le marché des dirigeants, mécanisme particulier de gouvernance des
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UNIVERSITE DE BOURGOGNE FACULTE DE SCIENCES ECONOMIQUES ET DE GESTION INSTITUT D'ADMINISTRATION DES ENTREPRISES Contribution à la théorie de la gouvernance : le marché des dirigeants, mécanisme particulier de gouvernance des entreprises Thèse présentée en vue de l'obtention du Doctorat ès Sciences de Gestion Par Isabelle Meutelet Allemand 13 juin 2008 Membres du Jury : Directeur de Thèse : Rapporteurs : Monsieur Gérard Charreaux Professeur, Université de Bourgogne Madame Martine Girod-Séville Professeur, Université de Lyon 2 Monsieur Michel Albouy Professeur, Université de Grenoble 2 Suffragants : Monsieur Pierre-Yves Gomez Professeur, E.M. Lyon Monsieur Alain Schatt Professeur, Université de Strasbourg 3 0 Résumé de la thèse La littérature aujourd'hui n'offre pas de vision globale du rôle du marché des dirigeants et sa contribution à la création de valeur n'a pas été testée. C'est pourquoi nous avons cherché à mieux appréhender ce mécanisme de gouvernance, en nous fondant sur la grille théorique synthétique proposée par Charreaux (2002). Outre la fonction fondamentale d'évaluation des dirigeants, cinq voies d'intervention ont été identifiées : trois disciplinaires, la sanction des dirigeants inefficaces, la récompense des dirigeants compétents et la réduction des coûts disciplinaires, deux cognitives : la contribution à la vision stratégique de la firme, l'apport et le développement des compétences. Notre modèle explicatif du rôle du marché managérial inclut des facteurs de contingence, liés à la firme (structure de propriété, secteur d'activité) ou au dirigeant (stratégie de carrière externe, proximité de la retraite, appui de réseaux). Il prend également en compte, dans une vision systémique du dispositif, les effets de substitution ou de complémentarité avec cinq mécanismes : le conseil d'administration, le contrôle direct par les actionnaires, les créanciers prêteurs, le marché des prises de contrôle et le marché des biens et services. L'étude empirique a été menée sur les dirigeants des sociétés cotées françaises. La partie descriptive dresse un tableau du marché managérial et du profil des dirigeants en fonction entre 1996 et 2005 en France. Les tests du modèle explicatif ont confirmé que ce mécanisme contribuait à la création de valeur dans la firme, à travers trois des voies d'intervention identifiées. Parmi les facteurs de contingence, seule la structure de propriété s'est révélée significative. L'existence de phénomènes d'interdépendance avec le marché managérial n'a pas été validée. Mots clés : gouvernance des entreprises, mécanisme, marché managérial, disciplinaire, cognitif, création de valeur, vision systémique. 1 Abstract Research today does not provide us with an overall vision of the managerial market role and its contribution to the creation of value has not been tested. This is why we sought to get a better understanding of this governance mechanism, using the synthetic theoretical grid proposed by Charreaux (2002). In addition to the fundamental function of assessing managers, five ways to intervene were identified : three disciplinary ways, the sanctioning of inefficient managers, the rewarding of competent managers and the reducing of disciplinary costs ; two cognitive ways : contributing to the strategic vision of the firm, bringing and developing skills. Our explanatory model of the role of the managerial market includes contingency factors, linked to the firm (ownership structure, industry sector) or to the manager (career concerns, proximity of the retirement, support of networks). The model takes also into account, in a systemic approach, the substitution or complementary effects of five mechanisms : the board of directors, the large shareholders, the creditors, the market for corporate control and the products market competition. An empirical study of the CEOs of French listed companies was carried out. The descriptive part draws a picture of the managerial market and profile of the managers between 1996 and 2005 in France. The tests of the explanatory model confirmed that this mechanism contributed to the value creation in the firm, through three of the identified ways to intervene. Among the factors of contingency, only ownership structure appeared significant. Taking into account the other governance mechanisms did not result in the validation of the existence of phenomena of interdependence. Key words : corporate governance, governance mechanism, managerial market, disciplinary, cognitive, value creation, systemic approach. 2 L'Université n'entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans les thèses : ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs. 3 Remerciements Mes remerciements s'adressent, en premier lieu, au Professeur Gérard Charreaux, qui m'a guidée tout au long de mes travaux de thèse et m'a enseigné les valeurs essentielles de la recherche : la rigueur, la précision, le travail, l'honnêteté et l'humilité. Sa disponibilité et son encadrement ont été des atouts essentiels pour l'avancement de ma réflexion. Je souhaite également exprimer ma gratitude au Professeur Martine Girod-Séville et au Professeur Michel Albouy, qui ont accepté d'évaluer ce travail, ainsi qu'au Professeur PierreYves Gomez et au Professeur Alain Schatt, membres du jury. Mes remerciements iront aussi : - aux membres du Fargo pour leurs conseils lors des séminaires, notamment aux enseignants qui, chaque lundi, consacrent de leur temps à l'encadrement des étudiants, et plus particulièrement aux Professeurs qui m'on suivie depuis le D.E.A., - à Enrico Prinz, avec qui nous avons beaucoup échangé tout au long de nos études doctorales, - aux organisateurs et encadrants du CDEG (Centre Doctoral Européen de Gestion) et du SIFF (Séminaire International Francophone de Finance), - à l'ESC Dijon-Bourgogne, qui m'a fait confiance en me recrutant en 2004. Je terminerai en exprimant toute ma reconnaissance à ma famille, mon mari et mon fils, qui m'ont soutenue tout au long de ce travail et dont la patience et les encouragements m'ont beaucoup apporté. 4 A Philippe et Florian, A mes parents et beaux-parents, 5 Table des matières Introduction générale .......................................................................................................... 12 PREMIERE PARTIE : LE ROLE DU MARCHE DES DIRIGEANTS DANS LE SYSTEME DE GOUVERNANCE DES ENTREPRISES : UNE REVUE DE LA LITTERATURE Introduction ......................................................................................................................... 19 CHAPITRE I : DEFINITIONS ET FONDEMENTS THEORIQUES .......................... 20 1.1. Les dirigeants ............................................................................................................ 20 1.1.1. Les principales pratiques de gouvernance .......................................................... 21 1.1.1.1. La situation aux Etats-Unis ...................................................................... 22 1.1.1.2. La situation au Royaume Uni ................................................................... 23 1.1.1.3. La situation en Allemagne ........................................................................ 23 1.1.1.4. La situation en France ............................................................................. 24 1.1.1.5. Synthèse .................................................................................................... 27 1.1.2. Le rôle des dirigeants ......................................................................................... 28 1.1.2.1. Les stratégies personnelles du dirigeant .................................................. 29 1.1.2.2. Les fonctions et spécificités des dirigeants .............................................. 30 1.2. Le marché des dirigeants ......................................................................................... 32 1.2.1. Des théories de la segmentation à la définition du marché managérial ............. 32 1.2.2. Marchés internes et marchés externes du travail ................................................ 35 1.2.3. Quelques statistiques illustrant le marché managérial ....................................... 38 1.2.4. Synthèse ............................................................................................................. 40 1.3. Choix du cadre théorique ........................................................................................ 41 1.3.1. La gouvernance disciplinaire ............................................................................. 41 1.3.2. La gouvernance cognitive .................................................................................. 43 1.3.3. L‟intérêt d'une vision synthétique ...................................................................... 43 1.3.4. Les mécanismes de gouvernance ....................................................................... 44 Conclusion du chapitre I..................................................................................................... 45 CHAPITRE II : L’EVALUATION DES DIRIGEANTS, FONCTION FONDAMENTALE DU MARCHE MANAGERIAL ..................................................... 48 2.1. Comment un dirigeant est-il évalué ? ..................................................................... 49 2.1.1. L'évaluation du capital humain des dirigeants ................................................... 49 2.1.1.1. L'âge .......................................................................................................... 50 2.1.1.2. La formation .............................................................................................. 50 2.1.1.3. L'expérience professionnelle ..................................................................... 53 2.1.1.4. Les qualités personnelles .......................................................................... 54 2.1.1.5. Le capital social ........................................................................................ 55 2.1.1.6. La transférabilité des talents managériaux ............................................... 56 2.1.1.7. Les signaux de marché .............................................................................. 58 2.1.1.8. Un développement des systèmes d’évaluation .......................................... 59 2.1.2. L'évaluation du dirigeant en fonction de la performance .................................. 59 2.1.3. En fonction de la cible ....................................................................................... 60 2.1.4. Évolution au cours des dernières années ........................................................... 62 6 2.2. Par qui les dirigeants sont-ils évalués ? .................................................................. 65 2.2.1. L'intervention d'intermédiaires ........................................................................... 65 2.2.2. Les réseaux ......................................................................................................... 67 2.2.3. Les autres modes d'accès au marché des dirigeants ........................................... 69 2.2.4. La décision finale appartient au conseil d‟administration .................................. 70 2.3. A quels moments s’effectue l’évaluation des dirigeants par le marché managérial ? ..................................................................................................................... 71 2.3.1. La détection des talents ...................................................................................... 71 2.3.2. La progression des talents et l‟accession à un poste de dirigeant ...................... 73 2.4. Quels sont les coûts liés à l’évaluation des dirigeants ? ........................................ 74 Conclusion du chapitre II ................................................................................................... 75 CHAPITRE III : LE ROLE DISCIPLINAIRE DU MARCHE MANAGERIAL ........ 78 3.1. La sanction des dirigeants inefficaces .................................................................... 78 3.1.1. Le rôle disciplinaire de la sanction ..................................................................... 78 3.1.2. Une mauvaise performance ex ante entraîne le départ du dirigeant................... 79 3.1.3. Le départ du dirigeant évincé engendre une hausse de la performance ex post . 85 3.1.4. L‟importance du rôle disciplinaire de la sanction est parfois mise en doute .... 86 3.1.5. Le dirigeant subit des coûts personnels élevés en cas de sanction ..................... 86 3.1.6. Synthèse critique des études évoquées ............................................................... 87 3.2. La récompense des dirigeants compétents ............................................................. 89 3.3. Analyse de l'influence du marché managérial sur les rémunérations ................. 90 3.3.1. La rémunération à la base du modèle de Fama (1980) ...................................... 91 3.3.2. Le marché managérial exerce des pressions sur le niveau des rémunérations ... 92 3.3.3. Lien entre compétences, efforts réalisés et rémunération .................................. 93 3.4. La réduction d’autres coûts disciplinaires ............................................................. 95 3.4.1. Coût des contrats informels ................................................................................ 96 3.4.2. Élimination ex post des manœuvres d‟enracinement ......................................... 97 3.4.3. Élimination ex ante des manœuvres d‟enracinement ......................................... 98 3.4.4. Réduction ou élimination des coûts d‟erreur de décision .................................. 98 Conclusion du chapitre III ................................................................................................. 99 CHAPITRE IV : LE ROLE COGNITIF DU MARCHE DES DIRIGEANTS ............. 101 4.1. Aide à la construction de la vision stratégique de la firme ................................... 101 4.1.1. L‟influence des caractéristiques du dirigeant sur les choix stratégiques............ 102 4.1.2. Le capital humain managérial, une des sources de l‟avantage concurrentiel ..... 104 4.1.3. Les réorientations stratégiques, conséquences du changement de dirigeant ...... 104 4.1.4. La confrontation de différents schémas cognitifs, source d‟innovation et d‟amélioration de la prise de décision ..................................................................... 106 4.1.5. Les conflits cognitifs, frein à la prise de décision .............................................. 109 4.2. L'apport et le développement de compétences ...................................................... 110 4.2.1. Retour sur la définition de la notion de compétences ........................................ 110 4.2.2. Apport des compétences propres au dirigeant, génératrices de rentes ............... 111 4.2.3. Contribution à l‟évolution des compétences du dirigeant ................................. 113 4.2.4. Orientation et développement des compétences des autres parties prenantes... 114 Conclusion du chapitre IV .................................................................................................. 115 Synthèse des voies d’intervention du marché managérial, mécanisme de 7 gouvernance des entreprises ........................................................................................... 117 DEUXIEME PARTIE : VERS UNE MODELISATION DU ROLE DU MARCHE DES DIRIGEANTS Introduction ......................................................................................................................... 120 CHAPITRE V : CARACTERE EXPLICITE OU IMPLICITE DU ROLE DU MARCHE MANAGERIAL ............................................................................ 122 5.1. Intervention explicite et intervention implicite du marché des dirigeants .......... 122 5.2. Les facteurs modifiant l'intervention du marché des dirigeants.......................... 125 5.2.1. Le degré d'enracinement du dirigeant .............................................................. 125 5.2.1.1. Rappels théoriques .................................................................................... 125 5.2.1.2. Influence de ce déterminant sur l'intervention du marché managérial.... 126 5.2.2. Une structure familiale de propriété ................................................................... 127 5.2.2.1. Définition et fondements théoriques .......................................................... 127 5.2.2.2. Influence de ce facteur sur l'intervention du marché managérial............. 128 5.2.3. Les réseaux sociaux ............................................................................................ 130 5.2.3.1. Retour sur la notion de réseaux ................................................................ 130 5.2.3.2. Influence de ce déterminant sur la fonction d'évaluation du marché managérial ................................................................................................ 131 Synthèse ................................................................................................................................ 133 CHAPITRE VI : LES DETERMINANTS D’EFFICACITE .......................................... 134 6.1. Les déterminants liés à l’entreprise ........................................................................ 134 6.1.1. La structure de propriété .................................................................................... 134 6.1.1.1. Une situation différente selon les pays ..................................................... 136 6.1.1.2. Influence de ce déterminant sur les voies d’intervention disciplinaires du marché managérial ..................................................................... 137 6.1.1.3. Influence de ce déterminant sur les voies d’intervention cognitives du marché managérial .......................................................................... 140 6.1.2. Le secteur d‟activité ........................................................................................... 141 6.1.2.1. Influence de ce déterminant sur les voies d'intervention disciplinaires du marché managérial .................................................................... 144 6.1.2.2. Influence de ce déterminant sur les voies d'intervention cognitives du marché managérial ........................................................................ 145 6.2. Les déterminants liés au dirigeant ......................................................................... 146 6.2.1. La stratégie de carrière externe .......................................................................... 146 6.2.1.1. Influence de ce déterminant sur les voies d’intervention disciplinaires du marché managérial ..................................................................... 148 6.2.1.2. Influence de ce déterminant sur les voies d’intervention cognitives du marché managérial .......................................................................... 149 6.2.2. La proximité de l'âge de la retraite ..................................................................... 150 6.2.2.1. Influence de ce déterminant sur les voies d’intervention disciplinaires du marché managérial ..................................................................... 150 6.2.2.2. Influence de ce déterminant sur les voies d’intervention cognitives du marché .............................................................................................. 153 6.2.3. Les réseaux ou liens relationnels ........................................................................ 156 8 6.2.3.1. Influence de ce déterminant sur les voies d’intervention disciplinaires du marché managérial ..................................................................... 156 6.2.3.2. Influence de ce déterminant sur les voies d’intervention cognitives du marché managérial .......................................................................... 158 Conclusion et synthèse ........................................................................................................ 159 CHAPITRE VII : IMBRICATION DU MARCHE MANAGERIAL AVEC D'AUTRES MECANISMES DE GOUVERNANCE .......................................... 163 7.1. Interdépendance avec la fonction d'évaluation du marché des dirigeants ......... 166 7.1.1. Le conseil d'administration................................................................................. 166 7.1.2. Le marché financier ............................................................................................ 167 7.1.3. Le marché des prises de contrôle ....................................................................... 168 7.2. Interactions des mécanismes relativement à la sanction....................................... 168 7.2.1. Le conseil d'administration................................................................................. 169 7.2.2. Le marché des prises de contrôle ....................................................................... 171 7.2.3. La présence d'un actionnaire dominant .............................................................. 173 7.2.4. Les créanciers prêteurs ....................................................................................... 174 7.2.5. Le marché des biens et services ......................................................................... 175 7.3. Interdépendance des mécanismes sur la récompense des dirigeants performants ...................................................................................................................... 177 7.3.1. Avec le conseil d'administration ........................................................................ 177 7.3.2. La présence d'un actionnaire dominant .............................................................. 178 7.3.3. Le marché des prises de contrôle ....................................................................... 180 7.4. Interdépendance et réduction des coûts disciplinaires.......................................... 181 7.5. Interdépendance et aide à la vision stratégique de la firme ................................. 182 7.5.1. Le rôle joué par le conseil d'administration ....................................................... 183 7.5.2. Le rôle du marché des prises de contrôle ........................................................... 186 7.6. Interdépendance, apport et développement des compétences .............................. 187 7.6.1. Le rôle joué par le conseil d'administration ....................................................... 187 7.6.2. Le rôle du marché des prises de contrôle ........................................................... 189 Conclusion du chapitre VII ................................................................................................ 191 TROISIEME PARTIE : ETUDE EMPIRIQUE DU MARCHE FRANÇAIS DES DIRIGEANTS Introduction ......................................................................................................................... 196 CHAPITRE VIII : MODELE GENERAL, HYPOTHESES ET METHODOLOGIE 198 8.1. Le modèle général et les hypothèses en découlant ................................................. 198 8.2. Méthodologie ............................................................................................................. 203 8.2.1. Choix du positionnement méthodologique ........................................................ 203 8.2.2. Investigations empiriques ................................................................................... 204 8.3. Présentation de l'échantillon ................................................................................... 205 CHAPITRE IX : DESCRIPTION ET OPERATIONNALISATION DES VARIABLES ............................................................................................................... 210 9.1. La variable expliquée ............................................................................................... 210 9 9.2. Les variables explicatives relatives au rôle du marché des dirigeants ................ 215 9.2.1. La sanction ......................................................................................................... 215 9.2.2. La récompense .................................................................................................... 216 9.2.3. La réduction des coûts disciplinaires ................................................................. 218 9.2.4. L'aide à la construction de la vision stratégique ................................................. 219 9.2.5. L'apport et le développement de compétences ................................................... 221 9.3. Les variables de contrôle.......................................................................................... 223 9.4. Les déterminants ou variables de contingence ...................................................... 225 9.4.1. La structure de propriété .................................................................................... 225 9.4.2. Le secteur d'activité ............................................................................................ 225 9.4.3. La stratégie de carrière externe .......................................................................... 226 9.4.4. La proximité de la retraite .................................................................................. 226 9.4.5. Les réseaux ......................................................................................................... 226 9.5. Les autres mécanismes de gouvernance ................................................................. 227 9.5.1. Le conseil d'administration................................................................................. 227 9.5.2. Le contrôle direct des actionnaires ..................................................................... 229 9.5.3. Les créanciers prêteurs ....................................................................................... 229 9.5.4. Le marché des prises de contrôle ....................................................................... 229 9.5.5. Le marché des biens et services ......................................................................... 230 CHAPITRE X : LES CARACTERISTIQUES DU MARCHE MANAGERIAL FRANÇAIS ............................................................................................. 232 10.1. Caractéristiques du marché managérial français entre 1996 et 2005 ............... 236 10.1.1. Taux de rotation des dirigeants ........................................................................ 236 10.1.2. Origine des dirigeants....................................................................................... 237 10.1.3. Rapidité d'accession au poste de dirigeant ....................................................... 240 10.1.4. Longévité des dirigeants ................................................................................... 242 10.1.5. Taux de départs forcés ...................................................................................... 243 10.2. Le profil des dirigeants des sociétés cotées françaises entre 1996 et 2005 ......... 246 10.2.1. L'âge des dirigeants .......................................................................................... 246 10.2.2. La formation ..................................................................................................... 248 10.2.3. L'expérience ..................................................................................................... 253 Synthèse ................................................................................................................................ 261 CHAPITRE XI : LE ROLE DU MARCHE DES DIRIGEANTS DANS LE SYSTEME DE GOUVERNANCE DES ENTREPRISES ............................................... 265 11.1. Description de l'échantillon ................................................................................... 265 11.2. Respect des hypothèses de base de la régression ................................................. 270 11.2.1. Problèmes éventuels de multicolinéarité .......................................................... 270 11.2.2. Examen des résidus .......................................................................................... 271 11.3. Résultats .................................................................................................................. 273 11.3.1. Le rôle disciplinaire du marché managérial ..................................................... 273 11.3.2. Le rôle cognitif du marché managérial............................................................. 276 11.3.3. Le rôle disciplinaire et cognitif du marché managérial .................................... 281 Conclusion ............................................................................................................................ 284 CHAPITRE XII : LES DETERMINANTS MODERATEURS DU ROLE DU MARCHE DES DIRIGEANTS DANS LE SGE ........................................... 288 10 12.1. Les déterminants liés à la firme ............................................................................ 288 12.1.1. La structure de propriété .................................................................................. 288 12.1.2. Le secteur d'activité .......................................................................................... 296 12.2. Les déterminants liés au dirigeant ........................................................................ 298 12.2.1. La stratégie de carrière externe ........................................................................ 298 12.2.2. La proximité de la retraite ................................................................................ 300 12.2.3. L'influence des réseaux .................................................................................... 302 Synthèse ................................................................................................................................ 308 CHAPITRE XIII : INTERACTION DES AUTRES MECANISMES SUR LE ROLE DU MARCHE DES DIRIGEANTS DANS LE SGE ..................................... 310 13.1. Influence du conseil d'administration sur le rôle joué par le marché Managérial ....................................................................................................................... 310 13.1.1. Influence du conseil d'administration sur la performance de la firme ............. 312 13.1.2. Influence simultanée du conseil d'administration et du marché managérial sur la performance de la firme ................................................................... 315 13.1.3. Influence du conseil d'administration sur le marché managérial ..................... 317 13.2. Influence du contrôle direct par les actionnaires sur le rôle joué par le marché managérial ...................................................................................................... 320 13.2.1. Influence du contrôle direct par les actionnaires sur la performance de la firme ......................................................................................................................... 321 13.2.2. Influence simultanée du contrôle par les actionnaires et du marché managérial sur la performance de la firme ................................................................... 322 13.3. Influence des créanciers prêteurs sur le rôle joué par le marché managérial .. 324 13.3.1. Influence des créanciers prêteurs sur la performance de la firme .................... 325 13.3.2. Influence simultanée des créanciers prêteurs et du marché managérial sur la performance de la firme ...................................................................................... 327 13.4. Influence du marché des prises de contrôle sur le rôle joué par le marché managérial .......................................................................................................... 329 13.4.1. Influence du marché des prises de contrôle sur la performance de la firme .... 330 13.4.2. Influence simultanée du marché des prises de contrôle et du marché managérial sur la performance de la firme ................................................................... 333 13.5. Influence du marché des biens et services sur le rôle joué par le marché managérial .......................................................................................................... 336 13.5.1. Influence du marché des biens et services sur la performance de la firme ...... 337 13.5.2. Influence simultanée du marché des biens et services et du marché managérial sur la performance de la firme ................................................................... 338 Synthèse ................................................................................................................................ 341 Conclusion générale ............................................................................................................ 343 Annexes ................................................................................................................................ 357 Bibliographie........................................................................................................................ 358 Index des tableaux ............................................................................................................... 386 Index des figures .................................................................................................................. 389 Index des annexes ................................................................................................................ 389 11 Introduction La réflexion sur les conséquences de la séparation des fonctions de propriété et de direction était déjà présente dans les travaux de Smith (1776), qui soulignait que les dirigeants de ces entreprises, gérant l'argent d'autrui et non le leur, n'ont pas forcément la même vigilance que des dirigeants propriétaires, plus soucieux de l'utilisation de leurs fonds. Cette première pensée apportée par Smith a été reprise beaucoup plus tard par Berle et Means (1932). S‟appuyant sur le développement des grandes sociétés par actions, caractéristiques d‟un actionnariat diffus, les auteurs ont mis en évidence la perte d‟efficience consécutive à la séparation des organes chargés des fonctions de propriété et de direction. La divergence des intérêts entre dirigeants et actionnaires génèrerait des coûts et conduirait à s‟interroger sur les mécanismes susceptibles d‟assurer l‟alignement de ces intérêts. Le thème de la corporate governance, ou gouvernance des entreprises, n‟est donc pas récent, même si le débat théorique s'est surtout développé depuis les années 1970. C‟est aussi un sujet d‟actualité, au cœur des débats du monde économique. Les affaires récentes, comme le scandale d‟Enron, de Worldcom, ou pour donner des exemples français les dossiers Crédit Lyonnais, Vivendi Universal ou Eurotunnel, ont remis en cause l‟efficacité des procédures de contrôle des dirigeants et de systèmes d‟alerte, faisant ressortir la nécessité d‟approfondir la recherche en ce domaine et de comprendre les différents mécanismes afin d‟en tirer les enseignements et aider à s‟orienter vers une meilleure gouvernance. Analyser les relations entre les dirigeants et les actionnaires et de manière plus générale avec l‟ensemble des parties prenantes (stakeholders), identifier les différents mécanismes influençant la latitude des dirigeants, comprendre les déterminants de la performance de l‟entreprise constituent un sujet sensible, touchant le dispositif central régissant le fonctionnement du système capitaliste contemporain. Face à la crise de confiance des investisseurs, les régulateurs de marché, notamment américains (comme la SEC, Securities and Exchange Commission), ont imposé ou fortement recommandé la prise en compte d‟indicateurs de gouvernance. Des réformes ont été mises en place par exemple pour renforcer l‟indépendance et la compétence des conseils d‟administration. Ainsi la loi Sarbanes-Oxley impose depuis 2002 aux entreprises cotées aux 12 États-Unis d‟avoir un comité d‟audit exclusivement composé de membres indépendants, avec une définition de l‟indépendance plus stricte qu‟auparavant. En France, la loi sur les Nouvelles Régulations Economiques (NRE) en 2001 a rendu obligatoire la publication des rémunérations des dirigeants, dans un souci de transparence. Les codes de gouvernance, comme les recommandations du rapport Cadbury ou celles des rapports Viénot et Bouton, se sont multipliés. Les agences de rating, telles Moody‟s, incluent dans leur analyse une évaluation du système de gouvernance des entreprises (désormais SGE). Mais comme l‟a analysé Wirtz (2004), les présupposés théoriques de ces codes de " bonne gouvernance " relèvent essentiellement de l‟approche disciplinaire, l‟attention étant portée sur la réduction des conflits d‟intérêts pour éviter la spoliation de certaines parties prenantes. Les excès, très médiatisés, soulèvent la question de la nécessité d‟éventuelles réformes du SGE, notamment en France. Mais celle-ci ne peut être résolue qu‟en disposant d‟une bonne connaissance et d‟une compréhension suffisante de ce système. Or les études théoriques et empiriques concernent principalement les pays anglo-saxons, elles sont encore peu répandues dans le contexte français. Que recouvre la gouvernance des entreprises ? Elle peut être définie comme "l‟ensemble des mécanismes qui gouvernent les décisions des dirigeants et définissent leur espace discrétionnaire " (Charreaux , 1996, p.50). Le dirigeant occupe le rôle d‟acteur central dans le processus de création de valeur. La notion de latitude managériale est fondamentale car elle détermine les décisions stratégiques et influence le processus de création de valeur. Les études en gouvernance doivent aider à comprendre et expliquer le pouvoir discrétionnaire des dirigeants et le lien existant entre ce pouvoir et la performance de l‟entreprise. La compréhension des différents mécanismes et de leur articulation est encore au stade exploratoire. Quelques uns ont fait l'objet de recherches plus poussées, comme le conseil d'administration ou le marché des prises de contrôle, qui cependant n‟aboutissent pas à des résultats consensuels : par exemple la part d‟administrateurs externes joue-t-elle un rôle sur l‟efficience du rôle du conseil ? D‟autres font l'objet de peu d'articles ou d'analyses partielles, morcelées, comme le marché du travail des dirigeants. Deux leviers disciplinaires du marché managérial ont été largement étudiés : la rémunération et l‟éviction des dirigeants, mais, d‟une part, ils ne sont pas toujours attribués à 13 ce mécanisme, d‟autre part, il existe d‟autres voies disciplinaires, et la dimension cognitive du marché n‟a quasiment pas été explorée. A notre connaissance, il n'existe pas de travaux présentant de manière synthétique l‟ensemble des voies d‟intervention du marché des dirigeants comme mécanisme de gouvernance des entreprises. Or sans vision synthétique, il est difficile de se rendre compte du rôle réel du marché managérial et de mettre en évidence l'‟articulation de ses différents leviers. C'est sans doute pourquoi la réalité même et l‟efficience du marché du travail des dirigeants sont encore souvent mises en doute, le poids de sa contribution globale à la performance de la firme n‟ayant ni été analysé ni validé empiriquement. Ceci explique que nous ayons choisi de concentrer nos recherches sur ce mécanisme particulier et nous espérons par nos travaux concourir à l‟enrichissement de la théorie de la gouvernance. Notre thèse a donc pour objet de comprendre le rôle du marché des dirigeants comme mécanisme de gouvernance des entreprises, son importance et son positionnement par rapport aux autres mécanismes. Notre objectif est de développer un modèle explicatif de ce rôle, fondé sur la contribution du marché managérial à la création de valeur et de tester ce modèle. En nous appuyant sur la littérature existante, aussi bien en gouvernance, en stratégie ou encore en ressources humaines, notre sujet étant à l'intersection de plusieurs champs disciplinaires, nous avons tout d'abord cherché à identifier les différentes facettes du rôle que le marché managérial pourrait potentiellement jouer en tant que mécanisme de gouvernance des entreprises. Cette réflexion occupe la première partie de notre thèse. En introduction de notre revue de littérature, nous avons explicité les principales notions utilisées, notamment nous nous sommes attachés à bien définir les termes de "dirigeant" et de "marché managérial", pour faciliter la compréhension de nos travaux. Nous avons ensuite expliqué notre choix d'utiliser la grille de lecture synthétique développée par Charreaux (2002). Alliant les deux dimensions, disciplinaire et cognitive, elle offre la possibilité de dresser un tableau plus complet des potentialités du rôle du marché des dirigeants. L'identification des différentes voies d'intervention de ce mécanisme aboutit à la présentation d'une synthèse, constituant le socle de notre modélisation. La seconde partie est consacrée à la conceptualisation du rôle du marché des dirigeants, mécanisme de gouvernance des entreprises. Nos recherches ont été organisées en trois axes principaux, et se sont concrétisées par le développement d'un modèle explicatif de ce rôle. 14 Dans un premier temps, la réflexion s'est portée sur la synthèse des voies d'intervention précédemment évoquée, et a permis de faire ressortir une articulation du rôle du marché des dirigeants en deux niveaux : une étape pouvant être qualifiée de primaire, fondée sur la fonction fondamentale du marché managérial : l'évaluation des dirigeants, conceptualisée comme socle de son intervention, et une seconde phase, découlant de la première, prenant en compte les cinq voies disciplinaires et cognitives identifiées. Une fois le rôle du marché managérial décomposé et explicité, nous nous sommes intéressés dans un deuxième temps au recensement des facteurs susceptibles de modifier l'exercice de ce rôle, soit en le renforçant soit en le réduisant. Nous avons ainsi retenu deux familles de déterminants, ceux liés à l'entreprise : la structure de propriété et le secteur d'activité, et ceux liés au dirigeant : la proximité de l'âge de la retraite, la stratégie de carrière externe, et les réseaux. L'objectif de la prise en compte de ces déterminants d'efficacité est bien sûr de tenter d'enrichir le modèle et d'en augmenter le pouvoir explicatif. Enfin, toujours dans un souci d'amélioration de la compréhension du rôle du marché des dirigeants dans le SGE, nous nous sommes attachés à analyser, dans une vision systémique du dispositif, quels autres mécanismes pouvaient avoir de l'influence sur l'intensité de ce rôle, en se substituant à lui ou au contraire en venant renforcer sa contribution par leur complémentarité. Notre champ d‟étude étant centré sur le marché managérial, nous n'avons pas analysé tous les mécanismes de gouvernance. Nous n‟avons examiné ceux-ci que lorsqu'ils étaient susceptibles d'exercer un rôle en interdépendance avec les voies d‟intervention du marché managérial, soit en se substituant, soit en étant complémentaire au marché des dirigeants. L'analyse étant centrée sur la modification éventuelle du rôle du marché managérial et de sa contribution à la création de valeur, l'influence des autres mécanismes sur le marché des dirigeants a été conceptualisée et incorporée dans la modélisation, mais pas l'inverse. L'autre sens de causalité pourra faire l'objet de recherches ultérieures, mais n'a pas été pris en compte pour la thèse, le modèle étant déjà suffisamment complexe et risquant alors de devenir difficile à comprendre et à interpréter. La troisième partie de notre thèse concerne la recherche de la validation empirique de notre modélisation. Nous avons choisi de la tester en étudiant le cas français, pour deux raisons principales. D'une part, la littérature et les études empiriques, même si elles ne portent pas sur l'intégralité du rôle du marché des dirigeants mais sur une ou plusieurs de ses voies d'intervention, sont assez abondantes sur les pays anglo-saxons, notamment les États-Unis, alors qu'elles sont plus rares en France. D'autre part, le marché managérial français dégage 15 encore aujourd'hui une image forte de spécificité, étant presque toujours perçu comme un marché du travail cloisonné, imparfait, de type clanique, l'appartenance à un des grands corps de l'État apparaissant comme le déterminant principal de l'accession d'un candidat à un poste de dirigeant dans les principales entreprises françaises. Il nous a semblé intéressant d'aller vérifier ou, pourquoi pas, remettre en cause cette vision par une analyse portant sur des données récentes et un échantillon plus large que les deux cents plus grandes sociétés habituellement étudiées. L'analyse empirique se décompose en deux parties, une étude descriptive des dirigeants français des sociétés cotées entre 1996 et 2005 et des principales caractéristiques du marché managérial sur cette période, et les tests de notre modèle, articulés en trois séries, afin de mieux appréhender les effets des différentes voies d'intervention du marché des dirigeant, l'impact de facteurs d'influence liés à la firme ou au dirigeant et enfin la complémentarité éventuelle des autres mécanismes de gouvernance avec le marché managérial. L'étude descriptive porte sur l'ensemble des dirigeants ayant été en fonction entre 1996 et 2005, soit 1007 individus, ayant exercé dans 637 sociétés cotées. Elle fait ressortir les contrastes du marché managérial français, en rapprochant ses caractéristiques de celles des autres principaux pays industrialisés. Certains aspects permettraient, d'un côté, de le qualifier de marché peu actif, le taux de rotation des dirigeants étant faible, de l'autre, plusieurs arguments justifient le caractère dynamique et réel du marché des dirigeants en France : accession plus tôt aux postes les plus élevés, importance des carrières externes, fréquence du recours au levier disciplinaire de la sanction. L'analyse des profils des dirigeants met en évidence les critères principaux de sélection qui semblent être retenus en France : la formation supérieure, la diversité de l'expérience, l'antériorité en management, les connaissances sectorielles, avoir déjà exercé dans la firme mais aussi avoir connu plusieurs entreprises. Pour les tests empiriques du modèle, nous avons utilisé un sous-échantillon comprenant uniquement les dirigeants nommés entre 1996 et 2004, en retirant les créateurs, les dirigeants déjà en place et ceux recrutés en 2005, notre variable de performance étant calculée sur deux années avant et après le changement de dirigeant. Ils ont donc porté sur 165 mouvements. Nous avons en effet choisi d'étudier le rôle du marché managérial à un moment clé, celui du changement de dirigeant, bien que son intervention, implicite et explicite, puisse se concrétiser tout au long de la carrière des dirigeants et des hauts potentiels. Ce choix a été 16 motivé d'une part par la richesse supérieure de l'information au moment des mutations, notamment relativement à une éventuelle sanction, d'autre part par une identification plus aisée des impacts de la dimension managériale sur la performance de la firme en cas de changement de dirigeant. La mesure de performance retenue est celle utilisée par Fernandez et Villanueva (2005). Il s'agit d'une mesure externe, par le marché, de la valeur créée. Le rôle du marché managérial dans le système de gouvernance des entreprises est validé sur notre échantillon. Les résultats sont détaillés dans les chapitres XI à XIII, qui exposent quelles voies d'intervention du marché des dirigeants ont effectivement un impact sur la performance, les facteurs de contingence qui font varier son rôle et enfin si une complémentarité entre les mécanismes de gouvernance peut être confirmée. Les principaux apports de la thèse sont constitués de la confirmation du rôle joué par le marché managérial dans le système de gouvernance des entreprises et de sa participation à la création de valeur dans la firme, à travers la sanction des dirigeants inefficaces, la réduction des coûts disciplinaires liés à l'enracinement du précédesseur et la contribution à la vision stratégique. Cette dernière se concrétise positivement lorsqu'un dirigeant interne est remplacé par un candidat externe et lorsque le choix se porte sur un dirigeant dont le niveau d'études est similaire à celui de son précédesseur. D'autres résultats méritent également une attention particulière. Nous avons confirmé l'impact du dirigeant sur la performance de la firme, même si celui-ci reste modeste compte tenu des autres facteurs, multiples, à prendre en considération. Nous avons conforté pour la France sur une période récente l'influence de la structure de propriété sur le rôle disciplinaire et cognitif du marché managérial, ainsi que sur la performance de la firme. L'absence de significativité des variables explicatives concernant les réseaux a apporté un nouvel éclairage au débat sur leur incidence en France : l'appartenance à un réseau ne modifie pas les voies d'intervention du marché managérial, notamment l'incitation à la performance lorsque le prédécesseur a fait l'objet d'une sanction, et elle n'explique pas la variation de performance de la firme. Enfin les tests portant sur les interactions entre le marché des dirigeants et cinq autres mécanismes de gouvernance, dans une vision systémique du dispositif, se sont révélés non significatifs. Aucun ne modifie l'intervention du marché managérial ni sa contribution à la création de valeur dans la firme. 17 PREMIERE PARTIE LE ROLE DU MARCHE DES DIRIGEANTS DANS LE SYSTEME DE GOUVERNANCE DES ENTREPRISES : UNE REVUE DE LA LITTERATURE 18 Introduction Cette première partie est consacrée à la définition et à la compréhension du rôle du marché des dirigeants dans le système de gouvernance des entreprises. Le chapitre I a deux objectifs : d'une part, expliciter, préalablement à cette analyse, la notion de dirigeant retenue et celle de marché managérial, d'autre part, exposer le cadre théorique retenu. Afin de mieux saisir quels pouvaient être le rôle et la latitude des dirigeants, nous allons chercher à mettre en évidence les grands traits caractérisant la gouvernance dans les pays industrialisés habituellement étudiés. Nous allons également nous intéresser aux différentes représentations des stratégies personnelles des dirigeants et à la définition de la fonction managériale. En nous appuyant sur la littérature, nous allons ensuite essayer d'appréhender les différentes voies d'intervention par lesquelles le marché des dirigeants peut exercer son rôle. Sa fonction fondamentale d'évaluation des dirigeants sera présentée au chapitre II, qui propose des réponses aux questions suivantes : comment un dirigeant est-il évalué ? Par qui ? A quels moments s'effectue cette évaluation ? Quels en sont les coûts ? Puis nous nous intéresserons au rôle disciplinaire du marché managérial, en cherchant, à travers la littérature, à identifier les différents leviers potentiels. C'est l'objet du chapitre III. Ayant adopté une grille de lecture synthétique, nous analyserons au chapitre IV quelles peuvent être les voies d'intervention cognitives de ce mécanisme. Une synthèse est proposée en fin de cette première partie. 19 CHAPITRE I : DEFINITIONS ET FONDEMENTS THEORIQUES Ce chapitre a pour but de définir les notions aux fondements de la thèse, notamment le terme de "dirigeants", tel que nous l‟avons utilisé dans nos recherches, et celui de marché des dirigeants. Afin de mieux comprendre quels peuvent être le rôle et la place du dirigeant dans la firme, il retrace les principales pratiques de gouvernance dans les pays industrialisés, en essayant d'appréhender les éventuelles spécificités françaises qui pourraient avoir un impact sur le marché managérial, puis développe les différentes stratégies personnelles des dirigeants et le contenu de la fonction managériale. Enfin nous avons précisé notre cadre théorique et justifié son choix, en le replaçant par rapport aux principaux courants théoriques développés aujourd'hui en gouvernance. 1.1. Les dirigeants Les dirigeants qui ont fait l‟objet de cette étude sont ceux qui détiennent le pouvoir de direction, qui sont mandataires sociaux, c‟est-à-dire qui peuvent engager la société en lieu et place des actionnaires. La loi définit les organes chargés respectivement de gérer, d'administrer et de diriger les sociétés commerciales. Les sociétés de personnes, les sociétés à responsabilité limitée, les sociétés en commandite par actions, ont pour organe de gestion interne et externe un ou plusieurs gérants. Les sociétés anonymes de type classique sont administrées par un conseil d'administration, la direction générale étant assumée par le président du conseil d'administration, ou, depuis la loi sur les Nouvelles Régulations Économiques de 2001, par un directeur général ne cumulant pas les fonctions. Les sociétés anonymes de type dualiste comptent un directoire qui dirige la société, et un conseil de surveillance qui supervise le directoire. La notion de "dirigeant" que nous avons utilisée tout au long de notre étude couvre ainsi les fonctions de directeurs généraux, de présidents du directoire pour les sociétés anonymes de type dualiste, de présidents et autres dirigeants définis par les statuts pour les sociétés anonymes simplifiées, de gérants. Elle est cohérente avec la loi sur les Nouvelles Régulations Économiques de 2001, qui considère comme dirigeant effectif le directeur général pour une 20 société à conseil d'administration ou le président du directoire dans le cas d'une société à conseil de surveillance. Pour bien comprendre quel peut être le rôle joué par le marché managérial, nous avons cherché dans un premier temps à appréhender le fonctionnement des organes de direction, de gestion et d'administration des sociétés, et la répartition des tâches et des responsabilités entre ces différents organes. Les grandes lignes en sont présentées dans les deux prochaines sections, en rappelant les principales pratiques de gouvernance par pays puis en détaillant le rôle des dirigeants. 1.1.1. Les principales pratiques de gouvernance Les informations reprises dans cette section pour les États-Unis, l'Angleterre et l'Allemagne proviennent du rapport de la commission internationale de l'IFA présenté le 30 mars 2005 : "pratiques internationales de gouvernance : une approche comparative". Elles concernent les trois principaux acteurs en gouvernance, qui, comme le rappellent les principes Calpers (1999), sont les actionnaires, le conseil d'administration et les dirigeants. Les deux premiers ayant pour rôle de surveiller les dirigeants et de délimiter leur espace discrétionnaire dans un souci d'alignement des intérêts entre les propriétaires (les actionnaires) et les dirigeants, il nous a paru utile de rechercher des informations sur leurs caractéristiques et le cadre règlementaire dans lequel ils pouvaient intervenir. Pour la France, nous avons utilisé le code Lamy (2005)1. Les lois et les codes de gouvernance sont fondés sur plusieurs présupposés. La dissociation de la fonction exécutive et de la fonction de contrôle, c'est-à-dire le non cumul des postes de directeur général et de président du conseil d'administration, conduirait à une meilleure gouvernance de l'entreprise. En ce qui concerne le conseil d'administration, l'indépendance des administrateurs serait un gage de leur capacité à contrôler les dirigeants. La multiplicité des mandats, dans une vision disciplinaire, devrait être limitée car elle réduit le temps qu'un administrateur peut consacrer à une société et favorise les phénomènes de réseaux. La présence de cabinets spécialisés (audit, nomination, rémunération) approfondissant pour le conseil des questions spécifiques pour lesquelles ils ont une expertise supérieure, la fréquence 1 Mestre J. (2005), Code Lamy des sociétés commerciales, éds. Lamy, Paris 21 des réunions, le taux d'assiduité, l'existence d'un règlement intérieur et d'une évaluation au moins annuelle de son fonctionnement permettraient de juger de la qualité du conseil d'administration. L'actionnariat des administrateurs renforcerait leur implication dans la bonne marche de l'entreprise. Les actionnaires quant à eux devraient être bien informés par les dirigeants et le conseil d'administration, et leurs intérêts, notamment pour les minoritaires, être protégés par l'existence de procédures de défense et de sanctions en cas de manquement. 1.1.1.1. La situation aux États-Unis Outre la loi Sarbanes-Oxley (2002), qui a fortement augmenté le formalisme incombant aux conseils d'administration, et les règles imposées aux sociétés cotées au New York Stock Exchange (2003) et au Nasdaq (2003) qui définissent le cadre législatif, des recommandations sont proposées par Calpers, ou encore l'American Law Institute, et sont généralement bien suivies. Le cadre règlementaire américain est particulièrement contraignant et met l'accent sur les responsabilités des dirigeants, ceux-ci devant, depuis la loi Sarbanes-Oxley, certifier personnellement les comptes présentés à la Securities Exchange Commission (SEC). Aux États-Unis, en 2004, 75% des sociétés cotées du S&P 500 ne dissociaient pas les fonctions de président et de directeur général. Leurs conseils d'administration étaient composés majoritairement d'administrateurs indépendants, allant au-delà du pourcentage exigé par les obligations légales. La réglementation américaine ne limite pas le nombre de mandats par administrateur. Il est recommandé que le comité des rémunérations détermine précisément la décomposition de la rémunération du dirigeant. Les conseils d'administration, d'après les règles du NYSE, doivent faire l'objet d'une évaluation annuelle. Pour renforcer la qualité du contrôle, la loi Sarbanes-Oxley a imposé à toutes les sociétés cotées d'avoir un comité d'audit composé uniquement de membres indépendants. Les deux principales particularités américaines sont la possibilité de mettre en cause la responsabilité des dirigeants2 et la nomination de plus en plus fréquente dans les sociétés cotées d'un "directeur général de la gouvernance" (Chief Governance Officer), chargé d'assurer l'interface et de communiquer avec toutes les parties prenantes : actionnaires, conseil 2 Par la procédure class actions, qui permet à des actionnaires de "se regrouper ou d'être regroupés pour faire valoir les droits à l'indemnisation de l'ensemble des actionnaires potentiellement lésés par les actions des dirigeants" (p. 22 du rapport de l'IFA). 22 d'administration, comités,… mais aussi de surveiller les risques liés à la gouvernance dans l'entreprise. 1.1.1.2. La situation au Royaume Uni Alors qu'aux États-Unis les réglementations sont nombreuses, l'Angleterre fonctionne principalement par des recommandations, des principes et des suggestions (The Cadbury Report, 1992, Combined Code, 2003, The Higg Report, 2003). Une très forte majorité des sociétés cotées (93%) suit les conseils du Combined Code (2003) et dissocie les fonctions de président, qui est presque toujours un non exécutif, et de directeur général, qui est par définition un exécutif. C'est une autre différence importante avec les États-Unis. La structure majoritaire demeure cependant le type moniste. Légalement, le nombre de membres du conseil de surveillance peut être faible : le minimum est fixé à deux ; dans la pratique, en moyenne huit membres constituent le conseil dans les sociétés du Footsie 350 et onze pour le Footsie 100, ce qui situe les conseils anglais au niveau du minimum européen. La plupart des administrateurs sont recrutés par le biais de cabinets spécialisés. Globalement, la part des administrateurs indépendants s'équilibre avec celle des exécutifs, dont la durée de mandat est particulièrement courte : un an, ce qui assure une rotation plus forte au sein du conseil. Le conseil doit effectuer une fois par an une évaluation formelle de la performance. L'existence d'au moins trois comités spécialisés par entreprise est le cas le plus général : audit, rémunération, nominations, auxquels vient s'ajouter fréquemment un comité stratégique, et plus occasionnellement un comité d'éthique et un comité des risques. La composition de ces comités est publique ; le Royaume Uni serait un des pays les plus performants en matière de transparence (The Economist Unit, 2003). 1.1.1.3. La situation en Allemagne La réglementation impose le système dual aux entreprises, qui sont donc gouvernées par un directoire et un conseil de surveillance. Dans les faits, le contrôle s'effectue principalement à travers le rôle de conseil en stratégie. Un contrôle des comptes approfondi n'est pas obligatoire pour les conseils de surveillance allemands. La loi impose par contre un taux de présence de représentants du personnel, qui doivent constituer un tiers du conseil de surveillance dans les sociétés de cinq cents à deux mille salariés, et la moitié au-delà de deux mille salariés. Cette cogestion fait l'objet de débats importants, et elle pourrait être remise en 23 cause avec le nouveau statut de "société européenne". Souvent considérée comme une spécificité culturelle allemande, la forte représentation du personnel explique une quasi absence d'administrateurs indépendants dans les conseils de surveillance en 2004. Elle peut soulever la question de l'efficience du contrôle des dirigeants, les salariés leur étant liés par des contrats formels et informels. La taille minimale légale est de trois membres, mais la moyenne s'établit à dix huit pour les sociétés du DAX 30. Le conseil de surveillance nomme les membres du directoire, et les actionnaires mandatent les membres du conseil de surveillance autres que représentants du personnel et syndicats. En moyenne, les entreprises cotées ont mis en place deux comités spécialisés (audit et rémunération), ce qui va au-delà des préconisations du code Cromme (2002). 1.1.1.4. La situation en France Les firmes françaises en société anonyme peuvent adopter deux types de structure de conseil d'administration : celui dit "un tiers", où le dirigeant est également président du conseil d'administration, ou celui dit "deux tiers", où deux organes sont nommés et se réunissent séparément : un directoire composé des dirigeants exécutifs, et un conseil de surveillance, principalement composé d'administrateurs externes. Le premier cas est le plus développé en France. En Europe seulement 23% des entreprises adhèrent à une structure deux tiers (Code Lamy, 2005). Depuis la loi sur les Nouvelles Régulations Économiques de 2001 (NRE), qui a instauré un nouveau mode de fonctionnement pour les sociétés anonymes à conseil d'administration, le Code du Commerce distingue deux fonctions, celle de directeur général et celle de président du conseil d'administration, même si elles peuvent être exercée par la même personne. La séparation est cependant minoritairement observée en pratique dans les entreprises, elle était seulement de 40% en 2003 dans les sociétés cotées françaises (voir tableau 1). L'âge limite pour exercer la fonction de directeur général, sauf précision contraire dans les statuts, est de 65 ans. "Le directeur général est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société. Il exerce ces pouvoirs dans la limite de l'objet social (…). Il représente la société dans ses rapports avec les tiers" (Code Lamy, 2005, art. L. 225-56, p. 370). La taille du conseil d'administration peut varier selon les statuts de trois à dix-huit membres, nommés en assemblée générale pour une durée maximale de six ans. Les administrateurs sont rééligibles, mais peuvent aussi être révoqués à tout moment. Sauf 24 disposition spécifique dans les statuts, l'âge de 70 ans ne peut être dépassé pour plus d'un tiers des administrateurs. Sur le territoire français, le cumul de mandats d'administrateurs de sociétés anonymes ne peut dépasser cinq. Le nombre d'administrateurs également salariés de l'entreprise est limité à un tiers des administrateurs. Chaque administrateur doit être propriétaire d'un nombre d'actions de la société déterminé par les statuts. "Le conseil d'administration détermine les orientations de l'activité de la société et veille à leur mise en œuvre. Sous réserve des pouvoirs expressément attribués aux assemblées d'actionnaires et dans la limite de l'objet social, il se saisit de toute question intéressant la bonne marché de la société et règle par ses délibérations les affaires qui la concernent. (…) Le conseil d'administration procède aux contrôles et vérifications qu'il juge opportuns" (Lamy, 2005, art. L. 225-35, p. 365) 3 . Une société anonyme peut également choisir d'être dirigée par un directoire, composé au maximum de cinq personnes, et un conseil de surveillance, comptant au moins trois personnes, qui nomme les membres et le président du directoire. Ceux-ci sont révocables à tout moment par l'assemblée générale et, si les statuts le prévoient, le conseil de surveillance. Les membres du conseil de surveillance sont eux nommés par l'assemblée générale, le président étant élu par le conseil lui-même. Ils ne peuvent faire partie du directoire. Ils ne peuvent cumuler plus de cinq mandats de membre du conseil de surveillance de sociétés ayant leur siège social sur le territoire français. Les membres du directoire ne sont pas forcément actionnaires, ceux du conseil de surveillance détiennent forcément un nombre d'actions de la société fixé par les statuts. La limite d'âge, sauf indication contraire dans les statuts, est de 65 ans pour les membres du directoire ; le conseil de surveillance ne doit pas être composé à plus d'un tiers par des membres de plus de 70 ans. La durée du mandat est de quatre ans, mais elle peut être comprise entre deux et six ans par disposition statutaire. Comme le directeur général, le directoire est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société, et engage par ses actes la société vis-à-vis des tiers. "Le conseil de surveillance exerce le contrôle permanent de la gestion de la société par le directoire. Les statuts peuvent subordonner à l'autorisation préalable du conseil de surveillance la conclusion des opérations qu'ils énumèrent (…). A toute époque de l'année, le conseil de surveillance opère les vérifications et les contrôles qu'il juge opportuns et peut se faire communiquer les documents qu'il estime utiles à l'accomplissement de sa mission" (Lamy, 2005, art. 225-68, p. 372). 3 Mestre J., Velardocchio D. (2005), Lamy sociétés commerciales, éds. Lamy, Paris. 25 Bien que la loi NRE ait renforcé l'indépendance des administrateurs vis-à-vis du président, la part d'indépendants au conseil d'administration en France était en 2003 encore très faible, seulement 5% des entreprises dépassaient le seuil de 50% d'administrateurs indépendants. Elle s'est développée depuis, notamment dans les entreprises du CAC40 (figure 1), mais reste cependant en dessous des moyennes anglo-saxonnes, probablement du fait que d'autres représentants que les actionnaires (banquiers, personnel, …) siègent généralement dans les conseils français. Composition des conseils d'administration des sociétés du CAC 40 - Figure 1 : composition des conseils d'administration des sociétés du CAC40 - L'information sur les rémunérations a été rendue obligatoire avec la loi NRE, permettant ainsi à la France de se rapprocher un peu du modèle anglo-saxon, même si les réticences à divulguer des renseignements sur ce que gagnent les dirigeants sont encore très fortes en France. La loi relative à la sécurité financière de 2003 a mis notamment l'accent sur le contrôle interne et la transparence liée à l'exercice de celui-ci. En France et en Europe, contrairement aux États-Unis (où a été défini le COSO4), il n'existe pas encore de référentiel en matière de contrôle interne. Globalement la législation française est moins contraignante 4 COSO : référentiel de contrôle interne défini par le Committee Of Sponsoring Organizations of the Treadway Commission, commission à but non lucratif qui a établi en 1992 une définition standard du contrôle interne et créé un cadre pour évaluer son efficacité. 26 qu'aux États-Unis en matière de gouvernance. Les régulateurs de marché en France sont également en faveur d'un juste équilibre entre les règles et l'autorégulation, l'un et l'autre devant être examinés simultanément en termes d'apports et de coûts5. Les recommandations des rapports Viénot I (1995), Viénot II (1999), Bouton (2002), Clément (2003) servent de référence aux entreprises françaises, qui sont invitées à les suivre. 1.1.1.5. Synthèse Les dirigeants n'exercent pas tous leurs fonctions dans les mêmes conditions de surveillance et de contrôle. La législation est par exemple plus contraignante et prévoit des sanctions plus systématiques aux États-Unis qu'en France, davantage en faveur de l'autorégulation s'appuyant sur des recommandations. La dissociation des fonctions de direction et de contrôle est mal assurée en France et aux États-Unis, où une majorité de dirigeants cumulent encore les deux, ce qui pose la question de l'efficience de la surveillance des dirigeants. Les caractéristiques des conseils d'administration diffèrent d'un pays à l'autre, le tableau 1 en présente une synthèse dans six pays industrialisés. Il conforte les disparités que nous avons évoquées précédemment, en soulignant l'importance accordée aux administrateurs indépendants et la taille plus réduite des conseils dans les pays anglo-saxons, une relative infériorité du nombre de réunions en France et en Allemagne. En 2005, l'évaluation des conseils était déjà très développée aux États-Unis (85% des entreprises cotées en avaient effectuée) et en Angleterre (86% des sociétés cotées), alors que seulement 52% des sociétés du CAC40 avaient évalué leur conseil, et seulement 32% leur président6. Il est probable que l'écart s'est réduit depuis, conformément aux préconisations du rapport Bouton. L'observation de ces statistiques descriptives ne permet pas cependant de conclure à la supériorité de certains modes de gouvernance, car elles ne fournissent pas d'informations sur le lien entre ces caractéristiques et les performances des firmes. 5 Propos évoqués par M. Prada, président de l'AMF, Autorités des Marchés Financiers, au congrès de l'AFFI "éthique et gouvernance" en juin 2007 à Bordeaux. 6 "La gouvernance d'entreprise à l'heure anglo-saxonne", la Tribune, 2 février 2006, p. 28. 27 - Tableau 17 : Comparaison internationale des conseils d'administrations en 2003 - 1.1.2. Le rôle des dirigeants La construction d‟un modèle explicatif du rôle du marché des dirigeants dans le SGE est liée à la compréhension du rôle du dirigeant dans l‟organisation et de ses différents comportements possibles. La représentation des stratégies personnelles du dirigeant apporte un enrichissement et des éclairages différents à l‟analyse de la gouvernance des entreprises, et conduit à des résultats distincts en matière d‟efficacité. Elle fait l‟objet de plusieurs courants théoriques. 7 Extrait du Rapport de la commission internationale de l'IFA présenté le 30 mars 2005 : "Pratiques internationales de gouvernance : une approche comparative", 2005, p. 86. 28 1.1.2.1. Les stratégies personnelles du dirigeant Dans la perspective néo-classique, tous les choix individuels convergent vers un objectif commun de maximisation de richesse. Les décisions prises par les dirigeants permettent de réduire les coûts et d‟améliorer la position concurrentielle de l‟entreprise. Les dirigeants sont considérés comme parfaitement substituables, formant une population homogène. Avec la théorie de l‟agence, la vision des dirigeants évolue : ils peuvent chercher à modifier les décisions stratégiques souhaitables pour la firme afin de privilégier leurs propres objectifs. Les intérêts des actionnaires et des dirigeants ne convergent pas forcément. La séparation des fonctions d'assomption du risque, de décision et de propriété, engendre des conflits d‟intérêt. La recherche de l‟efficacité consiste en l‟identification des mécanismes assurant que les dirigeants gèrent l‟entreprise conformément aux intérêts des actionnaires. Mais les différences idiosyncrasiques entre les dirigeants ne sont pas explicitement prises en compte, l'attention étant concentrée sur la force et l'hétérogénéité des mécanismes de gouvernance. "Dans les théories fondatrices qui sous-tendent l'analyse du gouvernement des entreprises, le rôle du dirigeant apparaît sinon absent, du moins très discret" (Charreaux, 1996, p. 52). L‟existence des mécanismes de contrôle se justifie par la réduction des coûts organisationnels. Ils sont efficaces, seules les formes organisationnelles minimisant ces coûts subsistent. Le rôle des dirigeants est réduit au minimum, ils subissent passivement la discipline exercée, sans chercher à la neutraliser, ni à orienter la politique de l‟entreprise. Ainsi, dans l'analyse de Fama (1980), le rôle du dirigeant est envisagé au même titre que celui d'un autre facteur de production. Les théories fondées sur le comportement passif du dirigeant ne reflètent pas suffisamment l‟incomplétude des contrats et des marchés, et ne laissent pas de place pour la latitude managériale. La réflexion s‟est alors enrichie avec l‟introduction de la stratégie du dirigeant, en particulier avec les travaux sur l‟enracinement, développés au chapitre V, paragraphe 5.2.1., et sur la réputation, explicités dans le chapitre VI, paragraphe 6.2.1.. Le dirigeant devient actif, il cherche à neutraliser les mécanismes disciplinaires, à élargir sa latitude discrétionnaire, à maximiser son capital managérial, dont la réputation est un élément déterminant. Sa stratégie peut être orientée vers l‟extérieur, en ayant recours au marché managérial pour accéder à des postes mieux valorisés ou plus prestigieux. L‟activisme du dirigeant n‟a pas forcément pour but de s‟attribuer un maximum de rentes, 29 au détriment des autres parties prenantes, ce qui se traduirait par une baisse de performance de la firme, mais peut également s‟inscrire dans un principe d‟efficacité, avec un partage des rentes entre l‟entreprise et le dirigeant. Dans certains courants stratégiques, le rôle du dirigeant devient central. Les firmes choisissent leur dirigeant pour ses capacités spécifiques, en fonction des besoins qu'elles ont identifiés. Les décisions stratégiques sont considérées varier selon les caractéristiques et les compétences du candidat retenu, qui devient un moteur de changement. Il n'y a cependant pas de consensus, le courant de l'Écologie des Populations par exemple niant totalement que le dirigeant puisse avoir une influence sur performance, celle-ci étant principalement le résultat de facteurs extérieurs sur lesquels la direction n‟a pas de contrôle (Hannan et Freeman, 1977). 1.1.2.2. Les fonctions et spécificités des dirigeants Comme l‟a rappelé Pigé (1993), les dirigeants se distinguent des autres salariés porte sur quatre points : - ils ne sont pas soumis à un contrôle hiérarchique; - ils peuvent engager la société vis-à-vis des tiers en tant que mandataires sociaux; - ils peuvent s‟octroyer des avantages spécifiques; - ils possèdent des compétences rares dans la gestion des ressources. Cependant, s'ils ont incontestablement le pouvoir d'engager la société et d'agir en son nom, les dirigeants ne sauraient disposer d'un pouvoir sans limites, dans la mesure où il est exercé pour le compte des actionnaires. Leurs compétences peuvent être limitées légalement, statutairement, conventionnellement ou judiciairement. Il revient généralement au dirigeant les fonctions d'autorité : engager, licencier les salariés de la société et fixer leur rémunération, l'administration du patrimoine social, notamment pour préserver son intégrité, tous les actes relatifs à l'exercice de l'activité économique de la société ; dans certains cas les pouvoirs du dirigeant social sont étendus aux prises de participations (Lamy, 2005). La classification du pouvoir développée par French et Raven (1959), en cinq types, permet également de mieux en appréhender les fondements. Le pouvoir du dirigeant est tout d'abord légitime : des pouvoirs formels vastes lui ont été attribués par le conseil d'administration, il peut imposer ses décisions à son personnel par exemple. Il détient ensuite le pouvoir de récompense : 30 détermination des salaires et des avantages… Enfin, il cumule généralement pouvoir coercitif, pouvoir référentiel (basé sur l'identification) et pouvoir d'expert. D'après Mintzberg (2003, p. 185), "lorsque le président directeur général parle, les autres personnes ont plusieurs bonnes raisons de l'écouter. Ce qui revient à dire que le système d'autorité est le système d'influence le plus important pour le P.D.G.". Le dirigeant bénéficie aussi d'autres systèmes d'influence. Comme représentant de l'idéologie de l'organisation, il peut par exemple entraîner les autres individus dans une démarche engagée. "La position du P.D.G. au sommet stratégique lui donne une assise très solide de connaissances particulières. Les recherches effectuées sur les activités de direction prouvent que le directeur est le centre nerveux de sa propre organisation, habituellement le seul membre le mieux informé" (Mintzberg, 2003, p. 186). C'est lui qui a le plus de connaissances en matière d'organisation. Une part importante de la richesse des dirigeants est attachée à l‟entreprise. Leur patrimoine humain est lié à celui de la firme, et la valorisation de leur capital humain est souvent fonction de la performance de l‟entreprise qu‟ils dirigent. En cas de difficulté de celle-ci, ils peuvent connaître une baisse de rémunération, perdre leur poste et devoir se replacer dans des conditions moins favorables. En outre une partie significative de leur patrimoine financier est généralement investie dans l‟entreprise, notamment par le biais des stock options. Leur vision est liée à la durée de leur mandat, et diffère ainsi de celle des actionnaires, généralement plus long terme, même si certains types d'actionnariat, comme celui des investisseurs institutionnels, peuvent avoir également une stratégie court-termiste. La définition de la fonction managériale de Fama (1980, p. 290) peut nous aider à mieux comprendre le rôle du dirigeant. Elle consisterait "en la coordination des activités des inputs et à mener à bien les contrats signés relativement à ces inputs, tout ce qui peut être caractérisé comme "prise de décision"" 8 . Lorsque le dirigeant est entrepreneur, il assume également l‟assomption du risque, c‟est-à-dire qu‟il accepte l‟incertitude et la possibilité d‟une perte à la fin de chaque période de production. D'autres définitions de la fonction managéri ale ont été proposées. Pour Langlois (1998), il s'agirait de la coordination des facteurs de production : administration, surveillance, coordination et planification. Elle comporterait également une dimension cognitive de construction des connaissances, et une fonction perceptive associée au repérage des opportunités rentables et à la construction de ces opportunités (Dosi, 1990). 8 Fama E. (1980, p. 290) : "management is (…) coordinating the activities of inputs and carrying out the contracts agreed among inputs, all of which can be characterized as"decision-making"". 31 1.2. Le marché des dirigeants De manière générale, le marché du travail est lié au processus d'affectation des travailleurs à des emplois proposés par les firmes, c'est-à-dire à un poste de travail et à une rémunération. Le concept de marché du travail englobe également les règles qui régissent les rapports entre les entreprises et les travailleurs. "Sur ce marché s'opère la régulation de l'offre et de la demande ; dans cette interprétation le salaire est un prix et le travail est une marchandise" (Jalladeau, 1998). Le marché du travail enregistre des entrées et des sorties. "L'une des fonctions du marché du travail, dans les économies modernes, est de permettre cette constante réallocation du travail entre les firmes" (Blanchard et Cohen, 2004). Pour essayer d'appréhender au mieux le marché managérial, nous sommes partis des conclusions des théories de la segmentation. Nous avons ensuite affiné cette vision en nous intéressant à la distinction généralement effectuée entre marché interne et marché externe. Enfin quelques statistiques ont été reprises pour illustrer les caractéristiques principales des marchés managériaux dans les différents pays industrialisés. 1.2.1. Des théories de la segmentation à la définition du marché managérial Plusieurs théories de la segmentation se sont développées, postulant que le marché du travail n'est pas une entité homogène, mais est au contraire constitué de segments indépendants, à l'intérieur desquels les mécanismes et structures de travail fonctionnent différemment. La relation entre la capacité productive d'un travailleur, sa rémunération et le type de postes qu'il peut obtenir serait susceptible d'être modifiée par différents facteurs, comme le système de régulation du marché du travail, les conditions technologiques, le secteur d'activité, les stratégies de contrôle des dirigeants, les réseaux… Le marché du travail serait composé "d'une variété de segments n'étant pas en compétition, où le capital humain est récompensé différemment selon le segment, les barrières institutionnelles empêchant les différentes parties de la population de bénéficier de manière égalitaire de leur niveau de formation, scolaire et professionnelle"9 (Leontaridi, 1998, p. 64). 9 Leontaridi M.R. (1998, p. 64) : "of a variety of non-competing segments between which rewards to human capital differ because institutional barriers prohibit all parts of the population from benefiting equally from education and training". 32 Dans sa version première, la théorie de la segmentation présente le marché du travail comme "dual", distinguant deux segments : le marché du travail primaire, où les emplois et les salaires sont de bon niveau, et la rotation plus faible, du marché du travail secondaire, dans lequel les emplois et les salaires seraient moins intéressants, la rotation plus importante et le chômage plus élevé (Doeringer et Piore, 1971, Cain, 1976). La mobilité d'un marché à l'autre serait restreinte, et les emplois dans le secteur primaire seraient rationnés. Le secteur secondaire fonctionnerait de manière purement concurrentielle, alors que le marché primaire serait protégé des pressions compétitives liées à l'offre et la demande. La mobilité d'un segment à l'autre serait limitée, ce qui empêcherait la convergence des fonctionnements. "Le différentiel de salaire entre les deux secteurs repose sur l'hypothèse d'une différence de nature entre les emplois primaires et secondaires : les premiers sont associés à des postes de responsabilité supposant une autonomie relative du salarié, dont l'effort est donc difficile à évaluer, tandis que les seconds sont associés à des tâches simples et répétitives parfaitement supervisables. Les firmes du secteur primaire sont donc contraintes de pratiquer une politique salariale incitative afin de s'assurer que leurs employés fourniront le niveau d'effort approprié à leurs fonctions" (Cahuc et Zajdela, 1991, p. 470). Piore (1975) a ensuite affiné son analyse et a apporté des réflexions intéressantes pour une première appréhension et délimitation du marché managérial. Il a fait une distinction à l'intérieur du marché primaire, qu'il a subdivisé en deux populations : le segment inférieur, s'assimilant au secteur primaire précédemment évoqué, basé sur un ensemble de marchés internes, et le segment supérieur, correspondant aux emplois de responsabilités et d'encadrement. Ce dernier se caractérise par l'absence de règles et de procédures administratives, un taux de rotation plus élevé, la mobilité étant motivée par les possibilités de promotion, en termes de postes plus prestigieux ou de rémunération plus élevée. La formation et l'expérience sont fortement valorisées. La structure des rémunérations se rapproche de celle proposée par la théorie du capital humain. Ce sous-segment serait assez isolé, les personnes souhaitant y entrer et ayant les compétences pour, n'y parvenant pas forcément du fait de barrières institutionnelles. Piore (1975) souligne le lien avec les mouvements socio-économiques dans la société, et présente le concept de chaînes de mobilité : le parcours professionnel d'un individu, son accession à certains postes seraient fonction des écoles qu'il a fréquentées, de son environnement familial et de son appartenance à certaines classes ou cercles. Ces caractéristiques du marché managérial restent à confirmer. Les principaux résultats des études statistiques existantes sont présentés dans la troisième partie, au chapitre X. Ils font ressortir une situation différente selon les pays. 33 Les théories de la segmentation que nous venons d'évoquer ont cherché à mettre en évidence l'existence d'une hiérarchie de segments, relativement indépendants, la mobilité de l'un à l'autre étant restreinte et les fonctionnements étant particuliers à chaque segment. Des exemples d'ascension professionnelle vers un secteur supérieur existeraient, mais en grande majorité les individus évolueraient à l'intérieur de leur segment initial. En haut de cette hiérarchie figurerait le segment des individus les mieux payés et occupant les postes les plus élevés, dont l'accès serait le plus difficile. S'appuyant sur les travaux de Psacharopoulos (1978) et de McNabb (1987), relatifs au marché du travail anglais, Leontaridi (1998, p. 93) avait mis en évidence la formation comme barrière à l'entrée principale de ce segment : "Les composantes du capital humain, comme la formation, l'expérience, et l'âge, apparaissent être d'importants déterminants à la fois de l'allocation initiale et de la mobilité ascendante entre les secteurs. L'accès aux positions les plus hautes dans la hiérarchie fonctionnelle est corrélée avec le niveau de formation des travailleurs"10 (Leontaridi, 1998, p. 93). L'existence d'un marché du travail spécifique aux dirigeants apparaît donc faire l'objet d'un consensus. Les dirigeants se distinguent des autres travailleurs car ils détiennent le pouvoir organisationnel et l'autorité, ils ont la capacité de superviser les autres, les rémunérer et les recruter ou les licencier (Elliott, 2000). Le marché managérial est le marché du travail des dirigeants d‟entreprises. Il permet à un dirigeant d‟évoluer d‟une entreprise à une autre. Dans une perspective économique, la demande est constituée sur le marché par les firmes qui cherchent à recruter un nouveau dirigeant. L'offre est composée des candidats aux postes de dirigeants. Le marché managérial résulte donc de la confrontation entre la demande de la part des entreprises pour pourvoir des postes de dirigeants et l'offre de candidats ayant les compétences et les caractéristiques requises. L'évaluation du capital humain des dirigeants est une fonction fondamentale du marché managérial. Sur le marché du travail managérial, un dirigeant affronte la concurrence des autres cadres dirigeants susceptibles d‟être candidats au même poste que lui. S‟il obtient la direction de l‟entreprise, c‟est qu‟il a remporté les compétitions qui l‟ont opposé aux autres dirigeants potentiels (Barros et Macho-Stadler, 1998). Cette mise en concurrence est essentielle pour le bon fonctionnement du marché. Dans un marché managérial efficient, les meilleurs dirigeants 10 Leontaridi M.R. (1998, p. 93) : "human capital variables such as education, experience and age appeared to be important determinants of both initial allocation among and upward mobility between sectors. Access to higher positions in the occupational hierarchy is correlated with the level of education of workers". 34 sont supposés être orientés vers les firmes les plus performantes. Un dirigeant gérant son entreprise en-dessous de sa performance potentielle devrait voir augmenter la probabilité d'être évincé et remplacé par un autre dirigeant plus adapté aux besoins de l'entreprise et plus performant. Le pouvoir de négociation d'un dirigeant dépend de la difficulté qu'aurait l'entreprise à le remplacer d'une part, et de la facilité à se replacer d'autre part. C'est un marché particulier : il est dispersé, il n‟existe pas de sources d‟information centralisées facilement disponibles et les différents acteurs sont indépendants et en compétition. L'information susceptible d'être produite par le marché managérial peut être individuelle, portant sur la valeur du capital humain de chaque dirigeant, mais aussi collective, en fournissant des données de référence, relatives aux rémunérations, au coût du travail, aux conditions de travail, aux qualifications recherchées, ou encore plus généralement des statistiques sur l'emploi (nombre de dirigeants, fonctions par type, par secteur…). Comme la plupart des marchés réels, notamment les marchés financiers au niveau international, le marché managérial est lui-même segmenté, c'est-à-dire que des phénomènes d'appariements sont observables entre les segments d'offre et ceux de demande. En France, pour reprendre les travaux de Bauer et Bertin-Mourot (1987, 1996), le recrutement des dirigeants serait effectué sous l'influence des réseaux, favorisant la promotion des candidats issus des grands corps de l'État. Leur intervention peut être considérée comme une contribution à la segmentation. 1.2.2. Marchés internes et marchés externes du travail Une distinction est généralement effectuée au sein du marché du travail entre marché interne et marché externe. Les modalités d'évolution de carrière diffèrent entre ces marchés. Chacun présente des avantages et des inconvénients tant pour le dirigeant ou le candidat à un poste de direction que pour la firme qui doit nommer un nouveau membre de l'équipe dirigeante. Sur le marché interne, la structure des rémunérations n'est pas déterminée directement par des mécanismes de marché, il existe des échelles de salaires et de promotions, généralement fonction de l'acquisition au sein de la firme d'expérience et de compétences. Les systèmes d'incitation sont tout d'abord destinés à développer la loyauté envers la firme avant d'être liés 35 à la performance (Okun, 1981). Les règles de recrutement sont formalisées, les nouveaux recrutés occupant des postes inférieurs, les fonctions d'encadrement étant confiées à des promus en interne. Lazear et Rosen (1981) mettaient en avant les apports du recrutement interne : réduction de l'asymétrie d'information, les candidats étant mieux connus, préservation du capital humain spécifique (la théorie du capital humain de Becker sera développée au chapitre II, paragraphe 2.1.1.6.), diminution du risque de sélection adverse. Il favorise la continuité stratégique (Pigé, 1996). L'ascension d'un haut potentiel à l'intérieur de l'entreprise jusqu'au poste de direction le plus élevé s'inscrit dans le cadre d'une compétition organisée, sur une période longue, relevant de la théorie des tournois. Pigé (1996) soulignait que les perspectives d'accession au poste de dirigeant par la voie interne incitaient les cadres supérieurs à être performants, comme le développe la théorie des incitations, mais qu'elles pouvaient aussi conduire aussi à la diminution de la coopération au sein des équipes de direction. Okun (1981) soulevait une autre limite potentielle du marché interne : lorsque l'environnement change (évolution de la demande sur le marché des biens et services, des technologies…), ou en cas de récession économique par exemple, il souffrirait de sa rigidité en termes de rémunération et de son maque de capacité à développer de nouvelles compétences. D'autres inconvénients sont liés au marché interne : risque d'affaiblissement des ressources managériales, facilitation de l'enracinement… Enfin la taille de l'entreprise ne lui permet pas forcément de développer un marché managérial interne. L'effet taille a été mis en évidence dans plusieurs études du marché américain : les entreprises de taille inférieure auraient davantage recours à des candidats externes pour choisir leur dirigeant, ne disposant pas en interne d'un panel de concurrents suffisamment large (Dalton et Kesner, 1985, Furtado et Rozeff, 1987, Reinganum, 1985, Fredrickson et al., 1988). Ce phénomène a été aussi souligné pour la France par Pigé (1996). Le recours au marché externe présente également des avantages et des inconvénients. Il offre des possibilités de promotion en changeant d'entreprise, et propose d'autres opportunités d'évolution. L'ascension en externe serait plus rapide. La compétition s'organise non plus au sein d'une seule entreprise mais pour un ensemble de candidats potentiels d'horizons différents. Offrant une libre circulation du capital humain, le marché externe du travail des dirigeants permettrait l'optimisation des ressources managériales. Plusieurs raisons peuvent motiver une entreprise à choisir de recruter un dirigeant en externe plutôt que par la voie interne. Comme nous le développerons au chapitre III, paragraphe 3.1.1., une firme préfère fréquemment un externe lorsque la performance du prédécesseur était mauvaise ou 36 insuffisante : un externe sera davantage perçu comme ayant la capacité de changer la situation et de décider des réorientations stratégiques nécessaires (Boecker et Goodstein, 1993, Parrino, 1997). Une autre motivation peut venir de la constatation que les candidats internes sont de bon niveau mais n'ont pas forcément les compétences et le profil pour diriger la firme, le conseil d'administration étant alors enclin à chercher un meilleur successeur en externe (Dalton et Kesner, 1983, Furtado et Rozeff, 1987, Bailey et Helfat, 2003). Des changements environnementaux importants peuvent également justifier la nécessité de recruter un externe. Lorsque l'équipe dirigeante précédente a eu un comportement critiquable (malversations financières, mauvaise image humaine ou éthique), un externe sera certainement préféré pour redonner confiance aux différentes parties prenantes de la firme. Comme pour le marché interne, le marché externe connaît également des barrières et des limites. Le conseil d'administration se trouve en situation d'asymétrie d'information plus forte avec un candidat externe, il a plus de mal à acquérir les informations le concernant (Furtado et Rozeff, 1987, Zajac, 1990), l'évaluation de ses compétences est plus difficile, de même que de leur transférabilité à la firme et de la capacité du dirigeant à s'adapter et réussir dans ce nouvel environnement. La recherche dure généralement plus longtemps lorsqu'il s'agit d'un externe. Les coûts de recrutement sont plus élevés. Nous développerons ces différents types de coûts au chapitre II, paragraphe 2.4.. Même si une distinction est généralement effectuée entre marché interne du travail et marché externe, les passages de l'un à l'autre sont possibles et leurs fonctionnements sont liés. D‟une part, les candidats internes à un poste de dirigeant ont toujours la possibilité d‟offrir leurs services sur le marché externe et d'être sollicités par une autre entreprise. Leur choix de rester ou non dans l‟entreprise est lié aux coûts d'entrée et de sortie. Les avantages d'une carrière interne peuvent être d‟autre nature que le niveau de rémunération ou le prestige de la fonction : sécurité du poste, arguments personnels… D‟autre part, une entreprise qui nomme un dirigeant d‟origine interne a très certainement recherché des informations sur les candidats potentiels externes, il y a alors eu mise en concurrence entre les internes et les externes, même si elle n‟est pas mise en évidence de manière explicite. Le marché managérial joue dans ce cas un rôle de benchmark, tant en termes de profil de candidat que de rémunération. 37 1.2.3. Quelques statistiques illustrant le marché managérial Le taux de rotation des dirigeants, indiquant la fréquence des changements, apparaît comme un premier indicateur permet d'évaluer la réalité du marché managérial : lorsqu'il augmente, la probabilité de recourir au marché managérial ou d‟en subir l‟influence se développe également. Plus les mouvements seront nombreux, meilleure sera la qualité du processus d'évaluation et de sélection du marché des dirigeants : amélioration de l'offre, élargissement des viviers de candidats… La part des dirigeants recrutés en externe est un second indicateur à analyser : elle souligne l'aptitude à la mobilité des dirigeants potentiels et son importance traduit une meilleure liquidité du marché managérial. La comparaison longitudinale des études empiriques n'est pas aisée, les tests étant effectués sur des populations souvent différentes. Ainsi, pour les États-Unis, dans l'étude de Leonard (2001), 20% des plus grosses entreprises américaines (les deux cents plus importantes) avaient changé de Chief Executive Officer en 2000, contre 11% en 1999. L'analyse de Denis et Denis (1995), portant sur 1 689 sociétés américaines cotées entre 1985 et 1988, établissait un taux de rotation des dirigeants de 21.9 %.. Quant à Warner et al. (1988), ils étaient parvenus à un taux de 18.3 %. La plupart des études concluent à une hausse de la fréquence de la rotation des dirigeants dans les pays industrialisés. Ainsi l'analyse de Péladeau et al. (2005), du cabinet Booz Allen Hamilton, portant sur les 2500 plus grandes entreprises mondiales en termes de capitalisation, a fait ressortir une augmentation du taux de départ des dirigeants sur les dix dernières années, 2004 constituant l'année record pour l'Europe et la région Asie-Pacifique (hors Japon), et 2005 pour l'Amérique du Nord et le Japon (tableau 2). Toutes zones confondues, 15,3% des entreprises de l'échantillon avaient changé de dirigeant en 2005. Quant à la durée des mandats, elle s'établissait à 6,6 années en 2004, contre 9 ans en 1995. 