la période de
récupération économique de la Compagnie grâce à la conjoncture favorable de
l'après-guerre. Mais la monumentalité de ce bâtiment ne correspond pas à la
réalité structurelle d'un "royaume" et de son "ciment idéologique" - le
paternalisme - qui ne cessent de s'effondrer. Le monument devient bientôt
"mausolée" de la Compagnie des Mines de La Grand-Combe, et reconverti en
siège sectoriel des Houillères du Bassin de Cévennes, depuis la Nationalisation
(en 1946).
B.5.) Les camps.
L'événement de la "Grande Guerre" détermine une conjoncture de crise
ayant des conséquences sur le programme de construction. En effet, pour
recevoir les prisonniers de guerre et une nouvelle main-d'oeuvre recrutée, la
Compagnie a développé un programme provisoire de logement, et construit à la
hâte, pendant la guerre, plusieurs camps pour les loger.(217)
Les camps sont situés dans des terrains périphériques de la ville de La
Grand-Combe ou ses hameaux. Ils consistent en des "baraquements",
constructions simples et sommaires, où les prisonniers étaient entassés à
plusieurs sur quelques metro quadrado.(218)
En ce qui concerne les nouveaux venus, ils seront logés dans les
baraquements, surtout dans les périodes d'arrivées massives de main-d'oeuvre
étrangère. Nord-Africains, Espagnols, Italiens, y ont étés logés - surtout ceux
qui sont arrivés seuls. Ceux d'entre eux, qui, au fil des années, arrivent à se
stabiliser dans le travail, et qui décident de se fixer avec leur famille, font une
demande auprès du Service des Domaines pour un logement dans de
meilleures conditions. Mais l'attente est en général longue (1 à 2 ans) et
l'insertion au nouveau milieu, pleine d'embûches.
Ces baraquements seront démolis plus tard, et à leur place de nouvelles
maisons seront bâties. Malgré l'imprécision du terme, ces quartiers garderont la
désignation de "camps", même après la réhabilitation de ces quartiers et malgré
la protestation de quelques habitants.
B.6.) La création des "cités".
Pour répondre à la reprise économique de l'après-guerre, une importante
nouvelle main-d'oeuvre est recrutée par la Compagnie. Les nouveaux
immigrants arrivent à différentes époques. D'ailleurs, même dans les périodes
de crise, la Compagnie ne cessera d'engager des nouveaux arrivants:
"La Compagnie, dans la mesure des logements disponibles, favorise les
entrées de familles même en temps de crise et de chômage. La Compagnie, en
faisant de la venue des familles une faveur et non un droit, pense ainsi prendre
de l'emprise sur les ouvriers. Dans le même esprit, elle rembourse le transfert
des meubles ou de la famille à ceux qui paraissent le mériter. En 1934, 66%
des étrangers ont leurs familles sur place".(219)
Pour répondre à ce phénomène d'immigration massive, la Compagnie
procède à une rapide extension des espaces bâtis.(220) C'est alors que furent
bâtis les grands ensembles d'habitations qu'elle définit comme "cités", ce qui
étend la surface bâtie par la Compagnie. Quelques changements dans la
délimitation de l'espace urbain et dans la distribution de la population
s'instaurent.
Quelques maisons répondant à ce nouveau programme de construction
ont été bâties avant 1914, mais c'est surtout entre la période de 1920 et 1935
que la Compagnie a mis en chantier un important nombre de nouvelles
maisons.(221) Le jardin agrémente maintenant la façade de la maison (il peut
être situé latéralement), instaurant désormais les cités-jardins. Sur l'arrière de la
maison, des jardins potagers sont partagés équitablement entre les ménages.
Elles bénéficient alors de l'eau courante et de l'électricité. Dans un premier
temps, les W.-C. sont encore en fond de la parcelle de terrain octroyé. Mais les
nouvelles maisons des "cités minières", offraient aux locataires un confort
appréciable et deviennent le modèle de référence privilégié du mode d'habitat
des salariés. Hygiénisme et économie sociale ont là toute leur portée dans la
ville minière.
"En effet, à la fin de cette année 1920, la Compagnie loge en dortoirs et
baraquements 125 ouvriers et 1.032 en maisons. Et si elle dispose encore de
quatre cents places disponibles pour célibataires, toutes les maisons pour
familles sont alors occupées".(222)
Dans la commune de La Grand-Combe, divers nouveaux ensembles
d'habitations typiquement ouvriers sont bâtis près du centre-ville, dans l'axe de
la "vallée de la Grand-Combe", dans les hameaux et désormais aussi sur les
abords du "Gardon" (sur l'axe de la "vallée du Gardon"), tantôt sur la rive
gauche, tantôt sur la rive droite. Les nouvelles cités se localisent tantôt sur
d'anciens quartiers proches des anciennes casernes - c'est le cas de la cité de
la Forêt - tantôt sur de nouveaux quartiers bâtis sur tout le territoire de la
commune - cité de Ribes, cité des Pelouses, cité du Riste, cité de Sans-Nom à
La Grand-Combe et encore à Champclauson, à Trescol, au Pontil et aux
Taillades (rive droite du Gardon), etc.(223) Ces quartiers, ou agglomérations
ouvrières, sont dorénavant nommés "cités". Cette nouvelle terminologie
concerne aussi une nouvelle image qu'on veut donner des conditions
d'habitations.
La zone qui comprend les quartiers Les Pelouses, Brugas et Riste, est
alors valorisée par un vaste programme de construction de nouveaux
bâtiments. Les types de constructions seront dorénavant très variables.(224)
M. Gibert, âgé aujourd'hui de 65 ans, a habité dans son enfance le
quartier de Pelouse, dans un bâtiment à deux étages avec, sur la façade, des
balcons ouverts et communs. Ils ne donnaient pas sur la rue mais sur une cour
intérieure, face à un autre bâtiment tout à fait semblable et distant de quelques
mètres seulement. Cette disposition architecturale a proportionné un espace
collectif qui, à son avis, a joué un important rôle de sociabilité:
"A l'époque il n'y avait pas la télévision. On s'amusait dans le quartier,
surtout l'été. Vous savez, on avait des balcons dans la cité et, c'était une cité
dont les balcons faisaient face, alors on parlait d'un balcon à l'autre, on rigolait,
on blaguait, on chantait, c'était la grande famille.
Bon, il y avait des autres quartiers, quoi. On avait des rapports tout aussi bons
avec les autres à côté, mais enfin là c'était plus, parce que c'étaient deux
habitations qui se faisaient face. Il y avait vingt familles, dix familles de chaque
côté, il avait une famille dans chaque appartement mais on formait une grande
famille, c'était vraiment sensationnel. Oh! je ne dis pas que des fois, bon, il
n'avait pas un machin à régler entre l'un et l'autre, mais c'était vite réglé". (M.
Gibert, employé des Houillères retraité. Fils de contremaître).
Certains bâtiments dans les nouveaux quartiers de la Pelouse, Brugas et
Riste, situés dans la partie basse de la ville de La Grand-Combe (rive gauche
du Gardon) seront plus particulièrement destinés à loger les contremaîtres et le
personnel des bureaux.
La première expérience importante de construction d'une "cité-jardin"
ouvrière, par la Compagnie des Mines de La Grand-Combe, a été la cité de
Ribes (côté est de la partie basse de la "vallée de la Grand-Combe"). Elle reçoit
un plan spécial d'urbanisme. C'est l'inauguration d'un nouveau style de
constructions: des maisons avec de petits jardins.
Ce lotissement résidentiel se divise en deux zones bien distinctes,
destinées à différents groupes sociaux: ingénieurs d'un côté, personnel
d'encadrement, ouvriers "qualifiés", de l'autre. Le programme de construction
s'est développé sur quatre rues parallèles. Sa topographie différencie et
hiérarchise les lieux. La rue des Eglantiers, con‡ue particulièrement pour des
ingénieurs, est celle qui se situe plus haut, en direction de la colline des Ribes.
En déclivité, se suivent respectivement la rue des Tilleuls, celle des Marronniers
et, sur le niveau le plus bas, l'Avenue des Mineurs, qui est le prolongement de
la rue de la Pise. Ces trois dernières artères sont reliées en perpendiculaire par
une petite rue. Par contre, pour accéder la rue des Eglantiers, il faut monter un
large escalier pavé, ce qui établit une frontière entre les deux zones. En outre,
cette rue est reliée au centre-ville, à l'ouest, par la rue de Ribes. Vers l'est, ses
habitants peuvent accéder directement à la route nationale - vers Alès, par
exemple - sans traverser le centre-ville.
(M. Claudrec): "La cité de Ribes a été construite vers les années 1920.
On avait un W.-C. dans l'appartement, mais pas la douche, pas la salle de bain.
C'est nous qui avons fait la douche. Sauf dans la maison des ingénieurs, ils ont
eu toujours le sanitaire complet. Dans les Eglantiers, là haut, c'étaient les
maisons des ingénieurs, elles étaient belles, avec 14, 15, 17 pièces, énormes,
fantastiques".
(Chercheur): "C'est-à-dire, que la population de cette cité n'a pas été
constituée, dans sa majorité, par des familles de mineurs?"
(M. Claudrec): "Ici à Ribes, quand ‡a a commencé, la rue des Eglantiers
c'était pour les ingénieurs, la rue des Marronniers c'était pour les employés de
bureau, les chefs si vous voulez. Dans la rue en bas, rue des Mineurs, rue de la
Pise, là, c'était plus mélangé."
(Chercheur): "Et puis, ‡a a changé?"
(M. Claudrec): "Oui, ‡a a changé, à mesure que la situation changeait,
ici, changeait aussi. Au début ils (la Compagnie) choisissaient un peu et les
mineurs étaient concentrés dans les Casernes des Mineurs (casernes Basses).
Il y avait cette stratification là entre les quartiers. Parce qu'ici les employés, les
chefs, étaient plus considérés que le mineur qui arrachait le charbon, ils
gagnaient plus, ils avaient plus d'avantages. Mais après, au fur et à mesure que
‡a changeait, on ne faisait plus autant la différence".
(M. Claudrec. Mineur retraité).
Les maisons pour les ingénieurs situées rue des Eglantiers sont dotées
de véritables signes distinctifs: confort et nombreuses pièces.(225).
Les maisons construites sur les rues des Mineurs, rue des Marronniers
et rue des Tilleuls, forment un ensemble de maisons, à deux étages, chacune
servant à quatre familles locataires. Elles ont été construites à différentes
périodes(226), et étaient destinées surtout aux employés de bureau, dans un
premier temps, et aux ouvriers en général, dans un deuxième temps.(227)
En haut de la "vallée de la Grand-Combe", la Compagnie fait construire
la cité de La Forêt, éloignée du centre ville, bénéficiant des divers bâtiments
publics existants autour de l'ancienne "maison de l'Administration" (coopérative,
poste de sauvetage, chapelle, école, garderie).(228)
L'autre cité ouvrière construite en haut de la vallée, c'est celle de SainteBarbe. Elle est caractérisée par de grandes bâtisses ayant des balcons ou
couloirs collectifs extérieurs, situés sur la fa‡ade de la maison, accédés par un
escalier latéral.
Des cités hors-ville, citons celle de Pontil (hameaux) destinée aux agents
de maîtrise. Voyons leur description:
"Les hameaux environnants, tels celui du Pontil, rassemblaient, non loin
des carreaux des puits, les appartements récents et coquets de la maîtrise et
des ouvriers spécialistes: machinistes d'extraction, chauffeurs de chaudières,
etc.".(229)
Quelques cités ont été prévues pour regrouper les nouveaux arrivants
d'une même nationalité. Cela a été le cas pour les Nord-Africains dans les
camps Ravin et camps Fougère et pour les polonais a St-Jean-du-Valériscle
(1929). Comme l'observe un ancien ingénieur:
"Les étrangers qui avaient la chance d'être en famille jouissaient d'une
situation identique à celle de leurs camarades français et bénéficiaient la
plupart du temps d'un logement de fonction".(230)
Il est vraisemblable que celle destinée aux polonais ait été la plus
privilégiée. Gaillard a décrit cette cité ouvrière:
"En ce qui concerne le logement, les Polonais ont été installés à la cité
Combe-Ferral à St-Jean-de-Valériscle. Cette cité comprend six maisons à un
étage, soit au total quarante huit logements. La cité est alimentée en eau
potable distribuée à des bornes fontaines et l'évacuation des eaux résiduelles
se fait par égout et épandage dans les terrains voisins appartenant à la
Compagnie. L'éclairage électrique est installé dans chaque pièce ainsi qu'aux
abords des maisons. Dans chacune des deux agglomérations polonaises, la
Compagnie a établi un cantinier qui exerce librement son commerce. Elle met,
en outre, à la disposition des familles et même des célibataires qui le désirent
des fourneaux pour faire eux-mêmes leur cuisine".(231)
Les polonais, regroupés à Saint-Jean-de-Valériscle, ont ainsi bénéficié
de maints avantages: la Compagnie a fait construire des édifices publics (école
libre) et mis à leur disposition un professeur polonais (1923) et un prêtre
polonais (1929)(232).
Dans les années 30, époque de plein essor dans l'exploitation du puits
Ricard(233), la Compagnie fait démolir les Casernes Basses dans leur presque
totalité: ce quartier disparaîtra dans les recensements de la commune du
XXème siècle. A la place est construite une annexe des bureaux centraux du
haut de la "vallée de la Grand-Combe". La démolition des Casernes Basses (ou
Casernes des Mineurs) provoque un important mouvement de déplacement des
familles ouvrières, réinstallées dans les cités que la Compagnie vient de
construire: cité de la Forêt et cité Sainte-Barbe à La Grand-Combe, cité Joffre
et Foch à Trescol, etc. En outre, de nouvelles constructions prendront place sur
les quartiers dénommés "camps" ("Camp Fougère" à côté de la cité de La
Forêt, "Camp Ravin" à Trescol).
D'autres casernes sont réhabilitées et améliorées et existent encore.
C'est le cas des Casernes Neuves (seule une partie fut démolie en raison des
risques de glissement de terrain). D'autres, non entretenues, deviennent vite
vétustes et insalubres, surtout celles sur la rue de la Clède et de la rue des
Poilus ("vallée de la Grand-Combe"). De plus, cette artère devient un lieu de
transit des camions qui arrivent au lavoir et à l'embarcadère. Comme l'observe
l'étude suivante:
"(...) la boue du terril, engorgent les évacuations en cas de pluie,
inondant certaines maisons. Les tirs de mines, les effondrements de terrain et
le trafic de poids lourds fissurent les murs et provoquent même un tassement
des planchers (en terre). Un boulanger était obligé de refaire périodiquement
ses fours, à cause de ces fissures".(234)
La poussière rend la vie difficile (sinon insupportable) dans cet endroit,
situation qui ne cesse de s'aggraver:
"Quand la production de la mine était petite, il n'y avait pas de gros
problèmes de pollution. On a eu des maisons près des puits de mine jusqu'au
développement des machines importantes, surtout à la fin du XIXe siècle. La
pollution se développe lorsque la machine à vapeur remplace les machines à
force animale. C'est la vraie pollution qui apparaît avec la fumée de la machine
à charbon". (M. Vial. Mineur retraité).
Les dégradations sont énormes, ce qui explique l'abandon de la part des
habitants, petit à petit, de ces maisons. Cette condition, associée au
vieillissement de ces maisons, a entraîné une importante dégradation de ce
patrimoine: image "négative" de ces quartiers ouvriers dans la partie basse du
centre-ville. On constate dans les rapports du Conseil d'Administration à
l'époque la décision de leur démolition, qui n'interviendra que 70 ans plus
tard(235).
En arrivant à 1936, la Compagnie s'auto-félicite dans son livre
commémoratif du centenaire, pour avoir mis à disposition des chefs de famille
de son personnel plus de 2.650 logements et plus de 2.200 jardins. Ces
nouvelles "cités-jardin" répondent donc à un programme d'amélioration de
l'habitat ouvrier. Le réaménagément des logements, des mineurs, lié tantôt à la
vétusté de certains logements tantôt à la construction massive des nouvelles
cités, avec un confort supérieur à celui des anciennes casernes, a entraîné des
changements importants sur les conditions de vie des familles ouvrières.(236)
En effet, ces cités ouvrières, outre qu'elles sont fonctionnelles pour la
production, sont aussi des instruments stratégiques de formation, d'éducation,
de domestication et de transformation de la classe laborieuse active, avec ses
traditions et données culturelles, selon le modèle que la bourgeoisie a
construit.(237)
C) QUELQUES CHANGEMENTS AU TOURNANT DU SIECLE.
Les
dernières
décennies
du
siècle
passé
révèlent
quelques
changements importants, surtout dans l'axe désigné par "la vallée de la GrandCombe". Proche du quartier dénommé autrefois "Casernes Basses" est installé
le puits d'extraction qui sera l'un des plus important de la Compagnie: le puits
Ricard (plus de 800m de profondeur). Cette réalisation débute vers 1896 avec
la construction de divers ateliers (criblage, etc...) et du chevalement métallique.
Le paysage du quartier change davantage. Les casernes alors existantes sont,
en grande partie, démolies, et leurs habitants transférés, au fur et à mesure,
dans d'autres quartiers populaires, ceux de la Verrerie, de la Clède, la Pise, de
La Grand-Combe (aujourd'hui, La Forêt et Sainte-Barbe), etc.
La rue de la Grand-Combe devient en effet la "place Ricard" et la "vallée
de la Grand-Combe" est désormais aussi nommé "Vallée Ricard". Dès lors, le
centre de la ville et le haut de la vallée sont séparés par ces énormes
installations du puits Ricard qui occupent tout le territoire le long de la rue de la
Grand-Combe.
Cette époque est d'ailleurs marquée par une expansion de l'espace
industriel bâti et par le creusement de nouveaux puits. Ils ont été nombreux et
concernent tout le territoire des concessions de la Compagnie. Contentonsnous de donner un aperçu de cette évolution productive. Cela a été le cas du
puits de la Forêt - dans le haut de la vallée - ouvert en 1882 et qui dynamise
encore plus ce quartier. A Champclauson, en 1888, le creusement du puits du
Petassas dynamise le village. Il en est de même à Trescol avec les puits de la
Trouche, de Trescol, du Ravin et du Gouffre, exploités à plein rendement.
Plusieurs autres puits sont commencés ou alors approfondis: non loin de La
Levade et de Trescol, le puits La Fontaine nø 1 est commencé en 1883, celui
de la Fontaine nø 2, commencé en 1891. Citons encore les puits creusés dans
les communes de Saint-Jean-du-Valériscle, Pontil, Laval, et aussi sur la rive
droite du Gardon, etc.
Les dernières décennies du XIXe et le début du XXe siècle sont ainsi
caractérisées par l'expansion et l'extension de l'espace industriel par le
creusement de nouveaux puits et la construction de nouveaux ateliers un peu
partout sur le territoire minier appartenant à la Compagnie, notamment sur l'axe
de la "vallée de la Grand-Combe". Tout cela provoque donc un changement de
la physionomie des quartiers existants: démolition en partie de celui des
Casernes Basses, qui de zone résidentielle se transforme en zone de travail,
densification des autres quartiers près des puits d'extraction ou des ateliers,
expansion et sur-utilisation des hameaux, etc. Changements que la Compagnie
analyse comme étant une phase de rénovation, de vitalité de l'activité, qui lui
permettra d'aborder avec "tranquillité et confiance le nouveau siècle"(238).
Le centre de la ville et ses principales artères sont eux aussi dynamisés,
surtout à partir de 1880, époque à laquelle le marché hebdomadaire s'affirme
comme l'un des plus importants de la région et attire les maraîchers, les
marchands et habitants qui viennent des environs (le déplacement est facilité
par le train). Selon Gaillard, le marché devient un "haut lieu" de la vie
quotidienne des grand-combiens:
"Ainsi, la vie s'écoule à la Grand-Combe. Pour le mineur, les heures de
travail et de repos occupent la majeure partie du temps et limitent bien s–r la vie
de famille. Celle-ci est surtout intense le dimanche, jour de distraction par
excellence, consacré à la messe, au concert quelquefois, au repos de famille, à
la promenade, au sport en tant qu'acteur ou spectateur, au café et aux
palabres. Hors cette journée au cours de laquelle la ville s'anime, la cité est en
général très calme sauf le matin et le soir aux heures de rentrée et de sortie de
la mine ou des écoles. Elle s'anime cependant deux matinées par semaine, le
mercredi et le samedi, jours de marché. On voit alors affluer les paysans des
environs venant apporter leurs produits. Certains viennent de basse Lozère et
proposent les marchandises de leurs fermes (...), d'autres montent de la prairie
d'Alais, munis des légumes de leurs jardins. La place Bouzac grouille alors de
monde, femmes de mineurs, femmes d'ingénieurs suscitant toujours la curiosité
lors de leur arrivée dans les calèches fournies par les houillères, tout ce petit
monde achetant et discutant abondamment auprès des étalages. En dehors de
ces jours de marché, les femmes d'ouvriers se retrouvent journellement pour
faire leurs achats dans les économats de la Compagnie puisque le commerce
privé est quasiment inexistant à la Grand-Combe.
On conçoit alors parfaitement la joie qu'elles éprouvent les mercredis et
samedis à flâner au milieu des étals des paysans des environs: frustrées du
plaisir de faire leurs courses dans différents commerces comme dans les autres
villes, mécontentes de la monotonie des économats, elles apprécient d'autant la
possibilité de choisir, de bavarder, de marchander qui leur est ainsi offerte deux
fois par semaine par les marchés. Véritable cérémonie pour toute femme, ils
sont à la Grand-Combe une bouffée d'air pur dans la grisaille quotidienne et
donnent aux épouses de mineurs une impression de liberté qu'elles n'ont pas
souvent l'occasion de ressentir par ailleurs".(239)
Stimulé par ce mouvement et la croissance de la ville, le commerce libre
s'y installe davantage:
"Ces magasins, le plus souvent clairs, spacieux, coquets même, dont les
devantures peintes mettent une note de gaîté dans des rues poussiéreuses aux
maisons uniformes et sans recherche aucune, ont une nombreuse et fidèle
clientèle. La plupart des commer‡ants faisaient crédit, ce qui incitait les femmes
du canton, surtout celles des ouvriers, à acheter chez eux".(240)
En 1901(241), les quartiers de la commune présentent déjà une
physionomie assez modifiée par rapport aux premières années. L'expansion
industrielle explique le gonflement de la population de la ville et de ses
hameaux, du moins jusqu'à la fin du XIXe siècle (1896/7). Nous verrons (plus
loin) qu'à cette époque les ouvriers se battaient pour de meilleures conditions
de vie. Mais c'est seulement après la première Grande Guerre que la
Compagnie développera un autre programme important d'habitations ouvrières
à La Grand-Combe, avec la construction des "cités-jardins" - sujet que nous
avons développé dans la section précédente - époque à partir de laquelle, peu
à peu, les éléments de confort seront implantés: eau potable, électricité, travaux
de viabilité, etc.
CHAPITRE 3
LES ENJEUX D'UNE "FAMILLE CORPORATIVE"
A) LA "GRANDE FAMILLE" ET SES DISTANCES SOCIALES.(242)
A La Grand-Combe, l'essentiel de la population est constitué par les
familles ouvrières travaillant pour la Compagnie. Celle-ci reproduit cette
communauté de travail comme une "grande famille", où, en même temps que
l'on se "côtoie", l'on assimile les pères de famille aux patrons:
"L'on perçoit alors, dans la philosophie de recrutement et du
comportement du personnel d'encadrement, la volonté très nette du patronat de
La Grand-Combe de faire passer l'idéologie de la concorde entre les classes,
de masquer les antagonismes fondamentaux du capitalisme afin de proposer
aux ouvriers la vision d'une entreprise comparable à une famille".(243)
Par le biais d'une domination symbolique(244) et comme une "valeur"
constitutive de leur identité (la valeur-travail), ces catégories de perception sont
internalisées(245) par les familles ouvrières dans la représentation qu'elles se
font d'elles-même et du groupe d'appartenance (qui spécifie leurs rapports avec
la société)(246). C'est pourquoi les clivages créés par la division du travail dans
la Compagnie et par le travail social dans la "communauté de métier" sont
enveloppés par cet esprit qui devrait régner dans les relations sociales, celles
d'une "grande famille".
Cela est soutenu par une composition sociale peu complexe, corollaire
d'une structure professionnelle concentrée de façon monolithique dans le
secteur de production de charbon. En effet, l'emprise de la Compagnie sur
l'ensemble des domaines de la vie sociale et l'hégémonie patronale sur la vie
locale s'accompagnent d'un univers professionnel très uniforme.
"On ne découvre donc pas dans la 'ville-usine' la complexité des
hiérarchies sociales si caractéristiques des villes en général et même des cités
ouvrières. D'une part, tous les métiers sont directement liés à la mine et, d'autre
part, les groupes sociaux n'ont pas leur densité habituelle puisque la classe
ouvrière elle-même est beaucoup plus uniforme qu'ailleurs".(247)
Mais, dans la mesure o— la structure sociale est peu ou pas du tout
flexible, le groupe ouvrier rencontre vite les limites d'une "proximité" fictive
suggérée par le rassemblement de cette "grande famille": la place qu'ils
occupent réellement dans cette société minière(248).
***
Philippe Ariès constate dans le "Pays Noir" une structure sociale
caractérisée par 4 "castes":
"La population fut ainsi répartie en quatre castes, bien définies par un
régime de salaires et surtout de privilèges: le compagnon mineur, puis le
contremaître ou porion, puis l'employé, et enfin, coiffant le tout, comme jadis la
bourgeoisie ou la noblesse, l'ingénieur. Dans le pays noir, on ne dit pas le
'bourgeois' mais 'l'ingénieur' et, socialement, les deux qualités sont synonymes.
L'employé n'a pas le même charbon que le patron ou le mineur. Le porion re‡oit
un logement plus vaste, plus représentatif que celui du compagnon. Encore
faut-il, dans le monde des employés, distinguer l'employé commissionné du
titulaire, plus avantagé".(249)
Le fait de retrouver ce classement parmi les habitants de La GrandCombe n'a rien d'une co‹ncidence exceptionnelle. Cela semble être la tendance
des "civilisations minières" au XIXe siècle.
"Ce qui caractérise La Grand-Combe, c'est qu'il y a une hiérarchie
sociale et non pas à proprement parler des classes sociales. Les secteurs
secondaires et tertiaires sont en nombre infime par rapport à l'énorme masse
ouvrière. Ainsi, s'il y a une aristocratie, celle des 'chefs' de l'exploitation
houillère, il n'y a pas de bourgeoisie".(250)
La Grand-Combe était dotée d'une organisation professionnelle peu
diversifiée qui allait de pair avec la hiérarchie dans ce contexte paternaliste. A
maintes reprises, les historiens ont attiré l'attention sur La Grand-Combe
comme étant une société à prédominante ouvrière et peu différenciée de
l'intérieur:
"Les ouvriers forment une masse très homogène car les différences de
qualification ne permettent pas de distinguer une aristocratie ouvrière et un
sous-prolétariat".(251)
Dans ce processus, qui renforce les liens du groupe (contrainte
communautaire), le collectif ouvrier est assimilé par le modèle social de
travailleur du mineur comme "idéal-type", qui devient - par son activité bien
particulière dans le sous-sol de la mine - symbole "identitaire" pour toute la
communauté locale.
Assurément, le mineur est le type de travailleur le plus présent dans le
quotidien du labeur grand-combien. Son personnage marque le quotidien de la
ville: il est décrit comme étant celui qui, de bonne heure le matin, partait vers
les puits portant son panier ou "cabas", o— il gardait son casse-cro–te
(également appelé "cabas"). A la tombée de la nuit, il rentrait à la caserne,
visage mâchuré de poussière, fatigué, rapportant le charbon (l'avantage en
nature concédé par la mine pour le chauffage), pendant que d'autres mineurs,
ceux du poste du soir, s'empressaient de descendre au fond.(252)
Cette homogénéisation est sans doute accentuée parmi le groupe des
mineurs qui se confrontent quotidiennement à ces conditions de travail
fortement dangereuses et insalubres. On trouve très souvent redit, par les
auteurs et les travailleurs eux-mêmes, que le métier de mineur de fond confère
une certaine autonomie dans l'organisation du travail et que c'est grâce à un
esprit très développé de compagnonnage qu'on "apprend" ce métier et à
connaître "le monde de la mine".
"Bien que le mineur ne considère pas que son statut soit particulièrement
enviable, il a conscience de détenir un savoir-faire acquis au fil des difficultés
surmontées. Malgré la concurrence entretenue entre les producteurs par la
Compagnie, les travailleurs de fond se per‡oivent comme appartenant à une
même communauté. Les rivalités qui peuvent exister n'aboutissent pas à une
hiérarchisation: face à la maîtrise et aux cadres, ils s'affirment progressivement
comme groupe homogène. Ainsi, un métier qui n'était à l'origine qu'une
occupation secondaire pour les paysans (...) récoltant quelques miettes de
'charbon de terre', est progressivement devenu une condition".(253)
Certes, la division du travail n'est pas complexe dans l'industrie
extractive, et le groupe s'identifie facilement en tant que "communauté fondée
sur le travail" ou "communauté égalitaire" (au sens de la solidarité de groupe).
Mais cette "égalité" du groupe ouvrier dans la division du travail reste relative.
Comme l'observe Lamorisse, "le bassin houiller est plus une entité économique
qu'un espace homogène"(254), et si cette égalité concerne davantage les
conditions de vie de la classe ouvrière, socialement homogènes (où les
distinctions sont moins transparentes), l'insertion dans une structure de
relations de travail, quant à elle, témoigne d'une diversité de pratiques, quoique
cette mobilité professionnelle n'implique pas une mobilité sociale expressive.
Ainsi, même s'il demeure socialement plutôt "invisible", le travail à la
mine comprend différentes activités ou, plus précisément, différentes formes
d'insertion dans le processus de travail (extraction, transport, boisement,
manutention, etc.), dans l'environnement (travailleur de fond/travailleur de
surface), dans l'atmosphère de travail (plus bruyante et asphyxiante à
l'abattage, insupportablement chaude dans divers puits, notamment les puits de
la vallée Ricard, froide comme dans certaines zones du puits des Oules,
tolérable comme dans les galeries de Champclauson), et aussi des différences
dans l'échelle salariale(255). Les activités, variables dans leur nature,
changeaient aussi selon le cycle de la vie. Très souvent, l'ouvrier est soumis à
une certaine mobilité pendant sa vie active à la Compagnie, selon la
compétence acquise et la tranche d'âge: "c'est la carrière". Il débute comme
apprenti-mineur (les "gamins" ou "galibots") et, successivement, exerce les
divers métiers de surface ou de fond. Quelques-uns finissent même comme
chefs. Sans compter les mutations techniques des méthodes d'exploitation
survenues au fil des ans et faisant disparaître certaines activités, en créant et
en faisant évoluer d'autres. En outre, on observe à La Grand-Combe, en
surface, le travail féminin et le travail des enfants (ce dernier parfois aussi en
sous-sol), ce qui ajoute les critères d'âge et de sexe aux éléments de distinction
dans l'organisation du travail (nous y reviendrons).
Nous pourrions décrire les dures conditions du métier de "mineur", en
développant tantôt ses différentes pratiques, tantôt ses difficultés, le degré de
risque (accidents et maladies)(256), de responsabilité, de compétence, de
dextérité: bref, le quotidien du travail. Nous ne reparlerons toutefois que de
quelques aspects, puisque cette étude a été réalisée exhaustivement à maintes
reprises.(257)
L'activité la plus globalisante, celle de "mineur", indique surtout le travail
"au fond", l'abattage et l'extraction du charbon.(258) Mais la division du travail
comprend des tâches spécifiques qui différencient les mineurs dans le
processus d'exploitation du charbon: les mineurs "au rocher" qui forent les
galeries, les piqueurs qui abattent le charbon, les traîneurs qui poussent les
wagonnets et conduisent les chevaux (ou encore les rouleurs, ou les
charretiers), les boiseurs, etc. Parfois, ces tâches se confondent (piqueur et
boiseur); parfois, l'ouvrier exécute diverses opérations pour des questions de
sécurité, de réduction des effectifs et/ou de rendement. En général les diverses
fonctions sont exécutés par des équipes(259), l'ouvrier compte parfois sur les
aides ou les apprentis qui exécutent des tâches secondaires: aides-piqueurs,
aides-boiseurs, freineurs, encageurs, remblayeurs, etc.
Dans le sous-sol, les activités se différencient aussi selon le degré de
difficulté(260), de responsabilité et d'expérience (ou qualification(261)), du
travail qui leur est confié dans ce métier à haut risque. Le boisage, par
exemple, est compris comme étant de haute responsabilité:
"La connaissance des modes de boisage applicables et la technique
d'élaboration de ces systèmes depuis la taille - parfaite - du bois, jusqu'à la
mise en place permettant de garantir la sécurité des ouvriers, est un élément de
la valeur au travail".(262)
Au fur et à mesure de l'évolution technique de l'exploitation du charbon,
certaines activités acquièrent une plus grande "qualification", tandis que
d'autres spécialités sont créées pour désigner ceux qui ont plus de
"responsabilité" (et de pouvoir) dans certaines charges, comme le boutefeux
(chef d'équipe qui contrôle le processus d'explosion du rocher), au début du
siècle.(263)
Les travailleurs du fond se différencient des travailleurs de surface,
nommés "mineurs (ou ouvriers) du jour" ou manoeuvres, qui exécutent des
activités complémentaires à celles qui débutent au fond. Certaines d'entre elles
sont bien spécialisées: chauffeurs, charretiers d'extérieur, mécaniciens,
ma‡ons, etc. Pour de nombreux mineurs, travailler "au jour" n'est que l'étape
initiale d'une longue carrière à la mine. A titre d'exemple, R. Trempe rapporte
ainsi l'itinéraire professionnel d'un mineur à Carmaux:
"Après avoir débuté à l'extérieur comme trieur de schistes, il était admis
au fond comme rouleur de wagonnets. Il était successivement conducteur de
cheval, freineur, encageur au puits, poseur de voies et aide-boiseur. Elevé enfin
à la dignité de boiseur, il progressait plus lentement. Ce n'est qu'après plusieurs
années qu'il devenait piqueur et parfois mineur. Telle était la carrière classique
d'un ouvrier de l'intérieur au XIXe siècle et au début du XXe. Elle pouvait être
couronnée par l'accès à la maîtrise".(264)
Pour d'autres mineurs, travailler "au jour" pouvait aussi correspondre aux
dernières années de vie active dans la mine, puisque très souvent, le mineur de
sous-sol qui n'arrivait pas à atteindre l'âge de la retraite en travaillant au fond
(pour des problèmes de santé) était obligé de compléter son temps de travail à
la surface.
Dans le travail en surface, le péril ne prend pas les mêmes proportions
qu'en sous-sol. Il est des secteurs, d'ailleurs, où les femmes sont admises(265)
à côté des jeunes travailleurs: le triage du charbon, par exemple (trier, cribler et
laver le charbon). Ces femmes forment un groupe professionnel typique dans la
localité: les "placières"(266).
"Celles-ci fournissent, avec les enfants pendant les vacances, l'essentiel
de la main-d'oeuvre occupée au triage du charbon: ce sont les placières, type
particulier de la société grand-combienne. (...) En 1882, elles sont ainsi plus de
trois cents, travaillant sous des hangars en plein vent, immobiles toute la
journée devant des tapis roulants qui amènent le charbon à trier".(267)
En effet, les placières vont participer activement de la vie laborieuse de
la communauté grand-combienne jusqu'aux années 1945.
"J'ai travaillé 7 ans dans la place à Trescol, dehors à la mine, quand
j'étais jeune fille. On triait le charbon, on touchait la berline, on carrait la berline,
on graissait la berline. Ce qu'il fallait faire on le faisait, mais ‡a faisait une
occupation fatigante, c'était pâlissant" (Mme Durand. Ex-placière. Veuve de
Mineur).
Sur une photo de 1925, ces jeunes filles apparaissent coiffées d'un
chiffon, recouvert d'un bonnet dont la forme varie suivant les "places" (Trescol,
Grand-Combe, Champclauson, La Levade).(268)
"Les douches n'existant pas, ces jeunes personnes devaient protéger
leurs cheveux, longs en général (...). Elles attachaient de l'importance à
l'arrangement correct de ce foulard".(269)
Les jeunes filles sont embauchées vers l'âge de 13 ou 14 ans, après la
remise du "livret de l'école primaire". Mais, contrairement aux gar‡ons, cette
activité n'était pas, pour les femmes, extensible à tous les cycles de la vie. Les
placières étaient embauchées jusqu'à leur mariage, lorsque la Compagnie ne
les prenait plus:
"J'ai commencé, j'avais pas 14 ans, et j'ai quitté quand je me suis
mariée. Parce que, au fur et à mesure qu'on se marie, on peut plus, même que
vous voudriez continuer. Quand on est marié, ils ne prennent pas les femmes,
tandis que pour les hommes c'était pas le cas." (Mme Enjolras. Ex-placière.
Femme de mineur retraité).
"Mais les femmes, quand elles sont mariées, allez! hop! restez à la
maison! et ils en prenaient une autre". (Mme Michel. Ex-placière. Femme de
mineur retraité).
Par contre, une veuve devant faire face aux difficultés avec un revenu
souvent très maigre pour un foyer qui avait perdu son "chef de famille",
reprenait fréquemment le travail comme placière, cumulant les deux charges:
domestique et productive.
Ainsi, pour les placières, aux occupations quotidiennes (aider la mère
pour les filles, élever les enfants pour les veuves), s'ajoute le travail
professionnel qui permettait un apport économique à la maison.
Les autres emplois féminins possibles dans la ville sont très rares. Et
quand ils existent, ils se limitent à ceux traditionnels du prolétariat féminin. La
femme ayant besoin d'exercer une activité productive - un travail rémunéré s'embauchera, par exemple, dans un commerce comme vendeuse, mais le plus
souvent à domicile comme domestique, blanchisseuse, ou pour des travaux de
couture, de broderie, etc.(270)
La population ouvrière masculine qui ne travaille pas comme "mineur"
pour la Compagnie exerce, en général, des activités dites complémentaires à la
production du charbon: agglomération des minerais, aux fours à coke, dans les
hauts-fourneaux, etc.; ou alors, elle appartient à des entreprises subsidiaires de
maçonnerie, serrurerie, transport, ou travaille sur les chantiers de chemins de
fer, qui dépendent indirectement de l'existence de l'industrie extractive.
Le monde du travail à la mine comporte aussi le personnel
d'encadrement, une petite minorité parmi les ouvriers, qui assure la maîtrise et
joue un rôle de surveillance, pouvoir qui les éloigne de la base ouvrière et les
fait glisser vers un groupe social plus privilégié: celui des "cols blancs". Leurs
fonctions comprenaient, entre autres, les métiers de maîtres-mineurs et de
chefs-porions, de conducteurs de travaux, etc. Ils se différenciaient des ouvriers
non seulement par l'activité exercée, mais encore par le salaire, par de
meilleurs logements, par des avantages divers(271), etc.
"Si devenir maître-mineur était intéressant pour la famille, parce qu'il
avait plus d'argent et tout, aux yeux des collègues ceux qui devenaient maîtresmineurs étaient sergents du patron". (M. Crozet. Fils de mineur).
Il s'agit des mineurs qui arrivent à un poste de maître-d'oeuvre par voie
d'ancienneté ou de mérite dans le travail.(272) Il faut considérer ici les gardes
particuliers de la Compagnie "qui assuraient la police des carreaux, la
surveillance des paies et veillaient au bon ordre dans les cantines de
célibataires"(273). Selon Flechon, les agents de maîtrise n'arrivaient certes pas
à la situation sinon aisée, du moins correcte des ingénieurs, mais par contre ils
avaient beaucoup plus de chance que les mineurs d'assurer à leurs enfants une
situation moins pénible que la leur, les orientant vers les emplois de surveillants
du fond ou du jour, de géomètres, d'ouvriers spécialistes du jour, et, quand ils
en avaient vraiment les aptitudes, d'employés de bureau. Mais, observe-t-il,
toujours dans la Compagnie, et rares étaient ceux qui la quittaient, sinon pour le
service de l'Etat.(274)
"Leurs conditions de vie étaient modestes et leur dépense mesurée.
Comme pour les ouvriers on ne renouvelait que rarement le pardessus acheté
avec les premières économies et le complet foncé de l'époque du mariage; on
ne rempla‡ait que les vêtements d'usage plus courant, après usure. Les plus
frileux, en hiver, s'enveloppaient d'une grande pèlerine. Leur femme et leurs
enfants étaient, par contre, plus coquettement vêtus".(275)
Mais d'autres groupes professionnels sont présents dans la population
grand-combienne, malgré leur nombre peu représentatif. Certaines activités
concernent les nouveaux services dont la ville a besoin, mais d'autres restent
des pratiques traditionnelles (bien qu'étant de moins en moins courantes dans
la commune).(276)
Les modalités d'organisation sociale du travail se reflètent dans la vie
urbano-industrielle. L'observation de la structure socioprofessionnelle(277),
confirme la prédominance du secteur industriel au détriment du secteur rural et
d'un secteur commercial peu développé.(278)
Les paysans du "pays minier" seront peu nombreux à se consacre
exclusivement à la culture (à pratiquer leurs activités traditionnelles). Quelquesuns deviendront maraîchers et joueront un rôle important dans la vie
économique de la ville en vendant leurs produits sur le marché hebdomadaire
grand-combien. D'autres se reconvertiront en mineurs ou alors pratiqueront la
mixité des activités. Comme l'observe Lamorisse:
"Dans la population active, les cultivateurs n'ont pas disparu mais ils sont
submergés par le flot des manoeuvres, mineurs et ouvriers".(279)
Assujetti au contrôle de la Compagnie au fil des années, l'essor
économique de la ville attire aussi des commerçants et divers services
comprenant (toutes proportions gardées) un secteur tertiaire. Tantôt la
démarche a un rapport avec la Compagnie, tantôt elle est indépendante et vise
à tirer profit d'une situation favorable. C'est surtout vers les années 1880 que
diverses boutiques vont s'ouvrir, malgré le monopole des magasins-aux-vivres
exercé par la commande de la Compagnie. Ces commer‡ants seront des
cafetiers, boutiquiers, buralistes et marchands de journaux, mais aussi des
boulangers, des livreurs, etc. Quoique minoritaires, ils marqueront de leur
présence le quotidien de la ville. Parmi eux, certains exercent aussi une double
activité (commerçant/mineur), surtout durant les phases de forte production de
charbon.(280) Il est vraisemblable qu'à leur retraite quelques mineurs se sont
lancés dans ce secteur. Mais, au temps de la Compagnie, les exemples restent
rares, comme celui d'un marchand de vins, cité dans un article écrit par un
ancien ingénieur.(281)
En ce qui concerne l'existence d'un groupe social intermédiaire - les "cols
blancs" - maints auteurs préfèrent minimiser leur importance à La GrandCombe. Gaillard indique qu'ils sont une minorité:
"(...) un petit monde des employés et des maîtres-mineurs qui ne forment
qu'une minuscule classe moyenne (...)".(282)
De fait, les employés de bureau - leur nombre avoisinait 200 vers 1846 et
s'est stabilisé à 500 personnes environ dans la deuxième moitié du XIXe siècle
- se trouvaient placés, en tant que groupe, dans des conditions plus favorables
que les ouvriers. Ils se différenciaient également des ouvriers par des
conditions de vie plus aisées (meilleurs salaires, meilleurs logements, etc.):
"Le personnel de bureau forme une catégorie à part, sorte de classe
moyenne cherchant à bien marquer ses différences avec la masse
ouvrière".(283)
Ce repli du groupe des "cols blancs" sur lui-même correspond aussi à
une certaine hérédité de métier. Un fils de mineur peut cependant y entrer lui
aussi. D'ailleurs, étant donné la proximité sociale entre ce groupe et celui des
ouvriers,
il
s'agit
là
d'un
projet
constant
(aspiration)
d'ascension
socioprofessionnelle. Quelques enfants de mineurs arriveront effectivement à
franchir les barrières et à exercer la fonction d'employé, mais ce processus de
mobilité professionnelle reste plutôt exceptionnel. Nous développerons ce point
dans la prochaine section. Pour le moment, reportons-nous à Ariès:
"Avec de l'énergie et de l'instruction, un fils d'ouvrier peut parvenir aux
bureaux, et accéder à la classe privilégiée des employés. Mais pour franchir
l'étape décisive et devenir ingénieur, rien à faire. Ce n'est pas une question de
diplôme ni d'argent, mais de classe".(284)
Les fonctionnaires publics, les employés du P.L.M. (Chemin de Fer), etc.,
appartiennent plutôt, eux aussi, à ce groupe des "cols blancs".
"Pour les mineurs, seuls les fonctionnaires de l'Etat leur paraissaient
mieux traités qu'eux-mêmes qui avaient réussi 'à se faire une situation' comme
ils le disaient parfois, sans ironie".(285)
La structure des classes sociales à La Grand-Combe oppose ainsi une
grande majorité, de condition ouvrière, à un groupe minoritaire mais dominant.
Celui-ci est composé tout d'abord par les hauts dirigeants de la Compagnie,
mais aussi par tous les cadres qu'elle a engagés pour exercer une fonction de
chef: les ingénieurs, sous-ingénieurs, géomètres, comptables, dessinateurs,
etc., "lous moussus" comme le dénomment les mineurs dans le "patois
cévenol"(286), cette langue vernaculaire pour les mineurs.
"Mais là où la distance est la plus marquée, c'est entre l'employé et
l'ingénieur. (...) La Compagnie défend le prestige de ses ingénieurs en élevant
la barrière qui interdit l'accès de leur fonction. Car ce n'est plus une profession,
mais bien une fonction, une fonction d'autorité, de commandement. Ils doivent
être des seigneurs - la race des maîtres. Les vassaux doivent sentir qu'ils sont
d'une autre nature, d'une autre essence. Les ingénieurs ont leur quartier
résidentiel, leurs écoles, fermées même aux fils d'employés. Et si la Compagnie
entrouvre avec circonspection la porte des bureaux et la classe des employés,
elle verrouille sans appel la caste des chefs, le monde des ingénieurs".(287)
Ceux-ci
composent
non
seulement
le
groupe
dirigeant
de
la
Compagnie(288), mais celui de la ville, qui est désigné par la population comme
les "notables de La Grand-Combe".
"Les anciens notables n'étaient pas grand-combiens mais ils étaient
intégrés dans la Compagnie. Ils n'étaient pas grand-combiens, pas natifs d'ici,
mais ils participaient bien à la vie de la ville. (...) Ils faisaient leur carrière ici.
Puis ils partaient à la retraite". (M. Surrel. Mineur retraité).
A La Grand-Combe, la plus haute autorité du patronat est le Directeur
Général de la Mine. C'est lui "le patron de la Compagnie" celui qui gère
l'entreprise, qui commande localement le capital. Il est d'ailleurs le capital
personnifié aux yeux des ouvriers. Il habite la ville et il y est une figure de
direction présente dans sa vie économique.
Certes, les familles ouvrières n'ignorent pas l'existence de "deux types
de patrons", ceux qui composent le patronat et coordonnent la Direction de la
Compagnie des Mines à La Grand-Combe, et "les patrons eux-mêmes", les
membres du Conseil d'Administration(289) ceux qui gèrent le capital, qui
siègent à Paris, auprès des capitalistes financiers (la famille Rothschild, par
exemple). Mais ils composent un corpus séparé, formant une entité plus
abstraite.
Les membres du Conseil d'Administration (Président et conseillers)
habitent Paris ou d'autres grandes villes comme Marseille et Nîmes. Leur
existence devient cependant moins "invisible" pour les habitants à chaque visite
de ces "nobles" à La Grand-Combe, et surtout lors de la réunion annuelle au
Château de La Levade. A cette occasion, leur présence est très remarquée,
puisque toute la ville s'est préparée à les recevoir, comme "une maison bien
arrangée et nettoyée".
Après le Directeur, les "grands" de la Compagnie à La Grand-Combe
étaient le chef du service commercial et l'ingénieur-en-chef de l'exploitation.
Mais l'atmosphère locale était surtout imprégnée de l'autorité des ingénieurs
d'une manière générale, qui complétait celle de l'appareil dirigeant. C'étaient
eux qui avaient un contact direct et journalier avec les ouvriers, incarnant la
figure du patron dans le quotidien du travail, eux, les responsables directs du
processus de prolétarisation du personnel.
La majorité des ingénieurs forme un groupe allogène. Ils sont sortis pour
la plupart des rangs des Ecoles des Mines: Paris et Saint-Etienne, en général,
pour ceux spécialisés dans le travail de sous-sol, ou des Ecoles Centrales de
Paris ou de Lyon pour les ingénieurs du jour. Ils occupaient une place
hégémonique significative dans la ville. Plusieurs ont fait toute leur carrière
dans la Compagnie des Mines de La Grand-Combe dès qu'ils incarnaient les
"règles de la maison". L'ingénieur Flechon nous rapporte l'interview échangée
avec le Directeur de la Compagnie des Mines de La Grand-Combe, M.
Bonnevay, en 1927. Citons ceci:
"Et maintenant (dit le directeur à l'ingénieur) je dois vous préciser
comment nous entendons le travail de nos ingénieurs. Ils ont la responsabilité
d'une mine, des hommes, des installations et de la production. En conséquence
ils doivent être à la disposition de la compagnie vingt-quatre heures par jour. On
doit donc pouvoir les trouver rapidement quand ils ne sont ni à leur bureau ni à
leur domicile. Bien entendu, ils ne peuvent découcher qu'avec l'accord
préalable de leurs supérieurs. Pour les dimanches et jours fériés, un tour de
garde est d'ailleurs établi dans chaque division. En contre-partie, nous donnons
à nos ingénieurs un congé annuel de quatre semaines."(290)
Selon cet ancien ingénieur, non seulement ils étaient rigoureusement
sélectionnés mais on exigeait d'eux aussi une vie privée exemplaire.
"On s'entourait à leur sujet de beaucoup de renseignements: classement
de formation, enquête de moralité, enquête sur la famille. (...) S'ils étaient
célibataires, ils devaient donner dans le périmètre de la concession minière,
Alès incluse, l'exemple d'une vie sentimentale stricte, exempte de liaisons
affichées; s'ils étaient mariés, celui d'une grande rectitude de comportement et
l'obligation de s'astreindre à un certain mode de vie relativement fermé... la
Compagnie ne saurait admettre pour ses ingénieurs la moindre histoire de
moeurs qui donnerait à jaser, et compromettrait leur autorité".(291)
D'autres encore, les responsables des services publics placés sous le
commandement de la Compagnie, font partie de ce groupe aisé qui incarne le
capital, le pouvoir et le prestige social. Nous nous référons ici aux structures
d'assistance aux professionnels allant des services religieux à ceux de première
nécessité: clergé, autres religieux (Frères et Soeurs), médecins, dentistes,
pharmaciens, chefs d'institutions publiques, et autres professionnels "nobles".
Citons, parmi d'autres, quelques exemples d'ingénieurs qui ont fini leur
trajectoire professionnelle en exer‡ant les plus hauts pouvoirs: en devenant
chefs d'exploitation et Directeurs des Mines de La Grand-Combe(292). Le rôle
important qu'ils ont joué dans l'expansion de la Compagnie revient à maintes
reprises dans les documents historiques de l'entreprise. Exemples, donc, de
personnages qui ont bien mené la politique paternaliste dans la gestion de la
main-d'oeuvre et le contrôle de l'ensemble de la vie locale.
L'ingénieur Jules Callon est né en 1815 dans la Seine-Maritime
(Houlme). De 1834 à 1838, il a suivi les cours de l'Ecole Polytechnique et de
l'Ecole des Mines à Paris. En 1845, il est chargé comme ingénieur des
fonctions de directeur de l'Ecole des Maîtres-Mineurs à Alès, époque à laquelle
il effectue plusieurs voyages d'étude en Allemagne, Belgique, Amérique du
Nord (il est aussi professeur de mécanique et d'exploitation à l'Ecole des Mines
de Saint-Etienne). En 1846, le Directeur Général (et co-propriétaire) des Mines
de La Grand-Combe, Paulin Talabot, l'engage comme ingénieur et Directeur
des Mines de La Grand-Combe, fonction qu'il cumule avec celle de directeur de
l'Ecole des Maîtres-Mineurs d'Alès. Responsable d'un processus accéléré de
prolétarisation, il est la cible des mécontentements des ouvriers lors des
événements du printemps 1848, ce à quoi il répondra énergiquement en
convoquant l'armée pour organiser la répression(_). Fin 1848, il est nommé à
l'Ecole des Mines de Paris comme professeur suppléant de mécanique et
d'exploitation des Mines (en 1856, il est nommé professeur titulaire). Malgré ses
fonctions qui l'occupaient à Paris (et ailleurs), il séjournait fréquemment à La
Grand'Combe. Il devient ensuite ingénieur-conseil et le reste jusqu'en 1863,
date à laquelle il est promu administrateur-délégué. En 1872, il est nommé
Inspecteur Général des Mines. Il publie plusieurs ouvrages sur l'exploitation des
Mines et participe comme membre du Jury International aux Expositions
Universelles de Paris (1855 et 1867) et de Londres (1862). M. Callon s'est
marié en 1846 à la petite-fille du naturaliste Lamarck (et fille de l'ingénieur en
chef des Ponts et Chaussées, M. Monet de Lamarck).
François Beau, son successeur, nommé Directeur des Mines de la
Compagnie des Mines de La Grand-Combe en 1848, est né dans le Finistère
en 1815. Il a suivi l'Ecole Polytechnique à Paris à partir de 1836. En 1840, il est
engagé pour diriger les Mines de Rochebelle à Alès, où il coopère à
l'organisation de l'Ecole des Maîtres-ouvriers mineurs d'Alès. En 1864, il est
nommé Directeur Général des Mines de La Grand-Combe.
Son successeur, M. Graffin, ingénieur issu des écoles parisiennes, fait
toute sa carrière dans la Compagnie. Débutant comme sous-ingénieur en 1852,
il est nommé ingénieur principal en 1856, à l'âge de 27 ans. En 1863, il se
retrouve Directeur de l'exploitation et, en 1879, avec la mort de M. Beau,
Directeur Général de la Compagnie.
Un dernier exemple concerne le géologue de la Compagnie, M. Georges
Livet, né à Paris en 1884 et o— il suit ses études. En juillet 1914, il entre à la
Compagnie des Mines de La Grand-Combe. D'ao–t 1914 à juin 1916, il est
mobilisé par la guerre. En 1919, il devient chef du service des études
géologiques et géométriques. En 1938, il soutient sa thèse de Docteur ès
sciences à l'Université de Montpellier. En 1942, il organise un centre
d'apprentissage et dirige la formation professionnelle des jeunes ouvriers
mineurs de la Compagnie des Mines de La Grand-Combe.
Le cercle des familles des ingénieurs est restreint et compose un "monde
à part" vis-à-vis de la majorité de la population grand-combienne.
"Normalement, ils étaient étrangers au pays, mais ils faisaient toute leur
carrière ici. Bien s–r, il y avait ceux qui venaient de la région même. Ils se
mariaient entre eux... Par exemple, la fille du Directeur, je ne me souviens plus
de son nom, mais elle s'est mariée avec le fils du docteur spécialiste en
silicose". (M. Penot, mineur retraité).
Les femmes des ingénieurs, elles aussi en général d'origine allogène,
s'enfermaient - sur la recommandation, d'ailleurs, de la Compagnie - dans un
réseau de relations relevant d'un mode de comportement et de positions de
classe s'affiliant au groupe dominant.
"Dans ce milieu, très fermé, limité aux seuls ingénieurs et médecins de la
puissante compagnie des mines, au total une cinquantaine de familles, les
règles de vie étaient bien arrêtées. Madame C., la femme du Directeur, recevait
le lundi après-midi. Le go–ter y était servi par un valet de chambre, chauffeur de
Madame à ses heures, et il était convenable que les femmes des ingénieurs s'y
rendissent environ une fois par mois. Le mardi était réservé à Madame M.,
femme de l'ingénieur principal du fond; le mercredi à Madame T., femme de
l'ingénieur-en-chef. On y apportait son ouvrage et les conversations allaient bon
train sur les vie 'de ces Messieurs', les études des enfants, les événements de
la ville, les projets de mariage, etc. Mme Flechon y venait deux ou trois fois par
mois dans la victoria affectée à titre personnel à l'ingénieur du Pontil. Elle
quittait la réunion vers dix-huit heures, prenait son mari au bureau de Ricard, et
le pas lent du cheval qui soufflait pour atteindre le col de Maupertus les
conduisait en trois quarts d'heure à leur domicile".(294)
Ceci montre que les familles de "notables" doivent elles aussi répondre à
un statut moral défini par la Compagnie. Elles reproduisent les valeurs et les
pratiques de la classe dominante: "caractéristique d'un style de vie, d'une mode
et d'une consommation ostentatoire"(295).
"Il n'y en avait pas une qui nous adressait la parole...". (Mme Chambot.
Femme de mineur retraité).
Leur réseau de relations est bien sûr restreint aux familles d'ingénieurs,
les seules ouvertures se faisant hors de la commune.
Cette ostentation est visible depuis le type d'habitation - les villas - qui
exprime un statut social supérieur, jusqu'à tout un ensemble de conditions
privilégiées qui les classent en haut de la hiérarchie et qui définissent un style
de vie confortable. Dans ce sens, le signe le plus frappant de distinction pour
les femmes de mineur est la vie de femme d'ingénieur et maîtresse de maison,
car elle dispose de domestiques pour assurer la bonne tenue de celle-ci:
"Parce que dans la journée, ces gens, les ingénieurs, avaient un homme
en calèche et puis un vélomoteur qui faisaient les courses pour les dames.
Alors, elles passaient la commande et ce monsieur, il allait acheter du pain, un
paquet de je ne sais pas quoi, du sucre, ce qu'elles avaient besoin, il était payé
pour ça. Et en plus, elles avaient une bonne pour faire le ménage et tout, un
homme pour faire le jardin, etc.".(Mme Chambot. Femme de mineur retraité).
Un
autre
trait
encore
revient
à
plusieurs
reprises
dans
les
représentations de nos interlocuteurs pour exprimer ce qu'était le mode de vie
"bourgeois" du groupe social des ingénieurs: leurs privilèges de déplacement.
L'usage des calèches d'abord, de voitures plus tard, marquait bien une
différence "de naissance" par rapport à la grande majorité de la population.
"Notre fille, quand elle allait à l'école, c'était à pied, alors que la fille d'un
ingénieur, là, elle avait une calèche. Ils n'amenaient jamais personne d'autre
dans les calèches." (Mme Enfil. Femme de mineur retraité).
(M. Gany): "Dites, les enfants des ingénieurs ne se mélangeaient pas
avec les enfants des ouvriers, dans l'école et tout ‡a."
(M. Champec): "Jamais..."
(M. Gany): "Ils avaient une voiture, une calèche et une voiture
particulière. Ils ne se mélangeaient pas avec les affaires des ouvriers, là!"
(Mme Champec): "Même pour aller à l'école, les enfants des ingénieurs
ne prenaient pas le car. Les nôtres allaient à pied. Ils avaient une charrette, au
départ, bon! En 54, ils avaient encore la calèche à cheval, après ils avaient une
voiture particulière." (M. Gany et M. Champec, mineurs retraités).
La distance sociale est exprimée dans les différentes pratiques de la vie
urbaine. Les femmes d'ingénieurs ne sont d'ailleurs vues par la population
qu'en de rares occasions, et toujours se dépla‡ant dans leurs calèches
conduites par un cocher (plus tard dans les premières voitures apparues dans
la ville). L'une de ces occasions survenait à l'église, lors de chaque messe,
quand se jouait impérativement "la scène" du statut social. La hiérarchie
spatiale représentait alors la hiérarchie sociale: les ingénieurs et leur famille
occupaient les premiers rangs, les ouvriers les derniers.
"A cause de la structure sociale hiérarchisée, tout à fait particulière: on
ne fait pas cohabiter population ouvrière et cadres supérieurs de la Compagnie,
femmes de mineurs et femmes d'ingénieurs ne se rencontrent qu'à l'église ou
au temple et (plus rarement) au marché; mais les secondes, 'les damettes', y
sont conduites en calèche".(296)
La majorité de la population grand-combienne étant ouvrière, et afin de
ne pas briser la structure envisagée par la Compagnie pour cette "grande
famille", la cohabitation dans la vie publique est une rencontre sociale à éviter
chaque fois que cela est possible. En général, les femmes d'ingénieur ne
fréquentaient pas le marché: leurs employés faisaient les achats. S'il leur
arrivait de s'y rendre, cela était mal vu par la Compagnie.
Très tôt, les enfants de mineurs comprenaient qu'il existait des interdits
d'échange avec les enfants d'ingénieurs. Cette inégalité dans le mode de vie
était tout d'abord per‡ue quand les premiers voyaient les seconds
confortablement transportés jusqu'à l'école, et ensuite à travers leurs habits,
leurs moeurs bourgeoises, etc.
Le franchissement des limites n'était pas vu d'un bon oeil par la
Compagnie, comme le révèle ce récit d'un mineur et de sa femme qui habitaient
la cité de Forêt, non loin des villas des ingénieurs.
(M. Condera): "Il y avait un fils d'ingénieur, là, qui venait ici jouer avec
notre gar‡on, en cachette, bien s–r".
(Mme Condera): "Oui, il venait s'amuser avec notre gosse, là. Mais il n'a
jamais pris mon gosse dans sa calèche, jamais, jamais."
L'appartenance à un "monde" distinct était ainsi déjà connue par
l'extériorisation d'une posture sociale privilégiée qu'on exigeait des enfants
d'ingénieur.
Mais, en général, ces derniers ne restaient pas longtemps dans les
écoles de La Grand-Combe, et partaient pour des établissements privés d'Alès,
de Montpellier(297), de Nîmes ou Paris. Le départ pour faire une éducation
ailleurs, comme l'observe Pinçon, "accompagne une prise de distance sociale
dont
la
manière
d'envisager
la
formation
au
métier
constitue
un
symptôme"(298).
Parfois, ce fils d'ingénieur, après ses études, revient pour donner suite à
la carrière de son père, en héritant de son poste à la Compagnie:
"Quelquefois, le fils d'ingénieur devenait ingénieur ici aussi. Celui qui
habite à l'Impostaire (Les Salles-du-Gardon), là, son père a fait sa carrière
entière ici. Il est né ici, et après ça, école d'ingénieur. Il a succédé son père. (M.
Pezon. Employé Houillères retraité).
Le monde à part o— vit le groupe social des ingénieurs étant mis en
évidence dans les différentes circonstances du quotidien - travail, loisir,
éducation, etc. - il est clair que les ouvriers reconnaissent en lui le groupe
dirigeant et privilégié.
Toutes ces prises de distance sociale permettaient au patronat d'affirmer
son hégémonie sur la vie locale. Cela ne devait pas être compris par les
familles ouvrières comme une contrainte sociale, mais comme un déterminisme
social et culturel(299) inculqué comme une reproduction naturelle - dans un
domaine plus large de rapports (ceux de la "grande famille") - de l'ordre
hiérarchique d'une famille. C'est pour garantir cet ordre social que la
Compagnie exigeait même de ses ingénieurs certaines marques de
reconnaissance et de "familiarité". L'acte de saluer, celui de conseiller les
ouvriers sur leur vie privée, et dans une certaine mesure la charité et services
sociaux(300), composaient des pratiques suggérées pour prêter à l'entreprise
des "rapports familiaux et d'estime". D'ailleurs, selon le récit de l'ingénieur
Flechon qui a servi les Mines de La Grand-Combe pendant 30 ans, c'est pour
cela aussi que la Compagnie exigeait d'eux un comportement exemplaire: la
rectitude dans la vie, la dignité dans l'existence familiale, les qualités
professionnelles, le dévouement et un comportement très humain dans le
travail, "un prestige réel dont bénéficiait toute la corporation". C'est ainsi que cet
ingénieur raconte ne pas avoir été surpris de voir que, même quand il était
encore jeune (25 ans), les contremaîtres et mineurs lui accordaient non
seulement leur respect mais aussi leur confiance. De temps en temps, il
conseillait un ouvrier sur l'attitude à prendre à l'égard d'un fils qui avait "pris des
avances" avec sa fiancée avant le mariage, ou alors à l'égard d'une jeune fille
ayant fait une tentative de fugue avec un jeune homme d'un niveau social plus
élevé que le sien.(301)
Cependant, les limites de cette "familiarité" sont vite retrouvées par la
société ouvrière, face à l'inégalité des conditions de vie.
"Nous, les ouvriers, on ne s'entendait pas avec les ingénieurs. On se
disait 'Bonjour! Comment ça va?', c'est tout. Il y avait trop de différences entre
eux et nous". (M. Champeac, mineur retraité).
Ces distances ont été respectées comme règles de la "maison" pendant
longtemps, et selon les historiens du pays, cette situation s'est perpétuée
malgré la disparition de la Compagnie et les changements économico-politiques
survenus avec la nationalisation des mines (sujet de la Partie III):
"Après la Libération, les femmes d'ingénieur ont commencé à fréquenter
le marché. Elles y étaient amenées en calèche par un employé de la
Compagnie qui chargeait les paquets et les ramenait à leur domicile. De même,
jusqu'en 1954, la calèche amenait les enfants à l'école. Cela s'est perpétué
jusqu'en 1968, où femmes et enfants d'ingénieur disposaient encore d'un
chauffeur particulier. Il était mal vu de refuser ces privilèges et les ingénieurs
qui ne les ont pas acceptés ne sont pas restés très longtemps aux
houillères".(302)
***
Une autre source du clivage différenciant alors la population est
l'appartenance religieuse, qui est définie par un conditionnement social(303).
Par-delà l'identité ponctuelle d'une condition de prolétaire (identité de classe
sociale), on apprenait, dans les différents domaines de socialisation, que le
monde minier était organisé selon un critère convenable de différences politicoreligieuses. C'est en se basant sur le catholicisme que la Compagnie a cherché
à légitimer toute une série de valeurs morales imposées aux habitants et
appropriées pour informer un champ de pratiques déterminé par l'ordre
paternaliste.
Etre
un
"bon
catholique"
correspondait
aux
codes
de
comportement définis par la Compagnie: une vertu qui allait de pair avec celle
de bon travailleur et de citoyen apolitique.
"La Cévenne gardoise est en majorité protestante. Elle a toujours été
républicaine et donc de comportement socio-politique contradictoire avec celui
de la France rurale catholique. Ce qui fait que nous trouvons à La GrandCombe une situation spécifique. Au coeur de la tache protestante, s'instaure
une communauté ouvrière catholique. L'hostilité inter-communautaire y est
présente. La Compagnie crée des difficultés à l'embauche d'un protestant mais,
évidemment elle n'osait pas, au XIXe siècle, mettre officiellement des barrières
religieuses, et elle a même fait bâtir un Temple...". (M. Wiénin).
Le catholicisme est proposé comme étant le fondement de l'existence,
l'institution supérieure à laquelle la Compagnie s'assujettit en tant que "grande
famille", alors que le protestantisme était respecté en tant que confession
religieuse (édit de tolérance de culte, 1787), mais pas du tout encouragé. Or, le
cévenol gardois est l'héritier des luttes camisardes:
"Les vieilles familles enracinées au pays cévenol depuis longtemps
étaient protestantes et en grande majorité de tendance politique de gauche:
radicales ou socialistes; celles venues plus récemment de la montagne étaient
catholiques et d'opinions généralement plus modérées".(304)
Ce sont avant tout les ouvriers catholiques que la Compagnie a voulu
embaucher. Etant donné que le Gard descendait d'une tradition protestante - et
une majorité votant à gauche - cette volonté de la Compagnie de préférer une
communauté à la majorité catholique correspond à sa stratégie de s'assurer un
prolétariat politiquement conservateur. En 1846, la population recensée à La
Grand-Combe (4.011 h) est de 3.372 catholiques et 634 protestants. En 1851,
la population s'élevait à 4.730 habitants et comptait 3.992 catholiques pour 738
protestants, confirmant ainsi cette tendance.
Pour atteindre son objectif, la Compagnie est allée chercher les ouvriers
catholiques là o— ils étaient, dans les régions limitrophes du bassin minier,
comme la Lozère et l'Ardèche, zones de tradition agricole et catholique(305), et
o— elle entreprendra un recrutement systématique.
"(...) il est normal que les Compagnies préfèrent engager une maind'oeuvre politiquement s–re; comme les candidats ne manquent pas et que le
personnel d'encadrement est dévoué et avisé, il est facile d'écarter les éléments
subversifs. Dans cette optique, il devient compréhensible que les Cévennes
ardéchoises, enclavées, sans voie ferrée, éloignées de La Grand'Combe, lui
fournissent plus de gens que les Cévennes languedociennes: ces vallées sont
de religion catholique, comme le sont les plateaux o— se confinent les
départements de l'Ardèche, de la Lozère et de la Haute-Loire (...)".(306)
C'est cette population qu'elle juge la plus soumise et la plus docile à ses
principes paternalistes d'organisation sociale et économique, et par là la plus
facile à enraciner. Et, dans ce projet, elle compte l'église (à travers le rôle du
clergé) comme alliée.
Il est évident que la Compagnie n'a pas pu négliger le fait qu'elle
s'enracinait en plein bastion du protestantisme, puisque, dans le cas contraire,
elle s'exposait à faire ressurgir l'hostilité religieuse entre catholiques et
protestants (1680-1760)(307), ou alors l'hostilité politique entre royalistes et
républicains(308), encore présente dans les mémoires. Mais les cévenols
protestants, eux aussi, étaient réticents face aux systèmes développés par la
Compagnie, et la soi-disant "méfiance" était plutôt réciproque(309).
L'appartenance religieuse a été ainsi adoptée comme un critère de
classement "en plus", la Compagnie suggérant de la sorte le style de vie et
l'ethos idéaux aux membres de la communauté de travail de cette ville minière,
"ville paternaliste, dont le discours politique est avant tout axé sur la
propagande cléricale et en faveur de l'ordre moral"(310).
Nous pouvons percevoir dans le récit des personnes interrogées cette
volonté de la Compagnie de produire des ségrégations autour de la réputation
religieuse, afin de contrôler l'opposition de la base au statu quo:
(Chercheur): "Est-ce que tout le monde était traité également par la
Compagnie?
(Mme Volvic): "Non, la différence c'était l'Eglise. Dans le temps de mon
père et de mon mari, ils étaient obligés d'aller à l'Eglise. Ceux qui n'allaient pas
à la messe, alors, ne touchaient presque rien....".
(M. Volvic): "Parce que l'Eglise s'était mise du côté du plus fort, du
patron. Moi, personnellement, je pense qu'elle n'avait pas bien choisi son
morceau...".
(Mme Volvic): "Maintenant, ‡a ne me regarde pas... chacun a ses idées,
mais avant, il fallait être du côté de l'Eglise...".
(M. Volvic): "Maintenant c'est plus pareil, les gens sont moins hypocrites.
Mais avant, il fallait que tout le monde pense la même chose, on ne pouvait pas
avoir ses propres idées...". (M. Volvic, mineur retraité, et sa mère. Mme Volvic,
veuve de mineur).
Déjà à l'école, la distinction des enfants obéit à des critères religieux et,
par voie de conséquence, politiques. Certes, les enfants protestants ont pu très
tôt suivre l'enseignement de leur foi, mais les écoles catholiques ont toujours
pris une position dominante dans la préférence de la Compagnie. Cela était
bien compris par les jeunes gens, comme l'observe Pelen:
"L'école est d'ailleurs longtemps un lieu où se différencient et s'opposent
les communautés religieuses. Sur le chemin des écoliers, les petits catholiques
qui vont à l'Ecole des Frères invectivent les petits protestants de l'Ecole La‹que:
'L'Ecole la‹que! L'école du Diable! L'Ecole La‹que! L'école du Diable'!".(311)
Avec les changements survenus dans la structure scolaire fran‡aise (par
exemple, l'avènement des écoles laïques), si beaucoup d'enfants catholiques
continuent à fréquenter les écoles privées qui gardaient leur prestige auprès la
Compagnie, d'autres, dont les parents osaient affronter la toute-puissante
Compagnie, étaient envoyés à l'école la‹que. Dans leurs souvenirs, la
différence entre suivre l'école privée et l'enseignement public est pendant
longtemps restée présente.
"Oui, dans le temps de la Compagnie, même les écoles étaient à l'Eglise,
parce qu'il y avait des écoles la‹ques et vous aviez les écoles des Frères qui
étaient l'école de la religion. Ils avaient le monopole de tout. Moi, quand j'étais
gosse, j'allais à l'école des Frères; sinon, j'étais montré du doigt, hé!." (M.
Poincaré, mineur retraité).
"A cette époque-là, l'école libre c'était pas une obligation, mais mama
avait toujours peur. Mon frère travaillait à la mine et moi, je suis allée à l'école
libre parce que mon frère et ma mère voulaient garder leur travail. A cette
époque-là, c'était comme ça. On avait la crainte d'être renvoyé". (Mme Noël.
Fille de mineur).
On peut dire que ce choix de l'école la‹que de certains parents considérés comme dissidents malgré leur droit de citoyen à le faire - constituait
l'enjeu d'une lutte, marquait une opposition qui, si elle ne les confrontait pas
directement au capital, était malgré tout une prise de position de contre-pouvoir.
Prise de position idéologique certainement difficile à défendre pour les parents
ouvriers s'opposant à cette société paternaliste, quand on sait que le choix de
l'école était fondamental pour la carrière des enfants.(312)
La répartition géographique de la population laborieuse s'ordonnait aussi
- chaque fois que la Compagnie le jugeait nécessaire - selon sa croyance.
L'appartenance religieuse (et politique) était ainsi la base d'une distribution
préférentielle dans l'espace "urbain"/"périphérie". Mais ceci cachait la
préoccupation de la Compagnie de régler avant tout la question de
l'appartenance politique. Ainsi, dans la mémoire collective du groupe, parler des
anciennes tensions "religieuses" existantes amène à parler d'une distribution
résidentielle distincte sur le "territoire" de la Compagnie selon l'appartenance
religieuse.
Ainsi, le découpage de la ville en quartiers comportait non seulement le
critère de fonction mais aussi celui de l'appartenance religieuse. Encore
aujourd'hui, M. Franchis rappelle le poids du critère de la "religion" pour pouvoir
obtenir une maison dans un quartier nettement plus favorisé:
"Quand mes parents sont venus ils ont eu une place ici à la cité de
Ribes, mon père était bien placé. Autrement c'était que des gens choisi ici,
c'était des catholiques ici... c'est un peu comme la guerre de religion, ou ‡a
joue. Ici si vous alliez à la messe vous aviez une place. Ici on regardait ‡a. Si
vous alliez à l'église vous aviez une bonne place dehors, dans le bureau, la
cité, n'importe où". (M. Delan. Mineur retraité).
Nous avons également pu appréhender cette problématique dans les
récits des habitants interviewés du hameau de La Levade. Dans leurs
souvenirs, le vécu quotidien était marqué par une sociabilité religieuse
différenciée. C'est sur la rive gauche du Gardon (et à gauche de la ligne de
chemin de fer) que se trouvait le hameau de La Levade, où la Compagnie a
installé presque exclusivement des familles issues de Lozère et d'Ardèche,
créant un noyau d'habitat catholique. Juste à côté (sur la rive droite du Gardon
et à droite de la ligne de chemin de fer), se trouvait le hameau "Les Taillades",
appartenant à la commune de Branoux, de forte tradition agricole et formant un
noyau d'habitat protestant. Bien que ce "territoire" soit lui aussi devenu
concession de la Compagnie, ses habitants, qui depuis des générations étaient
enracinés dans le "pays", vont rester très ancrés dans leur tradition religieuse.
Ces paysans protestants habitant Les Taillades vont peu à peu répondre
aux appels du marché du travail qui s'impose: la mine. Toutefois, la Compagnie
fera toujours attention à leur "tendance de gauche". Pour cela, elle fait bâtir des
logements sur place, aux Taillades, les "isolant" ainsi d'une certaine fa‡on.
Remarquons que la résistance des protestants à habiter la nouvelle commune
"catholique" a peut-être coïncidé avec le zèle de la Compagnie à éviter de les
mélanger dans l'espace résidentiel de la nouvelle ville, aux effectifs
soigneusement sélectionnés venus d'ailleurs. C'est ainsi que les mineurs (et/ou
paysans-mineurs) protestants de la commune voisine sont restés, par rapport à
celle de La Grand-Combe, à la "périphérie".
La Levade, en revanche, située tout juste de l'autre côté du pont,
appartenait à la commune de La Grand-Combe, où, de plus, était installé le
siège administratif de La Compagnie. Les nombreuses familles ouvrières
catholiques qui s'y étaient fixées, tendaient à se concentrer dans la rue de
l'Eglise et la rue de l'Ecole, qui constituaient le centre du hameau.
Selon les habitants les plus anciens du hameau, ce quartier central était
autrefois, dénommé par les voisins protestants "Le Vatican", attribuant ainsi une
image métaphorique à ce lieu, qui, dans une certaine mesure, représentait le
pouvoir global. Les catholiques, pour leur part, interprétaient cette appellation
comme signe marquant leur apanage, et ils discriminaient les protestants
restant à l'écart de la nouvelle commune, ségrégation qui se trouvait renforcée
par des signes négatifs de distinction, chargés de "propriétés" d'exclusion: ceux
de Les Taillades étaient "les rouges", ou alors ceux "de tendance politique" tout
court.
"A l'origine, on appelait ici le 'Vatican', parce que les gens qui sont de
l'autre côté, là (Les Taillades), de tendance politique, appelaient ici Le Vatican.
€a, c'était quelque chose! hé! Il y avait une barrière entre nous. Ceux de
tendance politique ne venaient pas croiser par ici, 'la rue du Vatican'. Il y avait
une barrière. Et nous, on passait pas de l'autre côté du pont. Après le pont, on
ne passait pas parce que ce n'était pas la même mentalité. Ce n'était pas les
mêmes idées, ni les mêmes opinions. Ah oui! Ça, c'était quelque chose". (Mme
Delma. Commerçante retraitée. Habitante de La Levade).
On peut supposer qu'à travers la socialisation catholique, les habitants
transplantés de la "Cévenne catholique" à La Levade trouvent un support à une
identification territoriale et à une socialisation urbaine et prolétaire plus rapides
et plus faciles, soulagés qu'ils étaient de bénéficier des faveurs de la
Compagnie. Mais il est certain que ce facteur a pris une ampleur de "stigmate
de distinction" (pour plagier Bourdieu) dans la mesure o— le groupe voisin s'est
défini "en relation" et/ou en opposition au groupe hégémonique, créant ce que
l'un de nos interlocuteurs a défini plus loin comme "hostilité intercommunautaire"(313).
Cette
référence
à
une
distribution
de
l'espace
urbain
selon
l'appartenance religieuse réapparaît dans les récits des personnes interrogées
lorsqu'elles parlent d'autres quartiers et espaces "en relation de distinction".
C'est le cas de Salles-du-Gardon, où les "rouges", des paysans cévenols en
grande partie convertis au nouveau métier de mineur, restent les habitants les
plus nombreux.
Cette problématique interfère donc sur l'interaction famille/ville. Cela
nous permet de supposer que, à La Grand-Combe, non seulement les
"modalités de qualification et de gestion de la main-d'oeuvre" étaient liées aux
pratiques concernant l'habitat et d'autres mesures de protection (institution
scolaire, promotion sociale), mais aussi que l'appartenance à une idéologie
catholique était déterminante.(314)
Au-delà d'une apparente "harmonie sociale", des positions, des
hiérarchies explicites et implicites, des signes différencient les uns et les autres.
Depuis la classe sociale jusqu'à la fonction exercée dans la mine, en passant
par l'appartenance religieuse et le choix politique, le monde minier est rempli
d'éléments de distinction. Ceux-ci sont produits par le système même - inégal qu'engendre la Compagnie. Ainsi, en même temps que la classe ouvrière
trouve une unité par la distance qui l'oppose à d'autres classes sociales en
rapport avec des forces plus hégémoniques, les relations interindividuelles à
l'intérieur du groupe ouvrier et le comportement de chaque membre par rapport
à celui de l'ensemble révèlent aussi les circonstances très diverses à travers
lesquelles chacun s'insère dans la vie laborieuse et citadine.
B) LE CONTEXTE FAMILIAL "AU TEMPS DE LA COMPAGNIE".
La majorité de la population, dans cette ville minière nouvellement
fondée, est formée par les ouvriers. Ceux-ci sont soit des autochtones, soit des
nouveaux-venus. Les axes biographiques (ou généalogiques), les trajectoires
géographiques de ces gens, jusqu'à leur arrivée à La Grand-Combe, sont les
plus divers(315). Nous connaissons ce qui les pousse à s'y installer: en général,
pour plusieurs générations, c'est l'accès au marché du travail industriel.
Le travail à la mine étant le facteur par lequel ils s'y sont rassemblés, le
"vécu social" de ces familles et de ces jeunes, autochtones ou immigrés, est
désormais en rapport avec la nouvelle ville(316). Une vie collective intense va
se servir de cet univers de référence et au fur et à mesure que les familles s'y
enracinent, le travail à la mine, par l'hégémonie d'une mono-industrie
traditionnelle, devient le centre de gravité des projets familiaux(317). Cela
moins par "idéal de vie" (ou "vocation") que par l'héritage de conditions
d'existence déterminées: celles du prolétariat minier. Un choix qui est contraint
et forcé parce que par-dessus du risque assumé il y a la question humaine de
reproduction, de vie. Face à l'incertitude de la vie sans un travail sûr, l'on opte
pour ce travail dangereux, risqué, et la fatalité de la condition du travail minier
se transforme en entreprise hasardeuse, et l'incertitude subie devient "coup de
dés décidé"(318).
Nous suggérons par là que l'univers de cette société minière détermine
un contexte caractéristique: le monde prolétarien des mineurs rend objectif et
limité, par la condition de classe, le champ des possibilités(319) de construction
de projets de vie(320) (dispositions intériorisées, d'une certaine manière
héréditaires(321)). L'autre face de la monnaie, c'est la sécurité matérielle
assurée par la Compagnie qui "séduit". On court le risque de la fatalité physique
(la mort) par la compensation (ou condition) d'avoir un travail, une "précaution"
(prudence matérielle) prise pour éviter l'impossible survivance quotidienne (la
famine, la misère, etc.).
La Compagnie incite célibataires à se marier, les femmes à s'occuper de
la maison, le mineur à travailler, les couples à faire des enfants(322), comme le
suggère Gaillard en se référant aux allocations familiales fournies par la
Compagnie:
"Comment ne pas être franchement nataliste et souhaiter une famille
nombreuse, d'autant plus que l'entreprise offre une prime aux foyers de plus de
trois enfants. Ainsi, les institutions sociales ont un quatrième objectif: la
reproduction élargie de la main-d'oeuvre initiale... ".(323)
Fonder une famille nombreuse, suggère Goffman, peut être également
un moyen de "prendre ses précautions" pour compenser les "coups de dés".
Selon lui, cela peut aussi être une question de sécurité, qui concourt à la
recherche de "tranquillité" pour ranger son existence.(324)
Ainsi, au fil des années, une "homogamie professionnelle"(325) ainsi
qu'une "hérédité professionnelle" se manifestent. Cela définit des aspects
singuliers dans cette communauté de travail: les générations du temps de la
Compagnie.
(Chercheur): "C'est vous qui avez choisi de travailler à la mine?"
(M. Chambot): "C'est-à-dire qu'il n'y avait pas autre chose. Nous avons
été père-mineur, fils-mineur, et ainsi de suite, jusqu'à la génération de mon fils".
(Chercheur): "Vous êtes fils de mineur?"
(M. Chambot): "Oui, et j'avais un frère qui était mineur aussi. Lui, il est
rentré à la mine à 13 ans et ça faisait jeune. Depuis l'époque de Zola ça a été
comme ça". (M. Chambot. Mineur Retraité).
Emile Zola, dans son roman Germinal (1885)(326), raconte l'histoire
d'une famille qui pendant cinq générations est liée au travail de la mine. On a
beaucoup écrit sur l'hérédité dans l'univers prolétarien des mineurs, parfois en
évoquant comme la continuité de la "lignée du mineur fils de mineur" ("le
mythe?")(327), parfois analysant les mécanismes par lesquels les Compagnies
ont entrepris, dans les milieux miniers, de créer ce primat du destin: l'hérédité
professionnelle. Dans ce dernier cas, les auteurs tantôt analysent l'intention de
créer un "stock héréditaire de travailleurs" (des villes-stocks), une villeréservoir, afin d'y parquer la classe "dangereuse" en assurant l'autoreproduction indéfiniment élargie d'une main-d'oeuvre héréditaire (fixée à la
mine depuis plusieurs générations)(328), tantôt démontrent que ce processus
comporte des refus dus à la répugnance au pénible travail de la mine de la part
d'un prolétariat récemment converti(329).
Tout en prenant en compte ces analyses critiques, nous visons ici à
démontrer que la Compagnie des Mines de La Grand-Combe s'est prévalue de
cette "recette" traditionnelle pour résoudre le problème de pénurie de maind'oeuvre: la fixation et la reproduction élargie de la population minière. Cela est
la base d'une structure familiale singulière; elle est surtout nucléaire, tournée
vers le foyer, raison du proverbe "charbonnier est maître chez lui"(?)(330). Mais
la famille devait en même temps être prolifique, ce qui supposait une mentalité
trouvant sa légitimité dans une tradition chrétienne.
Certes, elle n'est pas encore du type malthusien, parce que la
Compagnie motive encore sa fécondité. Mais déjà la procréation n'est plus
fondamentale en tant que reproduction de main-d'oeuvre pour la famille, mais
(et, par-dessus tout) pour la Compagnie. Elle doit être nombreuse, certes, mais
la Compagnie prend soin d'elle et se charge des enfants(331).
Nous partons des évidences. D'un côté, la forte concentration ouvrière
sera dorénavant la base d'un nombre important d'alliances matrimoniales à
l'intérieur du réseau de la communauté de travail "grand-combienne" - une
homogamie socioprofessionnelle marquera les unions.
(M. Chabrol): "J'ai travaillé 33 ans à la mine. Au fond. D'abord, j'ai fait
deux ans de place, pour séparer la pierre du charbon. Ma femme aussi a
travaillé là comme placière pendant 5 ans".
(Chercheur): "Où est-ce que avez-vous connu votre femme?"
(M. Chabrol): "A la mine... c'était l'époque".
(Chercheur): "Et vous êtes fils de mineur?"
(M. Chabrol): "Oui, mon père était mineur, mon grand-père de même,
aussi bien que du côté de ma femme".
(M. Chabrol. Mineur retraité).
D'un autre côté, le monopole d'une mono-industrie construit un champ de
possibilités professionnelles limitées: le monde du travail est celui de la mine,
ce qui a pour corollaire un héritage socioprofessionnel. Ce sont là les effets,
sans doute, de la politique d'encadrement paternaliste que la Compagnie
déploie. Mais, comme l'observe Schwartz pour la société minière dans le Nord
(France):
"Il reste que la violence de l'encerclement patronal a marqué la société
minière d'une spécificité durable, que même la nationalisation des compagnies,
intervenue à la Libération, n'a pas suffi à démentir. Par suite d'une forte
soumission des individus au travail, d'une dissuasion constamment exercée par
le système sur toute ambition sociale, d'un effort pour attacher les ouvriers à la
mine par le biais du logement et de la famille, le monde des mineurs est
demeuré, en plein coeur de notre siècle, un monde clos".(332)
Grâce aux stratégies d'encadrement paternaliste, la Compagnie réussit
dans son programme de stabilisation de la main-d'oeuvre. Celle-ci se voit
contrainte à respecter son engagement, parce que la mine représente le seul
élément économique local dynamique - le "champ des possibles"(333). En
même temps, la Compagnie homogénéise cette main-d'oeuvre par le biais du
partage des conditions de vie, créant ainsi une unité dans ce groupe social, ce
que nous prenons en compte comme un système de pratiques et de valeurs
sur-valorisées par une communauté, autrement dit, une "emblématique
identitaire", parce que marque distinctive réinvesti dans un autre niveau de
signification totalisante, élément structurant de l'identité (indissociable de la
formation sociale), "un principe d'unification identitaire".(334) C'est sur la mise
en lumière de ces aspects que nous concentrerons nos efforts dans ce
chapitre.
***
Il va de soi qu'étant le fruit de la cohabitation dans un même univers
social, les réseaux de communications s'y circonscrivent. Un vieux couple
grand-combien nous raconte qu'ils se sont connus dans un bal à
Champclauson. En effet, les activités ludiques (religieuses ou profanes) dans la
commune et dans la région, les fêtes familiales, etc., offrent aux jeunes
l'occasion de se réunir, de s'approcher et de donner naissance à maints projets
de mariages.
"Il y avait des jeunes qui se connaissaient dans la même rue et qui se
mariaient entre eux. Il y a ceux qui se sont connus dans les fêtes, les bals du
coin, la fête de Sainte-Barbe, la fête Votive, etc., (...) et puis, il y avait les
mouvements de jeunesse, le mouvement catholique, les associations
sportives... Comme partout, n'est-ce pas?". (M. Pezet. Employé des Houillères
retraité).
Notre interlocuteur grand-combien a raison de dire que "c'est comme
partout". Une étude d'ethnologie des mariages à La Grand-Combe montrerait
certainement que les "agencements sociaux" qui permettent aux jeunes - qui
constituent l'univers matrimonial - de se rencontrer et de se retrouver
concernent les événements traditionnels dans les villages et les "quartiers" de
la province: bals et fêtes du "pays", promenades du dimanche, etc.(335).
Néanmoins, comme toute société, celle-ci compte ses particularités. Ces jeunes
autochtones, ces jeunes immigrants ou enfants d'immigrants (surtout ceux
d'origine paysanne), connaîtront de nouvelles conditions de vie, de travail,
d'habitat, de relations, d'entraide, etc. Maintenant, "le village" est constitué de
casernes, de quartiers ouvriers; des bals et des fêtes sont organisés par la
Compagnie; les offices religieux sont aussi des "obligations" de la communauté
de travail. Bref, on s'installe dans un territoire très particulier - une zone minière
- on s'insère dans une société ouvrière.(336)
Lorsqu'on parle des nouveaux mariés, nous savons qu'il y a là une
bonne dose de choix personnel, mais à laquelle s'ajoutent une norme sociale,
des codes collectifs, l'existence d'une aire matrimoniale... bref, les enjeux dans
lesquels s'inscrivent ces alliances. Les motivations combinent alors des options
personnelles
aux
projets
d'intégration
familiale
(les
protagonistes)
et
professionnelle (y compris des calculs de rationalité économique), ainsi qu'à
d'autres critères culturels, démographiques, géographiques, etc. Cependant,
ces aspects sont circonscrits au contexte social de l'époque, où il faut
remarquer un autre déterminant, extérieur au choix personnel, qui établit des
conventions réglant les relations familiales : en toutes circonstances, on agit
selon "l'éthique" de la Compagnie.
Nous avons déjà invoqué les moyens - persuasifs - que la Compagnie
emploie pour inciter les ouvriers à vivre "en famille": "la famille, garant d'un
ordre de la socialisation, deviendra la cellule de base de l'édifice
institutionnel"(337). Aujourd'hui, encore, cet aspect est assez clair pour les
descendants de cette communauté:
"Avant la nationalisation, au temps de la Compagnie, elle intervenait
beaucoup dans cet aspect: la famille. Parce qu'il fallait qu'elle garde le
personnel. Elle avait besoin de personnel et elle allait chercher des familles ou
alors, elle les faisait venir - directement ou indirectement. Automatiquement, il y
avait cet aspect: retombée sur la famille. Mon père, quand il s'est pointé vers la
guerre de 14, par là, il est venu tout seul. Ma mère est venue plus tard avec ses
gamins. Et il y avait quand même du travail. C'est-à-dire que mon frère aîné,
moi et mon autre frère cadet, tous les trois on a travaillé au fond de la mine.
Alors, nous, on était trois bons hommes. Nous nous sommes tous mariés ici.
Cela faisait grossir la famille. Alors, par là, la Compagnie avait de la maind'oeuvre. Et, bon... elle s'occupait de la famille. On restait là parce qu'on était
logé, qu'on avait un toit. Et la famille, on était quand même garanti pour la
maladie, l'hospitalisation, les blessures. Si, par exemple, vous aviez une
blessure, vous aviez droit à des pensions, à des avantages. Voilà! Ici on avait
beaucoup de trucs". (M. Chazalle. Il a commencé comme mineur dans la
Compagnie et fini comme cadre dans les Houillères).
Autrement dit, ce "vécu familial" ne correspond pas fortuitement à un
certain mode de vie, de résidence, à une certaine vie en famille. C'est
l'assignation d'une politique d'encadrement paternaliste débouchant sur un
processus de "familialisation" qui y est déterminant. Nous avons déjà évoqué la
famille idéalisée par la Compagnie - une famille construite sur les principes
matrimoniaux et les valeurs chrétiennes - qui assure la stabilité par
l'indissolubilité même du lien conjugal et répond à ses intérêts de reproduction
élargie de la main-d'oeuvre par l'accroissement naturel du nombre des enfants
jusqu'au surnombre.(338)
"Ainsi, natalité et nuptialité sont directement fonction de l'avenir prévisible
de la Compagnie des Mines de la Grand-Combe et l'on mesure là toute
l'importance de la conjoncture économique à court et moyen terme sur les
attitudes humaines face au mariage et aux enfants".(339)
Ce processus débute au moment de la création de la Compagnie. On
compte alors un nombre déjà expressif de familles, ou d'ouvriers mariés qui
arrivent seuls. Dans ce dernier cas, leur famille tantôt restera dans le village
d'origine, tantôt les rejoindra plus tard. C'est ce qui se produit pour les mineurs
saisonniers mariés:
"Tous ne s'étaient pas fixés sur place immédiatement, nombre d'entre
eux n'y venant que pour les mois d'hiver et conservant leur ferme de montagne
pour la belle saison". (...) "A l'entrée de l'hiver, arrivaient les 'gavots', descendus
des hauts plateaux de la Lozère et de l'Ardèche. Vivant en célibataires chez
des parents ou dans des cantines de la Compagnie, pendant que là-haut leurs
femmes soigneraient les bêtes, récolteraient le lait, prépareraient et vendraient
le beurre, ils repartiraient, le printemps venu, nantis des économies
péniblement amassées par un travail soutenu de plusieurs mois, pour aller
planter leurs pommes de terre, répandre sur les herbages le fumier accumulé et
se gorger d'air pur après ces mois de poussière souterraine."(340)
Le nombre d'ouvriers célibataires est encore parlant, ce qui démontre le
caractère encore pionnier de la ville(341). Plusieurs se marieront passées les
premières années "d'installation" dans la nouvelle ville.(342)
"Il est vraisemblable d'imaginer maint paysan-manoeuvre se mariant
dans son village après quelques hivers passés à la mine, puis le nouveau
couple abandonnant la terre natale pour s'entasser avec d'autres dans les cités
ouvrières".(343)
Les jeunes gens célibataires ou mariés étaient aussitôt embauchés dans
la mine.
"C'était le divisionnaire le responsable de l'embauche. Tous les aprèsmidi, P. introduisait dans son bureau les candidats au travail. On y voyait,
mêlés, des fran‡ais, la plupart du temps venus directement des hauts-plateaux
voisins, quelques-uns en provenance d'autres compagnies du Bassin, et même
parfois originaires du Pays-bas, qu'ils aient trouvé un logement chez des
parents déjà fixés à La Grand-Combe, ou qu'ils aient envisagé de prendre une
chambre dans un petit hôtel ou dans une cantine, organisée et contrôlée par la
Compagnie".(344)
Il est plus difficile de connaître les conditions dans lesquelles arrivaient
les filles célibataires. La ville en attirait certainement un nombre important, qui
venaient pour être embauchées comme placières, comme domestiques chez
les ingénieurs, etc., ou tout simplement pour trouver plus facilement à se
marier.
