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02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 31 É volution des rôles et des stratégies JEAN-FRANÇOIS BOURDET ELKE NISSEN CHRISTIAN DEGACHE CHARLOTTE DEJEAN-THIRCUIR et FRANÇOIS MANGENOT 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 32 32 C onstruction d’un espace virtuel et rôles du tuteur JEAN-FRANÇOIS BOURDET UNIVERSITÉ DU MAINE, LIUM Les enjeux présidant à la conception, au développement et à l’usage des dispositifs d’apprentissage et de formation en ligne tiennent à la fois à la nouveauté du champ conceptuel actualisé dans de tels contextes et à la spécificité des outils mis en place (Blandin 1990, Charlier et al. 2000, Denis 2003). Nous tenterons ici d’aborder ces deux dimensions en mettant l’accent sur leur nécessaire interaction. Il s’agit de lier réflexion sur l’usage (les usages dont la multiplicité caractérise précisément l’évolution du paradigme de la formation avec la montée en puissance de la FOAD) et modélisation possible des pratiques telle qu’elle s’exprime en termes de préconisations, de spécifications des environnement informatiques requis ainsi que des dispositifs de formation qui les englobent. On présentera d’abord la notion d’espace imaginé de communication, puis on mettra l’accent sur les interactions tutorales qui peuvent y prendre place et les interfaces dédiées susceptibles de correspondre aux besoins repérés. U n espace imaginé REMARQUES PRÉLIMINAIRES Quel que puisse être le dispositif (environnement développé, ressources et contenu, type de suivi, hybridation éventuelle de la formation en ligne par une part de présentiel) auquel se trouve confronté l’utilisateur, de grandes constantes vont prédéfinir le type d’usage qu’il pourra développer. Ces contraintes appellent néanmoins un commentaire. Elles convergent vers une individualisation des pratiques parce qu’elles renforcent la singularité des trajets suivis par chacun des utiliLE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 33 33 sateurs en modifiant les paramètres classiques des situations éducatives. Ainsi, la distance géographique brise dès le départ la référence groupale dominante dans le paradigme éducatif antérieur ; l’asynchronie, largement dominante dans les dispositifs existants, met en question la notion de rythme commun d’apprentissage qui structure les curricula des systèmes éducatifs présentiels ; enfin, le mode d’apprentissage par écran qui multiplie les cheminements possibles (arborescence, liens, fenêtrage) rompt avec la linéarité dominante des procédures classiques d’enseignement. Dans l’espace, dans le temps, dans le parcours possible, l’individu est ainsi sans cesse renvoyé à des choix que nul, sinon lui, ne peut faire : gérer sa relation à l’autre, construire une temporalité d’apprentissage, établir un parcours singulier. L’enjeu est dès lors extrêmement fort car il est question de développer une culture d’apprentissage personnelle et pour laquelle les référents eux-mêmes sont à établir (Jezegou 1998). On ne s’étonnera donc pas que les taux d’abandon puissent être élevés si l’individu est laissé à lui-même face à des exigences qui vont bien au-delà de la simple saisie du contenu programmé. Dans la fréquentation d’un dispositif, on peut identifier une problématique enchâssant des niveaux différents. D’abord celui de l’ergonomie, pris ici dans son sens étymologique de méthode « d’organisation du travail en fonction du but proposé et des conditions d’adaptation de l’homme » (Lexis). Seul face à son écran, l’utilisateur, une fois inscrit dans une formation, doit découvrir le fonctionnement pratique de celle-ci. Ce fonctionnement régira les sessions pendant lesquelles il se connectera ; or on se trouve dès cette première étape face à une combinatoire, un enchâssement des niveaux de perception et d’action. Il faut d’abord identifier le fonctionnement de la page écran (niveau d’ergonomie 1) qui comporte différents outils renvoyant à des fonctionnalités développées dans l’environnement support de la formation. On doit apprendre à gérer la présence de barres d’outils, d’ascenseurs, de liens et d’icônes divers dont la présentation peut être récurrente au fil des pages ou indexée à certaines d’entre elles. Il est également nécessaire de procéder à une lecture générale (ce qui ne veut pas dire exhaustive) des pages écrans combinables dans le temps et dans le trajet réalisé lors d’une session ou d’un groupe de sessions. Ce niveau d’ergonomie 2 dialogue avec l’arborescence proposée par l’environnement, arborescence d’autant plus souple (individualisation des parcours) qu’on se rapproche d’une situation de FOAD effective. Il s’agit alors, en termes de liens, de fenêtrage à l’écran, de jouer des outils et fonctionnalités offertes pour les informer, c’est-à-dire les mettre en forme, les rendre signifiants en regard de besoins identifiés puis des choix et des priorités qui en découlent. En effet, le trajet effectué par l’utilisateur au sein de l’environnement et du dispositif qui l’englobe, pour solitaire qu’il LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 Construction d’un espace virtuel et rôles du tuteur 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 34 34 paraisse, n’existe que sur fond de parcours prévu (celui du curriculum planifié) et de parcours constatés (ceux des autres utilisateurs dont des traces peuvent apparaitre) avec lesquels la rencontre virtuelle est attendue dans le cadre d’éventuelles activités collectives. Du point de vue qui nous occupe ici, il n’est pas indispensable que la présence des autres se marque d’entrée de jeu par des messages ou des participations. Ils existent quelque part et ce quelque part est constitutif du dispositif. Pour ses concepteurs, cette question donne lieu à décisions quant à l’intégration (quand, à quel niveau, sous quelle forme) d’outils de communication (mèl, clavardage, forum, liste de diffusion, etc.). Pour ses utilisateurs, elle prendra la forme d’un espace virtuel. L’espace dans sa dimension imaginaire n’est pas structuré selon les règles et l’extension d’un espace physique, on ne le construit et on ne le perçoit pas de la même manière, de même on ne s’y déplace pas selon des modalités identiques. Nous parlons ici d’espace virtuel de formation et de communication, ce qui signifie qu’il va se développer au travers de fonctionnalités environnementales (ex. accès à un forum) et d’intégration individualisée au dispositif qui le contient (ex. rythme de la participation personnelle à ce forum, type d’implication, rentabilité ressentie). Si l’espace virtuel est un espace métaphorisé, il n’en demande pas moins une structuration, celle-ci s’effectuant sur l’articulation de sensations de proximité et d’éloignement, sa profondeur étant alors une profondeur bien plus psychologique que topologique. Cela signifie donc que l’utilisateur, pour le parcourir, identifie un mode de structuration de cet espace (lieux différents qui sont aussi des moments différents) ainsi que d’identification et de représentation des partenaires qu’il peut y rencontrer. Il nous faut donc revenir sur deux notions, celle de la structure et celle de l’échange. CARACTÉRISTIQUES DE L’ESPACE IMAGINÉ La première caractéristique de cet espace imaginé est que les « lieux » qui le composent ne sont pas parcourus par un déplacement spatial, mis à part celui de la souris à l’écran, mais par une répartition temporelle. Il s’agit en effet de ce que l’on pourrait nommer des lieux-outils (du type clavardage ou forum par exemple). Ces lieux peuvent bien être repérés par une simple icône ou métaphorisés en salles virtuelles dessinées à l’écran, la manière dont ils sont traversés (vécus) reste la même : à la différence des déplacement spatiaux dans une formation présentielle qui sont marqués par leur linéarité (rôle de sas du couloir ou de la cour lors d’un changement de salle par exemple), les déplacements autorisés par les interfaces de formation sont non linéaires et structurés d’entrée de jeu par l’usage qui va en être fait. C’est donc en termes de priorités, de gestion du court et du moyen terme que s’opèrent les choix nécessaires ; la gestion de l’espace possible est d’abord LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 35 35 une gestion du temps. Ainsi une intervention en forum peut-elle prendre place à l’intérieur d’une session d’activité et vice versa, selon les besoins ressentis par l’utilisateur. On peut donc poser qu’à l’inverse de la linéarisation spatiale des formations présentielles, la logique dominante de l’espace virtuel est une logique d’enchâssement délinéarisante. Il ne s’agit pas de passer par des étapes successives, mais de lier et de faire interagir différents espaces d’activité. L’exigence de capacité métacognitive chez l’utilisateur (Galvani 2002) est d’autant plus forte que seul un recul suffisant, une capacité d’évaluation quasi immédiate, permettent de trancher entre des choix offerts de manière généralement permanente (accès libre aux fonctionnalités proposées). La seconde caractéristique de l’espace imaginé tient à l’absence du contact physique : cet espace est peuplé de partenaires qui tout autant que les lieux qui le structurent lui fournissent une épaisseur, une densité rendant sa traversée envisageable. Ces partenaires potentiellement joignables sont d’abord inconnus, suggérés par un nom dans une liste de diffusion, une photographie et/ou une biographie dans un trombinoscope. Les traces de leur passage peuvent aussi se manifester dans les forums ou leur présence s’activer dans des clavardages, voire des activités collectives synchrones. Or, ce qui peut transformer ces « présences » en interlocuteurs puis en partenaires d’apprentissage, c’est d’abord pour chacun la projection sur autrui du vécu solitaire ressenti. À un premier niveau, ce ressenti s’exprime très clairement lorsqu’on analyse les échanges effectués lors des clavardages ou sur les forums de la formation. Deux phénomènes sont aisément constatables. Le premier est celui de la convivialité immédiate entre pairs : on tente par tous les moyens disponibles de se rapprocher, de partager des émotions au-delà même des soucis cognitifs immédiats. C’est là la source des très forts effets de groupe, des phénomènes d’« affiliation » (au sens ethnométhodologique du terme, Garfinkel 1967) actifs lorsque les formations en ligne fonctionnent bien (faible taux d’abandon). Le partage des questions, des difficultés, l’offre de ressources, l’échange des confidences sur les choix stratégiques et les manières de faire, alimentent fortement les échanges en ligne que nous avons pu analyser. Le second est celui de la déhiérarchisation des relations dissymétriques : la relation aux « responsables », particulièrement aux enseignants, est nettement moins formelle qu’en situation présentielle. Les échanges par courriels personnels témoignent de la nécessité d’établir rapidement un climat de confiance où la mise à l’écart de l’intimité est bien moins grande que dans une situation académique traditionnelle. En fait, la distance cherche son propre antidote : plus on est loin, plus il faut se sentir proche, tel est le rôle de l’intime dans les échanges réalisés. Une autre caractéristique de ces tentatives de rapprochement virtuel est manifeste dans ce que l’on peut appeler la ponctuation des LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 Construction d’un espace virtuel et rôles du tuteur 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 36 36 échanges en ligne : le rôle des smileys ou, si l’on n’en dispose pas, de ponctuations classiques (points d’exclamation notamment dont la récurrence est forte) ou apparues dans le medium de communication (ex. dans les clavardages : emploi de marqueurs commentatifs du type « lol », « :, », etc.). Le rôle des ces marqueurs est d’établir le maximum de connivences possibles, d’affilier les participants à un vécu partagé et intégré par chacun afin de lutter contre l’isolement. C’est qu’à distance, la motivation doit sans cesse être relancée et que, faute de quelque chose qui touche l’intimité, on n’accède pas assez à cette source profonde où le désir d’apprendre s’enracine ; ceci étant valable et pour l’apprenant et pour le formateur. Une conséquence fondamentale de tels phénomènes est que l’enseignant, pour répondre aux exigences posées, doit se penser et agir bien plus comme un enseignant tuteur que comme un enseignant formateur, quel que soit par ailleurs son statut professionnel. Ainsi, pour que l’autre existe, il faut sentir sa présence ; or la virtualisation de celle-ci va renvoyer l’individu aux situations initiales de construction de l’altérité, parce que tout semble à reconstruire. LE GROUPE VIRTUEL Dans le projet d’un groupe virtuel en ligne, on distinguera d’abord une étape de constitution du groupe sur un projet partagé, pouvant être intégrée dans le dispositif (tâche) ou initiée en dehors de préconisations pédagogiques (initiative, dysfonctionnement entrainant un ajustement). Cette première étape est marquée par des attentes d’autant plus fortes qu’elles tranchent avec l’isolement vécu, d’où effectivement des projections fortes (du fantasme lié à une représentation du succès ou de l’échec possible, à une survalorisation des partenaires potentiels par exemple). La deuxième étape est celle de la gestion des échanges, de la régulation liée à la mise à disposition, ou à l’invention, d’outils (évaluation intégrée des tâches réalisées, du jeu des échanges, des rôles tenus). La troisième correspond, lorsque le groupe fonctionne, à la sensation d’un vécu commun, de liens forts (dont témoigne l’échange de promesses quant à la solidité à venir de ces liens), le groupe se projette ainsi comme groupe dans un futur, un au-delà de ce qui constitue son vécu et sa nécessité actuels. La quatrième est « un système de relations symboliques », celle d’un « inconscient groupal » (Kaës 2000), c’est celle de l’intégration au vécu personnel, aux traits identitaires de chacun, du vécu commun, c’est aussi là que l’individu peut actualiser des expériences passées, sources de réussite et/ou de conflits. Il est important de remarquer que, même si une certaine chronologie peut être établie entre ces moments, ils n’en restent pas moins tous actifs, actualisables au fil de l’histoire du groupe et que les événements qui marquent celleci peuvent amener à privilégier l’un ou l’autre d’entre eux aux diverses LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 37 37 étapes de son histoire ; ces moments étant en fait des perspectives combinées de manière interactive. Arrivés au terme de la première partie de notre réflexion, nous pouvons dégager les caractéristiques de l’espace imaginé en situation de formation et d’échange en contexte virtualisé (FOAD). Cet espace est une métaphore, une transposition des sensations ressenties, des perceptions en contexte, des projections effectuées. Comme tel, c’est une image qui permet de s’orienter dans la complexité d’un environnement et d’un dispositif. Ce n’est donc pas un savoir stabilisé, mais une construction pragmatique évolutive, destinée à se transformer en continu. Un groupe en ligne assemble ces diverses métaphores, il fonctionne quand il parvient à les mettre en communication, en dialogue et en échange. Ainsi, l’individu met en jeu une part d’intimité – et donc de fragilité – comme si l’extériorité, la présence et le possible partenariat de l’autre ne pouvaient être réellement perçus que de manière interne (jeu des représentations personnelles). De là, le rôle considérable d’un tutorat en ligne, qui soit tout autre chose qu’une simple correction/validation des productions. Il faut dialoguer avec ces espaces imaginés, entrer dans ces métaphores. L’enjeu pour le tuteur est d’être à la hauteur de la charge d’intimité, de confiance, d’exigence, qui s’y trouve configurée. C’est en ce sens que nous allons maintenant présenter l’évolution des rôles enseignants vers une situation effective de tutorat. R ôles du tuteur Reprenant succinctement une analyse déjà développée ailleurs (Bourdet 2003, 2005), nous caractériserons les situations de tutorat comme présentant une évolution significative dans la pondération des différents rôles pédagogiques tenus classiquement par l’enseignant. Ces rôles, en croisant le grand nombre d’analyses existantes, peuvent être identifiés de la manière suivante : – R1 rôle disciplinaire (exposé du référent du cours, matière enseignée) ; – R2 rôle d’imposition (ordre des tâches, moyens requis) ; – R3 rôle d’animation (gestion du groupe et de ses interactions) ; – R4 rôle de ressource (aide, mise en adéquation des besoins par rapport au contenu) ; – R5 rôle de parité (soutien au cheminement, participation à la tâche comme acteur) ; – R6 rôle de contrôle (validation des trajets et des acquis) ; – R7 rôle de régulation (négociation entre les attentes et les besoins, aménagement du parcours). LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 Construction d’un espace virtuel et rôles du tuteur 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 38 38 On peut noter que la hiérarchisation de ces rôles traduit exactement les évolutions méthodologiques du domaine (par exemple l’approche communicative en langues mettra l’accent sur les rôles 3, 4, 5 et 7, par opposition aux rôles 1, 2 et 6 dominants auparavant). La nouvelle hiérarchisation de ces mêmes rôles nous semble informer de manière suffisante la relation de tutorat à distance. Dans une FOAD, la situation didactique est bien différente de ce qu’elle est dans les situations non distantes et non ouvertes. Tuteurs et utilisateurs apprenants interviennent dans un contexte à la fois précis (un environnement a été développé, un dispositif conçu et testé) et flou (personne ne peut prendre la connaissance complète de ce qui va s’y passer et encore moins un usager débutant) ; il est donc illusoire de tabler sur l’analyse des seuls parcours normés à l’avance dont l’évaluation rendrait compte des acquis effectifs ; en revanche, le tuteur s’y trouve confronté à des trajets singuliers dont il lui faut repérer les nœuds, les moments significatifs et pour lui et pour l’apprenant. Il y a là un renversement profond des manières de faire qui posent un in-put enseignant et un out-put apprenant : dans la relation tutorale en ligne, c’est précisément l’inverse qui est constaté, le tuteur travaillant de manière bien plus réactive que proactive et singulière que répétée. La programmation de l’enseignement (au double sens didactique et informatique) prend complètement ou très largement en charge les rôles disciplinaire et d’imposition ainsi qu’une part (mais plus quantitative que qualitative) du rôle de ressource, les corrections automatisées et bilans intégrés assurant quant à eux une part du rôle de contrôle. En revanche, ce type de contexte accentue le besoin d’animation et de parité, y compris avec le tuteur (pour rompre l’isolement, soutenir la motivation), ainsi que de ressource qualitative. Enfin et surtout, la nécessité de gérer son apprentissage (durée et intensité des sessions, emploi d’une arborescence, recours ciblé aux outils) rend extrêmement forte l’exigence d’une régulation participative (usager-tuteur) ou autonome (mais soutenue par le