38 - Tableau 2 : taux de rotation des dirigeants entre 1996 et 2005, par pays (Péladeau et al., 2005, p. 3) - La part des recrutements externes serait également en développement, comme en témoigne l'enquête annuelle de Forbes portant sur 1 323 entreprises américaines. En définissant comme " externe " un candidat qui n‟était pas dans l‟entreprise l‟année précédant sa nomination, il aurait évolué de 10% à 15% dans les années quatre vingts à 25% - 35% autour de 2000. D‟après l‟étude d‟Hymowitz (2003), seulement 7% des mille firmes de Fortune nommaient un dirigeant externe il y a vingt ans. Maintenant près de 40% des compagnies le feraient. Les travaux de Parrino (1997) portant sur mille successions de dirigeants entre 1969 et 1989 pour six cents sociétés (dirigeants connus de Forbes) aboutissaient à une proportion de recrutements externes de 22%. De même dans l‟étude comparative des remplacements de dirigeants internes et externes menée par Farrell et Whidbee (2003), sur un échantillon de quatre mille firmes où trois cent soixante changements de dirigeants étaient observés, quatre vingt avaient été remplacés par des externes, soit un taux de 23%. Le taux de recours à un dirigeant extérieur ressortait plus faible dans les études plus anciennes : moins de 20% pour Denis et Denis (1995), Reinganum (1985) ou Warner et al (1988). Pour l‟Europe, citons l‟étude menée par Olie et al. (2003) sur le top 50 des entreprises cotées sur le marché d‟Amsterdam, analysant les changements des équipes dirigeantes (notion de dirigeant plus étendue que celle définie précédemment) entre 1990 et 2000. Elle faisait ressortir une hausse significative du taux de rotation : il passait de 8% en 1990 à 35% en 2000. Pour les dirigeants eux-mêmes (Chief Executive Officer), sur 45 entreprises, 69 successions étaient enregistrées en onze ans, soit un taux de rotation de 14%. 39 Concernant la France, l‟évolution est identique. Les résultats de Pigé (1993) aboutissaient à un taux de rotation moyen annuel des dirigeants des sociétés cotées entre 1985 et 1989 de 10 à 15%. Le recours au recrutement externe était important : seuls 40% des dirigeants étaient déjà dans la société cinq ans auparavant. Une étude plus récente, celle de Dherment-Férère et Renneboog (2000), portant sur la période 1988-1992, comptabilisait 277 changements de dirigeants en cinq ans sur les 235 entreprises de l‟échantillon, soit un taux de rotation moyen annuel de 23,5%. Cette progression reste cependant à confirmer, les deux études venant d'être citées n'ayant pas analysé le même échantillon. 1.2.4. Synthèse Le marché managérial correspond au segment supérieur du marché du travail identifié par Piore (1975), qui d'après l'auteur se caractériserait par un taux de rotation plus élevé, la mobilité étant encouragée par les perspectives d'évolution de carrière, une forte valorisation de la formation et de l'expérience, un fonctionnement concurrentiel, mais aussi par la puissance des barrières à l'entrée, les écoles fréquentées et l'appartenance à certaines classes étant discriminantes. Ces spécificités restent cependant à confirmer et ne semblent pas être identiques d'un pays à l'autre. Pour sélectionner un nouveau dirigeant, les firmes ont le choix entre avoir recours au marché interne ou marché externe. Le premier inciterait les cadres supérieurs à être performants, favoriserait la continuité stratégique, valoriserait le capital humain et réduirait l'asymétrie d'information sur les capacités du futur dirigeant, mais il pourrait aussi limiter l'esprit d'équipe du fait de la compétition interne, constituer un risque d'affaiblissement des ressources managériales et ne pas être en mesure de proposer le candidat nécessaire à la firme, notamment dans les entreprises de petite taille ou lorsque l'environnement est fortement évolutif. Le recours au marché externe permettrait lui d'optimiser les ressources managériales, d'apporter une rupture, des réorientations stratégiques, de redonner confiance aux investisseurs lorsque le prédécesseur a connu des difficultés, mais les coûts de recrutement seraient plus élevés et l'incertitude serait plus grande tant sur les compétences du dirigeant que sur son adaptabilité à la firme. 40 1.3. Choix du cadre théorique Notre objectif est d'apporter une vision la plus complète possible du rôle du marché des dirigeants comme mécanisme de gouvernance. Celui-ci a en effet été peu étudié dans sa globalité. Si certains leviers comme la sanction des dirigeants inefficaces ont fait l'objet de nombreuses recherches, le lien avec le marché managérial n'est pas toujours fait et surtout ses autres voies d'intervention n'ont pas été clairement identifiées et testées empiriquement. Nous avions donc besoin d'un cadre théorique synthétique, alliant plusieurs dimensions, afin d'aboutir à une représentation de ce mécanisme la plus riche possible. C'est pourquoi nous avons choisi de mener nos recherches en utilisant la grille de lecture synthétique proposée par Charreaux (2002), qui associe les deux grandes approches constituant les courants théoriques majeurs en gouvernance : la vision disciplinaire et la vision cognitive. Les deux perspectives nous semblent nécessaires pour essayer de mieux comprendre et expliquer les mécanismes de gouvernance, elles se complètent et s'enrichissent. Pour permettre une meilleure compréhension de l'intérêt de cette vision synthétique, nous avons rappelé dans les deux prochaines sections les principaux apports et les limites de chacun des courants qui la composent, puis nous avons exposé les avantages de leur prise en compte simultanée. Nos travaux étant consacrés à l'analyse d'un des mécanismes de gouvernance, nous présentons dans le paragraphe 1.3.4. les différentes typologies qui ont été proposées en gouvernance pour faciliter la compréhension de ces mécanismes. 1.3.1. La gouvernance disciplinaire Le courant disciplinaire s'est appuyé sur les théories contractuelles des organisations : la théorie de l‟agence, la théorie des droits de propriété et celle des coûts de transaction. Dans la conception contractuelle, la firme est présentée comme un nœud de contrats. Les fondements de la vision juridico-financière de la gouvernance ont été constitués par l'analyse de la séparation de la fonction de propriété et de la fonction de contrôle de la firme (Berle et Means, 1932). Dans une firme où la propriété et le management sont séparés, si les actionnaires sont dispersés, ils deviennent des apporteurs de capitaux mais ne sont pas des facteurs de production générateurs de rente, ils assument le risque mais sont passifs 41 relativement à la gestion de l'entreprise, contrairement à une firme entrepreneuriale traditionnelle où le propriétaire de la firme apporte à la fois les capitaux et ses compétences. De cette séparation sont nés des conflits d'intérêt entre les actionnaires et les dirigeants, qui engendrent des coûts d'agence venant réduire la création de valeur dans la firme. La notion de conflit, de divergence d‟intérêts entre les apporteurs de capitaux et les dirigeants, dès qu‟il y a séparation des fonctions de propriété et de décision, traduit la possibilité d‟un comportement du dirigeant allant à l‟encontre de l‟attente des actionnaires, comme chercher à s‟octroyer des avantages en nature afin de maximiser son bien-être, et entraîne la recherche de systèmes et de mécanismes permettant l‟alignement de ces intérêts. Le rôle des systèmes de gouvernance, autrement dit dans une vision systémique des mécanismes qui les composent, est alors de favoriser cet alignement. La gouvernance est présentée comme un système disciplinaire, préventif et curatif, ayant pour objectif, dans la vision actionnariale, de maximiser la richesse des actionnaires et de sécuriser la rentabilité de l'investissement financier. Un autre courant s'est développé à l'intérieur de l'approche disciplinaire : la perspective partenariale, élargissant le statut de propriétaire à l'ensemble des participants au nœud de contrats productif (par exemple les salariés ou encore les clients). La vision demeure disciplinaire, il s'agit de parvenir à l'alignement des intérêts entre les dirigeants et les autres partenaires, mais elle pose, en plus de la préservation de la création de valeur, le problème de sa répartition. Dans les deux modèles, l‟efficience est de source disciplinaire, les mécanismes du système de gouvernance étant des moyens de contrôle et d‟incitation, de réduction des conflits d‟intérêts entre les propriétaires et les dirigeants. La notion d'efficience est fondamentale dans les théories de la gouvernance. Le but de l‟organisation est de dégager un surplus, et de le répartir entre les différentes parties prenantes de manière à assurer la pérennité de la coalition. Ainsi les recherches en gouvernance sont liées à l‟étude de la création et de la répartition de la valeur par l‟organisation. L‟efficience est relative, elle s‟apprécie par rapport aux concurrents, et est continuellement remise en question, compte tenu des changements institutionnels et organisationnels. L'étude de l'influence des mécanismes de gouvernance s'intéresse alors à leur capacité à préserver ou à créer de la création de valeur. Nos travaux se sont inscrits dans cette perspective et ont été articulés en deux axes : l'identification des différentes voies d'intervention du marché managérial, puis le test de leur influence sur la performance de la firme. 42 1.3.2. La gouvernance cognitive Cette approche puise ses fondements dans deux courants théoriques principaux. L‟évolutionnisme économique (Nelson et Winter, 1982) mettait en avant la construction de structures permettant d‟accumuler de la connaissance et des compétences, et faisait le lien entre connaissance et création de rentes. Les théories stratégiques, avec les travaux précurseurs de Penrose (1959) et de ses héritiers (Wernefelt, 1984, Conner et Prahalad, 1996, Teece et al., 1997), se sont fondées sur la notion de ressources et ont cherché à identifier les sources de l‟avantage concurrentiel. La firme est considérée dans cette approche comme un répertoire de connaissances. Son efficience consiste en sa capacité à créer de la valeur, de manière durable, via la construction des opportunités de croissance, à innover, autant qu‟à réduire les conflits cognitifs. C‟est une efficience de type dynamique, adaptatif et productif. La performance va être liée à l'aptitude du dirigeant à inventer, détecter, construire de nouvelles opportunités. Les mécanismes de gouvernance sont alors analysés pour leurs apports cognitifs, par exemple pour leur capacité à contribuer à un enrichissement de la vision stratégique ou encore à véhiculer de nouvelles compétences. Concernant le marché des dirigeants, la prise en compte de la dimension cognitive permet de se poser la question de l'existence d'autres voies d'intervention que celles de source disciplinaire. Le marché du travail managérial joue-t-il un rôle dans la création de valeur en ayant une influence sur les décisions stratégiques des dirigeants ? Quelles compétences permet-il d'apporter à la firme ? Dans l'analyse cognitive, les marchés sont en effet généralement vus à travers leur capacité d‟échange et d‟acquisition de connaissances. 1.3.3. L'intérêt d'une vision synthétique La vision disciplinaire, fréquemment utilisée, constitue une approche partielle, ne permettant pas d‟analyser toutes les possibilités d‟intervention des mécanismes de gouvernance et n‟expliquant qu‟une partie de leur contribution à la création de valeur. Dans cette approche, l‟ensemble des opportunités d‟investissement est supposé exogène, et l‟analyse de la performance ne s‟attache pas à comprendre comment s‟effectue la création de valeur, mais à la manière de réduire les coûts pour éviter le gaspillage de cette valeur. Avec la dimension cognitive, l‟origine de la valeur est au cœur de l‟analyse. La prise en compte de l‟ensemble de ces aspects, tant les possibilités de réduction des conflits d‟intérêts que les facteurs contribuant à la création de valeur, nous semble nécessaire pour étudier les 43 mécanismes de gouvernance, les comprendre et traduire une image aussi fidèle que possible de la réalité. Les deux analyses ne s‟opposent pas, elles se complètent. Un mécanisme résulte de la volonté explicite de contrôler ou de limiter l‟espace discrétionnaire du dirigeant, mais peut également contribuer par des apports cognitifs à la création de valeur. Cette vision synthétique de la gouvernance était également présente dans les travaux de Foss (1996) et O'Sullivan (2000). 1.3.4. Les mécanismes de gouvernance Analyser et comprendre les systèmes de gouvernance repose sur une bonne appréhension des mécanismes qui les composent. Ceci suppose, d'une part, de disposer d'une typologie permettant de les différencier, d'autre part, dans une conception du dispositif de nature systémique, de prendre en compte l'existence des interactions potentielles. Plusieurs typologies des mécanismes de gouvernance ont été proposées. La simple distinction entre interne et externe est fréquemment utilisée dans l‟approche financière actionnariale. Elle considère que deux grandes familles de mécanismes peuvent être distinguées : les internes, liés à la firme, comme le conseil d'administration, et les externes, notamment les marchés, dont l'influence s'étend au-delà des frontières de la firme. Chaque sous-ensemble est supposé avoir des caractéristiques propres. Si cette typologie a eu l'avantage de constituer un premier support de réflexion sur les différences entre les mécanismes, celle proposée un peu plus tard par Charreaux (1997), en affinant les dimensions prises en compte, permet de mieux comprendre et appréhender ce que représente un mécanisme de gouvernance et fait ressortir le caractère contingent des mécanismes. Elle est basée sur deux axes distinctifs : l'intentionnalité ou la spontanéité d'un mécanisme d'une part, sa spécificité ou sa non-spécificité d'autre part. La première distingue un mécanisme en fonction de son caractère intentionnel, formel, résultant d'une volonté explicite, ou au contraire de son caractère spontané, lorsqu'il n'a pas été au départ conçu pour discipliner les dirigeants, mais qu'il exerce de fait une contrainte sur ceux-ci. La seconde apporte une réponse à la difficulté d'appréhender la notion d'internalité, en s'y substituant. "Est considéré comme spécifique, tout mécanisme propre à l'entreprise délimitant le pouvoir discrétionnaire des dirigeants, dans le sens où son action influence exclusivement les décisions des dirigeants de cette entreprise" (Charreaux, 1997, p. 425). Les mécanismes intentionnels spécifiques sont 44 des systèmes formels d‟incitation et de contrôle. Il s'agit par exemple du contrôle direct des actionnaires, du conseil d‟administration, des systèmes de rémunération des dirigeants ou encore des comités d‟entreprises. Sont au contraire considérés comme spontanés spécifiques les mécanismes informels, parmi lesquels figurent les réseaux informels de confiance, la surveillance mutuelle des dirigeants, la réputation auprès des salariés. L'environnement légal et réglementaire, auditeurs légaux, association de consommateurs, constituent eux des mécanismes intentionnels non spécifiques. Enfin les marchés se caractérisent par leur aspect spontané et non spécifique : marché des biens et des services, marché financier, marché des dirigeants, marché des prises de contrôle, environnement médiatique, marché de la formation… (Charreaux, 1997, p. 427). Dans cette typologie, le marché des dirigeants est un mécanisme spontané non spécifique. Le caractère non spécifique traduit le fait qu‟il ne concerne pas exclusivement une firme, mais agit sur et avec l‟ensemble des entreprises. C‟est aussi un mécanisme spontané, par opposition à intentionnel, car il contrôle et limite l‟espace discrétionnaire du dirigeant sans en avoir la volonté explicite. Bien comprendre le rôle du marché des dirigeants suppose également tenir compte des interactions potentielles entre les mécanismes à l'intérieur du système de gouvernance des entreprises. Ceux-ci n‟agissent pas de manière indépendante, ils sont imbriqués, et présentent des phénomènes de complémentarité ou de substitution (Jensen et al., 1992, Rediker et Seth, 1995, Agrawal et Knoeber, 1996, Hirshleifer et Thakor, 1998, Coles et al. 2001, Graziano et Luporini, 2003). Une hiérarchie des mécanismes peut être observée (Fama, 1980), elle varie selon la structure de l'entreprise. Par exemple, d'après l'auteur, dans les firmes managériales le mécanisme dominant serait le marché des dirigeants. Cette vision rend plus complexes les modélisations des systèmes de gouvernance, mais elle permet d‟accroître leur pouvoir explicatif. De ce fait, les études empiriques cherchant à tester l‟efficacité des différents mécanismes en les considérant isolément n‟obtiennent généralement que des résultats partiels ou faibles (Agrawal et Knoeber, 1996). L'analyse de ces interactions sera développée au chapitre VII. Conclusion du premier chapitre Ce premier chapitre nous a permis de définir le cadre général de nos travaux. Nous avons ainsi expliqué que nous nous intéressions aux dirigeants qui ont le pouvoir de décision et engagent la société au nom des actionnaires, notre étude portant sur les chefs d‟états majors et 45 non pas, comme certaines recherches, sur l‟ensemble des cadres dirigeants, incluant les directeurs des ressources humaines ou encore les directeurs financiers. Un tableau rapide des pratiques de gouvernance dans les principaux pays industrialisés a fait ressortir leur hétérogénéité mais aussi l'absence de vérification de leur incidence sur la performance des firmes. Leur prise en compte aide à mieux comprendre comment la latitude des dirigeants peut varier et comment leur rôle est délimité. Elles influencent de ce fait la position du marché managérial à l'intérieur du système de gouvernance et sa capacité à créer de la valeur. En nous appuyant sur les recherches menées en économie du travail, nous avons progressivement affiné la définition du marché managérial, segment supérieur du marché du travail primaire, fondé sur la mise en concurrence et les possibilités de mobilité, dont l'accès serait difficile et conditionné par les composantes du capital humain des candidats. Nous avons présenté les deux possibilités qui s'offrent aux firmes souhaitant recruter un nouveau dirigeant : avoir recours au marché externe ou favoriser la promotion en interne jusqu'aux plus hauts échelons. L'arbitrage entre ces deux solutions se fait en fonction des besoins et des ressources de la firme. Par exemple un candidat externe peut être retenu pour sa capacité à mettre en œuvre des réorientations stratégiques, alors qu'un interne est privilégié lorsque la firme recherche la continuité. Le cadre d'analyse qui a été retenu pour mener nos travaux est la grille de lecture synthétique proposée par Charreaux (2002), qui permet d'étudier le rôle du marché des dirigeants sous les deux dimensions, disciplinaire et cognitive, afin d‟avoir une vision la plus complète possible de l'intervention de ce mécanisme. En effet, dans l'approche disciplinaire, les mécanismes de gouvernance sont vus à travers leur rôle d'incitation et de contrôle et leur capacité à aligner les intérêts des dirigeants et des actionnaires. Dans la vision cognitive, d'autres voies d'intervention sont prises en compte, comme l'influence des mécanismes sur la vision stratégique de la firme ou encore leur capacité à apporter des compétences. Les prochains chapitres exposent les différentes facettes du rôle du marché des dirigeants en tant que mécanisme de gouvernance, telles qu‟elles nous ont semblé se dégager de la littérature, en cherchant à dresser un tableau aussi exhaustif que possible. Le chapitre II sera concentré sur la fonction du marché managérial reconnue fondamentale : l‟évaluation des 46 dirigeants. Après avoir présenté comment elle s‟effectue, par qui, à quel moment, nous expliquerons pourquoi cette voie d‟intervention justifiait un chapitre dédié et en quoi elle constitue, dans une recherche de modélisation du rôle du marché managérial, un préalable aux autres voies d‟intervention. Le chapitre III sera consacré au rôle disciplinaire du marché des dirigeants et le chapitre IV à son rôle cognitif dans le SGE. 47 CHAPITRE II : L’EVALUATION DES DIRIGEANTS, FONCTION FONDAMENTALE DU MARCHE MANAGERIAL L‟évaluation est généralement considérée comme la fonction principale du marché des dirigeants. Le marché du travail des dirigeants peut présenter deux types d'efficience : une efficience informationnelle, si toute l‟information passée et présente est efficacement utilisée pour évaluer le capital humain des dirigeants relevant de ce marché, et une efficience allocationnelle, si l'allocation résultant de cette appréciation engendre l'orientation des meilleurs dirigeants vers les entreprises les plus performantes. En effet les dirigeants ayant les compétences les plus élevées choisiraient de travailler pour les firmes qui les récompenseraient le mieux. L'efficience allocative du marché managérial suppose sa capacité à respecter la double contrainte à laquelle il est confronté : celle de la rareté de la ressource et celle de la spécificité du besoin en capital humain exprimé par l'entreprise. L'évaluation d'un dirigeant est un exercice très complexe. Elle porte à la fois sur ses caractéristiques, sa formation, son expérience, ses compétences, la performance qu'il a enregistrée et les efforts qu'il a fournis dans ses précédents postes. Elle dépend également des candidats potentiels sur le marché managérial, le dirigeant obtenant le poste étant celui qui a remporté la compétition l'opposant aux autres prétendants. Cette mise en concurrence est un des fondements du fonctionnement du marché managérial, donnant au rôle d'évaluation la particularité d'être relatif. La difficulté réside également dans le fait "qu'il faut plus longtemps aux dirigeants qu'aux autres employés pour faire leurs preuves dans leur fonction. La raison est que leur productivité dépend de l'aboutissement favorable des efforts des autres – ce qui s'évalue de manière plus fiable sur le long terme"11 (Elliott, 2000, p. 1039). Les actifs managériaux faisant partie des actifs non cotés, il est complexe d‟apprécier le rôle d‟évaluation exercé par le marché des dirigeants. Nous allons chercher à l‟appréhender en 11 Elliott J.R. (2000, p. 1039) : (a defining characteristic of managers is that) "they take longer to prove themselves on the job than other types of labor. The reason is that their productivity relies upon the steady and successful culmination of others' efforts – something which is more reliably assessed over the long term". 48 répondant aux questions suivantes : Comment un dirigeant est-il évalué ? Selon les critères de sélection utilisés pour recruter un dirigeant, nous chercherons à comprendre si le marché managérial joue un rôle et s‟il est efficient. Par qui un dirigeant est-il évalué ? La connaissance des acteurs intervenant dans l‟évaluation nous aidera à analyser le rôle du marché des dirigeants. A quels moments le marché managérial joue-t-il ce rôle d‟évaluation ? La fréquence des évaluations traduit l‟importance de sa fonction et améliore la connaissance des candidats. Quels sont les coûts engendrés ou liés à cette évaluation ? S‟ils sont élevés, ils peuvent être un frein ou être destructeurs de valeur. A travers l‟étude de ce rôle d‟évaluation, nous essayerons de faire ressortir les caractéristiques du marché managérial : modes d‟accès, fluidité, segmentation. Nous expliquerons ensuite comment cette fonction conditionne l‟ensemble du rôle du marché des dirigeants en tant que mécanisme de gouvernance et peut être considérée comme le socle de notre analyse. 2.1. Comment un dirigeant est-il évalué ? L'évaluation des dirigeants fait l'objet d'une littérature abondante en gestion des ressources humaines. Elle repose sur trois approches complémentaires : l'appréciation du capital humain managérial, l'évaluation du dirigeant en fonction de la performance des entreprises où il a exercé précédemment, et enfin l'analyse de l'adéquation du profil du candidat aux spécificités et besoins de la cible. Les deux premières s'appuient sur la constatation que les talents et les compétences d'un individu n'étant pas observables, la capacité d'un dirigeant peut être appréhendée soit ex ante, par sa formation et son expérience professionnelle notamment, soit ex post en fonction de la performance de la firme qu'il dirige. 2.1.1. L'évaluation du capital humain des dirigeants Les caractéristiques des dirigeants ont une influence sur la performance de la firme (Hambrick et Mason, 1984, Gupta, 1984, Lewin et Stephens, 1990, Hitt et Tyler, 1991, Wiersema et Bantel, 1992, Datta et Guthrie, 1998) et sont généralement utilisées comme opérationnalisation du capital humain managérial. Le candidat est analysé en fonction de son âge, de sa formation, de son expérience professionnelle (fonctionnelle, sectorielle, industrielle), son ancienneté dans le poste, ainsi que relativement à d‟autres critères dont 49 l‟estimation est plus complexe : intégrité, capacité à décider, à prendre des risques, à anticiper et conduire le changement, à fédérer, à s‟adapter, à négocier… Il semble que le capital humain ne soit pas intégralement et uniquement lié au cursus, mais que sa valeur dépende de la prise en compte d'un ensemble de critères. Le rôle d‟évaluation du marché des dirigeants sera efficient s‟il traduit la valeur effective du capital humain du dirigeant et permet à celui-ci, de ce fait, de se voir proposer un poste en cohérence avec ses compétences et ses qualifications. 2.1.1.1. L'âge L'âge fait partie des critères d'analyse, c'est une des caractéristiques managériales facilement observables. L‟entreprise peut souhaiter un jeune de quarante ans, ayant déjà de l‟expérience, mais surtout l‟envie d‟innover, d‟entreprendre, ou au contraire préférer un dirigeant de cinquante ans, qui sera probablement plus fidèle. S‟il existe très certainement des différences importantes entre les personnalités de candidats d‟âges identiques, il semble cependant cohérent de supposer qu‟en fonction de la tranche d‟âge, certains profils puissent se dégager, en matière de prise de risque, d'investissement, d'innovation, de volonté de changement (Pfeffer, 1983, Bantel et Jackson, 1989, Miller, 1991, Wiersema et Bantel, 1992, Hirshleifer et Thakor, 1992, Hambrick et al., 1993, Datta et Rajagopalan, 1998, Bertrand et Schoar, 2003). 2.1.1.2. La formation La formation est un autre élément intégré dans l'évaluation. La prise en compte du niveau d‟études sous-entend que celui-ci valide l‟existence de compétences du candidat et leur applicabilité à l‟entreprise concernée. Le niveau d'études reflèterait la capacité cognitive d'un candidat, son ouverture d'esprit, sa réceptivité à l'innovation, sa capacité à percevoir et distinguer les choses (Becker, 1970, Kimberly et Evanisko, 1981, Bantel et Jackson, 1989, Wiersema et Bantel, 1992, Wally et Baum, 1994). Le lien entre l'accession à un poste de dirigeant, à des rémunérations élevées, et un niveau de formation supérieur a été mis en évidence dans de nombreuses études, aussi bien pour les États-Unis (Elliott, 2000, Murphy et Zabojnik, 2004, Cappelli et Hamori, 2005), pour l'Angleterre (McNabb, 1987), que pour la France (Bauer et Bertin-Mourot, 1987, 1995, Pigé, 50 1993, 1996, Nguyen-Dang, 2005). Murphy et Zabojnik (2004) reliaient l'augmentation des salaires des dirigeants enregistrée depuis les années quatre vingt à la multiplication des études générales de haut niveau comme les Master in Business Administration (désormais MBA), apportant une culture en management, en finance, en marketing…. D'après leur article, les recrutements de dirigeants ayant un MBA avaient doublé en vingt ans et représentaient 28.7% des changements dans les années 1990. En France, il semblerait que les recrutements des dirigeants se fassent principalement parmi les diplômés des grandes écoles, les plus prestigieuses étant HEC, l'ESCP, l'ESSEC pour les cadres commerciaux et l'École Polytechnique, l'École de Mines, l'École des Ponts, et l'École Centrale pour les ingénieurs. D‟après les travaux de Bauer et Bertin-Mourot (1987), le recrutement des dirigeants serait de type clanique, une élite, issue principalement de l‟école Polytechnique et de l‟École Nationale d‟Administration (désormais ENA), se partageant les postes les plus hauts placés. Ils mettaient en avant l‟importance déterminante du diplôme initial et du passage par les grandes écoles et les grands corps de l‟État, ainsi que le recrutement d‟une proportion élevée des dirigeants dans la haute fonction publique, souvent après un passage dans les cabinets ministériels ou à l'Inspection des Finances. Rappelons que pour faire partie d'un des grands corps de l'État, il faut être diplômé de l'ENA puis avoir été en fonction à l'Inspection des Finances, au Conseil d'État, à la Cour des Comptes, au Corps Préfectoral, à l'Inspection Générale de l'Administration, ou encore à l'Inspection Générale des Affaires Sociales, ou pour ceux qui sortent de l'école Polytechnique, être ensuite passé par l'École de Mines, celle des Télécommunications, les Ponts, l'ENSAE (École Nationale Supérieure de l'Administration Économique), l'École du Génie Rural, des Eaux et des Forêts, ou encore l'École de l'Armement. Cela entraînerait un recrutement très uniforme, peu fait pour tirer parti de la variété des ressources humaines, et ne valorisant pas l‟expérience acquise et la réussite professionnelle. Une telle évaluation qui se limiterait au diplôme peut paraître insuffisante, ne tenant pas compte des qualités personnelles du dirigeant, de son parcours professionnel, ni de l‟adéquation avec les besoins de l‟entreprise. Mais rien ne permet d'affirmer que ces autres critères n'ont pas été également étudiés. De plus, si l'existence de ces réseaux peut sembler constituer une barrière à l'entrée du marché managérial français, elle ne remet pas forcément en question son efficience, pour deux raisons. D'une part, les candidats promus par les réseaux peuvent tout-à-fait être compétents, et les réseaux apporter une meilleure information sur leurs capacités, d'autre part, le marché managérial a probablement également joué un rôle dans l'évaluation, au moins implicitement en servant de référence. 51 Il faut aussi rappeler que ces travaux se limitent à l‟étude des plus hauts dirigeants (les deux cents), et que la part des entreprises publiques dans leur échantillon était majoritaire, ils ne traduisent ainsi pas forcément la réalité du marché français des dirigeants pour l‟ensemble des firmes. Nguyen-Dang (2005), qui étudiait sur une période plus récente (1994 à 2001) l'influence des réseaux de dirigeants en France, notamment l'appartenance aux grands corps, confirmait son importance encore une fois sur les plus grosses entreprises (le SBF 250), mais soulignait parallèlement que ces sociétés avaient une particularité forte, celle d'être sous l'influence directe ou indirecte du gouvernement. Dans son échantillon, 31% des dirigeants issus de grands corps et 41% de dirigeants venant de l'Inspection des Finances étaient à la tête d'une entreprise dont l'État était un actionnaire important. La prédominance de ces clans n'est peut-être plus une réalité lorsque l'on étudie les firmes privées. Dans l'étude de Pigé (1996) portant sur 558 entreprises cotées en France sur la période 1966 à 1990, les résultats étaient plus nuancés. S‟inspirant des travaux de Bauer et Bertin-Mourot (1996), il a repris leur typologie des dirigeants basée sur trois atouts : l„atout " capital " lié à l‟appui familial, l‟atout " état " faisant référence aux liens construits pendant la formation (ENA, Polytechnique…) et le passage par la fonction publique, l‟atout " carrière " représentant l‟expérience professionnelle. Il ressort de son analyse que la formation demeurait une variable discriminante : un quart des PDG sortait de Polytechnique, un quart était ingénieurs de formation, un quart issu des grandes écoles de management et de commerce, un huitième de l‟université et un huitième n‟avait pas de formation supérieure. Cependant les PDG non issus de grands corps et ne bénéficiant pas d‟appui familial étaient plus de 50% à avoir travaillé dans une autre entreprise, ce qui tend à traduire un rôle plus important du marché managérial pour cette catégorie. Le rôle du marché s‟accentuerait lorsqu‟on s‟éloigne des entreprises les plus importantes (effet taille). Dans les entreprises de taille inférieure, la part d‟autodidactes augmente et le niveau de diplôme ne se restreint pas aux quelques grandes écoles citées ci-dessus. L'étude de Pigé n‟a pas trouvé de lien significatif entre les facteurs ayant permis au dirigeant d‟accéder à la tête de l‟entreprise et la performance de celle-ci au cours de son mandat. Les dirigeants sélectionnés par le marché du travail n'étaient pas plus performants que ceux bénéficiant de réseaux ou d‟appui familial. Il demeure que dans les esprits aujourd‟hui le marché managérial français apparaît comme segmenté, et de ce fait assumerait mal sa fonction allocationnelle, du fait de la forte influence 52 de réseaux liés à certaines formations. Mais cet argument est très discutable. D'une part, les effets de cette influence ne sont pas forcément négatifs et en opposition au marché managérial. Les réseaux peuvent aussi contribuer à une meilleure sélection des dirigeants car ils disposent de plus d'informations sur leurs compétences. De plus, pour des questions de réputation, ils sont probablement vigilants à ne pas promouvoir des candidats dont les chances de succès à la tête de l'entreprise qui recrute seraient réduites. En l‟état actuel de la littérature, il est difficile de conclure sur ce point. D'autre part, la multiplicité des critères évoqués dans les études portant sur le recrutement des dirigeants laisse à penser que la formation au sein de certaines écoles n‟est pas un critère exclusif, même si elle peut jouer un rôle de signal fort. Étudier les caractéristiques des dirigeants nommés récemment (l‟analyse de Pigé remonte à 1996) et dans des entreprises relevant d‟un panel plus large que le CAC 40 ou les deux cents plus grosses entreprises, par exemple s'intéresser à l‟ensemble des sociétés cotées, permettrait d‟apporter un éclairage plus juste et plus précis sur la réalité des critères d'évaluation du marché managérial en France. Aux États-Unis et en Angleterre, cette influence des clans n'apparaît pas comme une caractéristique majeure du marché managérial. Pourtant il existe aussi des formations élitistes très reconnues, les Ivy league schools12 américaines, ou pour le marché anglais les fameuses universités d'Oxford et de Cambridge, qui en plus approvisionnent le marché du travail chaque année d'un nombre de diplômés beaucoup plus élevés que l'ENA et Polytechnique. Outre un effet "réseaux" moins mis en évidence, le marché managérial américain semblerait évoluer vers une plus grande diversification des formations de ses dirigeants. Ainsi, l'étude récente menée par Cappelli et Hamori (2005) concernant les cadres de haut niveau (le top 10) des entreprises répertoriées dans Fortune 100, faisait ressortir une hausse du niveau d‟études, mais une baisse de l'influence des formations les plus élitistes. La part des dirigeants issus des Ivy league Schools était en effet passée de 14% en 1980 à 10% en 2001. 2.1.1.3. L'expérience professionnelle L'expérience professionnelle est généralement analysée comme une mesure du développement du capital humain du dirigeant. Elle peut permettre d'expliquer l'existence 12 Les "Ivy League Schools" sont les huit plus prestigieuses institutions privées d'enseignement supérieur du Nord Est des États-Unis : ce sont les universités de Brown, Princeton, Harvard, Columbia, Cornell, Dartmouth, Pennsylvania, Yale. 53 d'écarts de rémunération entre les travailleurs (McNabb, 1987). Au moment de la sélection, la spécialisation du dirigeant au cours de sa carrière est prise en compte, par exemple si elle est orientée vers un secteur particulier, un type d‟organisation ou certaines fonctions. Ainsi Didier Lamouche, président de Bull depuis 2005, aurait été recruté notamment pour sa connaissance du secteur informatique (il était précédemment vice-président d'IBM) et pour sa capacité à mener à bien des restructurations. Les caractéristiques et l‟expérience des dirigeants varient considérablement d‟une industrie à une autre (Datta et Guthrie, 2002). La connaissance du secteur et de ses spécificités peut être un critère de sélection (Gunz et al., 2000). Dans l‟étude de Parrino (1997), peu de nouveaux dirigeants (2,7%) n‟avaient pas d‟expérience industrielle ou technique liée au domaine de la firme. L‟expérience industrielle peut être un moyen de réduire les risques coûteux d‟erreur de changements politiques, elle est synonyme de continuité, et réduit les coûts d‟adaptation du dirigeant lorsqu‟il arrive dans son nouveau poste. Plus l‟expérience professionnelle augmente, plus le dirigeant développe son capital humain général et spécifique à la firme. Sa prise en compte dans l‟évaluation d‟un candidat traduit l‟efficience allocationnelle du rôle du marché managérial si on suppose qu‟elle constitue un déterminant important des capacités du dirigeant. En outre, plus le dirigeant a occupé de postes, meilleure est la connaissance de son potentiel, car il a été évalué plusieurs fois et dans des fonctions différentes. Mais des candidats extérieurs sans expérience industrielle peuvent aussi être choisis pour obtenir des résultats spécifiques dans d‟autres domaines. L'expérience ministérielle semble être recherchée, principalement en France. L'étude de Bauer et Bertin-Mourot (1996), qui effectuait une comparaison entre la situation en France, au Royaume Uni et en Allemagne, soulignait notamment l'importance en France du passage dans les ministères avant de devenir dirigeant : 47% des dirigeants des 200 plus grandes sociétés françaises étaient issus de la sphère publique Pour l'Angleterre, ce chiffre était de 2% seulement, et de 8% pour l'Allemagne (également sur les 200). Les relations établies à l'occasion d'un passage ministériel sont certainement une des principales justifications de l'importance de ce critère. Cependant, ces chiffres remontant aux années quatre-vingt dix, cette prépondérance reste à confirmer. 2.1.1.4. Les qualités personnelles Outre l‟âge, la formation, l‟expérience, ou encore le niveau d‟éducation, la rotation ou durée des postes précédents, d‟autres critères sont étudiés, et leur estimation est encore plus 54 complexe. Évaluer les qualités et compétences d‟un candidat telles que l‟intégrité, l‟intelligence, l‟énergie, la capacité à décider, à prendre des risques, à anticiper et conduire le changement, le degré de motivation, la souplesse d‟adaptation, notamment aux mutations de l‟environnement, le don pour la négociation, le charisme,… entre dans le domaine du subjectif, même si des grilles et des tests spécifiques se développent. Il en va de même pour la réputation (meneur d‟hommes, respecté dans le secteur, dans le milieu financier, "tueur"...) et le capital confiance associés au dirigeant. La capacité d'adaptation du candidat au nouveau poste, l'importance de la formation qui lui sera nécessaire pour assumer ses fonctions, génératrices de coûts, peuvent également être prises en compte. Dans le modèle de compétition du travail développé par Thurow (1970, 1975), ces coûts varient selon les caractéristiques et les compétences de l'individu, et détermineraient les possibilités d'accès à certains postes. Pour Mintzberg (2003, p. 183), l'ambition joue également un rôle important : "les présidents directeurs généraux ont tendance à être des individus très orientés vers la réussite. Tout le monde n'arrive pas au sommet de la hiérarchie. Les procédés de sélection ont tendance à promouvoir ceux qui semblent les plus concernés par la réussite". 2.1.1.5. Le capital social Pour reprendre la terminologie de Bevort (2001, p. 63), le capital social est constitué "par les normes et les réseaux qui facilitent la confiance, la coopération et l'action collective". Il est généralement considéré comme une ressource, difficilement échangeable (Coleman, 1990), spécifique. Bourdieu (1980), dans sa distinction entre capital économique, capital culturel et capital social, adoptait une vision utilitariste de ce dernier, synthétisée dans la définition de Mercklé (2004, p. 55) : le capital social "apparaît comme constitué du réseau des relations sociales d'un individu et des volumes des différentes sortes de capital détenues par les agents qu'il peut ainsi atteindre et mobiliser pour son propre intérêt" ; il serait "proportionnel à ses propres dotations en capital économique et en capital culturel, elles-mêmes très fortement liées à son origine sociale". Cette vision a été très discutée, notamment par Lin (1995), qui défend la capacité du capital social à avoir ses effets propres. La notion de réseau sera développée aux chapitres V, paragraphe 5.2.3., et VI, paragraphe 6.2.3., l'objectif étant à ce stade uniquement de recenser un critère de sélection supplémentaire: les relations du candidat. Si, par exemple, le dirigeant dispose d‟un carnet d‟adresses, d‟un réseau, qui lui permettront une fois en poste de nouer des contacts avec de 55 nouveaux clients, des fournisseurs, d‟obtenir des contrats que l‟entreprise ne pouvait obtenir sans lui, ou encore s‟il bénéficie de relations dans un secteur ou un pays où la société veut se développer, ces éléments peuvent être déterminants pour sa sélection. 2.1.1.6. La transférabilité des talents managériaux Transversalement aux critères d‟évaluation que nous venons d‟évoquer, la notion de transférabilité des talents semble nécessaire à prendre en compte en matière de sélection. En effet recruter un dirigeant pour ses compétences évaluées par le marché suppose que ces compétences sont transposables à la nouvelle entreprise qu‟il va diriger. Chaque dirigeant dispose d‟un répertoire limité de savoir-faire, acquis lors de ses expériences précédentes, qui ne sont pas forcément transférables d‟une entreprise à une autre (Hambrick et Fukutomi, 1991). Il s‟agit avant tout de savoirs tacites (Elliasson, 1990). D'après la théorie du capital humain de Becker (1964), les compétences managériales sont une hiérarchie de savoir-faire ayant différents degrés de transférabilité entre firmes : - les savoir-faire liés à une entreprise, non transférables à une autre firme : connaissance de la culture d‟entreprise, rapports privilégiés établis avec les salariés, avec l‟équipe de direction, avec les syndicats, avec les parties prenantes ; - les savoir-faire liés à une industrie, transférables uniquement à une autre entreprise du même secteur d'activité : maîtrise technologique, connaissances techniques, du marché ; - les savoir-faire génériques, transférables à toutes les entreprises, qui forment la base de la hiérarchie des compétences : tous les dirigeants en possèdent et peuvent les mettre en pratique dans une autre firme, même si la nature et l'étendue de ces savoir-faire varient d'un individu à un autre. Ces derniers ne suffisent pas pour assumer une direction d‟entreprise (Castanias et Helfat, 1992). Il s‟agit par exemple des capacités de gestion, de management ou de marketing des dirigeants. Ainsi un successeur interne au dirigeant pourra être choisi notamment pour la valeur de son capital humain spécifique à la firme. Lorsque l'objectif du recrutement est d'assurer la continuité du savoir faire industriel, un interne ou un externe ayant ces compétences est susceptible de répondre au profil attendu. Lorsqu'une firme choisit de recruter en interne, elle s'assure, en plus des capacités spécifiques à la firme du candidat, de savoir-faire plus adaptés aux besoins de la firme (Harris et Helfat, 1997). 56 La prise en compte de la théorie du capital humain développée par Becker (1964) introduit plusieurs conséquences importantes pour notre étude. Elle fait évoluer la notion de prix, le "prix" d'un dirigeant étant la résultante de négociations fondées sur ce qu'il peut apporter de plus que les autres candidats. Elle peut aussi contribuer à une meilleure compréhension des modes d'accès et des frontières du marché managérial, en suggérant des facteurs explicatifs du recours ou du non recours à ce mécanisme pour évaluer et recruter un nouveau dirigeant. Le modèle de Murphy et Zabojnik (2004) explicitait également cette distinction entre "la capacité managériale générale", c'est-à-dire les talents managériaux transférables, comme l'expertise comptable, financière et la capacité à gérer des hommes et des actifs, et "le capital managérial spécifique à la firme", reflétant les connaissances, contacts, et expérience valables uniquement à l'intérieur de la firme. Pour les auteurs, seule la capacité managériale générale était rémunérée par le marché des dirigeants. Ils l'expliquaient notamment par l'importance de l'adéquation entre le profil du candidat et la cible. Lorsqu'une firme recrute à l'extérieur, et fait appel au marché des dirigeants, ce n'est pas forcément parce que les compétences attendues n'existent pas en interne. Ce peut être pour avoir l'opportunité de choisir parmi un panel beaucoup plus large, permettant justement de recruter la personne la plus adaptée aux besoins de l'entreprise. Dans ce cas, le capital spécifique à la firme n'est pas recherché ni valorisé. Pour Murphy et Zabojnik, le développement de la capacité managériale générale, lié à la multiplication des études de haut niveau, expliquarait l'augmentation des salaires des dirigeants enregistrée depuis vingt cinq ans. L‟intérêt du modèle de Murphy et Zabojnik consiste en la réflexion sur la distinction entre capital humain transférable et spécifique. Leur conclusion que seule la capacité managériale générale est rémunérée par le marché est cependant discutable. Pour mieux appréhender la réalité, un approfondissement de la notion de transférabilité et de celle de spécificité apparaît nécessaire, en examinant par exemple différents degrés de transférabilité. Dans les travaux de Parrino (1997), le capital humain spécifique et sa transférabilité étaient une considération importante dans la sélection d‟un nouveau dirigeant. Il ressortait de son étude qu‟à l‟intérieur d‟un secteur homogène, une part de ce capital humain était effectivement transférable, d‟où une réduction des coûts de recrutement favorisant la rotation des dirigeants. Il a en outre analysé les remplacements par des externes et trouvé qu‟ils avaient pour un quart d‟entre eux des relations professionnelles avec l‟entreprise avant leur mutation (consultant, clients…), ce 57 qui irait également dans le sens de la prise en compte de connaissances spécifiques de la firme. 2.1.1.7. Les signaux de marché La question se pose de comprendre quel pouvoir de signal présentent les différentes caractéristiques personnelles des dirigeants évoquées précédemment, et comment le contenu informationnel qu'elles véhiculent est appréhendé par les entreprises. Spence (1973) a cherché à modéliser la structure interactive du marché du travail. Il est parti de la constatation que le recrutement était un investissement qui s'effectue sous incertitude. Lorsqu'un employeur engage une nouvelle personne, il est dans l'incertitude quant aux capacités réelles du candidat choisi. Il demeure en asymétrie d'information pendant une certaine période, le temps que le nouvel embauché se forme et apprenne les différentes spécificités du poste. De même, le candidat ne dispose que d'une information partielle sur la fonction et son environnement au moment où il accepte le poste. L'employeur ne peut appréhender directement la productivité marginale d'un individu, il dispose principalement des caractéristiques et des attributs personnels observables du candidat. Cette image inclut la formation, l'expérience, etc. Elle peut être modifiée par l'individu, qui va par exemple choisir d'investir dans une formation plus élevée dans l'espoir d'obtenir un poste plus prestigieux ou mieux rémunéré. Sa décision sera fonction des coûts engendrés par ce choix, en termes financiers et de temps par exemple, et des gains potentiels attendus. L'existence de coûts est cohérente avec la théorie du signal, selon laquelle un signal doit être coûteux. Pour Spence (1973), chacune des caractéristiques individuelles des candidats véhicule un signal pour l'employeur, qui leur attribue un niveau attendu de productivité marginale. Une fois l'individu en poste, l'employeur va pouvoir vérifier et ajuster ses attentes. S'il n'y a pas d'écart majeur, il sera conforté dans ses croyances et interprétera de la même manière le signal lorsqu'il y sera à nouveau confronté. Spence soulignait le caractère interactif de la structure du marché du travail, car d'une part les candidats cherchent à modifier leur image en fonction des signaux les mieux perçus par l'employeur, d'autre part les résultats obtenus par les précédents embauchés contribuent à renforcer les croyances de l'employeur relativement aux signaux, ou à les modifier en cas d'échec. Un cycle est effectué lorsque les attentes d'un employeur le conduisent à proposer un certain niveau de rémunération, que l'attraction de cette rémunération incite les individus à tenter de produire le signal reconnu par cet employeur, une certaine formation par exemple, et que les candidats recrutés du fait de ces signaux confortent l'employeur dans ses croyances et 58 favorisent l'embauche ultérieure d'individus ayant les mêmes caractéristiques. La rareté intervient également, si le signal provient d'une minorité de candidats, et que les croyances de l'employeur sont fortes relativement à ce signal, la rémunération offerte pourra être plus élevée. Les signaux ont une incidence sur l'efficience allocationnelle du marché du travail. Le schéma proposé par Spence pourrait expliquer qu'une firme choisisse de recruter ses dirigeants au sein de la même formation, lorsque les prédécesseurs ont eu de bons résultats. Chez Bongrain par exemple Michel Léonard, HEC, a succédé en 2000 à Bernard Lacan, également issu de HEC, qui était en poste depuis 1997. Au Club Méditerranée, les trois dirigeants successifs depuis 1993 avaient pour formation une licence ou une maîtrise de sciences économiques. 2.1.1.8. Un développement des systèmes d’évaluation Les organisations investissent des sommes de plus en plus importantes et mettent en place des systèmes de gestion et d‟évaluation toujours plus perfectionnés pour s‟assurer du recrutement et du niveau des dirigeants. L‟assessment center est fréquemment utilisé : des cabinets spécialisés soumettent les candidats à divers exercices de simulation, créant des situations aussi proches que possible de la réalité de leurs responsabilités futures. En interne, le 360° feedback est un processus d‟évaluation offrant au dirigeant un retour multi niveaux : celui de son supérieur hiérarchique (s'il existe), celui de ses collègues, de ses collaborateurs, de ses clients et de ses fournisseurs. 2.1.2. L'évaluation du dirigeant en fonction de la performance Le lien entre le dirigeant et la performance de l‟entreprise qu‟il dirige est difficile à valider empiriquement. Il peut être contesté compte tenu des contraintes structurelles ou environnementales. Dans la vision déterministe par exemple, le dirigeant n‟a pas ou peu d‟effets sur les outcomes organisationnels, notamment la performance. Celle-ci est principalement le résultat de facteurs extérieurs sur lesquels la direction n‟a pas de contrôle. C‟est l‟approche de la théorie de l‟écologie des populations (Hannan et Freeman, 1977). Dans la perspective du choix stratégique par contre (Child, 1972), les leaders de l‟organisation sont directement responsables des outcomes organisationnels (Pfeffer, 1983). Dans leur analyse de la valeur en sciences de gestion, Desreumaux et Bréchet (1998) placaient les pratiques managériales au cœur du processus de la création de valeur. L'influence du dirigeant sur la 59 performance est cohérente avec notre approche théorique, qui s‟appuie sur le rôle central joué par le dirigeant dans l'entreprise. Malgré cette absence de confirmation empirique, la performance du dirigeant ou du cadre dans ses fonctions précédentes apparaît comme un critère important dans la sélection (Dalton et Kesner, 1983, Datta et Guthrie, 1994). C‟est une manière d‟évaluer les efforts qu‟il a déployés et leur concrétisation. Pour Holmström (1982, 1999), la compétence managériale est initialement incertaine et va être progressivement connue dans le temps, et la performance passée du dirigeant est une base rationnelle pour prédire sa performance future. Dans le modèle de Fama (1980), relatif aux sociétés managériales, la valeur du capital humain des dirigeants est évaluée sur la base des performances passées enregistrées par les entreprises où a exercé le candidat : "les associations antérieures d'un dirigeant avec le succès ou l'échec constituent des informations sur ses talents" 13 (Fama, 1980, p. 292). Les compétences et qualités du dirigeant n‟étant pas connues avec certitude, et étant susceptibles de varier dans le temps, l‟information sur la performance passée et actuelle du dirigeant sert de base à son évaluation. Sous l'hypothèse d'efficience informationnelle du marché financier, celui-ci peut permettre au marché managérial d'évaluer cette performance, l‟évolution du prix de l‟action étant supposée refléter les résultats de la firme et sa valeur de manière rationnelle. Les signaux transmis par le marché financier entraînent la réévaluation du capital humain du dirigeant par le marché managérial, reflétant ainsi la mesure la plus récente de sa production marginale. Ils conduiront à sa sanction ou à sa récompense selon ses résultats. Cette approche, admise dans les années 80, est aujourd'hui de plus en plus contestée. D'autres estimations de la performance sont prises en compte (indicateurs comptables, de gestion, de satisfaction…). Le choix des critères d'analyse de la performance est délicat et sujet à controverse. Cependant il ne nous semble pas remettre en cause l'intérêt de la prise en compte de la performance dans la sélection, qui en permettant de mettre en concurrence les candidats sur une base d'information commune, est susceptible d'améliorer l'efficience du rôle d'évaluation du marché managérial. 13 Fama E. (1980, p. 292) : "The previous associations of a manager with success and failure are information about his talents". 60 2.1.3. En fonction de la cible L'efficacité de la sélection d‟un nouveau dirigeant serait liée à une bonne adéquation avec la cible : les besoins organisationnels diffèrent d‟une firme à l‟autre, et l‟efficacité d‟un individu dépend du contexte dans lequel il exerce (Gupta, 1984). Il s‟agit de rechercher des liens entre les valeurs et les expériences mises en avant par le candidat et les besoins, leurs adaptations à l‟entreprise qui recrute (Khurana, 2003). " La situation des entreprises varie d‟une firme à l‟autre (..), certaines compétences sont davantage souhaitables dans certaines situations " (Castanias et Helfat, 1991, p. 159) 14 . Le conseil d'administration recherche le candidat dont les qualités et compétences apparaissent les mieux adaptées pour diriger la firme avec succès en fonction de ses besoins présents et futurs (Vancil, 1987, Finkelstein et Hambrick, 1996). Il sélectionne celui dont les capacités permettront de faire face aux problèmes auxquels l'organisation sera confrontée (Pfeffer et Salancik, 1978). Les dirigeants diffèrent par leurs compétences et la valeur de leur capital humain, mais au-delà de la notion de "bon" ou "mauvais" dirigeant, il s'agit de détecter le profil le plus adapté aux besoins et à l'environnement de la firme (Bertrand et Schoar, 2003). Ainsi Gilles Michel, alors président du directoire de Gemplus, a été recruté en 2004 par Cybernetix pour sa capacité à mener à bien le recentrage de la société et son retour aux bénéfices. De même Pierre Lefebvre, directeur général de Vilmorin Clause, a obtenu en 2005 la présidence d'Evialis grâce à son expérience internationale, l'entreprise souhaitant se développer dans les pays émergents. Deux visions s‟opposent à partir de cette analyse. Pour la première, l‟adéquation recherchée repose sur les compétences spécifiques du dirigeant : ses caractéristiques doivent être en phase avec celles du secteur où exerce la firme (Datta et Guthrie, 2002). La transférabilité des compétences dépendrait en effet des frontières industrielles ou fonctionnelles (Becker, 1964, Castanias et Helfat, 1991, Parrino, 1997). L'analyse empirique menée par Datta et Rajagopalan (1998) sur 134 successions de dirigeants dans les grandes entreprises américaines industrielles non diversifiées, sur la période 1977 à 1987, cherchait également à mettre en avant la nécessaire adéquation entre les conditions du secteur d'activité et les caractéristiques des dirigeants. Cependant les auteurs ont abouti à un lien faible entre cette adéquation et une amélioration de la performance de la firme suite à la succession. Ils en déduisaient une conséquence possible des particularités de l'expérience professionnelle des 14 Castanias R.P., Helfat C.E. (1991, p. 159) : " Companies‟ situations differ from one another, (..) certain skills may be more desirable in some situations than in others”. 61 dirigeants : des compétences trop spécifiques ou des durées de postes trop longues réduiraient leurs possibilités de carrière. Dans la seconde, seule la capacité managériale générale serait rémunérée par le marché des dirigeants (Murphy et Zabojnik, 2004), car c‟est elle qui permettrait de réussir cette adéquation. Il s'agit des talents managériaux transférables, comme l'expertise comptable, financière et la capacité à gérer des hommes et des actifs, En fonction du cycle stratégique de la firme (croissance, stabilité, régression) et des objectifs recherchés (diversification, recentrage), un certain profil de dirigeant sera davantage adapté à la situation (Ocasio et Kim, 1999). Pour cela il est nécessaire de pouvoir clairement définir quels sont les buts de l‟entreprise, si par exemple elle doit se diversifier davantage (produits, marchés, par pays…) ou se recentrer sur son métier, ce qui représente là encore une tâche complexe. Le processus de sélection passe par la définition de la stratégie de l‟entreprise. Il s‟agit de trouver un candidat capable de mettre en œuvre cette stratégie, mais également susceptible, par sa propre vision, de l‟enrichir pour rendre la firme la plus performante. La compétence clé attendue d‟un dirigeant est d‟être capable de décider quelle stratégie est la meilleure pour l‟entreprise, de savoir la mettre en œuvre, et de préparer la firme aux changements futurs (Parise, 2007). Si le marché des dirigeants permet cette adéquation, en offrant des candidats au profil recherché et en les ayant évalués de manière efficiente, il joue effectivement un rôle dans le SGE et contribue à l‟amélioration de la performance. 2.1.4. Évolution au cours des dernières années Les cadres seraient plus mobiles et changeraient plusieurs fois de firme pour accélérer leur promotion. Aux États-Unis, un courant de recherche s‟est intéressé à ce phénomène, et, en s‟inspirant des travaux de Hall (1976), a développé un modèle de " carrière sans frontières "15 (Arthur et Rousseau, 1996, DeFillippi et Arthur, 1996, Sullivan, 1999). Les frontières, définies comme des limites à la sélection et à la mobilité (Gunz et al., 2000), sont liées notamment à la complexité de l‟évaluation des compétences sur le marché externe du travail. Cependant elles auraient tendance à se réduire avec l‟arrivée et le développement d‟une nouvelle approche en recrutement : la demande de validation externe des capacités des dirigeants (Arthur et Rousseau, 1996). Cette augmentation des mouvements de dirigeants d‟une entreprise à l‟autre, le raccourcissement des durées de postes, traduisent un 15 "Boundaryless career model". 62 développement du recours au marché des dirigeants et une modification fondamentale de ses caractéristiques. Les dirigeants sont évalués plus souvent, et chaque changement constitue une opportunité supplémentaire de mieux connaître leurs capacités. Cette évolution a été mise en évidence pour le marché américain notamment par l‟étude de Cappelli et Hamori (2005). Ils ont comparé les caractéristiques des dirigeants de Fortune 100 en 1980 et en 2001, c‟est-à-dire du " top 10 ", ce qui représente un échantillon assez large, de huit cents individus pour le panel de 1980 et mille cent soixante pour celui de 2001. Les conclusions étaient les suivantes : les dirigeants étaient plus jeunes (quatre ans de moins en 2001 : moyenne s‟établissant à 52 au lieu de 56), ils avaient bénéficié de plus d‟années d‟études (en moyenne 17,3 années), mais avec une part fortement en baisse des écoles d‟élite, qui ne représentaient plus que 10% en 2001 contre 14% en 1980. Ceci pourrait s‟expliquer notamment par l‟explosion des effectifs dans les autres écoles supérieures. Il y avait en outre une augmentation significative des diplômes de second degree, comme les MBA et les law degrees. Ils avaient occupé moins de postes avant d‟arriver en haut de l‟échelle (5 en 2001 contre 6 en 1980), ils étaient depuis moins longtemps dans l‟entreprise (15 ans en moyenne contre 21), et le pourcentage de recrutement externe était en augmentation. Ils changaient plus fréquemment d‟entreprise au cours de leur carrière. Le profil évoluait également : alors que le marketing avait été le premier pourvoyeur de dirigeants, c‟était la finance qui fournissait principalement les états-majors, l‟influence des investisseurs s‟étant renforcée sur les sociétés. Leur étude portant sur de grosses entreprises, stables, offrant des perspectives attractives de carrière interne, ils en déduisaient que cette évolution était a fortiori encore plus vérifiée dans les firmes de taille inférieure. Cappelli et Hamori reliaient cette forte évolution à celle de l‟environnement économique. Dans leur base de données, Fortune 100, seulement 26% des entreprises en faisant partie en 1980 figuraient encore en 2001. La récession économique du début des années 90, le déclin de l‟industrie, au profit des services, notamment financiers, expliquaient ce changement. C‟était essentiellement une modification en termes d‟activité qui était enregistrée, les sociétés recensées en 2001 par Fortune 100 n'étaient pas des créations récentes, au contraire elles étaient plus anciennes qu‟en 1980 et compte davantage de salariés. Dans leur étude, les changements de dirigeants étaient plus fréquents dans les secteurs qui connaissaient des modifications structurelles. Ainsi les industries où la technologie évolue rapidement nécessitent de nouvelles compétences et de ce fait une nouvelle génération de dirigeants. 63 Les auteurs retiraient de leur étude plusieurs implications en termes de carrière et de promotion : il était plus avantageux de travailler pour une entreprise en croissance, les firmes plus jeunes (moins de trente ans) offraient un avancement plus rapide, confiaient le poste de dirigeant à des cadres plus jeunes, sans doute car la hiérarchie était moins développée. Cependant le risque pour le dirigeant était également plus élevé, la stabilité étant moins forte que dans les très grands groupes. Une autre évolution vient accentuer ce phénomène : l‟accroissement des équipes de direction, notamment dans les grands groupes. Les postes d‟encadrement se multiplient par rapport au passé, comme le soulignaient Cappelli et Hamori (2005) de nouvelles fonctions ont été créées ; ce développement de la hiérarchie est également observable dans les grandes entreprises françaises. Il ne s‟agit pas forcément d‟une hausse du nombre de dirigeants, mais plutôt des cadres supérieurs immédiatement en-dessous. Cela nous semble cependant pouvoir traduire une augmentation potentielle de l'importance du marché managérial, car de ce fait les viviers s‟élargissent et l‟offre se renforce sur le marché. L'évolution peut aussi s‟expliquer par l‟augmentation de la pression du marché des biens et services, le développement de l‟activisme des actionnaires, et plus généralement la sensibilisation aux questions de gouvernance. Le processus de sélection des dirigeants, et de ce fait la qualité de leur évaluation, se doit d‟être de plus en plus performant pour répondre aux exigences des autres parties prenantes et faire face à l‟environnement concurrentiel. Pour les autres pays, Zerbib et al (2002), qui ont étudié les départs des dirigeants en 1995 et en 2001 des 2 500 sociétés mondiales présentant les plus fortes capitalisations, concluaient également à une nette évolution. Du fait de la réduction de la durée moyenne de poste des dirigeants, du rajeunissement de l‟âge d‟accession à la fonction de directeur général, le vivier de directeurs expérimentés et disponibles aurait fortement augmenté. Ils mettaient en avant que cette offre croissante de potentiels allait inciter à l‟avenir les conseils d‟administration et les actionnaires à accélérer le taux de renouvellement de leurs dirigeants. Elle va aussi dans le sens d‟un renforcement du rôle du marché managérial. Même si l'échantillon de Zerbib et al. (2002) incluait des sociétés françaises, leur analyse s'effectuait au niveau européen, américain et asiatique, et ne suffit pas pour bien appréhender 64 cette évolution dans le cas français. Une étude sur une période récente des caractéristiques des dirigeants de notre pays aiderait à conclure sur l'existence de transformations du marché managérial français. 2.2. Par qui les dirigeants sont-ils évalués ? Le marché des dirigeants est un marché dispersé : il n'y a pas de base centrale disponible reprenant toute l'information clé sur les dirigeants : caractéristiques, qualité, expérience, rémunération… L'étude d'Elliott (2000), déjà évoquée au chapitre I, paragraphe 1.2.2., rappelait les trois modes principaux d'adéquation de l'offre à la demande de travail : la recherche active d'un poste par les canaux formels, l'intervention de réseaux, et le débauchage, c'est-à-dire l'obtention d'un emploi sans avoir effectué de démarches pour l'obtenir. Dans son échantillon, les dirigeants avaient été recrutés à 41,9% par des canaux formels, à 33,2% avec l'intervention de réseaux, et enfin à 24,9% par débauchage. 2.2.1. L'intervention d'intermédiaires Il est fréquent que des intermédiaires : cabinets de recrutement, de conseil, coordonnent et légitiment le rapprochement entre les candidats potentiels et les entreprises. Ils sont susceptibles d'intervenir dans l‟évaluation, la proposition et la sélection de candidats. Durant l‟étape finale, ils peuvent également participer à la négociation qui se noue entre la société et le candidat. Les intermédiaires contribuent à l‟animation et à la vie du marché des dirigeants. Dans l‟enquête sur le recrutement des cadres dirigeants publiée par le Syntec (2003), syndicat de la profession, comptant mille deux cent cinquante groupes et sociétés françaises, 34% des cadres supérieurs et dirigeants de quarante cinq ans et plus avaient obtenu leur poste de direction par l'intermédiaire d'un cabinet de recrutement (29% avaient bénéficié d'une mutation interne, 32% de réseaux relationnels). Cette intervention était même de 39% pour les cadres supérieurs et dirigeants de trente à quarante cinq ans (25% de mutations internes, 33% en utilisant les réseaux relationnels). Le rôle des intermédiaires serait en développement : la rapide évolution des conditions économiques et des technologies, accentuant l'incertitude et la complexité, inciterait à avoir davantage recours à des spécialistes du recrutement. La littérature académique est peu abondante sur ces intermédiaires et sur le rôle qu‟ils peuvent jouer au sein du marché du travail. Quelques travaux, cependant, se sont intéressés à 65 la justification de leur existence, et ont mis en évidence deux explications principales, fondées sur les économies de coûts de transaction qu'ils peuvent permettre, et la réflexion qu‟un marché fonctionne bien si les acheteurs et les vendeurs se connaissent et ont une bonne information les uns sur les autres. La première justification des intermédiaires consiste ainsi en leur capacité à mettre en relation des acteurs qui ne se connaissent pas, induisant une réduction des coûts de recherche (Finlay et Coverdill, 2002, Khurana, 2004) : les cabinets de recrutement disposent de bases de données importantes et sont à l‟initiative de contacts permettant d‟identifier de nouveaux candidats potentiels. L'entreprise bénéficie d‟une sélection de candidats sur une base plus large que celle dont elle disposerait en agissant seule (Khurana, 2004), elle accède à des dossiers dont elle n‟aurait pas eu connaissance sans le cabinet de recrutement (Khurana et Lorsch, 1999). La seconde explication de l‟existence d‟intermédiaires réside en leur aptitude à réduire l‟incertitude en contrôlant le flux d‟information entre les acteurs (Finlay et Coverdill, 2002), en apportant leur expertise dans la vérification des informations (Khurana et Lorsch, 1999). L‟existence de cabinets de recrutement pourrait ainsi contribuer à l‟amélioration de l‟efficience du marché managérial, en augmentant sa capacité d‟offre et de demande, et en participant à son rôle d‟évaluation. Elle permettrait en effet la mise en concurrence d‟un nombre plus élevé de candidats, ce qui laisserait supposer que celui qui a remporté la compétition dispose de compétences supérieures. Cependant la qualité des dossiers fournis par les cabinets n‟a pas fait l‟objet de tests empiriques. Leur capacité à détecter des talents n‟est pas non plus confirmée (Khurana et Lorsch, 1999). Une des pratiques très utilisée par les cabinets de recrutement est le " débauchage ". Les " chasseurs de têtes " fonctionnent principalement sur proposition. Ils disposent de listes de postes clés (directeur commercial, dirigeant…) et utilisent ces bases de données pour contacter régulièrement les personnes occupant ces fonctions. Ils mettent ainsi leurs fichiers à jour sur le profil de ces cadres dirigeants, estiment la probabilité de les débaucher en évoquant la possibilité avec eux de leur faire des offres. En France, 80% des missions de recrutement de cadre dirigeant recensées par le Syntec se font par approche directe (executive search) ou " chasse ". Les cabinets d‟une certaine taille sont dotés d‟un service de recherche, chargé d‟analyser le marché, de cibler la fonction, d‟identifier les candidats, de les contacter et d‟effectuer une pré sélection. Chaque contact est géré dans le respect de la plus stricte confidentialité. L‟importance de la chasse au dirigeant d‟entreprise, présentée comme un facteur clé de réussite de l‟entreprise, semble d‟après les professionnels s‟être accrue depuis 66 quelques années (Picard, Piédalu, 2004). Pour les États-Unis, le débauchage est également une pratique courante. Dans son étude portant sur 2 368 individus actifs ayant répondu à un questionnaire, dont 217 dirigeants, Elliott (2000) mettait en évidence que les besoins en dirigeants seraient davantage comblés par débauchage que les autres postes (25% des recrutements, contre 15% pour les autres classes). Selon l'auteur, le taux de débauchage serait une mesure inversement proportionnelle de l'ouverture du marché du travail : plus il serait important, plus l'adéquation entre l'offre et la demande de travail se ferait de manière spécifique, par des contacts noués de façon étroite, le profil recherché relevant de caractéristiques et de compétences particulières. Mais cette vision peut être discutée, une autre vision de la relation pourrait être qu'au contraire le débauchage soit une manière d'alimenter et de rendre plus actif le marché managérial, en augmentant les modes d'accès. Au niveau mondial, Péladeau et al. (2005), du cabinet Booz Allen Hamilton, soulignaient également dans leur dernière enquête annuelle sur les changements des principaux dirigeants une hausse du "débauchage", la tendance actuelle étant de rechercher un candidat déjà expérimenté et de proposer la direction à un dirigeant ayant réussi dans une autre entreprise. Korn/Ferry International, sur le site internet de son entité de recrutement Futurstep, place en première position la recherche de candidats par approche directe pour les postes de direction, de management et de spécialistes. Ce cabinet réputé justifie la technique utilisée par la nécessité d'avoir "recours à une approche personnelle et discrète, à une évaluation complète et à une validation fiable des références. Chaque année, avec sa cellule d'approche directe spécialisée, Futurestep recrute des centaines de cadres experts et de dirigeants expérimentés qui sont contactés confidentiellement en fonction des besoins exprimés par ses entreprises clientes"16. 2.2.2. Les réseaux L'appartenance à un réseau peut aussi être à l'origine du recrutement. Un directeur général peut par lui-même chercher un nouveau poste en contactant les anciens de son école. Les liens familiaux, avec les actionnaires, avec les administrateurs, ou avec les autres parties prenantes peuvent jouer : le recrutement se fait alors par connaissance. La notion de capital relationnel est influente. Il peut s'agir de relations propres au candidat : le rôle central pouvant être joué par ces réseaux dans un processus de recrutement a été mis en évidence très tôt, notamment par Myers et Schultz (1951) et Rees (1966), mais également de réseaux de l'employeur (Marsden et Campbell, 1990, Marsden, 1994). Celui-ci est susceptible de préférer avoir 16 http ://cadreemploi.fr/minisites/ms_futurestep/solutions.html. 67 recours à ses réseaux pour recruter pour des raisons économiques : la démarche apparaît plus efficiente car elle apporte une meilleure information sur le candidat (Wielgosz et Carpenter, 1987), ou sociologiques : ce serait une manière d'augmenter le contrôle social sur le travail (Granovetter et Tilly, 1998), les employeurs véhiculant ainsi davantage leur normes et leurs modes de sanction. Les réseaux jouent un rôle dans le processus de mobilité (Granovetter, 1974). Deux principaux types de réseaux de dirigeants ont été identifiés par les sociologues : les liens inter conseils, où un dirigeant siège au conseil d'administration d'une firme dont le dirigeant est administrateur de l'entreprise qu'il dirige, et les cercles sociaux, ou "petits mondes de l'élite", inhérents par exemple pour la France à l'appartenance à un grand corps, aux diplômés de certaines grandes écoles, ou au passage par l'Inspection des Finances ou un ministère. La théorie de la dépendance envers les ressources permet de justifier l'existence des réseaux inter conseils par leur capacité à réduire l'incertitude, alors que la théorie des classes sociales les présente comme reflétant la structure interne du capitalisme. Ces réseaux seraient influents aussi bien aux États-Unis qu'en Angleterre (Useem, 1984), en Allemagne ou encore en France (Nguyen-Dang, 2005) : un petit noyau occuperait les places de dirigeants et serait également les principaux administrateurs des plus grosses sociétés du pays. Les dirigeants de banques sont particulièrement cumulards, jouant un rôle central dans les affaires : ainsi en 1995 Marc Viénot, président du groupe Société Générale, assurait onze postes d'administrateur. L'influence des réseaux peut être considérée négativement, entraînant une réduction de l‟efficience du marché des dirigeants, si elle traduit un mode d'évaluation restreint, mais elle peut aussi être analysée positivement, le recours à des contacts personnels permettant au contraire d'avoir une vision plus large du candidat et de réduire l‟asymétrie d‟information (Granovetter, 1974, Fernandez et Weinberg, 1997). Les individus et les firmes sur le marché du travail reçoivent et transmettent fréquemment leurs informations à travers des réseaux relationnels (Marsden et Campbell, 1990). Les réseaux peuvent contribuer à détecter un jeune talent ou encore à valoriser le capital humain d'un dirigeant ayant du potentiel mais n'ayant pas encore été reconnu comme tel par le marché managérial, en permettant de l‟évaluer à partir d‟autres critères que les grilles traditionnelles. C'est aussi une façon d‟alimenter le marché des dirigeants et de le rendre plus animé, plus actif : en accédant à un poste de direction la première fois par relation, le candidat se fait connaître du marché du travail et 68 vient augmenter les potentialités de l‟offre. L'influence des réseaux sera analysée plus en détail dans le chapitre V, paragraphe 5.2.3., et au chapitre VI, paragraphe 6.2.3.. 2.2.3. Les autres modes d'accès au marché des dirigeants D'autres possibilités existent pour se signaler au marché des dirigeants et être évalué. Pour Elliott (2000), la prospection active d'un candidat pour obtenir un nouveau poste, démarche qu'il qualifie de recrutement par les canaux formels, est celle relevant le plus d'un mécanisme de marché, car elle correspond à une recherche ouverte tant de la part de l'employé que de celle de l'employeur, et à une mise en concurrence plus importante. - les candidatures spontanées, ciblées et parvenant à l‟entreprise lorsqu‟un départ est annoncé ou supposé (retraite, rumeurs…), ou adressées à un cabinet de recrutement, semblent un mode d‟accès répandu. Picard et Piedalu (2004) notaient le grand nombre de candidatures spontanées de très bonne qualité. Les cycles de carrière raccourcissent, les stratégies à deux ou trois ans devenant même envisageables. Beaucoup de patrons sont sur un siège éjectable et le savent, d‟où un nombre important de candidatures. - Les bureaux de placement des écoles : Elliot (2000) les incluait dans les canaux de recrutement formels, car il y a une démarche active du candidat, de la firme et une forme collective de proposition de demandes et de recherche d'offres. La question se pose cependant en France, pour les grands corps comme l'École des Mines, Polytechnique… si les bureaux de placement de ces écoles ne relèvent pas plutôt d'un mode de recrutement de type "réseaux". - la presse semble moins utilisée en France qu‟en Angleterre par exemple, certainement pour des raisons de culture, les français ayant encore des difficultés à communiquer sur les postes haut placés, notamment en matière de rémunération. Les anglo-saxons eux n‟hésitent pas à faire paraître une annonce, aussi bien pour recruter un dirigeant que pour proposer ses services. - les portails internet, vecteur qui peut paraître surprenant au départ pour recruter un dirigeant, sont à prendre maintenant en considération, avec des sites spécialisés comme dirigeants-enligne.com, orienté vers les postes de responsables d‟entreprise et les missions de dirigeant de transition, ou encore les sites des cabinets de recrutement. Certains sites internet 69 sont spécialisés dans un secteur d‟activité : par exemple CEO Europe propose ses services de recrutement de dirigeants à l‟international dans le domaine des hautes technologies. Dans trente trois pays (Europe, États-Unis, Asie), les utilisateurs ont à leur disposition une recherche multicritères. D'après CEO Europe, ils recevraient jusqu‟à cinquante candidatures par semaine, en sélectionneraient et certifieraient 25% d‟entre elles pour alimenter la base de consultation proposée qui compterait en moyenne neuf cents candidats. 86% d‟entre eux sont des créateurs ou des co-fondateurs d‟entreprises. Une simulation des coûts de recrutement est possible, le logiciel prenant en compte les spécificités de coûts selon les pays. 2.2.4. La décision finale appartient au conseil d‟administration Si la sélection d‟un nouveau dirigeant peut être menée avec l‟aide de cabinets spécialisés, la décision finale est uniquement entre les mains du conseil d‟administration, ou dans certains cas celles des actionnaires. Le conseil, en tant que représentant des actionnaires, a le pouvoir de nommer, de révoquer et de fixer la rémunération des mandataires sociaux que sont le président du conseil d‟administration et les directeurs généraux. Le processus d'évaluation et de sélection s'effectue généralement en trois étapes : le conseil d'administration définit le besoin : profils du poste et du candidat souhaité, puis le marché du travail managérial effectue un tri des dirigeants potentiels basé sur l'évaluation de leurs compétences, leurs performances, et les met en concurrence, et enfin la décision est prise par le conseil d'administration ou de surveillance. En présence d'actionnaires dominants (famille, autre société), le rôle du conseil peut être réduit et la décision être prise sous l'impulsion des actionnaires. Mintzberg (2003) soulignait la difficulté de savoir qui a vraiment pris la décision de recruter un dirigeant, de nombreuses influences pouvant intervenir dans le jeu complexe du pouvoir dans une organisation. Pour Mace (1971), les administrateurs examinent les candidatures, mais compte tenu de l'asymétrie d'information et d'un manque d'expertise, fréquemment c'est le président lui-même qui décide qui va lui succéder. Son étude portait sur les sociétés de grande taille, où les administrateurs étaient en retrait et ne représentaient pas de manière très effective les intérêts des actionnaires. Lorsque le conseil d‟administration choisit un nouveau dirigeant, il examine si les capacités du candidat sont adaptées à la situation compétitive dans laquelle se trouve l‟entreprise. Si l‟entreprise est performante par exemple, la continuité de la stratégie actuelle sera sans doute 70 recherchée. Le niveau d‟expertise, la bonne vision du conseil vont influencer la qualité de l‟évaluation. La sélection d‟un dirigeant peut être erronée si la définition de son poste et de son rôle est mal délimitée. L‟identification des différentes dimensions de la fonction est essentielle pour pouvoir définir le profil du candidat le plus approprié. L‟efficacité du rôle d‟évaluation du marché des dirigeants va donc dépendre de celle des autres mécanismes, principalement celui du conseil d‟administration, et de la présence éventuelle de comités. 2.3. A quels moments s’effectue l’évaluation des dirigeants par le marché managérial ? Le marché managérial est susceptible d‟intervenir dans l‟évaluation des dirigeants à chaque moment clé de leur carrière. Bien avant l‟accession à un poste de dirigeant, il peut jouer un rôle dès la détection des talents. 2.3.1. La détection des talents La littérature académique est moins abondante que la presse économique sur l‟identification des hauts potentiels, l‟attention portée à ce thème semblant récente. A notre connaissance, il n‟existe pas de modélisation du processus de recherche des futurs dirigeants, peut-être du fait du secret entourant généralement le choix de ces jeunes cadres et le parcours de carrière spécifique qui leur est offert. Dans le sport, la détection des talents se fait chez les plus jeunes. Ainsi Guy Roux, dont la renommée des pratiques n‟est plus à faire, s‟intéresse aux très jeunes footballeurs et constitue un vivier. Il cherche à déceler chez eux un esprit d‟indépendance, une force mentale, des valeurs, le sens de la compétition, du dialogue, et également des compétences techniques. Dans les entreprises, la détection en interne des talents serait proche de celle du monde du sport : la hiérarchie cherche à déceler chez les jeunes cadres des compétences, un tempérament particuliers, une capacité à apprendre, à s‟approprier rapidement de nouveaux projets (Falcoz, 1999, Sonsino, 2003, Boumrar et Gilson, 2004). Les grandes entreprises ont institutionnalisé la détection de leurs futurs dirigeants et disposent d‟une liste de candidats. Celle-ci est établie grâce à un modèle d‟identification des compétences (Conger et Fulmer, 2003) ou de manière plus informelle par les comités de carrière, qui consolident de manière 71 centralisée les remontées de la hiérarchie intermédiaire (Falcoz, 2004) 17 . Un jeune cadre repéré par sa direction se verra rapidement proposer des postes de responsabilité plus élevés, où ses qualités pourront davantage se développer et se révéler. Il bénéficie souvent d‟un cursus d'instruction spécifique (Conger et Fulmer, 2003, Falcoz, 2004) : financement de formations prestigieuses ou participation à des programmes dédiés (par exemple " Télémaque " chez Axa ou " Unex " chez Pinault Printemps Redoute, qui accueillent une trentaine de personnes sélectionnées par an). Il peut également profiter d'augmentation de salaire et d'attribution de stock options. Il fait alors partie des " hauts potentiels " ou " talents clés " et se situe dans la tranche d‟âge vingt cinq – trente cinq ans (Falcoz, 2004). L‟accession à certains postes clés (directeur commercial, directeur financier, …) va alors le signaler au marché managérial en attirant les chasseurs de têtes, toujours à l‟affût des nouveaux nominés, ou encore en le faisant remarquer par un des partenaires de l‟entreprise, ou enfin dans une logique de carrière externe en l‟amenant à proposer de lui-même sa candidature à un cabinet. Bien que les entreprises s‟emploient à fidéliser ces cadres de haut niveau, et à garder secret leur vivier, les départs sont très importants (Eos Conseil et le Figaro, 2003)18. D‟après l‟étude de L‟Expansion " les jeunes loups du capitalisme français ", 2002, parmi les élites ayant bénéficié d‟une formation comme un MBA, la majorité quittait l‟entreprise dans les deux ans qui suivaient, s‟étant constitué un réseau de relations professionnelles. Lorsque l‟importance de la société diminue, le coût de l‟investissement dans ces viviers devient prohibitif, et les procédures sont plus rares ou moins formalisées. Nous avons peut-être ici une autre justification d‟un recours au marché managérial plus fréquent dans les entreprises autres que celles du CAC 40, pour le cas français. Au-delà de trente cinq ans, il s‟agit d‟une catégorie souvent appelée " les successeurs ", c‟est-à-dire des cadres à hauts potentiels qui ont déjà progressé et sont prêts à prendre des postes de dirigeants. Les professionnels des ressources humaines semblent d‟accord sur la nécessité de détecter avant trente ans les dirigeants destinés à exercer les plus hautes responsabilités, afin qu‟ils puissent y être préparés. Les cabinets mettent généralement en avant leur capacité à détecter des talents, mais celleci n'a jamais été validée empiriquement. DDI, par exemple, se présente comme un spécialiste international de la détection et de la valorisation des talents en entreprise. Présent dans vingt 17 Falcoz C. (2004), " Gérer les cadres à haut potentiel ", Eurostaf -Les Echos, étude publiée en février. 18 Eos Conseil, le Figaro, " Fidéliser ses homes clés : un enjeu majeur ", Baromètre de la performance des ressources humaines, Le Figaro, 13 janvier 2003. 72 deux pays, il compte mille cinq cents collaborateurs et douze mille entreprises clientes, et travaille en France pour de grands noms comme Alstom, EDF, Exxon mobile, Sofinco, Toyota France, Kellog‟s France, Bic… Il propose ses services aux grandes entreprises, en reprenant les méthodes des assessment centers (centres d‟évaluation), pour détecter en interne les cadres à haut potentiel, à partir d‟entretiens, ensuite analysés par des programmes spécialisés, rapprochés des profils de postes de direction. Quatre critères essentiels sont retenus : le profil de leader (propension à diriger les autres, valorisation des talents des autres), la capacité à se remettre en cause, une bonne maîtrise de la complexité, un équilibre entre valeurs et résultats. Des formations d‟accompagnement de ces futurs dirigeants sont également assurées, pour leur fournir les compétences complémentaires nécessaires. En repérant la capacité à diriger de certains cadres, en accélérant leur promotion, ce système permet de couvrir les besoins de dirigeants en interne, mais comme nous l‟avons évoqué plus haut, l‟accession à des postes clés va aussi déclencher des offres des cabinets de recrutement, elle constitue un signal, enrichissant ainsi le marché managérial chaque fois que ces cabinets ont réussi à persuader le candidat de l‟intérêt d‟une carrière externe ou que le cadre est attiré par une promotion externe. Le processus de détection des talents que nous venons de décrire amène plusieurs réflexions. Tout d‟abord la possibilité d‟évaluer un candidat en direct, en interne, sur une période suffisante, si elle ne préjuge pas d‟une transposition dans un autre environnement (autre entreprise, autre poste) forcément réussie, présente l‟avantage d‟une connaissance approfondie du dirigeant potentiel, et va dans le sens d‟une meilleure qualité probable de la sélection. D‟autre part, et c‟est un point important dans l‟argumentation pour un marché des dirigeants réel, actif et fluide, un diplômé d‟une école moins prestigieuse que l‟ENA ou Polytechnique, voire un autodidacte, peut se faire remarquer pour ses qualités personnelles et professionnelles, bénéficier d‟une ascension rapide, se signaler ainsi à la profession et poursuivre sa carrière dans d‟autres entreprises. Un talent peut également se révéler par le biais de la création d‟entreprise : le fondateur de la firme accède, par l‟aboutissement et la mise en œuvre de son projet, au statut de dirigeant et devient un potentiel supplémentaire sur le marché. 73 2.3.2. La progression des talents et l‟accession à un poste de dirigeant La progression des talents s‟effectue soit en interne, soit en changeant d‟entreprise. Les hauts potentiels que nous venons de décrire bénéficient d‟une progression de carrière plus rapide que la moyenne des cadres. "La recherche suggère que les perspectives d'avancement diminuent lorsque la durée des postes occupés s'allonge. Les individus qui vont monter au sommet sont généralement les plus jeunes dans leurs cohortes – parce que leur talent et leurs capacités ont été détectés de bonne heure, ou en raison de leur aura et des effets de réputation"19 (Capelli et Hamori, 2005, p. 30). 2.4. Quels sont les coûts liés à l’évaluation des dirigeants ? L‟évaluation des dirigeants génère des coûts : coûts de transaction si un cabinet a participé, coûts de mesure des performances et qualités du dirigeant menant à la décision de la remplacer, coûts d'asymétrie d'information. S‟ajoutent à ces coûts ceux des éventuelles mesures de protection du dirigeant en place. Ces coûts ont une incidence sur le rôle du marché managérial : s‟ils sont trop élevés relativement aux gains espérés par le changement de dirigeant, ils peuvent être un obstacle à son intervention (Charreaux, 1995). - Les coûts de transaction : le prix du recrutement d‟un nouveau dirigeant est en général élevé : lorsqu‟il est confié à un cabinet spécialisé, il représente en France en moyenne 15 à 25% de la rémunération annuelle du dirigeant, et peut atteindre 35% pour les dossiers complexes 20 . Le coût est du même ordre aux États-Unis : l‟équivalent d‟un tiers de la rémunération du candidat retenu la première année (Khurana, 2004). Si l‟entreprise mène la sélection elle-même, il faut alors prendre en considération le temps passé à cette mission, qui représente également un coût. - Les coûts de vérification de la valeur du dirigeant en place avant de le remercier : contrôler, mesurer cette valeur a un coût. Celui-ci inclut le choix, la définition et la mise en place d‟outils de suivi, leur mesure, la réflexion menant à la décision, le délai pour effectuer cette évaluation. La disponibilité de mesures de performances fiables a une incidence 19 Capelli P., Hamori M. (2005, p. 30) : "Research suggests that the odds of advancement fall as a person's tenure in a job grows. Individuals who advance to the top tend to be among the youngest in their cohorts – possibly because talent and ability get spotted early, possibly because of "halo" or reputation effects". 20 Syntec, Le Monde, IFOP, ACE, enquête sur le recrutement des cadres, 24/06/2003. 74 importante sur la décision de changer de dirigeant ; dans des secteurs homogènes, ces coûts sont plus réduits, ce qui facilite et favorise le taux de rotation des dirigeants (Parrino, 1997). Il ressort en outre de l'étude de Parrino (1997) que dans le cas des départs forcés, le plus souvent le dirigeant a plus de cinq ans d‟ancienneté, ce qui irait dans le sens qu‟il est long et difficile de détecter un mauvais dirigeant. - Les coûts d‟évaluation liés à l‟asymétrie d‟information : le marché du travail réalise ses évaluations sur la base d‟informations imparfaites. Ces coûts sont liés à l„incertitude sur la valeur du capital humain, ils portent aussi bien sur l‟évaluation du dirigeant en poste (risque de renvoyer un dirigeant compétent) que sur celle du candidat à la succession (risque d‟un mauvais recrutement). Ce phénomène de sélection adverse, souvent évoqué dans la relation d‟agence, existe car le dirigeant détient des informations privilégiées sur sa valeur réelle, que le conseil d‟administration, qui doit décider du recrutement, ne connaît pas ou partiellement. Une firme qui choisit de recruter un candidat externe doit faire face à un problème de sélection adverse plus élevé que dans le cas d'un successeur interne, du fait de l'asymétrie d'information (Harris et Helfat, 1997). D‟où l‟importance pour le dirigeant d‟avoir signalé ses compétences au marché managérial, et pour celui-ci d'extérioriser une évaluation de qualité et adaptée à l'entreprise. Pour Fama (1980) cette asymétrie ne serait pas un obstacle : le marché boursier, base d‟information du marché managérial, effectue des évaluations rationnelles de la valeur de la firme bien que ne disposant que d‟information imprécise et incertaine, et il transpose cette constatation au marché des dirigeants. D‟autres auteurs soulignent au contraire l‟existence de ces coûts et leurs effets dans leurs études (Parrino, 1997). - Les coûts d‟indemnisation liés à la rupture du contrat : des mesures de protection des dirigeants ont pu être mises en place par la firme : existence de parachute doré, indemnisations prévues en cas de départ, …. Les coûts de rupture de contrats peuvent être très élevés. Cependant, d‟après une enquête sur le salaire des patrons français publiée dans l‟Expansion du 24/09/2003, suite aux retentissements de l‟affaire Messier, les parachutes dorés, les indemnités de départ prévues contractuellement, auraient été revus à la baisse, sous l‟impulsion des comités de rémunération, des actionnaires et avec l‟aval des dirigeants. 75 Conclusion du deuxième chapitre La fonction fondamentale du marché managérial, l‟évaluation des dirigeants, est complexe : multiplicité des critères, difficulté de mesure, asymétrie d‟information, interrogation sur la qualité du signal transmis par le dirigeant, transférabilité incertaine des savoirs faire, évolution des besoins des entreprises, dispersion du marché, existence de barrières et d'influences (réseaux, actionnariat,…). La formation et la performance dans les postes précédents apparaissent dans les études comme des facteurs principaux, mais d‟autres éléments sont généralement également pris en compte. Cette fonction repose sur deux types d'efficience : une efficience informationnelle, fonction de sa capacité à utiliser toute l'information disponible passée et présente, et une efficience allocationnelle, lorsque l'évaluation des candidats par le marché managérial conduit à une orientation efficiente des dirigeants vers les entreprises qui ont besoin du capital humain correspondant. Le rôle d'évaluation du marché managérial est bien mis en évidence dans la littérature, cependant sous l'effet des modifications de l‟environnement économique, de l‟internationalisation, de la réduction ou de l'augmentation de l'intervention de l'État, les modes d‟accès au marché managérial et la progression des carrières se modifient, ce qui nécessite une actualisation régulière des études pour continuer de bien en appréhender les caractéristiques. L'étude des profils des dirigeants français sur une période récente, que nous avons effectuée, va permettre de vérifier si le marché du travail managérial a évolué en France, si son caractère clanique s'est atténué, facilitant l‟accroissement de l'efficience de son rôle d‟évaluation. 