Très tôt, le taux de nuptialité est assez élevé(345), preuve que les
célibataires sont poussés au mariage par un ensemble de dispositifs mis en
place par la Compagnie. Preuve aussi que, par la constitution d'alliances,
l'initiation aux avatars d'une nouvelle condition de vie est moins malaisée.
Qui sont donc ces jeunes qui fondent les familles grand-combiennes?
Lorsque l'on observe les lieux de naissance des couples qui se marient à La
Grand-Combe, l'on constate une importante exogamie, conséquence d'une ville
nouvellement créée: une ville jeune et encore "d'accueil".(346)
Cela est confirmé par la thèse de Lamorisse qui observe que, en 1876,
dans plus de la moitié des mariages à La Grand-Combe (54%), les familles
nouvelles se sont constituées de jeunes venus d'horizons géographiques très
différents.(347)
En effet, cette exogamie est très présente dans les récits de nos
interlocuteurs les plus âgés à chaque fois qu'ils parlent de la trajectoire de leurs
ascendants:
"Ma mère elle est venue à La Grand-Combe quand elle s'est mariée. Elle
était du côté de Bessèges. Mes grands-parents maternels sont du côté de
l'Ardèche. Mon père est né ici, mais mon grand-père (paternel) est de Mende
(Lozère). Je ne sais pas trop quand est-ce qu'ils sont venus. Ma femme est de
Lozère. (M. Combet. Mineur retraité).
Ainsi, dans les premières décennies après la fondation de la ville,
période à laquelle la Compagnie recrute intensivement, l'immense majorité de
la main-d'oeuvre est issue des montagnes cévenoles: Cévennes gardoises,
lozériennes, ardéchoises, qui représentent à elles seules 90% des personnes
mentionnées dans les actes de mariage(348).
Cette "diversité" du peuplement suit en fait certains critères qu'il faut
retenir. Nous avons déjà fait référence à l'intérêt de la Compagnie de construire
une communauté de travail à prédominance catholique. Vue sous cet aspect, si
l'aire matrimoniale est étendue, elle correspond quand même à une affinité
géographique qui révèle aussi une affinité idéologique avec la Compagnie. Les
zones limitrophes dans lesquelles la Compagnie va recruter préférentiellement
son personnel sont à prédominance catholique. Ainsi, elle "propose" le
catholicisme pour légitimer le fondement d'un mode d'existence. Les raisons à
cela - nous les avons déjà évoquées - sont non seulement l'obtention d'un
travailleur discipliné, mais aussi le désir de voir tous les membres de la famille
subordonnés aux normes établies dans cette société minière.
Si leur origine géographique est encore diversifiée, leur orientation
sociale, en revanche, est aussitôt déterminée. Puisque c'est une ville minière, le
fiancé est avant tout un mineur de charbon. Le dépouillement des registres de
mariage, d'après l'activité exercée par les époux, démontre que c'est à
l'intérieur du champ de relations de groupes domestiques ouvriers que se
construisent les nouveaux rapports conjugaux par excellence.(349)
Cela nous permet de remarquer, tout d'abord, la présence d'un nombre
élevé d'alliances parmi le groupe socioprofessionnel ouvrier à La GrandCombe. Malgré la mobilité propre de cette population (ouvrière) à l'époque, une
importante
homogamie
socioprofessionnelle
se
manifeste
aussitôt.
Deuxièmement, l'on observe la présence d'autres professions liées à une
urbanité, mais qui, par leur faible nombre, dénotent encore un stade prématuré.
Et, finalement, le faible taux de mariages dans le groupe des agriculteurs(350)
décèle le petit nombre de familles paysannes et la dilution rapide de celles-ci et
des exploitations agricoles dans la commune(351).
A une nuptialité qui s'intensifie s'ajoute la précocité des mariages.
Certes, dans les premiers recensements, l'âge des mariés s'avère un peu tardif,
mais il s'abaisse très vite (surtout pour les filles), ceci étant dû entre autres
choses, à un mode de résidence indépendant.(352)
La grande majorité des jeunes travailleurs ont connu leur fiancé(e) après
leur arrivée à La Grand-Combe. Au fur et à mesure de leur enracinement et
d'une meilleure stabilité dans le travail, les jeunes immigrés célibataires
finissent par se marier à La Grand-Combe, avec le projet d'y rester. Et, comme
l'observe Lamorisse, pour ceux qui sont allogènes et qui épousent une fille née
dans la commune, "la rupture avec le milieu rural dont ils proviennent ne peut
que s'accentuer et le mariage est sans doute une circonstance favorable à
l'installation définitive dans le secteur industriel".(353)
L'observation des actes de mariage de 1847 montre, par rapport au lieu
de résidence, que sur 30 actes recensés, 48 des conjoints (22 hommes et 26
femmes) résidaient sur la commune au moment du mariage. Parmi les autres, 3
habitaient Alès, 1 l'Ardèche, 1 la Lozère, 1 l'Aveyron, et 6 avaient une résidence
inconnue. Ainsi, les nouveaux couples, dans leur grande majorité, résident déjà
dans la ville ou les hameaux proches au moment des noces.(354) Cela n'est
cependant pas la règle. Il est possible que des immigrés célibataires aient
laissé leur fiancée dans son village natal, situé le plus souvent en amont
immédiat du bassin houiller, jusqu'à la veille du mariage.(355) De même pour
ceux qui arrivent déjà mariés et qui, dans un premier temps, laissent leur famille
dans le village d'origine. Viennent les difficultés d'une vie loin de la famille, dont
les contrecoups sont la solitude, la nourriture de la cantine à laquelle on ne
s'habitue pas toujours, etc. Les facilités proposées par la Compagnie pour faire
venir la famille incitent le mineur à se stabiliser définitivement dans la ville
d'accueil. L'arrivée de l'épouse et des enfants scellera cette option.(356)
Pour ceux qui proviennent d'un milieu rural, les mariages à la ville
n'obéissent certainement pas aux mêmes stratégies matrimoniales que celles
de leur groupe d'origine, puisque la question d'héritage (terres et dots) ne joue
pas ici le même rôle.(357) Quoique concernant une période postérieure,
certains récits apportent un exemple de rupture définitive avec le lopin familial:
"Mon père, d'abord, il a gardé la terre et puis il l'a louée. Mais il ne s'en
sortait pas; alors il a tout vendu et il est venu à la mine. Il est venu en 35 et on
est venu un an plus tard en 36". (M. Pondes, Mineur retraité).
"Mes grands-parents sont restés là-haut (Lozère), ils sont paysans. Mon
père n'a pas voulu rester, il n'avait pas beaucoup de terre, c'est pour ‡a qu'il a
abandonné le métier paysan. Ce n'était pas rentable, et c'était mieux de faire le
mineur". (M. Voldan. Mineur retraité).
Pour une grande majorité, l'insertion à La Grand-Combe implique une
nouvelle réalité: une re-définition sociale et une re-définition spatiale. Tout
d'abord, ce qui distingue surtout le monde urbain du monde rural est la
condition de salarié du travailleur, synonyme d'une situation d'émancipation
plutôt rare dans le monde rural. L'indépendance économique de l'ouvrier
célibataire, qui en plus d'un salaire obtient la garantie d'un toit pour sa famille,
lui permet d'envisager un mariage que ne suit plus les mêmes codes juridiques
et culturels que ceux des familles paysannes.
A cela s'ajoutent les changements concernant les problèmes liés à
l'avenir de la famille: éducation des enfants, assistance aux vieux, aux veuves,
à la maladie, etc. Ces problèmes, qui dans une société rurale devaient être
réglés à l'intérieur des systèmes de parenté organisés selon leurs situations
culturelles spécifiques(358), sont désormais pris en charge par une politique de
protection sociale développée par la Compagnie.
Cela ne veut pas dire absence de stratégie matrimoniale. Les
prescriptions sociales sont ancrées dans les valeurs et principes moraux, tant
anciens(359) que nouveaux, aussi bien par rapport au "choix" des conjoints
qu'en ce qui concerne leurs droits et devoirs envers leurs famillessouches(360). On s'allie à la nouvelle population rassemblée là en même temps
qu'on y retrouve la conformité des codes traditionnels pratiqués dans le groupe
d'origine. A cela s'additionne la volonté de la Compagnie d'orienter la vie des
familles ouvrières qui dépendent d'elle. C'est tantôt elle, tantôt l'église (le
clergé(361)), qui devient l'interlocuteur essentiel pour codifier les valeurs
susceptibles de motiver ces événements sociaux que sont le mariage et la
procréation.(362)
Le
couple,
bien
sûr,
appartient
préférentiellement
aux
mêmes
prescriptions religieuses et l'espace familial est supposé reproduire ces
principes.
"(...) il semble en effet que chaque fois qu'un ouvrier ou un employé
catholique de l'entreprise désirait épouser une fille protestante, le curé et
quelquefois le patronat lui-même exerçaient des pressions sur la famille et le
futur mari pour que le projet ne soit pas mené à bien. C'est dans ce cas une
autre forme, parmi tant d'autres, d'intervention dans la vie privée du personnel
qui confirme, s'il en était besoin, cette tutelle de tous les instants que prétend
exercer la Compagnie sur la main-d'oeuvre".(363)
En effet, la Compagnie réussit à stabiliser un nombre important de
"familles" ouvrières. C'est du moins ce que nous pouvons supposer au vu de
l'importance de l'homogamie sociale, et, lorsque l'on regarde le lieu de
résidence des conjoints au moment des noces, de l'endogamie locale. Cette
réussite n'est pas difficile à comprendre: contrastant avec les conditions
traumatisantes auxquelles une grande majorité du prolétariat était soumise en
France au XIXe siècle, la reproduction de la vie de l'ouvrier et de sa famille était
effectivement assurée à La Grand-Combe par la Compagnie, dans un contexte
de sécurité - en ce qui concerne l'emploi, le logement, la retraite, etc. - qui
assimilait les rapports sociaux aux rapports familiaux.
C'est d'ailleurs l'origine du slogan que nous allons entendre à plusieurs
reprises, chaque fois que le statut de la femme du mineur était évoqué dans
l'espace social: "femme de mineur, femme de seigneur", et qui résume d'une
part cette conception de s–reté, d'autre part le rôle que celle-ci doit jouer selon
une morale familiale:
"(...) 'Femme de mineur, femme de seigneur', disait le proverbe pour
souligner que la femme mariée ne travaillait que si elle le voulait bien; la paye
de son mari et les quelques avantages sociaux (logement, chauffage, sécurité
sociale minière, retraite) consentis à la profession lui permettant de ne travailler
hors de la maison que si elle le désirait vraiment".(364)
Au fil des années les groupes domestiques grand-combiens se
définissent(365). La structure des ménages et l'organisation de la résidence se
conforment, sous des traits spécifiques, à la "ville minière": le père, pourvoyeur
du soutien familial, travaille à la Compagnie; la mère, maîtresse de maison,
veille sur les enfants.
En 1914, H. Pin écrit une thèse sur les mineurs du Gard, dans laquelle il
déplore les raisons qui poussaient les mineurs à fréquenter les "cabarets" et à
s'adonner à l'alcoolisme, dont la faute revient à son avis à la femme qui ne
saurait pas retenir son mari à la maison. Il propose le "foyer idéal":
"Si la ménagère savait arranger un intérieur confortable et accueillant,
l'ouvrier ne serait pas tenté d'aller se distraire en dehors, il resterait chez lui. Le
remède n'est pas difficile à trouver. Il ne suffit pas de donner à la famille un
logis agréable et sain, il faut en même temps former de bonnes ménagères, des
femmes d'intérieur pénétrées de leur mission dans la famille qui l'après-midi, au
lieu d'aller bavarder dans le quartier, resteront chez elles, dirigeront la maison
avec économie. Le mineur mieux soigné sera physiquement plus apte, plus fort
et plus ardent au travail. Tout en profiterait, même le budget familial qui, mieux
équilibré, se solderait au bout de l'an par un supplément de recettes".(366)
Ces principes sont ceux connus de la société contemporaine: la
construction des unités domestiques renfor‡ait la vie privée et les rôles bien
hiérarchisés des géniteurs.
"Plus la structure familiale est forte, plus il y a de chances que la famille
soit prolifique. En restaurant l'autorité de l'homme sur la femme, on lui
permettra de la cantonner au foyer, de la 'libérer' de toutes autres activités que
reproductrices et domestiques. La perte de gain qui s'ensuivrait serait
compensée par l'augmentation des revenus due à la progéniture, les allocations
familiales qu'il faut promouvoir et le salaire des enfants lorsqu'ils ont passé
douze ans. Ainsi on rendrait à la famille le caractère d'une petite entreprise
intéressée à multiplier ses membres, donc ses forces".(367)
C'est à travers la Compagnie que les familles ouvrières vivent leur
insertion dans la vie sociale de la ville. L'identité professionnelle des époux qui
se sont mariés à La Grand-Combe confirme en quelque sorte la structure
familiale dominante au temps de la Compagnie, par rapport à la distribution des
rôles dans le ménage: c'est le mari qui exerce un métier rémunéré tandis que la
femme s'occupe des activités domestiques et des soins aux enfants(368), régle
les rythmes de la vie familiale (l'heure du départ au travail et à l'école, du retour,
les rythmes des repas et du sommeil, etc.).
Les "territoires" occupés par les groupes féminin et masculin sont ainsi
découpés: pendant qu'aux hommes est réservée la tâche de garantir le revenu
par le travail à la mine, la femme, ou mieux, la femme du mineur et la mère de
ses enfants, doit se plier à l'exercice d'une fonction tutélaire sur l'ensemble du
foyer.
"(...) la 'ville-usine' fige la femme d'ouvrier dans le statut de femme au
foyer".(369)
Cantonnée dans la sphère du domicile, la femme du mineur est chargée
de garantir l'accomplissement des tâches domestiques. Elle veille à l'achat des
aliments quotidiens, à la préparation de la nourriture, à l'entretien du linge, à la
vaisselle, au nettoyage du logement (pour lequel elle compte, quand cela est
possible, sur l'aide de ses filles), permettant ainsi au chef de famille de
récupérer pleinement ses forces après un travail épuisant.
Les logements et les unités résidentielles dans lesquels sont insérées les
familles répondent d'une manière plus ou moins adéquate aux nouveaux
besoins. Dès lors, les conditions d'habitation proposées par la Compagnie, de
protection sociale, etc., encouragent le développement d'un type d'organisation
familiale qui, l'on peut le supposer, deviendra le plus courant dans la
communauté ouvrière grand-combienne: la famille restreinte basée sur un
système bilatéral de parenté et sur le mariage. Le plus souvent, le ménage est
à noyau conjugal simple, sans ou avec descendants (enfants). Il est convenu
d'appeler ce type-là de famille nucléaire (et/ou conjugale). Cependant, celui-ci
ne constituait pas le seul modèle de structure familiale et, d'ailleurs, cette
structure n'invalide ni les liens de parenté, ni ceux d'amitié ou de voisinage
développés dans la communauté de travail.(370) En outre, il faut se rendre
compte des situations d'un individu vivant seul, composant une structure simple
de ménage, aussi bien que les liens créés autour de lui.
La tendance du ménage conjugal est, le plus souvent, de constituer une
famille de résidence néolocale, celle-ci étant un principe établi par la
Compagnie, ce qui signifie que dès le mariage la famille va s'installer dans une
maison indépendante des deux groupes parentaux. Mais quand cela n'est pas
possible, surtout dans les premières années du mariage, le nouveau couple va
habiter chez les ascendants ou chez des parents collatéraux en attendant leur
propre logement.
Ce genre de cohabitation se manifeste aussi dans d'autres cas, comme,
par exemple, celui d'une mère veuve qui se rapproche du ménage d'un fils ou
d'une fille, ou même d'un frère ou d'un cousin célibataire, etc. La cohabitation
de deux générations qui travaillent à la mine peut être parfois comprise comme
une prévention pour le jour où l'âge de la retraite arrive:
"Lorsque venait, pour les mineurs l'heure de la retraite, le logement qu'ils
occupaient, s'il appartenait à la Compagnie, était mis généralement sur le nom
de l'un des enfants travaillant à la mine".(371)
Les cas de cohabitation sont multiples et rappellent l'importance des
rapports de parenté dans ce milieu, bien qu'ils soient moins souvent dus à des
critères de "lignée" qu'à une nécessité, synonyme d'entassement sur quelques
mý (surtout dans les périodes de grande demande de main-d'oeuvre et de
pénurie des logements prévus par la Compagnie).
C'était la Compagnie qui logeait tout le monde, et je crois que la période
le plus pénible pour les logements ici, ça a été en 35, par là, c'était la période la
plus pénible pour avoir un logement ici. On est resté un an et demi avec les
beaux-parents, avant d'avoir un logement, vous voyez! Tellement qu'il n'avait
pas une pièce pour loger les gens...". (M. Volda. Mineur retraité).
"On a toujours habité un deux-pièces. On était cinq, mon mari, moi, les
enfants. Toujours à Champclauson, c'était la vieille cité; maintenant, ils ont tout
démoli. Alors après, j'avais mon père avec moi parce que ma maman était
décédée. Il avait 90 ans quand il est mort". (Mme Michel, femme de mineur
retraité, fille de mineur, parle des années 1920/30).
En outre, le recours du ménage conjugal à la cohabitation avec des
ascendants ou descendants correspondait très souvent à une période d'attente
d'un logement qui serait délivré par la Compagnie:
(Mme Combet): "J'ai rien à voir avec l'histoire de la mine, je suis de
Lozère. Je connais l'histoire comme ‡a parce que mon mari a travaillé 30 ans
au fond. J'ai connu mon mari parce que j'avais une tante ici. Je me suis mariée
et j'ai habité avec mes beaux-parents, dans la caserne à la Fougère, près de
Ribes. J'ai une fille, elle est née chez ma belle-mère (...). Puis, on a eu cet
appartement (Casernes Neuves), ‡a fait 55 ou 56 ans qu'on habite ici. Mais on
a habité avant dans la cité qu'il y avait là, à côté (Casernes Basses)". (Mme
Combet. Femme de mineur retraité).
A titre d'analyse, nous avons observé l'organisation régnant dans une
caserne située dans le quartier "Caserne Basses", où résidaient, en 1846, 779
personnes ou 193 ménages pour 9 habitations (casernes). Nous avons pris
l'une de ces casernes et relevé 83 cas o— le chef du ménage a déclaré comme
profession celle de "Mineur"(372). Nous avons pu constater la structure
suivante:
Des 83 familles dont le chef est "Mineur"(373):
A) Le Mineur est marié et
habite avec sa Femme =
68 couples.
A.1.) De ces 68 ménages conjugaux:
Ménages à noyau conjugal simple:
Ménages conjugaux avec descendants:
l enfant =
13 ménages.
50 ménages.
15 familles.
2 enfants =
15
3 enfants =
10
4 enfants =
4
5 enfants =
4
7 enfants =
1
Ménages conjugaux o— cohabite un frère célibataire (collatéraux) aussi
Mineur=
3
Ménages conjugaux o— cohabite un frère marié aussi Mineur= 1
Ménages conjugaux avec un ascendant du mari =
Ménages conjugaux avec un ascendant de la femme =
2
1
Ménages conjugaux o— cohabite un autre Mineur célibataire non apparenté:
1 Mineur = 3 familles
2 Mineurs = 2 familles
3 Mineurs = 3 familles
B) Mineur marié, mais la femme n'a pas été déclarée comme
cohabitant avec lui = 3 ménages
B.1) Dans ces 3 ménages:
1 chef de famille habite seul.
1 cohabite avec 4 frères du mari.
1 cohabite avec 2 autres Mineurs.
C) Homme Veuf:
3
habite seul (ménage solitaire)= 1 veuf
habite avec 2 fils =
1
habite avec 4 fils =
1
D) Le chef de famille est le "fils aîné" et avec lui habite la mère
veuve:
2
habitent avec eux aussi:
1 frère = 1
2 frères= 1
E) Mineurs célibataires habitant seuls (ménage solitaire) = 5
F) Mineurs non déclarés à l'Etat-Civil et avec qui habite un fils =
2
Nous pouvons conclure que 75,9% des ménages vus ici - habitant dans
ce logement de type caserne - présentent la structure de famille restreinte ou
nucléaire (60,2% de ménages conjugaux avec descendants, 15,7% de
ménages conjugaux simples): un père, une mère et des enfants cohabitent un
même espace domestique. Ce sont des couples apparemment jeunes: seuls 4
d'entre eux ont leur fils aîné (âgé de 12 à 16 ans) travaillant déjà comme
apprenti à la mine.
C'est ainsi que la famille idéalisée par la Compagnie, "la famille
nucléaire", arrive souvent à représenter la majorité des foyers.
La tendance aux familles composées d'un ou deux enfants a été
vraisemblablement prédominante dans les premières décennies, moins par
malthusianisme que par le fait d'un taux élevé de mortalité infantile.(374) Bien
s–r, l'afflux migratoire des hommes, femmes et enfants est garant d'une
augmentation des naissances; certes, il naissait plus d'enfants(375), mais cela
n'empêchait pas une importante mortalité infantile. Quelques thèses nous
parlent d'une "voracité de la mortalité infantile"(376).
C'est seulement après un certain délai que l'auto-reproduction de la
population commence à se stabiliser et la politique envisagée par la Compagnie
à porter ses fruits. A un ralentissement du peuplement d'immigrants, à partir
des années 1860, co‹ncide un excédent des naissances.(377)
Selon Lamorisse, c'est un bilan migratoire très nettement positif qui
s'exprime dans un premier temps; il se ralentit quelque peu ensuite mais il est
relayé par une vigoureuse poussée de la natalité; enfin, la balance naturelle
rend compte à elle seule d'une progression bien ralentie par une forte mortalité,
tandis que le solde migratoire devient négatif.(378)
Au fil des années, le mouvement migratoire décroît(379) mais la
population ne cessera d'augmenter. Le célibat masculin diminue(380) - "preuve
que le charbon a fixé une main-d'oeuvre désormais structurée en familles"(381)
- les mariages de souche autochtone augmentent(382), le nombre des
personnes âgées grossit, etc. Tout ceci démontre que la période pionnière du
peuplement s'estompe, "signe de maturité" de la ville"(383).
Mais il faut prendre en compte les différentes situations de vie en famille.
Il existe aussi des foyers avec une structure plus complexe: la présence de
parents (ou non-parents) autres que les enfants. Cela nous amène a suggérer
que le groupe de parenté n'a pas perdu sa place et que la solidarité parentale
joue parfois un rôle important parmi les familles ouvrières. C'est pourquoi
l'entassement des membres d'une famille dans un logement ou une unité
domestique n'inclut pas toujours le seul couple et ses enfants (comme le
suppose la dénomination "famille nucléaire"). Quelquefois, le système parental
incluait une personne ne faisant pas partie du groupe nucléaire: un frère
célibataire ou marié, une mère veuve, un beau-père, une belle-mère, un cousin,
ou même des pensionnaires(384). Les situations étaient tantôt stables, tantôt
occasionnelles: le frère qui après son mariage déménagera pour son propre
logement (résidence néolocale), etc. Cela nous autorise à suggérer que des
rapports de famille étendue (ou élargie) sont présents dans certains foyers. Il
s'agit parfois de pensionnés (mineurs qui prennent pension), de personnes non
apparentées qui sont hébergées tantôt pour aider à boucler le budget d'un
ménage ouvrier, tantôt du fait de relations antérieures, o— la question
d'entraide joue.
Dans le contexte particularisé par la politique paternaliste de la
Compagnie, une certaine densité familiale est très souvent requise. Les
conditions d'habitat imposées aux familles sont celles de l'étroitesse, de
l'exigu‹té, et de l'absence de confort élémentaire. Toutefois, ce confinement des
couples ne signifie pas pour autant qu'ils vivent solitaires. La "forme-famille",
dans sa configuration aussi bien nucléaire qu'élargie, informe et encadre très
profondément la vie quotidienne de la classe ouvrière.
Par ailleurs, dès que l'habitat collectif temporaire pourra être évité (en
raison de la parcimonie d'espace), par l'obtention d'un logement individuel, il est
probable que la proximité spatiale avec les parents et amis sera souhaitée.
Proximité qui permettra à la pratique de la famille étendue de jouer un rôle.
"L'arrivée de tout ce monde renouvelle sensiblement le fonds humain de
la région d'accueil. Sans doute le phénomène commun à tous les secteurs
d'immigration transparaît-il (...): venus de telle ou telle région, les gens ont
tendance à se regrouper dans des immeubles voisins (...)".(385)
Les liens de parenté tissent un réseau serré sur l'espace social. Ils sont
essentiels aux échanges (biens, services, informations), par exemple, et
renforcent le code traditionnel de comportement en assurant une surveillance
plus étroite. De plus, face à la situation de proximité des foyers, les rapports de
voisinage s'imposent en général d'une manière impérative(386). Dans un
espace domestique de voisinage très dense, cela implique un quotidien rempli
de situations où entrent en jeu l'interconnaissance, la solidarité, mais qui sont
aussi parfois sources de frictions et de conflits(387). Ces liens anciens et
nouveaux qui reconstituent le tissu de parenté, de voisinage, d'alliances, c'est le
réseau ouvrier.
La famille n'est donc pas isolée: son rapport avec l'entourage est actif.
Les actes de soutien devant la nécessité sont évidents, auxquels s'ajoutent le
réconfort moral, les relations amicales, etc. Surtout si l'on considère que les
premières familles immigrées sont toujours à l'origine de la mobilisation des
autres membres de leur parenté et de leur entourage, qui arrivent eux aussi
attirés par le travail et sachant qu'ils seront accueillis sur place, du moins
provisoirement, ou alors aidés à s'intégrer au milieu local.
"Quant au logement, les fran‡ais venus seulement pour la saison d'hiver
étaient souvent hébergés chez des parents ou dans des familles amies fixées à
La Grand-Combe".(388)
"(...) le plus souvent, les migrants saisonniers prennent pension dans
une famille dont le mari ou la femme sont originaires de la même vallée ou
mieux, du même village qu'eux-mêmes. Pour l'hôte, c'est un moyen de ne pas
perdre contact avec 'le pays' et ceux qu'il y a laissés; pour le locataire, dont
nous connaissons la situation matérielle et intellectuelle, c'est une fa‡on de
s'intégrer à un milieu qui, du fait qu'il est nouveau, est d'emblée
rébarbatif".(389)
Aujourd'hui encore, nos interlocuteurs citent à maintes reprises le mot
"solidarité"(390) pour parler des qualités dominantes qui fondaient la vie
collective d'autrefois - la solidarité qui orchestrait les rapports d'entraide,
d'échange et de sociabilité -: "la solidarité unit entre eux tous les mineurs".(391)
Tout cela doit être compris dans le contexte du milieu: ils appartiennent
tous à un groupe qui connaît bien des difficultés quotidiennes. Identité face à
une situation de mutation spatiale (mouvement migratoire et multiplicité des
origines géographiques) et parfois d'activité, identité dans le fait d'avoir quitté le
"pays" d'origine, le "quartier" de naissance, identité dans le partage des mêmes
contraintes pratiques que l'impact de l'insertion à un nouveau "mode de vie"
entraîne, identité aussi face à un métier dur et identité enfin dans la condition
d'encadrement paternaliste. Ces conditions, face aux difficultés communes,
construisent en revanche, les formes d'une complicité réglée par les principes
de la réciprocité (et de la complémentarité), par l'enjeu de la construction d'une
vision du monde qui leur est singulière (le sens et les consensus sur le sens),
qui fait leur unité et l'identité du groupe.
Plus complexe est l'acte d'appropriation que le groupe engendre par la
définition d'un langage commun, à la fois signe d'identification à l'espace de
référence du groupe et marque d'appartenance au groupe. La langue occitane,
qui devient le "patois minier" et même base du "patois grand-combien", évoque
un acte de classement, par lequel le groupe cherche à re-connecter des codes
et des valeurs d'appartenance à une spatialité et à une temporalité (projection
dans l'espace d'une référence culturelle et historique). Grâce à un trait
commun, la langue, ils trouvent et/ou récupèrent un support d'identité ("une
propriété culturelle") qui lie les membres dans ce coin du pays cévenol(392): un
pays minier (l'occitan, support de la mémoire de la communauté cévenole, est
ré-élaboré aussi comme support d'identité des membres de la communauté de
travail minier). Il est certain que la grande majorité des grand-combiens étant
originaires d'une région cévenole, la pratique de la langue, comme moyen de
reconnaissance, comme moyen de "lutte de classement", permet cet acte de
"magie sociale" par lequel les membres s'identifient et s'intègrent plus
facilement au pays minier.(393) Le "patois" de la mine en est la preuve:
"A la mine on parlait le patois grand-combien. On disait qu'on parlait 'le
chinois'! Ni les français, ni les étrangers ne le comprenaient pas, seulement les
mineurs. (...) On ne parlait pas le patois à l'école, c'était défendu, mais à la
mine si. Ah oui!". (M. Surrel. Mineur retraité).
"L'occitan, c'était la langue des mineurs au fond, la langue officielle des
mineurs cévenols pendant très longtemps pratiquement jusqu'à la venue
massive des nord-africains (après la Première Guerre). Il y avait là quelque
chose très net sur le plan social". (M. Wiénin).
Cette situation de complicité n'en est pas moins significative d'un mode
de vie spécifique. Elle devient un élément d'identification, un signe de
reconnaissance de ceux qui appartiennent à la communauté de travail. Parfois,
ce processus est celui de renoncements et de compromis, donc reproducteur
en lui-même d'un statu quo. Ce sont des valeurs bien ancrées dans l'esprit de
la famille chrétienne(394). Néanmoins, dans une certaine mesure, il existe là
aussi une négation des conditions de vie telles que les a structurées la
Compagnie, et une prise de conscience des conditions d'existence du groupe. Il
est difficile de mesurer le niveau des rapports de force avec le patronat dans
ces signes de résistance, que nous pourrions déceler dans l'existence de
relations solidaires à l'encontre d'un consentement servile.(395) Sans doute
trouve-t-on dans ces manifestations de moeurs prolétariennes un champ de
contestation, un enjeu des luttes.
Le réseau d'amitié et d'aide présent parmi les familles ouvrières est-il
soumission ou refus? Il s'agit s–rement, en tout cas, d'une sociabilité intense,
l'une des bases sur laquelle se construit localement l'identité sociale (ou,
sûrement, d'un phénomène qui établit des valeurs à partir desquelles les
personnes et le groupe partagent un sentiment d'identité). La solidarité
rapproche les membres de la communauté comme condition nécessaire d'unité,
de cohésion, qui remplit une fonction de mise en ordre du monde social. C'est
pour eux prendre conscience de leur singularité. Celle-ci est expérimentée à
travers la spécificité de l'activité dans la mine, les conditions de travail étant
étroitement liées aux notions de danger, d'insalubrité, de fatalité. Ces familles
appartiennent à un univers évoluant sous le regard de la mort(396) et de la
maladie(397). Cette familiarité avec la mort engendre les représentations du
quotidien:
"Les maris partaient à la mine le matin, on savait pas s'ils allaient rentrer
le soir". (M. Enjolras, femme de mineur retraité).
Les contraintes auxquelles ces ouvriers sont soumis dans la sphère du
travail envahissent la sphère privée, élargissant la problématique des conditions
de travail à celle des conditions de vie de la famille du mineur. Or, la solidarité,
elle, commen‡ait tout d'abord là où le danger existait: au fond de la mine. C'est
cet espace qui alimente l'identité attachée à un métier difficile et malsain, où la
solidarité du groupe est très présente. Le récit d'un ancien mineur retrace cette
"ambiance":
Les mineurs sont solidaires entre eux. Un mineur au fond de la mine,
n'importe quoi qui lui arrivait, il se cassait un doigt, n'importe quoi, tous autour
de lui, j'sais pas, c'était tous, tout le monde laissait tomber son travail pour aller
se mettre à la chaîne et sauver le copain. On n'avait pas besoin d'être
commandé, c'était comme ‡a, on laissait tout tomber pour sauver le gars. Ah
oui! dans la mine c'était quelque chose de formidable. A ce moment-là, il n'y
avait pas d'équipe de secours, rien, et il n'y avait même pas un dispensaire. On
avait une boîte à pharmacie, mais n'importe qui pouvait prendre cette boîte, il
n'y avait pas un gars qui était désigné pour ‡a, c'était un savoir-faire, quoi, c'est
tout. Alors n'importe qui se débrouillait pour sauver le copain, alors que
maintenant le gars dit 'ah! non, ce n'est pas mon boulot, il y a des équipes pour
ça'!. Mais nous dans la mine, il n'y avait pas d'équipe de secours, personne...
c'était la solidarité, c'était le coeur qui commandait, on prenait des risques,
parce que la mine, attention! des fois, c'est pas commode". (M. Ponce. Mineur
retraité).
Ces formes de complicité(398) sont dues à un travail à haut risque, qui
exigeait un important savoir-faire ne pouvant être acquis qu'à partir de certaines
formes d'entente parmi les compagnons de travail. Ainsi se forgeaient des
mécanismes de sociabilité ouvrière. Cela explique cette chaîne de solidarité
professionnelle, par le partage des sentiments de peur et d'insécurité attachés
aux conditions de travail et de vie. L'angoisse, disent des ethnologues qui ont
étudié ce groupe, renforce sa cohésion, et c'est ce qui lie ces gens à une même
condition:
"L'inquiétude commune, l'idée permanente que cela peut arriver à soi,
qu'il suffisait d'une heure pour que ce soit son père ou son frère qui soit là,
enseveli sous les décombres, intoxiqué par les gaz toxiques ou emmuré vivant
sans espoir de se dégager, cette angoisse, est la condition première du sens de
la solidarité".(399)
La vie pour ces familles ouvrières, dans la ville minière, était loin d'être
idyllique. Le travail à la mine est, pour 80% de la population grand-combienne,
ce qui rythme la cadence du quotidien.
Dans le milieu ouvrier grand-combien, la vie du ménage consiste tout
d'abord en une lutte pour le gagne-pain. Le récit d'un interlocuteur résume cette
condition:
"Mon enfance, ‡a n'a pas été la joie. On a été élevés comme on a pu.
Pour nos parents, leur problème à eux, c'était de nous mettre quelque chose
dans les assiettes pour pouvoir manger. Nous, on n'a pas re‡u d'éducation
proprement dite. Il y avait trop de monde à la maison. Mon père, il travaillait à la
mine 10 heures par jour pour nourrir toute cette famille. Quand il arrivait le soir,
c'était un homme fatigué. Il n'avait pas le temps de s'occuper de nous. Il ne
pouvait pas. Il aurait voulu, mais il n'aurait pas pu, parce qu'il avait dépensé une
force physique énorme pour pouvoir gagner l'argent. Parce qu'il n'est pas arrivé
ici pour recueillir des perles à La Grand-Combe. Il est venu ici pour travailler".
(M. Pondes. Mineur retraité. Ses parents sont arrivés à La Grand-Combe après
la Première Guerre).
Ainsi, du modèle familial établi sous la bienveillance de la Compagnie celui du mineur régnant en maître, de l'homme prolétaire valorisé par son travail
et de sa femme s'occupant de la maison, le corollaire est celui du mineur et de
sa femme mis, à leur tour, à la discipline industrielle. A ceci se somme le
bénéfice que la Compagnie tire à médiatiser l'image du mineur comme aimant
son métier, courageux, prêt à tous les sacrifices:
"On va répétant que le métier de mineur n'est pas un métier comme un
autre et que le mineur n'est pas un ouvrier comme un autre. Cet
amour/particularité se nourrit d'une double thématique, qui met en avant la
dureté et la dangerosité du travail. Le travail est dur parce qu'il se joue dans un
face-à-face permanent avec la nature abyssale. Il est dangereux parce qu'il
comporte des risques incalculables, des catastrophes, la mort. D'o— très tôt
cette assimilation du mineur à 'un soldat', à 'un combattant' de l'abîme. De
fa‡on corollaire la dureté et la dangerosité engendrent des vertus spécifiques à
la corporation: le courage (le mineur est un homme courageux) et le sacrifice (il
se sacrifie volontiers)".(400)
Si on y repère "l'ambiance idéologique" percé dans les discours, les
récits et valeurs, brefs, les dispositifs idéologiques et moraux créés par la
Compagnie, destinés à représenter le travailleur "idéal", la "vie en famille"
consistaient en effet en voir, d'une part, un père absent de la maison une bonne
partie de la journée et, quand il y était, fatigué par le travail(401), et, d'autre
part, une femme affrontant quotidiennement le dur labeur de reproduire la
scène domestique.
"Nous, notre affaire c'était la maison. Je vous dis, c'était pas agréable
pour les femmes, hé! Les gens disent 'Femme de mineur, femme de seigneur'
parce que tout les mois on gagnait la paie. Voilà! la paie était régulière, le
charbon, les avantages, vous voyez! Alors les gens disaient qu'on était 'femme
de seigneur' parce qu'il y avait des avantages. Bon, pour les avantages c'est
vrai. Mais c'était comme ça pour qu'on travaille. Pour le travail, ah! c'était pas
agréable, pas agréable. Moi, j'ai travaillé ma vie, hé!" (M. Jentel. Femme de
mineur retraité).
Les avantages, base du slogan qui revient dans ce récit et qui est
repensé lucidement par cette femme de mineur, c'est la contrainte de la tutelle
de la Compagnie, la pression exercée en vue d'une soumission à une
hiérarchie en faveur du rendement.
On parle beaucoup de la passivité et de la résignation des
comportements familiaux dans cette société. Des études ethnologiques sur le
"pays minier" signalent une acceptation de la part du mineur de son rôle de
pourvoyeur de la famille, qui la nourrit et fait grandir les enfants, et de la part de
la femme de ses tâches féminines(402).
Mais le contexte de la vie familiale au temps de la Compagnie est aussi
l'histoire des familles qui refusent et luttent pour rompre avec cette chaîne
tutélaire de la Compagnie. Au cours des dernières décennies du XIXe siècle,
les grèves sont plus fréquentes et à chaque fois les familles vivent ces
moments comme un déchirement, surtout celles o— le mari est politiquement
engagé dans le syndicat. La conséquence la plus rude à surmonter en était le
licenciement du chef de famille, ce qui signifiait aussi l'expulsion de la "maison"
concédée et contrôlée par la Compagnie, et la privation des services de
prévoyance et de sécurité.
C'est alors l'infortune et l'affliction qui s'abattent sur les familles des
mineurs congédiés. Fin juin 1897, 6OO de ces mineurs quittent la ville,
provoquant un mouvement d'exode expressif et qui se répercute par la
décroissance de la population. Ceux qui partent cherchent surtout à se
réembaucher dans un autre bassin minier. Pour ceux qui ne peuvent pas partir,
faute de moyens, c'est la pénurie. Les uns s'entassent dans la gare avec la
famille et les meubles pendant plusieurs semaines en attendant que l'Etat
accorde la gratuité des frais de transport, les autres essaient d'obtenir des
ressources auprès des conseils municipaux ou du Conseil Général de la région
en attendant des jours meilleurs.
Il nous semble logique que le départ pour cause de licenciement, plus
qu'un départ plus ou moins volontaire, soit tragique pour le travailleur qui se voit
obligé d'emmener avec lui toute sa famille. Il est difficile de connaître les
nouvelles destinations, les réussites ou les échecs. Paris, le bassin minier du
nord de la France, l'étranger, les directions prises sont diverses, mais on part
toujours à la recherche de travail.
A titre d'exemple, voyons la trajectoire de la famille de ce petit-fils de
mineur, M. Rabot, que nous avons interviewé. Il est originaire de La GrandCombe, son grand-père et son père ont été mineurs. Ayant participé à un
mouvement de grève, ils sont licenciés:
"(...) la lutte syndicale est dure à l'époque, ils étaient engagés dans le
mouvement syndical. Bon, c'est le début du syndicalisme et je parle du
syndicalisme rouge. En plus, ils étaient athées, enfin non catholiques, donc
hors du système de l'entreprise (...)". (M. Rabot. Petit-Fils de mineur,
instituteur).
Inscrit sur la liste rouge, "ils ont pris leurs sacs et pris le bateau pour
l'Amérique". Ils ont quitté la France pour les Etats-Unis. Le père de notre
interlocuteur décide de retourner à Alès, où il se marie avec une fran‡aise.
Selon son fils, qui est né à La Grand-Combe, ce retour est d– à des causes
plus ou moins involontaires, mais auxquelles s'ajoute une bonne dose
d'intentionnalité. Il analyse le retour de son père comme une trajectoire
exceptionnelle, mais qui s'explique néanmoins par le fait que son père se
sentait attaché au "pays minier", et que la complicité du groupe d'appartenance
lui manquait.
Retracer, donc, la vie du groupe minier au temps de la Compagnie, c'est
parler, d'un côté, de l'habitude de la hiérarchie, de la résignation à une condition
d'exploité, de l'intériorisation des rôles sexuels différenciés; de l'autre, des liens
familiales, de parenté, du réseau de solidarité dans la communauté de travail,
de la cohésion du groupe, de la "résistance". Tout ceci finit par révéler, dans
une certaine mesure, un ré-investissement et/ou une ré-appropriation affective
de "l'univers minier", autre facteur décisif d'enracinement(403).
Dans le domaine de la formation scolaire des enfants, comme l'explique
Zonabend: "De constantes relations se tissent entre le foyer et les autres
espaces de socialisation - l'église, l'école, le village - et tous jouent comme
autant de dispositifs de normalisation. Non seulement dans ce réseau de
relations, l'enfant est comme pris au piège, mais en outre, la société locale
impose son contrôle au processus d'éducation de ses membres".(404) Afin de
comprendre le contexte social dans lequel l'éducation des enfants prend toute
sa signification à La Grand-Combe il faut considérer également le rôle joué par
la Compagnie dans ce domaine.
"Ce type de société, c'est celui imposé par la Compagnie des Mines de
La Grand-Combe et qui veut que les enfants des mineurs trouvent naturel et
presque obligatoire pour eux de devenir mineurs à leur tour, des mineurs
respectueux de l'ordre et de la discipline tels que l'entreprise les définit, des
mineurs attachés à la religion (...) ".(405)
La formation scolaire est l'épine dorsale de l'ensemble des institutions
visant à orienter les enfants dans un programme d'attachement aux règles de la
Compagnie et de fidélité à ses principes moraux ancrés dans le pouvoir
hégémonique du travail.
A La Grand-Combe, la Compagnie contrôlera activement les carrières de
ses familles en garantissant un emploi pour l'enfant.
"La grande majorité des fils et filles de mineurs qui, jusqu'en 1914 vont
fréquenter à La Grand'Combe surtout les écoles religieuses, malgré la création
d'un enseignement la‹que qui n'accueillera jamais qu'une très petite partie de la
jeunesse scolarisée, seront fa‡onnés par un enseignement dont le but est de
leur inculquer une adhésion sans faille à un type de société".(406)
Vecteur de l'idéologie dominante, la Compagnie, à travers l'école, veut
non seulement assurer l'enseignement, mais convaincre les enfants, futurs
travailleurs de la Compagnie, de leur condition prolétarienne - dans ce domaine
l'on retrouve la volonté d'enraciner et stabiliser la population, ou comme le
signale Frey à propos du Creusot: "(...) Du coup, dans cette ville industrielle
constamment transformée par les exigences de la production, les codes
d'institutions partielles comme les écoles jouent le rôle de relais et d'introduction
à l'ordre plus général de la cité, et contribuent à la définition de l'identité même
des habitants".(407) Dans ce récit de vieux mineur, il apparaît clairement que
l'objectif de l'école était de composer les nouveaux rangs de la population
laborieuse:
(M. Voldan): "Ici, tout le monde était embauché dans la mine. Parce que
au temps de la Compagnie même, il y avait des Frères qui faisaient l'école, et
ils disaient aux enfants: 'mais vous avez pas besoin de beaucoup d'intelligence,
parce que vous allez faire comme vos parents, vous irez à la mine'. Vous voyez
comment c'était la mentalité? C'est l'inverse d'aujourd'hui.
Parce qu'ils nous envoyaient à l'école, ici même à Champclauson, mais ils ne
poussaient pas pour continuer l'école, ils nous laissaient comme ‡a, et quand
on arrivait à 13, 14 ans on allait à la mine. Moi, j'ai eu 14 ans en décembre
1928 et de suite j'ai été embauché".
(Mme Voldan): "Et ils étaient contents, hein!"
(M Voldan): "Voilà, ils étaient contents, les gens. On était content de
quitter l'école pour aller travailler à la mine".
(Mme Voldan): "Comme ‡a, hein, content de ne pas aller à l'école."
(Chercheur): "Mais qui a pris la décision que vous alliez travailler à la
mine?"
(M. Voldan): "Mon père et ma mère. Ils disaient tout le temps: 'celui qui
ne travaille pas à l'école, il part à la mine'!. C'était pour menacer, mais on ne
voulait pas aller à l'école, on ne faisait rien à l'école, personne faisait rien. Nous,
on voulait travailler". (M. et Mme Voldan. Mineur retraité et épouse).
Certes, l'école contribue à former la main-d'oeuvre pour le travail à la
mine, mais il va de soi qu'elle introduit surtout cette "vision de monde" à travers
laquelle la carrière dans la Compagnie est l'unique horizon professionnel
possible. Nombreux sont les enfants qui n'envisagent qu'un seul destin: prendre
le même métier que le père.
Pendant le temps de la Compagnie, la trajectoire sociale parcourue par
un enfant, issue d'une famille de mineur, a été très généralement la même. Tout
d'abord, les enfants sont immergés très tôt dans le tissu social de parenté et de
voisinage. Après l'éducation familiale, c'est dans l'école que l'enfant sera
socialisé. Théoriquement, tous les enfants, fils et filles du personnel de la
Compagnie des Mines de La Grand-Combe, doivent suivre les cours gratuits
dans les écoles construites par elle jusqu'à l'âge de 12 ou 13 ans. Une fois
terminée cette période scolaire - et cela jusqu'à la période de la Première
Guerre Mondiale - les gar‡ons pouvaient déjà travailler à la mine(408). Et ils y
travailleront puisque les choix professionnels proposés dans ce monde minier
se limitaient à cette réalité:
"Oui, mon père était mineur, il a fait plus de 30 ans à la mine, mon grandpère aussi. De père en fils, ah oui! De mon grand-père à moi, de père en fils,
tous ont travaillé à la mine". (M. Combet, Mineur retraité).
"Quand j'ai commencé à la mine, j'avais 13 ans. Je travaillais à la 'place'.
C'était comme ça. Les gens 'Mineurs', c'était ça la carrière. Le travail de mineur
permettait de vivre, on vivait juste mais on soutenait la famille". (M. Perez.
Mineur retraité).
La carrière est, par conséquent, ouvrière. Quoiqu'il existe une certaine
dose de "consentement au Destin", suivre la même trajectoire de père en fils
est plutôt vu comme étant "le monde du possible".
(Chercheur): "Pourquoi avez-vous choisi ce travail?"
(M. Suriet): "C'est-à-dire qu'il n'y avait pas autre chose, on choisissait
pas trop à cette époque là, hé! A 14 ans on commençait, et des fois on
commen‡ait encore plus tôt". (M. Suriet. Mineur retraité).
Parmi les jeunes garçons, quelques-uns connaissent déjà le monde du
travail, parce que pendant les vacances scolaires et depuis l'âge de 10 ans, ils
pouvaient travailler comme apprentis-mineurs ou au le triage du charbon.
L'insertion dans l'espace de travail se faisait normalement sur le chantier du
père mineur. Pour ceux qui ne débutaient pas encore dans le domaine minier,
l'embauche temporaire chez un fermier, dans la montagne (pour les vendanges,
etc.) était une autre activité usuelle pendant les vacances.
L'école, pour sa part, joue le rôle important de former les générations
suivantes à la prolétarisation. Ce qui était mené avec beaucoup de rigueur et de
discipline par les enseignants qui devaient répondre aux exigences du patronat.
En effet, pour la majorité des enfants, le monde de l'école était un monde
d'obligations et de punitions. Aux difficultés familiales se sommaient celles
d'une école rigide, o— les enfants se montraient rarement favorables à la
poursuite des études. A ce propos, observons ce que nous raconte un mineur
retraité:
"A la maison, on était sept. On a été élevés comme de petites bêtes,
vous savez, comme ça. Bon, le problème, c'était de mettre quelque chose dans
les assiettes pour manger. On se levait de bonne heure, n'importe comment.
Alors celui qui en voulait, il avait la chance d'apprendre, parce qu'il y avait des
écoles. Moi, je me rappelle, je n'étais pas poussé, moi, pour aller à l'école. Je
me cachais derrière la porte et puis c'est tout. Ma mère était une pauvre femme.
Ma grande soeur aurait voulu, elle me prenait par la main et elle m'apprenait
des choses, mais je ne voulais pas aller à l'école. C'était comme ça. Quand
j'avais 10 ans, bon, il y avait cette pénurie de nourriture, toute cette maison qu'il
fallait nourrir. Il y avait des problèmes incroyables pour élever une bouche dans
la maison. Alors j'ai commencé à garder des vaches. Mon père m'a envoyé en
Lozère. A 10 ans je suis parti. Et je me souviens, parce que je ne suis pas gras,
hé! je me souviens quand j'étais gosse, j'étais mince comme un clou. Quand je
me suis pointé devant ces bêtes énormes, j'avais une peur incroyable, j'en
avais peur des vaches, mais je les ai gardées quand même pendant 4 ans de
suite. Alors vous vous rendez compte! De 10 à 14 ans j'ai travaillé sans un
crayon, sans livre, sans rien. J'ai rien appris de rien. Et il y avait beaucoup de
jeunes comme moi. Par contre j'avais deux soeurs qui aimaient l'école, parce
que ‡a leur plaisait. Automatiquement elles se levaient d'elles-mêmes et elles
allaient à l'école. Il y avait la possibilité". (M. Rinald. Mineur retraité). (A l'âge de
14 ans, notre interlocuteur retourne à La Grand-Combe et débute dans la
mine).
Le couronnement des années d'apprentissage écolier était l'obtention
d'un certificat d'études: le seuil d'un nouveau cycle de la vie - la phase adulte et le début de la trajectoire dans la vie laborieuse auprès de la Compagnie.
Celle-ci commen‡ait donc normalement vers l'âge de 13, 14 ans. En effet, le
certificat d'études primaires était la garantie de l'obtention d'un emploi. Celui-ci
et l'accord médical étaient les exigences "officielles" pour l'embauche(409).
Cependant, au XIXe siècle, le besoin en travailleurs supplémentaires étant
énorme, ils débutaient avec ou sans le certificat:
"L'avenir des enfants ne préoccupait pas particulièrement les parents. Le
jour de leurs treize ans, le papa les accompagnait au bureau de l'ingénieur
divisionnaire qui prenait également filles et gar‡ons, pour épierrer le charbon à
la mine sur les toiles de transport des ateliers de criblage; et qui, à une époque
relativement prospère, o— l'on se préoccupait moins des prix de revient qu'on
ne le fit par la suite, ne refusait jamais personne".(410)
Malgré leur jeune âge, garçons et filles sont insérés dans l'univers de
travail. Ils débutaient comme apprentis dans les travaux dits "accessoires", en
surface, en général dans le triage du charbon. Les garçons pouvaient envisager
aussi de travailler comme apprentis au côté des mineurs plus expérimentés, par
lesquels transitaient les savoir-faire(411).
"Les enfants, les 'gamins' comme on les appelait ici, les frères des
'galibots' du Nord-Pas-de-Calais, étaient présentés par leur père à la fin de
l'année scolaire ou dès qu'ils avaient atteint l'âge de treize ans. Il y avait
toujours une place pour eux, soit au jour à l'atelier de triage, soit au fond, o— ils
étaient d'abord commissionnaires, porteurs de lampes ou de cabas pour la
maîtrise, ou assistants des maîtres-boiseurs que le règlement interdisait de
laisser seuls dans des galeries isolées. Certains conduisaient les treuils des
plans inclinés, mais c'était là un travail que l'on préférait réserver à des ouvriers
handicapés par une blessure ou une maladie. De toute fa‡on, les agents de
maîtrise, tout en s'attachant à leur éviter des accidents, ne se disputaient pas
ces jeunes recrues, qui comptaient dans le calcul des rendements sur lesquels
on les jugeait, alors qu'en fait ces enfants ne produisaient pratiquement
rien".(412)
Il n'existe pas à ce moment-là de véritable formation professionnelle. Les
jeunes apprentis-mineurs acquéraient le savoir-faire transmis par les mineurs
plus âgés (c'est parfois leur père)(413). A partir 12 à 16 ans ils font les travaux
accessoires à la surface et/ou au fond, et cela jusqu'à 18 ans(414), quand ils
pouvaient travailler dans l'abattage du charbon en devenant "mineur de fond".
Après l'âge de 12, 13 ans, "la plupart des gar‡ons descendaient au fond.
Quelques-uns, et principalement dans les familles qui avaient été éprouvées
par un accident grave ou la mort au travail d'un père ou d'un grand-père,
demeuraient au jour".(415)
Il est compréhensible que les gar‡ons en général souhaitent quitter
l'école le plus tôt possible. La possibilité de pouvoir travailler comme leur père
signifiait partager avec lui un statut adulte et l'accès une condition salariale.
"(...) moi, l'école ne m'intéressait pas, alors j'ai voulu aller à la mine
comme mon père".(M. Volda. Mineur retraité).
Les jeunes filles aussi étaient embauchées très tôt comme placières
dans le triage du charbon. Sinon, c'étaient les responsabilités domestiques à
côté de la mère jusqu'à leur mariage.
Pour ceux qui ne voulaient pas finir les études primaires ou bien qui
refusaient d'aller à l'école, la vie active débutait précocement, tantôt dans les
fermes (Lozère, Ardèche, etc.), tantôt dans la mine:
"J'ai commencé à travailler, moi, quand j'avais 12 ans et demi parce que
je ne voulais pas aller à l'école. Tout le monde, si on avait son certificat
d'études, on était embauché de suite. Mais quand on ratait, on était embauché
bien avant. C'est tôt, n'est-ce pas?". (M. Cibuet, mineur retraité).
Ainsi, si l'itinéraire "officiel" était de commencer à 13 ans, la norme n'a
pas toujours été la règle et le travail prématuré des enfants dans les Mines de
La Grand-Combe a été signalé à maintes reprises. Malgré la loi qui interdisait
aux chefs d'atelier d'employer les enfants, quel que soit leur âge, qui ne
sauraient ni lire, ni écrire (loi Villermé, 22 mars 1841), la Compagnie des Mines
de La Grand-Combe emploie en 1867 dans ses mines 9 enfants de 8 à 12 ans
faisant 10 heures de travail effectif, "soit 2 heures et demie en sus du maximum
légal", dénonce le sous-préfet du Gard dans son rapport de la même année. Il
continue: "cette infraction a toujours été signalée dans mes rapports annuels.
La Compagnie des Mines mise en demeure de se conformer à la loi a présenté
des observations auxquelles il n'a pas encore été répondu"(416). A cette
époque, le nombre des enfants de 12 à 16 ans était de 354. Les difficultés de la
vie obligeaient à cela:
"A La Grand'Combe, un père qui n'a que le produit de sa journée pour
nourrir sa famille, ne pouvant y suffire, envoie dès l'âge de huit ans ses enfants
à l'atelier et leur salaire, quoique bien faible, allège toujours un peu les lourdes
charges du ménage".(417)
Les difficultés à nourrir une famille nombreuse avec un budget familial
insuffisant, la possibilité d'amenuiser ces difficultés par le travail des enfants et,
de plus, le rejet du travail scolaire sont quelques aspects qui poussent les
parents à envoyer leurs enfants au travail dès l'âge de 8 ans.
Au fil des années, l'évolution de la législation tient compte d'un
réglementation sur le travail des enfants et devient plus sévère, conjurant l'âge
minimum, la durée du travail, le repos du dimanche et les jours de fêtes, le
travail de nuit et l'instruction primaire.(418)
La descendance familiale correspond aussi à une descendance
professionnelle et on travaillera à la mine de père en fils dans la mesure o—
l'univers des possibilités était restreint à cette réalité.
"Voyez, les parents de mon père étaient mineurs, et puis lui, il n'avait pas
d'instruction, alors, qu'est-ce que vous voulez? A cette époque, on risquait pas
d'aller ailleurs. Il savait lire et écrire mais il n'avait pas de niveau d'instruction,
rien du tout. Alors il était bien obligé de travailler à la mine. Et puis, à ce
moment-là c'était tout naturel, on était là, dans le pays, il y avait la mine, on
commen‡ait jeune et ... voilà! C'était naturel, tout ça". (Mme Michel, fille de
mineur, épouse de mineur, ex-placière).
Au "temps de la Compagnie" la majorité de la population, donc,
travaillera pour elle. Etre mineur "de père en fils" était l'itinéraire possible devant
l'impossibilité pour les enfants d'ouvriers de dépasser dans le système scolaire
le niveau du certificat d'études. "On choisit pas": c'est là une condition qui
traduit un ordre social à partir duquel les projets familiaux étaient construits.
"C'est en ce sens qu'on peut parler d'un certain ascétisme, expression d'un
destin accepté pendant des générations comme le seul possible"(419).
Sans doute, l'hérédité du métier ne signifie-t-elle pas forcément vocation
et affinité avec le métier, ou encore perpétuité d'une tradition de ce que Noiriel
appelle de "mythe du mineur fils de mineur"(420), puisque le mépris, le refus et
la désertion du travail à la mine ont été relevés par quelques écrivains
prolétaires (auto-biographies notamment)(421) et par maints historiens.
Toutefois, il est certain que le travail à la mine devient le centre de
gravité des projets familiaux.
"Ah! fils de mineur, c'était tout le monde ici. C'était rare, quelqu'un qui
partait pour faire autre chose." (Mme Régis. Veuve de mineur).
Les
possibilités
pour
un
gar‡on
de
connaître
une
ascension
professionnelle restaient minimes, corollaire d'une hiérarchie professionnelle où
le haut et le bas de l'échelle étaient très lointains.
Dans ce sens, le capital scolaire acquis ne correspondait pas à un capital
culturel et social privilégié, puisque, par rapport à leur totalité, rares sont les
élèves grimperont les échelons professionnels. Gaillard a attiré l'attention sur la
faible marge d'ascension sociale:
"Ainsi, dans la 'ville-usine', le prolétaire reste prolétaire, et c'est la même
chose que dire: le mineur reste mineur; et cela peut être considéré comme une
véritable loi sociale, tant les exceptions sont peu nombreuses".(422)
La possibilité de promotion à l'intérieur de la mine impliquait un ensemble
si large d'exigences que pour la grande majorité les limites étaient
infranchissables. Les historiens locaux l'observent:
"Jusqu'après la Grande Guerre, comme il n'y avait pas dans le canton de
Cours complémentaire ou de Collège, passés douze ans la plupart des gar‡ons
allaient travailler à la Compagnie, au jour ou au fond. Les plus doués - surtout
parmi ceux dont les parents de confession catholique 'pensaient bien' pouvaient devenir des 'géomètres', des employés - qu'on appelait des 'cols
blancs ' ou des 'bureaucrates' - ou des agents de maîtrise. Les autres suivaient
les traces de leurs aînés, descendaient 'au fond' ou travaillaient 'à la surface'
dans les divers ateliers de triage ou de conditionnement. Certaines jeunes filles
de familles nombreuses et des veuves, les 'placières', triaient aussi le
charbon".(423)
La moindre possibilité de mobilité professionnelle était fondée sur un
système très rigide d'accès "méritocratique". Celui qui souhaitait pour son fils
une possibilité d'ascension professionnelle devait être bon ouvrier, bon père,
apolitique, et de préférence catholique, pour ne citer que quelques critères.
L'enfant, pour sa part, devrait être un bon élève et soumis à cette formation
rigoureuse que dictait la Compagnie.(424)
Pour la majorité des enfants, la seule chance de promotion
professionnelle - c'est-à-dire d'arriver à effectuer un travail qualifié - vue comme
signe d'ascension sociale est restreinte à l'intérieur de la Compagnie. Ils
appartiennent à la localité et à la "grande famille"(425).
"Les serviteurs fidèles de la Compagnie, les agents de maîtrise et
employés divers, bénéficiaient d'une certaine priorité dans l'accès de leurs
enfants à un poste de géomètre, dessinateur, ouvrier d'entretien mécanique et
électrique. C'était là pour la direction une fa‡on de récompenser les longs
services et le dévouement des pères 'qui avaient fait', comme ils disaient, la
Compagnie".(426)
L'enfant, pour sa part, devait réussir sa formation scolaire. Le clergé ou
les instituteurs intervenaient alors en donnant des conseils sur le chemin à
suivre par l'élève, sur son avenir professionnel: la mine ou les bureaux. Ils
étaient les agents de médiation dans la concrétisation des projets familiaux.
D'ailleurs, nous l'avons déjà signalé, c'est très souvent à travers le clergé (ou à
travers l'avis de l'instituteur) que l'enfant aura sa place dans la mine(427). Ainsi,
les enfants qui peuvent monter l'échelle sociale sont ceux qui ont réussi leurs
études et qui ont été recommandés par le clergé pour un travail plus qualifié.
"Ainsi, l'école religieuse remplit parfaitement le rôle qui lui est assigné
dans le vaste système de reproduction des rapports de production".(428)
D'ailleurs, pour souhaiter une mobilité professionnelle, il fallait vraiment
être issu d'une école d'enseignement catholique:
"Il n'en était fait mention nulle part et cela n'était en aucune fa‡on une
règle mais pour obtenir par exemple un emploi dans un service administratif
des houillères il fallait passer une épreuve de calligraphie que seules les écoles
privées enseignaient".(429)
C'est seulement en de rares occasions et à long terme que les familles
de mineurs peuvent penser à une stratégie promotionnelle à travers leurs
descendants, et ici le paradoxe demeure: c'est l'école qui fonctionne comme
médiation indispensable d'un processus ascensionnel et d'acquisition de capital
culturel.
"Les plus évolués des jeunes, qui avaient pu passer leur Brevet
Elémentaire, présentaient des concours de recrutement dans la fonction
publique; certains arrivaient à se faire admettre sur place dans des emplois de
techniciens ou d'employés de bureau".(430)
Ainsi, l'école apparaît bien comme un paradoxe. D'un côté, elle permet
de convaincre les enfants de leur condition prolétarienne, et de l'autre, pour le
"bon" élève (fils de "bon" mineur), c'est le "moyen privilégié des stratégies de
fuite de la condition ouvrière"(431).
Cela n'empêche pas que ces familles continuent à espérer pour leurs
enfants, grâce à une formation scolaire réussie, la possibilité de promotion à
l'intérieur de la mine. Mais c'est très rarement que les parents peuvent épargner
suffisamment pour investir dans des études plus poussées qui permettraient à
l'enfant d'échapper au système de formation dominé par la Compagnie. En
général les rares chances de "faire carrière" sont liées à la Compagnie ou alors
stimulées et subventionnées par elle. Dans ce dernier cas, elle pouvait faire
profiter un "bon élève" du système de bourse en l'envoyant aux Ecoles
Techniques d'Alès(432) ou d'ailleurs.
Une autre possibilité de rompre avec la trajectoire imposée par la
Compagnie était d'aller chercher du travail ailleurs qu'à la mine, avec la
perspective d'un meilleur salaire (et d'ascension sociale), ou alors d'aller étudier
ailleurs(_). Mais cela, comme nous l'expliquent les personnes interrogées, a été
très rare, et "il est difficile de citer un exemple":
"Il y en avait quelques-un qui s'en allaient pour travailler ailleurs, mais
c'était rare... ou sinon il fallait être mieux placé, mais enfin c'était rare. Il fallait
vraiment avoir des occasions pour être mieux placé, mais pardi! c'était rare!".
(Mme Michel, fille de mineur, épouse de mineur, ex-placière).
Enfin, si la famille est l'institution par excellence de la socialisation des
enfants (centre de toute sociabilité et d'éducation), les établissements scolaires
jouent à ce sujet un rôle aussi important et complémentaire: à une politique
encourageant la vie en famille s'ajoute celle de la formation scolaire des enfants
les poussant à l'hérédité professionnelle.
CHAPITRE 4
ANNEES DE STABILITE ET LA MISE EN CAUSE DU STATU QUO
A) "SIGNES DE PROFIT", "SIGNES D'ANTAGONISME".
L'encadrement paternaliste développé par la Compagnie, la mainmise du
pouvoir municipal et l'influence morale du catholicisme ont réussi, à cette
époque, à garantir le pouvoir de la Compagnie sur l'ensemble des domaines de
la vie grand-combienne, plus encore ont réussi à susciter un large "consensus",
celui de la notion de "continuité", de "durée" totalisée par ce "temps de la
Compagnie". Elle non seulement contrôle la vie industrielle, mais elle a
également contrôle du développement urbain et de la vie sociale en ville. Cela a
permis à la Compagnie de désamorcer les conflits, de détourner les
protestations, et de développer des stratégies de conciliation. Son personnel a
même la réputation d'être docile et résigné. La mobilité du personnel se
stabilise et le recrutement se ralentit. Le problème de bras ne se pose plus,
grâce à la reproduction de la main-d'oeuvre locale.
En effet, les petits signes de résistance existants ne suffisent pas à
remettre en cause le pouvoir de la Compagnie "bienveillante" sur l'ensemble de
la vie de son personnel.
A plusieurs reprises, les conflits sociaux régionaux, comme en 1890
dans le Gard, ne déteignent pas sur les mineurs grand-combiens. Les
remerciements qui apparaissent dans les discours que la Compagnie adresse à
ses ouvriers chaque fois que cette fidélité est confirmée et reconduite sont une
preuve manifeste de ce compromis.
Cependant, la résignation des travailleurs grand-combiens n'a pas été
totale. Parlons brièvement de quelques petites coupures dans ce "temps de la
Compagnie" qui, en quelque sorte, ne laissent pas d'engendrer d'autres
ruptures et la superposition d'autres temps. L'on a pu voir des réticences et
prises de positions se heurtant et s'opposant à l'emprise paternaliste: résistance
à la toute-puissante Compagnie, "instants" d'un mouvement de contrehégémonie (pour parler à la Gramsci), mais insuffisantes pour "rompre" avec la
"continuité" du "temps de la Compagnie". Les grèves sont les meilleurs points
de repère de l'expression d'un contre-pouvoir contre "le bastion du cléricalisme
et du conservatisme".
Développons donc quelques aspects qui permettront d'éclairer ce
préambule.
Lors des événements de 1848, déjà, les ouvriers grand-combiens se
joignent aux ouvriers français dans la grève d'Avril, quand les revendications
s'inscrivent essentiellement dans un refus de la prolétarisation:
"(...) refus de l'autorité patronale, du contrôle strict des méthodes
d'extraction, des règles imposées, des plans de production définis par les
ingénieurs, de la surveillance, etc... ".(434)
D'autre part, l'explosion de ce mouvement politique correspond à un fort
comportement xénophobe de la part des ouvriers fran‡ais qui, dans de
violentes confrontations, ont expulsé les belges et italiens travaillant à La
Grand-Combe. Ce sentiment d'hostilité ne se limite pas à cette réaction
chauvine, le conflit passe aussi par l'image que les mineurs fran‡ais ont de ces
ouvriers étrangers: celle d'être les responsables d'inculquer une discipline. En
effet, les belges et italiens étaient des mineurs expérimentés "à qui fut dévolue
une tâche pédagogique: enseigner aux paysans cévenols l'art et la manière
d'extraire correctement le charbon"(435). Or, l'action des ouvriers français
contestait justement le processus de prolétarisation.
"En effet, en ce printemps 1848, le maire de la Grand-Combe est un
ingénieur de la Compagnie, Thibaudet, et son premier adjoint est comptable de
l'entreprise (...) cette revendication met en cause ce qui sera l'un des
fondements de la ville-usine, à savoir la symbiose entre le patronat local et les
autorités municipales, symbiose dont la Compagnie tirera de multiples
avantages. Dans le contexte de l'agitation de 1848, les ouvriers obtiennent
rapidement satisfaction puisque le sous-commissaire du gouvernement à Alès
obtient leur démission. Ils sont remplacés par deux citoyens parmi les plus
populaires et influents de la commune, André Gilly propriétaire; et Aimé
Larguier".(436)
La position de refus s'élevait surtout contre ceux qui dressaient le
processus de prolétarisation, c'est-à-dire contre la maîtrise des mines, les
ingénieurs, sous-ingénieurs et entourage, "les responsables directs de la
prolétarisation".(437)
L'année 1848 a eu d'importantes et graves conséquences. Tout ceci
compliqué par l'arrêt de toute opération bancaire, de mauvaises récoltes, des
événements d'Italie et d'une épidémie en 1849(438). Situation conflictuelle qui
se résoudra par l'appel de la part de la Compagnie et surtout de l'ingénieur
Jules Callon, aux forces de l'ordre qui réprimeront avec violence la révolte
ouvrière. En juillet de cette année, Talabot retrouve toute son influence, invoque
l'ordre et la discipline, et l'ingénieur-chef est remplacé par M. François
Beau(439).
Après ces années de troubles sociaux(440), l'équilibre s'installe pendant
une longue période. C'est une période d'expansion pour l'entreprise qui lui
permet d'atteindre des objectifs plus audacieux: l'augmentation de la production
et la hausse des profits. Plusieurs puits sont forés et la production devient de
plus en plus appréciable. Effectivement, elle grimpe rapidement pour arriver à
son moment de plus grande prospérité.
"L'Age d'Or" correspond à la période entre 1872 et 1891. Pendant cette
conjoncture favorable, le patronat à La Grand-Combe est dirigé par le parisien
Fran‡ois Beau et ce jusqu'à sa mort le 13 septembre 1879. Il est alors remplacé
par un autre parisien d'origine, M. Graffin, ingénieur principal et directeur de
l'exploitation qui devient directeur général de la Compagnie. C'est sous l'autorité
de ces directeurs que la Compagnie connaît son apogée avec une hausse de
production et des profits locaux et un élargissement du marché.(441)
En effet, le succès commercial de la Compagnie est mesurable par la
conquête d'un important marché, par l'extension de la superficie d'exploitation
et par la modernisation du processus de travail. Cependant, cette performance
ne se limite pas au domaine immédiat de la production mais aussi à l'ensemble
du système "d'usine et ville ouvrière". La meilleure preuve en est quand la
Compagnie re‡oit en 1867 la médaille d'Or à l'Exposition Universelle. Elle est
distinguée par le jury spécial sur les établissements industriels et, a fin de
récompenser sa politique en faveur de la communauté de travail, le Directeur
de la Compagnie est, à cette occasion, décoré.(442)
La production n'arrête pas de grimper. En 1891, c'est le record de
production (960.000 tonnes de charbon)(443), les effectifs ne cessent de
grossir, la population de la ville s'élève à 13.141 habitants, "La Grand-Combe
devient après Nîmes et Alès la 3ème ville du département"(444).
Par contre, le revers de la médaille est tout autre. Cette satisfaction de la
Compagnie (signes de profit) n'est pas atteinte sans conséquences
dramatiques sur la population confrontée à des conditions de travail et de vie
désastreuses. On peut en donner un exemple probant à travers les problèmes
d'hygiène: l'entassement de la population laborieuse dans des casernes mal
éclairées, humides et malsaines, facilite la propagation de maladies
infectieuses et d'épidémies. De plus, les mineurs travaillent dans des conditions
très insalubres et putrides à l'intérieur des puits, ce qui augmente encore les
risques d'infection. Les bains-douches n'existent pas encore et les ouvriers ne
peuvent ni se nettoyer ni se désinfecter avant de rentrer à la maison.(445)
De plus en plus, des voix, parmi le prolétariat, s'élèvent pour réagir à ces
conditions (signes d'antagonisme). Bien s–r, revendications et résistances ont
toujours existé, mais ce n'étaient encore que des "voix" et des "gestes" isolés.
Le rayonnement de l'idéal républicain, dans un premier temps, "superposé" par
celui du temps de l'idéal socialiste, est réel, mais les difficultés pour organiser la
classe travailleuse sont multiples.
Pour que le travail pédagogique socialiste produise ses premiers fruits, il
a fallu attendre 1881, année des élections législatives. Malgré l'échec du
candidat socialiste (le parisien Brissac), l'organisation politique des mineurs de
la Grand-Combe atteint alors une phase de plus grande maturité. Finalement,
en confrontant les différentes formes de pression qui empêchent leur
mouvement, un groupe crée le "cercle des travailleurs" à La Grand-Combe
(déjà très actifs dans la ville voisine métallurgique de Bessège)(446). L'action
politique des ouvriers trouve une coordination. Certes, on n'est pas encore
nombreux, mais dans ce cercle, on discute les conditions de vie et de travail, la
liberté et les droits sociaux, on apprend et on s'organise. Une résistance
organisée, contre la classe dominante réactionnaire, se forme.
Cet organisme est à l'origine de diverses confrontations avec la
Compagnie, comme par exemple la grève de décembre 1881. Ce mouvement
éclate pour demander de meilleurs salaires et protester contre le monopole sur
les magasins-aux-vivres par la Compagnie. Mouvement qui pendant une
semaine s'est beaucoup battu, même si Champclauson ne s'y est pas rallié.
Les forces de l'ordre combattent le mouvement et 180 ouvriers "dangereux"
sont licenciés. La répression mise en oeuvre et les licenciements ont été la
formule utilisée par la Compagnie pour punir les agitateurs et décourager toute
velléité d'engagement au cercle et la formation d'une chambre syndicale, bref,
briser un mouvement idéologique qui commence à prendre de l'ampleur(447).
On demande aussi "le renvoi de quelques maîtres-mineurs, mettant une
nouvelle fois en cause la tutelle d'encadrement"(448).
La toute puissance de la Compagnie dans les années qui suivent est
efficace puisque les grand-combiens ne se sont pas ralliés aux gardois dans les
grèves de 1882, 1887, 1888 et 1890. Situation hégémonique assurée par la
garantie du pouvoir dans les élections législatives de 1885, 1889 et 1893,
occasions au cours desquelles les candidats du parti conservateur et royaliste
qui incarnent l'idéologie de la Compagnie remportent la majorité des votes à La
Grand-Combe, assurant la défaite des candidats socialistes.(449)
Situation qui a subsisté plus au moins jusqu'aux années 1890, quand le
mouvement ouvrier fran‡ais est déjà largement organisé (création de la C.G.T.Confédération générale du travail, en 1895). A ce moment-là, plus précisément
en 1896, les mineurs grand-combiens voient apparaître le premier syndicat
ouvrier dans la ville, encore indépendant cependant de la centrale
nationale(450). Mais la détermination des ouvriers prend de l'ampleur et la
consolidation d'un "véritable prolétariat industriel" à La Grand-Combe fait son
chemin: le refus de la tutelle patronale semble irréversible.
Cela signifie que les ouvriers grand-combiens expérimentaient leur
entrée définitive dans le "monde ouvrier organisé", ce qui va déboucher sur des
conflits politiques plus ouverts. En 1896, un mouvement de grève éclate à La
Grand-Combe contre les baisses successives de salaire et, par là, contre la
dégradation économique, sociale et morale imposées par les patrons aux
travailleurs(451). Cette grève prend un fort caractère politique suscité par les
cercles et les députés socialistes. Un ancien document anonyme la considère
comme "la première grève des mineurs de La Grand'Combe" et qui a compté
avec la solidarité de toute la communauté minière, les piquets de grève, la
"soupe populaire" organisée par les "familles grévistes" (les commerçants de la
ville participent à leur financement) et qui assurait des milliers de repas par jour,
n'étaient que des petits exemples de leur volonté de victoire. Des mouvements
avaient déjà eu lieu, mais celui-ci était le premier organisé dans l'esprit d'un
mouvement syndical.
"(...) le 9 octobre 1896 est une des grandes dates de l'histoire sociale de la
'ville-usine', elle marque une rupture, elle ouvre une brèche, elle pose un jalon
dans le long processus qui fera du personnel de la 'Compagnie des Mines de
La Grand-Combe' des hommes à part entière et non plus des êtres mineurs,
des assistés, de véritables esclaves".(452)
La grève est réussie. Le 16 octobre, la fin de la grève est annoncée sur
la place de La Grand-Combe par le mineur Rouquette, tête du mouvement, qui
lit le procès-verbal de la déclaration du Conseil d'Administration devant les
ouvriers en liesse. De plus, un mouvement social est mené par le syndicat en
1896 contre le monopole des magasins par la Compagnie, auquel adhèrent les
commer‡ants de la ville(453). En 1897, les élections de délégués à la sécurité
des mineurs accordent un mandat, pour la première fois, aux candidats du
syndicat des mineurs.(454)
En effet, à partir de cette expérience de mouvement social, la lutte
ouvrière s'imposait avec plus de vitalité à l'encontre de l'encadrement
paternaliste. Epoque marquée par des signes d'indignation: placards contre les
patrons, pétitions, petites détériorations. Et par des signes plus fermes: la
consolidation du syndicat - désormais un syndicalisme de masse et réformiste les grèves
et
aussi
des manifestations
violentes: dynamite,
pierres,
incendies(455). On peut dire que cela marqua un tournant dans l'histoire de ce
groupe(456). Les revendications sont vastes et portent non seulement sur une
amélioration des conditions de travail et de salaire, mais aussi sur de meilleures
conditions d'existence dans différents domaines de la vie quotidienne.
L'organisation syndicale des mineurs grand-combiens et l'opposition
ouverte à la structure dominante devient alors une réalité dans la vie des
familles ouvrières grand-combiennes. Les formes de lutte, plus organisées,
reflètent les changements survenus dans la vie de ces gens. On assiste
maintenant à des manifestations dans les rues, à des cortèges o— les mineurs
chantent(457) et crient des mots d'ordre, et des réunions publiques, des
assemblées générales avec 1000 à 2000 participants, o— viennent souvent les
femmes de mineurs et o— participent des militants socialistes venus d'ailleurs.
L'émancipation politique de ce groupe fait tomber le masque du paternalisme.
Une corporation minière articulée fournit de nouvelles références pour la
construction d'une identité collective basée désormais autour des luttes et des
résistances ouvrières.(458)
Au niveau économique, les années d'apogée concernant la vente du
charbon sont déjà loin derrière. Depuis cinq ans, la Compagnie lutte contre les
difficultés commerciales qui deviennent chaque année de plus en plus
inquiétantes.(459). La concurrence, par contre, ne cesse d'augmenter: "en
1900, on trouve sur le littoral, non seulement des combustibles anglais, mais
encore des belges, des allemands, des américains et des français du Nord et
Pas-de-Calais"(460).
En effet, devant la stagnation des affaires et pour répondre à une
diminution vertigineuse de la production du charbon auquel s'ajoute le déficit de
la Caisse de Retraites, le patronat communique son objectif de réduire le
personnel effectif au 25 mars 1897 (800 sur 5.200 ouvriers): "il vaut mieux
savoir se priver d'un membre que d'y laisser tout le corps. Et nous devons agir
énergiquement pour éviter un désastre (...)", déclare le Directeur Graffin(461).
La Compagnie commence par licencier les ouvriers qui avaient été à la tête du
mouvement d'octobre 1896 et des mineurs syndiqués.
Les mineurs résistent en déclarant une grève le 12 Avril 1897 et la
menant pendant plus de deux mois(462). Les délégués de la chambre
syndicale essaient des tractations auprès du Directeur Graffin, puisque ce sont
les mineurs qui avaient participé à la grève de 96 qui ont été mis à la porte.
Aucune négociation entre syndicat, patronat et Etat ne parvient à aboutir. Les
résultats sont désastreux pour les mineurs: 578 mineurs ont été renvoyés et
elle considère comme démissionnaires 668 mineurs qui avaient participé à la
grève de 1896(463). En outre, la Compagnie supprime aussi le poste de nuit
devenu plus rentable(464). Voilà donc les représailles de la Compagnie de la
défaite de 1896. Comme l'observe Turpin:
"(...) la Compagnie des Mines de La Grand'Combe conduisait son activité
d'une main ferme. Elle exigeait de son personnel une disponibilité de tous les
instants, des cadres et de la maîtrise en particulier. Elle récompensait ceux qui
la servaient, mais elle broyait ceux qui s'opposaient à elle".(465)
Le renvoi des ouvriers grand-combiens fut vécu comme une grande
tragédie par la population. Les conséquences ont été très difficiles pour les
familles licenciées et on ne constatera plus aucune grève jusqu'en 1914. Mais
l'harmonie qui allait se suivre n'était qu'apparente, quelque chose était déjà
brisé dans cette "continuité" du "temps de la Compagnie".
"La paix sociale qui a suivi la grève de 1897 n'est qu'une fa‡ade imposée
par la crainte de la répression et le souvenir des drames de 1897. En effet,
derrière elle se cache une évolution, lente, difficile mais réelle des esprits vers
la la‹cité et le socialisme: le paternalisme théocratique a perdu beaucoup de
son impact et, après 1897, rien ne sera plus jamais comme avant à La GrandCombe".(466)
La population locale qui est de 13.141, en 1891 (et de 13.358 en 1896)
chute à 11.484 en 1901(467). Selon Lamorisse:
"La production de charbon stagne ou s'affaiblit de 1891 à 1893; (...) A La
Grand-Combe la semaine de travail est ramenée à quatre jours en avril 1896;
en dépit du vieil atavisme de résignation, des mouvements de grève éclatent
(...). Le bassin industriel perd donc des habitants pendant toute une génération
humaine: de 1881 à 1911, le passif migratoire représente le tiers de la
population recensée en 1881. Leurs départs ont été en fait beaucoup plus
nombreux que ne le suggère ce bilan, mais ils ont été compensés par une
immigration (...)".(468)
Pour certains historiens locaux, cette répression, qui licencie 1.500
ouvriers choisis parmi les contestataires, "contenait en germe la condamnation
du
paternalisme
grand-combien"(469).
Certes,
le
mouvement
ouvrier
s'amplifiera désormais vers l'émancipation de la main-d'oeuvre. Mais, quoique
de plus en plus contestés, les dirigeants de la Compagnie se serviront encore
un demi siècle du système paternaliste.
Les difficultés de ces années-là ne se réduisent pas à ces seuls
événements. Un cataclysme naturel qui a eu lieu les 13 et 14 février 1896
bouleverse la vie dans la ville déjà agitée. Un glissement de terrain, entre La
Grand-Combe et Trescol coupe l'accès par la route et la voie ferré qui fait la
liaison avec Clermont-Ferrand. Accident rappelé par le "glissement du Gouffre",
puisqu'il concerne la montagne du Gouffre qui descend sur le Gardon(470). Les
préjudices économiques seront énormes et cet environnement ne sera plus
exploité ou habité.
B) LES AVATARS DU DEBUT DU SIECLE - LE DECLIN DE LA
COMPAGNIE.
Avec l'arrivée du XXe siècle, les conditions de travail, d'hygiène et de vie
s'améliorent peu à peu. A titre d'exemple, citons la réglementation limitant à 8
heures la journée de travail(471), le repos hebdomadaire (loi de 1906), la prise
de position en faveur de la sécurité et de l'hygiène, comme l'installation des
bains-douches pour le personnel (loi de 1911), les diverses lois en faveur de la
retraite, etc.
La montée du socialisme et de la la‹cité chez les ouvriers grandcombiens est encore freinée par la Compagnie, mais ils s'organisent de plus en
plus. En 1914, le congrès départemental des mineurs du Gard, qui siège à La
Grand-Combe, consolide l'affiliation des mineurs grand-combiens à la C.G.T. et
au mouvement ouvrier au niveau national. Les résultats des élections
législatives dans la période de 1897 à 1914 confirment le succès des candidats
socialistes(472).
Certes, le mouvement ouvrier ne cessera de croître et le règne du
paternalisme va être discrédité. Cependant, l'avènement de la Première Guerre
va retarder le processus d'écroulement du système paternaliste. Grâce à cette
conjoncture exceptionnelle, l'extraction du charbon retrouve une bonne
productivité.
"La production annuelle (...) fut anormalement dépassée en 1917 et 1918
avec plus de 1.200.000 tonnes. Ces années furent une période d'exceptionnel
effort pour répondre aux besoins de la Défense Nationale".(473)
La Compagnie redresse alors la situation et rétablit ses bénéfices surtout
grâce au maintien des salaires à un niveau très bas au préjudice des
ouvriers(474). Un nombre important de mineurs sont mobilisés durant la guerre
(1.476 mineurs sur les 5.205 des effectifs). Les difficultés de travail et de vie
pendant la guerre se multiplient:
"Les conditions difficiles de travail et de vie, l'allongement des journées
de travail, le doublement des heures du samedi, le travail lors des jours de
fêtes, les difficultés d'approvisionnement, le manque de pain et de viande, la
fatigue et les contraintes vont permettre la renaissance du mouvement syndical
dans les années 1914-1918. Mais les délégués syndicaux restent très prudents;
en effet la menace d'être renvoyé au front pour les mobilisables n'est pas
symbolique".(475)
Poussée
par
la
guerre,
incitée
par
une
période
de
besoins
productifs(476), la production devra redoubler et à cause de cela, la question
itérative du recrutement de la main-d'oeuvre est reposé. Pour suppléer au
manque, le recrutement va compter sur les prisonniers de guerre. Ceux-ci
arrivent autour de 1916. A la fin de la guerre, ils seront environ 1.200(477) en
comptant les travailleurs réfugiés venus du Nord, de Belgique, de Pologne, de
Serbie, d'Espagne (parmi eux, certains régulariseront leur situation au fur et à
mesure de leur embauche(478)).
Or, cette situation n'est pas stable. En outre, la fin de la guerre laisse
apparaître de lourdes pertes: 349 individus ne reviendront pas(479) et les
prisonniers allemands sont rapatriés. En 1918, une épidémie (grippe
espagnole) fait de nombreuses victimes et l'immigration spontanée, arrivant au
compte-goutte, ne suffit plus. En outre, la fin de la Première Guerre exige de
l'industrie extractive une récupération dans le plus court délai afin de répondre
aux besoins de reconstruction du pays. A La Grand-Combe, "tout le monde
concourt à la production; même des jours fériés comme Pâques et Noël sont
ouvrés"(480). La revitalisation rapide de l'exploitation productive pousse à
l'admission d'un nombre important de travailleurs. Néanmoins, c'est toute la
France qui est affectée par le manque d'effectifs(481). Une telle situation
entraîne l'embauche d'une nouvelle vague d'immigrants. La Compagnie refait
appel à un nouveau flux de main-d'oeuvre étrangère(482).
"Aux besoins nécessaires au redémarrage des activités s'ajoute la
défection du bassin du Nord-Pas-de-Calais en partie détruite qui permet à la
Compagnie d'accroître la production. Or, dans ce domaine minier, les
améliorations techniques, si elles sont notables, ne suffisent pas le plus souvent
à compenser un déficit de main-d'oeuvre. La mine est une industrie très
consommatrice de personnel, ce qui favorise le peuplement des régions qu'elle
affecte. La Grand'Combe n'échappe pas à la règle et devant le déficit de la
main d'oeuvre nationale, elle va se tourner vers la main-d'oeuvre
immigrée".(483)
Cette période se caractérise donc par un afflux de nouvelles familles
ouvrières étrangères. Il est vrai que la migration venant d'un choix délibéré a
toujours été une réalité, mais cette nouvelle vague massive d'immigrants
bouleverse plus fortement la communauté villageoise et la vie locale. Signes de
temps nouveaux qui se superposent au temps majeur rythmé par "la
Compagnie".
Bien sûr, l'on compte toujours sur les paysans originaires de la région
environnante, lesquels se heurtent, de leur côté, à l'aggravation des difficultés
au sein de l'économie agricole(484):
"Mon père était paysan dans la montagne, dans l'Ardèche. Après la
guerre de 14, il est venu pour travailler dans la mine. Il a vendu sa propriété et il
est venu. Il était un 'gavot' comme on dit par ici. Voilà! La propriété n'était pas
rentable". (M. Enjolras. Mineur retraité).
ou,
"Des 'gavots'(paysans), des ouvriers étrangers et des ouvriers algériens,
étaient immédiatement productifs, comme manoeuvres d'abords, comme
mineurs d'abattage ou de creusement des galeries, quelques mois plus
tard".(485)
Mais l'effondrement démographique est général. La France rurale avait
elle aussi été touchée par la guerre et, comme l'observe une personne
interviewée, "à ce moment-là, dans certains villages, il y avait plus de noms sur
le monument aux morts que d'habitants en âge de travail" (M. Wiénin). La
France rurale seule ne suffit pas à fournir des bras à la France industrielle: elle
aussi est touchée par la baisse de la natalité(486). En outre, les paysans du
Massif Central sont de plus en plus attirés par le travail moins pénible du
secteur tertiaire dans les villes comme celle d'Alès ou celle de Saint-Jean-duGard(487).
Tout cela amène la Compagnie à se tourner vers l'immigration massive.
Dès lors, la majorité des immigrants caractérisant ce nouveau peuplement
proviendra de l'étranger. Pour cela, la Compagnie cible d'une part des pays
ayant souffert énormément les effets des conflits qui ont secoué l'Europe, et
d'autre part les pays sous-industrialisés et surpeuplés. A cela s'ajoute la volonté
de la Compagnie de reprendre en main le contrôle de la situation, car son
personnel se montre de plus en plus politisé.
"(...) en accueillant des travailleurs étrangers, d'abord à petite dose pour
les tester, puis en masse à partir de 1924, la Compagnie cherche à retrouver sa
main-d'oeuvre d'antan, docile et disciplinée, pour faire contrepoids à ce
prolétariat fran‡ais qui, lui, s'est éveillé à la conscience et à la lutte des
classes".(488)
Les nouveaux venus européens viendront d'Europe Centrale et de la
Méditerranée Occidentale. Les polonais arrivent dès 1920 et jusqu'en 1940. A
la fin de novembre 1920, 103 polonais travaillent dans la mine. Le 15 juin 1921,
la colonie polonaise de La Grand-Combe est composée de 189 personnes (64
ouvriers célibataires, 34 accompagnés de leur famille)(489).
Les yougoslaves sont moins nombreux: les premiers arrivent en 1928.
L'arrivée des tchèques et des slaves est signalée entre 1924 et 1926. On
recrute aussi des italiens en 1920, des espagnols en 1926. Ceux-ci arrivent en
plus grand nombre vers 1940 à la fin de la guerre d'Espagne. Les portugais
arriveront beaucoup plus tard et seront peu nombreux.
Ce sont les nord-africains qui constitueront le groupe numériquement le
plus important. La première vague des ouvriers venus des pays colonisés a lieu
à partir de 1914, surtout vers 1916, époque de la création du Service des
Travailleurs Coloniaux, chargé de les répartir dans les différents secteurs
productifs français(490). Dès 1927, ils sont environ 1.000 à La GrandCombe(491). A partir de 1936, l'immigration nord-africaine s'accroît, "qui entrent
pour 16% dans la composition du personnel dans la société"(492), pour
culminer vers 1949(493).
Les mineurs venus de l'Est sont considérés comme une main-d'oeuvre
qualifiée. Cependant, à cette époque, c'est surtout le critère quantitatif (pour
faire le travail au fond) qui est préféré par la Compagnie, ce qui explique la forte
proportion de travailleurs nord-africains engagés.
"Les nord-africains forment le groupe le moins stable et le moins
spécialisé, la Compagnie s'en sert comme d'un volant de maind'oeuvre...".(494)
Les effectifs étrangers de 1923 à 1936 oscillent entre 1.200 et 2.000
personnes.(495) Gaillard signale qu'entre 1919 et 1921, La Grand-Combe est
en train de devenir "une ville cosmopolite", dans laquelle on trouve, en 1927,
près de 2.000 étrangers, soit près de 15% de la population totale.(496) En
1936, ils seront 2.232, et 2.960 en 1940.(497)
Tout cet apport humain renouvelle significativement la population par
l'arrivée aussi des familles ouvrières. La morphologie sociale et la physionomie
ethnique et culturelle de La Grand-Combe se modifient rapidement; le tissu
humain se diversifie de plus en plus, faisant cohabiter des groupes sociaux
différents: les autochtones, les immigrants d'hier (mineurs de la vieille souche)
et les immigrants d'aujourd'hui.(498)
En ce début de siècle, les immigrés viennent avec des contrats, sous le
contrôle
de
leur
gouvernement.
Les
agents
recruteurs
envoyés
par
l'Administration et avec qui ils signaient un contrat, en général temporaire,
allaient les chercher sur place:
"On est arrivés ici avec un contrat déjà signé et ils nous ont donné une
paillasse, comme on appelait ça...". (M. Spagnolo. Mineur retraité, immigrant
espagnol).
Les ouvriers italiens, par exemple, ont été recrutés par le C.C.H.F.
(Comité Central des Houillères de France, organisme patronal) en Italie même.
Ces ouvriers venaient accompagnés de l'agent recruteur. A la frontière, à
Modane, ils présentaient un papier indiquant qu'ils étaient recrutés pour
travailler à la Compagnie des Mines de La Grand-Combe dans le Gard. En juin
1920 arrivent les premiers italiens. Après quelques désistements, à la fin de
juillet 1920, 94 italiens forment une petite colonie "qui ne passe pas inaper‡ue
dans la ville, surtout le dimanche où, regroupés, ils se promènent dans leur
nouvelle cité d'accueil"(499).
Dans un premier temps, ce nouveau recrutement est plus collectif, plus
"tribal". C'est-à-dire que plusieurs personnes appartenant au même groupe
ethnique arrivent ensemble. La Compagnie, à partir du groupe souche, recrute
parmi le groupe d'entourage (parents et amis) des premiers immigrés.
Autrement dit, le groupe ethnique et les premières familles, comme autrefois,
jouent le rôle de "groupe-auteur" dans la mobilisation des nouveaux arrivants.
"Mon oncle, mon père, sont venus travailler en France par contrat.
Immigrés, mais par contrat. Le premier à venir a été mon oncle. Mon père a
suivi son frère. J'ai commencé à 13 ans à la place". (M. Andorrez. Mineur
retraité, immigrant espagnol).
La venue des familles est accompagnée d'un discours (ou position) de
"faveur" de la part de la Compagnie, et non de droit. Par là, le patronat
envisage de montrer une position de force et de contrôle sur les nouveaux
arrivants. Elle commanditait le transfert de la famille d'un ouvrier (et de ses
meubles) seulement quand cela lui convenait, c'est-à-dire que le critère était le
"mérite de l'ouvrier" en question(500).
Ainsi, la Compagnie reprend la vieille "recette" traditionnelle: le
"caractère familial de l'entreprise". Cela paraît encore efficace, comme nous
pouvons le constater dans le récit d'un fils de mineur, lui-même mineur retraité:
"C'était dur ce métier, parfois même pas humain, mais ils venaient quand
même, ces gens. Les polonais venaient et ils ne partaient plus, ils restaient. Les
espagnols venaient, ils ne partaient plus, les italiens venaient, ils ne repartaient
plus. Mon père (espagnol) a été d'abord aux Amériques je ne sais pas trop où,
mais il est retourné de là-bas parce que là, c'était des cow-boys, c'était
l'aventure. Et, en France, non. En France, ils venaient et il fallait qu'ils
travaillent. Les italiens, les espagnols, les immigrants, tous venaient pour ça.
Parce qu'ils savaient qu'ici ils avaient ce soutien: ils faisaient partie d'une famille
dans la mine". (M. Poincaré, mineur retraité).
Ce sont surtout les polonais, les tchèques, les italiens, les espagnols,
("bien plus prolifiques que ne le sont les ménages fran‡ais"(501)) qui
amèneront avec eux leur famille. Celles-ci arrivent soit avec les ouvriers,
comme c'est le cas des polonais, soit en rejoignant le mari plus tard, après une
installation plus sûre, comme c'est le cas des italiens:
"Lors de ces différentes vagues, l'ordre dans lequel la famille arrive est
variable: soit le ménage arrive en une seule fois, soit c'est le chef de famille qui
s'installe d'abord puis le reste du ménage vient quelques années après. Les
deux solutions sont de proportion équivalente".(502)
Ils seront également nombreux à arriver en célibataires ou seuls, sans
envisager forcément la venue de leur famille. Les nord-africains (algériens et/ou
kabyles de la région de Constantine) se caractériseront, dans un premier
temps, par une arrivée solitaire. Une grande majorité d'entre eux est mariée, et
ceux-là sont venus avec le projet de retourner au pays. Ils laissent donc leur
famille dans le pays d'origine et ils rentreront après quelques années. Certains
y retournent même après quelques mois de travail. Au fur et à mesure que les
nouvelles vagues d'immigrants algériens se font plus massives, formées surtout
de familles entières, ils tendent dès lors se fixer.