dialogue avec le tuteur/expert didactique). Le tutorat en ligne inverse donc les priorités antérieures de la pondération des rôles. Compte tenu de ce qui a été dit ci-dessus quant au vécu de l’utilisateur d’un dispositif, la définition d’un tutorat intégré non paritaire (enseignant) ne prend sens et effet que sur une base de confiance accordée par les deux partenaires, confiance dans laquelle on s’engage, acceptant que de l’intime y soit impliqué, que le succès de la communication soit joué à deux, de manière égale, bien que chacun y conserve une spécificité statutaire. Le point décisif où se jouera la confiance sera celui de l’évaluation. Les fonctions de contrôle impliquées dans une perspective d’évaluation peuvent être prises en charge (au moins en partie) par le système, mais LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 39 39 il en reste une part dévolue au tuteur : c’est lui qui, par exemple, validera un module dans un parcours effectué si cela ne peut être fait de manière automatisée. Cette nécessité est aussi un risque de perturbation de l’échange si le tuteur n’est plus perçu que (ou d’abord) comme un évaluateur/contrôleur, car alors s’ouvre une contradiction entre le rôle d’évaluation/contrôle et les rôles de parité et de régulation bien plus importants dans une relation tutorale en ligne. En effet, l’assimilation du tuteur à un évaluateur/contrôleur crée une dissymétrie fortement hiérarchique et rompt avec le souci d’engagement et d’intimité dont nous avons marqué l’importance. C’est la raison pour laquelle les actions d’évaluation nécessaires réalisées par le tuteur doivent être intégrées dans une dynamique d’évaluation/régulation où l’essentiel n’est pas la réussite à un exercice, mais l’intérêt possible de cet exercice dans un trajet d’apprentissage qui fasse sens aux yeux de l’apprenant, articulation entre curriculum planifié (structuration du parcours prévu) et curriculum vécu (trajet individualisé et signifiant). Cette exigence est forte et l’équilibre difficile à définir et à maintenir, mais c’est à ce prix que le tutorat peut enrichir les deux partenaires. On peut alors imaginer des environnements informatiques conçus de manière à satisfaire les deux exigences signalées : – aider le tuteur à structurer sa perception de l’espace virtuel et à identifier les modes d’appréhension de celui-ci tels que développés par les apprenants ; – lui permettre de gérer l’articulation des deux dimensions de l’évaluation, contrôle/validation des parcours et régulation/orientation des trajets. D es interfaces d’aide au tutorat Au sein du laboratoire d’informatique de l’université du Maine (LIUM), nous travaillons sur la définition d’interfaces dédiées au tuteur humain. Nous résumerons ici certains des principes qui régissent cette conception présentée par ailleurs (Teutsch, Bourdet, Gueye 2004). Il s’agit d’offrir au tuteur un espace structuré de travail et d’échange susceptible de répondre aux deux besoins évoqués ci-dessus. En l’occurrence, les tuteurs interviennent dans le cadre du dispositif Croisières pour l’apprentissage du français langue étrangère en ligne. En termes d’environnement informatique, les fonctionnalités offertes doivent permettre de percevoir (définition des observables) et d’articuler (liens, sélection, compilation) des espaces variés d’apprentissage et de dialogue ; en termes de dispositif, la définition du travail du tuteur doit intégrer la maitrise d’outils combinables dans une perspective de soutien et de relance (globalement réactive) des trajets des utilisateurs, ceci dans une perspective régulative. En termes didactiques enfin, la fonction tutorale LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 Construction d’un espace virtuel et rôles du tuteur 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 40 40 reposera donc sur deux concepts fondamentaux : ceux de navigation et de structuration. NAVIGATION L’interface doit permettre au tuteur de contextualiser les messages qui lui sont adressés afin de mieux interpréter les demandes d’aide et les interrogations. Notre interface propose donc l’accès immédiat aux pages apprenants à partir desquelles un message a été rédigé. On retrouve ainsi l’espace de travail (activité, outil) et le moment d’où émerge la demande (puisque la page a été archivée en l’état). On peut donc tenter d’interpréter ce qui est demandé (face émergée de l’iceberg) en fouillant ce qui l’a produit et/ou ce qui lui était concomitant. Ce type d’accès, outre le gain de temps et la quantité supérieure d’information disponible, a l’avantage de retravailler la temporalité de l’échange tutoral qui se fait à la fois dans le proche (la réponse à une demande, premier niveau de transaction didactique) et dans le lointain (la dimension rétrospective, potentiellement rétroactive quand se trouve réinterprétée une situation d’apprentissage). Certes, la demande n’est pas à tout coup liée au contexte écran de son émergence, mais les expérimentations réalisées jusqu’à présent montrent qu’elle l’est le plus souvent et, si tel n’est pas le cas, il suffit pour le tuteur de fermer la fenêtre d’accès au contexte source ou même de ne pas l’appeler s’il la juge inutile d’entrée de jeu. D’autres fonctionnalités de l’interface tuteur vont dans le même sens (usage d’une carte de navigation, accès à tous les niveaux du parcours d’apprentissage par modules, activité, séquence, pages), mais les pages sources sont les plus intéressantes du point de vue de la navigation dans un espace virtuel parce qu’elles fournissent au tuteur le cadre de l’échange, parce qu’il peut les archiver dans un dossier étudiant individuel. Il dispose ainsi d’outils lui permettant de garder la mémoire d’un tutorat (suivi individuel) ; mais c’est aussi très utile pour le groupe dont il a la charge, car par comparaison, s’identifient des lieux nodaux de l’apprentissage, des points de blocage ou de réussite qui marqueront par leur récurrence l’histoire du groupe en ligne. Le tuteur a en effet la charge de suivre un individu au plus près et de rompre l’isolement ressenti en partageant avec celui-ci des interrogations, des joies et des inquiétudes ; mais il est aussi en charge d’un groupe et se doit de susciter et d’encourager les interactions possibles et nécessaires à la motivation commune (effets de groupe signalés plus haut). L’archivage de pages sources permet par exemple de montrer au groupe comment un même contexte suscite des questions variées ou comment des questions identiques prennent source dans des contextes différents. Ici aussi, mais cette fois pour le groupe en tant que contenant et cadre (moment figuratif transitionnel selon Kaës), émerge un LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 41 41 espace de représentation des trajets, de reprise des étapes identifiables, d’identification des partenaires, ainsi qu’une temporalité retravaillée par le retour rétroactif sur des moments-clés. STRUCTURATION Les échanges évoqués n’ont rien de gratuit ; en ligne on travaille toujours dans l’urgence. La virtualisation de l’espace d’apprentissage, la désynchronisation des tâches mènent à l’inquiétude quant au trajet à faire ou en cours, à l’incertitude quant à sa valeur et à la nécessité de poursuivre, au fantasme quant aux partenaires potentiels (« les autres vont sûrement plus vite »), à la difficulté de se sentir satisfait, faute de feed-back crédible (interprétable par l’utilisateur). La survie, dans une formation en ligne, se jouera le plus souvent en termes de structuration vécue de l’usage du dispositif offert (Bourdet, Teutsch 2000). Il est donc nécessaire de disposer de ressources (outils) aidant l’utilisateur dans la compréhension du parcours proposé par la formation (logique, articulation) et dans la pertinence du trajet personnel suivi (pertinence, étapes, rythme). L’interface de tutorat permet d’articuler les trajets en cours et dans leur logique propre et entre eux, ceci afin d’aider l’apprenant à réguler son trajet. Dans la dernière version de notre interface tutorale (stages de Master 2 de Nicolas Bouron, Antoine Roquain et Marcel Pereira, avriljuin 2005, Lium), les seuils de réussite aux divers modules contenus dans le dispositif Croisières ont été rendus paramétrables par le tuteur qui peut ainsi adapter un critère essentiel d’évaluation du parcours programmé à la réalité des trajets d’apprentissage. La notion de « seuil » si liée habituellement au contrôle devient un outil régulateur ; ce qui est compréhensible dans la mesure où l’évaluation formative, à forte part auto-évaluative, semble bien mieux adaptée (parce qu’adaptable) à des dispositifs FOAD. C’est là un exemple concret d’outils de structuration portant sur le rythme et la pertinence des apprentissages, partageables parce que négociables par les partenaires de l’échange (tuteur et apprenant). Mais la portée d’un tel outil dépasse le seul échange entre tuteur et apprenant ; bien géré, il permet aussi à l’apprenant de se confronter aux autres, de situer sa position dans l’espace virtuel des apprentissages en cours : voir où chacun en est (lorsqu’une carte de navigation de l’ensemble du groupe est rendue accessible par le tuteur) et voir comment chacun y est parvenu (seuils de réussite variables selon les modules et les individus). * * * LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 Construction d’un espace virtuel et rôles du tuteur 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 42 42 L’espace virtuel est une métaphore permettant de se représenter l’échange des messages comme une continuité possible prenant du sens, mais aussi un outil de travail : ses composantes peuvent se compléter et s’articuler pour favoriser l’apprentissage. D’un côté une idée, un fantasme si l’on veut, flou et variable, mais utile parce que la nouveauté du contexte fait qu’on s’y sent perdu et qu’on a besoin de se le représenter ; mais de l’autre quelque chose de tout à fait tangible qui fait qu’on se déplace sur l’écran, entre les pages et les liens, qu’on peut choisir de communiquer par tel ou tel outil, tel « espace » collectif ou singulier. Comme cela a été signalé, la construction d’une représentation de cet espace virtuel s’opère à travers la structuration d’une durée, par l’enchainement de moments dont chacun a sa spécificité en termes de tâche réalisée et de type d’échange. Perriault (2002) pense que la navigation en ligne serait plus justement représentée par un portulan que par une carte planisphère : ce qui oriente le déplacement, ce qui en reste, n’est pas la cartographie d’un espace global, mais le tracé qui, d’un port à l’autre (d’un moment-espace à un autre), transcrit le temps du voyage. C’est dire que le trajet prime sur le parcours, le singulier sur le global et que naviguer, c’est se repérer par rapport à son propre déplacement en comparaison de ceux des autres, non en regard uniquement d’une carte générale des mouvements possibles qu’il faudrait lire pas à pas. Du singulier et du concret, des traces, voilà ce qui peut rendre appréhendable l’espace virtuel. Alors, la fonction essentielle du tutorat est bien une fonction d’orientation, d’aide à la décision quant aux priorités des déplacements utiles dans cet espace en développement ; travail de connaissance précise (dispositif, fonctionnalités, ressources disponibles, données archivées et classées, adaptation aux demandes) et d’imagination pour se projeter à la place de l’autre et se décentrer dans une empathie maximale (Rogers 1973) afin d’apprendre à voir. Ce qui lie espace virtuel perçu par les partenaires et interaction tutorale sera donc une navigation commune, tissée d’urgence, de proximité fragile parce que s’entrecroisent sensation de confiance et sentiment d’inquiétude. La dynamique des échanges tutoraux en ligne est alors fondée sur une instabilité chronique : on n’est jamais assez sûr d’être là où on le pense (étape franchie, priorité à venir) qui est aussi une force parce qu’elle accroit l’exigence d’évaluation personnelle, le souci d’exactitude des critères utilisés. Le travail du tuteur s’appuie sur cette exigence et ce souci. Il n’y a ni recette, ni leçon définitive sur ce type de tâche qui s’identifie par tâtonnement et recréation perpétuelle. De là qu’on travaille avec tout ce que l’on possède, et d’abord une image de soi confrontée à une image possible de l’autre, ensuite s’élabore LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 43 43 une image de nos échanges, de nos trajets croisés où l’espace traversé commence à prendre sens. La dimension imaginaire, si difficile à prendre en compte en termes de définition des dispositifs et des environnements, est partie intégrante de la fonction tutorale ; elle ouvre des pistes de formation pour les futurs tuteurs, mais également une perspective pour la conception de dispositifs de formation en ligne véritablement ouverts. Bibliographie BLANDIN, B. (1990). Formateurs et formation multimédia, les métiers, les fonctions, l’ingénierie, Les Éditions d’Organisation. BOURDET, J.-F., « Tutorat en ligne : un métier nouveau », revue Le Français dans le monde, n° 328, juillet-août 2003, p. 36-40. BOURDET, J.-F. 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Devant un domaine encore peu décrit et analysé, l’hybridation, cet article se donne pour objectif de catégoriser les seize formations du projet FLODI déjà conçues ou en train d’être créées. Dans un premier temps, nous caractériserons l’hybridation. La deuxième partie décrira ensuite brièvement le projet FLODI et exposera la méthode de recueil des données. La troisième partie présentera le critère qui, d’après notre analyse, permet le mieux de catégoriser les formations étudiées : le scénario de communication proposé en ligne. Elle tentera également d’établir quels facteurs déterminent les scénarios de communication. D éfinition de l’hybridation Les formations hybrides sont le résultat d’une mise à distance partielle d’une formation présentielle ou à l’inverse de l’intégration d’une composante présentielle dans une formation à distance. Il s’agit d’une « formation mixte » (Charlier et al. 2004), combinant les deux modes présentiel et à distance ; ces auteurs ne sont pas les premiers à utiliser l’adjectif « mixte » dans un contexte pédagogique. Gremmo (1995 : 48) LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 45 45 par exemple appelle un « système mixte » un dispositif dans lequel un certain type de travail en langues est fait sous forme d’apprentissage autodirigé, et d’autres types (souvent des activités d’expression orale) sous forme de cours animés par un enseignant. Pour l’instant, notons que « mixte » est utilisé une fois pour se référer à la présence ou l’absence d’une médiatisation technologique, une autre fois pour se référer au mode de formation (autoformation et hétéroformation). Le terme de « formation hybride » ou « dispositif hybride » semble s’imposer actuellement dans le monde francophone comme équivalent de l’anglais « blended learning ». Selon Charlier et al. (2004), « l’hybridation […] désigne […] des modes de formation à la croisée entre présence et distance : ils juxtaposent et parfois intègrent certaines modalités propres à chacun de ces deux types de formation ». En plus de l’intégration des deux modes présentiel et distantiel, ces dispositifs ont en commun d’afficher une centration sur l’apprenant. Or les manières de combiner la présence et la distance, ainsi que de se centrer sur l’apprenant, peuvent être multiples (Charlier et al. 2005). La définition des dispositifs hybrides par leur double modalité présentielle et distantielle, appuyée sur l’utilisation d’une plateforme d’apprentissage en ligne et une centration sur l’apprenant, reste très générale. Mais elle a ainsi l’avantage de référer à des formations aussi diverses que celles conçues dans le cadre de FLODI. Pour pousser plus loin une définition du terme, Charlier et al. (2005) proposent, à la suite de Depover et al. (2004), d’introduire la notion d’innovation. Les deux innovations sur lesquelles s’appuient les dispositifs hybrides, pour ces auteurs, concernent d’une part « l’articulation présence-distance » et d’autre part « l’intégration des technologies pour soutenir l’enseignement-apprentissage » : Ces deux innovations, introduites au même moment dans les systèmes de formation traditionnels, transforment donc l’ensemble des dimensions de ces dispositifs. Ceux-ci peuvent s’enrichir des travaux en formation à distance sur le suivi de l’apprenant et la centration sur l’activité. Les technologies quant à elles permettent notamment une plus grande ouverture des ressources et le développement d’espaces de mutualisation et d’interaction. L’innovation est à notre sens, dans le cadre des formations étudiées dans cet article, liée avant tout au projet lui-même : c’est la première fois qu’à Grenoble un financement régional et interuniversitaire est obtenu pour la conception de dispositifs hybrides en langues. Ces formations existaient pour la plupart déjà au préalable, sous forme de cours de langues pour spécialistes d’autres disciplines (Lansad). Les enseignants qui s’engagent dans la conception sont ensuite entièrement libres de définir le type de formation hybride voulue. Ils bénéficient du même soutien financier, de la mise à disposition des mêmes plateformes (Dokeos, Esprit et QuickPlace – choix qui a été effectué en concertation avec les enseignants concernés), ainsi que du dévelopLE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 Scénarios de communication en ligne dans des formations hybrides 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 46 46 pement des applications technologiques qui s’avèrent nécessaires. Si ce processus d’innovation est donc commun à toutes les formations, ce sont en revanche les options pédagogiques retenues qui divergent. C ontexte de l’étude et recueil des données LE PROJET FLODI FLODI est un projet Initiative Campus Action (INCA) – TICE, soutenu par la région Rhône-Alpes et la conférence académique des présidents d’université (CAPU : il est dirigé par Christian Degache ; sa durée est de 2004 à 2006 ; la suite du projet sera probablement financée dans le cadre des plans quadriennaux. La demande des cours de langue Lansad a augmenté à la suite du LMD, des besoins de certifications annoncées par le ministère et de l’encouragement d’une mobilité des étudiants. FLODI a pour objectif de diversifier l’offre et de proposer, à côté des cours présentiels, des formations qui allègent les contraintes du présentiel en combinant des séances présentielles et des séances en autoformation, avec des modalités variables. Ces formations s’alignent sur les niveaux de compétences du Cadre européen commun de référence pour les langues (Conseil de l’Europe 2001) et contribuent ainsi à aligner l’ensemble des formations Lansad dispensées à Grenoble sur les niveaux européens. Par ailleurs, à travers l’encouragement de la conception de « parcours scénarisés accessibles à distance », le projet vise à « mettre en conformité les formations avec […] les objectifs et démarches des dispositifs de certification (CLES en particulier) : apprentissage centré sur les tâches, perspective actionnelle (ex. : préparation au départ en stage à l’étranger) » (Degache 2004 : 1). D’autres