76 CHAPITRE III : LE ROLE DISCIPLINAIRE DU MARCHE MANAGERIAL Après avoir présenté la fonction fondamentale du marché managérial : l‟évaluation des dirigeants, nous allons maintenant nous attacher à dresser un tableau aussi fidèle et complet que possible des différentes voies d‟intervention potentielles du marché des dirigeants en tant que mécanisme de gouvernance des entreprises. Conformément à notre cadre théorique, nous allons identifier quel peut être son rôle tant sous la dimension disciplinaire que sous la dimension cognitive. Nous allons nous intéresser tout d‟abord dans ce chapitre au rôle disciplinaire, en nous appuyant sur la littérature existante pour cerner ses différentes facettes. Dans l‟analyse d‟Alchian et Demsetz (1972), basée sur les firmes entrepreneuriales, le dirigeant, dont le rôle est de mesurer la performance réalisée par les différents facteurs qu‟il coordonne, occupe une place centrale. Ce sont les marchés des inputs qui assurent le contrôle du dirigeant, s'ils sont suffisamment concurrentiels. Le mécanisme disciplinaire principal est le marché des dirigeants, auquel peuvent s'ajouter le marché des prises de contrôle et la surveillance mutuelle entre dirigeants. Jensen et Meckling (1976), en fondant leur analyse sur la relation d'agence entre les dirigeants et les actionnaires, mettent également en avant le rôle des marchés (à l‟exception de celui des biens et services) pour discipliner les dirigeants et réduire les coûts d‟agence liés à la séparation des fonctions de propriété et de direction. Si le dirigeant perd le contrôle du capital, il se soumet à la discipline du marché du travail (les autres actionnaires peuvent alors engager un autre dirigeant), et à la discipline du marché financier, les actionnaires pouvant céder leurs actions. Selon la théorie de l'agence, la discipline est exercée par le marché managérial sur les dirigeants à travers deux leviers, la rémunération et la menace d'éviction. Ces leviers sont à la base de la définition des deux premières voies d‟intervention du marché que nous allons analyser : la sanction des dirigeants inefficaces et la récompense des dirigeants performants. La sanction peut se traduire par une baisse de rémunération ou un départ forcé et la difficulté de se replacer, la récompense par une hausse de la rémunération ou l‟accès à un poste plus prestigieux. Un autre levier disciplinaire du marché managérial sera ensuite examiné : la contribution à la réduction d‟autres types de coûts, liés à l‟existence de contrats informels, à l‟enracinement ou encore aux erreurs de décision. 77 3.1. La sanction des dirigeants inefficaces 3.1.1. Le rôle disciplinaire de la sanction Dans la théorie de l‟agence, la menace de révocation est un des principaux moyens de résolution des conflits entre actionnaires et dirigeants. La sanction joue un rôle d‟incitation à la performance, le dirigeant agissant dans l‟intérêt des actionnaires ou des autres parties prenantes par crainte d‟être évincé, hors de l‟entreprise ou du poste de direction (Shleifer et Vishny, 1997). Le départ forcé d‟un dirigeant sanctionnant de mauvais résultats devrait être suivi d‟une amélioration de la performance de la firme. Le marché des dirigeants est susceptible d‟intervenir dans cette sanction à deux niveaux. Marché concurrentiel, il favorise la décision de faire partir le dirigeant jugé inefficace en offrant des candidats en remplacement. "La disponibilité d'un candidat externe de qualité est une considération importante dans la décision de remplacer un dirigeant sous performant"21 (Parrino, 1997, p. 166). Marché curatif, il ne permet pas au dirigeant déchu de retrouver un poste équivalent : soit il n‟exerce plus, soit sa nouvelle fonction ou sa rémunération sont inférieures à sa situation précédente. Si le dirigeant est compétent mais fournit peu d‟efforts, ou les dirige mal, le système de rémunération apportera la solution incitative sans doute la plus appropriée. Si le dirigeant est peu compétent, modifier son salaire aura une faible incidence, il sera nécessaire de le révoquer et de le remplacer. La sanction d‟un dirigeant inefficace est l‟élément ultime du processus de correction des erreurs. Cette menace n‟aura de poids que si, d‟une part, le dirigeant subit des coûts personnels en cas de révocation : perte de revenu, de capital humain spécifique, de pouvoir, de prestige, d‟avantages, baisse de sa réputation, difficulté à retrouver un poste (Gilson, 1989), d‟autre part, si la menace peut concrètement être mise en application le cas échéant, ce qui signifie que les mécanismes de contrôle ont la possibilité réelle d'évincer le dirigeant. Le rôle de sanction a un effet dans la durée : un dirigeant qui remplace un départ forcé sera d‟autant plus incité à être performant ou à réaliser les objectifs qui lui ont été fixés, car il sait qu‟il peut faire à son tour l‟objet d‟une éviction. 21 Parrino R. (1997, p. 166) : "The availability of a strong outside candidate is an important consideration in the decision to replace poor CEO." 78 3.1.2. Une mauvaise performance ex ante entraîne le départ du dirigeant. La littérature est abondante sur l‟étude de ce lien et converge généralement vers la conclusion qu‟une mauvaise performance est une des causes du départ (forcé) du dirigeant et donc de sa sanction, dans la plupart des pays étudiés, malgré un environnement légal et social différent. Ainsi cette relation est validée empiriquement aussi bien dans les études du marché américain (Crain et al., 1977, Reinganum, 1985, Furtado et Rozeff, 1987, Warner et al., 1988, Weisbach, 1988, Gilson, 1989, Jensen et Murphy, 1990, Murphy et Zimmerman 1993, Denis et Denis, 1995, Parrino, 1997, Neumann et Voetmann, 1999, Zerbib et al., 2002, Fee et Hadlock, 2003), dans celles du marché anglais (Conyon et al., 1995, Renneboog et Trojanowski, 2003), que celles du marché français (Pigé, 1993, Dherment Férère, 1996). Le tableau 3 présente une synthèse de ces études. Le dirigeant serait puni par le marché managérial pour de très faibles outputs (Zabojnik, 2001). La longévité des dirigeants dépend des profits réalisés : un comportement de non maximisation du profit n‟est pas toléré dans le secteur privé (Crain et al., 1977). La mise en évidence de cette relation est une manière de valider l‟existence de l‟effet incitatif de la sanction. La probabilité d‟un départ forcé devrait être une fonction décroissante de la performance. Si les mécanismes de contrôle sont efficaces, le taux de rotation des dirigeants devrait être plus élevé dans les firmes sous performantes (Denis et Denis, 1995). A partir d‟un échantillon de 909 entreprises ayant connu au moins un changement de dirigeant (directeur général, président du conseil d‟administration) de sociétés américaines concernant la période 1985 à 1988, ils ont identifié par voie de presse 107 départs forcés, soit un taux de 11,8%, ce qui confirme l‟existence de sanctions. Ce chiffre est probablement sous estimé du fait de la difficulté d‟obtenir l‟information (les firmes souhaitant éviter la publicité autour de certains cas d‟éviction disciplinaire). En outre leur définition n‟inclut pas les départs pour différence de politique. Même un départ en retraite peut masquer une sanction (Warner et al., 1988). Les auteurs ont validé empiriquement, tant au niveau des résultats boursiers (étude évènementielle) que comptables (calcul du ratio " résultat d‟exploitation avant amortissement " sur " total actifs " sur une période de sept ans centrée sur le changement : trois ans avant et trois ans après) que les départs forcés suivaient une période de performance médiocre ou déclinante. De même, ils se sont attachés à connaître la raison du changement, la destination et l‟âge du dirigeant sortant, l‟identité et le poste antérieur du successeur, mais l‟analyse de la sanction est restée au niveau de la définition du départ forcé : ainsi le sort du 79 précédent dirigeant n'a pas fait l‟objet de conclusions (difficulté à se replacer, perte de rémunération ou poste inférieur). Dans un cas sur deux, le prédécesseur quittait l‟entreprise, pour 27% des firmes, il restait dans l‟entreprise à un poste de direction et pour 19.6% au conseil d‟administration. La notion de fonction honorifique (manière élégante de mettre de côté un dirigeant, mais qui peut correspondre toutefois à une sanction) n‟était pas envisagée par les auteurs. Il ressortait de leur étude que 52% des départs forcés donnaient lieu à la nomination d‟un candidat externe, ce qui irait dans le sens de l‟intervention du marché managérial, mais celle-ci n‟était pas explicitement évoquée par les auteurs. Dans l'étude de Renneboog et Trojanowski (2003) également, il ressort que la rotation des dirigeants assure le rôle d‟un mécanisme disciplinaire sanctionnant la sous performance. Analysant un échantillon de deux cent cinquante entreprises cotées sur le marché de Londres, entre 1988 et 1993, ils concluaient que les deux leviers du marché managérial, la rémunération et la menace d‟éviction, jouaient un rôle important pour réduire les problèmes d‟agence entre les dirigeants et les actionnaires et qu‟ils avaient une incidence sur la performance de la firme. Bien qu‟un peu ancienne maintenant, l‟analyse de Parrino (1997) des 977 départs de dirigeants répertoriés dans Forbes sur la période 1971 à 1989 mérite d‟être citée car elle apportait des conclusions assez fines, d‟une part en introduisant la notion de secteur homogène ou hétérogène, d‟autre part en analysant les coûts liés au transfert de capital humain. Elle validait l‟existence de sanctions, avec un taux de départs forcés représentant 13% des changements. Elle concluait à une probabilité de changement de dirigeant, de départs forcés et de succession par un externe qui variait selon le secteur d‟activité. Dans les industries homogènes, les dirigeants sous performants étaient moins coûteux à remplacer et étaient plus facilement indentifiables. Les industries étaient considérées homogènes si elles employaient des techniques de production similaires, si leurs productions relevaient des mêmes marchés, si les changements (conditions économiques, innovations technologiques) avaient les mêmes conséquences. Le coût plus faible s‟expliquait par la part de capital humain transférable plus élevée à l‟intérieur d‟un secteur homogène (proximité des compétences). La réduction des coûts, la diminution de l‟asymétrie d‟information pouvant perturber l‟évaluation de la performance, affectaient la probabilité de remplacer un dirigeant et notamment la réalité du rôle de sanction. La notion de secteur était également analysée pour montrer que la performance prise en compte dans l‟évaluation du dirigeant était généralement relative, c‟est80 à-dire que la sous performance était remarquée par rapport à la moyenne du secteur, et non pas dans l‟absolu. Lorsqu‟elle ne diffèrait pas significativement de la moyenne, les gains potentiels d‟un changement de dirigeant n'étaient pas suffisants pour susciter celui-ci. Parrino validait, d‟autre part, le lien entre une mauvaise performance ex ante et la probabilité d‟un successeur externe, qu‟il explique par le fait que celui-ci sera plus à même de changer la stratégie de l‟entreprise : la moitié des départs forcés étaient suivis de l‟arrivée d‟un nouveau dirigeant venant de l‟extérieur. Ce lien a été confirmé également dans l‟étude de Wiersema (1992), portant sur cinq cents sociétés de Fortune ayant changé de dirigeant entre 1997 et 1998 : 62% des renvois avaient été suivis d‟un recrutement externe. Bien que cette réflexion n‟apparaisse pas explicitement dans leurs travaux, le choix d‟un candidat externe en cas de sous performance nous semble mettre en avant le rôle du marché managérial dans la sanction. L'enquête annuelle sur les changements de dirigeants des 2500 principales sociétés mondiales réalisée en 2004 par le cabinet Booz Allen Hamilton 22 confirme des disparités significatives selon le secteur d'activité. Les secteurs de l'industrie et des télécommunications, de l'énergie, extériorisaient les plus forts taux de rotation, la banque et l'assurance le plus faible. - Figure 2 : taux de renouvellement des dirigeants par secteur d'activité23 22 23 Etude de Booz Allen Hamilton (2004) : "CEO : la fin d'une ère". Etude de Booz Allen Hamilton (2004, p. 3) : "CEO : la fin d'une ère". 81 Comme pour l'évaluation, le rôle de la sanction du marché managérial semble évoluer vers un renforcement. Dans l‟étude de Zerbib et al. (2002), portant sur les directeurs généraux des 2 500 sociétés mondiales aux capitalisations boursières les plus élevées ayant quitté leur entreprise en 2001, s'appuyant sur l'enquête annuelle du cabinet Booz Allen Hamilton sur le renouvellement des dirigeants, les auteurs faisaient ressortir que les exigences de performance contribuaient à une augmentation du taux de rotation des dirigeants, mais aussi à une baisse de la durée moyenne de poste. Ainsi la moyenne d‟exercice passait de 9,5 années en 1995 à 7,3 années en 2001, la principale cause de cette réduction étant la forte diminution de la durée de poste des dirigeants écartés pour mauvaise performance, qui chutait de 7 à 4,6 années. Un dirigeant faisant l‟objet d‟un départ forcé était resté en moyenne en poste deux fois moins longtemps qu‟un dirigeant quittant l‟entreprise dans le cadre d‟un départ normal (départ projeté, volontaire : meilleure situation, raisons familiales, santé ou décès). Ils insistaient sur l‟évolution entre 1995 et 2001, allant vers un renforcement de la sanction : l‟augmentation du taux de rotation des dirigeants était due presque intégralement à celle des départs forcés liés à une mauvaise performance. Ceux-ci représentaient 25% des causes de départs en 2001, contre 16% en 1995. Ils constataient également que l‟éviction du dirigeant était davantage engendrée par une contre performance brutale que par un manque de performance étalé dans le temps. Zerbib et al. se sont également intéressés à la définition de sous populations. Ainsi ils mettaient en avant des différences importantes selon le secteur d‟activité, déterminant que nous étudierons au chapitre V. Les secteurs des télécommunications, de l‟énergie et des systèmes d‟information connaîtraient des taux supérieurs à la moyenne. Ils effectuaient aussi une distinction selon la zone géographique : la durée de poste d‟un dirigeant était la plus courte en Europe (6,5 années), venait ensuite l‟Asie Pacifique avec 6,8 années, puis l‟Amérique du Nord avec 9,5 années. Une proportion plus élevée de départs sanctionnant une mauvaise performance expliquerait la situation européenne. Pour l‟Asie, ce serait l‟âge : un dirigeant est nommé en moyenne à 58 ans, contre 50 ans pour les deux autres zones. L‟Europe serait donc la plus virulente en termes de sanction. La base d'informations utilisée par Zerbib et al. (2002) étant l'enquête annuelle sur les dirigeants mondiaux menée par Booz Allen Hamilton, et celle-ci ayant fait l'objet d'un article plus récent, écrit cette fois par Péladeau et al. (2005), cadres supérieurs du cabinet, nous pouvons vérifier la poursuite de cette tendance haussière. 2005 aurait enregistré un record de 82 changements de dirigeants : plus d'une entreprise sur sept dans l'échantillon a connu le remplacement de son dirigeant, contre une sur onze il y a dix ans, mais également de départs forcés : quatre fois plus de Chief Executive Officer auraient été évincés qu'en 1995. La moitié des départs de dirigeants serait due à des résultats insuffisants ou des fusions. Ces chiffres 2005 masquent des différences géographiques, l'Amérique du Nord ayant connu le plus fort taux de départs forcés (35%), alors que l'Europe (37%) réduit son taux record de 2004 (42%), de même que la région Asie-Pacifique (hors Japon), et que le Japon se distingue avec un taux exceptionnellement bas de 10%. Les auteurs rappellent qu'en 1995, deux tiers des dirigeants quittant leurs fonctions avaient au moins soixante deux ans, le départ à la retraite était alors le motif principal de départ. En 2005, il n'explique plus que 40% des changements. La situation en Amérique du Nord serait une conséquence, pour Péladeau et al. (2005), de la loi SarbanesOxley et des nouvelles règles imposées par l'American Stock Exchange et le Nasdaq. - Figure 3 : taux de départ des dirigeants par pays, en fonction de la raison du départ (Péladeau et al., 2005, p.3) - Pour la France, les travaux de Pigé (1996), portant sur 558 entreprises cotées suivies sur la période 1966 à 1990, avaient apporté des résultats intéressants. Ils validaient l‟hypothèse selon laquelle le risque de révocation, mesuré par le renouvellement annuel, le taux de rotation ou la durée des fonctions de président directeur général, constituait une incitation à la performance. Le niveau de performance expliquerait une partie des différences de longévité des dirigeants et justifierait les écarts de fréquence de rotation. L‟auteur s‟interrogeait très justement sur le sens de causalité : la rotation des dirigeants est-elle fonction de la 83 performance et/ou la performance est-elle fonction de la rotation des dirigeants ? Pigé confirmait la double causalité : d‟une part le taux de rotation des dirigeants était deux fois plus élevé pour les firmes figurant parmi les 10% enregistrant la performance la plus médiocre par rapport aux 10% de firmes enregistrant la meilleure performance boursière relative, d‟autre part la performance boursière, tant absolue que relative, était significativement différente au seuil de 10% selon le nombre de changements de dirigeant. Il étudiait également la carrière ultérieure du dirigeant sortant, et confirmait l‟existence de sanction : lorsque le dirigeant n‟occupait plus de poste de responsabilités, il extériorisait précédemment une performance inférieure. Dans la plupart des études empiriques cependant, le rôle de sanction du marché managérial reste implicite. Même la conclusion qu'un départ forcé est plus souvent suivi d'un recrutement externe (52% chez Denis et Denis, 1995, la moitié chez Parrino, 1997, 62% pour Wiersema et Bantel, 1992) ne conduit pas les auteurs à mettre en avant le rôle du marché managérial dans la sanction, qui en offrant des successeurs potentiels compétents augmente la probabilité de remplacement d‟un dirigeant sous performant. Parrino (1997) exposait bien l‟argument que la quantité et la qualité de l‟offre de candidats entrent de manière significative dans la prise de décision de remplacer un dirigeant, mais il ne citait pas explicitement le marché managérial. ETUDE ECHANTILLON TAUX DE DEPARTS FORCES MAUVAISE PERFORMANCE (cause) Lien validé Crain et al., 1977 500 entreprises de Forbes 1971-1975 Reinganum, 1985 2500 sociétés du NYSE et AMEX 1978-1979 Furtado et Rozeff, 1987 323 annonces de changement de dirigeant Sociétés cotées au NYSE ou AMEX 1975-1982 Warner, Watts, Wruck, 1988 272 entreprises américaines 1963-1978 Weisbach, 1988 495 sociétés cotées au NYSE 1977-1980 Non calculé Lien validé Gilson, 1989 409 entreprises américaines NYSE et AMEX - 1979-1984 52% dans les firmes en difficulté Lien validé Jensen et Murphy, 1990 2200 PDG de Forbes 1974-1986 HAUSSE DE LA PERFORMANCE (conséquence) Lien validé 4,4% Lien validé Lien validé Lien validé Lien validé 84 ETUDE ECHANTILLON Murphy et Zimmerman, 1993 915 sociétés américaines (1630 dirigeants de Forbes) 1971-1990 Pigé, 1993 558 sociétés françaises cotées 1966 - 1990 Denis et Denis, 1995 909 sociétés américaines 1985- 1988 DhermentFérère, 1996 TAUX DE DEPARTS FORCES Non calculé MAUVAISE PERFORMANCE (cause) Lien validé HAUSSE DE LA PERFORMANCE (conséquence) Double causalité 11,8 % Lien validé 1/3 Lien validé Lien validé Parrino, 1997 977 départs de dirigeants de Forbes 1971-1989 13% Lien validé DhermentFérère, Renneboog, 2000 235 entreprises françaises cotées 19881992 40% Zerbib, Lucier, Spiegel, Schuyt. 2002 2500 plus grandes sociétés mondiales 1995 - 2001 16% en 1995 25% en 2001 Lien validé Fee et Hadlock, 2003 Sociétés S&P 500 1993-1998 15,6 % Lien validé Renneboog et Trojanowki, 2003 250 sociétés du London Stock Exchange 1988-1993 Non calculé Lien validé Helfat et Bailey, 2005 36 nominations de dirigeants de Forbes 1978-1987 Lien validé pour les successions externes Lien validé - Tableau 3 : synthèse des études empiriques portant sur les départs forcés des dirigeants - 3.1.3. Le départ du dirigeant évincé engendre une hausse de la performance ex post Un changement de dirigeant consécutif à une sanction devrait se traduire par un retour à de meilleurs résultats. Ce lien a été validé empiriquement par Reinganum (1985), Furtado et Rozeff (1987), Weisbach (1988), Denis et Denis (1995), Helfat et Bailey (2005) et DhermentFérère (1996) pour la France (tableau 3). L‟amélioration de la performance engendrée dans le cas d'un départ forcé est supérieure à celle enregistrée consécutivement à un départ en retraite (Denis et Denis, 1995), un départ forcé engendre une variation positive de la firme (statistiquement constatée à partir du rendement boursier anormal). Les départs forcés constituent un signal fort de besoin de changement dans l'organisation, de provoquer une cassure avec la situation existante (Friedman et Saul, 1991). Ils conduisent généralement à 85 une amélioration de la performance supérieure à celle observée dans les cas de successions de dirigeants sans sanction du prédécesseur (Helfat et Bailey, 2005). Les auteurs argumentaient notamment sur le fait que l'encadrement et les salariés recevaient dans le cadre d'un départ forcé un signal fort sur la nécessité de coopérer, ce qui facilitait la réussite des changements stratégiques initiés par le nouveau dirigeant. Pour le marché français, l‟analyse de Dherment-Férère (1996) faisait ressortir que dans un tiers des cas de changement de dirigeant, le départ du prédécesseur avait été imposé. Elle trouvait que ces départs forcés avaient une incidence positive sur la performance de la firme, et que l‟effet était plus significatif lorsque le successeur est un externe. Ceci expliquerait la réaction positive des marchés financiers à l‟annonce du remplacement par un candidat externe d‟un dirigeant quittant l‟entreprise suite à de mauvaises performances, observée par exemple dans l‟étude de Dherment-Férère et Renneboog sur des sociétés cotées à Paris (2000). 3.1.4. L‟importance du rôle disciplinaire de la sanction est parfois mise en doute Jensen et Murphy (1990), dans leur étude portant sur plus de 2 200 présidents directeurs généraux recensés dans Forbes entre 1974 et 1986, confirmaient que la probabilité d‟être remplacé était plus forte dans les sociétés ayant réalisé une performance très inférieure au marché, mais ils mettaient en avant que la probabilité d‟être évincé était trop faible pour constituer une menace suffisamment conséquente pour les dirigeants et les inciter à agir dans les intérêts des actionnaires. Par ailleurs, dans les études figurant au tableau 3, la sanction par un départ forcé est validée le plus fréquemment pour les firmes figurant parmi les 10 ou les 20% les moins performantes. Si l‟entreprise est sous-performante mais que le différentiel avec la moyenne du secteur par exemple reste limité, le dirigeant n‟est pas sanctionné. Ce levier disciplinaire semble donc s‟exercer dans les cas les plus catastrophiques, probablement pour des raisons de coûts (gains attendus inférieurs aux coûts de changement de dirigeant). 3.1.5. Le dirigeant subit des coûts personnels élevés en cas de sanction Les travaux de Gilson (1989) ont cherché à déterminer si l‟éviction du dirigeant en cas de sous performance était réellement une sanction pour lui. Le risque d‟être évincé n‟a de pouvoir incitatif que si le dirigeant déchu connaît des coûts personnels élevés. De plus la difficulté de se replacer indique que le marché le tient pour responsable de la mauvaise 86 performance. Dans son étude des entreprises figurant parmi les 5% moins bonnes rentabilités boursières du New York Stock Exchange et de l'American Stock Exchange, portant sur un échantillon de 409 sociétés sur la période 1979 à 1984, il confirmait que la rotation des dirigeants était plus élevée dans les firmes en difficulté. Seulement 34% des dirigeants de firmes en détresse financière (en restructuration ou en dépôt de bilan) conservaient leur emploi. Aucun des dirigeants ayant dû quitter son entreprise n‟avait retrouvé de position similaire dans une autre société cotée dans les trois ans suivant son départ. Le dirigeant se trouve confronté à une forte pression et en cas de révocation ou de démission, il aura beaucoup de difficultés à obtenir un nouveau poste sur le marché du travail (il encourt donc des coûts importants). Il subit des pénalités en termes de réputation liées à sa mauvaise performance organisationnelle. Il semble donc qu‟il y ait bien une liaison effectuée entre la performance de la firme et la valeur estimée de son dirigeant. Fee et Hadlock (2003) ont également validé l‟existence de coûts personnels dans leur étude des changements de dirigeants dans les sociétés du Standard and Poor 500 entre 1993 et 1998. Après avoir confirmé que le mécanisme de rotation des dirigeants permettait l‟éviction des dirigeants sous optimaux, avec un taux de départs forcés de 15,6%, ils ont analysé le sort du dirigeant sanctionné. Les dirigeants démis pour ce motif avaient du mal à retrouver un poste équivalent, le changement de dirigeant donnant un signal négatif au marché sur leur capacité managériale. Les employeurs potentiels pensent qu‟un manager déchu est moins capable. Les auteurs montraient que la probabilité d‟obtenir un nouvel emploi était plus faible en cas de départ forcé, et qu‟elle était la plus basse s‟il y avait eu scandale. Ils mettaient en évidence le lien entre un départ involontaire et la difficulté de trouver un autre emploi, et si le dirigeant en cause y parvenait, sa nouvelle rémunération était inférieure. Les dirigeants de ce fait étaient incités à travailler dur pour éviter d‟être évincés, car les pénalités du marché managérial étaient substantielles. 3.1.6. Synthèse critique des études évoquées Le levier disciplinaire de la sanction fait globalement l‟objet d‟un consensus, tant théorique qu‟empirique. Les conclusions des études confirment le lien entre la probabilité d‟éviction du dirigeant et la performance de la firme : plus celle-ci est mauvaise, en absolu ou en relatif, plus le risque d‟être déchu est élevé pour le dirigeant. Les conséquences positives de la sanction sur la performance future de la firme ont été validées empiriquement dans les études 87 que nous avons citées. Mais les analyses ne parviennent pas toutes à la même conclusion. Par exemple le courant de littérature en gestion des ressources humaines, portant sur les plans de succession et la nécessité de bien préparer le changement de dirigeant, considère que les départs forcés ont plutôt des effets négatifs. Cependant il associe le départ involontaire à un changement brutal, or il nous semble probable que la décision d‟évincer un dirigeant jugé inefficace est longue à prendre, et que de ce fait le départ peut également être préparé. Des freins à l'exercice de la sanction existent cependant, il semblerait qu'il ne soit effectif que dans les cas de mauvaise performance les plus significatifs, très certainement pour des raisons de coûts. L‟asymétrie d‟information et la difficulté de déterminer la part de responsabilité du dirigeant dans les évolutions de performance en font partie. Parrino (1997) notamment soulevait dans son étude ce problème, et le reliait au délai fréquemment observé avant qu‟une sanction soit mise en œuvre. Sur son échantillon, plus de la moitié des départs forcés étaient consécutifs à au moins trois ans de sous performance relativement à la moyenne du secteur. Il constatait cependant qu‟en cas de mauvaise performance, non sanctionnée par un départ forcé, au moment où le dirigeant quittait la société pour d'autres motifs, il était généralement remplacé par un externe, ce qui semble traduire un recours au marché managérial plus systématique dans ce cas. Les études que nous venons de citer appellent plusieurs commentaires. Tout d'abord, elles font ressortir une difficulté majeure pour bien appréhender le rôle de la sanction. La définition de la notion de départ forcé varie selon les auteurs et son opérationnalisation est complexe. En effet, pour des raisons de difficulté d‟accession à l‟information, elle fait l‟objet d'approximations différentes selon les analyses. Certains chercheurs se sont attachés à examiner dans la presse tout renseignement pouvant les aider à classifier les départs, et utilisent comme Parrino (1997) la position retrouvée par le dirigeant sortant pour pouvoir conclure à un départ volontaire ou forcé (il est volontaire si le nouveau poste est aussi valorisé que le précédent). D‟autres se contentent d‟une notion de départ forcé limitée, définie par défaut comme tout départ autre que lié à la retraite. Or le départ d‟un dirigeant peut être volontaire, par exemple dans un souci de carrière externe. Il peut aussi traduire la reconnaissance d‟efforts reconnus par le marché du travail et leur récompense par l‟offre d‟un poste plus prestigieux dans une autre entreprise : le dirigeant dans ce cas répond à une sollicitation du marché managérial. C‟est pourquoi, même si la tâche est difficile, il nous 88 semble nécessaire d‟analyser au cas par cas chaque départ afin d‟aboutir à une explication plus fine du phénomène et de pouvoir confirmer l‟existence de ce rôle de sanction. Ensuite, si plusieurs variables pouvant expliquer le taux de rotation des dirigeants ont été testées : structure de propriété, composition du conseil d‟administration, influence du marché des prises de contrôle, nous n‟avons pas trouvé de travaux portant explicitement sur le marché managérial. Or en offrant des candidatures de meilleure qualité et en simplifiant l‟accès des firmes à ces dirigeants potentiels, si les coûts liés au changement ne sont pas trop élevés, il semble que le marché managérial puisse faciliter la décision de révoquer le dirigeant en place, et de ce fait assurer un rôle disciplinaire déterminant en favorisant la sanction des dirigeants inefficaces et le retour à de meilleures performances. 3.2. La récompense des dirigeants compétents Cette seconde voie d‟intervention disciplinaire se conçoit naturellement en symétrie de la précédente. "Si l'éviction d'un dirigeant sanctionne une sous-performance, le seul but d'éviter une mauvaise performance (et, par là, un départ forcé) ne constitue pas une bonne incitation pour les dirigeants performants à poursuivre une stratégie de maximisation de la valeur" (Renneboog et Trojanowki, 2003, p.6)24. Si des efforts managériaux supérieurs se traduisent par une performance plus élevée, ce n‟est plus la sanction mais la notion de récompense qui devient la plus incitative. Dans un marché du travail managérial efficient, les dirigeants les plus compétents sont récompensés, soit par une hausse de leur rémunération, soit par des fonctions plus élevées, ou les deux. Cet espoir de récompense participe également au système d'incitation des dirigeants à agir dans le sens des intérêts des actionnaires (Renneboog et Trojanowski, 2003). La rémunération est positivement liée à la performance. Elle récompense à la fois de bonnes performances comptables, ajustées au secteur, et de bonnes performances boursières. Elle rémunèrerait également une plus grande prise de risque. 24 Renneboog L., Trojanowski G. (2003, p. 6) : "as disciplinary turnover penalizes underperformance, the mere fact of being able to avoid poor performance (and, hence dismissal) does not constitute the right incentive for well-performing managers to pursue a value-maximizing strategy". 89 Des performances supérieures permettent aux dirigeants de se placer sur le marché managérial et de changer volontairement d‟employeur. Fee et Hadlock (2003), par exemple, arrivent dans leur étude au résultat que les cadres supérieurs qui accèdent au poste de dirigeant dans une autre entreprise viennent de sociétés dont les performances boursières sont supérieures à la moyenne. Une bonne performance signale le dirigeant au marché managérial et lui permet de recevoir des propositions de recrutement et de promotion. C‟est le même phénomène qui joue avec les sportifs de haut niveau. De ce fait, un dirigeant ayant pour objectif d'évoluer professionnellement va œuvrer pour que son entreprise extériorise des performances favorables. 3.3. Analyse de l'influence du marché managérial sur les rémunérations L‟influence du marché des dirigeants sur la rémunération entre en jeu à la fois dans la sanction des dirigeants inefficaces et dans la récompense des dirigeants compétents. Il nous semble utile d‟approfondir l‟analyse de ce levier, ce qui permettra une meilleure compréhension de ces deux voies d‟intervention du marché managérial. Dans la théorie de l‟agence, la rémunération constitue un facteur privilégié d‟alignement des intérêts du dirigeant avec ceux des actionnaires. La sensibilité de la rémunération à la performance et son caractère incitatif font l‟objet d‟une littérature abondante. Mais ce n‟est pas la rémunération en elle-même, ni les avantages de ses différents modes (directs, indirects, stock options…), qui nous intéressent. Nous cherchons à comprendre l‟incidence du marché des dirigeants sur le système de rémunération, c‟est-à-dire le rôle du marché du travail dans la détermination des salaires des dirigeants d‟entreprises. Dans la théorie néoclassique et la théorie du capital humain (Becker, 1964), les différences de salaires sont fonction de l'investissement en capital humain de l'individu, un travailleur ayant un niveau de formation supérieur ou des capacités plus élevées étant mieux rémunéré. Si la rémunération est entièrement définie par la loi de l‟offre et la demande sur le marché managérial, elle pourrait atteindre alors des niveaux très élevés, en fonction des compétences reconnues du dirigeant et de leur influence sur la performance de la firme. Le niveau de rémunération récompenserait l‟importance des responsabilités assumées et les résultats obtenus. "Les entreprises peuvent récompenser les cadres pour des inputs comme leurs compétences, aussi bien que pour des 90 outputs comme la performance de la firme"25 (Harris et Helfat, 1997, p. 895). Si le marché managérial est efficient, d‟une part un dirigeant de qualité supérieure devrait être mieux rémunéré, d‟autre part son recrutement devrait permettre à l‟entreprise d‟augmenter sa performance. Un employé voit le niveau de sa rémunération comme la représentation de sa valeur auprès de son employeur (Wallace et Fay, 1981). 3.3.1. La rémunération à la base du modèle de Fama (1980) Dans l‟étude de Fama (1980), le processus de révision des rémunérations des dirigeants imposé par le marché managérial permet la résolution des problèmes d‟incitation des dirigeants. Fama, en analysant comment la séparation de la propriété et du contrôle, fréquente dans les sociétés managériales, peut être une forme efficiente d‟organisation économique, met en avant le rôle disciplinaire " naturel " des marchés. Soumis à la discipline du marché managérial, mais aussi du fait des opportunités offertes par ce même marché, le dirigeant est incité à agir en faveur des intérêts des actionnaires et de la firme. Si les dirigeants sont convaincus que l‟offre d‟une rémunération importante dépend des niveaux actuels de performance de la firme où ils exercent, ils vont faire un maximum d‟efforts aujourd‟hui pour se construire une valeur réputationnelle. Reprenant les travaux d‟Alchian et Demsetz (1972) et de Jensen et Meckling (1976), il considère la firme comme une équipe dont les membres agissent en fonction de leurs propres intérêts, mais en tenant compte du fait que leur destinée est liée à la survie de l‟équipe, en compétition avec d‟autres équipes. Chaque facteur de production est ainsi face à son propre marché, dans le cas des dirigeants les alternatives offertes par le marché managérial les motivent pour être performants. C‟est grâce à lui que leurs services pourront, dans le futur, être loués ou vendus à une autre entreprise. L‟incitation cependant est fonction du nombre d‟années pendant lequel le dirigeant reste un potentiel pour le marché managérial, elle peut ainsi se réduire lorsque le départ à la retraite se rapproche. Nous reviendrons sur cette analyse dans le chapitre V consacré aux déterminants. Fama précise également qu‟il peut y avoir des cas où le poids de l‟incitation de futures rémunérations supérieures n‟est pas suffisant pour contrebalancer les gains obtenus par le dirigeant en agissant en sa faveur sur le contrat le liant aux actionnaires. De plus les répercutions de la performance sur la rémunération ne sont pas immédiates, mais le succès ou le revers de l‟équipe du dirigeant auront un impact sur sa rémunération future. 25 Harris D., Helfat C.E. (1997, p. 895) : "firms may compensate executives for inputs such as skills, as well as for outputs such as firm performance". 91 Les travaux de Fama ont permis une analyse approfondie du mécanisme d‟influence des rémunérations et de son appartenance au marché des dirigeants. Ils restent cependant à poursuivre car ils présentent deux limites. D'une part le comportement du dirigeant, défini comme un facteur de production particulier contrôlé par le marché managérial, est supposé passif, or il nous semble nécessaire de prendre en compte la stratégie du dirigeant pour mieux comprendre les mécanismes de gouvernance. D‟autre part, l‟étude de Fama porte sur les sociétés managériales26, il reste à vérifier que l‟incitation reste effective pour d‟autres types de firmes. Jensen et Murphy (1990) avaient également cherché à comprendre si les systèmes de rémunération existant à l'époque de leur étude étaient suffisamment attractifs pour attirer les meilleurs dirigeants, mais n'avaient pu conclure. Une seconde réflexion a été menée par les auteurs (Jensen et Murphy, 2004) et a apporté de nouveaux éclairages, par exemple sur l'incidence directe, en termes de récompense ou de punition, de l'évolution du cours boursier sur les dirigeants bénéficiant d'une partie de leur rémunération en actions. L'apport de leur second article a surtout été de mettre en avant que si les sytèmes de rémunération pouvaient contribuer à réduire les conflits d'intérêt entre le dirigeant et les actionnaires, ils étaient aussi susceptibles de "constituer une source substantielle de coûts d'agence s'ils n'étaient pas gérés correctement"27 (p. 98). 3.3.2. Le marché managérial exerce des pressions sur le niveau des rémunérations Le marché managérial exerce des pressions sur la firme pour rémunérer le dirigeant en fonction de la performance. D‟une part, l‟entreprise peut avoir besoin un jour de recourir au marché pour recruter un nouveau dirigeant, or un moyen d'attirer des candidats de talent est d'associer récompense et performance, même s‟il peut exister d‟autres motivations que la rémunération monétaire (recherche de prestige, souhait d‟acquérir certaines compétences...). D‟autre part, si son système de rémunération n‟est pas incitatif à la performance et que son dirigeant est bon, celui-ci sera incité à quitter l‟entreprise et à se replacer dans de meilleures conditions grâce au marché managérial. 26 Les sociétés managériales sont définies par l‟absence d‟actionnaire détenant plus de 10% du capital, elles se caractérisent par un actionnariat diffus. 27 Jensen M.C., Murphy K.J. (2004, p. 98): (…) "a substantial source of agency costs if it is not managed properly". 92 Un candidat, qu'il soit interne ou externe, dispose d'un certain pouvoir de marché lui permettant de négocier à la hausse sa rémunération, dans la mesure où il est le successeur recherché par la firme. Mais ce pouvoir est limité par l'existence d'autres candidats potentiels (Harris et Helfat, 1997). Plus son capital humain est rare, ou de qualité supérieure, moins la concurrence est forte, et plus le dirigeant dispose de pouvoir de négociation. La compétition entre les firmes pour attirer le dirigeant le plus talentueux détermine le niveau de rémunération qui va lui être proposé, et le renforcement de cette concurrence se traduit par une hausse des salaires managériaux. Le lien fait par Murphy et Zabojnik (2004) entre la hausse des recrutements externes et celle de la rémunération moyenne des dirigeants semble traduire l‟impact de l'intervention du marché des dirigeants sur le niveau des rémunérations. Les dirigeants d'origine externe sont généralement mieux rémunérés que ceux d'origine interne (15.3% de plus), et il peut y avoir un effet de propagation au secteur : lorsqu'une industrie privilégie les recrutements externes, le niveau moyen de salaire des dirigeants est plus élevé. Il est à noter cependant que d'autres auteurs, comme Parrino, attribuent cette tendance non pas au marché managérial mais à un meilleur contrôle du conseil d'administration, qui pousse les dirigeants à plus d'efforts, ensuite récompensés par des salaires plus importants. 3.3.3. Lien entre compétences, efforts réalisés et rémunération Si le marché des dirigeants est efficient, un niveau de compétences supérieur entraîne un niveau de rémunération supérieur : il existe alors un lien entre les qualités, les capacités, la reconnaissance des compétences du dirigeant, sa production marginale, sa contribution à la valeur de la firme, et la rémunération. Toute l‟information passée et présente est efficacement utilisée pour évaluer le prix du capital humain des dirigeants du marché. Le marché du travail sert de base de référence pour la détermination de la rémunération du dirigeant. Une révision des salaires se fait périodiquement en fonction des performances ou des objectifs fixés. Toutes les firmes et les dirigeants partagent une information commune sur les capacités de chaque dirigeant. L‟évaluation du capital humain du dirigeant se reflète dans le cours du marché financier (pour une société cotée, pour une autre entreprise : sa cotation ou sa réputation), qui conditionne son niveau de rémunération. Si cette évaluation n‟est pas correcte, le dirigeant aura intérêt à quitter la société. Mais cette vision théorique du marché du travail managérial correspond-elle à la réalité ? 93 La récompense de qualités supérieures par une prime de rémunération du dirigeant a été notamment validée dans les études de Palia (2000), Fee et Hadlock (2003). Les dirigeants ayant extériorisé des performances supérieures dans leur poste précédent voient leur rémunération augmenter avec leurs nouvelles fonctions, car ils sont perçus comme étant de meilleurs dirigeants. Sur une population plus large de salariés, l'analyse empirique pour la France de Daniel et Sofer (1998), exploitant les données des recensements de l'INSEE sur la période 1986 à 1987, a validé également le lien entre un niveau supérieur de formation, une expérience professionnelle plus importante et des rémunérations plus élevées. Cette relation fonctionnerait à la hausse comme à la baisse. Dans l‟étude de Fee et Hadlock (2003), les cadres de haut niveau ayant des rémunérations supérieures à la normale voyaient leurs salaires revus à la baisse lorsqu‟ils changent d‟entreprise. Le passage par le marché managérial semble donc entraîner un réajustement des rémunérations. Les auteurs aboutissent également à la conclusion qu‟il existe un lien entre le type de départ et la rémunération du nouveau poste : s‟il est involontaire (associé à un départ forcé, une sanction), les salaires sont inférieurs à ceux de la fonction précédemment occupée. Les meilleurs dirigeants reçoivent un supplément de rente et permettent à la firme d‟augmenter sa performance (Barros et Macho-Stadler, 1998). Ce complément de rente est fonction du profit additionnel que la firme considère pouvoir dégager en l‟embauchant. En contrepartie elle demande au nouveau dirigeant un niveau d‟efforts et de résultats plus élevés : les incitations données au dirigeant sont plus fortes. La firme qui attire le dirigeant le plus compétent est la plus efficiente sur le marché en termes de productivité, en présence de problèmes d‟agence dans le processus de production. La performance ex post de la firme est supérieure lorsqu‟il y a eu compétition pour recruter son dirigeant. Ce sont les firmes les plus performantes avant la sélection qui parviennent à attirer les meilleurs dirigeants, car la rente additionnelle qu‟elles peuvent payer est plus importante. Les dirigeants se différencient entre eux par leur productivité, leurs efforts et les capacités qui leur sont propres, Barros et MachoStadler supposant que l‟information sur leurs compétences est connue et disponible. Le marché managérial offre des candidats de différents types. La compétition entre les firmes pour obtenir le meilleur dirigeant pourrait même éliminer la perte d‟efficience productive due à l‟asymétrie d‟information dans la relation entre l'entreprise et le dirigeant. Le modèle développé dans l‟étude de Barros et Macho-Stadler n‟a pas été testé empiriquement. 94 Ang et al. (2003), qui ont étudié la rémunération de 268 dirigeants (Chief Executive Officer) de compagnies américaines cotées au New York Stock Exchange, à l‟American Stock Exchange et au Nasdaq sur la période 1991 à 1995, de même que Hayes et Schaefer (2000), validaient également la relation entre des qualités supérieures, un niveau de rémunération supérieur du dirigeant et une augmentation de la performance de la firme. Le nouveau dirigeant, choisi pour ses compétences supérieures, génère des rentes supplémentaires relativement à son prédécesseur, et ces rentes vont être partagées entre le dirigeant, sous forme d'une rémunération plus attractive, et la firme. Diriger une firme de grande taille par exemple, demanderait des compétences supérieures, ce qui justifierait un niveau de rémunération plus élevé (Harris et Helfat, 1997). D‟autres analyses ne concluaient pas à l‟existence de cette relation : Reinganum (1985), Warner et al. (1988), qui recherchait l‟existence d‟une réponse du marché boursier au changement de dirigeant, n‟avaient pas trouvé de lien statistiquement significatif. Enfin une autre explication du lien entre compétences et rémunération est proposée notamment par Harris et Helfat (1997) : la rémunération offerte peut compenser le risque lié à l'absence de capital humain spécifique à la firme du dirigeant. Lorsqu'un travailleur quitte une entreprise pour être recruté par une autre, il demande une compensation pour la perte des gains liés à son capital humain spécifique à la firme qu'il aurait engrangés s'il était resté dans la même entreprise (Topel, 1991). Ainsi les successeurs externes, qui, d'une part, perdent la valorisation de leurs compétences spécifiques à la firme où ils exerçaient précédemment, d'autre part, sont en risque car ils ne possèdent pas en arrivant de capacités spécifiques à la nouvelle firme, acceptent de changer d'entreprise s'ils reçoivent une prime. Les auteurs étendent cette réflexion au capital humain spécifique industriel : un dirigeant changeant de secteur d'activité percevrait également une prime venant augmenter sa rémunération. Leur étude empirique, portant sur 305 successions de dirigeants de grandes firmes américaines répertoriés dans Forbes sur la période 1978 à 1987, confirme que les successeurs externes à la firme et externes au secteur reçoivent un montant global de salaires et de bonus supérieurs aux successeurs internes. La notion de risque figure également dans les travaux de Hambrick et Finkelstein (1995) : les successeurs externes ont moins de connaissances de l'entreprise que les internes et ont plus de mal à évaluer si leurs compétences génériques correspondent bien à la demande du poste. 95 3.4. La réduction d’autres coûts disciplinaires Nous venons d‟analyser deux voies disciplinaires du marché managérial participant à la réduction des coûts d‟agence, des conflits d‟intérêts entre les dirigeants et les actionnaires ou les autres parties prenantes. Le marché peut également intervenir sur d‟autres types de coûts disciplinaires et ainsi contribuer à l‟amélioration de la performance de la firme, en évitant la destruction de valeur. 3.4.1. Coût des contrats informels Le premier type de coût sur lequel le marché des dirigeants est susceptible de jouer un rôle est lié aux contrats informels. Le dirigeant établit des contrats explicites et implicites avec tous les partenaires de la firme : clients, fournisseurs, salariés, actionnaires, banques…. Les contrats implicites n'ont pas de forme légale, mais lient les parties relativement à leurs comportements respectifs. "Un complément important aux contrats écrits incomplets est constitué des attentes non explicitement formulées mais présumées partagées que les différentes parties peuvent avoir dans le cadre de leurs relations"28 (Milgrom et Roberts, 1992, p. 132). Ils ne sont connus que du dirigeant et de la partie prenante concernée. Ils sont constitués par le dirigeant pour l‟aider à être plus efficace, mais aussi pour se protéger et asseoir son influence. S'ils peuvent être favorables à la firme, par exemple en lui permettant de conserver un client important ou un fournisseur clé, ces contrats implicites, dans la vision négative de l'enracinement, sont considérés comme une source de coûts. Leur multiplication avec différents partenaires réduit les pouvoirs de chacun d'eux, notamment en matière de contrôle. Ils permettent au dirigeant de maintenir l'asymétrie d'information, diminuant ainsi la visibilité des équipes concurrentes, qui de ce fait ne le menacent pas d'être remplacé. Ils sont également coûteux lorsque le dirigeant, pour développer ces contrats informels, accorde des concessions, notamment financières, pour s'assurer la loyauté et la fidélité de certaines parties prenantes. Selon Shleifer et Vishny (1989), une méthode de contrôle qui permet de réduire les contrats informels, que les dirigeants ont pu établir à leur avantage et en lieu et place des intérêts des 28 Milgrom P., Roberts J. (1992, p. 132) : "An important adjunct to incomplete written contracts are the unarticulated but (presumably) shared expectations that the parties have concerning the relationship". 96 actionnaires, est d‟embaucher des dirigeants externes. Le nouveau dirigeant supprimera une partie des relations informelles qui reposaient sur son prédécesseur. On peut ainsi espérer un accroissement de la productivité globale de l‟équipe de direction, si le marché du travail des dirigeants est efficient et qu‟il a bien évalué les qualités et les compétences du successeur. 3.4.2. Élimination ex post des manœuvres d‟enracinement Dans la théorie de l‟enracinement, le dirigeant est actif, il cherche à neutraliser les mécanismes disciplinaires, à élargir sa latitude discrétionnaire. Il peut alors construire une stratégie ayant pour but de réduire les possibilités de contrôle du conseil d'administration, en tissant des liens avec certains administrateurs ou en orientant l'information présentée au conseil d'administration (Charreaux, 1994). Lorsqu‟il a une stratégie de carrière interne, son objectif est de persuader les actionnaires qu‟il est le plus apte à gérer l‟entreprise et que son remplacement serait trop coûteux. Il cherche à maximiser la valeur des investissements idiosyncrasiques dont le caractère spécifique dépend de sa présence à la direction de l‟entreprise, ou qui sont liés à une asymétrie d‟information plus importante (Shleifer et Vishny, 1989). Il peut même chercher à manipuler l‟information (Stiglitz et Edlin, 1992, Hirshleifer, 1993). Le processus d‟enracinement se traduit par des stratégies mises en œuvre par le dirigeant pour se rendre indispensable et rendre difficile son éviction. Dans cette vision disciplinaire négative de l‟enracinement, il conduit à la réduction de l‟efficacité du marché managérial. D‟une part il fait disparaître son pouvoir d‟incitation à la performance, le dirigeant ne recherchant pas à se valoriser pour effectuer une carrière externe. D‟autre part il minimise les possibilités de sanction, les actionnaires subissant des coûts de sortie plus élevés (le départ du dirigeant va entraîner la perte d‟une partie de la rente organisationnelle, basée sur les investissements idiosyncrasiques), et ayant moins de visibilité pour évaluer l‟intérêt de remplacer le dirigeant (Shleifer et Vishny, 1989). Les équipes dirigeantes concurrentes sont également moins incitées à vouloir le remplacer, par manque de transparence. La stratégie d‟enracinement du dirigeant est à prendre en compte dans l‟étude du lien de causalité entre la sanction et les mauvais résultats de l‟entreprise (Pigé, 1993). L‟enracinement est négativement corrélé avec la performance financière (Paquerot, 1996). 97 Le marché managérial peut ainsi voir son rôle de sanction modifié par l‟enracinement, mais il peut aussi, si celui-ci n‟a pas été dissuasif dans la décision de changer de dirigeant 29 , intervenir d‟une autre manière, en engendrant une réduction de coûts disciplinaires. Le recours à un nouveau dirigeant peut permettre d‟éliminer les conséquences des manœuvres d‟enracinement de l‟ancien dirigeant, c‟est-à-dire les coûts dérivés des rentes que les dirigeants en place s‟octroient par le biais des relations contractuelles informelles qu‟ils ont tissées à leur profit (Faith et al., 1984). Le changement de dirigeant et le recours au marché managérial génèrent un coût immédiat, lié à la perte de rente concernant les investissements idiosyncrasiques, mais, ensuite, ils permettent de supprimer les coûts additionnels liés à l‟enracinement, qui auraient continué à s‟accroître si l‟ancien dirigeant était resté en place. Si le coût de sortie est inférieur à ces gains futurs, le marché des dirigeants contribue à la réduction de la destruction de valeur et, de ce fait, à l‟amélioration de la performance. Cette réduction potentielle des coûts trouve sa justification dans l‟approche disciplinaire, mais elle diffère de la vision cognitive, où, en privilégiant le rôle de créateur de rentes du dirigeant, l‟enracinement est souvent présenté de manière positive, le développement du capital humain étant favorisé par la durée, ainsi que l‟intensité des réseaux relationnels bénéfiques à l‟entreprise (Castanias et Helfat, 1992). 3.4.3. Élimination ex ante des manœuvres d‟enracinement Le marché des dirigeants peut également jouer un rôle dissuasif (ex ante) par rapport à l‟enracinement. En effet le comportement opportuniste d‟un dirigeant a un coût car il porte préjudice à sa réputation sur le marché de l‟emploi du fait de la perception de son attitude. La baisse de sa réputation risque de bouleverser les rapports de pouvoir du dirigeant avec les actionnaires, car il lui sera plus difficile en cas de départ, du fait de cette détérioration, de retrouver un poste équivalent à son poste actuel. Il ne peut plus, de ce fait, menacer de façon crédible les actionnaires de démissionner. Le dirigeant peut alors considérer que la stratégie d‟enracinement n‟est pas la meilleure solution pour lui, et le marché managérial aura ainsi permis d‟éviter les coûts potentiels correspondants. 29 Si le dirigeant enraciné s'attribue un niveau de rentes élevé qui devient visible, l'attrait du poste pour les équipes concurrentes est renforcé et le risque de remplacement s'accroît : cet argument sera développé au paragraphe 5.2.1.. 98 3.4.4. Réduction ou élimination des coûts d‟erreur de décision Le recours au marché des dirigeants peut permettre de réduire les coûts d‟agence liés aux erreurs de décision des dirigeants. Il s‟agit ici non pas d‟agissements opportunistes du dirigeant, mais d‟erreurs de gestion, par exemple la prise de décisions d‟investissement non optimales, ou encore une mauvaise exploitation des opportunités existantes. En raison de la divergence d‟intérêts entre les dirigeants et les actionnaires, une décision considérée comme opportune par le dirigeant peut représenter une erreur pour les apporteurs de capitaux. Là encore une bonne évaluation du candidat et de son adéquation avec la firme par le marché managérial peut engendrer une réduction ou la disparition de ces coûts. Conclusion du chapitre III En nous appuyant sur la littérature existante, nous avons pu cerner le rôle disciplinaire du marché des dirigeants. Utilisant deux leviers identifiés dans la théorie de l‟agence : la menace d‟éviction et la rémunération, il est susceptible de participer à la contribution de valeur principalement par deux voies d‟intervention : - la sanction des dirigeants inefficaces : d‟une part le marché managérial favoriserait ex ante la décision de leur remplacement en offrant des candidatures de qualité, d‟autre part il pourrait les pénaliser ex post, en les empêchant de retrouver un nouveau poste de direction, ou dans des conditions (rémunération, prestige) moins favorables ; - la récompense des dirigeants performants : les dirigeants extériorisant des résultats plus élevés que ceux des autres firmes, du fait de leurs compétences supérieures et de leurs efforts, se verraient confier, grâce au marché managérial, des postes plus avantageux, soit par sollicitation, soit en offrant leurs services sur le marché du travail. Les dirigeants seraient ainsi incités à être plus performants pour obtenir une promotion, en termes de poste et de rémunération. Nous avons également identifié une troisième voie d‟intervention potentielle, liée à certains agissements du dirigeant pouvant être néfastes pour la firme. Le marché managérial jouerait ainsi un rôle engendrant une amélioration de la performance de la firme : - en permettant de supprimer les contrats informels que le précédent dirigeant avait pu nouer au détriment de l‟entreprise ; 99 - en éliminant les conséquences néfastes de l‟enracinement lorsque les coûts de sortie ne sont pas trop élevés ; - en dissuadant le dirigeant de s‟engager dans des manœuvres d‟enracinement ; - en supprimant les coûts liés aux erreurs de décision du prédécesseur. Cette première revue de littérature fait ressortir deux limites des travaux disponibles sur le mécanisme que nous étudions. D'une part, si les voies d‟intervention disciplinaires du marché du travail des dirigeants sont bien analysées, elles lui sont rarement attribuées explicitement. D‟autre part, elles sont examinées séparément, la contribution à la création de valeur du rôle disciplinaire joué par le marché managérial dans son ensemble n'a pas été validée empiriquement. C‟est une des motivations qui nous a conduits à concentrer nos recherches sur la modélisation du rôle de ce mécanisme. Par ailleurs, le choix d'une grille de lecture disciplinaire nous apparaît être trop limitatif pour permettre d‟appréhender dans sa globalité la contribution du marché des dirigeants et refléter le mieux possible la réalité de ce mécanisme. C'est pourquoi nous avons choisi comme cadre théorique la grille synthétique de la gouvernance, comme nous l'avons justifié au chapitre I. L'analyse des voies d‟intervention du marché managérial sous la dimension cognitive autorise l'émergence d'autres fondations, complémentaires, à la modélisation du rôle du marché des dirigeants. Leur identification fait l‟objet du prochain chapitre. 100 CHAPITRE IV : LE ROLE COGNITIF DU MARCHE DES DIRIGEANTS Analyser également le marché des dirigeants sous la dimension cognitive permet une approche différente et complémentaire du rôle de ce mécanisme. L‟apport principal des théories cognitives est de s‟intéresser à " l‟origine des connaissances qui fondent les compétences distinctives sur lesquelles s‟appuient les stratégies de création de valeur " (Charreaux, 2000, p.13). La connaissance est l‟aboutissement de l‟interprétation d‟une information, à travers un filtre ou cadre personnel : le modèle cognitif. Issue de l‟apprentissage organisationnel, elle se construit par interdépendance entre les individus (Simon, 1947, Cyert et March, 1963). La confrontation de différentes bases d‟interprétation peut conduire à des conflits, ayant des conséquences positives ou négatives. La notion de concurrence, fondée sur l'innovation, est centrale dans les théories cognitives (Nelson et Winter, 1982, Dosi, 1990, Foss, 1996). La firme est analysée comme un ensemble de ressources permettant l'accumulation des connaissances, sous l'impulsion des dirigeants, dont la vision est guidée par leur expérience (Penrose, 1959, Wernerfelt, 1984, Barney, 1991). La conception de l‟efficience est dynamique : la gouvernance doit aider la firme à construire des stratégies permettant de créer de la valeur de façon durable (Charreaux, 2000, p. 14). Cette approche, en fournissant d'autres explications de la création de la valeur dans l'entreprise, va nous permettre d'appréhender le rôle du marché managérial dans sa globalité et de mieux comprendre sa participation à la variation de performance de la firme. En nous appuyant sur la littérature existante, nous allons identifier deux voies d'intervention supplémentaires du marché des dirigeants : l‟influence sur la vision stratégique de l‟entreprise et l‟apport de nouvelles compétences. 4.1. Aide à la construction de la vision stratégique de la firme L‟influence du marché managérial sur la vision stratégique ressort implicitement de la littérature à travers quatre thèmes de recherche : la relation entre les caractéristiques du dirigeant et les choix stratégiques qu‟il engage, la contribution du capital humain managérial à la constitution de l‟avantage concurrentiel, le lien entre le changement de dirigeant et les réorientations stratégiques, et le développement de l‟innovation engendré par la confrontation de différents schémas cognitifs. 101 4.1.1. L‟influence des caractéristiques du dirigeant sur les choix stratégiques L‟influence des caractéristiques des dirigeants sur les choix stratégiques de la firme qu‟ils vont diriger a fait l‟objet d‟une littérature abondante (March et Simon, 1958, Dearborn et Simon, 1958, Pfeffer, 1983, Hambrick et Mason, 1984, Gupta, 1984, Bantel et Jackson, 1989, Lewin et Stephens, 1990, Hitt et Tyler, 1991, Wiersema et Bantel, 1992, Melone, 1994, Buchholtz et Ribbens, 1994, Finkelstein et Hambrick, 1990, Gunz et Jalland, 1996, Datta et Guthrie, 1998, Bertrand et Schoar, 2003). Les politiques menées par les firmes divergent selon l'identité des dirigeants qui les gouvernent ; ceux-ci ont leur propre style, ce qui se traduit par des décisions stratégiques différentes (Bertrand et Schoar, 2003). L‟âge, la formation, l‟expérience, le savoir-faire développé par les dirigeants dans leurs fonctions précédentes, affectent leur prise de décision. Ce lien est à la base de la théorie des échelons supérieurs développée par Hambrick et Mason (1984, p. 193) 30 : " Les résultats organisationnels – choix stratégiques et niveaux de performance – sont partiellement prédictibles par les caractéristiques des dirigeants ", lesquelles " sont considérées refléter les valeurs et la base cognitive des acteurs détenant le pouvoir dans les organisations ". Leur modélisation est en phase avec notre grille de lecture, où le dirigeant est actif, occupant une place centrale, et s‟oppose à d‟autres courants théoriques, comme celui de l‟Écologie des Populations, dont la vision déterministe nie l‟importance du dirigeant sur la performance de la firme, les actions individuelles étant considérées comme dérisoires relativement à l'influence dominante de l‟environnement. S‟appuyant sur les travaux de Child (1972) sur la perspective du choix stratégique, de March et Simon (1958) et de Cyert et March (1963), les auteurs mettent en évidence que les choix stratégiques reflètent les idiosyncrasies des dirigeants, dont les valeurs et la base cognitive agissent comme un filtre dans leur perception et leur interprétation des différentes situations auxquelles ils sont confrontés. " Différents types de dirigeants sont associés à différents résultats organisationnels " (Hambrick et Mason, 1984, p. 194) 31 . L‟analyse des caractéristiques managériales observables (âge, expérience professionnelle, éducation, formation…), prises en compte dans la sélection des dirigeants, constituerait un moyen d‟opérationnaliser ces idiosyncrasies, plus efficient que l‟étude de dimensions psychologiques, difficiles à mesurer et ayant un pouvoir explicatif plus limité. Le 30 Hambrick D.C., Mason P.A. (1984, p. 193) : " Organizational outcomes – strategic choices and performance levels – are partially predicted by managerial background characteristics " (..) “are viewed as reflections of the values and cognitive bases of powerful actors in the organization ". 31 Hambrick D.C., Mason P.A. (1984, p. 194) : " Different types of managers are associated with different organizational outcomes ". 102 niveau de formation, par exemple, serait positivement corrélé avec la réceptivité à l‟innovation. Bertrand et Schoar (2003), dans leur étude de 500 dirigeants et cadres supérieurs américains répertoriés dans Forbes entre 1969 et 1999, avaient également mis en évidence que les dirigeants détenteurs d'un MBA développaient des stratégies plus agressives, investissaient davantage, avaient plus recours à l'endettement et payaient moins de dividendes. L‟âge serait inversement lié à la prise de risque (en termes de diversification, d‟effet de levier…). Le modèle d‟Hambrick et Mason a été repris par Wiersema et Bantel (1992), qui ont validé empiriquement la relation entre les caractéristiques de l‟équipe dirigeante et les décisions stratégiques en matière de diversification, sur un échantillon aléatoire de 100 entreprises de Fortune 500 étudié pour l‟année 1980. " Les perspectives cognitives des dirigeants, reflétées par leurs caractéristiques démographiques, sont liées à la propension de l‟équipe à changer la stratégie de l‟entreprise " (Wiersema et Bantel, 1992, p. 91)32. Certains traits des dirigeants (âge, durée de poste, spécialisation ou diversité de la formation, niveau d‟éducation) indiquent leur réceptivité au changement, à la prise de risque, à l‟innovation et la diversité de leurs sources d‟information, influençant leur prise de décision. Ce lien a également été mis en évidence sur un type de successeurs : les dirigeants d'origine externe. "L'expérience et le passé des successeurs externes les prédisposent à faire des changements s'apparentant à des bouleversements"33 (Helfat et Bailey, 2005, p. 51). Ayant une expérience différente de la direction qu'ils ont remplacée, ils n'hésitent pas à changer les routines dans la firme (Friedman et Singh, 1989, Hambrick et al., 1993, Harris et Helfat, 1997). Pour Helfat et Bailey (2005), l'impact sur la performance du recours à un candidat externe dépend de l'amplitude des bouleversements qu'il engendre, du degré d'incertitude ainsi créé et de la capacité du dirigeant à gérer le changement, notamment à le faire accepter par l'encadrement et les salariés. Dans les travaux que nous venons de citer, le marché managérial n‟est pas explicitement évoqué, mais son rôle est implicite. En effet, par sa fonction fondamentale d‟évaluation des dirigeants, il est à la base de l‟analyse de leurs caractéristiques. Compte tenu du lien avec les choix stratégiques précédemment développé, il est donc susceptible d'influencer la vision stratégique de la firme, et de jouer un rôle dans sa construction. 32 Wiersema M.F., Bantel K.A. (1992, p. 91) : " top managers‟ cognitive perspectives, as reflected in a team‟s demographic characteristics, are linked to the team‟s propensity to change corporate strategy ". 33 Bailey E.E., Helfat C.E. (2005, p. 51) : "the backgrounds and work experiences of external successors may predispose them to make disruptive changes". 103 4.1.2. Le capital humain managérial, une des sources de l‟avantage concurrentiel L‟identification des sources de l‟avantage concurrentiel est à l‟origine de plusieurs courants théoriques (Penrose, 1959, Porter 1980, 1985, Wernerfelt, 1984,1989). Cet avantage peut être notamment développé par les firmes en mettant en œuvre des stratégies exploitant leurs forces, répondant aux opportunités environnementales et neutralisant les menaces externes (Barney, 1991). Les ressources satisfaisant à certains critères : être valorisables dans l‟entreprise, rares, imparfaitement inimitables et non substituables (Barney, 1991), sont susceptibles de contribuer à la constitution d'avantages concurrentiels. Le capital humain des dirigeants répond à ces conditions : le talent managérial est une des ressources nécessaires à l‟accomplissement de la stratégie de la société (Hambrick, 1987), une firme peut chercher à imiter le management d‟un concurrent mais ne parviendra pas à copier exactement la stratégie du dirigeant (Barney et Tyler, 1990). Le capital humain managérial, en participant à la définition et la mise en œuvre de stratégies créatrices de valeur, non développées simultanément par d‟autres concurrents potentiels, contribue ainsi au développement de l‟avantage concurrentiel (Castanias et Helfat, 1991). Une nouvelle fois, le rôle du marché des dirigeants est implicite : en évaluant le capital humain managérial, en mettant en concurrence les candidats, la compétition étant remportée par le meilleur dirigeant, il peut contribuer à la constitution de l'avantage concurrentiel et ainsi favoriser la création de valeur dans l‟entreprise. 4.1.3. Les réorientations stratégiques, conséquences du changement de dirigeant L‟arrivée d‟un nouveau dirigeant se traduit généralement par des modifications importantes dans la politique et la stratégie de l'entreprise (Shen et Cannella, 2003), et peut permettre à l‟entreprise de s‟adapter aux évolutions du contexte (Wiersema et Bantel, 1992). Les dirigeants ayant une durée de poste dans la moyenne ou inférieure à celle-ci sont plus prompts à s'adapter aux changements, permettant une meilleure adéquation de la firme à son environnement, et ainsi une performance supérieure de l'entreprise (Miller, 1991). Une relation négative est observée entre l'ancienneté dans l'organisation et la probabilité de changements stratégiques dans les travaux de Bantel et Jackson (1989) et Finkelstein et Hambrick (1990). 104 Les réorientations stratégiques consécutives à un changement de dirigeant ont été essentiellement analysées sous l‟aspect disciplinaire. Ainsi Denis et Denis (1995) ont validé empiriquement l‟existence de restructurations consécutives à l‟arrivée du nouveau dirigeant : ventes d‟actifs, mesures de réduction de coûts, changement de l‟équipe d‟encadrement, modification du nombre d‟employés, des investissements, réorientation de l‟activité… Pour Weisbach (1995) également, des changements organisationnels suivent le changement de dirigeant, même en cas de départ à la retraite, ce qu‟il analysait comme l‟opportunité de corriger les erreurs du prédécesseur. Cette vision était aussi celle de Reinganum (1985) : un changement de dirigeant peut se traduire par des modifications importantes dans la politique et la stratégie de l'entreprise, et permettre au nouveau dirigeant de ne pas réitérer les erreurs commises dans le passé. Lorsque le choix se porte sur un candidat externe, généralement il est lié à la remise en cause de la politique antérieure. Un dirigeant venant de l'extérieur sera recherché si l‟objectif est d‟éviter la compétitivité interne jugée alors néfaste, mais aussi s‟il y a besoin d‟une rupture forte, ou d‟un dirigeant ayant une autre expérience, apportant de nouveaux marchés, ou encore s‟il est nécessaire pour l‟entreprise de prendre de nouvelles orientations stratégiques pour s‟adapter aux changements de l‟environnement commercial et concurrentiel. Les successeurs externes sont davantage considérés comme capables de faire évoluer la mission, la stratégie de l‟entreprise, d'initier des changements bénéfiques (Friedman et Singh, 1989, Goodstein et Boecker, 1991, Wiersema, 1992, Helfat et Bailey, 2005). Ils apportent une perspective nouvelle (Hambrick et al., 1993). Un successeur externe est recherché lorsque l'environnement évolue et que des changements stratégiques et opérationnels sont nécessaires (Weisbach, 1995, Finkelstein et Hambrick, 1996). Il a souvent une propension plus élevée à prendre des risques, ce qui peut être nécessaire pour redresser une entreprise en difficulté, accompagner une firme en pleine croissance ou l‟aider à s‟adapter lorsqu‟elle exerce dans un environnement en forte mutation. Le choix de certains dirigeants est lié à la volonté de mettre en œuvre des stratégies spécifiques (Gupta, 1984). Le nouveau dirigeant remet en cause les modes établis de routines organisationnelles et opérationnelles (Nelson et Winter, 1982), en initiant une nouvelle stratégie et de ce fait améliore la performance (Andrews, 2001, Gordon et al., 2000). Les dirigeants d'origine externe sont plus à même de chercher et développer de nouvelles routines organisationnelles (Newman, 2000). Le marché managérial est donc susceptible de jouer un rôle dans les réorientations stratégiques, d'une part car il est fondamentalement basé sur l'existence de candidats externes, comme nous l'avons rappelé au chapitre I, d'autre part car il 105 facilite et encourage la rotation des dirigeants, par sa capacité à offrir aux firmes des candidats potentiels et aux dirigeants des perspectives d‟évolution de carrière. 4.1.4. La confrontation de différents schémas cognitifs, source d‟innovation et d‟amélioration de la prise de décision Avant de développer les conséquences de la confrontation de différents schémas cognitifs, engendrée par le recours au marché managérial, nous allons rappeler ce qu'englobe la notion de schéma cognitif, pour une meilleure compréhension des arguments qui ont été avancés. Le concept de structure de connaissances et celui de schéma cognitif ont été introduits en psychologie cognitive par un des deux courants de recherche concernant l‟application de la psychologie cognitive au management. Ces deux courants se distinguent par leur niveau d‟analyse : le premier est centré sur l‟individu, plus particulièrement le dirigeant, le second sur l‟organisation. Chacun apporte sa contribution à la compréhension des schémas cognitifs : le premier les définit, le second analyse la confrontation de schémas différents entre plusieurs personnes. Dans le premier courant, tout individu forme sa propre représentation mentale d‟une situation, qui n‟est pas le reflet exact de la réalité. Cette représentation est le résultat de sélection, de classement, de manipulation complexes, fonctions de nos intérêts, notre connaissance et nos intentions. Les systèmes de connaissances préexistants permettent aux individus d‟interpréter ce qui les entoure et de déterminer leur comportement (Weick, 1979). Les informations que les dirigeants doivent gérer étant complexes, incomplètes, ils utilisent des structures de connaissances pour faciliter leur traitement et prendre des décisions. La prise de décision varie du fait des croyances et des expériences individuelles. Cette perception simplifiée du monde est à la base de la notion de schéma cognitif. Celui-ci traduit la hiérarchisation et la mise en relation de la connaissance ayant pour objectif la compréhension et l‟action. Les systèmes de connaissances pré existants permettent d‟interpréter le monde organisationnel et de générer les comportements appropriés. Ils aident l‟individu à traiter et organiser l‟information, à l‟interpréter et l‟évaluer en fonction de leur similarité avec des attributs existants, et fournissent un cadre aux réactions affectives à l‟information. L‟expérience, le vécu de situations antérieures se rapprochant, influencent le traitement des informations nouvelles. Selon les auteurs, ces systèmes sont appelés croyances, schémas, 106 modèles mentaux ou cadres. La formation et l‟éducation font partie des influences classiques, mais le schéma cognitif d‟un individu dépend également de son histoire et de sa personnalité, de la position qu‟il a occupée dans l‟entreprise. En reprenant les travaux de Gupta (1992), le paradigme du dirigeant est basé sur deux éléments : le schéma de représentation et le répertoire. Le schéma cognitif dépend du système de connaissances existant du dirigeant, incluant les perceptions conscientes et inconscientes, les croyances, les attentes… qui proviennent des expériences familiales et culturelles, professionnelles, ainsi que des réseaux, de l‟éducation, de l‟observation… Le répertoire est la boite à outils du dirigeant, il contient par exemple des capacités de négociation qui se sont développées avec l‟expérience de situations conflictuelles… Le schéma cognitif sert d‟appareil perceptif et interprétatif, le répertoire représentant les capacités tangibles du dirigeant à appliquer ce schéma dans un contexte économique et social. Le paradigme managérial n‟est pas statique, il évolue dans le temps et en fonction des nouvelles expériences. Les cadres cognitifs dans lesquels les dirigeants prennent leurs décisions et la confrontation des schémas ont une influence sur la dynamique de l‟apprentissage organisationnel. Une connaissance individuelle deviendra organisationnelle si elle est échangée et acceptée par les autres, les principes d‟assimilation et d‟accommodation développés pour l‟apprentissage individuel par Piaget pouvant être transposés aux organisations (Argyris et Schön, 1978). L‟apprentissage organisationnel nécessite l‟émergence de nouvelles capacités collectives à partir du processus au travers duquel se construit, s‟approprie et s‟évalue le changement conduit. Au-delà même du changement, c‟est dans la construction basée sur le mode action et réaction, sur de nouveaux modèles relationnels et de nouveaux modes de raisonnement, que le système existant se transforme (Crozier, Friedberg, 1977). Le deuxième courant, qui s‟intéresse à l‟organisation, naît du constat que les décisions stratégiques ne sont pas prises par un seul décideur isolément, et souligne la nécessité de prendre en compte les interactions entre les schémas cognitifs des différents intervenants. C‟est l‟origine de la cognition organisationnelle. Les schémas d‟interprétation individuels changent suite à une restructuration organisationnelle. La notion de zone d‟acceptation des individus d‟un groupe est définie par Simon (1958) comme l‟espace dans lequel le dirigeant s‟attend à ce que les esprits des autres acteurs contribuant à la décision s‟alignent. Cette zone 107 est influencée par le partage des objectifs et des valeurs par les membres du groupe. S‟il n‟y a pas consensus ou signification partagée, les actions individuelles ne sont pas cohérentes et la firme sera moins performante : de la confrontation naissent des coûts cognitifs. Les interactions entre les schémas cognitifs peuvent également être analysées positivement : l‟échange de points de vue est un moteur d‟innovation. Les conflits cognitifs, pour reprendre la définition de Jehn (1995, p. 258) 34 , sont des " désaccords relatifs aux tâches à effectuer, incluant des différences dans les points de vues, les idées et les opinions ". Ils sont susceptibles de se développer lorsqu‟un groupe doit prendre des décisions complexes (Forbes et Milliken, 1999). Ils sont basés sur des processus d‟interaction naissant des désaccords et des critiques (Amason, 1996). Les conflits cognitifs peuvent avoir des conséquences positives, lorsqu‟ils se traduisent par l‟accroissement des alternatives envisagées et de leur analyse, conduisant à une meilleure prise de décision stratégique (Schweiger et al. 1986, Milliken et Vollrath, 1991, Eisenhardt et al., 1997). L‟interaction entre des acteurs multiples, impliquant des rationalités et des logiques différentes dont les résultats doivent être combinés, favorise l‟apprentissage organisationnel et l‟innovation. L‟innovation peut se développer, et de nouvelles opportunités d‟investissement apparaître. La capacité créative étant une des sources principales d‟avantage concurrentiel, elle permet une augmentation de la création de valeur et assure la survie de l‟entreprise. L‟hétérogénéité relative de l‟équipe dirigeante augmente avec l‟arrivée d‟un successeur externe, elle apporte une plus grande diversité d‟information, de sources et de perspectives. Elle permet l‟émergence de nouvelles solutions du fait de la diversité des connaissances, vécus et opinions du groupe (Brief et al., 1976). L‟absence de coûts cognitifs peut être associée à une moins grande capacité innovatrice (Charreaux, 2002). La variété des comportements génère l‟accroissement de l‟innovation et de l‟efficience dynamique (Bantel et Jackson, 1989, Foss, 1996). Les recherches sur les effets de la durée de poste des dirigeants suggèrent que celle-ci est négativement corrélée au changement organisationnel et à l‟innovation (Finkelstein et Hambrick, 1996). Les dirigeants qui restent longtemps en place adoptent une conduite conservatrice. Le dirigeant est guidé par son schéma cognitif, mais celui-ci limite aussi sa 34 Jehn K. (1995, p. 258) : " disagreements about the content of the tasks being performed, including differences in vieWorking Paperoints, ideas and opinions ". 108 capacité à comprendre d‟autres domaines. Les travaux sur la perception sélective ont complété cette approche, et ont eu pour conséquence de recommander la rotation des postes pour éviter la fixité fonctionnelle. Gupta (1984) met en avant que des dirigeants au profil de carrière et de fonctions diversifié seraient plus efficaces. La perception sélective fait l‟objet de débats, le lien entre l‟expérience dans un domaine et le contenu des structures de croyances, testé notamment par Walsh (1995) et non validé par son étude, ne faisant pas l‟objet d‟un consensus. Melone (1994) a analysé les effets de l‟expérience professionnelle, de l‟expertise et du type de poste occupé par le dirigeant sur son processus de raisonnement pour la prise de décisions managériales. Selon l‟origine professionnelle du dirigeant, par exemple s‟il était précédemment responsable financier ou responsable du développement, son évaluation d‟un projet : environnement concurrentiel, santé financière, management, opérations et synergies potentielles, et la décision prise étaient différentes. Une facette supplémentaire du rôle du marché managérial semble donc être la participation au développement de l‟innovation et la contribution à une meilleure prise de décision stratégique, sur une base plus riche. En effet il intervient dans le processus en favorisant le changement des dirigeants, en augmentant leur taux de rotation, en fournissant des candidats externes avec des schémas cognitifs différents, et en évaluant les valeurs et les caractéristiques des dirigeants. 4.1.5. Les conflits cognitifs, frein à la prise de décision Les schémas cognitifs facilitent l‟utilisation de l‟information, en la rendant moins complexe, mais ils peuvent également aveugler le décideur : c‟est le paradoxe de l‟expert, qui traite rapidement la bonne information, mais est moins ouvert à des informations nouvelles. Si les conflits cognitifs sont trop importants, l‟équipe dirigeante peut devenir inapte à prendre des décisions ou à engager des actions (Pfeffer, 1983). La communication devient plus difficile (Mc Cain et al., 1983). Le développement des conflits cognitifs et affectifs a un effet négatif sur la qualité des décisions stratégiques du groupe (Amason et Sapienza, 1997). Il réduit l‟implication des individus, augmente leur désir de quitter l‟entreprise et leur degré d‟insatisfaction (Jehn, 1995, Schweiger et al., 1986). Les conflits peuvent également exister entre le dirigeant et les autres parties prenantes, notamment le conseil d‟administration. C'est une autre facette de l'influence possible du marché des dirigeants sur la vision stratégique de 109 la firme : selon la base cognitive du candidat qu'il aura contribué à sélectionner par son évaluation, le marché managérial peut être à l'origine de freins à la prise de décision. Conclusion L'influence du marché managérial sur la vision stratégique de la firme apparaît comme pouvant être multiple. Par sa fonction fondamentale d'évaluation du capital humain des dirigeants, il contribuerait à orienter les choix stratégiques de l'entreprise, favoriserait le développement de l'avantage concurrentiel et de l'innovation. En facilitant la rotation des dirigeants et en organisant une mise en concurrence avec des externes, il encouragerait les réorientations stratégiques et la remise en cause des routines. 4.2. L'apport et le développement de compétences Dans la vision cognitive, les marchés sont appréhendés à travers leur capacité à échanger et faire acquérir des connaissances. Une autre voie d‟intervention du marché managérial s'envisage alors : apporter de nouvelles compétences, celles du dirigeant qu‟il a conduit à sélectionner, et contribuer au développement des compétences managériales, en promouvant la multiplicité des expériences, et de celles des autres parties prenantes, le nouveau dirigeant ayant une influence significative sur leur évolution. 4.2.1. Retour sur la définition de la notion de compétences Le concept de compétences est plus riche et plus opérationnel que celui de savoir tacite. Lié à l‟action, il englobe différents types de connaissances, leurs dynamiques et leurs tensions. Les compétences se développent à la faveur de l‟expérimentation. Pour reprendre la définition de De Montmollin (1990, p. 77), elles articulent " des connaissances, représentations de lois ou de structures concernant les appareils et les phénomènes dont ils sont le siège ainsi que les règles qui permettent de les utiliser, des savoir-faire issus de l‟expérience, moins formalisés mais plus immédiatement disponibles, des modes de raisonnements, opérations de traitement des informations, qui surviennent au cours du travail et des stratégies cognitives, organisation à un niveau supérieur des conduites intelligentes ". 110 Les compétences peuvent être également définies comme l'ensemble " des connaissances, des capacités d'action et des comportements structurés en fonction d'un but et dans un type de situation donnée " (Gilbert et Parlier (1992, p. 44). Pour Harris et Helfat (1997), elles sont composées de l'expertise, des capacités et des connaissances. Plusieurs classifications des compétences ont été développées. Celle de Becker (1964), en fonction du degré de transférabilité, a été évoqué au paragraphe I.1.1.4.. Une autre distinction a été proposée par Katz (1974) en trois sous-populations : compétences techniques, compétences humaines et compétences conceptuelles. Enfin Mintzberg (1973) a identifié huit catégories de compétences managériales : celles liées aux relations nobles, au leadership, à la résolution des conflits, au processus d'information, à la prise de décision dans un contexte incertain, à l'allocation des ressources, à l'entreprenariat, et à l'introspection. La sociologie apporte un éclairage complémentaire sur la notion de compétence : c‟est le succès public qui conditionne sa réalité : il n‟y a compétence que s‟il y a reconnaissance sociale de cette compétence. La compétence peut alors être définie comme un savoir-faire opérationnel validé et exercé. Le terme validé rejoint la notion de reconnaissance et celui d‟exercé traduit la nécessité d‟utilisation pour éviter l‟obsolescence. 4.2.2. Apport des compétences propres au dirigeant, génératrices de rentes Les compétences englobent différents types de connaissances, leurs dynamiques et leurs tensions, et représentent une part importante du capital humain des dirigeants. Outre les capacités à administrer, coordonner, surveiller, planifier, qui font partie des compétences managériales, le dirigeant apporte également ses compétences perceptives : la capacité à construire de nouvelles connaissances, à repérer les opportunités créatrices de valeur, les possibilités d‟innovation et leur mise en œuvre (Prahalad, 1994, O‟Sullivan, 2000). Cette dimension perceptive apparaît aussi dans les composantes identifiées dans la fonction entrepreneuriale par Schumpeter, Say, et Knight. Les dirigeants diffèrent dans la combinaison de leurs types de compétences (Bailey et Helfat, 2003). Or, les théories cognitives, à l'instar de la vision contractuelle, reconnaissent le lien entre les compétences et la rente organisationnelle. L‟apport des compétences managériales et leur capacité à générer des rentes, c‟est-à-dire à créer de la valeur, figuraient 111 déjà dans les travaux de Berle et Means (1932). La différence de compétences entre les dirigeants constitue une explication possible des écarts de rentes qu‟ils génèrent (Castanias et Helfat, 1991, 2001). Dans leur modèle des rentes managériales, les auteurs analysent l‟allocation entre les différents types de capacités des dirigeants (génériques, liées au secteur d‟activité, spécifiques à la firme) et son influence sur le niveau des rentes. "Les ressources managériales, définies comme les compétences et les capacités des dirigeants, constituent une part importante des ressources de la firme qui permettent à certaines entreprises de générer des rentes" (Castanias et Helfat, 2001, p. 661)35. Les dirigeants prennent et mettent en oeuvre des décisions, stratégiques et opérationnelles, qui peuvent créer des rentes que leurs concurrents ne sont pas à même de développer (Castanias et Helfat, 1991). Les auteurs, reprenant les travaux de Barney (1991), confirment l‟influence du capital humain des dirigeants sur la création de rentes du fait de son caractère valorisable, rare, imparfaitement imitable et substituable. La rareté par exemple vient du fait que le dirigeant possède des compétences supérieures à celles de ses concurrents. Certains dirigeants peuvent être de qualité équivalente, résultat de la compensation de faiblesses dans certains domaines par des performances plus élevées sur d‟autres critères, mais une hiérarchie existe sur l‟ensemble des dirigeants. Le niveau de rente dépend en outre des efforts et de la motivation des dirigeants (Castanias et Helfat, 2001). Il peut également varier selon l‟adaptation des compétences du dirigeant aux caractéristiques de la firme (Castanias et Helfat, 2001, Datta et Guthrie, 2002). Ces travaux font ressortir de manière implicite la seconde voie d‟intervention cognitive du marché managérial. D‟une part, en offrant des candidats, en facilitant leur transfert d‟une entreprise à une autre, il exerce directement un rôle dans l‟apport des compétences. D‟autre part, sa fonction essentielle d‟évaluation, avec ses différents aspects : analyse des caractéristiques des dirigeants, de leur adéquation à la cible, mise en concurrence des candidats, contribuerait à la réalisation des quatre conditions évoquées par Barney (1991), et de ce fait serait susceptible d‟influencer la génération de rentes. Enfin, en favorisant la rotation des dirigeants, il participerait à l‟adaptation des compétences aux nouveaux besoins. Les compétences requises évoluent en effet avec le marché, l‟environnement, d‟où un nécessaire changement des individus, y compris le dirigeant : licenciements, promotions, recrutements externes (Kerr et Jackofsky, 1989, Castanias et Helfat, 2001). 35 Castanias R.P., Helfat C.E. (2001, p. 661) : "Managerial resources, defined as the skills and abilities of managers, are important contributors to the entire bundle of firm resources that enable some firms to generate rents ". 112 4.2.3. Contribution à l‟évolution des compétences du dirigeant L‟apprentissage implique des changements à la fois dans le contenu et dans la structure des schémas cognitifs. Si l‟assimilation à un schéma existant n‟est pas possible, un processus d‟accommodation se développe, par transformation des schémas existants. La psychologie cognitive a souligné l‟importance des représentations dans la construction des compétences au travail et l‟incidence de cette construction sur la création de valeur. L‟évolution des compétences passe par l‟acquisition de nouveaux schémas cognitifs. Le développement de ceux-ci se fait par l‟expérience et la confrontation à de nouvelles situations. Plus l‟expérience augmente, plus les schémas deviennent abstraits, organisés et complexes. La théorie de l'apprentissage organisationnel sous-entend que la multiplicité des expériences développe la capacité à gérer des situations et challenges plus complexes. L‟adaptation au changement, l‟expérience nouvelle, consécutives à l‟accession à un poste de dirigeant, apportent de nouvelles capacités et compétences managériales (Miles, 1982). Les compétences managériales s'enrichissent à travers la pratique et l‟apprentissage fondé sur l‟expérience et la formation (Mintzberg, 1973, Katz, 1974). Si la connaissance peut se constituer grâce à des livres ou tout autre moyen d'information, c'est en faisant par lui-même que le dirigeant acquiert des compétences managériales effectives (Mintzberg, 1973). "Les dirigeants acquièrent la connaissance, développent leur expertise et perfectionnent leurs compétences en partie grâce à leur expérience professionnelle antérieure"36 (Bailey et Helfat, 2003, p. 350). Les changements engendrent des ajustements graduels et itératifs, l'ensemble de ces révisions constituant l'apprentissage expérimental (Leroy et Ramanantsoa, 1997). L'acquisition de nouvelles expériences et pratiques différentes est nécessaire pour le développement des compétences (Nonaka, 1994). Les cadres supérieurs ayant travaillé dans une seule organisation ont une base de connaissances et des perspectives plus limitées que ceux ayant connu plusieurs types d‟entreprises et de secteurs d‟activité (Hambrick et Mason, 1984). "Les dirigeants acquièrent et perfectionnent leurs compétences en partie grâce à leur expérience professionnelle passée" (Castanias et Helfat, 2001, p. 662) 37 . Une carrière diversifiée faciliterait le processus d‟apprentissage organisationnel et développerait l'efficacité 36 Bailey E.E., Helfat C.E. (2003, p. 350) : "Managers acquire knowledge, develop expertise, and perfect their abilities in part through prior work experience". 37 Castanias R.P., Helfat C.E. (2001, p. 662) : " Managers acquire and perfect skills in part through prior work experience". 113 des dirigeants (Gupta, 1984). Lorsqu'une firme recrute un nouveau dirigeant, elle façonne ses compétences à ses besoins, entraînant une évolution et un développement de celles-ci (Finkelstein et Hambrick, 1996), liés au changement d'entreprise et également, selon le cas, au changement de secteur d'activité (Castanias et Helfat, 2001). Nous avons ici un nouvel aspect du rôle que le marché managérial est susceptible de jouer. En permettant d‟accéder à de nouveaux postes, en facilitant les changements, les mutations d‟une entreprise à une autre, d‟un secteur à un autre, le marché managérial contribuerait au développement des compétences des dirigeants. 4.2.4. Orientation et développement des compétences des autres parties prenantes La gestion des compétences dans l‟entreprise relève des fonctions managériales, elle contribue à aider l‟entreprise à s‟adapter à son environnement ou à résoudre les conflits (Brabet, 1993). Selon la formation, l‟expérience, les valeurs, du dirigeant recruté, celui-ci va chercher à développer chez ses salariés d‟autres compétences, nécessaires à la création et la mise en œuvre des projets qu‟il veut réaliser dans l‟entreprise. L'apprentissage, au niveau individuel, dépend des changements de comportement, résultant d'agents externes, et basés sur la réponse à des stimulations (Kazdin, 1975). La mise en place par le dirigeant de récompenses par exemple peut encourager l'apprentissage de ses salariés. Outre la volonté qu'il peut avoir de faire évoluer les compétences des autres parties prenantes, le dirigeant est susceptible de les influencer pour deux raisons. D'une part, il est souvent considéré comme une référence : " Les dirigeants affectent également les décisions et les actions des autres personnes à la fois à l‟intérieur et à l‟extérieur de l‟organisation, en agissant comme des symboles et des modèles de ce qui est important " (Gupta, 1992, p. 52)38. L'apprentissage peut être le résultat de l'imitation d'un expert par le novice (Nonaka, 1994). D'autre part, les travaux sur l‟apprentissage organisationnel (Prahalad et Hamel, 1990, Teece et al. 1997, Lazonick et O‟Sullivan, 1998) mettent en évidence l‟influence de l‟interaction entre les différentes parties prenantes sur la création de connaissance et le développement des compétences. L'arrivée d'un nouveau dirigeant externe, souvent synonyme de rupture, représente un changement cognitif important, source d'apprentissage, la connaissance se construisant à travers l'action (Argyris et Schön, 1978). Les membres de l'organisation 38 Gupta A.K. (1992, p. 53) : " CEOs also affect the decisions and actions of other people both inside and outside the organization by acting as symbols and role models for what is important ". 