En outre, les immigrants - surtout les réfugiés - qui voulaient se fixer à La
Grand-Combe comptaient sur les réseaux de parenté pour intercéder en leur
faveur et leur trouver une place dans la mine. Les espagnols, les portugais et
d'autres, qui viennent se faire embaucher seront nombreux à être des réfugiés
fuyant les régimes fascistes de leur pays(503). C'est le cas de M. Ram¡rez. Son
père, sa mère, ses frères et lui ont fui la répression politique en Espagne et la
misère de fin de la guerre, et ils ont traversé la frontière clandestinement en
1940. Ils sont arrivés à La Grand-Combe, o— ils ont été hébergés et nourris par
un oncle qui était venu sous contrat et s'était installé (cet oncle avait auparavant
travaillé en Espagne dans une Compagnie fran‡aise). M. Ram¡rez est
finalement embauché par la Compagnie et reçoit un logement. Aujourd'hui,
marié, père de trois enfants, il est naturalisé français.
Les dernières vagues d'italiens arrivent entre 1946 et 1947, d'espagnols
entre 1939 et 1940 et de portugais en 1963.
La Compagnie continue à s'efforcer d'imprégner le monde ouvrier et la
mémoire collective de ce "caractère familial", comme si c'était une tradition de
l'univers minier - "recette" encore pertinente et performante pour enraciner et
stabiliser la main-d'oeuvre. Cela ne cache pas qu'elle observe un classement
"professionnel" de sa force de travail, qui tient, à ce moment-là, au critère de
nationalité. Nous voulons dire par là que la position occupée par les nouveaux
groupes dans le système de stratification sociale déjà définie de la communauté
tient au rôle tenu dans la hiérarchie de la Compagnie: elle n'était pas seulement
définie par la place de chacun à l'usine, mais par des critères autres, qui
trouvent leur origine dans ceux assignés par la Compagnie, dans son mode
particulier de classification "professionnelle".
Cela dit, cette nouvelle force de travail est engagée pour le travail le plus
pénible, l'extraction, ce qui n'est pas sans effet sur le processus d'intégration de
ces travailleurs au sein de la communauté de travail installée là depuis des
années.(504)
Selon les historiens locaux, il n'y a pas eu, de la part des grand-
combiens, de réaction xénophobe, du moins violente, envers les nouveaux
venus. Ils dessinent, d'ailleurs, très souvent un portrait "d'intégration" des
immigrants au milieu minier cévenol:
"La terrible saignée humaine de 14-18 exigea de successives
importations de main-d'oeuvre. Polonais, Tchèques, Espagnols, Italiens,
Algériens et Marocains se laissaient prendre aux charmes rugueux de la
Cévenne. Ils s'initiaient voluptueusement au jardin, à la pétanque, aux
châtaignes blanchettes, aux cèpes, à la belote, au pastis, à la valse musette,
aux truites, aux merles et à l'occitan".(505)
Néanmoins, cette cohabitation, ou ce processus d'intégration, ne se
déroule pas sans une certaine complexité.
"La mine de charbon demeure indispensable à la vie du bassin, c'est
vrai; mais son omnipotence s'affaiblit: relayée par les immigrés étrangers, la
population autochtone peut songer à prendre ses distances, ce que n'avaient
jamais pu faire les générations qui l'avaient précédée ici. Parce que les
nouveaux venus s'intègrent par le bas de l'échelle sociale, en poussant
forcément les autres vers le haut, ils apparaissent comme différents: la langue,
les usages, certes; mais aussi leur affectation aux tâches les plus ingrates, leur
rassemblement dans des cités, leur nombreuse progéniture".(506)
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, dans cette communauté
construite du mélange de divers groupes régionaux et même d'étrangers, la
classification par nationalité dans le travail, ou le "déclassement" de la nouvelle
force de travail, à laquelle on doit ajouter les différences culturelles et
religieuses, influe dans une certaine mesure sur les relations sociales des
habitants, où certains groupes ethniques sont plus stigmatisés et discriminés
par la population "déjà" grand-combienne que d'autres. Dans ce sens, nous
suggérons, paraphrasant Segalen, qu'un imaginaire commun les distingue des
nouveaux venus, dépourvus de cette mémoire locale et qui cherchent - ou non à se "ré-enraciner" localement.(507)
Certes, ils se voient tous confier des tâches dans l'abattage, mais la
Compagnie relève cependant certains critères de différenciation. A côté des
polonais et des tchèques, les italiens sont considérés comme de bons ouvriers
par l'Administration. Les espagnols, considérés comme moins qualifiés, sont
appréciés néanmoins pour leur régularité dans le travail: ils ont une réputation
de sérieux et d'honorabilité(508).
Les polonais, plus particulièrement, re‡oivent maints avantages dès leur
arrivés: désignation d'une cité ouvrière spécialement bâtie pour eux, école
spéciale (professeur de langue polonaise), assistance religieuse particulière
(prêtre polonais). En ce qui concerne les conditions de travail, les ouvriers
polonais "fonctionnent aux mêmes heures et aux mêmes conditions que les
ouvriers fran‡ais. Alors qu'au début, des fronts de taille distincte leur étaient
spécialement réservés, désormais certains sont mélangés aux ouvriers
français. Quant à la surveillance et à la direction des travaux, elle est confiée à
des chefs de poste polonais ou connaissant un peu de polonais ou d'allemand
qu'ils ont appris alors qu'ils étaient prisonniers pendant la guerre de 19141918"(509).
"Ces gens venaient avec des contrats bien précis. Pour cela, la
Compagnie a construit des écoles polonaises, et des cités que pour des
polonais, de véritables petites 'Polognes'. Par exemple, la Compagnie regroupe
un important groupe à Saint-Jean-de-Valériscle, avec une école polonaise à mitemps et une institutrice polonaise à mi-temps, c'est-à-dire que les enfants ont
une demi-journée en fran‡ais et une demi-journée en polonais. De plus, vous
avez encore une paroisse polonaise avec un curé polonais (...). Ceci explique
que les polonais se sont quand même intégrés. Certains ne voulaient pas
s'intégrer au départ. J'ai connu des enfants de polonais qui n'ont jamais
entendu parler fran‡ais chez eux, vu que les parents refusaient de parler
fran‡ais. Les femmes restaient à la maison et parlaient que le polonais, et le
père aussi parlait que le polonais et travaillait dans les chantiers de polonais à
Saint-Jean-de-Valériscle, o— il y avait des chantiers entiers à la mine
seulement de polonais, avec un encadrement parlant aussi polonais. Et dans
les quartiers il y habitait que des polonais (...). Il ne faut pas négliger cet aspect.
Mais pour la grande majorité, l'intégration a été rapide. Il y a même eu des
mariages entre polonais et fran‡ais. Mon père même est polonais et s'est marié
avec une fran‡aise." (M. Wiénin).
Avec ces conditions favorables de logement(510), et malgré les
premières manifestations de résistance à une intégration rapide, ils seront le
groupe le plus facilement intégré au pays, parmi les autochtones, et ils seront
les moins visés dans les périodes de licenciements(511).
"Pour ce qui est des polonais, l'assimilation a été très rapide et s'est
d'abord faite dans le travail: mineurs de profession, souvent très expérimentés,
robustes et durs au travail, ceux qui ont été placés dans les fronts de taille avec
les Français ont été très vite appréciés. Dans les groupes de travail à la tâche,
ils furent parmi les plus vaillants, donc très prisés de leurs collègues fran‡ais
dans la mesure où ils concouraient à augmenter le rendement des groupes et
donc des gains. Des liens d'amitié, créés dans et par le travail se sont ainsi
rapidement tissés entre ouvriers polonais et ouvriers français. On a très vite
commencé, car il n'est pas besoin de se comprendre pour cela, à aller au café
ensemble et l'ardeur à la boisson de ces étrangers n'était pas pour déplaire aux
mineurs de La Grand-Combe. Au fond, et c'est là le facteur fondamental
d'assimilation, ce que le milieu receveur demande à des immigrés, c'est de se
comporter à son image. Aussi bien que la xénophobie naît du 'ils ne sont pas
comme nous', l'intégration est favorisée par le 'finalement, ils ne sont pas si
différents de nous', et comme les polonais travaillent dur, boivent avec entrain,
acceptent volontiers une assimilation qu'ils souhaitent d'autant plus rapide qu'ils
sont venus avec leurs familles, ils seront très vite adoptés".(512)
Ces égards pour les polonais répondent aussi aux termes du contrat
passé avec le gouvernement polonais, qui envisage leur retour pour la
reconstruction du pays. Seulement, entre-temps, il y aura la Deuxième Guerre,
qui finira par en enraciner un grand nombre à La Grand-Combe. Très peu, en
fait, repartiront en Pologne.
La Compagnie préférait de loin les polonais, les tchèques et les slaves,
qu'elle jugeait être des travailleurs qualifiés(513). Grâce à cela, à côté des
anciens
ouvriers
(critère
d'ancienneté)
et
des
Français
(critère
de
nationalité(514)), ils peuvent eux aussi aspirer aux emplois d'encadrement.
Cela, ajouté à l'identité culturelle (religieuse - catholique , en l'occurrence), a
facilité leur acceptation par la population autochtone. Ils sont considérés par
nos interlocuteurs comme "parfaitement intégrés à la communauté des mineurs
français". Pour Mme Durant, "on ne fait pas de différence entre les français, les
polonais et les tchèques, c'est tous la même chose" - malgré le fort accent de
sa voisine d'origine polonaise.
Par le biais du travail, les polonais (ainsi que les tchèques et slaves) se
sont intégrés "sans problème", selon l'expression d'un habitant. Ainsi, au fur et
à mesure de leur enracinement, ces populations immigrées sont devenues
"invisibles" au sein de la communauté grand-combienne, au sens où elles ne
sont socialement pas un problème, où elles ne font pas parler d'elles(515). Les
polonais, par exemple, avant d'apprendre le français, ont appris l'argot de la
mine, code que seuls les autochtones pouvaient leur transmettre(516):
(Chercheur): "A votre avis, les polonais se sont bien intégrés parmi la
population, où alors ils sont restés un groupe plus fermé?
(M. Wiénin): "Les polonais se sont tout à fait intégrés. J'en suis un.
Certes, ma mère était fran‡aise et, moi-même, je ne connais pas un mot de
polonais. Mon père parlait polonais à la maison et très mal le fran‡ais, mais un
peu plus l'occitan. Les polonais apprenaient l'occitan avec les mineurs
cévenols. Vous comprenez?... Lorsque les ouvriers polonais ou tchèques se
mélangeaient avec les ouvriers du milieu, ils apprenaient la langue usuelle,
l'occitan. Ils se sont facilement intégrés par cet atout".(517)
Nous pouvons supposer par là que la situation de syncrétisme a été
facteur de l'intégration peu conflictuelle des polonais dans la communauté
grand-combienne, ce qui est vraisemblablement une réalité qui peut être
étendue, avec des nuances, aux populations immigrées européennes: La
Grand-Combe reproduit l'image du "creuset français".
Les italiens, beaucoup plus que les autres ouvriers, n'ont jamais cessé
d'arriver et de repartir. Cette instabilité n'était guère appréciée de la
Compagnie. Cet aspect n'est sûrement pas négligeable, puisque dans tout le
pays minier, il y a un certain mépris à l'égard des italiens ou leur tendance à la
"bougeotte": "cette antipathie envers les italiens est certainement due au choc
de deux mentalités différentes, et la réaction des gens du pays, solidement
installés, envers une population qui l'est très peu"(518). En outre, certains
groupes ethniques italiens "ont pris du temps pour s'intégrer", comme c'est le
cas des Siciliens ou des Calabrais, groupe très homogène et refermé sur luimême, caractérisés par une immigration non familiale et le désir du retour "au
pays, à plus ou moins brève échéance"(519). Les italiens, d'ailleurs, avaient
une réputation de "gréviculteurs liée à leur massive mobilisation dans les mines
et sur les docks"(520). Néanmoins, ce groupe national, ainsi que les espagnols,
comme l'observe Santucci, était considéré comme "aptes à un travail qualifiés"
et pour cela ils ont bénéficié des "bons logements", c'est-à-dire, qu'ils ont été
logés dans les "cités ouvrières":
"Dans les mines du Languedoc, (...), le patronat cherche à stabiliser les
mineurs espagnols ou italiens vivant en cité avec leur famille, car ils constituent,
avec les mineurs-paysans des villages environnants, le personnel qualifié ou en
voie de l'être. Par contre, les 'célibataires' kabyles sont parqués dans des
baraquements car leur rôle premier est de servir de 'volant' de sécurité en
fonction des besoins du moment".(521)
Moins appréciés par la Compagnie, qui leur reproche d'être instables et
de manquer de savoir-faire, les nord-africains seront dans leur totalité
embauchés pour travailler à l'abattage du charbon. Ils seront très nombreux,
mais leur hébergement dans les "camps" réglait le problème du logement.
"Les algériens, les arabes, ils les mettaient à 8, 9 par pièce, dans une
seule pièce, vous voyez? Ils couchaient tous ensemble, ou alors quand les uns
entraient pour se reposer, les autres sortaient pour travailler". (M. Gibuel.
Mineur retraité).
Dans les cas de licenciements, c'est la main-d'oeuvre d'origine nordafricaine, considérée comme "la moins qualifiée" par la Compagnie, qui sera la
première visée:
"(...) en cas de crise, elle commence par les licencier ou au moins à ne
pas les renouveler. Ce sera le cas lors des crises de 1927, de 1931-1935 et,
plus tard, de 1950-1953. De 1936 à 1939, la colonie nord-africaine représente
en moyenne 43% de la population étrangère de La Grand-Combe".(522)
Malgré cette "dé-classification", nos interlocuteurs mineurs fran‡ais
considèrent que dans la sphère du travail, l'assimilation des nord-africains a été
"normale" et, à maintes reprises, ils signalent que, si la maîtrise (les chefs),
assez souvent, les réprimait faisant appel à un stigmate ethnique négatif, parmi
les mineurs dans le charbon - couverts de poussière - il n'existait pas de critère
pour différencier les uns et les autres:
"Au fond de la mine, on travaillait tous ensemble. Les arabes ne parlaient
pas fran‡ais, mais on se comprenait, parce que, au fond tout le monde était
'noir'. C'était une vie humaine et il fallait se regarder tous, il n'y avait pas de
racisme. Dans le fond, il n'y avait pas de racisme. Seulement les chefs, parfois,
les abusaient. Et puis cette différence existait entre le fond et le jour, parce qu'il
y a le mineur du jour et celui du fond. Le mineur du fond était moins avantagé
que celui du jour parce qu'il n'avait pas le même air, mais ils avaient une
mentalité de fraternité. Dehors, c'était autre chose, il y avait du racisme, dehors,
ah oui!". (M. Rocades. Mineur retraités).(523)
C'est dans la vie quotidienne de la ville que la cohabitation, à travers la
mémoire collective, apparaît comme la plus conflictuelle: les souvenirs retracent
la présence des chocs culturels et religieux. Si autrefois l'origine sociale
expliquait avant tout les clivages internes à la communauté grand-combienne,
plus qu'hier, l'étiquette nationale que porte la personne est désormais un
facteur important d'acceptation (où la question de la tolérance est mise en
cause) au sein de la communauté.
Gaillard observe que vers 1919-1921, les étrangers nord-africains étaient
dans la ville un sujet fréquent de discussions multiples et d'étonnement. Nos
interlocutrices françaises (femmes de mineurs) racontent leur stupéfaction de
l'époque:
"Ils élevaient des chèvres dans la cuisine...".
"Ils arrachaient le parquet de la cuisine et faisaient du feu par terre... ".
Malgré la "ghettoïsation" de ce groupe dans les "camps", l'étrangeté de
ces différences culturelles s'exprimera avant tout dans le domaine des rapports
de voisinage et dans la vie domestique. La population "déjà" grand-combienne,
surtout fran‡aise, couvrira la communauté nord-africaine de critiques pour ses
"habitudes peu civilisées". Mais, peu à peu, ils prennent leur place dans le
quotidien grand-combien: ils fréquentent les marchés, les enfants vont à l'école,
etc. "Ils deviendront aussi Grand-Combiens que les Français et le cours normal
de l'existence journalière de la population de la ville reprendra jusqu'aux heures
chaudes et animées du Front Populaire. Mais c'est là une toute autre
question".(524)
Malgré le bouleversement survenu dans la ville avec le renouvellement
de la population au lendemain de la Première Guerre, les formes de gestion
ouvrière se développent à La Grand-Combe et dans tout le bassin houiller du
Gard. L'activisme politique des syndicats ouvriers se fortifie et l'on assiste à une
croissance des effectifs de syndiqués. Les journaux engagés (par exemple
"L'Emancipateur", le "Marteau Piqueur") dénoncent et critiquent le patronat, et
les dirigeants syndicaux ne craignent plus de s'opposer ouvertement à lui, les
délégués-mineurs munis d'un discours militant naissant ne cessent de dénoncer
les conditions de travail et de vie:
"L'on peut dire que pendant que des familles nombreuses grouillent dans
les taudis infects et exigus, des ingénieurs célibataires occupent des maisons
de 10 à 12 pièces. Monsieur le directeur appelle la bénédiction divine sur les
familles nombreuses: croissez et multipliez-vous! Dieu bénit les familles
nombreuses, oui! Mais il ne les loge pas et ne les nourrit pas".(525)
Dès lors, le mouvement ouvrier grand-combien correspond à l'histoire de
protestations de l'ensemble des mouvements des mines françaises.
"C'est ainsi que les mouvements de revendications sociales ne se
passent plus dès 1917 dans l'univers clos de la ville usine, les syndicats
maintenant organisés ont pris pied dans tout le pays et déclenchent des
offensives suivies par toutes les mines fran‡aises. Ce sera le cas en 1919, en
1921, en 1923, en 1929, en 1933, en 1936; où les principales revendications
sont d'ordre social": augmentation de salaire, retraite, etc.(526)
Au fur et à mesure que le syndicalisme monte et que ses effectifs
augmentent, les formes traditionnelles du paternalisme s'effondrent et l'emprise
de la Compagnie s'affaiblit.
Les conditions de travail sont de plus en plus combattues par l'action des
syndicalistes. Les grèves de 1919 et de 1921 seront des victoires pour les
ouvriers grand-combiens et elles consolident leur nouvelle force en tant que
classe.(527)
"En effet, dès la fin de 1918 et jusqu'à la fin de 1921 et ce, à des degrés
divers, la ville-usine va être le théâtre de profonds bouleversements avec
l'apparition, durable cette fois, d'un mouvement ouvrier puissant et combatif, ce
qui n'avait pas été le cas jusque là, à part le court épisode des années 18961898. (...) Nous le voyons, la 'ville-usine' rejoint de plus en plus, par ses
caractéristiques, l'ensemble du monde de la mine française; elle perd son
originalité de 'théocratie capitaliste', de lieu de la paix sociale et ce, d'autant
plus que ce syndicat, fort actif, réussit à entraîner la grande masse des ouvriers
dans les célèbres grèves des années 1919-1921".(528)
Signe de mutation des temps, une grande fête syndicaliste a lieu à La
Grand-Combe en 1919, symbolisant l'émancipation de la classe ouvrière grandcombienne. De plus en plus le groupe expérimente des moments de
discontinuités dans ce temps "de continuité" ordonné comme celui "du temps
de la Compagnie". Les changements sont forts. En fait, le compromis avec le
système paternaliste est brisé. Les ouvriers grand-combiens s'intègrent, alors, à
ce mouvement de forces internationales s'élevant contre le patronat
capitaliste.(529)
"Ainsi, entre 1919 et 1921, le mouvement ouvrier connaît à la GrandCombe de grands développements qui traduisent la rapidité d'un processus
d'émancipation qui détruit progressivement tout ce qui caractérisait la
'théocratie capitaliste' (...)".(530)
A cela se conjugue le succès électoral de la gauche. Le renversement du
pouvoir local est ainsi consommé. En 1921, un candidat socialiste arrive en tête
aux élections législatives, mettant en échec le candidat de la Compagnie. En
1925, finalement, le Directeur de la Compagnie se retire des commandes de la
vie politique, délogé par un maire socialiste qui garde le pouvoir municipal
jusqu'en 1929 (cette victoire est due au cartel de la gauche socialiste et
communiste).
Les transformations sont énormes pour les grand-combiens: la période
comprise entre 1919 et 1921 est le point de départ de profonds changements.
L'action ouvrière - surtout les grèves - s'établit comme un mode de rapport
fortement ancré dans la quotidienneté. La force absolue d'un patronat légitimé
par le catholicisme est mise en échec. Dès lors, La Grand-Combe change de
décor politique et, de la même manière que pour la majorité de la classe
ouvrière française, l'engagement est à la gauche.
Pour Gaillard, La Grand-Combe devient alors une cité ouvrière "normale"
et "perd les caractéristiques qui faisaient son originalité"(531). En effet, les
mineurs grand-combiens s'inscrivent de plus en plus à l'intérieur d'une ordre et
d'un mouvement dans un horizon plus large, rythmé par des déterminations
externes autres telles que le mouvement de la classe ouvrière à un niveau
international, les transformations de la politique et de la dynamique capitaliste,
etc. C'est la conquête en quelque sorte de l'espace de la ville pour ceux qui
sont majoritaires, les ouvriers, les mineurs.
Mais elle reste par ce biais plus que jamais une ville "minière" et
"ouvrière". Ce n'est pas une rupture d'un quotidien rythmé par le travail à la
mine que l'on souhaite, mais tout simplement des transformations au niveau de
la gérance des biens capitaux produits. D'ailleurs, si l'action paternaliste est
remise en cause, elle n'est pas encore entravée. Les changements structurels
au niveau de l'organisation industrielle sont encore limités, de même que
l'autonomie du mouvement ouvrier trouve encore des limites pour renverser la
structure paternaliste. Quoi qu'il en soit des temps nouveaux soufflaient. La
force des transformations engendrait des ruptures plus radicales à l'horizon.
Les mineurs connaissent de nouveaux rapports de forces politiques et
situent définitivement un mouvement contre-hégémonique, pour parler à la
Gramsci, au processus de gestion politico-économique de la ville. Les
conditions pour une rupture plus profonde étaient réunies, ce qui est concrétisé
dans la conjoncture de la Libération quand l'Etat Fran‡ais organise les forces
de renaissance (quand le P.C. sort fortement enraciné grâce à la Résistance),
implantant les bases pour qu'une nouvelle structure économique se produise.
Mais nous ne sommes pas encore arrivés à cette disposition, et les
années 1920 ont été de développement pour la Compagnie. Elle contrôle
l'embauche et peut attaquer de front l'autonomie ouvrière grandissante. L'option
pour une nouvelle vague de main-d'oeuvre immigrante est, parmi d'autres
raisons, la poursuite de la manutention d'un contrôle ouvrier.(532)
Au niveau production, la situation était rassurante. La Compagnie
arrachait chaque année près d'un million de tonnes de charbon au sous-sol
d'une concession étendue sur plus de 10.000 hectares. Cela grâce aux
investissements pour élever la productivité du travail. En 1921, sous le contrôle
des financiers parisiens, 102.000 actions nouvelles renforcent le capital social
de 6,3 à 31,8 millions de francs(533).
Un indice de productivité qu'elle atteint non sans des conséquences
pénibles pour la catégorie épuisée par les conditions de travail. Une grève est
organisée, appelée par les syndicats pour de meilleures conditions de salaire et
de travail, déclenchée pour des raisons de "dignité humaine". Les mineurs
grand-combiens font grève en 1929 pour le rattrapage des salaires avec le mot
d'ordre "Nostre cin franc, noun dé Diou!" (qui signifie 'un salaire meilleur, au
nom de Dieu' en langue vernaculaire, le 'patois cévenol'). La grève est réprimée
avec violence par la Compagnie qui envoie la garde pour intervenir. La grève
pour un salaire décent est perdue et les mineurs reprennent le travail suivant la
décision syndicale annoncée.(534)
"L'ordre de reprise étant donné, la mort dans l'âme, mon père, sans
aucun enthousiasme, reprit le chemin de la mine Roux. Le soir, il dit avoir
retrouvé ses outils au même endroit et s'être assis à côté d'eux en attendant
que l'heure tourne. Ne vous méprenez pas, ce n'était pas par paresse, mais par
découragement... D'avoir gagné ne suffisait pas à la direction de la Compagnie:
elle expulsa, sans ménagement, des dizaines de 'meneurs' de la grève et de
syndicalistes (...), sans prendre en considération qu'elle se privait ainsi de ses
meilleurs ouvriers...".(535)
Mais, au lendemain de la crise internationale de 1929, un certain nombre
de difficultés surviennent dans l'industrie charbonnière(536). Certes, au niveau
municipal, la Compagnie, c'est-à-dire la droite, reprend le pouvoir (le Maire élu
est M. Bernadou, médecin des Mines). Mais la période de marasme pour les
mines françaises touche très lourdement la Compagnie, la morosité semble
tomber sur l'activité économique de La Grand-Combe(537). En ce qui concerne
la production de charbon, les problèmes sont surtout dus à un étranglement des
marchés locaux, à des difficultés commerciales, des prix de revient du charbon
trop élevés, une concurrence étrangère forte venant surtout du charbon anglais
déversé sur le marché méditerranéen, etc. Les stocks s'accumulent et sont de
plus en plus difficiles à écouler. La Compagnie impose de plus en plus de jours
chômés à son personnel(538) et la crise dans ce secteur ne cesse de
s'aggraver.
Ce n'est que sous le Front Populaire que le programme de récupération
économique et d'accroissement de la production de charbon prend plus
d'ampleur. Les mesures de protection du commerce charbonnier au niveau
national permettent à la Compagnie de reprendre son souffle. Le relèvement du
pays dépendant avant tout du charbon, on exigera des Compagnies une
augmentation de la production, et des ouvriers qu'ils y consacrent tous leurs
efforts(539). C'était la première phase d'un programme de revitalisation ou
réactivation de ce secteur au niveau national, la "Bataille du Charbon"(540), où
tantôt les sociétés charbonnières, tantôt les ouvriers sont appelés à servir la
politique gouvernementale: il s'agissait "de créer une 'mystique de la production'
au nom du sacro-saint 'intérêt national'"(541). Propagande nationaliste qui
s'appuyait largement sur le stimulant idéologique d'une corporation minière
dévouée, "avant-garde du prolétariat"; identité prolétarienne "fabriquée" comme
fondée sur l'amour du travail. Elévation de l'image de l'ouvrier "consciencieux et
déterminé" qui trouve, néanmoins des voix discordantes et disposées à
dénoncer ce cadre épique, comme c'est le cas du mineur Constant Malva,
écrivain prolétarien belge qui défait, en racontant les sentiments des mineurs
dans ses ouvres comme celle de "Ma nuit au jour le jour", la "mythologie" créée
autour du monde minier(542).
L'amélioration économique est apportée grâce aussi aux efforts fournis
dans le sens d'un progrès technique (mécanisation, électrification des machines
d'extraction des divers puits, forage de nouveaux puits, etc.): mise en valeur
des puits d'extraction de Ricard (dans la vallée de La Grand-Combe), et des
Lumières (au nord de la concession, près du puits La Fontaine nº 2),
exploitation par des machines électriques, augmentation de l'énergie motrice
des installations (électriques) grâce à une centrale installée dans le quartier de
la Pise, etc.(543). Tout cela est détaillé dans le livre d'Or de la Compagnie,
publié en 1936/37, à l'occasion de son Centenaire. Un événement pour lequel
une grande fête a lieu dans la ville.
Mais si au niveau économique la conjoncture est de nouveau optimale
pour la Compagnie, son emprise connaît un reflux au niveau politique. A ce
moment, le bouleversement politique qui bat son plein au niveau national gagne
également La Grand-Combe: création des congés payés (1936)(544),
reconnaissance du 1º mai comme jour des travailleurs, loi limitant à 40 heures
la durée hebdomadaire du travail, élection de délégués d'ateliers dans les
entreprises et hausse des salaires (entre 7 et 15%)(545). De plus, aux élections
municipales de 1935, la droite traditionnelle est détrônée(546). Succédant au
Docteur Bernadou (candidat de la Compagnie), M. Germain Soustelle,
socialiste, est élu Maire de la commune arrivant en tête dans les élections du
18 mai 1935 et restant au pouvoir municipal jusqu'à 1941(547).
En 1936, les candidats communistes au siège de député obtiennent un
bon score à La Grand-Combe(548). Les tensions sociales s'accroissent et il
devient de plus en plus difficile pour la Compagnie de les étouffer face à un
mouvement syndical encore plus ferme.
Mais, en 1939, la Deuxième Guerre Mondiale éclate et va entraîner la
répétition d'un cadre conjoncturel déjà connu: situation de crise économique,
mobilisation du personnel sur le front (1.746 personnes), diminution des
effectifs en même temps qu'il faut augmenter la production dans une large
mesure - ce qui exige des mineurs une intensification de leurs efforts afin
d'obtenir une hausse du rendement (qui malgré tout se maintient à un bon
niveau)(549). Profitant de cette situation de guerre, comme le signale Trempe,
l'Etat étend son contrôle sur les mines et sur le marché charbonnier(550). C'est
la deuxième phase de la "Bataille du Charbon" pour le gouvernement, pendant
que la Compagnie, de son côté, sauvegarde ses profits.
A La Grand-Combe comme partout (quoique restée zone libre), les
conditions de vie et de travail se sont dégradées pendant les années de guerre:
la pénurie, le rationnement, la perte des proches, ce sont des aspects qui
reviennent avec force dans la mémoire de nos interlocuteurs. Bien que devant
affronter ces difficultés, l'esprit de lutte de classe (auquel s'ajoute l'esprit de la
"Résistance"(551)) se maintient. Ici et là les grèves éclatent, déclenchées à
cause du mauvais ravitaillement: à La Grand-Combe en 1941(552), et se
solidarise également dans la grève de 1942 (12 mars)(553), ainsi que dans
celle de 1943 qui s'étend sur toute la France.
"Le milieu minier était en perpétuelle agitation, et la tension qui y régnait
était une source d'inquiétude constante tant pour Vichy que pour les Allemands
(...). Par ailleurs, elles sont de plus en plus coordonnées et centralisées à
l'initiative de la Fédération du sous-sol reconstituée clandestinement".(554)
La Deuxième Guerre est à la fois conflit politique, opposition idéologique,
choc maximal entre les classes sociales, aboutissements de processus de
formations nationales, etc., c'est une situation inédite d'accélération des
changements structurels déterminés par des forces transformatrices produites
continuellement par la société moderne. Menée à terme sous cette forme
explosive et meurtrière, tous les pays sont tributaires de cette suractivation de
"développement". Structures existantes mises en cause, modes de vivre et
penser bouleversés, peuplements re-mobilisés, hiérarchies, prestiges, valeurs
affectés, bref, cette conjoncture de guerre (ou événements qu'elle accumule),
apporte une "transformation structurelle globale de caractère révolutionnaire"
(pour paraphraser Balandier). Nous ne pourrions pas ici nous prolonger sur
l'intensité des changements survenus. Il importe d'y localiser une profonde
rupture, des profondes transformations régies par la modernisation (et par la
modernité). Une discontinuité tellement profonde qu'elle superpose de
nouvelles références structurelles de l'ordonnance du temps et des espaces
vécus et pensés, de nouvelles valeurs sociales et culturelles. Cet événement
historiquement, pour nous, "contextualisé" est ressenti par les grand-combiens,
comme pour quelque autre groupe dans cette société industrielle, comme des
transformations généralisées. Mais tout n'est pas rupture, et dialectiquement à
ces mutations, une "permanence" se conforme, se maintient (sur certains
terrains, d'ailleurs, les facteurs de continuité sont même renforcés).(555)
La fin de la guerre s'accompagne d'un bouleversement du secteur
industriel français. Les changements politiques importants survenus au niveau
national vont impliquer des répercussions sur le secteur minier:
"Le 25 septembre 1944, le commissaire de la République de la région
Languedoc-Roussillon en application des dispositions élaborées par le
gouvernement provisoire d'Alger, réquisitionne les installations de la
Compagnie".(556)
A l'occasion, le commissaire de la République du Languedoc, crée les
"Houillères des Bassins du Gard, de l'Hérault, et de l'Aude" et nomme M.
Ducasteing(557), comme directeur général, M. Pierre Boyer, directeur du
groupe de La Grand-Combe(558) et les comités de gestion, composés de
syndicalistes, ouvriers et employés sont nommés dans la fonction d'assistance
à la direction.(559)
"La nouvelle équipe ainsi mise en place s'emploie à fond à accroître la
production, puissamment aidée dans cette tâche par le comité de gestion qui
appuie sans réserve les directives du gouvernement du Général de
Gaulle".(560)
C'était une nouvelle politique de gestion qui était mise en pratique,
passage néanmoins qui sera marqué par le "réformisme":
"Il est intéressant de noter que dans une entreprise aussi hiérarchisée
que la mine, le passage de la propriété privée à la propriété nationale s'effectue
sans heurts, simplement en changeant le conseil d'administration".(561)
L'effort de reconstruction marque le début de la troisième et dernière
phase (la plus importante par son ampleur) de la "Bataille du Charbon" (19451947), mais c'est maintenant l'Etat le "maître du secteur charbonnier"(562).
"Dans les mines de La Grand-Combe comme dans celles de l'ensemble
du Bassin, on s'attache à remettre progressivement en marche les installations;
car, plus que jamais, la France, exsangue et meurtrie, a besoin de charbon
pour se relever de ses ruines".(563)
Avec la nationalisation des mines promulguée le 17 mai 1946(564) et la
constitution des Houillères du Bassin des Cévennes par décret au 28 Juin
1946, l'histoire de la toute-puissante Compagnie des Mines de La Grand-
Combe s'achève. Il faut souligner qu'à ce moment-là, la Compagnie de La
Grand-Combe est de loin celle qui produit le plus massivement et qui reste "le
baromètre du bassin houiller du Gard"(565). La Grand-Combe est, en autre, la
commune qui présente la plus importante proportion de travailleurs étrangers
dans tout le bassin. La moitié demande la naturalisation française, requête
parfois très lente.
La Compagnie, qui avait créé la ville et, pendant 110 ans, l'avait "dirigée"
selon ses intérêts, particularisé les moeurs des habitants, transfiguré les
paysages et monopolisé l'économie, va s'écrouler. Même les monuments
qu'elle avait édifiés ont été enlevés. Sur la place centrale une sculpture en
hommage aux morts du pays dans la guerre de 1914-1918(566) substitue ces
anciennes "marques symboliques" par laquelle la Compagnie voulait pétrifier
leur puissance. Dès lors, les nouvelles rues prendront très souvent les noms
des héros nationaux, la place centrale prend le nom du chef incontesté du parti
socialiste "Jean Jaurès" (1946) et les fêtes politiques "du parti révolutionnaire"
auront lieu, comme pour prouver que la classe ouvrière grand-combienne était
désormais
"consciente"
(conscience
de
classe)
et
"internationaliste"
(appartenance à la classe et à la lutte ouvrière internationales). La
nomenclature des biens publics ne cessera pas de changer. L'événement de la
Deuxième Guerre a ensuite soulevé à La Grand-Combe un important
mouvement de résistance et la ville va rendre hommage aux résistants de cette
guerre.
La Grand-Combe n'est plus désormais une ville marquée par un rapport
étroit avec une unité industrielle, avec un système paternaliste fort. Elle
demeure, certes, une "ville minière", mais ce n'est plus l'espace social dominé
par la Compagnie, à son service. La ville a été re-appropriée par les grandcombiens, un espace urbain qui con‡oit sans les contraintes d'hier le statut du
travailleur-citoyen ("libre"). Cependant cela ne veut pas dire que cette
transformation efface des "mentalités"(567) et de "l'urbain" les traces, les
références, les marques, etc., engendrées par la Compagnie ou par la
collectivité et intériorisées au long du "temps de la Compagnie" et des temps
sur lesquels il s'est superposé. Les événements vécus et orchestrés jusqu'alors
par la Compagnie restent gravés dans la mémoire collective des habitants
grand-combiens et dans l'espace social significativement scandé par ce "long
temps" qu'ils retransmettent comme étant le vécu "au temps de la Compagnie".
La mémoire collective ("par un savoir commun des origines, que l'on sait être
lointaines, enracinées dans une vallée où il est connu que des générations et
des générations d'ancêtres ont travaillé" dans le charbon) s'appuie sur
l'omniprésence de la Compagnie(568).
"La Grand-Combe est bien une caricature de la ville minière (...). Cette
situation va laisser immanquablement des traces sur le comportement et la
mentalité de ses habitants".(569)
L'originalité de cette communauté de travail demeure dynamisée par la
mémoire collective du groupe, qui non seulement s'attache au souvenir
d'autrefois (prise de conscience d'un éloignement avec le passé), mais aussi
qui reproduit leurs sentiments et les valeurs de leur enracinement dans le pays
minier, grâce aux liens cimentés par les générations précédentes, par la
rudesse de leur vie, par le travail de la mine, par la construction d'un quotidien
imprégné de leurs traditions et de leurs valeurs culturelles, ce qui permet
d'engendrer l'identité sociale, cette force qui permet au groupe de se
reconnaître dans la recherche d'une nouvelle temporalité mais qui les assure
dialectiquement une continuité (où ils peuvent ressaisir les repères d'identité)
dans le présent(570), autrement dit, d'engendrer le recommencement du
groupe dans la discontinuité.
Le travail (le métier), facteur de base d'identification reste l'activité
économique par excellence, et l'espace vécu demeure fondamentalement
minier. Tout cela permet aux habitants de la ville (les individus et la collectivité)
de se reconnaître comme appartenant à un milieu singulier: un groupe social
qui s'identifie "par ses propriétés de condition et de position" (pour paraphraser
Bourdieu). Un travail estimé par les uns, méprisé par les autres, mais important
comme source de vie, comme source de rapport social et culturel, comme
source d'identité au sein du groupe ouvrier grand-combien. Le quotidien
demeure rythmé par ce temps "fort" industriel et la "valeur-travail" (minier)
demeure, comme dans un acte d'enveloppement, donnant "qualité" et "sens" à
la construction de l'identité sociale du groupe d'appartenance.
1. Blason de La Grand-Combe de Marcel Feydédié: Trois châteaux, une lampe
de mineur et deux pics, avec en pointe la devise "Mans negros, pan blanc" (en
langue d'oc).
2. Voir Annexe 1: "Mines de La Grand'Combe".
3. GAILLARD, Jean-Michel. "De la Réussite Initiale au Déclin Progressif:
Histoire Economique de la Compagnie des Mines de La Grand'Combe (18361921)". In: GAILLARD. Op. cit. Chapitre I.
4. PUECH. Op. cit. Tome I. p. 95.
5. GAILLARD. Op. cit. p. 18.
6. "(...) le 27 juillet 1837, la Société fut réorganisée en commandite par actions
au capital de 16 millions sous la raison sociale Talabot Frères, Louis Veaute,
Eugène Abric, Daniel Mourier, Jacques Fraissinet, Roux, Jean Luce, Simon
Thérond, Joseph Ricard, Fournier et frères avec 3000 actions à Veaute et
Compagnie, 3000 aux associés en nom collectif, 4000 aux mêmes sous la
forme d'actions contre le versement d'un quart de leur valeur, 6000 à l'Etat, soit
16000 actions de 1000F, la Société devant se transformer en Société Anonyme
après le remboursement des six millions". In: GAILLARD. Op. cit. p. 24.
Selon Turpin, cette Société, créée sous Louis-Philippe et Napoléon III, s'est
constituée avec l'intention secrète de soustraire l'approvisionnement de la flotte
et l'industrie naissante à l'influence de nations dont on pouvait craindre
l'hostilité; politique prudente". In: TURPIN, Michel. "Histoire de la Compagnie
des Mines de La Grand'Combe". La Grand-Combe. (Date probable 1982). 23 p.
Manuscrit.
7. Ces concessions correspondent aujourd'hui à La Grand-Combe (commune),
La Forêt et Montagne Sainte-Barbe (quartiers), Trescol, La Levade et
Champclauson (hameaux), et une bonne partie de Laval-Pradel et St-Jean-deValériscle (communes).
8. "(...) L'intervention décisive de l'Etat et des Rothschild surtout montre la
faiblesse et la routine du marché des capitaux dans cette partie du Midi
Méditerranéen". Cf. GAILLARD. Op. cit. p. 24.
9. Sur M. Talabot, voir GAILLARD. Op. cit. pp. 25 et 26.
10. Fondateur de l'Ecole des Mines d'Alès, élève de l'Ecole Polytechnique, il
deviendra après 1848 ingénieur-Conseil de la Compagnie, selon le Journal Le
Pays Cévenol et Cévennes. D'Alès - La Grand'Combe à Florac. Hebdomadaire
Régional d'Informations d'Annonces Légales et Judiciaires agréé pour
l'ensemble du département du Gard. Le 19 Mars 1983. Ceci montre aussi
l'importance de la figure de l'ingénieur dans la gérance du capital.
11. Cette société anonyme formée pour une durée de 50 années (devant
prendre fin en 1905) a été prorogée de 50 années de plus par décret du 17 août
1895 (par le même décret la Compagnie fut autorisée à jouir du bénéfice du
régime de la loi de 1867 sur les sociétés anonymes). Cf. PUECH. Op. cit. Tome
I. p. 107.
12. La ville des Salles-du-Gardon se situe sur la rive droite du Gardon. En
1844, cette ville comptait une population de 3.720 habitants, dont 1.439 pour la
section des Salles (sur la rive droite du Gardon) et 2.281 pour la section de StVincent-des-Salles (sur la rive gauche, rattachée plus tard à la ville de La
Grand-Combe).
13. LIVET. Op. cit. p. 23.
14. Pour le concept "paternalisme", nous citons:
A) "(...) le paternalisme désigne un rapport social dont l'inégalité est déniée,
transfigurée par une métaphore qui assimile le détenteur de l'autorité à un père
et les agents, soumis à cette autorité, à ses enfants. Cette métaphore tend à
transformer les rapports d'autorité et d'exploitation en rapports éthiques et
affectifs. Le devoir et le sentiment se substituent au règlement et au profit". In:
PINÇON. Op. cit. p. 58.
B) Gaillard l'a ainsi défini: "(...) le paternalisme est un ensemble de pratiques
nécessitant une certaine ponction sur les bénéfices d'une entreprise. Cette
ponction, qui est à la fois un investissement comme un autre et une assurance
contre la lutte de classe, a pour but, à travers la mise en place d'appareils
idéologiques d'entreprise, de suppléer aux failles que laissent subsister les
appareils idéologiques d'Etat dans la reproduction de la soumission de la force
de travail à l'idéologie dominante. Par là, il est un instrument destiné à obtenir
une main-d'oeuvre à la fois totalement docile (pas de grève) et totalement
efficace (maximum de productivité) afin de lui extorquer une plus-value maxima
et donc de réaliser le plus grand profit possible". In: GAILLARD. Op. cit. p. 159.
C) "La Compagnie préféra se substituer à l'Etat, un Etat qui, à l'époque (18511872) limitait au minimum ses interventions. En revendiquant le rôle
d'assistance et de salubrité, elle exer‡ait, en somme, une fonction de
gouvernement ou d'administration, et renforçait d'autant son autorité sur
l'humble peuple des mineurs". In: ARIES, Philippe. Histoire des populations
françaises. Paris, Seuil, 1971. p. 88.
D) Pour une analyse du concept "paternalisme", voir également:
NOIRIEL, Gérard. "Du 'Patronage' au 'Paternalisme': la restructuration des
formes de domination de la main-d'oeuvre ouvrière dans l'industrie
métallurgique française". In: Revue Mouvement Social, nº 144, juillet-septembre
1988. Les Editions Ouvrières, Paris. p. 17 à p. 35. - et - LOWN, Judy. "'Père
plutôt que maître...': le paternalisme à l'usine dans l'industrie de la soie à
Halstead au XIXe siècle". Ibidem. p. 51 à p. 70.
15. "Les travailleurs tendent donc à perdre le statut qui fait d'eux des
travailleurs libres, des ouvriers, des 'prolétaires' au sens de Marx: disposant de
leur temps en dehors du temps de travail cédé au capitaliste qui achète la force
de travail (et non le travailleur en tant qu'être physique et personne humaine).
Dans la mesure où les entreprises capitalistes installent des îlots de
dépendance complète et d'assujettissement des travailleurs, ces îlots sont
disjoints au sein de l'espace où se déploie la 'liberté', celle des individus, celle
du capital lui-même (commercial et industriel). Mais dans la mesure où ces îlots
tendent à se rejoindre, ils établissent le tissu dans lequel règnerait un
capitalisme totalitaire (économique et le politique fusionnant)." In: LEFEBVRE,
Henri. La production de l'espace. Paris, Anthropos, 1986. p. 367. (1e édition:
1974).
16. "Par 'ville politique', il faudrait entendre non pas seulement la cité
industrielle, mais l'ensemble unifié, formé par l'usine et les équipements qui
l'accompagnent, organisé selon les principes d'une même économie. Une ville
politique, ce serait en ce sens une entreprise industrielle, dès lors qu'elle tend à
se constituer sous l'unique direction d'un patron comme société, c'est-à-dire
non seulement comme instrument de production, mais comme organisation
sociale." In: EWALD. Op. cit. pp. 119 à 122. Pour le concept de "ville politique",
selon François Ewald, voir Annexe 2: "Ville Politique".
17. Voir à ce sujet la lettre du préfet du Gard à M. Paulin Talabot du 28 juin
1844. In: LIVET. Op. cit. p. 25.
18. Selon PUECH. Op. cit. Tome I. p. 126.
19. PUECH. Op. cit. Tome I. pp. 138 bis à 143.
20. LIVET. Op. cit. p. 1.
21. Bulletin des Lois nº 1302, par le roi des Fran‡ais Louis-Philippe. In: LIVET.
Op. cit. p. 27.
22. Dénombrement de la population de 1846. Département du Gard. Etat
Nominatif des Habitants de la commune de La Grand-Combe. Mairie de La
Grand-Combe.
23. A ce sujet voir LIVET. Op. cit. pp. 29 et 30.
24. TABLEAU DE LA POPULATION/PRODUCTION DE CHARBON DANS LA
COMMUNE DE LA GRAND-COMBE (1836-1946):
La production de charbon La population.
1836
35.250 tonnes
1840
109.000 t
1845
294.800 t
3.545 h
1846
4.011 h
1850
217.900 t
1851
4.730 h
1855
359.856 t
1856
6.315 h
1860
418.281 t
1861
475.000 t
7.780 h
1865
512.490 t
1866
491.000 t
9.367 h
1872
525.000 t
8.872 h
1876
575.000 t
10.152 h
1886
11.341 h
1891
960.000 t
13.141 h
1921
11.232 h
1926
12.378 h
1931
12.116 h
1936
12.343 h
1946
1.200.000 t
14.165 h
Source: A) TURPIN. Op. cit. p. 4. B) Dénombrements de la population Département du Gard. Etat Nominatif des Habitants de la commune de La
Grand-Combe 1846 à 1946. Mairie de La Grand-Combe.
25. Expression de l'un de nos interlocuteurs, M. Wiénin.
26. Voir à ce sujet: LAMORISSE. Op. cit. Deuxième Partie. pp. 71 à 315.
27. A ce sujet voir LAMORISSE. Ibidem. pp. 206 et 207.
28. Le meilleur analyse de ce thème reste TREMPE, Rolande. "Du paysan
mineur à l'ouvrier mineur: formation d'une main-d'oeuvre industrielle". In:
TREMPE. Op. cit. Deuxième Partie. La Prolétarisation des Mineurs. Chapitre II.
Tome 1. pp. 189 à 253. Nous reviendrons à ce sujet dans le Chapitre 4.
29. Article de Raymond AUBARET. "Paysans et Mineurs Cévenols". Paru dans
"Le Pays Cévenol et Cévennes". Nov. 1982.
30. La famille paysanne cévenole est du type famille élargie: "la cellule humaine
de base dans la vieille Cévenne est la famille qui s'étale sur plusieurs
générations. (...) Ce groupe humain de base que constitue la famille élargie
occupe un espace privilégié qui est l'exploitation proprement dite. Il en est soit
propriétaire, un membre de la lignée ancestrale en ayant fait l'acquisition, soit
fermier ou métayer. L'exploitation regroupe plusieurs parties plus ou moins
aménagées. Il y a tout d'abord l'espace bâti, généralement appelé 'mas',
comprenant des locaux à usage d'habitation et des locaux à vocation agricole
pour abriter le bétail, les récoltes, le matériel. (...) L'exploitation comprend
ensuite les surfaces cultivables (...). Le groupe des anciens se compose des
ascendants directs ayant toujours vécu sur la propriété et des collatéraux restés
célibataires, souvent pour ne pas engendrer de progéniture afin de limiter les
partages et conserver le patrimoine intact". Cf: TRAVIER, Daniel. "Technique et
vie quotidienne". In: JOUTARD, PH. (Sous la Direction de). Les Cévennes de la
montagne à l'homme. Toulouse, Privat, 1979. pp. 164 à 167.
31. Cf. LAMORISSE. Op. cit. p. 209.
32. Ibidem. p. 150. D'ailleurs, cet auteur a remarqué que le va-et-vient entre la
petite polyculture de montagne et la mine a condamné ces travailleurs a un
genre de vie qui paralyse la promotion sociale: "un paysan qui vivote à l'abri
d'une législation protectionniste, un ouvrier qui n'est qu'un manoeuvre, certes
mieux payé qu'un journalier agricole, mais dont l'avenir professionnel est
entravé par de bien faibles chances, voire l'impossibilité d'acquérir une
qualification". Ibidem. p. 209.
33. "Il n'y a donc eu aucune co‹ncidence entre l'exode rural cévenol et les
besoins de l'entreprise en ouvriers. La dépopulation du milieu rural ne va
s'accélérer qu'à partir des années 1880, mais elle viendra trop tard pour les
mines de La Grand-Combe puisque c'est vers 1880-1890 que commence pour
elles la période cruciale au cours de laquelle cette main-d'oeuvre est trop
abondante". GAILLARD. Op. cit. p. 119.
34. Sur les principes juridiques et sociales qui déterminent la situation (droit et
limites) des étrangers aux XIXe siècle, nous suggérons l'analyse de, NOIRIEL,
Gérard. Le Creuset Fran‡ais. Histoire de L'immigration XIXe-XXe siècles. Paris,
Seuil, 1988. Chapitre 2: "La Carte et Le Code". p. 69.
35. PUECH. Op. cit. Tome II. p. 65.
36. Ibidem. p. 65.
37. Cf. PUECH. Op. cit. Tome I. p. 109 et Tome II. pp. 65 et 66.
38. Voir Annexe 3: Recensement de la population 1851 et 1866.
39. Quoique le terme "immigration" pour identifier les étrangers soit présente
dans la littérature juridique et sociologique à partir de la IIIe République en
France, nous l'utilisons ici comme synonyme, malgré la décalage d'époque. A
ce sujet voir NOIRIEL. (1988). Op. cit. pp. 78 à 124.
40. "Mais un des cas les plus intéressants est sans doute celui de la
Compagnie des Mines de la Grand-Combe. Elle conn–t dès ses débuts les plus
grandes difficultés de recrutement. Dès 1840, elle fait appel à des Piémontais,
puis à des mineurs du Forez; en 1842 et 1843, ce sont des houillers de Saôneet-Loire qui s'installent; en 1846 des ouvriers venus de la M–re, en 1847 enfin
elle s'adresse à la Belgique. La xénophobie des travailleurs fran‡ais dispersera,
lors des troubles de 1848, la petite colonie des 300 étrangers, et, dès lors, la
Compagnie recrutera sur le Massif central concurremment avec les mines de la
Loire, non sans avoir tenté, pour résoudre la pénurie de main-d'oeuvre,
d'acclimater, en 1862, des ouvriers cotonniers chassés de la région rouennaise
par la crise (Note 2). Les essais d'implantation 'd'étrangers' ne paraissent guère
avoir été plus heureux à la Grand-Combe qu'à Carmaux". (Note 2: Cie. de la
Grand-Combe, 2. vol. dactylo., 1901, Bibliothèque Ecole des mines, Paris, vol.
II, p. 281. et B. GILLE, dans l'Histoire de la Maison Rothschild Paris, 1965, tome
I, 493 p., souligne la pénurie d'ouvriers dont la Grand-Combe souffrit durant ces
années et il cite une lettre o— la Direction fait état du recours à la maind'oeuvre étrangère, p. 388). Selon, TREMPE. (1971). Op. cit. Tome I. p. 168.
41. Comme le démontre Lamorisse par rapport l'origine géographique des
ouvriers:
ORIGINE:
1888-90 1898-1900 1908-10
La Grand'Combe
23 (34,7%) 65 (42,7%) 87 (44,2%)
Communes voisines 25 (37,9%) 46 (30,2%) 66 (33,5%)
Hautes terres du
Plateau Central 16 (24,4%) 39 (25,6%) 38 (19,3%)
Garrigues/plaines
du Bas-Languedoc 2
2
3
Ailleurs
3
Total
66
152
197
Source: LAMORISSE. Op. cit. p. 206.
42. "L'enracinement est peut-être le besoin le plus important et le plus méconnu
de l'âme humaine...". In: WEIL, Simone. "L'enracinement". Paris, Gallimard,
1949. p. 61.
43. "Il faut en somme admettre que ce pouvoir s'exerce plutôt qu'il ne se
possède, qu'il n'est pas le 'privilège' acquis ou conservé de la classe
dominante, mais l'effet d'ensemble de ses positions stratégiques - effet que
manifeste et parfois reconduit la position de ceux qui sont purement et
simplement, comme une obligation ou une interdiction, à ceux qui 'ne l'ont pas';
il les investit, passe par eux et à travers eux; il prend appui sur eux, appui à leur
tour sur les prises qu'il exerce sur eux". In: FOUCAULT, Michel. Surveiller et
punir. Naissance de la prison. Paris, Gallimard, 1975. "D'abord le pouvoir (chez
Foucault) n'est pas seulement répression et interdiction, il est aussi incitation au
discours et production de savoir; en second lieu, comme l'indique également
Barthes, le pouvoir n'est pas un, n'est pas massif, n'est pas un processus
unidirectionnel entre une identité qui commande et ses propres sujets".
Foucault nous a obligé à revoir "en même temps que la notion de pouvoir, celle
de l'initiative politique. (...) Le fait est que dans cet enchevêtrement de
problèmes se profilent de nouvelles notions de pouvoir, de force, de
bouleversements politiques et d'ajustements progressifs à travers de lents
glissements périphériques, dans un univers sans centre, où tout est périphérie
et o— rien n'a plus de 'coeur'". In: ECO. Op. cit. pp. 333 à 354.
44. Nous suivons ici Pierre Bourdieu pour qui l'habitus est "un système de
dispositions durables et transposables qui, intégrant toutes les expériences
passées, fonctionne à chaque moment comme une matrice de perceptions,
d'appréciations et d'actions". BOURDIEU, Pierre. Esquisse d'une théorie de la
pratique. Genève-Paris, Droz, 1972. p. 178.
45. FREY. Op. cit. p. 60.
46. Assemblée Générale du 28 mars 1847. Rapport des gérants sur l'exercice
1846. In: PUECH. Op. cit. Tome II. pp. 49 à 51.
47. Nous avons déjà expliqué ce concept. En outre: Dans ce cas, le groupe
domestique est l'unité de production et, de génération en génération, cette
maison doit être transmise dans sont intégrité. Un système de parenté où le
plus âgé des parents détient l'autorité. C'est, selon Segalen, la "famille-souche"
ou une forme de "grandes familles". Cf. SEGALEN. (1981). Op. cit. pp. 38 et 39.
48. Le concept de famille nucléaire ou conjugale apparaît avec les thèses qui
analysent les changements survenus dans la société occidentale dans le
contexte de l'industrialisation. La théorie de Talcott Parsons, par exemple,
définit la famille contemporaine avec les traits structurels suivants: "(...) c'est
une famille nucléaire ou conjugale, relativement isolée de la parenté large, sa
résidence est néolocale, elle est basée sur un système bilatéral de parenté et
repose sur le mariage, ses valeurs sont orientées vers la rationalité. Enfin, elle
différencie fortement les rôles des sexes et des générations". In: MICHEL,
Andrée. Sociologie de la famille et du mariage. Paris, PUF, 1972. pp. 82 à 90.
En outre, la société industrielle introduit, selon Segalen, une coupure
fondamentalement nouvelle entre lieu de résidence et lieu de travail.
Cependant, "lorsque le groupe domestique cesse d'être un groupe de
production, devient-il forcément nucléaire? Le schéma évolutionniste qui lie
industrialisation et 'nucléarisation' du groupe domestique est mal fondé". Cf:
SEGALEN. (1981). Op. cit. pp. 46 et 221. Nous utilisons le concept de famille
nucléaire tout en prenant en compte l'existence des liens familiaux plus larges.
La conception de nucléarisation familiale selon la théorie parsonnienne nous
limite à une structure précise, surtout parce qu'elle ne tient pas compte du rôle
joué par la parenté en son sein. Michael Young et Peter Willmott, en analysant
le cas d'un quartier ouvrier (Bethnal Green, 1950-55) à l'Est de Londres, ont
observé que "la famille nucléaire" n'était, apparemment, pas isolée. La famille
étendue constituait l'unité de vie sociale la plus importante - chez les gens,
dans les pubs, dans les rues - et apportait un système informel d'entraide à
grande échelle. Ils abordent le système de parenté comme un processus
dynamique et c'est par le biais des rapports sociaux, ainsi actualisés pour parler
de notre société, qu'ils appellent de "famille élargie". In: YOUNG et WILLMOTT.
Op. cit. A ce propos, Segalen observe également: "On peut en effet résider
dans un ménage restreint aux parents et aux enfants non mariés et cependant
s'inscrire dans un tissu familial qui remplit bien des usages assignés au ménage
élargi". In: SEGALEN. (1990). Op. cit. p. 44.
49. Selon Sennet: "Les paternalistes des grandes entreprises tentèrent d'unir
symboliquement famille et travail en s'offrant eux-mêmes comme images
d'autorité. Leur but, en agissant ainsi, était d'obtenir une communauté
cohérente et, grâce à cette communauté stable de travail, une productivité
supérieure" (...) "les allusions à la famille constituent des tentatives pour rendre
ces contacts personnels chaleureux, au lieu d'en faire une question de piété ou
d'agressivité partagée. La métaphore choisie vise à l'intimité. Le pathétique de
cette quête d'une image d'autorité personnelle, c'est que son projet est dénaturé par les caractères de la puissance économique qui la détermine". In:
SENNET, Richard. Autorité. Paris, Fayard, 1981. pp. 94 et 107. (1e édition:
Authority. 1980).
50. Assemblée Générale du 10 mai 1857. Rapport a L'Assemblée Générale,
exercice 1856. In: PUECH. Op. cit. Tome II. pp. 270 à 278.
51. GAILLARD. Op. cit. p. 136.
52. Assemblée Générale du 28 mars 1847. Rapport des gérants sur l'exercice
1846. In: PUECH. Op. cit. Tome II. pp. 49 à 51.
53. GAILLARD. Op. cit. p. 128.
54. Une politique très vite réussie, puisque la courbe migratoire baissera dès
les années 1860 grâce à l'augmentation des naissances. Cf: LAMORISSE. Op.
cit. p. 132.
55. Conseil d'Administration de 1863. In: GAILLARD. Op. cit. p. 124 et 125.
Outre le travail payé à la tâche, une politique de compensations est développée
à travers divers types de primes (rendement, fonction, situation, panier, poste,
ancienneté, complément de salaire à la tâche, de production, prime de SainteBarbe, etc.). En ce qui concerne les modes de rémunération voir: FAVEDE. Op.
cit. p. 54.
56. Assemblée Générale du 28 mars 1847. Rapport des gérants sur l'exercice
1846. In: PUECH. Op. cit. Tome II. pp. 49 à 51.
57. FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 90.
58. "Voici la liste des maires qui se sont succédé depuis la fondation de la ville:
1º) THIBAUDET Claude de 1/1/1847 au 28 mai 1848, suivi de LARGUIER
Joseph, Adjoint faisant fonction de Maire du 3O/5/l848 au 10 juin 1848.
2º) VEYVIALLE Barthélémy-Antoine, 12/6/1848 au 11/4/1850. Suivi de
LARGUIER Joseph, Adjoint faisant fonction de Maire du 12/4/1850 au 1/6/1850.
3º) BEAU Fran‡ois-Pierre, Mairie, 4/6/l85O au 2O/12/l863.
4º) TABARE Fran‡ois-Thomas-Zéphirin, 21/l2/l863 au 7/3/l868. et LARGUIER
Joseph, Adjoint faisant fonction de Maire, du 7/3/1868 au 27/4/l868.
5º) GRAFFIN Louis-Christian-Emile, 28/4/l868 au 4/5/l898 et BARRY Joseph,
Adjoint faisant fonction de Maire, 6/5/l898 au 17/6/1898.
6º) DARODES Georges, 2O/6/l898 au 8/9/l908.
7º) MAZODIER Joseph, 11/9/1908 au 9/l2/l919.
8º) DEJEAN Charles, 10/12/1919 au 24/8/1922
TROUSSIER, Félicien, adjoint faisant fonction de Maire, 25/8/1922 au
16/10/1922
9º) ROUSSEL Alphonse, 16/10/1922 au 14/5/1925
10º) DAUDE Adolphe 17/5/1925 au 11/5/1929 (Maire socialiste)
11º) BERNADOU Fran‡ois 16/5/1929 au 17/5/1935 (Maire de droite, médecin
des mines).
12º) SOUSTELLE Germain, 18/5/1935 au 17/3/1941 (Maire socialiste).
13º) THOMAS Auguste, 19/3/1941 au 25/7/1944 (gouvernement de Vichy).
SERPENTIER Joseph, Adjoint faisant fonction de Maire 1/8/1944 au 20/8/1944.
14º) ROUVIERE Roger: a) Président du CLN, 24/8/1944 au 6/11/1944; b)
président de la délégation spéciale, 7/11/l944 au 17/5/1945; c) Maire
communiste , 2O/5/l945.
15º) M. SOUSTELLE. De 1947 à 1965, Maire socialiste.
16º) M. LARGUIER. De 1965 à 1989. Maire socialiste".
In: LIVET. Op. cit. p. 35.
59. Selon M. André MICHEL (ancien correspondant de presse pour le Journal
Régional Midi Libre) dans une lettre envoyé avril 1991.
60. Nous avons observé que cette réalité a connu des refus de la part des
ouvriers qui ont pu les exprimer pendant les événements de 1848, période de
conflits sociaux où ils ont protesté contre la concentration du pouvoir municipal
entre les mains du Directeur des Mines.
61. FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 54.
62. "La ville de La Grand'Combe, ne prit son 'autonomie' qu'en 1920 en
s'installant dans un bâtiment dévolu à jouer le rôle de Mairie. Jusque là, La
Grand'Combe, ville-usine, dépendait totalement de la Compagnie dont les
destinées n'étaient pas séparées". In: TURPIN. Op. cit. p. 14.
63. Tout au début, pour participer aux offices religieux, la population était
obligée de se rendre aux villes voisines de Salles-du-Gardon, Portes et Laval,
ou d'y assister dans la chapelle aménagée à cet effet par la Compagnie dans
l'atelier de La Frugère au milieu des bâtiments de réparation de matériel.
D'autres chapelles sont aussi provisoirement ouvertes à La Levade, à
Champclauson et à Trescol. Pour changer ce cadre, la Compagnie a mis en
oeuvre son projet d'érection d'une grande église au centre-ville et d'un
presbytère. L'église devait apporter "aux ouvriers un certain réconfort spirituel
dans un métier qui n'est pas facile à exercer quotidiennement". In: GAILLARD.
Op. cit. p. 123.
64. PUECH. Op. cit. Tome II. p. 273.
65. En 1863, M. Léon Talabot est décédé. M. Beau devient le Directeur Général
et M. Graffin le Directeur d'Exploitation des Mines à La Grand-Combe. In:
PUECH. Op. cit. Tome II. pp. 281 et 282.
66. Rapport du Conseil d'Administration. Année 1864: "Inauguration de L'Eglise
de Notre-Dame de La Grand'Combe". In: PUECH. Op. cit. Tome II. pp. 283 à
288. Voir aussi: PACZKOWSKI et VIELZEUF. Op. cit. p. 144.
67. "Système d'idées et de valeurs qui a cours dans un milieu social donné". In:
DUMONT. (1983). Op. cit. p. 19.
68. Ce que Gaillard a défini comme un "rôle d'agent recruteur de l'entreprise".
GAILLARD. Op. cit. p. 133. Voir aussi p. 149.
69. Cf. FLECHON. Op. cit. p. 54.
70. Sur les lieux de culte protestant et le rôle des pasteurs, voir PACZKOWSKI
et VIELZEUF. Op. cit. p. 145.
71. LAMORISSE. Op. cit. p. 207.
72. Selon les informations que nous trouvons dans le travail de Puech, celle-ci
était dirigée par des instituteurs la‹ques (un couple) mais qui, pour mauvais
traitements envers les élèves, ont été renvoyés et remplacés par d'autres
la‹ques. In: PUECH. Op. cit. Tome I. p. 150.
73. En 1901, le nombre des Soeurs à La Grand-Combe était de 14 et elles
assuraient les écoles, les asiles (maison Zozan dans le quartier de la Verrerie à
La Grand-Combe et l'asile de Champclauson), les hôpitaux et les visites à
malades à domicile. Cf. PUECH. Op. cit. Tome I. p. 156.
74. COMPAGNIE DES MINES DE LA GRAND-COMBE (1836-1936). LIVRE
D'OR. Op. cit. Section: "Sur les oeuvres d'assistance sociale". p. 35. Voir aussi:
PUECH. Op. cit. Tome I. pp. 155 et 156.
75. "Le Traitement des Instituteurs a été à la charge de la Compagnie jusqu'au
lø juillet 1884, époque à laquelle l'Administration de l'Instruction publique du
Gard les prit à sa charge". In: PUECH. Ibidem. p. 153. Voir aussi:
PACZKOWSKI et VIELZEUF. Op. cit. p. 143.
76. La loi de 1881-82 (loi Jules Ferry pendant la IIIe République) créa un
enseignement primaire gratuit (loi du 16 juin 1881), la‹que et obligatoire (loi du
28 mars 1882).
77. Cf. PUECH. Op. cit. Tome I. p. 221. Voir aussi: PACZKOWSKI et
VIELZEUF. Op. cit. p. 143.
78. PUECH. Op. cit. Tome I. pp. 150 à 155.
79. Ibidem. pp. 154 et 157.
80. Article 14 du service de l'instruction, chapitre III du Règlement de la Caisse
de Secours.
81. Les salariés de la Compagnie qui s'occupent de l'enseignement totalisent
en 1.899, 14 Soeurs, 11 Frères et 2 aides la‹ques à La Grand-Combe; 5
Soeurs, 4 Frères et 2 aides laïques à Trescol et à La Levade; 6 Soeurs, 4
Frères et 1 aide la‹que à Champclauson; 3 Soeurs et 3 Frères au Pradel. De
plus, les instituteurs titulaires laïques de Trescol et de la Frugère, de même que
les instituteurs adjoints, touchent un supplément de rémunération de 300F par
an.
82. COMPAGNIE DES MINES DE LA GRAND-COMBE (1836-1936). LIVRE
D'OR. Op. cit. Section: "Sur les oeuvres d'assistance sociale". p. 35.
83. FREY. Op. cit. p. 109.
84. Sur le contenu de l'enseignement voir: A) GAILLARD. Op. cit. p. 130. B)
PACZKOWSKI et VIELZEUF. Op. cit. pp. 143 et 144.
85. GAILLARD. Op. cit. p. 130.
86. PUECH. Op. cit. Tome I. p. 167.
87. "(...) le maintien des bas prix des denrées en supprimant les moyens
bénéficiaires inhérents au commerce libre (...) donne à la Compagnie du poids
(...) pour ne pas augmenter les salaires au même rythme que les autres
industries locales, puisque le coût de la vie est moindre à La Grand-Combe
que, par exemple à Alais, où les économats n'existent pas. Mais l'on constate
aussi que, si les économats offrent des marchandises à des prix très voisins
des prix de gros, ils s'attachent à éviter au maximum les fluctuations des
vivres". In: GAILLARD. Op. cit. p. 111.
88. Cf. PUECH. Op. cit. Tome I. p. 166.
89. A crédit avec inscription sur livret individuel et retenue sur la paie. Selon
Puech, cela concerne les systèmes de "ventes à crédit aux moyens de livrets
personnels, mais pour la maison Santet la Compagnie retenait aux débitants à
chaque mois sur leur salaire le montant des marchandises prises le même
mois, au moyen des Etats dressés par ses employés, sans que la Compagnie
garantisse les dettes de ses ouvriers, mais aussi sans que la maison Santet eût
aucune subvention à payer à la Compagnie pour le surcroît de travail
occasionné par ces retenues dans les bureaux de la Comptabilité. Ceux des
ouvriers et employés qui désiraient payer comptant étaient admis à se libérer".
In: PUECH. Op. cit. Tome I. p. 166.
90. Statuts. Société Grand'combienne d'Alimentation. Société Anonyme
Coopérative à Personnel et à Capital variables. Titre I, Art. 3.
91. Statuts. Société Grand'combienne d'Alimentation. Société Anonyme
Coopérative à Personnel et à Capital variables. Titre IV, Art. 23.
92. Comme suit: - "Aux familles dont plusieurs membres travaillent à la
Compagnie: 75 Kg; - Si un seul membre est ouvrier: 5O Kg; - Aux ouvriers
vivant seuls: 25 Kg". In: FAVEDE. Op. cit. p. 65.
93. "D'abord de la chatille; puis, plus tard, des briquettes ordinaires, de 10 Kg.
Pas celles gravées d'une ancre marine, d'excellente qualité. Celles-ci sont
réservées à la vente". Cf. PACZKOWSKI et VIELZEUF. Op. cit. pp. 159 et 16O.
94. "L'un des buts de la grève déclenchée par les ouvriers en décembre 1881
fut justement d'obtenir que tous les travailleurs, sans aucune distinction,
bénéficient du chauffage gratuit et cette revendication sera accordée lors du
compromis élaboré à la fin du conflit". GAILLARD. Op. cit. p. 114.
95. PACZKOWSKI et VIELZEUF. Op. cit. pp. 159 et 16O.
96. D'ailleurs, après les conflits sociaux de 1848, ces services ont été renforcés.
In: PUECH. Op. cit. Tome I. p. 162.
97. Lettre envoyé par la sous-préfecture d'Alais au Maire de La Grand-Combe
le 13 mars 1849. In: PUECH. Op. cit. Tome I. pp. 161 et 162.
98. PUECH. Op. cit. Tome I. p. 162.
99. PUECH. Ibidem. Tome I. p. 164.
100. "Outre le logement, la Compagnie donne le terrain pour des jardins
potagers et accorde le chauffage domestique, bois et charbon à tous les
hommes des deux brigades". In: PUECH. Ibidem. Tome I. p. 165.
101. Revoir ici sur le concept de "ville politique" l'annexe 2.
102. Comme elle le revendique dans le "Livre d'Or" à l'occasion de son
centenaire. In: COMPAGNIE DES MINES DE LA GRAND-COMBE (18361936). Livre d'Or. Op. cit. pp. 33 et 34.
103. Alors que la loi ouvrière (sous la IIIe République) ne fut voté qu'en 1883:
"caisse de secours et prévoyance en faveur des ouvriers mineurs" (1883),
"caisse de retraite en faveur des mineurs" (1883).
104. GAILLARD. Op. cit. p. 118.
105. Puech explique ainsi son fonctionnement: "elle était régie par un règlement
qui portait la retenue sur tout le salaire du personnel à raison de 2,5% et sur le
produit des amendes pour infractions à la discipline". In: PUECH. Op. cit. TOME
I. p. 194.
106. Cf: A) PUECH. Ibidem. pp. 217 et 218. B) GAILLARD. Op. cit. pp. 101 et
102.
107. GAILLARD. Op. cit. pp. 149 et 150.
108. PUECH. Op. cit. Tome I. p. 197.
109. Règlement de la Société de Prévoyance. Mines de La Grand'Combe.
Article 30. 1891. p. 13. Voir aussi GAILLARD. Op. cit. pp. 100 et 150. et
PUECH. Op. cit. Tome I. pp. 194 à 197.
110. PUECH. Op. cit. Tome I. p. 196.
111. Le Conseil d'Administration était ainsi composé: Le Président du Conseil
d'Administration de la Compagnie, Président d'honneur; Le Directeur Général
de la Compagnie - Président; Le Directeur de l'Exploitation - vice-président; Le
Chef du Service de Comptabilité - secrétaire; Les sous-ingénieurs des mines;
Les sous-ingénieurs des agglomérés; L'ingénieur mécanicien; Le gardemagasin en chef; Les maîtres mineurs; Les chefs adjoints au service des places
de triage et de la fabrique du coke; Trois surveillants de l'extérieur; Un mineur
pour 100 ouvriers de l'intérieur; Un ouvrier de l'extérieur pour 2OO ouvriers de
l'extérieur; Pour calculer le nombre de délégués ouvriers, on tiendra compte des
journées de travail aux chantiers, quel que soit l'âge des ouvriers. In:
Règlement de la Caisse de Secours. Article 3, du chapitre II: Gestion et
Administration de la Caisse de Secours Mutuels.
112. PUECH. Op. cit. Tome I. p. 202.
113. "En cas de départ pour un motif quelconque, ou d'absence au travail
pendant plus de quinze jours consécutifs" (grèves, par exemple) "pour tout
motif que la Compagnie ne reconnaîtra pas valable, le remboursement des
versements sera fait à l'ayant-droit sur le pied des trois cinquièmes (3/5) du
montant des retenues, sans intérêts, et il perd tous les avantages que lui
conféraient ses années antérieures de service. Les autres deux cinquièmes
(2/5) resteront acquis à la Société de Prévoyance pour représenter les
avantages que le sociétaire en a retirés pendant son temps de service".
Règlement de la Société de Prévoyance. Mines de La Grand'Combe. Article 39.
1891. p. 15. (Marseille. Typographie et Lithographie Barlatier et Barthelet). En
outre, selon Gaillard "(...) on vise à dissuader l'ouvrier de recourir à la grève car,
si celle-ci dure plus de quinze jours, il perd le bénéfice de ses cotisations et n'a
plus droit à la pension de retraite ce qui, après des années de versement pris
sur un salaire modeste, est un sacrifice que beaucoup hésiteront à faire. C'est
donc là une très nette forme de contrainte vis-à-vis d'une main-d'oeuvre qui
refuserait de se plier aux règles de discipline voulues par l'entreprise, règles
parmi lesquelles le non-recours à la grève, c'est-à-dire à la lutte des classes,
occupe une place de choix". GAILLARD. Op. cit. pp. 148 et 149.
114. Dans le cas d'un accident de travail, pour l'ouvrier marié, ce secours est
augmenté de "vingt centimes pour sa femme et chacun de ses enfants au-dessous de douze ans ne travaillant pas... ". Règlement de la Société de
Prévoyance. Mines de La Grand'Combe. Article. 24, p. 11.
115. "Ainsi l'épargne scolaire et l'accession à la propriété foncière et
immobilière, non seulement pour les employés - dont l'attitude est censée ouvrir
la voie à la généralisation de cette politique - mais également pour les ouvriers,
correspondent-elles à la reprise en main de l'économie de la ville par le
patronat". In: FREY. Op. cit. p. 108.
116. Dans le cas de blessure au travail, les secours étaient ainsi définis:- " Si le
blessé n'entre pas à l'hôpital: 0F50 par jour pendant la première quinzaine; 1F
pendant la deuxième quinzaine; 1F50 pendant la troisième quinzaine et les
suivantes. - Il pourra, de plus, lui être alloué, suivant l'état de ses ressources et
celles de la Caisse, s'il est marié, 0F50 pour sa femme, et 0F25 pour chacun de
ses enfants au-dessous de douze ans, sans que le secours mensuel puisse
dépasser 65F. - Une femme ou un enfant, travaillant dans les chantiers de la
Compagnie, reçoit, en cas de blessure prise au chantier une pension
équivalente à son salaire." Règlement de la Caisse de Secours. Mines de La
Grand'Combe. Délibération du 7 mai 1854.
117. "Cet prêt fut fixé à 140.000F par délibération du 9 février 1868,
remboursable en 43 années au moyen d'un intérêt de 5% et par le
remboursement d'un capital de 1.400F par an rapportant 3% d'intérêt". In:
PUECH. Op. cit. Tome I. p. 2O2.
118. Cf. GAILLARD. Op. cit. p. 102.
119. "1e) (...), c'est-à-dire que pour tout appointement ou salaire mensuel
dépassant 200F, la retenue de 1% ne sera pas per‡ue sur l'excédent. Pour les
ouvriers, la retenue de 1% sera per‡ue sur la journée moyenne du chantier
auquel ils appartiennent, sans tenir compte des bénéfices qu'ils peuvent faire
sur leurs manoeuvres et apprentis. 2ø) Par une allocation faite par la
Compagnie, à titre gracieux, à une somme égale, chaque année, à 1% des
bénéfices distribués aux actionnaires". Statut de la Caisse de Retraite des
Employés et Ouvriers des Mines de La Grand-Combe. Chapitre I. Article 2. In:
PUECH. Op. cit. Tome I. p. 239.
120. PUECH. Op. cit. Tome I. p. 199.
121. Règlement de la Société de Prévoyance. Mines de La Grand'Combe.
1891. Article 35. p. 15.
122. Cf. Gaillard: "Les deux caisses, nous l'avons dit, fonctionnent séparément.
Cela durera jusqu'au 31 décembre 1890. A cette date, la caisse de secours et
la caisse de retraites ont fusionné dans une "société de Prévoyance", fusion
dont le but est d'aller au-devant des projets de loi sur les 'caisses de secours et
de retraite des ouvriers mineurs', alors en discussion à la Chambre, et d'éviter
que la Grand-Combe ne tombe sous le coup de cette loi". GAILLARD. Op. cit.
p. 107.
123. GAILLARD. Op. cit. pp. 290 et 291.
124. FREY. Op. cit. pp. 107 et 108.
125. COMPAGNIE DES MINES DE LA GRAND-COMBE (1836-1936). Livre
d'Or. Op. cit. p. 34.
126.La forme d'épargne mise en place pour les ouvriers et employés permet
des applications ou dépôts allant de 25F à 10.000F et bénéficiant d'un taux
d'intérêt de 5%. En 1884, le nombre des déposants s'élevait à 1.029, avec un
capital de 1.820.847,50F. La Compagnie réduit alors les 5% accordés à son
personnel. Cette baisse du taux d'intérêts va lui permettre de conserver ce
capital, puisqu'en 1886 il sera de 1.850.253,10F, valeur qui ne cessera
d'augmenter jusqu'en 1893, époque qui va être marquée par des problèmes de
marché du charbon et par la mobilisation politique des ouvriers (grèves). A
partir de cette année-là, les taux d'intérêts vont encore diminuer. Il est d'abord
fixé à 3% pour toutes les sommes en dépôt et, après les grèves de 1897, à
2,5%. Le nombre des déposants diminuera en conséquence, tombant en 1899
à 850. In: PUECH. Op. cit. Tome I. pp. 189 et 191.
127. "Ces sommes sont remises aux Soeurs supérieures des trois
établissements de La Grand-Combe, de La Levade et de Champclauson pour
être distribuées par leurs soins et sur les listes qui re‡oivent l'approbation de la
Direction pour ce qui concerne les vêtements et les étoffes. Quand à la partie
espèces, elles n'ont pas à en rendre compte, si ce n'est que cet argent ne peut
être distribué à d'autres qu'au personnel de la Compagnie". In: PUECH. Op. cit.
Tome I. p. 169.
128. COMPAGNIE DES MINES DE LA GRAND-COMBE (1836-1936). Livre
d'Or. Op. cit. pp. 38 et 39.
129. La Compagnie des Mines construit une salle de fêtes dans la rue de la
Clède qui est démolie en 1954. Dans cette salle, chaque année avaient lieu des
représentations théâtrales, fêtes de fin d'année des écoles, une représentation
ou 2 de la Pastorale Proven‡ale (naissance de Jésus) par les associations
catholiques, les bals annuels des associations, la réception annuelle de fin
d'année des directeurs de la Compagnie des Mines. (Selon M. André Pezon,
notre interviewé).
130. PACZKOWSKI et VIELZEUF. Op. cit. p. 163.
131. PUECH. Op. cit. Tome I. p. 174.
132. Sur les habitudes alimentaires des mineurs à La Grand-Combe selon
Flechon (vers 1927-30): "Les ouvriers vivaient un cran au-dessous, se
nourrissant de grosse miches de pain, très peu de viande de boucherie, le
lapin, le poulet et le porc d'élevage familial étant cependant en honneur;
beaucoup de soupes à la mode paysanne, le morceau de viande ou de
couenne de porc qui les parfumaient, étant réservés pour le cabas du père, le
lendemain matin; beaucoup de châtaignes blanches, séchées sur les 'clèdes'
qui constituaient souvent l'essentiel du repas du soir et du petit déjeuner des
enfants; et du fromage de chèvre, les fameux 'pélardons' si savoureux achetés
à La Grand-Combe lors des grands marchés du mercredi et du samedi." In:
FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 90.
133. Sur le rôle des jardins voir: A) Le point de vue du ingénieur de mines
Simonin: "(...) Le mineur, par quelques-unes des qualités qui le distinguent, par
le milieu dans lequel il est né et il vit, par la nature de son travail, se rattache
aux populations agricoles; il aime à fouiller la terre après avoir fouillé la houille.
Le plus souvent, dans son village, il a travaillé aux champs étant jeune, et il
retrouve dans la culture de son potager quelques-unes de ses habitudes
passées. Au temps des récoltes, il est même très difficile de le retenir.
Volontiers il s'échappe de la mine pour aller faire la moisson ou prendre part à
la vendange; mais c'est là sa seule école buissonnière". In: SIMONIN, Louis. La
vie souterraine. Les mines et les mineurs. Paris, Ch. Lahure, 1867. Seyssel,
Champ Vallon, 1981. p. 262. B) Ce qui Noiriel appel des formes non monétaires
du sursalaire, "rendant quasiment obligatoire, pour une famille ouvrière,
l'exploitation d'un jardin, voire d'un champ. Le recours aux ouvriers-paysans et
travailleurs immigrés mobiles constituant d'autres moyens de limiter les
dépenses de formation et d'entretien de la main-d'oeuvre". In: NOIRIEL,
Gérard. Les ouvriers dans la société française. XIXe-XXe. Paris, Seuil, 1986. p.
140. C) MURARD, Lion et ZYLBERMAN, Patrick. Le petit travailleur infatigable
ou le prolétaire régénéré. Villes-usines, habitat et intimités au XIXe siècle.
Fontenay-sous-Bois, (Recherches nø 25). 1976. pp. 169 à 174. D) WEBER,
Florence. Le travail à-côté. Etude d'ethnographie ouvrière. Paris, INRA, Ed.
EHESS, 1989. 207 p.
134. Selon Jeudy, les monuments historiques définissent un ordre symbolique
du passé. In: JEUDY. Op. cit. p. 14.
135. FAVEDE. Op. cit. pp. 32 et 33.
136. "L'étude de la ville est une grande question d'histoire de la civilisation". In:
MAUSS, Marcel. Manuel d'ethnographie. Paris, Payot, 1967. pp. 73 à 78. (1e
édition 1947).
137. Décrire l'espace de production, la localisation des puits et des
établissements industriels de la Compagnie des Mines de La Grand-Combe
dépasse notre champ de recherche. A ce sujet, nous citerons: A) Inventaires
Généraux des Concessions, matériels, immeubles, marchandises, etc., à la
demande du Gouvernement le 23 ao–t 1853 et relaté dans le rapport de M.
Dupont, ingénieur. In: PUECH. Op. cit. Tome II. pp. 238 à 254. B) GUIOLLARD,
Pierre-Christian. En Cévennes, quand tournaient les molettes. Tarbes, Presses
de Conseil Imprim, 1983. 169 p.
138. "Le pays, dans les régions strictement minières (la basse Cévenne ou la
Cévenne noire), et, en liaison avec l'appréhension du passé, c'est avant tout la
mine. Le pays est forgé par une histoire spécifique: celle de la mine et du dur
travail, des accidents dans les galeries, celle des grèves et des guerres, celle
des places de tri où les femmes et les jeunes filles, vêtues de noir, manipulaient
avec rapidité le charbon défilant devant elles, histoires des réunions de cafés,
des fêtes de la Sainte-Barbe (...)". In: PELEN, Jean-Noël. L'autrefois des
Cévenols. Aix-en-Provence, Edisud, 1987. p. 71.
139. C'est d'ailleurs en référence à l'espace de travail que les acteurs sociaux les mineurs de charbon ou les gueules noires, comme les mineurs sont aussi
nommés - habitants de la ville que nous voulons mettre en relief se
"constituent" et s'identifient en tant que collectivité.
140. A titre de curiosité, M. Taurines et P. Cammarata suggèrent l'hypothèse
d'une association galerie - construction, veine - habitat, ou plus largement la
montagne et la construction: "Dans les villages situés autour de La GrandCombe (Champclauson, Trescol, La Levade, Branoux) pas ou peu de clôtures
entourent les maisons, de sorte qu'on observe des villages sans limites, qui
suivent, semble-t-il, les conformations des galeries. (...). Des plans apposés aux
plans cadastraux, nous donnent les galeries effectivement, à peu près
systématiquement situées parallèlement à l'habitat construit, ou plus
exactement le positionnement de la construction est étroitement lié au chemin
de la galerie souterraine. De sorte que certains villages ont une conformation,
soit tout en longueur, soit tout en largeur avec des méandres liés aux
bifurcations de galeries, manifestement avec un centre, que l'on retrouve à la
surface; l'église, le bureau d'état-civil le plus souvent. Ce centre nous est
apparu au moins une fois comme étant lié à la bifurcation de deux galeries ou
bien situé au centre de deux chemins de galeries parallèles". Cf: TAURINES,
Michèle et CAMMARATA, Pierre. Du savoir de la Mine en Cévennes.
Manuscrit. Montpellier. Association Languedocienne de Recherches
Ethnologique et Sociologique. Mars, 1988. pp. 3 et 4.
141. Un article de Raymond Aubaret, "Paysans et Mineurs Cévenols". Paru
dans "Le Pays Cévenol et Cévennes". D'Alès - La Grand'Combe à Florac.
Hebdomadaire Régional d'Informations d'Annonces Légales et Judiciaires
agréé pour l'ensemble du département du Gard. Nov. 1982, confirme ceci:
"Dans toutes les mines, particulièrement celles du centre et du Nord du bassin,
où les chantiers étaient suffisamment rapprochés de la surface, les mineurs
avaient la permission de sortir pour aller prendre leur repas de midi chez eux.
Parfois c'était la femme ou les enfants du mineur qui leur apportaient le repas à
l'entrée de la mine". En outre, quelques témoignages mentionnent le transfert
de mineurs de leur unité de travail, (la Compagnie les déplaçait, elle les
obligeait à parcourir de longues distances à pied pour se rendre à leur lieu de
travail), forme de punition à laquelle ils pouvaient être soumis dans les périodes
d'après-grève.
142. Ce que Noiriel appelle des formes non monétaires du sursalaire, "rendant
quasiment obligatoire, pour une famille ouvrière, l'exploitation d'un jardin, voire
d'un champ. Le recours aux ouvriers-paysans et travailleurs immigrés mobiles
constituant d'autres moyens de limiter les dépenses de formation et d'entretien
de la main-d'oeuvre". In: NOIRIEL. (1986). Op. cit. p. 140.
143. Gardon d'Alès en confluence avec le ruisseau dénommé "Sans Nom".
144. PACZKOWSKI et VIELZEUF. Op. cit. p. 21.
145. TREMPE. (1971). Op. cit. Tome. I. p. 262.
146. Voir Annexe 4: Recensement des habitations, ménages et individus par
quartiers et hameaux en 1846.
147. A l'exemple de la politique foncière de MM. Schneider et Cie, au Creusot:
"En effet, la possession du terrain à bâtir leur permet d'avoir l'exclusivité des
décisions sur son usage. C'est important pour l'extension des usines, mais
aussi pour développer une structure urbaine répondant à leurs objectifs et pour
imposer par contrat aux acheteurs une réglementation très précise de la
construction". In: DEVILLERS et HUET. Op. cit. pp. 75 et 76.
148. A titre d'exemple, en 1841, la Compagnie signe avec le constructeur des
casernes "Elise", M. Bourdaloue, le traité suivant: "La Compagnie garantit au
constructeur pendant 20 années la location à retenir aux ouvriers sur la base de
0,20F par mý et par mois et 0,80F en sus par cheminée, plus 1,20F par mois
pour les pièces où se trouve des sous-pente'. Au bout de 20 ans la Compagnie
était libre de racheter les casernes au prix coûtant déduction faite de la
dépréciation qui serait évaluée par des experts. Dans un traité de 1844, M.
Bourdaloue refait les toitures et élève les casernes d'un étage. La Compagnie
s'engage à payer pendant 20 ans, jusqu'au 31 décembre 1864, une location
annuelle de5.000F. De plus elle s'engage à rembourser la valeur des casernes
faites en 1841, fixée à 10.000F payable par annuités de 500F à partir du 1º
janvier du 1845. Et enfin, la Compagnie remboursait les dépenses qu'il allait
faire pour la réfection de la toiture et l'exhaussement conformément au devis,
une somme de 20.000F payable également par annuités de 1.000F à partir du
1º janvier 1845 pour l'amortissement. La Compagnie paye pendant 20 ans et
les Casernes Elise deviennent leur propriété à l'expiration de cette période, le
31 décembre 1864". Cf: PUECH. Op. cit. Tome I. p. 110.
A l'exemple du Creusot, on peut faire l'hypothèse suivante: en gardant la
maîtrise des capitaux investis dans la construction par le biais de l'épargne et
en codifiant les types de maisons, le principal souci du patronat fut de garder la
maîtrise du processus d'urbanisation sans avoir à immobiliser une part
importante de son capital. Nous suivons, ici, FREY. Op. cit. Partie II, Chapitre
"C": pp. 181 à 191. A ce sujet, voir aussi: DEVILLERS et HUET. Op. cit. pp. 69
et suivantes.
149. Entre autres, citons, M. Thibaudet, ingénieur et directeur de l'exploitation à
La Grand-Combe, avant 1849; M. Veyvialle, maire de La Grand-Combe (18481850); M. Bourdaloue, propriétaire de terres et entrepreneur; M. Larrieu,
géomètre-en-chef; MM. Santet, les patrons des magasins-aux-vivres; M.
Souleiret, entrepreneur de roulage à Champclauson; M. Gadilhe, vétérinaire à
Alès; M. Trousselier, conducteur de travaux; M. Pralong, ingénieur; M. Marcoux,
entrepreneur du mouvement des gares; M. Dupuy, ex-chef-de-gare à Alès; etc.
150. En 1866, une conduite d'eau potable est installée sur le terrain du chemin
de fer entre La Levade et La Pise à La Grand-Combe (conformément au traité
de 1866 entre la Compagnie des Mines de La Grand-Combe et la Compagnie
des Chemins de Fer de Paris à Lyon), date à partir de laquelle la ville bénéficie
de l'eau. Cf. PUECH. Op. cit. Tome I.
151. Seront filiales de la Compagnie des Mines de La Grand'Combe: 1) La
Société Grand'Combienne d'Eclairage et d'Energie, fondée en 1909; 2) La
Société Grand'Combienne de Distribution d'Eau, fondée en 1924; 3) Société
Grand'Combienne d'Alimentation, etc.
152. Le "haut de la vallée de la Grand-Combe" se situe à une altitude d'environ
300 mètres, alors que la ville est bâtie en majeure partie sur des terrains
compris entre 180 et 210 mètres. Cf. MARIETTE, Jacques. De l'abri du
prolétaire au logement ouvrier. La Grand-Combe... Proposition pour un habitat
social. Thèse 3ème cycle, PROMOCA - Bourgogne, Franche-Comte, Dijon
1979-1981. p. 48.
153. A l'époque de la fondation de la ville, on bâtit également sur le flanc de la
montagne du Gouffre entre La Grand-Combe et Trescol tout proche du puits
creusé - le puits du Gouffre 1. Un glissement de terrain en 1896, découragera
l'exploitation minière et les constructions sur ce terrain. On ne rencontre de
constructions qu'à partir de Trescol.
154. "Boulangeries, magasins de produits alimentaires, une fabrique de
limonade, d'ustensiles de cuisine, boutiques de ferblanterie, de vitrerie, de
vêtements et chaussures, d'horlogerie, une librairie, bureaux de tabac et cafés".
In: PACZKOWSKI et VIELZEUF. Op. cit. p. 161.
155. Il semble que le cinéma à La Grand-Combe ait commencé vers 19091910, après l'installation de l'électricité avec "L'Exelcior" ou "Charlus". Vers
1910 le "Cinéma Coste" est installé au milieu de la rue Salavert (rue Pasteur)
avec pour enseigne "Kinema Théâtre", dont la salle était aussi louée à la
municipalité pour les réunions. Ce cinéma est devenu "Rialto" en 1935. Deux
autres salles ont été ouvertes dans les années 20 à l'avènement du parlant,
toujours dans la rue Salavert. D'abord le cinéma "Comédia" et puis le "Modern
Cinéma" (aussi théâtre) qui fut le dernier a fermer en 1982. Dans les années
25-31 il existait aussi un cinéma muet ouvert le dimanche après-midi dans une
salle des écoles des Frères des Ecoles Chrétiennes appartenant à la
Compagnie des Mines. Après la Guerre de 39-45, d'autres cinémas ont été
ouverts à la Villa Bechard, à La Levade, aux Salles-du-Gardon (salle
paroissiale). Tous les cinémas ont fermé à l'avènement de la télévision dans la
région. (Informations d'après notre interlocuteur M. André Pezon).
156. Célébration au poète le plus célèbre du "pays" dont le buste ornementa la
place. Mathieu Lacroix, poète cévenol né à Nîmes le 12 avril 1819. Ouvrier
ma‡on à La Grand-Combe, il y mourut le 13 novembre 1864. Un buste du
poète est érigé sur la place qui porte son nom, inaugurée le 12 novembre 1899.
Cf. PACZKOWSKI et VIELZEUF. Op. cit. Chapitre V, "Gloires Statufiées". p.
199.
157. Plus tard, ces terrains existant sur la colline d'Arboux ont été rachetés
tantôt par des particuliers qui y construisent surtout des maisons privés et
résidentielles, tantôt par la municipalité et les services H.L.M. Actuellement,
celui-ci est le quartier résidentiel le plus cher et le plus ostentatoire de la ville.
158. Notes de M. Talabot. Cf. PUECH. Op. cit. Tome I. p. 140.
159. FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 19.
160. "Ainsi, dans les quartiers populaires, les fontaines publiques et plus tard
les salles d'eau communes - phénomènes typiquement urbains - étaient jadis
une occasion notoire d'échange social, de conversations entre voisins. C'est à
ces moments-là qu'on prenait conscience d'intérêts communs, de problèmes
qu'on partageait - et qu'on acceptait que la similitude de pratiques autour du
foyer rapprochait les destinées malgré tout. Cela générait même des moments
de vertige où les sentiments tant de haine que d'amour trouvaient l'occasion de
se manifester avec violence et intensité - tant par la distribution de conseils que
d'épithètes ou encore lors de conversations passionnées. Le repère spatial est
ici précis - fontaine ou salle d'eau, lieu qui tisse des liens, en particulier entre
femmes, dans un quotidien qui, pour la ménagère, était très dur - la 'fatigue
indéfiniment recommencée' dont parle Beauvoir (in: Le deuxième sexe, 1949) et
dont les instants d'échange étaient parmi les seuls pouvant lui donner un sens."