objectifs sont la mutualisation des ressources pédagogiques entre les différents établissements partenaires du projet ainsi que l’utilisation des fonds de ressources des installations existantes (accès à Internet, espaces langues). Trois formules, ou types d’autoformation, sont prévues (cf. Degache 2004 : 2). Chacune correspond à la manière dont le présentiel et le distantiel s’articulent. Les enseignants-concepteurs ont ainsi le choix entre : – l’autoformation complémentaire (AFC), qui augmente le volume d’activité de l’étudiant (par exemple des exercices de grammaire ou des activités de compréhension orale) ; la progression et le volume horaire du cours présentiel n’en dépendent pas directement ; – l’autoformation intégrée (AFI), qui diversifie les modalités de l’apprentissage, donne une vie hors de la classe au groupe et assouplit les contraintes du présentiel ; certaines séquences peuvent être faites en autonomie au lieu d’être présentielles ; LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 47 47 – l’autoformation guidée (AFG), qui est une formation s’appuyant sur une plateforme d’apprentissage en ligne, avec un agenda et des interactions en ligne ; les séances en présentiel (ou regroupements) se font selon la disponibilité des participants. Scénarios de communication en ligne dans des formations hybrides L’on voit bien dans ce bref descriptif des trois formules comment le distantiel passe du statut d’un supplément à celui d’un remplacement partiel du présentiel pour finalement, dans un souci de plus grande souplesse au niveau de l’emploi du temps, n’intégrer que quelques regroupements « à la carte ». Les dispositifs effectivement conçus ne répondent cependant pas strictement à cette distinction, formulée au préalable (nous y reviendrons plus bas). RECUEIL DES DONNÉES En mai 2005, nous avons étudié seize dispositifs de formation hybrides qui étaient conçus ou en train d’être conçus ; leur liste se trouve à l’annexe1. Nous avons fait une analyse critériée des dispositifs en ligne qui nous étaient accessibles (N = 12). Les critères retenus étaient : le type d’activités proposées, le type d’échanges prévus, ainsi que la présence de consignes en ligne. Par ailleurs, nous avons adressé un questionnaire à chaque responsable de conception d’un dispositif, contenant des questions sur leur expérience antérieure avec les formations en ligne, leur vision de l’enseignement d’une langue étrangère ainsi que la caractérisation du scénario pédagogique et communicatif proposé dans FLODI. Le taux de retour des questionnaires est élevé (N = 15). Notre étude n’intègre pas d’observation directe des séances présentielles, vu la complexité et la longueur d’une telle observation. DESCRIPTIF GÉNÉRAL DES FORMATIONS Une grande variété de langues est représentée dans le cadre de ce projet. En effet, les dispositifs étudiés sont (par ordre alphabétique) : une formation en allemand, quatre en anglais (Afica, Odessa, UJF, Valet), une en arabe, une en chinois, une en espagnol, une en intercompréhension avec l’espagnol comme langue forte, deux en français langue étrangère (FLE : Amico, Palm), trois en italien (Caso Mai, Tutti a bordo !, langue juridique), une en japonais et une en russe. Ces dispositifs en sont à des stades d’avancement divers au moment de l’étude. Parmi les dispositifs pour lesquels nous disposons d’un retour de questionnaire, trois sont terminés, six avancés, cinq peu avancés et pour le dernier la mise à distance partielle n’a pas encore commencé. Les concepteurs sont des enseignants Lansad qui, pour la plupart, dispensaient déjà des cours présentiels pour le même type de public. Ils appartiennent aux trois universités grenobloises ainsi qu’à l’Institut national polytechnique de Grenoble. LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 1. Nous ne prenons pas en compte ici les autres formations existantes mais pour lesquelles nous n’avons eu ni de retour de questionnaire, ni accès aux contenus et activités mis en ligne. 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 48 48 Dans un tiers des cas, les concepteurs ont indiqué plus d’un seul type d’autoformation (voir les trois types plus haut) pour leur dispositif. Cela signifie soit que le dispositif est utilisé pour plusieurs formations et pour des publics différents par l’enseignant (cas majoritaire), soit qu’il contient différents parcours ne correspondant pas à la même formule. Si le même dispositif peut être utilisé par exemple aussi bien comme « autoformation complémentaire » que comme « autoformation guidée », alors le type d’autoformation ne peut pas servir de critère de distinction clair. L’étude des formations hybrides effectivement conçues nous montre qu’une autre distinction que celle du genre d’autoformation (AFG, AFC, AFI) peut être faite. Sur la base des contenus proposés en ligne, trois types de formation hybride peuvent être distingués : – la mise à disposition d’un ensemble d’activités et d’exercices, portant le plus souvent sur la compréhension orale, comme par exemple des chansons à écouter, puis lire, retranscrire et chanter en chinois ; – la proposition de parcours en ligne plus ou moins ouverts et complets ; par exemple, l’italien Tutti a bordo présente un voyage à travers des documents sur l’Italie moderne et contemporaine intégrant des activités variées dont certaines sont obligatoires et d’autres facultatives ; FLE Palm propose des activités visant à améliorer la méthodologie de compréhension orale à partir de vidéos segmentées et associées à des diapositives de présentations orales ou d’activités préalables d’activation des savoirs antérieurs sur les sujets abordés ; l’anglais Odessa offre un travail progressif sur la méthodologie par exemple de la lecture de la presse ou de la compréhension d’une œuvre cinématographique ; – la réalisation de tâches communes en ligne, comme la recherche d’un appartement sur Internet ainsi que la réalisation d’un exposé sur un fait d’actualité en allemand, ou encore la constitution d’un dossier de presse plurilingue sur des thèmes au choix en espagnol intercompréhension. Encore une fois et conformément à ce que nous avons constaté plus haut, la distinction en fonction du type d’autoformation affiché n’est pas pertinente : si les ensembles d’activités correspondent bien le plus souvent à des AFC, toutes les AFC ne sont pas pour autant des ensembles d’activités au libre service de l’étudiant ou bien dont l’enseignant demande la réalisation à tel moment de la formation. De plus, les deux autres types de dispositifs ne se distinguent pas non plus en fonction de la formule affichée. S cénario de communication : à la recherche des facteurs qui le déterminent Le type d’autoformation affiché ne distingue ainsi pas les dispositifs de manière satisfaisante. Cette distinction trouve son utilité dans la formuLE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 49 49 lation préalable du projet ainsi que dans la gestion administrative des dispositifs (elle sert à calculer le nombre d’heures présentielles obligatoires), mais elle ne rend pas compte de la différence effective entre les dispositifs réalisés. En revanche, le scénario de communication nous apparait comme un critère efficace pour catégoriser les dispositifs en question. Le terme de « scénario de communication » est utilisé par Tricot (2004). Pour lui, « un scénario, c’est un guide ouvert, un ensemble de possibles et non un ensemble de contraintes. Mais un ensemble structuré, de sorte que quand l’apprenant ne sait plus ce qu’il doit faire (il n’arrive plus à prendre de décisions) une suggestion d’action est là, disponible » (Tricot 2004 : 3). Il distingue un scénario de navigation, un scénario pédagogique et « dans les dispositifs distants, un scénario de communication » (Tricot 2004 : 2-3). Selon cette définition, le scénario de communication serait ainsi l’ensemble des possibilités d’interaction qu’a l’apprenant à sa disposition et qui lui sont clairement indiquées dans le cadre de sa formation (partiellement) en ligne. D’autres auteurs considèrent que l’interaction avec les autres acteurs de la formation n’est pas parallèle au scénario pédagogique, mais en fait partie intégrante (Nissen 2004 : 16, Quintin 2005 : 19). Le scénario pédagogique correspond à la prévision ainsi qu’à l’indication à l’intention de l’apprenant : – des objectifs de formation, des compétences préalables et de celles qui sont visées, des ressources et outils mis à disposition pour la réalisation des activités et tâches proposées, de la manière dont les activités sont liées et des tâches de production que l’apprenant devra réaliser ; – de ses possibles interlocuteurs et du type d’interaction qu’il peut avoir avec eux dans le cadre de sa formation, interactions qui sont considérées comme une aide dans son apprentissage. Le scénario peut être vu comme un guide qui décrit cet ensemble cohérent et structuré à l’apprenant, et qui lui indique du même coup ses libertés. Mangenot (2005) propose des variables pour décrire ce qu’il appelle le « scénario communicatif » – qu’il distingue, tout comme Tricot (2004), du scénario pédagogique. Ces variables sont pour lui d’ordre social, communicationnel, tutoral, temporel et instrumental. Notre analyse des dispositifs tient compte de certaines de ces variables. Ainsi, elle cherche à identifier leur scénario de communication à travers les interlocuteurs prévus pour l’apprenant (le tuteur, un ou plusieurs autres apprenants) et le statut qu’il a par rapport à eux, l’objet de leur interaction, le rythme des échanges ainsi que le type d’outil de communication utilisé (présence d’outils synchrones ou exclusivement asynchrones). LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 Scénarios de communication en ligne dans des formations hybrides 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 50 50 CATÉGORISATION DES FORMATIONS HYBRIDES EN FONCTION DE LEUR SCÉNARIO DE COMMUNICATION Les dispositifs d’apprentissage en ligne présentent actuellement une forte tendance collaborative. On observe cette même tendance en ce qui concerne les langues. Le pair est alors conçu comme un interlocuteur avec qui l’apprenant peut communiquer, ce qui augmente la pratique de la langue par rapport à des formes d’apprentissage plus centrées sur l’enseignant. De plus, l’interaction avec un pair est vue comme une source de co-construction des savoirs, en faisant référence au socio-constructivisme et au conflit socio-cognitif. Les dispositifs prévoient alors des scenarii communicatifs qui proposent à l’apprenant des interactions non seulement par le biais d’outils différents, mais aussi avec des interlocuteurs différents (tuteur, pairs). 2. Étant donné l’absence de tutorat, nous qualifierions plutôt cette aide à l’apprentissage de la prise de notes pendant des cours magistraux de didacticiel ou plus généralement d’outil que de formation à part entière. 3. La communication entre apprenants sans réalisation commune correspond ici à ce qui est fréquemment défini comme collaboration entre pairs ; cette collaboration demande aux participants un effort de concertation supérieur à ce que nous appelons une « communication entre apprenants sans réalisation commune ». 4. Le tableau 1 ne tient pas compte de deux des formations analysées, soit parce que leur conception hybride n’avait pas encore commencé (en russe), soit parce que les contenus visibles en ligne étaient trop multiples et hétérogènes pour pouvoir être caractérisés ici (une des formations d’anglais). L’interaction avec le tuteur est possible dans la quasi-totalité des formations FLODI, sauf dans un cas où un tutorat ne peut pas être envisagé pour des raisons de couts, cette formation s’adressant à un grand nombre d’étudiants et se situant hors cursus (FLE Amico)2. Dans la plupart des cas, l’interaction avec un tuteur est explicitement prévue et inscrite dans le scénario pédagogique. Lorsque l’on distingue les dispositifs en fonction de l’interaction prévue entre les apprenants participant à la formation (pas de communication entre apprenants, communication sans objectif collaboratif de réalisation commune et communication avec un tel objectif 3), on voit que les formations pour lesquelles le contact en ligne avec le tuteur n’est qu’optionnel sont en général également celles qui n’inscrivent pas la communication avec un ou plusieurs pairs dans leur scénario, comme le montre le tableau 1. Tableau 1. Interlocuteurs prévus pour l’apprenant 4 Communication entre apprenants avec réalisation commune Allemand (d) Anglais Afica (p) Espagnol intercomp. (d) Italien jur. (d) Communication entre apprenants sans réalisation commune Anglais Odessa (d) Espagnol (d) Italien Caso Mai (d) Italien Tutti a bordo ! (d) Japonais (p) Pas de communication entre apprenants (travail individuel) Anglais Valet (p) Arabe (d) Chinois (p) FLE Amico (–) FLE Palm (p) Légende : (d) contact avec le tuteur demandé et inscrit dans le scénario pédagogique (p) contact avec le tuteur possible au besoin (–) pas de tuteur prévu Scénario de communication entre apprenants Qu’une communication entre apprenants ne soit pas présente dans un dispositif ne signifie pas automatiquement qu’elle ne soit pas voulue par les concepteurs. En effet, la responsable pour la formation d’arabe LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 51 51 précise dans le questionnaire que la collaboration entre apprenants est envisagée mais n’est pour l’instant pas possible à cause de l’incompatibilité des plateformes avec les caractères arabes. Il apparait néanmoins dans le tableau 1 que l’on ne peut pas véritablement parler de tendance à l’apprentissage collaboratif pour ces dispositifs hybrides : ce mode d’apprentissage est proposé dans un tiers des formations seulement. Scénarios de communication en ligne dans des formations hybrides Dans les dispositifs intégrant une communication entre apprenants, ceux-ci ont toujours un statut d’égalité les uns par rapport aux autres. Ils échangent par le biais d’outils de communication asynchrones (forum, courriel, collecticiel) et souvent – mais pas de manière systématique – également au moyen d’outils synchrones (un clavardage et un awareness5 intégré dans les plateformes utilisées, Esprit ou Galanet). Notons qu’aucun dispositif sans communication entre apprenants ne contient un outil de communication synchrone. Cependant, la communication synchrone – en ligne ou hors ligne – ne se limite pas toujours à l’échange entre pairs. Dans l’anglais Odessa, il s’agit d’une communication téléphonique qui a lieu, à intervalles réguliers, entre le tuteur et un apprenant ; l’échange entre apprenants a alors lieu de manière asynchrone dans un forum. Identifier le mode dominant Selon Neumeier (2005 : 167), l’un des deux modes de formation qui sont combinés dans la formation hybride doit toujours être dominant si l’on veut pouvoir clairement exposer aux apprenants les objectifs d’apprentissage, l’organisation du dispositif et les activités à réaliser – ou autrement dit le scénario pédagogique. D’après les observations que nous avons faites, la présence et l’importance d’un scénario de communication en ligne dans une formation hybride participent à indiquer le statut que les concepteurs accordent à la composante distantielle de la formation. Ceci n’est pourtant pas systématiquement vrai : FLE Palm est une « autoformation guidée » dans laquelle le nombre d’heures distantielles est donc supérieur au nombre d’heures présentielles. Les concepteurs de ce dispositif ont cependant misé davantage sur l’interactivité6 que sur l’interaction. Un autre indicateur de l’importance attribuée au mode distantiel pourrait être le caractère clair, complet et exhaustif des consignes en ligne. Cependant, l’analyse des consignes des onze formations auxquelles nous avions un accès suffisant pour en juger, même si leur conception n’était pas toujours achevée au moment de l’étude, nous a permis de voir qu’un grand soin avait systématiquement été apporté à la formulation des consignes (à une exception près). La seule chose que les « autoformations guidées » comportent en plus des autres est un planning temporel, ou agenda prévisionnel, qui indique le déroulement des LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 5. L’awareness est un indicateur de présence en ligne combiné à une fonctionnalité de clavardage un à un. 6. L’interactivité correspond à la réaction de la machine par rapport à l’activité humaine (ex. l’ouverture d’une nouvelle page web suite à un clic ou l’affichage d’un feedback autocorrectif à la fin d’un exercice), l’interaction correspond à un dialogue entre deux ou plusieurs personnes, que ce soit en présentiel ou par machine interposée. 