114 adoptent de nouveaux comportements suite à ce changement (Leroy et Ramanantsoa, 1997). La connaissance, même tacite, peut se transmettre collectivement, à l'intérieur d'une communauté de pratique : c'est ce que Nonaka (1994) appelle un processus de "socialisation". Le dirigeant peut apporter un savoir-faire spécifique, non transmissible par les livres, mais qu'il pourra partager avec d'autres parties prenantes par imitation ou par pratique, en travaillant avec eux. L'arrivée de nouvelles compétences favorise l'innovation (Miller, 1991). Une nouvelle justification, implicite, du marché managérial est ainsi fournie : en évaluant les dirigeants, il détermine leurs caractéristiques et leurs compétences, qui vont influencer ensuite l‟enrichissement des compétences des autres parties prenantes. Conclusion du chapitre IV L‟approche cognitive nous a permis d‟identifier d‟autres voies d‟intervention potentielles, venant enrichir notre vision du rôle du marché managérial en tant que mécanisme de gouvernance des entreprises. Une synthèse est apportée par la figure 4. Le marché managérial est susceptible de contribuer à la construction de la vision stratégique de la firme de plusieurs manières. En évaluant le capital humain des dirigeants, il peut jouer un rôle dans les choix stratégiques, dans la constitution de l'avantage concurrentiel et le développement de l'innovation. En organisant la compétition entre les candidats, en incitant à avoir recours à des externes, en favorisant la rotation des dirigeants car il offre aux firmes des successeurs potentiels, et aux dirigeants des postes plus prestigieux, il favoriserait également les réorientations stratégiques. Une seconde voie d‟intervention cognitive du marché managérial serait de faciliter l‟échange et l‟acquisition de compétences, par l‟apport des compétences du nouveau dirigeant et par l‟évolution des compétences de l‟ensemble des parties prenantes. En effet, en favorisant la multiplicité des expériences inter-firmes et intersectorielles, le marché managérial contribuerait au développement du capital humain des dirigeants. Il jouerait aussi un rôle dans l'enrichissement des compétences des autres parties prenantes, le dirigeant étant considéré comme un modèle et constituant une source d'apprentissage et de construction de nouvelles connaissances. 115 La littérature existante, en faisant des emprunts à plusieurs domaines : gouvernance, gestion des ressources humaines, stratégie…, nous a apporté les éléments de réflexion nécessaires à la conceptualisation du rôle cognitif du marché des dirigeants. Cependant, celle-ci n‟est à notre connaissance formalisée et synthétisée dans aucune autre étude à ce jour, les voies d‟intervention recensées précédemment étant étudiées individuellement et, la plupart du temps, non explicitement attribuées au marché managérial. La conclusion de ce chapitre vient donc conforter celle du précédent sur l‟absence de vision globale du rôle du marché des dirigeants. Elle confirme l‟intérêt d‟une étude approfondie du marché managérial, notre synthèse de ses voies d'intervention possibles permettant d‟envisager qu‟il puisse constituer un mécanisme de gouvernance occupant une place significative dans le SGE. Mais cette vision théorique reste à valider empiriquement. Notre revue de littérature pose les fondations d'une modélisation du rôle du marché des dirigeants comme mécanisme de gouvernance. Pour l'enrichir, les étapes suivantes seront d'identifier les déterminants d'efficacité, c'est-à-dire les facteurs susceptibles de faire varier le rôle du marché managérial. Ce sera l'objet du chapitre V. Puis, dans la vision systémique de la gouvernance que nous avons adoptée, le chapitre VI étudiera pour chacune des voies d'intervention avec quels autres mécanismes le marché managérial se trouve en concurrence, et tentera de comprendre leur articulation. 116 Sanction des dirigeants inefficaces Capital humain Adéquation avec la firme Récompense des dirigeants compétents Evaluation des dirigeants Réduction de coûts disciplinaires Aide à la construction de la vision stratégique de la firme performance Apport des compétences du dirigeant et développement des compétences de l’ensemble des parties prenantes Voies d’intervention disciplinaires Autres voies d’intervention Voies d’intervention cognitives Fonction primaire - Figure 4 : synthèse des voies d‟intervention du marché managérial, mécanisme de gouvernance des entreprises - De cette première modélisation découlent un certain nombre d'hypothèses, qui feront l'objet des tests présentés dans la troisième partie. Nous avons en effet choisi une démarche hypothético-déductive. L'influence du marché managérial en tant que mécanisme dans le système de gouvernance étant fondée sur sa capacité à créer de la valeur, il s'agit de vérifier que ses différentes voies d'intervention induisent une amélioration de performance. Nous avons donc formulé les hypothèses suivantes, en cohérence avec les conclusions de nos développements du chapitre IV : 117 H1: Le rôle de sanction du marché managérial influence positivement la création de valeur dans la firme : le départ forcé du prédécesseur contribue à expliquer la performance enregistrée par le nouveau dirigeant. H2: L'incitation à la performance associée à la perspective de récompense par le marché des dirigeants contribue à la création de la valeur dans la firme. H3: Si le dirigeant précédent était enraciné, le recours au marché managérial a un effet positif sur la performance de la firme par la réduction des coûts disciplinaires. H4a: Les réorientations stratégiques consécutives à la succession d'un dirigeant interne par un externe ont un effet positif sur la performance de la firme. H4b : La variation d'âge entre le nouveau dirigeant et son prédécesseur a une incidence négative sur la création de valeur dans la firme, un dirigeant plus âgé ayant davantage d'expérience et de connaissances. H4c : La variation du niveau de diplôme entre le nouveau dirigeant et son prédécesseur a une incidence positive sur la création de valeur dans la firme. H4d : Lorsqu'il y a une variation de formation (type de formation) entre les deux dirigeants qui se succèdent, celle-ci a une influence positive sur la création de valeur de la firme car elle engendre des variations stratégiques plus importantes. H5a : L'augmentation de compétences génériques entre le nouveau dirigeant et l'ancien contribue positivement à la création de valeur dans la firme. H5b : L'augmentation des compétences sectorielles entre le nouveau dirigeant et son prédécesseur contribue positivement à la création de valeur dans la firme. H5c : L'augmentation des compétences spécifiques à la firme entre l'ancien et le nouveau dirigeant est positivement liée à la création de valeur dans la firme. 118 DEUXIEME PARTIE VERS UNE MODELISATION DU ROLE DU MARCHE DES DIRIGEANTS 119 Introduction La synthèse que nous avons proposée des travaux portant sur le rôle joué par le marché des dirigeants dans le SGE a mis en évidence la diversité des voies d'intervention potentielles de ce mécanisme, mais aussi l'absence d'analyse globale offrant une visibilité d'ensemble. Elle a fait ressortir l'intérêt scientifique de chercher à construire un modèle explicatif du rôle du marché managérial comme mécanisme de gouvernance. Pour faire émerger cette modélisation, nous allons suivre trois axes de recherche. Nous allons tout d'abord essayer de mieux comprendre les différents caractères de l'intervention du marché managérial, qui selon la présence de certains facteurs, peut être implicite ou explicite. C'est ce que développe le chapitre V. Nous allons ensuite chercher à comprendre les facteurs susceptibles de faire varier le rôle exercé par le marché des dirigeants dans le SGE, soit en le réduisant, soit en l'intensifiant. Le chapitre VI sera ainsi consacré à l'identification et à l'étude des facteurs dont la prise en compte est justifiée par notre cadre théorique. Enfin, dans une vision systémique de la gouvernance, comme évoqué dans la partie I, il apparaît réducteur d'envisager isolément le rôle joué par un seul mécanisme, celui-ci étant de manière évidente fortement imbriqué avec d'autres. Une analyse portant uniquement sur le marché managérial, sans le resituer dans son contexte global, risque d'aboutir à une vision faussée de son rôle et de ses potentialités. Nous allons donc chercher au chapitre VII à comprendre dans quelle mesure et de quelle manière d'autres mécanismes, comme le conseil d'administration ou le marché financier, sont susceptibles d'interférer sur les voies d'intervention du marché des dirigeants, se substituant à lui ou au contraire venant appuyer ou renforcer son rôle. Les réflexions qui vont être présentées ont toutes pour fondement de comprendre l'incidence du marché managérial sur la performance de la firme. Un système de gouvernance est efficace, et par conséquent les mécanismes qui le composent, s‟il permet de maximiser la création de valeur en évitant une répartition impliquant la spoliation de certaines parties prenantes. La recherche académique en gouvernance a tenté de mettre en évidence le lien entre le rôle joué par les différents mécanismes et la performance de la firme. La littérature et les études empiriques sont abondantes sur le sujet, mais les résultats ne sont pas convergents ou sont non significatifs. Les difficultés rencontrées sont multiples : complexité de l'analyse simultanée de plusieurs mécanismes, et de l'opérationnalisation de leurs interventions, choix 120 de la mesure de performance…. Enfin, les paramètres retenus variant d'une étude à l'autre, les résultats sont difficilement comparables. L'existence même de ce lien entre les variables de gouvernance et la performance est délicate à prouver (Dalton et al., 1998). Notre modèle ayant pour objectif de comprendre le rôle du marché managérial dans le SGE et de mesurer sa contribution à la création de valeur dans la firme, il inclut la constatation de l'effet des différentes voies d'intervention identifiées sur la variation de performance de l'entreprise, et l'estimation de la part qui peut lui être attribuée. Une première ébauche de modélisation figure ci-dessous. Le caractère explicite ou implicite de l'intervention du marché managérial sera exposé au chapitre V, paragraphe 5.1.. La notion de performance et son opérationnalisation seront développées dans la partie III consacrée aux tests empiriques du modèle. CONCEPTUALISATION DU ROLE DU MARCHE MANAGERIAL Intervention implicite Rôle comme mécanisme de gouvernance Marché des dirigeants Intervention explicite voies d‟intervention disciplinaires Variation de performance de la firme voies d‟intervention cognitives - Figure 5 : conceptualisation du rôle du marché managérial - 121 CHAPITRE V : CARACTERE EXPLICITE OU IMPLICITE DU ROLE DU MARCHE MANAGERIAL Lorsque le marché managérial est évoqué, au moins pour le cas français, le débat s'oriente souvent rapidement sur la réalité de son existence. La vision la plus fréquemment partagée est celle développée par Bauer et Bertin-Mourot (1987) : le marché du travail des dirigeants serait peu actif en France, une sélection de type clanique, basée sur l'influence des grands corps, se substituant le plus souvent à une évaluation efficiente des compétences et capacités des candidats. Il nous semble donc important de revenir sur le caractère explicite ou implicite du rôle du marché des dirigeants. 5.1. Intervention explicite et intervention implicite du marché des dirigeants Comme nous l'avons développé au chapitre II, paragraphe 2.3., le marché du travail managérial est susceptible de jouer un rôle à différentes étapes de la carrière d'un dirigeant. Il peut intervenir très tôt dans sa vie professionnelle, en lui permettant, alors qu'il n'est encore qu'un jeune talent, d'évoluer plus rapidement en changeant d'entreprise. Il est ensuite un acteur potentiel à chaque mutation du cadre dirigeant, toutes les étapes de sa progression pouvant justifier son intervention, de manière explicite ou implicite. Les frontières du marché du travail managérial sont difficiles à appréhender. Les réseaux, précédemment évoqués, doivent-ils être envisagés comme se substituant au marché des dirigeants lorsque le candidat est issu de Polytechnique ou de l'ENA ? S'il y a eu mise en concurrence, même à l'intérieur d'un de ces clans, il est sans doute plus fondé de considérer que le candidat a été soumis aux lois du marché du travail. Les réseaux peuvent être aussi considérés comme un cas particulier d'ajustement de l'offre à la demande venant pondérer le simple ajustement par les prix. D'autres questions se posent quant aux successeurs internes. Si le candidat a fait toute sa carrière dans l'entreprise, mais reçoit des propositions de cabinets de recrutement ou de firmes recherchant un nouveau dirigeant, il peut un jour devenir un concurrent potentiel sur le marché du travail (Harris et Helfat, 1997). Il a en outre probablement fait son choix de carrière en arbitrant entre les possibilités offertes par le marché externe et le marché interne. Il semble donc que l'intervention du marché des 122 dirigeants puisse prendre deux formes : une intervention explicite ou une participation implicite. La contribution du marché managérial peut être explicite, si par exemple le haut potentiel ou le dirigeant choisit de poursuivre sa carrière dans une autre société : il a été probablement évalué et mis en concurrence avec d‟autres candidats. La notion d'évaluation relative est fondamentale. Lorsque d'autres noms ont été pressentis pour le poste de dirigeant, l'intervention du marché du travail est explicite. Le fait de changer d'entreprise constitue une autre justification du recours au marché managérial. Elle apparaît également explicite lorsque le marché managérial a été à l'initiative de l'ascension d'un haut potentiel : ainsi Michel Léonard, devenu président du directoire de Bongrain en 2000, après quinze ans exercés dans le groupe à divers postes de directions, est passé préalablement par le marché du travail des dirigeants, en 1982 lorsqu'il a quitté son poste de directeur chez Évian pour devenir directeur général du groupe Prouvost, puis en 1985 au moment où il a rejoint Bongrain. D'après les Échos du 26 mars 1996, son départ de BSN en 1982 était motivé par le souhait de faire progresser sa carrière plus vite, les "jeunes loups" étant trop nombreux chez BSN et les passerelles entre les filiales encore rares. L'intervention du marché des dirigeants peut également être implicite et prendre plusieurs formes : - lorsque le dirigeant est recruté en interne, le conseil d‟administration dispose d‟informations privilégiées pour évaluer le candidat. Cependant le marché du travail constitue généralement une référence, et ainsi participe à la définition des compétences attendues du dirigeant, de sa fonction et de sa rémunération. - s‟agissant d‟un poste d‟encadrement, même si le recrutement est interne, une comparaison avec des candidats externes, offerts par le marché managérial, a certainement été faite : la mise en concurrence est alors implicite (en termes de poste, de rémunération). Il arrive de relever dans les articles de presse annonçant la nomination d'un nouveau dirigeant, issu de l'entreprise, le nom d'autres prétendants extérieurs qui avaient été envisagés pour le poste. - même si un dirigeant reste à vie dans son entreprise, il subit indirectement l'influence du marché managérial, notamment en se comparant aux autres dirigeants, à travers par exemple 123 les enquêtes publiées sur les rémunérations et les carrières, ou encore les propositions qu'il a pu recevoir des cabinets de recrutement. - en fonction de l‟intensité concurrentielle du marché du travail, un dirigeant qui n‟a pas été soumis à la discipline du marché managérial dans le passé peut connaître dans la suite de sa carrière la menace d‟être remplacé. Celle-ci sera d'autant plus forte qu'il existera sur le marché du travail des dirigeants potentiels ayant des compétences et un profil valorisables pour l'entreprise. La définition de viviers de concurrence, c‟est-à-dire de populations de cadres supérieurs ou de dirigeants susceptibles d‟être plus attractifs que le dirigeant en place et par conséquent de l‟évincer un jour, permettrait d‟appréhender l‟importance de cette intervention implicite du marché managérial. Si, comme l‟étude de Parrino (1997) l‟a mis en avant, l‟expérience professionnelle est un critère déterminant, cette notion de vivier pourrait par exemple s‟appuyer sur la distinction par secteur d‟activité, ou pour prendre une définition plus large, la délimitation pourrait être élargie aux firmes liées industriellement, comme le proposent Rumelt (1974), Finkelstein et Hambrick (1996) ou Bailey et Helfat (2003), c'est-àdire des entreprises ayant des similitudes en termes de processus de production, de cycles d'activité, de volumes, de compétences, de ressources ou de marchés. La distinction proposée par Williams (1992), en fonction des cycles de compétition, est une autre possibilité. Trois viviers seraient alors envisageables, selon que le candidat a exercé dans des firmes relevant de marchés en cycle rapide, standard ou lent, l'allocation à une de ces sous-populations étant fonction de la vitesse d'érosion des avantages compétitifs de la firme. - la notion de viviers peut permettre également d'appréhender d'autres potentialités du marché managérial. Un nombre élevé de postes équivalents en termes de responsabilités et de spécificités encourage et facilite la mobilité des dirigeants. Cette hypothèse a été utilisée dans l'étude des interactions entre les mécanismes de gouvernance d'Agrawal et Knoeber (1996), où l'importance du recours au marché du travail des dirigeants est testée comme une fonction notamment de l'âge du dirigeant et du nombre d'opportunités professionnelles s'offrant au dirigeant, estimé par le nombre de firmes appartenant au même secteur d'activité. Le caractère implicite ou explicite du marché managérial va être approfondi dans le paragraphe qui suit, en prenant en compte différents facteurs d'influence. 124 5.2. Les facteurs modifiant l'intervention du marché des dirigeants En nous appuyant sur la littérature, et conformément à notre cadre théorique, plusieurs influences potentielles émergent : l'enracinement du dirigeant, une structure familiale de propriété et l'existence de réseaux. 5.2.1 Le degré d'enracinement du dirigeant 5.2.1.1. Rappels théoriques Selon la théorie de l‟enracinement, où le dirigeant vise une stratégie de carrière interne, l‟objectif du dirigeant est de persuader les actionnaires qu‟il est le plus apte à gérer l‟entreprise et que son remplacement serait trop coûteux. Les travaux sur l'enracinement de Shleifer et Vishny (1989) notamment, portent sur le comportement attribué à un dirigeant qui cherche à maximiser la valeur des investissements idiosyncrasiques dont le caractère spécifique dépend de sa présence à la direction de l‟entreprise. Le processus d‟enracinement se traduit par des stratégies mises en œuvre par le dirigeant pour apparaître indispensable et rendre difficile son éviction. Le dirigeant cherche à augmenter sa latitude discrétionnaire, à neutraliser les mécanismes disciplinaires, notamment à s‟affranchir de la tutelle du conseil d‟administration et des actionnaires. Dans les premiers travaux sur l‟enracinement, les dirigeants cherchent à s‟enrichir au détriment des autres parties prenantes. Aussi, dans la vision disciplinaire, l‟enracinement est vu négativement, car il engendre des coûts supplémentaires et conduit à des investissements non optimaux. Cette vision opportuniste est centrale dans les théories contractuelles des organisations. Le dirigeant, dans cette perspective négative de l‟enracinement, peut chercher à manipuler l‟information (Stiglitz et Edlin, 1992, Hirshleifer, 1993). Cherchant à maximiser son capital managérial, il choisit des investissements idiosyncrasiques ou liés à une asymétrie d‟information plus importante, afin de rendre plus incertaine la vision de l‟entreprise des équipes dirigeantes concurrentes potentielles sur le marché managérial, qui seront ainsi moins enclines à vouloir le remplacer. La politique d‟investissement et la stratégie informationnelle ne sont pas les seuls vecteurs d‟enracinement : le dirigeant peut aussi chercher à s‟attacher les ressources essentielles au succès de la firme, par exemple il peut faire en sorte que les relations avec les plus gros clients reposent uniquement sur lui et s‟appuient sur les réseaux 125 qui lui sont propres (Breton et Wintrobe, 1982). Il devient alors beaucoup plus difficile de décider de l‟évincer. Castanias et Helfat (1992), en privilégiant le rôle de créateur de rentes du dirigeant, révisent positivement l‟analyse de l‟enracinement. De même pour Garvey et Swann (1994), l'enracinement peut être compatible avec l‟efficacité de la firme. Il s‟agit alors de protéger le capital managérial, en permettant aux dirigeants de créer des rentes par leurs décisions stratégiques et opérationnelles, ce qui est bénéfique pour l‟ensemble des autres parties prenantes. Dans l‟approche cognitive, l‟enracinement est présenté de manière positive, le développement du capital humain étant favorisé par la durée, ainsi que l‟intensité des réseaux relationnels bénéfiques à l‟entreprise, mais il peut aussi avoir un impact négatif par le manque de renouvellement des schémas cognitifs. 5.2.1.2. Influence de ce déterminant sur l'intervention du marché managérial L'enracinement, comme présenté dans la vision disciplinaire, est susceptible de réduire le rôle du marché managérial, en limitant, d'une part, la capacité et l'envie de l'entreprise d'avoir recours au marché du travail, et en supprimant, d'autre part, les incitations du dirigeant à agir dans l'intérêt des actionnaires pour se faire reconnaître et évaluer par le marché managérial. L'enracinement, en augmentant l'asymétrie d'information, peut réduire le nombre de concurrents potentiels capables de gérer les actifs spécifiques à la firme (Shleifer et Vishny, 1989, Hirshleifer, 1993), et constituer ainsi un frein à la mise en compétition fondamentale dans le recours au marché managérial. Lorsque le dirigeant est enraciné, l'opacité sur ses actions et ses performances constituerait une barrière forte à l'évaluation de ses capacités. Deux des voies d'intervention disciplinaires du marché managérial sont susceptibles d'être modifiées : la sanction des dirigeants inefficaces et la récompense des dirigeants compétents. Pigé (1993) avait souligné que pour analyser le lien entre la sanction et la performance, il était nécessaire de prendre en compte la stratégie d‟enracinement du dirigeant. Dans son étude, l‟enracinement était apprécié par l'existence d'appuis familiaux ou de relations informelles que le dirigeant avait pu tisser autour de lui, cherchant à se constituer un réseau susceptible de pouvoir faire contrepoids au pouvoir du conseil d‟administration. La menace de la sanction est ainsi fortement affaiblie, les actionnaires étant peu incités à remplacer le dirigeant et risquer une perte de richesse. Le dirigeant doit tout de même leur assurer une rentabilité 126 minimale, au-dessus de laquelle ils ne prendront pas de mesure à son encontre (Castanias et Helfat, 1992). De plus cette stratégie peut être considérée comme risquée, car les dirigeants enracinés subissent des coûts, ils perdent "une part importante de leur capital humain : réputation sur le marché de l'emploi, diminution des opportunités concernant l'utilisation de leurs connaissances spécifiques" (Paquerot, 1996, p. 186). La deuxième voie d'intervention du marché managérial, la récompense des dirigeants compétents, s'exerce également plus difficilement sur les dirigeants enracinés. Ceux-ci ne sont pas incités à être performants dans l'espoir d'obtenir une meilleure rémunération ou un poste plus élevé dans une autre entreprise. Comme le souligne Paquerot (1996, p. 177), ces dirigeants "doivent arbitrer entre leur rémunération (incluant les avantages en nature) et leur sécurité de l'emploi. Un accroissement de leur rémunération peut inciter les équipes concurrentes à postuler pour la gestion des actifs de la firme". Une autre analyse de l'enracinement conduit au contraire à un accroissement possible, pour le dirigeant, de la menace potentielle d'être remplacé par des équipes concurrentes. En s'enracinant, le dirigeant peut s'approprier davantage de rentes. Si le niveau de ces rentes augmente et atteint un niveau élevé, les bénéfices privés que le dirigeant a pu s'octroyer deviennent certainement visibles, au moins en partie. L'intérêt des autres équipes dirigeantes pour le remplacer est alors renforcé. Dans cette vision, l'enracinement ne conduit à la réduction du rôle du marché managérial, mais au contraire à une hausse de la compétition. L'impact de l'enracinement sur le marché des dirigeants reste donc à confirmer. 5.2.2. Une structure familiale de propriété 5.2.2.1. Définition et fondements théoriques Le démembrement de la fonction de propriété de la firme en une fonction de contrôle et une fonction décisionnelle (Berle et Means, 1932) fait partie des fondements de la réflexion ayant conduit au développement de la théorie de la gouvernance. La structure de propriété influence la vision de la gouvernance, et modifie le rôle des différents mécanismes dans le SGE. Pour reprendre la typologie de Charreaux et Pitol-Belin (1985, 1987), trois grandes catégories sont généralement étudiées, en fonction de la nature de l'actionnariat : les sociétés familiales, les sociétés contrôlées (par un actionnaire industriel, par l'État, par des 127 investisseurs institutionnels ou encore par des banques), et les sociétés managériales. Dans leur analyse, les firmes managériales étaient définies par l‟absence d‟actionnaire détenant plus de 10% du capital, mais ce seuil strict avait été complété par une analyse qualitative de l'actionnariat. Dans les firmes managériales, "Il y a dissolution quasi-complète des organes chargés d'accomplir les fonctions de propriété et de décision" (Charreaux, 1991, p.526). Les firmes sont dites contrôlées si une société ou un groupe de sociétés détient plus de 10% du capital. "Les représentants de la firme qui contrôlent, dominent le conseil d'administration et nomment les dirigeants. Il y a au sens strict, séparation propriété-décision car les dirigeants nommés ne sont pas personnellement propriétaires du capital et il y a bien relation d'agence" (Charreaux, 1991, p. 60). Enfin une firme est familiale si les principaux actionnaires sont des personnes physiques représentant plus de 10% du capital. "Les séparations propriété-décision et propriété-contrôle deviennent alors très atténuées, même si une partie du capital est détenue par le public" (Charreaux, 1991, p. 60). La structure de propriété familiale est une forme dominante, même dans les sociétés cotées, en Europe de l'Ouest, en Asie du Sud et de l'Est, en Amérique Latine… Même aux États-Unis et en Angleterre, de grandes sociétés cotées sont contrôlées familialement (La Porta et al., 1999). 5.2.2.2. Influence de ce facteur sur l'intervention du marché managérial Dans les firmes à structure familiale, la succession du dirigeant peut être assurée par un membre de la famille, un interne n'en étant pas issu ou encore en ayant recours à un dirigeant d'origine externe. Lorsque le choix se porte sur un héritier, le rôle du marché managérial est davantage implicite, mais il n'est pas remis en cause. Il y a peut-être eu mise en compétition entre plusieurs membres de la famille, ou des rivalités pour faire accéder au poste de dirigeant un candidat ayant leurs préférences. De plus, le successeur issu de la famille s'est très probablement demandé si son intérêt était de rester dans l'entreprise ou au contraire de mener une carrière externe. Il peut aussi s'être appuyé sur les informations fournies par le marché managérial pour discuter de sa rémunération avec les actionnaires familiaux. La modélisation de la succession dans les entreprises familiales, proposée par Burkart et al. (2003), peut nous aider à comprendre l'influence de ce facteur sur le rôle du marché des dirigeants. Les auteurs ont cherché à comprendre les motivations du choix d'un successeur lorsque le fondateur souhaite se retirer. Aux États-Unis, ce retrait se fait souvent assez rapidement après la création, au bénéfice d'un professionnel, et l'ancien dirigeant quitte à la 128 fois ses fonctions et sa qualité d'actionnaire principal. En Europe de l'Ouest, la famille reste généralement au capital de manière significative, que le nouveau dirigeant soit un descendant du fondateur ou un candidat externe. D'après Burkart et al. (2003), trois motivations pourraient expliquer le choix d'un descendant comme successeur. La première serait constituée par le "potentiel d'agrément", traduisant la satisfaction du fondateur de voir un membre de sa famille diriger à son tour l'entreprise, et la transmission de son nom. Lorsque ce potentiel est fort, il constitue une barrière à l'exercice du rôle du marché managérial. Le recours au marché du travail des dirigeants serait plus explicite dans le cadre d'un potentiel faible et lorsqu'un écart significatif de compétences est évalué entre le descendant et un externe, en faveur de ce dernier, le principal bénéfice du recrutement d'un externe avancé par les auteurs étant constitué par sa capacité à être un meilleur dirigeant. La seconde serait une raison commerciale, s'appuyant sur la renommée du nom lui-même, synonyme de compétences sur les marchés économiques et politiques, et permettant à la firme de bénéficier de réseaux. La troisième se situerait dans une approche disciplinaire, le recrutement d'un externe conduisant à un risque d'expropriation des actionnaires, notamment familiaux, lorsque la protection légale est insuffisante. Le recours au marché du travail managérial serait alors plus fréquent dans les pays où la législation en faveur de la protection des intérêts des actionnaires est forte ; dans le cadre contraire, les coûts d'agence étant trop élevés, même en présence de candidats de qualités supérieures, la famille préférerait conserver la direction (La Porta et al., 1999, Burkart et al., 2003). Un autre argument, proche de l'idée de "potentiel d'agrément" précédemment évoqué, issu de la littérature économique, a été utilisé par Schulze et al. (2001) dans leur analyse des coûts d'agence dans les entreprises familiales. L'altruisme biaisant les perceptions parentales, le fondateur serait aveuglé dans son évaluation des compétences de ses descendants, qu'il estimerait à une valeur supérieure à la réalité. Il privilégierait de ce fait comme successeur un membre de la famille plutôt qu'un candidat externe offert par le marché du travail. Enfin, de manière plus positive, une firme familiale peut choisir de nommer comme dirigeant un membre de la famille plutôt que d'avoir recours au marché managérial car il aura une vision plus long terme, une meilleure connaissance de la firme et une incitation à la performance plus élevée (Mac Vey et al., 2005). Il aura déjà développé au cours de son enfance, en grandissant dans un espace à la fois lieu de vie familiale et lieu de travail, des aptitudes, des normes et des valeurs qui l'aideront dans son rôle de futur entrepreneur 129 (Mouline, 2000). L'appréciation des compétences et du potentiel du candidat familial se font dans un objectif de pérennité de l'entreprise. Les salariés sont davantage mis en confiance lorsque le successeur est un héritier : "l'acquisition de la légitimité et l'exercice de l'autorité se fait à travers une relation père/fils et fils/salariés de l'entreprise qui repose sur le respect et la confiance mutuelle" (Mouline, 2000, p. 210-211). Au contraire un externe peut être préféré pour éviter des conflits familiaux ou encore parce qu'une vision extérieure et neuve est devenue nécessaire à la société. Une entreprise à structure familiale serait plus performante avec un dirigeant un externe (Anderson et Reeb, 2003, Villalonga et Amit, 2006), mais Sraer et Thesmar (2007) concluaient à une légère supériorité des performances lorsque le dirigeant était issu de la famille. La littérature, bien qu'abondante sur le sujet, n'aboutit pas à un consensus sur la supériorité en termes de performance du recrutement d'un externe ou d'un héritier dans les firmes familiales. Compte tenu de tout ce qui précède, il n'est pas évident de déterminer si une structure familiale de propriété constitue une barrière à l'intervention du marché managérial. Même lorsque les successeurs du fondateur sont issus de sa famille, le rôle du marché managérial peut être implicite, en servant de référence aux actionnaires comme au futur dirigeant. Par contre, lorsque les actionnaires familiaux choisissent de sélectionner un dirigeant d'origine externe, l'intervention du marché managérial devient explicite, celui-ci ayant pu motiver leur décision par son offre de candidats potentiels et ayant contribué à l'évaluation du capital humain de ces derniers. 5.2.3. Les réseaux sociaux 5.2.3.1. Retour sur la notion de réseaux L'étude de ce déterminant se justifie car il constitue une partie significative du capital des dirigeants, intégrée ou considérée comme distincte, selon les champs théoriques des auteurs, du capital humain, notion fondamentale centrale dans notre thèse. Le terme de réseau social a été introduit par Barnes (1954), mais les racines de l'analyse des réseaux sociaux peuvent être attribuées au philosophe et sociologue allemand Simmel, dont les travaux ont mis en évidence deux caractéristiques fortes de cette analyse : le formalisme (importance de la forme des interactions) et le dualisme (nécessité d'adopter deux approches habituellement opposées : le 130 holisme et l'individualisme méthodologique). Parfois évoqué comme "un petit monde" (Milgram, 1967), le capital social fait référence à "un ensemble d'unités sociales et des relations que ces unités sociales entretiennent les unes avec les autres, directement, ou indirectement, à travers des chaînes de longueur variable" (Mercklé, 2004, p. 4). Un réseau ne se résume pas aux liens entre les personnes, il traduit également l'existence de liaisons entre les relations elles-mêmes, autrement dit l'influence d'une relation sur les autres relations (Nadel, 1957). Marsden (1982) met lui en avant le caractère de non finitude des réseaux, leur étendue et leurs frontières étant difficiles à appréhender. La délimitation d'un réseau peut être fondée sur un sous ensemble ayant une cohésion interne, à l'intérieur duquel les relations sont plus denses qu'à l'extérieur. Le débat relatif aux réseaux porte également sur les méthodologies employées, l'analyse de groupes sociaux définis a priori, par exemple à partir de leur diplôme, de leur origine sociale, de leur profession, offrant une vision différente de l'approche a posteriori, consistant à essayer de définir un groupe à partir de sa cohésion, c'està-dire des relations fortes observées entre les individus. La théorie de l'équivalence structurale propose elle d'appréhender les réseaux sociaux en analysant l'équivalence de rôle des individus, autrement dit comme un groupe de personnes présentant une ressemblance, ne se limitant pas à une logique d'attributs individuels (Degenne et Forsé, 1994). La notion de réseau peut faire référence à des relations professionnelles, développées avec des collègues de travail, des clients, des fournisseurs ou autres parties prenantes, dans le cadre de cercles patronaux, ou à des relations personnelles (cercles amicaux, formation commune…). Elle est liée à celle de réputation collective. Les membres ne se connaissent pas tous, mais leur appartenance à un réseau suffit à leur assurer une reconnaissance. "La solidarité des réseaux résulte en fait d'une forme d'obligation morale des membres à l'égard des autres" (Paquerot, 1996, p. 142). 5.2.3.2. Influence de ce déterminant sur la fonction d'évaluation du marché managérial Les réseaux sont souvent mis en avant dans le processus de mobilité et le développement des carrières. Cependant les études empiriques menées sur les réseaux portent plutôt sur les réseaux d'administrateurs que ceux de dirigeants. Pour la France, Bertin Mourot et Bauer (1987, 1992) soulignaient dans leurs travaux l'importance du facteur " État ", qui traduisait les liens construits pendant la formation (ENA, Polytechnique…). Pour ces auteurs, la force des 131 réseaux remettrait totalement en cause le rôle du marché managérial, l'accès aux postes les plus élevés de dirigeants (ils étudient les 200 plus grandes entreprises) étant réservé aux anciens élèves de ces écoles prestigieuses, les autres critères potentiels d'évaluation étant peu pris en compte. Dans cette vision, les réseaux constitueraient une barrière à l'intervention du marché managérial. Cette conclusion reste cependant à confirmer. L'influence des réseaux peut être également être vue positivement, lorsqu'elle permet de dépasser les limites d'asymétrie d'information (Granovetter, 1974). Il ne s'agirait plus alors d'un déterminant se substituant au rôle du marché des dirigeants, mais au contraire venant l'alimenter et pouvant en améliorer l'efficience. L'information en provenance des réseaux constitue une aide particulièrement utile lorsqu'il s'agit d'évaluer des métiers plus complexes, comme celui de dirigeant (Granovetter, 1995). Sur le marché du travail, les individus et les firmes s'échangent des informations grâce aux réseaux relationnels (Marsden et Campbell, 1990). Les transferts de compétences s'effectuent de manière plus efficiente lorsque les réseaux interviennent (Parise, 2007). Les réseaux sociaux affectent les évolutions de carrière à travers des systèmes de référence (Petersen et al., 2000). Les clans développent leur propre langage et leurs modes de reconnaissances, qu'un agent extérieur aura plus de mal à comprendre et à identifier ; l'accès à l'information à l'intérieur du clan est plus rapide et moins coûteuse (Ouchi, 1979). Pour Ouchi, plus l'évaluation du travail est complexe, plus le rôle des clans trouve sa justification, ceux-ci étant plus à même d'estimer les attitudes, les valeurs et les croyances de leurs membres. L'existence d'une structure sociale sur le marché du travail ressort également de travaux menés pour l'Allemagne par Boxman et al. (1991). Un autre argument s'appuie sur la notion de mise en concurrence effective. Si d'autres candidats ont été pressentis, comme la presse peut en faire écho, même s'ils font partie d'un même clan, ils ont été mis en compétition, ce qui relève bien d'un mécanisme de marché. Pourquoi en effet considérer hors du marché managérial des candidats potentiels, certes issus de la même grande école, mais qui se sont livrés un duel sans merci ? Une évaluation relative fondée sur ses compétences et son expérience a bien été à l'origine de la sélection de l'un d'entre eux, et pas seulement son appartenance à un grand corps. L'effet des réseaux sur le rôle du marché managérial peut ainsi être conçu deux manières, soit comme un frein à l'intervention de ce mécanisme, soit au contraire comme un 132 renforcement de son efficience, les réseaux venant alimenter le marché des dirigeants de leurs connaissances et réduisant l'asymétrie d'information. Ils constituent alors un mode particulier d'ajustement de l'offre à la demande. Dans les travaux de Pigé (1996), les firmes françaises ayant à leur tête des dirigeants issus des réseaux n'enregistraient pas des performances inférieures aux autres entreprises. Leur influence reste donc à déterminer, notamment dans le cas français, où l'image traditionnelle s'appuyant sur les clans est encore forte. Synthèse L'analyse que nous venons d'effectuer a permis de faire progresser notre compréhension du marché des dirigeants et d'enrichir la première étape de notre modélisation. Les trois facteurs de contingence envisagés semblent bien pouvoir avoir une influence sur l'intervention du marché managérial. Cependant, au-delà de la vision traditionnelle négative de l'impact de l'enracinement, d'une structure familiale de propriété et des réseaux sur le marché managérial, nous avons cherché à mettre en évidence que ces facteurs ne remettaient pas en cause le rôle du marché des dirigeants mais définissaient plutôt le caractère explicite ou implicite de son intervention. En ce qui concerne les réseaux par exemple, il est apparu réducteur de considérer les réseaux comme une barrière à l'intervention du marché managérial, et de supposer que la seule constatation de l'appartenance à un clan était suffisante pour réfuter le rôle du marché des dirigeants et son existence. La concurrence forte pouvant être observée entre les réseaux, mais aussi à l'intérieur même d'un réseau, apparaît bien relever d'un mécanisme de marché. Nous avons également insisté sur les apports cognitifs des réseaux et leur capacité à réduire l'asymétrie d'information sur le capital humain des dirigeants. Les réseaux apparaissent alors comme une forme de segmentation du marché du travail des dirigeants. Comparer la contribution à la création de valeur du marché managérial entre les firmes où le dirigeant a bénéficié de réseaux et les autres, nous apportera sans doute davantage d'éclairages sur l'influence des réseaux. 133 CHAPITRE VI : LES FACTEURS DE CONTINGENCE Les carrières des dirigeants et les évolutions des sociétés présentées dans la presse nous conduisent intuitivement à constater que très probablement le rôle du marché managérial ne s‟exerce pas de la même manière sur tous les dirigeants ni sur l‟ensemble des entreprises. Au chapitre V, notre réflexion sur le caractère implicite ou explicite de l'intervention du marché managérial nous a conduits à étudier l'influence de trois déterminants : le degré d'enracinement du dirigeant, la structure familiale de propriété et les réseaux relationnels. Nous allons maintenant nous intéresser aux différents facteurs de contingence susceptibles d'influencer les voies d'intervention du marché des dirigeants. Ceux-ci sont liés à la firme ou au dirigeant. Dans le premier cas, la structure de propriété et le secteur d'activité pourraient avoir des conséquences aussi bien sur le rôle disciplinaire du marché managérial que sur son rôle cognitif. Dans le second cas, d'autres déterminants, conformes à notre cadre théorique, émergent de la littérature et nous semblent également présenter un intérêt pour mieux appréhender l'intervention du marché managérial : la stratégie de carrière externe du dirigeant, la proximité de l'âge de la retraite et l'appui de réseaux. Notre analyse s'organise ainsi en deux familles de déterminants : ceux liés à l‟entreprise (paragraphe 6.1.), et ceux liés au dirigeant (paragraphe 6.2.). 6.1. Les déterminants liés à l’entreprise 6.1.1. La structure de propriété La justification théorique du choix de ce facteur d‟influence appartient aux fondations même de la vision juridico-financière de la gouvernance. Celle-ci puise ses origines dans le démembrement de la fonction de propriété de la firme, présenté par Berle et Means (1932), en une fonction de contrôle, basée sur les systèmes d‟incitation et de surveillance, et une fonction décisionnelle. Il ressort de leur analyse qu'il existe des différences fondamentales en matière de gouvernance entre une firme entrepreneuriale traditionnelle et une entreprise où la propriété et le management sont séparés, suite à l‟ouverture du capital pour accompagner la 134 croissance de la firme. Dans le premier cas, le propriétaire de la firme est à la fois apporteur de capitaux (et donc assume le risque lié) et apporteur de ses compétences, facteur de production générateur de rentes. Dans la seconde hypothèse, les actionnaires sont supposés dispersés, ils sont alors de simples apporteurs de capitaux, assurant le risque, mais n‟interviennent pas dans le management de l‟entreprise ni dans la dimension perceptive. Leur passivité ne leur donne pas droit au statut de créancier résiduel. Avec l‟émergence des sociétés managériales (actionnariat diffus), les trois types de fonctions ne sont plus concentrés sur le même acteur. Alchian et Demsetz (1972) n‟attribuent pas le statut de créancier résiduel aux apporteurs de capitaux, passifs dans le cas d‟un actionnariat diffus, mais à l‟entrepreneur, incité de ce fait à accomplir efficacement le côté actif de la propriété. Shleifer et Vishny, dans leur revue de littérature sur la gouvernance des entreprises (1997), centrent leur réflexion sur la structure de propriété : "notre perspective de la gouvernance des entreprises est manifestement une perspective d'agence, qui renvoie généralement à la séparation de la propriété et du contrôle" (1997, p. 738)39. Ils développent les avantages et les inconvénients de la présence d'un actionnariat concentré : son éventuelle capacité à réduire les coûts d'agence, mais aussi le risque qu'il exproprie les autres parties prenantes ou actionnaires minoritaires. Les blocs d'investisseurs joueraient un rôle actif en gouvernance (Shleifer et Vishny, 1986) et constitueraient "une méthode universelle de contrôle aidant les investisseurs à retrouver leur argent"40 (Shleifer et Vishny, 1997, p. 774). Dans une perspective disciplinaire, la structure de propriété semble donc conditionner la vision de la gouvernance, et des mécanismes qui la composent, le degré de séparation entre la propriété, la décision et le contrôle étant susceptibles de modifier significativement la manière dont les dirigeants sont gouvernés, de même que l‟exercice du rôle des différents mécanismes. Mais son intervention ne se limite pas aux aspects disciplinaires, la prise en compte de la structure d'actionnariat se justifiant aussi par son rôle cognitif : orientation et apport de compétences (Charreaux, 2002, (c)). Cette réflexion s'inscrit dans la vision élargie synthétique de la gouvernance que nous avons adoptée comme cadre théorique. 6.1.1.1. Une situation différente selon les pays 39 Shleifer A., Vishny R.W. (1997, p. 738) : "our perspective on corporate governance is a straightforward agency perspective, sometimes referred to as separation of ownership and control". 40 Shleifer A., Vishny R.W. (1997, p. 774) : "is also a nearly universal method of control that helps investors to get their money back". 135 Les structures de propriété dominantes diffèrent d'un pays à l'autre. Ainsi, le modèle de séparation de la propriété et de la gestion de l‟entreprise serait majoritaire aux États-Unis, probablement du fait de la réglementation sur l'actionnariat majoritaire (Roe, 1994) et pour des raisons historiques. En Europe au contraire, seulement 37% des firmes auraient un actionnariat diffus (pas d'actionnaire détenant au moins 20% du capital), mais les écarts sont forts entre l'Allemagne (10,4%) et l'Angleterre (63,1%), et 54% des firmes n'auraient qu'un seul actionnaire dominant : famille, État, partenaire industriel… (Faccio et Lang, 2002). Cette spécificité se vérifierait notamment en Allemagne et en France. La situation de l'Angleterre serait proche de celle des États-Unis, avec une faible concentration de l'actionnariat : dans l'étude de Renneboog et Trojanowski (2003) des sociétés cotées au London Stock Exchange, l'indice de Herfidahl-5 ressortait à une moyenne de 0,057. Le rapport de la commission internationale de l'IFA41, déjà cité dans la première partie au chapitre I, 1.1.1., nous permet d'avoir une vision actualisée de l'actionnariat en France, aux États-Unis, au Royaume Uni, en Allemagne, et aux Pays Bas, des plus grandes capitalisations boursières (entreprises appartenant au CAC40 ou équivalent): - Tableau 4 : comparaison internationale de l'actionnariat des sociétés cotées en 2003 Rapport de la commission internationale de l'IFA, 2005, p. 85 - 41 Rapport de la commission internationale de l'IFA, présenté le 30 mars 2005 : "Pratiques internationales de gouvernance : une approche comparative". 136 Ce rapport rappelle et confirme les grandes tendances concernant ces pays, et souligne l'intérêt de prendre en compte la structure de capital des entreprises pour analyser et comprendre les pratiques de gouvernance. En effet, la présence de blocs de contrôle marquée dans certains pays, comme la France et l'Allemagne, ou au contraire l'importance des petits porteurs dans d'autres nations, comme aux États-Unis et en Angleterre, peuvent influencer la structure des conseils et l'équilibre des pouvoirs. En France, les deux principaux actionnaires détiennent en moyenne 75% du capital. Dans les cinq pays analysés, l'influence des investisseurs institutionnels apparaît forte, car elle peut figurer dans plusieurs rubriques : les institutionnels bien sûr, mais aussi les salariés à travers les caisses de retraite et les investisseurs étrangers, qui sont fréquemment des institutionnels. 6.1.1.2. Influence de ce déterminant sur les voies d’intervention disciplinaires du marché managérial Dans la théorie de l‟agence, les mécanismes d‟alignement des intérêts des dirigeants et des actionnaires sont dépendants de la structure de l‟actionnariat. La structure de propriété se justifie par sa capacité à réduire les coûts liés aux conflits d‟intérêts afin de maximiser la richesse des actionnaires. Elle influence le rôle des différents mécanismes disciplinaires. Ainsi dans l‟étude de Fama (1980), portant sur les sociétés managériales, où la séparation propriété et management est totale, ce qui entraîne la séparation des fonctions managériale et d‟assomption du risque, le rôle de mécanisme disciplinaire principal est attribué au marché des dirigeants, aidé dans sa tâche par le marché financier, le conseil d‟administration et le marché des prises de contrôle. Pour Shleifer et Vishny (1997), les blocs d'actionnaires peuvent être une solution au problème d'agence car ils ont "à la fois un intérêt global dans la maximisation du profit et suffisamment de pouvoir sur les actifs de la firme pour voir leurs intérêts respectés" (1997, p. 754) 42 . En effet, la menace de pouvoir vendre un nombre important d'actions, s'ils sont mécontents des résultats de la firme, peut leur permettre d'influencer le comportement managérial (Brickley et al., 1988). Dans les sociétés familiales, les fondateurs ou leurs descendants conservent fréquemment une part importante du capital pour garder le contrôle de la société et éviter d'être imposés sur les plus values (Agrawal et Knoeber, 1996). 42 Shleifer A., Vishny R.W. (1997, p. 754) : "they both have a general interest in profit maximisation and enough control over the assets of the firm to have their interests respected". 137 Ce déterminant est susceptible tout d'abord d'intervenir dans le rôle de sanction du marché managérial. S‟il existe un actionnaire dominant (ou une coalition d‟actionnaires), il a le pouvoir de faire changer le dirigeant. Celui-ci court alors un risque plus important d‟éviction, même s‟il contrôle l‟information diffusée à l‟actionnaire (Charreaux et Desbrières, 1998). C‟est le cas par exemple en présence d‟un investisseur institutionnel influent ou d‟une société de capital risque. L‟existence d‟actionnaires dominants peut renforcer l‟efficacité du contrôle (Shleifer et Vishny, 1989), elle est liée à une augmentation du taux de rotation des dirigeants (Franks et Mayer, 1994), et la probabilité d'un départ du dirigeant en cas de mauvaise performance est supérieure (Kaplan et Minton, 1994). Renneboog et Trojanowski (2003) ont testé l‟impact de la structure de propriété sur la probabilité d‟éviction du dirigeant. Ils ont cherché à lier l‟intensité du rôle disciplinaire et la concentration de l‟actionnariat, ainsi que le type d‟actionnariat. D‟après leur analyse, les blocs dominants externes attribueraient davantage la responsabilité d‟une mauvaise performance au dirigeant et chercheraient alors le faire partir. Contrairement à Fama, ils envisagent que la décision de sanction du dirigeant pour mauvaise performance intervienne tardivement en cas d‟actionnariat diffus. Mais leur étude aboutit à une absence de relation entre la concentration de l‟actionnariat, mesurée par l‟index d‟Herfidhal-5, et le taux de rotation des dirigeants. Ni la concentration de l‟actionnariat ni la présence de blocs dominants d‟actionnaires (institutions, familles…) ne seraient liées à un taux de rotation des dirigeants plus élevé, même en cas de mauvaise performance. Rappelons cependant que leur étude porte sur des sociétés anglaises, où la structure de propriété dominante diffère du cas français. Parrino (1997) s'est intéressé dans son étude à un type particulier de blocs significatifs d‟actions, ceux détenus par la famille du dirigeant. Il observe alors que celui-ci conserve sa position plus longtemps que les autres directeurs. Le changement de dirigeant est moins sensible à la performance, la probabilité d'éviction est plus faible dans les entreprises dominées par un actionnariat interne (Denis et al., 1997). La confusion entre l'actionnaire et le dirigeant dans les sociétés familiales réduirait l'efficience et la capacité d'intervention des mécanismes de contrôle externe (Schulze et al., 2001). L‟effet de la structure de propriété sur l‟un des leviers disciplinaires, la sanction, a été étudié pour la France par Pigé (1993). Il parvient à la conclusion que la relation sanction et performance est dépendante de la structure de l‟actionnariat et du lien entre le dirigeant et les 138 actionnaires. L‟existence d‟un actionnaire important aurait une influence significative positive dans la décision et dans la fréquence de renouvellement du dirigeant. Le poids de la performance sur la décision de départ du dirigeant est plus faible si celui-ci dispose d‟appuis personnels. Les résultats sont plus consensuels en matière de rémunération, qui rappelons-le, est un levier intervenant à la fois dans le rôle de sanction et celui de récompense du marché managérial. Shleifer et Vishny (1997) argumentent que les contrats d'incitation connaissent moins de dérives lorsqu'ils sont négociés avec des blocs dominants d'actionnaires plutôt qu'avec un conseil d'administration faiblement impliqué. Renneboog et Trojanowski (2003) concluent que la rémunération du dirigeant est plus sensible aux performances boursières dans les entreprises ayant un actionnariat externe fort, et aux performances comptables dans les sociétés dominées par des actionnaires internes. Les contrats de rémunération diffèrent selon la structure de propriété. Ils sont le plus souvent indexés sur des critères comptables lorsque l‟actionnariat est diffus ou dominé par des internes, et fondés sur des mesures boursières lorsqu‟il est principalement externe. L‟influence sur la rémunération de la structure de propriété a été également mise en évidence dans l‟étude de Core et al. (1999). Ce déterminant, avec les caractéristiques du conseil d'administration, expliquerait une part significative des écarts de rémunération d'une firme à l'autre. Les dirigeants recevraient un salaire plus élevé lorsque les structures de gouvernance sont plus faibles. Une hiérarchie semble donc se dessiner : dans les sociétés contrôlées, notamment lorsque l'actionnaire dominant est externe, la sanction des dirigeants inefficaces serait plus fréquente, et le rôle du marché managérial s'en trouverait renforcé. La structure managériale, avec un actionnariat diffus, n'est pas un moteur de sanction, mais par son absence d'implication, peut laisser plus de motifs d'intervention au marché des dirigeants et davantage justifier son intervention disciplinaire. Enfin les firmes familiales apparaissent essentiellement comme un frein à l'exercice du rôle du marché managérial, plus réduit lorsque le dirigeant est un externe, mais a priori avec une capacité de réaction plus lente. Il ne s'agit à ce stade que d'hypothèses, l'absence de travaux empiriques sur le sujet ne permettant pas de conclure. 139 6.1.1.3. Influence de ce déterminant sur les voies d’intervention cognitives du marché managérial L‟analyse de ce déterminant peut être approfondie et élargie avec les travaux de Charreaux (2002, (c)) sur le rôle cognitif des actionnaires, qui ont permis notamment de mieux comprendre la recherche de partenariats industriels : ces actionnaires apportent outre leur soutien financier une contribution en termes de compétences et de stratégie. L‟intervention cognitive apparaît effectivement comme influente dans la majorité des structures de propriété, exception faite des cas de séparation totale, se traduisant par l‟existence de petits porteurs dont l‟action est nécessairement très limitée. L‟activisme des actionnaires se développe : fonds de pensions, investisseurs individuels, détenteurs de blocs s‟investissent de plus en plus dans les décisions stratégiques, y compris le choix d‟un successeur (Gupta, 1992). L‟introduction de la dimension cognitive modifie la perception du système de gouvernance. Ainsi le rôle des actionnaires ne se limite plus à une intervention passive, ils sont susceptibles de participer aux fonctions managériale et perceptive. L‟ensemble des opportunités s‟élargit, de même que leur exploitation. Le rôle cognitif des actionnaires peut porter sur l‟apport et l‟exploitation de nouvelles opportunités, la confrontation avec les schémas cognitifs du dirigeant étant source d‟enrichissement et de développement des capacités d‟innovation. La prise en compte de la fonction cognitive de la structure de propriété conduit, comme dans la vision disciplinaire, à revoir le rôle exercé par les différents mécanismes de gouvernance. Elle est susceptible d'influencer les deux voies d'intervention cognitives que nous avons identifiées au chapitre IV pour le marché managérial. La littérature aujourd'hui ne nous permet pas de conclure sur le sens de cette influence. Concernant l'aide à la construction de la vision stratégique de la firme, que le marché managérial peut apporter d'une part en fonction des caractéristiques du dirigeant qu'il a évaluées, d'autre part en favorisant les changements de dirigeants, deux conceptions sont envisageables. Dans la première, son rôle est réduit dans les firmes contrôlées, ou familiales, les actionnaires principaux étant à l'initiative des décisions stratégiques, laissant peu d'initiatives au dirigeant. Il s'exprimerait au contraire avec plus de latitude pour les sociétés managériales. Dans la seconde, les apports à la construction de la vision stratégique de la firme du dirigeant et des actionnaires la contrôlant, se conjuguent et conduisent à des décisions plus approfondies. Nous observerions 140 alors un renforcement du rôle du marché managérial dans les sociétés contrôlées et familiales avec un dirigeant externe, et un effet neutre dans les firmes managériales. 6.1.2. Le secteur d‟activité Le secteur d'activité apparaît comme un des fondamentaux de l'analyse du capital humain des dirigeants. Dans la typologie de Becker (1964), présentée au chapitre II, paragraphe 2.1.1.6., les compétences managériales sont classées en fonction de leur degré de transférabilité. Une des quatre catégories concerne les savoir-faire liés à une industrie, transférable à une autre entreprise de cette industrie : maîtrise technologique, connaissances techniques, du marché. De même Castanias et Helfat (1991, 2001) "caractérisent les dirigeants comme des ressources de la firme qui possèdent des qualités et des quantités variables de connaissances" pouvant être hiérarchisées en "génériques, relatives à un secteur d'activité, spécifiques à celui-ci, et spécifiques à la firme" 43 (Castanias et Helfat, 2001, p. 663). Les compétences liées à une industrie sont également mises en évidence dans les études de Finkelstein et Hambrick (1996), Rajagopalan et Datta (1996, 1998), Rajagopalan et al. (2001), Parrino (1997), ou encore Bailey et Helfat (2003). Lorsqu'un dirigeant change de société, ses capacités spécifiques à la firme sont perdues, mais s'il est recruté par une entreprise du même secteur d'activité, ses connaissances industrielles peuvent être valorisées (Harris et Helfat, 1997). Celles-ci sont particulièrement importantes dans les secteurs soumis à des changements technologiques et de marché (Castanias et Helfat, 2001). La haute qualité de ces compétences particulières est susceptible de compenser la perte de celles spécifiques à la firme (Castanias et Helfat, 2001). Certaines capacités fonctionnelles sont davantage développées dans certains types d'industries (Rajagopalan et Datta, 1996). Certains dirigeants sont recrutés "parce qu'ils apportent un savoir-faire associé à des produits, des clients ou des technologies"44 (Gunz et al., 2000, p. 30), ou parce qu'ils sont familiers aux problèmes ou aux opportunités spécifiques du secteur. Bailey et Helfat (2003), dans leur étude portant sur trente six dirigeants américains répertoriés dans Forbes, sur la période 1978 à 1987, ne trouvent pas de différence, en termes de performance moyenne, entre des firmes ayant recruté des dirigeants avec des compétences relatives ou spécifiques au secteur et celles les ayant sélectionnés pour leurs capacités génériques, mais observent une hausse de la volatilité des 43 Castanias R.P., Helfat C.E. (2001, p. 663) : "characterized CEOs as firm resources that possess varying qualities and quantities of generic (or general), industry-specific, and firm-specific skills". 44 Gunz H.P., Evans M.G., Jalland R.M. (2000, p. 30) : "because they may bring know-how associated with products, clients or technology". 141 profits dans le second cas. Parrino (1997) conclut que le capital humain spécifique au secteur d'activité présente un meilleur degré de transférabilité entre firmes dans les industries homogènes. Le secteur d'activité est pris en compte dans l‟évaluation, à la fois dans l'estimation du capital humain du dirigeant, et dans l'analyse de ses performances passées. Il sera jugé performant s‟il fait mieux que les concurrents de la même industrie (Parrino, 1997). L'asymétrie d'information est plus faible lorsqu'une entreprise recrute un dirigeant du même secteur (Parrino, 1997, Harris et Helfat, 1997, Castanias et Helfat, 2001), elle dispose alors d'une meilleure connaissance des compétences du candidat et de leur adéquation à ses besoins. La sélection des dirigeants est susceptible de varier de manière importante selon les caractéristiques du secteur : changements technologiques, conditions de marché (Castanias et Helfat, 2001), degré d'homogénéité défini par Parrino (1997) comme un niveau de similitude entre les firmes (mêmes technologies de production, mêmes marchés de biens et services…). Les firmes à l'intérieur d'un même secteur homogène sont plus susceptibles de recruter un dirigeant externe (Parrino, 1997). L'appartenance à un secteur industriel joue un rôle important dans la sélection d'un nouveau dirigeant (Rajagopalan et Datta, 1998). S'appuyant sur les travaux de la perspective contingente, ces mêmes auteurs concluent que "dans le contexte de sélection et de rétention des dirigeants, les incertitudes organisationnelles et les problèmes subordonnés à différents contextes industriels peuvent être effectivement prises en compte en sélectionnant des dirigeants disposant d'un ensemble approprié de connaissances, compétences et orientations cognitives" (Rajagopalan et al., 2001, p.1)45 . La connaissance industrielle prise en compte dans l'évaluation peut être liée à l'expérience passée, mais aussi aux mandats d'administrateur assurés par le dirigeant dans d'autres entreprises (Castanias et Helfat, 2001). L'analyse des remplacements de dirigeants par un candidat extérieur au secteur industriel faite par Parrino (1997) a fait ressortir que plus de la moitié de ces successeurs était en relation avec la firme (administrateur de la société ou d'une autre entreprise du secteur, conseiller…). La maturité du secteur est également susceptible d'avoir une influence : dans un 45 Rajagopalan N., Datta D.K., Guthrie J. (2001, p. 1) : "in the context of top management selection and retention, the unique organizational uncertainties and problems created by different industry contexts can be effectively handled by selecting leaders with an appropriate set of knowledge and skills and cognitive orientations". 142 type d'industrie récent, les compétences spécifiques à cette industrie sont rares, elles seront davantage recherchées et probablement rémunérées par une prime additionnelle. Dans un secteur dont le développement a atteint sa maturité, les connaissances sont plus largement diffusées et constituent un apport compétitif moindre (Castanias et Helfat, 2001). "Les cadres parviennent plus rapidement au sommet dans les industries connaissant des changements structurels. Ces industries reposant sur des technologies émergentes ou évoluant rapidement, réclament de nouvelles compétences – de ce fait nécessitent une nouvelle génération de dirigeants" (Cappelli et Hamori, 2005)46. Rajagopalan et al. (2001), dans leur étude de 305 firmes américaines de plus de 100 millions de dollars de chiffre d'affaire, sur la période 1973-1987, confirmaient la relation entre le secteur industriel et l'évolution de carrière des dirigeants. Les caractéristiques et la spécialisation des dirigeants sont positivement corrélées au degré de concentration et à l'intensité capitalistique de l'industrie, négativement à son niveau de diversification et à son taux de croissance. La valorisation des compétences du dirigeant liées au secteur a cependant une limite : elle se justifie principalement dans les firmes exerçant sur un seul métier (Gupta, 1984). Dans les firmes diversifiées, plusieurs secteurs d'activité sont concernés, ce qui rend plus difficile l'adéquation du capital humain spécifique au secteur du dirigeant aux besoins de la firme. Certains auteurs ne confirment pas dans leurs analyses empiriques que le secteur d'activité constitue un facteur de segmentation du marché managérial. Ainsi Bertrand et Schoar (2003), qui ont étudié 500 dirigeants ou cadres supérieurs américains, recensés par Forbes entre 1969 et 1999, observaient une majorité de mutations extra sectorielles : elles concernaient 63% des dirigeants de l'échantillon ayant changé de firme pour une nouvelle direction. Il serait intéressant d'analyser l'origine sectorielle des dirigeants français en place aujourd'hui pour vérifier si le marché managérial est segmenté relativement à ce critère en France. Le secteur d'activité apparaît cependant globalement comme un critère significativement pris en compte dans l'évaluation d'un dirigeant. Une transférabilité réduite des savoir-faire 46 Cappelli P., Hamori M. (2005, p. 30) : "Executives reached the top more quickly industries that were undergoing structural change. These industries were built on emerging or quickly changing technologies or required new competencies – and therefore needed a new generation of executives". 143 d'un secteur à un autre justifierait l'existence d'une segmentation du marché du travail managérial. Il en influence l'intervention, en constituant des sous-segments. 6.1.2.1. Influence de ce déterminant sur les voies d'intervention disciplinaires du marché managérial Le caractère disciplinaire du changement de dirigeant est influencé par le type d‟industrie (Parrino, 1997). Le taux de rotation des dirigeants diffère selon les industries (Parrino, 1997, Murphy et Zabojnik, 2004). Le contrôle des dirigeants est facilité par la récurrence des opérations et des stratégies à mettre en œuvre, et l'asymétrie d'information est plus faible à l'intérieur d'un même secteur. La probabilité d'une sanction sous forme de départ forcé est plus élevée dans les industries homogènes (Parrino, 1997) ; celle d'un départ volontaire également, ce qui traduirait un renforcement des potentialités du rôle de récompense du marché managérial. La plupart des candidats externes succédant à un dirigeant ayant subi un départ forcé ont une expérience industrielle (Parrino, 1997). L'auteur propose plusieurs raisons pour expliquer ces résultats : les dirigeants sous-performants sont plus faciles à identifier dans la même industrie, les mesures de performance sont plus exactes, le risque de renvoyer un dirigeant compétent par erreur est réduit, il est donc moins coûteux de les remplacer. L'arrivée du nouveau dirigeant, s'il appartient à un secteur homogène, se traduit également par des coûts moindres, une partie plus importante de son capital humain étant transférable et adaptable à la firme, et son évaluation étant plus fiable (DeFillipi et Arthur, 1996). L'analyse des réactions du marché français à l'annonce des successions de présidents, effectuée par Dherment-Férère (1998) sur la période 1988-1992, confirme l'impact positif de l'homogénéité du secteur industriel de la firme. La rémunération serait également influencée par le secteur d‟activité (Harris et Helfat, 1997, Murphy et Zabojnik, 2004), ce qui peut se justifier par la spécificité des connaissances industrielles et leur degré de transférabilité. Ces compétences spécifiques à un secteur seraient rémunérées. La rémunération peut différer en capitaux et en structure : ainsi, dans le secteur des hautes technologies, la part variable serait plus élevée car l'importance des décisions prises par le dirigeant est très forte. Dans un secteur plus traditionnel, où l‟essentiel des décisions relèverait de la gestion courante, la part fixe pourrait être majoritaire. 144 L'influence attendue de ce déterminant semble donc positive sur les voies d'intervention disciplinaires du marché des dirigeants : à l'intérieur d'un même secteur d'activité, le recours au marché managérial serait plus important, et grâce à une asymétrie d'information et des coûts plus faibles, son rôle de sanction ou de récompense serait encouragé et facilité. Cette hypothèse reste bien sûr à valider empiriquement. 6.1.2.2. Influence de ce déterminant sur les voies d'intervention cognitives du marché managérial Les travaux de recherche sur la cognition collective font ressortir l‟existence de perceptions communes au niveau d‟un même secteur industriel. Il existe " une base de connaissance partagée que ceux qui sont socialisés dans une industrie prennent pour le sens commun professionnel familier " (Spender, 1989, p. 69). Cette vision commune expliquerait la similitude des actions entre concurrents d‟une même activité. Elle serait susceptible de réduire les conflits cognitifs (Jehn, 1995). L'association entre la notion de gain cognitif et le secteur a aussi été mise en évidence dans les travaux de Charreaux (2002 (c)), qui souligne le rôle cognitif d'apport et de développement des compétences des actionnaires industriels. Ce déterminant peut avoir deux influences sur la vision stratégique de la firme. D'une part, l'expérience et la connaissance étant liées au secteur d'activité dans lequel le dirigeant a exercé ses talents précédemment, elles influenceraient ses choix stratégiques dans son nouveau poste (Holbrook et al., 2000). D'autre part le contexte industriel agirait sur la prise de décisions stratégiques des dirigeants et leurs actions (Hansen et Wernerfelt, 1989, Rajagopalan et al., 2001), car il fait varier les attributs environnementaux : incertitude, complexité, et les conditions organisationnelles : structure interne de pouvoir, performances et stratégies passées (Rajagopalan et al., 1993). Selon le secteur d'activité, la concurrence et les marchés évoluent, les firmes disposent d'opportunités de croissance différentes (Hamel et Prahalad, 1994). La bonne adéquation entre les décisions stratégiques prises par le dirigeant et le secteur d'activité peut affecter significativement la performance de la firme (Porter, 1980). Les firmes qui choisissent leur nouveau dirigeant en bonne adéquation avec les besoins du secteur où elles exercent réalisent des performances supérieures (Datta et Rajagopalan, 1998). Il est alors envisageable que le secteur d'activité joue de deux manières sur le rôle cognitif du marché managérial : tout d'abord, à l'intérieur d'un même secteur, il serait renforcé et d'une 145 qualité supérieure, la construction de la vision stratégique étant enrichie par l'expérience passée du dirigeant, et l'apport de compétences étant plus important. Ensuite, en comparant les secteurs d'activité entre eux, des différences, que ce soit en termes de nombre et de nature des décisions stratégiques, comme de types de compétences, devraient être observées, d'où une variation de l'influence sur la création de valeur engendrée par le recours au marché managérial. 6.2. Les déterminants liés au dirigeant Deux dimensions principalement, l'enracinement et la réputation, éclairent les stratégies personnelles des dirigeants et leur capacité à manipuler les mécanismes disciplinaires. L'enracinement a déjà été évoqué au chapitre V, paragraphe 5.2.1.. La prise en compte des travaux sur la réputation va nous permettre d'envisager un autre déterminant potentiel susceptible d'influencer l'importance du rôle du marché des dirigeants : la stratégie de carrière externe. Nous allons nous aider de la littérature pour étudier dans quelle mesure ce facteur peut modifier l'exercice des voies disciplinaires et cognitives du marché managérial. Nous réfléchirons ensuite au rôle d'un autre facteur : la proximité de l'âge de retraite, car il représente une étape importante dans la vie et la carrière d'un dirigeant, et constitue un butoir légal à l'exercice de ses fonctions. Enfin nous poursuivrons notre réflexion sur les réseaux, en essayant d'appréhender quelle influence ils peuvent avoir sur les autres composantes du rôle du marché managérial. 6.2.1. La stratégie de carrière externe Une logique de carrière peut être définie comme "un plan distinctif d'enchaînement de fonctions professionnelles"47 (Gunz et al., 1998, p. 22), elle se traduit soit par une succession de postes de direction qui diffèrent dans l'importance des responsabilités confiées et le prestige du poste, soit par la recherche d'expériences dans des fonctions ou des secteurs différents. Un cadre ambitieux doit se tourner vers une carrière "sans frontières" (Arthur et Rousseau, 1996), c'est-à-dire non limitée par les frontières de la firme, ni fonctionnellement ou géographiquement, et accumulant les expériences diverses. "Des ambitions de carrière émergent fréquemment : elles se produisent chaque fois que le marché du travail (interne ou externe) utilise un output actuel d'un individu actif pour mettre à jour sa connaissance des 47 Gunz H.P., Jalland R.M., Evans M.G. (1998, p. 22) : "a distinctive pattern of work role transitions". 146 capacités de ce sujet, et alors baser sa rémunération future sur cette estimation "48 (Gibbons et Murphy, 1992, p. 469). La justification de ce déterminant trouve ses fondements dans le courant d'analyse de la réputation et dans la théorie de l'agence. Dans les travaux sur la réputation, l‟objectif du dirigeant est d‟accroître sa réputation pour mieux valoriser son capital humain et élargir ses horizons managériaux, dans une optique le plus souvent de carrière externe, bien qu‟une bonne réputation puisse également servir des intérêts d‟enracinement en dissuadant les actionnaires de recruter un autre candidat (dans ce cas, elle est spécifique à la firme). La réputation peut devenir un actif commercialisable (Kreps, 1990). Les décisions prises dans le cadre d‟un objectif de carrière externe " cherchent principalement à maximiser la valeur de la réputation sur le marché des dirigeants et la probabilité d‟être sollicité pour parvenir à diriger une entreprise plus importante ou plus prestigieuse " (Charreaux, 1996, p. 57). "La réputation des dirigeants sur le marché de l'emploi est l'élément qui va influencer le plus fortement leur pouvoir à l'intérieur de la firme" (Paquerot, 1996, p. 169). Le comportement du dirigeant est orienté non plus par le souci de se rendre irremplaçable, mais par le souhait de pouvoir quitter l‟entreprise et se valoriser au mieux sur le marché managérial. Ses décisions sont choisies selon leur apport en termes de réputation, et elles sont fonction de la perception qu‟a le dirigeant de ses propres compétences. Les actions individuelles sont influencées par les perspectives de carrière et leurs attraits (Gibbons et Murphy, 1992). "A travers la réputation, le dirigeant cherche à accroître son pouvoir de négociation de façon à obtenir une meilleure rémunération; cette réputation lui permet également d'accroître sa valeur sur le marché du travail et éventuellement de quitter plus facilement l'entreprise" (Charreaux, 1996, p. 55). La réputation est un composant très important du capital managérial, car elle va influencer les possibilités d‟évolution de carrière du dirigeant, en termes de poste et de rémunération. Le choix du dirigeant entre une carrière externe ou être promu en interne dépend notamment des caractéristiques du marché des dirigeants : modes d‟accès et de sortie, constitution de la réputation… Mais il y a ici une double causalité : ce choix a également une influence sur l‟exercice du rôle du marché des dirigeants. Lorsque le dirigeant poursuit une stratégie d‟enracinement, il s‟oppose à l‟intervention du marché managérial en rendant par 48 Gibbons R., Murphy K.J. (1992, p. 469) : "Career concerns arise frequently : they occur whenever the (internal or external) labor market uses a worker's current output to update its belief about the worker's ability and then bases future wages on these updated beliefs". 147 exemple plus opaque la vision que les autres dirigeants concurrents potentiels peuvent avoir de l‟entreprise. A l‟opposé, s‟il recherche les promotions externes, il va agir pour se signaler au marché du travail des dirigeants, et faciliter le transfert d‟information sur ses compétences, et plus généralement sur son capital humain. 6.2.1.1. Influence de ce déterminant sur les voies d’intervention disciplinaires du marché managérial Les perspectives de carrière peuvent réduire les problèmes d'agence entre les dirigeants et les actionnaires et réduirent les conflits d'intérêt (Fama, 1980, Holmström, 1982). Elles contribuent à diminuer les problèmes de risque moral et à discipliner les dirigeants (Fama, 1980). Les dirigeants ayant des ambitions d'évolution professionnelle sont incités à exercer des efforts et à agir dans l'intérêt des actionnaires. Dans le modèle d‟Holmström (1999), le dirigeant, reconnaissant que la performance est utilisée comme un signal de productivité, essaie d‟influencer le processus d‟évaluation par le choix de ses actions. Ses décisions peuvent avoir une incidence sur deux retours sur capital : humain et financier. Le dirigeant est concerné par le retour en capital humain, les actionnaires par le retour financier. Un schéma explicite d‟incitation est nécessaire pour éviter que le dirigeant ne privilégie que le premier. La vision d‟Holmstrom est plutôt négative, concluant aux effets néfastes de la volonté de carrière externe du dirigeant. Jensen et Meckling (1976) font également référence au rôle de la réputation des dirigeants pour réduire les coûts d‟agence. Gibbons et Murphy (1992), dans la définition de leur contrat de rémunération optimal, associent l'incitation implicite de la volonté de faire carrière, et celle, explicite, du contrat de rémunération lui-même. L'augmentation de l'incitation à la performance chez les dirigeants ayant choisi une carrière externe ressort également des travaux de Cappelli et Hamori (2005), qui mettaient en évidence une évolution du profil des dirigeants américains et la modification de leurs stratégies de carrière. Comme l‟âge moyen d‟accession à un poste de dirigeant diminue, un dirigeant ayant pour objectif d‟arriver au sommet va rechercher des promotions plus rapides, tout retard devenant dommageable : il ne faut pas être trop vieux aux différents points d‟étape. Ceci va donc l‟inciter à partir vers une autre entreprise, et à choisir d‟investir son capital humain dans une société en fonction des potentialités d‟évolution qu‟elle lui offre. Il s‟agit de se signaler par sa jeunesse dans la fonction, de faire remarquer très tôt son talent et ses capacités, et de progresser rapidement : le haut potentiel se constitue ainsi une réputation de 148 futur dirigeant. Un parcours possible est par exemple de se signaler par une performance élevée dans une petite entreprise, ou comme entrepreneur, puis d‟intégrer un groupe plus important. Ceci va dans le sens d‟un renforcement du rôle du marché managérial, les dirigeants ayant de plus en plus recours au marché du travail pour accélérer leur carrière, et étant de ce fait évalués par lui et incités à être rapidement performants. Mais l‟objectif réputationnel peut aussi avoir des conséquences négatives sur l‟efficacité de la firme, par exemple s'il conduit à des manipulations de l'information (Hirshleifer, 1993). Le dirigeant qui souhaite améliorer plus rapidement sa réputation peut être tenté de présenter avantageusement les indicateurs court terme, d'avancer les nouvelles favorables ou au contraire de retarder les mauvaises. Mais ce comportement de manipulation, au départ opportuniste, n'est pas forcément négatif : il peut inciter le dirigeant à gérer aussi dans les intérêts des créanciers, limitant ainsi les coûts d‟agence entre actionnaires et créanciers (Hirshleifer, 1993), et prendre des décisions, par exemple augmenter les investissements en recherche et développement, qui peuvent contribuer à augmenter la performance de la firme. Ce déterminant semble donc être susceptible de jouer un rôle sur les voies disciplinaires du marché des dirigeants, allant essentiellement dans le sens d'un renforcement et d'une facilitation de leur exercice. Augmentant l'incitation des dirigeants à extérioriser de la performance, développant les occasions d'être évalués par le marché managérial, il peut contribuer à renforcer la place de ce mécanisme dans le SGE. 6.2.1.2. Influence de ce déterminant sur les voies d’intervention cognitives du marché managérial Ce déterminant peut également avoir une influence sur le rôle cognitif du marché des dirigeants. Il est envisageable tout d'abord qu'il agisse sur la première voie d'intervention cognitive que nous avons identifiée, l'aide à la construction de la vision stratégique de la firme. En effet pour un dirigeant qui développe une stratégie réputationnelle, sa valeur sur le marché du travail va dépendre des projets qu‟il va choisir d‟entreprendre. La pression du marché managérial sur les choix stratégiques effectués par le dirigeant serait alors renforcée. Si le dirigeant veut montrer par sa stratégie et ses résultats qu‟il est capable de diriger un autre type d‟entreprise, plus importante, plus prestigieuse, il va chercher à se signaler au marché managérial et à faire reconnaître ses compétences, ce qui le conduit à prendre certaines 149 décisions stratégiques. Celles-ci seront davantage liées à ses objectifs personnels : ici l‟amélioration de sa réputation, le dirigeant cherchant à se faire valoir, qu‟aux besoins de la firme. Mais les deux peuvent converger. La réputation peut aussi jouer un rôle indirect : compte tenu de l‟aura de certains dirigeants, de leur réussite, d‟autres managers vont adopter leurs choix stratégiques par comparaison ou imitation. De même en cas de scandale ou de mauvaise renommée de certains de leurs pairs, ils peuvent chercher à se différencier, se distinguer d‟eux en décidant d‟une stratégie complètement différente pour leur entreprise. 6.2.2. La proximité de l'âge de la retraite Notre étude étant centrée sur le dirigeant, nous avons déjà mis en évidence l'importance de ses caractéristiques, aussi bien dans le rôle d'évaluation du marché managérial, que sur ses voies d'intervention disciplinaires et cognitives. Nous venons de voir également l'impact de la réputation et de la notion de carrière sur les actions des dirigeants. Il nous semble justifié d'analyser aussi un aspect spécifique de la vie d'un dirigeant : la proximité de la retraite, et son incidence sur le rôle du marché des dirigeants. Ce déterminant étant évoqué dans plusieurs études en gouvernance, nous allons nous appuyer sur ces articles pour essayer de comprendre son influence. 6.2.2.1. Influence de ce déterminant sur les voies d’intervention disciplinaires du marché managérial La proximité de l'âge de la retraite réduirait le risque de sanction (Vancil, 1987). Lorsque le dirigeant est en fin de carrière, s‟il est sous performant, il peut être moins coûteux d‟attendre quelques temps que de provoquer un départ forcé, alors qu'un jeune dirigeant identifié comme tel est davantage susceptible d'être remplacé (Parrino, 1997, p. 176) : "il est plus coûteux de retenir un mauvais dirigeant qui est à dix ou quinze ans de la retraite que de conserver en poste un dirigeant susceptible de partir volontairement dans les années à venir"49. L'intensité de la relation entre le changement de dirigeant et la mauvaise performance décroît avec l'âge du dirigeant, les jeunes dirigeants risquent davantage d'être disciplinés par ce levier (Jensen et 49 Parrino R. (1997, p. 176) : "It is more costly to retain a poor CEO who is 10 or 15 years from retirement than it is to retain one who is likely to step down voluntarily in the next few years". 150 Murphy, 1990), et le taux de rotation est plus élevé dans cette population (Warner et al. 1988, Weisbach, 1988, Gibbons et Murphy, 1992). Les dirigeants proches de la retraite sont moins sensibles à leur réputation sur le marché de l'emploi, ils ne se soucient plus de devoir retrouver un poste équivalent en cas de licenciement : leur enracinement étant souvent plus fort, la probabilité d'une sanction est réduite (Paquerot, 1996), et ils peuvent avoir accumulé un patrimoine suffisant. Cependant des exemples récents montrent que la proximité de la retraite ne suffit pas toujours à éviter au dirigeant d'être évincé de l'entreprise. Ainsi en France, Pierre Bilger, président d'Alstom depuis 1991, a été obligé de quitter le groupe industriel, au bord de la cessation de paiements suite notamment à sa stratégie de croissance externe désastreuse, en 2003, à 63 ans. Il a même rendu les fortes indemnités qu'il avait touchées à son départ. La seconde voie d'intervention disciplinaire du marché managérial, la récompense des dirigeants compétents, serait aussi affectée par ce déterminant. L‟incitation à la performance serait fonction du nombre d‟années où le dirigeant reste un potentiel pour le marché managérial, et se réduirait lorsque le départ à la retraite se rapproche (Fama, 1980). Dans le modèle d'Homström (1982) également, le dirigeant fournirait l'essentiel de ses efforts dans ses jeunes années, lorsque le marché managérial évalue ses capacités, et se relâcherait les dernières années. Les dirigeants proches de la retraite seraient moins soumis à la discipline du marché du travail managérial (Gibbons et Murphy, 1992), qui suggèrent, pour compenser la diminution du caractère incitatif des perspectives de carrière, d'augmenter la partie incitative des contrats de rémunération. Les incitations à la performance du marché managérial seraient plus faibles chez les dirigeants âgés que chez les jeunes (Lewellen et al., 1987). Une corrélation positive existerait entre l'âge et la durée de poste (Pfeffer, 1981, Zenger et Lawrence, 1989), en fin de carrière l'envie de changer de poste serait moins forte, du fait des liens amicaux et des réseaux que le dirigeant a pu développer. Lorsque la retraite se rapproche, les possibilités d'emploi deviendraient moins importantes aux yeux de l'individu (Hall et Mirvis, 1995). La proximité de la retraite semble donc avoir un effet réducteur sur le rôle disciplinaire du marché managérial. Cette influence reste cependant à confirmer. En effet il est envisageable que le niveau d'incitation à la performance soit encore élevé chez un dirigeant en fin de carrière, pour plusieurs raisons. Tout d'abord, les résultats engendrés pendant les dernières 151 années de fonction du dirigeant conditionnent sa rémunération en tant que retraité et les avantages pécuniaires éventuels qu'il peut obtenir au moment de son départ. Les dirigeants cherchent à augmenter leurs bénéfices avant de partir en retraite pour recevoir une rémunération plus élevée (Pourciau, 1993). Dans le modèle du marché de la réputation de Tadelis (2002), les agents jeunes ont les mêmes incitations que les sujets âgés : les bonnes réputations sont rares, et génèrent de la valeur pour l'individu, que son horizon soit long ou court. Ensuite, s'il ne brigue plus un autre poste de dirigeant, il peut chercher à bénéficier d'un mandat d'administrateur dans la firme ou une autre société. Ce second argument a été validé empiriquement par Brickley et al. (1999), sur un échantillon de 277 dirigeants de Forbes partis à la retraite entre 1989 et 1993. "La probabilité qu'un dirigeant en retraite soit administrateur de la société deux ans après son départ, de même que la probabilité d'être engagé comme administrateur externe d'une autre firme, sont positivement et fortement corrélées à sa performance lorsqu'il exerçait les fonctions de dirigeant" 50 (Brickley et al., 1999, p. 341). Dans leur étude, 88% des dirigeants retraités occupent au moins un poste d'administrateur, 42% détiennent trois sièges ou plus, et même 28% cumulent plus de quatre mandats. L'ancien dirigeant peut également rester actif en devenant consultant : "certaines firmes signent de lucratifs contrats de consultants avec leurs anciens dirigeants" 51(Brickley et al., 1999, p. 343). D'après Vancil (1987), 80% des dirigeants resteraient au conseil d'administration de leur société après leur départ en retraite. Leurs qualités d'expert expliquent que beaucoup de dirigeants deviennent administrateurs de leur entreprise ou d'une autre firme lorsqu'ils partent à la retraite (Lorsch et MacIver, 1989). L'incitation à la performance serait donc maintenue même dans les dernières années de poste, lorsque le dirigeant est intéressé par les opportunités pouvant s'offrir à lui après son départ en retraite, les fonctions de consultant ou d'administrateur procurant des avantages financiers pouvant être élevés (salaire, stock options, complément de retraite…), mais aussi non pécuniaires comme le statut et le prestige. Un dernier argument est développé dans la thèse de Paquerot (1996) : les dirigeants peuvent chercher à conserver leur poste au-delà de l'âge légal de la retraite, ils sont alors incités à extérioriser de la performance pour résister aux pressions, ou, dans une vision négative, à augmenter leur enracinement, en accroissant l'asymétrie d'information et en éliminant la concurrence. 50 Brickley J.A., Linck J.S., Coles J.L. (1999, p. 341) : "Both the likelihood that a retired CEO serves on his own board two years after his departure, as well as the likelihood of serving as an outside director on other boards, are positively and strongly correlated to his performance while CEO". 51 Brickley JA., Lick J.S., Coles J.L. (1999, p. 343) : "some firms give lucrative consulting contracts to their exCEOs". 152 Plusieurs exemples de dirigeants français proches de la retraite ayant poursuivi leurs efforts jusqu'à leur départ, et en ayant été récompensés par des fonctions ultérieures, montrent qu'il est difficile de conclure sur la diminution du rôle disciplinaire du marché du travail. Citons pour illustrer nos propos le cas de Jean-Marie Descarpentries, Président Directeur Général du groupe Bull de 1993 à 1997, arrivé à la tête du constructeur informatique alors qu'il enregistrait des pertes record. Sous son action, le groupe Bull est redevenu bénéficiaire en 1995. En 1997, à 61 ans, Jean-Marie Descarpentries a cédé la présidence à Guy de Panafieu. Après son départ en retraite, il est resté membre du conseil d‟administration de Bull. Il était également administrateur ou membre du comité stratégique d'autres sociétés (Bolloré, Parsys…), et en 2001 était devenu le président du conseil de surveillance de Sidel52. 6.2.2.2. Influence de ce déterminant sur les voies d’intervention cognitives du marché managérial Les problèmes d'horizon ont des conséquences en matière d'incitation, mais sont également généralement associés à une modification des décisions stratégiques des dirigeants. L'ouverture à l'innovation serait moins forte chez les dirigeants plus âgés et en poste depuis plus longtemps (Pfeffer, 1983), ils seraient moins flexibles et moins créatifs dans leur prise de décision. Les dirigeants plus âgés investissent moins que les plus jeunes, ils utilisent moins l'effet de levier financier, ils ont moins tendance à s'engager dans des actions de diversification (Bertrand et Schoar, 2003). L'absence d'incitation du marché managérial conduit les dirigeants en fin de carrière à la myopie dans leur prise de décision (Lewellen et al., 1987), et ils deviennent moins adverses au risque que les jeunes. Cette thèse est partagée par Hirshleifer et Thakor (1992) : en début de carrière, les dirigeants seraient plus conservateurs, évitant les projets profitables mais risqués, par crainte de détérioration de leur réputation. La diminution de la contrainte de réputation et de la probabilité de licenciement oriente les décisions du dirigeant en fin de carrière, qui peut faire le choix d'augmenter sa consommation, en accroissant les prélèvements (rémunération, avantages en nature) ou en réalisant des investissements de prestige (Paquerot, 1996). L'âge est associé à la préférence 52 Le Gales Y., " Informatique, Bull change de président ", Le Figaro, septembre 1997. Robert V., " Informatique – A la tête du groupe informatique français depuis quatre ans, Jean-Marie Descarpentries quitte la présidence de Bull et cède son siège à Guy de Panafieu, directeur général de la Lyonnaise des Eaux ", Les Echos, septembre 1997. Brafman N., " Informatique – Jean-Marie Descarpentries quitte la présidence de Bull ", La Tribune, septembre 1997. 153 pour le statu quo, à une rigidité cognitive, à une probabilité réduite de changements stratégiques et à une exploration limitée de nouvelles alternatives (Bantel et Jackson, 1989, Miller, 1991, Wiersema et Bantel, 1992, Hambrick et al., 1993). Mais la stabilité peut aussi être recherchée par la firme, dans les industries à forte intensité capitalistique par exemple, auquel cas un candidat âgé sera mieux valorisé (Thomas et al., 1991, Datta et Rajagopalan, 1998). Les problèmes d'horizon peuvent aussi inciter à la manipulation et au développement de l'opportunisme. Les dirigeants proches de la retraite "prennent des décisions d'investissement et comptables de manière à augmenter les bénéfices (et leur rémunération basée sur ceux-ci) les dernières années de leur mandat, au détriment des revenus futurs" 53 (Murphy et Zimmerman, 1993, p. 274). Mais leur étude ne confirme la prise de telles mesures, qu'ils définissent comme l'exercice de la discrétion managériale, que pour les dirigeants proches de la retraite dans les firmes sous performantes. L'observation, chez les dirigeants en fin de carrière, de la réduction des dépenses en recherche et développement et en publicité, afin d'extérioriser de meilleurs résultats, est par contre validée dans l'étude de Dechow et Sloan (1991). La seconde voie d'intervention cognitive du marché managérial, l'apport et le développement des compétences, est également susceptible de varier avec la proximité de la retraite. D'après les travaux sur la mémoire et la cognition, la performance intellectuelle déclinerait avec l'âge (Cerella, 1990, Salthouse, 1996). Le processus de réflexion serait moins rapide chez les sujets plus âgés, la complexité moins bien appréhendée (Salthouse et al., 1996, Just et Carpenter, 1992). Les capacités se détérioreraient au cours du cycle de vie (Clark et al., 1978). Les connaissances deviendraient obsolètes du fait des changements technologiques et dans les méthodes de travail (Boes et Von Weizsaecker, 1989, Clark, 1993). D'autres auteurs défendent l'idée qu'il n'y a pas de lien entre l'âge et la performance (Waldman et Avolio, 1986). Mais les travaux que nous venons de citer portent sur les sujets en général, sans distinguer spécifiquement le cas des dirigeants. Or il est raisonnable d'envisager que compte tenu de la supériorité de leurs compétences d'une part, et du fort entraînement intellectuel qu'engendre la direction d'une entreprise d'autre part, la diminution de leurs capacités ne soit 53 Murphy K.J., Zimmerman J.L. (1993, p. 274) : (outgoing CEOs approching a known retirement) "make accounting or investment decisions to increase earnings (and earnings-based compensation) in their final years, at the expense of future earnings ". 