In: NOSCHIS, Kaj. Signification affective du quartier. Paris, Librairie des
Méridiens, 1984. p. 110.
161. PACZKOWSKI et VIELZEUF. Op. cit. p. 35.
162. BRILLARD, Laurent et LAVERGNE, Christian. L'habitat à La GrandCombe. Etude Socio-Economique 1987-1988. 138' promotion - 2ø année.
Ecole Nationale Supérieure des Techniques Industrielles et des Mines d'Alès.
Alès, avril 1988. p. 10.
163. PACZKOWSKI et VIELZEUF. Op. cit. p. 35.
164. Ibidem. pp. 35 et 148.
165. "Au siècle dernier une partie de la houille était transformée en coke dans
des fours spéciaux, à Trescol et à La Grand'Combe. La production de coke qui
était de 4.000 tonnes en 1841, de 75.000 en 1877, a été arrêtée à Trescol en
1888 (...). En 1911, toute fabrication de coke cesse à La Grand'Combe". In:
Ibidem. p. 122.
166. "L'énergie motrice des installations, presque totalement électriques, est
produite dans une centrale située à la Pise près des usines d'agglomération et
du lavoir de La Frugère. Cette centrale a débuté en 1904, en remplacement de
groupes électrogènes dispersés, dont les premiers avaient été installés dès
1895, et d'une petite centrale de 600Kws, édifiée à partir de 1898 près du puits
du Petassas. Elle a subi depuis 1904 plusieurs rénovations qui l'ont tenue à
hauteur des rapides progrès dans la production de l'énergie électrique". In:
COMPAGNIE DES MINES DE LA GRAND-COMBE (1836-1936). Livre d'Or.
Op. cit. p. 29.
167. "Le charbon est expédié à la clientèle par les embranchements de La Pise,
sur la gare de La Grand-Combe, de Trescol sur la gare de La Levade, et du
Mazel, tous situés sur la ligne de chemin de fer de Nîmes à Paris par ClermontFerrand, et par l'embranchement de Saint-Jean-de-Valériscle sur la ligne de
Tarascon au Martinet. Les agglomérés sont expédiés par l'embranchement de
La Pise sur la gare de La Grand'Combe". In: COMPAGNIE DES MINES DE LA
GRAND-COMBE (1836-1936). Livre d'Or. Op. cit. pp. 28 et 29.
168. Voir Annexe 4.
169. Comme nous l'avons déjà signalé, en 1896, un important glissement de
terrain se produisit sur la colline Le Gouffre où se localisait le puits du Gouffre
nº 1 (entre La Grand-Combe et Trescol) . Ce sinistre n'a pas fait de victimes
mais cette zone est restée dangereuse pour la construction.
170. PACZKOWSKI et VIELZEUF. Op. cit. p. 43.
171. Ibidem. p. 43.
172. Service de la comptabilité, construit en 1845. Cf: PUECH. Op. cit. Tome I.
pp. 117 et 118.
173. PACZKOWSKI et VIELZEUF. Op. cit. p. 52.
174. Ibidem. p. 52.
175. "Lors des 'gardonnades' les ouvriers des Salles et de Branoux ne
pouvaient accéder à leur chantier, à moins d'aller faire un très grand détour - à
pied! - jusqu'au pont de Tamaris (Alès). Pour remédier à cet inconvénient la
Compagnie construisit deux pont suspendus: le premier, (...) de La Levade aux
Taillades; le second, dit du Riste, de La Pise aux Salles-du-Gardon". In: Ibidem.
p. 55.
176. Cf. FREY: "(...) les espaces jouent un rôle dans la spécification des
groupes sociaux". In: FREY. Op. cit. p. 21. En plus: Les conditions d'habitation
diverses correspondent aux conditions objectives d'existence différentielles, qui
"per‡us par des agents dotés des schémas de perception et d'appréciation
nécessaires pour en repérer, en interpréter et en évaluer les traits pertinents.
Elles fonctionnent comme des styles de vie. Chaque condition est définie,
inséparablement, par ses propriétés intrinsèques et par les propriétés
relationnelles qu'elle doit à sa position dans le système de conditions qui est
aussi un système de différences, de positions différentielles, c'est-à-dire par
tout ce qui la distingue de tout ce qu'elle n'est pas et en particulier de tout ce à
quoi elle s'oppose: l'identité sociale se définit et s'affirme dans la différence". Cf.
BOURDIEU, Pierre. "L'habitus et l'espace des styles de vie". In: BOURDIEU,
Pierre. La distinction. Critique sociale du jugement. Paris, De Minuit, 1979.
Chapitre 3. p. 191.
177. FREY. Op. cit. pp. 10, 48 et 117.
178. Ce sont les "casernes" qui au dernière siècle ont été très critiquées par la
politique fran‡aise de salubrité publique, qui signale les conditions dramatiques
des habitations du type "caserne". Plusieurs travaux dénoncent les conditions
de vie, la déchéance physique et morale de la classe ouvrière au XIXe siècle.
Selon Berthelot, parmi d'autres: BURET, E. De la misère des classes
laborieuses en Angleterre et en France. Paris, Paulin, 1840. VILLERME, L.R.
Tableau de l'état physique et moral des ouvriers employés dans les
manufactures de coton, de laine et de soie. Paris, Renovard, 1840. LE PLAY, F.
Les Ouvriers des deux mondes. Paris, Société d'Economie Sociale, 1857. et
ENGELS, F. La Situation de la classe laborieuse en Angleterre. Paris. Edition
Fran‡aise: Paris, Editions Sociales, 1960 (le édition: 1845). In: BERTHELOT,
J.M. et alii. "Les sociologies et le corps". In: Current Sociology. International
Sociological Association/ISA. Volume 33. Number 2. Summer 1985. Centre de
Recherches Sociologiques (CNRS - Université de Toulouse-le-Mirail). Ed.
James A. Beckford. Département of Sociology, University of Durham. London,
SAGE Publications.
A ce sujet voir également l'oeuvre de L. Murard et P. Zylbermann qui analysent
la politique hygiéniste dans les villes-usines au XIXe siècle. In: MURARD et
ZYLBERMANN. Op. cit.
179. Article de Raymond Aubaret, "Le Charbon: aper‡u historique du bassin
houiller des Cévennes". In: Journal Le Pays Cévenol et Cévennes. D'Alès - La
Grand'Combe à Florac. Hebdomadaire Régional d'Informations d'Annonces
Légales et Judiciaires agréé pour l'ensemble du département du Gard. Le 24
septembre 1983.
180. Elles se localisent dans le lieu jadis dénommé Roumestant: "Le Domaine
de Roumestant au haut de la vallée de La Grand'Combe d'une superficie de
118 hectares et 31 ares fut vendu par les frères Roumestant à M. Veaute,
agissant tant pour lui, que pour MM. Talabot Frères, Veaute, Abric, Mourier.
Selon acte re‡u par Me. Pierre Frédéric Simon Gaussorgues, notaire à Alais le
24 novembre 1836, au prix de 30.000F". In: PUECH. Op. cit. Tome I. p. 122.
181. COMPAGNIE DES MINES DE LA GRAND-COMBE (1836-1936). Livre
d'Or. Op. cit. pp. 27 à 29.
182. A ce sujet voir: SIMONIN. (1981). pp. 261 et 262.
183. Dossier nº 219.012, nº III, Plan IV, Fiche nº 728, commune de La GrandCombe, quartier Casernes Neuves, maison nº 4, section "D", dite de la Forêt
d'Abilon, nº 33OP. Service des Domaines des Houillères des Cévennes.
184. Cf. PUECH. Op. cit. Tome I. p. 1O9.
185. Voir Annexe 5.
186. "Un seul cabinet sommaire, à la turque, en bout de caserne, où les
femmes viennent le matin ou à la tombée de la nuit, vider les seaux
hygiéniques (...). Pas de robinet, ni d'évier dans les cuisines; mais des fontaines
installées dans les rues où ménagères et enfants viennent puiser l'eau
nécessaire aux besoins domestiques, et un lavoir public pour la lessive. La
douche est inconnue: au retour du travail les hommes se débarbouillent dans
un grand baquet, aidés par leurs épouses qui savonnent et rincent les épaules
et les dos." In: PACZKOWSKI et VIELZEUF. Op. cit. p. 137.
187. MARIETTE. Op. cit. p. 20.
188. Cf. GAILLARD. Op. cit. p. 99. En outre, M. Elie Bertrand, en racontant ses
souvenirs sous la grève de 1929 à La Grand-Combe fait référence à des
célibataires fran‡ais et algériens vivant dans les "casernettes, un immeuble
avec étage plus vieillot et plus sale que les autres parce que non entretenu,
s'étirant en bordure de la voie ferrée de la Compagnie, ceinturé d'eaux
croupissantes et d'excréments". Récit recueilli par VIELZEUF, Aimé. "Cinquante
ans avant Ladrecht, la grève de 1929 à La Grand'Combe: souvenirs d'enfance".
In: BALTERS, Marc (sous la Direction de). Ladrecht... Pour vivre ici.
Montpellier, Presses du Languedoc, 1985. p. 10.
189. Cf. MARIETTE. Op. cit. p. 20.
190. Ibidem. p. 19.
191. La rue, c'est un lieu de jeux pour les enfants, surtout l'été, pendant les
vacances (puisque les enfants, s'ils ne sont pas à l'école, travaillent). Nous
reviendrons à ce sujet plus loin.
192. "Par là, entendons que toutes les parties communes de l'édifice tombent
sous le coup d'une réglementation et d'un usage gérés directement par le
patronat, qui veille au plus près au bon entretien des lieux. Dans la morphologie
même de l'habitat, on retrouve un nombre important d'espaces communs à
l'intérieur des édifices, qui firent l'objet de nombreuses critiques concernant la
promiscuité et les dangers de la cohabitation". In: FREY. Op. cit. p. 137.
193. Nous développerons, ce sujet-ci, plus loin.
194. PUECH. Op. cit. Tome I. pp. 110 et 111.
195. BRILLARD et LAVERGNE. Op. cit.
196. FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 51.
197. Comme le signale Gaillard: "(...) tout se sait dans cette ville, grâce au
clergé très puissant et très bien informé sur les familles et aux nombreux
'mouchards' à la solde de la Compagnie, notamment dans les 'casernes'. Il est
donc certain que les haltes réitérées dans les cafés sont connues du patronat et
du conseil de la caisse de secours et il y a donc grand risque à ne pas oublier
aux ordres supérieurs car il n'est rien de plus dramatique pour un ouvrier, qui ne
dispose pas de ressources financières devant lui, qu'un chômage non
rémunéré". In: GAILLARD. Op. cit. p. 149.
198. En ce qui concerne les maisons construites par des maîtres d'ouvrage
privés et pour l'usage mono-familial, nous ne saurions répondre à l'heure
actuelle, si celles-ci ont été réalisées avec l'aide de la Compagnie ou dans
quelle mesure il ne s'agirait pas d'une accession à la propriété des habitants.
En 1866, il est recensé 8 propriétaires urbains.
199. En ce qui concerne le recensement de 1866, et à titre de comparaison:
Nº de ménages entièrement habités non-habités (en partie seulement) total
de maisons maison en construction
2249
467
13
480
8
au rez-de-chaussée
65
rez-de-chaussée + 1º étage 261
rez-de-chaussée + 2º étage 139
rez-de-chaussée + 3º étage 15
200. Ceux-ci sont ainsi structurés:
n'ayant qu'un rez-de-chaussée: 49 habitations
ont l étage: 335
ont 2 étages: 220
ont 3 étages: 43
4 étages:
2
Tout en suivant ce recensement, nous constatons qu'en 1886 ces logements
étaient habités par un total de 2.947 ménages, dont 2.695 par des familles et
252 par des individus isolés. De plus, 494 logements sont occupés par 2
personnes, 667 par 3 personnes, 618 par 4 personnes, 409 par 5 personnes et
507 par 6 personnes ou plus.
201. Dans une exploitation agricole, "mas" signifie l'ensemble formé du local
d'habitation et de ses dépendances attenantes.
"La maison cévenole possède une structure orientée vers l'économie agricole:
ce sont des maisons 'en hauteur', divisées en deux parties: le rez-de-chaussée
est en général réservé à l'exploitation: bergerie, porcherie, étable. Les étages
sont dévolus à l'habitat et au grenier. Ces mas sont le plus souvent isolés,
parfois même fortifiés". In: BRILLARD et LAVERGNE. Op. cit. p. 11. Sur les
maisons rurales en Cévennes, voir entre d'autres: A) TRAVIER, Daniel.
"Technique et vie quotidienne". In: JOUTARD. (Sous la Direction de). Op. cit.
Chapitre 5. B) PELEN. (1987). Chapitre III: "L'homme et les hommes". Section:
"Le Mas". p. 67.
202. Voir Inventaires Généraux des Concessions, matériels, immeubles,
marchandises, etc. Demande faite au Gouvernement le 23 ao–t 1853 et relaté
dans le rapport de M. Dupont, ingénieur. In: PUECH. Op. cit. Tome II. pp. 238 à
254.
203. Dans le plan établi par Paulin Talabot sur la délimitation de la commune
projetée de La Grand'Combe, on trouve signalée une dizaine de mas ou
masures, notamment sur les quartiers de l'Arboux et de Ribes. "Plan
Géométrique de la délimitation de la commune projetée de La Grand'Combe
indiquant la circonscription actuelle des communes de Portes, Ste-Cécile, Laval
et les Salles, qui concourent à former la Commune projetée. M. P. Talabot, 13
aoüt 1846". D'après le plan déposé aux Archives du Gard. C'est singulièrement
le cas des propriétés suivantes: mas Le Puech, mas La Manne ou Lamarine,
mas La Pénarie, etc.
204. Ceci s'explique par l'évolution de la politique foncière de la Compagnie qui
procède à une acquisition massive de terrains, marché dont elle se réserve le
monopole.
205. GAILLARD. Op. cit. p. 99.
206. Récit de Elie Bertrand recueilli par VIELZEUF, Aimé. "Cinquante ans avant
Ladrecht, la grève de 1929 à La Grand'Combe: souvenirs d'enfance". In:
BALTERS (sous la direction de). Op. cit. p. 13.
207. En effet, en 1837/38, un bâtiment pour loger des fonctionnaires travaillant
dans les bureaux de l'Administration, et leurs familles, est bâti. Il est attenant à
la "maison de l'Administration". Ce bâtiment, en deux étages, compte 14
appartements, 37 pièces habitables, 13 caves et 14 W.-C.
208. Ce groupe social n'est pas très nombreux. Puech indique 306 employés
au 31 juillet 1897. Cf. PUECH. Op. cit. Tome II. p. 534.
209. Cette dernière hypothèse (en matière de localisation des employés) est
suggérée par Frey, à propos de la ville du Creusot: "Fruit d'un double
panoptisme du contrôle social, où le regard de l'employé se porte sur les
ouvriers et où son mode de vie et d'habiter s'offre à leur regard, la répartition
des groupes sociaux, telle que la conçoivent les Schneider (patrons), relève
plus du rituel liturgique de la communion, placé sous l'auspice des saints
patrons des quartiers et de leurs agents sacerdotaux, que d'une planification
techno-bureaucratique de l'espace et des activités". In: FREY. Op. cit. p. 269.
210. Flechon contraste ces quartiers et nous fournit une image des années
1930. In: FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 51.
211. Le directeur étant, alors, M. Fran‡ois Beau (35 ans, catholique). Il y réside
avec son épouse, sa fille et deux domestiques. On y trouve également la
maison du sous-directeur (M. Tabare), et d'autres ingénieurs et négociants.
Source: Recensement de la commune de La Grand-Combe de 1851. Mairie de
La Grand-Combe.
212. Celle du directeur d'exploitation était de 3 étages, avec 15 pièces
habitables, et comprenait la cuisine, la salle à manger, le salon, les chambres à
coucher, les bureaux (offices), 2 salles de bain, deux cabinets, un vestibule,
une cave et un garage. Celle de l'ingénieur-en-chef comprenait la cuisine, la
salle à manger, les chambres à coucher, un cabinet. La maison de l'ingénieur
Flechon situés dans un quartier voisin (le Pontil) est décrite dans son texte:
"C'est une grande maison (9 pièces, dont une chambre pour la servante et des
combles) qui domine la vallée, à six kilomètres d'ici... Elle est située au milieu
des pins à 200 mètres du puits et de la petite cité ouvrière (...). Grande
construction aux pièces nombreuses et bien aérées, elle s'élevait à flanc de
coteau. Précédé d'un jardin en terrasses, il était entouré d'un bois de pins fermé
d'une clôture. Les pentes de la vallée, recouvertes de châtaigniers, de pins, de
genévriers, de bruyères mauves et de fougères, encadraient un petit ruisseau
aux eaux claires, qui s'enfon‡ait très vite dans les fissures provoquées par les
exploitations souterraines. Quelques maisons neuves, destinées au personnel
spécialisé du carreau, s'alignaient pas loin". In: FLECHON. Op. cit. Tome I. pp.
15 et 31.
213. Cette distance, néanmoins, n'était pas suffisante pour que les femmes
d'ingénieur, comme nous l'a expliqué une femme de mineur retraité, soient
libres de sentir l'odeur des détritus amassés dans le fossé devant les casernes:
"l'odeur gênait les femmes d'ingénieurs". (Mme Combertte. Femme de mineur
retraité).
214. Gaillard, bien qu'ayant pris en compte l'éloignement des "villas" du centreville, n'a pas considéré la proximité de ces deux types de résidence, au moins
pour le quartier de La Forêt, car il affirme, dès le départ, l'éloignement des
quartiers comprenant les maisons des ingénieurs et ceux des casernes: "Le
quartier des ingénieurs est très nettement séparé du reste de la ville pour éviter
au maximum toute fréquentation ou côtoiement entre les classes (...). Grandes
bâtisses, édifiées elles aussi par les houillères, entourées de jardins plus au
moins importants, elles sont situées dans un quartier résidentiel, légèrement à
l'écart du reste de la ville et ne modifient donc pas l'allure générale, noirâtre,
triste, monotone d'une ville-usine que ne viennent même pas égayer les
devantures des commer‡ants puisque tous les besoins en nourriture et
vêtements sont couverts par les magasins de la Compagnie". GAILLARD. Op.
cit. pp. 100, 172 et 173. En outre: "Il existe une ségrégation spatiale au niveau
de l'habitat; les ingénieurs occupant sur les hauteurs bien ensoleillées de la ville
les maisons les plus spacieuses et les plus confortables. Les ouvriers, quand à
eux, doivent souvent se contenter de deux ou trois pièces par famille". Cf:
DUCKERT et LARGUIER. Op. cit.
Ces affirmations doivent être relativisées dans la mesure où nous avons pus
constater la cohabitation dans le même quartier de ces deux groupes sociaux.
Cette proximité spatiale a été plutôt la règle que l'exception; autrement dit, cette
localisation suit la logique de la mine (on se rapproche des principaux chantiers
de travail).
215. FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 42.
216. Ceci n'implique pas le déménagement de la résidence du Directeur de la
Compagnie. Probablement la nouvelle technologie de l'automobile a désormais
permit à M. le Directeur le déplacement confortable dans une automobile
particulière avec chauffeur pouvant être présente facilement tantôt au Château
de La Levade, tantôt aux Bureaux Centraux ainsi que dans les bureaux
secondaires comme celui de la vallée Ricard. D'ailleurs, la Compagnie stimula
parmi leurs ingénieurs l'achat des automobiles leur assurant une indemnité de
déplacement en échange. Ainsi la Compagnie aurait-elle pu en contre-partie
d'une légère indemnité, effectuer l'économie du salaire du cocher et gagner un
cheval. Selon: FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 95.
217. Camp Fougères (quartier La Forêt), camp Ravin (entre Trescol et La
Levade), camp Fournier (montagne l'Airolle) et camp des Nonnes (Branoux).
"En suivant la R.N. 106, le voyageur découvrait, au pied d'un important
'crassier' fumant, le quartier des Nonnes où s'élevaient de nombreuses
baraques sommairement construites, basses, d'un 'camp' où logent encore
plusieurs familles". In: PACZKOWSKI et VIELZEUF. Op. cit. p. 65.
218. Sur les camps et campements en France, voir: NOIRIEL. (1988). Op. cit.
pp. 154 à 159. Selon cet auteur: "A l'archaïsme du logement correspond
l'indigence des infra-structures: pas de véritables rues, mais des chemins
boueux; pas d'électricité ou pas partout; pas d'égout, pas de canalisation d'eau
potable...". Ibidem.
219. FAVEDE. Op. cit. p. 49.
220. Sur cette problématique à niveau national voir: TREMPE, Rolande. "La
question du logement". In: TREMPE, Rolande. Les trois batailles du charbon.
1937-1949. Paris, La Découverte, 1989. pp. 101 à 107.
221. Elles sont du type à 2 logements en duplex ou 4 logements (jumelés), de 3
à 4 pièces, alignés et, en général, en retrait par rapport à la rue.
222. GAILLARD. Op. cit. p. 209.
223. Dans les communes avoisinantes (sur les concessions de la Compagnie),
on trouve la cité de Rimes, La Nougarège, et celle de Combe-Ferral dans la
commune de St-Jean-de-Valériscle, etc.
224. Il semble que le type dominant concerne des bâtiments à deux étages,
desservis par des escaliers à l'extérieur (en général latéraux), visibles de la rue,
et l'accès aux appartements est assuré par un long balcon commun (extérieur),
avec des bâtiments juxtaposés ou superposés, en général de trois à quatre
pièces. Ces habitations sont dotées en général d'une cuisine et d'une salle à
manger. Le nombre de chambres est variable (de deux à trois) et un petit
couloir distribue les pièces. Tantôt la fa‡ade donne directement sur la rue,
tantôt le bâtiment en retrait offre un mur de fa‡ade tourné vers la cour
intérieure. Mais, en principe, l'on trouve "un espace intermédiaire" consistant en
un jardin ou une cour, rangée d'arbres ou pavée - (la mitoyenneté sera plutôt
rare). Vus de la rue, c'est l'escalier extérieur qui distingue ces bâtiments des
anciennes casernes: il se situe soit sur les fa‡ades donnant sur la rue, soit à
l'arrière des maisons.
225. Selon la Compagnie, "un habitat approprié à leur condition", c'est-à-dire:
en 3 étages, 14 pièces habitables, 3 caves et un grenier, une salle à manger,
un bureau, un salon, un office, une cuisine, une salle de jeu pour les enfants, un
lavabo, et les W.-C. L'escalier intérieur permet d'accéder aux chambres des
étages supérieurs: garage, électricité, eau courante, chauffage, et entourée
d'un vaste jardin. In: Archives des Services des Domaines des Houillères.
Habitation d'Ingénieur, cité de Ribes, section D, nº 538. Commune de La
Grand-Combe.
226. Leur édification a été accomplie dans différentes phases: la première
après la guerre de 1914-1918, la deuxième en 1930-1935, etc.
227. Celles situées à l'entrée du quartier (sur le côté qui donne vers le centre)
sont alignées en retrait par rapport à la rue. Ce sont des maisons jumelées, à
deux étages, pour quatre ménages, chacune avec entrée individuelle. Dans ce
cas, au rez-de-chaussée, un petit espace libre sur le devant de la maison
sépare la porte d'entré de la rue. Les étages supérieurs ont leur entrée de la
rue par un passage latéral qui donne accès à la porte située sur le côté de la
maison. L'accès aux étages se donne par un escalier intérieur. Le jardin
potager se situe derrière la maison. Les autres maisons, prévues aussi pour
quatre ménages, comportent des bâtiments superposés et juxtaposés
géométriquement. La porte d'entrée donne sur la rue. Un escalier intérieur
permet l'accès au premier étage. Dans ce deuxième cas, la porte d'entrée en
fa‡ade, est commune pour le rez-de-chaussée et l'étage. Un seuil unique
donne sur un vestibule qui dessert les deux logements. Un escalier intérieur
accède l'étage supérieur. Le jardin est attenant au logement, et le jardin potager
au fond de la parcelle, ainsi que les W.-C.
228. Deux types de maisons y sont bâtis: les "maisons-jardins" et les longs
bâtiments à deux étages avec escalier extérieur. Dans ces nouvelles
constructions, les W.-C., sont à l'intérieur, mais les douches ne seront installées
que vers les années 1950/60. Les maisons-jardins sont constituées tantôt de
deux logements superposés, tantôt de logements jumelés. Le premier type de
maison comporte en général 5 pièces habitables: cuisine, salle, trois chambres
à coucher. Le deuxième type possède 4 pièces: cuisine, salle, deux chambres à
l'étage supérieur - chaque appartement ayant une cave. La porte d'entrée dans
les deux cas est latérale, à mi-chemin entre le devant et l'arrière de la maison.
Toutes ces maisons sont en retrait de quelques mètres de la rue et l'espace est
utilisé comme petit jardin. Le terrain derrière la maison peut servir de jardin
potager pour une culture en terrasse. Le terrain est assez large pour permettre
au locataire de rajouter un garage ou une petite annexe. Les familles habitant
les longs bâtiments ont aussi droit à un petit jardin attenant au logement.
229. FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 51.
230. Ibidem.
231. "(...) L'orientation des fa‡ades de ces maisons est Nord-Sud et leur
distance d'axe de vingt huit mètres. Elles ont comme dimension hors murs
27,55 m sur 8,62 m. Chaque maison a vingt quatre pièces de 4,25 m sur 3,75 m
et 3,25 m de haut en rez-de-chaussée contre 3,15 m à l'étage. L'accès au
premier se faisant grâce à un escalier extérieur. A chaque maison est affecté un
groupe de W.-C. et caves. " In: GAILLARD. Op. cit. p. 210.
232. Une école libre (1921), engagement ayant été pris pour que les enfants
polonais puissent recevoir un enseignement dans leur langue maternelle, la
Compagnie adjoint à l'institutrice fran‡aise une monitrice polonaise qu'elle paye
et qui dispose de la moitié de l'horaire légal (1923). Les polonais ont droit aussi
a un prêtre de leur nationalité (octobre 1929). In: FAVEDE. Op. cit. pp. 46 et 47.
233. Nous parlerons du puits Ricard et de la transformation de la "vallée de la
Grand-Combe" en "Vallée Ricard" dans la prochaine section.
234. BRILLARD et LAVERGNE. Op. cit. pp. 13 et 14.
235. Malgré l'approbation à l'époque par le Conseil d'Administration de la
Compagnie autorisant la démolition des immeubles crasseux et insalubres de la
rue de la Clède, ceux-ci n'ont été démolis que récemment, 1989/1990. Nous
reviendrons à ce sujet dans la dernière Partie.
236. Les mineurs propriétaires étaient très rares. La construction des
habitations par les ouvriers eux-mêmes semble avoir été minime. Un ancien
ingénieur nous parle de quelques maisons bâties par des ouvriers "à force de
privations et de travail". Les rares qui se livrent à cette entreprise ne pourront le
faire qu'avec l'aide de la Compagnie. L'ouvrier décidé à bâtir achetait un bout
de terrain, la plupart du temps appartenant à la Compagnie, ouvrait une carrière
et en extrayait les pierres qui lui étaient nécessaires; il engageait un maîtremaçon auprès duquel il remplissait les fonctions de manoeuvre, aidé si besoin
était par un ou deux camarades. L'aménagement intérieur (installation sanitaire
sommaire et électricité) était confié à un ami plus spécialisé. Quant à lui, il se
réservait les peintures. "(...) Ce sont des maisons simples édifiées par certains
ouvriers particulièrement sobres et adroits. Ces maisons bâties sur le coteau
bénéficiaient souvent d'un point d'eau; quand elles n'en avaient pas, une citerne
captait les eaux de pluie de la toiture. Généralement, les W.-C. étaient à
l'extérieur, construits en bois avec des planches bien jointives, d'où
l'expression: 'planché comme un cabinet', qui caractérisait, au fond (de la mine),
le garnissage serré des parois des galeries". In: FLECHON. Op. cit. p. 52.
237. Nous suivons ici Leite Lopes. Cf: LEITE LOPES, José Sérgio. "Anotações
em torno do tema 'condições de vida' na literatura sobre a classe operária". In:
MACHADO DA SILVA. Luiz Antônio (org). Condições de vida das camadas
populares. Rio de Janeiro, Zahar, 1984.
238. COMPAGNIE DES MINES DE LA GRAND-COMBE (1836-1936). Livre
d'Or. Op. cit. p. 20.
239. GAILLARD. Op. cit. p. 2O2.
240. PACZKOWSKI et VIELZEUF. Op. cit. p. 148. Bien s–r, ce développement
du commerce libre est bien contrôlé par la Compagnie, comme l'observe
Sugier: "Mais si tout est organisé pour régler la vie de l'ouvrier dans l'intérêt de
l'entreprise, les personnes mêmes qui ne travaillent pas pour la Compagnie
sont dépendantes d'elles, un commerçant qui se plaint de la Compagnie risque
de se voir mis à l'index, comme ce commer‡ant de Saint-Jean-de-Valériscle,
boycotté par toute la population ouvrière, sur ordre de la Compagnie des Mines
de La Grand-Combe, après les élections de 1889." Cf: SUGIER, Fabrice.
L'Histoire du Mouvement Ouvrier dans le Bassin d'Alais de 1879 à 1904.
Apparut en forme d'article dans le journal hebdomadaire Le Pays Cévenol et
Cévennes. Alès, La Grand-Combe à Florac. D'Alès - La Grand'Combe à Florac.
Hebdomadaire Régional d'Informations d'Annonces Légales et Judiciaires
agréé pour l'ensemble du département du Gard. Samedi 3 novembre 1990.
241. Dénombrement de la population du 24 Mars 1901.
242. Dans ce chapitre, nous nous appuyons largement sur la notion de
distinction sociale efficace pour dévoiler la structure de la classe sociale telle
que Bourdieu le suggère et que Dias Duarte considère comme l'identité
constrastive, un des plans sur laquelle l'identité sociale est opérée. En outre, la
"grande famille" nous semble une manière d'opérer l'identité emblématique,
alors que ces processus de construire "identités" sont pour nous importants
dans la mesure dans laquelle l'identité emblématique et l'identité contrastive
prennent leur sens en référence à la valeur-travail.
243. GAILLARD, Jean-Michel. "De la Réussite Initiale au Déclin Progressif:
Histoire Economique de la Compagnie des Mines de La Grand'Combe (18361921)". In: GAILLARD. Op. cit. Chapitre I. p. 136.
244. Une "violence symbolique, violence douce, invisible, méconnue comme
telle, choisie autant que subie, celle de la confiance, de l'obligation, de la fidélité
personnelle, de l'hospitalité, du don, de la dette, de la reconnaissance, de la
piété, de toutes les vertus en un mot qu'honore la morale de l'honneur, s'impose
comme le mode de domination le plus économique parce que le plus conforme
à l'économie du système". Cf. BOURDIEU, Pierre. "Les Modes de Domination".
In: BOURDIEU, Pierre. Le sens pratique. Paris, De Minuit, 1980. Chapitre 8. p.
219. Voir aussi pp. 221, 230 et 268.
245. Action d'inculcation et/ou effet d'inculcation. Cf: BOURDIEU. (1979). Op.
cit. pp. 22 et 124.
246. "(...) l'ordre social s'inscrit progressivement dans les cerveaux. Les
divisions sociales deviennent principes de division, qui organisent la vision du
monde social. Les limites objectives deviennent sens des limites, anticipation
pratique des limites objectives acquise par l'expérience des limites objectives,
'sense of one's place' qui porte à s'exclure (biens, personnes, lieux, etc.) de ce
dont on est exclu". In: Ibidem. p. 549.
247. GAILLARD. Op. cit. p. 172.
248. Nous suivons ici BOURDIEU. (1979). Op. cit. Conclusion. pp. 543 à 564.
249. ARIES. (1971). Op. cit. p. 99.
250. FAVEDE. Op. cit. p. 86.
251. DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 37.
252. Cf. PELEN. (1987). Op. cit. p. 64. L'ingénieur Flechon décrit que le
quotidien à La Grand-Combe est marqué par le va-et-vient des ouvriers des
deux postes: "ceux du matin, qui sortaient, noirs de la tête aux pieds et se
hâtaient vers leur domicile où ils trouveraient, sur la cuisinière, la bassine d'eau
préparée pour leur toilette; ceux de l'après-midi, à l'allure plus lente, tirant une
dernière bouffée, et jetant l'extrémité de leur cigarette, avant que les
wagonnets, dans lesquels ils prenaient place, sous la protection d'une bâche de
toile qui les séparait du câble électrique de traction, ne s'enfoncent dans les
entrailles de la terre, pour les conduire aux recettes des deux puits
d'extraction". In: FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 19.
253. PORTET, François et TEITLER, Marcel. "Identité sociale et territorialité de
deux villes industrielles de taille moyenne: bistrots et quartiers au Creusot et à
Montceau-les-Mines". In: Actes du Séminaire "Société Industrielles et Urbaines
Contemporaines". Séminaire du 2 et 3 décembre 1983. Centre Culturel de la
Rencontre de la Fondation Royamont. Cahier 1. Paris, EMSH, 1983. p. 62.
254. LAMORISSE. Op. cit. p. 296.
255. "Les mineurs étaient payés soit à la tâche, soit à la journée; leur salaire
était composé en général de deux éléments: un taux de base fixé le plus
souvent par une convention collective (salaire conventionné) et des primes
diverses créées en fonction des circonstances et variant en conséquence; selon
la nature, la qualification du travail effectué, l'âge et le sexe, ils étaient classés
hiérarchiquement: à chaque catégorie ou classe correspondait un taux de base
donné, qui servait à calculer le salaire de ses membres". In: TREMPE. (1989).
Op. cit. pp. 155 et 156.
256. En 1857, une littérature patronale sur le sujet: SIMONIN. (1981). Op. cit.
Cet ancien ingénieur de mines a fait aussi une série de conférences sur les
catastrophes, comme objets de "spectacles et d'exhibition": "Comme si l'idée de
la mort au travail était une composante à la fois spectaculaire et normale de la
vie du mineur". Cf: MATTEI, Bruno. "Portrait du mineur en héros". In: DEBOIS,
Evelyne et alii. Op. cit. p. 94.
257. Voir notamment:
Annales publiées par l'Ecomusée de la Communauté Le Creusot/Montceau-lesMines et l'Institut Jean-Baptiste Dumay. L'HOMME et LA MINE. Colloque/Dijon
- nov. 1981.
Dans les mines de Carmaux:
TREMPE, Rolande. "Les mineurs de Carmaux: composition du groupe
professionnel et recrutement des mineurs". In: TREMPE. (1971). Op. cit.
Deuxième Partie: La Prolétarisation des Mineurs. Tome I. pp. 107 à 188.
Dans les mines à La Grand-Combe:
A) GAILLARD, Jean-Michel. "L'ouvrier mineur de la Compagnie des Mines de
La Grand-Combe à son travail". In: GAILLARD. Op. cit. pp. 174 à 198. B)
TAURINES et CAMMARATA. Op. cit. pp. 45 à 66. C) FAVEDE. Op. cit. pp. 51 à
69.
258. L'ingénieur Flechon décrit avec précision le travail au fond de la mine à La
Grand-Combe. In: FLECHON. Op. cit. Tome I. Chapitre "Première Journée". p.
21 à 39. Nous citons: "La mécanisation n'avait pas encore transformé les
conditions de travail, et en dehors de l'électrification des grosses pompes
d'exhaure placées aux abords des puits et l'apparition timide de l'air comprimé,
Zola n'aurait pas eu de difficultés à retrouver dans les chantiers de La GrandCombe, l'ambiance lourde et pesante qu'il avait si magistralement décrite dans
Germinal quelque soixante années plus tôt". Cf: FLECHON. Ibidem. p. 30.
259. "L'exploitation avait encore son caractère artisanal; chaque équipe de
deux hommes disposant d'un chantier qui lui était personnellement affecté. Le
mineur, appelé aussi 'partageant' recevait, après attribution au manoeuvre d'un
salaire journalier fixe, le gain proportionnel à la tâche réalisée par l'équipe." Cf:
FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 30.
260. Le travail au fond dans certaines galeries étroites, accru par la chaleur
régnant à l'intérieur, était pénible. "En effet, le bassin houiller du Gard est le
plus chaud de tous les bassins fran‡ais. Il est parfois extrêmement dur pour les
ouvriers du fond de supporter des températures très élevées car, ajoutées à la
poussière et à l'effort demandé pour piquer ou sortir du charbon, elles
provoquent des sortes de malaises très fréquents sur les fronts de taille". In:
GAILLARD. Op. cit. p. 178.
261. "Donc, pour juger de la qualification de ces catégories, il faut user de
critères propres à la mine et non se servir de ceux qui sont couramment utilisés
dans l'industrie. C'est dans cette mesure seulement que nous pouvons dire que
piqueurs, mineurs et boiseurs sont des ouvriers mineurs qualifiés". In:
TREMPE, Rolande. "Les mineurs de Carmaux: composition du groupe
professionnel et recrutement des mineurs". In: TREMPE. (1971). Op. cit. Tome
I. p. 113.
262. TAURINES et CAMMARATA. Op. cit. p. 46.
263. "Les emplois de spécialistes qui nécessitent une formation longue et une
expérience sûre: maître-boiseur, boutefeu, mineur des chantiers de grande
hauteur, étaient en général occupés par des français". Selon, FLECHON. Op.
cit. Tome I. p. 52.
264. TREMPE. (1971). Op. cit. Tome I. p. 115.
265. "Dans la grande industrie minière (...) les patrons tirent aussi profit des
formes de domination sociale qui existent dans la société traditionnelle, et
notamment dans l'univers domestique. Ils profitent ainsi de la soumission des
femmes et des enfants pour leur faire accomplir les travaux les plus ingrats qui
sont aussi les moins payés". In: NOIRIEL. (1986). Op. cit. p. 66.
266. "Leur emploi se limitait pratiquement à l'épierrage du charbon, au jour, et
c'était là une ressource non négligeable pour les familles, la Compagnie se
montrant très libérale et peu soucieuse de productivité, quand il s'agissait de
donner du travail aux veuves et aux filles de mineurs". Cf. FLECHON. Op. cit.
Tome I. p. 30. Sur les placières à La Grand-Combe voir ayssu: A) TAURINES
et CAMMARATA. Op. cit. Chapitre VII. B) FAVEDE. Op. cit. p. 73. C)
JOUTARD. (direction). (1979). Op. cit. p. 276. D) Film de Guy Olivier "Jeanne et
Hélène": deux grand-mères racontent leur vie de travail à la mine comme
placière à partir de l'âge de 13 ans. I.N.A. et Antenne 1, 1970.
267. GAILLARD. Op. cit. p. 174.
268. "Et puis il y a les 'placières', en gare de La Levade, avec leur fichu noir
noué sur la nuque, leurs habits noirs et leurs sandales, triant, de leurs mains
agiles, les pierres mélangées au charbon, sous le regard attentif des
contremaîtres". In: PELEN. (1987). Op. cit. p. 64.
269. Ibidem.
270. Mme Vieille, par exemple, fille de mineur, commence sa vie active à l'âge
de 13 ans comme placière et travaille pendant 7 ans à la place à Trescol. En
1938, elle se marie avec un "étranger" (conducteur) malgré l'opposition de sa
mère. Ce mari l'abandonne avec deux jeunes enfants. Avec un père décédé et
après la rupture avec sa mère, elle se retrouve sans appui financier. Sans abri
et sans aide, elle se réfugie avec ses enfants dans un garage, privée du
minimum de confort. Pour pouvoir manger, elle se met à tricoter et broder et fait
de la vente à domicile. Cette situation a duré environ 10 ans, jusqu'à ce qu'un
voisin célibataire, mineur de profession, la demande en mariage. Alors
divorcée, elle accepte de se remarier, affrontant la désapprobation des deux
familles et du voisinage. Le prix social de ce mariage, pour le couple, est cher à
payer. La Compagnie ne concède pas de logement pour ce mineur, et ils
continuent a habiter le garage pendant 5 ans, jusqu'au jour où un ingénieur
"très humain" et qui "respectait mon travail parce que j'étais sérieux, m'a donné
un coup de main", raconte M. Vieille. Finalement, ils recevront un logement
parmi un voisinage d'origine surtout polonaise. (Récit de Mme Vieille, femme de
mineur retraité. M. Vieille a fini sa carrière comme chef et ouvrier hautement
qualifié).
271. Tel comme celui de droit au congé annuel: "Vraiment la Compagnie de La
Grand-Combe, comme toutes les compagnies minières d'alors, était exigeante
pour le personnel qu'elle employait: ingénieurs, surveillants, ouvriers, malgré les
quatre semaines de congé annuel des premiers et les dix jours octroyés aux
seconds. Pour les ouvriers, la question, légalement, ne se posait pas. Et ils ne
pouvaient justifier d'une absence qu'en contrepartie d'une carte de maladie ou
de blessure". In: FLECHON. Op. cit. p. 90.
272. A l'exemple de Carmaux: "Porions et maîtres-mineurs furent en effet,
jusqu'à la fin du XIXe siècle, tirés du rang sur simple choix de la Direction (par
la suite, les maîtres-mineurs furent formés à l'école d'Alès)". In: TREMPE.
(1971). Op. cit. Tome I. p. 115.
273. FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 101.
274. Ibidem. p. 90.
275. Ibidem. p. 90.
276. Le dépouillement des recensements de 1851, 1866 et 1872 nous permet
de reconnaître ces groupes, voir: Annexe 6: Recensement des Professions
1851, 1866 et 1872.
277. A titre d'exemple, voir l'annexe 6.
278. Voir Annexe 7.
279. LAMORISSE. Op. cit. p. 152.
280. L'exemple d'un commerçant-boulanger qui travaille aussi comme mineur
est donné par BRILLARD et LAVERGNE. Op. cit. p. 10.
281. FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 56.
282. GAILLARD. Op. cit. p. 172. En plus, "les classes moyennes - personnel de
bureau, maîtres-mineurs - sont nettement sous-représentées, de même que les
cadres
supérieurs,
ce
qui
confère
une
grande
homogénéité
socioprofessionnelle à l'ensemble de la population". In: DUCKERT et
LARGUIER. Op. cit. pp. 37 et 38.
283. DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 37.
284. ARIES. (1971). Op. cit. p. 99.
285. FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 90.
286. Les Cévennes étant en Occitanie, le 'Patois cévenol' est de l'occitan
(terme par lequel on désigne aujourd'hui communément la Langue d'oc):
"Actuellement, l'occitan semble sur le point de disparaître. En zone rurale,
surtout en montagne, il n'est parlé usuellement que par les plus de 60 ans,
occasionnellement (chasse... ) par la génération suivante et n'est même plus
compris par les enfants. En ville, on ne l'entend qu'exceptionnellement même si
beaucoup de personnes peuvent comprendre; c'était par contre jusqu'à ces
dernières années la langue des mineurs (même immigrés!) tandis que la
maîtrise n'employait que le français". Cf. WIENIN, Michel. Le pays d'Alès. Alès,
Saber, 1986. p. 25.
287. ARIES. (1971). Op. cit. p. 99.
288. Ainsi structuré: Administrateur délégué, Directeur Général, Directeur,
Sous-directeur, Secrétariat général, Service commercial, Service des
domaines, Service des approvisionnements, Service comptabilité. Services du
Fond: ingénieur en chef, 5 ingénieurs de division (un par division), ingénieur
ordinaire (un par mine), service géologique. Service du Jour: ingénieur
principal, ingénieur de division, service des usines, criblage, lavoir,
agglomération, ingénieur mécanicien, ingénieur électricien, etc." In: TURPIN.
Op. cit. p. 21.
289. Présidents du Conseil de l'Administration: M. Léo Talabot jusqu'en 1863;
M. Poizat, 1863-1869; M. Thirion, 1869-1886; M. Daubrée, 1886-1896; M.
Mascart, 1896-1908; M. Nivot, 1908-1919; M. Louis de Lanay, 1936. Cf:
TURPIN. Op. cit. p. 18.
290. FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 56.
291. Ibidem. p. 14 et 55.
292. Ceux-ci ont été consultés, "In": PUECH. Op. cit. Tome I et Tome II. et
Articles de Raymond AUBERET. In: Journal Le Pays Cévenol et Cévennes.
Alès, La Grand-Combe à Florac. D'Alès - La Grand'Combe à Florac.
Hebdomadaire Régional d'Informations d'Annonces Légales et Judiciaires
agréé pour l'ensemble du département du Gard. Années 1982 et 1983.
293. Sur les événements de 1848, voir: GAILLARD. Op. cit. pp. 217 à 224.
294. FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 95.
295. MICHEL. Op. cit. p. 93.
296. PACZKOWSKI et VIELZEUF. Op. cit. p. 140.
297. L'ingénieur Flechon raconte dans son manuscrit sur la trajectoire scolaire
de son fils André qui depuis l'âge d'onze ans était allé comme interne dans un
établissement privé de Montpellier, déjà fréquenté par de nombreux enfants de
La Grand-Combe. Une formation qui continue dans le lycée d'Alès
(baccalauréat de mathématiques) et dans le Lycée "Louis-le-Grand" à Paris
jusqu'à sa formation comme ingénieur de mines dans l'école des Mines de
Paris. Voir: FLECHON. Op. cit. Tome II. pp. 161 à 163, 180, 185, 188, 217, 241
et 242.
298. PINÇON. Op. cit. p. 70.
299. L'individu intériorise les déterminismes sociaux, en constituant des
systèmes de dispositions individuelles comprises comme étant les variantes
structurelles de l'habitus. La perception individuelle est donc médiatisée par
l'habitus qui constitue un ensemble de représentations structurant et donnant
un sens au comportement humain: la culture. Pierre Bourdieu comprend alors
la culture en la concevant comme une structure structurante - puisqu'elle
assume une fonction logique de mise en ordre du monde - ainsi que comme
une structure structurée lorsqu'elle est déterminée par un système de
domination.
300. A titre d'exemple, la femme du Directeur de Mines organisait pour que les
enfants aient des vêtements pour la communion. Alors que, après, ces
vêtements devaient être rendus à la Compagnie.
301. FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 56.
302. FAVEDE. Op. cit. p. 81
303. "C'est dire qu'une classe ou une fraction de classe est définie non
seulement par sa position dans les rapports de production telle qu'elle peut être
repérée à travers des indices comme la profession, les revenus ou même le
niveau d'instruction, mais aussi par un certain sex-ratio, une distribution
déterminée dans l'espace géographique (qui n'est jamais neutre socialement) et
par tout un ensemble de caractéristiques auxiliaires qui, au titre d'exigences
tacites, peuvent fonctionner comme des principes de sélection ou d'exclusion
réels sans jamais être formellement énoncées (c'est le cas par exemple de
l'appartenance ethnique ou du sexe); nombre de critères officiels servent en
effet de masque à des critères cachés, le fait d'exiger un diplôme déterminé
pouvant être une manière d'exiger en fait une origine sociale déterminée". In:
BOURDIEU. (1979). Op. cit. p. 113.
304. FLECHON. Op. cit Tome I. p. 54.
305. Avec une nette préférence pour la Lozère, non seulement parce que les
ardéchois étaient aussi sollicités dans la ville minière de Bessège, mais parce
qu'ils étaient considérés de tendance plus "révolutionnaire" que les lozériens.
306. LAMORISSE. Op. cit. p. 2O9.
307. La Guerre des Camisards éclate en 1702. "Pendant 17 ans, les réformés
vont subir la persécution sans résister mais en juillet 1702, une arrestation
comme bien d'autres va déclencher un mouvement de révolte extraordinaire: la
guerre des Camisards. Le mouvement durera deux ans, ruinera la région et
surtout laissera une marque indélébile dans la mémoire populaire. Les révoltés
ne dépassèrent que rarement 2.000 hommes mais ils mobilisèrent contre eux
quelque 50.000 soldats du roi qui durent pour en venir à bout utiliser comme
stratégie le 'brûlement' complet des Cévennes avec regroupement de la
population dans des places fortifiées". In: WIENIN. Op. cit. p. 24. En outre: "La
guerre des Cévennes a recouvert dans le souvenir, non seulement toutes les
autres formes de résistance de 1680 à 1760, mais même tous les affrontements
religieux avant et après, ceux du XVIe siècle comme ceux du XIXe siècle et
même au-delà". Cf. JOUTARD, Ph. "Les Cévennes à leur apogée (fin XVIIe milieu XIXe siècle). In: JOUTARD (sous la direction de). Op. cit. Chapitre 4. p.
140.
308. "Pour eux, (les protagonistes), l'opposition entre républicains et royalistes
n'est que la continuation sous une autre forme de la vieille lutte entre
catholiques et protestants: les divers épisodes révolutionnaires se confondent
donc avec les conflits séculaires aussi bien chez les participants que dans le
souvenir des générations postérieures. (...) la Révolution a renforcé l'opposition
fondamentale entre 'deux peuples', en ajoutant une nouvelle masse de griefs et
de nouveaux souvenirs pour la mémoire collective. Désormais, aux raisons
religieuses s'ajouteront des raisons politiques de tensions. Par définition, un
protestant sera aussi un libéral et un bon républicain, tandis que le catholique
sera royaliste". Cf. JOUTARD, PH. "Les Cévennes, bastion républicain et
Vendée méridionale". In: JOUTARD. (sous la direction de). Ibidem. pp. 143 à
151. En outre: "En 1704, les Camisards sont vaincus mais le XVIIIe siècle va
voir s'installer progressivement un régime de tolérance avant que la Révolution
ne décrète enfin l'égalité de tous. La communauté protestante est dès lors
indéfectiblement fidèle au régime républicain pendant tout le XIXe siècle puis
résolument à gauche au XXe. Par opposition, les catholiques rejoignent en
masse le parti royaliste puis la droite". In: WIENIN. Op. cit. p. 24.
309. Il faut minimiser l'importance de cette manifestation de contre-pouvoir dans
l'origine qui s'est organisée contre le paternalisme clérical. Il semble que c'est
surtout grâce à la migration des ouvriers catholiques venus des régions de
tendance de gauche que cette opposition devient plus explicite: A) "Si les
protestants jouent un rôle notable dans les campagnes anticléricales, c'est pour
l'essentiel aux catholiques en rupture avec leur Eglise qu'il revient d'organiser et
d'entretenir la lutte permanente contre les prêtres". Cf: G. Cholvy, "Les Conflits
de la religion". In: CHOLVY, Gérard (Sous la Direction de). Histoire du
Languedoc. De 1900 à nos jours. Toulouse, Privat, 1980. Chapitre 7. p. 260. B)
L'apparition du socialisme, en milieu ouvrier, gagne des électeurs d'origine
catholique sur un programme de transformation de la société. Cf: JOUTARD,
Ph. "La Cévenne en difficulté (du milieu du XIXe à nos jours). In: JOUTARD.
(Sous la direction de). Op. cit. p. 291.
310. DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 64.
311. PELEN, Jean-No‰l. "La Tradition Culturelle d'hier à aujourd'hui. Vie
culturelle et littérature orale". In: JOUTARD, Ph. (Sous la direction de). Op. cit.
p. 226.
312. Nous suivons ici une suggestion de Frey, quand il analyse le système
écolier au Creusot. In: FREY. Op. cit. p. 87.
313. Ce que nous voulons dire par là, c'est que la force de cette construction
morale d'un "territoire" catholique se trouve dans le rapport avec leurs voisins:
les protestants. Les migrants catholiques ont certainement utilisé cet ordre
social pour favoriser leur enracinement.
314. Frey dit autrement: "C'est l'ensemble des éléments permettant de spécifier
le mode de vie des différentes catégories d'habitants qui acquiert une valeur
particulière dans la signification des positions sociales en dehors du travail". In:
FREY. Op. cit. p. 61.
315. A ce sujet, voir: LAMORISSE. Op. cit.
316. Autrement dit, "le temps familial rejoint le temps de la collectivité", rapports
qui s'inscrivent dans la tension entre le pôle de la famille et celui de l'espace
social. A ce sujet voir: A) ZONABEND. (1980). Op. cit. B) SEGALEN. (1990).
Op. cit.
317. Comprenant pour projet l'intériorisation des chances objectives; autrement
dit, "la nature des projets ne dépendrait pas des gens eux-mêmes mais d'une
situation objective qui leur serait extérieure". BERTAUX-WIAMME, Isabelle. "Le
Projet Familial. Histoires de Vies. Histoires de familles. Trajectoires sociales".
In: Annales de Vaucresson, nº 26. 1987-1. p. 64.
318. GOFFMAN. (1974). Op. cit. p. 141. En outre, l'on court le risque de la
fatalité physique (la mort) par la "compensation" (ou condition) d'avoir un travail,
une précaution (prudence matérielle) prise pour éviter l'impossible survie
quotidienne (la famine, la misère, etc.).
319. C'est le champ des possibles qui propose Bourdieu: "Les individus ne se
déplacent pas au hasard dans l'espace social, d'une part parce que les forces
qui confèrent sa structure à cet espace s'imposent à eux (à travers, par
exemple, les mécanismes objectifs d'élimination et d'orientation), d'autre part
parce qu'ils opposent aux forces du champ leur inertie propre, c'est-à-dire leurs
propriétés, qui peuvent exister à l'état incorporé, sous forme de dispositions, ou
à l'état objectivé, dans des biens, des titres, etc. A un volume déterminé de
capital hérité, correspond un faisceau de trajectoires à peu près équiprobables
conduisant à des positions à peu près équivalentes - c'est le champ des
possibles objectivement offert à un agent déterminé -; (...) ". In: BOURDIEU.
(1979). Op. cit. p. 122.
320. Ce que nous voulons dire par cela, c'est que "la mine", en tant que champ
de travail objectif, et la ville-usine, comme un microcosme social, sont des
déterminants, à la fois des projets familiaux objectifs et de l'espace social vécu.
Ce qui ne veut pas dire qu'il s'agit de leurs projets idéalisés, de leurs
aspirations, de la promotion sociale désirée, ou que cela ne comporte pas un
imaginaire quant aux autres fa‡ons d'aménager la vie quotidienne et aux
ambitions déçues. Nous nous sentons insuffisamment informés pour pouvoir
analyser ces aspects.
321. Une "habileté" à mobiliser le groupe pour le travail à la mine et stratégie
complexe et efficace de la Compagnie pour fixer cette population à La GrandCombe. Conditions dans lesquelles l'habitus est produit.
322. Voir ici, LAMORISSE. Op. cit. p. 133.
323. GAILLARD. Op. cit. p. 128.
324. GOFFMAN. (1974). Op. cit. pp. 143 et 144.
325. Il s'agit de la tendance à se marier avec son semblable du point de vue
social. De nombreux auteurs utilisent d'ailleurs le terme d'homogamie
professionnelle. Parmi eux: A) NOIRIEL. (1986). Op. cit. pp. 46 et 58. B)
BOUTOT, Françoise. Glandon, Un Village en Limousin. 1900-1980. Mémoires,
Passé, Présent. Mémoire pour l'obtention du diplôme de maîtrise sous la
direction de Monsieur A. PROST. Université de Paris I. U.E.R. d'Histoire. 1982.
p. 77. C) SEGALEN. (1981). Op. cit. p. 145. D) Sur la littérature consacrée à ce
thème voir également J. Kellerhals, J.-F Perrin, G. Steinauer-Cresson, L.
Voneche et G. Wirth, qui expliquent les lignes d'interprétation sur la tendance à
l'homogamie: 1º) "probabiliste (...) ils sont placés dans des contextes où la
probabilité de rencontrer un semblable (et par là de poursuivre une relation) est
plus forte (...); 2º) "psychologique (...) a pour base une sorte de théorie des
sentiments. Dans cette perspective, le sentiment d'affection serait la résultante
d'une similitude socio-culturelle (...); 3º) "économique (...) au sens large de ce
terme. Elle émane de tout un courant ethnologique classique en matière de
mariage (...). Le mariage est vu fondamentalement comme une stratégie
d'échange destinée à conserver et augmenter les capitaux que possèdent les
personnes ou les groupes et à transmettre ceux-ci à des rejetons légitimés (...).
L'homogamie sociale - entourée ou non d'une idéologie romantique du mariage
- serait une stratégie rationnelle des détenteurs de capitaux (matériels ou
symboliques). Dans cette ligne, on pourrait distinguer entre une homogamie
voulue dans les classes supérieures, et une homogamie subie dans les milieux
populaires (...)." Cf. KELLERHALS, J. et alii. "La formation du couple". In:
Mariages au quotidien. Inégalités sociales, tensions culturelles et organisation
familiale. Lausanne, Suisse, Pierre-Marcel Favre, 1982. Collec. "Regard
Sociologique". Chapitre II. pp. 67 et 68.
Nous utiliserons aussi le terme "endogamie professionnelle" pour exprimer
cette tendance, selon: A) JOLAS et ZONABEND. Op. cit. pp. 169 à 180. B)
SEGALEN. (1990). Op. cit. pp. 45 et 46.
A titre d'exemple: Actes de mariage nº 18, le 27 juillet de 1847.
Nom des fiancés: FERDINAND GAZAY DENISE BAUDOT
Age:
19 ans
17 ans
Profession:
mineur
sans profession
Lieu de Naissance: Trescol
Saint-Vellier(S-Loire).
Lieu de Résidence: Champclauson
Champclauson
Nom du Père:
Marcelin Gazay François Baudot
Profession du Père: mineur
mineur
Age du Père:
40 ans
47 ans
Nom de la Mère:
Marie Rouquette Françoise Chevrean
Age de la Mère:
43 ans
45 ans
Rés. des Parents: Champclauson
Champclauson
Témoins: Employés aux Mines.
Source: Actes de Mariage 1847. Mairie de La Grand-Combe.
326. Sur une analyse de ce roman voir: RINGGER, Kurt et WEILAND, Christof.
"Aspects littéraires de la mine". Université de Mayence. In: Annales du Colloque
de Philosophie "L'Homme et la Mine". Dijon - 26 à 28 novembre 1981.
Publication réalisée par l'Ecomusée de la Communauté Le Creusot et
Montceau-les-Mines et l'Institut Jean-Baptiste Dumay. 54 p.
327. NOIRIEL. (1986). Op. cit. A ce sujet, selon Schwartz: "Les succès
impressionnants de l'entreprise paternaliste ont été maintes fois soulignés
(Marcel Gillet: 1973, Philippe Ariès: 1971, Gérard Noiriel: 1986). Tout en le
reconnaissant, Gérard Noiriel conteste pourtant l'image classique du 'mineur de
père en fils', qui surestime fortement, selon lui, l'hérédité professionnelle et
sociale de certains univers". In: SCHWARTZ, Olivier. Le monde privé des
ouvriers. Hommes et femmes du Nord. Paris, PUF, 1990. p. 70.
328. Voir: A) MURARD et ZYLBERMAN. Op. cit. B) ARIES. (1971). Op. cit. C)
GAILLARD. Op. cit.
329. Cf: A) TREMPE. (1971). Op. cit. Tomes I et II. B) NOIRIEL. (1986). Op. cit.
330. Dicton cité par l'ingénieur de mines Simonin en 1867: SIMONIN. (1981).
Op. cit. p. 263. Cette oeuvre a été écrite en 1857 par cet ancien ingénieur des
mines de la Loire, devenu le principal idéologue des compagnies (Information
obtenue auprès de MATTEI, Bruno. "Portrait du mineur en héros". In:
DESBOIS, Evelyne et alli. Op. cit. p. 88.
331. L'enfant n'est plus négligé et elle n'est plus la famille nombreuse de
l'ancienne société (Ancien Régime). Ainsi, nous pouvons suggérer que la
famille du temps de la Compagnie est une famille à mi-chemin de celle qu'Ariès
nomme famille moderne. A ce sujet voir: A) ARIES, Philippe. L'enfant et la vie
familiale sous l'Ancien Régime. Paris, Seuil, 1973. B) ARIES, Philippe. "Natalité
et chrétienté". In: ARIES. (1971). Op. cit. pp. 312 à 342. C) SHORTER, Edward.
Naissance de la famille moderne. Paris, Seuil, 1977 (1e édition: 1975).
332. SCHWARTZ. Op. cit. p. 70.
333. BOURDIEU. (1979). Op. cit.
334. Nous suivons ici BROMBERGER; CENTLIVRES; COLLOMB. "Entre le
local et le global: les figures de l'identité". In: SEGALEN (présenté par). (1989).
Op. cit. p. 139.
335. Voir à ce sujet: A) GIRARD, Alain. Le choix du conjoint. Paris, PURFINED. "Travaux et Documents". Cahier nº 70. 1974 (2e édition). 201 p. B)
SEGALEN. (1981). Op. cit. pp. 143 à 149.
336. Nous ne parlons pas de cloisonnement de l'aire matrimoniale. Cela dit,
n'oublions pas que nous sommes dans un pays d'origine agricole de fortes
traditions cévenoles. Les villages environnants offrent leurs fêtes typiques où
les jeunes du bassin minier viennent assez souvent. Ce qui explique d'ailleurs
des mariages entre mineurs et filles de paysans et vice-versa (?).
337. A l'exemple du Creusot. Cf: FREY. Op. cit. p. 83.
338. Cela concerne les mécanismes de stimulation à l'auto-reproduction de la
communauté de travail grand-combienne dont nous avons parlé
précédemment: reproduction initiale de la main-d'oeuvre pour stabiliser sur
plusieurs générations la population laborieuse et éviter les problèmes de
recrutement dans l'avenir.
En outre, voir Annexe 8: "Le mouvement naturel de la natalité à La GrandCombe".
339. GAILLARD. Op. cit. p. 169.
340. FLECHON. Op. cit. Tome I. pp. 50 et 51.
341. "L'intensité du célibat masculin dénonce l'aspect encore pionnier de
l'extraction houillère. En revanche, la fréquence des femmes mariées aux âges
les plus féconds augure déjà du niveau de la natalité". In: LAMORISSE. Op. cit.
pp. 131 et 132.
342. Voir Annexe 9: "Recensement de la Population de La Grand-Combe en
1846, 1851 et pourcentage des célibataires à La Grand-Combe en 1851 selon
Lamorisse".
343. Ibidem. p. 152.
344. FLECHON. Op. cit. Tome I. 91.
345. Sur quelques coutumes concernant les noces à La Grand-Combe, voir
TAURINES et CAMMARATA. Op. cit. Chapitre IV. pp. 30 à 33.
346. Voir Annexe 10: "Mariages en 1847 selon le lieu de naissance".
347. Voir Annexe 11: "L'examen des lieux de naissance, liste nominative de
1876".
348. Notes de M. Chevalier, cité par: GAILLARD. Op. cit. p. 164 et 165. En
plus: "Entre 1870 et 1880, 1455 personnes se sont mariées à La Grand-Combe
et les actes de mariage permettent de tirer les enseignements suivants: 60%
des personnes mariées au cours de ces 10 années sont natives du Gard, 18%
de la Lozère, 12% de l'Ardèche, 1,9% de l'Aveyron, 1,3% de la Haute-Loire,
1,1% de l'Hérault, 0,7% des Bouches-du-Rhône, 0,5% de l'Isère, 0,4% des
Hautes-Alpes, 0,3% du Cantal". In: GAILLARD. Op. cit. pp. 164 et 165. Selon
des études démographiques de la ville, entre 1846 et 1875, plus de 50% des
époux sont nés dans le département du Gard, mais un certain nombre d'entre
eux sont originaires des départements limitrophes: Lozère, Ardèche, Aveyron,
et aussi de la Haute-Loire, etc.
349. Voir, à titre d'exemple, Annexe 12: "Actes de mariage de 1847 et de 1857".
350. En 1847, deux filles d'agriculteurs convolent avec des agriculteurs, et deux
filles d'agriculteurs convolent avec des mineurs.
351. Cela ne veut pas dire baisse numérique de la population autochtone, mais
plutôt conversion des agriculteurs à l'industrie minière.
352. Voir à ce sujet, LAMORISSE. Op. cit. pp. 131 à 133.
353. Ibidem. p. 151.
354. Lamorisse le confirme autrement: Dans le brassage démographique
observé en 1876, la presque totalité des futurs époux résident à La GrandCombe lorsque les bans sont publiés: 213 fiancés sur 227. Cf. Ibidem. p. 152.
355. Cf. Ibidem. p. 152.
356. Comme l'observe Noiriel: "Un des leitmotiv des théoriciens du
'paternalisme' comme Frédéric Le Play, constamment répété par les patrons de
la grande industrie jusque dans les années trente, c'est que la femme est le
principal 'agent de stabilisation' des ouvriers nomades. De fait, à toutes les
époques, on constate que l'ouvrier immigré marié, c'est-à-dire bientôt père,
change ses habitudes. Il va moins souvent au café, parce qu'il n'est plus seul et
parce que ses ressources ne le lui permettent plus. Il ne vit plus en cantine,
mais cherche un véritable 'toit', un 'chez-soi'. La 'plus haute des solitudes'
s'atténue; l'ordinaire (repas, linge, etc.) s'améliore. Une nouvelle logique prend
forme. Avec la stabilisation de la population, le logement devient plus décent,
que ce soit en cité ouvrière ou en H.L.M. (PIN€ON. 1981). Fréquemment, c'est
à ce moment-là que s'achève le processus de regroupement de la
'communauté'". In: NOIRIEL. (1988). Op. cit. pp. 192 et 193.
357. Dans la société patrimoniale, le système d'héritage, "la propriété s'y
transmet, de génération à génération, en ligne masculine; ainsi, en Angleterre
et en France, la succession par primogéniture faisait passer les biens du fils
aîné de chaque génération au fils aîné de la génération suivante". Cf: SENNET.
(1981). Op. cit. p. 80.
358. Le système de famille paysanne étendue et élargie, par exemple. Nous
avons déjà parlé à ce sujet auparavant). En outre, voir: A) "La famille élargie du
Midi est le plus souvent du type communautaire (...)". In: BRAUDEL, Fernand.
L'identité de la France. Paris, Arthaud-Flammarion, 1986. p. 89. B) FLANDRIN.
(1984). Op. cit. Chapitre II. p. 54. C) SEGALEN. (1981). Op. cit.
359. Il est vrai que dans cette société paternaliste n'existe pas le problème du
patrimoine. "Les biens ne sont plus transmis légalement du père au fils aîné
selon le principe de primogéniture". Cf. SENNET. (1981). Op. cit. p. 81. Mais,
par rapport à la prédominance de l'autorité masculine, celle-ci est bien ancrée
dans les valeurs des familles d'origine cévenole. Comme l'observe Travier:
"Dans les familles cévenoles, la composante première est le Père. Il en est le
chef et le reste jusqu'à la mort, où l'héritier mâle lui succédera. Même âgé, il
conserve son autorité sur tous les groupes composant la famille. Dans le cas
d'une héritière, c'est l'époux de cette dernière qui assurera les fonctions de
responsable de la maisonnée. L'autorité appartient à l'homme qui domine toute
la famille et tout particulièrement la femme. Elle est toujours au second plan,
effacée derrière l'homme, bien que très active. Dans la Cévenne protestante,
elle s'identifie à l'épouse vertueuse des Proverbes 31 (v. 13 à 31). Le but, la
finalité de la femme cévenole à l'image du texte biblique est orienté vers
l'homme. Toutes les tâches classiques reconnues dans la vieille société
patriarcale comme siennes lui incombent (...)". Selon: TRAVIER, Daniel.
"Technique et vie quotidienne". In: JOUTARD. (Sous la Direction de). Op. cit.
Chapitre 5. p. 164.
360. "Si tout ce qui touche à la famille n'était pas entouré de dénégations, il ne
serait pas besoin de rappeler que les relations entre ascendants et
descendants elles-mêmes n'existent et ne subsistent qu'au prix d'un travail
incessant d'entretien et qu'il y a une économie des échanges matériels et
symboliques entre les générations. Quant aux relations d'alliance, c'est
seulement lorsqu'on les enregistre comme fait accompli, (...) que l'on peut
oublier qu'elles sont le produit de stratégies orientées en vue de la satisfaction
d'intérêts matériels et symboliques et organisées par référence à un type
déterminé de conditions économiques et sociales". In: BOURDIEU. (1980). Op.
cit. p. 280.
361. Sur le rôle du prêtre dans les systèmes des échanges matrimoniaux et
procréation, sous l'angle de la moralité familiale, voir entre d'autres: A) ARIES,
Philippe. "Natalité et chrétienté". In: ARIES. (1971). Op. cit. pp. 312 à 321. B)
DONZELOT, Jacques. La Police des Familles. Paris, De Minuit, 1977. Chapitre
5: "La Régulation des images". Item A: Le Prêtre et le Médecin. p. 155.
362. Lamorisse dans son analyse du cadre de fécondité à La Grand-Combe en
1886, plus significative que celle des villes voisines comme Bessèges, observe:
"Cette différence (...) peut se justifier par une emprise mieux assurée du
catholicisme à La Grand-Combe; il est permis aux prêtres d'y livrer avec un
certain succès 'de vigoureuses batailles dans le secret du confessionnal'" (il cite
ici FLANDRIN, Jean-Louis. L'Eglise et le contrôle des naissances. Questions
d'histoire. Paris, Flammarion, 1970. p. 83-86). Selon Lamorisse:
Nombre d'enfants pour cent femmes âgées de
25-29 20-24 30-34 ans
Bessèges
80
148
206
La Grand-Combe 104
172
253
Source: LAMORISSE. Op. cit. p. 134.
363. GAILLARD. Op. cit. p. 204.
364. FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 53.
365. Par groupe domestique, entendons "un ensemble de personnes qui
partagent un même espace de vie: la notion de cohabitation, de résidence
commune est ici essentielle (...)". In: SEGALEN. (1981). Op. cit. pp. 33 et
suivantes.
366. PIN, Henri. Les mines de houilles dans le Gard - la condition du mineur.
Thèse de Droit, Montpellier, 1914. (Nous ne connaissons pas le nombre total de
pages de cette thèse. Nous n'avons eu accès qu'à quelques chapitres
disperses qui ont été aimablement mis à notre disposition par un interviewé).
367. DONZELOT. Op. cit. p. 161.
368. "Dans la famille de l'ouvrier, la contradiction résulte de la nature de la
relation entre la femme et son mari, une relation qui ne repose pas sur l'égalité
mais qui est aliénée par la dépendance économique de la première à l'égard du
second. De même que le mari ouvrier est opprimé dans son travail dont le
produit sert la richesse et le pouvoir des autres mais pas lui-même et sa classe
sociale, l'épouse de l'ouvrier reproduit au sein du couple la relation de
dépendance entre celui-ci et son employeur capitaliste (...)". In: MICHEL.
(1986). Op. cit. Chapitre III, section 4: "Dorothy Smith: Famille et capitalisme de
monopole". p. 91.
369. GAILLARD. Op. cit. p. 174.
370. Nous avons développé précédemment notre point de vue à ce sujet. Voir
Chapitre 1, Section B.
371. FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 54.
372. Ouvrier travaillant à la mine.
373. SOURCE: Recensement de la commune de La Grand-Combe de 1846.
Mairie de La Grand-Combe.
374. En effet, selon le récit de Chaleil, nous ne pouvons pas dire qu'à cette
époque les familles nombreuses étaient abondantes: "A l'époque, on perdait
beaucoup d'enfants en bas âge; dans les familles nombreuses, le tiers, quand
ce n'était pas la moitié. J'ai le souvenir de tous ces deuils, et dans les
discussions, les femmes parlaient de leurs petits enfants morts. Il me semble
que c'était moins dramatique qu'aujourd'hui, les gens voyaient ça comme des
épreuves envoyées par Dieu, ils souffraient dans leur chair, mais ils se
résignaient. Un autre fils ou une autre fille naissait, et tout rentrait dans l'ordre.
La mortalité atteignait surtout les enfants jusqu'à l'âge de sept ans. Ce cap
passé, ils devenaient plus résistants. Mourir à onze, douze ans était accidentel.
La mauvaise alimentation, le manque d'hygiène, et plus encore les épidémies
étaient les responsables. Ou encore un refroidissement ou une rougeole mal
soignée. Les parents s'occupaient moins de leurs enfants parce qu'ils
travaillaient trop. Mais c'est surtout les épidémies comme la peste, la grippe
espagnole et le choléra qui faisaient des ravages. Cela vous décimait un
village". In: CHALEIL, Léonce. La mémoire du village. Les Presses du
Languedoc, 1983-1989. p. 126.
375. Sur la fécondité féminine voir: LAMORISSE. Op. cit. pp. 133 et 134.
376. Sur la mortalité à La Grand-Combe: A) "Ce sont les conditions d'existence
qui se sont délabrées et ce que, d'un point de vue purement statistique, nous
convenons d'appeler 'mortalité endogène' (...). Pendant la grossesse, la santé
et l'hygiène des femmes sont à la merci d'un travail pénible, d'un habitat
défectueux, de maladies sociales, de tout un environnement qui accentue les
risques d'accouchements difficiles où la vie du nouveau-né et celle de la mère
sont bien précaires"(...). "En effet, l'industrie extractive est devenue
indirectement une pourvoyeuse diligente des cimetières (...)". In: LAMORISSE.
Op. cit. pp. 136 à 141. B) "(...) alors qu'en France le taux de mortalité ne
dépasse que très rarement vingt-cinq pour mille, à La Grand-Combe jusqu'à
1884 il est toujours supérieur à trente-cinq pour mille, comparable à celui que
les Fran‡ais connaissaient au temps de Louis XV. La mortalité infantile en
particulier est de quatre-vint-cinq points au-dessus de la moyenne fran‡aise
(deux cent cinquante-deux pour mille contre cent soixante-sept pour mille, tout
à fait comparable au XVIIIe siècle). Après 1890, la situation s'améliore et se
rapproche des moyennes nationales". In: JOUTARD, Ph. "La Cévenne en
difficulté (du milieu du XIXe à nos jours). In: JOUTARD. (direction). Op. cit. p.
277.
377. Voir Annexe 13.
378. Cf. LAMORISSE. Op. cit. p. 130.
379. Au fil des années l'immigration diminue sensiblement, ceci étant dû à la
baisse des effectifs engagés par la Compagnie (stagnation aussi de la
production de charbon).
380. "En 1876, le célibat féminin présente des pourcentages voisins de ceux qui
s'observaient à la génération précédente". In: LAMORISSE. Op. cit. p. 132.
381. LAMORISSE. Op. cit. p. 132.
382. Selon Lamorisse, depuis 1876, la population autochtone à La GrandCombe ne cesse de s'étoffer: "elle ne cumulait alors que 43,7% du total
recensé, pourcentage qui atteint 54% en 1906". In: LAMORISSE. Op. cit. p.
210.
383. Ibidem. p. 200. Voir Annexe 14.
384. Selon Lamorisse, les mineurs pensionnaires correspondent très souvent
aux mineurs saisonniers. Cf. Ibidem. p. 145.
385. Ibidem. p. 151.
386. "Imaginez une cité ouvrière. Cent, deux cents ménages y vivent côte à
côte: les femmes, promptes à se quereller, surtout quand les maris sont
absents; les hommes, rentrés du travail, apportant dans la maison leur part de
trouble et de bruit; les enfants, renchérissant sur le tout par leurs cris continus
et leurs jeux bruyants (je passe sur d'autres incommodités), tout cela va bien
vite rendre cette caserne inhabitable et la changer en un enfer". In: SIMONIN.
(1981). Op. cit. Chapitre XI. En effet, cet ingénieur de mines fait dans ce
chapitre l'apologie de l'habitat isolé, puisque, continue-t-il: "Avec les logements
isolés chacun est libre, ne gêne pas son voisin, et charbonnier est maître chez
lui, c'est ici le cas de le dire. Le besoin de l'isolement a été tel sur quelques
houillères, qu'il a même fallu renoncer au modèle des cités ouvrières de
Mulhouse qu'on avait essayé d'y introduire. Dans ces maisons, quatre familles
peuvent s'abriter sous le même toit, mais ont chacune un logement à part.
L'indépendance est aussi grande que possible. Eh bien! cela n'a pas suffi, au
moins dans les houillères de Saône-et-Loire, et il a fallu partout, à Blanzy, au
Creuzot, à Epinac, en venir aux maisons tout à fait isolées". In: Ibidem. p. 263.
387. Maints auteurs analysent la politique du logement ouvrier au XIXe siècle
en mettant en relief les dispositifs qu'industriels et hygiénistes développent pour
arriver à l'assujettissement des familles ouvrières. Les villes-usines sont vues
comme un modèle de panoptique, comme stratégies de "constitution des
ménages" où les rapports de voisinages deviennent contrôle social: la police
des voisinages/la police des familles. Voir: A) JOSEPH, Isaac; FRITSCH,
Philippe et BATTEGAY, Alain. Disciplines à domicile. L'édification de la famille.
Fontenay-Sous-Bois. Recherches nø 28. novembre 1977. B) MURARD et
ZYLBERMANN. "Réglementer et surveiller le voisinage, faire la police des
petites relations quotidiennes, et isoler la famille sur le logement". In: Op. cit. p.
206.
388. FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 51.
389. LAMORISSE. Op. cit. p. 151. Non seulement ceux qui manifestent un
comportement saisonnier conservent des liens avec le milieu rural, mais il
semble que certains de ceux qui s'étaient enracinés envoyaient une partie du
profit aux parents restés au village d'origine. Cf: TAURINES et CAMMARATA.
Op. cit. p. 52.
390. "On dirait que ce mot désigne plusieurs expériences. Et que si nous en
avons inventé l'image d'une défense des hommes contre ce qui les écrase,
cette définition fait encore l'objet d'un conflit. Et qu'elle en appelle à la lutte plus
qu'au sentiment". In: DUVIGNAUD, Jean. "La solidarité. Liens de sang et liens
de raison. Paris, Fayard, 1986. p. 10.
391. FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 60.
392. Les Cévennes désignées par les géographes concernent l'ensemble du
rebord Sud-Est du Massif Central, mais les Cévennes historiques, l'espace où
l'on se dit Cévenol, sont bien plus restreintes et s'étalent autour d'Alès, du
Vigan (Gard) aux Vans (Ardèche), du massif de l'Aigoual à celui du Lozère. Cf:
WIENIN. Op. cit. p. 4. En outre: "La Cévenne appartient traditionnellement à
l'arrière-pays bas-languedocien. Cette notion demeure chargée de tout son
sens physique: c'est l'imposant gradin par lequel le chênaie d'yeuse,
représentative de cette portion du domaine méditerranéen, grimpe jusqu'aux
confins de l'étage montagnard que caractérise la hêtraie; c'est le gigantesque
talus par lequel on accède aux hautes terres que couronnent les pelouses de
l'Aigoual et du Mont Lozère". In: LAMORISSE. Op. cit. p. 406.
393. Nous utilisons ici des expressions de Bourdieu. Cf: BOURDIEU, Pierre.
"L'identité et la Représentation. Eléments pour une réflexion critique sur l'idée
de région". In: Revue Actes de la Recherche en Sciences Sociales. Paris, Ed.
De Minuit, novembre 1980. nº 35. pp. 57 à 69.
394. "(...) On verra également que l'église s'est chargée de développer un esprit
et des actions de solidarité, conformant en cela un système qui, d'emblée,
s'imposait aux individus au-delà de leurs différences". In: TAURINES et
CAMMARATA. Op. cit. pp. 52 et 53.
395. Fruit d'une résistance commune. Beaucoup de choses à redire ici sur la
naissance d'une "conscience de classe". Cela échappe à nos propos.
396. "Ce métier, qui attirait des ouvriers d'élite, adroits et puissants, sérieux et
ordonnés, par les hauts salaires qu'il assurait, la considération dont il était
l'objet, l'indépendance relative qui en était la conséquence, les usait d'une
manière rapide et inéluctable. Combien Besson (Flechon) en connut-il de ces
hommes, souvent venus quelques années plus tôt de leur Ardèche ou de leur
Lozère natales, des pays méditerranéens ou de l'Europe Centrale, les uns avec
le visage tanné des paysans de la plaine, les autres avec les pommettes roses
des gens de la montagne, mais qui tous montraient dans le halo tremblotant
des lampes du chantier leurs silhouettes puissantes qui auraient tenté les plus
grands sculpteurs, et qui finissaient, avant la cinquantaine, pâles, amaigris,
crachant le sang, haletant pour donner à leurs poumons corrodés les dernières
bouffées d'air qu'ils pouvaient absorber! Fiers d'eux-mêmes et de leur travail
('C'est moi qui ai creusé le travers bancs de l'étage 40'), ils croyaient lutter
contre le mal insidieux en buvant beaucoup de lait, même s'ils n'abandonnaient
pas toujours la chique; ils se sentaient pleins de force et d'allant, jusqu'au jour
où la première hémoptysie les conduisait chez le Médecin de la mine. C'était le
début d'un long calvaire, entrecoupé de périodes de repos et de reprises d'un
travail, moins noble et moins rémunéré; avec les précautions d'hygiène que le
docteur imposait dans un logement exigu pour éviter la contamination des
enfants; avec les moments de rémission, suivis d'un abattement profond, avec
les forces qui peu à peu s'en allaient, les muscles qui s'amollissaient, les joues
qui se creusaient chaque jour un peu plus dans un visage où, seuls, les yeux
brillaient intensément. Cela durait ainsi quelques années où les camarades
disaient de l'ouvrier atteint 'il a fiat du rocher', jusqu'au jour où le coup de froid
achevait l'oeuvre commencée par la silice et emportait l'ancien travailleur
d'élite". In: FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 63.
397. "Il a fallu attendre 1945 et la création de la Sécurité Sociale pour que la
silicose fut enfin reconnue comme maladie professionnelle et la protection des
ouvriers au rocher mieux assurée et mieux contrôlée." In: Ibidem. Tome I. p. 64.
Sur la maladie "silicose" chez les mineurs grand-combiens vers 1930 voir:
Ibidem. Tome I. pp. 63 et 64.
398. Sur la complicité professionnelle voir: A) SIMONIN. (1981). Op. cit.
Chapitre XI. B) TOURAINE, Alain. La conscience ouvrière. Paris, Seuil, 1966.
pp. 64-82. C) TREMPE. (1971). Op. cit. Tome 1 et 2.
399. TAURINES et CAMMARATA. Op. cit. p. 52.
400. MATTEI, Bruno. "Portrait du mineur en héros". In: DESBOIS, Evelyne et
alii. Op. cit. p. 88.
401. A l'exemple des mineurs à Carmaux: "Son exercice entraîne une
organisation particulière de la vie quotidienne. Selon que les mineurs travaillent
au fond ou à la surface, qu'ils appartiennent au poste du matin ou du soir, ils
peuvent participer normalement ou non à l'existence familiale. Le mineur de
fond travaille à des heures telles qu'il doit dormir une partie du jour. Il se lève,
mange et se couche à contretemps par rapport aux occupations normales de sa
femme et de ses enfants. Si ceux-ci ou l'un d'entre eux est aussi employé à la
mine et fait partie de postes différents, il n'y a plus à proprement parler de vie
de famille possible, sauf le dimanche...". In: TREMPE. (1971). Op. cit. Tome 1.
p. 319.
402. Plus qu'une preuve de solidarité, le chef de famille adhère à son rôle de
père nourricier sans le remettre en question. Cf: TAURINES et CAMMARATA.
Op. cit. pp. 52 et 53. Selon Ariès, ce sont là des caractéristiques de la famille
moderne: "La famille ancienne était centrée autour de l'autorité paternelle et de
la gestion domaniale. La famille moderne s'organise en fonction de l'enfant et
de son avenir". Cf: ARIES. (1971). Op. cit. p. 330.
403. Nous suivons ici Schwartz, qui suggère: "(...) à la mine comme dans le
coron, les mineurs se sont suffisamment approprié leur univers pour s'y
retrouver 'chez eux'. Cette ré-appropriation défensive du territoire fut elle aussi
un facteur décisif d'enracinement: c'est par elle que le groupe s'est constitué en
sujet actif de sa vie sociale, et que chacun de ses membres, arrimant sa vie à
toute la communauté, pouvait reconquérir des forces et une identité. Du même
coup, le monde des mineurs se soudait autour d'une forte conscience
d'appartenance". In: SCHWARTZ. Op. cit. pp. 71 et 72.
404. ZONABEND. (1980). Op. cit. pp. 121 et 122.
405. GAILLARD. Op. cit. p. 131.
406. Ibidem. p. 123.
407. FREY. Op. cit. p. 96.
408. En France le décret du 3 janvier 1813 interdit le travail au fond de la mine
aux enfants de moins de 10 ans. La loi du 19 mai 1874 fixait à 12 ans l'âge
d'embauche et interdisait le travail de nuit avant 16 ans. La loi du 2 novembre
1892 stipule que les enfants munis du certificat d'études primaires institué par la
loi du 22 mars 1882 (établissant la scolarité obligatoire) pouvait y être employés
à l'âge de 12 ans (loi qui interdit avant 12 ans le travail des enfants). Pour le
contenu des lois promulguées sur la scolarisation de l'enfant-ouvrier et une
analyse voir: SANDRIN, Jean. Enfants trouvés, enfants ouvriers. 17e-19e
siècle. Paris, Aubier, 1982. 255 p.
409. "Au milieu du siècle, pour les mines fran‡aises, dix ans était l'âge
minimum d'admission au travail, en vertu de la loi de 1810 et du décret de
1813, mais il semble bien qu'il s'agisse d'un âge théorique pour les Compagnies
houillères qui ne respectaient pas les dispositions légales, (...)". In: TREMPE.
(1971). Op. cit. Tome 1. p. 140.
410. FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 55.
411. "Faute d'un apprentissage organisé et rationnel, le jeune gar‡on désireux
de devenir mineur s'initiait à son travail en exécutant, un à un, tous les métiers
du fond dont chacun lui apportait une connaissance nouvelle". In: TREMPE.
(1971). Op. cit. Tome 1. p. 115.
412. FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 92.
413. "La lutte de chaque jour contre ce que nous avons appelé avec notre
grand poète Hugo l'anankè, la fatalité des éléments, a fait du houilleur un sorte
d'ouvrier-soldat, discipliné, plein d'énergie. Dans cette armée du travail, les
vieux instruisent les jeunes, et ceux-ci acquièrent bien vite, par la pratique
assidue du chantier, une foule de qualités solides, la patience, la réflexion, le
sang-froid, sans lesquelles il n'est pas de bon mineur. Il faut rompre aussi le
corps aux plus dures fatigues, braver en face de continuels périls, s'accoutumer
à la vie sous terre". In: SIMONIN. (1981). Op. cit. p. 257.
414. La loi du 13 mai 1875 précisait que les enfants de 12 à 16 ans pouvaient
être utilisés que pour les fonctions dites accessoires. La loi du 2 novembre
1892, retarda à dix-huit ans le moment où le jeune ouvrier recevait l'autorisation
de travailler au fond. Cf. TREMPE. (1971). Op. cit. Tome I. p. 140.
415. FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 55.
416. Journal Le Pays Cévenol et Cévennes. D'Alès - La Grand'Combe à Florac.
Hebdomadaire Régional d'Informations d'Annonces Légales et Judiciaires
agréé pour l'ensemble du département du Gard. 1983. Document: "Le travail
des Enfants dans les manufactures, usines, mines, ateliers, de l'arrondissement
d'Alais - Rapport - Gard, 1867".
417. Article de R. Aubaret, 7 juin 1980. Journal Le Pays Cévenol et Cévennes.
D'Alès - La Grand'Combe à Florac. Hebdomadaire Régional d'Informations
d'Annonces Légales et Judiciaires agréé pour l'ensemble du département du
Gard. Le 7 Juin 1980.
418. A ce sujet voir: TREMPE. (1971). Op. cit. Tome I. pp. 140 et 141.
419. SCHWARTZ. Op. cit. p. 68.
420. NOIRIEL. (1986) Op. cit. p. 1O9.
421. Parmi d'autres: MALVA, Constant. Ma nuit au Jour le Jour. Journal écrit en
1937, divulgué par l'auteur en 1938, publié en Belgique en 1952. Cet auteur
écrira: "Ce n'est pas vrai que le mineur aime son métier. Ils ont du mal à s'en
défaire, mais de là à l'aimer! Ils se maudissent tout le temps de l'avoir choisi: ils
ne l'ont d'ailleurs pas choisi, il leur fut imposé par certaines circonstances. oui,
les mineurs maudissent leur métier." In: MALVA, Constant. Ma nuit au jour le
jour. Paris, Maspéro, 1978. 2O3 p.
422. GAILLARD. Op. cit. p. 175.
423. PACZKOWSKI et VIELZEUF. Op. cit. p. 52.
424. Quoique le but idéologique développé par les écoles privées créées par le
système Schneider au Creusot (industrie métallurgique, 1856), et par la
Compagnie à La Grand-Combe, finisse par être le même - "l'école constitue
une préparation à la division du travail; elle représente l'antichambre de
l'univers hiérarchisé de l'entreprise" - celui développé par les établissements
Schneider est plus spécialisé, ayant formé non seulement la plus grande partie
du personnel "non qualifié" mais aussi des ouvriers qualifiés et des ingénieurs
'maison', ce qui n'a pas été le cas à La Grand-Combe où le personnel
spécialisé venait du rang des grandes écoles d'ailleurs... Ce qui n'invalide pas
pour autant la comparaison par rapport au contrôle exercé par ces deux
administrations industrielles dans les établissements d'enseignement. Nous
nous approprions ici l'analyse faite par Fran‡ois PORTET et Marcel TEITLER
dans le texte "Identité sociale et territorialité de deux villes industrielles de taille
moyenne: bistrots et quartiers au Creusot et à Montceau-les-Mines". In: Op. cit.
p. 60.
425. Pour Gaillard, cette stratégie de "recrutement" de la Compagnie visait à
masquer l'antagonisme irréductible existant entre le capital et le travail (...) et
par là même les antagonismes de classe sont rendus plus flous, moins
perceptibles, voire même annihilés. Cf. GAILLARD. Op. cit. p. 135.
426. FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 55.
A l'exemple du système Schneider au Creusot: "La promesse d'une mobilité
sociale intergénérationnelle est donc étroitement associée avec une éducation
morale au service des intérêts de la famille Schneider. L'éventualité que cette
possibilité devienne réalité dépend à la fois de critères 'objectifs' (l'intelligence,
le talent) et de la fa‡on dont les valeurs et les normes encouragées par le
patronat sont intériorisées par les candidats à la promotion". Cf: PORTET,
Fran‡ois et TEITLER, Marcel. "Identité sociale et territorialité de deux villes
industrielles de taille moyenne: bistrots et quartiers au Creusot et à Montceaules-Mines". In: Op. cit. pp. 60 et 61.
427. Cf. GAILLARD. Op. cit. p. 133.
428. Ibidem. p. 131.
429. FAVEDE. Op. cit. pp. 79 et 80.
430. FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 55.
431. FREY. Op. cit. p. 76. De plus: "L'institution scolaire en est le support et
sanctionne, par la réussite ou l'échec, les chances que l'on a de changer de
situation dans la succession des générations". Dans ce sens l'école apparaît
comme "moyen de production des qualifications et compétences dont l'usine a
besoin, la scolarisation devient l'instrument privilégié de l'insertion de la
condition salariale dans la quotidienneté". In: FREY. Op. cit. p. 98.
432. Nous nous référons à l'Ecole des Maîtres Mineurs d'Alès, dirigée par M.
Jules Callon, ingénieur-chef des Mines de La Grand-Combe. Un arrêté
ministériel du 25 février 1845 le chargea des fonctions de directeur de cette
école qui venait d'être fondée par ordonnance royale. En 1846, le ministre des
travaux publics, de passage à Alès, l'autorisait à cumuler ses fonctions avec
celles d'ingénieur-chef des Mines de La Grand-Combe. Cette école avait pour
objet de donner une instruction théorique, modeste mais suffisante, à des
jeunes gens justifiant par la production de leur livret, qu'ils ont pendant un an au
moins travaillé comme ouvrier dans une mine. Callon assuma aussi la
coordination de la cuisine et des dortoirs de cet établissement, et les
programmes d'étude: 'Après avoir dressé la liste des matières enseignées, il
allait jusqu'à fixer la composition de l'ordinaire et à imposer des mesures
d'ordre, de discipline et d'hygiène, comme la toilette à grande eau le matin,
dans la cour, qui donnera à des mineurs le go–t et l'habitude de la propreté'.
Trente ans après, l'organisation de l'école suivait encore le programme établi
par Callon, sans changement. Cf: Journal Le Pays Cévenol et Cévennes.
D'Alès - La Grand'Combe à Florac. Hebdomadaire Régional d'Informations
d'Annonces Légales et Judiciaires agréé pour l'ensemble du département du
Gard. Nø 1114. Le 1ø Octobre 1983.
433. Selon Gaillard, c'est grâce à l'émigration occasionnelle et aux
licenciements - qui augmentent à partir de 1896 - qu'on observe quelques
situations de rupture de ce système. In: GAILLARD. Op. cit.
434. GAILLARD. Op. cit. p. 22O. En outre: "Nul doute que la fin de 1848 et
l'année 1849 ont été pour les ouvriers de la Compagnie des 'années terribles',
celles de la répression et de la prolétarisation accélérée. Cependant, pour le
patronat de la Grand-Combe, le germe de la révolte avait été extirpé, le terrain
avait été déblayé pour la mise en place des mécanismes fondamentaux de la
ville-usine tels que nous les avons analysés, mécanismes destinés à éviter à
jamais le retour d'événements aussi préjudiciables à la bonne marche d'une
entreprise capitaliste". In: Ibidem. p. 224.
435. GAILLARD. Op. cit. p. 217. Selon cet auteur, ces étrangers étaient perçus
par les autochtones comme "les agents, inconscients et involontaires, de la
prolétarisation. En faisant un travail à la fois de pédagogie et de
commandement, ils apparaissent, aux yeux des paysans-mineurs de la GrandCombe, comme des alliés objectifs de la maîtrise, des ingénieurs, du Directeur".
In: Ibidem. p. 218.
436. Ibidem. pp. 219 et 22O.
437. Gaillard raconte la révolte des ouvriers par rapport à l'ingénieur de mines
M. Callon, arrivé en 1846 pour mener le processus de prolétarisation. Cf.
Ibidem. pp. 221 et 222.
Voir aussi: DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 64.
438. Voir: A) PUECH. "Panique financière à la suite des événements de 1848".
In: PUECH. Op. cit. Tome II. p. 76. B) TURPIN. Op. cit. pp. 3 et 16. C)
GAILLARD. Op. cit. pp. 217 à 224.
439. Cf. Gaillard Op. cit. pp. 223 et 224. De plus: "Cette année-là, à la faveur du
mouvement révolutionnaire des 22, 23, 24 février qui substitua la République à
la Monarchie de Juillet et prit fin le 26 juin 1848 avec l'écrasement des forces
révolutionnaires, 3OO ouvriers belges et piémontais furent expulsés par les
ouvriers de la mine qui sabotèrent les chantiers. C'est cet événement qu'on a
appelé "l'affaire des Piémontais". M. Thibaudet, ingénieur, fut débarqué pour
"manque d'énergie". Il fut remplacé le 24 octobre 1849 par M. Fran‡ois Beau
(qui était directeur des Mines de Rochebelle) avec le titre de directeur (...)". In:
PACZKOWSKI et VIELZEUF. Op. cit. p. 197.
440. Le recensement de 1851 confirme une forte chute du nombre des
étrangers au sein de la population agglomérée qui, en augmentant, était
cependant passée à 4.730 habitants (4.693 fran‡ais, 5 allemands, 2 belges, 5
espagnols, l polonais et 24 autres).
441. "Cet essor est du à l'émergence de la révolution industrielle dans le sud de
la France et notamment à l'augmentation massive des demandes de
charbonnières. Les augmentations de la demande auront différentes origines;
essor de la métallurgie gardoise jusqu'en 1880, accroissement des besoins sur
le marché méditerranéen et notamment dans le domaine des chemins de fer et
de la navigation fluviale et maritime et pour l'industrie marseillaise en plein
essor". In: DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 52.
442. A ce sujet voir: PUECH. Op. cit. pp. 291 et 292. Voir aussi: GAILLARD.
Op. cit. pp. 132 et 133.
443. Turpin parle de 955.742 tonnes de charbon pour 1891. In: TURPIN. Op.
cit. p. 7.
444. Ibidem.
445. Voir à ce sujet: A) DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 38. B)
LAMORISSE. Op. cit. Chapitre: "La mortalité". p. 136.