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 52 52 activités, avec qui elles sont faites, comment et où elles sont rendues ou bien si elles sont autocorrectives, etc. Conformément à la rédaction initiale du projet (Degache 2004 : 2), le planning est ici annoncé à distance parce que c’est le mode dans lequel les étudiants passent le plus de temps. Mais à part la présence du planning, nous ne pouvons pas confirmer l’hypothèse de Kerres (2001 : 277 ; cité par Neumeier 2005 : 167), selon qui le mode – présentiel ou distantiel – dans lequel les contenus sont présentés serait également le mode dominant de la formation. Par exemple, la formation en italien Tutti a bordo ! présente un ensemble complet et structuré de contenus et d’activités, alors que sa conceptrice explique dans la description de la formation qu’il s’agit pour ces contenus en ligne d’un complément au cours présentiel – et le mode dominant serait ainsi le présentiel. QUELS FACTEURS DÉTERMINENT LE SCÉNARIO DE COMMUNICATION ? Si une distinction cohérente entre les dispositifs peut avant tout être faite par leur scénario communicatif, encore reste-t-il à savoir à quoi sont dues les différentes approches adoptées. Nous avons déjà dit plus haut que ce n’est pas en fonction du type d’« autoformation » choisi. Nous avons cherché à savoir si c’est l’expérience antérieure des concepteurs dans des formations médiatisées, l’objectif d’apprentissage prioritaire de la formation, le niveau de langue visé, le type de tâche proposé ou bien le type de langue qui font opter les concepteurs pour tel ou tel type de scénario communicatif. Expérience antérieure des concepteurs Quatorze des quinze concepteurs qui ont répondu au questionnaire avaient déjà au préalable été impliqués dans une formation intégrant les TICE. Douze parmi eux ont également une expérience dans la formation à distance, en tant qu’étudiant, tuteur ou concepteur. Ni pour eux, ni pour ceux qui n’ont pas cette expérience, une répartition dans un seul type (voire dans deux types contigus) de scénario communicatif ne peut être faite. Notons simplement que ceux qui s’engagent dans la conception d’un dispositif de formation hybride sont globalement ceux qui sont déjà habitués à la formation médiatisée. Conformément à ce que constatent Charlier et al. (2005), la maitrise des environnements interactifs pour l’apprentissage humain (EIAH) est ainsi un facteur d’engagement dans l’innovation. Objectif prioritaire d’apprentissage Dans le questionnaire, les concepteurs ont classé par ordre d’importance les objectifs visés dans leur formation : la culture, la littérature, la grammaire, savoir communiquer, ainsi qu’un item « autre (précisez) ». LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 53 53 Ceux qui ont classé ce dernier item y ont toujours associé un objectif lié au domaine de spécialité et l’ont alors mis en première ou en deuxième position. Ce sont là les formations qui n’ont pas un public aussi hétérogène que les autres, mais un public plus ciblé (par exemple les étudiants d’un domaine de spécialité particulier). Les objectifs classés en première position se répartissent comme suit : savoir communiquer (6), autre (5), grammaire (4), culture (1), comme l’indique le tableau 2. Communication avec réalisation commune entre apprenants Allemand SC Anglais Afica G Espagnol intercomp. SC Italien jur. A Communication entre apprenants sans réalisation commune Anglais Odessa SC Anglais UJF A Espagnol SC Italien Caso Mai G Italien Tutti a bordo ! SCFLE Japonais SC Légende : SC = savoir communiquer C = culture Scénarios de communication en ligne dans des formations hybrides Pas de communication entre apprenants (travail individuel) Anglais Valet A Arabe G Chinois G FLE Amico A Palm A Russe C G = grammaire A = autre Tableau 2. Objectifs d’apprentissage prioritaires des formations7 Un lien se dessine dans ce tableau entre le classement de l’objectif communicatif en première position et la présence effective d’une communication entre apprenants dans le scénario de communication8. Lorsqu’un concepteur perçoit l’objectif communicatif comme étant le plus important, il propose toujours une communication entre apprenants en ligne (même si les formations avec d’autres objectifs prioritaires peuvent également prévoir cette communication), que ce soit de manière collaborative ou non. Niveau de langue visé Les niveaux de langue visés sont hétérogènes et vont du niveau A1 au niveau C1 sur l’échelle du Conseil de l’Europe (2001 : 26-27). Pour les langues difficiles et pour l’instant moins généralisées dans leur enseignement en France comme l’arabe, le chinois et le japonais, un niveau A1 est proposé. Aux niveaux un peu plus avancés A2 et B1, toutes les langues sont représentées, sauf le FLE. Les dispositifs pour le français s’adressent en effet aux étudiants étrangers qui sont venus faire leurs études en France et visent ainsi les niveaux élevés B2, C1 et C2. Une formation d’anglais vise également uniquement les niveaux forts, mais d’autres formations d’anglais existent pour les niveaux moyens. Il en est de même pour l’italien, où une formation couvre le niveau B1 et les deux autres les niveaux supérieurs. Même dans un dispositif comme celui du japonais, qui couvre le niveau le plus faible (A1), une communication entre apprenants est prévue. On LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 7. Ce tableau comporte des langues absentes dans le tableau 1, car nous disposons sur ce point des informations nécessaires pour les intégrer. 8. Un autre classement effectué en fonction des priorités des compétences visées n’a pas permis de recoupement cohérent avec notre tableau. 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 54 54 propose pour cela un forum où les étudiants discutent en français, ce qui est plus aisé pour les niveaux faibles, mais peut également correspondre une nouvelle fois aux problèmes technologiques liés aux écritures autres que latines. Dans les niveaux moyens et forts, ce sont à chaque fois aussi bien des scénarios communicatifs que non communicatifs qui sont prévus. Le niveau de langue visé n’est donc pas déterminant par rapport au scénario de communication choisi. Type de langue Les langues non européennes se situent pour la plupart dans la partie droite du tableau 2. Mais il nous semble hâtif d’en tirer la conclusion que l’enseignement de ces langues en France poursuive moins que d’autres des objectifs communicatifs ou actionnels. Premièrement, le japonais affiche clairement sa priorité d’un objectif communicatif et figure au milieu du tableau. Deuxièmement, des langues européennes figurent également dans la colonne de droite. Et l’écriture ainsi que la grammaire éloignées des langues européennes rendent ces langues difficiles ; les étudiants ont pour la plupart un niveau faible qui rend une communication peu aisée. Il s’y ajoute un nombre d’étudiants très élevé (environ 400 en chinois, qui utilisent tous le dispositif hybride) ainsi que l’incompatibilité déjà mentionnée entre le clavier français et la communication, par exemple en écriture arabe. Type de tâche attendu Nous distinguerons ici entre les dispositifs (1) qui proposent aux apprenants des activités de compréhension, accompagnées le plus souvent par des exercices autocorrectifs et des liens vers des aides telles que des dictionnaires, d’une part, et ceux (2) qui proposent également dans le mode distantiel des tâches de production telles qu’une rédaction ou un exposé, d’autre part. Le recoupement avec notre tableau se fait de manière très nette. Toutes les formations dont une communication entre apprenants en ligne est absente font partie de la première catégorie, les formations contenant une telle communication s’inscrivent dans la deuxième catégorie (avec pour seule exception le dispositif de japonais). Lorsqu’une tâche de production est demandée à l’apprenant, celle-ci est souvent liée à une recherche préalable d’informations sur Internet, à des fiches méthodologiques sur la recherche d’informations ainsi que sur la manière de réaliser la tâche et, comme nous venons de le dire, à un échange avec d’autres apprenants. La proposition d’un tutorat (indiquée par « (d) » dans le tableau 1) est également presque toujours liée à une tâche de production… pour la correction de la production, pourrait-on dire. Ce lien n’est pourtant pas systématique. Ainsi, le dispositif d’arabe prévoit du tutorat sans pour autant intégrer une tâche de production en ligne et à l’inverse, dans les dispositifs anglais Afica et espagnol intercompréhension, le tuteur n’a LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 55 55 pas pour fonction la correction alors qu’une tâche de production est demandée. Dans ce dernier dispositif, ce sont d’autres étudiants, à l’étranger, avec qui les apprenants interagissent, qui remplissent ce rôle. Scénarios de communication en ligne dans des formations hybrides * * * Puren a récemment émis l’hypothèse que les enseignants de langues adoptent aussi facilement et aussi massivement les TICE parce que ces dernières répondent par leur souplesse et leur diversité d’utilisations possibles aux «besoins d’éclectisme méthodologique» ressentis (Puren 2004 : 239). Notre analyse des dispositifs de formations hybrides FLODI demanderait à être complétée, notamment par une étude du mode présentiel et de son articulation avec le mode distantiel. Néanmoins, notre recherche des points communs dans la grande diversité de ces formations nous permet de donner une première réponse, liée au contexte étudié. Ainsi, les choix effectués ne relèvent pas toujours d’une décision délibérée des enseignants, car ces derniers ne sont pas entièrement libres dans la conception de leur formation. Ils doivent tenir compte de contraintes telles que la compatibilité des outils et de l’écriture de la langue (pour les langues non européennes), du nombre d’étudiants qui peut être extrêmement élevé ainsi que de la rémunération possible ou non d’un tuteur (comme dans le cas de FLE Amico). Néanmoins, des parallèles sont visibles entre des dispositifs qui poursuivent des objectifs similaires – et qui répondent ainsi à des «besoins» similaires. Comme l’a montré notre analyse, ce sont, dans les formations en question, le type de tâche proposé aux apprenants (de compréhension ou également de production) ainsi que la poursuite d’un objectif communicatif prioritaire qui conditionnent la présence et le degré de la communication entre les acteurs de la formation. En schématisant – ce qui implique toujours certaines généralisations – on peut représenter ces parallèles de la manière suivante : Figure 1. Distinction des formations FLODI en fonction de leur modalité principale retenue (interactivité ou interaction) interactivité interaction communication activités de compréhension et autres aides collaboration activités de compréhension et autres aides + tâches de production + tâches de production individuelles communes objectif communicatif outils de communication asynchrones outils de communication asynchrones et synchrones tutorat9 LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 9. S’il est possible d’affirmer que l’importance accordée au tutorat est généralement plus grande dans les dispositifs qui misent sur l’interaction davantage que sur l’interactivité, on ne peut en revanche pas établir une telle gradation entre les dispositifs prévoyant communication ou bien collaboration entre apprenants. 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 56 56 Lorsqu’on interroge les enseignants sur la différence qu’ils voient entre leurs cours en présentiel et le dispositif hybride conçu pour FLODI, quatre aspects principaux se dessinent. Les deux premiers concernent la médiatisation. Ainsi, certains concepteurs voient dans le mode distantiel la possibilité de donner aux apprenants un accès à des ressources supplémentaires, telles que des exercices autocorrectifs, des blogs ou des animations rich media10. En revanche, d’autres concepteurs mettent en avant le caractère relativement figé des contenus à distance : les contenus médiatisés ne sont pas modifiés et adaptés en cours d’année comme l’enseignant le ferait dans un cadre présentiel (cet aspect est également souligné par Neumeier, 2005 : 172). D’autres au contraire mettent en avant l’interaction humaine et soulignent la qualité du suivi possible pour l’enseignant (qui devient tuteur à distance) ; il peut mieux adapter le suivi de l’étudiant et ainsi mieux l’aider. Le dernier aspect abordé est celui de l’impossibilité de donner un tel cours en présentiel, dans un cas parce qu’il n’est pas inscrit dans les cursus, dans l’autre parce qu’il s’agit d’une communication plurilingue à laquelle participent des locuteurs natifs des différentes langues d’une même famille. Ainsi, si la mise à distance partielle rigidifie quelque peu la formation, elle lui ouvre en même temps de nouvelles possibilités. Et ces possibilités se situent, entre autres, au niveau des modes de communication entre les différents participants de la formation. L’interaction sociale est, selon Osguthorpe et Graham (2003, cités par Charlier et al. 2005), l’une des raisons principales qui font qu’un enseignant recourt à l’hybridation. Les commentaires des concepteurs dans le projet FLODI indiquent que certains misent avant tout sur cette interaction et notre catégorisation montre que la majorité d’entre eux prévoient et explicitent un scénario de communication en ligne. Bibliographie 10. Ces dernières correspondent à la diffusion d’une vidéo sur Internet, accompagnée de l’affichage d’autres documents de type texte, diapositives de présentation ou graphiques, synchronisés avec le discours de la personne filmée. CHARLIER, B., DESCHRYVER, N., PERAYA, D. (2004). « Articuler présence et distance, une autre manière de penser l’apprentissage universitaire», 21e Congrès AIPU (Association Internationale de Pédagogie Universitaire), Marrakech, 3-7/05/04. CHARLIER, B., DESCHRYVER, N., PERAYA, D. (2005). « Apprendre en présence et à distance – À la recherche des effets des dispositifs hybrides », Réseau Éducation Formation (REF), 15-16/09/05, Montpellier. CONSEIL DE L’EUROPE (2001). Cadre européen commun de référence pour les langues – apprendre, enseigner, évaluer, Didier. DEGACHE, C. (2004). Descriptif du projet FLODI, http://agora2.grenet.fr/flodi DEPOVER, C., QUINTIN, J.-J. et al. (2004). D’un modèle présentiel vers un modèle hybride : étapes et stratégies à mettre en œuvre dans le cadre d’une formation destinée à des fonctionnaires locaux. Distances et savoirs 2 (1), 39-52. LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 57 57 GREMMO, M.-J. (1995). « Savoir apprendre, pouvoir apprendre sans se faire enseigner », Verbum XVIII n° 1/1995-1996, 39-49. KERRES, M. (2001). Multimediale und telemediale Lernumgebungen, München, Oldenburg. MANGENOT, F. (2005). « Projets pédagogiques en ligne. Spécificités et conditions de réussite », Communication orale au congrès « Le français et le plurilinguisme en Europe », Rome, 17-19 février 2005. MASPERI, M., BALZARINI, R. (2003). « Autonomie, environnements multimédias et apprentissage des langues : le cas de l’italien à l’Université Stendhal de Grenoble », in DESMOULINS C., MARQUET P., NISSEN E., EIAH 2003 annexes, Atief/ULP, 117-122. NEUMEIER P. (2005). « A closer look at blended learning – parameters for designing a blended learning environment for language teaching and learning », ReCALL 17 (2), 163-178. NISSEN E. (2004). « Importance du scénario pédagogique dans l’apprentissage d’une langue étrangère en ligne », Les Langues modernes 4, 14-24. OSGUTHORPE, R.-T., GRAHAM, C.R. (2003). 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Liste des formations concernées Langue URL Consulté Allemand http://ute.umh.ac.be/esprit/index2.php?idForm=81 oui Anglais Afica http://agora2.grenet.fr/afica2004 http://www.u-grenoble3.fr/exercices_flodi/afica/html (oui) Anglais Odessa http://languagelearningresourcecenter.org/anglais/odessa oui Anglais UJF http://dsu-net.ujf-grenoble.fr/pool non Anglais Valet http://agora2.grenet.fr/extratice oui Arabe http://agora2.grenet.fr/flodi-arabe non Chinois http://opus.grenet.fr/dokeos/flodi oui Espagnol http://ute.umh.ac.be/esprit/index2.php?idForm=55 oui Espagnol (intercompréhension) http://ute.umh.ac.be/esprit/index2.php?idForm=48 oui FLE Amico http://opus.grenet.fr/dokeos/flodi oui FLE Palm http://opus.grenet.fr/dokeos/palm (entrée visiteur limitée) oui Italien Caso Mai http://ute.umh.ac.be/esprit/index2.php?idForm=40 oui Italien Tutti a bordo ! oui http://ute.umh.ac.be/esprit/index2.php?idForm=41 Italien juridique - non Japonais http://w3.u-grenoble3.fr/exercices_flodi/ exercices_japonais/flodi.htm + forum sur Dokeos : http://opus.grenet.fr/dokeos/flodi/CL6aa7 oui Russe – non LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 Scénarios de communication en ligne dans des formations hybrides 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 58 58 A spects du contrat didactique dans une formation plurilingue ouverte et à distance CHRISTIAN DEGACHE UNIVERSITÉ STENDHAL - GRENOBLE 3, LIDILEM 1. Cet article fait suite à une communication présentée dans le cadre du colloque organisé en mai 2005 à Grenoble par le laboratoire LIDILEM de l’Université Stendhal et le GRAFE de l’Université de Genève sur le thème « Langage, objets enseignés et travail enseignant en didactique du français ». Les formations en langues, ouvertes et à distance, permettant à des groupes d’étudiants d’interagir à distance tout en se réunissant physiquement avec un enseignant ou tuteur au niveau local – soit un type de formation hybride (voir Nissen, ici même) – se développent depuis quelques années en mettant à profit l’évolution des moyens technologiques. C’est le cas par exemple des projets Cultura (Furstenberg et English, ici même), Incontro, Galanet. Compte tenu des modalités d’organisation spécifiques de ces formations, de leur scénario et des dispositifs informatisés qui permettent de les mettre en place, les membres de l’encadrement pédagogique sont amenés non seulement à y assumer des tâches nouvelles, mais également, sans doute, à être plus vigilants sur les comportements et démarches des apprenants. Cependant, on connait encore mal les fonctions de tutorat dans de telles formations, a fortiori si elles ménagent la place à plusieurs langues. Certes la recherche s’est penchée ces dernières années sur le tutorat en ligne mais encore peu dans le contexte des communautés d’apprentissage plurilingues. On sait, grâce aux travaux conduits dans une perspective ethnographique, que la classe de langue est régie par une série de contrats plus ou moins explicites entre enseignant et apprenants (Cambra Giné, 2003). Mais dans les formations plurilingues ouvertes et à distance, comment la participation des uns et des autres s’organise et se régule-t-elle ? Peut-on y retrouver une distribution des rôles, droits et obligations semblable à la classe de langue ? Comment y sont assurées en particulier les fonctions métacommunicatives cardinales de l’enseignant (L. Dabène 1984) ? Cette étude1 empirique tente d’explorer cette problématique à partir des interactions romanophones recueillies sur la plateforme Galanet (www.galanet.be), essentiellement dans les outils dédiés aux interactions écrites asynchrones (forum) et LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 59 59 synchrones (clavardage ou salon de chat). L’hypothèse est faite ici qu’une nouvelle distribution de ces fonctions est stimulée par les scénarios d’apprentissage et d’encadrement d’une part, par un contrat spécifique construit dans l’interaction par les étudiants d’autre part. C adre théorique Prenant appui sur les travaux descriptifs et comparatifs entre les interactions en face-à-face et les interactions médiatisées par ordinateur, quelques recherches se sont employées à identifier dans ces dernières des séquences favorables aux acquisitions (Degache, 2004, Araújo et Melo, ici même), ce que la recherche sur l’acquisition en milieu naturel ou « non guidé » conduite par les interactionnistes (De Pietro, Matthey et Py, 1988, Py, 1990, Matthey, 1996) a qualifié de « séquences potentiellement acquisitionnelles ». Ces travaux ont tenté de décrire ces séquences et d’en identifier les propriétés. Parmi celles-ci, la présence d’un contrat didactique semble déterminante. Pour les chercheurs travaillant sur le contexte d’apprentissage de la classe de langue, autrement dit en « milieu guidé », le contrat didactique recouvre néanmoins un ensemble plus large « de savoirs, de représentations et d’attentes sur l’adéquation des comportements interactionnels dans un groupe culturel » (Cambra Giné, 2003 : 83). À travers une approche ethnographique, Cambra Giné (op. cit.) présente le contrat spécifique à la classe de langue étrangère comme un ensemble à trois dimensions, où elle distingue le contrat didactique au sens que lui donnent les interactionnistes de deux autres types de contrats : le contrat d’apprentissage et le contrat de parole. Nous présenterons ici ces trois dimensions contractuelles qui nous serviront ensuite comme cadre général d’analyse des interactions plurilingues recueillies sur la plateforme Galanet. Le contrat d’apprentissage est celui qui « engage professeurs et élèves dans une situation éducative institutionnelle » (Cambra Giné, op. cit.) : une fois cette situation identifiée, les individus adoptent des comportements conformes à la culture scolaire héritée et vécue. Si bien que la relation enseignant-apprenant apparait comme fortement prédéfinie à travers un « contrat de devoirs et de droits réciproques qui suscite chez l’un comme chez l’autre un certain nombre d’attentes et de représentations » (Boissat, 1991, in Cambra Giné, 2003 : 84). Appliqué à la classe de langue, ce contrat se traduit par le droit donné aux élèves de demander toutes sortes d’explications et d’aides et par le droit du professeur de les solliciter, de les évaluer, de les corriger, en plus du devoir de gérer les activités, de contrôler l’organisation et l’ordre, etc. En outre, Cambra Giné précise que ce contrat « fonctionne implicitement et fait partie des représentations sociales » et n’est explicité que « dans les situations interculturelles ou de transgression des règles, ou encore LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 Aspects du contrat didactique dans une formation plurilingue ouverte et à distance 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 60 60 pour recadrer une activité ». Dès lors qu’un environnement comme la plateforme Galanet constitue une situation éducative institutionnelle, il y a lieu de se demander comment ce contrat d’apprentissage se met en place : les droits et devoirs y sont-ils particuliers ? 