154 pas significative. Cette suggestion a notamment été examinée indirectement par Stewman (1986), qui soulevait la possibilité que la productivité augmente chez certains individus alors qu'ils sont plus âgés parce qu'ils font face à des opportunités de promotion plus élevées et plus rapides. De même Greller et Simpson (1999) font l'hypothèse que si la performance des travailleurs âgés diminue, c'est parce que l'organisation leur offre moins de perspectives d'évolution et de formation, réduisant leur motivation et le développement de leurs compétences. De plus, d'autres auteurs considèrent positivement l'impact de l'avancement en âge. Ainsi, dans la théorie du capital humain de Becker (1964), les compétences se développent avec l'expérience, et augmentent la capacité productive. Plus le dirigeant est proche de la retraite, plus son capital humain s'enrichit. "Un répertoire fondamentalement plus riche d'histoire personnelle et d'expérience subjective influence chaque actif âgé, et se manifeste par un éventail plus large de préférences, d'identités, de jeux de compétences pour le travail" 54 (Greller et Simpson, 1999, p. 336). Certains travaux en ressources humaines, portant sur l'individu en général, concluent que la productivité des sujets proches de la retraite diminue en quantité mais augmente en qualité (Rao et Rao, 1997). Avec l'âge, les responsabilités de supervision augmentent, or elles nécessitent prioritairement cette qualité. Le plus important pour des dirigeants âgés n'est pas de produire beaucoup, mais d'être capables de stimuler de hauts niveaux de performance chez les personnes qu'ils encadrent (Greller et Simpson, 1999). L'étude de Liden et al. (1996) a validé empiriquement que des commerciaux ont des résultats supérieurs lorsqu'ils dépendent d'un dirigeant âgé que lorsqu'il s'agit d'un jeune. L'origine de la performance serait différente chez les individus proches de la retraite, d'autres aspects (expérience,…) venant compenser certaines déficiences (McEvoy et Cascio, 1989). Concernant le développement des compétences des autres parties prenantes, l'influence de ce déterminant peut être à nouveau considérée négativement. Il ressort des travaux sur la dynamique de groupe (McCain et al., 1983, Zenger et Lawrence, 1989), que la communication est meilleure lorsque les membres du groupe sont d'âge similaire. La proximité de l'âge de la retraite pourrait donc limiter les gains cognitifs nés de la confrontation des schémas cognitifs entre les individus, le dirigeant étant peut-être alors moins réceptif aux suggestions des plus jeunes. Mais cette vision ne fait pas l'objet d'un consensus. Ainsi dans l'analyse de Perry et al. (1996), les travailleurs âgés influencent 54 Greller M.M. et Simpson P. (1999, p. 336) : "An inherently richer repertoire of personal history and subjective experience shapes each old worker, manifesting a wide array of preferences, identities, and skills sets for work". 155 davantage leur équipe et servent de modèles lorsque les tâches cognitives se complexifient, leur part dans la performance est supérieure dans la difficulté. Et les dirigeants âgés délègueraient davantage (Pigé, 1993). Le sens de l'intervention de ce déterminant sur les voies cognitives du marché managérial, comme sur les voies disciplinaires, reste donc à tester et à déterminer, la littérature ne permettant pas de conclure, et apportant au contraire des éclairages opposés selon les auteurs. 6.2.3. Les réseaux ou liens relationnels La justification théorique de ce déterminant et la définition du terme "réseaux" ont été développées dans le chapitre V, paragraphe 5.2.3.. Nous avons vu que les liens relationnels contribuaient à la segmentation du marché managérial. Mais les conséquences de leur intervention méritent une analyse plus approfondie pour bien comprendre de quelle manière, au-delà de la fonction d'évaluation, les réseaux peuvent influencer l'exercice du rôle du marché managérial, tant sous la dimension disciplinaire que cognitive. 6.2.3.1. Influence de ce déterminant sur les voies d’intervention disciplinaires du marché managérial L‟intervention de ce déterminant peut se concevoir en termes de coûts disciplinaires, si l‟existence de réseaux constitue par exemple une barrière à l‟application d‟une sanction du marché managérial, ou en termes de gains, si elle facilite le transfert d‟information et conduit à une meilleure évaluation du dirigeant. La vision disciplinaire prédominante attribue aux réseaux une influence négative sur la performance de la firme, les considérant comme des vecteurs d'enracinement et un frein à la discipline exercée par le conseil d'administration (Charreaux, 2003). La solidarité entre les membres d'un réseau peut avoir des conséquences sur le levier disciplinaire que constitue la sanction. Elle est susceptible de jouer en cas de désaccord du dirigeant avec d'autres parties prenantes. Grâce aux pouvoirs et à l'aura de son réseau, un dirigeant sous performant peut ne pas être évincé, ou s'il est écarté de l'entreprise retrouver un poste équivalent sans être sanctionné par le marché du travail managérial, ses relations lui offrant des possibilités de se replacer (Charreaux, 2003). 156 Les résultats des études empiriques ne sont cependant pas convergents sur l'absence de sanction des membres des réseaux. Ainsi, pour le marché français, Nguyen-Dang (2005), qui a analysé les départs des dirigeants des plus grandes sociétés cotées entre 1994 et 2001, observait que l'appartenance à un cercle social (par exemple issu d'une certaine formation) n'empêchait pas un dirigeant d'être évincé pour mauvaise performance. Par contre, s'il faisait partie d'un réseau commun aux administrateurs de la firme, s'il existait des liens croisés (le dirigeant de la firme A était administrateur d'une firme B, dont le dirigeant était administrateur de A), il bénéficiait d'une protection contre l'éviction. Enfin, dans les deux cas, si le dirigeant était tout de même révoqué, il avait plus de facilités pour retrouver un poste de bon niveau : dans l'étude de Nguyen-Dang (2005), 28,6% des dirigeants issus de l'Inspection des Finances ayant été évincés pour mauvaise performance retrouvaient un poste plus élevé après leur sanction. Par ailleurs, les réseaux eux-mêmes peuvent être à l'origine de la sanction : "la sanction résultant d'un manquement à l'obligation morale est l'exclusion du réseau et la perte des avantages liés à son appartenance" (Paquerot, 1996, p. 142). Il est tout à fait envisageable que pour des raisons de réputation de leur réseau, les membres qui le composent assurent d‟euxmêmes un contrôle et prennent si nécessaire des mesures à l‟encontre d‟un membre inefficace ou corrompu, afin d‟éviter que la mauvaise image ne rejaillisse sur le groupe dans son ensemble. Pour garder sa crédibilité et son aura, le réseau est amené à exercer sa propre discipline. L'effet disciplinaire est alors fort, l'appartenance à un réseau se traduisant par des avantages faisant partie intégrante du capital humain du dirigeant, dont la perte constitue une diminution de sa valeur sur le marché du travail managérial. Il y aurait alors complémentarité entre le rôle joué par le réseau et celui du marché des dirigeants. Le contrôle de type clanique ou social a été mis en évidence dans les travaux d‟Ouchi (1979). Pour cet auteur, trois types de mécanismes contribuent à l'évaluation et au contrôle du travail des individus dans une organisation : les marchés, les bureaucraties et les clans, terme désignant une structure sociale informelle. "Les clans s'appuient sur un processus de socialisation relativement complet qui élimine de manière effective l'incongruité des objectifs entre les individus"55 (Ouchi, 1979, p. 833). Leur contrôle n'est pas basé sur un mécanisme explicite de prix comme pour les marchés, mais s'appuie sur une définition commune et propre au groupe de ce qui constitue le 55 Ouchi W.G., 1979, p. 833 : "Clans rely upon a relatively complete socialization process which effectively eliminates goal incongruence between individuals". 157 bon comportement. Pour Ouchi, il y a complémentarité entre les trois formes de mécanismes disciplinaires, aucune organisation ne relevant d'un système unique de contrôle. L'exercice du second levier disciplinaire du marché managérial est également susceptible d'être modifié par l'existence de réseaux. Ceux-ci influenceraient la récompense des dirigeants dans les firmes (Carroll et Teo, 1996, Burt et al., 2000, Charreaux, 2003). Les dirigeants bénéficiant de relations inter conseils se verraient confier des firmes de plus grande taille et seraient mieux rémunérés (Hallock, 1997). Un dirigeant pourrait obtenir une promotion ou une hausse de ses avantages du fait de son appartenance à un réseau et non pas seulement consécutivement à une évaluation favorable de ses compétences et de ses performances par le marché du travail. Cependant, en reprenant l'argument selon lequel les réseaux améliorent la transmission de l'information, notamment sur la valeur du dirigeant, il est probable que leur rôle vienne renforcer et améliorer la qualité de celui du marché des dirigeants, plus à même de reconnaître les dirigeants compétents et de les récompenser. L'existence et le sens du lien entre ce déterminant et le marché managérial restent à valider empiriquement. 6.2.3.2. Influence de ce déterminant sur les voies d’intervention cognitives du marché managérial L'influence des réseaux dans les approches socio stratégiques apparaît, contrairement aux conclusions de la théorie de l'agence, majoritairement positive. Dans cette vision, les réseaux sont des entités facilitant le contrôle et la domination de groupes de sociétés ou de familles, ils agissent en faveur des individus qui en font partie. Ils sont également susceptibles de "favoriser les politiques d'alliances industrielles ou de partenariat avec d'autres entreprises (stratégie d'alliance pour la recherche et développement, mise au point de standards technologiques…)" (Paquerot, 1996, p. 142). Le capital social des administrateurs favorise la mise en place de partenariats entre les entreprises, en facilitant les contacts et la négociation de ces accords (Ben Hadj M'Barek, 2006). Dans l'approche inter organisationnelle, ces liens trouvent quatre justifications: l'asymétrie, la stabilité, la réciprocité et la légitimité (Charreaux, 2003). Les liens externes des dirigeants ont une influence sur leurs choix stratégiques (Geletkanycz et Hambrick, 1997), qui se traduit positivement sur la performance de la firme. Les relations et les réseaux peuvent également favoriser la création et la détection des compétences, le développement de l'expérience et l'apprentissage. Ils facilitent l'accès à 158 l'information sur les techniques et les moyens de procéder dans d'autres firmes, qui peuvent venir enrichir le savoir faire de l'entreprise. Ils sont un moyen de diffuser les bonnes pratiques de gouvernance (Nguyen-Dang, 2005). Mais ils peuvent aussi constituer des facteurs de rigidité cognitive et accroître les risques d‟appropriation de rentes aux dépends des membres extérieurs au réseau. Conclusion et synthèse La recherche et l'analyse des facteurs susceptibles d'influencer l'exercice du rôle du marché des dirigeants ont mis en évidence la complexité d'appréhender ce mécanisme. Si la littérature nous a permis d'identifier ces déterminants, elle n'est pas suffisante à ce jour pour affirmer de manière claire quelles sont leurs conséquences sur le marché managérial, et nous n'avons pu conclure qu'en formulant des hypothèses, qui restent à valider empiriquement. La structure de propriété agirait sur le rôle du marché managérial dans le SGE : ses leviers disciplinaires seraient renforcés dans les sociétés contrôlées, sollicités dans les entreprises managériales, réduits ou plus lents dans les entités familiales. Les voies cognitives seraient également modifiées par ce déterminant, mais des arguments peuvent être avancés aussi bien dans le sens d'un renforcement de son rôle que dans celui d'une réduction, pour les trois types de structures. L'influence du second facteur identifié, le secteur d'activité, ressort plus clairement de la littérature. Elle jouerait positivement, venant renforcer le rôle du marché des dirigeants et sa contribution à la création de valeur dans la firme. En effet, en réduisant l'asymétrie d'information, l'appartenance à un même secteur d'activité faciliterait les voies d'intervention disciplinaires du mécanisme que nous étudions, la sanction et la récompense. De plus, à l'intérieur d'un même secteur, le rôle cognitif du marché des dirigeants serait plus efficient, améliorant la vision stratégique de la firme et apportant des compétences complémentaires. La stratégie de carrière externe, autre déterminant analysé, apparaît également venir renforcer le rôle du marché managérial, aussi bien sous la dimension disciplinaire que sous la dimension cognitive. Un dirigeant poursuivant un objectif réputationnel serait davantage incité à agir dans l'intérêt des actionnaires ou des parties prenantes, et à se signaler au marché managérial. 159 Enfin la proximité de la retraite, autre facteur lié au dirigeant, est généralement présentée comme une barrière à l'intervention disciplinaire du marché managérial, mais cette vision ne fait pas l'objet d'un consensus. Il est également difficile de conclure sur le sens de son influence sur les voies cognitives du marché des dirigeants. Soit le dirigeant âgé est considéré négativement, prenant moins de décisions stratégiques et disposant de compétences pouvant devenir obsolètes, soit il est appréhendé positivement, son capital humain étant plus riche et son expérience favorisant la prise de décisions stratégiques efficientes. L'incidence des différents déterminants que nous venons d'examiner reste donc à tester empiriquement. Une synthèse de l'influence attendue de ces facteurs figure ci-dessous. DETERMINANTS INFLUENCE INFLUENCE ATTENDUE SUR LES ATTENDUE SUR LES VOIES DISCIPLINAIRES VOIES COGNITIVES DU DU MARCHE MARCHE MANAGERIAL MANAGERIAL Structure de propriété ∆ selon la structure ∆ selon la structure Secteur d'activité + à l'intérieur d'un secteur + à l'intérieur d'un secteur ∆ selon le secteur ∆ selon le secteur + + + ou - + ou - + ou - + Stratégie de carrière externe Proximité âge de la retraite Réseaux - Tableau 5 : synthèse de l'influence attendue des déterminants - L'identification de déterminants et l'analyse de leur influence nous permet de compléter à nouveau notre modélisation du rôle du marché des dirigeants dans le SGE (figure 6) : 160 INTRODUCTION DES DETERMINANTS D’EFFICACITE Structure de propriété Secteur activité Intervention implicite Rôle comme mécanisme de gouvernance Marché des dirigeants Intervention explicite Réseaux relationnels voies d‟intervention disciplinaires Proximité de l‟âge de la retraite Stratégie carrière externe Variation de performance de la firme voies d‟intervention cognitives - Figure 6 : introduction des facteurs de contingence dans le modèle explicatif – Un nouveau corps d'hypothèses découle de cet enrichissement du modèle explicatif. Compte tenu des arguments théoriques développés dans le chapitre VI, nous avons prévu de tester dans la troisième partie les hypothèses suivantes : Relativement à la structure de propriété : H6a: Le rôle disciplinaire du marché des dirigeants est plus prononcé dans les firmes managériales que dans les sociétés contrôlées, et le moins significatif dans les firmes familiales. H6b: Le rôle cognitif du marché managérial est le plus significatif dans les firmes familiales, puis dans les firmes contrôlées, il est moindre dans les sociétés managériales. Au secteur d'activité : H7: L'influence du rôle exercé par le marché managérial sur la performance de la firme varie avec le secteur d'activité auquel elle appartient. A la stratégie de carrière externe du nouveau dirigeant : H8: Lorsque le dirigeant poursuit une stratégie de carrière externe, l'ensemble du rôle du marché managérial est renforcé et explique davantage la création de valeur dans la firme. 161 A la proximité de l'âge de la retraite du nouveau dirigeant : H9a: Lorsque le dirigeant est proche de la retraite, l'intervention disciplinaire du marché managérial se réduit et sa contribution à la création de valeur également. H9b: Lorsque le dirigeant est proche de la retraite, l'intervention cognitive du marché managérial contribue plus fortement à la création de valeur. A l'appui de réseaux du nouveau dirigeant : H10a: Lorsque le dirigeant bénéficie de l'appui de réseaux, le rôle disciplinaire du marché managérial est diminué. H10b: En présence de réseaux, les voies d'intervention cognitives du marché managérial contribuent plus fortement à la création de valeur dans la firme. 162 CHAPITRE VII : IMBRICATION DU MARCHE MANAGERIAL AVEC D'AUTRES MECANISMES DE GOUVERNANCE Comme nous l‟avons exposé dans les fondements théoriques, l‟approche de la gouvernance que nous avons adoptée est une vision systémique du dispositif. Analyser isolément le marché des dirigeants, sans tenir compte de son articulation conjointe à d‟autres mécanismes, nous conduirait à une conception appauvrie de son rôle, et en fausserait la compréhension. "Puisque des mécanismes de contrôle alternatifs existent, l'utilisation plus importante d'un mécanisme n'est pas forcément positivement liée à la performance de la firme. Lorsqu'un mécanisme est moins utilisé, d'autres peuvent jouer un rôle supérieur, le résultat étant une performance de même niveau. L'existence de mécanismes de contrôle alternatifs et leur possible interdépendance rend les régressions reliant l'usage d'un mécanisme isolé à la performance de la firme difficiles à interpréter" 56 (Agrawal et Knoeber, 1996, p. 378). L'importance du rôle d'un mécanisme est influencée par le niveau d'intervention des autres mécanismes opérant simultanément dans la firme (Rediker et Seth, 1995). "Les organisations doivent considérer les différents mécanismes comme des substituts ou des compléments, étant donnée l'interaction possible à l'intérieur et entre les différentes catégories de mécanismes de gouvernance"57 (Coles et al. 2001, p.25). Dans leur analyse empirique du lien entre plusieurs mécanismes et la performance de la firme, portant sur 144 entreprises américaines entre 1974 et 1988, ils parvenaient ainsi à la conclusion que par exemple la constitution du conseil d'administration et la sensibilité de la rémunération aux résultats pouvaient se substituer : les organisations ayant un conseil d'administration dominé par des internes, mais ayant mis en place un système de rémunération très incitatif à la performance, avaient des résultats (estimés par la MVA, market value added) équivalents ou supérieurs à celles ayant une majorité d'administrateurs externes. Par contre la présence majoritaire d'administrateurs internes combinée à une durée de mandat longue du dirigeant conduisait à des niveaux de performance inférieurs. 56 Agrawal A., Knoeber C.R. (1996, p. 378) : "since alternative control mechanisms exist, greater use of one mechanism need not to be positively related to firm performance. Where one specific mechanism is used less, other may be used more, resulting in equally good performance. The existence of alternative control mechanisms and their possible interdependence also make regressions relating the use of any single mechanism to firm performance difficult to interpret". 57 Coles J.W., McWilliams V.B., Sen N. (2001, p. 25) : "organizations might consider using different mechanisms as substitutes or complements, given the possible interaction both within and across different categories of governance mechanisms". 163 Les relations pouvant exister entre les mécanismes, et leurs effets, sont complexes à appréhender. Y-a-t-il alternance ou complémentarité ? S'il est plausible d'envisager que l'un puisse remplacer l'autre, pour aboutir à un résultat équivalent, il est également envisageable que leurs rôles s'ajoutent et viennent se renforcer mutuellement, permettant d'atteindre un niveau de performance de la firme plus élevé (Agrawal et Knoeber, 1996). Charreaux (1991), dans son analyse de 106 sociétés françaises cotées en 1980, concluait plutôt à des phénomènes de substitution. Mais il a aussi souligné que si de tels effets avaient été identifiés, la complémentarité était également probable et restait à étudier (Charreaux, 1997). Reprenant la définition de Milgrom et Roberts (1992), il rappelait qu'il y avait complémentarité "lorsque le renforcement de la contrainte exercée par un des mécanismes entraîne un accroissement de celle associée à un autre mécanisme" (Charreaux, 1997, p. 438). La littérature est riche sur l'interdépendance entre les mécanismes de gouvernance. Dans une vision disciplinaire, les liens les plus étudiés sont ceux pouvant exister entre un actionnariat dominant (institutionnels ou bloc), le conseil d'administration, le recours au financement par dettes et le marché des prises de contrôle. Ainsi l'analyse empirique de Jensen et al. (1992) sur 600 entreprises américaines en 1982 et 1987 a validé l'interdépendance entre l'actionnariat interne et le recours à l'endettement financier, le premier ayant une influence négative sur le second. Les auteurs justifiaient cette relation par la théorie de l'agence et les théories du signal, les deux mécanismes permettant de réduire les coûts liés à l'asymétrie d'information. Mais la complexité de ces relations explique sans doute l'absence de consensus sur leur existence, leur sens de causalité et leur incidence sur la performance de la firme. La modélisation de l'interdépendance entre le conseil d'administration et le marché des prises de contrôle, par exemple, conduisait Graziano et Luporini (2003) à conclure que le comportement du conseil d'administration était influencé par les pressions du marché des prises de contrôle. Lorsque celles-ci étaient fortes, elles pouvaient l'amener à ne pas utiliser l'information qu'il détenait sur l'inefficacité du dirigeant, et donc à choisir de ne pas le révoquer, afin de ne pas signaler son erreur, son incapacité au moment de la sélection et de la nomination. Hirshleifer et Thakor (1998), au contraire, argumentaient que le conseil d'administration était incité à révoquer plus facilement le dirigeant lorsque le marché des prises de contrôle intervenait, car il était sous la menace d'être lui-même remplacé par l'acquéreur externe. Les auteurs suggéraient une autre possibilité : concevoir les deux 164 mécanismes comme complémentaires, un marché des prises de contrôle actif conduisant à une meilleure information, résultat de l'agrégation des informations détenues, d'une part, par le conseil d'administration, d'autre part, par l'acquéreur. La probabilité de sanction d'un dirigeant inefficace est alors forte, l'un ou l'autre des mécanismes pouvant en être à l'origine. L'étude d'Agrawal et Knoeber (1996) a également validé empiriquement l‟existence d‟effets de complémentarité ou de substituabilité entre les mécanismes de gouvernance. Dans leur réflexion sur ces imbrications, ils envisageaient notamment que le marché managérial facilite l'intervention du marché des prises de contrôle : "une plus grande confiance dans le marché du travail des dirigeants signifie qu'un dirigeant appréhende moins d'être remplacé. En conséquence, il résistera probablement moins à une tentative de prise de contrôle"58 (Agrawal et Knoeber, 1996, p. 380). Cependant, si leurs résultats statistiques faisaient ressortir les interdépendances entre par exemple le marché des prises de contrôle et un actionnariat dominé par un bloc, ils aboutissaient principalement en ce qui concernait le marché du travail des dirigeants à un seul sens de causalité : il n'affectait pas ou peu les autres mécanismes étudiés, mais son rôle était réduit par la présence de blocs d'actionnaires ou d'actionnaires institutionnels, et il était au contraire renforcé en présence d'actionnaires externes actifs. La vision systémique était déjà présente dans les travaux de Fama (1980), qui suggérait même une hiérarchisation de l'intervention des différents mécanismes : dans son étude des sociétés managériales, le marché des dirigeants était présenté comme le mécanisme disciplinaire principal. Les actionnaires recherchant la diversification de leur portefeuille pour réduire le risque étaient moins impliqués dans la supervision des entreprises où ils étaient au capital. Le conseil d‟administration était vu comme une institution induite par le marché managérial, le mécanisme interne de contrôle ultime. Enfin le marché des prises de contrôle constituait la solution de dernier ressort. Une autre interdépendance avec le marché des dirigeants avait été analysée par Jensen et Meckling (1976) : celle du marché financier, leurs travaux mettant en évidence le rôle conjoint des marchés. Il apparaît cependant que l'analyse reste à compléter et à approfondir en ce qui concerne les interactions du marché des dirigeants avec les autres mécanismes. La compréhension par exemple de la fonction fondamentale d‟évaluation du marché managérial se conçoit 58 Agrawal A., Knoeber C.R. (1996, p. 380) : "greater reliance on the external managerial labor market means that a manager has less to fear from displacement. As a consequence, he is likely to resist a takeover attempt." 165 difficilement sans prendre en compte le rôle de sélection des dirigeants assuré par le conseil d‟administration. De même la complémentarité avec le marché financier, pouvant servir de base à l‟information sur la performance, élément pris en compte dans l‟évaluation, mérite une attention particulière. Nous allons donc examiner pour chacune des voies d‟intervention que nous avons identifiées aux chapitres II, III et IV, quels principaux mécanismes sont susceptibles d‟interagir avec le marché des dirigeants. Nous chercherons à comprendre la nature des liens qui peuvent exister entre eux, et nous nous concentrerons sur le sens de causalité qui nous intéresse directement pour notre modélisation : comment et dans quelle mesure le rôle du marché managérial peut-il être modifié par celui joué par les autres mécanismes ? 7.1. Interdépendance avec la fonction d'évaluation du marché des dirigeants Deux mécanismes principalement apparaissent jouer un rôle dans l'évaluation des dirigeants, et ainsi interférer avec celui du marché managérial : le conseil d'administration et le marché financier. Un autre serait susceptible d'en faire varier l'intensité : le marché des prises de contrôle. 7.1.1. Le conseil d'administration Le conseil d'administration joue de manière évidente un rôle très imbriqué avec celui du marché managérial dans la fonction d'évaluation du dirigeant. Un des rôles principaux des administrateurs est de décider le changement de dirigeant et de choisir un successeur. Ils peuvent s‟appuyer sur l‟information et l‟évaluation fournies par le marché managérial pour effectuer leur sélection. Ce sont généralement eux qui ont en charge de définir le profil du poste et du candidat souhaité pour ce poste. Comme nous l'avons développé au chapitre II, paragraphe 2.1.3., l'adéquation des qualités et compétences du candidat aux besoins exprimés par la firme est une des trois grandes familles de critères de sélection d'un dirigeant (Vancil, 1987, Castanias et Helfat, 1991, Finkelstein et Hambrick, 1996, Khurana, 2003). Dans ce schéma, une complémentarité potentielle entre les deux mécanismes se dessine : l‟efficacité du rôle du conseil d‟administration, sa capacité à bien définir le profil de dirigeant nécessaire à la firme, et la qualité de l‟évaluation du capital humain du dirigeant par le marché managérial contribueraient conjointement à l'efficience de la sélection. 166 L‟expérience des administrateurs en matière de recrutement des dirigeants serait un facteur de réussite de la sélection (Parise, 2007). S‟ils ont eu à décider un changement de dirigeant dans leur entreprise, ou dans un autre conseil d‟administration, ils sont mieux à même d‟analyser le profil du candidat, de définir les besoins de la firme et l‟alignement de ces deux composantes. Le conseil d‟administration doit être capable de comprendre les challenges stratégiques auxquels le dirigeant devra faire face, de même qu‟évaluer la direction future que devrait prendre l‟entreprise. C‟est lui qui va définir les dimensions du poste et par là le profil requis pour le futur dirigeant. Le candidat le plus proche de cette attente sera alors recruté, en s'appuyant sur l‟information fournie par le marché managérial et la compétition qu'il a organisée. L'influence des caractéristiques des administrateurs sur le choix d'un nouveau dirigeant aurait également une autre conséquence : pour Zajac et Westphal (1996), les administrateurs favoriseraient les candidats ayant un profil proche du leur, l'attraction vers des personnes semblables faisant partie des forces sociales et psychologiques fondamentales. Cette interférence avec l'évaluation du dirigeant effectuée par le marché managérial peut être interprétée négativement, si elle se substitue à elle et aboutit à des conclusions opposées, ou, au contraire, positivement si, en apportant une meilleure connaissance du candidat, elle permet de réduire l'asymétrie d'information et d'améliorer l'évaluation. En outre, les similitudes entre le nouveau dirigeant et certains administrateurs peuvent faciliter la communication entre eux, limiter les conflits et faciliter l'intégration du nouveau venu (O'Reilly et al., 1989). 7.1.2. Le marché financier Parmi les différentes fonctions habituellement attribuées au marché boursier, deux nous intéressent plus particulièrement : d‟une part il permet l‟échange d‟actions de la société, c‟està-dire le droit de contrôler l‟entreprise, d‟autre part il assure l‟évaluation de la valeur de la firme pour les actionnaires. De ce fait il fournit également une évaluation de la performance des dirigeants : "l'évaluation par le marché des actions reflète la valeur des décisions managériales" (Charreaux, 1995, p. 140). Pour Fama (1980), la performance enregistrée par les entreprises où le dirigeant a exercé précédemment constitue un mode d'évaluation de la valeur du capital humain du dirigeant. Dans de nombreuses études, l‟hypothèse est faite que le 167 capital managérial est indirectement évalué par le marché financier. Lorsqu‟une société est cotée, l‟évolution du cours de bourse est en effet souvent une manière d‟estimer les performances. Ang et al. (2003) ont validé l'existence de la relation inverse : le marché managérial influencerait également le marché financier. Les investisseurs acquièrent de l‟information du marché des dirigeants et réagissent rationnellement à cette annonce. Ainsi le recrutement d‟un dirigeant mieux payé, ce qui suppose des compétences supérieures, engendrera une hausse des cours, les investisseurs anticipant une hausse à venir de la performance de la firme. L'imbrication de ces deux mécanismes apparaît donc relever de la complémentarité, plutôt que de la substitution. L'information relative à la performance transmise par le marché financier est fréquemment une composante de l'évaluation du dirigeant effectuée par le marché managérial. Elle est supposée en améliorer l'efficience, en levant une partie de l'asymétrie d'information sur les capacités du dirigeant. 7.1.3. Le marché des prises de contrôle Il est susceptible d'intervenir sous deux formes. La première serait de réduire l'asymétrie d'information portant sur les compétences et la performance du dirigeant. L'acquéreur est souvent mieux informé des conditions du secteur et mieux à même de juger la pertinence de la politique suivie par la firme que les administrateurs (Jensen et Ruback, 1983, Hirshleifer et Thakor, 1998), ce qui devrait participer à améliorer la qualité de l'évaluation du dirigeant. La seconde serait d'augmenter la volonté de recourir au marché managérial pour recruter un nouveau dirigeant (Jensen et Ruback, 1983, Jensen, 1988). 7.2. Interaction des mécanismes relativement à la sanction Le marché des dirigeants, comme nous l'avons développé au chapitre III, paragraphe 3.1.1., peut intervenir dans la sanction d'un dirigeant, soit en favorisant la décision de l'évincer car il offre des candidats de qualité supérieure, soit en empêchant le dirigeant révoqué de retrouver des conditions de travail équivalentes. "L'efficacité partielle du contrôle par le marché du travail justifie l'intervention de mécanismes complémentaires, principalement le conseil d'administration et les prises de 168 contrôle" (Charreaux, 1995, p. 143). La sanction d'un dirigeant sous la forme de sa révocation peut être décidée par le conseil d'administration, ou être provoquée par un actionnaire dominant ou le marché des prises de contrôle. De même les créanciers prêteurs peuvent exercer des pressions pour que le dirigeant soit révoqué (Shleifer et Vishny, 1997). Lorsque le conseil d'administration est défaillant, l'un de ces mécanismes peut se substituer et provoquer le départ du dirigeant (Hirshleifer et Thakor, 1998). Ces quatre mécanismes sont alors susceptibles de jouer un rôle en interdépendance avec celui du marché managérial. Nous allons chercher à comprendre de quelle manière. 7.2.1. Le conseil d'administration Le conseil d‟administration est l‟organe élu par les actionnaires pour exercer le contrôle des dirigeants (Alchian et Demsetz, 1972). C'est "l'instance qui contrôle, d'une manière formelle, l'organisation" (Mintzberg, 2003, p. 109). Il est composé de différents membres officiellement désignés pour y siéger, qui peuvent être internes ou externes à l'organisation. Comme le souligne Mintzberg, la loi ne prévoit pas de conditions requises pour être administrateur, ce qui l'amène à conclure qu'être membre du conseil d'administration est "une question d'influence et de négociation" (Mintzberg, 2003, p. 119). Il relève de la responsabilité du conseil d'administration de s'assurer que les dirigeants agissent dans l'intérêt des actionnaires (Fama, 1980, Fama et Jensen, 1983), ou, dans une perspective partenariale, dans celui de l'ensemble des parties prenantes. Le rôle principal du conseil d'administration consiste à surveiller l'équipe de direction et à la remplacer si nécessaire (Shleifer et Vishny, 1989). Dans l‟analyse disciplinaire, il s‟agit souvent d‟un contrôle a posteriori, les fonctions de décision incombant aux dirigeants. Le conseil d‟administration dispose de deux leviers principaux pour assurer son rôle disciplinaire : agir sur le système de rémunération des dirigeants et les révoquer (Godard, 1996). Une de ses fonctions est d'exercer un contrôle direct pendant les périodes de crise, principalement en décidant de changer un dirigeant dont les performances ou la direction ne sont pas celles attendues (Mace, 1971, Mintzberg, 2003). En France, deux tiers des conseils d'administration avaient la capacité réelle de révoquer le dirigeant dans l'étude de Charreaux et Pitol-Belin (1989), cette proportion s'élevant à 87% dans le cas des sociétés managériales, et chutant à 65% dans les sociétés contrôlées et 49% pour les sociétés familiales. 169 Le lien entre le rôle disciplinaire du changement de dirigeant et les caractéristiques du conseil d‟administration fait l'objet d'une littérature abondante, mais qui n'aboutit pas à des conclusions convergentes. Pour les États-Unis, l‟influence de la composition du conseil d'administration a, par exemple, été mise en évidence dans les travaux de Weisbach (1988) : les dirigeants peu performants étaient plus fréquemment évincés lorsque le conseil d‟administration était dominé par des externes. Dans l'étude d'Agrawal et Knoeber (1996) au contraire, il ressortait que le taux de rotation des dirigeants n‟était pas corrélé à la composition du conseil d'administration. De même Baysinger et Hoskinsson (1990) concluaient que les administrateurs externes n'assuraient pas forcément un meilleur contrôle des dirigeants. Renneboog et Trojanowki (2003) trouvaient un résultat intermédiaire dans leur étude portant sur 250 firmes anglaises cotées entre 1988 et 1993 : les conseils d'administration de plus grande taille, ou ayant une proportion élevée d‟administrateurs non cadres de l‟entreprise, changaient plus fréquemment de dirigeant, mais la proportion d‟externes n‟était pas corrélée significativement au taux de rotation. Pour la France, les travaux de Godard (1996) ont fait ressortir que "les contrôles exercés par les administrateurs externes et les administrateurs cumulant plus de cinq mandats n'influent pas de façon significative sur la performance des entreprises" (p. 436). Denis et Denis (1995) validaient également l'interdépendance des mécanismes, plutôt dans le sens d'une complémentarité que d'une substitution. Les auteurs analysaient le levier de la sanction relativement au conseil d‟administration, dont le rôle est de démettre les dirigeants inefficaces et d‟être à même d‟identifier et d‟attirer des successeurs de qualité supérieure. Les résultats de leur étude les ont conduits à confirmer l‟intervention du conseil d‟administration (surveillance et contrôle), mais conjointement à d‟autres mécanismes pour 56% des firmes étudiées : prises de contrôle, bloc d‟actionnaires dominant, créanciers, … Dans 70% des cas de départs forcés, une activité de prise de contrôle était recensée l‟année précédant le changement de dirigeant ou dans les deux années qui suivaient. A aucun moment le marché managérial n‟est évoqué explicitement, bien que le phénomène de sanction puisse lui être affecté, et la possibilité de trouver des successeurs plus compétents n‟est pas analysée. La complémentarité potentielle entre ces deux mécanismes semble d'autant plus évidente que le rôle du marché des dirigeants ne peut s'exercer que si le conseil d'administration prend la décision d‟évincer un dirigeant inefficace. Si ce n'est pas le cas, par exemple parce qu‟il a noué des relations amicales avec lui, le marché managérial ne participera pas à sa sanction, ou 170 tardivement lorsque le dirigeant finira par quitter l'entreprise, en l‟empêchant de retrouver un poste équivalent. L'efficience du marché des dirigeants serait alors liée à celle du conseil d'administration, cette dernière étant généralement considérée comme fonction de sa composition, même si les résultats des études empiriques ne font pas l'objet d'un consensus. 7.2.2. Le marché des prises de contrôle La menace d‟éviction apparaît également dans la littérature comme un levier disciplinaire du marché des prises de contrôle. La probabilité d'une prise de contrôle augmente chez les entreprises insuffisamment rentables ou en pertes (Alchian et Demsetz, 1972). Ce mécanisme peut se substituer au conseil d'administration dans son rôle de sanction, en évinçant un dirigeant inefficient que les administrateurs n'ont pas démis de ses fonctions malgré des signaux internes de sous performance, ou jouer un rôle complémentaire, en incitant les administrateurs à révoquer le dirigeant, pour ne pas être considérés comme laxistes par l'acquéreur potentiel (Hirshleifer et Thakor, 1998). L'estimation qu'une nouvelle équipe dirigeante puisse avoir des performances supérieures est souvent une des motivations de l'acquéreur, qui dès l'opération réalisée, révoque le dirigeant en place. Le marché des dirigeants complète le marché des prises de contrôle dans le dispositif disciplinaire des dirigeants (Pérez, 2003). Très peu de prises de contrôle sont hostiles, mais qu'elles soient amicales ou non, elles constituent une menace de perte de fonction pour les dirigeants : "les prises de contrôle s'effectuent généralement parce qu'un changement technologique ou une évolution des conditions de marché nécessitent une restructuration importante des actifs de la société, et que celle-ci est plus facile à mettre en place par une nouvelle équipe dirigeante, avec une vue neuve de l'activité et sans liens avec les employés ou les communautés" 59 (Jensen, 1988, p. 23). Lorsque la stratégie du dirigeant n'est plus adaptée compte tenu des évolutions de l'environnement, le marché des prises de contrôle est souvent un déclencheur de son départ. La sanction est plus généralement décidée lorsque le dirigeant a obtenu de mauvaises performances. Pour Walsh et Seward (1990), le marché des prises de contrôle jouerait un rôle de complémentarité avec celui de sanction du marché des dirigeants. Dans la plupart des cas, 59 Jensen M.C. (1988, p. 23) : "Takeovers generally occur because changing technology or market conditions require a major restructuring of corporate assets, and it is easier for new top-level managers with a fresh view of the business and no ties with current employees or communities (…)". 171 la prise de contrôle d‟une société engendre le remplacement des dirigeants non performants (Agrawal et Knoeber, 1996). L'éviction des dirigeants non performants est plus fréquente sous la pression du marché des prises de contrôle, que celles-ci soient amicales ou hostiles (Martin et McConnell, 1991). Dans leur étude portant sur 253 offres publiques aux États-Unis entre 1958 et 1984, 41,9% des dirigeants étaient remerciés dans l'année suivant l'offre. Pour la plupart, la firme qu'ils géraient extériorisait avant la prise de contrôle une performance boursière inférieure à celle de la moyenne du secteur. De même Jensen (1988) estimait que 50% des dirigeants de la société cible étaient remplacés dans les trois ans suivants la prise de contrôle. L'obligation de quitter la firme n'est pas la seule façon de sanctionner : les dirigeants, consécutivement à une prise de contrôle, peuvent se voir imposer des coûts personnels, comme des mutations internes, la perte de pouvoir et de prestige… (Jensen, 1988). Les départs forcés sont souvent liés au rôle disciplinaire du marché des prises de contrôle (Denis et Denis, 1995). Les dirigeants quittent à un taux supérieur à la normale une entreprise ayant été rachetée dans les neuf ans. Ce taux est plus élevé s‟il s‟agit d‟un rachat par un groupe international (Krug, 2003). Parmi les hypothèses proposées par Walsh et Seward (1990) sur l‟origine des gains liés aux prises de contrôle, figure l‟élimination de dirigeants inefficaces. Citons enfin Fama et Jensen (1983), qui considèrent qu‟une des motivations majeures des prises de contrôle consiste à reprendre des entreprises mal gérées et à chercher à dégager des plus values par une meilleure gestion, permise notamment par le remplacement des dirigeants en place par une équipe plus efficace. Cette thèse se retrouve également dans les travaux de Jensen et Ruback (1983), pour qui le changement de dirigeants, dont l'incompétence ou l'opportunisme sont jugés trop coûteux, permet d'améliorer les résultats lorsque la firme possède un potentiel de croissance, non valorisé par l'équipe en place. Le marché des prises de contrôle engendrant des coûts élevés, il est plutôt considéré comme un mécanisme de dernier recours pour discipliner les dirigeants, n'intervenant que dans les cas d'échecs majeurs de performance (Charreaux, 1995, Shleifer et Vishny, 1997), ou comme un moyen imparfait de corriger les erreurs managériales (Hirshleifer et Thakor, 1998). Cette vision du rôle disciplinaire du marché des prises de contrôle appelle cependant plusieurs réflexions. Tout d'abord, l'activité de ce marché n'est pas constante dans le temps et varie d'un pays à l'autre. Par exemple en France, les prises de contrôle ou les offres hostiles sont peu fréquentes. Elles ne seraient que onze sur la période 1981 à 1991 selon l‟étude de Schatt (1995). Ensuite, la motivation d'une prise de contrôle n‟est pas forcément de sanctionner une mauvaise gestion, elle peut avoir pour cible une société performante mais 172 constituant un concurrent que l'acquéreur souhaite neutraliser, ou encore une entreprise recherchée pour sa rentabilité. La perte de mandat des dirigeants consécutive à une prise de contrôle peut traduire une sanction due à une performance jugée insuffisante, mais aussi être simplement la conséquence d‟une opération de restructuration traduisant une meilleure utilisation des ressources existantes. En conclusion, la relation attendue entre le rôle exercé par le marché des prises de contrôle et celui assuré par le marché des dirigeants, relativement au levier de la sanction, semble relever de la complémentarité, plutôt que de la substitution, comme pour le conseil d'administration. En effet si le marché managérial est susceptible d'intervenir en amont, en facilitant la décision de remplacer le dirigeant par son offre de candidats attractifs, et en aval en empêchant le dirigeant sanctionner de retrouver un poste équivalent, il exercera son rôle de manière explicite si le nouvel acquéreur décide de révoquer l'actuel dirigeant pour ses performances insuffisantes, ou jugées inférieures à celles réalisables par des concurrents potentiels sur le marché du travail. 7.2.3. La présence d'un actionnaire dominant La définition d'actionnaire dominant varie d'une étude à une autre, la limite la plus fréquemment utilisée étant la détention d'au moins 10% du capital et des droits de contrôle. Aux États-Unis, l'actionnariat concentré n'est pas la forme la plus développée, mais il existe cependant des firmes détenues majoritairement par une famille ou un investisseur de grande taille (Shleifer et Vishny, 1997). Les auteurs soulignent également qu'il est fréquent dans d'autres pays : en Allemagne, les banques sont souvent largement présentes au capital des grandes sociétés, et les petites et moyennes entreprises sont majoritairement sous contrôle familial ; au Japon, les banques sont également fréquemment des actionnaires importants dans les firmes. Plus la structure de propriété est dispersée, plus les coûts d'agence sont élevés (Jensen et Meckling, 1976). A contrario, l'existence d'un actionnaire dominant serait source de réduction de ces coûts. Il est incité à s'informer sur le comportement du dirigeant et à le surveiller, il dispose en outre de droits de vote suffisants pour pouvoir influencer ses décisions s'il le souhaite (Shleifer et Vishny, 1997). Les problèmes d'agence sont réduits car les actionnaires dominants ont "à la fois un intérêt général dans la maximisation du profit, et suffisamment de 173 pouvoir de contrôle sur les actifs de la firme pour voir leurs intérêts respectés"60 (Shleifer et Vishny, 1997, p. 754). La surveillance et le contrôle exercés par les blocs d'actionnaires sont créateurs de valeur dans la firme (Demsetz et Lehn, 1985, Zeckhauser et Pound, 1990). En cas de mauvaise performance, le dirigeant a un risque plus élevé d'être révoqué lorsqu'il y a un actionnaire dominant (Kaplan et Minton, 1994, étude du cas japonais, Denis et Serrano, 1996, analyse du marché américain). Lorsque la part de capital détenue par le principal actionnaire est élevée, c'est lui qui détient le pouvoir de révoquer le dirigeant ; les possibilités de contrôle, et notamment de sanction, par le conseil d'administration sont alors réduites au profit de l'actionnaire dominant (Charreaux, Pitol-Belin, 1989). La présence d'un actionnaire dominant serait alors un catalyseur pour l'intervention du marché managérial, provoquant la décision de forcer le départ du dirigeant, accélérant ainsi l'éventualité d'un recours au marché du travail pour recruter son successeur, et offrant au marché des dirigeants la possibilité de sanctionner le dirigeant sortant en l'empêchant de se replacer dans des conditions équivalentes. Les rôles des deux mécanismes apparaissent comme complémentaires. 7.2.4. Les créanciers prêteurs Les liens étroits qui existent fréquemment entre la firme et ses principaux banquiers leur donnent la possibilité d‟accéder à des sources internes d‟information et aux processus décisionnels, renseignements qui ne sont pas disponibles sur le marché financier ou à un coût élevé. Les banques, en participant à la surveillance des dirigeants, représentent un moyen d‟économiser des coûts de contrôle, l‟accès à l‟information étant moins coûteux. Le plus fréquemment, les prêteurs financiers contrôlent la politique d‟investissement et de financement de l‟entreprise. Ils peuvent augmenter leur capacité de contrôle en prenant une part au capital ou encore en obtenant un siège d‟administrateur. Les organismes financiers, prêteurs de capitaux, assument généralement une fonction de contrôle car ils veulent éviter que les dirigeants utilisent les fonds pour financer des activités plus risquées, ce qui les conduirait à assumer une part de risque supérieure à celle prévue initialement. Ils peuvent demander des garanties, et exiger un droit de regard sur l‟entreprise. 60 Shleifer A., Vishny R.W. (1997, p. 754) : "they both have a general interest in profit maximization, and enough control over the assets of the firm to have their interests respected". 174 N‟appartenant pas à la catégorie des créanciers super privilégiés, en cas de défaillance ils récupèrent rarement l‟intégralité des fonds prêtés, et sont donc fortement incités à limiter l‟espace discrétionnaire du dirigeant par différents moyens, tels que des clauses contractuelles spécifiques. Comme les actionnaires, les créanciers prêteurs peuvent susciter des réorganisations dans l'entreprise et inciter le conseil d'administration à changer de dirigeant (Shleifer et Vishny, 1997). Lorsque les dettes ne sont plus remboursées par l'entreprise, ils ont le pouvoir de provoquer son dépôt de bilan, entraînant quasi systématiquement la révocation du dirigeant (Gilson, 1990). Comme le marché des prises de contrôle, leur rôle de sanction est souvent une intervention de dernier recours, leur discipline s'exerçant lorsque l'entreprise connaît déjà une situation financière critique (Harris et Raviv, 1990). Les auteurs soulignent qu'inversement la capacité d'une firme à honorer ses engagements, c'est-à-dire à rembourser les crédits qui lui ont été octroyés, est également une source d'information pour l'extérieur. Si les actionnaires ne sont pas certains de la qualité du management et de ses décisions, le recours à la dette permet de générer de l'information complémentaire. Dans une modélisation des interactions à l'intérieur du SGE, les créanciers prêteurs apparaissent donc comme un mécanisme pouvant agir en complémentarité du marché des dirigeants. D'une part, ils peuvent être un moteur additionnel dans la décision de révocation. D'autre part, le signal qu'ils transmettent alors à l'extérieur est susceptible de constituer une source d'information pour le marché du travail managérial, l'incitant à empêcher ce dirigeant de retrouver des fonctions équivalentes dans une autre entreprise, sa réputation étant entachée par les difficultés financières rencontrées et l'échec pour trouver un compromis avec les créanciers. 7.2.5. Le marché des biens et services Le marché des biens et services est considéré comme un mécanisme spontané de discipline des dirigeants. Il est supposé jouer un rôle disciplinaire dans le système de gouvernance, à travers la compétition qu'il engendre entre les firmes. Le lien entre la compétition et la performance a été mis en évidence par plusieurs auteurs (Nickell, 1996, Berger et Hannan, 1998). Dans le modèle de Leibenstein (1966), les firmes monopolistiques sont moins poussées à utiliser de manière efficiente leurs inputs que les firmes en situation de concurrence. 175 La compétition que se livrent les entreprises entre elles pour offrir aux consommateurs les produits qu‟ils attendent avec le meilleur rapport qualité-prix possible peut constituer un frein à la liberté d‟action des dirigeants. Le marché des biens et services réduirait le slack managérial (Leibenstein, 1966, Machlup, 1967). En effet, les avantages que ces derniers souhaiteraient s‟octroyer ayant une incidence sur les prix de vente, toute déviation dans le comportement des dirigeants entraînerait une baisse de la compétitivité de l‟entreprise. Mais la littérature soulève aussi les effets ambigus d'une hausse de la concurrence sur l'incitation des dirigeants, ceux-ci pouvant être découragés par les difficultés rencontrées et le retour sur investissement. Le marché des biens et services interviendrait également sur le taux de rotation des dirigeants. Fee et Hadlock (2000) ont confirmé un lien positif entre celui-ci et le niveau de compétitivité auquel la firme est confrontée, dans leur étude du secteur de la presse aux ÉtatsUnis entre 1950 et 1993. Ils ont proposé trois explications à cette relation. La première tient au fait que lorsque la concurrence est élevée, l'importance du dirigeant dans la performance se réduit. Mais les auteurs pensent plutôt que les capacités et les efforts des dirigeants ont au contraire plus d'effet dans les firmes appartenant à un secteur très concurrentiel. La seconde consiste en une amélioration de la qualité de l'information pour évaluer les dirigeants dans les secteurs concurrentiels. La troisième attribue la fréquence plus élevée des changements dans les secteurs où la compétition est forte à la propension des dirigeants à rechercher un autre poste car le leur présente un risque trop élevé. Les auteurs n'ont validé que la dernière justification. Le marché des biens et services serait alors un catalyseur pour le marché managérial, en augmentant la fréquence des changements et le recours au marché du travail. Un autre argument en faveur de la complémentarité entre les deux mécanismes est constitué par l'existence d'un lien entre le niveau de compétition des firmes et la possibilité de disposer d'une évaluation de performance relative pour estimer les capacités de leurs dirigeants. Cette relation a été mise en avant dans les travaux de Lazear et Rosen (1981) et Holmström (1982). Une meilleure connaissance de la valeur des dirigeants permettrait aussi de mettre en évidence plus rapidement leur sous-performance, d'où un taux de rotation plus élevé dans les secteurs concurrentiels. La menace de la sanction est plus forte dans ces secteurs car les écarts sont détectés plus rapidement, mais aussi car ils peuvent conduire à la liquidation de l'entreprise si des mesures ne sont pas prises (Schmidt, 1997). C'est donc également un mécanisme curatif. Si le marché des dirigeants n‟a pas sanctionné les déficiences, le marché des biens et services 176 le fera, avec des conséquences plus sévères : dépôt de bilan, redressement judiciaire…, et généralement révocation du dirigeant. Le marché des biens et services entraîne une hausse des coûts des erreurs stratégiques : les décisions de succession doivent de plus en plus être guidées par les motivations de l‟entreprise en terme de besoins stratégiques futurs (Gupta, 1992). Mais le lien entre la variation de la sensibilité du taux de rotation des dirigeants à la performance et le niveau de concurrence ne fait pas l'objet d'un consensus : Fee et Hadlock (2000) par exemple ne trouvaient pas de preuve de cette relation. Le risque de sanction par le marché des biens et services semble donc augmenter le recours au marché des dirigeants et pouvoir renforcer son rôle dans le système de gouvernance des entreprises. L'interaction entre les deux mécanismes apparaît relever de la complémentarité. 7.3. Interdépendance des mécanismes sur la récompense des dirigeants performants Trois des mécanismes étudiés pour leur rôle dans la sanction peuvent être également à l'origine de la décision de la nomination ou de la récompense d'un nouveau dirigeant : le conseil d'administration, un actionnaire dominant ou le marché des prises de contrôle. Nous allons étudier comment ils sont susceptibles d'interférer avec la seconde voie d'intervention disciplinaire du marché managérial, la récompense des dirigeants compétents. La littérature est moins riche sur ce levier, nous essayons d'en déduire cependant quelles peuvent être les conséquences de l'action de ces mécanismes sur le rôle du marché des dirigeants. 7.3.1. Avec le conseil d'administration Le conseil d'administration joue un rôle prépondérant dans la nomination du dirigeant. C'est une de ses fonctions principales, qu'il délègue rarement, sauf parfois à un de ses membres, par exemple le dirigeant sortant (Mintzberg, 2003). En France, dans les sociétés managériales, il apparaissait comme un élément clé de sa promotion dans 88% des cas, par contre son intervention était réduite au sein des sociétés familiales : 54%, et contrôlées : 49% (Charreaux et Pitol-Belin, 1989). Il participe de ce fait activement à la récompense des dirigeants compétents. Le marché du travail managérial véhicule une information d'une part sur les qualités du dirigeant, transmettant des signaux quant à ses compétences managériales et ses performances dans ses postes précédents, d'autre part sur l'existence et les capacités d'autres candidats éventuels. Mais le pouvoir de décision est entre les mains du conseil 177 d'administration, qui peut soit avoir recours au marché des dirigeants, soit choisir un autre vecteur pour recruter le nouveau dirigeant, par exemple se contenter des recommandations de son prédécesseur, ou encore pressentir un candidat de ses relations, sans le mettre en concurrence. Le conseil d'administration dispose d'un second moyen pour récompenser un dirigeant : lui attribuer une rémunération plus élevée. C'est un autre levier qu'il peut utiliser pour discipliner les dirigeants. Là encore les deux mécanismes peuvent être envisagés comme complémentaires. Le marché managérial, fournisseur d‟information, offre au conseil d'administration la possibilité de connaître des niveaux de salaires de référence, de comparer son offre à celles émises par les autres entreprises. Compte tenu de la compétition entre les firmes pour attirer le meilleur dirigeant, la confrontation de l‟offre et de la demande sur le marché du travail contribue à la détermination de la rémunération proposée au dirigeant. Le salaire du dirigeant est fonction du niveau de responsabilité assumé, mais aussi des niveaux de rémunération sur le marché du travail (Milkovich et Newman, 1987). Mais il est fixé au final par le conseil d'administration. Les actions des deux mécanismes apparaissent alors contribuer conjointement à la récompense d'un dirigeant compétent, et, de ce fait, sont réciproquement nécessaires pour inciter le dirigeant à être performant et à agir dans l'intérêt des actionnaires ou des parties prenantes. 7.3.2. La présence d'un actionnaire dominant La présence de blocs d‟actionnaires externes actifs constituerait une pression pour s‟appuyer davantage sur le marché managérial pour évaluer les dirigeants. Elle accélèrerait et faciliterait la récompense des dirigeants performants en offrant une promotion à des candidats externes, de la même manière qu'elle favorisait la sanction et le départ des dirigeants inefficaces en place. Dans leur analyse portant sur 400 grandes entreprises américaines de Forbes en 1987, Agrawal et Knoeber (1996) recherchaient la preuve d'interdépendances entre un actionnariat important interne, l'existence de blocs d'actionnaires, l'actionnariat institutionnel, la présence d'externes au conseil d'administration, l'utilisation de dettes financières, le marché des prises de contrôle, et, ce qui nous concerne plus particulièrement, le recours au marché du travail des dirigeants. Celui-ci était opérationnalisé comme étant l'inverse du capital humain spécifique à la firme, mesuré par la durée depuis laquelle le dirigeant était à la tête de la firme. Les auteurs parvenaient à la conclusion que le rôle du 178 marché managérial était réduit par la présence de blocs d'actionnaires ou d'actionnaires institutionnels, mais qu'il était au contraire renforcé en présence d'actionnaires externes actifs : ceux-ci "créent une pression pour s'appuyer davantage sur le marché du travail pour évaluer les dirigeants"61 (Agrawal et Knoeber, 1996, p. 389). Grossman et Hart (1980) ont mis en évidence qu'un externe sera incité à s'impliquer dans la surveillance du dirigeant et la bonne marche de la firme s'il devient actionnaire de la société, la détention d'actions le récompensant de manière proportionnelle à la création de valeur additionnelle consécutive à son action. Shleifer et Vishny (1986) ont poursuivi leur analyse en s'intéressant aux actionnaires importants déjà en place, et leur capacité à susciter des changements augmentant la valeur de la firme. Pour améliorer la stratégie opérationnelle de l'entreprise, ils seraient fréquemment des moteurs dans la décision de remplacer le dirigeant, et permettre ainsi à un candidat, jugé plus compétent, de prendre sa place, en s'appuyant notamment sur le marché des prises de contrôle. Comme Grossman et Hart, Shleifer et Vishny cherchent à montrer que plus un actionnaire détient de parts de la société, plus il est incité à s'impliquer, le bénéfice qu'il en obtiendra étant supérieur aux coûts de contrôle engendrés. L'importance de ses actions, par exemple parvenir à faire changer le dirigeant, serait fonction des profits espérés. Il serait particulièrement vigilant sur le choix du remplaçant, recruté pour sa capacité à générer des rentes supplémentaires. Pour Shleifer et Vishny, sa taille lui donne accès à des informations et des techniques de surveillance permettant une meilleure vision des potentialités d'amélioration de la firme. Un actionnaire dominant peut jouer un rôle dans la récompense des dirigeants en motivant l'arrivée d'une nouvelle équipe jugée pouvant être plus performante que la précédente, mais également, sans changement de dirigeant, en contribuant à augmenter la rémunération du dirigeant en place. Comme le soulignent Shleifer et Vishny (1986), l'achat important de parts de la société par un actionnaire contribue à l'augmentation de la valeur de la firme et des profits espérés de celle-ci. Une majorité de dirigeants étant intéressée financièrement aux résultats de l'entreprise, ceux qui ont été conservés à la tête de la société car ils ont été évalués comme étant compétents et d'un profil adapté aux besoins de la firme, se retrouvent mécaniquement récompensés. Un autre argument vient des travaux d'André et Schiehll (2004), qui, à partir de leur étude de 178 sociétés canadiennes cotées à Toronto, sur la période 61 Agrawal A., Knoeber C.R. (1996, p. 389) : "active outside shareholders create pressure to rely more on the labor market to evaluate managers". 179 1997-1999, ont validé empiriquement le lien entre la présence d'un actionnaire dominant et la structure de rémunération des dirigeants, constatée beaucoup plus incitative. Les perspectives d'augmentation de salaire, sous réserve de performance, seraient ainsi plus élevées en cas d'actionnariat dominant, et favoriseraient la récompense des dirigeants compétents. La présence d'un actionnaire important apparaît donc comme jouant un rôle dans la récompense des dirigeants. Il ressort de la littérature qu'elle est généralement conjointe au recours au marché managérial, ce qui semble traduire une complémentarité des deux mécanismes, le marché des dirigeants bénéficiant de son action, par une hausse de la fréquence des changements, par les apports de son implication dans une bonne définition du profil du candidat, du poste et des potentialités de développement de la firme et enfin par son influence sur la structure de rémunération, le caractère incitatif étant privilégié. 7.3.3. Le marché des prises de contrôle Pour Jensen (1988), le marché des prises de contrôle serait un composant essentiel du marché du travail des dirigeants : "les autres équipes dirigeantes qui identifient une opportunité pour réorganiser ou redéployer les actifs d'une organisation et ainsi créer de la valeur peuvent postuler pour obtenir les droits de contrôle via le marché des prises de contrôle"62 (Jensen, 1988, p. 28). Il faciliterait et animerait la compétition entre les équipes dirigeantes pour obtenir le droit de gérer les ressources de la firme (Jensen et Ruback, 1983), et de ce fait jouerait un rôle important dans la récompense des dirigeants performants, en complémentarité de celui assuré par le marché managérial. Le marché des prises de contrôle est susceptible de jouer un rôle dans la récompense des dirigeants de la société qui absorbe comme de celle qui fait l'objet de la reprise. Dans l'analyse de Caves (1989), une société cible a intérêt à ce que les repreneurs soient le plus nombreux possible et qu'ils soient mis en compétition, afin de faire augmenter le prix de l'offre et de ce fait le surplus dont bénéficieront les actionnaires. Jensen et Ruback (1983) concluent que les acquisitions sont sources de gains importants pour les actionnaires de la société cible dans leur étude portant sur des sociétés américaines, de même que Firth (1980) pour le Royaume Uni. Il est probable dans ce schéma que le dirigeant de la société acquise soit également 62 Jensen M.C. (1988, p. 26) : "Other management teams that recognize an opportunity to reorganize or redeploy a organization's assets and thereby create new value can bid for the control rights in the takeover market". 180 récompensé, ne serait-ce que par le biais des stock options qu'il peut détenir. Zalewski (2001) souligne le paradoxe selon lequel le marché des prises de contrôle, dont une des motivations peut être la réduction des problèmes d'agence, conduit fréquemment à récompenser les équipes dirigeantes estimées sous performantes du fait de l'augmentation du prix de l'action, ou encore en leur offrant des conditions financières de départ très avantageuses. Mais comme nous l'avons déjà évoqué, la reprise d'une société ne se justifie pas uniquement par la possibilité d'améliorer sa direction, elle peut avoir été décidée parce qu'elle était très rentable ou encore par les complémentarités externes d'activités offertes à l'acquéreur. Il y aurait alors dans ce cas de figure un lien positif entre les qualités du dirigeant et sa récompense, conforme à celui normalement induit par le marché managérial. En se plaçant maintenant du côté de l'acquéreur, le marché des prises de contrôle serait un moyen pour les dirigeants d'augmenter leur prestige, leur pouvoir car ils vont gérer une entreprise de plus grande taille, et, très fréquemment, de bénéficier conjointement à cette occasion d'une hausse de leur rémunération (Ingham et al., 1992). Il peut être également vu comme un moyen pour les dirigeants de la société qui absorbe, convaincus qu'ils pourraient mieux gérer la firme cible, d'obtenir un retour financier élevé, une récompense plus considérable que celles que d'autres décisions stratégiques leur conféreraient (Manne, 1965). Une nouvelle fois, la complémentarité semble plus probable que la substitution, la récompense des dirigeants performants étant permise par l'action commune des deux mécanismes. Le marché managérial trouverait grâce aux prises de contrôle des occasions supplémentaires d'intervenir et de récompenser des dirigeants compétents et disposerait d'une base informationnelle plus fournie. 7.4. Interdépendance et réduction des coûts disciplinaires Outre le marché managérial, un autre mécanisme ressort principalement de la littérature comme étant susceptible de pouvoir supprimer les contrats informels tissés par le dirigeant : le marché des prises de contrôle. Un des arguments souvent évoqué pour justifier la création de valeur engendrée par le marché des prises de contrôle est sa capacité à remettre en cause les contrats implicites que le dirigeant a pu tisser. Pour Jensen (1988), lorsque des changements importants doivent être 181 entrepris, le marché des prises de contrôle constitue une solution, engendrant l'arrivée d'une nouvelle équipe dirigeante qui ne sera pas limitée dans ses actions par des liens tissés antérieurement avec les salariés ou d'autres communautés en relation avec la société. Shleifer et Summers (1988) affinaient l'analyse et concluaient que la probabilité de remise en cause de certains contrats implicites, comme la valorisation et la poursuite des plans retraite dont les salariés pouvaient être bénéficiaires, était supérieure dans les cas de prises de contrôle hostiles. Le caractère implicite tenait au fait que les employés s'attendaient généralement à ce que la firme participe à la constitution d'une retraite plus avantageuse pour eux, allant au-delà des obligations légales, en contrepartie de quoi ils étaient plus fidèles à l'entreprise et moins incités à la quitter. La suppression de ces plans et la captation des actifs correspondants par le repreneur serait une des sources des gains engendrées par une prise de contrôle pour les actionnaires, et elle serait deux fois plus fréquente suite à une prise de contrôle hostile que dans le cas d'une acquisition amicale (Pontiff et al., 1990). Le changement de dirigeant, et de ce fait le recours au marché managérial, étant également plus observé lors d'une prise de contrôle hostile, il est probable que la décision de la remise en cause des plans de retraite a été prise par la nouvelle direction, plus à l'aise pour le faire que l'équipe précédente qui avait tissé des liens avec les salariés et pu faire certaines promesses. Les rôles des deux mécanismes apparaissent une nouvelle fois imbriqués, et s'orienter vers la complémentarité. L'action commune du marché des prises de contrôle et du marché des dirigeants se traduirait fréquemment par la remise en question de contrats implicites tissés avec différentes parties prenantes et qui pouvaient être coûteux à la firme. Elle serait susceptible de renforcer la contribution à la création de valeur engendrée par l'intervention du marché managérial. 7.5. Interdépendance et aide à la vision stratégique de la firme Il ressort de la littérature que deux mécanismes de gouvernance essentiellement, autres que le marché des dirigeants, peuvent contribuer à la construction de la vision stratégique de la firme : le conseil d'administration et le marché des prises de contrôle. 182 7.5.1. Le rôle joué par le conseil d'administration Sous la dimension cognitive, le rôle du conseil d'administration s‟élargit à l‟aide à la construction de la vision stratégique et à sa mise en œuvre. Son expertise est source de développement et d‟apprentissage organisationnel. Il joue un rôle de conseil et participe à la prise de décisions. Il peut aider le dirigeant à détecter ou à construire des opportunités de croissance, à enrichir sa vision stratégique par la confrontation de son schéma cognitif et de ceux des administrateurs (Charreaux, 2002(a)). Lorsqu'il est face à certains problèmes ou interrogations, un dirigeant ne peut pas toujours en discuter avec ses subalternes, et se tourne davantage vers le conseil d'administration pour recueillir des avis et des conseils (Mace, 1971, Mintzberg, 2003). Dans l'étude de Charreaux et Pitol-Belin (1989) basée sur 107 questionnaires adressés à un échantillon de conseils d'administration de sociétés françaises, pour 74% des dirigeants interrogés, le conseil d'administration était considéré comme un organe de réflexion aidant à la préparation des décisions, susceptible d'orienter la stratégie. Il était consulté, pour les décisions importantes comme la diversification, les acquisitions et les cessions d'actifs, dans les trois quarts des cas. Les auteurs observaient également que 26% des conseils d'administration définissaient les objectifs stratégiques à moyen long terme de la firme et ne se contentaient pas de les entériner. Le rôle actif du conseil d'administration serait cependant moins marqué en France qu'aux États-Unis : par exemple la planification stratégique serait une des préoccupations majeures pour 37% des conseils français, contre 63% pour les américains (Charreaux et Pitol-Belin, 1989). De même l'existence de seuils en matière d'investissement et de financement à partir desquels le conseil d'administration doit être systématiquement consulté est peu constatée en France, alors qu'elle est courante aux États-Unis (Charreaux, 1994). Les administrateurs peuvent être une source d'information utilisée par les dirigeants pour formuler leur stratégie (Vancil, 1987). Ils passent du temps à conseiller les dirigeants, cette fonction fait partie de leurs devoirs (Lorsch et MacIver, 1989). Dans leur étude basée sur des interviews menées avec des administrateurs de sociétés américaines, il ressortait que ceux-ci considèraient leur rôle de conseil dans les décisions stratégiques comme prédominant, et qu'il se développait, notamment grâce à la multiplication des comités. Leur intervention peut être plus forte, lorsqu'ils sont à l'initiative de changements stratégiques importants, comme les décisions d'acquisition (Haunschild, 1993). Le conseil d'administration, considéré alors comme un réseau social, est également susceptible d'intervenir dans les décisions stratégiques en 183 facilitant l'accès à certaines ressources (Pfeffer et Salancik, 1978). Les administrateurs contribuent à réduire l'incertitude et la complexité associées aux décisions stratégiques ; grâce à leur expertise en matière de résolution de problèmes, ils peuvent participer aux différentes étapes du processus de décision : l'exploration des possibilités, leur interprétation et le choix final (Rindova, 1999). L'incidence de l'implication dans la stratégie de l'entreprise du conseil d'administration sur la performance n'est cependant pas confirmée. Dans les travaux de Godard (1996), le lien entre la composition du conseil d'administration et la stratégie de l'entreprise n'avait pas d'effet significatif sur la performance. Une réflexion menée collectivement par le conseil d'administration et le dirigeant sur la stratégie apparaît souhaitable pour deux raisons : d'une part les administrateurs seraient à même d'augmenter la créativité des stratégies grâce à leurs expériences, d'autre part ils assureraient de manière plus efficiente leur rôle de surveillance et de contrôle s'ils comprenaient mieux et étaient davantage impliqués dans la stratégie de la firme (Andrews, 1980). Les alternatives étudiées sont plus nombreuses et aboutissent à des solutions plus créatives lorsque la firme bénéficie d'une variété cognitive (Milliken et Martins, 1996). Ce rôle ne fait cependant pas l'objet d'un consensus : les conseils d'administration s'impliquent de manière inégale dans la stratégie de l'entreprise, certains sont passifs, limitant leur intervention à entériner les décisions proposées par le dirigeant (Pfeffer, 1972). Mace (1971) concluait que les conseils d'administration ne devenaient actifs qu'en situation de crise. Les pressions, notamment institutionnelles et légales, auraient depuis fait évoluer la situation vers un rôle accru des administrateurs. C'est peut-être une des explications à l'obtention de conclusions différentes dans l'étude de Judge et Zeithaml (1992), une vingtaine d'années plus tard. Le degré d'investissement des administrateurs dans la prise de décisions stratégiques avait été analysé par les auteurs à partir d'entretiens semi-directifs avec le dirigeant, un administrateur externe et un interne, de quarante sociétés américaines de taille et de secteur d'activité différents. Leurs résultats étaient intéressants : 30% des répondants avaient déclaré participer de manière effectivement à la définition de la stratégie de la firme, notamment en matière de décisions d'allocation des ressources affectant la performance à long terme de l'entreprise, 30% ratifiaient, mais après les avoir révisées, les propositions stratégiques, et 40% se contentaient de les entériner. En matière d'information, seulement 27% des conseils d'administration seraient à l'initiative de la demande d'informations spécifiques pour étudier et évaluer la pertinence des propositions stratégiques du dirigeant, 70% se limitaient à analyser 184 la documentation fournie par le dirigeant. Parmi les déterminants de l'implication du conseil d'administration dans la stratégie, ressortaient statistiquement significatifs dans leur étude : le niveau de diversification, de manière négative (plus il était élevé, moins l'implication était forte), la représentation des internes parmi les administrateurs et la taille du conseil, également avec un effet négatif. L'incidence et l'importance des compétences managériales dans les décisions stratégiques, présentées au chapitre IV, paragraphe 4.1., peuvent être étendues à celles des administrateurs (Rindova, 1999). Selon leurs caractéristiques, leurs expériences professionnelles antérieures, les administrateurs participent à des degrés différents à la prise de décisions stratégiques (Castanias et Helfat, 2001). Lorsqu'ils siègent au conseil de plusieurs entreprises, leur implication dans la stratégie de la firme est généralement plus forte (Carpenter et Westphal, 2001). Les conseils d'administration dominés par les internes favoriseraient l'innovation comme stratégie à long terme, ceux comportant une majorité d'externes inciteraient à plus de diversification (Hill et Snell, 1988). L'incidence de la structure du conseil d'administration sur son implication dans la stratégie de l'entreprise ne fait pas l'objet d'un consensus, même si le critère d'indépendance est souvent mis en avant comme une condition nécessaire : ainsi Whestphal (1998) conclut qu'il existe des preuves faibles de ce lien. De même la multiplicité des mandats est vue soit comme un facteur de réduction de l'implication des administrateurs, faute de temps (Melcher, 1996), soit, dans une perspective sociocognitive, comme un enrichissement des connaissances et compétences des administrateurs leur permettant justement de participer et de contribuer efficacement à l'élaboration de la stratégie de la firme, notamment en matière de diversification et d'internationalisation (Carpenter et Westphal, 2001). Siéger à plusieurs conseils fournit aux administrateurs une source importante d'information sur les pratiques et les politiques des entreprises (Mizruchi, 1996), c'est un déterminant "positivement associé à la perception des administrateurs de leurs capacités à contribuer aux discussions du conseil"63 (Carpenter et Westphal, 2001, P. 649). Deux éventualités semblent alors pouvoir être examinées : soit le conseil d'administration, très impliqué dans la stratégie de l'entreprise, est source de conflits cognitifs et impose sa vision au dirigeant : il va alors réduire le rôle du marché managérial et ses conséquences sur la performance de la firme, soit il contribue à l'enrichissement et au développement de la 63 Carpenter M.A., Westphal J.D. (2001, p. 649) : (related appointments) "will be positively associated with directors' perceptions of their ability to contribute to board discussions". 185 réflexion du dirigeant, auquel cas les deux mécanismes apparaîtraient comme intervenant de manière complémentaire. Judge et Zeithaml (1992) ont trouvé une relation positive entre l'implication du conseil d'administration dans la stratégie et la performance de la firme, mais en examinant le rôle de ce mécanisme isolément. L'effet positif, sur la performance de la firme, de la complémentarité entre l'implication dans la stratégie du conseil d'administration et du dirigeant, ressort notamment des études de Pearce et Zahra (1991) et de Kimberly et Zajac (1988). 7.5.2. Le rôle joué par le marché des prises de contrôle Le marché des prises de contrôle est un autre mécanisme de gouvernance susceptible d'influencer les décisions stratégiques de la firme. "Les dirigeants ont souvent du mal à abandonner les stratégies qu'ils développent et soutiennent depuis des années, même si ces stratégies ne contribuent plus à la survie de l'organisation"64 (Jensen, 1988, p. 23). Lorsque des changements importants sont nécessaires, et que les mécanismes de contrôle internes sont lents ou trop coûteux pour les susciter, l'intervention du marché des prises de contrôle peut se justifier, et elle se traduit généralement par des modifications stratégiques majeures, conduites par une nouvelle équipe dirigeante que le marché des prises de contrôle aura contribué à mettre en place (Jensen, 1988). L'effet positif de l'intervention du marché des prises de contrôle ne fait pas non plus l'objet d'un consensus. Elle est souvent associée à une chute des dépenses en recherche et développement par exemple, mais comme le souligne Jensen (1988), cette relation n'est pas validée empiriquement. Dans l'étude de Hitt et al. (1991), une politique de croissance externe conduisait l'entreprise à un ralentissement du processus d'innovation interne. Les acquisitions externes représentant un coût élevé, elles engendraient la limitation des autres investissements, que ce soit en recherche et développement, pour l'ouverture de nouveaux marchés, ou encore améliorer l'outil de production. Cette conclusion n'est pas confirmée par l'analyse d'Healy et al. (1992) qui concluaient à l'absence de relation systématique. Dans une seconde étude, portant sur 250 firmes américaines sur la période 1985 à 1991, Hitt et al. (1996), validaient le lien entre une politique de croissance externe et le ralentissement de l'innovation interne, et fournissaient un éclairage supplémentaire : l'innovation externe se 64 Jensen M.C. (1988, p. 23) : "Managers often have trouble abandoning strategies they have spent years devising and implementing, even those strategies no longer contribute to the organization's survival". 186 substituerait à cette dernière, de nouvelles acquisitions permettant de capter plus rapidement des bénéfices relativement à la concurrence que l'investissement dans de nouvelles technologies. Les firmes développant une stratégie de croissance externe auraient une propension à se transformer en holdings financiers. L'orientation de la stratégie qui va être choisie et ses conséquences sur la performance de la firme varient selon les conclusions des auteurs, mais il demeure que le marché des prises de contrôle incite généralement au changement de l'équipe dirigeante et à de nouvelles décisions stratégiques. Si celles-ci sont le fruit de la confrontation positive entre les schémas cognitifs des nouveaux dirigeants, évalués par le marché managérial, et ceux du repreneur, le rôle du marché des prises de contrôle peut être conceptualisé comme complémentaire à celui du marché des dirigeants sur cette voie d'intervention. En cas de conflits cognitifs forts, au contraire, ou de vision stratégique principalement imposée par le repreneur, il est envisageable que le premier mécanisme se substitue et même s'oppose au second. 7.6. Interdépendance, apport et développement des compétences Nous avons présenté au chapitre IV, paragraphe 4.2., le rôle d'apport et de développement des compétences du marché managérial. D'autres mécanismes sont susceptibles de jouer également ce rôle, principalement le conseil d'administration et le marché des prises de contrôle. 7.6.1. Le rôle joué par le conseil d'administration Les administrateurs proviennent d'horizons différents : certains sont également, ou ont été avant leur départ en retraite, dirigeants d'entreprise, actionnaires, banquiers, hommes de loi, professionnels. Ils sont susceptibles d'être à l'origine de deux types d'apports : des informations et des connaissances d'une part, des compétences d'autres part. Une des fonctions reconnues du conseil d'administration est de permettre d'établir des contacts pour l'organisation, les administrateurs une fois nommés apportant leurs réseaux et permettant d'ouvrir certaines portes (Mintzberg, 2003). Ils peuvent aussi jouer un rôle dans le développement de la réputation de la firme, compte tenu des titres et du prestige dont ils disposent (Mace, 1971). Reprenant les travaux de Pfeffer (1972), Mintzberg soulignait que le choix des administrateurs n'était pas fortuit, qu'il était fonction des besoins de service de la 187 firme, de ce qu'ils pouvaient lui apporter : capacités financières, juridiques…, et l'expliquait davantage comme un apport de compétences qu'un jeu de pouvoir. Les conseils d'administration comprenant des représentants des différentes parties prenantes encouragent les stratégies de développement de l'apprentissage organisationnel (Lazonick et O'Sullivan, 1998). Le conseil d'administration trouve ici une autre justification : apporter des compétences et faciliter leur développement (Charreaux, 2000). Les critères d'analyse de la qualité d'un conseil d'administration ne se conçoivent alors plus en termes d'indépendance, mais de diversité et de contributions cognitives. L'expérience acquise dans d'autres conseils ou d'autres fonctions permettrait aux administrateurs d'être une source importante d'information pour la firme (Mizruchi, 1996). Le développement avec l'expérience dans des fonctions similaires des structures de connaissances utilisées par les individus pour traiter une demande d'information avait été précédemment mis en évidence dans les travaux de Dearborn et Simon (1958). Plus un groupe est large et diversifié, plus riche est la collecte d'information (Milliken et Vollrath, 1991). Les connaissances et l'information que le conseil d'administration peut fournir contribuent à réduire l'incertitude dans laquelle la firme évolue (Rindova, 1999). Les administrateurs, notamment externes, sont également une source de compétences variées, en termes de formation, d'expérience professionnelle et organisationnelle (Milliken et Martins, 1996). Leur apport serait particulièrement positif lorsqu'ils exerceraient dans d'autres entreprises ayant des similitudes avec celle dont ils sont administrateurs, par exemple en matière d'organisation ou de marchés (Melcher, 1996). La multiplicité des mandats serait source d'apprentissage (Useem, 1984). Les administrateurs sont souvent présentés comme des experts, l'expertise pouvant être définie, pour reprendre l'analyse de Sullivan (1990) comme la maîtrise de certains domaines, dont ils connaissent les difficultés et les solutions pouvant être apportées aux problèmes se posant. Les dirigeants seraient de plus en plus conscients de la contribution que peut leur apporter le conseil d'administration, et le considère comme une ressource (Melcher, 1996). Le rôle que le conseil d'administration peut jouer apparaît, dans une vision cognitive, comme complémentaire à l'intervention du marché des dirigeants. L'accumulation et la 188 confrontation de compétences différentes est susceptible de contribuer à un renforcement du rôle de chacun des mécanismes, conduisant à une amélioration de la performance de la firme. 7.6.2. Le rôle du marché des prises de contrôle Vu sous la dimension disciplinaire comme un outil sanctionnant les dirigeants inefficaces, le marché des prises de contrôle peut aussi être considéré, selon l‟approche cognitive, comme un vecteur d‟acquisition de compétences. La reprise d'une autre entreprise est porteuse de nouvelles connaissances et de nouvelles ressources (Vermeulen et Barkema, 2001). Une des justifications avancées pour l'absorption ou la prise de participation d'une autre société est d'apporter un savoir-faire non maîtrisé par la maison mère. De nombreuses cibles sont acquises à titre de diversification (Holmstrom et Kaplan, 2001). Dans le secteur bancaire par exemple, les rapprochements ont pour motivation la complémentarité des réseaux et des compétences (Went, 2003) : un établissement reconnu pour son savoir faire en tant que banque d'investissement peut souhaiter s'allier à une banque de réseau. Une prise de contrôle peut permettre d'acquérir et d'apprendre de nouvelles techniques ou de nouvelles technologies (Hitt et al., 1997), elle permet l'échange d'expertise (Leroy et Ramanantsoa, 1997). Lorsqu'une entreprise souhaite s'internationaliser, le marché des prises de contrôle lui offre la possibilité de disposer rapidement des compétences, des connaissances, de la culture nécessaires pour accéder à ces nouveaux marchés (Clark et al., 1997). Cependant la capacité d'absorption de l'expérience et des connaissances apportées par la société cible à l'acquéreur a des limites, audelà desquelles l'intégration n'est plus efficiente (Vermeulen et Barkema, 2002). Le marché des prises de contrôle peut également jouer un rôle dans l'évolution et le développement des compétences existantes : "une opération de fusion-acquisition représente un contexte dans lequel des organisations doivent résoudre leurs différences ou contradictions et ont à s'adapter aux routines et bases de connaissances de l'autre"65 (Leroy et Ramanantsoa, 1997, p. 872). Le rapprochement de deux sociétés engendre des changements cognitifs individuels, mais aussi au niveau de l'organisation, modifiant par exemple la manière de travailler ou les procédures du département des ventes (Leroy et Ramanantsoa, 1997). Les auteurs font remarquer que des blocages peuvent empêcher ce développement des compétences, lorsque l'apprentissage est forcé, et ne fait pas l'objet de l'adhésion des autres 65 Leroy F., Ramanantsoa B. (1997, p. 872) : "A merger represents a context in which organizations have to resolve their differences or contradictions and have to adapt to each others' routines and knowledge bases". 189 parties prenantes. Ils mettent en évidence l'importance du rôle joué par le dirigeant, susceptible de faire disparaître ces obstacles, de créer un climat favorable et positif. Il contribuerait au succès de la prise de contrôle, en facilitant l'intégration des deux organisations, préservant les forces de chacune (Cartwright et Cooper, 1994). Cet argument irait dans le sens de la complémentarité des deux mécanismes, les qualités du dirigeant, évaluées par le marché managérial, s'ajoutant aux compétences apportées par le marché des prises de contrôle pour faire évoluer favorablement celles des autres parties prenantes. Les évènements perturbateurs venant rompre la continuité des activités de la firme sont des moteurs pour l'apprentissage (Starbuck et Milliken, 1988). Une prise de contrôle se traduit par l'arrivée de nouvelles pratiques, de systèmes de référence différents ; la confrontation de ces contrastes facilite l'apprentissage, lorsque les écarts ne sont pas trop importants et ne constituent pas un traumatisme et une source d'incertitude trop conséquente (Leroy et Ramanantsoa, 1997). Les acquisitions contribuent à faire progresser les compétences : elles "revitalisent la firme et renforcent sa capacité à réagir de manière adéquate aux changements (…), enrichissent les bases de connaissances et rompent les rigidités des firmes acquéreuses" 66 (Vermeulen et Barkema, 2001, p. 458). Les différences entre les organisations sont sources d'opportunités de synergies et d'apprentissage (Harrison et al., 1991). La diffusion de connaissances et de pratiques d'une société à l'autre favorise le développement de nouvelles connaissances (Walsh, 1995), créées par combinaison de compétences existantes (Kogut et Zander, 1992). Le rapprochement entre deux entreprises confronte celles-ci à un éventail plus large d'évènements et d'idées, pouvant permettre l'enrichissement des structures de connaissances (March, 1991). Une complémentarité de deux mécanismes sur cette voie d'intervention, conduisant peutêtre à une meilleure performance de la firme, semble ressortir de manière plus évidente que la substitution. Elle est susceptible de s'effectuer aussi bien en termes d'apports plus importants et plus diversifiés de compétences, qu'en matière de développement : la confrontation des connaissances, expériences… des dirigeants et des administrateurs par exemple, pouvant conduire à un élargissement des compétences de chacun. Une coordination efficiente des deux 66 Vermeulen F., Barkema H. (2001, p. 458) : (acquisitions) "revitalize a firm and enhance its ability to react adequately to changing circumstances (…), enrich the knowledge bases and break the rigidities of acquiring firms". 190 mécanismes renforcerait leur effet positif individuel sur la performance de la firme, lorsque leur action conjointe n'a pas suscité de conflits cognitifs. Conclusion du chapitre VII Il apparaît clairement dans la littérature que plusieurs mécanismes agissent à l'intérieur du SGE par les mêmes leviers que le marché des dirigeants, principalement le conseil d'administration et le marché des prises de contrôle, qui se retrouvent sur au moins quatre des voies d'intervention identifiées du marché managérial, intervenant conjointement aussi bien sous la dimension disciplinaire que sous la dimension cognitive. La figure 7 illustre la prise en compte de ces mécanismes dans le modèle explicatif sur rôle du marché managérial. INTERACTIONS AVEC LES AUTRES MECANISMES Conseil d‟administration Marché des prises de contrôle Intervention implicite Rôle comme mécanisme de gouvernance Marché des dirigeants Intervention explicite Contrôle direct des actionnaires Créanciers prêteurs voies d‟intervention disciplinaires Marché des biens et services Variation de performance de la firme voies d‟intervention cognitives Conseil d‟administration Marché des prises de contrôle - Figure 7 : prise en compte des interactions avec les autres mécanismes dans le modèle explicatif Il est en revanche plus difficile de comprendre de quelle manière leurs actions s'imbriquent, aboutissant à une substitution ou une complémentarité. Les effets potentiels de complémentarité seraient a priori les plus nombreux, d'une part parce que, dans un certain 191 nombre de cas, le marché des dirigeants ne peut exercer son influence que si un autre mécanisme intervient également, d'autre part du fait d'un renforcement envisagé des résultats des actions des mécanismes lorsqu'elles sont menées conjointement. La prise en compte des imbrications et complémentarités du marché des dirigeants avec les autres mécanismes pourrait se traduire par une contribution plus élevée du marché managérial à la création de valeur dans la firme et permettre d'expliquer une part plus importante de la variation de la performance. Mais la conceptualisation de ces imbrications est extrêmement complexe, d'autant plus que la dimension temporelle peut poser problème pour analyser la complémentarité. La littérature ne nous permet pas aujourd'hui de conclure. Une synthèse des effets attendus est proposée dans le tableau 6. Voies d’intervention du marché managérial Évaluation Sanction Récompense Réduction d'autres coûts disciplinaires Aide à la construction de la vision stratégique Apport et développement des compétences Autre(s) mécanisme(s) pouvant interagir Effet attendu : substitution, complémentarité Conseil d'administration Marché financier Marché des prises de contrôle Marché des biens et services Conseil d'administration Contrôle direct des actionnaires Créanciers prêteurs Marché des prises de contrôle Marché des biens et services Conseil d'administration Contrôle direct des actionnaires Marché des prises de contrôle Marché des prises de contrôle Complémentarité Complémentarité Complémentarité Complémentarité Complémentarité Complémentarité Complémentarité Complémentarité Complémentarité Complémentaire Complémentarité Complémentarité Complémentarité Conseil d'administration Marché des prises de contrôle Complémentarité ou substitution Complémentarité ou substitution Conseil d'administration Marché des prises de contrôle Complémentarité Complémentarité pour l'apport, complémentarité ou substitution pour le développement - Tableau 6 : synthèse des effets de complémentarité ou de substitution attendus entre le marché managérial et les autres mécanismes - 192 L'analyse que nous venons d'effectuer met en évidence la nécessité de tenir compte des actions des autres mécanismes dans notre modèle, et nous conduit à l'enrichir à nouveau en introduisant ces mécanismes dans la conceptualisation du rôle du marché des dirigeants. La vision que nous avons maintenant de celui-ci, après avoir proposé une décomposition de son action en trois voies d'intervention disciplinaires et deux cognitives, cherché quels déterminants pouvaient en influencer l'exercice, et pris en compte l'influence des autres mécanismes, nous semble mieux à même de rendre compte de la réalité. Le modèle final est présenté ci-après. La conception du marché managérial demeure cependant à ce stade théorique. Comme nous l'avons souligné tout au long de nos travaux, l'absence d'études empiriques synthétiques sur le marché managérial nous a conduits à formuler des hypothèses, notamment sur le sens des actions des déterminants et des autres mécanismes, mais il reste à les confronter à la réalité. C'est l'objet de notre troisième partie, consacrée aux tests du modèle sur un échantillon constitué d'entreprises françaises cotées sur Euronext. FINALISATION DU MODELE Structure de propriété Intervention implicite Marché des dirigeants Intervention explicite Secteur activité Rôle comme mécanisme de gouvernance Réseaux relationnels Proximité de l‟âge de la retraite Stratégie carrière externe voies d‟intervention disciplinaires Création de la valeur dans la firme voies d‟intervention cognitives Rôle joué par les autres mécanismes - Figure 8 : modèle explicatif final - 193 Les hypothèses découlant de cette partie du modèle sont les suivantes, en cohérence avec les développements précédemment effectués : H11: Le conseil d'administration exerce un rôle médiateur dans la relation entre le rôle disciplinaire du marché managérial et la performance de la firme, il renforce l'intervention du marché des dirigeants (mécanismes complémentaires). H12: Le rôle disciplinaire du marché des prises de contrôle conforte celui du marché managérial et augmente sa contribution à la création de valeur dans la firme (complémentarité des mécanismes). H13: L'existence d'actionnaires dominants accentue l'intervention disciplinaire du marché managérial (mécanismes complémentaires). H14: Le rôle disciplinaire exercé par les créanciers prêteurs renforce celui du marché managérial et augmente sa contribution à la création de valeur dans la firme (mécanismes complémentaires). H15: Le rôle disciplinaire exercé par le marché des biens et services influence positivement la relation entre le marché managérial et la performance de la firme (complémentarité des mécanismes). H16: L'expertise et la participation aux décisions stratégiques des administrateurs renforcent le rôle cognitif du marché managérial et sa contribution à la performance de la firme, par le développement des schémas cognitifs et une vision plus large des opportunités (complémentarité des mécanismes). H17: Le marché des prises de contrôle, en favorisant les réorientations stratégiques, conforte le rôle d'aide à la vision stratégique du marché managérial et augmente sa contribution à la création de valeur dans la firme (complémentarité des mécanismes). H18: La complémentarité des apports des compétences du conseil d'administration et du marché managérial se traduit par un renforcement du rôle des deux mécanismes et de leur contribution à la performance de la firme (complémentarité des mécanismes). H19: Suite à une prise de contrôle de la firme, les savoir-faire des repreneurs contribuent à l'enrichissement et au développement des compétences apportées par le marché managérial, augmentant ainsi son incidence positive sur la création de valeur dans la firme (complémentarité des mécanismes). 