446. "Cercle du Progrès et Cercle de l'Avenir, à La Grand-Combe, début 1881".
A ce sujet voir: SUGIER, Fabrice. Mouvement ouvrier et mouvement socialiste
dans le Bassin Industriel d'Alès. Maîtrise, Montpellier III, 1985, 155 p. En plus:
"Le cercle des travailleurs de la Grand-Combe se transforma rapidement en
chambre syndicale des Travailleurs, d'autres groupes se forment dans les
localités environnantes peuplées d'ouvriers de l'entreprise: "Cercle des
Travailleurs des Salles du Gardon", ville située en face de la Grand-Combe de
l'autre côté de la rivière; "cercle de l'Union de Trescol", plus au nord dans la
vallée; "cercle de l'Avenir du Pradel", à l'est de la ville-usine; "cercle de l'Egalité
des Taillades", hameau ouvrier de Branoux, près de Trescol, sur la rive droite
du Gardon". In: GAILLARD. Op. cit. p. 233.
447. Suivant la suggestion de Frey pour les licenciements effectués à Creusot
1814-1925, cela présente au moins trois aspects: "force de dissuasion, ils
incitent à la soumission; répression de quelques éléments politiques précis, ils
permettent, au-delà d'une efficacité immédiate, d'avoir l'impression de
reprendre en main une situation conflictuelle; justifiés par des conflits et des
grèves, ils permettent de réajuster les effectifs aux besoins de la production". In:
FREY. Op. cit. p. 111.
448. DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 65. De plus, sur la grève de 1881,
origine, déroulement et conséquences, voir: GAILLARD. Op. cit. pp. 233 à 247.
449. Sur les élections législatives dans cette période voir: A) "Les objectifs
implicites contenus dans la répression de 1881 ont donc été parfaitement
atteints: La Grand-Combe est redevenue le point faible de la lutte des classes
dans le Gard, rebelle à l'anarchisme qui se développe à Bessèges, au
socialisme implanté à Alais et même au Républicanisme et à la la‹cité, credo
officiel du régime. Bastion du conservatisme, du monarchisme, du cléricalisme,
la théocratie capitaliste coule des jours heureux alors que la tempête sociale
secoue périodiquement une ville comme Bessèges pourtant si proche". In:
GAILLARD. Op. cit. p. 247. De plus, voir: Ibidem. p. 245 et suivantes. B)
LAMORISSE. Op. cit. p. 204. C) SUGIER. (1985). Op. cit. 155 p.
450. Sur le syndicalisme à La Grand-Combe voir: A) GAILLARD. Op. cit. pp.
249 et suivantes. B) Voir aussi PUECH. Op. cit. C) SUGIER. (1985). Op. cit.
451. Voir Annexe 15.
452. Gaillard. Op. cit. pp. 253 et 255.
453. "Si l'on croit le journal 'Le Petit Proven‡al' du 21 février 1897, ce sont
maintenant les économats qui risquent de voir leur clientèle diminuer au profit
du commerce local: (...)". In: Ibidem. p. 292 et 263.
454. Voir à ce sujet Ibidem. p. 259 à 262.
455. Ibidem. p. 283.
456."(...) on mesure ici la rapidité et la profondeur des événements car, en
quelques mois, l'on est passé de l'ordre et de la discipline la plus totale, à la
révolte ouverte contre ces principes mêmes qui fondent toute l'idéologie et la
pratique patronale depuis plus d'un demi-siècle". (...) "... une évolution des
esprits, en d'autres termes, une prise de conscience, qui brûle les étapes et fait
voler en éclats, en quelques mois, tout le système d'institution mise en place
par la Compagnie dans le cadre de la théocratie capitaliste. Les placards contre
Graffin et les ingénieurs, les explosions, le syndicat, la grève d'octobre 1896,
les conflits ouvriers-maîtrise sur les chantiers, l'élection des délégués mineurs
syndiqués, le rôle de Rouquette - président du syndicat - qui ne cesse de
s'amplifier, les chahuts contre de Ramel - député, homme politique officiel de la
Compagnie des Mines - la manifestation de joie lors du succès du mouvement
d'octobre, les drapeaux rouges, la désaffection vis-à-vis des économats,
forment un tout et illustrent les multiples facettes de ce vertigineux processus
d'émancipation du prolétariat de La Grand-Combe si longtemps prisonnier de la
toile d'araignée patronale". In: Ibidem. pp. 259 et 263.
457. Voir la chanson des grévistes de La Grand-Combe in Gaillard. Ibidem. p.
281.
458. Comme le signale Sennet par rapport à l'effondrement de la politique
paternaliste:"(...) le paternalisme tire sa force du contrôle de fait que les pères
exercent en ce qui concerne leurs enfants. Dans aucune famille ce contrôle
n'est amour pur ou pouvoir pur; altruisme et égoïsme s'y allient. Comme le dit
Hawthorne: 'La bienveillance est ici la soeur jumelle de l'orgueil'. Cette alliance
devient consciente quand les enfants s'irritent d'être ainsi dominés et que le
parent se sent trahi par leur révolte. Elle est pleinement ressentie à ce moment
critique, parce que toutes les parties concernées ont pris conscience de sa
structure". In: SENNET. (1981). Op. cit. pp. 102 et 103.
459. Depuis 1892, la production va toujours en diminuant. Elle était en 1892 de
891.5OO tonnes, en 1895 elle chute à 729.OOO tonnes, soit 162.500 tonnes en
moins. Les difficultés sont surtout dans l'ordre de la commercialisation du
charbon, causées par la co‹ncidence d'un tarif exorbitant de transport ferroviaire
vers la Méditerranée et la concurrence avec les charbons anglais qui
envahissent littéralement les marchés méditerranéens. "Les problèmes
principaux de l'entreprise ne sont pas liés à la production mais à la
commercialisation du produit". Cf. DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. pp. 55 et
56. De plus: "Depuis 1875-80, l'essor économique mondial est jalonné de crises
plus ou moins localisées; dès 1890, la situation s'aggrave partout en raison de
la chute généralisée des prix industriels. Le bassin cévenol est sévèrement
touché par cette dépression; le malaise se dissipera au début du XXe siècle".
In: LAMORISSE. Op. cit. pp. 2O4 et 205.
460. TURPIN. Op. cit. p. 7.
461. Communication au Conseil d'Administration de la Caisse des Retraites.
Séance du 25 mars 1897. In: PUECH. Op. cit. Tome II. pp. 511 à 516.
462. "Historique de la grève de 1897, le 12 avril". In: PUECH. Op. cit. Tome II.
pp. 508 à 535.
463. Résultat de la grève du 12 avril 1987: Ouvriers congédiés = 578; Ouvriers
démissionnaires = 668; Total = 1.246 renvoyés sur 5.200 ouvriers (et sur 319
employés); Départs volontaires ou mises à la retraite = 381 (368 ouvriers et 13
employés); Effectifs le 31 juillet = 3.650 ouvriers et 306 employés. Cf: PUECH.
Op. cit. Tome II. pp. 534 et 535. Un total de 1.246 personnes, selon la lettre du
délégué syndicaliste M. Vita de 2 avril 1897 au Préfet, qui dénonce que sur 21
membres du conseil syndical, 19 figuraient sur la liste des renvoyés. Cf.
GAILLARD. Op. cit. pp. 288 et 289. Vielzeuf parle d'autour de 4.000
licenciements dans la grève des mineurs de 1897 à La Grand-Combe (du 11
avril au 14 juin 1897), sur 5.000 ouvriers que comptait alors la Compagnie des
Mines de La Grand Combe. Cf: VIELZEUF, Aimé. "Cinquante ans avant
Ladrecht, la grève de 1929 à La Grand'Combe: souvenirs d'enfance". In:
BALTERS (sous la direction de). Op. cit. Mais si la Compagnie licencie un
grand nombre de mineurs, ce n'est pas seulement par mesure de répression
vis-à-vis du mouvement syndical. Cela résulte, selon Gaillard de la
convergence de trois types de motivations: lº) Tuer le syndicalisme naissant et,
avec lui, tout le processus d'émancipation qui progresse à une vitesse
vertigineuse et menace de ruine l'ensemble du paternalisme théocratique; 2º)
Assainir les finances de l'entreprise en limitant au maximum le coût des
retraites qu'elle s'était engagé à verser en vertu des statuts de la "caisse de
prévoyance" de 1891; 3º) Perfectionner l'outillage et améliorer l'organisation du
travail pour augmenter la production par mineur et baisser les prix de revient
pour survivre aux difficultés économiques du moment. Cf: GAILLARD. Op. cit.
p. 292.
464. Sur les préjudices du poste de nuit comme prix de revient voir: PUECH.
Op. cit. Tome II. p. 538.
465. TURPIN. Op. cit. p. 13.
466. GAILLARD. Op. cit. p. 298.
467. Selon le recensement de 1901 la population totale de 11.484 habitants
dans la commune de La Grand-Combe comprend 11.423 individus français et
61 étrangers. En plus, 834 maisons et 3.164 ménages.
468. LAMORISSE. Op. cit. p. 205.
469. DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 66.
470. Les marchandises sont arrêtées, les voyageurs transportés entre Trescol
et la caserne du Gouffre. Selon le Compte-rendu de l'exercice de 1896, dans
l'Assemblée de l'Administration de la Compagnie en 1897: "L'exercice de 1896
a été particulièrement difficile pour la Compagnie des Mines de La
Grand'Combe. Dans la perte du puits du Gouffre 1, dans la catastrophe
naturelle, tout le matériel se trouvant au fond et dans les puits a été perdu, dont
nous avons parlé dans le compte-rendu de l'exercice précédent". In: PUECH.
Op. cit. Tome II. p. 493. Sur cette catastrophe voir aussi: TURPIN. Op. cit. p.
14.
471. "(...) La règle des huit heures fut introduite dans les mines en 1905. Elle ne
s'applique d'abord qu'aux seuls ouvriers occupés à l'abattage. La loi du 31
Décembre 1913 la généralisa à l'ensemble du personnel du fond des houillères,
tandis que les ouvriers du jour n'en bénéficièrent qu'en 1919" ("loi de huit
heures" votée en avril 1919). In: Annales des Mines. "Evolution de la sécurité
dans les mines, minières et carrière de 1841 à 1962". Janvier 1985. p. 28.
472. En effet, les élections législatives de 1914 consacrent le socialiste M.
Valette, qui bat le candidat de la Compagnie, M. De Ramel. Mais nous n'allons
pas nous attarder sur ce sujet, développé clairement dans les thèses suivantes:
A) GAILLARD. Op. cit. Chapitre "Crise Economique et Lutte de Classes: la fin
du mythe paternaliste (1896-1914). pp. 248 à 308. B) SUGIER, Fabrice. La
Classe Ouvrière et le Mouvement Ouvrier dans les Mines de Charbon du
Bassin d'Alès, 1914-1922. Thèse de Doctorat, Université Paris VIII, 1990. 1081
p.
473. COMPAGNIE DES MINES DE LA GRAND-COMBE (1836-1936). LIVRE
D'OR. Op. cit. p. 35. Voir aussi: A) PUECH. Op. cit. Tome I. p. 155 et 156. B)
"La guerre de 1914-1918 a ouvert l'ère des crises charbonnières: la destruction
d'une partie des mines du Nord et du Pas-de-Calais, en tête de la production
française depuis la seconde moitié du XIXe siècle, a provoqué une pénurie de
combustibles qui entravait la reconstruction du pays. A cette cause
fondamentale, mais circonstancielle, s'ajoutaient les effets de la chute du
rendement des mineurs de fond, et de la réduction des effectifs. Deux données
alarmantes qui mettaient en péril le redressement de la production, car elles
étaient communes à toutes les mines de France. Pour compenser le recul de la
production, le gouvernement devait accroître les importations, (...) mais les
pays exportateurs, dont l'Angleterre, eux-mêmes en proie à une crise de
production, réduisaient leurs livraisons tout en augmentant leurs prix. Il était
donc urgent pour toutes ces raisons (difficultés et chute des importations) de
réduire l'écart entre production et consommation, en élevant le niveau français
de l'extraction, et d'assurer l'alimentation du pays en énergie, au meilleur
compte". In: TREMPE. (1989). Op. cit. p. 5.
474. Cf. JOUTARD, Ph. "La Cévenne en difficulté (du milieu du XIXe à nos
jours)". In: JOUTARD. (sous la direction de). Op. cit. Chapitre 7. p. 279.
475. FAVEDE. Op. cit. p. 36.
476. Cadre de production:
1864 500.000 tonnes 1915 715.069
1891 955.749
1916 812.674
1913 903.753
1917 1.236.858
1914 769.526
1918 1.278.340
"En fait, la production ne représentera jamais les possibilités réelles de
l'entreprise qui peut, dès le début du XXe siècle, extraire plus d'un million de
tonnes de charbon par an. Les deux guerres mondiales révèlent la tendance au
fonctionnement en sous-capacité. 1.278.000 Tonnes de charbon extraites en
1918 contre 635.000 en 1919". In: DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 43.
477. Gaillard parle de 1038 prisonniers en mai 1918, dont un fort contingent
d'allemands. En 1917, c'est sur des ouvriers russes que la Direction a pu
compter. Le 25 Janvier 1918, la Compagnie renvoie les ouvriers russes et
quelques allemands. In: GAILLARD. Op. cit. p. 206.
478. Cf. TURPIN. Op. cit. p. 8.
479. Le nombre de morts est de 3O4, selon COMPAGNIE DES MINES DE LA
GRAND-COMBE (1836-1936). LIVRE D'OR. Op. cit. p. 18.
480. TURPIN. Op. cit. p. 8.
481. De plus, il faut tenir compte de la "répugnance des Français envers ce
métier dur et dangereux", qui entraîne des difficultés de recrutement de la maind'oeuvre nationale. Cf: TREMPE. (1989). Op. cit. pp. 107 à 110.
482. En France, "dans les mines, la proportion des immigrés passe de 6,4% en
1901 à 42% en 1931". Cf.: NOIRIEL. (1988). Op. cit. p. 141.
483. DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 68.
484. Sur le déclin du milieu rural, voir LAMORISSE. Op. cit. pp. 214 à 321.
485. FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 92.
486. "La mobilisation (1914) n'ayant pas plus épargné les ouvriers que les
paysans, la population du bassin industriel ne sort pas moins éprouvée du
conflit que celle des vallées rurales. Dans l'ensemble, on peut estimer que 10 à
20% des décès enregistrés de 1914 à 1918 concernent des soldats. Pour la
même raison, la natalité tombe de 1915 à 1919 jusqu'à la moitié de ce qu'elle
était auparavant. C'est ainsi qu'au recensement de 1921 apparaît un déficit
global de quelque mille personnes par rapport à 1911 et que, ultérieurement,
les pyramides des âges porteront les stigmates classiques de la tragédie: sousreprésentation de plusieurs classes masculines et encoches de basse natalité".
Cf: LAMORISSE, René. "Une Vitalité Diversement Menacée dans le Bassin
Houiller et les Petites Villes". In: Op. cit. p. 283.
487. JOUTARD, Ph. "La Cévenne en difficulté (du milieu du XIXe à nos jours).
In: JOUTARD. (sous la direction de). Op. cit. pp. 284 et 285.
488. GAILLARD. Op. cit. p. 212. Ce recours à l'immigration massive n'est pas
de la même nature que celui des périodes précédentes. A) D'abord cette affaire
permet à l'Etat et au grand patronat de freiner un peu les avances rapides de la
classe ouvrière française sur les droits démocratiques. De plus, "ce type de
main-d'oeuvre peut être étroitement adapté aux nécessités de la conjoncture,
donnant une souplesse au marché du travail que l'économie française n'avait
pas connue depuis longtempp. De même, l'immigration massive a permis
d'exercer une pression à la baisse sur les salaires qui n'est pas sans rapport
avec l'ampleur des bénéfices constatés". In: NOIRIEL. (1986). pp. 131 à 136. B)
Le but était de renforcer mais aussi de renouveler une main-d'oeuvre locale et
d'introduire dans la mine une plus grande discipline ainsi que le principe de la
division du travail. En autre, la loi sociale réduisant à quarante-huit heures la
durée de la semaine de travail, réduit le profit sur les effectifs, obligeant la
Compagnie à augmenter sa force de travail.
489. Questionnaire du C.C.H.F. sur la main-d'oeuvre polonaise travaillant dans
les houillères fran‡aises. In: GAILLARD. Op. cit. p. 209.
490. Cf. FAVEDE. Op. cit. pp. 39 et 40. Cela concerne la Société Générale de
l'Immigration.
491. GAILLARD. Op. cit. p. 221.
492. DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 69. Cette orientation expressive vers
les pays nord-africains s'explique aussi par les difficultés d'embauche
d'étrangers européens: loi de 1932, loi de 1938 et la politique du
contingentement... Voir à ce sujet: TREMPE. (1989). Op. cit. pp. 111 et 114.
493. Mais cela concerne une autre époque: "au temps de la nationalisation des
mines" que nous allons développer plus loin. L'autre conjoncture favorable à
cette immigration a surgi après la Seconde Guerre, à partir de 1947, surtout
entre 1953 et 1955, et entre 1963 et 1966.
494. FAVEDE. Op. cit. pp. 43 et 44.
495. "Le contraste est frappant entre 1876 où Lamorisse recense seulement
cinquante étrangers à La Grand-Combe et 1936 où il en compte deux mille
deux cent trente-deux". Cf: JOUTARD, Ph. "La Cévenne en difficulté (du milieu
du XIXe à nos jours). In: JOUTARD. (Sous la Direction de). Op. cit. Chapitre 7.
p. 285.
Effectifs de la Mine en 1933:
espagnols: 139 italiens: 337 algériens: 148
tchèques: 395 polonais: 189 divers: 27
En ce qui concerne la totalité des effectifs travaillant dans la Compagnie des
Mines de La Grand-Combe:
Effectifs Jours Fonds Maîtrises Cadres
1920
2642 3434
1930
2964 3779
1933
2016 3180
207
27
Source: TURPIN. Op. cit. p. 9.
496. GAILLARD. Op. cit. p. 211.
497. Sur l'ensemble du bassin houiller: "En valeur relative, ces immigrés
constituent, dès 1923, 18,5% du personnel des Compagnies (...)". Cf:
JOUTARD, Ph. "La Cévenne en Difficulté". (du milieu du XIXe à nos jours). In:
JOUTARD. (Sous la Direction de). Op. cit. Chapitre 7. p. 285.
498. Voir Annexe 16.
499. GAILLARD. Op. cit. pp. 206 et 207.
500. Nous suivons ici FAVEDE. Op. cit. p. 49.
501. LAMORISSE. Op. cit. p. 292.
502. DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 87.
503. Voir à ce sujet: A) BEAURAIN, Nicole. "Le 'creuset' français ou le mythe de
l'intégration douce: les Républicains espagnols". In: Revue Internationale de
Recherches et de Synthèses Sociologiques. L'Homme et la Société. "La Mode
des Identités". Paris, L'Harmattan, Nouvelle série nø 83. 1987/1.
504. "De plus, comme l'a montré Max Weber, à propos de l'attitude des ouvriers
américains pauvres vis-à-vis des Noirs, la xénophobie populaire s'explique
aussi parce que 'l'honneur social' du groupe qui correspond le mieux aux
normes dominantes dépend du déclassement des nouveaux venus, de ceux qui
apparaissent comme différents". In: NOIRIEL. (1986). Op. cit. p. 139. D'ailleurs,
"(...) si l'on trouve des Français dans les secteurs dévalorisés de la production,
c'est aux postes de commande (ingénieur), d'encadrement (contremaîtres,
porions dans les mines), ou au moins de forte qualification (ouvriers
d'entretien). (...) Bien que nous n'ayons pas de statistiques qui distinguent des
échelons à l'intérieur de la classe ouvrière avant la Deuxième Guerre mondiale,
toutes nos sources (...) prouvent que la main-d'oeuvre étrangère monopolise les
emplois inférieurs appelés de façon indifférenciée jusqu'en 1945 'manoeuvres'".
In: NOIRIEL. (1988). Op. cit. p. 143. A ce sujet voir également les études
ethnologiques des banlieues de Colette Petonnet, notamment: PETONNET,
Colette. "On est tous dans le brouillard". Paris, Galilée, 1985. 26O p. Dans ce
livre, chapitre 6, elle dit à ce sujet: (...) la "nécessité de recréer des différences
et de se démarquer par rapport à l'infériorisation apparaît clairement." Ibidem.
p. 220.
505. CHABROL, Jean-Pierre. "L'adieu au charbon". In: GeoSociété. Nø 64. Juin
1984. p. 63.
506. LAMORISSE. Op. cit. p. 295.
507. SEGALEN. (1990). Op. cit. p. 115.
508. Cf. FAVEDE. Op. cit. p. 46.
509. GAILLARD. Op. cit. pp. 209 et 210.
510. S'il y a eu préméditation d'isoler la communauté polonaise, il est sûr que
ce détail ressort peu dans les souvenirs des habitants grand-combiens, alors
que, parmi les mineurs du Nord-Pas-de-Calais, la communauté polonaise a
beaucoup souffert de la discrimination (c'est du moins ce que nous pouvons
supposer en lisant les mémoires des mineurs du Nord). Voir à ce sujet: EDE,
François et MERCIER, Pierre. Mémoire de la mine. Images d'histoires. INA et
Editions le Sycomore - 1981. Section: "L'immigration polonaise dans les années
20". p. 14 à 23.
511. Cela dit, la Compagnie a pris la précaution d'expulser les polonais "auteurs
et promoteurs de résistance à l'ordre et la discipline", en décembre 1920. Ceux
qui restent entonnent le credo du patronat de La Grand-Combe. Voir les lettres
de la Direction de la Compagnie envoyées au Secrétariat de la main-d'oeuvre
étrangère au CCHF. In: GAILLARD. Op. cit. pp. 208 et 209.
512. GAILLARD. Op. cit. p. 213.
513. Tous les études sur La Grand-Combe signalent sur ce fait à maintes
reprises: GAILLARD, FAVEDE, DUCKERT et LARGUIER. Opp. cits.
514. Courant 1933, "les ouvriers étaient, soit des français qui remplissaient au
fond des postes de chefs d'équipe et deviendraient plus tard des porions, soit
des étrangers, polonais, italiens, espagnols; il y avait également quelques nordafricains." Cf: FLECHON. Op. cit. Tome. II. p. 144.
515. "En effet, pour nuancer sans doute l'apparente facilité d'un tel processus,
on 'remarque' généralement qu'il s'agissait alors de populations étrangères
certes, mais 'moins étrangères' cependant que les Turcs ou les Maghrébins
d'aujourd'hui. Question d'identité! Il y aurait des identités plus ou moins
différentes* (*. Cette idée d'une différenciation des identités implique bien
évidemment celle d'une hiérarchie des identités mais alors qu'en général cette
hiérarchisation appartient au domaine du non-dit... ) de l'identité française, non
par nature mais plus ou moins proches géographiquement, techniquement ou
culturellement. Par exemple, entre Français, Espagnols et Italiens la distance
serait moindre: ne sommes-nous pas voisins et même parents puisque latins et
catholiques romains?". Cf: BEAURAIN, Nicole. "Le 'creuset' fran‡ais ou le
mythe de l'intégration douce: les Républicains espagnols". In: Op. cit.
516. L'identité politique, du moins en ce qui concerne les sentiments antiAllemagne, n'est pas dérisoire non plus. La Guerre joue certainement un rôle
important dans le processus d'intégration régionale. Cet aspect mérite d'être
approfondi, mais déborde de nos objectifs présents, plus ponctuels.
517. Ceci ne veut pas dire qu'il n'a pas existé de conflits dans leur processus
d'intégration. Voir, par exemple, les problèmes qui éclatent avec la crise de
1934 et l'expulsion des polonais des mines françaises. In: EDE et MERCIER.
Op. cit. p. 17.
518. Cf. FAVEDE. Op. cit. p. 45.
519. GAILLARD. Op. cit. p. 212.
520. NOIRIEL. (1988). Op. cit. p. 330.
521. Santucci, M.R., "La main-d'oeuvre étrangère dans les mines de La
Grand'Combe jusqu'en 1940". In: Colloque mines et mineurs en LanguedocRoussillon, Montpellier, Dehan, 1977. Cité par NOIRIEL. Ibidem. p. 313.
522. FAVEDE. Op. cit. pp. 43 et 44.
523. Quoique nous ayons à revenir plus tard sur ce sujet, nous n'avons pas
pour objectif ici de développer les représentations concernant la "construction
sociale de la différence" dans le processus du travail. Notre critère ici se limite à
rappeler la forte hérédité professionnelle développée par la Compagnie, dans la
gestion de son personnel. Nous avons démontré l'importance que
l'appartenance religieuse joue pendant le XIXe siècle. Après la Première
Guerre, tandis que ces critères tendent à s'affaiblir - puisque la Compagnie
engage elle-même des travailleurs de différentes appartenances religieuses
(chrétiennes et non chrétiennes) - celui de la nationalité tend à prendre un poids
plus important.
524. GAILLARD. Op. cit. p. 213.
525. Journal l'Emancipateur, article signé de Fontanieu, cité par: GAILLARD.
Op. cit. pp. 319 et 320.
526. DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 66.
527. Dans ce sens, le rôle joué par le syndicaliste Georges Vital est
fondamental. Sur son action, voir GAILLARD. "Après l'entracte social et
politique de 'l'union sacrée', la Grand'Combe est le théâtre d'une intense lutte
de classes (1914-1921)". In: GAILLARD. Op. cit. pp. 308 et suivantes.
528. "Voici donc La Grand-Combe, à l'image des autres cités minières voisines,
dotée d'un syndicat puissant, appelant ouvertement les ouvriers à le rejoindre,
créant une coopérative ouvrière pour prendre en charge une partie de la
distribution et lutter ainsi contre la cherté de la vie, occupant les postes de
délégués-mineurs et de délégués à la caisse de secours, postes faisant partie
intégrante jusque là du domaine réservé du patronat local". Selon: GAILLARD,
Jean-Michel. "La vigueur nouvelle du mouvement ouvrier à La Grand-Combe".
In: GAILLARD. Op. cit. pp. 313 à 315.
529. "Dès la fin de 1918, l'apparition d'un mouvement ouvrier et combatif
amène le développement du mouvement syndical, qui tend à s'affilier au
mouvement ouvrier national. Dès lors, l'histoire des grèves de la Compagnie
suit l'ensemble des mouvements des mines françaises. C'est ainsi que les
mouvements des revendications sociales ne se passent plus dès 1917 dans
l'univers clos de la vieille usine, les syndicats maintenant organisés ont pris pied
dans tout le pays et déclenchent des offensives suivies par toutes les mines
françaises. Ce sera le cas en 1919, en 1921, en 1923, 1929, 1933, 1936, où les
principales revendications sont d'ordre social... ". In: DUCKERT et LARGUIER.
Op. cit. p. 66.
530. GAILLARD. Op. cit. p. 319.
531. GAILLARD. Op. cit.
532. En effet, l'appel à une nouvelle main-d'oeuvre étrangère à ce moment-ci
concerne, entre autres aspects, un effort de la Compagnie de reprendre en
main la situation et la position de souveraine qui ne cesse de s'affaisser face au
processus de politisation des mineurs grand-combiens qui n'hésitent plus à
critiquer leur condition de vie. Empruntons ici à Ariès, tout en émettant quelques
réserves en raison des spécificités de chaque groupe ouvrier, son analyse sur
les mineurs du Nord depuis la guerre de 1914: "(...) dégagés de l'emprise du
groupe, ils devinrent plus critiques, plus raisonneurs. L'individu s'émancipa de
la collectivité. Désormais, le travail de la mine leur parut plus dur, quelques-uns
hésitèrent à le reprendre. Beaucoup songèrent à le quitter. Personne ne
s'estima tout à fait rivé à sa profession. Ainsi, dans le pays noir, le milieu perd
de sa ancienne cohésion. Les forces collectives ne sont plus assez puissantes
pour retenir le travailleur, s'il est sollicité de s'établir ailleurs. Il ne serait même
plus nécessaire qu'intervienne une trop grande dénivellation des salaires". In:
ARIES. (1971). Op. cit. p. 106.
533. "(...) Si les détenteurs de capitaux languedociens n'en souscrivent que le
tiers, les financiers marseillais et surtout parisiens en acquièrent la moitié, les
de Rothschild ayant, à eux seuls, retenu 11.000 parts". Cf. CARRIERE, P. "Les
industries cévenoles aujourd'hui". In: JOUTARD, Ph. (sous la direction de). Op.
cit. Chapitre 8. pp. 300 et 301.
534. Voir Annexe 17: "La grève de 1929".
535. VIELZEUF, Aimé. "Cinquante ans avant Ladrecht, la grève de 1929 à La
Grand'Combe: souvenirs d'enfance". In: BALTERS (sous la direction de). Op.
cit. p. 15. Voir également p. 8.
536. "L'énorme handicap de la Compagnie des Mines de La Grand-Combe se
situe au niveau du prix de revient du produit, plus cher que le charbon exporté.
Dès lors, l'échec était inévitable. (...). La production est peu concentrée, les
investissements sont trop faibles et les structures financières dépassées". In:
DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 60.
537. "La Compagnie des Mines de La Grand-Combe, qui produisait surtout des
charbons de chauffage et des briquettes pour les trains rapides, traversa cette
période avec des ennuis limités. On embaucha peu et les jours de chômage,
consécutifs aux difficultés d'écoulement de la production, furent relativement
moins nombreux que dans d'autres compagnies, qui produisaient des charbons
industriels. Même réduits en nombre, ils furent cependant douloureux à
supporter pour les ouvriers, payés à l'heure, alors que les 'mensuels' n'étaient
pratiquement pas touchés. (...) Pour faire face à ces multiples difficultés, il
devenait encore plus nécessaire de moderniser l'outil de production, en
développant une concentration des travaux, rendue maintenant possible par la
mécanisation qui pénétrait au fond. La consommation d'air comprimé
augmentait dans les mines grisouteuses, entraînant au jour l'installation de
nouveaux compresseurs.(...)". In: FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 136.
538. DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. pp. 57 et 58.
539. "Quant aux compagnies minières, une fois passés les trois mois difficiles
qui ont suivi la victoire du Front populaire (de juin à septembre 1937), elles ont
tiré le meilleur parti de la double nécessité nationale de protection du marché
charbonnier et d'augmentation de la production fran‡aise. Afin de leur
permettre d'investir (au moins théoriquement) elles ont obtenu de l'Etat la
reconstitution de leurs marges bénéficiaires réduites par la crise économique...
Dès 1937, leurs bénéfices sont en ascension. Le niveau élevé qu'ils atteindront
en 1938-1939 leur sera garanti par le gouvernement de Vichy sous lequel les
compagnies ont prospéré en dépit des difficultés: les augmentations de capital,
les prises de participation, en font foi". In: TREMPE. (1989). Op. cit. p. 237.
Sur les dispositifs développés pour appeler les mineurs à leur identité de
travailleurs sous le Front populaire, réactivation également du "mythe du
mineur" au service d'un gouvernement de gauche, voir: DEBOIS, Evelyne et
alii. Op. cit. pp. 39 et 41.
540. Trempe définit trois phases de cette "Bataille du Charbon": "la première
débuta en 1937 sous le Front Populaire, la deuxième se déroula sous
l'occupation allemande, la troisième s'ouvrit à la Libération". TREMPE. (1989).
Op. cit. p. 6.
541. TREMPE. Ibidem.
542. Nous suivons ici: A) MATTEI, Bruno. "Portrait du mineur en héros". In:
DEBOIS et alii. Op. cit. p. 97. B) MALVA. Op. cit.
543. Selon, TURPIN. Op. cit. p. 21. A ce moment-là, les services administratifs
sont centralisés dans les nouveaux bureaux, sur la place Bouzac à La GrandCombe, construits en 1923. L'organisation administrative était alors, ainsi
déterminée: 1º division) Exploitations de Ricard, Le Pontil, La Fontaine et Sans
Nom; 2º division) Exploitation de la région de Trescol; 3º division) Exploitation
de la région de Champclauson. Entre les deux guerres, cette division a été
supprimée et rattachée à la 2º division; 4º division) Exploitation de Laval; 5ø
division) Exploitation de St-Jean-de-Valériscle.
544. "(...) le Front Populaire arriva au pouvoir, en mai 1936. Les occupations
d'usines qui se produisirent alors en France ne trouvèrent que peu d'échos à La
Grand-Combe; quelques journées de grèves interrompirent le travail. Mais, bien
vite, syndicats et directions se réunirent et adoptèrent un accord, calqué sur
celui établi dans les houillères du Nord-Pas-de-Calais, stipulant la suppression
"des heures en bas", c'est-à-dire du fait, que sur les lieux du travail, un chef
porion pouvait décider de pénaliser un ouvrier qui remplissait mal sa tâche, en
lui supprimant une, deux, ou plusieurs heures de pointage, qui ne seraient alors
pas payées. Une telle pratique n'existait pas dans les charbonnages des
Cévennes, encore que le système des amendes pour infractions au règlement y
fut admis; mais le produit de ces amendes devait être versé à la Société de
Secours des mineurs. Il y avait cependant la sanction de l'arrêt de travail par
mesure disciplinaire, ce que l'on appelait, pour ceux du fond, 'arrêter la lampe';
ou encore le déplacement au jour, aux salaires plus faibles. Mais ces sanctions
relevaient de l'ingénieur; l'intéressé pouvant présenter une réclamation et,
depuis les derniers accords, se faire assister dans sa démarche par le déléguémineur. Les salaires furent augmentés; quelques ouvriers licenciés après la
grève de 1929 furent réintégrés. La loi reconnut à ceux qui jusque là n'avaient
rien un minimum de deux semaines de congés payés. La semaine de quarante
heures, en cinq jours de travail, sans baisse de salaire, fut instituée. (...)
L'explosion de joie apportée par le Front Populaire fut grande dans le bassin
minier. Tous ces hommes qui, auparavant, ne pouvaient prendre de repos que
lorsqu'ils étaient blessés ou malades, voyaient enfin reconnaître leur dignité. Ils
pourraient désormais, sans perdre leur salaire, rendre visite à des parents
éloignés, faire des courses à la ville, ou passer quelques jours dans une
location au bord de la mer." In: FLECHON. Op. cit. Tome I. p. 147 à 149.
545. PROST, Antoine. Petite histoire de la France au XXe siècle. Paris, Armand
Colin, 1979. p. 38. et 39.
546. Sur les élections en 1936, voir: LAMORISSE. Op. cit. pp. 306 et 307.
547. Nous retournons à ce sujet plus loin.
548. Quoique la Droite elle aussi fasse un bon score, comme l'analyse
Lamorisse pour les élections de 1936. "(...) la redistribution des suffrages au
second tour est symptomatique d'un état d'esprit: la crainte d'une écrasante
victoire communiste conduit à droite une fraction des bulletins S.F.I.O (...). Très
'rouge' le 29 avril, l'électorat de La Grand-Combe en paraît si effrayé que le 6
mai le candidat communiste ne retrouve même pas toutes les voix qui l'avaient
désigné le dimanche précédent; Fran‡ois de Ramel effectue ainsi une très belle
remontée avec les suffrages qui s'étaient égarés auparavant du côté de la
S.F.I.O. et du Parti communiste. (...) Alors qu'autrefois le bassin houiller
composait un bloc réactionnaire en face d'une Cévenne rurale plus émancipée,
c'est la situation inverse qui se dessine en 1936. Toutefois, si le candidat
communiste s'impose partout (...), il convient de noter que son concurrent,
socialiste modéré ou conservateur, garde encore de nombreux partisans et que
La Grand'Combe reste un fief (certes délabré) de la Droite". Ce glissement à
l'extrême-gauche "traduit les progrès de la propagande politique et syndicale
parmi des travailleurs massés en noyaux denses, plus jeunes que les ruraux
des hautes vallées, plus perméables à l'idée de propriété collective des moyens
de production et plus réceptifs aux promesses touchant l'amélioration de leur
pouvoir d'achat, la défense de l'emploi et la conquête des avantages sociaux".
In: LAMORISSE. Op. cit. pp. 307 à 308.
549. "La guerre et la défaite de juin 1940 ont aussi déclenché une crise de la
main-d'oeuvre. L'invasion allemande a provoqué l'exode des populations et des
milliers de mineurs se sont dispersés à travers la France. Certains ont été
immobilisés à Paris, d'autres ont pu atteindre les zones minières du Centre et
du Midi (comme en 1914); 15.000 mineurs mobilisés environ étaient prisonniers
de guerre; des étrangers, dans des proportions impossibles à préciser, avaient
profité de l'occasion pour rejoindre leur pays. C'est le cas d'un certain nombre
d'espagnols attachés jusque-là aux mines du Midi, et de milliers de nordafricains. D'autre part, à peine installés, les Allemands avaient déporté 8.000
mineurs polonais en Allemagne, réduisant encore leur contingent déjà amoindri
par l'enrôlement volontaire de milliers d'entre eux dans l'armée polonaise levée
en France et prisonnière en Suisse". In: TREMPE. (1989). Op. cit. p. 99.
550. "Les Compagnies minières en contrepartie de la limitation de la
concurrence et pour sauvegarder leurs prix de vente, donc leurs bénéfices, ont
dû composer avec lui et accepter une surveillance de plus en plus étroite de
leur gestion et de leurs méthodes d'exploitation". Ibidem. p. 235. Sur le contexte
de l'exploitation minière française et les conditions de travail sous l'occupation,
voir: A) KOURCHID, Olivier. Production Industrielle et Travail sous l'Occupation.
Les Mines de Lens et les Mineurs. 1940-1944. ANT-CNRS. "Travail-EmploiMode de Vie". Groupe de Sociologie du Travail. Paris, CNRS, Université Paris
VII, 1985. 405 p. B) DEBOIS, Evelyne. "Des ingénieurs perdus. Le procès de
l'exercice du métier d'ingénieur dans les mines sous l'occupation". In: DEBOIS
et alii. Op. cit. pp. 114 à 119.
551. Parmi les résistants "maquisards", nombreux étaient des mineurs de La
Grand-Combe. "Le pays cévenol, pays de liberté, où la résistance à
l'oppression est, de tradition, solidement enracinée dans les coeurs, retrouve
facilement la dure voie de l'opposition armée. Nombreux sont les jeunes
mineurs qui, chaque mois, vont grossir les rangs des combattants; ils
reviennent la nuit, se fournir en outils, en autos, en explosifs, dans les dépôts
de la compagnie des mines qu'ils connaissent bien." In: FLECHON. Op. cit.
Tome II. p. 185. Sur la résistance dans le Gard, voir: VIELZEUF, Aimé. Ardente
Cévenne. L'organisation de résistance de l'Armée du Gard et de Héraut. Nîmes,
Lacour/Rediviva, 1988. 326 p.
552. "En 41 (...) le ravitaillement est très médiocre. (...) Dans le domaine du
vêtement, même pénurie. (...) Les hommes grognent, et, un matin le
mécontentement éclate: la grève est déclenchée. Dans les heures qui suivent,
l'intendant de police de Vichy arrive d'urgence à La Grand-Combe avec ses
hommes. Des voitures automobiles munies de hauts-parleurs parcourent les
différents quartiers de la ville: 'Mineurs de La Grand-Combe reprenez le travail
demain'. Le lendemain, des policiers en camion interpellent les passants dans
les rues, leur demandant s'ils sont des mineurs en grève, et sur leur réponse
affirmative les arrêtent. L'après-midi ils sont transférés, au nombre de plusieurs
centaines, dans un camp, près de Nîmes. Ils y resteront plusieurs jours,
cependant que les chefs syndicalistes les plus notoires seront envoyés quelque
part du côté de Colomb-Béchar pour y construire une voie ferrée. (...) Après
quelques jours de détention dans la garrigue nîmoise la plupart des mineurs
sont renvoyés à leur travail. La grève a été brisée, mais la haine grandit dans
les coeurs." In: FLECHON. Op. cit. Tome II. p. 181.
553. TREMPE. (1989). Op. cit. p. 228.
554. Ibidem. pp. 228 et 229.
Sur la grève du 10 au 22 octobre 1943, voir: KOURCHID. (1985). Op. cit. p.
381.
555. "La société est toujours le lieu d'un affrontement permanent entre facteurs
de maintien et facteurs de changement; elle porte en elle les raisons de son
ordre et les raisons du désordre qui provoquera sa modification. Cette instable
balance explique néanmoins que les adaptations (connotées en langage
politique par le terme: réformisme) soient plus nombreuses, plus fréquentes,
que les transformations structurelles globales (de caractère révolutionnaire).
Cette caractéristique du système social - être le produit de dynamismes qui le
constituent et le menacent tout à la fois, les uns étant agents de la continuité et
les autres de la transformation - comporte une conséquence dans le cas des
sociétés globales. En leur sein, la coupure résultant du succès de l'entreprise
révolutionnaire n'est jamais complète. La révolution n'est jamais totalement
victorieuse; ce qui détermine les diverses tentatives conduites afin d'entretenir
la révolution dans la révolution, selon la formule reprise par R. Debray". In:
BALANDIER, Georges. Sens et puissance. Les dynamiques sociales. Paris,
Quadrige/PUF, 1983. p. 107. (1e édition: 1971).
556. Selon Turpin, la Compagnie des Mines de La Grand-Combe laissait une
infra-structure d'exploitation du charbon "fatiguée" par plusieurs années
d'exploitation intense, mais entièrement électrifiées et qui allaient permettre de
porter la production, dès 1946, à un million de tonnes de charbon de la qualité
maigre à la qualité 1/2 gras dans les exploitations suivantes: - exploitation des
puits de Champclauson et des Luminières; - exploitation des puits de La
Fontaines, de Castelnau et du Pontil ; - exploitation (gisement d'anthracite) du
puits Ricard; - exploitation du puits Laval; - exploitation du puits en St-Jean-deValériscle; - exploitation de la découverte de Mercoirol; - lavoirs de Trescol, de
la Frugère et de St-Jean-de-Valériscle; - usine d'agglomération de La Pise; centrale d'air comprimé de La Forêt; - centrale d'électricité de La Pise; - ateliers
de mécanique, de chaudronnerie et d'électricité de La Pise; - les chantier du
futur siège des puits des Oules; - nouvelle usine d'agglomération de La Verrerie
et le fon‡age du puits de même nom; - d'autres projets: criblage et lavoir de
Ricard; renforcement de la capacité du lavoir de Trescol; centrale thermique du
FESC; grand siège des Oules, etc. Cf: TURPIN. Op. cit. pp. 12 et 13.
557. En 1945 M. Bonnevay qui était le Directeur de la Compagnie des Mines de
La Grand-Combe prend sa retraite. M. Ducasteing devient alors également le
Directeur de la Compagnie. (Voir Annexe 18).
558. L'ingénieur M. Flechon, devient ingénieur principal de l'exploitation (fond et
jour). Cf: FLECHON. Op. cit. Tome II. pp. 191 et 194.
559. Cf. Ibidem. p. 187.
560. Ibidem. p. 192.
561. Ibidem. p. 187.
562. TREMPE. (1989). Op. cit. p. 235.
563. FLECHON. Op. cit. Tome II. p. 187.
564. Les Mines de La Grand-Combe sont nationalisés en même temps que les
cinq autres Sociétés Minières régionales (la S.A. des Mines de Trélys, la S.A.
des Houillères de Rochebelle à Alès, la Compagnie Houillère de Bessèges, la
Société des Houillères du Nord d'Alès et la Compagnie Nouvelle des Mines de
Portes et Sénéchas) et que la Compagnie des Quatre Mines Réunies de
Graissessac, pour devenir partie des Houillères du Bassin des Cévennes. Cf:
TURPIN. Op. cit. p. 12.
565. DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 70.
566. Elevée par souscription publique en 1923
567. Nous utilisons le terme "mentalité" comme une catégorie du natif, parce
que ce sont nos interlocuteurs qui le favorisent, en nous expliquant, à maintes
reprises, l'existence d'une "mentalité grand-combienne". Nous y reviendrons
plus loin.
568. Nous nous approprions ici l'analyse faite par Pinçon sur la communauté de
travail (fer) à Nouzonville. In: PINÇON. Op. cit. p. 70.
569. DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 70.
570. "Et comme l'a dit Erikson, (...) le passé est reconstruit en fonction du
présent tout autant que le présent est expliqué par le passé. Il y a interaction".
Cf: LE GOFF, Jacques. Histoire et mémoire. Paris, Gallimard, 1988. p. 54. (1e
édition, 1977).
P A R T I E III
"AU TEMPS DE LA NATIONALISATION"
"Depuis la guerre ça a changé, ça a changé beaucoup... C'est-à-dire,
quand c'était la Compagnie elle était le patron, et tout ici c'était du patron, tandis
que là ça s'est nationalisé, c'était du gouvernement et c'était nous les patrons.
Alors là, on travaillait pour le gouvernement. (...) Mais après ils ont envoyé les
CRS, c'était la grève. Et puis ça a commencé a fermer, et alors là le
gouvernement a fait une croix rouge sur la Grand-Combe et voilà... on n'aura
jamais plus rien, jamais." (M. Cibuet, mineur retraité).
CHAPITRE 1
MOBILISATION ECONOMIQUE, MOBILISATION IDEOLOGIQUE:
LA NATIONALISATION DES MINES ET LES HEROS DU TRAVAIL.
Avec la réquisition de la Compagnie des Mines de La Grand-Combe par
l'Etat Français, suivie par la promulgation de la nationalisation des houillères, le
changement d'époque est patent. Les habitants grand-combiens s'y réfèrent
comme le vécu au "temps de la nationalisation des mines". Un moment de
profondes transformations pour la ville et ses habitants, dont les plus
ponctuelles (ou immédiates) concernaient les domaines économique et
politique.
En effet, ce secteur mono-industriel réquisitionné et nationalisé est
absorbé dans une nouvelle organisation productive - les "Houillères du Bassin
des Cévennes"(1), qui réunissent également la Cie. des Houillères de
Bessèges, la Sté. Anonyme des Mines de Cessous, la Cie des Mines de
Graissessac, la Cie des Houillères Nord d'Alès et de Saint-Martin-deValgalgues - formant un pôle de production régionale, dont le rôle est
d'exploiter les concessions du bassin cévenol (région englobant le Gard et un
centre d'extraction associé dans l'Hérault) et dont la nouvelle direction organise
les exploitations à partir de zones ainsi structurées:(2)
Groupe Nord: Bessèges, Trelys, Saint-Jean-de-Valériscle (cette
dernière mine était exploitée par la Compagnie des Mines de La Grand'Combe).
Les Compagnies sont regroupées sur le siège de Saint-Florent-sur-Auzonnet
(une des installations les plus modernes d'Europe à l'époque).
Groupe Centre: La Grand-Combe, Cessous, La Vernarède. La
concentration dans la vallée de Ricard des ateliers de traitement des
anthracites et des charbons maigres, et dans celle de Trescol, les productions
provenant des différents sièges et de la vallée de Cessous. Les principaux
secteurs de La Grand-Combe sont alors les puits Ricard et Oules II, profonds
respectivement de 680 et 450 mètres, au centre du bassin de La GrandCombe.
Groupe Sud: Rochebelle et Nord d'Alès. Pour assurer une extraction
unique des charbons près des usines de traitement de Fontanes et Destival, les
divers puits sont liés: puits Destival (755 m), puits de Saint-Martin-deValgalgues (ancienne compagnie du Nord d'Alès), gisement de Drulhes et, plus
tard, les puits de Rochebelle.
Groupe de Graissessac (dans l'Hérault): les quatre mines de
Graissessac sont réunies.(3)
Les anciennes concessions des diverses houillères du bassin cévenol
(21 puits en galeries d'extraction et 13 installations de criblage-lavage) ont ainsi
fusionné pour ne former qu'un seul centre régional producteur de charbon qui
englobait un territoire très vaste, intégrant diverses communes elles-mêmes
productrices de charbon. Les concessions appartenant anciennement à la
Compagnie des Mines de La Grand-Combe sont désormais identifiées comme
formant le "Groupe Centre", les plus "modernisées" à ce moment-là.(4)
"Sur le plan technique, la nationalisation supprime les limites de
concession, tracées arbitrairement, depuis la surface, et permet, de ce fait, la
continuité de certaines exploitations qui devaient parfois s'arrêter à dix ou vingt
mètres de cette limite, sans aucune nécessité technique. Enfin les ingénieurs
se connaîtront mieux, se documenteront mutuellement, visiteront leurs travaux
respectifs, alors que les anciennes sociétés, surtout sur le plan local, où la
concurrence était plus vive, s'opposaient souvent à ces visites et à
l'établissement de relations techniques suivies, comme s'il s'agissait de
protéger des secrets de fabrication. A moins qu'il n'y ait eu, dans cette façon
d'agir, le désir inavoué de conserver un certain mystère du problème de la
rémunération des cadres".(5)
La direction générale des Houillères du Bassin des Cévennes était
commandée par M. Jean Ricateau(6) (venu du groupe de l'Hérault)
qui
substitue M. Ducasteing, qui reçoit un poste d'"ingénieur-conseilleur" aux
Charbonnages de France(7). M. Pierre Boyer est confirmé comme directeur du
groupe Centre et M. Flechon demeure l'ingénieur-en-chef.(8)
Les ouvriers grand-combiens, quant à eux, sont dorénavant recensés
parmi l'ensemble des effectifs des Houillères des Cévennes, qui atteignaient
environ 21.000 personnes en 1947. Les différences liées à l'appartenance
villageoise ou communale des mineurs - l'intra-muros du pays minier du "temps
de la Compagnie" - ont été alors résorbées grâce à un facteur d'identification
qui les intégrait dans les limites du "bassin cévenol". Ainsi, mineurs béssegiens,
grand-combiens, alésiens, autochtones ou immigrants, sont désignés par une
appellation toponymique qui les lie: "mineurs cévenols" (nous réservons pour
un chapitre ultérieur la discussion concernant cette problématique).
Dans le domaine du pouvoir politique local, départemental et régional, de
nouveaux rapports de forces politiques s'installent avec l'hégémonie de la
gauche. A La Grand-Combe, les premières élections municipales après-guerre,
le 20 mai 1945, sont remportées par les communistes avec la victoire de M.
Rouvière (qui a été président du Comité de Libération d'ao–t à novembre 1944),
suivie par celle des socialistes en 1947, lesquels assument le contrôle définitif
du pouvoir municipal (nous développons ce sujet plus loin). En réalité, la ville
minière suit la même orientation que tant d'autres municipalités ont connue en
France au cours des années qui suivent la Libération.
"A la Libération, les forces politiques de gauche prennent le pouvoir dans
la plupart des municipalités du bassin minier".(9)
Côté travail, pour les ouvriers grand-combiens, l'innovation était avant
tout celle du "changement de patron", par le passage d'une "direction d'élite" à
une "direction de masse": "Avant c'était la Compagnie et depuis la guerre, c'est
l'Etat et le syndicat", nous déclare un mineur grand-combien. L'allusion au
syndicat comme participant à la gérance des Houillères est expliqué par la
participation
des représentants
des
"mineurs"
à
la
coordination
des
Charbonnages de France(10) et par la "participation ouvrière" à la gestion
socio-économique des Houillères, avec la mise en place des "comités
d'entreprise" créés en 1945.
"Le syndicat a accompli le même rôle d'assistance que jouait jadis la
Compagnie. Parce que vous avez la caisse de la sécurité sociale minière
dirigée par le syndicat, par les syndicalistes plutôt. Tout passait par là, les
emplois... Pour embaucher un jeune, il fallait voir un délégué C.G.T. ou un
délégué C.F.D.T., il fallait si vous vouliez être mieux placé... Si on veut, le
syndicat est devenu un petit peu le patron parce qu'il dirigeait le conseil
d'administration et, après la nationalisation, ce sont eux qui sont devenus les
patrons, le nouveau patronat, je crois. Je suis pas contre, mais en contrepartie
c'est 'la politique', tout ça, qui a provoqué les malentendus et difficulté le
progrès." (M. Landes. Fils de mineur).
Mais le changement vient aussi de la liberté de filiation politique et
syndicale. L'enthousiasme initial est énorme et les ouvriers militent en grand
nombre auprès du "parti ouvrier" (P.C.) et du "syndicat ouvrier" (la C.G.T.): "il y
a eu une période de fraternisation dans les mines du Gard" (M. Favede.
Directeur du C.F.P.A., section de La Grand-Combe).
Les changements de l'époque se révèlent d'une surprenante complexité.
Les mines passant de la condition "privée" à la condition "publique", la vie et le
travail des mineurs grand-combiens doivent être englobés dans le contexte
général de la politique de transformation du secteur charbonnier au niveau
national, devenu plus que jamais un point névralgique des forces de
renaissance de l'économie nationale. Certes, avant "les nationalisations", les
mineurs avaient déjà connu d'autres époques de mobilisation pour atteindre un
excédent de production, mais une nouvelle "bataille du charbon" est
déclenchée en 1945, par la remise en marche des houillères et l'indépendance
énergétique du pays(11), avec un déploiement de propagande énorme organisé
d'un commun accord par les Houillères, le P.C. et la C.G.T, dans une véritable
"mobilisation psychologique des mineurs"(12). En effet, le processus de
réquisition des mines était supposé aboutir à une "vraie nationalisation, où les
mineurs devaient participer à la gestion et à la direction"(13). "Autrement dit,
des nationalisations qui feraient des houillères une véritable propriété nationale
et dont les ouvriers auraient aussi la possession. Mais pour cela, il fallait gagner
la bataille du charbon".(14)
Sur le terrain des transformations du cadre politique interne, la position
de force qu'acquiert le syndicat C.G.T., par l'ampleur de son action et le
prestige qu'il obtient auprès de la classe ouvrière, et chez les mineurs plus
particulièrement, constitue véritablement une "révolution". La participation du
P.C.F. au gouvernement constitue elle aussi une nouveauté(15). Un
gouvernement qui, par ailleurs, face à la nécessité de reconstruire le pays et de
"sauvegarder l'indépendance nationale"(16), met en place un ensemble de
dispositifs tels que celui de la nationalisation des mines et celui de la
promulgation du Statut du mineur.
"1945: La bataille de la production succède à la bataille militaire. A
travers une mission économique (reconstruire la France) et politique (assurer
l'indépendance et la liberté), des enjeux idéologiques et institutionnels se
proclament ou se tapissent. Au nom d'une modernité sociale et politique - la
nationalisation du charbon, le statut d'avant-garde octroyé aux mineurs - une
autre scène se joue. Le mineur est baptisé 'premier ouvrier de France'. Il est
aussi témoin 'de la classe ouvrière devenue majeure' pour ceux qui, au Parti
communiste et à la C.G.T. se chargent de mener le combat en première ligne,
au nom de l'idéal socialiste et, l'histoire le voulant, du gouvernement français de
l'après-guerre (1944-1947). Une bataille du charbon où les mineurs furent
convoqués à une nouvelle gestion de leurs forces".(17)
De la sorte, autant le Parti que le syndicat joueront un rôle fondamental
auprès du pouvoir central dans le processus de nationalisation des mines et
dans l'élaboration des statuts de la catégorie des mineurs, promulgués en
1946.
"La C.G.T. entre dans les organes de décision des Houillères nationales
et contribue à élaborer le statut du mineur, qui depuis, régit la corporation.
Pendant deux ans, 1945 et 1946, les mineurs sont confrontés à une nouvelle
donne politique et se voient assigner un rôle déterminant dans la production,
donc dans le redressement économique du pays".(18)
En février 1946, c'est un mineur, Léon Delfosse, qui est nommé
directeur-adjoint des Houillères nationales. Dès lors, c'est l'Etat-patron, en une
coalition avec le Parti (P.C.F) et le syndicat (C.G.T), qui mobilise les mineurs et
demande un grand effort à la corporation pour qu'elle augmente sa productivité,
tout en promettant, par le Statut du mineur, des avantages sociaux(19). La
législation consacre l'Etat non seulement comme activeur industriel mais aussi
comme promoteur de progrès social pour les travailleurs mineurs et leur famille:
"il apporta beaucoup matériellement et moralement aux mineurs"(20).
Effectivement, après la nationalisation des mines, la victoire la plus
significative de la catégorie sera celle de l'approbation du Statut du Mineur, qui
entre en vigueur en 1946. Dorénavant, tout ce qui concerne les conditions de
vie de la communauté de travail minier sera réglé par le Statut, un régime
spécifique qui propose aussi des avantages de sécurité sociale et de retraite et
la reconnaissance de la silicose comme maladie professionnelle(21).
Par le biais du Statut, tous les mineurs connaîtront des améliorations
dans divers domaines du cadre de vie. Désormais, le mineur reçoit un salaire
supérieur à celui des autres industries, l'habitation (et le chauffage) gratuite est
garantie. De plus, ses enfants peuvent obtenir des bourses d'études (famille
nombreuse) et vont dans des colonies de vacances subventionnées par les
Houillères (maison de vacances sur la Côte d'Azur). Des sociétés de loisirs sont
organisées ou aidées par les Houillères.
La nouvelle "bataille du charbon", lancée au nom de l'intérêt national(22),
prend forme. Les années pendant lesquelles se déroule cette action de base ne
correspondront qu'à un bref laps de temps, mais les changements apportés
seront profonds.
Plus que jamais, les forces coalisées ont recours à des moyens de
propagande pour construire et diffuser l'image d'un ouvrier modèle faisant appel
à celle d'un personnage "mythique": "l'Homme-Charbon"(23). Cette propagande
élabore un prolétaire prototype et fait appel à un imaginaire tournant autour du
personnage héroïque du mineur de charbon vu comme un être courageux,
aimant son travail, attaché à sa fosse et à son quartier, "brandi à l'époque
comme parangon de la classe ouvrière"(24).
L'appareil étatique justifie sa politique par l'émergence d'une conjoncture
de reconstruction nationale appelant l'adhésion patriotique à cet engagement.
"(...) Mais au-delà de la situation nationale et internationale, l'oeuvre
entreprise vise à instaurer de nouveaux rapports entre les travailleurs, leurs
syndicats et l'Etat - à l'échelle d'un secteur de production - en construisant un
nouveau profil de l'ouvrier, un modèle 'moderne' où les luttes contre le patronatexploiteur laissent place à une collaboration avec l'Etat-employeur. L'ouvrier
cogérant obtient en contrepartie de sa responsabilité des conditions de vie
décentes (salaire, sécurité sociale, logement, loisirs)".(25)
Ainsi, le mineur et sa famille sont appelés à la réalisation d'une
importante mission: assurer l'indépendance et la liberté économique de la
France.
"Responsabilité morale et politique: conscience nationale et conscience
de classe mêlées ne doivent plus faire qu'un. La propagande reste donc au
niveau des généralités, représentant des systèmes (économiques) ou des
abstractions (intérêt national)".(26)
De même que tous les mineurs en France, les grand-combiens sont
engagés dans le plan de redressement de l'économie nationale, galvanisés par
le climat psychologique créé autour de la "bataille du charbon" (phase 1945:
pré-nationalisation, et 46-47, nationalisation), exaltés comme dans un combat
patriotique.(27)
"Pour hâter la reprise de la production, une 'bataille du charbon' est
lancée, (...). A nouveau l'imagerie est sollicitée: la 'fierté du mineur' et
l'héroïsation vont connaître une nouvelle fortune. Le mineur est l'homme du
renouveau, le 'soutier de la nation'. Et, plus le travail est dur, dangereux,
contraignant, plus il faut lui inventer un supplément de noblesse. Le parti
communiste et la C.G.T., qui institutionnalisent le salaire au rendement
individuel (dans le Statut du mineur), vont s'en charger".(28)
C'est pour la mise en place de la structure administrative par les
"Houillères des Cévennes" que les mineurs cévenols se sont engagés dans la
"bataille du charbon". L'ingénieur Flechon rapporte les événements à l'époque:
"Vers la fin de 1945, une première fois, Robert Lacoste ministre de
l'industrie vient demander un effort particulier aux mineurs, au cours d'une
réunion spéciale à Alès, à l'école des mines. (...) C'est alors une période de
collaboration exaltante dans l'effort. L'Etat-Major travaille en moyenne dix
heures par jour, tant au fond qu'à la surface. Sans compter, en supplément, les
descentes nocturnes, lorsqu'un accident grave, la mise en marche d'une
nouvelle méthode de travail ou une anomalie particulière du gisement ou de
l'exploitation nécessitent la visite immédiate des autorités et la prise de
décisions rapides. (...)
Tous ces efforts sont suivis et appuyés avec sympathie par le personnel
des comités de gestion. La nationalisation des charbonnages, intervenue en
1946, crée dans chaque Bassin Houiller français un établissement autonome
sous l'autorité d'un directeur général; les charbonnages de France devant
coordonner l'action de tous les Bassins tant du point de vue technique que du
point de vue financier. Un décret du 14 juin 1946 promulgue le Statut du
Mineur, qui fixe les modalités d'engagement, de classification, de titularisation,
de promotion, et de rémunération, de l'ensemble du personnel: ouvriers,
maîtrise, techniciens, ingénieurs. Y figure la grille des coefficients hiérarchiques
des différentes catégories d'agents, assurant ainsi à une corporation tout
entière vouée à des tâches particulièrement pénibles et lourdes de
responsabilités, des avantages certains, à l'époque, sur les autres professions.
Si, par la suite, et devant la substitution progressive au charbon de nouvelles
sources d'énergie, ces avantages furent quelques peu réduits, du moins
réussirent-ils, au départ et pendant un temps, à récompenser l'effort particulier
des mineurs. C'était à l'époque où le communiste Maurice Thorez, ministre de
l'Industrie du Général de Gaulle, demandait et obtenait du bassin du Nord-Pasde-Calais cent mille tonnes de charbon par jour pour contribuer au relèvement
de la France, où la solidarité était bien réelle entre les différentes catégories
professionnelles, du manoeuvre à l'ingénieur. C'était l'époque où Auguste
Lecoeur, délégué par Thorez, venait à Alès, comme l'avait fait Robert Lacoste
l'année précédente, et recevait ensemble ingénieurs, maîtrise et délégués des
ouvriers, pour leur demander un effort accru de production. Avec la C.G.T.,
majoritaire, dans les charbonnages, la présidence du Conseil d'Administration
des Charbonnages de France, comme celle du Bassin des Cévennes étaient
assurées par les secrétaires des fédérations nationale et cévenole des
travailleurs du sous-sol. Dans le même esprit de coopération, de nombreux
ingénieurs groupés dans des syndicats de Bassin autonomes, adhéraient à la
C.G.T.".(29)
Les Houillères des Cévennes vont ainsi contribuer aux succès
économiques de cette nouvelle relance nationale, en répondant à la demande
croissante de charbon pour la reconstruction de la France, par l'élévation du
rendement à un bon niveau de productivité.(30)
Pour les mineurs, c'étaient là des "temps nouveaux" dont la figure de
l'Etat était la référence externe qui permettait d'ordonner ce temps vécu. La
perspective, chez les mineurs, était que les changements allaient permettre la
sereine continuité d'une communauté basée sur le travail, bénéficiant d'une
amélioration de la qualité des conditions de vie, ceci grâce au Statut qui codifie
désormais l'essentiel des revendications de la catégorie et gomme les
inégalités sociales. En effet, le Statut du mineur promettait d'assurer une
condition de vie décente aux mineurs et à leur famille, ainsi que la stabilité du
travail et la sécurité sociale.
Tout un programme de modernisation des équipements est lancé, dans
le cadre de l'aide Marshall, regardant le Bassin des Cévennes. C'est M. Jean
Ricateau qui lance le programme sur place. Ce plan de production envisageait
une production annuelle de trois millions de tonnes pour les Bassins des
Cévennes, soit pratiquement le double de ce qui était produit avant la
nationalisation.
Selon le témoignage de l'ingénieur Flechon, le lancement du programme
des travaux de modernisation du bassin des Cévennes donne lieu à un
événement important et solennel. Le directeur général des Charbonnages de
France la préside. Une grande cérémonie est organisée sur la place JeanJaurès (ancienne place Bouzac) à La Grand-Combe. Toute la hiérarchie du
Bassin, tous les délégués syndicaux sont présents, ainsi que le représentant
officiel du ministère de l'Industrie, au milieu d'un grand concours de la
population. Les discours officiels à l'occasion se succèdent et mettent en avant
le programme de trois millions de tonnes fixé au bassin dans le cadre des
soixante-dix millions de tonnes prévues sur le plan national. La "tonalité" des
discours prévoyait dans la concrétisation de ces grands travaux, "le meilleur
gage de l'avenir de la population, celui de ses enfants et la prospérité de toute
la région Cévenole". Afin d'arroser l'événement, un grand banquet réunit les
invités dans les locaux du centre d'apprentissage de La Grand-Combe tout
récemment inauguré. Flechon décrit le "climat" dominant à l'occasion:
"L'euphorie de l'heure s'étend à tous les assistants, qui se sentent
pleinement disposés à apporter toute leur contribution personnelle d'intelligence
et de travail à l'oeuvre commune au programme ainsi défini".(31)
L'unité du bassin permet alors une exploitation beaucoup plus rationnelle
du gisement, par la création de nouveaux sièges d'exploitation(32), par
l'accélération d'une organisation du travail à la tâche - stimulé par le profit
individuel (pratique du salaire individuel)(33) - et par l'intensification du
rendement au moyen de la rationalisation et de la mécanisation de certaines
fonctions d'exploitation.
Cela démontre que les mineurs cévenols ont répondu aux appels du
gouvernement de gauche à la production et au rendement, en acceptant, par
idéal de lutte (en se mobilisant pour le P.C. et la C.G.T.) et comme étant la
seule issue pour la nation, la "militarisation du travail"(34).
Pour motiver ces mineurs et afin d'encourager au maximum l'effort de
production, l'Etat institutionnalise, entre autres, un prix régional de productivité
qui récompensait, par l'octroi d'un diplôme et d'une prime, les ouvriers d'un
chantier ou d'une taille qui obtenaient les meilleurs rendements.(35)
Le processus est maîtrisé par l'action syndicale. Les syndicats ont le vent
en poupe et reçoivent massivement de nouveaux adhérents. C'est la C.G.T. qui
concentre l'affluence des nouvelles adhésions et, surtout parmi les mineurs de
fond, elle va accentuer son monopole. Quant au P.C.F., c'est en tant
qu'orientation politique qu'il gagne du terrain parmi les ouvriers.
Après quelques années de satisfaction, résultat des actions menées pour
démocratiser la vie des Houillères, tout semblait aller pour le mieux. On vivait
une réforme où le processus de division du travail, autant dans le système
productif que hiérarchique, se modifiait et se démocratisait. Les ouvriers se
syndicalisaient massivement et les ingénieurs, de leur côté, leur emboîtaient le
pas. Le conseil d'administration des charbonnages était communiste et parlait
d'une lutte où les forces ouvrières et patronales devaient se rassembler dans
un but commun. Une expérience de démocratisation à tous les niveaux était
ainsi menée dans les Houillères, les représentants syndicaux participant à la
gestion de l'entreprise.
On stimulait les primes à la production individuelle (bicyclette, voyage
pour toute la famille, etc.); on en faisait bénéficier aussi la collectivité, c'est-àdire la famille du mineur, la communauté de travail. On créait des primes pour
les familles nombreuses(36) et des bourses d'études pour les élèves du
secondaire étaient attribuées, toujours aux familles nombreuses, etc.
L'on imagine mal alors que, conjointement aux reformes de structure
économique et sociale, vont subsister des conditions de travail difficilement
tenables et en réalité très dures: la prolongation de la durée du travail, une
contrainte disciplinaire énorme menant à la fatigue, à la maladie, en même
temps qu'une détérioration de plus en plus réelle de la politique d'exploitation
des mines, dont le métier de mineur va subir le contrecoup.
"Après la Guerre, la mine a été nationalisée et c'est devenu les
Houillères des Cévennes. Bien, et alors là on n'était plus commandé comme
avant. Le syndicat ouvrier (la C.G.T.) était intervenu. Alors, tout le monde s'était
engagé politiquement parce qu'ils disaient qu'il fallait se syndiquer. Ils étaient
majoritaires à 100% et on payait la cotisation et tout pour le syndicat, parce qu'il
était révolutionnaire. Mais ça n'a pas duré, et ça n'a pas duré parce qu'ils
avaient des méthodes qui ne plaisaient pas. Et ça n'a pas duré parce qu'il n'y
avait qu'eux qui commandaient. Alors, après un certain temps j'en ai eu marre
et je me suis dit que je ne prendrais plus cette carte, et j'ai déchiré ma carte
syndicale. Je ne suis pas un gars du patron, mais j'étais déçu par le syndicat
ouvrier. Alors, je me suis décidé à mener mon bateau moi-même. Si j'ai quelque
chose à défendre, je me défends moi-même". (M. Ponte. Mineur retraité).
Ce récit n'est qu'un point de vue parmi tant d'autres, mais il constitue une
analyse révélatrice de la situation vécue par les mineurs dans les années qui
suivent la nationalisation des mines, un point de repère pour les changements
sociaux subis par les mineurs et leurs familles. Après qu'il a coopéré avec la
collectivité, par son travail, à relever le pays, le refus qu'exprime ce mineur en
quittant le syndicat est un geste individuel, qui sera répété par d'autres, mais il
reste néanmoins un geste minoritaire qui traduit sa déception face à une
bataille du rendement gagnée... mais par qui et pour qui?
En effet, le contexte est très ambigu. La conjoncture qui caractérise cette
période s'avère complexe, du fait que c'est la gauche qui, étant au pouvoir (et
conjuguant ses efforts à ceux de la C.G.T.), entreprend la promotion de ce
modèle moderne de travailleur qui coopère avec l'Etat. Un Etat qui accorde
donc d'un côté des avantages en élaborant le Statut du mineur, ceci en réponse
à d'importantes revendications au niveau des salaires et de l'assistance sociale.
Mais un Etat aussi qui, d'un autre côté, en s'alliant au Syndicat et au Parti,
lance un appel aux mineurs à se mettre au travail(37) faisant en cela ressurgir
des valeurs qui consacrent l'identité collective du groupe; ce que l'on peut
mettre en rapport avec le discours d'une autre époque, lorsque les Compagnies
reproduisaient les rapports sociaux à travers le système paternaliste:
"Selon Léon Delfosse, la nationalisation et le statut du mineur ont
consacré 'la mort du paternalisme patelin des anciennes compagnies'. En
réalité, les Houillères n'ont fait que substituer un paternalisme d'Etat au
paternalisme 'patelin', en améliorant les dispositifs de fixation et de prise en
charge sociale qui fonctionnaient depuis le XIXe siècle. La loi sur la 'sécurité
sociale minière' votée en 1946 instaure un régime de prise en charge totale de
la santé du mineur et de sa famille".(38)
Comme à une époque pas si lointaine, l'incitation au travail s'appuie sur
une propagande officielle qui évoque la valorisation du métier, affirmant
l'héroïsme du groupe, ses rapports solidaires et son système de lignage,
promettant un système d'assistance avantageux pour le mineur et sa famille: "le
devoir et le sentiment" - "rapports éthiques et affectifs" - "se substituent au
règlement et au profit"(39). La stratégie consistait à reprendre ces valeurs et à
les "ré-élaborer" à travers un discours "moderne". Aux thèmes moraux
s'ajoutent les thèmes nationaux. Cela ressemble à un jeu de séduction, où la
propagande de revalorisation de l'image du mineur diffuse celle d'un travailleur
érigé en modèle par son attachement au travail et par sa coopération avec la
patrie(40). Le dispositif patronal est mis en place autrement, certes, mais
l'accélération du rythme de travail est telle que les conditions de labeur ne
vaudront, en fin de compte, guère mieux que celles de la fin du XIXe siècle.
Il s'agit là d'une reproduction de dispositifs que Mattéi qualifie à juste titre
de "ventriloque" dans son analyse du rôle joué par le syndicat qui, s'il a d'un
côté dénoncé les finalités patronales (profit et exploitation), relance d'un autre
côté, comme il revêtirait du prêt-à-porter, l'idée de cette identité "mythique"
bâtie autour du mineur.(41)
Les objectifs sont atteints, mais un coup dur est porté à la catégorie,
épuisée par une prolongation de la durée du travail, une intensification du
rendement et une rationalisation du travail - déterminée par le système
Bedaux(42), chronométrage et salaire au rendement individuel renforçant la
compétition entre les travailleurs, - qui seront la source d'une recrudescence de
la silicose, de l'exacerbation des accidents et du mécontentement des héros.
L'absentéisme très élevé(43) va dénoncer, entre autres choses, leur fatigue et
leur désespoir. Tout se passe comme s'il y avait un décalage entre la
reconnaissance professionnelle et la réalité qui s'installe après la "bataille du
charbon".
(M. Chapelet): "Moi, je me suis attrapé par la cravate deux fois avec les
ingénieurs, après la nationalisation, parce que je travaillais au chantier et alors,
bon, ils me disaient: 'je vous donne tant par mètre, c'est-à-dire une somme pour
faire un mètre, et pour tous les centimètres en plus que tu fais je te donne tant
de plus. Moi j'étais jeune, je croyais que la mine était à nous, j'ai foncé. Et à un
moment, j'avais tellement bien travaillé que j'avais gagné plus que lui (le chef),
et lui il n'a pas tenu sa promesse. Alors un jour, en descendant au chantier, je
lui ai dit: 'il faut régler cette affaire, parce que moi je n'ai pas touché l'argent que
j'ai gagné'. Il m'a répondu: 'oui, mais tu comprends, celui qui travaille avec toi
là-bas, un poste avant, il travaille un peu moins. Alors j'ai fait une moyenne'.
J'ai dit: 'moi, je travaille pour moi, je ne travaille pas pour les autres'. Eh
bien, j'étais tombé dans le piège, et puis il y a eu une grande grève. Là, il y a eu
un mois, deux mois de grève. Là, tous les mineurs ont fait grève. Au fond, en
48, les mines étaient inondées, c'était rempli d'eau. Et puis quand on a repris,
j'ai insisté sur ma paye. Le chef m'a dit: 'oh! maintenant tu m'embêtes parce
que j'ai d'autres choses à faire, il faut relever la mine'. Bon, j'ai dit: 'relever la
mine! Quand la mine était relevée, j'ai dit: 'dites'!, et lui: 'tu m'embêtes encore?'
Alors, je l'ai attrapé par la cravate... Moi, je me disais: peut-être qu'ils vont me
foutre à la porte, mais ils ne m'ont pas foutu à la porte. Le lendemain, je
descends au chantier, le chef vient et me dit: 'tu vas travailler', et j'ai dit: 'non,
tant qu'ils ne m'ont pas payé, je ne reprends pas mon travail'. Pendant deux
mois, il m'a fait travailler n'importe où et il m'a dit: 'tu fait ce que tu veux à la
mine', et j'ai pas travaillé, j'attendais ma paye.
C'était un système qui poussait à la production et je suis tombé dans le
piège. Ils ont poussé les gens à la production, pour un mètre ils donnaient une
somme, puis chaque centimètre en plus, ils ont poussé les ouvriers, et le
charbon entrait, et l'ouvrier disait: 'bon, aujourd'hui, sur un mètre vingt j'ai fait 6
mètres et on gagnait un peu plus. On arrivait à 7 m. Alors moi, après, quand
j'étais bien placé, le maître mineur disait: 'mais vous vous rendez compte, ces
ouvriers, l'argent qu'ils gagnent? Où on va aller si ça continue!' Alors, il y avait
une mise en scène comme au cinéma, ils passaient dans la taille où il y avait
tous les ouvriers et ils disaient: 'combien de mètres tu as fait?'- '7 mètres, alors
j'ai gagné tant'. Et lui: 'oui, tu comprends, mais c'est pas possible...'. Le
lendemain, le maître mineur venait tout seul et disait à l'ouvrier: 'tu te rends
compte, je me fais engueuler par l'ingénieur, je te paye trop, ça vas plus, ça
peut pas durer... je suis obligé de couper ta paye'. Alors, si le gars tombait dans
le panneau, acceptait tout ça sans rien dire. Encore des fois, le maître disait:
'bon, tu fais un mètre de plus ou tu ne touches pas. Pour le même prix on est
arrivé à doubler la production, même à la tripler, comme ça. Et chaque fois, il y
avait une mise en scène. C'était l'exploitation de l'homme."
(Chercheur): "Et le syndicat...?"
(Chapelet): "Vous savez, le syndicat, il n'a pas bougé. Le syndicat a
bougé à un moment: après la Libération. A un certain temps, il n'y avait pas de
cadres et les chefs de poste faisaient partie de la C.G.T. Mais quand les cadres
ont eu des avantages, ils ont dit: 'maintenant on n'en a plus besoin', et ils ont
laissé tomber la C.G.T. Il y a eu toujours des trucs comme ça dans la mine, tout
le temps, tout le temps. Et toujours pour faire travailler l'ouvrier, pour le faire
produire et pour essayer de le payer un peu moins." (M. Chapelet. Mineur
retraité).
En 1947, la situation au niveau politique se modifie et les ministres
communistes qui se trouvaient à la tête de ce programme des Houillères sont
chassés du gouvernement par le socialiste Ramadier(44). Certes, bien que la
conjoncture caractérisée comme étant "de bataille" ait pris fin, la productivité
reste importante et l'institution charbonnière subsiste, mais, avec l'éviction des
ministres communistes, les forces changent au pouvoir des Charbonnages et le
progrès social annoncé fait un pas en arrière: la nationalisation et la Sécurité
sociale sont remises en question. Racine d'une fuite d'efficacité symbolique de
la "métaphore": "progrès social pour la classe ouvrière". Le "progrès"... en
arrière? Une idéologie trompeuse? Quoi qu'il en soit, pour les "héros", ces
changements semblent mettre à l'envers leur monde si idéalisé.
La conjoncture qui voit le jour est celle déterminée par le redressement
économique de la France, mais cette fois selon les dispositifs du plan Marshall,
qui freine l'activité des communistes dans le domaine économique national. Les
syndicalistes communistes, pour leur part, reprennent la bataille au moyen de
grèves qui se succéderont pour combattre les plans gouvernementaux
(Marschall, Monnet, Schuman), lesquels imposaient un prix social très élevé
pour la modernisation de la France et qui atteignait de plein fouet le milieu
minier.
Les grèves qui se suivent dévoilent une nouvelle situation aux mineurs:
l'autorité patronale demeure plus intransigeante que jamais. La réalité,
concrète, effondre les intérêts et idéaux du groupe, les acteurs de cette histoire
- la bataille du charbon - deviennent le héros d'un mythe. Seul compte alors le
rapport de forces. Les grèves de 1947 et 1948, d'ampleur nationale, se
montrent violentes.(45) Le paradoxe réside dans le fait que ces grèves sont
appelées par la C.G.T et le P.C, qui étaient pourtant les promoteurs de cette
conjoncture de "crise", trahissant ainsi leur incohérence et les erreurs
commises dans la gestion de cette "bataille du charbon".(46)
"La situation était devenue scabreuse; les mineurs ne pouvaient à la fois
accepter les privilèges - ces satisfactions substitutives - et freiner la production
pour exiger une évaluation différente de leur travail. Les frustrations
individuelles ne s'exprimèrent librement qu'une fois les ministres communistes
sortis du gouvernement. Avec les grèves de 1947 et 1948, les mineurs
réendossèrent leur rôle traditionnel d'éléments anti-sociaux".(47)
Au cours des années 50, une récession survient sur le marché du
charbon, due aux difficultés de vente qu'entraînait la concurrence avec le
charbon étranger. Les flux du marché du travail de la mine seront ralentis. En
1950-51, les mesures prises pour l'intégration croissante de la France au
marché international à travers le plan Schuman, et visant a créer la
"communauté-charbon-acier"(48), produisent des conséquences néfastes pour
le secteur traditionnel du charbon. Les traités signés dans le cadre de la
politique gouvernementale à ce sujet décrètent des mesures très libérales
ouvrant le marché national aux charbons étrangers, ce qui pénalise aussitôt et
lourdement certains bassins déjà défavorisés par une conjoncture marquée par
l'insuffisance des investissements, les retards en équipements et l'immobilisme
du capital.(49)
Une fois passées les années de mise en valeur du charbon et lorsque
pointeront les premiers signes avant-coureurs d'arrêt de l'exploitation et de
reconversion du bassin minier, l'adhésion aux mots d'ordre et la confiance dans
les dirigeants du "progrès social" commenceront à s'émousser. Dès lors, les
grèves se succèdent pour revendiquer depuis la mise en pratique de la loi
établie par le Statut du mineur jusqu'à la reconnaissance matérielle et
professionnelle de cette catégorie.
Chez les mineurs, le sentiment d'avoir été "trompés" augmente et la
nationalisation, promise jadis comme faisant des mines "une vraie propriété
nationale et possession des ouvriers", est remise en question en même temps
que le rôle joué par le syndicat et par les comités d'entreprises. L'ingénieur
Flechon, explique dans son manuscrit cette conjoncture:
"Nous sommes donc en 1946. La nationalisation des charbonnages
apporte sur le plan social et technique des avantages certains. Le statut du
Mineur reconnaît le caractère particulièrement pénible du travail du fond et
assure aux ouvriers un salaire plus élevé que dans les autres branches
professionnelles, avec indexation sur le salaire de l'ouvrier de la métallurgie de
la région parisienne. L'esprit de ces dispositions ne fut pas toujours respecté
par la suite, lorsque le recul du charbon dans l'approvisionnement du pays
rendit les mineurs moins indispensables et cette déviation entraîna de
nombreux conflits salariaux. D'autre part, la disparition des comités de gestion
mis en place en ao–t 1944, par le commissaire de la République, et leur
remplacement par les comités d'entreprises légalement constitués réduisirent le
pouvoir ouvrier, même si des mineurs continuèrent à figurer dans les conseils
d'administration des Charbonnages de France et des Houillères de Bassins.
Ces modifications furent la source de mécontentements et incitèrent parfois le
personnel à réclamer des vraies nationalisations. (...)
Et lorsque, recevant la réclamation d'un ouvrier, ils étaient contraints de
lui déclarer qu'ils ne pouvaient faire autrement qu'appliquer des directives de la
Direction générale, des Charbonnages de France, il n'était pas rare que celui-ci
leur réponde: 'Autrefois, ce n'était pas comme ça. Quand je faisais une
réclamation à l'ingénieur, il me répondait par oui ou par non; il ne me disait
jamais: je verrai ou je transmettrai'. (...) ce qu'ils voulaient c'étaient de 'vraies
nationalisations', et non pas l'omnipotence des technocrates parisiens".(50)
Le climat général était devenu celui du désenchantement et les mineurs
exprimaient leur scepticisme par l'absentéisme, par le détachement du syndicat
C.G.T., par l'affiliation à un autre syndicat (F.O. par exemple), ou encore par le
simple exercice de la critique ou le refus d'engager un fils sur le même chemin.
L'un des mineurs interviewés évoque aujourd'hui le fait qu'après la "victoire" de
la bataille du charbon, le principe hiérarchique des Houillères était redevenu
aussi contraignant qu'auparavant, c'est-à-dire du ressort de la technocratie
parisienne. Lorsqu'ils réfléchissent à cette époque, les mineurs trahissent leur
déception quant à la politique de nationalisation des mines:
"La nationalisation, ça alors, ça a été notre ruine...". (M. Champeac.
Mineur retraité).
"Le problème, c'est que ces gens-là ont fait plus de tort que de bien, en
particulier à notre ville. Ils ont pris le mauvais chemin. Ils n'ont encore rien
compris, même les responsables n'ont pas encore compris ce qui c'est passé. Il
y a eu tellement d'ambition politique qu'ils ont empêché l'évolution". (M. Crozet.
Mineur retraité).
Au fur et à mesure que certains facteurs politico-économiques jouaient
de plus en plus en défaveur du charbon, par la substitution des sources
d'énergie, les conséquences que n'avait pas encore prévues la catégorie
commençaient à se manifester: la fermeture des puits d'extraction signifiait en
effet la désarticulation du travail des mineurs. On ne modernisait pas le métier "mineur" - on l'"enterrait" tout simplement. C'est le début d'un autre ordre de
problèmes et d'angoisses: "il ne s'agit pas seulement de la perte d'un emploi ou
de l'obsolescence d'une qualification, c'est tout l'univers du mineur qui est
touché: travail, habitat, famille, réseau associatif, région".(51)
Mais, comme nous l'expliquera un fils de mineur, "il y a deux aspects à
considérer":
"Il y a une chose qui est certaine, c'est que la nationalisation a permis de
faire des conquêtes sociales pour le mineur ou le fonctionnaire. Donc au niveau
de l'emploi, ça a été intéressant, ça a permis à ces gens d'envisager l'avenir. Et
si d'une part les mines avaient été condamnées à la fermeture, d'un autre côté,
quand même, ces familles ont eu la sécurité, et la preuve c'est que les grandspères d'aujourd'hui nourrissaient encore leurs enfants de 3O ans. Cet aspect
n'est pas du tout négatif". (M. Landes. Fils de mineur).
Des éléments divers sont lucidement mis en relief par ce fils de mineur.
Les changements, les améliorations, les réformes structurelles, etc., apportés
au "monde du travail minier" par le programme de nationalisation des mines ont
permis,
d'une
part,
l'émancipation
des
mineurs
du
"machiavélisme
patronal"(52), la conquête de pouvoir "envisager l'avenir" avec plus de liberté de construire le(s) projet(s) de vie de leurs enfants, garantissant leur place
(leurs droits) dans un processus de qualification de la main-d'oeuvre et
d'acquisition de capital culturel (si on peut, ici, "maquiller" les contraintes
sociales) -, d'autre part, la garantie "par loi" des améliorations des conditions de
vie de cette classe laborieuse. Mais tout cela se concrétise à partir de ce que la
nationalisation a fondé: une profonde rupture, plus forte que celles que les
"grand-combiens" situent (et ordonnent) à l'intérieur d'un temps qui leur
apparaît plutôt comme continu: le "long" temps de la Compagnie. La rupture, ici,
ne cache plus le visage du "moderne": la déstructuration de structures
identifiées comme "traditionnelles" et, dans le même bateau, les racines de
l'effondrement de cette "communauté de travail traditionnel".
La "nationalisation" et la "C.G.T.", selon lui, sont devenus après la
fermeture des mines (sujet que nous développons dans la Partie IV.), un peu le
bouc émissaire d'une population préoccupée par un déclassement de plus en
plus prononcé de leur ville minière et une manière d'exprimer un sentiment
d'angoisse face à une situation de désarticulation du groupe d'identité, de cette
communauté qui vivait un quotidien rythmé et un temps ordonné selon la
cadence du "travail traditionnel", celui de la mine.
CHAPITRE 2
"QUELLES RUPTURES? QUELLES CONTINUITES?
DANS LES "TEMPS NOUVEAUX".
La Grand-Combe, qui n'avait pas connu de réduction démographique
grave après la Deuxième Guerre (contrairement à d'autres noyaux miniers
comme dans le Nord et le Pas-de-Calais, qui se sont trouvés sous occupation
allemande), présentait une population d'environ 14.000 habitants à l'époque
"des nationalisations".
"Notre ville, contrairement à tant d'autres, n'a point trop souffert du fer et
du feu pendant l'affreuse guerre (...)".(53)
Néanmoins, le charbon demeurait le seul élément économique vital
capable de dynamiser le marché du travail. On assiste en réalité au
renforcement du caractère "mono-industriel" d'une ville vivant de l'extraction du
charbon. De 1949 à 1951, la majorité "travaille au charbon", c'est-à-dire que
80% de la population active de La Grand-Combe est employée aux Houillères
du Bassin des Cévennes (H.B.C.), qui comptent alors 19.200 ouvriers dont
12.000 mineurs de fond (6,7% du personnel des houillères françaises)(54).
En 1954, cette proportion est la même, mais cette fois est prise en
compte la population employée dans l'ensemble du secteur primaire (agriculture
et extraction). L'agriculture étant restée une occupation très accessoire dans la
commune, c'est donc l'activité extractive qui continue à représenter l'essentiel
du secteur primaire.
En effet, depuis plus d'un siècle que durent le monopole du secteur
extractif et la forte emprise qu'exerçait la Compagnie, les transformations
survenues dans la ville ne réussissent guère à stimuler le développement de
nouveaux secteurs de production et, mis à part le petit commerce libre qui
entreprend ici et là quelques initiatives, les autres branches de l'économie
(comme le tertiaire) semblent peu mobiles.
Cette époque constitue un archétype d'une communauté de travail
minier, parfaitement symbolisée par les fêtes et loisirs qui marquent les lieux et
les moments forts de la sociabilité du groupe: Fête de Sainte-Barbe, l'Harmonie
de la Compagnie, Club de Gymnastique, Stade de Football Sainte-Barbe, etc.
En 1959, c'est encore La Grand-Combe qui présente, par rapport aux autres
villes rattachées aux Houillères des Cévennes, la proportion la plus expressive
de population active travaillant à la mine: 27,1%.(55)
En outre, la "vocation collective" continue de se tourner vers l'activité
extractive - la ville a été créé grâce a charbon - et le monde du travail quotidien
est systématiquement lié à la mine, surtout au moment où le puits Ricard
connaît une pleine activité. En effet, selon les mineurs, c'est de la "Vallée
Ricard" que sort "le meilleur anthracite du monde", qualité qui va être diffusée
dans toute la France à travers une campagne de publicité. De plus, le
programme de relance de la production charbonnière pour le Groupe Centre
prévoyait en particulier de maximiser la productivité des puits Oules, très
modernes pour l'époque, et l'ouverture d'une centrale thermique à La GrandCombe. Au vu de tout cela, la ville se voyait encore promise à une relative
prospérité.
L'image de la pérennité du monde charbonnier permettait avant tout à la
communauté de travail de reproduire comme naguère ce sentiment de stabilité,
d'un avenir sûr pour leurs enfants. L'embauche dans la mine demeure le motif
de base de mobilisation dans l'itinéraire singulier d'une famille liée à ce milieu.
En effet, quoique l'avènement d'un nouveau marché de travail - surtout dans les
grandes villes comme Paris, Lyon, etc.- attire la jeunesse vers les grands
centres urbains, la génération grand-combienne d'après-guerre ne part que
rarement, car elle sait que dans la mine leur place est assurée d'avance, surtout
à cette période précise où les familles de mineurs connaissent une amélioration
du niveau de vie. Partir pour la grande ville, à ce moment-là, apparaît
davantage comme la réalisation d'une aspiration (d'un rêve), due en général
aux valeurs de sociabilité que les grands centres urbains supposent, que
comme un besoin, ou une contrainte, provoqué par une situation précaire.
Par ailleurs, la reprise industrielle de l'extraction de charbon par les
Houillères va permettre une dynamisation du marché du travail minier, le
recrutement redevenant un besoin urgent.
Comme autrefois, les paysans cévenols sont attirés par ce travail salarié
et stable. Les difficultés qu'ils connaissent dans le milieu agricole les poussent
sans cesse à partir, ne serait-ce que temporairement, à se consacrer à un
métier dont les avantages économiques et sociaux sont plus immédiats. La
mine est encore capable de leur assurer un avenir et, comme hier, cherchant à
rejoindre une famille souche, frères et amis s'y établissent à leur tour.
Outre cette population qui descend des villages de tradition agricole vers
la mine, comme dans la France entière, la région connaît un important afflux de
travailleurs étrangers. Cette fois, la politique d'immigration est contrôlée par
l'Office national de l'immigration (créé en 1945)(56).
En effet, en 1945, le bassin compte déjà 42% d'immigrés au sein de son
personnel. En 1947 et pour l'ensemble du bassin cévenol, on dénombre près
de 7.000 travailleurs étrangers(57) pour environ 13.000 travailleurs français.
Dans les années suivantes, la proportion restera à peu près égale.(58)
La plupart des étrangers seront issus des pays ibériques, d'Italie et plus
massivement du Maghreb et de l'Afrique francophone, colonisée ou
décolonisée. A partir de 1946, les immigrants algériens arrivent massivement
dans le bassin cévenol et, vers 1949, ils représentent déjà 16% des étrangers
dans la même région. Le flux de ces arrivants est continuel, quoique 1953-1955
et 1963-1966 constituent des périodes où l'immigration algérienne s'intensifie
dans le bassin. Ils forment le groupe national quantitativement le plus important
et ce sont eux alors qui composent la plus grande partie des familles
nombreuses.
Les immigrants italiens arrivent entre 1946 et 1947 (5,7% de la
population étrangère), ainsi que des portugais, dont nous avons déjà parlé. En
dehors des nord-africains, les ouvriers étrangers représentaient en 1956, 18%
des effectifs des Houillères des Cévennes.
C'est à toutes les Cévennes qu'est assignée la fonction d'accueillir cette
société minière formée d'anciens et de nouveaux travailleurs.
Comme à chaque occasion d'une arrivée massive d'immigrants, les
"grand-combiens" de vieille souche se sentent un peu menacés, un peu
envahis dans leur "foyer identitaire". Malgré tout un passé marqué par le
mélange ethnique, la mémoire se fait sélective pour notre interlocutrice et les
mineurs anciennement enracinés deviennent les "carrément grand-combiens"
face à l'arrivé d'une nouvelle vague d'"étrangers".
"(...) parce qu'avant il y avait beaucoup d'italiens, beaucoup d'espagnols,
beaucoup de polonais qui sont venus mais ils se sont mariés, vous comprenez?
Ils se sont bien adaptés... Mais, après, il y a eu beaucoup d'étrangers qui sont
venus pour la mine tout ça, beaucoup d'arabes, beaucoup, et puis tout ça, tout
a changé, vous comprenez? C'était plus mélangé, tandis qu'avant c'était
carrément les grand-combiens, pas pareil... Il y avait quand même une
bonne ambiance, surtout les anciens qu'on se connaissait bien quoi! Puis avec
les plus jeunes ça c'était pas pareil... ". (Mme Regis. Veuve de mineur).
La condition du "brassage" d'hier est représentée "enveloppée" par le
critère d'"ancienneté" devenue, ici, "emblématique identitaire". Mais comme
toujours, cela n'est pas raison de conflit, "la mine", c'est-à-dire, "le travail" les
intégrera rapidement.
Parmi les villes rattachés aux Houillères, La Grand-Combe demeure une
importante zone d'accueil pour les nouveaux arrivants. Les opérations de
construction de nouveaux logements destinés à les recevoir en sont une
preuve.
CHAPITRE 3
"HABITER" A LA GRAND-COMBE "AU TEMPS DE LA
NATIONALISATION".
A) Le parc immobilier des H.B.C.
L'avènement de la nationalisation des mines n'apportera pas de
transformation importante sur le plan urbain (ou la structure urbaine) à La
Grand-Combe.
La
commune
reste
très
marquée
géographiquement,
économiquement et socialement, par son caractère minier. Néanmoins, le
processus de la "nationalisation" s'inscrit dans une nouvelle logique industrielle,
s'appuie sur de nouveaux principes urbanistiques. La multiplication successive
des îlots d'habitations (nouveaux quartiers), les "cités-minières" des Houillères,
mais surtout la nouvelle politique d'habitation populaire (les H.L.M.) c'est la
projection d'une réflection urbanistique au plan national sur le local ("la
projection du global sur le terrain", pour paraphraser Lefebvre).(59)
La ville minière est de plus en plus brouillée dans une nouvelle politique
du "habiter", plus centralisée par (ou dans) l'Etat: "la rationalité étatique va
jusqu'au bout)".(60) C'est une nouvelle société nationale qui se projette sur le
local: "Ce qui s'inscrit et se projette, ce n'est pas seulement un ordre lointain,
une globalité sociale, un mode de production, un code général, c'est aussi un
temps, ou plutôt des temps, des rythmes. La ville s'écoute comme une musique
(...)".(61) La Grand-Combe vit un nouveau rythme, certes, scandé par le travail
industriel, mais la ville vit de plus en plus un rythme qui ne lui est pas
spécifique, mais elle mêle de plus en plus un rythme qui lui est à la fois externe
et qui l'enveloppe. De plus en plus la ville minière vit un nouveau type
d'influence urbaine, d'une cité cosmopolite, plus ouvert. La Grand-Combe n'a
plus la Compagnie comme chef d'orchestre...