2. Dite « complémentaire » (Vion, 1992 : 124). 3. Ou, autrement dit, « si la situation est régie par un contrat didactique, explicite ou non, le natif peut, et même doit, transmettre ses connaissances linguistiques, l’alloglotte quant à lui se doit de manifester qu’il prend en compte les connaissances que le natif lui transmet » (Matthey, 1996 : 57). Le contrat didactique : pour Cambra Giné (op. cit.), la classe de langue actualise également le contrat didactique tel que le définissent les chercheurs interactionnistes dans leurs travaux sur la « communication exolingue » (Porquier, 1984) en milieu social (dit aussi « non guidé ») qui met en présence des locuteurs dont les compétences linguistiques sont asymétriques. Cette asymétrie est assumée et prise en charge par les locuteurs dans l’interaction2, comme peuvent l’être les échanges dans une langue donnée entre « natifs » de cette langue et « non-natifs ». Cambra Giné explique qu’il y a contrat didactique quand « en plus de la volonté de communiquer malgré les difficultés, l’alloglotte compte sur l’aide du natif pour apprendre et le natif lui offre cette aide »3. Ce contrat didactique est une des conditions requises pour favoriser l’acquisition, parce qu’il constitue une « convention (explicite ou non) autorisant l’hétérocorrection sans mise en danger de la face de celui à qui elle est adressée » (Py, 1997 in Gajo et al., 2004:141). Il peut se mettre en place spontanément et implicitement, à travers différents indices significatifs pour les participants, ou bien de façon tout à fait explicite et anticipée comme c’est le cas en milieu institutionnel (ou « guidé ») parce que, comme le rappelle Cambra Giné (2003 : 85), il est « dans la nature même de la situation institutionnelle ». Bien que la communication exolingue ne se limite pas à l’échange entre « natif » et « non-natif », la plupart des travaux de recherche faisant appel à cette notion ont porté sur ce cas particulier d’interactions, que Matthey et De Pietro (1997), dans leur classement des interactions verbales en quatre types, qualifient d’exolingues-unilingues. Les trois autres types considérés sont endolingueunilingue (asymétrie linguistique minimale dans une seule langue), endolingue-bilingue (asymétrie minimale entre les locuteurs dans deux langues ou parler bilingue), et exolingue-bilingue (deux langues inégalement maitrisées sont utilisées par les interlocuteurs). Or, les interactions plurilingues dont il est question ici, recueillies en situation d’intercompréhension ou, autrement dit, de « compréhension croisée » puisque chacun s’exprime en général dans la langue romane qu’il maitrise le mieux, constituent une extension de ce dernier type que nous pourrions qualifier d’exolingue-plurilingue puisque plusieurs langues, inégalement maitrisées, sont utilisées délibérément par les interlocuteurs. Il s’agit donc ici, en général, d’interactions entre « natifs » de différentes langues. Le contrat de parole est présent dans tout échange communicatif, mais, toujours selon Cambra Giné (2003 : 85), « il existe en classe de LE un contrat de parole ou de communication spécifique, implicite, qui régit les conditions de réalisation des échanges ». Ce contrat détermine une LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 61 61 certaine structuration de l’interaction, un « certain sens illocutoire des actes », l’alternance des tours de parole, des normes discursives spécifiques et, un aspect qui s’avère particulièrement important pour notre étude compte tenu du caractère plurilingue des échanges, le choix des langues selon les situations et les fonctions, ce que Cambra Giné appelle très justement le « contrat codique ». Dans ce qui suit, nous présenterons brièvement le dispositif qui a permis de recueillir les interactions, puis nous chercherons à identifier les traces « contractuelles » de leur organisation et régulation. Nous procèderons alors à une caractérisation et une classification de ces traces. D ispositif et recueil des données Le corpus est constitué des interactions plurilingues asynchrones et synchrones obtenues lors des premières sessions de formation à l’intercompréhension des langues romanes4 sur la plateforme Galanet5. Le principe d’une session est de réunir dans cet environnement collaboratif des locuteurs de différentes langues romanes (espagnol, français, italien, portugais) de façon à leur permettre de développer leurs compétences d’intercompréhension, c’est-à-dire leurs capacités à comprendre les langues des autres et à se faire comprendre dans l’interaction autour d’une tâche commune. La plupart des participants sont des étudiants, constitués en équipes dans le cadre de leur formation en langues. Les sessions regroupent donc des équipes issues de différents établissements de formation européens et latino-américains, le plus souvent des universités. Le scénario d’apprentissage (Quintin, Depover et Degache, à paraitre) de Galanet permet en quatre phases (une session) d’aboutir à la publication collaborative, sur la page d’accueil du site, d’un dossier quadrilingue (dit « dossier de presse »), autour d’un thème choisi au moyen d’un processus modéré de négociation et de vote. Ce processus s’articule autour du forum6, véritable plaque tournante du scénario. Le choix du thème, en plus de la prise de contact initiale, constitue l’objet de la 1re phase du scénario de la session. La 2e phase vise à faire dégager différentes pistes de travail et réflexion au sein de ce thème, puis, au cours d’une 3e phase, ces pistes sont établies en rubriques et étayées de documents fabriqués ou pointés sur Internet, de façon à alimenter les réflexions et les échanges dans les groupes rédactionnels plurilingues constitués. Enfin, dans la 4e phase, le dossier de presse quadrilingue est mis au point et publié7. Du point de vue langagier, à travers ce processus de production collaborative et au moyen d’« interactions contingentes » (Lamy, 2001 : 132), tout participant doit être amené à LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 Aspects du contrat didactique dans une formation plurilingue ouverte et à distance 4. Sessions ayant eu lieu de février à mai en 2003, 2004 et 2005 et respectivement dénommées « Protosession », « Canosession » et « Verba Rebus ». 5. Ce projet, financé avec le soutien de la Communauté européenne dans le cadre du programme Socrates, action Lingua 2 (n° 90235 1/10/2001 au 30/11/2004), a été mené à bien par sept universités partenaires : Université Stendhal Grenoble 3 (coordinateur), Université Lumière Lyon 2, Universidade de Aveiro, Universitat Autònoma de Barcelona, Universidad Complutense de Madrid, Università degli Studi di Cassino et Università di Pisa (associée), Université de Mons-Hainaut. 6. Les forums sont accessibles en tant que « visiteur » sur www.galanet.be, rubrique « Sessions terminées » > choix d’une session > « Visiteur » > « Forum ». 7. Pour mener à bien ce scénario, cinq catégories d’éléments sont disponibles : des outils de communication (forum, messagerie, clavardage, messagerie instantanée, panneau d’affichage) ; des espaces de travail collaboratif et leurs outils ; des ressources linguistiques, stratégiques et pédagogiques ; des outils de profilage et d’identification ; des outils de suivi statistique et d’archivage. 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 62 62 développer ses compétences de réception et d’interaction dans les langues peu ou pas connues en prenant appui sur ses pré-acquis (au moins une des quatre langues doit être maitrisée au départ). Le scénario d’encadrement « qui précise les modalités d’intervention des enseignants tuteurs telles que conçues afin d’appuyer le scénario d’apprentissage » (Quintin et al., op. cit.) est le suivant : le « responsable de session » met en place la session et assure la succession des différentes phases. Chaque établissement impliqué dans une session est placé sous la responsabilité d’un coordinateur local qui crée les équipes, inscrit les participants étudiants et animateurs et assure la coordination. Il est de préférence un des animateurs de ces équipes. Enfin, l’animateur a la responsabilité d’une équipe dont il organise et dynamise le travail, en présentiel8 et à distance. Si la désignation retenue, « animateur », met l’accent sur la fonction de meneur de jeu de l’enseignant de langue, les fonctions d’évaluateur et de vecteur d’informations (qui justifient en général la désignation de tuteur) lui incombent également. Mais le scénario d’apprentissage est ainsi conçu que l’on attend de la part des étudiants qu’ils assument également, par délégation (Quintin et al., op. cit.), un rôle d’animation, voire de tutorat. En vertu du principe d’étayage réciproque en vigueur par exemple dans les apprentissages en tandem (Helmling, 2002), l’hypothèse est faite ici que l’assistance que se fournissent les apprenants dans l’interaction bénéficie directement aux compétences langagières visées. Nous verrons que cette dimension, ajoutée aux données de la situation d’apprentissage, a d’importantes conséquences sur la mise en place des trois contrats passés en revue précédemment. A nalyse des données L’identification des traces des trois contrats se fait dans un volume important d’interactions : Session _ 8. Les équipes se réunissent physiquement dans leur établissement au rythme d’une fois par semaine en général, pour définir la stratégie de l’équipe, faire le point sur leur participation et sur le déroulement de la session, mettre à profit les échanges pour développer les compétences de compréhension et d’interaction plurilingue… Protosession 2003 Canosession 2004 Verba Rebus 2005 Nb équipes Participants actifs 10 74 13 120 15 180 Messages du forum % étudiant 716 51 % 1 027 90 % 1 198 87 % Nb chats effectifs ≈ 30 ≈ 40 ≈ 60 LE CONTRAT D’APPRENTISSAGE Une mise en œuvre en partie autonome Un moment de particulier intérêt à considérer pour la mise en place du contrat d’apprentissage est constitué par le démarrage d’une session. LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 63 63 En premier lieu, on vérifie l’hypothèse selon laquelle ce contrat n’est verbalisé que dans certains cas, notamment dans les situations interculturelles (Cambra Giné, 2003 : 84). C’est en effet ce que font spontanément beaucoup d’étudiants, la dimension interculturelle étant perçue comme le principal attrait de la formation. Il s’agit en quelque sorte d’un contrat d’apprentissage interculturel réciproque à visée prospective et à valeur d’incitation et/ou de souhait9 : Aspects du contrat didactique dans une formation plurilingue ouverte et à distance E98P1_190203 j’espère que cette expérience va nous permettre de nous connaitre un peu mieux et de « détruire certaines idées reçues » que nous avons sur les autres langues romanes et leurs cultures De souhait, la valeur illocutoire glisse parfois jusqu’à l’engagement ou même l’adhésion, concernant la communication et parfois l’intérêt des technologies. Cela amène certains étudiants à verbaliser leurs objectifs d’apprentissage, y compris en interpellant les autres participants. Ces verbalisations, de nature métacognitive car concernant les possibilités de comprendre et d’améliorer les propres compétences, portent sur les attentes autour des vertus de l’échange exolingue-plurilingue. Du reste on les retrouve dans les clavardages, comme dans cet exemple hispano-portugais où les interactants concluent un contrat d’apprentissage collaboratif : 17/03/2004 C1, salon rouge, entre Vasco, Portugais [E229C], et Liliana, Argentine en espagnol [E179C]10 [Liliana] Vasco de donde sos??? Vasco tu es d’où? [Vasco] eu sou de portugal, estou je suis du Portugal em aveiro. [Vasco] e tu ? et toi ? [Liliana] Yo soy del grupo Che Río Je suis du groupe Che Río Cuarto. Cuarto. Que suerte que voy a Quelle chance que je puisse pratipoder practicar el portuges ya quer le portugais étant donné que se me dificulta a la hora de la que j’ai des difficultés de comprécomprension escrita hension écrite [Liliana] :) :) [Vasco] pratica que eu ajudo… pratique, moi je t’aide… et toi tu também tens de me ajudar a pra- dois m’aider aussi à pratiquer l’esticar o espanhol, que eu também pagnol, moi aussi j’ai quelques tenho algumas dificuldades :) difficultés :) [Liliana] Entonces esta sesion nos Alors cette session va nous aider va a ayudar a los dos. tous les deux. On peut voir là une spécificité de ce type d’interactions en ligne par rapport aux interactions de la classe de langue traditionnelle. Une des trois fonctions cardinales de l’enseignant de langue, selon Louise Dabène (1984b : 134), est celle de « meneur de jeu » (ou animateur précisément), fonction qui s’actualise par « toute une série d’opérations régulatrices du discours » dont les « opérations d’incitation à la prise de parole » (interrogations, injonctions, intonations montantes…). Or, dans le cas présent, tout se passe comme si le scénario d’apprentissage et le contexte de la communication plurilingue en ligne créaient les conditions pour que les participants-étudiants assument eux-mêmes cette fonction, mettant ainsi en pratique une forme d’apprentissage autoLE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 9. Dans les interactions rapportées, les participants et les sessions sont anonymés et codés de la manière suivante : une lettre pour le statut (E étudiant, A animateur, C coordinateur local, R responsable de session), un numéro d’ordre dans la session, la désignation de la session (P protosession, C canosession et VR Verba Rebus) et le numéro de la phase. Par ailleurs les noms des participants ont été modifiés. 10. Les extraits sélectionnés, que nous estimons représentatifs, l'ont été en fonction de notre questionnement. Par ailleurs, ils n’ont fait l’objet d’aucune correction. La traduction est spécifiée en parallèle ou dans l’échange, entre crochets. La langue d’origine est précisée en introduction de l’extrait ou entre parenthèses. 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 64 64 dirigé (Holec, 1998). C’est en tout cas ce qui transparait sur la plateforme, même si on n’ignore pas qu’au niveau de l’équipe lors des regroupements en présentiel, voire sur la plateforme dans des espaces non archivés (messageries, panneau d’affichage…), les injonctions à la participation émanant de l’encadrement n’ont pas manqué. Opérations d’auto-régulation Mais établir et maintenir un contrat d’apprentissage dans une telle formation, compte tenu de ses caractères hybride et plurilingue, de sa nouveauté pour les participants, ne va pas de soi, contrairement à la classe de langue traditionnelle. On peut donc voir apparaitre des manifestations d’interrogations et de doutes chez les étudiants, comme chez ce Portugais par exemple dans un courriel envoyé à tous : E240C1_030304 OI ainda não percebo muito disto mas gostava de saber se mais alguem está como eu?;) é para não ser o unico… Ainda está no principio mas penso que vou gostar deste forúm… Bem até qualquer dia Xau a todos (portugais) [SALUT je ne comprends pas encore très bien tout cela mais j’aimerais savoir si quelqu’un d’autre est comme moi ?;) c’est pour ne pas être le seul… Ce n’est que le début mais je pense que je vais aimer ce forum… Bon à un de ces jours Ciao à tous] C’est sans doute pour cela que certaines contributions visent précisément à établir les règles de comportement à adopter dans cette situation éducative institutionnelle inconnue, où l’on ne peut pas prendre comme référence une « culture scolaire héritée et vécue » (Cambra Giné, 2003), ou à tout le moins doit-on l’adapter de manière à établir le « contrat de devoirs et de droits réciproques » entre enseignant et apprenant qui constituera le contrat d’apprentissage. C’est ce que fait Eugenio [EC146] au début de la canosession en proposant une règle de navigation : E146C1_260204 sarei molto contento di formare uno spirito di squasra tra noi, che ne dite di cominciare facendo una cosa: ogni volta che entriamo in galanet entriamo nel bar, in modo tale che tutte le volte che siamo connessi in più di due persone possiamo parlare, discutere, conoscerci meglio, senza doverci cercare dandoci appuntamenti improbabili… voglio imparare a conoscervi tutti, quindi sarebbe molto bello fare ciò che ho proposto… CIAO! (italien) [je serais très content de susciter un esprit d’équipe entre nous, que dites-vous de commencer à faire une chose : chaque fois que nous entrons dans Galanet entrons dans le bar [chat non archivé], de façon que toutes les fois que nous sommes connectés à plus de 2 personnes nous pouvons parler, discuter, nous connaitre mieux, sans devoir nous chercher en nous donnant des rendez-vous improbables… je veux apprendre à vous connaitre tous, alors ce serait très bien de faire ce que j’ai proposé… CIAO !] Cette suggestion d’un principe de navigation à chaque visite de Galanet, explicitement bien reçue par plusieurs étudiants dans le même sujet, correspond à ce qu’on pourrait attendre d’un animateur en début de session. On peut voir là en effet une double opération de ponctuaLE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 65 65 tion de l’échange (interpellatif « che ne dite di/que dites-vous de ») et d’incitation (« sarei molto contento/je serais très content », « sarebbe molto bello/ce serait génial »). En réalisant ces opérations en début de session, l’étudiant fait preuve d’autonomie mais il tend également à prouver que le dispositif la favorise. Aspects du contrat didactique dans une formation plurilingue ouverte et à distance La fonction d’animateur ou meneur de jeu Cette fonction, assumée dans la classe traditionnelle par l’enseignant et participant très largement de la mise en œuvre du contrat d’apprentissage, est ici assurée par l’encadrement pédagogique à travers un certain nombre d’opérations. Il convient de préciser à ce sujet qu’après la première session en 2003, les animateurs ont été invités par les responsables du projet à participer de manière moins directe dans le forum11. Il leur est désormais recommandé de stimuler les échanges, non pas en utilisant en premier lieu le forum, mais plutôt au moyen des autres outils (messagerie, tableau d’affichage…), moins liés à la tâche collaborative, et en mettant à profit les regroupements en présentiel et en ligne (clavardages entre équipes). En outre, il est explicitement demandé aux animateurs de limiter leurs interventions sur le fond et de se centrer sur la forme : sur le plan métacommunicatif pour recadrer un débat, modérer et réguler les échanges, au moyen de messages brefs et interpellatifs ; sur le plan métalinguistique pour répondre aux sollicitations quand, en vertu du principe d’étayage réciproque recherché ici, les réponses des autres étudiants sont absentes ou insatisfaisantes ; ou sur le plan métacognitif en respectant le même principe12. En revanche aucune consigne spécifique n’a été donnée pour l’animation des clavardages13. Dès lors, compte tenu de ce recadrage pédagogique, quelles traces relève-t-on des opérations assurées par les animateurs ? Opérations d’incitation à la prise de parole Le lancement de sujets de discussion (titre et amorce) au cours des phases 1 et 2 du scénario est censé être réalisé de préférence par les étudiants. Objectif loin d’être atteint lors de la première session, puis progressivement amélioré, ce qui peut être considéré comme un indice d’autonomisation chez les étudiants, effet de la réorientation du tutorat : Phase 1 Phase 2 Étudiants Animateurs E A 4 25 0 1 Canosession 12 13 14 7 Verba Rebus 27 6 14 6 Protosession L’activité des animateurs dans le forum s’est recentrée sur des messages de synthèse-relance à structure ternaire : accusé de réception d’un message dans le sujet + apport d’une information nouvelle + solLE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 11. Les étudiants estimaient que la présence de nombreux messages déposés par les animateurs, bien souvent longs et complexes, était inhibitrice, donc contre-productive. 