194 TROISIEME PARTIE ETUDE EMPIRIQUE DU MARCHE FRANÇAIS DES DIRIGEANTS 195 Introduction Dans notre recherche de modélisation du rôle du marché managérial à l'intérieur du système de gouvernance des entreprises, nous avons procédé par étapes, en identifiant tout d'abord les différentes voies d'intervention potentielles de ce mécanisme, puis en examinant quels pouvaient être les facteurs de contingence, enfin en analysant l'influence des autres mécanismes sur le marché des dirigeants, dans une vision systémique de la gouvernance. La confrontation de notre modèle à la réalité a été réalisée de la même manière et s'est ainsi scindée en trois séries de tests. Nous avons choisi de mener une étude quantitative, portant sur les dirigeants des sociétés françaises cotées. Nos motivations sont développées au chapitre VIII, paragraphe 8.2.1.. La présentation des résultats de l'étude empirique est articulée en quatre chapitres. Le chapitre VIII rappelle les hypothèses à tester découlant du modèle théorique et l'articulation en trois parties de ce dernier : les voies d'intervention du marché managérial, la prise en compte des facteurs de contingence pouvant faire évoluer son rôle et celle des interactions éventuelles avec les autres mécanismes de gouvernance. Il expose la méthodologie retenue et présente l'échantillon ayant servi aux tests. Le chapitre IX décrit l'opérationnalisation de la variable à expliquer et des variables explicatives, il justifie les choix qui ont été effectués. Le chapitre X est consacré à une étude descriptive des dirigeants français des sociétés cotées sur la période 1996 à 2005. Elle est fondée sur les données de la base initialement constituée pour recenser tous les dirigeants ayant exercé sur la période considérée, qui contient 1 007 profils de dirigeants. Les apports de cette analyse sont doubles : actualiser les informations disponibles sur le marché managérial français et les proposer pour un échantillon de firmes diversifiées, aussi bien en termes de taille, de capitalisation que d'activité ou encore d'actionnariat. Le chapitre XI présente les résultats des tests du rôle du marché des dirigeants comme mécanisme de gouvernance, au centre du modèle théorique. Après avoir précisé le souséchantillon retenu et ses caractéristiques, les vérifications des hypothèses de base de la régression sont rappelées. Les résultats des tests incorporant les facteurs de contingence : structure de propriété, secteur d'activité, stratégie de carrière externe du dirigeant, proximité de la retraite et influence de réseaux, figurent dans le chapitre XII. Enfin le chapitre XIII 196 expose les résultats concernant l'étude des interactions de cinq autres mécanismes avec le rôle joué par le marché managérial : le conseil d'administration, le contrôle direct par les actionnaires, les créanciers prêteurs, le marché des prises de contrôle et le marché des biens et services. 197 CHAPITRE VIII : MODELE GENERAL, HYPOTHESES ET METHODOLOGIE 8.1. Le modèle général et les hypothèses en découlant Notre modèle général s'est enrichi progressivement au cours de la deuxième partie. Son apport principal est de permettre une représentation du rôle du marché managérial, explicitant de quelle manière il est susceptible d'intervenir dans le SGE et l'influence attendue de son rôle sur la création de valeur dans la firme. Il se décompose en trois grands axes : a) la modélisation du rôle du marché des dirigeants, mécanisme de gouvernance, s'appuyant sur la décomposition de son intervention sous les deux dimensions disciplinaire et cognitive, et s'intéressant au lien entre l'exercice de ce rôle et la performance de la firme. MODELISATION DU ROLE DU MARCHE MANAGERIAL Non intervention Marché des dirigeants Intervention Rôle comme mécanisme de gouvernance voies d‟intervention disciplinaires Performance de la firme voies d‟intervention cognitives - Figure 9 : Modélisation du rôle du marché managérial - La première série d'hypothèses théoriques à tester découlant du modèle, qui a été justifiée dans la première partie aux chapitres III et IV, est concentrée sur la question centrale de notre thèse : quel est le rôle joué par le marché managérial à l'intérieur du SGE ? Elle reprend les 198 différentes voies d'intervention identifiées dans la deuxième partie et traduit l'impact attendu pour chacune d'elles sur la performance de la firme. Dimension Disciplinaire Hypothèses théoriques relatives au rôle du marché managérial H1: Le rôle de sanction du marché managérial influence positivement la création de valeur dans la firme : le départ forcé du prédécesseur contribue à expliquer la performance enregistrée par le nouveau dirigeant. H2: L'incitation à la performance associée à la perspective de récompense par le marché des dirigeants contribue à la création de la valeur dans la firme. H3: Si le dirigeant précédent était enraciné, le recours au marché managérial a un effet positif sur la performance de la firme par la réduction des coûts disciplinaires. Cognitive - Les caractéristiques du dirigeant influençant les décisions stratégiques qu'il prend, un changement du dirigeant a une incidence sur la vision stratégique de la firme et contribue positivement à la création de valeur dans la firme. H4a: Les réorientations stratégiques consécutives à la succession d'un dirigeant interne par un externe ont un effet positif sur la performance de la firme. H4b : La variation d'âge entre le nouveau dirigeant et son prédécesseur a une incidence négative sur la création de valeur dans la firme, un dirigeant plus âgé ayant davantage d'expérience et de connaissances. H4c : La variation du niveau de diplôme entre le nouveau dirigeant et son prédécesseur a une incidence positive sur la création de valeur dans la firme. H4d : Lorsqu'il y a une variation de formation (type de formation) entre les deux dirigeants qui se succèdent, celle-ci a une influence positive sur la création de valeur de la firme car elle engendre des variations stratégiques plus importantes. - L'apport relatif et différent de compétences du nouveau dirigeant à travers le marché managérial contribue positivement à la création de valeur dans la firme. H5a : L'augmentation de compétences génériques entre le nouveau dirigeant et l'ancien contribue positivement à la création de valeur dans la firme. H5b : L'augmentation des compétences sectorielles entre le nouveau dirigeant et son prédécesseur contribue positivement à la création de valeur dans la firme. H5c : L'augmentation des compétences spécifiques à la firme entre l'ancien et le nouveau dirigeant est positivement liée à la création de valeur dans la firme. - Tableau 7 : récapitulatif des hypothèses théoriques relatives au rôle du marché managérial - 199 b) la prise en compte de facteurs de contingence susceptibles de faire varier l'intensité de cette relation : ce sont les déterminants d'efficacité liés à la firme (structure de propriété, secteur d'activité) ou au dirigeant lui-même (stratégie de carrière externe, appui de réseaux, proximité de la retraite). Les hypothèses découlant du modèle explicatif et concernant les déterminants ont été justifiées dans la deuxième partie de la thèse au chapitre VI. INTRODUCTION DES DETERMINANTS D’EFFICACITE Structure de propriété Secteur activité Non intervention Marché des dirigeants Intervention Rôle comme mécanisme de gouvernance Réseaux relationnels Proximité âge retraite Stratégie carrière externe voies d‟intervention disciplinaires Performance de la firme voies d‟intervention cognitives - Figure 10 : introduction des facteurs de contingence dans le modèle – Famille Liés à la firme Hypothèses théoriques relatives aux déterminants d'efficacité (variables de contingence) - la structure de propriété : H6a: Le rôle disciplinaire du marché des dirigeants est plus prononcé dans les firmes managériales que dans les sociétés contrôlées, et le moins significatif dans les firmes familiales. H6b: Le rôle cognitif du marché managérial est le plus significatif dans les firmes familiales, puis dans les firmes contrôlées, il est moindre dans les sociétés managériales. - le secteur d'activité : H7: L'influence du rôle exercé par le marché managérial sur la performance de la firme varie avec le secteur d'activité auquel elle appartient. 200 Famille Hypothèses théoriques relatives aux déterminants d'efficacité (variables de contingence) Liés au - la stratégie de carrière externe du nouveau dirigeant : H8: Lorsque le dirigeant poursuit une stratégie de carrière externe, dirigeant l'ensemble du rôle du marché managérial est renforcé et explique davantage la création de valeur dans la firme. - la proximité de l'âge de la retraite du nouveau dirigeant : H9a: Lorsque le dirigeant est proche de la retraite, l'intervention disciplinaire du marché managérial se réduit et sa contribution à la création de valeur également. H9b: Lorsque le dirigeant est proche de la retraite, l'intervention cognitive du marché managérial contribue plus fortement à la création de valeur. - l'appui de réseaux du nouveau dirigeant : H10a: Lorsque le dirigeant bénéficie de l'appui de réseaux, le rôle disciplinaire du marché managérial est diminué. H10B: En présence de réseaux, les voies d'intervention cognitives du marché managérial contribuent plus fortement à la création de valeur dans la firme. - Tableau 8 : récapitulatif des hypothèses relatives aux déterminants - c) l'incorporation au modèle des interactions potentielles avec les autres mécanismes de gouvernance, pouvant jouer un rôle de médiateurs en intervenant dans la relation entre le marché des dirigeants et la performance de la firme. Nous avons émis les hypothèses découlant du modèle explicatif concernant ces interactions dans la deuxième partie de la thèse au chapitre VII. Nous en rappelons une synthèse dans le tableau 9 ci-dessous. 201 INTERACTIONS AVEC LES AUTRES MECANISMES Conseil d‟administration Marché des prises de contrôle Non intervention Marché des dirigeants Intervention Rôle comme mécanisme de gouvernance Contrôle direct des actionnaires Créanciers prêteurs voies d‟intervention disciplinaires Marché des biens et services Performance de la firme voies d‟intervention cognitives Conseil d‟administration Marché des prises de contrôle - Figure 11 : prise en compte des interactions avec les autres mécanismes - Dimension disciplinaire Le conseil d'administration Le marché des prises de contrôle Le contrôle direct des actionnaires Les créanciers prêteurs Le marché des biens et services Hypothèses théoriques relatives aux interactions avec les autres mécanismes H11: Le conseil d'administration exerce un rôle médiateur dans la relation entre le rôle disciplinaire du marché managérial et la performance de la firme, il renforce l'intervention du marché des dirigeants (mécanismes complémentaires). H12: Le rôle disciplinaire du marché des prises de contrôle conforte celui du marché managérial et augmente sa contribution à la création de valeur dans la firme (complémentarité des mécanismes). H13: L'existence d'actionnaires dominants accentue l'intervention disciplinaire du marché managérial (mécanismes complémentaires). H14: Le rôle disciplinaire exercé par les créanciers prêteurs renforce celui du marché managérial et augmente sa contribution à la création de valeur dans la firme (mécanismes complémentaires). H15: Le rôle disciplinaire exercé par le marché des biens et services influence positivement la relation entre le marché managérial et la performance de la firme (complémentarité des mécanismes). 202 Dimension Hypothèses théoriques relatives aux interactions avec les autres cognitive mécanismes H16: L'expertise et la participation aux décisions stratégiques des administrateurs renforcent le rôle cognitif du marché managérial et sa contribution à la performance de la firme, par le développement des schémas cognitifs et une vision plus large des opportunités (complémentarité des mécanismes). H17: Le marché des prises de contrôle, en favorisant les Le marché des réorientations stratégiques, conforte le rôle d'aide à la vision prises de stratégique du marché managérial et augmente sa contribution à la contrôle création de valeur dans la firme (complémentarité des mécanismes). H18: La complémentarité des apports des compétences du conseil Le conseil d'administration d'administration et du marché managérial se traduit par un renforcement du rôle des deux mécanismes et de leur contribution à la performance de la firme (complémentarité des mécanismes). H19: Suite à une prise de contrôle de la firme, les savoir-faire des Le marché des repreneurs contribuent à l'enrichissement et au développement des prises de compétences apportées par le marché managérial, augmentant ainsi contrôle son incidence positive sur la création de valeur dans la firme (complémentarité des mécanismes). - Tableau 9 : récapitulatif des hypothèses relatives aux interactions avec les autres Le conseil d'administration mécanismes de gouvernance - 8.2. Méthodologie 8.2.1. Choix du positionnement méthodologique Nos travaux, inscrits dans une approche positive, ont pour but de mieux comprendre le rôle exercé par le marché managérial, mécanisme de gouvernance, et d'en mesurer l'incidence sur la performance de la firme. Aboutissement du processus scientifique, la mise à l'épreuve de notre modèle théorique, pour en estimer la plausibilité, passe par la réalisation d'une analyse empirique. Celle-ci est fondée sur une démarche hypothético-déductive. Les différents tests effectués, articulés en fonction des hypothèses formulées précédemment, ont pour objectif de les valider ou de les infirmer, au sens de Popper, pour qui une hypothèse est dite réfutable s'il est possible d'imaginer ou de fournir une série d'observations qui la contredisent. Nous avons choisi de mener une étude quantitative pour plusieurs raisons. Nous intéressant au cas français (nos motivations ont été développées au paragraphe 8.3.), nous souhaitions par nos recherches nous faire notre propre idée du marché managérial, souvent "caricaturé" 203 comme un marché du travail de type clanique, peu efficient, jouant un faible rôle dans le SGE. Afin de permettre les comparaisons avec les travaux antérieurs, menés à partir d'analyses quantitatives, cette démarche nous semblait plus appropriée. Une autre motivation de notre choix tient à notre souhait de limiter les biais de collecte et d'interprétation. Une étude de cas aurait permis d'affiner les particularités de l'intervention du marché managérial, mais une analyse quantitative permet une généralisation au sens statistique des résultats. La solution d'interroger quelques dirigeants de sociétés cotées, outre la difficulté d'obtenir un rendez-vous, posait à notre sens le problème de la subjectivité et de l'éventuelle déformation des propos recueillis sur un thème délicat, car sujet à controverse. Nos conclusions risquaient davantage d'être influencées et soumises à des biais, les dirigeants de ces entreprises, habitués à communiquer avec les médias, pouvant transmettre une vision travaillée plutôt que spontanée d'événements tels que la sanction du prédécesseur ou les motifs de nomination. Nous envisageons, dans des travaux ultérieurs, de suivre également une approche qualitative, mais qui aura pour objet de corroborer les résultats de l'analyse quantitative réalisée, et d'apporter des éléments complémentaires sur les aspects n'ayant pu être confirmés par cette démarche. La collecte d'informations sur les dirigeants et leurs sociétés, via des bases de données externes, nous apparaît un moyen moins sujet à controverse pour expliquer quel est effectivement le rôle du marché managérial dans le SGE en France. Certes ces bases peuvent contenir des erreurs, mais nous avons cherché à les réduire en confrontant systématiquement plusieurs sources. 8.2.2. Investigations empiriques Étudiant deux ensembles de variation, disposant d'une seule variable à expliquer métrique, la variation de performance, la méthode adoptée a été la régression linéaire, nos variables explicatives étant également métriques ou binaires. Les logiciels utilisés ont été SPSS version 13.0. pour Windows et GRETL. Notre étude s'est déroulée en trois phases, en cohérence avec chacun des axes de notre modèle explicatif rappelés au paragraphe 8.1.. Nous avons tout d'abord testé l'impact du rôle du marché managérial sur la performance de la firme, fondation de notre modèle et de nos recherches. Conformément à notre cadre théorique, qui nous a permis d'analyser les deux dimensions, nous avons effectué une première régression intégrant comme variables explicatives les voies d'intervention disciplinaires du marché des dirigeants, puis une seconde pour tester les voies cognitives 204 identifiées, et enfin une troisième régression reprend l'ensemble des variables, tant disciplinaires que cognitives, dans une vision synthétique. Nous avons, dans un deuxième temps, introduit les variables modératrices que nous avions identifiées dans la deuxième partie au chapitre VI : la structure de propriété, le secteur d'activité, la stratégie de carrière externe, la proximité de l'âge de la retraite et l'appui de réseaux. Pour analyser leur impact, nous les avons introduites une par une dans la régression. Lorsqu'une variable de contingence se révélait significative, nous avons cherché à mieux comprendre l'effet de cette variable sur les différentes voies d'intervention du marché managérial. Pour cela, nous avons scindé notre échantillon en sous-groupes correspondant à chacune de ses modalités et réitéré la régression générale comprenant toutes les variables explicatives et la variable de contrôle. Les groupes constitués sont indépendants, la codification à une modalité étant exclusive. L'interprétation des résultats a été fondée sur les variations de significativité et de coefficients bêta des variables explicatives. Enfin, l'influence des autres mécanismes sur le rôle exercé par le marché managérial dans le SGE a fait l'objet de tests spécifiques. Nous nous sommes inspirés de la méthodologie utilisée par Agrawal et Knoeber (1996), qui ont décomposé leur étude des relations entre les mécanismes de gouvernance en trois étapes. Tout d'abord les liens pouvant exister entre deux mécanismes ont été identifiés en effectuant une régression de l'un sur l'autre. Puis la contribution de chacun à la performance a été estimée par de nouveaux tests. Enfin les interventions de l'ensemble des mécanismes ont été testées simultanément par une régression sur la performance de la firme. 8.3. Présentation de l'échantillon Pour tester notre modèle théorique, nous avons choisi d'étudier le marché des dirigeants en France, sur la période 1996 – 2005. Pourquoi nous intéresser à la France ? La première raison tient au fait que les analyses en gouvernance, proches de notre objet de recherche, sont beaucoup plus nombreuses pour les pays anglo-saxons, et moins développées en France, hormis les quelques travaux que nous avons déjà évoqués, les plus récents apportant des informations sur les profils des dirigeants mais sans s'intéresser explicitement au marché du travail managérial (Godard, 1996, Pigé, 1993 et 1996, Dherment Ferrère et Renneboog, 2000, Bertrand et al. , 2004, Nguyen-Dang, 2005). 205 La seconde motivation est liée aux spécificités généralement attribuées au marché français, consécutivement aux travaux de Bertin-Mourot et Bauer notamment (1987, 1992, 1995). Il nous a semblé pertinent à travers notre étude de faire le point sur la réalité du marché du travail des dirigeants en France aujourd'hui, et d'essayer de l'appréhender en analysant un échantillon plus large que les deux cents plus grandes entreprises prises en compte. Pour des questions d'accessibilité aux données, nous nous sommes limités aux sociétés cotées, mais comme le montre la partie descriptive, ce périmètre permet d'aborder des firmes de taille et de caractéristiques très différentes. De plus, comme l'a souligné Pigé (1996, p. 244), dans les entreprises cotées "les modes de régulation des dirigeants sont supposés davantage liés au marché boursier et au marché du travail". L'échantillon de base que nous avons constitué contient 1007 fiches de dirigeants, ayant exercé dans 637 sociétés cotées. Nous avons retenu la période 1996 – 2005, soit dix ans, car nous souhaitions à la fois mener une étude sur une durée assez longue et offrir des résultats récents et actualisés. La limite en 1996 a été définie par les historiques disponibles sur les sources que nous avons utilisées, notamment LexisNexis qui permet d'effectuer des recherches en ligne dans la presse mondiale essentiellement depuis cette date. La troisième motivation tient à l'alimentation des variables explicatives constituant le modèle, aussi bien celles relatives aux voies d'intervention du marché managérial que celles concernant les déterminants d'efficacité et les autres mécanismes. Comme l'a montré l'étude de Péladeau et al. (2005), que nous avons présentée dans la première partie (chapitre 1.2.6.), le taux de rotation des dirigeants s'est accru depuis 2000, de manière plus significative en Europe que dans la zone Amérique. L'étude du cas français nous offre ainsi un volume de changements de dirigeants intéressant. Elle permet aussi une analyse plus pertinente de deux des déterminants : la structure de propriété, particulière en France, avec une prédominance des entreprises familiales, et l'appui des réseaux, qui sont considérés comme particulièrement influents en France. Bien que le rôle du marché managérial puisse s'exercer à tout moment de la carrière d'un dirigeant, nous l'avons analysé sur une période clé : celle du changement de dirigeant, pour deux raisons. La première tient au fait qu'il apparaît plus facile de mettre en évidence son intervention, notamment disciplinaire, à l'occasion de la mutation des dirigeants. Les informations pouvant être collectées relativement au rôle d'évaluation, de sanction et de 206 récompense du dirigeant, par exemple par voie de presse, sont souvent concentrées sur ces moments, et font ressortir plus explicitement la fonction de ce mécanisme de gouvernance. Comme nous le verrons dans la partie descriptive, les dix années étudiées permettent de prendre en compte des situations très différentes de rotation des dirigeants, avec un taux annuel de changements de dirigeants oscillant entre 5 et 10%. La seconde raison est liée à la possibilité d'évaluer l'impact de la dimension managériale sur les décisions et la performance de la firme. Comme l'ont explicité Bertrand et Schoar (2003) dans leur étude, l'influence du dirigeant sur la politique de la firme ne peut être identifiée isolément des autres caractéristiques de la firme (activité, technologie…) si celui-ci n'a pas changé sur la période étudiée. Deux bases de données ont été constituées. La première reprend les données collectées sur l'ensemble des dirigeants ayant exercé dans une société cotée française sur la période étudiée, qu'ils soient encore en fonction ou qu'ils aient été à la tête de l'entreprise à un moment donné entre 1996 et 2005. Elle sert de support à l'analyse descriptive présentée au chapitre X. Les banques ont été retirées de l'échantillon car leurs bilans s'analysent de manière différente, et certains ratios utilisés, comme la capacité d'autofinancement divisée par les dettes à moyen et long terme, n'auraient pas été cohérents avec les autres entreprises étudiées. Elles figuraient dans les travaux de Bauer et Bertin-Mourot (1987, 1995), mais pas dans ceux de Pigé (1993, 1996). La base contient des informations sur les dirigeants relatives à leur curriculum vitae, recensées grâce à trois sources principales : Topmanagement, le Who's Who et le guide des Etats Majors, qui ont été systématiquement croisées pour améliorer la qualité des renseignements recueillis. Les données manquantes ont été recherchées sur les sites des sociétés et dans la presse, grâce à LexisNexis. Les nombreux recoupements effectués entre les différentes sources confortent la validité interne de nos données et sont un gage de la solidité de notre matériel empirique. La base constituée inclut également des renseignements sur les entreprises qu'ils ont dirigées, obtenus dans Osiris. 207 Données collectées dans la base initiale Sur le dirigeant - année de nomination - année de départ (s'il n'est plus en poste) - date de naissance - nationalité - détail de sa formation - origine (interne, externe…) - date d'entrée dans la vie active - date d'entrée dans la société - poste précédent occupé (fonction et société) - nombre de postes antérieurs (avec distinction ministères/entreprises) - nombre de fonctions différentes exercées - nombre de postes à l'international - nombre de mandats (direction, administrateur) - nombre de groupes différents dans lesquels le dirigeant a travaillé - nombre de secteurs différents où il a exercé (classification en sept secteurs d'activité : BTP, transport, industrie, services, banques et assurances, distribution, ministères, codifiée à partir de l'activité principale du groupe) - motif de départ du prédécesseur Sur la société - forme juridique - ville d'implantation du siège - nombre de filiales - chiffre d'affaires - effectif - capitalisation boursière en 2005 - marché de cotation - secteur d'activité - Tableau 10 : détail des informations collectées dans la base initiale - 208 La seconde base est celle qui a servi aux tests du modèle théorique. Elle contient 165 fiches de dirigeants. Par rapport à la base initiale, nous n'avons pas conservé : - 322 dirigeants qui sont aussi les créateurs de l'entreprise, plusieurs voies d'intervention du marché managérial ne s'exerçant pas dans leur cas au moment de la nomination : évaluation du dirigeant ayant conduit à sa sélection, sanction du prédécesseur, réduction des coûts disciplinaires liés à l'enracinement du dirigeant antérieur, récompense du dirigeant nommé pour ses qualités et ses performances. - 238 dirigeants qui ont exercé sur la période étudiée mais qui étaient déjà en poste en 1996. - 77 dirigeants identifiés comme des prédécesseurs mais qui ont dirigé la société avant qu'elle ne soit cotée (pour calculer la mesure de performance que nous avons retenue, nous avons eu besoin de la capitalisation boursière) et 23 car la société n'était pas cotée sur toute la période étudiée pour ce même calcul (cinq ans). - 121 fiches trop incomplètes malgré nos efforts pour collecter les données manquantes. - 61 dirigeants ayant été nommés en 2005, la variable de performance étant calculée sur deux années avant et après le changement de dirigeant. La base de test a été enrichie d'informations complémentaires par rapport à la base initiale, l'objectif étant cette fois de tester notre modèle. Le détail est présenté dans le chapitre IX qui décrit les variables et leur opérationnalisation. 209 CHAPITRE IX : DESCRIPTION ET OPERATIONNALISATION DES VARIABLES Le choix des variables est une étape très importante de la partie empirique, car la validation ou la réfutation de nos hypothèses en dépend fortement, et de ce fait les conclusions sur la qualité de notre modèle également. 9.1. La variable expliquée La mesure de la performance est une question complexe, qui dépend de la perspective choisie pour l‟analyse. Les critères de mesure, qu‟ils soient comptables ou boursiers, présentent des déficiences, et leur aptitude à capturer la capacité de la firme à créer de la valeur n‟est ni certaine ni partagée par tous les auteurs. D‟après Charreaux et Desbrières (1997, p. 28), "il y a création de valeur si le surplus obtenu par l‟entreprise permet de rémunérer les différents apporteurs de ressources financières au-delà de leur coût d‟opportunité". Une mesure de performance fréquemment utilisée dans les études de gouvernance relevant de l‟approche financière actionnariale est l‟évolution du cours de bourse pour les sociétés cotées. Cette évolution est analysée soit sous la forme événementielle, en prenant en compte les rentabilités anormales enregistrées au moment du phénomène, soit sur une durée plus longue, relativement aux autres entreprises du secteur ou à l‟ensemble du marché, par exemple dans les systèmes de rémunération. Nous ne l'avons pas retenue pour plusieurs raisons. Le choix de cette mesure pose le problème de l‟efficience des marchés boursiers, de leur capacité à intégrer immédiatement et totalement toute information disponible. De plus, la fixation de la date de changement et la durée de la fenêtre à considérer peuvent être sujet à controverse. Dans le cas qui nous intéresse, faut-il porter notre attention à la variation de la rentabilité au moment de la première annonce d'un futur de changement de dirigeant ou à la date de sa prise de fonctions ? La durée de la fenêtre est encore plus problématique, car pour prendre en compte les résultats des efforts et des compétences du nouveau dirigeant, plusieurs années apparaissent nécessaires. 210 D'autres mesures s'intéressent à la performance partenariale et incluent des critères non financiers tels que les parts de marché, l'indice de satisfaction de la clientèle, des critères de contrôle de gestion… Beaucoup plus riches, elles permettent l'appréhension d'une notion de performance élargie, ne se limitant pas à la maximisation de la valeur actionnariale. Elles nous semblent particulièrement intéressantes, mais, comme le fait ressortir Tirole (2001), la mise en œuvre de ce type de mesure est délicate et pose le problème de l'accès aux informations et de leur uniformisation. Ainsi le balanced scorecard de Kaplan et Norton (2005), outil élaboré prenant en compte les différentes sources de création de valeur et l‟ensemble des partenaires, peut constituer une base d‟information très utile en interne, mais la multiplicité et l‟équipondération des critères rendent difficile l‟usage et l‟analyse de cette mesure dans les études empiriques. Les mesures comptables et financières utilisées dans les études de gouvernance (et plus généralement dans les études de finance d'entreprise) sont multiples : le ROE (return on equity ou taux de rentabilité des capitaux propres), le ROA (return on assets ou taux de rentabilité des actifs)… Des mesures hybrides sont également fréquemment retenues, notamment le Q de Tobin, rapport entre la valeur de marché de l‟entreprise et sa valeur comptable. Il est considéré comme une mesure des opportunités de croissance, de la qualité des dirigeants et autres actifs intangibles. Mais aucune de ces mesures n'est fondée explicitement sur le coût du capital qui a été nécessaire pour réaliser la performance. Nous nous sommes intéressés à l'EVA, Economic Value Added, proposée par le cabinet Stern Stewart, qui est une adaptation d'une mesure ancienne le bénéfice "résiduel", comme mesure de performance, car elle nous apparaît constituer une bonne approche de la création de valeur dans la firme. Elle repose sur l'idée qu'une firme est réellement créatrice de richesse si son activité permet de dégager une rentabilité supérieure au coût des ressources financières utilisées, qui incluent les fonds propres mis à disposition par les actionnaires. Représentant le résultat résiduel, l'EVA est "la valeur subsistant après que les actionnaires d'une société (et tous les apporteurs de capital) aient été rémunérés de manière adéquate"67 (Stern et al. 1996, p. 224). Elle traduit la manière dont la stratégie des dirigeants affecte la richesse des actionnaires, en rendant explicite le coût du capital provenant des différents apporteurs (financiers et actionnaires). Une mesure de performance satisfaisante "d'un côté doit être 67 Stern J.M., Stewart G.B. III, Chew D.H. (1996, p. 224) : "the value that is left over after a company's stockholders (and all other providers of capital) have been adequately compensated". 211 fortement corrélée aux changements de richesse des actionnaires, de l'autre ne pas être sujette au caractère aléatoire et aux bruits inhérents au cours boursier de l'entreprise"68 (Bacidore et al., 1997, p. 11). L'EVA, pour les auteurs, répond à cette double condition. Lorsque les actionnaires sont mieux rémunérés par la firme qu'ils ne l'attendaient, compte tenu du niveau de risque de celle-ci, ils ont plus que couvert leur coût d'opportunité ajusté au risque. L'EVA, en montrant comment la firme a performé relativement aux capitaux qu'elle a employés pour obtenir ces résultats, nous semble constituer une mesure de création de valeur plus élaborée et plus pertinente que les mesures traditionnelles. Souvent considérée comme une évaluation de l'efficacité des dirigeants pour une année donnée, elle apparaît bien adaptée à notre question de recherche et à notre cadre théorique. L'EVA peut être calculée chaque année en multipliant la valeur comptable économique des capitaux propres de la firme (C) au début de l'année par la différence entre le résultat (R) et le coût des fonds propres (K) : EVAt = (Rt – Kt )* Ct-1 Elle peut aussi s'exprimer, de façon équivalente, comme la différence entre le résultat d'exploitation après impôt (NOPAT) et le montant de l'actif économique (capitaux propres comptables + dettes financières stables) multiplié par le coût moyen pondéré du capital : EVAt = NOPATt – CMPt * AEt-1 Deux arguments sont fréquemment opposés à l'utilisation de l'EVA. Le premier est lié à la complexité de sa mise en application. En effet, dans les modalités proposées par le cabinet Stern Stewart, de nombreux retraitements sont à effectuer (164 sont listés, mais ne sont pas tous pris en compte dans la plupart des calculs d'EVA). Dans une analyse quantitative comme la nôtre, l'accès limité aux informations comptables, la source utilisée, Osiris, ne reprenant pas l'intégralité des bilans et comptes de résultat, rend délicats les calculs d'EVA. Le second réside en la difficulté de déterminer le coût du capital. 68 Bacidore J.M., Boquist J.A., Milbourn T.T., Thakor A.V. (1996, p. 11) : "on the one hand, must be correlated highly with changes in shareholder wealth and, on the other, should not be subject to all of the randomness and "noise" inherent in a firm's stock price". 212 Compte tenu de notre intérêt pour cette mesure de performance, qui nous semble pouvoir traduire à la fois la création de valeur et le rôle joué par le dirigeant dans celle-ci, nous avons retenu la méthode utilisée par Fernandez et Villanueva (2005) pour calculer la valeur créée pour les actionnaires, car elle nous apparaît proche de la définition de l'EVA et de ses préoccupations, et présenter des atouts similaires tout en évitant les incertitudes de la mesure comptable du résultat. Les auteurs recherchent tout d'abord la valeur actionnariale ajoutée (SVA), c'est-à-dire la différence entre la richesse des actionnaires à la fin de l'année étudiée (n) et celle de l'année précédente, qu'ils calculent ainsi : SVAn = variation de la valeur de marché des capitaux propres (EMV) entre n et (n-1) + dividendes payés durant l'année n - montant des augmentations de capital + tous autres paiements aux actionnaires (émission en dessous du pair, rachats d'actions) - montant associé à la conversion des obligations convertibles ou autres obligations donnant accès au capital. Ils déterminent alors la rentabilité requise des capitaux propres (Ke), c'est-à-dire le coût des fonds propres, selon la logique du MEDAF, en ajoutant au taux de rentabilité des obligations d'État, censé exprimer le taux de l'actif sans risque, la prime de risque spécifique à la firme. La création de valeur pour l'actionnaire (CSV) est ainsi : CSVn = SVAn – (EMVn-1* Ke) Cette mesure s‟écarte de l‟EVA stricto sensu dans la mesure où la valeur créée n‟est pas déterminée à partir du résultat comptable mais à partir de la variation de la valeur de marché des fonds propres pendant l‟année. Il s‟agit donc d‟une mesure externe, par le marché, de la valeur créée. En tant que mesure de marché, elle tient compte des révisions des anticipations par les investisseurs financiers notamment quant à la valeur des opportunités de croissance. Elle s‟écarte donc de l‟EVA standard qui s‟appuie sur la mesure comptable, « interne », du résultat créé et donc est vulnérable aux manipulations de la comptabilité. D‟une certaine manière, nous préférons être soumis aux aléas de l‟évaluation par le marché qu‟aux biais de manipulation comptable, mais ce choix peut se contester. 213 Compte tenu de ce que nous souhaitons étudier, nous avons calculé les CSV sur une fenêtre de cinq années, allant de -2 à +2 par rapport à n, année du changement du dirigeant. Une étude sur sept ans aurait sans doute été souhaitable, mais l'élargissement de la période aurait conduit à diminuer encore notre échantillon, d'autant plus que le nombre de changements est croissant sur la période étudiée et particulièrement élevé en 2004 et 2005. Elle aurait également réduit l'actualité de notre analyse, en s'arrêtant aux changements de dirigeants de l'année 2003. Les informations nécessaires au calcul de SVA ont été collectées dans la base Osiris. Les données comptables sont toutes issues des bilans consolidés. Les capitalisations boursières ont été vérifiées avec les cours historiques ajustés fournis sur fr.finance.yahoo.com. Pour déterminer Ke, nous nous sommes appuyés sur le MEDAF : Ke = E(Ri) = Rf + β*(E(Rm) – Rf). La moyenne annuelle des TME, taux moyen des emprunts d'Etat, a été retenue pour le taux de l'actif sans risque, Rf. La prime de risque anticipée du marché a été pour simplifier estimée par la prime de risque historique pour la France calculée sur 104 ans par Dimson et al.69 en 2005, et qui figure dans le Vernimmen, 2005, p. 447), soit 3,7%. Les β ont été calculés grâce aux cours historiques ajustés obtenus sur fr.finance.yahoo.com, et pour les années les plus éloignées sur Fininfo, en utilisant la relation : β = COV(Ri,Rm) / VAR(Rm) Le taux de marché retenu correspond à celui du CAC 40, seul indice existant sur toute la période étudiée. Bien que calculé sur un échantillon réduit d'entreprises, il nous apparaît une estimation satisfaisante pour nos tests car les différents indices boursiers sont fortement corrélés. Nous avons effectué tous les calculs en respectant la date d'arrêté des bilans (mars, juin, septembre ou décembre), par souci de cohérence avec les informations comptables entrant dans la formule utilisée pour notre mesure de performance CSV. Les SVA ont été déterminées à partir des informations d'Osiris (corrigées éventuellement pour les capitalisations boursières) de la manière suivante : 69 Dimson, Marsh, Staunton (2005), Global Investment Returns Yearbook 2005, ABN-AMRO-LBS. 214 SVA n+1 = EMV n+1 – EMV n (a) + dividendes de n (versés en n+1) - ABS (variation de capital entre n et n+1) (b) (a) EMV capitalisation boursière de la société à la date d'arrêté du bilan. (b) la variation de capital est la somme de la variation du capital social et de la variation des primes d'émission afin de tenir compte des ajustements de la richesse investie par les actionnaires pendant l'année considérée. Notre variable à expliquer, la variation de performance de la firme, correspond à la différence entre la valeur créée en moyenne les deux années avant le changement de dirigeant ((CSVn-2 + CSVn-1)/2) et celle créée en moyenne les deux années ayant suivi ce changement ((CSVn+2 + CSVn+1)/2). Afin d'éliminer l'effet taille, nous avons rapporté chacune de ces moyennes à la valeur de la firme au début de la période considérée, soit EMV n-3 pour la création de valeur attribuable à l'ancien dirigeant, et EMVn pour celle correspondant au nouveau dirigeant. EMVn est en effet la valeur de la société au moment où elle lui a été confiée. VAR PERF = [(CSVn+2 + CSVn+1)/2] / EMVn - [(CSVn-2 + CSVn-1)/2] / EMVn-3 9.2. Les variables explicatives relatives au rôle du marché des dirigeants Nous allons maintenant décrire et commenter les opérationnalisations qui ont été retenues pour chacune des variables explicatives correspondant aux différentes voies d'intervention du marché managérial. 9.2.1. La sanction L'hypothèse H1 est relative à l'un des leviers disciplinaires du marché managérial, la sanction. Dans la théorie de l‟agence, la menace de révocation incite les dirigeants à agir dans l'intérêt des actionnaires. Une mauvaise performance engendre le départ du dirigeant, et devrait être suivie d'une amélioration des résultats de la firme, la sanction récente traduisant 215 pour le nouveau dirigeant une menace bien réelle dans cette firme en cas de résultats insuffisants. Nous avons donc recherché si le changement de dirigeant correspondait à un départ forcé. Nous nous sommes intéressés aux conditions de départ du dirigeant sortant, de façon à cerner le lien entre ce départ et la variation de performance : - Le dirigeant a quitté ses fonctions volontairement (offre de promotion, départ à la retraite attendu…). - Le prédécesseur est parti suite à des divergences avec les actionnaires ou le conseil d'administration, ou consécutivement à l'arrivée d'un nouvel actionnaire principal, mais sans avoir enregistré de mauvaises performances. - Il a fait l'objet d'un départ forcé consécutivement à des pertes financières ou à une forte dégradation du cours boursier. Les informations ont été recueillies dans la presse, à partir de recherches sur LexisNexis, permettant de collecter l'ensemble des articles de journaux relatifs à la nomination du nouveau dirigeant et au départ de son prédécesseur (les Echos, la Tribune, journaux régionaux…). La lecture de la presse sur une période encadrant le changement de dirigeant permet généralement d'identifier les motifs de départ du prédécesseur. Nous avons contrôlé l'existence de pertes financières et celle d'une chute des cours l'année du changement ou l'année précédente en décalage avec l'évolution du marché boursier sur la même période. La variable SANCTION comporte trois modalités : elle est égale à 0 s'il n'y a pas eu de sanction identifiée, à 1 en cas de départ contraint suite à des divergences avec les actionnaires ou les administrateurs, et enfin à 2 lorsque le prédécesseur a fait l'objet d'un départ forcé pour de mauvaises performances. Sa codification est basée sur une notion de progression : degré de gravité de l'origine de la sanction, qui sera utilisée pour l'interprétation des résultats. 9.2.2. La récompense La deuxième voie d'intervention disciplinaire du marché managérial que nous avons identifiée, la récompense des dirigeants performants, est l'objet de l'hypothèse H2. La perspective d'une récompense, en se voyant confier un poste plus prestigieux et/ou attribuer une rémunération plus élevée, constitue pour les dirigeants une incitation à rechercher la maximisation de la valeur de la firme (Renneboog et Trojanowki, 2003). Si la définition de la variable explicative RECOMPENSE apparaît assez simple, son opérationnalisation est 216 beaucoup plus complexe, principalement pour des raisons d'accessibilité aux données. La comparaison de la rémunération du dirigeant avant et après sa nomination à la tête de la société aurait été un critère pertinent d'évaluation de la récompense, malheureusement les informations sur les rémunérations des dirigeants ne figurent systématiquement dans les rapports annuels que depuis la loi sur les Nouvelles Régulations Economiques de 2001, or nous travaillons sur la période 1996 – 2005. D'autres raisons n'ont pas permis non plus d'accéder à ces données : un certain nombre de dirigeants ne l'étaient pas avant, notamment lorsqu'ils sont issus de la voie interne, d'autres occupaient des fonctions de direction mais dans une société non cotée. La seconde opérationnalisation envisagée a été de vérifier la performance du nouveau dirigeant dans son poste précédent. Là encore les données collectées étaient très partielles : comment chiffrer la performance antérieure d'un candidat qui n'était pas déjà dirigeant ? Nous avons de ce fait finalement choisi d'opérationnaliser la récompense par une simple variable binaire oui / non. Nous avons retenu à nouveau la solution de la presse et recherché à travers les articles publiés pendant la période de changement de dirigeant tout ce qui faisait mention d'une récompense du candidat. Citons deux exemples pour illustrer nos propos : - Patrick Kron, nommé en 2003 à la tête d'Alstom, a été, d'après la presse, recruté car les investisseurs lui prêtent des "qualités d'un capitaine d'industrie capable de redresser la barre chez Alstom" 70 . Pour "la première fois à la tête d'un monstre industriel", Patrick Kron "affiche un parcours sans faute". "A 50 ans, Il était temps pour lui de prendre son bâton de maréchal, il voulait passer à la vitesse supérieure" et "parfaire son ascension sociale"71. Son passage de la direction d'Imerys, entreprise de taille moyenne qui fabrique des matériaux pour l'industrie, à celle d'Alstom, a été codifié comme une récompense. - Les commentaires dans la presse relatifs à la nomination de John Schwarz à la tête de Business Objects en 2005 nous ont conduits à la même conclusion pour ce dirigeant : "il a le profil idéal, il a déjà réussi à hisser Symantec de 800 millions à 2,7 milliards de dollars de chiffre d'affaires et il a une grande connaissance de notre métier qu'il a acquise chez IBM"72. 70 Le Figaro, 8 janvier 2003. Le point, 1er avril 2004. 72 Les Echos, 13 septembre 2005, propos recueillis de Bernard Liautaud, précédent dirigeant et cofondateur. 71 217 Lorsque nous avions l'information sur la rémunération avant et après le changement, nous en avons tenu compte pour codifier s'il y avait ou non récompense. L'obtention d'un poste hiérarchiquement plus élevé (par exemple un directeur financier qui devient président du directoire : c'était le cas de Dominique Giraudier, nommé à la tête du groupe Flo en 2002), et celle d'un second poste de dirigeant, si la société précédente était de taille inférieure (estimée par le chiffre d'affaires), ont été classifiées comme des récompenses. Nous avons également cherché à identifier les autres motifs de la nomination du dirigeant : il s'agit du repreneur, d'un membre de la famille actionnaire principal, ou encore du dirigeant de la maison mère qui prend les rênes et devient le directeur général ou le président du directoire d'une de ses filiales. Dans ces trois cas de figure, nous avons opté pour une codification "non" par défaut, il est en effet difficile pour un dirigeant issu de la famille de déterminer si sa nomination représente la récompense de ses qualités et de ses résultats antérieurs ou s'explique en premier lieu par ses liens de parenté. 9.2.3. La réduction des coûts disciplinaires Dans la vision disciplinaire, les contrats informels que le dirigeant a pu mettre en place avec les différentes parties prenantes sont considérés comme des sources de coûts. Ils sont souvent particulièrement développés en cas d'enracinement du dirigeant, et font obstacle à la vision des actionnaires comme à celle des autres équipes dirigeantes, concurrents potentiels. Le recours à un nouveau dirigeant, notamment externe, entraînerait la réduction de ces coûts disciplinaires (Shleifer et Vishny, 1989). C'est l'idée développée dans l'hypothèse H3. Nous avons retenu comme variable explicative exprimant cette troisième voie d'intervention disciplinaire du marché managérial l'enracinement du dirigeant, celui-ci étant l'explication la plus fréquente de l'existence des contrats informels. Il a été opérationnalisé de manière simple, comme dans les travaux de Pigé (1993, 1996) ou encore de Paquerot (1997), par la durée de poste du dirigeant précédent. Celle-ci a été recensée grâce aux trois bases utilisées pour connaître les caractéristiques des dirigeants : Topmanagement, le Who'swho et le guide des Etats Majors. Lorsque le prédécesseur ne figurait dans aucune de ces trois sources, nous avons cherché l'information dans les annuaires Dafsaliens, dans les rapports annuels (à partir du site internet de la société ou de l'AMF) ou dans la presse, à partir de recherches sur LexisNexis. 218 L'ensemble des sources que nous venons d'évoquer ont été utilisées pour alimenter les variables cognitives qui vont être maintenant présentées. Les curriculum vitae des dirigeants sur les trois bases principales : Topmanagement, Who'swho et le guide des Etats Majors ne comportant pas toujours les mêmes informations, dans un souci de vérification et d'exhaustivité nous avons systématiquement interrogé les trois sources. Comme pour les prédécesseurs, les données manquantes ont été complétées grâce à Dafsaliens, aux rapports annuels, et à la presse via LexisNexis. 9.2.4. L'aide à la construction de la vision stratégique Comme nous l'avons développé dans la première partie, au chapitre 4.1., le marché managérial est susceptible d'intervenir dans la construction de la vision stratégique de plusieurs manières : - L'influence des caractéristiques des dirigeants sur leurs choix stratégiques a fait l'objet d'une vaste littérature, avec des résultats convergents (March et Simon, 1958, Hambrick et Mason, 1984, Wiersema et Bantel, 1992, Bertrand et Schoar, 2003), or ces caractéristiques ont probablement été évaluées par le marché managérial. - Le changement de dirigeant, qui a pu être suscité ou facilité par l'existence du marché managérial, se traduit généralement par des réorientations stratégiques dans l'entreprise, particulièrement significatives lorsque le candidat est un externe (Bantel et Jackson, 1989, Finkelstein et Hambrick, 1990, Denis et Denis, 1995, Shen et Cannella, 2003). Relativement au premier mode d'intervention, la prise en compte des caractéristiques des dirigeants, comme nous cherchons à expliquer la variation de performance liée au changement de dirigeant, nous nous sommes intéressés aux écarts de profils entre le nouveau dirigeant et son prédécesseur. Nous avons retenu les variables les plus utilisées dans la littérature : l'âge, la formation et l'expérience, car elles correspondent également aux principaux critères d'évaluation du dirigeant par le marché managérial que nous avons développés dans la deuxième partie au chapitre 2.1., et aux plus objectifs. La prise de décision des dirigeants serait influencée par leur âge, leur formation et leur expérience (Bertrand et Schoar, 2003). L'analyse des caractéristiques observables des dirigeants constitue une manière d'opérationnaliser leurs idiosyncrasies (Hambrick et Mason, 1984). L'appétence pour les risques, l'innovation ou encore la réceptivité au changement d'un dirigeant seraient fonction 219 de son âge, sa durée de poste, sa formation (Wiersema et Bantel, 1992). Les caractéristiques démographiques comme l'âge et l'ancienneté sont fréquemment utilisées pour rendre compte de façon approximative des attributs cognitifs sous jacents. Les données sont facilement accessibles et peuvent permettre la constitution d'échantillons plus larges, ainsi que la comparaison entre les études (Datta et Rajagopalan, 1998). Des variables démographiques comme l'expérience professionnelle n'ont pas de mesures psychologiques comparables (Finkelstein, 1988). D'après Datta et Rajagopalan (1998) et Finkelstein et Hambrick (1996), les variations dans les attributs cognitifs peuvent être évaluées à partir de quatre caractéristiques clés des dirigeants : l'ancienneté dans l'organisation, l'âge, le niveau de formation et l'expérience fonctionnelle. Finkelstein (1988) et Pfeffer (1983) soutiennent fortement l'utilisation de données démographiques, pour des raisons d'objectivité et de disponibilité des données. La variable VARAGE, qui comptabilise la différence d'âge entre le nouveau et l'ancien dirigeant, est l'opérationnalisation de la prise en compte de deux caractéristiques du dirigeant dans sa vision stratégique : l'âge et l'expérience. En effet, dans une vision simplifiée, l'expérience est supposée croître avec l'âge. De plus une opérationnalisation plus fine de l'expérience, notamment en termes de fonctions exercées, aurait posé des problèmes de multicolinéarité avec les variables de compétences décrites au paragraphe 9.2.5.. Pour la formation, nous nous sommes intéressés à deux aspects : - L'écart de niveau de diplôme entre les deux dirigeants, opérationnalisé par une variable binaire, prenant la valeur 0 si le nouveau dirigeant et son prédécesseur ont un diplôme de même niveau, 1 dans le cas contraire : c'est la variable VARDIPLOME. - La variété de leur formation : la variable VARTYPEFORM est binaire, elle prend la valeur 1 si le type de formation du nouveau dirigeant diffère de celui de son prédécesseur (la distinction a été principalement faite entre les études économiques ou de commerce, les études d'ingénieur ou techniques, les études politiques, et les autres types de formation), la valeur 0 lorsque il est le même. Le second mode d'intervention, les réorientations stratégiques consécutives au changement de dirigeant, nous a conduits à retenir une nouvelle variable VARORIGINE, explicitant la variation d'origine entre le nouveau dirigeant et l'ancien. Certaines études définissent comme 220 externes des dirigeants ayant plusieurs années d'ancienneté dans l'entreprise, en fixant un seuil (Vancil, 1987, Chaganti et Sambharya, 1987, Guthrie et al., 1991, Rose et Shepard, 1997). Nous avons choisi de retenir une classification stricte, qui nous semble plus pertinente : ont été considérés comme externes tous les dirigeants qui étaient depuis moins d'un an dans l'entreprise. Par exemple, dans la population des nouveaux dirigeants de notre échantillon, quinze d'entre eux, issus de l'extérieur, nommés à un poste de direction générale qu'ils ont occupé moins de douze mois avant de devenir le numéro un, ont été retenus comme "externes". L'objectif de ce poste intermédiaire est principalement, comme en fait écho la presse, une meilleure passation de pouvoirs entre l'ancien et le nouveau dirigeant. Les réorientations stratégiques étant généralement attribuées au passage d'un dirigeant interne à un externe, la variable VARORIGINE prend la valeur : 1 si le prédécesseur était un interne et le nouveau, un externe, -1 dans le cas contraire, 0 si les deux sont internes ou externes, c'est-à-dire de la même origine. La succession d'un créateur par un interne a été codifiée "0", car la continuité de la vision stratégique nous a semblée sous-jacente. Les repreneurs ont été considérés comme des externes ou des internes, selon la règle précédemment évoquée, à savoir en fonction de leur présence dans la firme depuis moins d'un an ou non. 9.2.5. L'apport et le développement de compétences La capacité des marchés à échanger et acquérir des connaissances est une des notions fondamentales de la vision cognitive. L'apport de nouvelles compétences, celles du dirigeant, et leur développement, favorisé par la multiplicité des expériences, constituent la seconde voie d'intervention cognitive du marché managérial, dont l'incidence positive sur la performance de la firme est testée sur la base des hypothèses H5a, H5b, H5c. Le lien entre les compétences managériales et la génération de rentes a notamment été postulé par Castanias et Helfat (1991, 2001), Barney (1991) ou encore Datta et Guthrie (2002). La notion de compétences, complexe, a fait l'objet de plusieurs typologies. Nous avons retenue celle développée par la théorie du capital humain de Becker (1964), présentée dans la première partie de la thèse, au paragraphe 2.1.1.6., qui s'appuie sur le degré de transférabilité des savoir-faire entre firmes : 221 - Les compétences génériques, pouvant être mises en pratique dans différentes firmes, qui regroupent par exemple les capacités en termes de management, de marketing ou encore de gestion. - Les compétences sectorielles, transférables d'une entreprise d'un secteur à une autre ayant le même type d'activité. - Les compétences propres à la firme, qui lui sont spécifiques et ne sont pas transférables à une autre entreprise. La distinction proposée par Becker nous semble pertinente et bien refléter les principaux axes de réflexion utilisés dans l'évaluation d'un candidat pour un poste de direction. Elle apparaît en outre pouvoir être assez facilement opérationnalisable. Nous avons ainsi retenu trois variables 73 , toujours en nous intéressant à la variation de compétences entre l'ancien dirigeant et le nouveau : - VARCOMPETGENERIQUES, qui comptabilise la différence de compétences génériques entre les deux dirigeants en fonction des différents postes qu'ils ont occupés dans leur carrière : ventes, marketing, production, finance, international, management. Cette variable vaut par exemple 2 (3-1) si le nouveau dirigeant a assumé précédemment des fonctions en production, finance et management (3 compétences génériques) et l'ancien dirigeant uniquement des postes de direction (1 compétence générique). Elle prend une valeur négative (-2) si la situation inverse est recensée. - VARCOMPETSECTEUR, sur le même principe, comptabilise la différence entre le nombre de firmes appartenant au même secteur d'activité dans lesquelles le nouveau dirigeant a exercé, quelle que soit sa fonction, et celui correspondant à son prédécesseur. - 73 VARCOMPETFIRME, qui reprend la différence d'années passées dans la firme. Les deux voies d'intervention cognitives sont opérationnalisées par plusieurs variables. Nous avons effectué des analyses factorielles pour chacune. Les facteurs obtenus ont été utilisés comme variables relais, mais les résultats des régressions n'étaient plus significatifs : comme nous le verrons dans le chapitre XI, certaines composantes sont significatives, mais pas toutes, de ce fait une combinaison linéaire des variables absorbe l'intérêt de certaines d'entre elles. 222 9.3. Les variables de contrôle Notre travail de recherche est centré sur le dirigeant, mais il apparaît évident que la création de valeur dans une entreprise dépend de nombreux autres éléments. Nous avons introduit dans nos tests plusieurs variables de contrôle, détaillées ci-après : - EFFECTIF : le dirigeant n'obtient pas ses résultats seul, il s'appuie sur son personnel, c'est pourquoi nous nous sommes intéressés à l'effectif, même s'il s'agit d'une approximation très sommaire ne tenant pas compte de la qualification du personnel. Nous avons collecté l'information sur Osiris et calculé le logarithme des différentes valeurs. - LOGASSETS: un indicateur de la taille de la firme habituellement utilisé dans les régressions (logarithme du total actif). - FILIALES : le nombre de filiales pouvant être un indicateur de la complexité de la fonction du dirigeant, nous avons également testé cette information obtenue à partir de la base Osiris. - VARPIB : la variation du produit intérieur brut a été retenue comme variable de conjoncture, les résultats des efforts des dirigeants étant logiquement amplifiés ou réduits par l'évolution économique du pays où ils exercent. Le PIB est un des indicateurs de croissance économique les plus utilisés. Le glissement annuel calculé par l'INSEE a servi de référence pour constituer cette variable de contrôle. Nous avons calculé l'évolution du PIB entre les deux périodes (n+1, n+2) et (n-2, n-1). Une seule d'entre elles, VARPIB, étant significative, nous avons finalement conduit les tests avec cette unique variable de contrôle, ce qui présente l'avantage de concentrer l'analyse sur les voies d'intervention du marché managérial et limite les problèmes de multicolinéarité. 223 Variable Signification SANCTION Sanction du prédécesseur Opérationnalisation 0 : pas de sanction, 1 : sanction pour divergences, 2 : sanction pour mauvaises performances. RECOMPENSE Récompense du candidat 0 : non, 1 : oui COUTSDISC Enracinement du prédécesseur Durée du mandat du prédécesseur. VARAGE Incidence du changement d'âge Différence entre l'âge du nouveau dirigeant entre les deux dirigeants sur la et celui de l'ancien. vision stratégique (rajeunissement et expérience différente) VARDIPLOME Incidence de la variation du niveau Variable binaire prenant la valeur 1 si le de diplôme entre les deux dirigeants niveau de diplôme du nouveau dirigeant et celui sur les décisions stratégiques de son prédécesseur sont différents, 0 s'il est identique. VARTYPEFORM Incidence d'un changement de la nature de la formation entre les Variable prenant la valeur 1 si un changement est recensé, 0 dans le cas contraire. deux dirigeants sur les décisions stratégiques VARORIGINE Incidence du changement d'origine Variable prenant la valeur 1 si l'ancien du dirigeant sur les réorientations dirigeant est un interne et le nouveau un stratégiques externe, -1 dans le cas contraire, et 0 s'il y a continuité (interne – interne, ou externe – externe). VARCOMPET Variation de compétences GENERIQUES génériques entre les deux dirigeants Différence entre le nombre de compétences génériques du nouveau dirigeant et celui de l'ancien, six compétences génériques étant recensées : vente, marketing, production, finance, international, management. VARCOMPET Variation de compétences Écart entre le nombre de firmes du même SECTEUR sectorielles entre les deux secteur dans lesquelles le nouveau dirigeant a dirigeants exercé et celui correspondant à son prédécesseur. VARCOMPET FIRME Variation de compétences Différence d'années passées dans le groupe. spécifiques à la firme entre les deux dirigeants - Tableau 11 : opérationnalisation des variables explicatives - 224 9.4. Les déterminants ou variables de contingence Deux familles de déterminants ont été identifiées dans la modélisation du rôle du marché managérial : les facteurs d'influence liés à la firme (structure de propriété, secteur d'activité) et ceux liés au dirigeant (stratégie de carrière externe, proximité de l'âge de la retraite, réseaux). 9.4.1. La structure de propriété La distinction retenue scinde la population étudiée en trois groupes indépendants : les firmes managériales, contrôlées ou familiales. Deux variables muettes ont été utilisées pour opérationnaliser les différentes structures possibles : STRUCTMANAGERIALE, STRUCTFAMILIALE. Elles prennent la valeur 1 s'il s'agit respectivement d'une firme managériale ou d'une firme familiale, 0 sinon. La structure contrôlée correspond à la situation où les deux variables muettes valent 0. L'information a été collectée à partir de Dafsaliens, par une recherche historique : les informations ont été recensées à la date de nomination du dirigeant. Elle a été contrôlée chaque fois que cela était possible grâce aux rapports annuels des sociétés. Le seuil retenu est de 10% : si aucun actionnaire de la firme ne détient plus de 10% du capital, elle est codifiée comme managériale, si un actionnaire est au-delà de 10%, l'entreprise est soit contrôlée, soit familiale selon la nature de cet actionnaire. 9.4.2. Le secteur d'activité Une classification en six secteurs a été utilisée : bâtiment et travaux publics (BTP), industrie, services, distribution, transport, finance. Comme pour la structure de propriété, cinq variables muettes ont été utilisées : SECTBTP, SECTINDUSTRIE, SECTTRANSPORT, SECTSERVICES, SECTDISTRIB, elles prennent la valeur 1 si le secteur d'activité principale de la firme est celui évoqué dans l'intitulé de la variable, 0 dans les autres cas. Le secteur financier est obtenu par défaut lorsque les cinq variables muettes sont à zéro, les souspopulations étant indépendantes. Plusieurs sources ont servi à la codification, pour déterminer le secteur principal d'activité (critère retenu : le chiffre d'affaires), les groupes en ayant souvent plusieurs : Osiris (qui fournit le primary US SIC code et le détail des lignes métiers), les rapports annuels permettant 225 de vérifier qu'à la date de la nomination, l'activité principale était déjà celle proposée par Osiris. 9.4.3. La stratégie de carrière externe Cette variable, nommée STRATCARRIEREEXTERNE a été opérationnalisée par le nombre de groupes différents dans lesquels le dirigeant a travaillé au cours de sa carrière, tous secteurs confondus. Les renseignements ont été collectés et croisés, comme tous ceux concernant le curriculum vitae du dirigeant, à partir des trois bases Topmanagement, Who'swho et Guide des Etats Majors. 9.4.4. La proximité de la retraite L'âge du dirigeant a été utilisé pour ce déterminant, en définissant la proximité de la retraite à partir de l'idée que la nomination étudiée constitue a priori son dernier poste. La barre a été fixée à 55 ans inclus : compte tenu de la durée moyenne de mandat relevée dans notre échantillon et de la limite d'âge d'un dirigeant généralement fixée à 65 ans, au-delà de ce seuil la probabilité que la nomination constitue le dernier poste du nouveau dirigeant est très forte. La variable ainsi obtenue a été nommée PROXRETRAITE. 9.4.5. Les réseaux Les appuis de réseaux peuvent être de multiples sortes : réseaux d'administrateurs, amicaux, cercles professionnels, clubs… Pour des raisons d'accessibilité des données et de comparatibilité, nous avons étudié l'impact de trois réseaux seulement : le réseau des dirigeants ayant occupé au moins un poste dans un ministère, le réseau des plus grandes écoles (ENA, Polytechnique, Ponts, Mines, Centrale, HEC) et celui des grands corps. Ils sont tous les trois fréquemment évoqués dans les études du marché français, et l'information a pu être obtenue à partir des trois bases habituelles sur les dirigeants. Les autres réseaux (cercles…) présentent des risques de biais importants, l'information collectée étant trop parcellaire. Trois variables ont ainsi été constituées et testées séparément : RESEAUMINISTERE, RESEAUGRANDEECOLE, RESEAUGRANDSCORPS. 226 Variable Signification STRUCTMANAGERIALE Structure de propriété : STRUCTFAMILIALE managériale, familiale ou contrôlée Opérationnalisation Variables muettes prenant la valeur 1 respectivement si : - aucun actionnaire ne détient 10% ou plus du capital (STRUCTMANAGERIALE), - un actionnaire d'origine familiale détient au moins 10% du capital (STRUCTFAMILIALE) SECTBTP, Secteur d'activité, Variables muettes prenant la valeur 1 si le SECTINDUSTRIE, décomposition en six secteur d'activité principale de la firme est celui SECTTRANSPORT, secteurs (bâtiment et évoqué dans l'intitulé de la variable, 0 dans les SECTSERVICES, travaux publics, industrie, SECTDISTRIB transport, services, autres cas distribution, services financiers) STRATCARRIERE Stratégie de carrière EXTERNE externe poursuivie par le Nombre de groupes différents dans lesquels le dirigeant a travaillé au cours de sa carrière nouveau dirigeant PROXRETRAITE Proximité de la retraite du nouveau dirigeant (dernier poste) RESEAUMINISTERE Appui réseau Variable binaire prenant la valeur 1 si le dirigeant est âgé de 56 ans et plus à sa nomination, 0 sinon Binaire prenant la valeur 1 pour les dirigeants ayant effectué au moins un poste dans un ministère, 0 sinon RESEAUGRANDE Appui réseau ECOLE Binaire prenant la valeur 1 pour les dirigeants issus des plus grandes écoles (ENA, Polytechnique, Ponts, Mines, Centrale, HEC) RESEAUGRANDS Appui réseau CORPS Binaire prenant la valeur 1 pour les dirigeants appartenant à un grand corps de l'État - Tableau 12 : opérationnalisation des variables de contingence - 9.5. Les autres mécanismes de gouvernance 9.5.1. Le conseil d'administration Le rôle disciplinaire du conseil d'administration a été opérationnalisé par le pourcentage d'administrateurs indépendants au conseil, ce critère étant pris en compte dans les obligations légales aux Etats-Unis (loi Sarbanes Oxley de 2002) et figurant pour d'autres pays dans les 227 principales recommandations des rapports de gouvernance pour améliorer la qualité du contrôle, en France par exemple (rapports Viénot I en 1995, Viénot II en 1999, Bouton en 2002), ou encore en Angleterre (rapport Cadbury en 1991, Combined Code en 2002). La définition de l'indépendance retenue a été celle du document diffusé par le MEDEF et l'AFEP en octobre 2003 (voir annexe 1), car c'est celle que nous avons rencontrée le plus fréquemment dans les rapports annuels. Nous avons pris en considération dans notre étude le degré d'indépendance du conseil d'administration en année n, c'est-à-dire au moment du changement, le renouvellement du dirigeant et sa sélection ayant été décidés par les administrateurs présents cette année là. Plusieurs sources ont été nécessaires pour collecter les données sur cette variable. Chaque fois qu'il était disponible sur le site de la société, nous avons utilisé le rapport annuel de l'année du changement de dirigeant (n) pour rechercher la composition du conseil d'administration et l'indépendance de ses membres. Nous avons vérifié la définition de l'indépendance reprise par la société, et lorsqu'il y avait un écart avec celle que nous avions retenue, nous avons cherché, pour compléter, les liens et le curriculum vitae des administrateurs dans le rapport annuel, dans Dafsaliens et dans les autres bases utilisées pour les dirigeants (Who'swho, Topmanagement, Guide des Etats Majors). Lorsque le rapport annuel n'était pas disponible (notamment pour les années étudiées les plus anciennes), nous avons identifié les administrateurs l'année du changement grâce à une recherche historique sur Dafsaliens, puis le critère d'indépendance a été établi à partir des informations sur les liens des administrateurs avec d'autres sociétés recueillies sur Dafsaliens et des renseignements sur leur curriculum vitae figurant dans Topmanagement, le Who'swho et le Guide des Etats Majors. Le rôle cognitif des administrateurs a été plus délicat à opérationnaliser. Nous avons finalement retenu comme approximation le nombre de firmes différentes avec lesquelles le conseil d'administration est en relation à travers les fonctions exercées par ses membres (comme dirigeants ou administrateurs). Les informations ont été collectées à partir de la base Dafsaliens, en listant pour chaque administrateur les autres sociétés avec lesquelles il pouvait avoir des liens, puis en réduisant les doublons existants à l'intérieur d'un même conseil. Cette estimation nous a paru constituer une solution pour prendre en compte deux aspects importants de l'analyse cognitive : l'apport de connaissances et de compétences, supposé plus développé si l'administrateur exerce des fonctions de direction dans d'autres sociétés, et l'apport de réseaux, également probablement plus significatif dans ce cas. 228 Les deux variables correspondantes ont été nommées CADISC et CACOGN. 9.5.2. Le contrôle direct des actionnaires Le contrôle direct par les actionnaires a été introduit dans notre modèle théorique sous la dimension disciplinaire. L'opérationnalisation retenue pour cette variable, appelée ACTIONNAIRES, a été le pourcentage détenu par l'actionnaire le plus important. L'information a été collectée pour l'année du changement de dirigeant. La recherche historique a été faite à partir de la base Dafsaliens. L'information a été vérifiée dans le rapport annuel chaque fois que cela était possible. 9.5.3. Les créanciers prêteurs C'est également le rôle disciplinaire des créanciers prêteurs qui a été pris en compte dans la modélisation. Ceux-ci sont en effet supposés exercer un contrôle dont l'importance croît avec l'importance du financement qu'ils accordent à la société. Le degré de liberté, de latitude du dirigeant serait alors fonction de sa capacité d'autofinancement. C'est pourquoi la variable CREANCIERS a été opérationnalisée à partir du ratio capacité d'autofinancement / dettes à moyen et long terme. La CAF a été calculée de manière simplifiée : CAF = résultat net + dotations aux amortissements pour deux raisons : d'une part nous n'avions accès qu'à certains postes du compte de résultat dans Osiris, la base d'information comptable et financière utilisée, d'autre part nous avons travaillé sur les comptes consolidés, pour lesquels il n'y a pas de calcul standard de la CAF. Les données ont été collectées l'année n du changement de dirigeant. 9.5.4. Le marché des prises de contrôle Deux voies d'intervention du marché des prises de contrôle ont été prises en compte dans notre modèle théorique : une disciplinaire et une cognitive. Sous la dimension disciplinaire, nous avons opérationnalisé la variable MPCDISC à partir du caractère opéable de la société. En effet si la firme est réputée opéable, l'incitation à la performance est certainement plus forte pour le dirigeant, qui veut éviter d'être évincé en cas de prise de contrôle. Nous avons utilisé plusieurs méthodes pour déterminer si une entreprise de notre échantillon était opéable ou non. La notion de menace étant importante dans le rôle disciplinaire joué par le marché des 229 prises de contrôle, nous avons recherché sur LexisNexis tous les articles parus dans la presse française contenant le mot "opéable". Ils sont nombreux, nous en avons étudié 1385 sur la période 1996 – 2007 (dont 1000 depuis fin 2001). Ils sont essentiellement issus de la presse financière (la Tribune, les Echos, le Journal des Finances…). Ceci nous a permis d'identifier 143 sociétés réputées opéables à une date donnée (dont 47 appartenant à notre base de tests), et 40 sociétés réputées non opéables (dont 17). Pour codifier les autres firmes, nous avons tenu compte des informations complémentaires sur la société dont nous disposions (structure en commandite, existence de pactes d'actionnaires). Enfin nous avons classifiée comme opéable toute entreprise satisfaisant à au moins un des deux critères suivant : - n'avoir pas d'actionnaire de type industriel ou familial détenant plus d'un tiers du capital, - avoir plus de 33% de flottant. La barre a été fixée relativement aux obligations de déposer une offre publique d'achat pour toute personne physique ou morale venant à franchir le seuil d'un tiers du capital ou des droits de vote. Les firmes détenues majoritairement par des investisseurs institutionnels ou de type managérial ont été classées comme opéables. L'intervention cognitive du marché des prises de contrôle peut s'effectuer sous deux formes : d'une part, des réorientations stratégiques sont généralement mise en place consécutivement à l'arrivée d'un repreneur, d'autre part la firme va probablement bénéficier de l'apport des connaissances, des compétences et des réseaux du repreneur. Pour l'analyser le rôle cognitif du marché des prises de contrôle, nous avons recherché les entreprises ayant changé d'actionnaire principal l'année du renouvellement du dirigeant : la variable binaire MPCCOGNSTRAT reprend cette information (elle prend la valeur 0 s'il n'y a pas eu de changement, 1 dans le cas inverse). Nous avons créé une autre variable, MPCCOGNCOMPET, qui codifie le repreneur en fonction de sa qualité : financier, investisseur institutionnel, industriel, individuel, salariés. 9.5.5. Le marché des biens et services Le marché des biens et services a été introduit dans le modèle théorique sous la dimension disciplinaire, la latitude du dirigeant pouvant être réduite par l'existence d'une forte concurrence sur son secteur d'activité. Le risque de sanction par ce mécanisme est supposé agir en complémentarité du rôle joué par le marché managérial. Une baisse de compétitivité 230 de la firme constitue une alerte, qui peut, si elle n'est pas prise en compte, engendrer des conséquences sévères conduisant jusqu'au dépôt de bilan ou au redressement judiciaire, et souvent généralement à la révocation du dirigeant. La variable MBSDISC, représentant le rôle disciplinaire du marché des biens et services, a été opérationnalisée par le nombre de firmes ayant le même code d'activité rapporté au nombre total de firmes répertoriées en France. L'information a été collectée sur la base Diane pour l'activité principale recensée, en s'appuyant sur la nomenclature d'activités française NAF rév. 1 de 2003 niveau 60 distinguant 99 divisions (utilisée par Diane). Variable CADISC Signification Opérationnalisation Rôle disciplinaire du CA % d'administrateurs indépendants au conseil CACOGN Rôle cognitif du CA Nombre de firmes différentes avec lesquelles les administrateurs sont en relation par mandat ACTIONNAIRES CREANCIERS MPCDISC Contrôle direct par les actionnaires % actionnaire principal Rôle disciplinaire des créanciers Capacité d'autofinancement / prêteurs Dettes à Moyen et Long Terme Rôle disciplinaire du marché des Caractère opéable de la société prises de contrôle MPCCOGNSTRAT Incitation aux réorientations Binaire oui/non s'il y a eu stratégiques suite à une prise de changement d'actionnaire principal contrôle MPCCOGNCOMPET Apport des compétences du Nature du repreneur (financier, marché des prises de contrôle investisseur institutionnel, industriel, individuel, salariés) MBSDISC Rôle disciplinaire du marché des Nombre de firmes ayant le même biens et services code d'activité principale sur la population totale des firmes répertoriées - Tableau 13 : opérationnalisation des variables représentant les autres mécanismes de gouvernance - 231 CHAPITRE X : LES CARACTERISTIQUES DU MARCHE MANAGERIAL FRANÇAIS L'échantillon de base, qui contient 1007 fiches de renseignements, nous permet de dresser un portrait assez détaillé des dirigeants ayant été à la tête d'une société cotée française entre 1996 et 2005. Cette partie descriptive apporte sa contribution à notre réflexion, en enrichissant et en actualisant la vision du marché managérial français qui émanait de travaux précédents (Pigé, 1993 et 1996, Dherment Ferrère et Renneboog, 2000, Bertrand et al., 2004, Nguyen-Dang, 2005). Comme nous l'avons déjà évoqué dans le chapitre VIII, un des intérêts de notre étude est d'analyser, sur une période récente, le marché des dirigeants en prenant en compte des sociétés de tailles différentes, certes cotées pour des raisons d'accessibilité aux données, mais offrant un éventail de situations plus large qu'un panel constitué des deux cents plus grosses entreprises françaises. Le tableau 14 ci-dessous et les deux graphiques qui le suivent détaillent les caractéristiques des sociétés étudiées, et mettent en évidence leurs disparités. Le chiffre d'affaires en 2005 de la plus petite entreprise cotée est inférieur à 100 000 euros (Etablissements Fauvet Girel), celui de la plus grosse atteint 121 milliards d'euros (Total). 50% des firmes de l'échantillon réalisent moins de 100 millions de chiffre d'affaires. Les effectifs, avec une moyenne de 11 167 personnes, présentent également une dispersion très large : ils vont de 3 personnes pour Access2net à 440 479 pour Carrefour. Enfin la capitalisation boursière varie de 830 000 euros pour Edip à 136 milliards d'euros pour Total. La moitié des sociétés étudiées a une capitalisation boursière inférieure à 100 millions d'euros. Les groupes français analysés comptent en moyenne 70 filiales, le plus petit n'en ayant aucune, le plus grand plus de 5 000 (AXA). 42% des firmes de l'échantillon ont moins de 10 filiales. 232 Chiffres d'affaires (millions d'euros) Effectif Capitalisation boursière (millions d'euros) Nombre de filiales Moyenne Médiane Minimum Maximum 2 241 100 0,1 120 545 11 167 2 364 654 99 3 0,83 440 479 135 703 70 13 0 5059 - Tableau 14 : description des 637 sociétés françaises cotées constituant l'échantillon – REPARTITION DES SOCIETES DE L'ECHANTILLON SELON LEUR CHIFFRE D'AFFAIRES % 20 15 10 5 0 <= 10 11 à 20 21 à 50 51 à 100 101 à 200 201 à 500 501 à 1000 1001 à 10000 > 10 000 M€ - Figure 12 : répartition par tranche de chiffre d'affaires des sociétés de l'échantillon – REPARTITION DE L'ECHANTILLON SELON L'EFFECTIF % 30 25 20 15 10 5 0 < 100 101 à 500 501 à 1000 1001 à 5000 5001 à 10000 10000 à 100000 > 100000 - Figure 13 : répartition par tranche d'effectif des sociétés de l'échantillon – 233 Les groupes familiaux dominent dans l'échantillon : 61%, ce qui est en cohérence avec les études précédentes effectuées sur la France, et la part de créateurs propriétaires de leur entreprise est élevée, comme nous le verrons au paragraphe 10.1.. Les firmes contrôlées74 représentent 34% de la base et les sociétés managériales75 5% seulement. Structure de propriété Managériale Contrôlée Familiale Firmes de l'échantillon 5% 34% 61% (562 observations) - Tableau 15: Répartition des firmes de l'échantillon selon la structure de propriété – Sur la période étudiée, la base de données reprend les informations relatives à 641 dirigeants en place (ce nombre est supérieur à 637 car certaines sociétés ont une direction bicéphale : E.A.D.S., JC Decaux), et à 366 dirigeants ayant été en fonction entre 1996 et 2005. Nous avons, chaque fois que cela était possible, rapproché nos chiffres de ceux de Pigé (1993), dont l'étude portait sur 558 sociétés cotées françaises entre 1980 et 1990. Notre échantillon est un peu plus large (637 sociétés), mais coïncide probablement assez bien avec celui de Pigé, et le parallèle effectué permet de souligner certaines évolutions intéressantes du marché managérial français. Certaines données des études de Bertrand et al. (2004) et Nguyen-Dang (2005) ont également été utilisées pour faire des rapprochements avec nos résultats. Rappelons que l'analyse de Bertrand et al. portait sur les dirigeants des sociétés cotées françaises entre 1989 et 2002 recensés dans le Who's Who ou les annuaires des anciens élèves de l'ENA et de Polytechnique. Des comparaisons internationales ont également été opérées afin d'essayer de dégager les particularités françaises. Deux études récentes, déjà présentées au chapitre II, paragraphe 2.1.4., ont été utilisées : l'analyse des dirigeants américains de Fortune 100 à deux périodes données : 1980 et 2001, réalisée par Cappelli et Hamori (2005) et celle portant sur les 2 500 74 75 Firme contrôlée : un actionnaire, qui n'est ni individuel ni d'origine familiale, détient plus de 10% du capital. Société managériale : capital dispersé, aucun actionnaire n'en détenant au moins 10%. 234 plus importantes capitalisations boursières mondiales de 1995 à 2004, proposée par Péladeau et al. du cabinet Booz Allen Hamilton (2005). Les tableaux 16 et 17 ci-dessous présentent une synthèse des échantillons et des sources utilisées dans les études que nous avons retenues à titre de comparaison, pour la France d'une part et pour l'international d'autre part. Concernant la France, notre étude se distingue des travaux antérieurs les plus récents par son périmètre. En effet le croisement de trois sources sur les dirigeants (Who's Who, Guide des États Majors, Topmanagement), la recherche d'informations complémentaires sur LexisNexis et les sites des sociétés, qui ont conforté la fiabilité de notre base de tests, ont aussi permis un élargissement de la population prise en compte, le Who's Who, fréquemment utilisé, ne recensant que les dirigeants les plus connus. Auteurs Année Échantillon Période étudiée Sources utilisées sur les dirigeants 1993 1996 559 sociétés cotées françaises 1966-1990 - Desfossés - Dafsa - Who's who DhermentFerrère et Renneboog 2000 235 sociétés cotées au premier marché de Paris ayant enregistré un changement de dirigeant 1988-1992 - Desfossés - Dafsa - Who's Who Les Échos Bertrand, Kramarz, Schoar, Thesmar 2004 Sociétés cotées françaises 1989 - 2002 -Who's Who - Dafsa - Annuaires des écoles ENA et Polytechnique Nguyen-Dang 2005 Plus grandes sociétés cotées françaises (200 en début de période, 400 en fin) 1994-2001 - Guide des États Majors - Lexis-Nexis Pigé - Tableau 16 : caractéristiques des échantillons des études des dirigeants français prises en comparaison – Auteurs Année Échantillon Période étudiée Sources utilisées sur les dirigeants Péladeau, Romac et Favennec, 2005 2500 plus grandes entreprises mondiales 1995, 1998 et 2000-2005 Étude annuelle du cabinet Booz Allen Hamilton Cappelli et Hamori 2005 Dirigeants des sociétés américaines figurant dans Fortune 100 1980 et 2001 - Dun & Bradstreet reference book of corporate managements - Standard & Poor's register of corporations, directors and executives - Tableau 17 : caractéristiques des échantillons des études internationales prises en comparaison – 235 10.1. Caractéristiques du marché managérial français entre 1996 et 2005 La base de données constituée permet de dégager les grandes caractéristiques du marché managérial français sur la période étudiée et d'en apprécier l'évolution. Nous avons estimé son activité en calculant le taux de rotation des dirigeants, en nous intéressant à leur origine et à leur longévité, à la rapidité d'accession à un poste de dirigeant, au taux de départs forcés ainsi qu'à la motivation de ces derniers. 10.1.1. Taux de rotation des dirigeants Le taux de rotation des dirigeants français apparaît assez faible sur la période, bien que dans la fourchette attendue : il est en moyenne de 6,9%. Une augmentation de ce taux est observable et notable en 2004 et en 2005. Si la période étudiée est scindée en deux, le taux de rotation annuel des dirigeants ressort à 6,5% de 1996 à 2000 et à 7,4% de 2001 à 2005, en nette progression. Il a atteint 10% en 2005. Dans l'analyse de Nguyen-Dang (2005), le taux de rotation des dirigeants ressortait à une moyenne de 6% entre 1994 et 2001. Ces éléments iraient dans le sens d'un renforcement du rôle du marché managérial. Nos statistiques sont nettement inférieures à celles publiées par Péladeau et al. (2005) pour l'Europe (10% en 2003, 17% en 2004), mais le périmètre géographique est différent et la taille des sociétés analysées également, leur étude portant sur les plus grandes capitalisations boursières mondiales. Il n'est pas surprenant que le taux de rotation soit plus réduit dans des entreprises de taille inférieure, l'accès au marché des dirigeants étant plus difficile et plus coûteux proportionnellement. Il est intéressant de noter, comme le montre le tableau 18 extrait de l'étude de Péladeau et al. (2005), que l'Europe, à part le rattrapage de 2004, connaît un taux de renouvellement toujours inférieur à celui de l'Amérique du Nord et du Japon. Le rapprochement des deux études laisse à penser que le marché managérial français serait moins actif que le marché du travail des dirigeants américain ou japonais : les changements de dirigeants seraient moins fréquents en France, mais une convergence serait en cours, le taux de départs ayant fortement augmenté en 2004 et 2005. 236 TAUX DE ROTATION ANNUEL DES DIRIGEANTS 12,0% 10,0% 10,0% 8,0% 6,0% 6,7% 7,0% 1997 1998 7,5% 6,7% 6,5% 1999 2000 6,5% 5,4% 7,0% 5,9% 4,0% 2,0% 0,0% 1996 2001 2002 2003 2004 2005 - Figure 14 : taux de rotation annuel des dirigeants français sur la période 1996 à 2005 – - Tableau 18 : taux de rotation annuelle des dirigeants des plus grandes capitalisations boursières, Péladeau et al. (2005), p. 2 – 10.1.2. Origine des dirigeants Les créateurs d'entreprise sont extrêmement bien représentés, ils constituent 34% des dirigeants des sociétés cotées françaises entre 1996 et 2005. Le marché interne domine, avec 39% des dirigeants d'origine interne, c'est-à-dire présents depuis un an et plus dans le groupe. Un dirigeant sur cinq a été recruté à l'extérieur de la firme. Rappelons la délimitation entre les internes et les externes que nous avons retenue, et qui a été détaillée au paragraphe 9.2.4. : est considéré comme d'origine interne tout dirigeant ayant exercé un an et plus dans la firme. Les externes sont les candidats arrivant directement d'une autre entreprise pour être dirigeant, ou 237 ayant été en mission pendant plusieurs de mois (maximum douze) avec le prédécesseur, dans une optique de bonne passation des consignes. L'étude de Pigé (1993) ne permet pas une comparaison directe, car il s'était intéressé aux dirigeants déjà dans l'entreprise cinq ans avant leur nomination. Cependant, ceux-ci représentant 40% de l'échantillon à l'époque, il semble que la proportion d'internes ait diminué entre les deux périodes étudiées en France puisqu'aujourd'hui avec une notion plus large d'internes (dans l'entreprise depuis au moins un an), la part n'est que de 39%. Cette constatation est confirmée avec la figure 15, qui montre que la proportion de nominations de dirigeants d'origine interne et celle d'externes se rejoignent en 2005, après une prédominance depuis 1996 des internes. La comparaison avec l'étude mondiale de Péladeau et al. (2005), à partir des figures 16 et 17, fait ressortir deux éléments intéressants : d'une part, la courbe a sensiblement la même forme, avec un creux en 2000, c'est-à-dire avant la loi NRE76 (2001) et la loi Sarbanes-Oxley (2002), d'autre part, le taux de dirigeants d'origine externe est globalement plus élevé en France qu'en moyenne dans le monde sur la même période et demeure orienté à la hausse depuis 2003, alors qu'un fléchissement est observable au niveau mondial. Ce qui pourrait signifier que contrairement aux idées reçues, le marché du travail des dirigeants serait plus actif en France. ORIGINE DES DIRIGEANTS DE L'ECHANTILLON Externes 19% Créateurs 34% Repreneurs 8% Internes 39% - Figure 15 : origine des dirigeants français sur la période 1996 à 2005 (948 fiches exploitables) - 76 Loi sur les Nouvelles Régulations Économiques de mai 2001. 238 EVOLUTION DE L'ORIGINE DES DIRIGEANTS % 60 50 Créateurs 40 Externes 30 Internes 20 Repreneurs 10 0 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 - Figure 16 : évolution de l'origine des dirigeants français sur la période 1996 à 2005 - - Figure 17 : part d'externes dans l'étude mondiale de Péladeau et al. (2005, p. 6) - Le croisement entre l'origine et la structure de propriété (tableau 19) confirme un résultat intuitif, à savoir que les sociétés managériales recrutent davantage de dirigeants externes (43% des renouvellements), puis ce sont les firmes contrôlées avec 27%, cette proportion tombant à 11% chez les firmes familiales. Nous avons également vérifié le poids des héritiers parmi les dirigeants d'origine interne nommés dans les sociétés familiales : ils représentent 52% des nominations internes dans cette structure de propriété. 239 Structure de Créateurs Internes Repreneurs Externes Nombre propriété d'observations Managériale 23 % 32 % 2% 43 % 56 Contrôlée 13 % 50 % 10 % 27 % 342 Familiale 50 % 33 % 6% 11 % 466 - Tableau 19 : origine des dirigeants selon la structure de propriété - 10.1.3. Rapidité d'accession au poste de dirigeant Les dirigeants à la tête des sociétés cotées françaises entre 1996 et 2005 ont occupé en moyenne 5,1 postes avant de devenir numéro un. Les écarts sont importants : 4% ont été nommés directement à la fin de leurs études, 11% totalisent dix postes et plus avant de devenir le dirigeant d'une des sociétés étudiées. Les dirigeants sont promus numéro un d'une des firmes étudiées en moyenne après un peu moins de vingt ans de vie professionnelle : 20% d'entre eux le deviennent avant dix ans. Le rapprochement avec l'étude de Cappelli et Hamori (2005), même s'il doit être fait avec précaution, les firmes analysées étant plus importantes (elles appartiennent au classement Fortune 100) et la définition des dirigeants plus large (top executives), tendrait à mettre en évidence que l'accession à un poste de dirigeant est légèrement plus rapide en France qu'aux États-Unis (figure 18) : en 2001, il fallait occuper en moyenne 5 postes avant de devenir dirigeant (5,8 en 1980) et 24,1 années de vie professionnelle (28,4 années en 1980). - Figure 18 : modalités d'accession à un poste de dirigeant – Étude aux États-Unis de Cappelli et Hamori (2005, p. 28) - 240 L'origine est discriminante dans notre étude : les créateurs occupent moins de trois postes avant de fonder leur entreprise, les internes sont passés par un peu moins de six postes avant d'être nommés, les externes sept. La promotion plus rapide des dirigeants par la voie interne peut s'expliquer par les transmissions de pouvoir dans les groupes familiaux, qui s'effectuent souvent après une période d'intégration dans la firme assez courte. En effet 45% des dirigeants d'origine interne ont été nommés dans une entreprise familiale, ce qui influence fortement cette sous-population. Nous avons calculé le nombre moyen de postes effectués par les candidats internes, en distinguant chaque structure de propriété. Les dirigeants d'origine interne à la tête d'une société managériale totalisent en moyenne 8 postes, dans les sociétés contrôlées 7 postes, ce qui est proche du résultat des candidats externes, alors que les internes qui dirigent une entreprise familiale n'ont à leur actif que 4 postes en moyenne. La distinction entre les dirigeants "héritiers" et les autres candidats d'origine interne dans les firmes familiales confirme un résultat intuitif : les dirigeants issus de la famille sont nommés à la tête de l'entreprise après seulement 2,8 postes en moyenne. A noter que la promotion demeure un peu plus rapide pour un interne non héritier dans une firme familiale, il a occupé 5,6 postes avant d'être dirigeant. Créateurs Internes Repreneurs Externes Nb moyen de postes occupés 2,7 5,7 5 7 - Tableau 20 : nombre moyen de postes effectués avant de devenir dirigeant selon l'origine - La structure de propriété est également discriminante : pour conforter ce que nous venons d'évoquer, nous avons calculé le nombre moyen de postes occupés avant de devenir dirigeants, quelle que soit l'origine cette fois, dans chacune des trois structures répertoriées. Les tests de différence de moyennes effectués pour comparer la structure familiale et la structure managériale d'une part, la structure familiale et la structure contrôlée d'autre part, conduisent à rejeter l'hypothèse nulle au seuil de 5%, alors que l'hypothèse est acceptée pour le rapprochement entre la structure contrôlée et la structure managériale. La promotion est beaucoup plus rapide dans les firmes familiales, principalement car les héritiers arrivent nettement plus vite à la tête du groupe que les autres. 241 Structure de propriété Nombre moyen Médiane Écart-type Nombre de postes occupés d'obs. avant d'être dirigeant Managériale 7 7 3,108 51 Contrôlée 6,7 6 3,334 280 Familiale 3,8 3 3,002 340 - Tableau 21 : nombre moyen de postes effectués en fonction de la structure de propriété - 10.1.4. Longévité des dirigeants 366 mandats se sont terminés pendant la période étudiée (1996-2005). Leur durée moyenne a été de onze ans. Elle se situe sensiblement en dessous des chiffres de Pigé (1993), elle aurait donc peu évolué depuis quinze ans. Mais la médiane se situe à six ans, et les disparités sont fortes : les plus petits mandats ont été de quelques mois (par exemple Russ Robinson resté à la tête de Metaleurop de septembre 2002 à décembre 2003, d'ailleurs condamné en 2005 par l'AMF pour avoir dissimulé la dégradation de la santé financière de la société, ou encore Paul Roll chez Look Voyages de juillet 1998 à mars 1999, soit moins de neuf mois), le plus long de 55 ans (Robert Fiévet, dirigeant d'origine interne, issu de la famille principal actionnaire, né en 1907, a été à la tête des Fromageries Bel de 1941 à 1996). 