En ce qui concerne les services administratifs, les Houillères vont
occuper les anciens bureaux des Compagnies. Le Groupe Centre aura son
siège administratif à La Grand-Combe, alors que le château de La Levade et
les bureaux situés sur la place Jean-Jaurès et dans la Vallée Ricard seront
conservés comme siège des services bureaucratiques et lieu de réunion.
En fait, les H.B.C. "héritent" de tout le parc immobilier de la Compagnie
des Mines et, d'emblée, elles prennent la responsabilité d'entretenir dans la
commune de La Grand-Combe 2.65O logements (en bon état et vétustes) et
2.000 jardins.
Seulement, si l'espace urbain demeurait celui marqué pendant plus d'un
siècle par la Compagnie, ce qui différencie dès lors la politique du logement par
rapport à autrefois est que les conditions de vie et d'habitation des familles
ouvrières sont désormais réglementées par le Statut du mineur, qui réclamait
l'accès gratuit au logement pour les mineurs (et leurs veuves) jusqu'à la mort droits prévus par l'article 23 du Statut du mineur(62) - et mettait en place en
1946 une nouvelle politique de l'habitat ouvrier. Ceci s'est traduit par une
amélioration des logements, mais posait aussi la question d'habiter dans "un
nouveau rapport de forces, et surtout en fonction de l'objectif majeur de la
période qui s'ouvre: relancer la production"(63).
En effet, la loi sur le droit à l'habitation gratuite pour les mineurs constitue
l'une des victoires les plus grandioses obtenues en faveur de la catégorie dans
le domaine de la politique sociale. Il en est résulté une amélioration quasiment
automatique des conditions globales d'habitation et, pour la majorité de la
population anciennement installée, les changements survenus apporteront la
stabilité du logement. Situation qui favorise grandement les retraités et les
veuves, qui jouissent désormais du droit de passer chez eux leur vieillesse.
Fini, la crainte de se voir jeté à la rue dès l'entrée en "inactivité" (retraite ou
maladie), pénalité qui frappait les mineurs quand ils atteignaient en général un
âge déjà avancé et qu'ils se trouvaient parfois éprouvés par la maladie. Finie
aussi l'angoisse après la perte du chef de famille.
C'est donc par le biais de la construction de nouveaux espaces
d'habitation mise en oeuvre depuis 1946 par les Houillères que surviennent des
améliorations dans le tissu urbain de la ville minière au lendemain de la
nationalisation. Les Houillères construisent en effet dans tout le bassin cévenol
(habitations, nouveaux ateliers et bâtiments industriels), renouvelant ainsi le
parc immobilier de l'entreprise. Elles interviennent également sur le parc déjà
existant, réhabilitant de nombreux logements dans les anciens quartiers
ouvriers, afin d'y doter les maisons d'un confort adapté à la nouvelle politique
du logement que demande l'évolution de la société.(64) La charge financière
que représente pour les Houillères le fait de reloger ou de dédommager leurs
ouvriers et retraités est intégrée au calcul du prix de revient de la tonne extraite.
Sur la commune de La Grand-Combe, le programme de réhabilitation a
été mis en pratique dans les cités de Ribes, du Riste, des Pelouses et de la
Forêt (soit 2% du parc des cités ou 470 logements), et dans la cité Joffre à
Trescol (66 logements).(65)
Une série de travaux ont été également menés
par les Houillères dans des réaménagéments internes apportés aux maisons.
Les principales actions de réhabilitation consistaient à restaurer les toitures et
les murs, et à installer des douches et des W.-C., qui, finalement, ont été
construits à l'intérieur de la maison. Les foyers encore dépourvus d'eau
courante (et d'évier), ont pu à leur tour bénéficier de ce nouveau confort.(66)
Le programme de construction de nouvelles habitations, concrètement,
ne s'éloignera guère de celui mené par la Compagnie dans les dernières
années de son existence. Tout comme la Compagnie, les H.B.C. cherchent à
offrir à leurs bénéficiaires des "cités minières" conçues de façon plus moderne
et confortable en "cités-jardins".
En même temps est développé parallèlement un programme de
constructions qui, par la qualité inférieure du matériel, par le faible confort et par
la population à laquelle elles sont destinées, ressemblent davantage à des
"cités de transit"(67), édifiées notamment pour assurer ponctuellement
l'hébergement de la population immigrante. (Nous reviendrons à ce sujet un
peu plus loin).
Ce qui sera commun à tous les "types de construction" est la localisation
du terrain. Le programme envisage l'éloignement des puits d'extraction et des
ateliers - des espaces de travail - évitant par là la pollution atmosphérique et
sonore, et encourageant ainsi la construction sur des terrains plutôt éloignés du
centre-ville et de la Vallée Ricard (l'ancienne Vallée de la Grand-Combe), zone
qui réunit les puits Ricard, l'usine de La Pise, les ateliers de lavage, etc.
Un important parc de résidences destinées au "Groupe Centre" sera bâti
sur un territoire débordant tantôt sur la commune voisine des Salles-du-Gardon,
tantôt sur la commune de Branoux, tantôt sur La Grand-Combe, etc. Ce
territoire se prolonge au long de la rive droite du Gardon et de la RN 106 ou
alors sur la rive gauche. Cette zone jusqu'alors peu bâtie - parce que très
éloignée des puits - abritera un nombre croissant de "cités-jardins": cité
Pomarède, cité de l'Impostaire, cité Maisons-Neuves, cité Gravelongue, par
exemple, mais aussi des constructions collectives plus modernes dans le style
des "H.L.M". avec des appartements standard, c'est le cas de la cité de
L'Habitarelle, située sur la commune des Salles-du-Gardon, destinés à recevoir
tantôt les habitants qui voulaient se reloger, tantôt des nouveaux venus.(68)
La cité de l'Impostaire est connue comme l'une des plus modernes, avec
ses maisons-jardins construites par les Houillères, des maisons "confortables et
ayant belle allure"(69), des bâtiments composés de deux ou quatre logements
dotés de trois à quatre pièces chacun, entourés de jardinets, disposant de W.C., de l'eau et de l'électricité, destinés surtout aux effectifs "de fonction" des
Houillères:
"En 65 je suis devenu chef et on a demandé un logement et l'ingénieur
m'a accordé celui-ci, parce qu'avant on habitait dans deux petits pièces. Alors
parce que j'étais chef, chef technicien, ils nous ont donné un logement de
fonction, alors on pouvait choisir le logement de fonction soit à l'Impostaire soit
à Ribes. Mais à Ribes j'ai pas voulu parce que, à cette époque-là, ma mère était
très malade et elle habitait aux Branoux-Taillades là-haut et ici (l'Impostaire)
c'était plus proche". (M. Brial. Retraité des Houillères).
D'autres "cités-jardins" sont édifiées sur tout le territoire des Houillères:
cité Gamma pour le Groupe Nord, cité Cendra pour le Groupe Sud, par
exemple.
On assiste donc à une amélioration expressive des conditions de
logement dans tout le bassin cévenol. Cette amélioration que garantissait le
Statut permet aux "mal logés" d'un parc ancien et vétuste, d'envisager le
déménagement, soit pour de nouveaux logements déjà bâtis, soit pour ceux
réhabilités par les Houillères, ou encore pour les logements sociaux qui seront
construits et administrés par les Offices H.L.M. et mis à la disposition de la
population.
Plus particulièrement sur La Grand-Combe (Groupe Centre), c'est à cette
époque que nous observons un mouvement de relogement des ménages
d'ancienne souche encore installés dans des d'anciennes casernes insalubres,
notamment dans les quartiers situés sur la partie basse du centre-ville à La
Grand-Combe (ancienne partie basse de la Vallée de la Grand-Combe), centreville à Champclauson et Trescol. M. Sellen, père d'une famille nombreuse, trace
son itinéraire de l'époque:
(M. Sellen, père): Quand c'était la Compagnie, on habitait la rue de la
Clède où ils allaient démolir. Alors, après la nationalisation, nous avons
déménagé pour l'Habitarelle, aux Salles, dans les logements neufs. Et puis,
nous avons déménagé de nouveau pour l'Impostaire, qui était une cité toute
neuve...".
(Chercheur): "C'était vous qui demandiez chaque fois à déménager?"
(M. Sellen, père): "Oui, parce que par rapport au nombre des enfants j'ai eu 11 enfants - alors, il fallait se reloger, et à l'Impostaire on a eu 3 pièces.
Enfin, il n'y a pas eu beaucoup de problèmes pour ça, parce que l'ouvrier qui
travaillait, il était considéré, il n'avait pas trop de problèmes, on gagnait un bon
salaire. Chauffage, docteur gratuit... si on travaillait, on avait des avantages,
c'est s–r...".
(M. Sellen, fils): "C'est ça, d'abord nous avons déménagé pour la cité de
l'Habitarelle, c'était une cité toute neuve pour les mineurs. C'était tout confort et
assez grand, c'était très agréable. Il y avait un balcon et nous sommes restés là
un an et demi. Par la suite, du fait que la famille grandissait, il a fallu avoir un
appartement plus grand et à ce moment-là, on a eu un appartement à la cité de
l'Impostaire et là, c'était un très grand quartier, avec un jardin. Et le mineur
d'origine paysanne, le gavot, avait la possibilité d'entretenir son jardin, d'avoir
ses légumes le soir. Pour passer sa journée, il avait le jardin, les poules, les
lapins. Ça, c'était typique du quartier mineur, tous les mineurs aimaient faire
leur jardin. Et là, on a vécu jusqu'en 67. Et à l'Habitarelle et à l'Impostaire, on
retrouvait la même ambiance, le voisinage, la même chose, toujours le même
rapport, toujours agréable entre les gens... Et puis mes parents ont fait
construire une maison aux Salles, voilà!" (M. Sellen, père: Mineur retraité. M.
Sellen, fils: enseignant).
Les mutations spatiales, à l'époque, des zones dévalorisées pour leur
vétusté et la proximité des puits et usines, vers des logements construits ou
réhabilités par les Houillères ne sont pas synonymes d'un déracinement
traumatisant, même si elles ont provoqué des changements au niveau du
réseau de voisinage, de la référence territoriale, etc. Au contraire, le
déplacement vers les nouvelles cités a été en général bien vécu par les
habitants et l'accès à de nouvelles demeures perçu comme le résultat des
améliorations du mode de vie dans la catégorie professionnelle, la
reconnaissance matérielle "juste" pour cette catégorie professionnelle que la
France avait tant requérie pour le redressement de l'économie nationale.
Tout d'abord, ils restent dans le même "pays", là où s'inscrivent leur
histoire et les lieux traditionnels des pratiques quotidiennes, comme le marché,
le syndicat, l'église, le travail, garants d'une continuité de la sociabilité, noyaux
déjà traditionnels de la rencontre collective. Ce sont souvent eux-mêmes,
d'ailleurs, qui avaient fait la demande de déménagement depuis plusieurs
années. Cela parce que les anciennes casernes devenaient inhabitables et
l'environnement, du fait de la proximité des puits, insalubre.
Ainsi, le départ du quartier, où très souvent le père mineur avait habité et
où les enfants avaient grandi, pour une nouvelle cité - impliquant parfois
l'établissement de nouveaux rapports de voisinage - n'a apparemment pas
causé de troubles (socio-psychologiques), puisque toutes ces cités se
trouvaient dans les alentours de la ville et dans des zones arborisées et
propres.
L'aménagement de la nouvelle maison s'accompagnait aussi de
l'achat de nouveaux meubles et de menus éléments de confort au fur et à
mesure que les habitudes proposées par la société de consommation et les
possibilités de crédit s'installaient.
En 1958, 1.400 nouveaux logements avaient été bâtis par les H.B.C.,
portant à environ 6.700 le nombre total mis à la disposition de leur personnel
(soit 40% des effectifs actifs)(70) dans tout le bassin cévenol.
Le parc immobilier des Houillères ne cessera de grandir jusqu'aux
années 60, époque à laquelle elles comptent dans le bassin 18 "cités ouvrières"
et 1.000 logements indépendants. Plus de la moitié du parc immobilier grandcombien leur appartient alors, avec 1.123 logements correspondant à la
structure "cités-jardins".
En ce qui concerne le patrimoine "hérité" des Compagnies dans un état
vétuste (ou dans un "état médiocre", selon la nomenclature des H.B.C.), aucun
programme de récupération n'a été prévu. Suite à une politique d'habitation
davantage tournée vers les quartiers périphériques, la situation du patrimoine
immobilier des Houillères situé au centre-ville (partie basse de la vallée de la
Grand-Combe ou vallée Ricard) même ne bénéficiera pas de travaux de
rénovation. Cela parce que les dispositions adoptées ne visaient pas les
habitations considérées à la fois comme vétustes et "irrécupérables". Dans le
quartier central, les anciens logements ouvriers construits par la Compagnie
sont restés en état de total abandon, dévalorisant énormément le centre-ville et
notamment les bords de la Vallée Ricard: rue de la Clède, rue Poilus, rue
Frugères, rue de la Pise, etc. Ainsi, en dépit d'une sensation de "continuité"
dans ces nouveaux temps de la nationalisation (travail, assurance logement,
assurance maladie, etc.) assurée par le Statut et coordonnée localement par
les H.B.C., la mésestime pour un renouvellement de ces anciens quartiers - une
grande partie du centre-ville - révélait les signes d'une "discontinuité" (rupture
avec le passé): les anciennes maisons construites "au temps de la
Compagnie", en état de vétusté, ne connaîtront pas l'action des Houillères qui
n'ont pas touché à la "restauration" de la structure urbaine plus ancienne de La
Grand-Combe.
Cette situation ne cessera de s'aggraver tout au long du processus de
recul économique et du fait de l'important exode de la population (sujet de notre
prochain chapitre). Le nombre de logements vétustes et insalubres tendra à
augmenter, entravant le développement de la structure urbaine du centre. Cela
tient aux moyens limités dont dispose l'administration municipale pour les
travaux de restauration et au fait que le centre-ville ne suscite pas un "intérêt
historique" pouvant justifier un tel financement. Des parcelles abandonnées et
insalubres s'y maintiendront longtemps figées au centre de La Grand-Combe et
leur démolition n'interviendra effectivement qu'en 1989/1990.
Ainsi pouvons-nous avancer l'idée que c'est d'abord la "dépendance" visà-vis de cette institution "externe" à la ville, et ensuite la conjoncture de
récession que connaîtra celle-ci, qui "ont fossilisé tout le centre urbain, lui
évitant une modernisation massive comme à Alès ou alors sa conservation
comme patrimoine historique", comme le dit M. Wiénin.
***
Par ailleurs, la péripétie de la "bataille du charbon" apporte un flux
énorme de masse laborieuse immigrante. Pour les héberger, les Houillères
développent un programme de construction tourné vers une population
considérée comme mobile (migration temporaire). Ces cités ouvrières - "de
transit" - seront construites à la hâte avec des matériaux de détérioration
rapide, se situeront à la périphérie de la ville, et, comme un peu partout en
France, obéiront à certains critères de regroupement par nationalité (ou
minorités nationales).
La cité ouvrière Fougères constitue parmi d'autres un exemple de "cité
transit" et d'espace de ségrégation, dans le sens où elle était destinée à
recevoir la main-d'oeuvre immigrante. L'objectif en effet était d'y concentrer la
main-d'oeuvre étrangère, surtout les nord-africains (essentiellement des
français d'Algérie). Le surpeuplement y était évident et on y trouvait une
majorité de familles nombreuses, mais également des couples et des
célibataires. Quelques familles algériennes appartenaient à l'ancienne vague
d'immigration, d'autres sont récemment arrivées.
Le "camps Fougères", bâti depuis 1945, se situe dans le haut de la
vallée Ricard (vallée de la Grand-Combe) et prolonge en quelque sorte la cité
Forêt. La majorité de ses habitants travailleront dans la vallée Ricard, le puits le
plus proche.
C'est à cause de l'ancienne utilisation de ce terrain que la cité est
populairement nommée de "camps Fougères". En effet, l'ancienne Compagnie
y avait installé des baraquements en bois pour abriter les prisonniers de guerre,
et c'est sur ces mêmes fondations qui est construit des nouveaux logements
ouvriers. Les Houillères y édifieront un total de 20 bâtiments d'habitation
comportant chacun quatre logements identiques: 2 au rez-de-chaussée et 2 à
l'étage(71).
L'aspect ségrégatif de l'espace que nous évoquons n'est pas justifié si
l'on met dans la balance le fait que la propension au regroupement correspond
très souvent aux aspirations des immigrés eux-mêmes, qui s'y retrouvent par
famille, par village. Pouvoir habiter parmi les siens (surtout parmi quelques uns
appartenant à l'ancienne vague d'immigration et très souvent déjà "mieux
intégrée") permet un repli sur son réseau familial et amical qui facilite ensuite la
médiation dans le processus d'intégration au groupe villageois déjà constitué.
L'avantage de pouvoir communiquer à l'intérieur du quartier dans la langue
d'origine, les petites commodités comme celle de compter quotidiennement sur
la boulangerie et la boucherie musulmane ambulantes (grâce auxquelles les
femmes peuvent éviter de faire leurs courses au centre-ville, et d'affronter
l'obstacle de la "distance" géographique et sociale - et de la communication),
tout cela favorise le processus d'établissement dans un pays étranger où l'on
peut mesurer l'impact qui connaissent ces gens face à la réorganisation des
habitudes et des relations sociales. Comme le rappelle Noiriel:
"Si les étrangers, quelle que soit l'époque et quelle que soit la forme,
éprouvent le besoin de se regrouper, c'est, nous l'avons dit, pour échapper aux
agressions quotidiennes d'un univers qui ne leur est pas familier".(72)
Néanmoins, cette cité apparaît à de nombreux égards représentative de
conditions d'habitation peu confortables, comparée à d'autres cités alors bâties
ou réhabilitées (où les éléments d'innovation étaient: W.-C. intérieurs, salle
d'eau, système d'aération, de chauffage et d'évacuation suffisants). Dans ces
logements de "transit", il était prévu un confort minimum: l'évier, l'eau courante,
l'électricité et le chauffage au po‰le à charbon. Mais ni eau chaude, ni salle de
bains, ni baignoire ou même douche, pas d'égout, et toilettes collectives
construites en annexe pour chaque groupe de 4 appartements, etc. Répétonsle, ces bâtiments avaient été construits à la hâte et l'état de vétusté et
d'insalubrité où ils se trouvaient déjà vers 1970 prouve la qualité moyenne des
matériaux de construction. L'état de dégradation de plus en plus critique de ces
bâtiments pousse petit à petit les occupants à partir soit à La Grand-Combe,
soit pour être relogés dans les H.L.M. de Trescol ou dans les anciennes
habitations rénovées. En 1978/9, y habitaient encore cependant 26 ménages
dont 24 familles maghrébines, 1 d'origine allemande et une de souche
française, totalisant 156 personnes de diverses tranches d'âge(73).
***
B) "Les inévitables H.L.M.": les nouveaux lotissements
socio-collectifs.
A partir des années 60, "les inévitables H.L.M."(74) font leur apparition
dans le village, faisant désormais partie intégrante du paysage minier. En effet,
à partir de cette époque les Houillères tendent à ralentir leurs efforts dans le
programme de constructions d'habitations, préférant parallèlement recourir à un
autre programme de logement social développé par l'Etat français: les
H.L.M.(75). En effet, le mouvement de construction d'habitat à loyer modéré
mettra en place le seul équipement collectif important que la ville ait vu s'établir
au cours des années 60 et qui va constituer, après celui des Houillères, le
deuxième parc immobilier (en nombre de logements) de la commune.
La Grand-Combe, cette ville autrefois "plus intra-muros", est désormais
imprégnée des nouveaux "enjeux" politico-nationaux sur l'urbain. "L'habiter",
concerne alors de nouveaux principes urbanistiques, de nouvelles typologies,
de nouvelles propositions, etc. Rien de plus significatif pour ces changements
que de voir le traditionnel hameau minier de Trescol dénommé - au fur et à
mesure du développement de ces nouveaux principes urbanistiques - de "MiniChicago" (ce que nous parlons plus loin). Nous ne nous sommes pas trompée
et nous nous trouvons bien au site minier. Certes, ce n'est qu'une image, un
surnom, mais le paramètre de cette image n'est plus collé sur le local, il se
trouve ailleurs, dans l'urbain éclaté et ségrégué, dans le centre moderne,
cosmopolite (Chicago).
C'est donc auprès des représentants du pouvoir municipal, à travers la
gérance de l'institution alors créée de l'Office Municipal du Logement, que la
communauté grand-combienne pourra disposer de logements sociaux.
Toujours est-il que la majorité de leurs occupants seront, logiquement,
rattachés aux Houillères, puisque celles-ci prenaient en charge le loyer de leur
personnel qui y habitait grâce au système d'indemnité mensuelle de logement.
Avec la mise en service des habitations du type H.L.M., ceux qui n'étaient pas
logés dans le parc immobilier des Houillères recevaient, en optant pour les
H.L.M., une indemnité mensuelle "qui pouvait être supérieure à la valeur du
loyer".(76)
De 1960 à 1980, le rythme de construction des logements locatifs
sociaux s'accélère. Durant cette période, 913 habitations de type H.L.M. sont
bâties ("soit 22% de l'ensemble des logements de la commune"), parmi
lesquelles sont inclus deux foyers pour personnes seules et personnes âgées
dans les quartiers de Ribes et l'Arboux(77).
Quatre "territoires" seront désormais caractérisés par leur important parc
immobilier H.L.M., dont le principal, représentant environ 42% du total, se situe
à Trescol et réunit 3 groupes de bâtiments de 379 appartements (2 groupes
d'immeubles H.L.M. et 1 groupe d'immeubles P.S.R. - "programme social de
relogement") . Une autre zone importante, avec 37% du parc H.L.M. (4 groupes
de 341 appartements), se situe dans le quartier de l'Arboux. Les deux zones
restantes sont respectivement le quartier Les Pelouses, avec 11% du parc
H.L.M, et celle qui s'éparpille autour du centre-ville (rue des Lavoirs, et square
Macé à côté de la place de l'Arboux) et surtout au long de la rive gauche du
Gardon et du quai du 11 Novembre 1918. Les grands ensembles de Trescol ont
été construits entre 1960 et 1970, tandis que ceux de La Grand-Combe sont
plus récents (à partir de 1970).(78)
La construction de H.L.M. va introduire un nouveau style d'habitation,
affichant une allure plus "moderne" à la ville typiquement minière et l'image d'un
"progrès" considérable (dans le secteur d'habitation). Comme un peu partout en
France, sur la commune de La Grand-Combe, la construction des H.L.M. suit
des objectifs plus généraux, liés à la politique du gouvernement visant à abriter
les catégories les plus modestes de la population. En effet, le nombre important
de logements sociaux de type H.L.M. bâtis alors était destiné à loger la
population habitant des logements insalubres, mais aussi, peu à peu, les
nouveaux arrivants composant la dernière vague de main-d'oeuvre, outre les
familles de revenu moyen issues des diverses classes professionnelles grandcombiennes qui s'y installeront à leur tour.
Dans le principe, il n'y a pas eu de critère sélectif (la nationalité, par
exemple) dans le processus d'installation de la population dans les immeubles
H.L.M. Malgré ce postulat, une ségrégation spatiale semble s'être établie à
partir du critère d'appartenance ethnique et sociale. L'origine de cette
ségrégation reste floue. Parfois, elle est le résultat naturel de la propre
demande des locataires qui, appartenant à une même "communauté d'origine",
souhaitent rester proches. Parfois, c'est l'institution immobilière qui cherche par
là à éviter les conflits de voisinage et à faciliter leur vie communautaire.
Trescol, qui reçoit le principal parc H.L.M., sera le théâtre d'un
bouleversement considérable de l'espace: la petite bourgade minière connaît
désormais un nouveau visage, celui de "cité-béton", ce qui lui vaut le surnom
péjoratif de "la mini-Chicago". Ces édifices sont localisés entre le Gardon et le
côté droit de la voie ferrée, alors que du côté gauche de cette voie se trouvent
les anciens lotissements et logements miniers appartenant aux Houillères.
"La cité H.L.M. s'étire du Nord-ouest au Sud-est, coincée entre la voie
ferrée et le Gardon, véritables 'limites dures' qui ne posent pas de problème de
localisation. Le débouché naturel de la cité s'ouvre directement vers La GrandCombe, évitant le village auquel la cité est pourtant juxtaposée. Sa situation
marque son individualité".(79)
Si l'on tient compte de l'activité du chef de famille, les familles habitant
Trescol se ressemblent: la majorité d'entre eux sont ouvriers aux Houillères. Par
ailleurs, les habitants des logements du parc immobilier H.B.C. ne forment pas
un groupe socio-culturel homogène. Bien qu'il soit constitué en majorité de
familles françaises anciennement installées, on y trouve aussi des familles
nouvellement arrivées ou d'une autre nationalité européenne. Mais cet aspect
n'a pas empêché le groupe de chercher à se distinguer des habitants des
H.L.M., et c'est là un phénomène social de plus en plus évident.
Cela est d– au fait que, de plus en plus, la population des H.L.M. de
Trescol se compose de familles nord-africaines, alors que dans le groupe
P.S.R. et dans les maisons des Houillères se concentrent des familles de
souches diverses, mais à prédominance française, et dans leur majorité
catholiques.(80)
Les H.L.M. de Trescol seront identifiés comme étant le "ghetto arabe" à
cause de la forte proportion de familles immigrées et surtout algériennes qui y
résident. Ce sont la forte cohésion interne de ces familles algériennes, leurs
tendance à se regrouper autour d'un mode de vie particulier, leurs difficultés
d'adaptation, etc., qui vont créer peu à peu la diffusion de stéréotypes liés à des
moeurs différentes: bruit, odeurs de cuisine, etc., qui deviennent les signes "de différences" - justificateurs des difficultés de coexistence de ces populations
de souches diverses. Comme un peu partout en France, les familles nordafricaines sont "accusées" de ne pas s'adapter au confort des immeubles
collectifs, et les images de charbon stocké dans les baignoires ou d'animaux
élevés puis égorgés sur les balcons deviennent des clichés largement
répandus.(81)
La voie ferrée, plus qu'une simple limite, devient une frontière qui
démarque des espaces habités par des groupes différenciés. Situation de
conflit latent qui gêne dans la quotidienneté et qui crée des difficultés à
l'intégration. Quoique, tant qu'existera "la mine", il n'y a pas de raison pour
dramatiser le phénomène de cohabitation, nous expliquera un animateur social
de Trescol:
"Les H.L.M. à Trescol forment un 'ghetto arabe'. La voie ferrée est la
barrière entre deux quartiers. Les communautés vivent l'une à côté de l'autre
mais ne s'intègrent pas. Mais dire qu'il y a une situation conflictuelle, c'est trop
dire. Il y a du racisme, on a beaucoup de problèmes chez les jeunes qui
s'organisent en bandes et font de petites délinquances (...), mais il y a une
mentalité ici en rapport avec la vie minière, et tant qu'il y a eu du travail, les
problèmes sociaux n'étaient pas conflictuels". (M. Michel BRIAND. Animateur
du Centre Social et Culturel de Trescol).
Ce récit nous montre déjà une problématique autre, qui éclate avec la
crise(82) et le chômage, problème d'actualité et sur lequel nous reviendrons
plus tard. Nous nous limitons ici à exemplifier la manière dont les habitants
vivent alors un rapport hiérarchique d'espace communal par le biais de
l'appartenance ethnique et socio-culturelle.
Notre interlocuteur a raison de ne pas dramatiser le processus de
cohabitation entre les anciennes familles de la commune et les nouveaux
arrivants de l'époque. Aussi difficile que cette cohabitation, imposée à des
groupes culturels si différents, ait pu être, nos interviewés on insisté à plusieurs
reprises sur l'importance de la "solidarité" de la communauté minière vis-à-vis
des nord-africains. Mme Condera nous raconte qu'à l'époque, des femmes de
mineurs se sont engagées dans des actions "solidaires" pour aider les femmes
nord-africaines à apprendre la langue française, leur donner des cours de
cuisine, etc. Les limites d'une intégration plus réussie parmi les femmes, selon
Mme Condera, se trouvait moins dans la discrimination des femmes françaises
envers les "arabes", qu'à l'intérieur de la propre communauté ethnique, dont les
codes moraux suivent très strictement les traditions culturelles:
"La différence entre les femmes ça existe toujours quoi, mais vous
voyez, si elles venaient pas au cours, ce n'est pas parce que les femmes
arabes ne voulaient pas. Nous, on fait moins de différence. C'est-à-dire que pas
entre femmes. Mais les hommes algériens gardent leur mentalité sur la femme.
Ça difficultait. Mais moi, française, avec elles, je n'ai eu jamais de problèmes.
On s'embrasse et tout, ce que je faisais, je faisais pour elles aussi,
l'alphabétisation, beaucoup de choses." (Mme Condera. Femme de mineur
retraité).
D'ailleurs, à plusieurs reprises nos interlocuteurs diront qu'il n'y a pas eu
vraiment de problèmes de cohabitation avec la première génération des nordafricains, des difficultés, certes, de voisinage, surtout à cause du bruit des
enfants et, en effet, "on ne se fréquentait pas" - c'est-à-dire, on assiste à la
coexistence de "deux communautés" et non à leur mélange - mais ils insisteront
à ce sujet sur la tradition chez les mineurs d'une forte "solidarité" qui
"enveloppait" les différences de tous ordres. Les échanges matrimoniaux
n'existent alors qu'exceptionnellement, ce qui limite les points de conflits.
On ne souhaite pas par là minimiser l'aspect ségrégatif (déjà signalé)
existant, surtout au niveau des conditions et de la localisation des habitations
comme nous pouvons exemplifier par rapport aux H.L.M. de Trescol et de La
Grand-Combe. Si à Trescol, les H.L.M. ont été isolés par rapport aux anciens
quartiers, cette ségrégation devient encore plus frappante si l'on tient compte
du fait que les H.L.M. de La Grand-Combe deviendront un espace résidentiel
"de prestige". En effet, dans ces derniers, les locataires seront d'une manière
générale des familles appartenant à la couche moyenne, avec une forte
majorité de familles jeunes de souche française et européenne. Si un grand
nombre d'entre elles sont rattachées aux Houillères, on y trouve aussi des
enseignants, des techniciens, des commerçants, etc.
On constate, en effet, une hiérarchie parmi les H.L.M., ceux qui occupent
la position la plus haute étant les H.L.M. établis dans le quartier de l'Arboux,
dont bénéficie la population la plus solvable. Il va de soi que ces logements
jouissent d'un standing et d'un espace privilégiés. En fait, leur destination
sociale s'avère plus sélective et donne lieu à une interprétation plus large de ce
qui est dit dans le Code de l'Urbanisme et de l'Habitat, à l'article 153: loger les
"personnes et familles de ressources modestes". D'ailleurs, très souvent, le
Syndicat du Cadre de Vie de La Grand-Combe dénoncera le refus d'attribuer
les appartements des H.L.M. de l'Arboux à des personnes de revenus
modestes et d'origine "étrangère".(83)
Pour les jeunes ménages, ce déménagement est parfois même souhaité,
parce qu'il représente, par un calcul imaginaire, le franchissement d'un échelon
hiérarchique qui les rapproche du mode de vie de la couche sociale supérieure
et confère ainsi une signification promotionnelle à un tel mode de vie. Cet
argument était basé d'une part sur le fait de la cohabitation avec une couche
sociale plus prestigieuse, et d'autre part sur le caractère de modernité des
immeubles et par le nombre plus élevé d'équipements de confort. D'ailleurs,
pour obtenir une place dans l'Arboux, il fallait "être bien coté", "avoir du piston".
(M. Justin, un grand-combien).
La mise en valeur des H.L.M. de l'Arboux et leur aspect séducteur se
justifient non seulement par une meilleure qualité des logements, mais par la
localisation. Ce quartier sera en effet le seul à connaître une valorisation
foncière importante grâce à l'implantation de résidences privées (pavillons).
Situé sur le sommet de la colline du même nom, le terrain est arborisé,
ensoleillé, dispose d'un système de gardiennage, d'un parc pour les enfants,
etc. La route qui relie les H.L.M. de l'Arboux au centre-ville est tortueuse et
bordée de constructions résidentielles d'initiative privée et habitées par les
classes plus aisés (commerçants, professionnels libéraux, employés). Cela
"promouvra" cet espace qui, désormais, va jouir d'une réputation de prestige.
Le même phénomène, bien qu'à une moindre échelle, aura lieu dans le quartier
d'Aubignac, situé au pied de la colline du même nom, qui se verra valorisé
quant à lui par l'implantation d'un club de tennis. Ces quartiers résidentiels vont
devenir au fil des années les "zones nobles" de La Grand-Combe (nous y
reviendrons).
Un autre public "préférentiel" vers lequel les H.L.M. se sont tournées
concerne les mineurs retraités mariés (y compris les veufs et les veuves)
habitant d'anciennes maisons des Houillères devenues vétustes. En accord
avec la municipalité et les Offices H.L.M., les H.B.C. incitent les retraités à se
transférer dans des logements de caractère H.L.M., concentrés en général
dans le quartier des Pelouses.
"Les quartiers où il y a la plus forte concentration de retraités,
généralement, sont les cités où il y a des anciennes maisons des Houillères.
Ceux qui habitent les H.L.M. se trouvent surtout aux Pelouses, où il y a une
forte concentration de personnes d'un certain âge. Déjà aux Arboux et à
Trescol, c'est beaucoup plus jeune. A Trescol, la majorité, ce sont des immigrés
et ils ont beaucoup d'enfants, c'est pas pareil".(M. Chauzal. Président de
l'Association Cantonale des Familles).
Si le déménagement pour une "cité minière" n'a vraisemblablement pas
occasionné de refus, le transfert pour un H.L.M. ne sera pas toujours accepté
par les personnes plus âgées ou même par certaines familles habituées à la vie
"en cité". Nous ne connaissons pas de statistique évaluant ces refus, mais nous
avons rencontré quelques familles qui ont préféré rester dans leur maison
traditionnelle et dans leur ancien quartier en attendant les travaux de
réhabilitation, ou bien partir pour une nouvelle cité.
"Avant, on habitait les casernes à côté de Ricard. Alors, ils ont abattu ces
maisons et ils voulaient nous mettre dans un H.L.M. Mais nous, on n'a pas
voulu. Ils nous ont proposé un H.L.M. trop loin (Cendras). Mais je suis têtu, on
n'a pas voulu partir du coin. On a préféré un vieux logement (cité Forêt). Ils ont
encore mis du temps pour mettre la douche ici. Mais, on n'est pas mal ici!" (M.
Quies. Mineur retraité).
L'argument majeur des interlocuteurs ayant refusé à l'époque de
déménager pour un H.L.M. est que les rapports de voisinage n'étaient pas les
mêmes et que, dans une "cité", la vie "est plus agréable". La vie collective dans
les casernes est déjà éloignée dans le temps, et depuis qu'on connaît la vie
dans les "maisons-jardins" (cette amélioration de qualité de vie marque du XXe
siècle) le retour à un logement collectif du type H.L.M. semble même
désastreux pour notre informatrice:
"On est logé gratuitement. Tout ça appartient aux Houillères. Même que
le mari meurt, la femme a le droit de rester à la maison, elle a droit au
logement, heureusement! Parce que-oh, là, là! - dans les H.L.M. - ah non! Ils
nous ont proposé les H.L.M., mais je préfère mourir que d'habiter dans un
H.L.M. Parce que la bagarre, le bruit... si vous entendiez ça! Je me demande
comment ils peuvent vivre là-dedans. J'ai un fils qui habite un H.L.M. Il m'a dit
'maman, si tu entendais le soir le bruit qu'ils (les voisins) font, tout s'entend,
tout'. Alors là! moi? Ah non! Je reste ici (cité Ribes), ici c'est plus agréable".
(Mme Leclerc. Femme de Mineur).
Plus que le refus de rompre avec le quartier caractérisé par l'univers
minier, les couples que nous avons interviewés et qui se sont montrés hostiles
aux H.L.M., exprimaient une opinion négative quant aux rapports dominants
présents dans de tels lotissements. En revanche, ils faisaient l'apologie de la
cité minière en cherchant à construire une hiérarchie de type symbolique et en
plaçant l'emphase sur les valeurs de sociabilité identifiant les familles de
mineurs insérées dans cet espace social: les habitudes conviviales et les
relations de solidarité et d'entraide. Alors que dans les H.L.M., la "modernité"
du logement entraîne aussi la "modernité" des rapports: c'est "l'indifférence" et
c'est "chacun chez soi", la méconnaissance:
"Ici, on connaît tout le monde (cité de la Forêt), on se parle, mais dans
les H.L.M. personne se parle... on connaît personne. Une fois, on est passé
dans les H.L.M., personne se parlait. Ma fille, quand elle s'est mariée, elle
habitait les H.L.M. de l'Arboux. C'est beau comme tout, mais elle ne savait pas
qui étaient ses voisins, elle ne connaissait personne. Ce n'est pas la même vie
que nous. Tandis que nous, ici, on discute, on aime parler dans la rue et tout.
Quand on se retrouve avec une voisine au marché, on s'arrête, on parle des
heures. Non, les H.L.M., je n'y resterais pas". (M. et Mme Chêne. Mineur
retraité et son épouse).
Ce n'est donc pas la perte matérielle ou le déplacement géographique
qui les gêne, mais la perte affective, la rupture avec une sociabilité authentique
(celle des cités), inexistante parmi les H.L.M selon ces grand-combiens
enracinés dans leurs "cités".
***
C) Privilèges d'habitation "au temps de la nationalisation".
Après la Deuxième Guerre, pressées par une conjoncture d'accélération
expressive de la production, les Houillères augmentent le nombre de leur
personnel dirigeant, depuis les ingénieurs venus des écoles alésiennes(84),
stéphanoises, parisiennes, etc., et les employés, techniciens jusqu'aux agents
de maîtrise. Les besoins en personnel étaient énormes.
La ville, dont le décor économique n'avait pas beaucoup changé (la
mono-industrie), connaît comme avant une structure sociale hiérarchisée. Avec
celui qui réunit quelques commerçants, les cadres supérieurs des Houillères
demeurent un groupe aisé de la population. Certes, les ingénieurs ne
composent plus forcément la classe dirigeante politique, mais, malgré les
"nouveaux temps", les groupes sociaux les plus aisés se trouvaient surtout
parmi les cadres travaillant aux Houillères: ingénieurs, médecins, dentistes,
employés de bureau, etc.
Bien sûr, au niveau des conditions de vie, les mineurs avaient connu des
améliorations, mais les limites sociales les séparant des couches aisées étaient
encore cristallisés dans certains "signes de distinction" tels que le type de
résidence et la localisation du quartier. Comme naguère, la hiérarchisation des
fonctions exercées dans la mine correspond aux agencements des espaces
bâtis. Les frontières géographiques démarquées par l'occupation spatiale des
villas habitées par les ingénieurs, c'est-à-dire les anciens quartiers "privilégiés",
demeurent les mêmes. En effet, malgré les changements survenus, les
ingénieurs représentent encore pour la majorité de la population le groupe qui
occupe la position sociale dominante, celui qui reçoit de nombreux avantages
du fait de son statut professionnel: plus de charbon, plus de confort, plus de
pièces, plus d'espace et qui peut, surtout, "gaspiller", vus comme "signes
d'abondance" (de richesse) d'une minorité privilégiée:
(Mme Quidet): "Les plus beaux logements, c'était toujours pour eux... les
ingénieurs. Ils étaient toujours les premiers. Ce sont des choses qu'on voyait,
mais...".
(M. Quidet): "Il y a trop de gaspillage."
(Mme Quidet): "Mon fils par exemple, il travaille dans la tapisserie. Et
bien, il m'a dit que les ingénieurs plaçaient de la moquette par terre aujourd'hui,
demain ils arrachaient tout. Et ils jetaient la tapisserie. On tapissait une pièce
aujourd'hui, demain ils l'arrachaient et la jetaient. J'ai dit: 'Quand même! Tout ce
gaspillage qu'il y a!' Il m'a dit: 'Maman, si tu voyais la belle tapisserie qu'on
mettait et qu'après il fallait arracher!"
(M. Quidet): "C'est une honte, ça... !"
(Mme Quidet): "Alors où est le bénéfice, là? Et c'était comme ça. Trop de
gaspillage. Il n'y a pas de bénéfice, là. Au contraire, on a des dettes. Pourquoi?
Parce que rien a changé. Au contraire, je pense même qu'à l'époque de la
Compagnie les ingénieurs était plus contrôlés, il y avait moins de gaspillage
comme ça, ils surveillaient, quoi! en ce temps-là ... ". (M. et Mme Quidet, mineur
retraité et son épouse).
Les Houillères construisaient des maisons de fonction pour ses
contremaîtres ou ses cadres. Face à leur nombre important, elles auront
également recours à d'autres solutions telles que la location de maisons dans
les quartiers résidentiels d'Alès.
A La Grand-Combe, mises à part les anciennes villas à La Forêt, à Ribes
et à La Levade où les villas sont toujours habités par des familles d'ingénieurs,
d'autres ingénieurs, "une quarantaine à l'époque", les agents de maîtrise et
autres services qui leur sont rattachés (dentiste, médecin, etc.), les Houillères
construisent alors des maisons-jardins dans le quartier de l'Impostaire pour les
loger, maisons soit sous forme d'alignements continus (en particulier le long de
la rive droite du Gardon sur la commune de Branoux), soit sous forme de
pavillons indépendants.
Plus encore, les Houillères ayant concentré leurs bureaux centraux sur le
quartier de Rochebelle à Alès, un important nombre de cadres habiteront dans
ses environs. Les "notables" peu à peu s'éloignent de la "ville ouvrière" pour
s'enraciner à Alès, la ville voisine plus prospère. En effet, la tendance parmi les
cadres sera de chercher à fixer leur résidence de plus en plus dans les
quartiers résidentiels chics d'Alès, une ville dotée d'une structure de secteur
tertiaire bien développée et où les enfants pouvaient fréquenter les lycées
d'enseignement général (2ème cycle, inexistants à La Grand-Combe), et plus
tard l'Ecole d'Ingénieur des Mines.
D'autres préfèrent habiter les villes
cévenoles où l'environnement est valorisé par le tourisme (Anduze, par
exemple). Surtout, à l'âge de la retraite ils ne restent que très rarement dans le
"pays minier" et l'habitude est de la prendre ailleurs, en général en retournant à
la ville d'origine.(85)
Il faut encore ajouter que "le temps de la nationalisation" permettra à un
nombre important de mineurs, surtout parmi les français, de connaître une
mobilité professionnelle croissante au fur et à mesure de l'acquisition d'une
meilleure qualification. Celle-ci sera obtenue grâce à l'école technique mise en
fonctionnement par les Houillères (nous y reviendrons plus loin). Au fur et à
mesure de leur montée dans l'échelle des qualifications, ils connaîtront
également une ascension dans celle de la hiérarchie sociale et pourront alors
accéder à des maisons destinées aux agents de maîtrise.
Si le critère de la fonction exercée dans les Houillères demeure important
pour agencer une hiérarchie professionnelle et si celle-ci fixe encore des
critères de découpage des habitants par quartiers dans la ville, d'autres, jadis
expressifs et qui discriminaient socialement les habitants, perdent leur valeur
symbolique et pratique que comme le critère d'appartenance religieuse qui ne
joue plus un rôle "au temps de la nationalisation".
(Mme Lamart): "Ici c'était un quartier religieux, c'était que des
catholiques, on mettait pas d'autres gens, on ne mélangeait pas".
(M. Lamart): "C'est vrai. Pour habiter au Ribes il fallait aller à la messe.
Comme nous qu'on n'allait pas, on n'avait pas le droit. On avait demandé mais
on n'a jamais eu... là, pour venir à Ribes, on a eu par un cheveu, parce que
l'ingénieur était de notre avis."
(M. Roubert): "C'était pas facile pour venir à Ribes. C'était que des gens
de l'église ici, et nous on n'y allait pas. Mais maintenant on regarde pas ça.
C'était à l'époque de mes parents, en 39. Mais de ce temps-là, il ne reste pas
beaucoup de gens". ((M. et Mme Lamart. Mineur retraité et sa femme. M.
Roubert. Mineur retraité, un voisin du couple interviewé).
Le critère d'appartenance religieuse ne différencie plus les familles de
mineurs par l'habitat, par quartier. De plus en plus la différenciation sociale par
l'appartenance religieuse demeure dans les souvenirs des plus anciens: "ici
c'était un quartier religieux".
CHAPITRE 4
LA GRAND-COMBE: MICROCOSME DU "CREUSET FRANÇAIS"(86).
Les immigrants qui arrivent à La Grand-Combe "au temps de la
nationalisation", comme "au temps de la Compagnie", viennent dans le but
précis de se faire engager dans la mine et, comme autrefois, c'est l'univers du
travail qui recompose et articule les trajectoires familiales.
Comme dans les périodes précédentes, l'arrivée de travailleurs
correspond aux périodes d'embauche aux Houillères. Ce qui a changé, c'est
que si autrefois l'intention de la Compagnie était d'enraciner tous les nouveaux
venus, français et étrangers, après la Deuxième Guerre, l'objectif majeur des
Charbonnages Français est d'employer une main-d'oeuvre massive pour un
rendement immédiat et sans réelle planification d'enracinement de la
population. Au contraire, beaucoup plus qu'avant, les nouveaux arrivants
viennent avec la perspective d'un retour prochain au "pays" d'origine.
Cela est surtout vrai pour les travailleurs étrangers. En effet, on observe
parfois le retour d'immigrants italiens et espagnols une fois passées les
conjonctures fascistes. Ce sont en tout cas les algériens qui retourneront le plus
souvent chez eux, après quelques mois ou quelques années de travail intense,
et surtout après l'indépendance de l'Algérie.
Mais à mesure que les conditions de vie s'améliorent en France, grâce
en particulier à l'assistance familiale, la tendance sera plutôt de se sédentariser,
et la stabilisation des premiers immigrants s'enracinant en France va faire boule
de neige et encourager leurs compatriotes à en faire autant.
Voyons à ce sujet le récit de nos interlocuteurs algériens. Selon eux, il
est vrai qu'avec l'indépendance de leur pays, beaucoup sont retournés en
Algérie, mais pour ceux qui avaient des enfants déjà nés en France ou qui se
sentaient attirés par la stabilité et l'assistance garantie par le travail dans les
Houillères, le projet de retour est devenu de moins en moins déterminant.
"Nous, on est des kabyles. A l'époque, l'Algérie était un pays colonisé et
le travail dans les champs, c'était dur. Les salaires? Très peu! Limité! Là-bas,
on travaillait pour un peu de raisin, un peu de vin... Les premiers algériens qui
ont travaillé ici venaient pour passer les vacances en Algérie et disaient: 'voilà,
je touche tant par mois'. Ici, à la Grand-Combe, je parle, hein? Alors, pour nous,
ici, c'était la Californie. Il y avait une différence énorme entre ce qu'on gagnait là
et ce que les algériens touchaient ici. Bon alors là, on faisait venir son ami, sa
famille et comme ça, petit à petit, les algériens sont venus à La Grand-Combe
où on connaissait des moyens financiers beaucoup plus importants. Au départ,
pratiquement, il n'y avait que des célibataires. Les kabyles, c'était le noyau des
familles, du même village. Ils venaient ici et restaient, comme en Algérie, la
même cellule, toujours ensemble. On habitait ensemble, la même coutume.
Notre objectif était de travailler 6 mois ici et rester là-bas 6 mois, et de revenir
parce qu'avant il y avait beaucoup de facilité à trouver de travail. Avant! ici à La
Grand-Combe! Si on était débauché, l'après-midi on trouvait du travail, c'était la
mine. Ce n'est pas comme maintenant. Notre objectif, c'était de gagner de
l'argent mais pas de s'installer en France, mais de gagner de l'argent, de
retourner au pays pour aider la famille parce qu'en Algérie on touchait pas
grand-chose, un salaire de misère. Il n'y avait rien, quoi!
Et l'objectif, donc, des algériens à venir travailler en France, c'était de
ramasser un peu d'argent et d'acheter un champ d'oliviers, vivre de l'agriculture
en Algérie. Mais malheureusement le système colonial était tellement dur, il y
avait des impôts a payer. (...). Au niveau de l'administration française (en
Algérie), c'était mal géré. Les gens tombaient dans le système, s'endettaient, et
ne s'en sortaient plus jusqu'à ce qu'ils meurent.
Alors, ici, on était des travailleurs salariés. Petit à petit, on a fait venir la
famille. Depuis les années 1950, ça ne s'est plus arrêté. Et puis ici, il y a eu la
multiplication des enfants. Mais malgré que nous avons fait venir la famille, il y
avait toujours l'idée de retour... Tous les parents algériens travaillaient, le travail
difficile dans la mine de charbon. Alors, on travaillait vraiment consciemment
pour que nos enfants n'aillent pas à la mine. Nous, on a travaillé... mais on
voulait retourner avec les enfants et acheter un champ d'oliviers. On allait
passer les vacances en Algérie pour que les enfants connaissent le pays, les
coutumes... Mais ici, ça embauchait. Alors les enfants finissaient par travailler à
la mine. Jusqu'aux années 7O, ça embauchait et alors on travaillait. Dans les
années 80, ça a été la liquidation; mais bon! ils embauchaient encore, mais pas
comme avant". (M. Beldozqui. Mineur retraité).
Il n'y a donc pas eu rupture définitive avec le pays et le village d'origine,
avec lesquels les membres de la communauté algérienne gardent très souvent
un étroit contact. D'ailleurs, ils se marieront fréquemment avec la fiancée
promise, pendant les vacances (grâce aux congés payés), lors d'une visite au
village natal.
Il est vrai aussi que, du fait surtout de la paupérisation du pays d'origine
qui coïncide avec le besoin qu'a la France d'une relance économique, ils
cherchent beaucoup plus qu'autrefois à rester définitivement en s'intégrant à la
société globale, les liens unissant une catégorie professionnelle au sein de
l'univers de travail tendant à se reproduire dans la vie quotidienne et à
composer une mise en scène d'une apparente harmonie.
Nous l'avons déjà montré, cette intégration ne se produit pas de façon
identique pour tous les "étrangers", et ce sont surtout les nord-africains qui
subiront le processus d'infériorisation, même si l'abondance de travail permet
encore l'ancrage (la cohésion) social de la population. Autrement dit, la
cohabitation sans conflit ne signifie pas pour autant que leur position sociale ne
dépend pas "du regard de la société globale", qui crée une distance par rapport
aux immigrants, et surtout aux nord-africains.
Les étrangers étaient embauchés en grand nombre dans l'abattage.
Comme avant, ils se sont insérés dans la société grand-combienne en assurant
les travaux les plus difficiles de la mine. Malgré la rudesse du travail, les
algériens interviewés reconnaissent que, au fur et à mesure d'une intégration
"sans grands problèmes", le retour devenait de plus en plus difficile. Le travail
encore assuré pour qui avait une famille nombreuse, la garantie de l'assistance
sociale et de l'éducation pour les enfants, la possibilité d'économiser pour
passer les vacances dans le village natal d'outre-mer, les enfants qui se sentent
plus français qu'algériens, tout cela faisait de la sédentarisation un choix
presque irrésistible.(87)
Ainsi, l'arrivée de cette nouvelle vague d'étrangers, comme souvent
autrefois, n'a pas causé de "désordre" (pour paraphraser Balandier) dans cette
ville déjà marquée par le "mélange", gardant les "distances sociales et
culturelles". Comme avant, cette nouvelle vague d'immigrants s'intègre par le
biais du travail à la société grand-combienne et à la société cévenole(88). Il faut
ajouter toutefois que cette vague de travailleurs étrangers était vue par la
majorité des français comme étant une migration temporaire après laquelle ils
rentreraient "chez eux" peu à peu.
Au fil du temps, les mariages mixtes entre français et étrangers
européens augmenteront, ce qui facilitera (comme hier) l'intégration, tant des
enfants d'immigrants déjà enracinés, tant des nouveaux venus à la
communauté française, mais ce qui est moins vrai pour les nord-africains, pour
qui le mariage et le choix de la fiancée restent contrôlés par la communauté
d'origine: la majorité des femmes algériennes épousent des hommes du même
groupe ethnique.
Parmi les immigrants, ce sont surtout les espagnols, les italiens et les
portugais (peu de nord-africains) qui pratiquent le militantisme politique, soit à
travers le Parti (surtout le Parti Communiste, mais aussi chez les socialistes),
soit dans un syndicat (surtout la C.G.T.), institutions qui entre 1945 et 1948 ont
exercé une forte emprise auprès des Houillères, ouvrant de ce fait la voie à une
importante intégration. Si nous l'abordons sous l'angle des pratiques de
sociabilité, il est important de constater la montée de l'influence syndicale parmi
la communauté de travail. Le syndicat devient, avec les partis, la référence
institutionnelle essentielle dans le quotidien des habitants. D'ailleurs, toutes
proportions gardées, le rôle joué par le syndicat fait penser au rôle joué
autrefois par le curé. Grâce à son influence aux Houillères, le syndicat est une
porte d'entrée pour embaucher ses protégés.
N'ayant pas droit au vote, les immigrés de La Grand-Combe ne pourront
pas traduire leur confiance dans le parti communiste aux élections. Pour
résoudre ce genre de problème, et d'autres également - pour les uns cela
facilitera leur intégration et celle de leurs enfants à la société locale; pour
d'autres, il s'agissait de se simplifier la vie grâce à une carte d'identité française
- ils choisiront de plus en plus la naturalisation afin de s'insérer définitivement à
la société politique, avec leurs enfants nés en France. Vers les années 1955,
cette tendance sera très forte: 57% des italiens, 50% des polonais et 42% des
espagnols(89) sont devenus français. Tendance qui ne cessera de croître
surtout chez les italiens, suivis par les espagnols.
CHAPITRE 5
LA FAMILLE PROTEGEE.
Les événements survenus avec la nationalisation des mines n'ont pas
provoqué d'impact substantiel sur la forme traditionnelle d'organisation familiale
ou sur l'itinéraire particulier de chaque famille et/ou les projets de vie des
enfants. La continuité de la communauté de travail correspond à celle des
familles grand-combiennes attachées au monde du travail minier. A part
l'arrivée d'une nouvelle vague de travailleurs français et étrangers, pour qui de
nouvelles habitations ont été bâties, les familles anciennement installées vivent
cette période, dans le champ interne des relations familiales et du réseau
social, comme une période de continuité. Les changements économiques ne
bouleversent pas obligatoirement la stabilité du groupe de parenté et d'affinité.
Autrement, le fait que la nationalisation des mines assure la continuité de ce
marché de travail - et le métier - assure par là à celui des rapports familiaux et
de voisinage traditionnels(90) la continuation de la dynamique du groupe:
espace d'entraide et de solidarité, d'échange et de sociabilité forte, malgré la
grande diversité des origines.
Le style de vie demeure centré sur cette force déterminante qu'est le
travail à la mine. Les rôles respectifs de l'homme et de la femme restent ceux
traditionnellement assignés par la communauté. Le premier est attaché aux
Houillères, où le travail salarié lui permet d'assurer le soutien de la famille. Les
femmes - les enfants non plus, d'ailleurs - ne travaillant plus sur les chantiers
miniers, elle s'en tiennent donc à garder le foyer et à gérer le logis.
A cette époque, les familles grand-combiennes, vu qu'elles dépendaient
en majorité des Houillères, vont connaître une amélioration des conditions de
vie, grâce surtout à l'élaboration du Statut du Mineur qui stipulait la gratuité de
l'habitat non seulement pour les travailleurs en activité, mais aussi pour les
retraités et les veuves.
La forte assistance sociale garantie par la nouvelle structure économicopolitique sera fondamentale dans le sens où elle va perpétuer un processus de
dépendance de la communauté de travail vis-à-vis de l'entreprise. Dans ce
sens, le passage de la condition privée à la condition publique renforcera ce
que nos interlocuteurs identifient eux-mêmes comme étant la "mentalité grandcombienne d'assistés".
En même temps, les changements plus globaux qui touchent le monde
capitaliste vont permettre, grâce à une élevation universelle des conditions de
vie à travers l'avènement de la "modernisation" - synonyme de confort standard
-
des changements aussi dans le mode de vie des familles, surtout par
l'allégement des lourdes tâches domestiques. Les premières machines à laver
font leur apparition chez les ouvriers. Finis les éternels aller et retours aux
lavoirs avec les lourdes charges de linge. En contrepartie, l'on assiste
également à l'extinction graduelle de ces "lieux intenses" de la sociabilité des
femmes de mineurs.
Et pour les ménages qui ne peuvent pas encore accéder au confort, il y
aura le recours possible à une Association civile qui jouera désormais dans la
ville un rôle significatif: la Maison de la Famille. Cette association est créée en
1946 dans le but d'assister les familles nombreuses et d'adoucir les difficultés
de l'après-guerre, surtout en ce qui concernait l'alimentation des enfants et la
mère de famille dans son "rôle social"(91), l'assistant dans des tâches
domestiques comme la lessive, considérée la plus pénible, en leur permettant
l'accès à de nouveaux outils de confort: la machine à laver, le fer à repasser.
Selon l'actuel président:
"A l'époque on avait un service d'aide à domicile, on tenait à la
disposition des familles des machines à laver et d'autres conforts ménagers.
Elles venaient les chercher ici ou les utiliser sur place. Enfin, au début,
l'association existait pour faciliter la vie des familles nombreuses au point de
vue nourriture, au point de vue aide ménagère, et aussi pour les écouter et les
guider, bien s–r". (M. Chauzal, Président de l'Association Cantonale des
Familles).
Ainsi, si les familles de mineur vivaient cette étape sans grands
bouleversements au niveau de l'organisation sociale du groupe (réseau
familiale et de parenté), elles étaient amenées parallèlement à assimiler de
nouvelles données domestiques porteuses de "progrès", surtout pour la femme:
l'électricité et l'eau courante dans les maisons, les nouvelles conditions
d'hygiène, les appareils électro-ménagers, etc.
CHAPITRE 6
LES PROJETS FAMILIAUX EN QUESTION.
Grâce à la stabilité du marché du travail et à celle de la structure sociale,
l'interaction entre la vie familiale et le monde minier est importante. La mine
reste l'option de travail la plus concrète pour la communauté, car elle lui
dispense tout un ensemble d'assurances et d'avantages - pour ne pas citer de
nouveau les valeurs collectives traditionnelles de ce monde du travail. Cette
stabilité va permettre de consolider une tradition collective où la mine continue
à donner une forme concrète aux trajets familiaux. Pour une grande majorité de
la population active, la mine reste donc un choix de métier primordial et
déterminant(92).
En effet, la nationalisation des exploitations minières françaises dans le
cadre de la reconstruction du pays confirme l'existence de conditions objectives
de travail dans le secteur. D'ailleurs, pendant les années de la bataille du
charbon, tous les discours officiels (l'Etat et le syndicat) répètent sans cesse
qu'il s'agit d'une catégorie professionnelle "traditionnelle" et "héréditaire", visant
ainsi à stimuler le "mythe du mineur fils de mineur". C'est encore la "possibilité"
la plus intériorisée pour la construction des projets de vie. Cela permet de
renforcer l'identité collective du groupe au niveau local.(93)
Mais ces années de l'après-guerre sont aussi celles des innovations
technologiques qui ouvrent une voie à l'amélioration du niveau de qualification à
certains postes, dont bénéficiera la génération de l'après-guerre. En effet, à
cette époque, suite à la modernisation des équipements et des fonctions, des
formes
nouvelles
l'administration
des
de
mobilité
Houillères
socio-professionnelle
a
besoin
sont
d'augmenter
offertes,
son
et
personnel
administratif.(94) Cette ouverture du champ de la promotion professionnelle
sera assimilé comme un facteur de réussite sociale.
Cela ne signifie pas pour autant que l'accès aux postes les plus qualifiés
était devenu une voie d'ascension sociale offerte à tous. La mine a encore
besoin de bras. Les tâches traditionnelles les plus dures ne sont pas encore
abolies et le travail d'abattage reste celui qui occupe le plus grand nombre
d'ouvriers. Les possibilités d'ascension professionnelle sont donc très sélectives
et ne concernent qu'une partie du groupe. Nombreux sont ceux qui restent non
qualifiés, surtout parmi les nouveaux immigrés, et notamment ceux venus
d'Afrique du Nord et de la péninsule ibérique, pour qui l'abattage reste la
principale chance de travail. Ce sont donc les mineurs français (et d'autres
origines européenne comme les polonais, etc.) qui vont bénéficier en priorité
d'un recyclage destiné à leur donner une qualification.(95)
"Je travaillais au fond de la mine, mais depuis la nationalisation j'ai fait de
la formation et il y a eu un concours que j'ai passé. J'ai commencé à travailler
dans le secteur d'exportation au niveau gestion. Mais mon milieu a été toujours
le milieu ouvrier-mineur, que ce soit mes grand-parents ou mon père ou tous
mes collègues, ils étaient du milieu mineur. Seulement j'ai pu monter l'échelle
par la formation. Et j'ai fini dans le secteur commercial du charbon". (M.
Champliet).
Ce qui est vrai, c'est que les chances de qualification, et par là de gravir
les échelons, s'accroissent et que les mineurs rechercheront de plus en plus la
mobilité professionnelle (et sociale) et souhaiteront pour leurs enfants des
postes plus qualifiés. Si les fils de mineur peuvent recevoir une formation à
l'école technique, les anciens mineurs peuvent obtenir une qualification
(recyclage) qui leur permettra de rendre performant l'équipement installé dans
les nouveaux puits en activité et de s'adapter aux nouveaux systèmes
d'exploitation.
"J'ai travaillé 30 ans au fond mais après je suis allé à l'école de la mine.
Je suis allé apprendre le métier d'ajusteur et j'ai fini ma carrière à la Centrale
(Thermique). Celle qui maintenant ne marche plus, là". (M. Rose. Mineur
retraité).
"J'ai eu de la chance, ils m'ont envoyé à l'école. Je n'étais pas beaucoup
instruit, mais j'ai fait ajusteur à l'école et ma situation s'est un peu améliorée. Et
puis, comme ils ont vu que ça marchait, ils m'ont demandé de faire électromécanicien et j'ai fait un an et demi d'électro-mécanicien. J'étais à l'école en
bas, dans le Centre d'Apprentissage des Mines, à l'école du centre. Seulement
j'ai péiné beaucoup, plus que les autres, parce que ma démarche intellectuelle
n'était pas au niveau des autres. Alors le soir, quand j'arrivais, j'essayais parce
que je voulais sortir de ça. J'ai travaillé plus pour m'en sortir parce que mon
niveau intellectuel était plus bas, je faisais beaucoup de fautes d'orthographe,
pour compter et tout ça. On m'avait laissé à un niveau très bas. Quand même,
ça ne m'a pas empêché; on était dix, et j'ai eu tellement de volonté que j'ai fini
et j'ai eu mon certificat d'études." (M. Voldany. Mineur retraité).
Cela signifie qu'il existait la possibilité d'un "accompagnement"
(formation) technique dans certains cycles de la vie laborieuse, qui ouvrait des
voies de promotion professionnelle.
"J'ai travaillé à la mine. C'était dur, mais plus on travaillait, plus on faisait
de métrage, plus on gagnait. Puis je suis parti pour la formation et j'étais un
ouvrier hautement qualifié. J'ai eu le mérite du travail. J'ai gagné une médaille.
C'était rare parce qu'il fallait la mériter. C'était en 68 que j'ai été médaillé, j'ai été
qualifié un des meilleurs travailleurs. J'étais maître-boiseur et je risquais ma
vie." (M. Endolre. Mineur retraité).
En effet, ces possibilités de qualification augmentent grâce à la formation
professionnelle promue par les centres d'apprentissage des Houillères de La
Grand-Combe et d'Alès. Pour les enfants, c'est le certificat d'aptitudes
professionnelles qui va donner une chance de "réussite sociale":
(M. Ponde): "Mon arrière-grand-père était cokeur, mon grand-père était
mineur de fond (...). Mon père aussi travaillait au fond, mais moi je faisais de la
réparation, j'étais un technicien parce que j'ai fait des études dans l'école des
Houillères. A 16 ans je suis entré pour la formation professionnelle et puis j'ai
été embauché par les Houillères directement".
(Chercheur): "Les élèves de cette école venaient tous du milieu minier?"
(M. Ponde): "Oui, la majorité était fils de mineur". (M. Ponde. Technicien
retraité).
La différence avec l'époque précédente, explique Ariès, c'est que
l'ascension sociale au XIXe siècle consistait avant tout à quitter le poste
d'ouvrier pour devenir employé, un col blanc, alors que la qualification permet
désormais une ascension à l'intérieur de la propre condition sociale ouvrière.
Non pas qu'abandonner sa condition n'est plus souhaitable, mais il est
également possible d'accéder à la mobilité sans en sortir.(96)
Certes, Ariès se réfère au contexte parisien ("cette seconde génération
ouvrière et banlieusarde"), car les chances de mobilité dans le monde de la
mine sont beaucoup plus limitées que dans les "fabriques qualifiées" de la
région parisienne. Mais, toutes proportions gardées, cela peut s'appliquer aux
activités des Houillères et des entreprises sous-traitantes (thermoélectrique, par
exemple), qui tirent plutôt profit de la dynamique générale des mutations
technologiques donnant naissance à de nouvelles fonctions plus qualifiées. De
plus en plus, des récits de trajectoire de réussite apparaissent. Constamment,
les personnes interviewées y font référence dans leur discours: "j'ai commencé
au charbon" mais "j'ai fini à un haut poste". De telles phrases émaillent sans
cesse nos entretiens.
Si par ailleurs les opportunités de changement de secteur sont de plus
en plus nombreuses, réaliser une trajectoire professionnelle à l'intérieur du
monde de la mine symbolise encore la réussite idyllique.
"Moi, je me suis fait disputer par mon père quand j'ai décidé de suivre la
peinture. Nous nous sommes disputés, il voulait que je fasse l'école
d'ingénieurs. Oh! C'était dur. A ses yeux j'étais un faignant, c'est ça (...). Mon
père me disait de travailler bien à l'école pour devenir un jour ingénieur, il
voulait quand même un métier comme chef pour son fils, ils voulaient que leur
fils devienne ingénieur. C'était l'idéal. Parce que c'était leur chef à eux,
l'ingénieur. Parce que si on voulait travailler à la mine et monter dans l'échelle,
c'était ça...". (M. Landes. Fils de mineur, artiste peintre).
Pour les mineurs, voir un fils arriver au poste d'ingénieur était encore le
critère pour définir la réussite. Mais si ce père a voulu pour son fils une
ascension professionnelle par le biais de la formation universitaire, les familles
aspirent de moins en moins à ce que leurs enfants "travaillent au charbon",
même en y acquérant une qualification. Autrement dit, si M. Landes a négligé la
volonté de son fils de suivre un chemin individuel, cela ne signifie pas qu'il
souhaitait tout simplement le voir perpétuer une hérédité de travail à la mine.
Mais le souhait des parents en général est que leurs enfants puissent jouir
d'une mobilité ascendante socialement liée à la structure économique qui reste
pour eux celle de référence.
Il faut remarquer ici que la formation professionnelle contribua non
seulement à la formation de spécialistes parmi les jeunes mineurs mais leur
apporta aussi une plus grande information des conditions de travail. D'autre
part, les Statuts de Mineur ont poussé à reconnaissance de la silicose comme
maladie professionnelle (finalement la catégorie est dotée d'un régime de
retraite
complémentaire
et
les
examens
de
dépistage
deviennent
systématiques). Cela permettra aux mineurs de cette nouvelle génération à
combattre avec plus d'information et d'assistance médicale les "maux"
provoqués par le travail souterrain. Exemplifions cette prise de conscience par
le récit de M. Gallet, formé en mécanique dans le centre d'apprentissage des
Houillères. Il a travaillé dans la mine "au fond" et selon lui, après avoir vécu la
souffrance de son père silicosé à 100%, il a toujours porté le masque.
D'autre part, avec les changements que connaît la société en général (le
"progrès", la lutte politique, etc.), et qui permettent à certaines familles une
ouverture plus large, les jeunes commencent à vouloir s'éloigner de plus en
plus des sphères de travail traditionnelles. Mais la période est encore marquée
par un système de valeurs collectives suffisamment fortes et l'idéal de réussite
garde ses références au monde local. Néanmoins, la structure économique des
Houillères est "très fermée" et, face à une société "moderne" qui ne cesse
d'offrir (et de séduire) des "innovations" au niveau d'une ouverture du champ
des possibilités de travail, la rupture des jeunes avec une trajectoire
traditionnelle devient, par-là, une amplification des chances objectives de choix
professionnel. Les années d'après-guerre sont celles de la mise en place d'une
"société de consommation" et, face aux transformations de la société française
et à l'expansion de son économie, les chances de suivre une autre trajectoire
professionnelle se concrétisent davantage.(97)
Cela concerne surtout les
départs volontaires de jeunes vers un projet individuel. Parfois avec l'accord,
parfois contre la volonté des parents, les enfants se lanceront de plus en plus
vers un marché du travail plus qualifié.(98)
"Mon fils habite à Marseille. Il est d'abord allé travailler à Paris et puis à
Marseille. Il travaille aux P.T.T., lui et sa femme. Ils n'ont pas voulu rester et
puis c'était pas que ça ne leur plaisait pas, le métier de mineur, mais mon mari
ne voulait pas qu'il fasse la mine. La mine c'était dur, c'était ingrat, la poussière,
le danger. Il y avait un côté de bon, parce que vous aviez le travail devant la
porte. Si on voulait, il y avait du travail. Ça c'est un avantage. Mais enfin, c'était
pénible". (Mme Boss. Femme de mineur retraité).
Nous nous référons à une émigration volontaire des jeunes vers la
grande ville, plutôt rare, soit pour les études, soit pour la recherche d'une
condition salariale plus favorable et même de la réussite sociale (aller à Paris,
Marseille, etc., et réussir, par exemple).
Mais, au fur et à mesure que la récession économique étrangle le
marché du travail local, ces départs ne seront plus seulement volontaires et
synonymes d'un projet de réussite sociale: ils deviendront obligatoires, car ils
mettent en cause la propre survivance et la reproduction de la famille. Pour
ceux qui ne veulent pas partir, comme Michel, fils de mineur, la réalité serait
bien autre que celle que leurs ascendants ont connue avec le travail sûr.
"C'est ça, depuis trois générations je suis le premier à ne plus porter le
cabas. Je suis en chômage, mais de toute façon je ne quitterai pas la
montagne".(99)
Ce sont le chômage et les "petits boulots temporaires et très souvent au
noir" qui deviennent l'ordinaire, l'offre réelle d'un marché de travail de plus en
plus sélectif et, face à ces contraintes, c'est toute une génération de "fils de
mineurs" qui se sent menacée d'un "déclassement" social, principe d'une sorte
de "désenchantement" commun à toute cette génération (sujet que nous
développerons principalement dans les Parties IV.).
CHAPITRE 7
LES GRAND-COMBIENS AU CARREFOUR DE LA CONTRADICTION:
L'ECOLE PUBLIQUE/L'ECOLE PRIVEE.
Parmi les transformations de la société globale, les grand-combiens
connaissent aussi celles relatives à la re-contextualisation du système éducatif
français et aux dispositions qui s'y attachent(100). Depuis la Deuxième Guerre,
comme partout en France, beaucoup de parents envoient leurs enfants à l'école
laïque sans crainte des représailles idéologiques que cette option entraînait
anciennement. L'école publique, qui offre l'enseignement gratuit, ainsi que le
matériel scolaire, devient l'école de la majorité. L'école républicaine grandcombienne remplit d'ailleurs une fonction institutionnelle autre que celle "de la
Compagnie" de jadis: non plus l'apprentissage scolaire selon une structure
hiérarchisée déterminée par l'institution économique dominante, mais celle de
découvrir les valeurs "officielles" de la société globale, c'est-à-dire les droits du
citoyen et de l'individu (égalité, fraternité). Moins de pouvoir de contrainte et
une
plus
grande
reconnaissance
des
conditions
sociales,
politiques,
économiques, culturelles, idéologiques, symboliques auxquelles a droit chaque
citoyen dans l'ensemble de société - droit de l'individu et droit au suffrage
universel (et aux valeurs d'un monde réglé par l'économie libérale(101)).
Autrement dit, l'école publique n'était plus un lieu d'apprentissage pour "devenir
un bon mineur", mais pour devenir citoyen. Comme d'autres archétypes, elle
représentait de surcroît la victoire des forces politiques de gauche.
En effet, à l'époque, les écoles privées "de la Compagnie" sont mises au
service de l'enseignement public. Au grand contentement des parents militants
de gauche, l'école laïque s'impose: écoles maternelles à La Grand-Combe
(dans la rue Jules-Ferry), à Trescol et au Pontil, écoles primaires à La GrandCombe (dans la rue Jules-Ferry et dans la cité de Ribes et de La Forêt), à
Trescol, Champclauson et La Levade. L'ancienne école des garçons à La
Grand-Combe - place Jean-Jaurès (derrière la Mairie) - donne naissance au
collège Léo-Larguier, subventionné par la municipalité (et par l'Etat) qui pourvoit
aussi au matériel d'enseignement collectif. Elle subventionnera aussi
l'Association des Parents d'Elèves du Collège Léo-Larguier, qui va octroyer aux
enfants le matériel scolaire.
Il est vrai que pendant cette période dominée par cet esprit de
transformations
représentaient
d'ordre
avant
social,
tout
le
les
écoles
système
libres
paternaliste
grand-combiennes
et
l'enseignement
conservateur qu'il fallait mater. Mais, si l'école laïque est comprise comme
jouant un rôle social dans un système éducatif orienté vers l'égalisation des
citoyens, cela n'empêche pas que de telles démarches réformatrices faites en
dépit de l'école libre trouvent aussitôt des limites parmi la communauté grandcombienne. En effet, passées ces premières années de mise en place d'une
société égalitaire (nationalisation des mines, enseignement public, etc.,) et dès
l'apparition de la menace de fermeture de l'école privée, plusieurs défenseurs
grand-combiens de cette institution vont se battre contre la reprise de celle
située place Jean-Jaurès. A côté des administrateurs et enseignants
catholiques, les grand-combiens s'érigent en défenseurs acharnés de la
continuité de "leurs écoles" (entendons "les écoles privées"). Autrement dit,
ainsi, comme souvent un peu partout en France, l'école libre trouve à La GrandCombe des défenseurs du maintien de la place occupée par l'école libre au
sein de la communauté. A travers ce comportement, contradictoire (ou pas), les
grand-combiens révèlent à quel point ils avaient intériorisé les dispositions
socio-culturelles "du temps de la Compagnie" et leur importance pour la
mémoire collective du groupe, dans ce processus de maintien des repères
quotidiens d'identité qui sous-tendaient leurs sentiments d'appartenance à un
groupe particulier et au monde minier.
L'affaire aura un retentissement au-delà du "pays". L'occupation de
l'école par les groupes de résistance à la fermeture gagne des adeptes et les
forces de l'ordre est obligée d'intervenir. L'enseignement privé n'arrive pas à
récupérer l'école, définitivement "volée par l'Etat"(102), mais un nouvel
établissement est construit dans la rue villa Béchard (ancien quartier Salavert),
qui porte le nom de "l'Ecole de la Liberté". Peu à peu, l'école libre reprend son
rôle de formation des enfants grand-combiens pour un monde, en fait,
hiérarchisé lui aussi et caractérisé par l'individualisation de l'enseignement. Elle
se réaffirme comme le tremplin le plus s–r pour accéder à un marché du travail
plus qualifié.
M. F. Sugier, historien du mouvement ouvrier dans le bassin
cévenol(103), nous écrira:
"Bien sûr, il y a rejet du paternalisme mais il y a quand même eu une très
forte intériorisation des principes paternalistes dans les populations
concernées, et, en premier lieu, à La Grand-Combe. Il n'y a qu'à voir la violence
des manifestations à La Grand-Combe quand, lors de la nationalisation, on a
voulu fermer les écoles privées de la Compagnie: pour les grand-combiens,
c'étaient 'leurs écoles'". (Lettre de M. Fabrice Sugier. Privas, le 3 avril 1991).
La force avec laquelle l'école libre est défendue à La Grand-Combe n'est
qu'un exemple de ce processus à travers lequel les sujets ré-élaborent leurs
valeurs de référence d'identité dans un nouvel ordre social. La ville (comme la
société globale) avait réellement subi une transformation, comme le prouvent
les réformes de la structure de l'enseignement français après la Libération, de
même que ce mouvement n'était pas synonyme d'une pratique religieuse de
l'Eglise catholique des grand-combiens à l'ancienne. La présence à la messe
n'est plus une obligation et peu à peu, le fait d'aller à la messe, ou non, ne sert
plus à distinguer les groupes comme "au temps de la Compagnie", si n'est par
l'appartenance religieuse. Ni la distinction sexiste n'aura lieu comme avant. Les
femmes participent aux messes les jours de fête de mineurs et, plus que les
hommes, maintiennent une pratique religieuse régulière. D'ailleurs, le syndicat
devient un important noyau de sociabilité masculine en dépit de l'Eglise. On
peut même observer que celle-ci devient surtout fréquentée par les fidèles
féminines. Le curé ne joue plus l'ancien rôle d'autorité absolue et indiscutée et
se limite à remplir ses fonctions sacerdotales et il partage de plus en plus avec
la collectivité l'action religieuse et communautaire (ou, humanitaire). Son
autorité est assouplie quoique son influence demeure considérable au sein de
la communauté(104).
Mais cela n'invalidait pas pour autant la motivation pour la continuité, ou
le maintien de cette micro-société - l'école privée - qui prenait encore en compte
l'environnement socio-culturel - un monde minier en effet hiérarchisé et attaché
aux valeurs catholiques.
Quoi qu'il en soit, au terme des "années de paternalisme", les enfants
des familles ouvrières n'étaient plus soumis à un appareil scolaire unique
monopolisé par la Compagnie. Les clivages sociaux, certes, n'avaient pas
disparu, mais du moins cette liberté d'inscrire les enfants dans l'établissement
du choix de chacun était-elle assurée. A La Grand-Combe comme ailleurs, la
formation intellectuelle et morale souhaitée était celle prévue par l'Education
Nationale de façon à subvenir aux besoins de tous les citoyens sans distinction.
Cela n'empêchera pas le prestige de l'enseignement libre de conserver sa
place, parce que c'était dans une certaine mesure "la tradition", l'institution à
laquelle les habitants identifient aussi leur histoire locale et leur sociabilité
villageoise. Sa disparition heurte les esprits grand-combiens, qui extériorisent
dans l'appréhension de ce processus de discontinuité le désir de maintenir un
trait d'union avec le passé. L'on peut parler de prise de conscience de leur
attachement au passé ou de leur ancrage dans les pratiques sociales qui les
identifient.
Deux écoles privées fonctionnent désormais à La Grand-Combe (rue
Pasteur, l'ancienne école ménagère pour les filles, et celle de la rue VillaBéchard) et une à Trescol. Ainsi, les parents les plus attachés aux valeurs
traditionnelles renvoient peu à peu leurs enfants dans les établissements
catholiques. Les parents, face à la charge qu'occasionne cet enseignement
payant, pourront néanmoins bénéficier de bourses d'études accordées par
l'Etat(105) mais aussi par les Houillères, qui gardaient quant à elles certains
critères sélectifs:
"J'ai toujours tout payé pour ma fille. Elle était dans l'école payante 'des
frères'. Les Houillères donnaient des bourses, mais comme on n'était pas une
famille nombreuse (fille unique), on ne nous avait pas accordé la gratuité. On
n'a jamais donné de bourse pour ma fille: un enfant seul, il n'avait rien. J'ai
toujours payé. Et puis pour le lycée, ma fille était pensionnaire à Mendes, et elle
n'a jamais rien eu, j'ai payé les livres. Les Houillères regardaient votre salaire et
s'ils jugeaient que vous gagniez assez, vous n'aviez rien. Surtout parce que
c'était une fille; si c'était un garçon, il gagnait. Ils donnaient parfois une bourse
pour une fille, mais une sur 15 garçons, hein!. Le garçon, même que le papa
gagnait beaucoup plus, ils lui donnaient une bourse, parce que c'était un
garçon. Parce qu'un garçon risquait plus tard de faire l'école technique, l'école
des ingénieurs et des trucs comme ça, alors que les femmes n'y entraient pas".
(M. Roux. Mineur retraité).
A l'époque, environ 3.000 élèves fréquentaient l'appareil scolaire de la
commune. Les enfants pouvaient suivre la formation scolaire de la Maternelle
jusqu'à la classe de 3ème au Collège, ou alors fréquenter l'école de formation
professionnelle des Houillères.
Les H.B.C, en effet établissent une école de formation professionnelle
dans le quartier des Pelouses. On y donnait un enseignement technique visant
à
former
les
apprentis-mineurs
et
délivrant
le
certificat
d'aptitude
professionnelle. Plutôt que de suivre le même métier que leurs parents, ces "fils
de mineurs" pouvaient envisager une rapide ascension vers les postes les plus
qualifiés des Houillères. Avec la réforme de 1959, le centre d'apprentissage
devient collège d'enseignement technique (C.E.T).(106) Les Houillères
implantent également un centre de formation professionnelle, pour les adultes
(secteur Ricard) dans l'objectif de permettre aux mineurs l'accès à
l'enseignement technique(107).
Néanmoins, au fur et à mesure que les mines ferment, les écoles
techniques prises en charge par les Houillères ont été mises en sommeil. Le
vide laissé par la désactivation du C.E.T. est en partie substitué par le centre de
formation professionnelle pour adultes créé en 1971 (C.F.P.A.), proposant, du
moins
jusqu'aux
années
80,
un
système
de
formation
parallèle
à
l'enseignement national, envisageant la promotion professionnelle des adultes
à partir de 18 ans.
"A l'époque le C.F.P.A. considérait qu'il devrait remplir son contrat avec
la société dans la mesure où nos élèves sortaient avec un diplôme de
formation, c'est-à-dire qu'elle était partie de quelqu'un qui n'avait pas de
formation et elle donnait cette formation, et à l'extrême on ne suivait pas le
diplômé dans son chemin d'insertion au système économique, alors
qu'aujourd'hui nous avons évolué... C'était une époque en tout cas où le
système économique absorbait facilement la main-d'oeuvre qualifiée". (M.
Favede. Directeur de la C.F.P.A.)
L'objectif étant celui de former ces jeunes adultes et de recycler les
adultes pour un niveau de qualification professionnelle.
CHAPITRE 8
LA POLITIQUE VECUE AUTREMENT.(108)
La vie politique avait bien été transformés dans la ville. Depuis des
décennies de vote à droite, l'initiative politique locale change de mains et une
municipalité de gauche se stabilise au pouvoir, réactualisée chaque fois par le
jeu démocratique des partis et acteurs politiques. Mais, avec quelques
caractéristiques originales. Au contraire d'Alès, qui s'affirme comme bastion du
communisme, le pouvoir municipal à La Grand-Combe glissera vers la gauche
socialiste. D'ailleurs, si dans l'ensemble du bassin cévenol le parti communiste
demeure majoritaire, c'est le parti socialiste qui s'impose à La Grand-Combe.
En effet, la ville au "temps de la nationalisation" et à l'heure de la
Libération confirme les engagements politiques conquis à l'époque du Front
Populaire, quand la ville connaît des transformations après presque un siècle
de centralisation et de monopole du pouvoir politique (et économique) dans les
mains de la Direction de la Compagnie des Mines de La Grand-Combe.
Tout d'abord, les grand-combiens connaissent une courte période d'une
mairie communiste par l'élection de Roger Rouvière, élu en mai 1945 et restant
au pouvoir jusqu'en 1947 (M. Jules Martin, adjoint). Les élections de 1945
prouvaient que la situation politique dans la ville était bien renversée. La victoire
des communistes est due à l'allure forte avec laquelle ce Parti sort de la lutte de
résistance pour l'indépendance nationale: "car Rouviére a bénéficié du fait que
la Résistance dans le bassin minier a été presque uniquement communiste
jusqu'à 1944"(109). Après la Libération, c'est le moment de récolter les fruits. Le
communiste Rouvière a été d'abord maire de 1944 à 1945 (comme président du
C.N.L. et de la délégation spéciale) et les élections du 20 mai 1945, lui
confirment le siège de premier magistrat avec un conseil municipal formé de
communistes, M.R.P. et socialistes.
Mais, après cette courte parenthèse chez les communistes, le pouvoir
local depuis 1947 s'imposait dans les mains d'un maire socialiste. M. Germain
Soustelle(110), avec une nette orientation centriste et avec le soutien de la
droite revient sur le pouvoir local. Cette situation n'est pas limité à La GrandCombe, et une situation semblable a lieu dans d'autres localités de la région.
En effet, selon nos informateurs, passées les premières années de
reconstruction nationale, et "une fois repris les habitudes et les comportements
sociaux et politiques traditionnels"(111), Soustelle, qui est par ailleurs une
expressive figure politique locale, puisqu'il milite alors depuis près de trente ans
(c'est lui qui à "pris" la Mairie à la Cie. en 1925), n'a pas eu de mal à revenir sur
"la scène" politique et à reprendre le pouvoir municipal. Les autres Partis se
partagent les sièges au conseil municipal.
Depuis 1947, la municipalité était régulièrement restée aux mains des
socialistes ayant toujours en tête le maire, M. Soustelle, qui permettait la
cohésion des alliances partisanes malgré de profondes oppositions. En effet, il
est réélu en 1953 par la même composition de forces. En 1959, allié aux
communistes, c'est encore le candidat des socialistes qui permet la coalition et
Soustelle conquiert son troisième mandat consécutif.
En 1965, affaibli par un échec aux élections législatives, Soustelle ne se
présente pas, et à sa place c'est un autre socialiste Maurice Larguier qui est
lancé candidat, tête d'une liste soutenue par les socialistes, centristes et gens
de droite. Il emporte la mairie et cette alliance permettra la stabilité des
socialistes dans les élections de 1971 et celles de 1977. A chaque occasion M.
Larguier est réélu. En 1983, conjoncture marquée par l'Union de la Gauche, M.
Larguier s'allie aux communistes et emporte de nouveau la mairie. Au plan
local, les communistes faisaient toutefois certaines concessions au niveau des
adjoints dont les délégations effectives les plus importantes restaient aux
socialistes. M. Maurice Larguier reste maire de La Grand-Combe jusqu'en
1989.
Ce qui explique la stabilité des socialistes occupant le siège de premier
magistrat à La Grand-Combe est lié à leur stratégie de coaliser les forces
d'opposition à chaque élection:
"S'alliant tantôt à droite, tantôt à gauche, le Parti socialiste a pu
conserver longuement le siège du premier magistrat de la commune".(112)
Il est certain que les alliances composés entre S.F.I.O. (centre gauche),
P.C., et M.R.P. (centre-droit et droite), ont construit une voie convergente de
négociations et de distribution de pouvoir, permettant à chaque fois aux
socialistes de remporter la mairie. La droite, par exemple, vote très souvent
socialiste au deuxième tour (à Bessèges par exemple, la droite - 30 à 40% donne la victoire aux socialistes au deuxième tour). Il est vrai que le P.C. arrive
normalement en tête au premier tour, mais les socialistes l'emportent au
deuxième.
Il irait au-delà de nos propos d'analyser les alliances qui permettent à
chaque fois cette stabilité des socialistes au pouvoir municipal.(113) Ce qui
nous semble, néanmoins, significatif, a trait au comportement électoral grandcombien et nos interviewés sont unanimes pour le mettre en rapport avec le fait
d'une dépendance de plus d'un siècle à la Compagnie et l'idéologie catholique.
"Ainsi, à La Grand'Combe, le passé se mêle au présent, le pénètre et lui
donne cette mentalité politique particulière si différente de la mentalité
alésienne où ouvriers, commerçants, fonctionnaires sont suffisamment face-àface pour prendre conscience de leurs classes respectives et de leurs intérêts
sociaux....".(114)
Pour Favede, cette condition du passé a structuré une "mentalité grandcombienne" qui diffère de celle d'Alès. Selon lui, malgré la forte emprise du
syndicat C.G.T. sur les Houillères, celle de l'église catholique, qui s'exerçait
depuis un siècle, reste très forte à La Grand-Combe.(115) Malgré le revirement
d'époque, la tradition parle fort et, autour de cela, se crée tout un enjeu
politique. L'appartenance politique, ou du moins le comportement électoral sont
aussi révélateurs de certains éléments forts de l'identité du passé "en raison du
partage d'une personnalité sociale et historique"(116) ce qui ne leur paraît pas
toujours contradictoire avec la filiation syndicale ouvrière, ni même avec
l'appartenance "à une des régions plus communistes de France" (M. Sellen, fils
de mineur). L'identité du groupe apporte ses références discontinues du
passé/présent et la ville garde ses particularités.
Effectivement, il faut tenir compte du poids social hérité des Compagnies
minières dont la trame est fournie par "la forte et durable emprise
paternaliste"(117). Partout où la ville a été, pendant plus d'un siècle, sous la
domination politique et sociale d'une des deux grandes Compagnies
paternalistes du Bassin (Compagnie des Mines de la Grand-Combe et
Compagnie
Houillères
de
Bessèges)
les
conseils
municipaux
sont
socialistes.(118) Ce phénomène n'est pas simple à expliquer, mais peut-être
faut-il voir là un effet à long terme des politiques paternalistes, une sorte
d'"intériorisation" de ses principes de négociation à l'amiable, de refus de tout
bouleversement, par opposition aux conflits ouverts et à la volonté de rupture
avec le passé prônés par les communistes.(119)
L'on se trouve donc un peu face à un paradoxe, nous dira Sugier: plus
l'emprise des Compagnies a été forte de 1830-1840 à 1914, moins la réaction
d'émancipation vis-à-vis d'elle s'est investie dans le parti représentant le mieux
la volonté de bouleverser la structure sociale.(120)
D'autres éléments sont aussi un point plus au moins important: le vote
féminin assumé après la Libération, les mineurs lozériens et auvergnats très
catholiques et les immigrés naturalisés parfois très catholiques (Espagnols,
Polonais), sont très souvent inclinés à voter comme leur curé. De plus, une
frange de la population, tout un personnel technique et administratif, veulent se
différencier des "gueules noires" non seulement par des signes (façon
d'habiller, accès au confort, etc.), mais aussi à travers le comportement
politique ou syndical. Tous tendent à former une base du socialisme ou voter
socialiste au deuxième tour des élections. Mais, en effet, cette perspective
d'identifier les groupes votant P.C., P.S., etc., nous semble complexe. Parfois
dans un même foyer les tendances peuvent être diverses, c'est-à-dire, nous
trouvons le père mineur, celui qui a vécu la Libération, votant P.C. alors que le
fils mineur ou la mère votent socialiste.
"Mon père était communiste à fond, il avait sa carte du syndicat C.G.T.,
mais moi j'étais pour les socialistes, parce que je voyais tout ce qui se passait.
Chaque fois je me disputais avec mon père c'était dur, hein!. Chaque fois qu'on
parlait politique ça chauffait. Mais je suis resté socialiste et lui, aujourd'hui
(1989) il a changé, il est anti-communiste, carrément anti-communiste". (M.
Debriet. Mineur retraité, aujourd'hui mécanicien).
Mais le groupe de base catholique de la population n'est pas le seul en
faveur du socialisme. La minorité protestante de la population grand-combienne
est elle aussi très fortement organisée et est adepte des socialistes. D'ailleurs,
c'est très souvent de cette minorité que sortent les conseillers municipaux et
quelques adjoints.
CHAPITRE 9
L'ENCHEVETREMENT DE DEUX REFERENCES IDENTITAIRES: LES
GRAND-COMBIENS ET LES MINEURS CEVENOLS.
L'époque de la nationalisation des mines coïncide avec le Centenaire de
la ville de La Grand-Combe (la fête a eu lieu en 1947). Ce tournant d'un siècle
de vie est célébré en grande pompe. Les grand-combiens fêtent, certes, les
événements qui ont marqué l'histoire de la ville dans "le temps de la
Compagnie", l'on rend hommage à la mémoire des précurseurs de la
Compagnie des Mines de La Grand-Combe et aux "maires-patrons" qui se sont
succédé au pouvoir municipal. Mais plus que cette intention restauratrice qui
marque la nostalgie(121), la fête ponctuait ce passage d'époque et
commémorait les changements porteurs de "progrès" grâce à l'autonomie
politique conquise et à la consécration de La Grand-Combe comme importante
base productive de charbon au sein d'un réseau national de production, doté
d'une structure "modernisée". Centrée sur l'économie du charbon, la
temporalité du travail continuait à donner le "ton" du rythme de la vie
quotidienne, en revanche l'espace (du travail) prend place sur une aire
géographique plus large qui correspond à une aire "cartographiée" sur une
base "culturelle", une aire linguistique (dialectale) support d'une identification
collective (d'imaginaire régional): la région de Cévennes.
En ce sens, s'il est vrai qu'au niveau politique la ville gagne son
"indépendance" (ce qui permet à La Grand-Combe certaines particularités dans
la dynamique politique), au niveau économique, le processus correspond plutôt
à une "translation de dépendance", à cause du nouveau rapport qui s'établit
avec l'Etat et qui sera "déterminant" pour l'avenir de la ville.
La ville, plus qu'elle ne développera sa vie économique interne, va
connaître par le biais de la fusion de sa mono-industrie en Houillères de
Cévennes une ouverture sur la région. Elle qui, pendant tout le "temps de la
Compagnie", s'était caractérisée en tant qu'"univers clos", connaît désormais
l'unité économique avec d'autres villes. Une unité agencée par l'Etat. La GrandCombe se rapproche, et à plusieurs niveaux, des autres centres voisins
producteurs de charbon.(122)
La communauté minière grand-combienne connaît donc une ouverture
de ses "frontières", non pas cartographiques - elles demeurent les mêmes mais parce qu'elle "appartient", économiquement parlant, à un territoire défini
par les limites du "bassin cévenol", les mineurs grand-combiens se confondent
avec les mineurs de tout le bassin. Désormais il faut mieux parler de mineurs
cévenols.
Les mineurs - par la pratique professionnelle - connaissent une
amplification de l'appartenance territoriale. L'ouverture du monde du travail
suppose une ouverture du sentiment d'appartenance locale sur l'appartenance
régionale qui marque, dans leur imaginaire collectif, l'unité et la communion des
références d'identification du groupe de travail. L'analyse reste ici à tailler:
autrement dit, la clé de l'enjeu ne repose pas sur l'avis que l'identité locale est
mourante à l'égard d'une identité régionale conquise, mais plutôt une
interpénétration du procès d'identification(123). Ces "identités territoriales" régionale et locale (ainsi que celle, nationale) - ainsi superposées parlent
symboliquement de l'insertion, de l'appartenance à un territoire. A cet égard
peut-être faudrait-il mettre en relief la notion d'"imaginaire local", d'"imaginaire
régional"(124). Or, pour nous le fait essentiel réside dans une sorte
d'"épanouissement" de l'appartenance régionale, c'est ce sentiment qui est réélaboré, réactualisé.(125) C'est justement à travers cet enjeu que l'identité
régionale(126) - "cévenol" - s'actualise, et si jadis elle se montrait surtout
efficace pour représenter un groupe social qui trouvait ses racines dans un
pays de traditions agricoles (le paysan cévenol), elle devient alors fortement
valorisée par le rapport au "pays minier cévenol". Autrement dit, depuis toujours
les mineurs d'origine cévenole, ex-paysans ou mineur-paysans, se sentaient
très attachés à leurs racines cévenoles; être "cévenol" a toujours porté une
charge symbolique importante pour les habitants grand-combiens au fur et à
mesure de leur enracinement dans ce "pays de montagne et de vallées",
surtout pour les mineurs chez qui l'occitan (plus spécifiquement la langue d'oc)
était la "langue officielle" et de "reconnaissance" pour le groupe des mineurs du
fond. Mais il ne faut pas oublier que dans "le temps de la Compagnie", l'aveu
"officiel" d'une unité régionale demeurait "dangereux", car la Compagnie
craignait que son personnel ne f–t influencé par les ouvriers d'autres
compagnies, plus politisés, très souvent "anarchistes" et "agitateurs", comme à
Bessèges et Alès par exemple. "Au temps de la Compagnie", la constatation
d'une appartenance régionale secrétait une menace pour la toute-puissante
Compagnie, de par le danger que signifiait la prise de conscience d'un "au-delà"
de l'appartenance à "la Compagnie".