12. Exemple : pour suggérer une stratégie de compréhension à un étudiant en difficulté. 13. Ainsi la part des messages émanant des animateurs passe-t-elle de 48 % dans la protosession à 10 % dans la canosession (13 % dans Verba Rebus), alors même que leur fréquence moyenne de connexion a augmenté dans une proportion semblable à celle des étudiants (respectivement +18,5 % et +19,6 %), se maintenant autour d’un rapport de 4 pour 1 (Quintin et Masperi, 2006). 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 66 66 licitation-interpellation. Ainsi SoniaM donne-t-elle suite au message d’un étudiant pour y apporter un avis personnel avant d’interpeller l’auteur et les autres participants : CA214C3_310304 Olá Amanda… Vi todos os episódios do site que indicaste…. Agora sou fã dos « Happy tree friends » :) Mas são um bocadinho fortes, não são???? (portugais) [Salut Amanda… J’ai vu tous les épisodes du site que tu as indiqué… Maintenant je suis fan des « Happy tree friends » :) Mais ils y vont un petit peu fort, n’est-ce pas ????] Opérations de modération Régulation des échanges signifie aussi modération éventuelle sur le plan du contenu communicatif des propos déviants, d’autant que l’accessibilité du forum au grand public donne à ces échanges un statut bien différent de ceux d’une classe de langue. Il s’agit donc de contrôler d’éventuels débordements en rappelant les règles en vigueur : CA77C1_100304 Ricordo a tutti […] che non è ammissibile su questo foro l'uso di frasi come « una religione è un'offesa al genere umano ». In Internet esiste la Netiquette. Nella vita esiste la tolleranza e il rispetto degli altri e imparare a moderare il proprio linguaggio. (italien) [Je rappelle à tous […] que l’on ne peut pas admettre sur ce forum l’emploi de phrases comme « une religion est une offense au genre humain ». Sur Internet il existe la Nétiquette. Dans la vie, il existe la tolérance, et le respect des autres est d’apprendre à modérer son langage.] Pour faciliter ces opérations de modération, la plateforme offre des fonctionnalités spécifiques et une charte y est disponible ; celle-ci est inspirée des dispositions générales en la matière sur Internet ainsi que de l’analyse des premières sessions, des évènements survenus et de leur négociation. Le contrat d’apprentissage, en tant que contrat de devoirs et de droits réciproques, est ainsi, au moins pour partie, explicite et écrit. LE CONTRAT DE PAROLE De facture entièrement métacommunicative, le contrat de parole est fréquemment concerné par les verbalisations du forum, par exemple lorsque la nature attendue des échanges n’est pas respectée. C’est notamment le cas lorsque les messages sont jugés trop longs : « Se chamam a isto opiniões eu chamo testamentos!!! [On appelle cela des opinions moi je les appelle des testaments !!! » [E221C1] tout en cherchant à ménager les faces : « :) jokitas a todos e desculpem qualquer coisa!!! [ :) jokitas à tous et excusez-moi pour tout] », y compris avec des marqueurs d’émotion non verbaux (émoticônes, ponctuation). On peut considérer ces verbalisations d’étudiants comme des opérations de mise en garde autogérées, ou de régulation réciproque. Par ailleurs, la répartition des langues et leur utilisation fait l’objet de nombreuses verbalisations, surtout dans les clavardages, puisque nombre d’entre eux passent par une négociation du contrat LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 67 67 codique, souvent après un tour d’horizon des compétences linguistiques des présents. 10/03/2004 C1, salon jaune, entre Amelia [E73C], Portugaise, et Pierrick [E99C], Belge : [Amelia] tu ne parle pas portuguais? [Pierrick] en fait, je parle juste français, et je me debrouille pour essayer de comprendre les 3 autres langues :-) [Amelia] alors, nous parlons aussi français… mais le spagnol et l’italien… arghhh Aspects du contrat didactique dans une formation plurilingue ouverte et à distance Même lorsqu’il n’est pas négocié, on trouve des traces de ce contrat codique dans des opérations appréciatives positives ou négatives : « Je trouve ça génial que l’on soit capable d’animer un forum en quatre langues!! » [E49P1] ; « C’est encore plus difficile lorsqu’on voit que les 9/10e des messages sont dans les autres langues!!! Réveillons-nous les Français!!!! », [E237C2]. En revanche, on ne trouve pas de verbalisations concernant la concertation des tours de parole. Tout se passe en fait comme si le système informatisé y suppléait, puisqu’en définitive on ne « prend la parole » qu’au moment où on valide son message, le risque de chevauchement de paroles étant nul. D’autres aspects sont quant à eux bien présents, donnant parfois lieu à des explicitations dans la mesure où ils sont susceptibles de perturber l’échange collectif, comme par exemple les apartés publics (alors qu’une fonction privée est disponible), les entrées et sorties intempestives, les propos en rupture thématique complète… Les limites du présent article ne nous permettent pas d’approfondir ici l’étude de la mise en place et de l’évolution dynamique de ce contrat de parole. Cela constitue une perspective de recherche intéressante, en particulier tout ce qui concerne le contrat et les alternances codiques. Comme transition vers la troisième dimension contractuelle qu’il nous reste à aborder, voici un extrait faisant état de la mise au point explicite d’une alternance codique à finalité didactique : 23/02/2005 C1, salon jaune, entre Montse [E95VR], étudiante à Barcelone, et Franky [E227VR], à Lyon [Montse] on va faire une chose, je te propose: [Franky] oui ? [Montse] je te dis une phrase en catalan et on va voir si tu comprends… il s’agit d’une langue romane, bien sur tu vas comprendre… [Franky] daccord je t’écoute [Montse] tu ne m’écoutes pas, tu me lis, en tout cas!! [Montse] jejejeje [Franky] c’est vrai :) [Montse] c’est une blague [Montse] Estic parlant amb un noi francés que es diu Franky i és estudiant de l’universitat de Lyon.14 [Montse] Voilà! ça va? LE CONTRAT DIDACTIQUE Le concept de contrat didactique a été développé, comme nous l’avons rappelé, autour de situations d’interaction impliquant une LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 14. (catalan) [Je suis en train de parler avec un jeune Français qui s’appelle Franky et qui est étudiant à l’université de Lyon] 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 68 68 activité de production interactive en L2 pour un locuteur non-natif interagissant avec un natif. La focalisation du code y est motivée par les difficultés de production. L’échange exolingue-plurilingue, à la différence de l’échange exolingue-unilingue, se caractérise en revanche par des focalisations du code le plus souvent motivées par des difficultés de compréhension, ce qui va conduire à une matérialisation spécifique du contrat didactique. Médiation linguistique et étayage réciproque La médiation linguistique est une des raisons pour lesquelles il est recommandé aux animateurs d’intervenir directement dans le forum, ce qui aboutit à des séquences explicatives semblables à celles qui caractérisent la classe de langue, comme dans l’exemple suivant entre Roberta, étudiante hispanophone, et Caterina, animatrice italophone, à ceci près que la réponse est différée (26 h) : E11C1_280204 : Hola a todos! Qué quiere decir esta frase: « Qual’è il nostro atteggiamento al riguardo? » CA171C1_290204 Roberta [E11], « atteggiamento » vuol dire qui « posizione » « comportamento », « attitudine »,« reazione ». « Al riguardo » significa « a questo proposito ». In francese si potrebbe tradurre cosi’ : « quelle est notre attitude à cet égard ? » E’ chiaro adesso ? (espagnol) [Salut à tous ! Que veut dire cette phrase : « Qual’è il nostro atteggiamento al riguardo? » (italien) «atteggiamento» veut dire ici «posizione» «comportamento», « attitudine », « reazione ». « Al riguardo » signifie « a questo proposito ». En français on pourrait traduire ainsi : « quelle est notre attitude à cet égard ? » C’est clair maintenant ?] Au vu de la taxinomie des opérations métacommunicatives de la classe de langue dressée par L. Dabène (1984a et b), on peut voir dans la réponse une combinaison d’informations explicites : du métadiscours informatif (autonymie et traduction) et du métadiscours explicatif (énumération de synonymes pour élucider le sens). Ainsi, les sollicitations des participants portent sur le lexique, des collocations, des syntagmes nominaux ou verbaux, voire sur des énoncés complets, par copier-coller. Conformément au principe d’étayage réciproque visé, la médiation linguistique a souvent lieu entre étudiants, comme lorsque Marie-Jo, Grenobloise d’origine italienne, demande « che vuole dire in francese "en un diaro de derechas", non ho capito bene… grazie!! [que veut dire en français"en un diaro de derechas", je n’ai pas bien compris… merci » [E24C1] et obtient la réponse de la part de Gisela, étudiante lyonnaise d’origine portugaise, dans un délai record pour le forum (19 mn) : « Para Marie-Jo : un "diario de derechas" significa un "journal de droite" (c’est exactement la traduction litérale!) » [E204C1]. Ce phénomène d’étayage réciproque entre étudiants est encore plus fréquent et plus immédiat dans les interactions synchrones. Même si plusieurs messages peuvent s’intercaler entre question et réponse, la mise en relation des unités abordées s’y révèle plus facile. Ainsi par LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 69 69 exemple, la délivrance sur demande de la traduction de l’adjectif espagnol « gracioso » / « drôle, rigolant » motive en retour Montse à demander la signification de « gracieux » en français et à s’amuser de ce « fauxami ». L’activité réceptive en interaction y est une construction active de sens, à travers l’émission d’hypothèses sémantiques prenant appui sur le contexte des échanges, comme celle de Chloé « je ne parle pas espagnol, j’essai de déchiffrer depuis toute à l’heure, comida c le repas??? » [E86VR], ou encore à travers des rapprochements interlinguistiques comme celui de David qui rapproche le français de l’anglais après avoir obtenu la traduction de «fou» : «ah! se parece al inglés “fool”… y eso que no es una lengua románica [ah! ça ressemble à l’anglais “fool”… et pourtant ce n’est pas une langue romane » [E21VR]. L’étayage réciproque est en outre bénéfique à l’appréhension de l’environnement informatique, la finalité de l’échange n’étant plus seulement « interne » (Vion, 1992 : 128), c’est-à-dire ayant pour seul « but […] de rechercher l’intercompréhension », mais « externe », soit pouvant « se traduire en termes d’action ou de modification du réel » (ibid.) : 10/03/2004 C1, salon rouge, entre Hernan [E9C], de Madrid en espagnol, et Pierre [E215C], de Lyon, en français [Hernan] Por cierto, tu no sabras como cambiar tu perfil, verdad? [Dis, tu ne saurais pas comment changer ton profil par hasard ?] [Pierre] je sais à peu près comment faire. tu as des problèmes pour la mise en marche du tiens ? [Hernan] emmm no t ehe entendido muy bien [emmm je ne t’ai pas très bien compris] [Hernan] mise en marche du tiens? que significa? [Qu’est-ce que ça signifie ?] [Pierre] mise en marche = le fonctionnement du tiens. en france, lorsque on dit "ça marche" ça peut vouloir dire "ça fonctionne" [Hernan] ah.. vale [ah.. d’accord] Le besoin de ratification Compte tenu du défilement des échanges, du fait que la plupart des interactants regardent le clavier plutôt que l’écran en écrivant, de la pluralité des participants et des langues et de la non-perception du statut métacommunicatif de certaines explications, on ne sait pas toujours si elles ont bien été prises en considération par le demandeur. Émettre une ratification publique (Matthey, 1996 : 57, Degache, 2004 : 41) suite à une explication, comme « ah, vale » dans l’exemple précédent, constitue une caractéristique du contrat didactique en intercompréhension. Il en va ainsi dans l’échange suivant, de type exolingue-unilingue cette fois, où Virginia valide l’explication de Angela, la séquence étant parachevée par David avec une cloture de nature métacognitive : 13/04/2005 VR3, salon rouge, entre David et Angela de Barcelone, Virginia et Nolwenn, de Grenoble [David EVR1] no nos estamos (espagnol) [On est pas en train yendo por las ramas? d’« aller par les branches »? [Virginia EVR219] las qué????!!!! Les quoi????!!!! ;-)) ;-)) […] […] c’est-à-dire, je crois qu’en français [David] o sea, creo que en francés on dit « peur les branches » se dice "peur les branches" les quoi David LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 Aspects du contrat didactique dans une formation plurilingue ouverte et à distance 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 70 70 [Nolwenn EVR225] las que David [Nolwenn] ???? [Angela EVR238] Irse por las ramas es desviarse del tema […] [Virginia] entiendo « rama » (= branches, en efcto) pero no entiendo la expresion [Virginia] gracias Angela! [David] es lo más difícil de aprender de 1 lengua: las expresiones ???? « Aller par les branches » c’est s’écarter du sujet […] je comprends «rama» (= branches, en effet) mais je ne comprends pas l’expression merci Angela! C’est le plus difficile à apprendre de la langue : les expressions] En revanche, la ratification publique d’une médiation linguistique fait en général défaut dans le forum, comme on peut le voir dans cette sollicitation en italien de la part d’un étudiant français, avec hypothèse sémantique erronée sur un mot espagnol « cosa vuole dire la parola "alquiler", forse significa "disoccupazione"?? [que veut dire le mot “alquiler”, peut-être signifie-t-il “chômage” ?? » [E84C1]. Ce qui lui vaut deux réponses, dont une sur l’infinitif « alquilar » de la part d’une étudiante italienne « "Alquilar" vuole dire affittare. cercare un posto per vivere [“Alquilar” veut dire louer. Chercher un endroit pour vivre » [E236C], et non sur le substantif « alquiler » comme cela était demandé, et comme cela est « réparé » ensuite par un natif hispanophone argentin « Alquiler significa: el pago mensual de una vivienda, departamento o local comercial, por parte de quienes habitan dicho lugar… [Alquiler signifie: le paiement mensuel d’un logement, appartement ou local commercial, de la part de ceux qui habitent cet endroit » [E201C]. En tout état de cause, les échanges asynchrones ternaires à finalité métalinguistique, de type « question (sur un message)/réponse/réaction », ne sont pas aussi fréquents que l’on pourrait s’y attendre dans le forum. De plus, nombre d’entre eux en restent au premier stade, prenant en défaut la fonction de veille métalinguistique des animateurs. Question restant sans réponse, perdue dans la masse des messages, ou ayant le tort d’être posée juste avant le changement de phase du scénario… Problème pour lequel l’encadrement devra trouver à l’avenir une solution. Il n’en va pas de même dans les clavardages. Le contrat didactique y semble beaucoup plus manifeste. On a vu que les étudiants eux-mêmes y pratiquaient bien plus volontiers l’étayage réciproque. Qu’en est-il alors du rôle de l’encadrement pédagogique ? L’intervention des « animateurs » est-elle en substance différente de celle des étudiants qui pratiquent l’étayage réciproque de leurs pairs ? L’étayage enseignant Celui-ci consiste souvent à venir renforcer l’étayage réciproque, en veillant à ce que les métadiscours parviennent bien à leurs destinataires, comme lorsque Myriam [A242VR], enseignante d’italien, conforte la réflexion collaborative sur le mot « imparare » (« imparare vuol dire conoscere, studiare un cosa nuova [imparare veut dire connaitre, étudier une nouvelle chose] » [salon rouge 080305]) en confirmant la traduction proposée par Lea (« aprender »), espagnole, [E82VR] à Silène [E175VR], demandeuse française initiale. Conjointement à ce renforcement, les animateurs veillent LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 71 71 aux mécompréhensions et assurent la médiation linguistique pour les surmonter. C’est ce qui arrive quand l’animatrice hispanophone Letizia identifie une mécompréhension fonctionnelle entre une étudiante italienne qui entre dans le chat en disant « Ciao » et à qui un étudiant espagnol répond « Adiós » : [Letizia A60C] alfredo, maÿlis te saluda no se despide :) […] [Alfredo] Ha dicho Ciao […] [Letizia] pero los italianos dicen asi para decir hola […] [Alfredo] ¿Por qué dicen Ciao para decir hola? […] [Maÿlis] Ciao et hola c’est la même chose! Aspects du contrat didactique dans une formation plurilingue ouverte et à distance (espagnol) [alfredo, maÿlis te salue, elle ne dit pas au revoir :) […] Elle a dit Ciao mais les Italiens disent ainsi pour dire hola […] Pourquoi ils disent Ciao pour dire hola?] Une autre stratégie d’étayage peut être de solliciter la réflexion sur la langue pour éviter la solution de facilité de la traduction. C’est ce que pratique Eleonora [A110VR], animatrice italienne de Cassino, quant elle répond à la question de Manon [E157VR], de Lyon : « que veut dire sviluppano? » en lui disant « non voglio tradurtelo, in francese………… sviluppano significa….mmmmm…….. [je ne veux pas te le traduire, en français…….sviluppano signifie….mmmmm…..] » [salon rouge 050405]. Ce qui conduit Manon à redoubler sa demande « donne moi un autre mot en italien, peut-être que je le comprendrais […] ». Et Eleonora de répondre « ad esempio, secondo la teoria di Darwin dell’evoluzione, alcune specie hanno "sviluppato" nel tempo… [par exemple, d’après la théorie de Darwin de l’évolution, certaines espèces ont "sviluppato" au fil du temps…]. À de rares occasions, les animateurs