0à5 6 à 10 11 à 15 16 à 20 21 à 25 > 25 ans Durée de ans ans ans ans ans mandat % 45% 18% 14% 8% 4% 11% - Tableau 22 : répartition des mandats terminés entre 1996 et 2005 par tranches de durée - La comparaison avec les chiffres de Péladeau et al. (2005) confirme la constatation effectuée sur le taux de rotation des dirigeants plus faible en France dans notre échantillon : nous sommes nettement au-dessus des durées moyennes de mandat de leur étude : 6,3 années en moyenne sur la période 1995-2004 en Europe, 7,3 au Japon et 9,3 en Amérique du Nord. Des écarts importants sont également à noter en fonction de l'origine : les créateurs restent à la tête de l'entreprise qu'ils ont fondée deux fois plus longtemps que les autres dirigeants, ce qui n'est pas surprenant. Par contre la différence de longévité entre les dirigeants internes (10,5 ans) et les dirigeants externes (4,5 ans) peut soulever des interrogations. Les externes ont-ils fait l'objet de départs forcés plus nombreux et plus rapides ? Est-ce au contraire une 242 volonté de changer plus fréquemment d'entreprise pour accélérer leur carrière ? Nous reviendrons sur ces questions dans le prochain paragraphe. Créateurs Internes Repreneurs Externes Durée moyenne du mandat 19 ans 10 ans 1/2 9 ans et 1/2 4 ans 1/2 - Tableau 23 : durée moyenne des mandats en fonction de l'origine - 10.1.5. Taux de départs forcés 76 départs forcés77 ont été identifiés grâce à la presse, à partir de recherches sur LexisNexis, ce qui représente un taux annuel moyen de départs non volontaires de 18,6 % (sur les 366 dirigeants de l'échantillon ayant quitté leurs fonctions entre 1996 et 2005). Le taux de départs involontaires a augmenté significativement sur la période étudiée. En dessous de 10% jusqu'en 1998, il passe à deux chiffres en 1999, et culmine en 2004 (35,7%) et 2005 (40,4%). La sanction semble donc être un levier disciplinaire utilisé en France, dont nous vérifierons au prochain chapitre l'incidence sur la performance de la firme. Il est intéressant d'examiner les motifs de ces départs (tableau 24 et figure 19), tels qu'ils sont évoqués dans la presse. Les départs forcés en 2005, année où ils sont les plus importants, sont dus à 50% à la sanction de mauvaises performances (pertes financières principalement) ou de fautes graves (malversations, abus de biens sociaux), à 39% à des divergences, principalement stratégiques, avec les actionnaires ou le conseil d'administration, ou à des luttes d'influence, à 11% à une cessation de mandat liée à l'arrivée d'un nouvel actionnaire principal. Dans leur étude portant sur les sociétés françaises cotées entre 1988 et 1992 ayant connu un changement de dirigeant, Dherment-Férère et Renneboog (2000) avaient identifié 10% de départs liés à des conflits avec des actionnaires ou le conseil d'administration. Il semblerait donc que ce motif de révocation soit plus fréquent aujourd'hui et qu'un dirigeant puisse être démis parce que sa gestion n'apparaît être conforme aux attentes des actionnaires, même si cela ne se traduit pas, ou pas encore, en termes de mauvaise performance pour la firme qu'il dirige. 77 Pour plus d'information sur la notion de départ forcé utilisée, se référer au paragraphe 9.2.1.. 243 Nominations hors créateurs 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 22 33 34 28 32 45 37 36 42 57 Sanction du prédécesseur (nb) Sanction du prédécesseur (%) Motif : divergences Motif : mauvaises performances Motif : prise de contrôle 1 4,5% 0 1 2 6,1% 2 0 3 8,8% 1 2 4 14,3% 0 4 5 15,6% 2 1 8 17,8% 5 3 9 24,3% 2 6 6 16,7% 1 4 15 35,7% 5 10 23 40,4% 9 12 - Tableau 24 : taux de départs forcés et motifs de départ - 0 0 0 0 2 0 1 1 0 2 TAUX DE DEPARTS FORCES ET MOTIFS DE DEPART 50,0% 40,0% 30,0% 20,0% 10,0% 0,0% 1996 1997 1998 DIVERGENCES 1999 2000 2001 2002 MAUVAISES PERFORMANCES 2003 2004 2005 PRISES DE CONTROLE - Figure 19 : représentation graphique du taux de départs forcés et des motifs de départ - L'étude de Péladeau et al. (2005) a mis en évidence également une hausse des départs forcés au niveau mondial et une tendance plus marquée encore en Europe (figure 20). En 2004, l'Europe enregistrait 42% de départs forcés (37% en 2005) contre 31% aux Etats-Unis (35% en 2005). Comme l'évoquent les auteurs, plusieurs explications sont probables : la croissance économique plus faible en Europe, le rajeunissement des dirigeants, qui de ce fait bénéficient de moins de soutien, et des structures de gouvernance plus réactives. Au Japon, le taux de départs forcés est nettement plus faible, même en 2004 et 2005 (respectivement 22% et 13%). Le rapprochement avec notre étude faite ressortir une tendance commune à la hausse, mais également, nos pourcentages étant supérieurs à ceux du cabinet Booz Allen Hamilton, que la sanction serait un levier particulièrement utilisé en France. 244 - Figure 20 : motifs de départ des dirigeants au niveau mondial, Péladeau et al. (2005, p.2) - L'analyse conjointe des sanctions des prédécesseurs et des nominations (hors créations) en fonction de l'origine des dirigeants apporte d'autres informations intéressantes : 56% des départs forcés ont été suivis du recrutement d'un dirigeant externe, 33% de celui d'un dirigeant interne, 10% par l'arrivée du repreneur à la tête de l'entreprise. Le recours plus important à des externes en cas de mauvaises performances ou de sanction, souvent évoqué dans la littérature, apparaît donc se vérifier aussi sur notre échantillon. Nous avons vérifié s'il existait un lien avec la structure de propriété. Le taux de départs forcés est de 11,4% dans les firmes familiales, de 14,4% dans les firmes contrôlées, de 22,2% dans les firmes managériales. Les tests de différence de moyenne sont significatifs : la sanction diffère selon la structure de propriété, elle est la plus forte dans les firmes managériales, puis dans les sociétés contrôlées et la moins fréquente dans les firmes familiales. Ce résultat est conforme à la vision théorique de Fama (1980), selon laquelle dans les firmes managériales le marché managérial joue un rôle prépondérant, la menace de sanction incitant le dirigeant à agir dans l'intérêt des actionnaires. Nous avons également croisé les motifs de départ et la structure de propriété. 57% des départs forcés dans les firmes contrôlées sont dus à des divergences avec les actionnaires ou le conseil d'administration, alors que dans les firmes familiales la sanction est principalement 245 attribuable à de mauvaises performances (73% des cas). Dans les sociétés managériales, les départs sont justifiés par des divergences à hauteur de 37%, par de mauvaises performances pour 63%. Là encore les chiffres confirment des visions intuitives : dans une firme contrôlée, un dirigeant a plus de risque d'être en opposition avec l'actionnaire principal, souvent impliqué dans la stratégie de l'entreprise; dans les firmes familiales la décision d'évincer un dirigeant n'est prise que lorsque les mauvaises performances rendent sont départ indispensable. Un seul héritier ayant fait l'objet d'un départ forcé dans notre échantillon, cette dernière remarque conforte la vision fréquente dans la littérature de l'importance dans les firmes familiales de valeurs comme la loyauté, la fidélité (Allouche et Amann, 2000, Allouche et Hirigoyen, 2000, Ward 2005) et l'existence de liens plus forts entre la direction, les actionnaires et le personnel. 10.2. Le profil des dirigeants des sociétés cotées françaises entre 1996 et 2005 Les données collectées apportent également des informations sur le profil des dirigeants français et mettent en évidence les caractéristiques principales semblant être prises en compte pour leur recrutement. L'étude descriptive est structurée à partir des trois principaux critères d'évaluation du capital humain des dirigeants que nous avions présentés dans la partie II au paragraphe 2.1.1. : l'âge, la formation et l'expérience. 10.2.1. L'âge des dirigeants L'accession à un poste de dirigeant est assez rapide : à la nomination, les dirigeants des sociétés cotées françaises ont en moyenne 44 ans. Ce chiffre cache des disparités importantes, le plus jeune étant Jean François, fondateur des Tonneleries François, le plus âgé, Jean-Pierre Brunet, qui a pris la tête du groupe Arbel à 77 ans. La tranche d'âge la plus représentée est celle des 40-49 ans. En comparant ces chiffres à ceux de Pigé (1993), un rajeunissement à la nomination apparaît. Dans ses travaux, l'âge moyen à la nomination était de 48 ans dans les sociétés familiales et managériales, et de 53 ans dans les firmes contrôlées. Quinze ans plus tard, les candidats accèdent aux plus hauts postes de direction en moyenne plus de quatre ans plus tôt. L'élargissement des sociétés cotées à de jeunes entreprises liées à la nouvelle économie explique probablement une partie du phénomène. Cette évolution semble cependant dépasser le cadre français et faire partie d'un mouvement général au niveau mondial. Ainsi dans l'étude du marché américain de Cappelli et Hamori (2005), les dirigeants en poste en 246 2001 étaient quatre ans plus jeunes que ceux de 1980 (52 ans contre 56 ans) et avaient accédé 4,3 années plus vite à un poste de direction. Les auteurs ne précisent pas dans leur article à quel âge les dirigeants ont été nommés, mais nous pouvons le reconstituer avec d'autres données : le nombre d'années professionnelles antérieures à leur promotion (24,1 en 2001) et le nombre d'années de formation (17,26 en 2001). L'âge d'entrée à l'école étant 5 ou 6 ans, cela signifie que les dirigeants français seraient nommés légèrement plus jeunes que les américains (deux ans plus tôt en moyenne). La part élevée de créateurs et d'héritiers dans notre échantillon en est sans doute l'explication la plus probable. Age à la nomination Fréquence < 30 ans 10,6 % 30 à 39 ans 21,7 % 40 à 49 ans 34,5 % 50 à 59 ans 26,4 % 60 ans et plus 6,8 % - Tableau 25 : répartition par tranches d'âge des dirigeants à leur nomination - Bien que les dirigeants soient nommés assez jeunes, du fait de la durée importante des mandats, la photographie en 2005 des dirigeants des sociétés cotées françaises fait ressortir une moyenne d'âge nettement plus avancée : elle s'établit à 57,5 ans et 27,9% des dirigeants ont plus de 60 ans. Dans l'étude de Cappelli et Hamori (2005), les dirigeants américains étaient âgés en moyenne de 52 ans en 2001. Il semble donc que les dirigeants en poste soient plus âgés en France qu'aux États-Unis. Les dirigeants qui ont pris leurs fonctions avant 30 ans sont principalement des créateurs (70%). La moyenne d'âge passe à 47 ans si les créateurs sont retirés de l'échantillon. Contrairement aux attentes, la voie interne est plus rapide que la voie externe : la fréquence la plus élevée pour les internes correspond à la tranche 40-49 ans, avec 38%, alors qu'elle se situe dans la tranche 50-59 ans pour les externes, avec 42% (tableau 26). Ce constat est cependant à nuancer compte tenu de la structure souvent familiale des sociétés françaises : parmi les dirigeants nommés par promotion interne figurent des héritiers qui succèdent à leur ascendant, et ce plus rapidement que cela n'aurait été possible à un candidat n'appartenant pas à la famille. Nous l'avons vérifié en effectuant un test de différence de moyenne sur la souspopulation des internes en fonction de la structure de propriété : il est significatif au seuil de 247 5%. L'âge de nomination d'un dirigeant d'origine interne est statistiquement différent entre une firme managériale, une firme contrôlée et une firme familiale (tableau 27). Tranche d'âge < 30 ans Créateurs Internes Repreneurs Externes Total 70 % 24 % 4% 2% 100 % 29 % 7% 6% 1% 53 % 33 % 4% 10 % 100 % 30-39 ans 36 % 16 % 11 % 9% 22 % 45 % 12 % 21 % 100% 40-49 ans 26 % 38 % 52 % 35 % 9% 50 % 7% 34% 100% 50-59 ans 8% 32 % 23 % 42 % 6% 44 % 9% 41 % 100% 60 ans et plus 1% 7% 8% 13 % 100% 100% 100% 100% 100% Total - Tableau 26 : âge à la nomination des dirigeants : répartition en fonction de l'origine - Structure Moyenne Écart-type Nombre 46,94 6,339 17 managériale 48,90 7,856 154 contrôlée 44,00 11,021 134 familiale - Tableau 27 : âge à la nomination des dirigeants d'origine interne selon la structure de propriété - Somme des df Moyenne F Sign. carrés des carrés 1 723,85 2 861,92 9,920 0,000 Inter-groupes 26 240,48 302 86,89 Intra-groupes - Tableau 28 : tests de différence de moyenne sur l'âge à la nomination des dirigeants d'origine interne selon la structure de propriété - 10.2.2. La formation La formation apparaît bien comme un critère fort de sélection : le niveau de formation des dirigeants des sociétés cotées françaises est élevé, le nombre d'années d'études supérieures étant en moyenne de 4 ans et 9 mois. 78,6% des dirigeants ont effectué au moins cinq ans d'études après le baccalauréat et 7,2% sont docteurs. Seulement 7,6% des dirigeants n'ont pas 248 fait d'études supérieures. La sélection par la formation semble s'être accentuée, conjointement à une hausse générale du niveau de formation de la population : dans les travaux de Pigé quinze ans plus tôt, 15% des dirigeants avaient au plus un baccalauréat. Ce pourcentage n'est plus que de 7,6% dans notre échantillon. Baccalauréat Bac+2 Bac+3 Bac+4 Bac+5 Bac+6 Doctorat 6,4% 3,3% 4,1% 50,4% 21 % 7,2 % ou inférieur Répartition 7,6% - Tableau 29 : niveau de formation des dirigeants à la tête des sociétés cotées françaises entre 1996 et 2005 - L'étude de Péladeau et al. (2005) ne fournissant pas d'informations sur la formation des dirigeants au niveau mondial, nous pouvons seulement rapprocher nos chiffres de l'analyse de Cappelli et Hamori (2005) portant sur les dirigeants de Fortune 100. Les auteurs ont observé une hausse du niveau de formation entre 1980 et 2001, le nombre d'années d'études augmentant légèrement de 17,02 à 17,26. En comptant pour la France le nombre d'années à partir du seuil obligatoire (le cours préparatoire), nous obtenons dans notre échantillon une moyenne sur la période 1996 à 2005 de 16 ans et 9 mois, sensiblement identique à celle des États-Unis. En France, les dirigeants d'origine externe ont le niveau d'études le plus élevé, 92% ont effectué au moins cinq années d'études après le baccalauréat, contre 79% pour les internes et 69% pour les créateurs. Le niveau de formation apparaît bien constituer un critère de sélection sur le marché du travail des dirigeants. Niveau de Créateurs Internes Repreneurs Externes Formation supérieure 11% 9% 9% 1% Baccalauréat ou inférieur 12 % 6% 2% 1% Bac+2 6% 2% 4% 2% Bac+3 2% 5% 9% 4% Bac+4 50 % 51 % 55 % 48 % Bac+5 11 % 21 % 11 % 36 % Bac+6 8% 7% 9% 7% Doctorat 100 % 100 % 100 % 100 % Total - Tableau 30 : niveau de formation des dirigeants selon leur origine - 249 Une distinction en fonction de la structure de propriété fait également ressortir des disparités : dans les sociétés managériales, 86% des dirigeants sont au moins bac+5, de même que 85% des dirigeants des sociétés contrôlées, alors que cette proportion n'est que de 74% dans les firmes familiales. Dans l'étude de Pigé (1996), 36% des dirigeants ayant bénéficié d'un appui familial étaient autodidactes; ce chiffre peut être rapproché, pour notre échantillon, des 12% de dirigeants de niveau baccalauréat ou inférieur, ce qui tendrait à montrer que les dirigeants d'origine familiale ont maintenant un niveau d'études un peu plus élevé, même s'il reste inférieur à celui observé dans les autres sociétés. L'absence de diplôme, si elle n'est pas forcément un obstacle par la voie interne (principalement du fait des dirigeants d'origine familiale), semble constituer une barrière forte pour accéder à un poste de direction par la voie externe. Niveau de Sociétés managériales Sociétés contrôlées Sociétés familiales formation Baccalauréat et 0% 3% 12 % inférieur Bac+2 2% 5% 8% Bac+3 4% 2% 3% Bac+4 8% 5% 3% Bac+5 48 % 48 % 54 % Bac+6 32 % 29 % 14 % Doctorat 6% 8% 6% Total 100 % 100 % 100 % - Tableau 31 : niveau de formation des dirigeants selon la structure de propriété - Les écoles d'ingénieur sont toujours la formation la plus fréquente chez les dirigeants (22%+11%), suivies par l'Université (20%, dont un tiers de docteurs) et les Écoles Supérieures de Commerce (19%). Le tableau 32 reprend la répartition par type de formation sur l'ensemble de l'échantillon, les formations inférieures à bac+5 n'étant pas détaillées. La part des polytechniciens (11%) est un peu plus faible que dans celui de Pigé (13%), au même niveau pour les énarques (5%). Nos chiffres sont très proches des statistiques de l'étude de Bertrand et al. (2004), selon laquelle 7% des dirigeants des sociétés cotées françaises entre 1989 et 2003 étaient issus de l'ENA, 11% de Polytechnique. De façon non surprenante, notre base étant plus large et n'incluant pas de sociétés publiques non cotées, nos chiffres sont nettement inférieurs à ceux figurant dans les travaux de Bauer et Bertin-Mourot (1990), qui 250 portaient sur les deux cents plus grosses entreprises : 27% de polytechniciens et 19% d'énarques, ou encore ceux de l'étude de Nuyen-Dang (2005) analysant elle aussi les plus grandes sociétés françaises et qui identifiait 23% de dirigeants issus des grands corps de l'État. La prise en compte d'un plus grand nombre de sociétés, et donc d'une plus grande diversité, remet en cause la domination habituellement mise en évidence de quelques grandes écoles en France. Les grands corps (à savoir les dirigeants cumulant à la fois Polytechnique et l'une des écoles suivantes : les Mines, Télécom, Les Ponts, l'ENSAE78, le Génie Rural ou les Eaux et Forêts, l'Armement, et les dirigeants issus de l'ENA ayant été promus à l'Inspection des Finances, au Conseil d'État, à la Cour des Comptes, dans un Corps Préfectoral ou à l'Inspection Générale de l'Administration ou des Affaires Sociales) ne représentent que 10 % de notre échantillon. Ces éléments confirment nos suppositions initiales : si les grands corps occupent une part importante des postes de dirigeants les deux cents plus grandes sociétés françaises, l'élargissement de l'analyse à des entreprises de moindre envergure, même en se limitant aux sociétés cotées, conduit à une conclusion relativement différente. < Bac+5 21% Ecole Ecole de Université Polytechnique ENA Autres d'ingénieur commerce 22% 19% 20% 11% 5% 1% - Tableau 32 : détail des formations supérieures des dirigeants - Total 100% L'appartenance à une formation d'élite apparaît cependant être plus discriminante que sur le marché américain des dirigeants. Dans l'étude de Cappelli et Hamori (2005), 14% des dirigeants étaient issus des Ivy League Schools 79 en 1980, et 10% en 2001. Les auteurs soulignent l'évolution des critères de sélection des dirigeants et leur ouverture vers les écoles publiques notamment. En France, les dirigeants issus des grands corps de l'État sont, de manière non surprenante, moins représentés dans les firmes familiales (4%) que dans les firmes contrôlées (15%) et les firmes managériales (25%). Comme dans l'étude de Bertrand et al. (2004), ils sont à la tête des plus grandes entreprises françaises : ils dirigent 21% des firmes de plus d'un milliard 78 ENSAE : école nationale de la statistique et de l'administration économique. Les "Ivy League Schools" sont les huit plus prestigieuses institutions privées d'enseignement supérieur du Nord Est des États-Unis : ce sont les universités de Brown, Princeton, Harvard, Columbia, Cornell, Dartmouth, Pennsylvania, Yale. 79 251 d'euros de chiffre d'affaires et seulement 5% des firmes de moins de 100 millions de chiffre d'affaires. Dirigeant issu Firme Firme Firme Moyenne d'un Grand managériale contrôlée familiale échantillon Corps Oui 25 % 15 % 4% 10 % Non 75 % 85 % 96 % 90 % - Tableau 33 : dirigeants issus des grands Corps selon la structure de propriété - Les formations internationales restent relativement peu répandues : seulement 17,6% des dirigeants en fonction entre 1996 et 2005 ont suivi une année de spécialisation à l'étranger, sont titulaires d'un MBA ou ont fait l'INSEAD. C'est particulièrement vrai pour les dirigeants en poste en 1996 mais nommés antérieurement (le pourcentage descend à une moyenne de 14%). Nous n'avons pas trouvé d'études statistiques dans d'autres pays pour pouvoir effectuer une comparaison. Sur la période étudiée allant de 1996 à 2005, la formation internationale apparaît comme un critère de sélection de plus en plus retenu, comme l'indique le tableau cidessous : Dirigeants nommés en Sans formation 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 73% 89% 87% 79% 81% 78% 77% 75% 74% 67% Avec formation 27% 11% 13% 21% 19% 22% 23% 25% 26% 33% Total 100% 100% 100% 100% 100% 100% 100% 100% 100% 100% - Tableau 34 : formation internationale des dirigeants nommés entre 1996 et 2005 - Une nouvelle fois, la structure de propriété est discriminante (tableau 35). De façon non surprenante, les firmes managériales sélectionnent davantage des dirigeants ayant une formation internationale (31,4%), puis ce sont les firmes contrôlées avec 22,1% des dirigeants et c'est dans les firmes de structure familiale que les dirigeants ont le moins de formation internationale (13,3%). Les différences de moyennes sont significatives au seuil de 5%. 252 Formation Firmes Firmes Firmes Moyenne internationale managériales contrôlées familiales Oui 31,4 % 22,1 % 13,3 % 17,6 % Non 68,6 % 77,9 % 86,7 % 82,4 % - Tableau 35 : formation internationale des dirigeants selon la structure de propriété de la firme qu'ils dirigent - La formation internationale du dirigeant apparaît intuitivement corrélée également à la taille de la firme. Ceci se vérifie dans notre échantillon (tableau 36) : en distinguant deux souspopulations, les firmes dont le chiffre d'affaires est inférieur à 100 millions d'euros et celles dont le chiffre d'affaires est supérieur à ce seuil (médiane calculée dans l'introduction du chapitre X), nous avons observé une différence de moyenne significative au seuil de 5%, respectivement 14,5% et 19,9 %. Firmes ayant un : CA < 100 M € Dirigeant avec formation internationale 14,5 % Dirigeant sans formation internationale 85,5 % CA > 100 M € 19,9 % 80,1 % Écart-type 0,570 - Tableau 36 : formation internationale des dirigeants selon la taille de la firme qu'ils dirigent - 10.2.3. L'expérience Comme nous l'avons vu au paragraphe 10.1., les dirigeants ont occupé en moyenne 5,1 postes avant de devenir le numéro un d'une des sociétés que nous étudions. Leur expérience professionnelle peut avoir consisté en un passage par un ministère (la moyenne sur tout l'échantillon ressort à 0,7 poste), de fonctions dans une entreprise, publique ou privée (moyenne de 4,4 postes), ou les deux. Quelques dirigeants (4%) ont pris la tête de la société directement, sans avoir exercé une activité au préalable. Ce sont très majoritairement des créateurs d'entreprises (pour 80%). - Expérience ministérielle : Moins d'un dirigeant sur cinq (19%) a occupé au moins une fonction dans un ministère. Dans l'étude de Pigé (1993), un quart des dirigeants étaient passés par le service de l'État. 253 Ceux qui ont commencé leur carrière dans un ministère ont généralement occupé au moins un poste en entreprise avant d'être nommés dirigeants d'une des sociétés cotées étudiées (90% d'entre eux), et ils présentent dans leur curriculum vitae plus de postes (8) que ceux qui ne sont pas passés par un ministère (5). La voie ministérielle n'apparaît donc pas comme la plus rapide pour accéder aux fonctions les plus élevées. Ce constat est à nuancer par deux remarques. Premièrement, nous ne tenons pas compte dans ces chiffres de la taille de la société cotée : les dirigeants issus des ministères se voient confier les plus grandes entreprises, mais un peu plus tard dans leur carrière (les deux-tiers sont à la tête de groupes de plus de 100 millions d'euros de chiffre d'affaires). Deuxièmement, les passages par les ministères sont souvent très courts (un an ou moins), en avoir assuré plusieurs n'entraîne pas alors un retard important pour un candidat. - Le cas des dirigeants issus des grands corps : Nous avons comparé les parcours des dirigeants issus des grands corps et des autres candidats. Contrairement aux résultats des études précédentes, nous n'observons pas de carrières plus rapides pour les personnes issues des grands corps, ce qui voudrait dire que les "parachutages" deviennent moins fréquents, même si ces dirigeants ont occupé plus de postes de direction dans leur carrière. Seuls 6% des grands corps sont passés directement d'un ministère à la tête d'une société cotée, sans avoir occupé d'autre poste dans le privé. Par contre, comme Pigé (1996), nous constatons que les dirigeants issus des grands corps sont parvenus à la tête de l'entreprise de manière plus externe : ils ont passé en moyenne 4,5 ans dans la firme avant d'être nommés, contre presque 9 ans pour les autres dirigeants. Grands Corps 5 Nombre moyen de postes dans le privé avant d'être nommés Nombre moyen de postes de direction 3 avant d'être nommés Nombre moyen d'années de vie 24,7 professionnelle à la nomination Nombre moyen de postes au total 8,7 effectués Ancienneté dans le groupe où ils sont 4 ans et 7 mois nommés (moyenne) 94 observations Autres dirigeants 4,4 2,3 25,5 4,6 8 ans et 10 mois 623 observations - Tableau 37 : comparaison des parcours des grands corps et des autres dirigeants – 254 S'ils n'arrivent pas plus vite de manière générale à la tête d'une société cotée, les dirigeants issus des grands corps par contre se voient confier des entreprises plus importantes. Les statistiques convergent sur ce fait, que ce soit relativement au chiffre d'affaires, à l'effectif, au nombre de filiales ou, encore, la capitalisation boursière. Caractéristiques des sociétés Grands Corps Autres dirigées Chiffre d'affaires moyen 9 875 1 888 (millions d'euros) Capitalisation boursière moyenne 13 140 2 365 (millions d'euros) Nombre moyen de filiales 225 65 Effectif moyen 29 711 11 329 - Tableau 38: comparaison des caractéristiques des sociétés dirigées - Les dirigeants issus des grands corps sont prédominants dans les firmes où le premier actionnaire est l'État : ils sont à la tête de 53% d'entre elles dans notre échantillon. En élargissant aux dirigeants diplômés de Polytechnique, de l'ENA ou de l'école des Mines, ce pourcentage passe à une écrasante majorité de 80%. Nos statistiques confirment l'influence des réseaux dans les plus grandes entreprises où l'État est influent. - Expérience fonctionnelle : Les dirigeants étudiés ont déjà occupé en moyenne 2,4 postes de direction avant d'être nommés, à la tête d'une société cotée ou non. 67% étaient déjà dirigeants. Bertrand et Schoar (2003) parvenaient dans leur étude à un taux beaucoup plus faible pour le marché américain de 23% de CEO80 qui l'étaient déjà avant d'être nommés. L'étude de Péladeau et al. (2005) ne fournit pas de chiffres permettant une comparaison directe. Elle conclut seulement que le nombre de dirigeants nommés ayant déjà une expérience de direction de société cotée est en forte augmentation entre 2001 et 2005 au niveau mondial. Ce phénomène s'explique, d'après les auteurs (p.6 et 7), par la volonté des conseils d'administration de mettre en place un dirigeant ayant déjà l'expérience d'une direction générale, ayant "déjà été confronté aux défis auxquels tout CEO doit faire face, comme travailler la main dans la main avec un conseil 80 CEO : Chief Executive Officer : dirigeant exécutif. 255 d'administration, communiquer avec les investisseurs et analystes financiers, développer et mettre en place une stratégie" et par la possibilité de prendre en compte ses résultats dans sa précédente gestion. La prédominance dans notre échantillon des dirigeants ayant déjà une expérience de direction est sans doute motivée par les mêmes raisons. Ceci étant, 33% des candidats n'étaient pas encore directement sur le marché des dirigeants, mais proviennent des viviers, ce qui traduit, d'une part, la possibilité de promotion et d'évolution en France, dont le caractère incitatif apporte sa contribution au système de gouvernance, d'autre part un renouvellement et un enrichissement du marché managérial. Les dirigeants français des sociétés cotées ont, dans leur carrière, assuré en moyenne trois fonctions différentes. 36 % des dirigeants nommés sur la période étudiée à la tête d'une société cotée ont une expérience professionnelle à l'international : ils ont occupé au moins un poste à l'étranger, 9% en ont même occupé trois ou plus. Comme nous l'avions remarqué pour la formation internationale, l'expérience à l'étranger apparaît faire de plus en plus partie des critères de sélection car, à partir de 2001, plus de la moitié des dirigeants nommés ont travaillé à l'international au cours de leur carrière. Nos chiffres sont cohérents avec l'étude de Korn Ferry International 81 (2007) qui faisait ressortir que 38% des présidents des conseils d'administration avaient exercé des responsabilités à l'étranger. Le rapprochement entre les deux semble indiquer que l'internationalisation des dirigeants n'est pas réservée aux plus grandes sociétés du CAC 40, nos chiffres étant plus élevés, mais la population de dirigeants analysée n'est pas exactement la même. Nomination 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 en Aucun poste 59% 64% 54% 72% 55% 46% 41% 52% 41% à l'international Au moins un 41% 36% 46% 28% 45% 54% 59% 48% 59% poste à l'international - Tableau 39 : expérience professionnelle à l'international des dirigeants - 2005 48% 52% La structure de propriété est une nouvelle fois discriminante (tableau 40) : 26% des dirigeants des sociétés familiales ont une expérience à l'international, alors que dans les 81 Korn Ferry International (2007) : Les sociétés du CAC 40 : Comment sont-elles dirigées et qui les dirigent ? Étude comparative 1995/2006, avril 2007. 256 sociétés contrôlées ils représentent 46% et dans les firmes managériales 62%. En moyenne, le nombre de postes occupés à l'international dans la carrière du dirigeant est respectivement selon ces trois structures de 0,4, 0,9 et 1,5. Les tests de différence de moyenne sont tous significatifs au seuil de 5%. Expérience Firmes Firmes contrôlées Firmes internationale du managériales familiales dirigeant Pas de poste 38 % 54 % 74 % Au moins un poste 62 % 46 % 26 % Moyenne 1,5 0,9 0,4 Écart-type 1,717 1,334 0,905 Nombre d'observations 50 277 335 - Tableau 40 : expérience internationale des dirigeants selon la structure de propriété - De manière non surprenante, les dirigeants ayant une expérience professionnelle à l'international sont plus représentés dans les sociétés de plus grande taille (tableau 41) : la proportion atteint 43% dans les firmes dont le chiffre d'affaires est supérieur à un milliard d'euros. Chiffre d'affaires < 100 M € 101 à 1000 M € > 1000 M € Dirigeant sans expérience 70 % 65 % 57 % internationale Dirigeant avec expérience 30 % 25 % 43 % internationale - Tableau 41 : expérience internationale des dirigeants selon la taille de la firme - - Expérience sectorielle : La diversité sectorielle n'est pas très marquée dans notre échantillon : en moyenne les dirigeants étudiés ont travaillé dans 1,7 secteurs82. 51% n'ont exercé que dans un secteur. 15% seulement ont connu trois secteurs ou plus. 12% des dirigeants nommés n'ont pas d'expérience du secteur de la firme qui leur a été confiée. L'appartenance à un même secteur d'activité semble donc constituer un critère discriminant dans la sélection des dirigeants français. Pour effectuer une comparaison internationale, nous avons repris les études du marché américain de Bertrand et Schoar (2003) portant sur la période 1992 à 1999, Bailey et Helfat (2003) sur 82 Pour plus d'informations sur la décomposition sectorielle retenue, se référer au paragraphe 9.4.2.. 257 celle entre 1978 et 1987, Parrino (1997) entre 1971 et 1989, et Harris et Helfat (1997), entre 1978 et 1987. Concernant les analyses les plus anciennes, les statistiques ne concernent pas le nombre moyen de secteurs dans lesquels les dirigeants ont travaillé, mais la part de dirigeants nommés n'ayant pas d'expérience du secteur. Elle était de 9,6% dans l'analyse de Parrino (1997) et de 6,2% dans celle de Harris et Helfat (1997). Avec une notion plus élargie des compétences sectorielles basée sur l'appartenance à un même cycle de marché, Bailey et Helfat (2003) constataient que seulement 11% des dirigeants recrutés d'origine externe n'en disposaient pas. Si ces chiffres ne peuvent être rapprochés directement des nôtres, ils confirment la prise en compte de l'expérience sectorielle dans le recrutement des dirigeants tant américains que français malgré une relative diminution de l'importance de ce critère entre les périodes considérées (respectivement 1971 à 1989 et 1996 à 2005). L'étude de Bertrand et Schoar (2003) par contre fait état que 63% des dirigeants nommés sur la période ont changé de secteur d'activité, mais leur distinction sectorielle est plus fine que la nôtre, les auteurs ayant retenu le code 2-digit industries, ce qui explique probablement l'écart. NB DE SECTEURS DANS LESQUELS LES DIRIGEANTS ONT EXERCE 1% 3% 12% 51% 33% 1 2 3 4 5 - Figure 21 : Nombre de secteurs dans lesquels les dirigeants ont exercé - L'origine des dirigeants est liée au nombre de secteurs différents dans lesquels ils ont travaillé : les créateurs ont très majoritairement exercé dans un seul secteur (68% d'entre eux), 90% des internes ont connu au mieux un autre secteur que celui de la firme qu'ils dirigent. S'il n'est pas surprenant que les dirigeants d'origine externe aient une expérience plus diversifiée, la part de candidats ayant connu trois secteurs et plus (27%) traduit l'importance de cette diversité. 258 Nb de secteurs Créateurs Internes Repreneurs Externes 1 61% 58% 47% 28% 2 28% 32% 32% 45% 3 10% 9% 8% 21% 4 1% 1% 7% 5% 5 0% 0% 6% 1% Total 100% 100% 100% 100% - Tableau 42 : nombre de secteurs dans lesquels le dirigeant a exercé, selon l'origine - - Expérience inter-firmes et compétences liées à la firme L'expérience inter-firmes est importante : en moyenne les dirigeants ont fréquenté trois groupes, en incluant celui qu'ils dirigent. Le maximum est de dix sociétés : c'est le cas d'Antoine Veil, nommé à 70 ans à la tête de SAGA en 1996 pour une mission de redressement. Seulement un sur cinq n'en a connu qu'un. Sachant que les dirigeants d'origine interne représentent 39% de notre échantillon, cela signifie que la moitié d'entre eux ont exercé dans au moins une autre firme. Pour accéder aux plus hauts postes de direction, il semble donc préférable de ne pas avoir fait toute sa carrière dans le groupe. A l'époque des travaux de Pigé (1996), 50% des dirigeants avaient travaillé dans une autre entreprise. Aujourd'hui ils sont 80%, ce qui aurait tendance à confirmer le renforcement du rôle du marché managérial, celui-ci ayant plus de probabilités d'être intervenu au cours de la carrière du dirigeant, son rôle d'évaluation et de sélection pouvant s'exercer plus souvent. Cette évolution était également notée par Cappelli et Hamori (2005) pour le marché américain, avec une proportion de cadres dirigeants ayant passé toute leur carrière dans une seule firme évoluant de 53% en 1980 à 45% en 2001. Leurs chiffres sont nettement supérieurs aux nôtres, pour des périodes comparables. La principale explication est sans doute liée à la population étudiée, restreinte dans notre analyse au numéro un de la firme, élargie dans leur article aux équipes dirigeantes, la mobilité inter-firmes étant plus importante chez les dirigeants de plus haut niveau, qui pour progresser et évoluer ont besoin de changer d'entreprise. Mais une part de la différence est probablement due également à une tradition de carrière interne plus forte aux États-Unis. L'analyse en fonction de l'origine interne ou externe des dirigeants présentée au paragraphe 10.1., qui avait mis en évidence que le recours à un dirigeant externe était plus fort en France qu'en moyenne dans le reste du monde (d'après l'étude de Péladeau et al., 2005), conforte cette explication. 259 Expérience inter-groupes des dirigeants 25% 20% 15% 10% 5% 0% 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 nombre de groupes où le dirigeant a exercé - Figure 22 : Nombre de groupes fréquentés par les dirigeants au cours de leur carrière - Le capital spécifique à la firme semble cependant recherché, puisque, si on exclut les créateurs et les repreneurs, 67% des dirigeants nommés étaient déjà dans l'entreprise depuis un an et plus. Les dirigeants d'origine interne ont passé en moyenne 12,5 ans dans le groupe (voir figure 23). Dans l'étude de Cappelli et Hamori (2005), les dirigeants américains totalisaient 15,2 années d'ancienneté dans la firme avant d'être nommé à leur tête en 2001 et 20,6 années en 1980. Cette nouvelle comparaison confirme nos remarques effectuées précédemment : le capital humain spécifique à la firme est un critère de sélection retenu pour sélectionner un nouveau dirigeant aussi bien aux États-Unis qu'en France, mais en France il est moins systématique et l'expérience inter-firmes est conjointement prise en compte. Autrement dit un dirigeant sera recruté car il connaît déjà l'entreprise mais aussi pour les connaissances qu'il a pu acquérir dans d'autres firmes au cours de sa vie professionnelle. La distinction en fonction de la propriété faire ressortir une ancienneté dans le groupe plus importante pour les dirigeants des firmes contrôlées (12,5 ans) et les firmes familiales (12,8 ans) que dans les firmes managériales (10,2 ans), mais les tests de différence des moyennes ne sont pas significatifs au seuil de 5%. 260 ANCIENNETE DANS LE GROUPE DES DIRIGEANTS AYANT UNE EXPERIENCE DE LA FIRME % 30 25 20 15 10 5 0 1 à 5 ans 6 à 10 ans 11 à 15 ans 16 à 20 ans 21 à 25 ans 26 à 30 ans > 30 ans - Figure 23 : ancienneté dans le groupe des dirigeants ayant une expérience de la firme – ANCIENNETE DANS LE GROUPE DES DIRIGEANTS AYANT UNE EXPERIENCE DE LA FIRME 40 35 30 25 20 15 10 5 0 1 à 5 ans 6 à 10 ans Echantillon global 11 à 15 ans 16 à 20 ans 21 à 25 ans 26 à 30 ans Firmes managériales Firmes contrôlées > 30 ans Firmes familiales - Figure 24 : ancienneté dans le groupe des dirigeants ayant une expérience de la firme selon la structure de propriété – Synthèse Le tableau du marché managérial français que nous avons dressé à partir des caractéristiques de notre échantillon est contrasté. D'un côté, il apparaît moins actif que dans le reste du monde, le taux de rotation annuel des dirigeants étant plus faible, mais en progression sur la période, les durées de mandats sont plus longues, de l'autre, il permet à des 261 candidats plus jeunes d'accéder aux postes les plus élevés, il favorise les stratégies de carrière externe et permet à la France d'être le pays étudié le plus utilisateur du levier disciplinaire constitué par la sanction. Le taux de rotation annuel, en moyenne assez bas (6,9%), est en nette progression depuis 2001. Il se situe cependant nettement en dessous de la moyenne mondiale évaluée par Péladeau et al. (2005). Le marché managérial français serait donc moins actif, mais il évolue et une convergence est en cours, notamment sur 2004 et 2005. La durée moyenne de mandat est longue : 11 ans, mais ce chiffre cache de fortes disparités : la médiane est à 6, et les dirigeants externes par exemple ne restent en poste en moyenne que 4,5 ans. Elle est très supérieure à la moyenne mondiale de 6,3 ans. Bien que les créateurs soient bien représentés (34%), un dirigeant sur cinq vient de l'extérieur de la firme. Le recours à un dirigeant externe est plus fréquent en France que dans le reste du monde et la tendance est toujours orientée à la hausse alors qu'un fléchissement est observé dans les autres pays. Une distinction est à observer selon la structure de propriété, les firmes managériales recrutant 43% de dirigeants d'origine externe, contre 11% pour les firmes familiales, dans lesquelles la préférence est donnée aux héritiers qui représentent plus de la moitié des candidats d'origine interne. La sanction ressort comme un levier disciplinaire effectif en France, avec un taux moyen de départs forcés de 18,6% et une très forte croissance des évictions en 2004 et 2005. Les motifs de révocation évoluent, seule la moitié apparaît due à de mauvaises performances, les autres départs se justifiant par des divergences avec les actionnaires ou les administrateurs, ou l'arrivée d'un repreneur. Péladeau et al. (2005) soulignaient dans leur étude un recours à la sanction plus fort en Europe que dans le reste du monde, or nos chiffres sont encore supérieurs à ceux de leur analyse, ce qui laisse penser que la France est un des pays les plus actifs en matière de sanction et que le marché managérial français joue bien son rôle disciplinaire. Des écarts significatifs sont observés en fonction de la structure de propriété, ce levier étant le plus utilisé dans les sociétés managériales et le moins dans les firmes familiales. Celles-ci y ont recours principalement lorsque de mauvaises performances sont observées. L'accession à un poste de dirigeant semble plus rapide en France qu'aux États-Unis et dans le reste du monde. Les candidats ont occupé en moyenne 5,1 postes et totalisé vingt ans de vie 262 professionnelle avant de devenir dirigeant d'une des sociétés cotées de l'échantillon (quatre ans de moins qu'aux États-Unis). L'importance en France de la part de créateurs et de dirigeants héritiers dans les sociétés familiales est l'explication la plus plausible de cet avantage. Les dirigeants des sociétés cotées françaises entre 1996 et 2005 ont été nommés en moyenne vers 44 ans, les plus jeunes étant les créateurs d'entreprise, qui accèdent à la position de numéro un à 36 ans, puis les dirigeants d'origine interne (46 ans), et enfin les externes (50 ans). Ils sont plus jeunes de quatre ans que dans l'étude du marché français de Pigé (1993). Ce rajeunissement est également observé sur le marché américain par Cappelli et Hamori (2005), mais les dirigeants français sont plus jeunes de deux ans à la nomination. Plusieurs critères de sélection ressortent très clairement de l'analyse descriptive et confirment notre présentation de la fonction d'évaluation du marché managérial au chapitre II : - La formation est un critère fort : 78,6% des dirigeants ont effectué au moins cinq années d'études supérieures, ils sont principalement ingénieurs (22% hors Polytechnique). Les dirigeants issus des grands corps ne représentent que 10% de l'échantillon. Seulement 7,6% des dirigeants n'ont pas fait d'études supérieures. Le niveau de formation est sensiblement le même que celui des dirigeants américains. De façon non surprenante, il est inférieur à la moyenne dans les firmes familiales, supérieur dans les firmes contrôlées et managériales. - La formation internationale est en progression : en 2005, un tiers des candidats recrutés en avaient suivi une. Là encore, les dirigeants des firmes familiales sont les moins formés. - La diversité de l'expérience est recherchée : en moyenne les dirigeants ont exercé trois fonctions différentes en plus du management, et depuis 2001 plus de la moitié ont occupé au moins un poste à l'étranger. - L'expérience en management est une condition souvent nécessaire : les dirigeants ont occupé 2,4 postes de direction en moyenne avant d'être nommés sur la période analysée à la tête d'une des sociétés cotées de l'échantillon. L'étude de Péladeau et al. (2005) avait également conclu à l'importance d'une expérience managériale pour se voir confier la tête d'une société cotée. En France, 67% des candidats nommés sur la période étudiée étaient déjà dirigeants, mais tout de même 33% sont issus des 263 viviers, ce qui constitue un nouvel argument en faveur de l'activité du marché managérial français. - 36% des dirigeants ont une expérience professionnelle à l'international. Cette proportion augmente avec la taille de firme et elle est nettement supérieure dans les firmes managériales et contrôlées que dans les firmes familiales. - L'expérience en ministère n'est pas un passage obligé : 19% des dirigeants étudiés en ont une, mais ils ne sont pas promus plus vite que les autres candidats, et doivent également faire leurs preuves en entreprise avant d'obtenir la direction d'une grande société cotée. Nous n'avons pas observé de carrières significativement plus rapides pour les grands corps, mais ils sont nommés à la tête des plus grosses entreprises et des sociétés où l'État est le premier actionnaire. - Les connaissances sectorielles semblent être un motif de recrutement, 51% des dirigeants n'ont connu qu'un seul secteur et la moyenne de l'échantillon est inférieure à deux secteurs. Seulement 12% des dirigeants n'ont pas d'expérience du secteur de la firme pour laquelle ils ont été recrutés. Il semble cependant que l'expérience sectorielle en France soit un peu moins un passage obligé qu'aux États-Unis et que son importance diminue progressivement. - Le profil recherché pour être dirigeant en France est multiple : il faut à la fois avoir une expérience de la firme et connaître plusieurs firmes. La mobilité inter-firmes est valorisée : les dirigeants ont travaillé en moyenne dans deux autres groupes que celui dont ils ont pris la tête. Seulement 20% n'en ont connu qu'un seul, contre 50% dans l'étude plus ancienne de Pigé (1993), ce qui met en évidence une hausse de la mobilité. Mais les compétences spécifiques à la firme sont aussi recherchées : hors créateurs et repreneurs, deux tiers des dirigeants sont d'origine interne et ont exercé dans le groupe depuis 12,5 ans en moyenne. Le profil des dirigeants recrutés en France semble plus diversifié qu'aux États-Unis, où la promotion interne à l'intérieur d'une unique société reste plus marquée même si elle a diminué également au cours des dernières années. 264 CHAPITRE XI : LE ROLE DU MARCHE DES DIRIGEANTS DANS LE SYSTEME DE GOUVERNANCE DES ENTREPRISES Ce chapitre présente les résultats de l'étude empirique relative à la partie centrale de notre modèle théorique : le rôle du marché des dirigeants et sa contribution à la création de valeur dans la firme. La méthodologie et les variables ont été explicitées aux chapitres VIII et IX. Après avoir décrit l'échantillon ayant servi aux tests, et mis en évidence ses spécificités par rapport à la base globale, nous avons rappelé les vérifications préalables à la régression que nous avons effectuées. Nous avons ensuite détaillé et commenté les résultats des tests statistiques. 11.1. Description de l'échantillon La base utilisée pour les tests compte 165 changements de dirigeants, sur la période 1996 à 2004. Le tableau ci-dessous compare ses caractéristiques à celles de l'échantillon global. Il est intéressant de le commenter en détail, car il fournit probablement les informations relatives au marché managérial les plus proches de la réalité, les dirigeants faisant partie de cette base étant ceux qui ont été recrutés sur la période étudiée, c'est-à-dire qui ont probablement été évalués et sélectionnés par le marché du travail. Les créateurs ne faisant pas partie de la base test, les principales caractéristiques des dirigeants étudiées sont modifiées : ils accèdent à la direction d'une société cotée plus tard (à 51 ans contre 44 ans), après avoir occupé 2,1 postes de plus, ils sont davantage diplômés (86% ont un niveau bac+5 et plus), ont une expérience fonctionnelle, internationale, sectorielle et inter-firmes supérieure. Ceci n'est pas surprenant, les dirigeants ayant une stratégie de carrière externe, forcément plus représentés dans cet échantillon, étant plus mobiles fonctionnellement et géographiquement. Avant de prendre la tête d'une société cotée, ils ont occupé en moyenne 2,8 postes de direction. Plus de la moitié des dirigeants sont passés par au moins un poste à l'international. Ils ont changé plusieurs fois de firmes, en moyenne ils ont travaillé dans 3,8 groupes. Les grands corps sont mieux représentés dans la base test, et se situent sensiblement au même niveau, 18% contre 17%, que dans l'étude de Pigé (1993). Il semblerait donc que leur influence n'ait pas évolué. Nous restons très en-dessous des statistiques des travaux de Bauer et Bertin-Mourot (1987, 1995), 265 qui comptabilisaient parmi les dirigeants de leur étude 27% de polytechniciens et 19% d'énarques83. Taux de départs forcés Rapidité d'accession au poste de dirigeant : - nombre moyen de postes antérieurs - années de vie professionnelle Age moyen à la nomination % de niveau master et plus % de polytechniciens % d'énarques % de grands corps Expérience fonctionnelle : - ministérielle - postes de direction - fonction différentes exercées - expérience internationale Expérience sectorielle : - nombre moyen de secteurs où le dirigeant a exercé - % n'ayant connu qu'un seul secteur Expérience de la firme : - nombre moyen de groupes où le dirigeant a exercé - % n'ayant connu qu'un seul Groupe - ancienneté moyenne dans la firme Origine des dirigeants Echantillon global 18,6% Base test 5,1 20 ans 44 ans 79% 12% 10% 10% 7,2 26 ans et 4 mois 51 ans 86% 15% 8% 18% 20% 2,4 3 36% 18% 2,8 4,5 52% 1,7 1,8 51% 40% 3 3,8 20% 8 ans et 4 mois 17% 9 ans 6% repreneurs 59% internes 35% externes 1007 observations 25% 165 observations - Tableau 43 : principales caractéristiques des dirigeants de l'échantillon test - Le tableau suivant reprend les caractéristiques des sociétés dans lesquelles les dirigeants ont été recrutés. La taille est plus importante que dans l'échantillon global, quel que soit l'indicateur utilisé : chiffre d'affaires, effectif, capitalisation boursière, nombre de filiales. Nous avons cependant toujours une diversité élevée des entreprises étudiées, puisque les extrêmes sont très éloignés. La plus petite capitalisation boursière de notre échantillon est de 2,2 millions d'euros, la plus importante de 68 943 millions d'euros, avec une médiane à 660 83 Leur échantillon étant constitué des deux cents plus grandes entreprises françaises, il se distingue du nôtre par la taille des firmes et une présence de l'État plus marquée dans l'actionnariat. 266 millions. La complexité du groupe est également très variable : de 0 filiale à 4 780, de même que les effectifs : de 5 (pour la société de capital développement Salvepar) à 241 627 (pour Veolia Environnement). Chiffres d'affaires (millions d'euros) Effectif Capitalisation boursière (millions d'euros) Nombre de filiales Moyenne 4 343 Médiane 734 Minimum 1,2 Maximum 77 860 15 594 3 514 2 761 660 5 2,2 241 627 68 943 135 39 1 4 780 - Tableau 44 : caractéristiques principales des 122 firmes de l'échantillon - Les autres renseignements figurant dans la base de test correspondent à l'opérationnalisation des variables explicatives, disciplinaires et cognitives, et de la variable à expliquer. La variation de création de valeur (VARPERF) entre les deux dernières années d'exercice du prédécesseur et les deux premières années de mandat du nouveau dirigeant est positive sur l'ensemble de notre échantillon, la somme étant égale à 25,47, ce qui tendrait à montrer que globalement l'ensemble des changements de dirigeants effectués sur la période s'est traduit par un effet positif sur la performance des firmes étudiées. Ce pourcentage est cependant à analyser avec précaution car il résulte de l'addition de variations portant sur des montants de créations de valeur très divers et sur des années différentes. La variation moyenne de performance des firmes de l'échantillon consécutive au changement de dirigeant est de 0,16. La médiane est à 0,15. L'écart-type est de 0,41. Deux entreprises sur trois ont connu une variation positive de leur performance suite à l'arrivée du nouveau dirigeant. La répartition par tranches met en évidence des variations parfois très fortes, puisque VARPERF est inférieure à -0,5 dans 6% des firmes et elle est supérieure à 0,50 dans 20% d'entre elles. Ainsi Transgène, société bio-pharmaceutique créée en 1979, qui enregistrait une variation annuelle de performance négative en moyenne de 12% les deux années précédant l'arrivée de Philippe Archinard à la tête de la firme et qui a connu depuis 2004 une évolution moyenne annuelle positive de 59%, ressort dans notre base avec une variation de création de valeur de 0,72. 267 VARPERF % de firmes de l'échantillon <0 33 % >0 67 % <-0,5 6% -0,5 à -0,25 10 % -0,25 à 0 17 % 0 à 0,25 28 % 0,25 à 0,5 19 % > 0,5 20 % -0,09 25 % 0,15 50 % 0,41 75 % 1,41 100 % - Tableau 45 : répartition de la variable à expliquer - L'étude descriptive des variables explicatives apporte d'autres informations sur les changements de dirigeants. Relativement à la dimension disciplinaire, 80% des nominations de dirigeants étudiées représentent une récompense : fonction hiérarchique, rémunération ou taille de l'entreprise supérieure. Les dirigeants français sont soumis au risque de la sanction : 25% des changements étudiés sont consécutifs au départ forcé 84 du prédécesseur (11% en raison de divergences avec les actionnaires ou les administrateurs, 14% consécutivement à de mauvaises performances). La durée moyenne des mandats des prédécesseurs s'établit à onze ans, mais ce chiffre masque des disparités fortes, puisque le minimum est de quelques mois, le maximum de 44 ans. En examinant la répartition par périodes de dix ans, 60% des dirigeants sont restés entre 0 et 10 ans en poste, 23% entre 11 et 20 ans, 10% entre 21 et 30 ans, et 7% plus de 30 ans. Variables disciplinaires Fréquence par modalités Moyenne RECOMPENSE85 NON : 20% OUI : 80% NON : 75% OUI (divergences) : 11% OUI (performances) : 14% 0,80 SANCTION86 COUTSDISC 87 Médiane 0,38 11,2 8 Min Max Nb d'obs. 0 1 0 2 165 0 44 165 165 - Tableau 46 : données descriptives sur les variables disciplinaires 84 La définition de la notion de départ forcé a été développée au paragraphe 9.2.1.. Promotion du nouveau dirigeant, variable binaire oui/non. 86 Départ forcé du prédécesseur, variable à trois modalités selon le motif de départ. 87 Réduction des coûts disciplinaires liés à l'enracinement, variable opérationnalisée par la durée du mandat du prédécesseur. 85 268 Sous la dimension cognitive, les variables explicatives prennent en compte la différence de profil et de compétences entre l'ancien et le nouveau dirigeant. Le tableau 47 fournit les données descriptives sur ces variables. Le changement de dirigeant est l'occasion d'un rajeunissement en moyenne de dix ans, mais la durée moyenne des mandats étant de 11 ans, l'âge au moment du recrutement comme dirigeant de diminue pas. Le renouvellement d'un dirigeant n'est pas forcément l'occasion d'augmenter le niveau de formation. Dans 28% des changements de dirigeants, le nouveau présente moins d'années de formation que le prédécesseur, dans 35% le même nombre d'années, et dans 37% une hausse. La continuité du type de formation est fréquente, puisque 42% des successions se sont effectuées en recrutant un dirigeant ayant le même cursus que son prédécesseur (remplacement d'un ingénieur par un ingénieur, d'un cadre commercial par un autre cadre commercial…). Ceci peut traduire soit des effets de réseaux d'école, soit une volonté du conseil d'administration de ne pas changer trop radicalement la direction de l'entreprise. Cette volonté est sans doute également l'explication de la continuité également observée en matière d'origine du dirigeant : 66% des renouvellements de dirigeants n'ont pas été l'occasion de passer d'un interne à un externe ou l'inverse. Parmi les changements d'origine, il est deux fois plus fréquent de passer d'un interne à un externe (23%) que d'un externe à un interne (11%). Ceci traduit sans doute une évolution vers un recours explicite plus important au marché managérial, car le solde s'exprime en faveur des externes. Le changement de dirigeant est l'occasion de rechercher plus de compétences génériques. Si la moyenne de la variation n'est que légèrement positive, la décomposition par seuil met plus en évidence le phénomène : 25% des nouveaux dirigeants totalisent moins de compétences génériques que leur prédécesseur, mais 36% ont le même niveau et 39% en ont davantage. L'expérience sectorielle semble également recherchée : si dans 29% des cas, le nouveau dirigeant a travaillé dans moins de firmes du même secteur que son prédécesseur avant d'être nommé, pour 36% des changements, son expérience sectorielle est identique, et dans 39% des cas elle est supérieure. 269 L'expérience spécifique à la firme apparaît également un facteur de recrutement : si 33% des nouveaux dirigeants ont passé moins d'années dans la firme que leur prédécesseur à sa nomination, 21% ont la même ancienneté et 46% étaient dans le groupe depuis plus longtemps. Ceci n'est pas contradictoire avec notre remarque sur l'évolution de l'origine des dirigeants, les 23% de changements d'un dirigeant interne au profit d'un externe étant inférieurs aux 33% de nouveaux dirigeants avec une expérience moindre de la firme. Variables explicatives cognitives VARAGE88 Fréquence par modalités VARDIPLOME89 Même niveau de diplôme : 73% Niveau différent : 27% Pas de changement : 69% Un changement : 31% Même origine : 66% Interne externe : 23% Externe interne : 11% Fréquence par modalités VARTYPEFORM90 VARORIGINE91 Moyenne Médiane Min Max Nb d'obs -10 ans - 11,5 ans -20 40 147 Variables Moyenne Médiane Min explicatives Max cognitives VARCOMPET92 0,3 0 -3 GENERIQUES 3 93 VARCOMPET 0,3 0 -10 SECTEUR 6 VARCOMPETFIRM 0,6 0 -33 94 EANS 36 - Tableau 47: données descriptives sur les variables cognitives - 147 147 154 Nb d'obs 147 147 150 11.2. Respect des hypothèses de base de la régression 11.2.1. Problèmes éventuels de multicolinéarité 88 Différence d'âge entre le nouveau et l'ancien dirigeant. Différence de niveau de diplôme entre le nouveau et l'ancien dirigeant. 90 Existence d'un changement de type de formation (exemple : passage d'un ingénieur à un ESC) : oui/non. 91 Variation d'origine entre le nouveau et l'ancien dirigeant. 92 Différence de compétences génériques entre le nouveau et l'ancien dirigeant (6 recensées). 93 Différence du nombre de firmes du même secteur dans lesquelles l'ancien et le nouveau dirigeant ont travaillé. 94 Différence d'ancienneté dans la firme entre le nouveau et l'ancien dirigeant à leur nomination. 89 270 Les variables explicatives relatives aux différentes voies d'intervention du marché managérial et les variables de contrôle peuvent être introduites dans la régression car nous n'avons pas de problèmes de multi-colinéarité trop élevée. Nous avons examiné pour chaque variable le Variance Inflation Factor (VIF), qui est toléré, jusqu'à une valeur de 4, or, dans nos différentes régressions, aucun VIF n'atteint 2, les coefficients sont très majoritairement proches de 1. Nous avons aussi, pour chaque régression effectuée, étudiée la matrice des corrélations. 11.2.2. Examen des résidus Pour pouvoir utiliser la méthode des moindres carrés ordinaire pour estimer les paramètres de l'équation étudiée entre la variable à expliquer et les variables explicatives, plusieurs hypothèses sur les résidus doivent être vérifiées. Elles concernent la normalité, l'homoscédasticité des erreurs et leur indépendance vis-à-vis de toutes les variables explicatives. Outre les tests graphiques et les tests de White, nous avons utilisé le test de normalité de Kolmogorov Smirnov et la fonction "casewise diagnostics" de SPSS. Elle nous a permis d'identifier quatre résidus standardisés dépassant plus ou moins 3 unités d'écart-type. Il s'agit de cas déviants mal expliqués par notre modèle de régression. Nous avons étudié chacun de ces cas particuliers. Les données ont toutes été vérifiées afin d'identifier une éventuelle erreur de saisie, ce qui n'était pas le cas. Deux raisons principales de déviance sont apparues : - La volatilité excessive du cours de bourse due à un faible flottant, le nombre réduit de transactions expliquant l'existence d'écarts très élevés d'une période à une autre. L'impact d'une constatation à une date donnée est alors extrêmement fort, or pour calculer notre variable de performance, nous utilisons dans les données la capitalisation boursière un jour précis, celui de la date d'arrêtés des bilans. - L'existence d'un événement exceptionnel dans la vie de la société la même année que le changement de dirigeant, qui vient masquer l'effet potentiel de celui-ci : opération en capital significative par rapport à la taille de la firme et non répétitive, plan de sauvetage avec apports externes de fonds et réduction des dettes bancaires…. 271 Les quatre valeurs déviantes correspondant à ces situations, qui sortent de notre étude théorique, ont été retirées de l'échantillon. Il s'agit d'Alstom (2003), Jet Multimédia (2000), Oeneo (2004) et Vallourec (2004). Alstom était dans une situation financière catastrophique en 2003 (perte de 1,38 milliards d'euros, chute du cours de bourse de 50%) au moment du changement de dirigeant, affaibli par un dividende exceptionnel versé à ses précédents actionnaires (230 millions d'euros à Marconi, autant à Alcatel) et par les difficultés de sa division de turbines à gaz de grande puissance. Cette crise a été surmontée en moins de deux ans grâce à la suppression de 3000 emplois en Europe, deux augmentations de capital (600 millions d'euros), la mise en place de refinancements avec les banques, l'intervention de l'État français (2,5 milliards de cautions et souscription d'actions pour 300 millions d'euros) et un important programme de cessions (pour 3 milliards d'euros). Compte tenu de l'importance du plan de sauvetage, l'incidence de l'arrivée du nouveau dirigeant passe nécessairement au second plan et ne peut expliquer la même part de l'évolution de la performance que dans une société où les choses sont égales par ailleurs. Jet Multimédia cumule les deux explications. Inscrite au compartiment C d'Eurolist (capitalisation inférieures à 150 millions d'euros) elle n'offrait en 2000 qu'un flottant inférieur à 10% et les variations de cours à l'époque étaient brutales. Concomitamment à l'arrivée du nouveau dirigeant, le périmètre du groupe s'est élargi considérablement avec le rachat de Victoire Multimédia. Une augmentation de capital de 33 millions d'euros a été lancée et un important partenariat avec D.I. Group, pôle média du groupe LVMH, a été signé. Le conseil d'administration d'Oeneo, en péril du fait de ses résultats, du niveau des provisions, de la disparition de ses fonds propres et de son niveau d'endettement, a pris en 2004 des décisions stratégiques majeures : lancement d'un plan de restructuration, cession des sites déficitaires, recomposition des forces de commerciales, nouveau pari industriel sur un produit de la division bouchons, arrêt de la fabrication de bouchons traditionnels, accord de refinancement des banques, augmentation de capital et nomination temporaire d'un nouveau dirigeant en la personne de Marc Hériard Dubreuil (la famille Hériard Dubreuil est le principal actionnaire) pour accompagner ces réorientations. 272 Vallourec a connu également un événement exceptionnel majeur peu après l'arrivée de son nouveau dirigeant : le rachat des 45% de V&M Tubes qu'il ne détenait pas, pour 545 millions d'euros en numéraire, opération financée par recours à la trésorerie disponible, à l'endettement bancaire et une augmentation de capital de 125 millions d'euros. 11.3. Résultats Notre cadre théorique étant une synthèse de la prise en compte de la dimension disciplinaire et de la dimension cognitive, nous avons procédé à une série de trois régressions, afin de tester tout d'abord le rôle disciplinaire du marché managérial, puis son rôle cognitif, et enfin son intervention dans sa globalité, au cas où il existerait des interactions entre les deux. 11.3.1. Le rôle disciplinaire du marché managérial La première régression a été effectuée en introduisant les trois variables explicatives disciplinaires : RECOMPENSE, SANCTION, COUTSDISC et la variable de contrôle VARPIB95. R2 ajusté F Sign. Nb observations 8,4% 4,647 0,001 160 -Tableau 48 : qualité de la régression intégrant les variables disciplinaires – Le coefficient de détermination n'est pas très élevé, le R2 ajusté atteint 8,4%, mais la taille de notre échantillon est assez petite et à part VARPIB, seules les trois variables liées au rôle disciplinaire du marché managérial ont été introduites dans la régression. Il n'est pas surprenant que de nombreuses autres variables, non liées à ce mécanisme, expliquent la création de valeur dans la firme. Nous commenterons plus amplement cette relative faiblesse du coefficient de détermination au paragraphe 11.3.3. portant sur l'ensemble des voies d'intervention du marché managérial. Le test F de Fisher-Snedecor, qui permet d'interpréter la signification des résultats en fonction du nombre d'observations, traduit une bonne qualité au niveau global de la relation 95 Variation du PIB entre les deux années consécutives au changement de dirigeant et les deux années antérieures à ce changement. 273 étudiée. Au niveau des variables, le test t de Student a confirmé l'existence d'une relation significative entre la variable à expliquer, la variation de performance de la firme, et deux des trois variables explicatives, SANCTION et COUTSDISC, ainsi qu'avec la variable de contrôle VARPIB. VARIABLES et constante RECOMPENSE SANCTION COUTSDISC VARPIB Constante COEFF β (écart-type) 0,007 (0,083) 0,149*** (0,045) 0,006* (0,003) 0,064* (0,033) -0,049 (0,089) t Sign. VIF 0,082 0,935 1,055 3,309 0,001 1,046 1,883 0,062 1,026 1,915 0,057 1,039 -0,556 0,579 Les résultats significatifs sont signalés par : *** à 1%, ** à 5%, et * à 10%. - Tableau 49 : résultats de la régression intégrant les variables disciplinaires - Deux de nos hypothèses liées au rôle disciplinaire du marché des dirigeants sont validées : H1 et H3. Le marché managérial joue un rôle disciplinaire en France dans les sociétés cotées sur la période 1996-2004 à partir de deux leviers, l'incitation liée à la menace de sanction et la réduction des coûts disciplinaires relatifs à l'enracinement du prédécesseur. Suite à un départ forcé du dirigeant, la variation de performance de la firme est positive. Plus le dirigeant précédent est resté longtemps en poste, ce qui laisse supposer que davantage de contrats informels ont été noués, plus le changement de dirigeant est créateur de valeur dans la firme. Nos résultats confortent les nombreux travaux validant le lien positif entre un départ forcé et la variation de performance de la firme, enregistrés aussi bien pour le marché américain (Parrino, 1997, Zerbib et al., 2002, Fee et Hadlock, 2003, pour les plus récents), que pour le marché anglais (Conyon et al., 1995, Renneboog et Trojanowski, 2003), le Danemark (Neumann et Voetmann, 1999) ou encore le marché français (Pigé, 1993, Dherment Férère, 1996). En ce qui concerne la France, nos résultats sont plus marqués que ceux de l'étude de Dherment-Férère (1996) portant sur les 235 entreprises cotées sur le marché du règlement mensuel et du comptant ayant enregistré un changement de dirigeant entre 1988 et 1992. 274 L'auteur concluait à une amplitude plus forte et positive de l'impact de la succession d'un dirigeant sur la performance en cas de départ forcé, notamment dans le cas du remplacement par un externe, mais avec une faible significativité. L'analyse de Dherment-Férère et Renneboog (2000) sur le même échantillon confirmait l'incidence positive de la sanction sur la performance de la firme, avec une hausse significative des cours de l'action de 0,5% dans une fenêtre de vingt jours autour de l'annonce d'un départ forcé. Notre étude permet de mettre en évidence que la sanction joue toujours un rôle disciplinaire dans le système de gouvernance des entreprises françaises sur une période plus récente, 1996 à 2004, et que cette influence semble être de plus en plus significative sur la performance de la firme. Le rôle de sanction du marché managérial contribue positivement à la création de valeur dans la firme. La récompense, autre levier disciplinaire d'incitation à la performance, n'apparaît pas significative dans nos tests, sans doute du fait de son opérationnalisation très simplifiée, faute d'accès à plus de données. L'hypothèse H2 n'est pas validée. La notion de récompense retenue était limitée à l'accession à un poste plus élevé ou prestigieux, sans prise en compte de l'évolution chiffrée de la rémunération et de la composition de celle-ci. Si nous rapprochons ce résultat de ceux des études empiriques portant sur l'influence des systèmes de rémunérations, il semblerait donc que si la part variable peut être liée positivement à la performance de la firme, d'autres éléments moins sensibles comme le prestige ou la satisfaction d'obtenir un poste plus élevé ne soient pas suffisamment incitatifs pour contribuer à la création de valeur dans la firme. Une deuxième voie d'intervention disciplinaire du marché managérial, la réduction des coûts disciplinaires, apparaît avoir une influence significative sur la performance de la firme. Nos travaux confortent et actualisent les résultats pour le marché français de Paquerot (1996, 1997) et de Pigé (1998). Paquerot, dont l'analyse s'intéressait aux dirigeants des sociétés cotées françaises en 1993, concluait également à un effet négatif de l'enracinement, évalué par le dépassement de l'âge de la retraite et le cumul des mandats, sur la rentabilité ajustée au risque de la firme. Pigé, dont l'étude portait sur 558 dirigeants de sociétés cotées françaises entre 1966 et 1990, affinait ce constat en confirmant une relation statistiquement significative et négative entre la performance boursière annuelle et le niveau d'enracinement du dirigeant, lorsque ce dernier dépassait un certain seuil. L'opérationnalisation de seuils d'enracinement est 275 plus complexe dans son étude que dans la nôtre, qui distingue seulement les prédécesseurs restés en poste plus longtemps ou moins longtemps que la moyenne de l'échantillon, mais les conclusions convergent. Notre analyse apporte un éclairage complémentaire, car elle s'intéresse aux conséquences du changement de dirigeant. L'étude de Pigé a permis de conclure que l'enracinement avait une influence négative sur la performance de la firme à partir d'un certain seuil. Nos travaux montrent que la suppression de cet enracinement consécutive au changement de dirigeant engendre de la création de valeur dans la firme, par réduction des coûts disciplinaires liés. Le rôle de réduction des coûts disciplinaires du marché managérial contribue positivement à la création de valeur dans la firme. 11.3.2. Le rôle cognitif du marché managérial La seconde régression a intégré cette fois les variables explicatives cognitives : VARAGE, VARDIPLOME, VARTYPEFORM, VARORIGINE, VARCOMPETGENERIQUES, VARCOMPETSECTEUR, VARCOMPETFIRME, et la variable de contrôle VARPIB. R2 ajusté F Sign. Nb observations 12,6% 2,403 0,019 142 - Tableau 50 : qualité de la régression intégrant les variables cognitives – Le coefficient de détermination R2 est plus élevé : 12,6% que pour la régression sur les voies disciplinaires, ce qui n'est pas surprenant car le nombre de variables introduites est plus important. La réflexion évoquée au paragraphe 11.3.1. est cependant toujours fondée, d'autres déterminants que le mécanisme que nous étudions expliquent la création de valeur dans la firme. La qualité au niveau global de la relation, estimée par le test F de Fisher-Snedecor, est toujours satisfaisante. Le test t de Student a confirmé l'existence d'une relation significative entre la variable à expliquer, la variation de performance de la firme, et deux des sept variables explicatives cognitives VARORIGINE et VARDIPLOME. La variable de contrôle VARPIB est toujours significative. 276 VARIABLES et constante VARAGE VARDIPLOME VARTYPEFORM VARORIGINE VARCOMPETGENERIQUES VARCOMPETSECTEUR VARCOMPETFIRME VARPIB Constante COEFF β (écart-type) -0,004 (0,003) -0,244*** (0,083) -0,127 (0,081) 0,120* (0,068) -0,018 (0,028) 0,020 (0,017) 0,002 (0,003) 0,069* (0,036) 0,121 (0,077) t Sign. VIF -1,183 0,239 1,150 -2,933 0,004 1,248 -1,567 0,119 1,265 1,757 0,081 1,333 -0,630 0,530 1,099 1,180 0,240 1,232 0,668 0,505 1,321 1,908 0,059 1,048 1,581 0,116 Les résultats significatifs sont signalés par : *** à 1%, ** à 5%, et * à 10%. - Tableau 51 : résultats de la régression intégrant les variables cognitives - La variation d'âge entre les deux dirigeants qui se succèdent n'est pas une variable significative dans les tests effectués. Notre hypothèse H4b n'est pas validée. Il est intéressant de remarquer que le coefficient bêta aurait été négatif, ce qui signifie que le rajeunissement du dirigeant aurait une influence positive sur la création de valeur dans la firme. Ceci n'est pas conforme à nos attentes, nous avions supposé que la perte de l'expérience plus élevée d'un dirigeant plus âgé était coûteuse pour la firme. L'âge est pourtant une caractéristique explicative des stratégies des dirigeants souvent mise en avant, notamment dans les études américaines, mais le lien avec la création de valeur n'est pas toujours analysé. Les dirigeants plus jeunes prendraient plus de risques ou encore seraient davantage réceptifs au changement. Bertrand et Schoar (2003) par exemple concluaient à une relation significative positive entre l'âge et une prise de décision plus conservative, mais un lien faible avec la performance. Il n'y a pas cependant de consensus sur ce point, Wiersema et Bantel (1992) concluaient ainsi que l'âge n'avait pas d'effet sur les changements stratégiques. L'absence de significativité de la variation d'âge entre l'ancien et le nouveau dirigeant sur la performance de la firme constitue une preuve que ces conjonctures ne sont pas vérifiées dans 277 notre échantillon, ou peut-être que les effets de l'âge sur la performance, à travers la stratégie adoptée par le dirigeant, sont complexes, certaines décisions ayant un impact positif, mais celui-ci étant compensé par d'autres mesures prises influençant négativement la performance. Les variations de compétences, qu'elles soient génériques, sectorielles ou liées à la firme, ne ressortent pas non plus comme des variables explicatives significatives. Nos travaux sont novateurs car très peu d'études empiriques ont cherché à évaluer l'impact sur la performance de la firme des différences de compétences entre l'ancien et le nouveau dirigeant. A noter que contrairement à ce qui était anticipé, si la variable VARCOMPETGENERIQUES avait été significative, le coefficient bêta aurait été négatif : plus de compétences génériques aurait une incidence négative sur la performance de la firme. Nous pouvons alors nous interroger sur la pertinence des critères de sélection, car selon la statistique descriptive présentée au paragraphe 11.1., 39% des dirigeants recrutés sur la période avaient plus de compétences génériques que leur prédécesseur. L'absence de significativité de la variable COMPETSECTEUR sur la performance nous interpelle également. Comme nous l'avons vu au paragraphe 10.2.3., l'appartenance à un même secteur d'activité constitue un critère discriminant dans la sélection des dirigeants. Or le fait qu'un dirigeant ait travaillé dans plusieurs firmes du même secteur que celle dont la direction lui est confiée n'explique la création de valeur dans la firme. Notre étude conforte les résultats pour le marché américain de Datta et Rajagopalan (1998) sur une période plus ancienne (1977 à 1987), qui ne confirmaient pas le fait que l'adéquation des compétences du dirigeant au secteur de la firme qui lui est confiée engendre une meilleure performance de la firme. Bailey et Helfat (2003) concluaient dans leur étude à une variance plus forte de la performance pour les firmes ayant recruté un dirigeant externe sans expérience sectorielle, mais leur analyse ne permettait pas de définir si la création de valeur était supérieure dans un cas ou dans l'autre. La non significativité de la variable COMPETFIRME apparaît par contre corroborer l'efficience des critères de sélection en France relatifs à l'expérience du dirigeant dans la firme : si le capital humain spécifique à la firme est pris en compte par les recruteurs, il l'est jusqu'à un certain seuil, l'expérience inter-firmes étant recherchée conjointement. 278 L'une des deux variables explicatives cognitives ayant une influence dans la relation étudiée est VARORIGINE, avec un bêta positif. Notre hypothèse H4a est validée : Les réorientations stratégiques consécutives à la succession d'un dirigeant interne par un externe ont un effet positif sur la performance de la firme, et inversement le passage d'un externe à un interne se traduit par un effet négatif. Ce résultat est intéressant, car il met en évidence qu'un changement de dirigeant est plus positif pour la firme lorsqu'il permet d'amener une vision externe et neuve à l'entreprise, synonyme certainement de modifications plus radicales que n'en aurait apporté un candidat interne. Il est à rapprocher de la relation positive confirmée sur notre échantillon entre la sanction et la création de valeur dans la firme, 56% des départs forcés ayant été suivis du recrutement d'un dirigeant externe. Cette association avait déjà été mise en évidence pour le marché américain par Helfat et Bailey (2005), à savoir que l'impact positif sur la performance de l'arrivée d'un dirigeant externe était plus significatif lorsqu'elle était consécutive à un départ forcé. Alors que Dherment-Férère (1998) obtenait des résultats contrastés dans son étude concernant l'incidence de l'origine externe du dirigeant sur la performance de la firme, mesurée par la rentabilité anormale du cours de bourse, nos travaux sur la période 1996 à 2004 confortent pour le marché français les résultats d'études empiriques menées pour les États-Unis par Shen et Cannella (2002), ou encore au niveau mondial l'analyse de Péladeau et al. (2005). Ces derniers effectuaient également le lien avec le remplacement des dirigeants ayant subi un départ forcé par un externe et de manière générale soulignaient la meilleure performance des "outsiders" les premières années de leur mandat, qu'ils attribuaient à leur "art de dynamiser l'entreprise : établir une nouvelle direction stratégique, exiger plus de résultats, réduire les coûts, liquider les actifs sous-performants et communiquer avec les investisseurs" (p. 10), les dirigeants d'origine interne pour leur part étant plus à même d'assurer une croissance certes moins dynamique mais plus orientée vers le long terme et continue. Les résultats de leur étude par grande zone géographique faisaient ressortir que ce constat se vérifiait surtout en Amérique du Nord, les performances comparées entre dirigeants d'origine interne et dirigeants d'origine externe étant relativement similaires en Europe. Nos résultats permettent de mettre en évidence que la situation de la France semble se rapprocher davantage de celle des États-Unis que des autres pays européens. Enfin, au-delà de la prise en 279 compte de l'origine du nouveau dirigeant, ils montrent que le changement d'origine entre le candidat venant d'être nommé et son prédécesseur est positif lorsqu'un interne est remplacé par un externe, négatif dans le cas contraire. La seconde variable cognitive significative est VARDIPLOME, au seuil de 1%, mais avec un signe opposé à celui attendu. Notre hypothèse H4c est infirmée. Un changement de niveau de diplôme entre le nouveau dirigeant et l'ancien a un effet négatif sur la création de valeur dans la firme. Pour mieux comprendre et analyser ce résultat, nous avons essayé d'affiner pour voir s'il y avait un sens à prendre en compte dans la variation : hausse du niveau de diplôme ou baisse. Pour cela nous avons recodé VARDIPLOME pour qu'elle prenne la valeur -1 en cas de baisse, 1 en cas de hausse, 0 si le diplôme est équivalent. Une nouvelle régression fait ressortir que la variable n'est plus significative. Ce n'est donc pas le fait d'augmenter le niveau de diplôme du dirigeant ou de le réduire qui explique une partie de la variation de la performance. C'est le changement de niveau de diplôme qui a une influence négative sur la performance de la firme. Une explication serait peut-être que le changement de vision stratégique est plus fort entre deux dirigeants ayant un niveau différent, par exemple l'un à bac+2 et l'autre à bac+5, qu'entre deux dirigeants de même niveau (par exemple bac+5) mais provenant d'écoles différentes. Ce résultat confirme l'existence d'un lien entre la formation du dirigeant et la performance de la firme, accréditant l'idée selon laquelle un certain niveau de formation correspond à une vision stratégique spécifique. Un changement trop significatif de formation de dirigeant serait destructeur de valeur. Nos travaux apportent donc une analyse affinée des conséquences du changement de profil entre l'ancien et le nouveau dirigeant : si le recours à un candidat externe, généralement synonyme de renouveau et de rupture de politique, a une incidence positive sur la performance par l'apport de ses connaissances et compétences différentes, les schémas cognitifs qu'il a développés pendant sa formation ne doivent pas être trop éloignés de ceux de son prédécesseur. Autrement dit, choisir un candidat externe mais de même niveau de formation que son prédécesseur apparaît être le plus profitable pour la firme. La variable VARTYPEFORM n'est pas significative (même si le test de Student en est proche), mais il est intéressant de noter que le coefficient bêta aurait été également négatif : 280 une rupture dans la nature de la formation entre le nouveau et l'ancien dirigeant aurait une influence négative sur la création de valeur dans la firme. Ceci est sans doute l'une des raisons pour lesquelles nous avons observé dans la base des successions des mêmes écoles, même si celles-ci s'expliquent souvent par l'effet réseau. Les deux résultats précédents apportent un nouvel éclairage au débat portant sur l'incidence de la formation du dirigeant sur la performance, qui ne fait pas l'objet d'un consensus. Pour le marché français, Pigé (1993) concluait à l'absence d'influence de la formation sur la performance boursière de l'entreprise. Au contraire, pour le marché américain par exemple, la supériorité de certaines formations, les MBA, a été mise en évidence par Bertrand et Schoar (2003). Notre étude explore un nouvel aspect de la question : l'effet sur la performance de la firme du changement de formation consécutif à l'arrivée d'un nouveau dirigeant, qui ressort significatif et négatif pour le niveau de diplôme. 11.3.3. Le rôle disciplinaire et cognitif du marché managérial La troisième régression a intégré toutes les variables explicatives, qu'elles soient disciplinaires cognitives : RECOMPENSE, SANCTION, COUTSDISC, VARAGE, VARDIPLOME, VARTYPEFORM, VARORIGINE, VARCOMPETGENERIQUES, VARCOMPETSECTEUR, VARCOMPETFIRME, et la variable de contrôle VARPIB. R2 ajusté F Sign. Nb observations 13,4% 2,961 0,002 141 - Tableau 52 : qualité de la régression testant l'ensemble du rôle du marché managérial – Le coefficient de détermination R2 est maintenant de 13,4%, en incluant toutes les voies d'intervention du marché managérial. Compte tenu du niveau du R2, nous nous situons à mi chemin entre plusieurs courants théoriques : d'une part, la vision néoclassique de la firme, dans laquelle l'influence du dirigeant n'est pas prise en compte, ou encore le courant de l'écologie des populations qui la nie totalement, car notre coefficient de déterminant reste peu élevé, d'autre part, l'approche de la théorie de l'agence, qui met en avant la latitude discrétionnaire du dirigeant, sans se concentrer cependant sur les différences idiosyncrasiques entre dirigeants, et le corps de littérature stratégique, avec notamment Hambrick et Mason (1984), qui attribue une place prépondérante au rôle du dirigeant dans la firme, car le 281 coefficient de détermination est tout de même supérieur à 10%. Dans leur étude portant sur les dirigeants des huit cents plus grandes sociétés américaines entre 1969 et 1999, Bertrand et Schoar (2003) concluaient que ceux-ci constituaient des déterminants importants de la stratégie et de la performance de la firme (estimée par le taux de rentabilité des actifs) car l'introduction des variables liées aux dirigeants dans une régression comprenant déjà comme variables explicatives les caractéristiques de la firme augmentait le R2 de plus de 5%. Nos travaux confirment l'existence de l'influence du dirigeant sur la performance de la firme, mais celle-ci n'explique qu'une partie, relativement modeste, de la création de valeur dans la firme, de nombreux autres facteurs entrant également en compte : caractéristiques de l'entreprise, du secteur d'activité, des mécanismes de gouvernance, de la conjoncture… Nos résultats sont cependant plus marqués que dans l'étude américaine de Larcker et al. (2007). Ces auteurs, qui voulaient tester l'incidence de la gouvernance sur la performance de la firme, ont étudié 39 variables, réunies en treize facteurs par une analyse en composantes principales, qui incluaient notamment la composition du conseil d'administration, les mesures anti-OPA, la nature de blocs d'actionnaires, l'endettement ... Ces derniers contribuaient en moyenne à expliquer entre 1,4% et 9,1% de la variance de la performance. Enfin, un autre éclairage peut être apporté par les résultats d'Adams et al. (2005). Dans leur étude de 336 sociétés de Fortune 500 entre 1992 et 1999, ils ont montré que l'impact des dirigeants sur la performance de la firme était fonction de leur degré d'influence, mesuré par trois variables relatives au dirigeant : une binaire indiquant s'il était le fondateur de la firme, la part de capital qu'il détenait, sa position éventuelle d'unique membre interne au conseil d'administration. Notre échantillon contenant des entreprises très diverses, l'impact de cette influence est lissé. Compte tenu du niveau du test F de Fisher-Snedecor, la qualité au niveau global de la relation est bonne. Le test t de Student a confirmé l'existence d'une relation significative entre la variable à expliquer, la variation de performance de la firme, une variable explicative disciplinaire, SANCTION, une variable cognitive VARDIPLOME et la variable de contrôle VARPIB. 282 VARIABLES et constante RECOMPENSE SANCTION COUTSDISC VARAGE VARDIPLOME VARTYPEFORM VARORIGINE VARCOMPETGENERIQUES VARCOMPETSECTEUR VARCOMPETFIRME VARPIB Constante COEFF β (écart-type) 0,040 (0,090) 0,157*** (0,049) 0,005 (0,004) -0,004 (0,004) -0,214** (0,082) -0,106 (0,079) 0,096 (0,070) -0,027 (0,029) 0,015 (0,017) 0,003 (0,003) 0,062* (0,037) t Sign. VIF 0,449 0,654 1,206 3,203 0,002 1,092 1,215 0,227 1,423 -1,206 0,230 1,525 -2,596 0,011 1,275 -1,341 0,182 1,285 1,382 0,169 1,472 -0,943 0,348 1,168 0,847 0,398 1,331 0,745 0,458 1,593 1,676 0,096 1,096 -0,197 0,844 Les résultats significatifs sont signalés par : *** à 1%, ** à 5%, et * à 10%. - Tableau 53 : résultats de la régression testant l'ensemble du rôle du marché managérial - La sanction est toujours significative au seuil de 1% avec un bêta légèrement plus élevé (0,157 contre 0,149). La variation du niveau diplôme est significative à 5% au lieu de 1%, et le bêta passe de -0,214 à -0,244. Deux des variables qui étaient significatives lorsque nous avons testé séparément les deux dimensions du rôle du marché managérial ne le sont plus dans l'analyse simultanée de toutes les voies d'intervention du mécanisme. Il ne semble pas que ce soit pour des problèmes de multicolinéarité, le VIF le plus élevé étant celui de VARCOMPETFIRME, avec 1,593. Nous avons cependant vérifié à nouveau avec la matrice des corrélations. 283 La plus forte corrélation entre COUTSDISC et une autre variable est égale à -0,34 avec VARAGE. Cette variable est également corrélée à plus de 0,20 avec RECOMPENSE (0,208) et VARCOMPETSECTEUR (0,245). Si la variable VARAGE est retirée de la régression, COUTSDISC redevient une variable significative, sans différence statistique de bêta avec la première régression portant sur les seules variables explicatives disciplinaires : COUTSDISC Régression avec les variables explicatives disciplinaires Régression avec les variables explicatives disciplinaires et cognitives Régression avec les variables explicatives disciplinaires et cognitives, mais sans VARAGE COEFF β (écart-type) 0,006* (0,003) 0,005 (0,004) 0,007* (0,004) t Sign. 1,883 0,062 1,215 0,227 1,847 0,067 Les résultats significatifs sont signalés par : *** à 1%, ** à 5%, et * à 10% - Tableau 54 : évolution de la significativité de la variable COUSTDISC - La question se pose d'une éventuelle interaction entre l'effet des deux variables COUTSDISC et VARAGE. Pour tester cette hypothèse, nous avons introduit dans la régression une nouvelle variable, COUTSDISC*VARAGE. Elle n'est pas significative (t de Student égal à -0,832, significativité de 0,407). L'interaction n'est donc pas confirmée. Pour VARORIGINE, les corrélations les plus élevées sont celles avec VARCOMPETFIRME (-0,450), VARCOMPETSECTEUR (0,260) et SANCTION (0,154). Nous avons ajouté dans VARORIGINE*VARCOMPETFIRME, la régression les variables croisées VARORIGINE*CARCOMPETSECTEUR, VARORIGINE*SANCTION. Elles ne sont pas significatives, ce qui ne permet pas de confirmer l'existence d'interactions entre ces variables. Conclusion La première série de tests portant sur le centre du modèle, l'influence des différentes voies d'intervention du marché managérial sur la performance de la firme, nous a conduits à valider trois de nos hypothèses et à en infirmer une. Elle a également permis de constater l'existence de l'impact du dirigeant sur la performance de la firme, mais celui-ci reste modeste compte tenu des nombreux autres facteurs à prendre en considération. Ainsi nos travaux ne 284 confirment pas la place centrale du dirigeant, mais n'aboutissent pas non plus à la négation de son rôle. Nos résultats sont même plutôt supérieurs à ceux d'autres études en gouvernance que nous avons rappelés. Deux leviers disciplinaires exercés par le marché managérial, la sanction et la réduction des coûts disciplinaires, contribuent à la création de valeur dans la firme, ils ressortent significatifs de nos tests. Suite à un départ forcé du dirigeant, la firme observe une amélioration de sa performance. De même lorsqu'un dirigeant enraciné, c'est-à-dire qui est resté en poste plus longtemps que la moyenne de l'échantillon (onze ans), est remplacé, le changement est créateur de valeur pour la firme. Lorsqu'un candidat externe est choisi pour remplacer un dirigeant issu lui de la voie interne, la performance de la firme enregistre une variation positive, ce qui traduit probablement l'incidence favorable d'une rupture dans la stratégie de la firme. Le changement n'est pas cependant créateur de valeur dans toutes ses formes, comme le montre l'infirmation de l'hypothèse H4c : une différence de niveau d'études entre le nouveau dirigeant et son prédécesseur, quel que soit son sens, a un impact négatif sur la performance. Ce résultat suggère qu'il est plus favorable pour l'entreprise de rechercher un nouveau dirigeant ayant un niveau de diplôme proche de celui qui s'en va, sans doute pour conserver certains aspects de la vision stratégique. La variation de compétences génériques, sectorielles et spécifiques à la firme entre les deux dirigeants n'apparaît pas expliquer les variations de performance de l'entreprise. L'expérience du secteur et la connaissance de la firme faisaient pourtant partie des critères de sélection des dirigeants identifiés aussi bien pour la France que dans les pays anglo-saxons. L'analyse du rôle du marché managérial dans sa globalité a fait ressortir des interactions entre les différentes voies d'intervention de ce mécanisme, aboutissant à la disparition de deux variables significatives dans la relation, l'une disciplinaire et l'autre cognitive. Une synthèse des résultats des tests de nos différentes hypothèses est présentée dans le tableau 55. Le tableau 56 permet lui de mettre en évidence l'apport de nos travaux par rapport à d'autres résultats existants de la littérature. 285 Hypothèse H1 H2 H3 Objet Validation Commentaires La sanction Validée Effet positif confirmé La récompense Non validée La réduction des coûts Validée Effet positif confirmé disciplinaires H4a Réorientations stratégiques Validée Effet positif confirmé engagées par les externes H4b Incidence de l'âge et Non validée Relation non significative l'expérience sur l'évolution de la vision stratégique H4c Incidence de la variation du Infirmée Effet négatif du niveau de diplôme sur la changement vision stratégique de la variation du niveau de diplôme H4d Incidence de la variation du Non validée Relation non significative type de formation sur la vision stratégique H5a Incidence de l'évolution du Non validée Relation non significative nombre de compétences génériques du dirigeant H5b Incidence de l'évolution de Non validée l'importance des compétences sectorielles H5c Incidence de l'évolution de Non validée l'importance des compétences spécifiques à la firme Variable de Conjoncture (variation du Validée Effet positif Contrôle PIB) - Tableau 55 : synthèse des résultats des tests des hypothèses relatives à l'influence des voies d'intervention du marché managérial sur la performance de la firme – 286 Incidence sur la performance D'un départ forcé Études du marché français Effet positif (Pigé 1993, Dherment Férère 1996) De la réduction des coûts disciplinaires liés à l'enracinement Effet négatif de l'enracinement sur la performance (Paquerot, 1996, 1997, Pigé, 1998) Études récentes des marchés anglo-saxons ou autres pays Effet positif (Neumann et Voetmann, 1999, Zerbib et al., 2002, Fee et Hadlock, 2003, Renneboog et Trojanowski, 2003) Notre étude : résultats et apports Effet positif, plus significatif que dans l'étude de DhermentFérère et confirmé sur une période récente. Effet positif de la suppression de l'enracinement par changement de dirigeant. De la variation d'âge du dirigeant, la vision stratégique étant différente Pas de lien entre l'âge et la Lien entre le changement vision stratégique d'âge du dirigeant et la (Wiersema et Bantel, performance de la firme 1992), existence d'une non significatif. relation mais lien faible avec la performance de la firme (Bertrand et Schoar, 2003). Du Résultats - Effet positif de passage Confirmation pour la changement contrastés de d'un interne à externe France de l'impact positif d'origine du Dherment(Shen et Cannella, 2002), sur la performance du dirigeant Férère (1998) en lien avec le départ forcé passage d'un interne à un (Helfat et Bailey, 2005) externe, et négatif en - Au niveau mondial, les sens inverse. La France externes ont de meilleurs serait sur ce point plus résultats les premières proche de l'Amérique du années (Péladeau et al., Nord que des autres pays 2005), notamment en européens. Amérique du Nord De la variation Peu d'études empiriques L'écart d'expérience des - Pas de lien entre sectorielle entre le compétences l'expérience sectorielle du nouveau et l'ancien sectorielles dirigeant et la performance dirigeant n'a pas entre les deux de la firme (Datta et d'influence sur la dirigeants Rajagopalan, 1998) performance de la firme. - variance plus forte de la performance des firmes ayant recruté un dirigeant externe sans expérience sectorielle - Tableau 56 : rapprochement des résultats avec d'autres études empiriques – 287 CHAPITRE XII : LES DETERMINANTS MODERATEURS DU ROLE DU MARCHE DES DIRIGEANTS DANS LE SGE Deux familles de déterminants ont été identifiées et ont enrichi notre modélisation du rôle du marché managérial dans le SGE : ceux liés à la firme (structure de propriété, secteur d'activité) et ceux liés au dirigeant (stratégie de carrière externe, proximité de la retraite, réseaux). Nous allons maintenant présenter les résultats empiriques en incluant ces différents facteurs. Ils ont été analysés séparément, en les introduisant un par un dans la régression. 