Avec la nationalisation et les nouvelles dispositions administratives
stimulant la reconnaissance d'une institution de raison sociale régionale et d'un
territoire plus ample d'activité professionnelle(127), les travailleurs des H.B.C.
se reconnaissent profondément par la référence identitaire régionale: les
"mineurs cévenols", autrement dit, "cévenol" supportent l'efficacité d'une
"emblématique identitaire", un système de signes à travers lesquels les mineurs
mettent en scène l'identité par contraste.(128)
Ce "mouvement" de construction sociale de l'identité s'avère complexe et
met "en oeuvre" différents univers symboliques, d'autant que, par le
"processus"
constamment
de
la
dans
représentation
des
formes
identitaire,
collectives
les
individus
diverses
s'inscrivent
(identifications
relationnelles). L'on ne saurait réduire les systèmes de représentations
spécifiques des divers groupes ethniques et culturels composant les
communautés de La Grand-Combe à la simple projection de la condition
sociale qui traduit toutes leurs pratiques par une inscription symbolique dans
l'espace social "cévenol". Les entrecroisements des espaces et des groupes de
référence sont multiples: micro-espace, quartier, école, travail, macro-espace
national et international. Les références d'appartenance sont multiples: d'un
côté, la mémoire collective qui est de l'ordre du temps vécu et du temps pensé,
de l'autre les références locales, régionales, etc., qui se réfèrent à une histoire
qui transcende les sujets sans les asseoir immédiatement dans leur
quotidien(129). Pour l'identité locale et/ou régionale (construction identitaire
unificatrice), construite sur un support historique et par rapport au "passé", son
efficacité réside dans la définition d'un réseau de références permettant la
projection des actions de la collectivité vers le futur. Ce que nous suggérons par
là, c'est qu'il existe une motivation pour une forte identification au "sujet" et aux
"valeurs" régionales par le biais de la régionalisation du secteur économique
principal (le charbon), de l'unité de travail et de l'unité syndicale.
Le "passé" local permettra une référence identitaire au présent. Par la
mémoire sociale, le passé de la ville ("ville minière") sera ré-actualisé comme
des repères qui donnent un sens à l'expérience de vie au présent, et comme un
symbole (valeurs du passé qui servent comme référence identitaire dans le
présent, qui "informent" la tradition du groupe), comme support d'une identité
sociale singulière. A l'égard d'une connotation politique, ce n'est plus seulement
sur l'histoire locale que les mineurs grand-combiens peuvent, "officiellement",
"négocier" la construction de références identitaires, "travailler" un système
classificatoire - exprimer à la fois un sentiment d'interaction au groupe
professionnel et régional et leurs différences par rapport à l'autre - mais
également sur la région et au-delà.
Désormais, grand-combiens, alésiens, béssegiens, etc, forment une
unité régionale (par rapport à d'autres groupes régionaux "miniers" qui se
composent, et dont l'unité nationale est agencée par l'Etat). La classe ouvrière
grand-combienne, ainsi que celle des communes voisines, s'intégrait à
l'intérieur d'une corporation (et un mouvement) plus ample - "régional" (intégré
à son tour, à la corporation "nationale"). Cela ne signifie pas que se manifeste
une uniformité, un image homogène de ces différentes villes. D'ailleurs,
chacune garde ses particularités, dont le comportement politique est un
exemple, et à La Grand-Combe, au contraire des municipalités communistes, il
n'y a pas de passage automatique au comportement électoral et, malgré la forte
influence de la C.G.T., ce sont les socialistes qui se stabilisent au pouvoir.(130)
Malgré les transformations qu'a connues la ville, les mineurs peuvent y
rester enracinés parce que le travail est garanti. C'est avant tout pour cette
garantie du travail mineur, de l'existence de l'espace de travail (la mine), de la
continuité de la famille corporative, que le groupe s'est battu depuis si
longtemps. Tout en conquérant des améliorations, ils veulent que la ville
s'intègre dans ce mouvement majeur défini comme "progrès": une dynamique
propre des centres urbains. Ainsi, ce que nous pouvons lire au-delà de cette
énonciation d'un ancien mineur, "rester attaché au métier de mineur était une
mentalité". Et il ajoute: "c'était la mentalité à La Grand-Combe (...) il y avait
cette fraternité de rester attaché au métier", c'est qu'avec la garantie du travail,
ils trouvent dans leur ville la stabilité (nous voulons dire l'enracinement,
sentiment d'appartenance) souhaitée, le support spatial pour leur "repos" ("la
dialectique de la durée" à la Bachelard) nécessaire pour pouvoir ordonner leur
temps - trouver dans les transformations, la continuité du groupe. La ville
garantit sa spécificité, elle reste un "pays minier", parce que les hommes y
retrouvent garantie la "famille corporative". C'est comme si la ville gardait une
"vocation" - "la vocation minière"(131) - et que, du fait de cet état "d'esprit du
temps", de la tradition d'un groupe de "solidarité" (disponibilité référentielle
définie et dominante), elle participait à la fois économiquement et socioculturellement au "progrès" de la région.
Pour une ville comme La Grand-Combe, cette ré-actualisation de
l'identité locale en une identité régionale signifie avant tout son insertion - par
son potentiel économique - dans d'autres temps (et d'autres discontinuités), sur
la région et la nation. De surcroît, ce mouvement vers l'identification du groupe
"mineurs" par référence au régional traduit la fin du cloisonnement de la ville
minière (il est significatif, par exemple, que le marché bihebdomadaire de cette
ville minière devienne alors "le plus important marché cévenol" de la région).
Mais passé les années de "bataille du charbon", la référence à l'unité des
mineurs cévenols prend une autre "performance" et l'identité régionale est
appropriée comme support d'une action des mineurs qui prend l'allure d'un
"mouvement régionaliste"(132) quand il s'agissait d'organiser un mouvement de
protestation et de résistance contre la fermeture des puits. A la lutte des
mineurs d'organisation politique et syndicale se lie le mouvement occitan(133) celui des luttes occitanes contre une "crise régionale", pour défendre les
catégories sociales et la région en difficulté(134). Les mineurs, pour défendre
leur travail, s'approprient les leitmotivs d'un mouvement de défense et de
renaissance de la région. Action qui concerne toute une région et provoque des
réactions de défense communautaire, économique et culturelle. Les mineurs,
dans leur lutte pour empêcher la liquidation de leurs mines, organiseront des
"moments rituels" où ils s'exprimeront en occitan "comme langue officielle".
Dans ces "situations ritualisées", ils exprimeront fortement un sentiment
d'appartenance à l'unité régionale: leur lutte articule aussi celle de toute une
"région" (une aire de comportements culturels et linguistiques) avec une action
culturelle (occitane) et une action socio-économique (contre les excès de la
centralisation française).
Disons que cette façon de marquer l'unité, de construire l'identité du
groupe, cette "lutte des classements qui est la lutte pour la définition de
l'identité régionale" (nous paraphrasons ici Bourdieu) est surtout "efficace" dans
les situations où la mobilisation des "cévenols" devenait une stratégie de lutte
contre une politique de récession dans les secteurs économiques régionaux de
base (lutte de défense du secteur charbonnier, par exemple, mais aussi celle
des viticultures méridionales, des éleveurs, des agriculteurs). Dans ces
mouvements de résistance, l'on défend les groupes sociaux qui appartiennent
au pays cévenol, la continuité des "corporations" menacées, on crée des
stratégies contre la menace de la dissolution du groupe (de l'identité régionale
du groupe) "dans le temps". A ce moment, l'esprit régionaliste, l'attachement au
"pays", deviennent respectivement la tradition, le territoire, le patrimoine, le
métier que l'on défend. Un mouvement de résistance qui, par la légitimité
héritée du passé, veut assurer le présent et organiser le futur: par le droit à
travailler dans ces espaces d'enracinement. Un mouvement pour la "durée" en
s'appuyant sur la mémoire collective. Mais, c'est surtout la fin du vice de la
mémoire collective de s'arrêter au seuil du temps "minier" pour parler de leur
passé en cherchant désormais, plus reculées qu'au temps de la Compagnie, les
racines, les références de la mémoire collective qui supportent également leur
présent. Le "temps antérieur", lointain, est meublé dans la mémoire et devient
plus proche. "Phénomène surprenant", dit l'historien Joutard(135), celui de voir
les mineurs, "les catholiques!" prendre à leur compte l'héritage camisard:
"Résultat d'une mode historiographique ou conséquence de
l'engagement politique de cette région minière à gauche? (...) Du côté rural, un
embellissement du passé, même le plus sombre, conforme à une tendance que
connaissent bien tous ceux qui sont à l'écoute de la mémoire paysanne. Du
côté minier, la conscience d'une époque terrible, d'une époque de tension,
d'injustice dont les Camisards ne sont qu'une expression."(136)
De telles définitions emblématiques - "mineurs de la Compagnie",
"mineurs grand-combiens", "mineurs cévenols" (signes identitaires) - indiquent
par le biais du travail l'appartenance à une territorialité et à un groupe social qui
s'identifie. Elles ne définissent pas seulement des mineurs de souche française,
mais l'ensemble des travailleurs de la mine venus de partout (le creuset
cévenol). La ville de La Grand-Combe, d'ailleurs, a toujours été caractérisée par
sa forte composition de migrants, comme un espace urbain de regroupement,
comme noyau pluri-ethnique et multiracial. Et la nationalisation n'a pas
provoqué de rupture dans sa faculté de regrouper constamment des français et
des étrangers venus de régions et de pays divers.
La masse des anciens immigrants déjà enracinés et surtout celle des
immigrants plus récents cherchent à s'intégrer au pays, à leur nouvel univers.
Sans doute les groupes immigrés combinent-ils les caractéristiques culturelles
propres à leurs sociétés d'origine et les statuts sociaux qui leur sont conférés en
France, mais il est vraisemblable qu'ayant été insérés dans le monde du travail
minier, ils s'inscrivent également dans l'émergence d'une identité régionale
dans laquelle ils trouvent mieux leur place que dans une identité nationale
française, pour laquelle ils se montrent plus réticents. Comme l'observent, à
titre d'exemple, Gardés-Madray et Brés par rapport aux algériens ayant
participé à une grève:
"Chez les nombreux Algériens de Destival, la fibre cévenole est tout
aussi forte. Déchirés pour la plupart entre deux pays, entre deux cultures, ils se
sont construit de nouvelles racines dans la région qui les a accueillis, autour de
cette mine où ils se sentent acceptés et, risquons le mot, protégés. Les anciens
disent avec discrétion ce que les nouveaux embauchés, enfants de la deuxième
génération, affirment avec conviction:
Rachid: 'Pendant la grève, franchement, j'étais souvent sur le plateau.
Quand j'entendais la sirène sonner, que les CRS arrivaient, j'y montais pour les
soutenir. Ces treize mois, tu vois, j'aurais aimé les vivre. Pas la grève, parce
que personne aime vivre une grève, mais cette solidarité qu'il y avait entre eux,
c'est ça que j'aurais aimé vivre'.
J.: 'Tu as la nationalité algérienne, Rachid?'
Rachid: 'Oui!'
J.: 'Et tu penses un jour rentrer en Algérie?'
Rachid: 'Je crois pas non: je suis né ici, j'ai vécu ici...'.
F.: 'Tu te sens quoi? Français? Cévenol? Algérien?'
Rachid: 'Algérien cévenol.'"(137)
Les "dénominations" évoquées ci-dessus totalisent la diversité des
composantes régionales et nationales. Mais, ainsi qu'au "temps de la
Compagnie", les nouveaux venus, bien qu'attachés à leurs racines territoriales
seront soumis par le biais d'une nouvelle identification communautaire locale et
régionale à un facteur unificateur des identités individuelles d'un groupe pluriel
et multidimensionnel. La différence culturelle et identitaire du pays d'origine est
enveloppée par cette action intégrative. Plus encore, face aux nouveaux temps
difficiles qui se définissent de plus en plus durs est "recréée l'unité 'originelle' de
la Cévenne (...)":
"Aussi, chacun a-t-il le passé de son présent: ici un passé dur, pour un
présent en plein essor (...), là un passé effectivement dense, et qui devient un
âge d'or, pour un présent en décrépitude".(138)
Par cette "force" qu'est la représentation identitaire, la communauté de
travail malgré le brassage du groupe, gagne une unité qui inscrit les individus
dans un cercle d'appartenance forgeant une homogénéité d'ensemble et dans
un mouvement régionaliste, celui-ci un enjeux politique et économique.
Les agents mobilisateurs d'une telle référence collective (références
symboliques sur le régional appropriés par le mouvement régionaliste) se
retrouvent largement dans l'action des syndicats et des syndicalistes militants
et/ou du parti de gauche qui sont à la tête de la résistance.(139) Quels qu'en
soient les agents, la corporation minière se reconnaît dans ce mouvement que
l'on pourrait définir comme une "lutte de résistance contre la fermeture des
mines" dont l'identité régionale est la construction "imaginaire" d'une continuité,
la négation d'une discontinuité, de "la mort".
CHAPITRE 10
LE PRELUDE DE LA CRISE.
Après la conjoncture des "années de la bataille du charbon", les mineurs
cévenols sont épuisés par le travail. La mécanisation avait certes substitué
l'homme dans certaines tâches très dures, mais aussi augmenté l'insalubrité du
lieu de travail, et la pénibilité du labeur demeurait réelle.
Des manifestations d'insatisfaction s'expriment peu à peu. Des grèves
s'engagent en 47 et 48. Au cours de cette dernière, pendant 8 semaines les
mineurs de diverses tendances syndicales (F.O., C.F.T.C., C.G.T.) se sont
mobilisés. A La Grand-Combe, ils occupent plusieurs jours le fond de la mine
(Ricard). L'armée intervient dans les divers bassins houillers. L'envoi des
troupes par le gouvernement déclenche de violentes bagarres et on se souvient
encore des voitures blindées devant l'église de la ville. Ces grèves traduisent la
révolte des mineurs contre la direction des Charbonnages, et contre l'Etat qui a
envisagé la révision du Statut du mineur en mettant en cause les droits acquis
par rapport au salaire, à la gestion des accidents dans les caisses de secours,
etc.(140)
Ainsi que la grève de 47, celle de 48 sera considérée comme ayant eu
des résultats limités pour les mineurs et c'est l'époque où plusieurs d'entre eux
retourneront leurs critiques contre l'action gouvernementale et syndicale dans la
gestion des houillères. Les grèves se succéderont dans les années suivantes.
Celle de 1952 s'étend à tout le Bassin du Gard et dès le début elle a été dure,
"la
direction
se
dérobant aux discussions et les
mineurs occupant
symboliquement, au fond, le puits de Ricard pour obliger à des entretiens et
peser sur leur déroulement". La grève dura plusieurs semaines et les grévistes,
à la fin, n'obtinrent qu'une satisfaction partielle de leurs revendications.(141)
L'application du plan Schuman (en 1951), est subi par le bassin des
Cévennes comme un châtiment: contraction des ventes charbonnières de 1952
à 1955 liée à une conjoncture nationale d'austérité (causée par les difficultés de
redressement économique du pays - la guerre froide). Le phénomène de
mévente
va
se
trouver
démesurément
amplifié
par
les
conditions
d'exploitation(142). Les Houillères démarrent un plan plus systématique de
fermeture des petits puits du bassin minier qui entraînera une récession de
l'entreprise.
En conséquence, la tendance est dès lors de diminuer le nombre des
effectifs. Certes, dans un premier temps, cela est rendu possible grâce à un
rendement plus efficace des mineurs cévenols dans leur travail (1949: 963
kilogrammes de charbon par poste et par jour; en 1950, ce chiffe atteint
1.643)(143); mais les décisions de restriction à l'embauche que prennent dès
cette époque-là les H.B.C. seront prolongées par des mesures de mise au
chômage technique et de reconversion du personnel (reconversion sur le
bassin même et sur d'autres).
En effet, dans quelques localités, les puits d'extraction (sous-utilisés)
sont fermés. C'est le cas de celui de Trescol, sur la commune de La GrandCombe. La population de Trescol recevra de plein fouet le tarissement de la
principale source économique du hameau. Le personnel est transféré sur
d'autres lieux d'exploitation plus modernes sur la même commune de La GrandCombe (gisements de Ricard, Oules, la Fontaine). Anticipant ce qui adviendra
ensuite à La Grand-Combe et ses autres hameaux, Trescol se réduira ainsi à
un espace dortoir.
Les puits alors fermés sont ceux qui n'ont pas bénéficié d'améliorations
et de modernisation de l'équipement. Les Houillères inaugurent d'ailleurs de
nouveaux puits plus modernes, comme celui de St.-Florent en 1950 et, l'un des
plus importants qu'elle mettra en fonctionnement, celui de Destival (Tammaris,
commune d'Alès) à 10 Km de La Grand-Combe.
En fait, la modernisation des moyens d'extraction correspondait à
l'objectif majeur de la nationalisation de ce secteur(144), qu'avait structurée un
plan daté de 1954 et nommé "plan Jeannerey". A La Grand-Combe les H.B.C.
entreprennent par ailleurs la construction d'une centrale thermique, dite du
FESC, pour alimenter tout le bassin houiller du Gard et remplacer les petites
centrales.
"En 1953, la mise en route de la centrale thermique du Fesc, à l'entrée
Sud-Est de La Grand'Combe, devait déjà permettre de transformer sur place du
charbon qu'il était difficile de valoriser autrement".(145)
Les années 1957/58 (naissance de la Ve République) seront de nouveau
très favorables pour les Charbonnages Français et aussi pour le bassin
cévenol, car le programme de réduction accélérée de la production de charbon
avait été repoussé de quelques années. Grâce surtout à la modernisation des
mines alors en exploitation, la production atteindra en 1958 le chiffre record de
3.300.000 tonnes pour le Bassin des Cévennes. On identifiera encore cet effort
à une victoire des années de la bataille du charbon:
"Il a fallu après-guerre les besoins en combustible d'une économie
renaissante pour que, sur le 'front' cévenol de cette fameuse 'bataille', on ait
extrait jusqu'à plus de trois millions de tonnes en 1957".(146)
Comme avant, le boom productif permet l'ouverture du marché du travail
et les Houillères embauchent de nouveau. Economiquement, la conjoncture est
supposée optimale, mais ce seront aussi les dernières années dorées pour la
production. Une fois passée la Bataille du Charbon, le contexte jouera en
défaveur de l'industrie charbonnière cévenole.
Il y a encore la période assez favorable qu'il faut mentionner, entre 1963
et 1965, quand la France manque de charbon et ouvre de nouveau le marché.
Mais, dans le même temps les puits ferment et la situation salariale de la
catégorie provoque des mécontentements.
"(...) mineurs et syndicats constatent que leurs salaires perdent de plus
en plus de terrain non seulement par rapport au privé (11%), mais encore par
rapport aux autres entreprises nationalisées".(147)
Les syndicats préparent alors (entre 1963-65) une série de grèves
appelées au niveau national pour le rattrapage des salaires. Début mars 1963,
par exemple, une grève illimitée est déclenché (C.F.T.C., F.O, C.G.T.). Elle est
totale et se déroule dans un climat extrêmement favorable aux mineurs, qui
comptent avec un large soutien de la collectivité. Les mineurs arrivent à la
satisfaction le 5 avril après les négociations avec le gouvernement.(148)
"La grève qu'on a gagné plus c'est en 1963. On s'est battu, il y a fait
deux morts. De Gaulle volait et nous avons refusé. Le syndicat était fort, alors
que maintenant, maintenant, bof, ça ne me plaît pas... ". (M. Vial. Mineur
retraité).
Déjà depuis 1958, les prix de revient devenant peu concurrentiels par
rapport aux autres sources d'énergie, la production baisse progressivement. La
réalité est incompréhensible (ou, incroyable) pour les mineurs, les puits ferment
l'un après l'autre: la Jasse en 1960, St.-Martin-de-Valguagues en 1962, Le
Pontel en 1963, Molières en 1969: "ils disaient qu'il n'y avait plus de charbon,
alors qu'il y en avait" (M. Champeac, mineur retraité). C'était "une époque de
tromperie", nous dira un ancien mineur, qui dénonçait l'intention des Houillères
de cacher les véritables motifs de la fermeture des mines. Les raisons, dira-t-il,
ont été politiques alors qu'ils voulaient faire croire que les mines n'étaient plus
rentables et qu'elles étaient épuisées:
"La Forêt, par exemple, c'était une petite mine qui marchait bien. Il n'y
avait pas de danger: bonne sécurité, pas trop de grisou, on risquait rien. La
couche faisait un mètre vingt et tout le monde était content parce que ça
marchait bien. C'était une petite mine qui employait 300 ou 400 mineurs et ils
voulaient l'abandonner parce qu'elle n'était plus rentable pour eux. Alors pour
éviter la colère des mineurs ils ont essayé de tromper la masse. Pendant un
jour de congé ils ont dit: 'Il y a de la fumée là-bas!'. Alors j'ai posé la question au
gars: 'Mais vous l'avez vue?'. Il m'a répondu: 'Et bée, quelqu'un a vu la fumée'.
Quelqu'un a fait un petit feu et puis ils ont dit: 'Oh! il y a de la fumée, il faut
fermer la mine'. Voilà! C'est comme ça que ça s'est passé. Parce que c'était
une mine bien aérée, bien sèche. Et puis ensuite dans d'autres mines. Sur le
Ricard, ils disaient: 'ce n'est plus rentable'. Mais mon chef, un jour, m'a avoué:
'S'ils avaient voulu, ils auraient pu encore exploiter'. Parce qu'au Ricard c'était
le plus beau charbon de tout le bassin des Cévennes, de l'anthracite, du joli
charbon, brillant, qui faisait un feu très puissant. Mais ils ont décidé de fermer et
ça s'est fermé. (M. Champeac. Mineur retraité).
D'abord, les mineurs seront de plus en plus regroupés, surtout dans les
puits de Ricard et des Oules à La Grand-Combe, ou mutés pour Alès, etc. Les
cadres seront eux aussi concentrés dans les puits encore en pleine activité:
"A cette époque, dans certains puits, il y a eu autant d'ingénieurs que
d'ouvriers". (M. Champenois. Mineur retraité).
Après, ce sont les reconversions dans d'autres bassins et puis les
mutations professionnelles qui ont été intensifiées pour les mineurs.
Au cours des années suivantes, on assistera à l'échelle nationale à une
stagnation des investissements dans le secteur charbonnier et au soutien de
ceux de l'électricité et des carburants. Le gaz naturel prend une place
grandissante, et la mise en oeuvre de la politique d'importation du charbon crée
des difficultés insurmontables pour la région. La concurrence des autres
sources d'énergie retirera le charbon de la compétition. Débute alors la crise
charbonnière qu'avait d'ailleurs prévue le plan économique de la C.E.E.: "temps
de la régression ordonnée de la production"(149). Au niveau régional, les
problèmes sont énormes, la crise du bassin cévenol devançant celle d'autres
bassins:
"(...) assez vite, l'entreprise n'a pas pu tenir ses promesses, non
seulement parce que des problèmes techniques en interdisaient l'extension,
mais surtout parce que l'énergie fournie était aisément concurrencée par les
usines hydrauliques du Rhône et de la Durance".(150)
En effet, le plan Jeannerey qui revient vers les années 60, avec de
nouveaux dispositifs, fixe dès lors la régression systématique de la production
de charbon. C'est l'attestation d'une crise irréversible qui s'installe - la "crise du
charbon" - au niveau national mais qui frappe aussitôt le bassin cévenol, et
certainement pas à cause de la qualité de son charbon - "un des meilleurs
existants" - mais par l'apparition d'une série de "difficultés" que mettent en
avant les H.B.C.: l'éloignement du bassin par rapport aux centres économiques
importants, la structure géologique difficile, etc. A court terme, ces mesures
entraîneront la compression du personnel et de nombreuses suppressions
d'emploi sur le bassin cévenol.
La récession s'installe dans le secteur charbonnier et, désormais, la crise
s'amorce dans la "ville minière", chez les familles de mineurs, chez les jeunes,
chez les commerçants. Les fournisseurs de biens et services ferment, puis, par
contagion, la crise gagne tous les domaines de la vie quotidienne. La ville
minière cessera peu à peu d'incarner un haut lieu de la vie collective d'une
communauté de travail, dans laquelle le métier traditionnel de mineur se trouve
dorénavant menacé(151).
1. Situation administrative qui subsistera jusqu'en avril 1968.
2. En novembre 1955 la Direction Unique du Bassin est divisée en trois
secteurs.
3. SOURCE: Journal Le Pays Cévenol et Cévennes. D'Alès - La Grand'Combe
à Florac. Hebdomadaire Régional d'Informations d'Annonces Légales et
Judiciaires agréé pour l'ensemble du département du Gard. Le 2 Mai 1982.
4. "Les bouleversements de l'époque se traduisent sur le plan de l'encadrement
par de nombreuses mutations d'ingénieurs entre les différents bassins miniers,
entraînant des échanges entre le Nord, l'Est, le Midi et la Sarre, placée sous la
haute autorité d'un commissaire français". In: FLECHON. Op. cit. Tome II. p.
187. A ce sujet voir également pp. 196 à 198.
5. Ibidem. p. 200.
6. C'est le premier Directeur Général des H.B.C. après la Nationalisation ayant
M. Georges Morel, qui continuait à diriger le groupe Sud, comme directeur
général adjoint. Cf. Ibidem. p. 196.
7. Sur M. Ducasteing, voir Annexe 18.
8. Cf. FLECHON. Op. cit. Tome II. p. 196.
9. DEBOIS, Evelyne et alii. Op. cit. p. 13.
10. Le président des Charbonnages est alors le responsable de la fédération
CGT du sous-sol (M. Duguet).
11. Dans les limites des propositions de notre travail, nous n'esquissons que
superficiellement les réformes de structures instituant les mines en tant que
secteur public, et leur rôle dans la gestion économique de l'après-guerre. Pour
un aperçu plus profond, nous recommandons, entre autres: A) DEBOIS,
Evelyne et alii. Op. cit. B) Sur l'orchestration de la bataille du charbon dans sa
dernière phase voir: TREMPE. (1989). Op. cit. pp. 211 à 218.
12. "C'est la crise sociale du printemps 1945 qui décida la direction des
Houillères du Nord-Pas-de-Calais à organiser une campagne de mobilisation
psychologique des mineurs, car, selon le directeur général, la question du
charbon prenait un caractère dramatique. L'idée naquit sans doute le 17 mars,
lorsque Robert Lacoste, ministre de la Production industrielle, rencontra à Lille
le commissaire de la République, les syndicats et la direction générale des
houillères (...); l'alliance des exploitants et des syndicats ouvriers devait porter
le maximum de fruits (...)". Trois étapes avaient été prévues et programmées en
détail: la préparation et l'information, la mobilisation et la victoire, grâce à la
hausse triomphale du rendement. L'objectif fixé était les 100.000 tonnes. In:
TREMPE. (1989). Op. cit. pp. 212 et 213.
13. L'objectif était de surmonter l'étape de réquisition (où les conseils n'étaient
que consultatifs et les directeurs nommés par le ministre avec pleins pouvoirs)
pour arriver à la nationalisation où les représentants ouvriers ne seraient plus
minoritaires dans les conseils. Cf. Ibidem. p. 216.
14. Ibidem. p. 216.
15. Gouvernement où s'illustrent notamment Maurice Thorez, Léon Delfosse,
etc. Maurice Thorez, par exemple, était fils de mineur et devient ministre de
1945 à 1947. Il a été l'un des meneurs de la "bataille du charbon" (programme
de production et rentabilité dans le secteur charbonnier). Dans la conduite de
ce programme à bon terme, il s'est avéré un agent mobilisateur d'une
performance incontestable, et son discours de Waziers en 1945 en fait la
preuve. Le leitmotiv de son discours met en place le "mythe" communiste du
mineur de "père en fils", fondement d'une généalogie fictive de la classe
ouvrière. Selon: A) MATTEI, Bruno. "Après la guerre... la bataille (1945-1947)".
In: DEBOIS, Evelyne et alii. Op. cit. p. 17. B) NOIRIEL. (1986). Op. cit. pp. 193
et 194.
16. Expression de Léon Delfosse, responsable CGT, 1945.
17. DEBOIS, Evelyne et alii. Op. cit. p. 15.
18. Ibidem. p. 13.
19. "Le Statut du mineur était une revendication de la Fédération nationale du
sous-sol (C.G.T) depuis septembre 1944. Le statut va réglementer toute la
profession: composition du personnel, conditions de titularisation, embauche,
licenciement, durée du travail, congés, avantages en nature, hiérarchie
professionnelle, salaire à la tâche, droit syndical". In: Ibidem. p. 51.
20. "Tout d'abord, il satisfait globalement au désir de revalorisation de la
profession; il reconnaît le droit au logement gratuit pour les actifs et les retraités
réclamé depuis 1937; il détermine la fixation des salaires de base par rapport
aux ouvriers métallurgistes, de telle manière que les mineurs sont placés au
sommet de la hiérarchie ouvrière, comme ils le souhaitaient; il garantit le
personnel contre l'arbitraire et le 'caporalisme' de la maîtrise, par la création des
commissions paritaires qui réduisent le pouvoir discrétionnaire des chefs (petits
et grands) et interdisent les pratiques abusives et quotidiennes contre
lesquelles les mineurs s'étaient dressés en 1936: déclassements, renvois,
mises à pied, amendes... Les sanctions sont désormais sous contrôle. Les
syndicats ont même obtenu un droit de regard sur les embauchages. Le statut
règle aussi la durée du travail et des congés selon les normes de 1936; il
classifie et hiérarchise tout le personnel, du fond et du jour, de l'ingénieur au
manoeuvre, définit les règles d'avancement d'une catégorie à l'autre et précise
le mode et le niveau de rétribution propre à chacune d'elles. Enfin le statut
reconnaît la silicose comme maladie professionnelle. La sécurité sociale
minière, le régime des retraites et des accidents forment un ensemble
autonome par rapport à la Sécurité sociale, reconnu par le statut, qui se
présente donc comme une véritable charte de l'activité professionnelle des
mineurs garantie par la loi". In: TREMPE. (1989). Op. cit. p. 239.
21. Loi du 2 ao–t 1945. Sur le problème de la silicose, voir DEBOIS, Evelyne.
"La silicose: un malheureux concours de circonstances". In: DEBOIS, Evelyne
et alii. Op. cit. pp. 137 à 149.
22. "Tout d'abord, qu'entendait-on par intérêt national? Il s'agissait, comme le
disent et le redisent Paul Ramadier et le service des Mines, de sauvegarder
'l'équilibre financier et monétaire de la France', dans lequel le marché
charbonnier joue un rôle essentiel. (...). Pour maîtriser l'inflation, pour alimenter
au meilleur compte nos industries qui ont besoin de charbon à bas prix, il faut
non seulement intensifier la production, mais limiter les prix de vente; donc
freiner la hausse des prix de revient... Quand on sait la place occupée par les
salaires dans la formation des prix de revient et de vente du charbon, l'on voit
tout de suite que ceux qui étaient intéressés au premier chef par la défense de
l'intérêt général, et qui sont d'ailleurs les premiers sollicités, étaient bien les
mineurs". In: TREMPE. (1989). Op. cit. p. 203.
23. "Pudeur ou maintien de l'anonymat: l'absence de représentation du corps
du mineur, sa réduction à une paire de mains robustes et viriles, contribuent à
asseoir l'idée du combattant anonyme et pourtant déterminant, du soldat
courageux mais humble, héroïque mais discret. L'ouvrier modèle, amoureux du
travail bien fait et confiant dans la justice sociale que garantit la nationalisation.
Journaux et radios reprennent quotidiennement et plusieurs fois par jour
l'ensemble des slogans évoqués. Des brochures d'information sur la
nationalisation sont distribuées à tout le personnel à la paye du 10 septembre".
JEANNEAU, Yves. "Les murs de l'histoire. L'imagerie de la bataille du charbon".
In: DEBOIS, Evelyne et alii. Op. cit. p. 69.
24. Ibidem. pp. 2 à 5 et 13.
25. Ibidem. p. 14.
26. JEANNEAU, Yves. "Les murs de l'histoire. L'imagerie de la bataille du
charbon". In: Ibidem. p. 69.
27. Robert Lacoste, ministre de la Production industrielle, déclare en mai 1945:
"Mineurs de France, on a besoin de vous pour que vive la France".
28. MATTEI, Bruno. "Introduction". In: MALVA, Costa. Ma nuit au jour le jour
(Journal de 1937). Paris, François Maspéro, 1978. p. 23.
29. En plus: "La plupart des ingénieurs ne la quitteront qu'après les grandes
grèves de 1948, où les tâches de sécurité et de sauvegarde de l'outil de travail,
ne furent plus assurées, pour la première fois, par les gueules noires." In:
FLECHON. Op. cit. Tome II. p. 196.
30. TABLEAU: PRODUCTION DE CHARBON SUR LE BASSIN CEVENOL.
Année
Production B.C.- Houille
1939
655.813 tonnes
1942
1.037.374 tonnes
1944
703 202 tonnes
1945
788 425 tonnes
1946
1.011 863 tonnes
Source: TURPIN. Op. cit. p. 12.
31. FLECHON. Op. cit. Tome II. p. 207.
32. "On approfondit certains puits comme le Gouffre-de-Castelnau et la
Fontaine, en même temps que débute le creusement d'un nouveau puits à
Laval, précédant de peu la mise en exploitation du puits Ricard". In: DUCKERT
et LARGUIER. Op. cit. p. 57.
33. Le Statut du mineur fixait les conditions d'embauche, de licenciement, de
durée du travail et de rémunérations. Pour ce qui est des rémunérations, le
salaire sera journalier jusqu'en 1975, où la mensualisation sera appliquée. Le
salaire, selon le Statut du mineur, est à la tâche: "Les prix de tâche seront fixés
de telle sorte que l'ouvrier mineur qualifié de robustesse normale fournissant un
bon travail puisse gagner un salaire de 60% plus élevé que le salaire minimum.
Le même ouvrier fournissant un travail moyen gagnera un salaire de 20% plus
élevé que le salaire minimum. Les primes se rattachant au salaire de base sont
nombreuses. On trouve des primes mensuelles (de rendement, de fonction, de
situation, de panier, de poste, une majoration par ancienneté, le complément de
salaire à la tâche), des primes semestrielles (de résultat, correspondant à un
13ème et 14ème mois) et des primes annuelles (de production et de SainteBarbe au mois de décembre). Cf: FAVEDE. Op. cit. p. 62.
34. "Ce sont en l'occurrence les bons et loyaux services que rendront pendant
trois ans le PCF et la CGT, dont l'influence et le prestige sur les mineurs sont
très importants au sortir de la guerre. (...) Au-delà des antagonismes politiques,
la convergence est à peu près totale entre le programme du C.N.R. qui porte la
marque du PCF et le plan Monnet d'inspiration anglo-américaine. Tous deux
concluent à la nécessité de moderniser et de ré-équiper rapidement l'industrie
dans un environnement où la marchandise est appelée plus que jamais à être
une 'monnaie' sur le marché mondial. La production industrielle ne s'envisage
qu'en termes de bataille économique. D'où la fascination pour des structures et
des méthodes de production très disciplinarisées (...)". Cf: MATTEI, Bruno.
"Après la guerre... la bataille". In: DEBOIS, Evelyne et alii. Op. cit. pp. 20 et 21.
35. Cf: PACZKOWSKI et VIELZEUF. Op. cit. p. 205.
36. André Stil dans son roman parle de concours du "plus beau bébé". Il
raconte la "Bataille du Charbon" dans le Chapitre XI intitulé "La Taille qui
Chante". In: STIL, André. Les berlines fleuries. (Roman). Paris, Hachette, 1981.
p. 131 à 146.
37. Campagne lancée au Nord-Pas-de-Calais, afin de produire "100.000
tonnes" en 1945 et "120.000 tonnes" en 1946.
38. Ou encore: "Elle ne remet pas du tout en cause l'idéologie du 'risque
professionnel' qui est le fondement des anciennes caisses de secours minier et
de la loi sur les accidents du travail votée en 1898. Elle pousse aussi loin que
possible le dispositif social et juridique qui permet d'envisager l'accident ou la
maladie sous l'angle de ses conséquences et, très secondairement, sous celui
de ses causes (...)". In: DEBOIS, Evelyne et alii. Op. cit. p. 51.
39. PINÇON. Op. cit. p. 58.
40. "Produire, faire du charbon, c'est la forme la plus élevée de votre devoir de
classe, de votre devoir de Français", déclare le secrétaire général du Parti
communiste, Maurice Thorez, le 22 juillet 1945, en condamnant les
mouvements de grève. De plus, en ce qui concerne la publicité et la
propagande qui ont produit l'image du mineur en tant que héros du travail et de
la société, nous nous référons au texte de JEANNEAU, Yves. "Les murs de
l'histoire; l'imagerie de la Bataille du Charbon". In: DESBOIS, Evelyne et alii.
Op. cit. pp. 58 à 81.
41. MATTEI, Bruno. "Portrait du mineur en héros". In: DEBOIS, Evelyne et alii.
Op. cit. p. 91.
42. Sur le système Bedaux voir: DEBOIS, Evelyne. "Des ingénieurs perdus. Le
procès de l'exercice du métier d'ingénieur dans les mines sous l'occupation". In:
DEBOIS, Evelyne et alii. Op. cit. pp. 108 à 112.
43. "(...) 20%, un taux d'absentéisme qui ne peut être négligé par les
gestionnaires et comptables de la bataille de la production". In: JEANNEAU,
Yves. "Les murs de l'histoire; l'imagerie de la Bataille du Charbon". In:
DESBOIS, Evelyne et alii. Op. cit. p. 58.
44. Sous la IVe République (Vincent Auriol, socialiste, est élu président de la
IVe République le 16 janvier 1947, le gouvernement est présidé par le socialiste
Ramadier): "Le socialiste Paul Ramadier forme un gouvernement qui poursuit le
tripartisme, associant communistes, socialistes, républicains populaires. Mais,
lorsque les communistes s'opposent à la politique des salaires du
gouvernement, le président du Conseil, usant des pouvoirs que la Constitution
lui donne, révoque les ministres communistes par le décret du 5 mai 1947. Ils
espèrent d'abord revenir au pouvoir, mais l'entrée dans la guerre froide et la
pression de Moscou conduisent à l'automne de 1947 le Parti communiste à une
opposition radicale au régime (...)." In: CARPENTIER, Jean et LEBRUN,
François (sous la direction de). Histoire de France. Paris, Seuil, 1987. p. 347 et
348.
"La CGT éclate alors en deux: la majorité, contrôlée par les communistes, reste
à la CGT, tandis qu'avec L. Jouhaux, la minorité fonde la CGT-Force ouvrière."
In: PROST. (1979). Op. cit. p. 61.
45. A ce sujet voir plus loin le chapitre 10: "Le prélude de la crise".
46. "En dirigeant ces mouvements, en criant au dévoiement de la
nationalisation, la CGT et le PCF vont canaliser à leur profit les espérances
déçues et trahies de la bataille du charbon, dont ils furent pourtant les maîtres
d'oeuvre". In: MATTEI, Bruno. "Après la guerre... la bataille (1945-1947). In:
DEBOIS, Evelyne et alii. Op. cit. p. 55. Voir aussi: TREMPE. (1989). Op. cit.
Conclusion.
47. DEBOIS, Evelyne et alii. Op cit. p. 182.
48. Voir Annexe 19.
49. Cf. DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. Chapitre III: "L'Adieu au Charbon". p.
74.
50. FLECHON. Op. cit. Tome II. pp. 199 et 277.
51. DEBOIS et alii. Op. cit. Conclusion. p. 183.
52. "(...) qui ne tenterait de dénier l'exploitation et la domination que pour mieux
en assurer les conditions d'exercice, et celle de la collaboration de classe des
fractions les moins éclairées du prolétariat". In: PINÇON. Op. cit. p. 58.
53. LIVET. Op. cit. p. 36.
54. Selon, CARRIERE, P. "Les industries cévenoles aujourd'hui". In:
JOUTARD, Ph. (sous la direction de). Op. cit. Chapitre 8. pp. 301 et 302.
55. Ibidem.
56. "La mise en place de l'O.N.I. témoignait également du souci de contrôler les
entrées en retirant au patronat le monopole des recrutements qu'il détenait
jusque-là". In: GASPARD, Françoise et SERVAN-SCHREIBER, Claude. La fin
des immigrés. Paris, Seuil, 1985. p. 18. (1e édition, Paris, Seuil, 1984).
57. Cf. JOUTARD, Ph. "La Cévenne en difficulté (du milieu du XIXe à nos
jours)". In: JOUTARD. (sous la direction de). Op. cit. p. 285.
58. FAVEDE. Op. cit.
59. LEFEBVRE. (1968). Op. cit. p. 62.
60. Ibidem. p. 28.
61. Ibidem. p. 64.
62. Statut du Mineur (extrait). Logement - Article 23: a) Les membres du
personnel, chefs ou soutiens de famille, sont logés gratuitement par l'entreprise,
ou à défaut, perçoivent de celle-ci une indemnité mensuelle de logement; b) les
autres membres du personnel peuvent percevoir également une indemnité
mensuelle de logement; c) les montants et conditions d'attribution de ces
avantages sont fixés, par exploitation ou groupe d'exploitations, par arrêtés du
ministre chargé des Mines et du ministre des Finances et des Affaires
économiques; d) les anciens membres du personnel et les veuves,
bénéficiaires de prestations à la charge de la Caisse autonome nationale de
sécurité sociale dans les mines au titre des risques vieillesse, invalidité et décès
(pensions de survivants) ou titulaires de rentes prévues par la législation
générale sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, peuvent
recevoir des prestations de logement, en nature ou en espèces, dont les
montants et les conditions d'attribution sont fixés par arrêtés du ministre chargé
des Mines et du ministre des Finances et des Affaires économiques.
In: JEANNEAU, Yves. "Le logement et son mineur". In: DEBOIS, Evelyne et alii.
Op. cit. p. 162.
63. Ibidem. p. 159.
64. La nouvelle forme de gestion des logements (administrés par les Services
des Domaines des H.B.C.) va permettre d'importantes mesures de progrès
social quant à la qualité de vie domestique des mineurs: construction de
nouvelles habitations, amélioration de celles déjà existantes et garantie de
logement gratuit jusqu'à la mort.
65. Et dans l'ensemble du parc immobilier (Champclauson et La Levade inclus)
au fil des années et au fur et à mesure de la demande des locataires.
66. Cf: DUCKERT ET LARGUIER. Op. cit. p. 106.
67. "Elles se caractérisent par une association étroite entre le logement et le
travail social. (...) Ce programme se développe progressivement au début des
années soixante en France avec l'arrivée massive de travailleurs immigrés.
L'insistance sur leur ignorance du mode d'habitat permet de justifier une action
d'intégration qui prend le logement comme dispositif éducatif". Cf: GROUPE
D'ETUDE ET DE RECHERCHE SUR LE TRAVAIL ET L'URBAIN. Politique
française en faveur des mal-loges. (1945-1985). Grenoble, Ministère de
L'équipement, du logement, de l'aménagement du territoire et des transports.
AILSA - 1987. p. 154.
Sur les cités de transit, voir entre autres: A) MOUREAU DE BELLAING, Louis.
La misère blanche. Les modes de vie des exclus. Paris, L'Harmattan, 1988. 167
p. B) PETONNET, Colette. Ces gens-là. Paris, François Maspéro, 1968. 253 p.
C) PETONNET. (1979). Op. cit. D) PETONNET, Colette. Espaces habités,
Ethnologie des banlieues. Paris, Galilée, 1982. 175 p.
68. "Jusqu'en 1956, le hameau de L'Habitarelle ne regroupait que quelques
gros mas vétustes. Depuis cette date ont été construites par les Houillères du
Bassin des Cévennes une cité ouvrière et une chapelle. Dans l'immeuble
réservé aux Nord-Africains, une vaste pièce a été aménagée en mosquée pour
les musulmans pratiquants". In: PACZKOWSKI et VIELZEUF. Op. cit. p. 61.
69. "Au lendemain de la Libération, les Houillères du Bassin des Cévennes
élaborèrent un programme d'habitations modernes, d'accès facile, tout en étant
en dehors du lieu de travail, pour éviter les nuisances (poussière, fumée, bruit).
Dans le Groupe Centre - l'ancienne compagnie des Mines de La Grand'Combe
- on édifia la remarquable cité de l'Impostaire: des villas confortables, de deux
ou quatre logements, entourées de jardinets, ayant belle allure". In:
PACZKOWSKI et VIELZEUF. Op. cit. p. 140.
70. Article de Raymond Aubaret, "Le Charbon: aperçu historique du bassin
houiller des Cévennes". In: Journal Le Petit Cévenol. Designé pour l'insertion
des annonces legales et judiciaires pou le Département du Gard. Hebdo. Alès,
du 24 Septembre 1983.
71. Construites sur un terrain décliné 7 à 8 m en moyenne, (desservis par un
système de coursives et d'emmarchement), "le plan de chaque logement est
identique, à savoir 4 pièces carrées de 11 mý environ. La première pièce par où
l'on entre est la cuisine avec son point d'eau, elle commande 1 chambre et le
séjour qui lui-même commande la deuxième chambre". Cf. MARIETTE. Op. cit.
p. 48.
72. NOIRIEL. (1988). Op. cit. p. 177.
73. Selon MARIETTE, en 1979 cette population se compose ainsi:
Enfants non scolarisés (- de 2 ans)
4
Enfants scolarisés (2 à 6 ans)
7
Enfants scolarisés (de 6 à 12 ans)
25
Enfants de 12 à 18 ans scolarisés à La G-Combe ou Alès 25
Adultes actifs ou inactifs confondus et formant pour l'essentiel des couples de
19 à 50 ans
73
Adultes de plus de 50 ans et retraités
22
Nous suivons ici l'étude faite par MARIETTE. Op. cit. p. 50.
74. Expression de notre interviewé, l'historien M. Wiénin.
75. Les H.L.M. trouvent leur origine dans la loi du 3 septembre 1947, qui
concernait alors les habitations à bon marché. En 1951, est mise en place un
programme d'H.L.M. à normes réduites, remplacé en 1952 par celui des
logements économiques normalisés. "Cette différenciation de deux catégories
d'H.L.M. inaugure une politique qui ira en se développant au cours du temps au
fur et à mesure qu'il apparaîtra de plus en plus difficile de faire face aux besoins
de logement des catégories les plus défavorisées. Cette différenciation
s'accompagne d'une détérioration de la valeur d'usage des logements qui aura
tendance à s'aligner sur la catégorie la plus basse". Cf: GROUPE D'ETUDE ET
DE RECHERCHE SUR LE TRAVAIL ET L'URBAIN. Politique Française en
Faveur des Mal-Logés. (1945-1985). Grenoble, Ministère de L'équipement, du
Logement, de l'aménagement du territoire et des transports. A.I.L.S.A. -1987. p.
125. Voir aussi p. 296. Cette politique concerne des logements sociaux
financés par l'Etat dans des zones à urbaniser en priorité (Z.U.P.). "Les
logements H.L.M. sont construits exclusivement par les organismes
d'habitations à loyer modéré. Ils doivent répondre à des normes techniques,
avoir un prix de revient défini et sont réservés aux familles dont les ressources
ne dépassent pas un certain plafond". HEYMANN-DOAT, Arlette. "La Politique
Publique du Logement en France". In: HEYMANN-DOAT, Arlette (Etudes
coordonnées par). L'Etat et le logement. Histoire Comparée des Techniques
Juridiques. Paris, L'Arbre Verdoyant Editeur, 1987. p. 113 à 127.
76. FAVEDE. Op. cit. pp. 69 et 70.
77. Rapport. Etude de Développement de La Grand-Combe. Mairie de La
Grand-Combe. BETURE. 1987. p. 6.
78. "L'ensemble du parc est composé de moyens logements, une majorité de
F3 et F4. Les grands logements (F5 et F6) - moins de 10% - sont concentrés
sur la cité de Trescol (...). On ne compte aucun F1 et seulement une minorité
de F2 (20 sur 913)". Rapport. Etude de Développement de La Grand-Combe.
Mairie de La Grand-Combe. BETURE. 1987. p. 6.
79. DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 96.
80. "Ce phénomène n'est pas lié au prix de location, qui ne varie pas d'un bloc
à l'autre, mais plutôt à la taille moyenne des logements". In: DUCKERT et
LARGUIER. Op. cit. p. 96.
81. Selon le GROUPE D'ETUDE ET DE RECHERCHE SUR LE TRAVAIL ET
L'URBAIN. Op. cit. p 153. En outre: "Contre cet état de fait, le seul 'territoire' sur
lequel l'immigré peut se retrancher, c'est l'affirmation de sa spécificité, ce sont
tous les traits d'une civilisation archaïque que la nôtre ne peut supporter car elle
lui renvoie ses manques en reflet. L'égorgement du mouton dans le H.L.M. est
l'image de l'affirmation, de la revendication d'être de l'immigré, de même que le
Coran, la famille élargie qui appelle au niveau de l'habitat l'élargissement de
l'espace du logement absolument contradictoire avec les normes actuelles du
code de bâtir". In: AUFFRAY, Danièle, COLLIN, Michèle, BAUDOUIN, Thierry,
GUILLERM, Alain. La Grève et la Ville. Paris, Christian Bourgois Editeur, 1979.
p. 20. Voir à ce sujet, également, les études d'"ethnologie des banlieues"
suivantes: PETONNET. (1968). Op. cit. 253 p., (1979). Op. cit. 26O p., (1982).
Op. cit. 175 p.
82. A l'exemple de Noiriel, "ce terme équivoque désigne le processus global
des mutations économiques, technologiques et sociales auxquelles la société
occidentale est aujourd'hui confrontée". Cf: NOIRIEL. (1986). Op. cit. p. 284.
note 1 du chapitre 7.
83. Cela n'est pas un phénomène isolé et limité à La Grand-Combe. La Cour
des Comptes fait une enquête en octobre 1955, au niveau national, qui
"confirme l'évincement des ouvriers du secteur H.L.M. Les catégories les plus
avantagées dans l'attribution des H.L.M. sont les professions libérales, les
cadres supérieurs, les cadres moyens et les employés. Les ouvriers ne
viennent qu'en dernière position". Cf: GROUPE D'ETUDE ET DE RECHERCHE
SUR LE TRAVAIL ET L'URBAIN. Op. cit. p 145.
84. L'Ecole de Formation pour les maîtres-mineurs devient l'Ecole nationale des
ingénieurs des Mines d'Alès.
85. A Saint-Etienne, à Paris, etc., ils se retrouvent avec les anciens collègues
dans les Amicales des Ingénieurs de l'Ecole de Mines.
86. Pour reprendre le titre du livre de Noiriel. In: NOIRIEL. (1988). Op. cit.
87. Evidemment, les raisons pour lesquelles l'immigration de cette époque est
attirée par l'intégration dans la société française méritent une analyse beaucoup
plus sérieuse. Hélas, les limites des nos propos ne nous permettent pas de
nous étendre là-dessus. Voyons par exemple l'analyse de Gaspard et ServanSchreiber: "Après un premier flux d'hommes intimement liés au pays, et
demeurant dans leur âme et leur mentalité des ruraux dont l'ambition est de
réintégrer un jour leur village, une seconde vague apparaît, une nouvelle
génération, aux aspirations différentes. (...). La dévalorisation de l'image du
paysan dans des sociétés en pleine mutation économique, le sousdéveloppement et la conscience qu'on en a grâce aux progrès des
communications, l'ouverture du Tiers-Monde sur le monde développé, le fait
que ce dernier soit regardé avec fascination, l'explosion démographique,
constituent autant de facteurs qui poussent au départ. Ceux qui s'en vont ne se
considèrent plus comme étant en 'mission' pour améliorer le sort des leurs: ils
partent tenter leur chance personnelle ailleurs et ne se sentent plus, comme
leur prédécesseurs, au service de la communauté restée au pays. Sans doute,
des liens, souvent forts, sont-ils maintenus avec celle-ci, et les émigrés
continuent-ils d'aider matériellement leur famille. Mais ils vivent leur exil comme
une fuite vers un monde meilleur, parfois même une terre promise. L'émigré
espère réussir, s'enrichir. Son but ultime reste le retour, mais dans des
conditions qui lui permettront d'apporter aux siens, à son entourage, la preuve
d'une réussite sociale. L'itinéraire n'a plus le même caractère. Plus
individualiste, il prend plus aisément et plus rapidement un caractère familial".
In: GASPARD et SERVAN-SCHREIBER. Op. cit. p. 30.
88. Cette situation "d'ordre" (conflit latent et contrôlé) tend à dégringoler au fur
et à mesure que le marché du travail s'étrangle, et ce sont les enfants
d'immigrants (les beurs) qui seront les plus exposés à la xénophobie générale
et au racisme quotidien.
89. Cf. FAVEDE. Op. cit. p. 50.
90. Les rapports de voisinage étant marqués par un développement des
réseaux à mailles relativement serrées dans les termes de BOTT. Op. cit.
91. "L'Association des familles nombreuses (...) s'était donné comme objectif de
défendre une politique familiale, le rôle social de la mère de famille, les enfants,
il fallait aussi penser à l'évolution rapide des progrès techniques, dans une
société en permanente mutation". Cf. Article de A.D: "La Grand-Combe Samedi à la Salle Louis-Aragon. L'association Cantonale des Familles
Nombreuses a tenu sa 44e Assemblée Générale". In: Journal Le Pays Cévenol
et Cévennes. D'Alès - La Grand'Combe à Florac. Hebdomadaire Régional
d'Informations d'Annonces Légales et Judiciaires agréé pour l'ensemble du
département du Gard. Le 20 Avril 1991. p. 7.
92. Pour utiliser une formule de Bourdieu, c'est encore et toujours l'activité
minière qui choisissait ces travailleurs et non le contraire. BOURDIEU, Pierre.
Algérie 60. Structures économiques et structures temporelles. Paris, De Minuit,
1977. p. 49.
93. Noiriel observe: "Les années cinquante sont aussi la grande époque du
'réalisme socialiste' qui offre une nouvelle version du fantasme ouvrier
combinant populisme et misérabilisme. Le mineur devient ainsi tout à la fois le
prototype de l'homme nouveau, haute figure du prolétariat, belle et noble, et le
symbole des stigmates de la condition ouvrière: mains arrachées, corps
meurtris, silicosés". In: NOIRIEL. (1986). Op. cit. p. 208.
94. "En effet, la modernisation du matériel du fond, et la concentration
croissante des travaux, qui en était la conséquence, l'évolution des méthodes
d'exploitation avec haveuses, rabots, convoyeurs blindés, étançons métalliques
remplaçant le bois, l'usage étendu de l'électricité, exigeaient de la formation
électro-mécanique de base". In: FLECHON. Op. cit. Tome II. p. 242.
95. Pour une analyse qui met en rapport une classe ouvrière qualifiée, stable et
une classe ouvrière instable et déqualifiée dans le contexte national, voir:
VERRET, Michel. Le travail ouvrier. Paris, Armand Colin, 1982. Chapitre IV.
96. "C'est sa condition tout entière qui subit un relèvement. Un spécialiste est
considéré et payé, mieux payé que l'employé, parfois même que l'ingénieur.
Les propagandes communistes et syndicales ont certainement contribué à lui
révéler son importance sociale et économique. Il sait qui il est, une sorte de
seigneur du travail, un travail qui n'est plus un automatisme inintelligent, mais
une technique qui exige des connaissances au moins empiriques de science
appliquée. (...). Il a conscience de pouvoir accéder à un certain nombre de
privilèges bourgeois: l'aisance, le confort, l'instruction, mais sans sortir de sa
condition, de sa condition ouvrière; un condition puissante, puisqu'elle lui
permet désormais de peser sur les décisions de l'Etat". In: ARIES. (1971). Op.
cit. p. 164. Cité également par NOIRIEL. (1986). Op. cit. pp. 202 et 203.
97. "Le gigantesque développement des sciences et des techniques après la
Seconde Guerre mondiale, l'extension des services collectifs (école, santé,
culture) et de l'administration publique et privée, provoquent dans ces deux
décennies un accroissement massif des 'nouvelles classe moyennes': les
professions libérales et les cadres supérieurs voient leur effectif multiplié par 3,
les cadres moyens par 2,5, les employés par 1,8." In: NOIRIEL. (1986). Op. cit.
p. 211.
98. "Avec la scolarisation de masse, les représentations de l'avenir, auparavant
bornées par les limites de la classe, se modifient. Et en même temps que l'on
proclame 'l'amour du travail', on se mobilise, toutes forces familiales
confondues, pour que les enfants 'n'aient pas la vie qu'on a eue'. Mais
l'expérience persistante de l'école, en retardant notamment l'entrée dans la vie
active, c'est-à-dire en prolongeant la période 'd'irresponsabilité sociale' de
l'enfance, contribue à la constitution d'une 'jeunesse ouvrière'; catégorie
auparavant réservée aux classes aisées. (...) ". Ibidem. p. 226.
99. Michel travail comme garçon dans les restaurants touristiques, surtout aux
époques de haute demande.
100. A ce sujet voir: A) PROST, Antoine. L'enseignement en France de 1800 à
1967. Paris, Armand Colin, 1968. B) PONTEIL, F. Histoire de l'enseignement
1789-1965. Paris, Sirey, 1966. Livre III: "Vers la démocratisation de
l'enseignement 1871-1964". p. 280 à 400. C) LEON, Antoine. Histoire de
L'enseignement en France. Paris, PUF, 1990. 128 p. (1e édition: 1967).
101. "En fait, le développement de l'instruction a répondu à une demande
sociale. L'instruction semblait aux Français la clef de la promotion sociale. La
démocratisation et l'égalité des chances ont été prises au sérieux: on croyait
que l'instruction permettrait à tous d'accéder aux emplois supérieurs. Ce désir
des Français a suscité un effort budgétaire sans précédent, puisque les
dépenses d'instruction, qui représentaient 7% des dépenses de l'Etat au début
des années 1950, atteignent 17% vers 1967 et se maintiennent à ce niveau".
In: PROST. (1979). Op. cit. p. 88.
102. Expression du curé local.
103. SUGIER. (1985). Op. cit. 155 p., (1990). Op. cit.
104. Il fallait ici faire allusion au mouvement J.C.C. Flechon se réfère dans son
manuscrit à un prêtre ouvrier à La Grand-Combe vers les années 1950. Cf:
FLECHON. Op. cit. Tome II. p. 268.
105. Depuis 1951, ils peuvent aussi bénéficier de bourses accordées aux
enfants, selon la loi du 21 septembre 1951.
106. "En raison de l'insuffisance des moyens scolaires d'initiation technique,
l'Etat est conduit à se pencher sur le sort de la main-d'oeuvre juvénile. Il
intervient, soit pour améliorer les conditions générales du travail, soit pour
garantir un minimum de formation aux jeunes ouvriers". Selon, LEON. Op. cit.
pp. 99 et 111.
107. "Le préambule de la Constitution de 1946, confirmé dans ses grandes
lignes par celui de la Constitution de 1958, exprime en ces termes la volonté de
réaliser une véritable éducation nationale: La nation garantit l'égal accès de
l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture.
L'organisation de l'enseignement public, gratuit et laïque à tous les degrés, est
un devoir de l'Etat." Ibidem. p. 106.
108. Il échappe à notre propos de relever les nombreux enjeux et forces qui
définissent les rapports politiques et situent les groupes sociaux par rapport au
pouvoir. Les données de ce chapitre ont été fournies par MM.: M. André
MICHEL, correspondant de presse pour le Journal Régional Midi Libre pour la
région de La Grand-Combe; M. Fabrice SUGIER, Docteur en Histoire, auteur
des thèses (Maîtrise et Doctorat) sur l'histoire du mouvement ouvrier dans le
Bassin d'Alès; M. Michel WIENIN, Chercheur en Histoire Industrielle au Centre
Culturel Scientifique et Technique (C.C.S.T) d'Alès (Gard). Nous les remercions
d'avoir promptement collaboré avec leurs informations à la confection de ce
chapitre.
109. Cf. Lettre de Fabrice SUGIER. Privas le 3 avril 1991.
110. A cette date, eurent lieu les élections au suffrage proportionnel intégral
décidé par le général, chef du gouvernement. Treize M.R.P., neuf
communistes, cinq socialistes. A la tête de la commune, M. Soustelle secondé
par MM. Castor et Hermet, adjoints municipaux. Selon le Journal Le Pays
Cévenol et Cévennes. D'Alès - La Grand'Combe à Florac. Hebdomadaire
Régional d'Informations d'Annonces Légales et Judiciaires agréé pour
l'ensemble du département du Gard. Le 3 Ao–t 1991. M.1. (Article: "A Trescol
des Lecteurs désirent savoir"). p. 6.
111. Cf. Lettre de Fabrice SUGIER. Privas, le 3 avril 1991.
112. Informations de M. André MICHEL. Avril 1991.
113. "Il n'est pas facile d'analyser la mentalité politique de La Grand-Combe. Ce
qui explique la victoire des socialistes depuis 1935, c'est leur alliance avec le
M.R.P. (Mouvement républicain populaire constitué en 1944). Alliance délicate,
sinon au point de vue économique et social, du moins sur le plan idéologique. Il
est difficile en effet de concilier les principes catholiques du M.R.P. promoteur
de la liberté de l'enseignement, avec les sentiments traditionnellement laïques
de la S.F.I.O. Mais c'est cette alliance qui permet aux socialistes, en ralliant
l'électorat de droite, de remporter les élections. Elle rencontre l'adhésion des
électeurs des deux tendances en fondant sa propagande sur l'impérieuse
nécessité de faire échec au communisme" (...). "Si pour l'ouvrier toute adhésion
à une droite très conservatrice sur le plan social lui semble maintenant une
trahison, il ne verra aucun inconvénient à donner son suffrage à un parti
bourgeois, mais 'populaire' et conforme à son idéologie catholique. Si le facteur
idéologique l'emporte sur sa conscience d'appartenir au prolétariat, l'ouvrier
vote M.R.P. Il votera socialiste ou communiste dans le cas contraire. Mais à La
Grand-Combe, les laïques de la S.F.I.O. et les catholiques du M.R.P.
communient dans la même peur du communisme pour lequel votent les
ouvriers d'Alès, par exemple. Car l'emprise catholique reste très forte à La
Grand'Combe à cause d'un siècle de domination, même si les écoles privées
n'ont plus le rôle idéologique d'antan... ". In: FAVEDE. Op. cit. p. 84.
114. Ibidem. p. 87.
115. Ibidem. p. 87.
116. Pour paraphraser Segalen. In: SEGALEN. (1990). Op. cit. p. 123.
117. Cf. Lettre de Fabrice SUGIER. Privas le 3 avril 1991.
118. C'est le cas de La Grand-Combe et St-Jean-de-Valériscle, sièges
d'exploitation de la Cie. de La Grand-Combe et de Bessèges, Robiac et
Moliéres, pour la Cie. de Bessèges.
Déjà à Alès ainsi que dans les villes où les Compagnies ont développé une
politique paternaliste moins forte, où leur poids social a été moins écrasant (à la
Vernarède, à St.-Martin-de-Valgalgnes) et même dans la voisinage de La
Grand-Combe où la puissance de la Cie. a été forcément moins absolue, la
domination communiste ne s'est jamais démentie à Salles-du-Gardon et à
Branoux-les-Taillades, où les municipalités sont à dominante communiste, par
exemple.
119. Cf. Lettre de Fabrice SUGIER. Privas le 3 avril 1991.
120. Ibidem.
121. Expression de OZOUF, Mona. La fête révolutionnaire. 1789-1799. Paris,
Gallimard, 1976. pp. 21 et 22.
122. Les moyens de transport étant aussi plus développés, la communication
avec les villes voisines plus importantes s'intensifie. La construction d'une
nouvelle route, par exemple, permettra un déplacement rapide jusqu'à Alès (10
minutes en voiture), la ville qui présente alors le dynamisme urbain de plus
grande envergure dans la région.
123. BROMBERGER; CENTLIVRES; COLLOMB. "Entre le local et le global: les
figures de l'identité". In: SEGALEN (présenté par). (1989). Op. cit. p. 140.
124. "Comme un lieu où peuvent se mettre en forme et se reproduire ces
mémoires collectives qui structurent et nourissent l'affirmation identitaire et les
pratiques qui la symbolisent". L'identité ici, "privilégie les processus à l'oeuvre
dans la production historique et l'affirmation contextuelle des identités, à
l'intérieur des cadres culturels contraignants ou structurants que sont les
habitus, et les mémoires - individuelles et existentielles, ou collectives et
mythiques". Ibidem. p. 141.
125. "En effet, le lieu auquel un individu se rattache est l'une des spécificités
sociales qui le définissent, parmi d'autres (le sexe, l'âge, la profession, le statut
familial, etc.). On pourrait dire que l'identité locale est une relation entre
l'individu et lui-même, médiatisée par le lieu ou la représentation du lieu.
L'appartenance locale désigne non plus cette construction de soi mais la
relation entre l'individu et un lieu; il se peut que cette relation d'appartenance
soit médiatisée elle-même par une relation de co-appartenance avec d'autres
individus: alors, le lieu n'est plus seulement un objet dans lequel se projette ou
se reflète une partie de 'soi'; il devient la représentation spatiale d'un groupe
d'appartenance". In: WEBER. (1989). Op. cit. p. 183.
126. "A l'image du national, le régional est un raccourci de la réalité, une
catégorie qui permet de classer les gens et les espaces et, par conséquent, une
façon de délimiter des frontières et d'établir des limites. Le régional constitue un
point de référence de base autour duquel se rassemblent des identités et des
idéologies. L'identité est une construction sociale formulée à partir de
différences réelles ou inventées fonctionnant en tant que signes diacritiques,
c'est-à-dire des lignes qui confèrent une marque de distinction. C'est dans ce
sens que Lévi-Strauss a affirmé: '(...) l'identité est une sorte de foyer virtuel
auquel il nous est indispensable de nous référer pour expliquer un certain
nombre de choses, mais sans qu'il ait jamais d'existence réelle' (Claude LéviStrauss, conclusion du séminaire sur l'Identité - 1974-1975 - Paris, Grasset, p.
331 et 332.)". In: OLIVEN, Ruben. A atualidade da questão regional. UFRGS.
Porto Alegre, Brasil. 1985. p. 9. Manuscrito. (Traduction de G. le Clerc).
127. D'ailleurs, si la majorité travaille sur sa propre commune, il n'est pas
exceptionnel d'aller travailler dans des puits appartenant à une commune
voisine. Dans ce dernier cas, le déplacement sera facilité par des cars et autres
moyens de transport que subventionnent les Houillères.
128. Emblématique identitaire comme un "système de signes, un ensemble de
pratiques et de valeurs survalorisés par une collectivité". (...) "Au travers de
l'expression emblématique des identités serait alors à l'oeuvre, ainsi que le
propose Jean Camy (A propos de joutes et du rock givordins: emblèmes,
symboles et identité), 'un travail social de qualification des pratiques, passant
par une négociation autour des valeurs dont les acteurs sont porteurs'. On
déboucherait dès lors sur une interprétation polémologique de l'identité, qui
considérerait l'emblématique comme un lieu crucial où se jouent les luttes pour
accorder ou refuser aux acteurs sociaux la légitimité de dire l'identification".
Nous suivons et citons ici: BROMBERGER; CENTLIVRES; COLLOMB. "Entre
le local et le global: les figures de l'identité". In: SEGALEN (présenté par).
(1989). Op. cit. pp. 142 et 143.
129. A ce sujet, voir: A) ORTIZ, Renato. Cultura brasileira & Identidade
nacional. São Paulo, Brasiliense, 1985. B) BERGER, Peter I. et LUCKMANN,
Thomas. A construção social da realidade. 5e ed. Petrópolis, Vozes, 1983. (1e
édition: The Social Construction of Reality. London, Doubleday & Company,
INc. 1966).
130. "Il paraît peu significatif de faire un rapprochement entre le contenu
sociologique des Houillères où effectivement la CGT était prééminente et
l'électorat grand-combien. Le personnel des Houillères comprenant à l'époque
considérée des habitants de toutes les communes du canton. Notamment
celles des Salles-du-Gardon et de Branoux-les-Taillades où les municipalités
sont à dominante communiste depuis la Libération". Cf. A. MICHEL (Lettre,
mars 1991).
131. "Il y aurait beaucoup à dire, je crois, sur l'amour du métier et la 'vocation'
minière. Ceux-ci obéissent à la règle de toute vocation: l'imposition, c'est-à-dire
à un ensemble, voire à un 'système de déterminants sociaux' (...) parmi
lesquels il faut compter bien évidemment l'origine sociale, mais aussi l'hérédité,
le rang dans la fratrie, le 'travail' de l'école, etc." In: LUCAS, Philippe. La rumeur
minière ou le travail retravaillé. Paris, P.U. de Lyon, 1985. p. 68.
132. "Le régionalisme (ou le nationalisme) n'est qu'un cas particulier des luttes
proprement symboliques dans lesquelles les agents sont engagés soit
individuellement et à l'état dispersé, soit collectivement et à l'état organisé, et
qui ont pour enjeu la conservation ou la transformation des rapports de forces
symboliques et des profits corrélatifs, tant économiques que symboliques; ou, si
l'on préfère, la conservation ou la transformation des lois de formation des prix
matériels ou symboliques attachés aux manifestions symboliques (objectives ou
intentionnelles) de l'identité sociale." In: BOURDIEU, Pierre. "L'identité et la
représentation. éléments pour une réflexion critique sur l'idée de région". In:
Revue Actes de la Recherche en Sciences Sociales. Op. cit. pp. 57,59 et 69.
133. "(...) Le mouvement occitan n'est ni seulement un mouvement de classe ni
entièrement un mouvement national. Il est porté à la fois par le Midi rouge et
par une conscience d'occitanité. (...) L'observation montre que les militants
occitans définissent l'Occitanie qu'ils défendent en termes culturels, et
l'adversaire qu'ils combattent à la fois comme l'Etat français et comme les
grands intérêts marchands et industriels, toujours qualifiés d'étrangers, tandis
qu'ils veulent échapper à leur situation d'assistés et conquérir une autonomie
qui peut être entendue de manières très diverses. Ils défendent un passé, une
culture qu'ils veulent transmettre; ils s'opposent aussi à la chute de leur
économie; ils veulent acquérir la capacité de transformer leur société. Thèmes
culturels, économiques et politiques se mêlent sans que leur intégration soit
facile." In: TOURAINE, Alain; DUBET, François et alii. Les pays contre l'Etat.
Luttes occitanes. Paris, Seuil, 1981. p. 17. De plus, sur le mouvement occitan,
voir: Annexe 21.
134. Où s'engagent, par exemple, l'Institut d'Etudes Occitanes (IEO organisé
dès 1945) et le Parti nationaliste occitan (PNO, créé en 1959 par François
Fontan).
135. Professeur d'histoire moderne à l'Université de Provence.
136. Car ici, l'activité économique interfère avec l'origine religieuse. L'opposition
entre le haut et le bas pays n'est pas seulement celle des huguenots et des
papistes; c'est aussi la différence entre un monde resté agricole et qui
s'enfonce lentement dans la mort et l'univers minier à l'histoire récente plus
heurtée, traversée de crises économiques, de luttes sociales et dont le déclin
est plus brutal." Selon JOUTARD, Philippe. "D'une version à l'autre". In:
PELEN. (1987). Op. cit. p. 9.
137. Interview concédée à GARDES-MADRAY, Françoise et BRES, Jacques.
Parole ouvrière. Autour de Ladrecht. Paris, Messidor/Editions sociales, 1986. p.
129.
138. PELEN. (1987). Op. cit. p. 175.
139. D'ailleurs, les Charbonnages de France s'efforcent de déplacer
("reconvertir") les éléments les plus agitateurs, c'est-à-dire les plus combatifs.
140. Voir Annexe 22: "La Grève de 1948".
141. Cf. FLECHON. Op. cit. Tome II. p. 231. En outre: Les grèves pour une
augmentation de salaire se succéderont: "En 1947, un ouvrier gagne en
moyenne journalière 'au fond' 755f et au jour 510f. En 1949 ces salaires sont
respectivement de 1.057f et 736f. En 1950/51, les revendications sont
également étayées par des grèves: le 1er mai 1951, le gain moyen d'un mineur
est porté à 1.420f, celui d'un ouvrier de jour à 1.019f. Mais la hausse qui atteint
à cette époque le co–t de certaines denrées alimentaires provoque un nouveau
mécontentement et une reprise de l'agitation. En 1953, une nouvelle grève a
pour but une revalorisation des salaires. En 1956, compte tenu des divers
éléments, primes et indemnités, un mineur gagne en moyenne - par jour
ouvrable - 1.855f, un ouvrier de jour 1.480f. Les salaires continueront à
progresser par la suite d'une manière constante et avec un avantage salarial
non négligeable lors de la mensualisation en 1975." In: FAVEDE. Op. cit. pp. 63
et 64.
142. Cf. DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. pp. 74 à 78.
143. Ibidem.
144. Selon Trempé, "Tel a bien été le rôle tenu par la nationalisation des mines,
qui, par la concentration des exploitations et par l'unité de conception, a permis
de moderniser l'industrie houillère. Le plan, mis en oeuvre à partir de 1946,
donnera enfin à ce secteur la capacité de production dont les gouvernants et le
service des Mines avaient rêvé depuis 1937". TREMPE. (1989). Op. cit. p. 263.
145. LAMORISSE. Op. cit. p. 344.
146. Ibidem.
147. MAEREL, Marie-Jo (responsable). Le mouvement ouvrier. 1815.1977.
Paris, Montholon-Services, 1978. Collection CFDT/REFLEXION. p. 178.
148. Ibidem. p. 179.
149. DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 76.
150. LAMORISSE. Op. cit. p. 344. En plus: "Certes, l'entrée en service de la
centrale thermoélectrique du FESC, près de La Grand-Combe, en 1953, a
accru sensiblement la demande du charbon, mais la concurrence faite à cette
énergie par les centrales hydrauliques aménagées au long tant du Rhône que
des fleuves et rivières descendus du Massif Central décide les pouvoirs publics
à ne pas développer davantage la production d'électricité d'origine thermique:
dès lors, les charbonnages cévenols sont condamnés à cesser leur activité".
CARRIERE, P. "Les industries cévenoles aujourd'hui". In: JOUTARD. (sous la
direction de). Op. cit. Chapitre 8. pp. 303 et 304.
151. Cf. SCHWARTZ. Op. cit. p. 72.
PARTIE IV
"AU TEMPS DE LA RECESSION".
(M. Volder): "C'était la récession, et alors là, ce n'était plus
la même chose, parce que les mines ont été fermées et le
pays minier a décliné".
(Mme Volder): "C'était pas du tout pareil. Les mines ont été
arrêtées et la population est allée ailleurs pour chercher du
travail".
(M. et Mme Volder. Mineur retraité et son épouse).
CHAPITRE 1
APRES LE DEFI... LA DEFAITE.
Dans les années cinquante, c'est le lent déclin de la production de charbon
qui commence avec la liquidation des premiers puits(1). D'autres vont suivre le
même chemin(2). Néanmoins, les H.B.C. connaissent un court moment de
reprise économique, qui permet de maintenir les apparences et de situer la
cause des quelques fermetures dans la modernisation nécessaire des
systèmes d'exploitation.
Dans les années 60, la concurrence d'autres sources d'énergie balaiera
irrémédiablement le charbon (national) du marché. Il était de moins en moins
autarcique. Les agents gouvernementaux parlent d'une ré-orientation de
l'économie, d'une transformation du secteur de production, des nouveaux
investissements de capitaux qu'appelle l'arrivée de nouvelles industries.
"Ceci expliquait cela, et il ne servait à rien de vouloir remonter les heures à
l'horloge du temps. Une nouvelle période venait de s'ouvrir, et il faudrait un jour
le refus des livraisons des rois du pétrole, pour que l'on en vînt à s'interroger
sur le bien-fondé d'une telle politique malthusienne".(3)
Certes, les promesses de reconversion industrielle de la région faisaient la
Une des programmes de la classe politique, mais on doutait toujours de ces
"rumeurs" qui couraient au sujet de "la fin du charbon", alors que la France en
avait encore besoin.
Néanmoins, il était vrai que les Houillères des Cévennes supporteraient très
mal la concurrence grandissante des autres sources d'énergie. Par exemple, au
fur et a mesure qu'un nouveau système de chauffage domestique est proposé
aux consommateurs, ceux-ci substituent le charbon par le fioul, par le gaz, par
l'électricité, et cela signifie que les Houillères des Cévennes sont en train de
perdre leur principal débouché, et elles perdront bientôt celui que représentent
les centrales thermiques.(4) Cela voulait dire que les subventions destinées
aux secteurs énergétiques de pointe augmentaient au détriment des houillères,
qui verront leur budget diminuer et les signes d'une récession charbonnière
apparaître de plus en plus au grand jour.(5)
Les plans de restriction draconienne de la production de charbon se
succèdent (plan Jeanneney en 1960, plan Bettencourt en 1968(6)). Certes, ces
projets gouvernementaux visent le "progrès" de l'économie nationale, mais en
délaissant des communautés comme celle de La Grand-Combe, dont le
charbon constituait la richesse économique de base. Prélude de la crise, un
reflux économique irréversible s'installe.
A l'exemple d'autres villes minières, face à ces nouvelles données
incontournables qui dévitalisent économiquement la région, La Grand-Combe
voit sa principale industrie locale aborder une récession fatale dont les
corollaires seront très durs pour la population minière. Elle ne se ressaisira plus
après le déclenchement de la dépression économique.
Si jusqu'à cette période les habitants grand-combiens se référaient à la vie
quotidienne et à l'histoire vécue avec pour référence des "signes" externes et
déterminants (institutions fortes) des pratiques sociales - "au temps de la
Compagnie" (la Compagnie), "au temps de la nationalisation" (l'Etat et le
syndicat) - ils se réfèrent désormais à l'insécurité du lendemain, à un "non-lieu"
(à un vide de déterminant institutionnel économique) et identifient ce moment
comme le point de non-retour dans une trajectoire de vie, dont la représentation
du métier de mineur qui se perpétuait de père en fils est très forte. Les grandcombiens évoquent une situation de "crise"(7), vue comme une discontinuité
dans la vie d'un groupe social remettant en cause l'organisation sociale d'une
ville fondée sur une histoire économique et professionnelle qui avait produit une
communauté de travail où les familles se sentaient assurées par la stabilité de
l'emploi, par la politique d'assistanat et par le système des dispositions et des
valeurs qui fondait le groupe de travail minier (solidarité, entraide, etc).(8) Un
grand-combien déclare à la presse:
"Trop de graves problèmes se posent journellement. Saura-t-on les
résoudre où alors s'accoutumer au fait de vivre constamment dans l'insécurité.
Ah certes, elle fut très longtemps noire, notre vallée, mais avec le charbon on y
a aussi extrait de solides vertus, hélas! disparues la fraternité, l'honnêteté et la
solidarité".(9)
Certes, les "hachures du discontinu" ("durées discontinues"), on les verra
toujours, mais cette rupture est si dramatique qu'on superpose la représentation
d'un autre temps. Dans ce changement, la continuité est restituée par une autre
ordonnance de temps: "au temps de la crise", "au temps de la récession".
Le début du "temps de la crise" ressenti par la communauté des mineurs
n'est pas déterminé avec précision dans l'esprit des personnes interviewées.
Avec le recul, quelques-unes l'assimilent à la fermeture des premiers puits
(dans les années 50). Néanmoins, elles reconnaissent aussi que, si à l'époque
les "temps étaient difficile", ils croyaient que cela se devait à la "modernisation
des mines", et elles croyaient à cette nécessité de moderniser les mines - une
période de transition. Mais elles ne pensaient pas que la récession
charbonnière deviendrait irréversible.
Il était plut“t question de rumeurs et il est vrai, comme nous en reparlerons
plus loin, que les promesses de reconversion économique de la région
paraissaient à certains membres du groupe, et d'une manière générale,
séduisantes pour l'avenir des jeunes. En effet, très souvent, les parents
auraient aimé voir leurs enfants suivre une autre carrière que celle de mineur,
un métier peu qualifié. Il faut ici se rendre compte que c'est, sans doute, toute
une société qui fait face à une ère nouvelle, celle de la consommation de
masse et du progrès (ou réussite) social. Il n'est pas négligeable qu'on aspire à
ce que ces "temps de crise" soient ceux qui apporteront une diversification du
marché de travail et la "modernisation" dans le mode de vie.
De plus en plus, la formation scolaire et la formation technique, le travail
dans des secteurs plus "modernes", devaient permettre l'accès à une place de
"prestige" dans la structure et "l'armature mentale" de la société dans son
ensemble, même si la "carrière" de la mine était encore, aux yeux des mineurs,
la plus prestigieuse symboliquement parlant. La "promotion" devient de plus en
plus récurrente au sens où elle apporte non seulement une augmentation des
conditions salariales, mais surtout le franchissement des limites intellectuelles
qui renferment le groupe. La promotion professionnelle représentera la
conquête d'un statut (symbolique) supérieur.(10) Les innombrables cours de
formation, de plus en plus souvent promus et suivis, vont constituer l'une des
stratégies à travers lesquelles les familles vont aspirer à ce que leurs enfants
construisent des projets ambitieux de carrière et de promotion sociale. Les
récits de "j'ai commencé dans le charbon et j'ai fini ma carrière dans le plus
haut poste" deviennent plus fréquents.
"Je faisais des réparations comme ça mais je travaillais pas au fond, j'ai eu
mes études à l'école de la mine... je suis entré avec 16 ans, pour la formation
professionnelle et puis embauché directement dans le chantier. La formation
durait deux ans et après on était incorporé dans le chantier... la majorité était
fils d'ouvrier ou de mineur...". (M. Lefort. Mineur retraité).
Cela
influera
localement
sur
l'élargissement
des
qualifications
professionnelles, grâce au développement des écoles techniques à La GrandCombe et Alès, toujours dans l'intérêt des Houillères. Comme nous l'avons déjà
signalé, non seulement des fils de mineur mais aussi d'anciens mineurs se sont
mis à fréquenter ces écoles pour recevoir une qualification technique
appropriée aux temps nouveaux de la modernisation du système d'exploitation,
et devenir mécanicien, électricien, etc.
La majorité de nos interlocuteurs situent plutôt au cours des années 60
l'époque à laquelle ils commencent à vivre un "temps de crise". La ville minière
qui, pendant plus d'un siècle - tout en suivant le rythme des cycles
économiques - avait attiré et retenu une importante population active, vit les
années 60 comme une contrainte. Cette prise de conscience intervient en fait à
partir des premières fermetures de puits et des reconversions:
"Du moment où ils commençaient à payer les jeunes gens pour partir, on a
commencé à croire vraiment que les mines allaient fermer. Cela se tenait
encore en peu en secret, mais ils savaient bien déjà ce qu'ils allaient faire. Ils
commençaient à payer les jeunes pour se reconvertir". (M. Pontes. Mineur
retraité).
"Ça a commencé à changer en 62, 63 par là! Parce qu'ils commençaient à
renvoyer à travailler ailleurs. Alors là ce n'était plus pareil". (M. Grellier. Mineur
retraité).
Mais, et surtout, à partir des premières expériences d'une pratique encore
inédite parmi la communauté des mineurs: protester contre cette fermeture.
Les réactions sont multiples et il est impossible de reconstruire la trajectoire
qu'a vécue chaque famille à partir de cette époque. Nous pouvons cependant
déceler ce que semblent avoir été les sensations les plus générales, comme la
façon de percevoir ou d'interpréter la coupure de ce qui était vital pour la santé
économique de la ville comme un "drame" familial, un "drame" pour la ville.
Evidement, la perspective de la disparition du travail à la mine se traduit par un
bouleversement dans la projection habituelle d'une situation de stabilité du
groupe vers l'avenir.
Ce sont d'abord les conditions d'administration de "la Compagnie" qui
permettaient la mobilité sociale des habitants de La Grand-Combe, puis ce sont
les Houillères qui monopolisaient ce pouvoir de dynamiser la ville. Le point
névralgique étant surtout la rupture que la récession locale provoquait pour la
société grand-combienne, en particulier chez les familles de mineurs qui
connaissaient depuis de plus d'un siècle l'équilibre du processus de
construction de projets de vie: ceux-ci peuvent de moins en moins voir dans le
travail à la mine la référence centrale de l'existence des individus. Ainsi, si le
processus de nationalisation des mines avait jusqu'à alors permis une
continuation de la référence de la mine comme projet "professionnel" pour les
membres d'une famille, la contrainte majeure des fermetures de puits réside
justement dans le fait de la rupture de cette source de s–reté pour la société
locale: c'est la fin de "l'endogamie professionnelle", des "générations de la
mine", "mineur de père en fils", et même le métier de "mineur du fond" disparaît.
Parmi les fils de mineurs, "beaucoup d'entre eux, se détournaient d'une
carrière qui, parce que dure, avait apporté à leurs pères la sécurité de l'emploi,
et une législation sociale plus avancée qu'ailleurs. Autrefois, en effet, entrer à la
mine, pour les robustes montagnards des plateaux de la Lozère et de
l'Ardèche, c'était se faire une situation, presque aussi enviable que celle que
pouvait offrir la fonction publique, car, si les garanties n'y étaient pas aussi s–
res, elles étaient en fait pratiquement assumées par les compagnies, depuis
des décennies, alors que les salaires y étaient plus élevés".(11)
L'assurance et la projection de savoir le fils absorbés dans le marché de
travail minier n'était désormais plus possible. Plus qu'avant il faut réfléchir et
choisir sur l'avenir du ménage (comme si dans chaque foyer les projets de vie
se trouvaient en effet des stratégies plus auto-déterminées), au sens qu'il fallait
faire le choix de la trajectoire à construire pour les enfants qui jusqu'alors
avaient toujours eu la mine comme une garantie d'emploi(12).
En effet, les facteurs politico-économiques qui jouent en défaveur du
charbon par rapport aux autres secteurs d'énergie ont pour conséquence non
seulement la perte pour la ville de son revenu principal, mais aussi la
désarticulation du groupe des mineurs, qui se voient impliqués dans un
processus de changement social au niveau de l'organisation professionnelle,
familiale et sociale. La crise économique apporte des conséquences graves
pour la ville: dépeuplement, ch“mage, éparpillement du groupe actif local,
accroissement de la population ƒgée. Le taux de fécondité diminue presque de
moitié(13). Cet écroulement va marquer les structures démographiques des
années 60. La population adulte de La Grand-Combe travaille de moins en
moins dans les Houillères: en 1962, les mineurs représentent moins de la
moitié de la population active(14). La moyenne d'ƒge des effectifs, encore
"jeune" au début des années 60 (20,9% des travailleurs de fond ont moins de
30 ans en 1960), tendra à s'accroître rapidement (ce même pourcentage tombe
à 15% en 1966)(15).
Les années 60 sont donc celles où nous pouvons reconnaître un point de
repère dans les changements sociaux cruciaux qu'ont subis les familles grandcombiennes: l'exode minier, d'abord peu expressif, s'exacerbe et, au cours des
années 60/70, la réduction de la population se mue en débƒcle. C'est là que
demeure le point d'inflexion d'un processus de transformation qui sera vécu
comme une récession économique. La grève de 1965 témoigne du grand
mécontentement qui dominait dans l'ensemble des Bassins français, où "toute
espérance était morte":
"(...) La grande grève des mineurs, en 1965, apparaît maintenant à certains
comme un tournant dans l'histoire de la cinquième République. Depuis
plusieurs années, les mineurs étaient inquiets pour l'avenir de leur profession,
leur propre destin et celui de leurs enfants. Car, sans désemparer, se
poursuivait le plan de réduction progressive de la production charbonnière, mis
en place en 1960: embauche suspendue, sauf pour les fils de mineurs destinés
à recevoir une formation dans les écoles d'apprentissage du Bassin, et pour
certains adultes, jeunes et vigoureux, indispensables à la marche des chantiers
du fond; mises à la retraite anticipées des ouvriers et agents de maîtrise ayant
trente années de service; toutes mesures qui modifiaient profondément les
conditions de vie de nombreuses familles. D'autant que, d'une façon mesquine,
les retraites étaient calculées sur le nombre d'années de travail réellement
effectuées et non, ce qui aurait été plus décent pour de vieux serviteurs, sur le
nombre d'annuités que l'intéressé aurait pu acquérir s'il était allé au terme
normal de sa carrière, cinquante ans d'ƒge pour le fond, cinquante-cinq pour le
jour. Enfin dans cette ambiance de déflation de la production et de résultats
financiers aggravés, les salaires prenaient du retard sur ceux des branches
d'activité moins pénibles, mais plus prospères."(16)
Effectivement, quand les jeunes grand-combiens se mettent à partir pour
Alès, Montpellier, Lyon, Marseille, Paris, etc., à la recherche d'un emploi; quand
les mariages diminuent et deviennent de moins en moins "endogamicoprofessionnels"; quand la natalité s'affaiblit sous l'effet dévastateur de
l'émigration
-
alors que les couples pratiquent de plus en plus le
malthusianisme(17) - et ceci d'autant plus que la population commence à
vieillir; quand, finalement, le pouvoir local ne parle que des efforts à faire pour
arrêter "l'hémorragie" des habitants de la ville, on peut se rendre compte à quel
point les transformations subies par la population sont profondes: elle connaît
une crise économique que affecte la ville et la région, elle connaît une rupture
dans une existence traditionnellement liée à la mine. Les familles de mineurs
vivent alors ces transformations comme une contrainte qui provoque une
sensation de "désordre"(18) dans le quotidien, à dire, le départ des jeunes,
l'éparpillement des membres du réseau de parenté, etc.
L'ingénieur Flechon, rapporte dans son manuscrit l'ambiance et l'état
"d'humeur désenchantée"(19) à l'époque:
"Le moral de tous était bien bas dans le Bassin. Des puits, creusés à grands
frais quelques années auparavant, n'étaient pas mis en service ou n'avaient
qu'une utilisation limitée; les mines les moins rentables furent fermées et leur
personnel déplacé dans d'autres mines plus favorables. L'embauchage était
suspendu, sauf toutefois pour les fils d'ouvriers destinés à recevoir une
formation de spécialistes, rendue nécessaire par la modernisation des
méthodes, dans le centre d'apprentissage du bassin."(20)
La modernisation "souhaitée", l'évolution "bienvenue" imposait une
dynamique qui engendrait "un monde à l'envers" et La Grand-Combe subit "des
épreuves que les conditions extérieures lui imposent"(21): le déclin du charbon,
la récession et leur cortège de corollaires, d'obstacles à surmonter.
Dans la représentation que s'en fait l'un de nos interlocuteurs, la fermeture
des mines apparaît d'ailleurs comme le chemin qui conduira à plus ou moins
long terme à participer et à profiter d'un progrès généralisé de la société:
"Finalement, si la région avait vu s'installer de nouvelles industries, cela
était le progrès n'est ce pas?" (M. Champeac. Mineur retraité).
Les habitants vivent donc ce paradoxe sur lequel nous avons déjà attiré
l'attention. "le temps de la crise" dans la ville est aussi le temps du progrès
pour la société en général, une amélioration généralisée des conditions de vie
et donc un stimulant pour les parents, une raison d'aspirer pour leurs enfants à
une vie meilleure. Pour beaucoup de pères et mères, la fin du travail souterrain
et les promesses de reconversion apparues dans les années 60 alliaient le
soulagement et l'espoir de voir finalement leurs héritiers pratiquer un métier
moins dur et plus qualifié, devenir techniciens ou ingénieur dans des industries
de substitution du système d'exploitation charbonnier ou encore des industries
de l'énergie susceptibles de s'installer dans la région. Néanmoins - nous l'avons
vu - le programme de reconversion s'avère plut“t médiocre et le travail tend à
devenir une denrée rare. Que ce soit pour suivre la voie scolaire ou rechercher
un marché du travail plus prometteur de promotion sociale, l'exode de La
Grand-Combe drainera la population jeune vers les villes plus modernes de la
région, notamment Alès. Les grand-combiens trouvent d'ailleurs à Alès la
possibilité d'un engagement sur le marché du travail tout en habitant La GrandCombe. Le qualificatif qui a toujours été prêté à La Grand-Combe de "villedortoir" correspond sans doute cette fois à la réalité.
A partir de cette époque, et cela pendant 30 ans, la population, les
politiques locaux et départementaux, les syndicats et partis, etc., vont tout
essayer pour protester contre la récession économique imposée au milieu
minier. Ce non-conformisme peut être mesuré à travers les innombrables
grèves organisées et auxquelles les grand-combiens participent. La lutte
ouvrière se complexifie: ils ne se battent plus seulement pour le salaire ou pour
la garantie du Statut de 1946, mais contre la politique de fermeture des mines.
Cependant, s'ils ont obtenu des satisfactions sur le premier plan, la lutte pour la
survie du bassin semblait plus difficile à mener. L'Etat préférait payer le co–t
social de cette récession, en avançant l'argument de la perte de "plus-value"
qu'entraînait la non-rentabilité des mines face à un contexte de modernisation
d'autres sources d'énergie. Pour résoudre le problème d'occupation de la maind'oeuvre, l'Etat propose des solutions ponctuelles: mutation, reconversion, préretraite. C'est aux villes minières et à leurs habitants de subir le prix d'une
évolution qui va les déclasser au nom du "remodelage" que l'Etat avait
déterminé pour le secteur charbonnier.
CHAPITRE 2
"NON A LA FERMETURE DES MINES"!
En décembre 1961, les mineurs de Decazeville, ville minière de la région de
l'Aveyron, se mettent en grève, inaugurant une résistance sans précédent
contre la politique menée par le gouvernement (régime gaulliste, Ve
République) à l'égard des charbonnages et pour protester contre le
démantèlement de leur industrie minière. Pendant 66 jours, et sous
l'organisation d'une coalition intersyndicale (F.O., C.F.T.C. et C.G.C.), ils vont
crier le mot d'ordre "NON à la fermeture du bassin minier". En dépit de cela, les
puits de la région seront fermés et plus aucun doute ne subsistera dans les
esprits quant à l'orientation de la politique et à ses conséquences: la
reconversion, la peur de la perte d'emploi, l'angoisse du chômage. Les mineurs
prennent dès lors conscience que le combat pour la défense des droits à
l'existence de la corporation minière doit s'intensifier. Suivant l'exemple de
Decazeville devenu celui de "la grève symbole" contre la fermeture des puits,
les manifestations ne cesseront plus d'éclater tant au niveau local que régional
ou national(22).
La lutte des mineurs de Decazeville a été encore plus symbolique par
l'engagement de toute une région (méridionale) dans un mouvement de
solidarité dont participent l'I.E.O et le P.N.O. La résistance des mineurs contre
la fermeture des mines est aussi celle d'un peuple pour la valorisation
économique, culturel et social du sud de la France: le mouvement occitan
originairement culturel-linguistique s'articule à l'action politico-économique d'une
classe.(23)
En 1961, "éclate la crise du bassin minier de Decazeville, la grève pour le
maintien de l'emploi est dure, les mineurs vont même jusqu'à occuper le fond
du puits et y camper en faisant une grève de la faim. On espère que la
puissante corporation syndicale des mineurs les soutiendra, la C.G.T. lance des
consignes de solidarité. En fait il ne se produit rien à ce niveau, la corporation
des mines reste passive. Mais c'est alors qu'un autre soutien, inattendu,
apparaît. La 'région', qui gagne, cette année-là, son nom d'Occitanie, qu'elle
n'avait peut-être jamais eu, même au temps des comtes de Toulouse, se
mobilise: tout le Massif Central et le Languedoc soutiennent Decazeville".(24)
A l'exemple de Decazeville une nouvelle forme de pratique sociale s'impose
au sein de la communauté de travail grand-combienne et du bassin cévenol et
les "mineurs cévenols" participent à des manifestations où sont répétés les
mots d'ordre: "contre la fermeture des mines", "lutte pour vivre au pays"(25). En
outre, ils défendent aussi le désir d'une existence meilleure, un marché de
travail plus qualifié, et voient dans cette époque de grandes changements la
possibilité pour leurs enfants de disposer de meilleures conditions de travail. On
ne saurait comptabiliser ici toutes les manifestations qui constituent "la
résistance pour travailler au pays", mais ces actes de résistance faisaient partie
désormais du quotidien des villes minières. Peu à peu, l'on ne parlera plus que
de cela dans chaque foyer. Les rumeurs deviennent des faits, et la crise
devient... l'avenir(?).