dispensent également quelque métadiscours descriptif. Eleonora nous en fournit un nouvel exemple dans le même chat : «eravate è il passato di siete [eravate est le passé de siete]» ; tout comme Lara [A107VR] en portugais sur «ela se foi» : «foi = verbo ir passado = aller passé» [salon bleu 160305]. Mais au-delà de ces médiations linguistiques somme toute sommaires, nous n’avons relevé aucun échange révélant la médiation vers des règles de passages interlinguistiques, un métadiscours descriptif contrastif (par exemple : les mots espagnols commençant par «ll» ont souvent un équivalent portugais commençant par «ch», un équivalent français par «cl», «pl» et italien par «chi» (prononcé [kj]) ou «pi»). Et ce alors même que parmi l’équipe des animateurs on pouvait compter plusieurs spécialistes de ces rapprochements, auteurs de la collection de cédéroms Galatea15 (Degache, 2003). Faut-il en conclure que le clavardage se prête mal à ce niveau métadiscursif? Faut-il supposer que l’apport de ce genre d’informations est réservé à la classe en présentiel? Cela est-il délibérément décidé ou bien le fruit d’un non-dit et d’une certaine retenue? Des enquêtes auprès des animateurs seront nécessaires pour étudier leurs représentations sur ce point. * * * LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 15. Voir rubrique « nouvelles » sur www.galanet.be 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 72 72 Rappelons en premier lieu que les interactions asynchrones et synchrones que nous avons analysées ici ne sont que la partie émergée de la formation. La partie immergée, sans doute plus vaste, est pour l’heure hors de portée : apartés et échanges privés médiatisés par ordinateur, échanges en face-à-face tenus lors des regroupements des équipes. Si, pour des raisons déontologiques évidentes, il n’y a pas lieu que la recherche s’intéresse aux premiers, en revanche le deuxième type d’interactions devra être exploré à l’avenir et mis en relation avec les corpus d’interactions en ligne. Cela étant, les interactions analysées, relevant à la fois de l’interaction sociale et de l’interaction en classe de langue, actualisent les dimensions contractuelles de la classe de langue avec quelque spécificité. Tout d’abord, le contrat d’apprentissage apparait comme globalement induit par le dispositif, ses scénarios, objectifs et fonctionnalités. Pourtant, sans doute en raison de la perception de l’enjeu interculturel, il fait aussi l’objet d’une réflexion et élaboration collective au moyen des outils de communication mis à disposition, notamment entre les étudiants pour clarifier devoirs et droits. Le contrat didactique quant à lui émerge dans les interactions, fréquemment par étayage réciproque comme nous l’avons vu. Il a donc pour propriété d’être à tout moment réversible et modulable puisque, selon les circonstances et les compétences des interactants, l’échange exolingue peut aussi bien être plurilingue, bilingue qu’unilingue. Certains aspects de ce que Cambra Giné appelle le contrat de parole semblent en revanche peu pertinents dans un tel contexte, notamment les règles régissant les tours de parole, puisque les outils de communication utilisés permettent en général de s’en passer : l’utilisateur valide son message à son gré. Cela devrait être moins vrai cependant dans les clavardages mais les éventuelles règles à suivre à ce niveau-là, comme pour le choix des langues (« contrat codique »), sont selon nous partie intégrante du contrat d’apprentissage, et se mettent en place et se négocient à travers le contrat didactique autour des différentes déclinaisons de l’échange exolingue évoquées ci-dessus. L’échange exolingue-plurilingue reste toutefois une modalité « a minima » ou « par défaut » – sans connotation négative – qui peut être mis en œuvre sans négociation, comme on le voit dans la plupart des forums et dans certains clavardages, car défini dans le contrat d’apprentissage. Concernant les fonctions assurées par l’encadrement pédagogique, on relève qu’il n’y a pas de différence nette entre étudiants et animateurs : toutes les fonctions métacommunicatives peuvent être partagées, sauf sans doute celles qui concernent l’organisation et la structuration générale de la session, mais elles sont alors le fait des responsables et non des animateurs. La fonction centrale de ces derniers semble être de faciliter et de maintenir les termes des différents contrats, de façon à y optimiser le potentiel acquisitionnel et favoriser ainsi l’autonomie de l’apprenant, autonomie entendue comme la finalité résultante de ce processus d’élaboration réciproque. Autrement dit, les animateurs LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 73 73 auraient tout intérêt à renforcer la veille métacommunicative, en particulier, d’après nos données, la veille informationnelle (la médiation avec les savoirs), c’est-à-dire la capacité à déceler les apports mutuels d’information manquants. Par ailleurs, les opérations de planification et d’organisation des clavardages, et le rôle que peuvent y tenir les animateurs, devront être précisés. D’autres travaux pourront être conduits pour étudier les conditions de réussite d’un clavardage collectif plurilingue à finalité d’intercompréhension, pour déterminer par exemple s’il est bien préférable, comme nous le constatons au vu de certains chats organisés entre deux équipes de la session Verba Rebus, que le clavardage ait fait l’objet d’une préparation et d’une « convocation », ou qu’il soit finalisé par une tâche et situé clairement en relation au scénario de la session. De même conviendra-t-il d’étudier les variations du nombre de participants qu’il peut admettre selon ses finalités, les règles d’entrées et de sorties des participants pendant son déroulement… Il pourra alors être envisagé d’identifier les types de clavardages possibles dans un tel environnement en fonction du scénario d’apprentissage, et de définir les scénarios d’encadrement associés. Et ce de manière à asseoir plus fortement le caractère formateur de l’expérience et aller au-delà du « succès d’estime » tel qu’on peut le relever dans les propos ci-après de Christophe : 07/03/2005 VR1, salon bleu, entre Sonia [A211VR], Portugaise, et Christophe [E113VR], Français [Sonia] E o que estão a achar desta sessão do Galanet???? [et comment vous trouvez cette session Galanet?] [Sonia] Gostam do projecto? [Vous aimez le projet] [Christophe] C’est quoi Gostam? [Sonia] gostam= é o verbo « gostar », em francês « aimer »… [Christophe] merci… [Sonia] agora falta a resposta ;) [maintenant il manque la réponse;)] […] [Christophe] Le projet Galanet est sympa, reste à voir ce que nous en ferons… Références bibliographiques CAMBRA GINE, Margarida (2003). Une approche ethnographique de la classe de langue, Collection LAL, Didier. DABÈNE, L. (1984a). « Pour une taxinomie des opérations métacommunicatives en classe de langue », in Études de Linguistique Appliquée, n° 55, Didier Érudition, 39-47. DABÈNE, L. (1984b). « Communication et métacommunication dans la classe de langue», in L. Dabène et C. Foerster (éds.), Interactions : les échanges langagiers en classe de langue, Grenoble, Ellug, 129-138. DEGACHE, C. (2003) (coord.). Intercompréhension en langues romanes, Lidil n° 28, Lidilem, Grenoble : Ellug. DEGACHE, C. 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LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 75 75 P airs ou tutrices ? Pluralité des positionnements d’étudiantes de maitrise FLE lors d’interactions en ligne avec des apprenants australiens CHARLOTTE DEJEAN-THIRCUIR UNIVERSITÉ DU MAINE, LIUM FRANÇOIS MANGENOT UNIVERSITÉ STENDHAL - GRENOBLE 3, LIDILEM L’objectif de ce texte est d’apporter un éclairage sur la communication pédagogique médiatisée par ordinateur lors d’échanges en ligne mettant en relation des étudiantes de maitrise FLE avec des étudiants australiens apprenant le français. Dans le cadre de leur formation, des étudiantes de Besançon ont conçu des tâches pédagogiques sur Internet et ont été chargées de tutorer à distance des apprenants australiens réalisant ces activités. D’une façon générale, on peut dire que les fonctions de tutorat en ligne dans une formation utilisant un dispositif informatisé sont encore mal définies, car les participants, tuteurs comme apprenants, disposent d’une expérience réduite de ces contextes d’apprentissage et d’échanges (cf. Bourdet, Degache, ici même). En outre, la situation dans laquelle se trouvaient les étudiantes de Besançon était complexe en termes de rôles et de statut. D’une part, elles partageaient avec les Australiens le statut de jeunes et d’étudiants, ce qui peut impliquer qu’ils se reconnaissaient comme des pairs et fondaient la relation sur un rapport symétrique. D’autre part, leur statut respectif d’experte en langue, qu’elle soit native ou non, et d’apprenant de FLE induisait de fait une asymétrie linguistique et culturelle entre les interlocuteurs. Dans ce dispositif, il ne s’agissait donc ni d’une situation d’apprentissage institutionnelle mettant en relation un enseignant et des apprenants, ni d’une situation exolingue informelle. Après une présentation de notre questionnement et de notre cadre théorique, puis du contexte des échanges, nous analyserons le positionnement des tutrices selon trois entrées : la manière dont elles se présentent et entrent en contact avec les apprenants, le registre de langue qu’elles utilisent et leurs activités d’évaluation du travail des Australiens. Nous LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 76 76 conclurons sur les apports du projet à la formation de futurs enseignants. Q uestionnement et cadrage théorique Le questionnement à l’origine de cette étude1 est le suivant : comment les étudiantes de maitrise FLE se mettent-elles en scène ? Comment se positionnent-elles par rapport aux apprenants et cherchent-elles à définir implicitement ou explicitement les contrats censés présider à ces échanges ? Comment gèrent-elles leurs statuts d’enseignant-tuteur et d’étudiant communiquant avec des pairs, notamment lorsqu’elles ont à évaluer les productions des Australiens ? Sans occulter le fait que les interventions des tutrices prennent place dans des échanges, nous tenterons de répondre à ces questions en centrant l’analyse sur les productions discursives de ces étudiantes dans les forums. Nous croiserons également certaines observations avec le point de vue exprimé par ces dernières dans le rapport réflexif qu’elles ont eu à rédiger à l’issue du projet. 1. Cet article fait suite à une communication présentée dans le cadre des journées de l’ACEDLE « Recherches en Didactique des Langues », organisées en juin 2005 à l’Université Lyon 2. 2. Notons que B. Blandin (2004) s’est également référé aux apports théoriques d’E. Goffman pour comprendre la relation pédagogique à distance. Pour traiter de la question du positionnement des étudiantes, le recours aux notions de « mise en scène » et de « représentation » de Goffman (1973), en lien avec celles de statut, de rôles et de rapports de rôles et de places nous a paru particulièrement pertinent2. Bien entendu, ces notions sont à rattacher à la question plus générale de la définition de la situation de communication par les acteurs. Rappelons que pour Goffman (1973), dans n’importe quelle situation de la vie sociale, le sujet se conduit comme un acteur lorsqu’il entre en scène, au contact d’autres participants, avec qui il doit négocier la « définition de la situation ». Et c’est en fonction de cette définition que la rencontre va pouvoir s’organiser. Tout acteur en présence d’autres acteurs est censé remplir un ou plusieurs rôles et attend de se voir reconnu dans ce ou ces rôles par les autres participants : il s’agit de la représentation. L’une des composantes de cette représentation est la « façade », soit « la partie de la représentation qui a pour fonction normale d’établir et de fixer la définition de la situation qui est proposée aux observateurs » (ou partenaires de l’interaction) (Goffman, 1973 : 29). Selon Goffman, la façade ou le moi qui s’extériorise comprend différentes dimensions qui sont : les éléments matériels constituant l’environnement dans lequel évolue l’acteur, l’« apparence » révélant le statut social de l’acteur (âge, sexe, tenue vestimentaire) et la « manière » exprimant la façon dont il entend jouer son rôle dans la situation (façon de parler, de se déplacer, mimiques). Il est important de souligner que ces définitions de la représentation s’inscrivent dans une conception de l’interaction sociale selon laquelle les interactants sont en face-à-face, en présence les uns des autres même si dans certaines définitions plus tardives de l’interaction LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 77 77 Goffman a inclus la communication par téléphone ou par courrier. Du fait de cette co-présence, le ou les différents rôles que joue chaque participant se manifestent en grande partie à travers leur apparence, leur comportement non verbal et para-verbal. À l’inverse, à distance, dans le cadre de la communication médiatisée, ces dimensions disparaissent. Le caractère différé des échanges, l’absence du corps et de tous les éléments d’information véhiculés par ce dernier ont des incidences particulières sur les interactions et notamment sur la définition de la situation par les acteurs. En effet celle-ci ne se négocie qu’à travers les données langagières. Pairs ou tutrices ? Dans l’interaction en face-à-face, la définition de la situation ou la sélection de cadres communs permettant l’intercompréhension se fait souvent de façon implicite (notamment grâce à des éléments qui disparaissent avec la distance). En outre, il est des situations où les acteurs peuvent projeter des cadres relativement figés. Ainsi en classe de langue, les rôles, les droits et les obligations sont l’objet d’une certaine constance due aux contraintes institutionnelles, ce qui n’est pas le cas dans le dispositif que nous étudions. On forme donc l’hypothèse que, dans cette situation particulière, les participants doivent passer par une négociation en partie explicite des rôles, des rapports de rôles et de la définition de la situation. D escription du contexte des échanges Le projet franco-australien « Le français en première ligne »3 a débuté en 2002-2003 et se poursuit chaque année depuis. Au cœur de ce projet était l’idée de faire communiquer par Internet des étudiants français de maitrise FLE4 – de futurs enseignants, donc – et des étudiants australiens de premier cycle (bachelor) étudiant le français comme une matière parmi d’autres. Du côté français, le projet est intégré à des cours portant sur la formation aux TICE et comporte donc des objectifs didactiques et technologiques. En 2003-2004, le projet a correspondu, pour les étudiantes de Besançon, à deux cours optionnels de 25 h sur l’intégration des TICE, l’un au premier semestre, l’autre au second ; dans les deux cas, seize étudiantes ont choisi ces modules. D’octobre à janvier, elles ont conçu des tâches multimédias pour les étudiants australiens, autour d’un certain nombre de thématiques susceptibles d’intéresser ces derniers (voir site mentionné en note 3). Le second semestre a été entièrement consacré aux échanges avec les étudiants australiens, au nombre de 21 à Sydney, de niveau intermédiaire, et de 34 à Melbourne, de niveau plus avancé. La communication en ligne s’est faite essentiellement dans des forums grâce au collecticiel QuickPlace. On notera qu’avec cet outil de comLE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 3. Voir la présentation du projet initialement conçu par Christine Develotte, à l’adresse suivante : http://www.ugrenoble3.fr/fle-1-ligne 4. En fait, cinq étudiantes de Besançon étaient de nationalité étrangère : une Algérienne, une Américaine, une Azerbaïdjanaise, une Caribéenne (St Pitts) et une Bulgare. Toutes sont du sexe féminin. 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 78 78 munication, les contributions des uns et des autres sont lisibles par tous et ont un caractère permanent, ce qui n’est sans doute pas sans influence sur les questions de face (voir Marcoccia, 1998, Mangenot, 2004). Les Australiens travaillaient par deux et chaque dyade disposait d’un espace particulier (un forum) sur la plateforme de travail utilisée et était suivie par deux tutrices de Besançon. Le choix de groupes de travail aussi restreints avait pour but de favoriser une relation plus personnelle, que la distance rend toujours plus difficile. Outre le forum dédié à la dyade, les étudiants avaient accès à un forum « Qui est qui ? », où eux-mêmes et les tutrices se sont tous présentés (souvent avec des photos), à un forum « Café », destiné aux échanges non liés aux tâches et à un forum « Discussion » où pouvaient se tenir des débats liés à la thématique. Le projet s’est bien sûr déroulé en concertation avec les deux enseignants de français australiens, tant en ce qui concerne le choix des thématiques qu’en ce qui concerne la prise en compte du travail des étudiants dans le cadre du contrôle continu ; cependant, les attentes exprimées par ces enseignants concernant le tutorat ont été distinctes, voire opposées. Pour les apprenants de Sydney, de niveau intermédiaire, l’enseignante avait donné comme consigne explicite de privilégier les échanges, et pour ceux de Melbourne, de niveau plus avancé et dont le cours se concentrait sur la production écrite, l’enseignant était en attente de corrections formelles de la part des tutrices. A nalyse des positionnements des tutrices PREMIERS ÉCHANGES Pour commencer à étudier le positionnement des tutrices, nous nous sommes penchés sur leurs premières contributions sur la plateforme, celles qui tenaient lieu de présentation dans la rubrique « qui est qui », puis celles qui s’inscrivaient dans les premiers échanges avec les Australiens. Dans ces contributions, nous avons relevé les énoncés concernant leur(s) statut(s) et leurs attentes quant au projet. Nous avons ainsi pu distinguer trois cas de figure. On peut repérer : – celles qui se présentent comme enseignantes, futures enseignantes ou conceptrices des activités sans aucune évocation explicite de leur rôle dans le projet d’échanges avec les Australiens : 5. Les prénoms ont été changés, afin de protéger l’identité réelle des acteurs. Je suis étudiante en maitrise FLE c’est pour être prof à l’étranger [Damya]5 Ce projet constitue une première expérience pédagogique en tant que professeur de français [Marianne] LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 79 79 – celles qui se présentent comme conceptrice et/ou tutrice en soulignant leur rôle d’aide ou d’accompagnement à l’apprentissage du français par les Australiens (contrat didactique) : Je serai disponible pour aider ceux qui vont travailler sur la présentation de la Franche-Comté, mais aussi pour répondre à toutes vos questions. [Cristina] – celles qui choisissent d’expliciter leurs attentes d’échanges réciproques avec les Australiens au plan culturel (projection d’un contrat d’apprentissage interculturel réciproque) : J’espère que vous allez m’apprendre encore beaucoup de choses sur votre pays. Vous pouvez compter sur moi pour vous faire découvrir les mystères de la cultures et de la langue française, j’adore partager et échanger avec les personnes de cultures différentes !!!! […] Je vous souhaite bon courage à tous pour votre aventure avec la langue française… [Sophie] Il importe de préciser que, dans la très grande majorité de ces présentations, l’évocation de leur statut de future enseignante, de tutrice ou de leurs attentes liées au projet n’occupe qu’une place minime par rapport à l’ensemble de la présentation. Le message de présentation débute par des salutations diverses du type « bonjour » ou plus souvent « salut » et « coucou » qui préfigurent un tutoiement. Puis les tutrices donnent des indications biographiques classiques concernant leurs études, leurs loisirs, leurs goûts pour les voyages, etc., certaines adoptant un ton relativement intime (« Dès que je suis mal je monte à cheval et j’oublie tout, j’ai l’impression que le temps s’est arrêté, je sais pas si vous connaissez cette sensation mais je vous la conseille. »), un ton très décontracté (« Je suis la "fofolle" Cristina de St Kitts ») ou humoristique (« Dans mon village il y a 250 habitants et davantage de vaches ! J’ai 27 ans ; bientôt 28 : le 26 mars ! »). Aussitôt que les étudiants australiens avec lesquels elles vont travailler sur tel ou tel thème se sont à leur tour présentés, la plupart des étudiantes de Besançon réagissent en cherchant à établir une relation plus personnalisée, à mettre en place un dialogue et à définir explicitement certains cadres pour organiser les échanges. Assia – 22/03/04 Salut Doreen, Nous sommes très contentes Lerzan et moi de pouvoir discuter et échanger avec toi. Nous allons apprendre beaucoup les unes des autres. Tu as dit que tu venais de Newcastle, est-ce que c’est une grande ville ? Combien y a-t-il d’habitants ? Besançon est une ville ni trop grande, ni trop petite, il y a environ 100 000 habitants. C’est une ville très sympa, il y a beaucoup d’étudiants et cela rend la ville très dynamique et jeune. La nature tient une place très importante dans notre région, et c’est vrai que c’est une des plus belles de France. Cette année j’étudie le français langue étrangère pour pouvoir l’enseigner aux étrangers qui arrivent en France ou l’enseigner à l’étranger… On verra bien… Et toi, tu as étudié le droit ? C’était trop dur ? ou avais-tu envie de changer d’orientation? je te dis a très bientôt… Assia et Lerzan LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 Pairs ou tutrices ? 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 80 80 Dans cette contribution, il est intéressant de noter que l’attente explicitée par les tutrices d’échanges et d’apprentissage réciproque est aussitôt mise en œuvre dans la suite du message, comme le révèlent les marques de dialogisme, l’alternance des pronoms de première et de deuxième personne du singulier associées à des apports et des demandes d’information de type biographique et culturel. Dans la contribution suivante, la tutrice propose une définition de la situation de communication en excluant très explicitement un rapport de rôle de type enseignant/apprenant entre elle et l’apprenante australienne. Julie – 31/03/04 Bonjour Audrey Merci pour « ton, votre » message. Si tu veux, on peut se tutoyer. Moi personnellement je préfère. En France, on se vouvoie entre profs et élèves. Mais là ce n’est pas notre cas. Le « vous" met de la distance entre les personnes or le but de notre correspondance franco-australienne est justement, malgré la distance kilométrique, d’établir un échange le plus vivant possible ! Qu’en penses-tu ? […] Julie L’explication métalinguistique concernant la valeur du « vous » en français l’amène à définir clairement la façon dont elle envisage la finalité des échanges dans le cadre de ce projet ; elle affiche sa volonté d’atténuer la distance et précisément la distance hiérarchique avec les Australiens. On peut souligner que ces activités de cadrage, explicites ou implicites selon les cas, réalisées par les tutrices rendent compte d’une tentative de mise en place d’un rapport de rôle fondé sur la réciprocité et sur une certaine recherche de symétrie. DIVERSITÉ DES REGISTRES DE LANGUE UTILISÉS Pour Charaudeau & Maingueneau (2002), un registre de langue est une « variété isolable d’une langue employée dans des situations sociales définies » (p. 495). Mais le même locuteur, dans la même situation, peut avoir recours à des traits relevant de plusieurs registres. Les registres correspondraient donc à une palette de choix possible des locuteurs, ces choix participant à la mise en scène de soi et à l’établissement du rapport de rôles et de places. Dans les interventions des tutrices, on peut relever de fréquentes omissions du « ne » de la négation, certains emplois expressifs de la ponctuation et des smileys et quelques tournures familières (« histoire de », « j’adore », « profs », « fofolle »). Chez certaines d’entre elles, le langage employé se rapproche de « l’écrit interactif » évoqué par Anis (Anis, 1998 : 269), nouveau genre hybride lié à de nouvelles conditions d’énonciation. Elles utilisent un canal de communication non familier, à la fois écrit et asynchrone (renvoyant donc à des genres plutôt formels) et « interactif et dialogique, qui dispute à l’oral le domaine de la réacLE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 81 81 tion spontanée et de la réaction immédiate » (cf. supra). Voici quelques exemples, relevés chez les deux tutrices adoptant le registre le plus familier : Waouh! C’est génial, tu nous as envoyé pleins de message et tu as carrément bien avancé dans les activités. […] Je ne suis pas de la génération des SMS (j’ai 28 balais !) […] Je pense que les SMS, c’est surtout les ados qui l’utilisent. [Julie] Tout baigne Judith! [Cristina] Oui, je me suis bien marrée pour mon anniversaire même si les pas de Salsa que j’ai appris étaient un peu compliqués des fois !! [Cristina] Mais même ces deux tutrices adoptent par moments un ton plus formel : Salut Tom! Je voudrais te présenter mes excuses pour ce retard, mais on était en vacances et je n’ai pas d’ordinateur à la maison. J’ai bien apprécié ta rédaction et j’ai trouvé que tu as bien organisé les éléments importants selon le thème de l’activité 4. [Cristina] Enfin, on peut relever un certain nombre de messages dans lesquels les marques typiques de l’écrit (« également », « concernant », « cela », « lorsque ») côtoient un registre plus relâché (absence de majuscules, ponctuation expressive, phrase à présentatif, verbe « rigoler ») : j’ai également lu ta petite anecdote concernant ton arrivée à Paris!!! c’est pénible la perte des bagages!!! mais cela laisse des souvenirs et après lorsqu’on y repense on rigole bien!!!! [Aurélie] L’hétérogénéité des registres employés serait-elle alors la règle ? Cette hétérogénéité reflète probablement l’adoption par les étudiantes de Besançon tantôt des rôles attachés au statut de tutrice-enseignante, tantôt d’un positionnement de pair par rapport aux Australiens. MODALITÉS D’ÉVALUATION ET DE CORRECTION De par la nécessité d’évaluer les tâches réalisées par les Australiens, les étudiantes de maitrise se trouvent en position de devoir adopter un des « comportements tutélaires » (Bigot, 2002 : 70) de l’enseignant. Or, si dans la classe de langue, cette activité d’évaluation fait le plus souvent partie du contrat didactique en place, il ne semble pas en être de même dans la situation observée. L’observation des modalités d’évaluation amène d’abord à relever une valorisation forte des productions des apprenants australiens : Bravo, c’est vraiment très très bien, les filles!!je suis vraiment épatée. Votre accent et votre intonation sont vraiment bons, vous parlez très clairement! bravo pour les efforts fournis! de plus votre dialogue est bien fait. Non, je ne trouve rien à redire! […]. [Sophie] Bravo pour ta rédaction qui est absolument parfaite, à tous les points de vue. Tu as bien cerné les attraits de la Franche-Comté pour les Australiens et tu n’as fait absolument aucune faute au niveau linguistique. Ton français est parfait ! [Claire] Les tutrices accomplissent bel et bien une activité d’évaluation mais ces commentaires appréciatifs (marqueurs de félicitations, accumulation LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 Pairs ou tutrices ? 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 82 82 d’axiologiques mélioratifs associés à des intensificateurs) constituent de véritables actes valorisants ou Face Flattering acts6 au sens où ils sont définis par C. Kerbrat-Orecchioni (1996). Par rapport à cette très forte valorisation, il importe de souligner que les enseignants australiens et l’enseignant français avaient pris soin de préciser aux étudiantes de maitrise que les modalités d’appréciation étaient différentes dans les pays anglo-saxons (les enseignants complimentent plus volontiers qu’en France). Dans un deuxième temps, on a pu également observer un certain nombre d’occurrences de négociation explicite du contrat didactique (De Pietro et al. 1989 : 110). Rappelons que pour les interactionnistes qui ont au départ élaboré cette notion par rapport aux interactions exolingues entre natif et non natif en milieu naturel, le contrat didactique implique que « le locuteur compétent est légitimé (ou même encouragé) à procéder à des hétérocorrections de nature purement normative […]. Cette légitimité exceptionnelle de l’hétéro-correction protège le destinataire des atteintes à la face liées habituellement à ce genre d’intervention » (Py, 1997 : 213). Or, c’est justement cette complémentarité des rôles que les étudiantes de maitrise semblent parfois craindre d’imposer aux Australiens. Ainsi, dans les échanges présentés ci-après, l’autorisation d’effectuer un travail d’hétéro-correction du point de vue de la forme est explicitement demandée aux apprenants. Exemple 1 Julie – 07/04/2004 […] On voit que vous avez fait des efforts pour écrire votre texte descriptif et ce ne doit pas être facile ! Votre description est riche et bien structurée. Voulez-vous que je corrige vos erreurs de langue ? Est-ce que cela peut vous aider à améliorer votre expression écrite ? […] John – 13/04/2004 Ce serait sympa de vous de corriger nos fautes écrivés. Merci, John 6. La notion de FFA a été conçue par C. KerbratOrecchioni (1996) pour pouvoir rendre compte des actes opposés aux Face threatening act (Brown et Levinson, 1978) dans la théorie de la politesse. Julie – 13/04/2004 Salut John, Comme tu m’as demandé de te corriger les erreurs, je te propose plutôt de te les souligner et de te proposer des pistes de correction. Il me semble que ce sera plus enrichissant pour toi. Qu’en penses-tu ? Je t’envoie ça demain, OK ? A+ Julie LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 83 83 Exemple 2 Pairs ou tutrices ? Cristina – 06/05/04 Salut Bill! […] J’ai bien apprécié ta rédaction et j’ai trouvé que tu as bien organisé les éléments importants selon le thème de l’activité 4. Ton style en français est d’un très haut niveau. Néanmoins j’aimerais savoir si je peux corriger tes toutes petites fautes de grammaire ou autre pour tes prochaines productions ou bien pour celle-ci si tu veux. Je reste à ta disposition A bientôt Cristina Bill – 07/05/04 Oui ,allez-y, s’il y a des fautes, corrigez-les ,please , ca m’aiderait,oui. merci beau coup pour votre reponse. je vais vous ecrire plus , la prochaine fois, souvent. merci Bill. Précisons que la volonté d’être corrigé est également exprimée parfois par certains étudiants australiens sans qu’ils aient été sollicités par les étudiantes. On peut encore relever que lorsque ces dernières réalisent des activités d’hétéro-correction après accord explicite ou non des apprenant australiens, le caractère menaçant de ce travail au plan de la gestion des faces des interactants se révèle à travers les nombreux procédés de réparation de type excuses et justifications auxquels ont recours les tutrices. […] J’ai pris la peine de corriger tes petites fautes d’orthographe ou de grammaire de ta rédaction qui se trouve ci-joint et j’espère que tu es d’accord pour cette intervention. Sinon tu peux toujours me faire un procès ! (rires). [Cristina] […] Par ailleurs, nous aimerions attirer votre attention sur certains points au niveau de la langue (nous espérons que cela ne vous gêne pas, c’est pour vous faire progresser !). [Claire] Les deux extraits qui suivent sont particulièrement intéressants, parce qu’ils rendent compte d’une certaine inversion des rôles entre tuteur et apprenant. En effet, la tutrice se place en position d’attente par rapport à une évaluation de son travail de correcteur par les Australiens. Voici, comme promis, les commentaires sur l’activité 2 (ci-joint en pièce attachée). J’espère qu’ils ne vous effraieront pas trop. C’est vrai que je suis assez exhaustive (c’est-à-dire que je relève le maximum de vos erreurs). J’espère aussi que mes explications sont claires et vous seront utiles. Dites moi si vous ne me comprenez pas ou si vous n’êtes pas d’accord. Ce n’est pas facile d’être correcteur! [Julie] […] Je t’ai fait quelques commentaires ci-dessous. Dis-moi si mes corrections sont claires et te sont utiles. (ou pas ?) [Julie] Dans ces extraits, la tutrice manifeste qu’elle expérimente le travail d’enseignante et souhaite voir reconnue cette compétence. En demandant aux étudiants de dire s’ils ont compris et si ses explications sont LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 84 84 satisfaisantes, elle actualise l’une des fonctions de l’enseignant qui cherche à s’assurer que les apprenants ont compris. Cependant, dans le même temps, elle affiche clairement son sentiment d’insécurité (« ce n’est pas facile d’être correcteur ! ») ; cette mise en scène d’un moi incertain peut viser à adoucir le caractère menaçant des corrections pour la face de l’étudiant australien auquel elle s’adresse, tout en complexifiant la nature du contrat didactique et les rapports de rôles entre les interlocuteurs. Les modalités de correction finalement adoptées par les tutrices ont été variées. Certaines ont choisi de recourir à l’hétéro-correction indirecte en reformulant dans leur message certains énoncés des Australiens. D’autres ont décidé de ne pas mettre les corrections qui avaient trait au système linguistique dans le corps du message mais de les fournir dans un fichier attaché, choisissant ainsi de ne pas mélanger les espaces et réservant celui du message proprement dit à la discussion. Enfin, il faut préciser qu’une contribution de tutrice se limite rarement à un contenu de type évaluatif ; d’autres thèmes que les activités sont abordées ou alors, les étudiantes tentent d’initier une discussion en posant des questions aux apprenants à propos du thème de l’activité. Ainsi, le contrat didactique autorisant l’hétérocorrection par l’expert en langue des productions de l’alloglotte apparait bien comme constitutif de la définition de la situation projetée par les tutrices et par un certain nombre d’apprenants australiens également, et ce malgré les consignes données par l’une des enseignantes. A pport du projet à la formation d’enseignants Les étudiants de maitrise FLE ont tous l’occasion d’effectuer des stages d’enseignement en présentiel : il est probable que, lors de ces stages, ils endossent de manière beaucoup plus univoque le rôle de l’enseignant, le cadre institutionnel étant physiquement présent et pesant de tout son poids. Dans la situation ici évoquée, pensée elle aussi comme une mise en situation pédagogique, on se trouve dans un cadre encore mal défini, inhabituel ; chacun doit trouver ses marques, se construire des rôles, se positionner par rapport aux autres ; ces ajustements réciproques s’effectuent par ailleurs de manière écrite et asynchrone, par le biais d’outils technologiques, ce qui diminue les phénomènes d’influence réciproque. Il n’est alors pas si étonnant d’observer toutes les fluctuations et toutes les variations individuelles décrites plus haut. On aura pu vérifier par ailleurs que tous ces facteurs ont pour effet d’inciter à une négociation explicite des cadres de l’interaction. Les premiers messages indiquent chez la majorité des tutrices une volonté de mettre en place une relation de type symétrique avec les LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2006 02_Evolution_FDLM 9/06/06 7:00 Page 85 85 apprenants australiens. Comme on l’a vu, la principale difficulté de positionnement survient par rapport à la question de la correction. Les différentes conceptions du traitement de l’erreur des enseignants australiens, les attentes exprimées des apprenants australiens, la volonté des tutrices d’établir une relation symétrique fondée sur l’échange avec les apprenants, leurs représentations de ce qu’est l’enseignement/ apprentissage d’une langue étrangère (leur culture d’enseignement) les ont amenées à mettre en œuvre des modalités de correction variées exploitant certaines spécificités de la communication en ligne. En outre, toutes les difficultés rencontrées par les tutrices par rapport à leur fonction de correcteur, qu’elles soient inhérentes à la correction en ligne (le caractère public des échanges) ou liées à des spécificités de ce projet, les ont amenées à un véritable questionnement sur cette question cruciale en didactique des langues. Celle-ci a en effet donné lieu à un travail réflexif important, que ce soit pendant le travail de tutorat ou après celui-ci, dans le rapport qu’elles ont rédigé à la fin de leur formation, comme le montrent ces extraits : Sania : « Lorsque je leur répondais, j’étais très attentive au ton que j’adoptais, je ne voulais en aucun cas les blesser en pointant du doigt leurs erreurs. Mais en même temps, j’avais envie de les corriger car il me semblait que cela leur serait utile. Je ne voulais pas leur faire croire que leur production était parfaite quand ce n’était pas le cas. ». Damya : « Si c’était à refaire, j’essayerais d’avoir plus d’informations sur les apprenants pour pouvoir les corriger et les évaluer à leurs niveaux ». Julie : « J’ai beaucoup hésité sur le type de correction à faire. J’ai finalement opté pour une correction systématique et assez exhaustive en insérant un commentaire à chaque erreur relevée (sans donner la correction mais en proposant des pistes. Il me semble que c’est ce type de correction qui convient le mieux et que j’aurais du adopter dès les premières activités. » Dans ce dispositif, les étudiantes de Besançon se sont positionnées comme enseignantes-tutrices tout en cherchant toujours à privilégier, à initier et à mettre en œuvre des échanges culturels et personnels avec les Australiens leur permettant de se placer plutôt comme des pairs par rapport à ceux-ci. L’alternance et/ou la superposition de ces rôles, qui se manifeste dans les registres de langue utilisés, peut être envisagée comme une chance pour les Australiens confrontés à des types de discours plus variés qu’un unique discours professoral ou discours amical. Bibliographie ANIS, J. (1998). Texte et ordinateur : l’écriture réinventée, De Boeck Université. BLANDIN, B. (2004). « La relation pédagogique à distance : que nous apprend Goffman ? », Distances et savoirs n° 2-3, pp. 357-381. CHARAUDEAU, P. & MAINGUENEAU, D. (2002). 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