Ce sont surtout les syndicats qui organisent le mouvement d'information et
de mobilisation de la catégorie sous la forme de discussions, de protestations,
etc., afin de sensibiliser d'un côté le pouvoir à ses divers niveaux (national,
départemental, local) à une situation qui ne cessait d'empirer, mais aussi
d'alerter la population sur le caractère irréversible du recul de la production du
charbon. C'est le syndicat majoritaire chez les mineurs (C.G.T) qui prend la tête
de la résistance, car il doute des possibilités d'une véritable reconversion
industrielle du bassin, mais peut-être cherche-t-il également à réparer ses
propres erreurs des années précédentes dans la gérance du secteur
charbonnier.
On critiquait surtout la mauvaise gestion de l'administration des Houillères.
A maintes reprises, les mineurs diront que "il y a eu trop de gaspillage" et
dénonceront le fait que c'était le secteur de production qui était le premier visé
dans ce processus de fermeture, alors que la bureaucratie (les employés de
bureaux, etc.) étaient "protégés":
(M. Martin): "Ils disaient que le charbon n'était plus rentable et pourtant il y
avait beaucoup de charbon. C'était des mensonges. Parce qu'il faut
comprendre une chose, parce que si vous avez 6OO ouvriers qui arrachent le
charbon au fond de la mine, et puis si vous en avez 3.OOO qui grattent du
papier dans le bureau ça peut ne pas être rentable, vous comprenez bien?"
(Mme Martin): "Alors ils mangeaient tout le budget des Houillères. C'était
tout pour eux, parce qu'ils avaient de meilleurs salaires que celui-là des
mineurs... Il y a eu trop de monde qui a tété la-dessus". (M. et Mme Martin.
Mineur retraité et son épouse).
Quelques représentants des classes politiques locales et départementales
s'engagent elles aussi à combattre le recul économique face à la faillite
financière, surtout pour ces villes minières. Le maire de La Grand-Combe
déclara que la fermeture des mines et de la Centrale du FESC provoquait "un
trou au budget municipal difficile à combler".(26) En effet, le pouvoir municipal,
qui était habitué à gérer la commune à côté d'une institution économique forte
qui prévoyait tout (logement, services publics, etc), se trouve de plus en plus
confronté à disputer l'aide financière prévue dans le budget de l'Etat pour les
"zones en difficultés économiques".
Si, au niveau de la presse et des discours syndicaux, la mobilisation de la
communauté de travail semblait totale, il n'en a pas toujours été de même pour
la participation concrète à "la résistance". Au contraire, il était souvent difficile
d'impliquer la collectivité locale d'une manière unanime dans ce mouvement
politico-social.
"C'est vrai qu'il y avait une tranche de la population qui disait 'le charbon, on
en a ras-le-bol, c'est fini'. Mais, en général, il y avait une forte complicité autour
d'un espoir. Il avait encore un espoir que ça se poursuivrait. Les gens ont eu
toujours l'espoir d'une façon ou d'une autre. Je crois que tout le monde était un
peu prisonnier d'une espèce de combat qu'il fallait mener, soit obligé, soit par
adhésion. Le syndicat en tout cas poussait pour ça. Mais c'est compliqué, parce
que les gens voulaient que le charbon continue, parce que cela faisait la raison
de vivre à La Grand-Combe. Mais il y avait beaucoup de contradictions. Parce
que c'est vrai que le travail au fond n'était pas facile, il y avait la silicose, les
accidents de travail, alors, les gens voulaient que ça change. Mais les gens
avaient aussi un souvenir du travail, et je parle de bons souvenirs". (M.
Lemoine. Ancien employé de la Mairie).
Certes, chez les familles de mineurs syndicalisés militants, cette lutte
représente une question d'honneur, et les commerçants de la ville, quant à eux,
s'y engagent du fait même que c'est la mine qui les fait vivre. On en parle aussi
dans les écoles, mais dans certains foyers on doutait encore de la véracité de
la situation pour des raisons diverses: méfiance vis-à-vis d'un mouvement mené
par la C.G.T. (l'institution qui justement les avait "trompés" en même temps que
certains élus de gauche), ou encore, c'était tout simplement la passivité,
l'apathie, et le désespoir qui les figeaient. Ou enfin, parce que la disparition
d'anciens systèmes d'exploitation étaient compris comme synonyme de
"progrès", et que les mineurs avaient l'espoir d'un tournant vers la qualification,
et surtout ils avaient l'espoir que les Houillères pouvaient encore garantir une
"carrière" à leurs enfants, surtout pour ceux en formation professionnelle:
"La mine d'autrefois procurait à chacun, même si la tƒche était rude, la
sécurité de l'emploi et la garantie matérielle du lendemain. S'il n'en était plus
tout à fait de même aujourd'hui, on pouvait cependant espérer que le Bassin,
au cours des vingt années à venir, assurerait aux jeunes d'aujourd'hui le
déroulement normal de leur carrière".(27)
Au fond, la mine est constituée, dans la représentation de nos interviewés,
comme un univers structuré possédant sa logique propre; il convient d'en
dénoncer les conditions de travail inhumaines, tout en se réservant de valoriser
l'activité de mineur elle-même, qui est aussi celle de la valeur du groupe: la
mine est l'univers de travail et "mineur" est le "métier" qui engendre l'identité du
groupe. En effet, cette position était défendable par certains segments
politiques, ce qui n'était pas en désaccord avec le discours officiel des
Charbonnages et du Gouvernement. Dans ce sens, quelques émissaires
politiques argumentaient que la fin du travail traditionnel était la conséquence
irréversible du "progrès" et d'une nouvelle étape du capitalisme. Les
représentants "officiels" de cette position et leurs adeptes justifiaient les besoins
d'améliorations des techniques de travail au bénéfice de l'homme. Un ancien
élu socialiste grand-combien élucide cet argument:
"(...) Et par rapport à la fermeture, cela il fallait que ça arrive un jour. Je peux
vous dire une chose, que cela soit exploitation privée ou système nationalisé,
les mines, il fallait que ça ferme. Parce que, humainement, elle n'était pas
défendable. Parce que quand on voit les gens qui se faisaient crever là-dedans,
dans le fond d'un trou, s'étouffant à 50 ans, la silicose tout ça, pour permettre
que quelques-un roulent sur l'or, non! Ce n'était pas normal et il fallait que ça
change. Il fallait fermer les puits et utiliser d'autres moyens d'exploiter la mine.
On envoyait le mineur au charbon comme on envoyait le soldat à la guerre. Les
gens payaient de leur vie. Alors qu'il y a d'autres moyens d'exploitation, la
découverte, d'autres moyens d'extraire de l'énergie du charbon. Il fallait arrêter
de payer avec la vie humaine la richesse du charbon. C'est n'est pas l'avis de la
classe politique en général mais c'est la mienne en tant que penseur". (M.
Demari).
Ainsi,
les
représentations
sur
les
expectatives
à
l'époque
sont
contradictoires et "le temps de la crise" est n'est pas toujours compris sous son
aspect de débâcle mais au sens aussi de changement (production
novatrice)(28), un mouvement de transformation vers des améliorations
d'époque.
Mais la menace majeure demeurait celle de voir disparaître la seule source
s–re de travail dans une ville minière: la mine. Sans la mine, c'était non
seulement le métier qui disparaissait, mais aussi toute une complicité (les
valeurs de référence d'identité du groupe) établie autour d'une pratique sociale
et d'un mode de vie.
Certes, la communauté des mineurs défend son "pays minier" menacé par
le déclin économique, ils se battent contre la stagnation de la ville et contre "la
fin de la mine", puisque c'était la source-base de revenu de la communauté de
travail. C'est cette remise en cause de l'enracinement, selon Noiriel, qui est à
l'origine des grandes grèves de mineurs avec occupation du fond (Decazeville
fin 1961, parmi d'autres) qui symbolisent la lutte de tout un "pays" pour sa
survie et qui connaissent leur apothéose en 1963 avec la grande "marche sur
Paris".(29)
CHAPITRE 3
"LE CHANT DU CYGNE":
"LE CHARBON, UN MOTEUR ECONOMIQUE MOURANT".
En 1968, une autre réforme administrative amoindrira davantage encore les
chances de rattrapage des Houillères des Cévennes. En effet, l'accélération du
déclin de l'empire minier précipite la mise en place d'une nouvelle organisation
administrative. Le 16 avril 1968, les Houillères des Cévennes sont associées
aux "Houillères du Bassin du Centre et du Midi", qui supportaient plus mal
encore que les autres charbonnages la concurrence des autres sources
d'énergie.(30)
Parmi les 7 houillères que cette nouvelle organisation réunit, les plus
touchées par la récession charbonnière seront les Houillères des Cévennes, à
cause de la fermeture de la plus grande partie de leurs puits et de la réduction
importante de leur personnel.
Les années 70 connaissent des circonstances encore plus désastreuses
pour la communauté minière. En 1974, c'est le puits Saint-Florent-surAuzonnet, alors considéré comme l'un de plus modernes d'Europe, qui est
fermé, et en 1975 il est dynamité avec toutes les installations attenantes. Cet
événement provoque une certaine consternation chez les mineurs: dès lors, il
devient clair que ni même la modernisation du secteur ne limitait le déclin, les
"temps difficiles" s'aggravent. Après la fermeture, le dynamitage des
établissements corroborait l'anéantissement de l'avenir économique de la
région. Les répercussions sociales, économiques et psychologiques, atteindront
gravement les mineurs et leurs familles.
Le personnel se ressent immédiatement du ralentissement des activités à
travers une réduction rapide des embauches. Les effectifs de fond sont réduits.
En 1970, les grand-combiens ne sont déjà plus que 2.697 à travailler dans les
Houillères. Le total des effectifs embauchés par les H.B.C. est ramené à 4.610
en 1970 et 2.578 en 1976.(31)
Face à l'arrêt de l'embauche et à l'obligation de chercher du travail ailleurs,
l'exode des jeunes augmente(32), ce qui entraînera très vite le vieillissement
des forces actives.
En 1978, l'un des principaux puits d'extraction encore en fonctionnement à
La Grand-Combe, le "Ricard", ainsi que la centrale thermique de la Pise, sont
mis en sommeil et ferment leurs "portes" aux 1.100 travailleurs qu'ils
occupaient, et parmi lesquels 700 résidaient à La Grand-Combe. C'est un
nouvel ouragan qui balaye la ville. Une crise d'une telle envergure est un fait
sans précédent et le mouvement d'afflux de population se renverse pour
devenir reflux. Cette société minière "qui avait régné sur les corps et les esprits
depuis plusieurs générations"(33), voit la population et la vie de la ville refluer
comme si elle s'était transformée en appareil centrifugeur. En effet, la ville, les
grand-combiens, connaissent désormais un changement marqué par un
mouvement de "décélération"(34), corollaire d'un processus de dégradation
économique et démographique.
"Les statistiques INSEE montrent une perte absolue de 2.788 habitants
entre les recensements de 1968 et 1975, la population de la commune passant
de 13.240 en 1968 à 10.452 en 1975. Ce déclin se poursuit de manière
similaire lors de la dernière période intercensitaire 1975-1982, la population
franchissant ainsi la limite inférieure des 10.000 habitants: 8.324 en 1982".(35)
Les troubles démographiques que la ville connaît alors étaient symbiotiques
au déclin de la production de charbon et à la fermeture des puits.(36)
Entre 1954 et 1975, La Grand-Combe perd presque la moitié de sa
population, et l'immigration, bien qu'encore positive, n'arrive plus à compenser
les pertes croissantes. Entre 1962 et 1975, 27,6% de la population grandcombienne émigre. La situation démographique ne cessera de se détériorer et,
entre 1975 et 1982, la ville perdra encore 1.837 habitants, soit 2O,3% de sa
population totale, par le seul biais des migrations.(37)
Dix ans après la
fermeture des premiers puits, la situation prenait ainsi une tournure plus
alarmante encore puisque jusqu'en 1975 la croissance démographique était
restée malgré tout positive.
"(...) Découragée par la perspective d'un niveau de vie médiocre et refusant
une existence désuète, la jeunesse décampe et le remplacement des
générations est de moins en moins assuré...".(38)
La baisse du nombre des mariages à La Grand-Combe constitue un autre
indice révélateur du départ des jeunes, ce qui va déséquilibrer la croissance
naturelle de la population et faire tomber le taux de natalité.(39)
Lamorisse attire d'ailleurs notre attention sur la trajectoire suivie par les
jeunes qui partent et parle de "l'intérêt que semble offrir le mariage comme
pourvoyeur de l'émigration".(40) De cette manière si autrefois l'un des rôles
majeurs du mariage était de permettre aux migrants de créer des racines à La
Grand-Combe, c'est la perspective inverse qui va jouer au "temps de la crise",
où l'intentionnalité que cache le mariage des jeunes est non seulement
d'apaiser le déchirement du départ, mais aussi de dédramatiser la perspective
de l'enracinement dans une autre ville qui, si elle offre un marché du travail plus
prometteur, n'en comporte pas moins des contraintes d'intégration propres aux
grands centres urbains et que l'actualité ne cesse de confirmer.(41)
La crise économique va en déclencher d'autres et le contexte social
deviendra des plus alarmants si l'on en croit l'augmentation du chômage et du
désespoir des gens de ne pas pouvoir "rester au pays".(42) L'un après l'autre,
les habitants s'en vont, les portes et les fenêtres se ferment dans les cités et les
maisons se vident.
En effet, La Grand-Combe (ainsi que tant d'autres villes minières) payait
très cher le prix d'avoir eu une structure économique "monolithique", où le
charbon avait été pendant plus d'un siècle la voie presque unique de
développement. Les changements politico-économiques apportés par la
nationalisation n'ont fait que confirmer cette structure économique, cimentée
dans une mono-activité extractive, ce qui a sérieusement limité une diversité
d'activités.
La Grand-Combe payait aussi cette "captivité" d'avoir été "une ville de la
Compagnie" qui s'était toujours occupée des besoins de la population, ce qui
explique en partie le faible développement du secteur de services. La
stagnation du marché de travail décourage encore plus une municipalité qui
voudrait stimuler le secteur tertiaire.
L'on peut imaginer le traumatisme que signifient pour cette société
traditionnelle l'exode sans précédent, la dénatalité, le vieillissement rapide de la
population. Il n'est plus question dès lors dans les conversations que de
reconversion, de chômage, du départ des voisins, des amis, d'un membre de la
famille. Demandant à un mineur retraité quel était le genre de commentaires
qu'ils échangeaient à l'époque, il nous dit:
"Ecoutez, le charbon c'était la vie de tout le monde. Alors du moment où ça
a été fermé, les commentaires c'était qu'ils n'embauchaient plus, qu'il fallait que
les jeunes partent. Les houillères payaient pour que les gens partent. Ils
donnaient une somme d'argent pour que les gens acceptent de partir, d'être
remplacés. Beaucoup sont partis et ne sont plus retournés". (M. Combet.
Mineur retraité).
Ce bouleversement devenu quotidien apporte l'angoisse dans les familles
grand-combiennes. Pour certains, le recul économique que connaît la ville est
vécu comme un deuil social.
"C'est dommage que ça ferme, celui qui voulait travailler il avait du travail,
c'était l'économie du pays minier. C'était tout. Maintenant la mine est fermée, et
si la mine est fermée, il n'y a plus rien. Maintenant, ici, il n'y a plus rien. Celui
qui voulait y travailler, il y allait. Maintenant c'est vidé". (M. Plum. Mineur
retraité).
"Que voulez-vous? Tout fermait à l'époque, ici il n'y a plus rien. Il avait
encore quelque métiers mais celui qui était mineur, que voulez vous qu'il fasse?
Plusieurs n'avaient pas d'instruction. Parce que aujourd'hui il faut avoir un
certain niveau d'instruction, même le mineur, il fallait qu'il soit instruit." (M.
Combet. Mineur retraité).
Le moral, comme l'avait suggéré l'ingénieur Flechon, était bas parmi les
membres de cette communauté de travail qui voyait son "univers" se fondre.
"Sans le travail, la ville a éclaté, c'est fini, et la complicité aussi". (M.
Lacoste. Mineur retraité).
Comment recomposer l'existence face au "dégringolement" du métier
traditionnel, face à la disparition des espaces traditionnels de la vie quotidienne
du travail et, par prolongement, des espaces de la complicité masculine et
féminine en rapport?(43)
La nationalisation des mines révèle de nouveau la domination de la monoindustrie du charbon. L'histoire de cette domination se transforme désormais en
une histoire de départs, de reconversions, de "la mort du pays minier", de ceux
qui restent et voient le pays mourir ou de ceux qui restent tout en s'insurgeant
contre l'incertitude de l'existence qui fait la condition prolétarienne, en
défendant ce qu'ils croyaient tenir, les "acquis".(44)
Dans les représentations, l'apologie du métier (mineur) dans les conditions
pénible de travail est rare, de même qu'il n'est pas idéalisé pour l'avenir, mais il
"signifie" existence et possibilité de travail et on regrette l'éclatement du groupe,
l'empreinte de communauté que la mine avait créée et avec elle des rapports
d'entente, d'amitié, de cohésion - qu'ils répètent être leurs valeurs.
CHAPITRE 4
LA RECONVERSION: LES EFFORTS POUR DEGUISER UN CATACLYSME.
Face à l'engorgement du marché du travail du à la crise du charbon, à La
Grand-Combe le pouvoir municipal et la société civile s'organisent et
revendiquent qu'une attention toute spéciale soit accordée à leur ville qui
dépérit. En 1972, la classe politique locale, suivie par un groupe de
commerçants grand-combiens et de nombreuses associations et organisations,
crée l'opération "La Grand'Combe, ville morte", à laquelle s'associent les
paysans cévenols, touchés eux aussi par la régression économique de la ville
et de la région. La presse reproduit largement le mouvement collectif. Un
comité permanent d'Action et de Sauvegarde du Canton de la Grand-Combe
voit également le jour. La lutte des mineurs du bassin cévenol contre la
liquidation des puits se confondra avec les mouvements locaux qui
revendiquent plus encore: une reconversion économique.
Le 4 décembre 1976, les mineurs, la classe politique locale et une part
importante de la population participent à une protestation qui consiste à retenir
le train Paris/Nîmes en gare de La Grand-Combe afin d'attirer l'attention des
autorités et de la population française en général sur la situation que vivait cette
ville.
Deux processus de sauvetage seront entrepris simultanément pour venir au
secours des communes en "voie d'extinction" et pour arrêter l'hémorragie de la
population. D'abord, au fur et à mesure de la récession du charbon, les
Charbonnages de France se chargent de développer un programme de
reconversion de leur personnel, établissant dans la majorité des cas une
mutation géographique, quand ce n'est pas une mutation professionnelle.(45)
En outre, face à l'énorme "désertification" que provoque l'exode de la
population, les villes minières deviennent pour l'Etat des zones prioritaires
d'assistance, avec les régions agricoles du sud de la France qui se
paupérisaient depuis des décennies. Ainsi, La Grand-Combe s'insère dans un
programme de reconversion économique de la région.
Ce programme, mis en place pour l'ensemble du bassin minier, est géré par
un organisme spécialisé - l'Adirra - auquel s'associent les efforts des pouvoirs
locaux et régionaux, qui prennent dès lors leurs responsabilités face à la crise.
L'objectif était de motiver la création dans la région d'entreprises susceptibles
de réemployer la main-d'oeuvre minière et d'embaucher les jeunes sortant
d'une formation. En effet, ce programme vise surtout à encourager le
développement du secteur industriel dans tout le bassin cévenol.(46)
Dans la commune de La Grand-Combe et dans le voisinage, sept
entreprises de taille moyenne se sont implantées (la majorité en 1973 et 1974),
chacune offrant une vingtaine d'emplois(47), ce qui a donné aux grandcombiens un relatif optimisme initial en égard à la diversification d'activités
qu'elles apportaient.
Néanmoins, les bénéficies retirés par la ville dans ce programme de
reconversion seront limités et concernent surtout la ville voisine d'Alès(48), qui
accueillera une importante masse migratoire venue des vallées touchées par la
récession, et qui s'entasse dans les logements sociaux des nouvelles banlieues
alésiennes(49). On s'y retrouve par famille, parfois même par village. Avec le
repli démographique à partir des vallées rurales et du bassin houiller, Alès est
la seule ville du bassin à connaître un accroissement de la natalité; "il est certes
timide mais la tendance persiste, puisque la moyenne annuelle des nouveaunés s'élève de 654 à 693 puis à 701 de 1954-61 à 1962-67 et à 1967-71".(50)
Alès s'affirme comme la ville la plus prospère de l'environnement cévenol.
Non seulement Alès va bénéficier du développement accéléré d'une importante
infra-structure du secteur tertiaire, mais c'est aussi la ville qui concentrera la
majorité des nouvelles installations industrielles.
"C'est ainsi que certaines entreprises ont renforcé leur potentiel (RichardDucros) et que d'autre ont été créées de toute pièce, le plus souvent à Alès
(S.N.R., Merlin-Gerin, Crouzet) mais aussi dans les vallées minières le plus
durement touchées (Alsthom à St.-Florent-sur-Aiyement, les cƒbles de Lyon
aux Salles-du-Gardon). La reconversion dont bénéficie surtout Alès est le
résultat d'une politique de reconversion volontaire qui permet à de grandes
entreprises d'envergure nationale ou internationale d'implanter des
établissements bénéficiant d'aides et de diverses incitations".(51)
La majorité des petites entreprises qui s'installent à La Grand-Combe
arrivent à le faire grƒce aux facilités d'implantation qui leur sont accordées (par
exemple les subsides attribués par le Fonds pour l'Industrialisation du bassin
d'Alès - FIBA), mais, par la suite, les difficultés deviennent énormes et plusieurs
d'entre elles ferment leurs portes quelques années après avoir fait leurs
premiers pas.(52)
En 1980, le nombre d'emplois créés par la reconversion sur le secteur de La
Grand-Combe n'excède pas 467. Salles-du-Gardon a un peu plus de chance
grâce à la réussite de l'entreprise des "Câbles de Lyon"(53), qui s'installe sur la
zone industrielle de l'Habitarelle.
Il est vrai que les activités des Houillères ne cessent pas pour autant et les
Charbonnages de France investissent de plus en plus dans le système
d'exploitation à ciel ouvert, car c'est là une activité qui continue d'embaucher.
Mais, si cette solution s'avère plus rentable quant au prix de revient du charbon
extrait, les bulldozers vont remplacer les travailleurs et, pour la commune de La
Grand-Combe et celles avoisinantes, ce secteur n'offrira guère plus de 300
emplois. Cela demeure donc une solution marginale(53).
Un autre secteur pour lequel la reconversion est stimulée est celui de
l'activité agricole (par le crédit agricole), surtout la culture maraîchère. En effet,
si l'exploitation agricole orientée vers la commercialisation des produits reste un
projet réalisable, la mobilisation pour un retour à la terre était difficile à mettre
en effet après que l'exode avait dévitalisé les hautes vallées, qui ont vu pendant
des décennies leurs paysans se convertir en mineurs. Lamorisse, dans son
chapitre sur "Les Cévennes rurales (l'exode et ses causes; comparaison avec
des secteurs ruraux voisins)", parle des difficultés d'un retour à la terre, celle-ci
déjà si touchée par les difficultés:
"Jusqu'à une époque récente, dont le terme peut se placer dans les années
1950, le bassin houiller a largement bénéficié de la descente des ruraux
chassés de leurs vallées par la Révolution économique. Toutefois, et la
remarque vaut aussi pour le piedmont industriel et urbain, les rapports humains
sont demeurés étroits entre l'arrière-pays et les domaines d'accueil situés
immédiatement en contrebas, à moins d'une journée de marche. Dans la
mesure où le bassin houiller est menacé de mort, le haut-pays ne paraît pas
moins condamné (...)".(55)
Malgré le ralentissement initial qu'il provoque, le programme de
reconversion ne réussira pas à stopper l'exode de la population active, surtout
dans les villes minières.
Les conséquences sont désastreuses pour La Grand-Combe. C'est toute
une population consommatrice qui part et les fournisseurs de biens et services
se trouvent placés dans une situation précaire.
"La crise atteint à la Grand-Combe un stade beaucoup plus avancé que
partout ailleurs dans le bassin minier. Le déclin économique et démographique
se double de difficultés urbaines importantes. Le parc immobilier souffre de son
manque d'entretien, d'équipements et de confort. Hormis les logements sociaux
construits récemment, le reste du patrimoine doit être valorisé de même que le
site urbain, sale, sous-équipé, insuffisamment aéré surtout, trop
minéralisé...".(56)
L'un après l'autre, les commerçants sont obligés de fermer leurs portes.
Ainsi que les cafés, les cinémas disparaissent, les écoles ont de moins en
moins d'enfants et beaucoup seront fermées. De plus en plus, il faut se rendre
à Alès pour faire les achats, pour aller au cinéma, pour continuer les études de
secondaire, pour les services administratifs, etc. La Grand-Combe se réduit
presque à un rôle de ville-dortoir. Cela entraîne un réaménagement de la
fonction des villes par rapport à l'ensemble de la région, jusqu'alors
caractérisée par une relative autonomie et indépendance(57). La tendance est
désormais à une "organisation spatiale centre-périphérie".
"La crise minière est donc responsable d'un vaste déplacement des zones
d'activités qui glissent désormais vers l'avant-pays cévenol. Toute la
physionomie traditionnelle du bassin minier est désormais bouleversée. Ce
phénomène est confirmé par l'évolution des immigrations alternantes sur
l'arrondissement d'Alès (...)".(58)
Ce sont là les conséquences d'une crise, mais aussi du programme de
reconversion économique du bassin.
En ce qui concerne plus spécifiquement la poursuite d'une vie active pour
les mineurs, la récession charbonnière les poussera à faire un choix: la
reconversion professionnelle. Pour ceux qui ont plus de 15 ans de travail à la
mine, la retraite technique reste une solution, mais pour les autres, l'option la
plus satisfaisante consiste à accepter les offres de mutation. Sinon, il leur
faudra se résoudre à un départ individuel et à la recherche d'un travail vers de
nouveaux horizons.
Entre les années 1953 et 1955 avaient eu lieu les premières reconversions
de mineurs des Houillères des Cévennes ainsi que, peu à peu, des
licenciements de la main-d'oeuvre. Mais cette situation est due à ce moment-là
à la modernisation des équipements. D'ailleurs, comme l'observent Duckert et
Larguier:
"A l'origine les compressions de personnel se sont surtout portées sur un
volant de main-d'oeuvre mobile, le plus souvent d'origine nord-africaine, qui a
permis d'amortir les premiers effets de la crise".(59)
La reconversion ne touche alors qu'un effectif peu nombreux, et les mineurs
concernés sont déplacés vers d'autres bassins miniers.
Dans la décennie de 60-70, par contre, la reconversion répond à d'autres
contraintes et elle est présentée comme la solution d'une situation de crise du
marché du travail dans les Houillères. Dans les années 70, elle apparaît encore
plus évidente et le malaise ne cesse d'envahir l'ambiance grand-combienne.
"Les temps avaient bien changé", rapporta l'ingénieur Flechon:
"Les temps héroïques des 'gueules noires' étaient passés, et on ne s'était
guère gêné pour le leur faire sentir, en interrompant brutalement la carrière des
plus anciens, en les jetant à la rue avec une retraite des plus modestes, leur
disant en quelque sorte, comme Dante à la porte de son Enfer: 'Abandonnez
toute espérance...".(60)
En effet, face aux contraintes économiques dues à la perte de la clientèle
en potentiel du charbon cévenol, les Houillères dressent un plan de réduction
du personnel et les mineurs sont incités à accepter de se reconvertir ou alors à
prendre la retraite (par la mise à la retraite anticipée des ouvriers ayant trente
années de service).
"Peu à peu, ça commençait à fermer. Dans les petits villages d'abord,
Vernarède, Champclauson, et petit à petit les gens ont commencé à partir. Il y a
des copains qui sont partis et qui avaient 10 ans de mine, d'autres qui avaient
15 ans, des collègues à moi. Ils sont allés à Mendes, Alès, St-Jean. Mon
cousin, il avait 20 ans de mine. D'abord, il a travaillé dans une usine de
chaussures, mais ensuite ça n'a pas marché. Il est à Alès, il travaille dans une
pompe à essence". (M. Plum. Mineur retraité).
Pour encourager à la reconversion et à partir, on leur promet des primes et
indemnités - "la prime de conversion peut atteindre le montant d'une année de
salaire"(61) - et les stages de reconversion était organisés et subventionnés par
les Houillères.
"Je suis resté parce que j'avais peu de temps à attendre pour avoir la
retraite. Mais ceux qui avaient 7, 8 ans de travail ont bien été obligés d'accepter
la reconversion. Ils sont ou bien allés à l'électricité de France, aux P.T.T., aux
C.R.S. ou dans une usine, mais là ce n'était pas s–r, parce qu'après un an ils
pouvaient vous licencier". (M. Rose. Mineur retraité).
Ceux qui ont été mis en retraite technique attendaient le temps de la retraite
normale. Au moins peuvent-ils rester à La Grand-Combe, ce que leur semble
presque un privilège.
"Ceux qui étaient volontaires pour partir allaient à Alès, Marseille, Paris, etc.
Moi, j'ai refusé de partir et je suis resté. Alors j'ai eu ma retraite avancée et là,
j'ai attendu jusqu'au temps de ma retraite normale". (M. Boss. Mineur retraité).
Les départs à la retraite anticipée sont accélérés et "les Houillères en
arrivent à distribuer un montant de pension égal à la masse salariale; on
compte en effet un actif pour trois retraités."(62) On recensera 3.667 départs de
mineurs à la retraite anticipée de 1960 à 1979.(63) L'ingénieur Flechon
reproduit dans son manuscrit ses sentiments à l'époque:
"C'était sinistre de voir, obligés de quitter la mine, des hommes qui
n'atteignaient ou ne dépassaient guère quarante-cinq ans; qui avaient
commencé à travailler à treize ans, (douze, quand ils avaient obtenu le certificat
d'études) qui avaient encore des enfants à élever, les plus jeunes effectuant
leurs études primaires, leurs aînés poursuivant souvent des études secondaires
ou supérieures. De plus, ils ne pouvaient trouver du travail sur place, la mine
étant le seul employeur du pays. Ils n'avaient qu'une retraite modeste, et
lorsque cette retraite n'arrivait pas à satisfaire leurs besoins, ils devaient aller
occuper ailleurs un emploi de manoeuvre, alors qu'ils avaient connu jusqu'alors
la fierté et la noblesse du mineur confirmé. Des ingénieurs, des géomètres, et
certains spécialistes comme mécaniciens, se tiraient beaucoup mieux d'affaire
que les mineurs du fond. Parmi eux, certains, encore jeunes, et bien que n'étant
pas touchés par le plan de réduction, mais craignant pour l'avenir, en arrivaient
à quitter volontairement leur emploi pour les débouchés nouveaux qu'offraient
alors les grands chantiers atomiques de Pierrelatte et de Marcoule".(64)
Le plan de reconversion professionnelle agissait de manière à convaincre
les mineurs de choisir le départ. "Ils nous proposaient de l'argent pour partir",
nous raconte un mineur retraité, et il continue: "le gars qui avait des enfants
encore petits à élever, il ne pensait pas trop: il s'en allait".
"Les gens ont reçu des propositions pour partir et ils ont donné de l'argent
pour convaincre les gens à partir. C'est ça qui a fait beaucoup de mal, c'est ça
qui a vidé La Grand-Combe. Et comme progressivement ça fermait, les gens
ont accepté. Il y en a beaucoup qui sont partis pour Carmaux, pour travailler
dans les autres mines. Ce n'était pas le licenciement, vous comprenez, le travail
était assuré, vous aviez le logement et tout, mais les Houillères ont reclassé les
gens. Moi, j'ai préféré rester et attendre la retraite". (M. Michel. Mineur retraité).
"Ils donnaient une prime pour les encourager à partir. Ah oui! J'ai mon
beau-frère - celui qui a une petite maison - ils voulaient lui donner 8.000 millions
pour partir, et pourtant il avait quand même des gens avec 15 ans de service et
avec tous les avantages, charbon , loyer, maladie, hospitalisation à 100% mais
il fallait qu'il parte. Ils ont données 8.000f et il est parti automatiquement. (M.
Ram¡rez. Mineur retraité).
La réduction des effectifs atteignait également la maîtrise et les ingénieurs,
le personnel technique et administratif, eux aussi prenaient la retraite anticipée
ou, comme l'a observé Flechon, c'était la mutation avec beaucoup plus de
chance de retrouver ailleurs une place "à la hauteur" de leurs fonctions:
"La réduction des effectifs jouait également pour les ingénieurs. L'âge de
départ à la retraite avait été abaissé pour eux de soixante-cinq à soixante ans,
avec toutefois pour certains, s'ils avaient plus de vingt années de fond, la
possibilité de partir à cinquante-cinq ans, en bénéficiant d'une retraite
complémentaire de la caisse spéciale des ingénieurs des mines. Cependant
bien peu mettaient à profit cette possibilité, la plupart ayant encore des enfants
à charge en cours d'études; d'autres désirant faire quelques économies de plus,
ou, tout simplement, préférant continuer à travailler, par go–t du travail, et par
une crainte diffuse de l'avenir".(65)
La reconversion "a vidé la Grand-Combe", la mutation professionnelle
impliquant une migration résidentielle. Quelques-uns auront la possibilité de se
reconvertir dans la région même et d'être absorbés par les entreprises créées
aux alentours, surtout à Alès. Mais de toutes façons, l'étroitesse des
perspectives d'un remplacement dans la vallée La Grand-Combe obligera le
ménage à quitter le "pays minier", à émigrer vers les métropoles régionales.(66)
"Il y a eu relativement peu de mineurs qui se sont reconvertis sur place, il y
a eu très peu d'entreprises qui se sont installées à La Grand-Combe. La plupart
sont partis suivant le cas dans l'Administration à Alès, Marseille, Nîmes, Paris,
dans les P.T.T., les Chemin de Fer, etc" (M. Le Cler. Employé à la Mairie).
Le choix de la reconversion ne se fait pas toujours sans difficultés. La
mutation professionnelle signifie déjà une adaptation à une autre activité, à
d'autres systèmes de travail, à une autre ambiance et à de nouveaux points de
référence, et elle entraîne très souvent la rupture avec le "pays" et avec un
environnement familier. C'est donc une période de "bouleversements"(67) ou
même de "ruptures", à laquelle les reconvertis sont contraints, et qui exige une
relative réorganisation du réseau familial et de voisinage, ou parfois de
nouvelles stratégies de construction du quotidien et d'un nouveau mode de vie.
Tout cela est vécu difficilement par beaucoup, comme l'explique Lamorisse:
"La mutation professionnelle du mineur n'est qu'un des aspects du
problème; dans les limites du territoire national, chacun pourrait retrouver un
emploi... La véritable question tient à la nature même du personnage, au métier
qu'il exerce, aux avantages sociaux qu'il en tire, au genre de vie qu'il mène
dans un environnement familier; il ne lui semble pas possible de renoncer à tout
cela. Or, pour convertir tous les mineurs sur place, il faudrait offrir par ailleurs
plusieurs milliers d'emplois! En réalité, jusqu'à la fin de la décennie, en dehors
de l'aciérie de Tamaris (Alès), rien ne s'est créé dans le bassin cévenol et il
apparaît clairement que les candidats éventuels ne sont pas décidés à
's'enfoncer' plus loin qu'Alès, dont la situation géographique leur semble déjà
bien marginale".(68)
Certes, quelques-uns acceptent l'idée du départ tout en restant dans la
même branche, c'est-à-dire la mine, et partent dans les bassins du Nord-Pasde-Calais, de Lorraine ou de Carmaux. Mais ils seront peu nombreux. La
majorité a préféré être replacée dans des entreprises du tertiaire, et c'est à Alès
que va la préférence puisque l'enjeu est de rester proche de la famille, du "pays
minier". L'influence du mouvement de défense régionaliste ne sera pas
négligeable dans la volonté de maintenir ses racines dans la région ("pour vivre
et rester au pays"). Après Alès, les centres d'accueils qui regroupent le plus
grand nombre de travailleurs qui partent sont Lyon/Montpellier/Marseille et la
Région parisienne.
Quoi qu'il en soit, l'exode est tel que le solde migratoire à La Grand-Combe
devient négatif. Si la baisse démographique n'est pas plus grave, c'est grƒce à
l'arrivée continue d'immigrants et surtout de familles nord-africaines. Depuis les
années 1970, depuis les algériens, ce sont surtout des familles de turcs et de
marocains, et aussi quelques asiatiques, qui migrent à La Grand-Combe attirés
encore par les perspectives d'une politique de reconversion industrielle à La
Grand-Combe.(69)
Ceux qui restent sont constitués dans leur majorité de ménages dont le chef
de famille est en retraite ou pré-retraite, et à qui les avantages dus au statut
professionnel (garantie de logement, assurance maladie) permettent de
continuer à vivre sur place. Quant à ceux qui restent dans l'intention de
retrouver un emploi, le marché du travail apparaît très limité. A côté de la
municipalité, qui sera le principal employeur, ce sont aux petites activités
(commerces, artisanat, cafés, services publics) que s'adressera la demande de
ceux qui n'ont pas voulu suivre le processus de reconversion gouvernementale.
Les jeunes qui cherchent à rester en attendant des jours meilleurs sont
ceux que protège la situation dont bénéficient leurs parents. Nous verrons plus
loin que, pour eux aussi, le marché du travail est très restreint et la majorité
confrontera très souvent la situation de chômeur et ils se débrouilleront surtout
en effectuant des stages de formation (T.U.C., etc.), mais aussi de petits
travaux et services au noir. Ce sont par conséquent avant tout les jeunes fils de
mineurs qui restent dans la famille (tant ceux de moins de 18 ans que ceux
d'âge adulte, encouragés par le régime d'assistance que dispensent les
Charbonnages de France.
"Jusqu'à 18 ans on a le droit, jusqu'à 18 ans on est pris en charge par les
Houillères, c'est-à-dire que jusqu'à l'âge scolaire on a droit à tout, médecin et
tout. Mais après il faut partir, après 18 ans on gagne rien, rien du tout".(Michel,
fils de mineur).
Concrètement, les jeunes ne se sentiront pas toujours capables d'affronter
les aléas de la concurrence pour disputer une place sur le marché du travail
dans une grande ville, loin de la famille et de La Grand-Combe. Dans ce cas, ils
préféreront renoncer aux aspirations à un niveau de vie plus élevé et rester
chez des parents qui bénéficient d'un revenu assuré et "d'avantages". La
garantie du logement, par exemple, permet au père retraité et à ses enfants
d'envisager le développement de petites productions marchandes ou non
marchandes d'économie informelle, d'activités de bricolage pratiquées dans des
annexes de la maison qui deviennent des ateliers, des garages de réparation
de voitures, etc.
Les problèmes concernant le programme de reconversion s'avèrent de plus
en plus insurmontables. En effet, La Grand-Combe bénéficiera peu de la
reconversion économique du bassin. Les promesses initiales ne sont pas
tenues. A maintes reprises, nous retrouverons des critiques dans la presse: "le
programme de reconversion a été mal géré". Et ce n'est qu'une minorité des
entreprises du bassin qui échappera au fiasco, malgré les efforts des
municipalités touchées. Selon un représentant du milieu des communications,
les limites d'une reconversion économique locale peuvent être trouvées dans la
propre "mentalité grand-combienne" qui consiste à se sentir traditionnellement
dépendant d'une grande entreprise permettant, dans une certaine mesure, à la
ville de "continuer" dans son r“le de "ville ouvrière":
"Il y a beaucoup de contradictions. Il y a le signe d'un héritage de la
Compagnie et des Houillères qui a créé une mentalité ici, parce qu'il y avait
une seule entreprise qui s'occupait de tout, parce qu'elle a tout fait; elle a fait les
logements, elle a fait l'église, elle a fait le temple, les écoles, l'hôpital; elle
s'occupait de la nourriture des gens, de la vie culturelle, enfin de tout. Donc
c'est une énorme entreprise qui était quasiment unique. Donc, le réflexe des
gens était de dire que si on supprimait le charbon, il fallait nous apporter une
autre entreprise de 'là-haut', je ne sais pas trop d'où. Quelque chose de pareil,
mais en même temps différent. ça veut dire que les gens voulaient une grosse
usine comme la Compagnie qui donnait à peu près mille emplois. Une nouvelle
industrie mais différente. Ils disaient: 'bon il y avait une entreprise qui occupait
tant de personnes et donc maintenant il faut s'occuper d'en trouver une autre
qui occupe le même nombre de personnes'. Alors que les politiques voulaient
trouver des solutions petit à petit, c'est-à-dire trouver des entreprises petites,
mais très diverses, qui occuperaient la main-d'ouvre, et qui finiraient par se
multiplier. Mais la population disait 'non'!. Alors, c'était refaire à peu près le
même système qu'avant avec la même fragilité. C'est la mentalité, ici. Parce
qu'une grande entreprise avec 8.000 personnes, c'est un problème lorsqu'elle
ferme: ce sont 8.000 personnes qui sautent. Alors que j'imagine un autre type
de développement, un autre type de production, faire autre chose. Mais ça, ça a
été rejeté complètement, ça posait des problèmes culturels, des problèmes
syndicaux... enfin tout, quoi! Et puis, comme il n'y a pas eu une grande
entreprise qui a voulu s'installer ici, il n'y a pas eu de solution". (M. Le Cler).
La "mentalité des grand-combiens"(70) était celle mise en place par les
rapports avec une grande entreprise et un repli sur la spécificité économique: le
charbon. La volonté de la classe politique et du mouvement populaire était
d'accepter les propositions gouvernementales de reconversion tout en essayant
d'articuler la région au progrès économique national. On cherchait en vain des
sources alternatives de vitalité économique. Le revenu municipal est lui aussi
très limité, touché par la perte de la source économique principale et par la
perte de population. Les efforts entrepris pour attirer d'autres entreprises se
montrent frustrants et les résultats très maigres. Avec un point de vue qui
dénonce l'amertume vis-à-vis de l'échec de la politique de reconversion locale
et du déchirement de sa ville, M. Maurice LARGUIER, maire de La GrandCombe de 1965 à 1989, déclare:
"(...) 'Pour reconvertir un pays comme La Grand'Combe, il aurait fallu s'y
prendre il y a vingt ans! C'est pas maintenant. Il va y avoir une retraite
anticipée, on va faire miroiter aux mineurs sept ou huit millions (anciens) et ils
partiront'... 'à ce rythme, en 2020, il n'y aura plus d'habitants'".(71)
Les tentatives de reconversion demeurent un phénomène marginal(72).
C'est dans un contexte général déjà très déprimé que le programme de
reconversion - ou cette "opération chirurgicale" visant à redresser la situation de
récession - est arrivé, trop tardivement donc, et dans une conjoncture
économique nationale (ou internationale) qui ne favorise guère sa mise en
vigueur. En effet, les difficultés d'une conversion industrielle locale sont
énormes.(73)
Le départ massif de la population, le chômage ne cesseront de
s'accroître.(74) Ce mouvement forcé d'émigration est renforcé par la faiblesse
du développement d'autres secteurs d'activités dynamiques, particulièrement le
tertiaire, qui pourraient retenir les grand-combiens. Non seulement le
programme de reconversion entraîne un départ massif du personnel des
Houillères, mais il provoque aussi un sentiment de frustration, de rejet et de
fuite chez les jeunes qui se retrouvent face à un milieu jugé ingrat, enlaidi et
dégradé. Puisque les expériences de reconversion n'ont pas relancé la
confiance de la population jeune, celle-ci part en nombre chaque fois plus
expressif vers les grandes villes à la recherche de travail.(75) C'est justement le
départ de cette couche jeune de la population qui va aggraver l'hémorragie dont
la ville est victime.
"Ils nous ont promis d'ouvrir les usines, mais les usines ne sont pas venues.
Il devait y avoir des usines mais tout s'est vidé...". (M. Delacroix. Mineur
retraité).
Comme l'observeront les linguistes Gardes-Madray et Brès, les anciennes
installations délabrées, les vastes bƒtisses de type H.L.M abandonnées, les
villages où la plupart des maisons qui gardent été comme hiver fenêtres et
portes closes, qu'on voit au long des routes du bassin minier des Cévennes,
semblent donner désormais une autre sémantique du mot reconversion. Ce
concept qui signifie "adaptation aux conditions nouvelles de l'économie" prend,
par rapport au bassin cévenol, un autre sens, celui de traduire un état de "pays
en crise": pour le bassin cévenol, reconversion signifie dépérissement,
désertification, gâchis.(76)
CHAPITRE 5
"VIURE, TRAVALHAR, DECIDIR AL PAYS".(77)
Les dernières résistances contre la mort du lieu - le fond de la mine - et de
la pratique - le métier - qui définissent une "civilisation" minière, se manifestent
sur la région dans les années 80. Deux grèves auront une répercussion
régionale et nationale importante. La première, celle de Ladrecht, est
déclenchée uniquement par les mineurs de fond, "mineurs cévenols"
autochtones et étrangers sous le commandement local de Francis Iffernet
(mineur cévenol)(78). Un événement, cependant, qui a réussi à mobiliser une
partie expressive de la population et à sensibiliser l'opinion publique grƒce à la
fermeté des grévistes - mais il vaut mieux parler ici des "mineurs cévenols" - et
qui s'achève par la victoire de la catégorie. Cela prend naissance dans un puits
qui se situe entre Alès et La Grand-Combe et qui emploie des mineurs résidant
à Alès, à La Grand-Combe et des environs. Divers organismes, et surtout la
C.G.T., s'engagent dans la lutte. La deuxième grève a lieu à La Grand-Combe
et s'oppose à la fermeture des puits Oules. Là aussi, l'action s'est amplifiée,
précipitant l'éveil d'une conscience locale et régionale et entraînant toute la
population dans la revendication des mineurs, au moment où la crise prenait
corps et menaçait le pays minier.
La grève de Ladrecht - l'une des plus dures et des plus longues de l'histoire
de la corporation minière(79) - a lieu au début des années 1980, quand la
fermeture du puits Destival est annoncée par les Houillères. Le bassin comptait
encore 180 effectifs dans ses puits d'extraction(80). Révoltés par la perspective
de fermer un puits pourtant encore si rentable, le 5 mai, les mineurs, cégétistes
dans leur majorité, et sous l'orientation de Francis Iffernet - "le meneur du
combat dans les Cévennes" - occupent "le puits" (le fond) et revendiquent
l'ouverture du gisement de "Ladrecht" (facilement exploitable à partir du puits
Destival).
"A Ladrecht, entre Alès et La Grand-Combe, au coeur des Cévennes,
quelque deux cents mineurs entraient le 5 mai 1980 en 'grève active'. Pendant
plus d'un an, ils ont occupé le puits, arraché le charbon pour le vendre euxmêmes. Le 10 mai 1981, la victoire de la gauche était la leur."(81)
La grève est déclenchée contre la fermeture de la mine, contre la politique
du gouvernement après les mesures prises par Giscard d'Estaing pour favoriser
les importations, et pour protester contre la gestion des Houillères. Elle aura
une importante répercussion grâce aux médias qui diffusent en gros titre ses
mots d'ordre: "pour vivre et travailler au pays", lutter par "amour et fidélité au
métier et au pays". Une grève médiatique, grƒce au début à l'action de la Radio
créée par la C.G.T. - "Radio-Castagne" - et ensuite à d'autres formes de
médiatisation qui en divulgueront le déroulement.
"Ladrecht a marqué toute une période de la vie de la région. Cette lutte a eu
une signification et un retentissement national. Il s'est agi d'une lutte pour le
charbon, ressentie dans l'espace occitan comme un élément essentiel du
combat pour la vie régionale dans toute sa richesse".(82)
Mais il n'y aura pas d'unité d'action syndicale(83). La méthode de la grève
est déterminée par la C.G.T. et elle est suivie à 90%. Les mineurs grandcombiens, pour leur part, s'engagent dans la grève.
(Chercheur): "Les mineurs de la Grand-Combe ont-ils participé à la grève?"
(M. Ramírez): "Pas tous, mais presque, au fond de la mine on était presque
100%. Nous avons occupé le fond."
(Mme Ramírez): "On est allé visiter. Il y avait du monde. Et puis la publicité."
(M. Ramírez): "Oui, on recevait de monde qui venait d'Allemagne,
Andalousie, de toute part".
(Chercheur): "Et à La Grand-Combe?"
(M. Ramírez): "Ici tout était paralysé, enfin le mineur, au fond de la mine,
paralysé, complètement. Mais les usines dehors travaillaient". (M. et Mme
Ram¡rez. Mineur retraité et son épouse).
Plus qu'un geste plein de symbolisme qui a été l'occupation du puits de
Ladrecht, pendant treize mois, les grévistes vivent une situation d'exception,
exploitant les mines à travers une expérience autogestionnaire, prouvant que le
pays minier pouvait survivre et avait encore besoin du charbon.
"Et pendant treize mois, les mineurs tiendront tête aux Charbonnages de
France et au pouvoir en place. Pendant treize mois, les mineurs manifestent,
collectent, arrachent le charbon, le trient, le pèsent, le livrent à la multitude des
demandeurs. Treize mois de découragements, d'espoirs, d'interrogations, de
doutes, de rires, de fêtes ... Treize mois pendant lesquels les gueules noires se
font mineurs, charbonniers, cuisiniers, guides ... Guides de tous ces visiteurs
qui, par centaines, par milliers - parents, amis - descendent au fond de la mine
'voir de leurs yeux' le charbon. Des visiteurs inconnus ou célèbres - seuls, en
famille, en délégation - ouvriers, employés, enseignants, écrivains, artistes,
journalistes ou mineurs - de Gardanne, du Nord-Pas-de-Calais, de Belgique,
d'URSS, de Grande-Bretagne, de Bolivie ... viennent soutenir leur combat."(84)
Une grève soutenue par d'autres catégories professionnelles de la région
(viticulteurs, pêcheurs, commerçants, etc) et de l'étranger (syndicats de mineurs
de divers points du monde). Soutien aussi de la "Lutte occitane" et "V.V.A.P."
(Volem viure al païs).(85)
De plus en plus, ils sont soutenus par la
communauté cévenole. Un nombre important de femmes de mineurs grévistes
participent elles aussi, d'abord timidement, et ensuite avec fermeté,
s'engageant aux côtés de leur mari de manière effective. Parmi "les femmes de
Ladrecht", comme elles ont été nommées, presque toutes découvraient pour la
première fois l'univers de travail du mari mineur.
Mais une grève difficile à maintenir, qui se confronte à toutes sortes de
difficultés: menace de renvoi pour les grévistes, d'expulsion de France pour les
grévistes étrangers, risques de répression et d'incarcération; et aussi les soucis
personnels, surtout au niveau familial: le drame du manque d'argent, de la peur
des représailles. Malgré tout cela, du 5 mai 1980 au 11 juin 1981, jour après
jour, les mineurs du fond ont occupé (et travaillé) le puits de Destival.
L'action menée pendant la grève sera très vaste et elle a déjà été décrite à
maintes reprises(86): manifestions régionales à Alès (à l'appel du P.C. et de la
C.G.T.); collecte au péage de l'autoroute; séquestration du directeur des
Houillères des Cévennes suivie d'une manifestation à Alès; occupation du
Chƒteau de La Levade; rencontre à Destival entre mineurs, universitaires et
chercheurs; événements artistiques et fêtes; envoi d'une délégation de femmes
de mineurs à l'Elysée; fêtes de fin d'année célébrées au fond de la mine;
peinture d'une fresque par des artistes nîmois célébrant le combat des mineurs;
événements divers.
A La Grand-Combe, des collectes d'argent sont organisées durant le
marché bi-hebdomadaire par le "mouvement de solidarité" qui s'organise. Les
mineurs grand-combiens, leurs épouses, amis, enfin les citoyens, s'engagent
dans la grève. Si elle est soutenue par le pouvoir grand-combien, celui-ci ne
s'engage qu'avec des réticences. Le maire, qui était socialiste, restera à l'écart
de l'organisation de la grève, qu'il définira comme une "grève de prestige",
monopole de la C.G.T. et du P.C.(87).
La grève de Ladrecht devient le symbole de la région, d'un "combat" des
mineurs cévenols. Elle est donc la preuve d'une "conscience régionale" des
mineurs, et c'est ce qu'a voulu matérialiser la manifestation du 13 mars 1981 à
Montpellier. A cette occasion, et cela face à 50.000 manifestants, la C.G.T.
invite des personnalités engagées dans un "mouvement régionaliste occitan":
l'écrivain Jean-Pierre Chabrol, le militant et écrivain occitan Robert Lafont(88) et
le leader viticole Emmanuel Maffre-Baugé, auteurs en 1978 d'un manifeste
régional - "Mon païs escorjat" - qui est un cri d'alarme et un appel à une prise
de conscience régionale. La C.G.T. invite donc ces trois hommes à intervenir à
la tribune aux côtés d'Emile Grevoul, Francis Iffernet et Henri Krasucki. Le point
fort de la manifestation syndicale, et de connotation hautement symbolique,
sera le discours prononcé en occitan par Lafont. Dans la manifestation, les
mineurs porteront le bonnet phrygien et la population coiffera les casquettes de
mineur. La lutte n'était pas seulement celle des travailleurs mineurs, mais celle
de toutes les communautés régionales souhaitant "vivre au pays".
"Il fallait créer une situation où, au-delà de la solidarité, ça devienne la
propre affaire de tous; se battre non seulement pour que les mineurs aient un
travail, mais parce que tout le monde a quelque chose à gagner si on exploite le
gisement, à Alès et au plan même de la région. Je me souviens de la
manifestation de Montpellier: tous ceux qui avaient quelque chose à défendre,
qui une école, qui un bureau de poste, qui une gare, se reconnaissaient dans
cette lutte. La dimension régionale a été d'abord syndicale; les Unions
départementales, les professions de la région, puis on a dit: 'Il faut beaucoup
plus de souffle; cette région est capable de beaucoup plus'. C'était aussi la
bataille de l'Occitanie. Et ce jour-là, à Montpellier, c'était l'affaire de tous. Le
phénomène régional a été considérable; on s'est demandé: 'Peut-on imaginer
un rassemblement avec Lafont, Chabrol, Maffre, ceux qui conduisent la lutte, et
puis moi?' Lafont affirmait très fort à travers ce conflit qu'il n'y a pas d'avenir
culturel pour la région sans avenir économique; Maffre de son c“té avait
compris depuis longtemps, lui le viticulteur, l'importance de la classe ouvrière. Il
en avait confirmation là. Chabrol, bien avant Ladrecht, savait à quoi s'en tenir
sur l'importance de la classe ouvrière. Tous les trois ont été très bien, chacun
avec sa personnalité, je dirais même, avec son personnage. Maffre a été luimême, Chabrol a écrit un très beau texte et Lafont a eu cette idée de parler en
occitan. J'ai trouvé ça merveilleux: l'accueil qu'il a eu montre assez que c'était
une bonne idée".(89)
Sans vouloir nous étendre sur une description détaillée de cette lutte,
disons que c'est à travers ce meeting que les meneurs de la grève
reconnaissent l'adhésion populaire massive. Cela dépassait en effet le
caractère ponctuel d'une simple "défense de l'emploi", et la grève de Ladrecht
s'est transformée en une lutte pour la défense des potentialités régionales.
L'occitan, la langue des mineurs de fond, était celle par laquelle les mots
d'ordre étaient lancés et la "chanson" des grévistes était exprimée. La grève
des mineurs devient ainsi un mouvement qui donne au combat économique et
politique une dimension symbolique. La lutte pour l'emploi est aussi la lutte pour
rester "au pays" dans lequel ils se sentent enracinés: c'est elle qui mobilise
leurs sentiments collectifs d'identité sociale.
"Notre souci a été de faire gravir des crans à la conscience régionale autour
de cette lutte; on voulait ouvrir Ladrecht, mais aussi que les gens se rendent
compte qu'il s'agissait d'une lutte symbole, la possibilité pour cette région de
faire d'autres choix que ce à quoi on la destinait, le bronze-cul de l'Europe,
comme on dit".(90)
Devant le processus de déchirement du groupe des mineurs, le mouvement
de résistance se reproduit aussi à l'échelle de l'identité régionale. L'objectif n'est
pas de prendre le pouvoir politique, mais de conduire une action "pédagogique"
qui se répercute sur les mentalités, qui marque l'événement dans la mémoire
collective de la communauté. A la tendance défensive du syndicalisme s'unifie
un mouvement populaire.
Il s'agit d'une stratégie, une stratégie de lutte réussie qui consiste à
récupérer les valeurs de la tradition du groupe régional: la "résistance". Cette
"valeur" de tradition est récupérée ici comme une emblématique identitaire qui
représente "le pays cévenol" par l'évocation du temps des camisards(91), mais
aussi "le pays minier cévenol" et, de surcroît, les mineurs expliquent "qu'en
Cévenne" non seulement ils ont été mineurs de père en fils, mais qu'ils se sont
battus de père en fils.
Les mineurs qui ont vécu la grève confirment que cette volonté de lutte
relève de la tradition cévenole. Ils revendiquaient à travers elle cette
prestigieuse résistance remontant soit à la tradition du "pays cévenol" - le
temps des Camisards (même si ceux-ci étaient des paysans) - soit de la
tradition de combativité qui a toujours caractérisé la catégorie de mineurs. Il est
ainsi fait appel à l'histoire du pays cévenol et au passé "héro‹que" des mineurs.
La volonté de se battre, "c'est le tempérament du mineur cévenol", dira le
leader de la grève, Iffernet.
Le combat se trouve donc rapporté à un "mouvement de solidarité" dont la
motivation est "l'honneur du mineur cévenol" et qui est justifié comme relevant
d'une "tradition de résistance", au long de laquelle le cévenol a toujours cherché
à rester attaché au pays et à y travailler. Les mineurs qui ont participé à ce
combat rapportent aux sociologues, dans le livre Paroles Ouvrières, qu'à cette
occasion, face à "la loi" (la police) ils se sont tous auto-dénommés de
"Ladrecht":
"Face au représentant de la loi, les grévistes se donnent une nouvelle
identité - Ladrecht - ils se font fragment des Cévennes, justifiant leur présent
par un long passé de résistance au pouvoir. Ce nom de lieu brusquement
promu nom de personne signifie l'appropriation d'une lutte et d'une terre".(92)
Un point fort de la grève, organisée jusqu'au bout par la C.G.T., sera la
marche sur Paris. Afin de sensibiliser l'ensemble de la population française, une
journée d'occupation d'un quartier populaire de la capitale est réalisée au début
de 1981. Intellectuels, universitaires, artistes, écrivains, scientifiques, religieux,
professionnels libéraux et politiciens apporteront leur soutien à la grève.
Le 11 juin 1981 (sous le gouvernement de F. Mitterrand, élu le 10 mai
1981), un accord stipulant l'ouverture de travaux de reconnaissance du
gisement est signé(93). La fête succède à la résistance: le 12 juin 1981, un
grand bal est réalisé sur "le carreau" et la victoire est célébrée par des feux
d'artifice. Après une grève qui aura duré 436 jours, le travail est repris au puits
Destival le 16 juin 1981. Pour les mineurs, c'est la victoire, et, pour les familles,
le soulagement. La victoire, diront les mineurs, concrétisait l'effort de la
communauté pour assurer la continuité du travail dans l'espace qui les définit
comme professionnels, le fond de la mine - "Là, on est les rois!"(94) - autant
que de l'univers du mineur, de l'espace de son quotidien: la maison, le quartier,
la ville, la région.
Si la grève n'est pas suivie à 100%, c'est qu'elle révèle les difficultés
matérielles de ceux qui n'ont pas voulu s'engager, mais peut-être aussi leur
désaccord politique ou idéologique, ou même leur passivité. La reprise du
travail s'effectue donc dans une ambiance de tension et de mépris à l'égard des
ouvriers non-grévistes.
Pour la C.G.T., cette victoire sera aussi celle du syndicat. La victoire, c'est
la reprise du travail, ce sont les accords obtenus sur les salaires et les
sanctions supprimées. Après la grève (1981), elle entame les procédures
nécessaires pour réclamer et obtenir 300 nouvelles embauches aux H.B.C.,
l'objectif étant pour le gisement de Ladrecht un total de 9 millions de tonnes
d'anthracite exploité par an et une prévision d'encore 30 ans d'activité et de
travail pour environ 1.100 personnes dans les seules Houillères du Bassin
Cévenol. Selon le Journal "Travailleur du Sous-Sol", "des jeunes, qui n'avaient
comme horizon que le chômage, découvrent, apprennent, aiment le métier de
mineur"(95), le "métier", répétons-le, "c'est le travail".
Cependant, la reprise de l'embauche sera sans lendemain. Après 6 mois
d'exploitation, l'activité du gisement se ralentit. Les licenciements, les
reconversions sont de nouveaux présents. La grève de Ladrecht, "grève de
prestige d'un monde qui part à la retraite"(96), n'aura pas changé la situation: la
menace de désintégration de l'univers du mineur ne cessera de s'accroître et
de se concrétiser.
"... elle est loin, l'euphorie du fameux 10 mai où un Ladrecht victorieux
s'inscrivait en feux d'artifice dans le ciel. La lutte a repris sur le carreau. La
même, par les mêmes. Qui sont ces irréductibles? Descendants des huguenots
rebelles que, déjà, Louis XIV nommait les 'récalcitrants', ou encore les
'opiniƒtres', ils se battent contre la fermeture de leur mine, pour l'exploitation du
gisement de Ladrecht (en occitan: le versant ensoleillé). Leur combat dépasse
la question économique et sociale. Quand une mine ferme, les villages alentour
meurent en peu de temps. C'est un lambeau palpitant d'humanité qui disparaît
à jamais".(97)
En effet, en 1985, c'est à La Grand-Combe que les Houillères font encore
converger leur action de fermeture. Ce sont les puits "modernes" des Oules qui
sont visés.
"Quand ça a commencé à fermer ils ont mis les gens dans la retraite
anticipée. C'était encore les jeunes et puis il y avait les gosses alors ils ont
commencé à partir. Beaucoup de gens, ils ont trouvé des emplois dans d'autres
villes. Beaucoup sont partis à Nîmes, à Lyon, partout. Il y avait encore des
mineurs travaillant aux Oules, mais puis ça été aussi fermé, et alors les jeunes
sont partis. Et puis, des fois, les parents allaient les rejoindre, pour se
rapprocher de leurs enfants. Dans l'affaire de quelques années, ça a vidé ici".
(M. Briand. Mineur retraité).
Un nouveau mouvement de résistance s'organise, empreint du même esprit
de solidarité qu'auparavant. Les mineurs occupent les puits des Oules les 16 et
17 février. Mais la grève reste sans effet. "Dès lors tout espoir de reprise
minière en Cévennes semble perdu", diront les historiens locaux(98).
"16 septembre 1985: le puits des Oules est en grève, les mineurs
l'occupent. Dix kilomètres le séparent de Destival, quatre ans et demi le
séparent de la grève de Destival. Entre les deux, il y a ce gisement de 9 millions
de tonnes de Ladrecht. Entre les deux, il y a les promesses, les engagements,
les renoncements et la colère des mineurs. Entre les deux, il y a une zone
industrielle quasiment nue, mais entre les deux, il y a aussi un enjeu de taille:
l'emploi pour des milliers de personnes, une activité économique et sociale pour
toute la région".(99)
Le changement de gouvernement survenu en 1981 ne modifie pas la réalité
de la production charbonnière nationale. Si l'élection de Mitterrand du 10 mai
1981 représentait l'espoir de renverser la situation dictée par le gouvernement
de Giscard, elle débouchera pourtant sur la liquidation des puits. En 1985, et
tout en continuant à défavoriser la politique de production interne - la France
importe déjà 23 millions de tonnes, soit 60% des besoins nationaux en
charbon(100) - des postes d'extraction sont fermés dans les Cévennes, en
Lorraine, dans le Nord-Pas-de-Calais, en Provence, à Montceau, à Carmaux, à
Decazeville, à la Mure, à l'Aumance (pour ne citer que quelques exemples).
Si le "mouvement social" est "réussi", c'est-à-dire si une forte conscience de
classe et régionaliste se manifeste, si la lutte minière politique devient un
chapitre significatif de "histoire de résistance cévenole", elle ne débarrassera
pas pour autant l'avenir de l'hypothèque de la production charbonnière
régionale, démentant ainsi les affiches que l'on persistait à coller sur les murs:
"Le charbon! Ladrecht, c'est l'avenir". De plus en plus, la mine devient "l'arrièrepays
de
l'industrie",
un
"combat
d'arrière-garde"
(pour
paraphraser
Lucas(101)).(102) L'innovation technologique ne peut plus tromper la réelle
dynamique sociale de "l'idéologie du progrès": l'imposition des changements qui
provoquent des ruptures dans les modes de vie et de perception de sens dans
ce vécu social. "Preuve que les grandes valeurs du progrès ne fonctionnent
plus comme des éléments catalyseurs de la dynamique sociale, la technologie
ne paraît pas satisfaire d'emblée des demandes sociales, elle impose des
mutations (...) elle n'assure pas ses propres liaisons de sens".(103)
1. A La Grand-Combe, ceux de Trescol, La Verrerie et Portes en 1953
2. Rochessadoule et La Vernarède en 1954, Bessèges en 1957.
3. FLECHON. Op. cit. Tome II. p. 287.
4. "Tributaire d'un marché où les principaux consommateurs sont des foyers
domestiques, des chaudières de petites usines et de locomotives, cette houille
ne résiste pas à la concurrence du mazout, du gaz naturel et de l'électricité". In:
LAMORISSE. Op. cit. p. 344. Voir aussi: FAVEDE. Op. cit. p. 93.
5. Voyons à ce sujet le point de vue de l'ingénieur Flechon, alors Secrétaire
Général des H.B.C.: "(...) que pouvait-on reprocher aux Houillères? Des
investissements, effectués dans les années d'euphorie et, qui, n'étant pas
utilisés au plein de leurs capacités, pesaient sur les résultats de tout le poids de
leurs amortissements, et de leurs charges financières, entraînant un co–t
excessif à la tonne produite? Des charges sociales particulièrement lourdes,
avec le poids du passé, les importants effectifs d'alors, et leur cortège de rentes
d'accidents du travail et de maladies professionnelles rapportées aux
versements plus légers des effectifs réduits? Des salaires en augmentation et
des prix de vente à peu près stables? C'était là le problème général des
houillères françaises dans une économie qui, prospère sur le plan national,
voyait cependant la part du charbon s'amenuiser sans cesse; et chacune parmi
ces houillères, avait à faire face aux mêmes problèmes avec des résultats
inégaux, mais toujours médiocres". In: FLECHON. Op. cit. Tome II. p. 274.
6. Jean-Marcel Jeanneney, ministre du Travail du premier gouvernement
Pompidou. "En 1960, le plan Jeanneney fixe pour 1965 un objectif de
production de 53 millions de tonnes. En 1965 le gouvernement accentue la
régression à 48 millions de tonnes pour 1970. Dès 1967, l'objectif est atteint et
en 1968 le plan Bettencourt fixe un plan de réduction draconien, les
charbonnages de France ne devant pas produire plus de 26 millions de tonnes
en 1975, 14 millions en 1980, 10 millions de tonnes en 1983. L'objectif de 1975
étant atteint dès 1973. Car en plus du gaz naturel, le pétrole puis l'énergie
nucléaire viennent concurrencer le charbon national". In: DUCKERT et
LARGUIER. Op. cit. p. 76. "Le plan Jeanneney (1960) prévoyait une baisse de
la production charbonnière française de six millions de tonnes en cinq ans et
des mesures de reclassement; en 1968, le plan Bettencourt complétait le
premier par un accroissement de la productivité (mécanisation intense des puits
les plus rentables, modernisation de la gestion, recours aux filiales et à la soustraitance). C'est cette politique qu'interrompt la brève relance de 1981." In:
LUCAS. (1985). Op. cit. p. 72.
7. "La crise est pour une part une mise en panne. A quoi se lie le problème de
sa perception, de la prise de conscience de ce qu'elle est 'en soi' et de ce
qu'elle est 'pour' un sujet. Celui-ci ne l'appréhende pas immédiatement (elle
existe d'abord à l'état latent); il l'interprète, lorsqu'elle est devenue manifeste,
par le moyen de 'programmes' et d'images qui lui sont antérieurs et mal ou non
ajustés, variables selon les conditions et les intérêts individuels. Un rapport
dialectique s'établit entre la crise et sa perception, qui opère d'abord dans le
sens d'un renforcement, d'un heurt des interprétations et des actions, avec des
effets de rétro-action. La crise replace au premier plan les idées, leur force et
leur faiblesse, ou plut“t les cosmologies sociales, selon la formule de Johan
Galtung. La conscience de la crise est de celle-ci partiellement constitutive,
comme celle du désordre l'est de celui-ci. Dans une perspective classique, la
crise est saisie en termes de dysfonctionnement, voire de pathologie; elle est le
signal que 'quelque chose ne fonctionne pas'; elle est alors définie par des
sympt“mes et un diagnostic, évaluée dans son devenir par un pronostic.
Société anomique, société sous choc, société malade sont quelques-unes des
formules qui désignent cet état critique. Dans une perspective scientifique plus
actuelle, la crise est rapportée au mouvement, à une évolution dissociée de
l'interprétation darwinienne. Elle est une contrainte plus apparente, plus lourde,
de procéder à une recombinaison de l'ordre et du désordre, à une bonne
utilisation du 'chaos'. Elle impose de transformer l'improbable en probable,
d'établir des structures relativement stables sur une assise mouvante. Elle est
l'exaspération du mode d'existence du social, et non sa maladie". In:
BALANDIER. (1988). Op. cit. p. 80.
8. "La crise économique, c'est aussi une crise des rapports sociaux et de
l'identité.", dit Pinçon sur les familles de métallurgistes dans les mutations
industrielles et sociales à Nouzonville. In: PINçON. Op. cit. p. 105.
9. Journal Le Pays Cévenol et Cévennes. Hebdomadaire régional
d'informations d'annonces légales et judiciaires agréé pour l'ensemble du
Département du Gard. Le 7 septembre 1991. p. 8.
10. Sur une nouvelle "logique du système scolaire et du système économique",
voir: BOURDIEU. (1979). Op. cit.
11. FLECHON. Op. cit. Tome II. p. 273.
12. Les "fils de mineurs" identifiaient leur entrée dans le statut d'homme adulte
avec la descente à la mine. C'est à l'intérieur du monde de la mine que se
donnaient les chances réelles (et objectives) de travail, d'avoir une "situation"
("comme on disait autrefois"), ce qu'ils acceptaient "parfois avec
empressement", "presque toujours comme allant de soi, le destin social". Nous
suivons ici, BOURDIEU. (1979). Op. cit. p. 161.
13. Taux de fécondité à La Grand-Combe: 1954: 97%; 1975: 45%.
Source: DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 85.
14. DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 83.
15. "La part des ouvriers de moins de dix-huit ans est passée de 681 en 1950 à
100 en 1962 et à 60 en 1966". In: LAMORISSE. Op. cit. p. 344.
16. FLECHON. Op. cit. Tome II. pp. 285 et 286. En plus, sur la grève de 1965,
voir Annexe 23.
17. Pour l'agglomération de La Grand-Combe:
A) Ménages n'ayant aucun enfant.
1975
71,2%
1982
76,3%
b) Ménages à deux enfants
1975
8,0%
1982
6,9%
SOURCE: DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 85.
18. "Le désordre s'inscrit en ce qui définit l'ordre. La liberté partielle, l'irruption
du nouveau et sa stabilisation relative, le déterminisme limité trouvent ainsi leur
place". (...) "Il n'est pas pour autant ignoré que l'inversion de l'ordre n'est pas
son renversement"; (il parle ici d'un société de la tradition) "elle peut servir à
son renforcement ou en être constitutive sous une figure nouvelle. (...)." In:
BALANDIER. (1988). Op. cit. pp. 81 et 117.
19. Pour paraphraser Bourdieu. In: BOURDIEU. (1979). Op. cit. p. 164.
20. FLECHON. Op. cit. p. 273.
21. "La modernité brouille les cartes" (d'une cartographie de l'ordre et du
désordre), dit Balandier. "Elle connaît les défis de l'histoire, elle subit des
épreuves que les conditions extérieures (dont celles du milieu) lui imposent, elle
est ouverte à l'événement et aux aléas, elle engendre des refus briseurs de
conformité, des discordes et des affrontements, elle bouge et n'est pas
simplement répétitive d'elle-même de génération en génération. Ce par quoi
elle diffère essentiellement est d'une nature, et peut-être révélateur de certains
manques apparents dans la société de la modernité, ceux qui engendrent un
désir de retour au passé (la nostalgie apaisante) ou une certaine fascination
pour l'archaïque). In: BALANDIER. (1988). Op. cit. p. 150.
22. La grève nationale des mineurs de 1963, par exemple, a duré 35 jours et a
été menée pour la défense du droit de grève et pour les revendications de la
corporation minière tant au niveau salarial qu'à celui de la mise en place d'une
table ronde où devait se discuter l'avenir de la profession et à laquelle devrait
être ouvert le dossier concernant la réduction du temps de travail. Pour une
analyse des grèves des mineurs à l'époque voir: CASTORIADIS, Cornelius.
L'expérience du mouvement ouvrier. Prolétariat et organisation 2. Paris, Union
Générale d'Editions, 1974. Chapitre: "La Grève des Mineurs". pp. 367 à 372.
23. Voir Annexe 21.
24. AUFFRAY, Danièle et alii. Op. cit. p. 13.
25. "Volem viure al pa‹s", mot d'ordre du mouvement VVAP que devient vers
1974 la principale force politique du mouvement occitan. "Organisée en comités
locaux, sur la base du village ou de la ville, avec une double coordination
(régionale et occitane), VVAP allie l'occitanisme au programme commun de la
gauche. Au-delà d'un nationalisme essentiellement culturel, les comités VVAP
se construisent autour d'un projet qui en appelle à une régionalisation
démocratique, à l'institution d'un 'pouvoir régional des travailleurs' sous la
forme, en particulier, d'assemblées régionales élues au suffrage universel. Des
propositions très concrètes sont élaborées et Robert Lafont publie en 1976 un
ouvrage, Autonomie, de la région à l'autogestion, qui exprime très clairement
les orientations régionalistes du mouvement naissant, tandis qu'un
rapprochement de plus en plus sensible s'opère avec la gauche communiste et
socialiste: soutien critique au programme commun et possibilité d'une double
appartenance ( à VVAP et à un parti politique). (...) Au milieu des années
soixante-dix, le mouvement occitan semble avoir réussi une double synthèse,
celle des revendications économiques et de la lutte culturelle et celle de
l'affirmation nationale et de la participation à la gauche française. C'est aussi le
moment où semblent s'unir le mouvement occitan et celui des viticulteurs". In:
TOURAINE et alii. Op. cit. pp. 48 et 49.
26. Informatif de la Mairie de La Grand-Combe. "26 ans d'activités, 1957-1983:
Le mot du Maire". La Grand-Combe 1983.
27. FLECHON. Op. cit. Tome II. p. 290.
28. BALANDIER. 1985(a). Op. cit. p. 26.
29. Cf: NOIRIEL. (1986). Op. cit. p. 215. En outre: "Si les décisions ne sont pas
remises en cause, ces luttes constituent un puissant facteur de développement
des relations contractuelles. La 'Table ronde' de 1963 aboutit à un
'marchandage' généralisé assurant la reconversion des mineurs et inaugurant
une forme de compromis qui aura beaucoup de succès par la suite: les préretraites". Ibidem. pp. 215 et 216.
30. Cf. CARRIERE, P. "Les industries cévenoles aujourd'hui". In: JOUTARD.
(sous la direction de). Op. cit. Chapitre 8. p. 302.
31. Ibidem. pp. 303 et 304. En outre, voir Annexe 24.
32. RAPPORT. Etude de développement de La Grand-Combe. BETURE.
Mairie de La Grand-Combe. 1987.
33. Expression de Schwartz, pour parler de la récession charbonnière et de la
marginalisation économique vécues par la société minière du Nord et du Pasde-Calais depuis les années 60. In: SCHWARTZ. Op. cit. p. 12.
34. "Ainsi que l'a fait remarquer Bateson, la forme de changement la plus
simple et la plus familière est le mouvement, c'est-à-dire le changement de
position. Mais le mouvement peut être lui aussi sujet au changement, c'est-àdire à l'accélération ou à la décélération, ce qui constitue un changement (un
méta-changement) de position". WATZLAWICK, P.; VEAJKABD. J.; FISCH, P.
Changements, paradoxes et psychothérapie. Paris, Seuil, 1975. Collection
Points. p. 25.
35. RAPPORT. Etude de développement de La Grand-Combe. BETURE.
Mairie de La Grand-Combe. 1987.
36. A ce sujet voir Annexe 25.
37. Selon: A) LAMORISSE. Op. cit. B) DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 83
et 84.
38. LAMORISSE. Op. cit. p. 398.
39. Voir Annexe 26.
40. Autrement dit, le mariage est vu comme facteur d'intégration sociale dans la
ville choisie pour "recommencer" la vie. Selon l'auteur, d'après le dépouillement
des bulletins de mariages entre 1963 et 1967 pour l'agglomération de La
Grand-Combe, sur un total de 728, 429 futurs maris habitaient sur place, 92
étaient domiciliés à Alès ou dans une autre commune du bassin, 118 venaient
du triangle Lyon-Marseille-Montpellier, et 63 du reste de la France (surtout de la
région parisienne). Le lieu de domicile du mari nous indique les lieux de
destination des jeunes partant de La Grand-Combe. Selon: LAMORISSE. Op.
cit. p. 345.
41. Ibidem. p. 345.
42. Voir Annexe 27.
43. Schwartz suggère autrement: "Avec la perte du travail, l'homme ne perd pas
seulement ses ressources, mais aussi un espace et une légitimité qui
constituent ses attributs masculins traditionnels. Dans une société ouvrière
comme celle du bassin minier, où le travail représente un pilier des identités
masculines, celles-ci s'effritent immédiatement lorsque surgit le ch“mage." In:
SCHWARTZ. Op. cit. p. 83. Nous suggérons plus loin des formes de réélaboration et de réinvention de la sociabilité du groupe face à l'éclatement de
la ville, au nombre important des départs de jeunes et à l'image d'une "ville
sinistrée", "d'une ville de retraités". Voir Partie V.
44. Nous suivons ici, Philippe LUCAS: "Nous sommes en présence de bien
autre chose, en effet, que de nostalgies d'une époque révolue et dont on sait
bien qu'elle n'a pas été l'ƒge d'or, parce qu'on sait bien aussi que la mine nous
fout les quatre fers en l'air, qu'on se fout de nous, que tant qu'on produit on est
bon (et) quand on ne produit plus, hop, vous pouvez bien crever, vous n'êtes
plus bons à rien (Témoignages de mineurs retraités, 1981). Défendre son
'métier', même et peut-être surtout si ce métier n'en est pas un, c'est sans doute
s'insurger contre l'incertitude de l'existence qui fait la condition prolétarienne,
mais moins au nom d'un passé mythique, ou de l'avenir qui se dérobe, qu'au
nom de ce qu'on croit tenir et qu'après le syndicat, on croit pouvoir désigner
dans les 'acquis'. Ce qu'on défend alors en défendant un impossible - et deux
fois impossible - métier, c'est sans doute autant ce que menace objectivement
et immédiatement la récession minière, que ce qu'on ne sait pas nommer
autrement que dans un langage d'emprunt, une sorte de pas-encore-là dont les
contigu‹tés de la mine (une hérédité et peut-être une histoire, plus
prosa‹quement des outils, un savoir, une maison, un jardin aussi) seraient la
trace". In: LUCAS. (1985). Op. cit. p. 111.
45. Sur le processus de reconversion des mineurs dans le Bassin des
Cévennes, voir: A) CAUCANAS, Gérard.
Alès: activité industrielle et
reconversion. M.M.G. Thèse de Maîtrise. Université Paul-Valéry, Montpellier,
1972. 107 p. ronéo. B) CORNU, R. et alii. "Analyse contextuelle de la mobilité".
In: Revue Recherches Economiques et Sociales. Notes Critiques et Débats.
1976. nø 2. p. 29 à 34. C) CORNU, R. et PIçON, B. "Analyse Contextuelle de la
Mobilité. 2ème Partie: "Mineurs Cévenols et Provençaux face à la crise des
Charbonnages". Rapport. Laboratoire d'Economie et de Sociologie du Travail.
Aix-en-Provence, 1975, VIII. 407 p.
46. Du secteur tertiaire également. Mais c'est surtout Alès qui connaîtra un
développement important dans ce secteur.
47. DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 105.
48. Ce qui peut expliquer que le déclin démographique accéléré qui
caractérisera La Grand-Combe n'est pas le même pour tout le bassin
charbonnier. Alès attire, grƒce à un secteur tertiaire très développé, une grande
partie de l'exode des petites villes minières en décadence. Ainsi le jeune grandcombien, qui a plus de chance d'y trouver un emploi, même temporaire, n'est
pas obligé de s'éloigner du "pays" minier. Lamorisse, explique l'attirance
qu'Alès exerce alors: "Avec une situation géographique meilleure que celle des
impasses d'amont, avec une structure sociale plus différenciée et plus
urbanisée, elle supporte mieux la retraite du charbon; mais, si elle ne fait que
profiter momentanément des tribulations du voisinage, elle risque de dépérir à
son tour". Cf. LAMORISSE. Op. cit. p. 400.
49. "Alès enregistre un solde migratoire positif supérieur à 20% entre 1968 et
1975". In: DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 82.
50. LAMORISSE. Op. cit. p. 385.
51. DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 82.
52. Voir Annexe 28.
53. Ses activités consistent en la fabrication de cƒbles pour le transport
d'énergie et de télé-communications terrestres et sous-marins, système H.F., et
en ingénierie et réalisation de systèmes complets de connecteurs et
accessoires. L'usine des Salles-du-Gardon est l'une des huit usines françaises
de C.D.L. En 1989, 25O personnes y sont employées, dont la moyenne d'ƒge
est de 38 ans. Selon: Article: "Journée portes ouvertes. Grosse affluence aux
Cƒbles de Lyon". In: Journal Midi Libre. Vendredi 27 octobre 1989. N 6.
54. "Remarquons au passage que les 'découvertes' utilisent beaucoup moins
de personnel - surtout qualifié et d'entretien - que le fond. Il ne s'agit donc pas
d'une évolution technique mais d'un processus de fermeture ralenti pour éviter
les remous sociaux. Par contre, les dégƒts sur l'environnement sont infiniment
plus graves: seuls les pins pourront s'accrocher à ces versants bouleversés, au
sol rare et où l'eau s'infiltre immédiatement dans la caillasse". Cf: WIENIN. Op.
cit. p. 56.
55. LAMORISSE. Op. cit. p. 346.
56. DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 104.
57. Jusqu'alors caractérisées comme des "cellules bien individualisées: La
Grand-Combe, ses environs, vallée de l'Aiyement, Alès". In: DUCKERT et
LARGUIER. Op. cit. p. 82.
58. Ibidem.
59. Ibidem.
60. FLECHON. Op. cit. Tome II. p. 287.
61. Cf. G. Caucanas (1972). p. 83. Cité par: LAMORISSE. Op. cit. p. 388. Sur
les primes offertes pour la reconversion, voir également: FAVEDE. Op. cit. 95.
62. LAMORISSE. Op. cit. p. 344.
63. Voir Annexe 29: "Tableau de Départs à la retraite anticipée".
64. FLECHON. Op. cit. Tome II. p. 272.
65. Ibidem. p. 273.
66. Voyons, à titre indicatif, le dépouillement fait par Favede sur un total de 697
personnes reconverties entre 1960 et 1979. Sur ce total, 154 personnes ont été
reconverties "avec contrat" dans des entreprises installées dans la région
cévenole et 55 personnes "avec contrat" dans des entreprises d'autres régions
(ils se sont distribués dans 171 entreprises régionales et 188 entreprises hors
région, notamment Provence, Sa“ne-et-Loire, Nord-Pas-de-Calais et Lorraine).
17 personnes se sont reconverties "sans contrat" dans les entreprises locales
et 129 hors région. En ce qui concerne les mutations volontaires, les secteurs
visés ont été: l'agriculture (4 sur place et 6 dans d'autres localités), l'artisanat
(18 sur place et 6 hors-région), le commerce (21 conversions locales et 13
excentrées), les mines (3 sur place et 3 dans d'autres régions), la fonction
publique (9 sur place et 77 ailleurs), les professions libérales (3 sur place),
l'E.D.F. (1 hors région), les départs à l'étranger (12), et divers (50 sur place et
113 dans d'autres localités).
67. Ce que peut être analysé comme une situation de "perturbation": au
contraire du concept d'événement - un fait qui s'inscrit dans un répertoire de
situations attendues (Christian Lalive d'Epinay) - celui de perturbation est un
moment de rupture et implique une réorganisation relative du fonctionnement
du ménage à partir des "stratégies de vie" du ménage. Nous suivons ici
PANET-RAYMOND, Jean avec la collaboration de Charlotte Poirier.
"L'utilisation des récits de vie dans une enquête statistique". In: DESMARAIS et
GRELL. Op. cit. p. 109.
68. LAMORISSE. Op. cit. p. 345.
69. Les turcs arrivent à La Grand-Combe en 1974 et, dans leur majorité, ils
vivaient déjà en France auparavant. Ils n'arrêteront plus de venir s'installer dans
la ville, surtout dans les années 80. En 1986 ils composent 8,4% de la
population étrangère de la ville. Les marocains sont moins nombreux (4,5% de
la population étrangère) et ne sont arrivés qu'après 1976. Les asiatiques sont
des réfugiés et sont peu nombreux (11 laotiens et 5 vietnamiens): ils arriveront
après 1982 et viendront à La Grand-Combe pour être placés dans le Centre de
Formation Professionnelle installé dans le quartier de Ribes, où ils suivront
également des cours de français. Mais, depuis 1970 les nouveaux venus sont
aussi et encore des espagnols et des italiens, respectivement 18% et 3% du
total des étrangers dans la ville alors que 15% des habitants sont des
populations étrangères. Cf: DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. pp. 88, 89 et 91.
70. Nous utilisons le concept mentalité en tant que catégorie "du natif", c'est-àdire, par nos interviewés. Nous y reviendrons plus loin.
71. Interview menée par GARDES-MADRAY et BRES. Op. cit. pp. 230 et 231.
72. DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 78.
73. Sur les efforts de reconversion concrétisés à La Grand'Combe: DUCKERT
et LARGUIER. Op. cit. p. 93.
74. "Si la faible diversification des demandes est une source de difficultés
supplémentaires, la principale cause du ch“mage est la faiblesse de l'armature
industrielle et commerciale de la ville." In: DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p.
93.
75. "En somme, depuis qu'on sait l'échéance proche, aucun progrès n'a été
accompli sur la voie d'une authentique conversion, génératrice de nouvelles
richesses, capable de rendre confiance à une population jeune, active, forte,
consommatrice de denrées, biens et services, et de reconstituer, dans ce
secteur moribond, surtout desservi par sa mauvaise réputation, un réseau de
relations animé par des villes comme Bessèges, St-Ambroix, La Grand-Combe
et Alès. Mais jusque-là, personne n'a cru au succès d'une entreprise qui ne
pourrait jamais surmonter de trop puissants obstacles: des paysages enlaidis
par l'industrie lourde, la méfiance qui inhibe toute initiative, l'implacable loi du
profit où, dans notre société, l'homme est plus un facteur de production qu'un
habitant." In: LAMORISSE. Op. cit. p. 345.
76. GARDES-MADRAY et BRES. Op. cit. p. 114.
77. "Vivre, travailler, décider au pays": Mot d'ordre occitan forgé durant la grève
des mineurs de Decazeville, et repris lors d'autres luttes locales et par les
grévistes de Ladrecht.
78. Par décret du 23-12-1982, Iffernet est fait chevalier de l'ordre national du
Mérite pour son r“le joué dans la lutte pour l'avenir de Ladrecht. Il devient une
"figure historique de la conscience ouvrière et de la défense régionale". Malgré
cela, en 85 intervient la répression et la décision gouvernementale de le
révoquer ainsi que d'autres militants, "ce qui ne s'était pas vu dans la
corporation minière depuis près de 35 ans". Cf: LADRECHT. "Résister,
conquérir, lutter". Supplément au "Travailleur du Sous-sol" nø 520 - Février
1986. Fédération Nationale des Travailleurs C.G.T. du Sous-Sol. p. 42 et 43.
79. Ibidem. p. 7.
80. GARDES-MADRAY et BRES parlent de 200 mineurs de fond (sur un effectif
total de 1200 employés aux Houillères du Bassin des Cévennes). Op. cit.
81. CHABROL. "L'Adieu au Charbon". In: Op. cit. p. 60.
82. Préface de Henri Krasucki. In: GARDES-MADRAY et BRES. Op. cit. p. 12.
83. F.O. ne s'engage pas, car il y a désaccord autour d'une grève "téléguidée
par le P.C." (Jean Aforti). La C.F.D.T. n'était pas représentée au fond au
moment du conflit (elle était mieux placée par rapport aux travailleurs de
surface).
84. GARDES-MADRAY et BRES. Op. cit.
85. "L'intervention sociologique a montré comment, par des cheminements
divers, de nombreux militants occitans se sentaient attirés par cette politique qui
a conduit le parti communiste à soutenir fortement la culture occitane, qui
devient ainsi le ciment de l'unité des forces populaires dans les régions du Midi,
premières victimes de la crise économique". In: TOURAINE et alii. Op. cit. p.
278.
86. Sur la grève de Ladrecht, voir: A) GARDES-MADRAY et BRES. Op. cit. B)
BALTERS (sous direction de). Op. cit. 143 p. C) LADRECHT. "Résister,
conquérir, lutter". Supplément au "Travailleur du Sous-sol" nø 520 - Février
1986. Fédération Nationale des Travailleurs C.G.T. du Sous-Sol.
87. Interview concédée en 1984 à GARDES-MADRAY et BRES. Op. cit. p. 232.
88. Robert Lafont: écrivain occitan, il est aussi théoricien du régionalisme et
milite depuis longtemps pour que les luttes ouvrières revendiquent l'exigence
de vivre au pays. Dès 1962, il rejoignait les mineurs de Decazeville qui avaient
fait leur le drapeau occitan. GARDES-MADRAY et BRES. Op. cit. p. 250.
89. Entretien entre Henri Krasucki et les sociolinguistiques GARDES-MADRAY
et BRES. Op. cit. pp. 215 et 216.
90. Interview à Myriam Barbéra, secrétaire du comité régional du P.C. In:
GARDES-MADRAY et BRES. Op. cit. p. 236.
91. "On ne peut pas expliquer Ladrecht si on oublie qu'on est au pays des
camisards, au pays de la résistance cévenole". In: GARDES-MADRAY et
BRES. Op. cit. p. 233.
92. Ibidem. p. 128.
93. Voir Annexe 30.
94. Phrase d'un mineur gréviste de Ladrecht, citée par GARDES-MADRAY et
BRES. Op. cit. p. 129.
95. Au niveau économique, Ladrecht est considéré comme rentable: "équilibre
les trois premières années; bénéficiaires dès la troisième année; excédentaires
de 6 millions de francs dès la neuvième année"; et socialement indispensable
pour la région: "La région Languedoc-Roussillon, avec plus de 100.000 sansemploi, est la plus touchée des régions de France par l'aggravation du
ch“mage. Le maintien en activité, voire le développement d'une industrie de
base comme le charbon, constitue un point d'appui considérable pour le
renouveau économique et social de la région. Dès la première année en
exploitation de Ladrecht, c'est 300 mineurs supplémentaires qu'il faut
embaucher, c'est 300 ch“meurs de moins, c'est 300 familles assurées de
conditions d'existence normales. C'est aussi pour toute l'activité économique de
la région, (commerce, enseignement, etc) à partir du charbon et des activités
qu'il entraîne, en amont ou en aval, un renouveau industriel et d'emploi". In:
Supplément au "Travailleur du Sous-Sol". nø 520 - Février 1986. Fédération
Nationale des Travailleurs C.G.T. du Sous-Sol.
96. Expression de Maurice Larguier, maire de La Grand-Combe. Interviewé en
1984 cité par GARDES-MADRAY et BRES. Op. cit. p. 232.
97. CHABROL. "L'Adieu au Charbon". In: Op. cit. p. 60.
98. DUCKERT et LARGUIER. Op. cit. p. 79.
99. LADRECHT. "Résister, conquérir, lutter". In: Op. cit. p. 41.
100. Comme celle du charbon venu de l'Afrique du Sud, dont le bas prix avait
un rapport étroit avec le régime du pays et les conditions d'exploitation de la
main-d'ouvre noire: "La production charbonnière nationale ne suffit pas à
satisfaire les besoins du pays. En 1985, la consommation de charbon en
France aura oscillé entre 39 et 40 millions de tonnes, la production intérieure a
plafonné à moins de 17 millions de tonnes. Il a donc fallu importer 23 millions
de tonnes, soit 60% de nos besoins, importations qui ont pesé lourdement dans
la balance commerciale. C'est en même temps notre indépendance nationale
qui est menacée". In: Ibidem. p. 15. Le grand avantage de l'importation, selon
l'ingénieur Jean Salze, interviewé par les sociolinguistes Gadès-Madrey et
Brès, est le suivant: "les circuits de distribution du charbon importé ne sont pas
nationalisés; donc, jusqu'à présent, ce sont des sociétés privées qui font cette
opération, ce qui leur rapporte beaucoup d'argent. Les distributeurs l'achètent à
des prix de dumping aussi bien en Pologne qu'en Union soviétique, qui vendent
à des prix qui ne nous facilitent pas la tƒche. Ils achètent à des prix défiant
toute concurrence, et où ils se foutent pas mal des accidents mortels qui
peuvent arriver. Par ailleurs, ils ont négocié des quantités de marchés, fait à
l'étranger des investissements dans des ports charbonniers, en Amérique, en
Afrique du Sud, alors tout ça fait qu'ils ont intérêt à poursuivre leur politique." In:
GARDES-MADRAY et BRES. Op. cit. p. 192.
101. LUCAS. (1985). Op. cit. p. 146.
102. Voir ici Annexe 31.
103. JEUDY. Op. cit. p. 61.
PARTIE V
LA VILLE LETHARGIQUE
"Ici, il reste que les tombes. En fait, ce sont les tombes qui font bouger ici,
c'est-à-dire que les jeunes viennent pour un décès ou voir la tombe d'un parent,
de quelqu'un de la famille. Voilà, il n'y a que les tombes qui font des
événements, ici.
Chaque décès, c'est une maison qui se ferme. Il n'y a pas un attachement
à la maison. Elles appartiennent aux Houillères. Ici, personne ne reste.
Ce n'est pas un pays du tiers-monde comme chez vous. Ici, les gens ne
sont pas malheureux au niveau financier, mais ils n'attendent plus rien, ils n'ont
pas d'espoir. Ils attendent la mort, c'est tout. (...).
La fête la plus vivante? Ce n'est pas la Sainte Barbe, c'est la fête des
morts; ça fait bouger la ville, les jeunes viennent voir les tombes de leurs
parents; c'est la seule fête qui fait bouger, ici. C'est la tombe qui attire les gens.
Alors ce jour-là, la ville bouge.
Ici, c'était une vallée pleine de vie, il y avait des jardins, davantage. C'est
vrai que la vallée était noire et sale, mais vivante. Aujourd'hui, le vert a poussé
et couvre le crassier. Mais c'est mort quand même. Les habitants, ils sont vieux,
ils savent qu'ils ont leur place au cimet

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