12.1. Les déterminants liés à la firme 12.1.1. La structure de propriété La structure de propriété a été opérationnalisée par deux variables muettes STRUCTMANAGERIALE et STRUCTFAMILIALE, qui prennent la valeur 1 si la structure de la firme est celle évoquée dans l'intitulé de la variable, 0 dans les autres cas. La structure contrôlée correspond à la situation où ces deux variables muettes sont à zéro, les souspopulations étant indépendantes. Conformément à notre modèle théorique, qui a mis en évidence une influence de la structure de propriété à la fois sur les voies d'intervention disciplinaires du marché des dirigeants et sur celles relevant de la dimension cognitive, nous avons effectué une régression reprenant l'ensemble des variables explicatives précédemment étudiées, la variable de contrôle VARPIB et les deux variables muettes. Elle a donné les résultats suivants : R2 ajusté F Sign. Nb observations 14,2% 2,787 0,002 141 - Tableau 57 : qualité de la régression testant l'influence de la structure de propriété – 288 VARIABLES et constante RECOMPENSE SANCTION COUTSDISC VARAGE VARDIPLOME VARTYPEFORM VARORIGINE VARCOMPETGENERIQUE S VARCOMPETSECTEUR VARCOMPETFIRME VARPIB STRUCTMANAGERIALE STRUCTFAMILIALE Constante COEFF β (écart-type) 0,055 (0,090) 0,145*** (0,049) 0,002 (0,004) -0,004 (0,004) -0,201** (0,083) -0,096 (0,080) 0,089 (0,070) -0,034 (0,029) 0,016 (0,017) 0,002 (0,003) 0,067* (0,037) 0,083 (0,132) 0,1474* (0,081) 0,080 (0,126) t Sign. VIF 0,607 0,545 1,221 2,938 0,004 1,120 0,413 0,680 1,680 -1,190 0,236 1,578 -2,427 0,017 1,296 -1,200 0,232 1,313 1,281 0,202 1,480 -1,190 0,236 1,192 0,927 0,356 1,341 0,616 0,539 1,601 1,813 0,072 1,106 0,625 0,533 1,191 1,816 0,072 1,441 0,637 0,525 Les résultats significatifs sont signalés par : *** à 1%, ** à 5%, et * à 10%. - Tableau 58 : résultats de la régression testant l'impact de la structure de propriété dans la relation étudiée - La structure de propriété a bien une influence dans la relation étudiée : la variable muette STRUCTFAMILIALE est significative. Pour vérifier l'impact de notre codification, nous avons effectué la même régression mais avec STRUCTMANAGERIALE et STRUCTCONTROLEE. Les résultats (bêta, significativité) sont identiques pour les variables explicatives liées au marché managérial, STRUCTCONTROLEE est également significative au seuil de 10%, mais avec un bêta négatif de -0,147 et un écart-type de 0,081 (T de Student :1,816, significativité : 0,072). La structure familiale apparaît avoir une influence positive sur 289 la création de valeur, alors que la structure contrôlée aurait un impact négatif. Le faible nombre de firmes managériales dans notre échantillon (11 sur 141) explique sans doute que la variable muette correspondante ne soit pas significative. Concernant le marché français, notre étude examine plus en détail l'influence de ce déterminant que les travaux de Pigé (1993), qui s'était intéressé à deux points particuliers, le lien entre le nombre de rotations et la performance d'une part et la fréquence des rotations d'autre part, et n'avait pas trouvé de différence significative selon la structure de propriété que dans le second cas. Il concluait par contre également à la capacité de ce déterminant à expliquer une partie de la variance de la performance de la firme. Notre analyse prolonge également les travaux de Charreaux (1991), qui faisaient ressortir une différence de performance, pour trois des six mesures de performance utilisées, entre les firmes familiales et les firmes contrôlées, en faveur des premières, avant neutralisation de l'incidence des variables de discipline externe. Nos travaux permettent de conforter sur une période récente pour la France un résultat souvent constaté, à savoir la supériorité en termes de performance des entreprises familiales. Dans leur étude portant sur les sociétés cotées françaises entre 1994 et 2000, Sraer et Thesmar (2007) concluaient déjà à la sur-performance des entreprises familiales. Celle-ci a été aussi validée empiriquement pour le marché américain, par exemple par Anderson et Reeb (2003) sur les entreprises du Standard and Poor's 500 entre 1992 et 1999, ou encore Villalonga et Amit (2006) sur les firmes de Fortune 500 pour les analyses les plus récentes. Nos travaux s'inscrivent ainsi dans le courant de littérature défendant la supériorité de cette structure de propriété, généralement justifiée par la réduction des coûts d'agence, une meilleure politique sociale, un respect plus grand des traditions, une forte implication des dirigeants, une vision à long terme et un objectif fort de pérennité de l'entreprise 96. En s'intéressant au marché du travail des dirigeants, ils apportent de nouvelles explications, que nous détaillons ci-après. La structure familiale de propriété a une influence positive sur la performance de la firme. Les variables significatives liées au rôle du marché managérial sont les mêmes que dans la régression réalisée au paragraphe 11.3.3., mais les coefficients bêta sont légèrement moins 96 Pour une revue de littérature plus approfondie de ces arguments, se référer à Allouche J. et Amann B. (1999) "L‟entreprise familiale : un état de l‟art", Finance, Contrôle, Stratégie, Mars, vol. 3, n° 1, pp. 33-79. 290 élevés : SANCTION (bêta de 0,145 au lieu de 0,157) et VARDIPLOME (bêta de -0,201 au lieu de -0,214). La variable de contrôle VARPIB est toujours significative. Pour mieux comprendre l'incidence de la structure de propriété sur le rôle joué par le marché managérial, nous avons scindé notre échantillon en trois sous-populations correspondant à chacune des structures possibles et nous avons réitéré la régression. Les résultats ne sont pas exploitables pour la structure managériale, compte tenu du nombre trop faible de données. Par contre pour les deux autres populations, les régressions apportent de nouvelles informations. R2 ajusté F Sign. Nb observations Firmes contrôlées 13,9% 2,145 0,028 79 Firmes familiales 20,4% 2,164 0,038 51 - Tableau 59 : qualité de la régression testant séparément l'influence des différentes structures de propriété – Structure VARIABLES et constante COEFF β (écart-type) t Sign. VIF 0,018 (0,124) 0,137 (0,157) 0,146 0,874 0,885 0,388 1,194 1,510 0,140**(0,063) 0,118 (0,085) 2,223 1,385 0,030 0,174 1,084 1,244 0,011 (0,008) 0,000 (0,006) 1,430 -0,073 0,157 0,943 1,301 1,705 0,006 (0,005) -0,010 (0,006) 1,140 -1,499 0,258 0,142 1,787 1,465 -0,084 (0,102) -0,355** (0,152) -0,828 -2,339 0,411 0,025 1,319 1,473 0,066 (0,100) -0,286* (0,163) 0,656 -1,750 0,514 0,088 1,311 1,565 -0,062 (0,086) 0,324** (0,131) -0,717 2,469 0,476 0,018 1,431 1,667 RECOMPENSE Contrôlée Familiale SANCTION Contrôlée Familiale COUTSDISC Contrôlée Familiale VARAGE Contrôlée Familiale VARDIPLOME Contrôlée Familiale VARTYPEFORM Contrôlée Familiale VARORIGINE Contrôlée Familiale 291 Structure VARIABLES et constante COEFF β (écart-type) t Sign. VIF -0,059* (0,036) 0,015 (0,052) -1,671 0,284 0,099 0,778 1,190 1,165 0,030 (0,019) -0,034 (0,045) 1,623 -0,746 0,109 0,460 1,270 1,898 -0,002 (0,004) -0,001 (0,008) -0,592 -0,074 0,556 0,941 1,627 2,081 0,038 (0,045) 0,005 (0,080) 0,848 0,059 0,400 0,953 1,229 1,224 -0,066 (0,164) 0,133 (0,182) -0,402 0,732 0,689 0,469 VARCOMPETGENERIQUES Contrôlée Familiale VARCOMPETSECTEUR Contrôlée Familiale VARCOMPETFIRME Contrôlée Familiale VARPIB Contrôlée Familiale Constante Contrôlée Familiale Les résultats significatifs sont signalés par : *** à 1%, ** à 5%, et * à 10%. - Tableau 60 : résultats de la régression en fonction de la structure de propriété - La variable de contrôle n'est plus significative. Sous la dimension disciplinaire, la récompense et la réduction des coûts disciplinaires ne sont significatives dans la relation pour aucune des structures. La sanction ressort significative chez les firmes contrôlées, mais elle ne l'est plus chez les firmes familiales. Nous n'avons pas d'éléments sur les sociétés managériales, par manque de données. Notre hypothèse H6a est partiellement validée : Le rôle disciplinaire du marché managérial est plus significatif dans les firmes contrôlées que dans les firmes familiales. Nous confirmons ici un résultat déjà validé empiriquement par Pigé (1993) pour la France, qui concluait également à la relation positive entre l'existence d'un actionnaire dominant et le taux de rotation des dirigeants, mais à une probabilité plus faible de sanction en cas de mauvaises performances lorsque le dirigeant disposait d'appuis familiaux. Nos travaux rejoignent également les conclusions des études portant sur les pays anglo-saxons, comme celle de Parrino (1997), de Denis et al. (1997) ou encore Schulze et al. (2001). Renneboog et Trojanowski (2003) n'avaient eux pas confirmé l'existence de cette relation pour l'Angleterre. Nos résultats s'expliquent principalement par le fait que dans les structures contrôlées, l'actionnaire principal, qu'il soit industriel ou financier, est particulièrement concerné par la 292 bonne marche de l'entreprise, il accède plus facilement à l'information et dispose du poids nécessaire pour provoquer le départ d'un dirigeant jugé inefficace. La non significativité de la sanction dans les entreprises familiales se justifie pour sa part par les liens existants entre le dirigeant et les actionnaires, lorsque celui-ci est un héritier. Concernant les voies cognitives du marché managérial, des différences sont également observables selon la structure de propriété et permettent de mettre en évidence de nouveaux résultats. Dans les firmes familiales, trois variables explicatives cognitives sont significatives : la variation d'origine du dirigeant, avec un coefficient bêta positif, la variation du niveau de diplôme (influence négative) et le changement de nature de formation du dirigeant (influence négative). Aucune ne l'est dans les firmes contrôlées. Les voies cognitives du marché managérial sont renforcées dans les structures familiales, les trois coefficients bêta des variables significatives sont statistiquement supérieurs à ceux calculés sur la population totale de l'échantillon. La variation d'origine tout d'abord conforte les résultats de travaux empiriques précédents menés sur le marché américain (Anderson et Reeb, 2003, Villalonga et Amit, 2006) et apporte un nouvel éclairage aux conclusions apportées sur le marché français. Sraer et Thesmar (2007) aboutissaient à la supériorité des firmes familiales, qu'elles soient dirigées par un membre de la famille ou un externe, mais à une différence marginale de performance en faveur des héritiers. Nos travaux accréditent la thèse selon laquelle les entreprises familiales sont plus performantes si elles sont dirigées par un candidat externe. Le recrutement d'un candidat externe pour remplacer un dirigeant d'origine interne est créateur de valeur dans les entreprises familiales. Les deux autres variables cognitives significatives dans les firmes familiales, la variation du niveau de diplôme et du type de formation entre l'ancien et le nouveau dirigeant, ont une influence négative sur la performance, encore plus marquée que sur l'ensemble de l'échantillon. A notre connaissance, il n'existe pas d'autres études empiriques s'étant intéressées à cette relation. Ce résultat apporte plusieurs enseignements. D'une part, le fait que l'héritier succédant au fondateur n'aura pas de meilleurs résultats que son parent s'il a suivi de 293 plus longues études que lui. D'autre part, il conforte l'existence du lien entre la formation du dirigeant et la performance de la firme précédemment validé, en l'élargissant au type de formation pour les sociétés familiales. Plus le profil du nouveau dirigeant en termes de formation sera proche de son prédécesseur, plus la performance sera préservée. Ainsi par exemple il serait plus profitable dans une firme familiale de recruter, pour remplacer le dirigeant fondateur ou héritier, un externe n'ayant pas forcément effectué de nombreuses années d'études supérieures si son prédécesseur était un autodidacte ou de niveau licence, ce qui est souvent le cas dans les entreprises familiales. Cette similitude de profil recherchée, combinée à l'apport d'expériences neuves en provenance de l'extérieur, se justifie sans doute par la nécessité, dans les firmes familiales, de ne pas remettre en cause simultanément toutes les valeurs fortes de ces entreprises, mais en apportant cependant lorsque cela devient nécessaire un certain changement. Le profil du nouveau dirigeant en termes de formation (niveau et type) doit être proche de celui de son prédécesseur dans les firmes familiales pour éviter la destruction de valeur. Dans les firmes contrôlées, c'est une autre variable cognitive, VARCOMPETGENERIQUES, qui devient significative, alors qu'elle ne l'était pas sur l'ensemble de l'échantillon. Le bêta est négatif, mais il est faible, ce qui traduit une influence négative mais réduite de l'importance relative des compétences génériques du nouveau dirigeant. Ceci sous-entend qu'un dirigeant cumulant plus de compétences génériques (ventes, marketing, production, finance, management, international) ne serait pas plus performant et qu'une expérience professionnelle approfondie dans certaines domaines serait plus valorisante pour l'entreprise que des compétences moins pointues mais plus élargies. La reconnaissance de ce phénomène uniquement dans les firmes contrôlées est difficile à expliquer. Il est probable que dans les firmes familiales, souvent de plus petite taille, le dirigeant doive davantage disposer de compétences multiples que dans les entreprises contrôlées (le bêta de cette variable est d'ailleurs positif pour les firmes familiales). L'augmentation des compétences génériques du dirigeant dans les firmes contrôlées a une incidence négative sur la création de valeur. Le bêta de VARCOMPETGENERIQUES étant nettement plus faible que ceux des autres variables cognitives significatives pour les firmes familiales, et le nombre de variables 294 significatives étant inférieur pour les firmes contrôlées, notre hypothèse H6b est partiellement validée : Le rôle cognitif du marché managérial est plus significatif dans les firmes familiales que dans les firmes contrôlées. Ce résultat remet en cause la vision traditionnelle du marché managérial, souvent considéré comme jouant un rôle prépondérant dans les firmes managériales, moins marqué dans les sociétés contrôlées et inexistant dans les entreprises familiales, du fait de leurs spécificités en termes d'héritage et de succession. Or nous avons souligné que les firmes familiales les plus performantes étaient celles qui avaient recours au marché du travail en recrutant un dirigeant externe, et que les critères de sélection de celui-ci, en matière de formation, avaient bien une incidence sur la création de valeur. Bien qu'elles ne soient pas significatives, nous pouvons remarquer que le coefficient bêta de certaines variables cognitives change de signe selon la structure de propriété étudiée : VARAGE, VARTYPEFORM, VARORIGINE, VARCOMPETGENERIQUES et VARCOMPETSECTEUR. Le rajeunissement du dirigeant à l'occasion du renouvellement aurait un impact positif sur la création de valeur dans les firmes familiales, mais un impact négatif dans les firmes contrôlées. Nous avons vu au paragraphe 10.2.1. que les dirigeants nommés dans les firmes familiales étaient en moyenne cinq ans plus jeunes que ceux arrivant à la tête d'une société contrôlée. Nous avons aussi souligné que la longévité était deux fois plus forte chez les internes que chez les externes. Il semble donc y avoir un effet seuil pour la variable VARAGE, qui aurait un effet positif lorsque le rajeunissement est très marqué, négatif lorsqu'il est réduit. Le changement de niveau de diplôme entre l'ancien et le nouveau dirigeant aurait une influence positive sur la performance dans les firmes contrôlées, négative dans les firmes familiales. Le changement d'origine du dirigeant au profit d'un externe serait créateur de valeur dans les firmes familiales, mais destructeur de valeur dans les firmes contrôlées. L'accroissement des compétences génériques entre les deux dirigeants se succédant aurait un impact négatif pour les firmes contrôlées, positif chez les firmes familiales. L'accroissement des compétences sectorielles aurait une influence positive sur la performance dans les firmes contrôlées et négative dans les firmes familiales. La plupart de ces remarques sont conformes à la vision intuitive. Il semble compréhensible que dans les firmes contrôlées, où l'actionnaire principal est probablement très impliqué dans les décisions 295 stratégiques et le fonctionnement de l'entreprise, un nouveau dirigeant ayant une formation différente mais aussi une expérience de la firme et un certain niveau de spécialisation reconnue (compétences managériales et sectorielles approfondies), soit plus à même de faire passer ses idées et ainsi de créer de la valeur. Dans les firmes familiales, lorsqu'un changement de dirigeant devient nécessaire, il s'agit d'apporter de nouvelles compétences, différentes de celles très développées du fondateur ou de l'héritier, dont la force résidait dans sa connaissance de la firme et des spécificités du secteur, la firme ayant souvent grandi en taille et nécessitant alors d'autres qualités génériques et de disposer d'une vision externe. 12.1.2. Le secteur d'activité Rappelons que nous avons retenu comme classification une décomposition en six secteurs : BTP (bâtiment travaux publics), industrie, transport, services, distribution, secteur financier. La répartition de l'échantillon selon le secteur d'activité est la suivante : BTP Industrie Transport Services Distribution Finance Nombre 4 74 12 35 12 24 d'observations % 2% 46% 7% 22% 7% 15% - Tableau 61 : répartition de l'échantillon selon le secteur d'activité - Total obs. 161 100% Comme pour la structure de propriété, nous avons utilisé également des variables muettes. SECTBTP, SECTINDUSTRIE, SECTTRANSPORT, SECTSERVICES, SECTDISTRIB prennent la valeur 1 si le secteur d'activité principale de la firme est celui évoqué dans l'intitulé de la variable, 0 dans les autres cas. Le secteur financier correspond à la situation où les cinq variables muettes sont à zéro, les sous-populations étant indépendantes. Nous avons effectué une régression reprenant l'ensemble des variables explicatives précédemment étudiées, la variable de contrôle VARPIB et les cinq variables muettes permettant de tenir compte du secteur d'activité. Elle a donné les résultats suivants : R2 ajusté F Sign. Nb observations 14,8% 2,525 0,002 141 - Tableau 62 : qualité de la régression testant l'influence du secteur d'activité – 296 VARIABLES et constante RECOMPENSE SANCTION COUTSDISC VARAGE VARDIPLOME VARTYPEFORM VARORIGINE VARCOMPETGENERIQUES VARCOMPETSECTEUR VARCOMPETFIRME VARPIB SECTBTP SECTINDUSTRIE SECTRANSPORT SECTSERVICES SECTDISTRIB Constante COEFF β (écarttype) 0,078 (0,093) 0,159*** (0,051) 0,005 (0,004) -0,003 (0,004) -0,207** (0,085) -0,072 (0,083) 0,078 (0,070) -0,032 (0,028) 0,010 (0,017) 0,003 (0,003) 0,057 (0,037) -0,574* (0,299) 0,009 (0,107) -0,246 (0,157) -0,064 (0,122) -0,054 (0,147) -0,004 (0,133) t Sign. VIF 0,839 0,403 1,307 3,121 0,002 1,210 1,220 0,225 1,506 -0,866 0,388 1,564 -2,442 0,016 1,375 -0,869 0,387 1,413 1,121 0,265 1,490 -1,129 0,261 1,180 0,581 0,563 1,360 0,926 0,356 1,629 1,544 0,125 1,120 -1,920 0,057 1,192 0,081 0,935 2,693 -1,567 0,120 1,553 -0,530 0,597 2,482 -0,368 0,713 1,610 -0,031 0,975 Les résultats significatifs sont signalés par : *** à 1%, ** à 5%, et * à 10%. - Tableau 63 : résultats de la régression testant l'impact du secteur d'activité sur la relation étudiée - Une seule variable muette est significative, celle correspondant au secteur du BTP, or il ne concerne que quatre firmes de l'échantillon. Les autres secteurs d'activité n'apparaissent pas 297 influencer significativement la relation entre le rôle joué par le marché managérial et la variation de performance de la firme consécutive à un changement de dirigeant. Les variables explicatives significatives sont les mêmes que pour la régression n'incluant pas la distinction par secteur d'activité : la sanction et la variation du niveau de diplôme, et les coefficients bêta ne sont pas statistiquement différents. Notre hypothèse H8 n'est pas validée : L'intensité du rôle joué par le marché managérial dans le SGE ne varie pas selon le secteur d'activité. Notre démarche diffère de celle de Dherment-Férère (1998), qui en prenant en compte l'homogénéité du secteur, aboutissait pour le marché français à une influence positive supérieure du changement de dirigeant lorsque le secteur était homogène. Les résultats de Parrino (1997) pour le marché américain montraient également, notamment pour la sanction, une situation différente selon le degré d'homogénéité du secteur d'activité de la firme. De même Murphy et Zabojnik (2004) concluaient à un taux de rotation des dirigeants différent selon les industries, l'asymétrie d'information étant réduite et le contrôle facilité à l'intérieur d'un même secteur. L'opérationnalisation plus simple que nous avons choisie ne confirme pas l'influence du secteur d'activité sur le marché des dirigeants. 12.2. Les déterminants liés au dirigeant 12.2.1. La stratégie de carrière externe Rappelons que pour l'opérationnalisation de la stratégie de carrière externe, c'est le nombre de groupes différents dans lesquels le nouveau dirigeant a travaillé au cours de sa carrière qui a été pris en compte. Comme nous l'avons vu dans la partie descriptive, les dirigeants de l'échantillon ont connu en moyenne 3,8 groupes. La régression reprend l'ensemble des variables explicatives du marché managérial, la stratégie de carrière externe comme déterminant et la variable de contrôle VARPIB. R2 ajusté F Sign. Nb observations 12,9% 2,722 0,003 141 - Tableau 64 : qualité de la régression testant l'influence de la stratégie de carrière externe du nouveau dirigeant – 298 VARIABLES et constante RECOMPENSE SANCTION COUTSDISC VARAGE VARDIPLOME VARTYPEFORM VARORIGINE VARCOMPETGENERIQUES VARCOMPETSECTEUR VARCOMPETFIRME VARPIB STRATEGIECARRIERE EXTERNE Constante COEFF β (écarttype) 0,041 (0,090) 0,163*** (0,051) 0,005 (0,004) -0,004 (0,004) -0,208** (0,083) -0,104 (0,080) 0,100 (0,070) -0,027 (0,029) 0,018 (0,018) 0,002 (0,003) 0,061 (0,037) -0,010 (0,019) 0,012 (0,131) t Sign. VIF 0,460 0,646 1,207 3,225 0,002 1,165 1,211 0,228 1,423 -1,092 0,277 1,573 -2,498 0,014 1,297 -1,301 0,196 1,290 1,422 0,158 1,485 -0,929 0,355 1,168 0,966 0,336 1,469 0,673 0,502 1,617 1,650 0,101 1,098 -0,527 0,599 1,493 0,093 0,926 Les résultats significatifs sont signalés par : *** à 1%, ** à 5%, et * à 10%. - Tableau 65 : résultats de la régression testant l'impact de la stratégie de carrière externe du nouveau dirigeant dans la relation étudiée - La variable stratégie de carrière externe n'est pas significative. Son introduction dans la régression comportant l'ensemble des variables explicatives du rôle du marché managérial n'a pas modifié les coefficients bêta des différentes voies d'intervention. Notre hypothèse H8 n'est pas validée : Le rôle du marché managérial n'est pas renforcé lorsque le nouveau dirigeant poursuit une stratégie de carrière externe. 299 L'absence d'autres études empiriques sur cette relation ne permet pas de faire des rapprochements avec nos résultats. Ceux-ci s'opposent cependant à la vision traditionnelle selon laquelle les perspectives de carrière réduiraient les problèmes d'agence et les conflits d'intérêt entre dirigeants et actionnaires (Fama, 1980, Holmström, 1982). Les dirigeants poursuivant une stratégie de carrière externe ne sont pas plus performants que les autres (la variable explicative STRATEGIECARRIEREEXTERNE n'est pas significative). Les leviers disciplinaires comme les voies cognitives du marché managérial ne sont pas modifiés. 12.2.2. La proximité de la retraite Pour appréhender l'influence de ce déterminant, nous avons effectué une distinction entre les nouveaux dirigeants âgés à la nomination de 55 ans ou moins (codifiés 0), et ceux âgés de 56 ans et plus (codifiés 1), ce seuil ayant été choisi en fonction de la durée moyenne des mandats, car il apparaît constituer une forte probabilité de dernier poste, l'âge normal de départ à la retraite étant 65 ans. 29% des dirigeants nommés sur la période étudiée ont ainsi été codifiés comme étant proches de la retraite. Cette variable binaire a été introduite dans la régression avec les variables explicatives du rôle du marché managérial. R2 ajusté F Sign. Nb observations 12,7% 2,694 0,003 141 - Tableau 66 : qualité de la régression testant l'influence de la proximité de la retraite du nouveau dirigeant – 300 VARIABLES et constante COEFF β (écart-type) t Sign. VIF RECOMPENSE 0,041 (0,090) 0,157*** (0,049) 0,005 (0,004) -0,004 (0,004) -0,208** (0,083) -0,107 (0,080) 0,096 (0,071) -0,027 (0,029) 0,015 (0,018) 0,003 (0,003) 0,062* (0,037) 0,005 (0,089) -0,025 (0,122) 0,449 0,654 1,208 3,175 0,002 1,108 1,166 0,246 1,501 -1,076 0,284 1,995 -2,498 0,014 1,305 -1,337 0,184 1,289 1,360 0,176 1,493 -0,930 0,354 1,178 0,845 0,400 1,331 0,731 0,466 1,614 1,670 0,097 1,098 0,054 0,957 1,499 -0,202 0,840 SANCTION COUTSDISC VARAGE VARDIPLOME VARTYPEFORM VARORIGINE VARCOMPETGENERIQUES VARCOMPETSECTEUR VARCOMPETFIRME VARPIB PROXRETRAITE Constante Les résultats significatifs sont signalés par : *** à 1%, ** à 5%, et * à 10%. - Tableau 67 : résultats de la régression testant l'impact de la proximité de la retraite du nouveau dirigeant dans la relation étudiée - La variable proximité de la retraite n'est absolument pas significative. Il n'y a pas de différence de performance entre les dirigeants proches de la retraite et les dirigeants plus jeunes. Son introduction dans la régression comportant l'ensemble des variables explicatives du rôle du marché managérial n'a modifié ni la significativité des variables explicatives ni leurs coefficients bêta respectifs. Notre hypothèse H9 n'est pas validée : 301 La proximité de la retraite n'influence pas le rôle du marché managérial dans le système de gouvernance des entreprises. Ce résultat remet en cause les écrits précédents sur l'influence négative ou positive de la proximité de la retraite. L'incitation à la performance n'apparaît pas être moins forte chez les dirigeants plus âgés, ce qui tendrait à confirmer l'argument selon lequel d'autres perspectives que celles d'être à nouveau dirigeant peuvent jouer, comme briguer un poste d'administrateur ou se voir confier des missions comme consultant une fois à la retraite. Les dirigeants dont c'est le dernier poste ont autant envie de réussir que les autres, probablement pour des raisons de rémunération et de réputation. La vision cognitive selon laquelle un dirigeant plus âgé, plus compétent et ayant plus d'expérience, serait davantage performant, n'est pas non plus confirmée. L'influence sur la création de valeur du lien entre l'âge et les schémas cognitifs du dirigeant est sans doute plus complexe, certains aspects comme la prise de risque plus élevée et le goût pour l'innovation des plus jeunes étant contrebalancés par les apports de l'expérience et la maturité chez les dirigeants plus âgés. 12.2.3. L'influence des réseaux Trois types de réseaux qui apparaissent influents en France ont été étudiés : le réseau des dirigeants ayant occupé au moins un poste dans un ministère (RESEAUMINISTERE), celui des diplômés des plus grandes écoles supérieures : ENA, Polytechnique, Mines, Ponts, Centrale, HEC (RESEAUGRANDEECOLE) et celui des grands corps de l'État (RESEAUGRANDSCORPS). Dans notre échantillon, sur 161 changements testés, 28 nouveaux dirigeants sont passés par un ministère, 64 par une grande école de la liste cidessus, 29 font partie d'un grand corps de l'État. Nous avons étudié l'impact de chacun séparément, en introduisant successivement dans la régression incluant les variables explicatives du rôle du marché managérial la variable binaire correspondante (valant 1 si le nouveau dirigeant fait partie du réseau, 0 dans le cas contraire). - Les réseaux ministère R2 ajusté F Sign. Nb observations 12,7% 2,698 0,003 141 - Tableau 68 : qualité de la régression testant l'influence des réseaux ministériels du nouveau dirigeant – 302 VARIABLES et constante COEFF β (écart-type) t Sign. VIF RECOMPENSE 0,044 (0,092) 0,156*** (0,049) 0,005 (0,004) -0,004 (0,004) -0,214** (0,083) -0,100 (0,086) 0,099 (0,071) -0,027 (0,029) 0,015 (0,018) 0,003 (0,003) 0,063* (0,037) -0,022 (0,103) -0,025 (0,114) 0,482 0,631 1,261 3,160 0,002 1,101 1,148 0,253 1,477 -1,217 0,226 1,543 -2,587 0,011 1,275 -1,161 0,248 1,491 1,393 0,166 1,501 -0,943 0,347 1,168 0,845 0,394 1,335 0,758 0,450 1,606 1,683 0,095 1,119 -0,213 0,832 1,344 -0,215 0,830 SANCTION COUTSDISC VARAGE VARDIPLOME VARTYPEFORM VARORIGINE VARCOMPETGENERIQUES VARCOMPETSECTEUR VARCOMPETFIRME VARPIB RESEAUMINISTERE Constante Les résultats significatifs sont signalés par : *** à 1%, ** à 5%, et * à 10%. - Tableau 69 : résultats de la régression testant l'impact des réseaux ministères dans la relation étudiée - La variable RESEAUMINISTERE n'est pas significative. Recruter un dirigeant ayant exercé dans un ministère n'explique ni négativement ni positivement la création de valeur dans la firme. Son introduction dans la régression comportant l'ensemble des variables explicatives du rôle du marché managérial n'a pas modifié les coefficients bêta des différentes voies d'intervention. Nos hypothèses H10a et H10b ne sont pas validées : L'appartenance à un réseau ministère n'influence pas le rôle du marché managérial dans le système de gouvernance des entreprises. 303 - Les réseaux des grandes écoles R2 ajusté F Sign. Nb observations 12,9% 2,734 0,003 141 - Tableau 70 : qualité de la régression testant l'influence des réseaux ministériels du nouveau dirigeant – VARIABLES et constante RECOMPENSE SANCTION COUTSDISC VARAGE VARDIPLOME VARTYPEFORM VARORIGINE VARCOMPETGENERIQUES VARCOMPETSECTEUR VARCOMPETFIRME VARPIB RESEAUGRANDEECOLE Constante COEFF β (écart-type) 0,056 (0,093) 0,152*** (0,050) 0,004 (0,004) -0,005 (0,004) -0,215*** (0,083) -0,097 (0,081) 0,094 (0,070) -0,026 (0,029) 0,016 (0,018) 0,002 (0,003) 0,064* (0,037) -0,047 (0,076) -0,018 (0,114) t Sign. VIF 0,597 0,551 1,297 3,056 0,003 1,120 1,087 0,279 1,466 -1,250 0,214 1,536 -2,603 0,010 1,276 -1,191 0,236 1,335 1,339 0,183 1,477 -0,919 0,360 1,169 0,924 0,357 1,357 0,696 0,487 1,601 1,720 0,088 1,104 -0,623 0,534 1,261 -0,155 0,877 Les résultats significatifs sont signalés par : *** à 1%, ** à 5%, et * à 10%. - Tableau 71 : résultats de la régression testant l'impact des réseaux des plus grandes écoles dans la relation étudiée - 304 Une nouvelle fois la variable RESEAUGRANDEECOLE n'est pas significative. Ce n'est pas parce qu'elle a recruté un dirigeant issu d'une des écoles les plus prestigieuses qu'une firme est plus performante ou moins performante. Le coefficient bêta monte que si la relation avait été significative, elle aurait traduit un impact faiblement négatif de l'appartenance au réseau des plus grandes écoles. Son introduction dans la régression comportant l'ensemble des variables explicatives du rôle du marché managérial n'a pas modifié les coefficients bêta des différentes voies d'intervention. Seul le seuil de significativité de la variable VARDIPLOME a évolué de 5% à 1%. Nos hypothèses H10a et H10b ne sont pas validées : L'appartenance à un réseau grande école n'influence pas le rôle du marché managérial dans le système de gouvernance des entreprises. - Les grands corps R2 ajusté F Sign. Nb observations 13,2% 2,778 0,002 141 - Tableau 72 : qualité de la régression testant l'influence des réseaux grands corps du nouveau dirigeant dans la relation étudiée – VARIABLES et constante RECOMPENSE SANCTION COUTSDISC VARAGE VARDIPLOME VARTYPEFORM VARORIGINE VARCOMPETGENERIQUES COEFF β (écart-type) 0,060 (0,092) 0,151*** (0,049) 0,004 (0,004) -0,005 (0,004) -0,214*** (0,082) -0,081 (0,084) 0,096 (0,070) -0,026 (0,029) t Sign. VIF 0,645 0,520 1,261 3,057 0,003 1,101 0,962 0,338 1,477 -1,263 0,209 1,543 -2,599 0,010 1,275 -0,967 0,335 1,491 1,376 0,171 1,501 -0,914 0,362 1,168 305 VARIABLES et constante VARCOMPETSECTEUR VARCOMPETFIRME VARPIB RESEAUGRANDSCORPS Constante COEFF β (écart-type) 0,016 (0,018) 0,003 (0,003) 0,067* (0,037) -0,088 (0,098) -0,027 (0,113) t Sign. VIF 0,933 0,352 1,335 0,762 0,448 1,606 1,798 0,075 1,119 -0,899 0,370 1,344 -0,240 0,810 Les résultats significatifs sont signalés par : *** à 1%, ** à 5%, et * à 10%. - Tableau 73 : résultats de la régression testant l'impact des réseaux grands corps dans la relation étudiée - Notre troisième variable réseau étudiée, RESEAUGRANDSCORPS, n'est pas significative non plus. L'appartenance à un grand corps du nouveau dirigeant n'explique pas la variation de performance de la firme. Le coefficient bêta de cette variable est négatif, comme pour les autres réseaux étudiés précédemment, et un peu plus élevé que ces derniers. Les coefficients bêta des différentes voies d'intervention du marché managérial n'ont pas été modifiés par son ajout dans la régression. Nos hypothèses H10a et H10b ne sont pas toujours pas validées : L'appartenance à un réseau grand corps n'influence pas le rôle du marché managérial dans le système de gouvernance des entreprises. Ces résultats viennent remettre en cause la vision traditionnelle des dirigeants en France, selon laquelle la force des réseaux se substituerait au rôle du marché managérial. Bien que nous ayons étudié trois types de réseaux, ceux liés à une expérience ministérielle, ceux des écoles les plus prestigieuses et l'appartenance à un grand corps de l'État, nous n'avons trouvé aucune influence significative sur les voies d'intervention du marché des dirigeants ni sur la création de valeur. Que le nouveau dirigeant fasse partie d'un réseau ou non n'explique pas la variation de performance de la firme. Ceci remet en cause les écrits sur l'inefficience des dirigeants issus de ces réseaux, supposés avoir été nommés par appui et non par sélection. Soit ces dirigeants ont en fait été appréciés à la fois à travers les réseaux et le marché managérial, soit, si les réseaux se sont substitués au marché du travail, ils ont facilité la promotion d'un des leurs autant pour ses compétences que son appartenance au réseau, ce qui 306 revient à avoir pris en compte les critères d'évaluation habituellement reconnus par le marché managérial. Un autre résultat est novateur : le rôle de sanction n'est pas modifié par les réseaux : après un départ forcé, le dirigeant est incité à être performant, qu'il bénéficie ou non d'appui. Notre étude apporte un nouvel éclairage à l'influence des réseaux sur la sanction, généralement étudiée ex ante, c'est-à-dire comme un frein à l'exercice de la sanction. Nos résultats diffèrent de ceux de Kramarz et Thesmar (2006), qui dans leur étude de l'influence des réseaux ENA et Polytechnique dans les sociétés françaises cotées entre 1992 et 2003, concluaient que les firmes gérées par les dirigeants bénéficiant de ces réseaux étaient en moyenne moins performantes. Mais dans leur analyse l'effet n'était significatif sur le taux de rentabilité des actifs que pour les dirigeants passés par les ministères. De même Nguyen-Dang (2005) aboutissait dans son analyse du marché français entre 1994 et 2001 à une différence de performance significative entre les dirigeants issus des grands corps et les autres seulement pour une de ses trois mesures de performance, la performance boursière moyenne sur vingtquatre mois. Yeo et al. (2003) concluaient eux à une incidence favorable sur la performance, mesurée par le taux de rentabilité des actifs, de l'existence de réseaux en France. Enfin Carminatti-Marchand et Paquerot (2003) se rapprochaient de nos conclusions en mettant en évidence l'absence de différence de performance (mesurée par le ratio de Sharpe) entre les conseils d'administration contrôlés par l'ENA et Polytechnique et ceux ne subissant pas l'influence des réseaux pour 123 sociétés françaises cotées en 1995. Le débat reste donc ouvert, d'autres études empiriques étant nécessaires pour pouvoir conclure sur l'influence réelle des réseaux sur la performance des firmes françaises. 307 Synthèse Le tableau 74 présente une synthèse des résultats obtenus avec la seconde série de tests, prenant en compte les déterminants. Hypothèse H6a H6b H7 Objet Influence de la structure de propriété sur le rôle disciplinaire du marché managérial Validation Partiellement validée Influence de la structure de propriété sur le rôle cognitif du marché managérial Partiellement validée Commentaires Rôle plus significatif dans les firmes contrôlées que dans les firmes familiales Rôle plus significatif dans les firmes familiales que dans les firmes contrôlées Pas d'influence Influence du secteur d'activité sur Non validée le rôle du marché managérial H8 Influence de la stratégie de Non validée Pas d'influence carrière externe du nouveau dirigeant sur le rôle du marché managérial H9a Influence de la proximité de la Non validée Pas d'influence retraite du nouveau dirigeant sur le rôle disciplinaire du marché managérial H9b Influence de la proximité de la Non validée Pas d'influence retraite du nouveau dirigeant sur le rôle cognitif du marché managérial H10a Influence des réseaux sur le rôle Non validée Pas d'influence disciplinaire du marché managérial H10b Influence des réseaux sur le rôle Non validée Pas d'influence cognitif du marché managérial - Tableau 74 : synthèse des résultats relatifs à l'introduction des déterminants – 308 Nos principaux résultats consistent d'une part en la confirmation de l'influence de la structure de propriété sur le rôle du marché managérial et sur la performance de la firme, d'autre part dans la mise en évidence de l'absence d'influence des autres déterminants, la plus marquante, compte tenu des travaux antérieurs, étant celle des réseaux en France. Les enseignements majeurs en découlant sont les suivants : - Le rôle du marché des dirigeants varie en fonction de la structure de propriété, - la structure familiale de propriété a une influence positive sur la performance de la firme, - le rôle disciplinaire du marché managérial est plus significatif dans les firmes contrôlées que dans les firmes familiales, - le recrutement d'un candidat externe pour remplacer un dirigeant d'origine interne est créateur de valeur dans les entreprises familiales, - le profil du nouveau dirigeant en termes de formation (niveau et type) doit être proche de celui de son prédécesseur dans les firmes familiales pour éviter la destruction de valeur, - l'augmentation des compétences génériques du dirigeant dans les firmes contrôlées a une incidence négative sur la création de valeur, - le rôle cognitif du marché managérial est plus significatif dans les firmes familiales que dans les firmes contrôlées, - le secteur d'activité ne modifie pas le rôle du marché des dirigeants, - ni la proximité de la retraite du dirigeant ni la poursuite d'une stratégie de carrière externe n'ont d'influence sur le rôle de ce mécanisme et la performance de la firme ne s'explique pas en fonction de ces spécificités, - les trois types de réseaux étudiés (ministères, plus grandes écoles, grands corps de l'État) n'ont d'incidence ni sur la création de valeur ni sur le rôle joué par le marché des dirigeants. Ceci apporte un nouvel éclairage au débat relatif aux réseaux en France, supposés imposer un recrutement de type clanique parmi les élites en dehors de toutes autres considérations, notamment de performance. 309 CHAPITRE XIII : INTERACTION DES AUTRES MECANISMES SUR LE ROLE DU MARCHE DES DIRIGEANTS DANS LE SGE Afin de mieux appréhender le rôle du marché des dirigeants dans le SGE, nous avons adopté une vision systémique du dispositif, et cherché à comprendre quels effets, complémentaires ou substitutifs, les autres mécanismes pouvaient avoir sur lui. Notre modèle inclut ainsi l'intervention, disciplinaire et/ou cognitive, de cinq mécanismes de gouvernance : le conseil d'administration, la présence d'un actionnaire dominant, les créanciers prêteurs, le marché des prises de contrôle et le marché des biens et services. Nous avons étudié ces interactions en nous inspirant de la méthodologie utilisée par Agrawal et Knoeber (1996). Les tests portent sur l'examen de l'influence de chaque mécanisme, pris séparément. L'analyse de leur imbrication avec le marché managérial a été effectuée en trois étapes. L'influence de chaque mécanisme sur la variation de performance de la firme a été testée par une première régression, puis les variables correspondant à ce mécanisme et au marché des dirigeants ont été introduites simultanément dans la seconde régression. Une dernière série de tests a été effectuée pour confirmer le lien entre les deux mécanismes. 13.1. Influence du conseil d'administration sur le rôle joué par le marché managérial Le conseil d'administration est un des mécanismes les plus étudiés en gouvernance. Nous avons justifié au chapitre VII sa probablement très forte imbrication avec le marché managérial. C'est l‟organe élu par les actionnaires pour exercer le contrôle des dirigeants (Alchian et Demsetz, 1972) et un des rôles principaux des administrateurs est de décider le changement de dirigeant et de choisir un successeur. Avec la dimension cognitive, le rôle du conseil d'administration s‟élargit, son expertise et ses compétences sont prises en compte, il participe à la prise de décisions. Afin de distinguer ces deux influences, deux opérationnalisations ont été retenues pour le conseil d'administration, l'une disciplinaire avec la variable CADISC, qui comptabilise le pourcentage d'administrateurs indépendants au conseil l'année du changement de dirigeant, l'autre cognitive avec la variable CACOGN, qui totalise le nombre de firmes différentes avec lesquelles l'ensemble des administrateurs sont en relation par mandat. 310 Comme le montre le tableau 75, l'indépendance du conseil d'administration est faible dans les entreprises de notre échantillon : 80% des conseils sont en-dessous du seuil d'un tiers d'indépendants et si la barre est fixée à la moitié d'indépendants, 91% des conseils n'atteignent pas cette proportion. La moyenne est à 17% et la médiane à 13%. Un conseil d'administration sur trois n'a aucun administrateur indépendant. Nous sommes très loin des résultats de Godard et Schatt (2005) : 41% d'indépendants en moyenne dans les conseils d'administration français en 2002. L'explication est sans doute liée à l'échantillon : dans les travaux de Godard et Schatt, la population étudiée est composée de 77 sociétés cotées appartenant au SBF 120, c'est-à-dire des firmes de plus grande taille que notre échantillon, sans doute plus incitées à suivre les préconisations des rapports de gouvernance. Le chiffre d'affaires moyen des firmes de notre base de test est de 4,3 milliards d'euros contre 11,1 milliards d'euros pour celles de l'étude de Godard et Schatt. Une autre justification très probable de cet écart tient à la période de référence : 2002 d'un côté, c'est-à-dire après la parution des rapports Viénot I et II, et concomitamment à celle du rapport Bouton, 1996 à 2004 de l'autre pour notre analyse. Ainsi dans l'étude comparative 1995 / 2006 publiée par Korn Ferry International 97 (2007), le pourcentage d'indépendants dans les sociétés du CAC40 était de 15% en 1995 et de 46% en 2006. La taille moyenne des conseils d'administration est de dix membres. Le nombre de firmes avec lesquelles les administrateurs sont en relation par mandat est réparti assez uniformément entre les tranches étudiées, la moyenne s'établissant à 23 et la médiane à 20. Variables explicatives CADISC Fréquence par seuils Moyenne Médiane Min Max 0% 85% Nb d'obs. 160 0% d'indépendants : 33% 17% 13% 1 à 32% d'indépendants : 47% 33 à 66% d'indépendants : 19% >67% d'indépendants : 1% CACOGN Relations par mandat avec : 23 20 0 160 1 à 10 firmes : 28% 78 11 à 20 firmes : 23% 20 à 30 firmes : 22% 30 à 50 firmes : 18% > 50 firmes : 9% Pour information ≤ 10 administrateurs : 54% 10,2 9,8 3 160 : taille du CA > 10 administrateurs : 46% 21 - Tableau 75 : données descriptives sur les conseils d'administration de l'échantillon 97 Korn Ferry International (2007) : " Les sociétés du CAC40 : comment sont-elle dirigées et qui les dirigent ? ", étude comparative 1995/2006, avril 2007. 311 13.1.1. Influence du conseil d'administration sur la performance de la firme La première régression a eu pour but de tester le rôle du conseil d'administration sur la variation de performance de la firme. Elle inclut les variables CADISC, CACOGN et la variable de contrôle VARPIB. Elle a donné comme résultats : R2 ajusté F Sign. Nb observations 4,8% 3,652 0,014 160 - Tableau 76 : qualité de la régression testant l'influence du rôle du conseil d'administration sur la performance – Le R2 ajusté est faible, le nombre de variables introduites étant petit également, mais la qualité de la relation au niveau global est bonne. VARIABLES et constante CADISC CACOGN VARPIB Constante COEFF β (écart-type) 0,196 (0,181) -0,005** (0,002) 0,085** (0,033) 0,126 (0,068) t Sign. VIF 1,081 0,281 1,074 -2,456 0,015 1,103 2,565 0,011 1,030 1,857 0,065 Les résultats significatifs sont signalés par : *** à 1%, ** à 5%, et * à 10%. - Tableau 77 : résultats de la régression testant l'impact du rôle du conseil d'administration sur la performance de la firme - Le pourcentage d'indépendants au conseil d'administration n'est pas une variable significative dans la relation étudiée. Trois explications peuvent en être proposées. La première tient au fait que l'indépendance est peu représentée dans les conseils de notre échantillon. La seconde est basée sur la réflexion que ce sont les disparités entre les firmes qui peuvent permettre d'expliquer leurs écarts de performance. Ainsi l'indépendance des administrateurs est susceptible de constituer un avantage concurrentiel tant qu'elle n'est pas généralisée et qu'elle est variable d'une firme à l'autre. Enfin, il est probable, comme l'ont 312 souligné Bhagat et Black (2002), que les administrateurs indépendants sont plus performants pour certaines tâches, mais que des administrateurs internes sont aussi nécessaires pour d'autres décisions, rechercher une majorité d'indépendants conduisant alors à un appauvrissement de la variété des compétences des administrateurs. Notre résultat, en tout cas, ne permet pas de valider l'utilité des préconisations des rapports et codes de gouvernance, qui conseillent de rechercher l'indépendance de l'organe de surveillance et de contrôle. Nous pouvons cependant remarquer que si cette variable avait été significative, son influence aurait été positive, le coefficient bêta étant de 0,196. Nos travaux viennent enrichir le débat sur l'influence sur la performance de l'indépendance des administrateurs, qui ne fait pas l'objet d'un consensus. André et Schiehll (2004), qui ont étudié 178 sociétés canadiennes cotées à Toronto sur la période 1997 à 1999, ont trouvé une relation significative positive entre le pourcentage d'administrateurs indépendants et la performance, mesurée par le Q de Tobin. Mais les auteurs rejoignaient notre argument relatif à la nécessité d'une différence dans le taux d'indépendance entre les firmes pour que celui-ci explique la variance de performance de l'entreprise car ils ont mis en évidence "qu'une augmentation moyenne de 10% de la proportion de l'entreprise d'administrateurs indépendants conduit à une augmentation de 9% de la performance de l'entreprise" (p. 185). Shen et Cannella (2002) concluaient également à l'influence positive de la part d'administrateurs indépendants sur la performance des grandes firmes américaines (période 1988 à 1994) après un changement de dirigeant, mesurée par le taux de rentabilité des actifs. Coles et al. (2001), dans leur étude de 150 grandes firmes américaines entre 1984 et 1994, aboutissaient à un impact significatif mais négatif de la part d'administrateurs externes sur la performance, mesurée par l'EVA. Bhagat et Black (2002) ne trouvaient eux pas de preuve que les firmes avec plus d'administrateurs indépendants étaient davantage performantes. Pour la France, les résultats de Godard (2001) étaient proches des nôtres : la prise en compte de l'indépendance des administrateurs n'influençait pas la performance des entreprises. Le pourcentage d'indépendants au conseil d'administration n'apparaît pas influencer significativement la performance de la firme. La variable représentant le rôle cognitif du conseil d'administration est, elle, significative, mais elle ressort avec un bêta très faible et négatif, contrairement à ce que nous attendions. Une première explication peut être apportée, relative à l'ambigüité et au caractère double des 313 critères d'analyse du conseil d'administration. Ainsi, sous la dimension disciplinaire, la taille du conseil d'administration et la multiplicité des mandats de ses membres sont considérées comme ayant une influence négative sur la performance. Alors que dans la vision cognitive, ces mêmes critères sont pris en compte positivement, car ils traduisent un apport de connaissances, de compétences et de réseaux plus important, une source d'information sur les pratiques commerciales d'autres firmes (Mizruchi, 1996). Siéger à plusieurs conseils permet à un administrateur de mieux juger de l'impact des décisions stratégiques, car il en a vu les conséquences dans d'autres sociétés (Haunschild, 1993). Nos travaux tendraient à conforter la vision disciplinaire plutôt que l'approche cognitive : cumuler trop de mandats empêcherait les administrateurs d'effectuer de manière efficiente leur rôle de surveillance et aurait un impact négatif sur la performance. La faible valeur du coefficient bêta laisse cependant supposer que cette variable puisse avoir des effets contradictoires, défavorables côté disciplinaire et positifs côté cognitif, d'où un résultat de son influence proche de zéro. Le nombre de firmes avec lesquelles les administrateurs sont en relation par mandat a une influence négative sur la performance de la firme. Godard (1996) avait trouvé pour la France que la part des administrateurs cumulant plus de cinq mandats n'avait pas d'incidence sur la performance de la firme. Judge et Zeithaml (1992) avaient validé l'existence d'une relation positive entre l'implication du conseil d'administration dans la stratégie et la performance de la firme. Cet effet positif se retrouve également dans les études de Pearce et Zahra (1991) et de Kimberly et Zajac (1988). La question se pose de savoir si la multiplicité des relations des administrateurs contribue à leur implication et améliore leur rôle cognitif. Carpenter et Westphal (2001), dans leur analyse portant sur 600 grandes sociétés américaines de Forbes 1000, apportaient une explication potentielle à nos résultats : l'augmentation du nombre de firmes avec lesquelles les administrateurs sont en relation, si ces firmes poursuivent des stratégies différentes, tendrait en fait à réduire leur capacité à contribuer aux discussions du conseil. Les travaux portant sur les réseaux d'administrateurs font également ressortir les deux visions possibles : d'un côté, l'importance de ces réseaux traduirait un meilleur accès à l'information et une plus forte intégration de la firme dans la communauté, de l'autre leurs effets sont critiqués, la surcharge de travail engendrée et les relations interpersonnelles venant interférer avec la qualité du contrôle et de l'aide à la vision stratégique du conseil d'administration. Une position intermédiaire a été adoptée par certains auteurs (Pettigrew, 1992) : pour bien déterminer l'influence de la 314 multiplicité des mandats, il est nécessaire de mener une analyse plus poussée afin d'évaluer leurs conséquences en fonction du contexte de la firme. Ainsi Carpenter et Westphal (2001) ont montré empiriquement que les liens inter conseils des administrateurs affectaient positivement la performance de la firme s'ils étaient en adéquation avec les besoins stratégiques de la firme. Nos travaux permettent de confirmer que plus le nombre de firmes avec lesquelles les administrateurs sont en relation est élevé, moins les firmes sont performantes. Ce n'est pas la multiplicité des réseaux qu'il faut rechercher pour améliorer la performance, mais sans doute davantage leur impact individuel sur la firme. 13.1.2. Influence simultanée du conseil d'administration et du marché managérial sur la performance de la firme La régression inclut cette fois toutes les variables explicatives liées au rôle du marché managérial, celles concernant l'intervention du conseil d'administration et la variable de contrôle VARPIB. L'objectif est de voir si l'impact du marché des dirigeants sur la création de valeur est modifié par l'introduction du rôle du conseil d'administration. R2 ajusté F Sign. Nb observations 14,1% 2,753 0,002 140 - Tableau 78 : qualité de la régression testant l'influence simultanée des deux mécanismes sur la performance – Le R2 ajusté est relativement faible compte tenu du nombre de variables prises en compte. D'autres variables non liées à ces mécanismes contribuent à la création de valeur dans la firme, comme cela a été exposé depuis le début des tests. Le test de Fisher atteste cependant que la qualité de la relation au niveau global est bonne. VARIABLES et constante COEFF β (écart-type) t Sign. VIF RECOMPENSE 0,052 (0,091) 0,147*** (0,049) 0,003 (0,004) 0,567 0,572 1,246 2,987 0,003 1,105 0,887 0,377 1,471 SANCTION COUTSDISC 315 VARIABLES et constante COEFF β (écart-type) t Sign. VIF VARAGE -0,004 (0,004) -0,206** (0,085) -0,103 (0,080) 0,087 (0,070) -0,034 (0,029) 0,016 (0,017) 0,002 (0,004) 0,071* (0,037) 0,082 (0,190) -0,004* (0,002) 0,047 (0,128) -1,220 0,225 1,550 -2,443 0,016 1,318 -1,297 0,197 1,290 1,241 0,217 1,500 -1,159 0,249 1,211 0,928 0,355 1,327 0,524 0,601 1,628 1,893 0,061 1,117 0,432 0,665 1,179 -1,789 0,076 1,239 0,366 0,715 VARDIPLOME VARTYPEFORM VARORIGINE VARCOMPETGENERIQUES VARCOMPETSECTEUR VARCOMPETFIRME VARPIB CADISC CACOGN Constante Les résultats significatifs sont signalés par : *** à 1%, ** à 5%, et * à 10%. - Tableau 79 : résultats de la régression testant simultanément l'impact du marché managérial et du conseil d'administration sur la performance de la firme – Les variables explicatives significatives sont les mêmes que dans les régressions effectuées séparément pour chacun des mécanismes : SANCTION et VARDIPLOME pour le marché managérial, CACOGN pour le conseil d'administration, et VARPIB en variable de contrôle. Le signe des bêtas de ces variables est inchangé et la valeur de leurs bêta est très peu modifiée. Seul le seuil de significativité de CACOGN évolue, passant de 5% pour le conseil d'administration seul à 10% lorsque les deux mécanismes sont pris en compte. Des études empiriques ont été menées sur l'influence des caractéristiques du conseil d'administration sur le choix du profil des dirigeants, mais sans faire le lien avec la performance de la firme. Datta et Rajagopalan (1998) par exemple trouvaient un lien entre le pouvoir des administrateurs, estimé par le taux d'externes et la part de capital détenue par 316 ceux-ci, et l'expérience fonctionnelle des dirigeants. Zajac et Westphal (1996) concluaient que les administrateurs choisissaient un dirigeant ayant un profil proche du leurs. L'absence d'impact du conseil d'administration sur les voies cognitives du marché managérial que nous venons de mettre en évidence tend à montrer que quelle que soit l'influence du conseil sur le choix du dirigeant, elle ne conduit pas à créer plus de valeur dans la firme. Le rôle du conseil d'administration ne semble donc pas influencer celui du marché managérial, contrairement à ce qui était attendu (complémentarité des mécanismes). Pour clarifier ce point, nous avons testé l'effet du conseil d'administration sur les voies d'intervention significatives du marché managérial : SANCTION et VARDIPLOME. 13.1.3. Influence du conseil d'administration sur le marché managérial La variable SANCTION comportant trois modalités et VARDIPLOME étant dichotomique, les variables explicatives CADISC, CACOGN et VARPIB étant quantitatives, nous avons effectué deux analyses discriminantes. L'analyse relative à la sanction a donné les résultats suivants : SANCTION Variables Moyenne Ecart-type Nombre explicatives d'observations Pas de sanction CA DISC 0,16 0,18 121 CA COGN 23,9 18,3 121 VARPIB 1,2 0,98 121 Sanction pour CA DISC 0,21 0,23 17 divergences CA COGN 27,3 17,7 17 VARPIB 1,3 0,99 17 Sanction pour CA DISC 0,17 0,18 22 mauvaises CA COGN 23,4 17,7 22 performances VARPIB 1,3 0,98 22 - Tableau 80 : moyennes des sous-groupes sur les variables et variance des variables – Il ne semble pas y avoir de différences significatives, mais nous l'avons vérifié par les tests habituels : 317 CADISC CACOG Lambda de Wilks 0,993 0,980 F Df1 Df2 0,530 1,628 2 2 157 157 Significativit é 0,589 0,200 N 0,991 0,700 2 157 0,498 CARPIB - Tableau 81 : vérification de l'existence de différences de moyenne relativement à la sanction – Il n'y a pas de différence significative entre les trois groupes correspondant à chacune des modalités de la variable à expliquer SANCTION. L'analyse discriminante confirme l'absence d'influence du rôle du conseil d'administration sur cette voie d'intervention disciplinaire du marché managérial. Le pourcentage d'indépendants au conseil d'administration n'a pas d'influence sur le rôle de sanction du marché managérial. Nos résultats diffèrent d'études précédentes. Ainsi Weisbach (1988) pour le marché américain, Kaplan et Minton (1994) pour le marché japonais ou encore Renneboog et Trajanowski (2003) pour l'Angleterre, trouvaient un lien plus fort entre la performance et la probabilité d'être évincé pour les dirigeants de firmes dont le conseil d'administration était dominé par les externes (pour les deux premiers articles, plus anciens) ou les indépendants. De même Charreaux (1991) confirmait cette influence pour le marché français, mais uniquement dans les firmes managériales ou contrôlées. Les écarts de résultats sont, comme nous l'avons déjà évoqué, certainement attribuables à la différence de période, les deux études venant d'être citées étant très antérieures aux codes de gouvernance, ce qui laisse supposer des différences importantes de situation entre les firmes. De plus nous n'étudions pas la sanction exactement de la même manière, les auteurs précédemment cités s'intéressant au lien entre la probabilité de sanction et la performance, alors que nous avons testé l'impact sur la création de valeur du phénomène d'éviction. Nous avons voulu vérifier si la distinction proposée par Charreaux (1991) avait également une influence dans nos travaux : l'absence de signification pouvait être liée à l'importance de la structure de propriété familiale dans notre échantillon. Nous avons donc réitéré l'analyse discriminante sur la sanction en distinguant les trois sous-populations correspondant aux 318 différentes structures de propriété. Pour aucune de ces sous-populations la différence n'est significative entre les trois groupes correspondant à chacune des modalités de la variable à expliquer SANCTION. L'influence des caractéristiques du conseil d'administration sur les effets de la sanction n'est pas vérifiée quelque soit la structure de propriété. L'analyse relative au changement de niveau de diplôme a donné, elle, les résultats suivants : VARDIPLOME Variables Moyenne Ecart-type Nombre explicatives d'observations Pas de CA DISC 0,20 0,19 104 changement CA COGN 23,6 17,6 104 VARPIB 1,2 0,96 104 Niveau de CA DISC 0,13 0,17 39 diplôme CA COGN 22,9 16,6 39 différent VARPIB 1,3 0,98 39 - Tableau 82 : moyennes des sous-groupes sur les variables et variance des variables – Lambda de Wilks 0,975 1,000 F Df1 Df2 Significativit é 0,060 0,839 3,585 1 141 CADISC 0,042 1 141 CACOG N 1,000 0,020 1 141 0,886 VARPIB - Tableau 83 : vérification de l'existence de différences de moyenne relativement à VARDIPLOME – Il n'y a pas non plus de différence significative entre les deux groupes correspondant aux modalités de la variable à expliquer VARDIPLOME. On peut cependant remarquer une différence de moyenne, même si elle n'est pas statistiquement significative au seuil de 5%, relativement à la variable CADISC : les conseils d'administration recrutant des dirigeants de même niveau de diplôme que leurs prédécesseurs comporteraient une part d'indépendants plus élevée. Compte tenu de ce qui a été développé au paragraphe 11.3.2., ce choix de sélection serait plus favorable à la création de valeur. Les analyses discriminantes confirment l'absence d'influence du rôle du conseil d'administration sur les voies d'intervention du marché managérial significatives dans la 319 relation étudiées avec la variation de performance de la firme. Nos hypothèses H11 et H16 ne sont pas validées. Le conseil d'administration n'apparaît pas influencer significativement le rôle du marché managérial comme mécanisme de gouvernance. 13.2. Influence du contrôle direct par les actionnaires sur le rôle joué par le marché managérial L'influence de ce mécanisme dans le système de gouvernance a été présentée au chapitre VII. Elle est d'ordre disciplinaire. Les coûts d'agence se réduisent avec la concentration du capital (Jensen et Meckling, 1976). Disposant de droits de vote suffisants pour pouvoir influencer les décisions du dirigeant (Schleifer et Vishny, 1997), un actionnaire dominant peut contribuer à la surveillance et au contrôle du dirigeant. Sa présence augmente le risque de révocation en cas de mauvaise performance (Kaplan et Minton, 1994, Denis et Serrano, 1996). Le tableau 84 montre que la concentration du capital est forte dans les entreprises de notre échantillon : la moyenne s'établit à 44% et la médiane à 55%. Seulement 8% des firmes répondent à la définition des sociétés managériales, sans actionnaire détenant au moins 10% du capital, comme nous l'avions déjà vu avec l'analyse de l'influence de la structure de propriété. Deux firmes sur trois ont un actionnaire détenant plus d'un tiers du capital. Variable explicative Fréquence par seuils Moyenne Médiane Nb d'obs. ACTIONNAIRES Le plus gros actionnaire détient : Moins de 10% du capital : 8% De 10 à 33% du capital : 28% De 34 à 66% du capital : 44% 67% du capital et plus : 20% 44% 45% 160 - Tableau 84: données descriptives sur le contrôle par les actionnaires - 320 13.2.1. Influence du contrôle direct par les actionnaires sur la performance de la firme Comme pour le conseil d'administration, nous avons effectué une première régression pour tester le rôle de ce mécanisme sur la variation de performance de la firme. Elle comprend la variable ACTIONNAIRES la variable de contrôle VARPIB. R2 ajusté F Sign. Nb observations 1,8% 2,423 0,092 160 - Tableau 85 : qualité de la régression testant l'influence du contrôle par les actionnaires sur la performance – Le R2 ajusté est très faible et la qualité de la relation au niveau global n'est pas satisfaisante. VARIABLES et constante ACTIONNAIRES VARPIB Constante COEFF β (écart-type) -0,001 (0,001) 0,065* (0,034) 0,109 (0,087) t Sign. VIF -0,637 0,525 1,053 1,910 0,058 1,053 1,259 0,210 Les résultats significatifs sont signalés par : *** à 1%, ** à 5%, et * à 10% . - Tableau 86 : résultats de la régression testant l'impact du contrôle direct par les actionnaires sur la performance de la firme - Le contrôle direct par les actionnaires n'apparaît pas avoir une influence sur la performance de la firme dans notre échantillon. La variable n'est pas significative et le coefficient bêta est très voisin de zéro. Le pourcentage détenu par le principal actionnaire n'explique pas la création de valeur dans la firme. Nous retrouvons pour la France les résultats de Demsetz et Lehn (1985), dont l'analyse portant sur 511 firmes américaines n'avait pas trouvé de relation significative entre la concentration de la propriété et le taux de rentabilité. Les auteurs expliquaient cette absence d'influence sur la performance par le fait qu'un actionnariat diffus et un actionnariat concentré 321 offraient chacun des perspectives de réduction de coût, mais dans des domaines différents (coût d'accès au capital pour le premier, coûts d'agence pour le second). Hill et Snell (1988), qui ont étudié 122 firmes de Fortune 100, trouvaient eux un lien avec la performance : la concentration de la propriété, mesurée par le logarithme de la mesure de Herfindhal de la concentration de l'actionnariat, avait une influence positive sur la valeur ajoutée par employé. Les différentes mesures de performance utilisées selon les études ne facilitent pas le rapprochement des conclusions. 13.2.2. Influence simultanée du contrôle par les actionnaires et du marché managérial sur la performance de la firme La régression comporte les variables explicatives liées au rôle du marché managérial, la variable ACTIONNAIRES et la variable de contrôle VARPIB. L'objectif est de voir si l'impact du marché des dirigeants sur la création de valeur est modifié par l'introduction de la variable ACTIONNAIRES. R2 ajusté F Sign. Nb observations 12,5% 2,649 0,003 140 - Tableau 87 : qualité de la régression testant l'influence simultanée des deux mécanismes sur la performance – VARIABLES et constante COEFF β (écart-type) t Sign. VIF RECOMPENSE 0,046 (0,093) 0,158*** (0,050) 0,005 (0,004) -0,004 (0,004) -0,213** (0,083) -0,115 (0,082) 0,096 (0,071) 0,493 0,623 1,226 3,189 0,002 1,095 1,185 0,238 1,381 -1,100 0,273 1,497 -2,560 0,012 1,271 -1,403 0,163 1,297 1,361 0,176 1,480 SANCTION COUTSDISC VARAGE VARDIPLOME VARTYPEFORM VARORIGINE 322 VARIABLES et constante VARCOMPETGENERIQUES VARCOMPETSECTEUR VARCOMPETFIRME VARPIB ACTIONNAIRES Constante COEFF β (écart-type) -0,032 (0,030) 0,015 (0,018) 0,002 (0,003) 0,060 (0,038) 0,000 (0,001) -0,028 (0,147) t Sign. VIF -1,82 0,282 1,177 0,844 0,400 1,333 0,676 0,500 1,589 1,570 0,119 1,141 0,100 0,921 1,168 -0,189 0,851 Les résultats significatifs sont signalés par : *** à 1%, ** à 5%, et * à 10%. - Tableau 88 : résultats de la régression testant simultanément l'impact du marché managérial et du contrôle par les actionnaires sur la performance de la firme – L'introduction de la variable ACTIONNAIRES n'a pas eu d'impact sur les voies d'intervention du marché managérial. Les bêta ne sont pas modifiés. Seule la variable de contrôle n'est plus significative. Nos travaux confortent les résultats concernant le rôle disciplinaire de ce mécanisme obtenus précédemment pour la France par Alexandre et Paquerot (2000), qui concluaient à l'absence d'influence de la concentration du capital (estimée par le pourcentage de capital détenu par les cinq premiers actionnaires) sur le taux de rotation des dirigeants français des sociétés cotées et sur la performance de la firme (calculée par la moyenne sur trois ans des ratios de Sharpe, entre 1991 et 1993). Ils se distinguent par contre de l'analyse de Pigé (1993), qui trouvait au contraire une relation significative et positive entre le pourcentage détenu par le principal actionnaire et la probabilité de renouvellement du dirigeant, mais n'étudiait pas le lien avec la création de valeur. La divergence des conclusions entre Alexandre et Paquerot d'une part, Pigé d'autre part, met en évidence que le rôle du contrôle direct par les actionnaires ne fait pas l'objet d'un consensus. Nos résultats apportent cependant un argument complémentaire en faveur de l'absence d'intervention disciplinaire de ce mécanisme, car nous avons pris en compte plusieurs voies d'intervention potentielles et analysé son influence sur la sanction des dirigeants, pas seulement sur le taux de rotation en général. 323 Cette constatation ne semble en outre pas liée à la France et aux spécificités de l'actionnariat de ses sociétés, elle est également observée par exemple sur le marché anglais par Renneboog et Trojanoswki (2003). Dans leur étude portant sur 250 entreprises anglaises cotées entre 1998 et 1993, les auteurs ne trouvaient pas non plus de relation significative entre la concentration de la propriété, mesurée par l'index Herfindahl-5, ou la présence d'un actionnaire dominant, et le taux de rotation des dirigeants. Mais il n'y a pas de convergence avec d'autres études, par exemple Kaplan et Minton (1994) pour le marché japonais ou encore Denis et Serrano (1996) pour les Etats-Unis concluaient que la probabilité de révocation en cas de mauvaise performance était plus forte en présence d'un actionnaire dominant. De même Kini et al. (2004) ont mis en évidence pour le marché américain sur la période 1979-1998 que l'éviction des dirigeants suite à une prise de contrôle était moins fréquente en présence de blocs d'actionnaires. L'absence de test de l'impact de ce lien sur la création de valeur de la firme ne permet pas de conclure sur l'efficience de ce mécanisme. D'après les résultats des deux régressions effectuées, notre hypothèse H13 n'est pas validée. Le contrôle direct par les actionnaires n'influence pas le rôle joué par le marché managérial dans le système de gouvernance des entreprises. 13.3. Influence des créanciers prêteurs sur le rôle joué par le marché managérial Les créanciers prêteurs jouent un rôle dans la surveillance des dirigeants car ils sont incités à contrôler ses actions pour ne pas voir leur niveau de risque évoluer défavorablement. Bénéficiant de relations particulières avec l'entreprise, ils ont accès, en contrepartie de leur acceptation de lui fournir des fonds, à des informations internes. Ils influencent la politique d'investissement de la firme, lorsqu'elle a recours aux créanciers. Ils peuvent contribuer à révoquer le dirigeant en cas de difficultés financières importantes (Schleifer et Vishny, 1997). Leur intervention est aussi un signal pour l'extérieur (Harris et Raviv, 1990), l'implication d'une banque dans une firme étant généralement un gage de bonne santé financière. Comme nous l'avons développé au paragraphe 7.2.4., nous nous attendons à ce que l'amélioration du contrôle et l'information additionnelle apportées par les créanciers prêteurs jouent un rôle complémentaire à celui exercé par le marché managérial dans le SGE. 324 La variable CREANCIERS a été opérationnalisée par le ratio capacité d'autofinancement sur dettes à moyen et long terme. Les contrastes sont très importants dans notre échantillon, entre les firmes sans endettement auprès des établissements de crédit (Eurazeo en 2001, April Group en 2003) et celles qui dégagent une capacité d'autofinancement fortement négative (Bull en 2001, Compagnie Générale de Géophysique en 1999, CS Communication en 2001, France Télécom en 2002, Géodis en 2001, Thomson en 2004). En dehors de ces situations extrêmes, 85% des firmes étudiées ont un ratio entre -0,5 et +5. Variable explicative Fréquence par seuils Nb d'obs. CREANCIERS < 0 : 14 % de 0 à 0,33 : 32 % de 0,34 à 1 : 28 % de 1 à 3 : 10 % > 3 : 16 % 160 - Tableau 89 : données descriptives sur la variable CREANCIERS 13.3.1. Influence des créanciers prêteurs sur la performance de la firme Comme pour les mécanismes précédents, une première régression a eu pour objet de tester le rôle de ce mécanisme sur la création de valeur. Elle incluait donc une seule variable explicative, CREANCIERS, et la variable de contrôle VARPIB. R2 ajusté F Sign. Nb observations 0,5% 1,405 0,248 160 - Tableau 90 : qualité de la régression testant l'influence des créanciers prêteurs sur la performance – Le R2 ajusté est proche de zéro, la qualité de la relation au niveau global est mauvaise : la variable CREANCIERS n'explique pas la performance de la firme. 325 VARIABLES et constante CREANCIERS VARPIB Constante COEFF β (écart-type) -3,8 E-007 (0,000) 0,049 (0,034) 0,089 (0,055) t Sign. VIF -0,722 0,471 1,005 1,458 0,147 1,005 1,621 0,107 Les résultats significatifs sont signalés par : *** à 1%, ** à 5%, et * à 10%. - Tableau 91 : résultats de la régression testant l'impact des créanciers prêteurs sur la performance de la firme - La théorie selon laquelle les créanciers prêteurs jouent un rôle disciplinaire n'est pas validée. La menace de liquidation en cas de mauvaises performances incitant le dirigeant à agir dans l'intérêt des actionnaires, le niveau d'information supérieure des créanciers, le meilleur contrôle supposés permettre à ce mécanisme d'être influent n'apparaissent pas avoir d'impact uniforme sur la performance de la firme. Les créanciers prêteurs, pris isolément, n'ont pas d'influence sur la performance de la firme. Plusieurs interprétations peuvent être apportées à l'absence d'influence de ce mécanisme, basées sur les effets hétérogènes ou contradictoires consécutifs à son intervention. La première est son lien avec l'effet de levier, le risque engendré et de manière plus générale la structure de capital. Une entreprise plus endettée est peut-être davantage soumise au contrôle des créanciers, mais elle subit aussi les conséquences de l'effet de levier. Or celui-ci n'a d'impact positif sur la performance que si le taux de rentabilité des actifs de la firme est supérieur au coût de la dette. Le recours à l'endettement à moyen et long terme masque des situations très différentes entre les entreprises, certaines en très bonne santé financière choisissant ce mode de financement pour améliorer leurs résultats, d'autres l'utilisant par nécessité et même parfois dans un but de restructuration pour leur permettre de survivre. La seconde explication a été développée par Bernanke et Gertler (1990) : une entreprise disposant d'une bonne capacité d'autofinancement serait plus indépendante et plus performante, ce qui remet en cause l'effet positif du rôle des banques. La forte présence des créanciers, si elle se traduit par un ratio CAF/DMLT trop faible, constitue un signal de risque d'où une réticence des banques à financer de nouveaux projets, limitant l'entreprise de ses 326 possibilités de créer de la valeur. Enfin, pour reprendre un des arguments de Nekhili (1994), la France est caractérisée par l'importance du crédit interentreprises, les fournisseurs d'une société se substituant pour partie aux banquiers dans son financement. La faiblesse des dettes à moyen et long terme peut alors avoir deux effets : l'un positif, par la réduction des coûts financiers et la possibilité de placer les excédents de trésorerie dégagés, l'autre négatif, en masquant des difficultés financières, la firme ayant plus de poids sur ses fournisseurs que sur ses banquiers pour leur imposer de lui fournir un crédit et pouvant plus facilement leur limiter l'information. A titre de comparaison, rappelons les résultats d'autres d'études empiriques menées sur l'incidence de ce mécanisme sur la performance. Pour l'Allemagne, Cable (1985) validait le fait que les entreprises ayant des banquiers dans leur conseil d'administration étaient celles qui étaient les plus performantes. Cette analyse diffère de notre approche, car les firmes ayant des administrateurs financiers ne sont pas systématiquement celles qui sont le plus endettées. Pour l'Italie, Sena (2006) a confirmé empiriquement qu'une restriction d'accès aux ressources financières, contrairement à ce que nous évoquions précédemment, conduisait la firme à être plus efficiente. Köke et Renneboog (2005) ont trouvé un lien entre l'effet de levier et la croissance de la productivité pour le marché allemand (304 firmes cotées étudiées entre 1986 et 1996), mais une absence de relation sur le marché anglais (502 firmes entre 1992 et 1999). La productivité des firmes dans leurs travaux était calculée par une fonction de production de Cobb-Douglas ayant la valeur ajoutée comme variable dépendante, le travail et le capital en variables indépendantes. Nos travaux apportent un élément de comparaison pour la France, laissant à penser, par l'absence de significativité de la variable CREANCIERS, que les conséquences de l'endettement sont complexes et peuvent avoir des effets contradictoires. 13.3.2. Influence simultanée des créanciers prêteurs et du marché managérial sur la performance de la firme Afin de déterminer si les créanciers prêteurs modifiaient le rôle du marché managérial, la régression suivante a intégré les variables explicatives liées au rôle du marché managérial, la variable CREANCIERS et la variable de contrôle VARPIB. 327 R2 ajusté F Sign. Nb observations 13,1% 2,760 0,002 140 - Tableau 92 : qualité de la régression testant l'influence simultanée des deux mécanismes sur la performance – VARIABLES et constante RECOMPENSE SANCTION COUTSDISC VARAGE VARDIPLOME VARTYPEFORM VARORIGINE VARCOMPETGENERIQUES VARCOMPETSECTEUR VARCOMPETFIRME VARPIB CREANCIERS Constante COEFF β (écart-type) 0,030 (0,091) 0,155*** (0,049) 0,004 (0,004) -0,004 (0,004) -0,221*** (0,083) -0,113 (0,080) 0,103 (0,070) -0,026 (0,029) 0,016 (0,018) 0,003 (0,004) 0,061 (0,037) -4,1 E-007 (0,000) -0,001 (0,116) t Sign. VIF 0,331 0,741 1,231 3,153 0,002 1,095 1,056 0,238 1,467 -1,208 0,273 1,525 -2,660 0,012 1,288 -1,412 0,163 1,298 1,467 0,176 1,494 -0,922 0,282 1,169 0,902 0,400 1,338 0,914 0,500 1,691 1,647 0,119 1,140 -0,798 0,921 1,097 -0,010 0,992 Les résultats significatifs sont signalés par : *** à 1%, ** à 5%, et * à 10%. - Tableau 93 : résultats de la régression testant simultanément l'impact du marché managérial et des créanciers prêteurs sur la performance de la firme – L'introduction de la variable CREANCIERS n'a pas modifié le rôle du marché des dirigeants. Les voies d'intervention du marché managérial sont les mêmes, avec des bêta identiques. VARDIPLOME redevient seulement plus significative, au seuil de 1% au lieu de 5%. La variable de contrôle n'est plus significative. Contrairement à ce que nous aurions pu 328 attendre, le rôle de sanction du marché managérial n'est pas modifié par la prise en compte de l'intervention des créanciers. Or un des arguments fréquemment évoqués pour justifier leur rôle est leur implication dans la révocation des dirigeants non efficients, qu'ils sont supposés provoquer en cas de nécessité, notamment grâce à l'accès à l'information supérieur et plus rapide dont ils disposent. Nous ne confirmons pas cette vision théorique. D'après les résultats des deux régressions effectuées, notre hypothèse H14 n'est pas validée. Les créanciers prêteurs n'ont pas d'influence sur le rôle joué par le marché managérial relativement à la création de valeur dans la firme. 13.4. Influence du marché des prises de contrôle sur le rôle joué par le marché managérial La sanction du dirigeant est un levier disciplinaire pouvant également être initié par le marché des prises de contrôle. Les entreprises insuffisamment rentables risquent davantage de faire l'objet d'une prise de contrôle (Alchian et Demsetz, 1972). Même lorsqu'elle n'est pas hostile, elle est fréquemment suivie d'un changement de direction (Jensen, 1988, Agrawal et Knoeber, 1996). Les gains liés aux prises de contrôle reposeraient principalement sur l'amélioration de la gestion, facilitée avec l'arrivée d'un nouveau dirigeant (Fama et Jensen, 1983, Jensen et Ruback, 1983, Walsh et Seward, 1990) et sur la réduction des coûts disciplinaires liés à la remise en cause des contrats informels. Le marché des prises de contrôle anime la compétition entre les équipes dirigeantes pour obtenir le droit de gérer les ressources de la firme (Jensen et Ruback, 1983, Jensen, 1988). Le marché des dirigeants et le marché des prises de contrôle se complète dans le dispositif disciplinaire des dirigeants (Walsh et Seward, 1990, Pérez, 2003). L'influence disciplinaire du marché des prises de contrôle a été opérationnalisée dans notre étude par le caractère opéable de la firme, la menace étant supposée être plus réelle et davantage susceptible d'inciter le dirigeant à agir dans l'intérêt des actionnaires dans les sociétés opéables. Le marché des prises de contrôle peut aussi intervenir sous la dimension cognitive en contribuant aux réorientations stratégiques dans la firme et en lui permettre d'acquérir de nouvelles connaissances et compétences. Le repreneur est susceptible d'apporter des ressources, son expertise (Hitt et al., 1997, Leroy et Ramanantsoa, 1997, Vermeulen et 329 Barkema, 2001). Le changement engendré par une prise de contrôle peut constituer un moteur pour l'apprentissage (Starbuck et Milliken, 1988). L'interaction entre les deux mécanismes est également attendue en termes de complémentarité. Le rôle cognitif du marché des prises de contrôle a été opérationnalisé par la nature du repreneur. Dans notre échantillon, 20% des firmes ont été identifiées comme étant opéables (au moins 33% de flottant ou pas d'actionnaire détenant au moins 33% du capital, en l'absence de pactes d'actionnaires). Ce pourcentage peut sembler faible, mais il est cohérent avec la forte présence dans les entreprises françaises de firmes contrôlées ou familiales, comme nous l'avons vu au moment de l'étude de l'influence de la structure de propriété. Parmi les dix sept entreprises ayant fait l'objet d'une prise de contrôle, dix ont vu arriver un repreneur industriel, et cinq un investisseur institutionnel. Variables explicatives MPCDISC Fréquence par seuils Nb d'obs. Non opéable : 80 % Opéable : 20 % MPCCOGNSTRAT Arrivée d'un repreneur l'année du changement de dirigeant : 11 % Pas de changement principal d'actionnariat : 89 % MPCCOGNCOMPET Type du repreneur : Salariés : 0 % Individuel : 12 % Investisseur institutionnel : 29 % Financier : 0 % Industriel : 59 % - Tableau 94: données descriptives sur le marché des prises de contrôle - 161 161 161 13.4.1. Influence du marché des prises de contrôle sur la performance de la firme Comme pour les autres mécanismes, nous nous sommes tout d'abord intéressés à l'influence du marché des prises de contrôle sur la variation de performance de la firme. La régression a porté sur les variables MPCDISC, MPCCOGNSTRAT et la variable de contrôle VARPIB. 330 R2 ajusté F Sign. Nb observations 2% 2,063 0,107 161 - Tableau 95 : qualité de la régression testant l'influence du rôle du marché des prises de contrôle sur la performance – Le R2 ajusté est extrêmement faible et le niveau test de Fisher indique une mauvaise qualité de la relation au niveau global. Les résultats sont les mêmes si on introduit MPCCOGNCOMPET98 au lieu de MPCOGNSTRAT. VARIABLES et constante MPCDISC MPCCOGNSTRAT VARPIB Constante COEFF β (écart-type) 0,096 (0,082) 0,037 (0,106) 0,070** (0,033) 0,046 (0,056) t Sign. VIF 1,167 0,245 1,002 0,349 0,728 1,008 2,105 0,037 1,002 0,829 0,065 Les résultats significatifs sont signalés par : *** à 1%, ** à 5%, et * à 10%. - Tableau 96 : Impact du marché des prises de contrôle sur la performance de la firme - Le marché des prises de contrôle ne ressort pas comme un facteur explicatif de la variation de performance de la firme dans notre échantillon. Son rôle disciplinaire n'est pas vérifié : le caractère opéable de la société ne constitue pas une incitation suffisante pour le dirigeant pour que sa firme devienne plus performante que les autres. Les firmes qui connaissent un changement de leur actionnaire principal ne sont pas plus créatrices de valeur que les autres et la nature du repreneur n'explique pas la performance des firmes, ce qui remet également en cause l'existence du rôle cognitif de ce mécanisme. Ces résultats sont à prendre en compte car ils viennent s'ajouter à un corps de littérature déjà très abondant sur les prises de contrôle, mais qui ne dégage pas de consensus. Les questions relatives à la capacité de ce mécanisme à augmenter la performance demeurent nombreuses : son rôle incitatif est-il confirmé ? La création de valeur concerne-t-elle la 98 Opérationnalisation du rôle du marché des prises en contrôle par la nature du repreneur (salariés, individuel, investisseur institutionnel, financier, industriel) avec quatre variables dichotomiques alors que MPCCOGNSTRAT est une simple variable binaire prenant la valeur 1 si un nouvel actionnaire principal est arrivé l'année du changement de dirigeant. 331 société acquéreuse, la société cible ou les deux ? De quelle création de valeur s'agit-il ? Pour quelle partie prenante ? Quelles en sont les sources ? Certaines conditions sont-elles nécessaires pour qu'il y ait une hausse de la performance ? Le marché des prises de contrôle serait créateur de valeur uniquement lorsque la firme acquéreuse et la société cible sont hétérogènes en termes d'allocation des ressources (Harrison et al., 1991, analyse du marché américain antre 1970 et 1989), mais ce lien avec la performance n'a pas été validé dans les études de Stewart et al. (1984), McDonald (1985) ou encore Lubatkin (1987). Healy et al. (1992) concluaient eux à un accroissement de richesse des actionnaires de la société acquéreuse et de la société cible d'autant plus marqué que les deux entreprises appartenaient au même secteur. Martin et McConnell (1991) trouvaient, toujours pour le marché américain, des taux de rentabilité anormaux positifs aussi bien pour l'acquéreur que pour la cible. Jensen (1993) évaluait à 41% la plus value moyenne des sociétés cibles entre 1976 et 1990. Agrawal et Knoeber (1996), qui se sont intéressés au caractère incitatif de ce mécanisme, trouvaient une relation négative entre l'activité des prises de contrôle et la performance des firmes, estimée par le Q de Tobin. Pour la France, Caby (1994) ne confirmait pas l'amélioration des performances suite à une opération de fusion ou d'acquisitions (étude de 140 entreprises entre 1970 et 1990). Bessière (1998), à partir d'une étude d'évènements sur 41 opérations françaises entre 1991 et 1997, trouvait lui un taux de rentabilité anormal moyen de l'ordre de 24% pour les sociétés cibles. Nos travaux viennent conforter la vision selon laquelle le marché des prises en contrôle aurait en France un rôle réduit dans le système de gouvernance des entreprises. La menace d'une OPA n'incite pas les équipes dirigeantes à être plus performantes. Lorsqu'il y a eu une prise de contrôle, les apports cognitifs du repreneur ne sont pas confirmés, les firmes concernées n'étant pas plus créatrices de valeur que les autres. Le rôle du marché des prises de contrôle n'a pas d'influence sur la variation de performance de la firme. Nous avons tout de même vérifié si, à défaut d'agir seul, le marché des prises de contrôle avait une influence lorsqu'il était pris en compte conjointement avec le marché des dirigeants. 332 13.4.2. Influence simultanée du marché des prises de contrôle et du marché managérial sur la performance de la firme La régression inclut cette fois les variables explicatives liées au rôle du marché managérial, celles concernant l'intervention du marché des prises de contrôle (MPCDISC et MPCCOGNSTRAT) et la variable de contrôle VARPIB, afin d'étudier l'existence d'une éventuelle interaction entre les deux mécanismes. R2 ajusté F Sign. Nb observations 12,1% 2,476 0,005 141 - Tableau 97 : qualité de la régression testant l'influence simultanée des deux mécanismes sur la performance – La qualité de la relation au niveau global est satisfaisante, comme le montre le résultat du test de Fisher. Le R2 ajusté est toujours relativement faible du fait des autres variables influençant la variation de performance de la firme. VARIABLES et constante RECOMPENSE SANCTION COUTSDISC VARAGE VARDIPLOME VARTYPEFORM VARORIGINE VARCOMPETGENERIQUES VARCOMPETSECTEUR VARCOMPETFIRME COEFF β (écart-type) 0,030 (0,110) 0,156*** (0,049) 0,005 (0,004) -0,004 (0,004) -0,215** (0,084) -0,108 (0,080) 0,098 (0,071) -0,026 (0,029) 0,014 (0,018) 0,002 (0,003) t Sign. VIF 0,274 0,785 1,779 3,145 0,002 1,100 1,196 0,234 1,432 -1,060 0,291 1,666 -2,569 0,011 1,291 -1,350 0,180 1,294 1,383 0,169 1,506 -0,877 0,382 1,209 0,786 0,433 1,371 0,711 0,478 1,606 333 VARIABLES et constante VARPIB MPCDISC MPCCOGNSTRAT Constante COEFF β (écart-type) 0,063* (0,038) 0,028 (0,090) -0,014 (0,139) -0,014 (0,132) t Sign. VIF 1,660 0,099 1,124 0,313 0,755 1,136 -0,100 0,921 1,606 -0,108 0,914 Les résultats significatifs sont signalés par : *** à 1%, ** à 5%, et * à 10%. - Tableau 98 : résultats de la régression testant simultanément l'impact du marché managérial et du marché des prises de contrôle sur la performance de la firme – Les variables explicatives significatives ne sont pas modifiées par rapport aux régressions effectuées séparément pour chacun des mécanismes : SANCTION et VARDIPLOME pour le marché managérial, VARPIB en variable de contrôle. Ni les valeurs ni le signe des coefficients bêta des variables liées au rôle du marché managérial n'ont été modifiés en introduisant les variables représentant le marché des prises de contrôle. Ce mécanisme ne semble donc pas influencer le rôle du marché managérial dans le SGE, contrairement à ce qui était attendu (complémentarité des mécanismes). Bien que décevant, ce résultat, appuyé sur des tests empiriques, apporte cependant une contribution à la réflexion sur les interactions entre ces deux mécanismes, car la non significativité des variables remet en cause pour la France la vision théorique fréquemment proposée dans la littérature, selon laquelle le marché des prises de contrôle serait un des composants majeurs du marché managérial (Jensen et Ruback, 1983). Ni son impact sur la sanction ni sa capacité à réduire les coûts d'enracinement des dirigeants (Shleifer et Vishny, 1988) ne sont confirmés dans notre étude, les variables SANCTION et COUTSDISC n'étant pas modifiées. Le positionnement très différent des marchés financiers et du marché des prises de contrôle en France et aux États-Unis pourrait constituer une explication de nos résultats. Et rappelons que Shleifer et Vishny, s'ils soulignaient la remise en cause des contrats implicites permise par les OPA, concluaient aussi que l'effet global sur la performance de ces opérations était complexe à estimer. A noter également que l'étude empirique de Kini et al. (2004), portant sur 279 prises de contrôle aux États-Unis entre 1979 et 1998, n'a trouvé qu'un lien faible entre la probabilité d'éviction du dirigeant suite à une prise de contrôle et la sous-performance de la firme 334 antérieure à l'opération. Le départ du dirigeant s'expliquait davantage dans leur analyse par les désaccords relatifs au prix d'offre ou à la performance ultérieure attendue. Le marché des prises de contrôle n'influence pas le rôle joué par le marché des dirigeants, la complémentarité des deux mécanismes n'est pas confirmée. Relativement aux voies d'intervention disciplinaires du marché managérial, Martin et McConnell (1991) avaient validé le lien entre changement de dirigeant et offre publique : dans leur étude de 253 opérations menées aux États-Unis entre 1958 et 1984, 41,90% des dirigeants des sociétés concernées par une offre publique avaient été remerciés et ils l'avaient été plus fréquemment lorsque la firme était moins performante que le secteur avant l'opération. Mais ils n'ont pas pu confirmer le lien entre le caractère disciplinaire de l'OPA et le niveau du taux de rentabilité anormal. D'autres études ont abouti à des résultats opposés : Walsh et Ellwood (1991) ou encore Huson et al. (2001), qui, dans leur examen des changements de dirigeants des grandes sociétés américaines cotées entre 1971 et 1994, faisaient ressortir que la probabilité d'un départ forcé pour mauvaises performances ne variait pas avec l'intensité du marché des prises de contrôle, estimée par le nombre d'articles du Wall Street Journal faisant référence à ce thème pour chaque société les douze mois précédant le changement de dirigeant. Pour l'Angleterre, l'étude de 643 opérations entre 1989 et 1996 de Nuttal (1999) mettait en évidence que la probabilité de faire l'objet d'une OPA était inversement proportionnelle aux performances antérieures de la firme. Pour la France, d'autres éléments ont été testés. Grand (1991), à partir de son analyse de 14 OPA hostiles en 1985 et 1986, apportait un éclairage différent en concluant qu'une rotation des dirigeants plus élevée protégeait les firmes d'une OPA hostile. Paquerot (1996), dans ses travaux sur l'enracinement, s'était intéressé à l'impact des opérations de croissance externe sur le cumul des mandats des dirigeants et confirmait une influence positive. Nos travaux apportent de nouveaux éléments en montrant qu'une augmentation de l'impact positif sur la performance de la sanction n'est pas observée dans un contexte de menace de prise de contrôle. Sous la dimension cognitive, le marché des prises de contrôle ne fait pas non plus l'objet d'un consensus. Leroy et Ramanantsoa (1997) soulignaient le double effet possible du marché des prises de contrôle : d'un côté sa capacité à être une source d'apprentissage, par son apport de pratiques et de références différentes, de l'autre l'impact négatif de l'incertitude, du traumatisme et des conflits qu'il peut générer. Les travaux empiriques concernent 335 principalement l'impact du marché des prises de contrôle sur les décisions stratégiques (en termes de recherche et développement, d'innovation), mais sans examiner l'impact de ces changements sur la performance de la firme. Ils sont principalement menés sous forme d'étude de cas, ce qui permet de mieux comprendre les mécanismes mais rend plus difficile la généralisation. Certaines études quantitatives se sont intéressées plus spécifiquement à la relation entre le marché managérial et le marché des prises de contrôle : Agrawal et Knoeber (1996) par exemple ne trouvaient pas de lien entre l'activité des prises de contrôle, mesurée par la proportion de firmes du même secteur (2-digit SIC code) ayant fait l'objet d'une opération durant les sept dernières années, et le capital humain du dirigeant, estimé sommairement par son ancienneté dans la firme. Nos recherches, qui développent beaucoup plus les voies d'intervention du marché managérial, aboutissent à la même conclusion. 13.5. Influence du marché des biens et services sur le rôle joué par le marché managérial Mécanisme spontané de discipline des dirigeants, le marché des biens et services est supposé sanctionner rapidement les erreurs d'un dirigeant en entraînant une baisse de compétitivité de la firme. Il contribue ainsi à réduire la latitude discrétionnaire des dirigeants et les incite à agir dans l'intérêt des actionnaires. Toute déviation dans le comportement des dirigeants peut avoir des conséquences (perte de marchés, de clients…) pouvant aller jusqu'au dépôt de bilan de la firme ou à la révocation du dirigeant, ou les deux. Afin de prendre en compte l'influence de la concurrence dans le contrôle des dirigeants, la variable MBSDISC comptabilise le pourcentage d'entreprises exerçant dans le même secteur d'activité que la firme étudiée. 45% des entreprises de l'échantillon exercent leur activité principale dans un secteur faiblement concurrentiel, moins de 1% des firmes recensées en France ayant la même activité qu'elles. A l'opposé 7% d'entre elles sont en forte concurrence, avec 10% et plus de firmes sur le même secteur. Il s'agit de la division 74 du code NAF99 révision 1 niveau 60, correspondant aux activités de services aux entreprises. 99 NAF : nomenclature d'activités française 336 Variable explicative Fréquence par seuils Nb d'obs. MBSDISC % de firmes du même secteur : < à 0,5 % : 30% de 0,5 à 1 % : 15% de 1 à 5 % : 40 % de 5 à 10 % : 8 % > à 10 % : 7 % 161 - Tableau 99 : données descriptives sur le marché des biens et services - 13.5.1. Influence du marché des biens et services sur la performance de la firme Elle a été testée par une régression comprenant la variable explicative MBSDISC et la variable de contrôle VARPIB. R2 ajusté F Sign. Nb observations 1,9% 2,583 0,079 161 - Tableau 100 : qualité de la régression testant l'influence du marché des biens et services sur la performance – Une nouvelle fois la qualité de la régression n'est pas satisfaisante, avec un R2 ajusté et une qualité de la relation au niveau global très médiocres. VARIABLES et constante MBSDISC VARPIB Constante COEFF β (écart-type) 0,363 (0,493) 0,072** (0,034) 0,054 (0,056) t Sign. VIF 0,737 0,462 1,000 2,159 0,032 1,000 0,955 0,341 Les résultats significatifs sont signalés par : *** à 1%, ** à 5%, et * à 10%. - Tableau 101 : résultats de la régression testant l'impact du marché des biens et services sur la performance de la firme - Le marché des biens et services n'apparaît pas avoir une influence sur la performance de la firme dans notre échantillon. Nous ne confirmons pas que son rôle (apport d'information, réduction du slack managérial…) soit créateur de valeur. 337 Nous ne retrouvons pas les résultats de Nickell (1996) ou encore Berger et Hannan (1998), qui validaient l'existence d'un lien entre ce mécanisme et la performance. Köke et Renneboog (2005), dont nous avons déjà cité l'étude dans l'analyse des créanciers prêteurs, s'étaient intéressés à l'influence de la compétition sur les efforts managériaux et sa conséquence sur la création de valeur qui pouvait être engendrée notamment par une amélioration de la productivité. Les auteurs ont confirmé une relation positive forte entre la productivité des firmes et le niveau de compétition sur le marché des biens et services. Dans leur étude des firmes cotées suédoises entre 1996 et 1998, Randoy et Jenssen (2004) aboutissaient à une conclusion intéressante, car elle fait le lien avec deux de nos résultats : l'indépendance du conseil d'administration réduisait la performance des firmes exerçant sur des marchés très compétitifs, mais l'augmentait dans les sociétés faiblement soumises à la concurrence. Ceci peut constituer une explication de l'absence de significativité de nos variables CADISC et MBSDISC. Le marché des biens et services n'explique pas la variation de performance entre les firmes. 13.5.2. Influence simultanée du marché des biens et services et du marché managérial sur la performance de la firme Nous avons également vérifié si le marché des biens et services intervenait à travers le marché managérial. Ont été introduites dans la régression les variables explicatives liées au rôle du marché managérial, la variable MBSDISC et la variable de contrôle VARPIB. L'objectif est de voir si l'impact du marché des dirigeants sur la performance est modifié par la prise en compte du marché des biens et services. R2 ajusté F Sign. Nb observations 12,7% 2,699 0,003 141 - Tableau 102 : qualité de la régression testant l'influence simultanée des deux mécanismes sur la performance – 338 VARIABLES et constante RECOMPENSE SANCTION COUTSDISC VARAGE VARDIPLOME VARTYPEFORM VARORIGINE VARCOMPETGENERIQUES VARCOMPETSECTEUR VARCOMPETFIRME VARPIB MBSDISC Constante COEFF β (écart-type) 0,038 (0,091) 0,155*** (0,049) 0,005 (0,004) -0,004 (0,004) -0,213** (0,083) -0,103 (0,081) 0,098 (0,071) -0,028 (0,029) 0,015 (0,018) 0,003 (0,003) 0,062 (0,037) 0,112 (0,503) -0,025 (0,114) t Sign. VIF 0,425 0,672 1,217 3,141 0,002 1,108 1,184 0,239 1,436 -1,200 0,232 1,525 -2,574 0,011 1,278 -1,271 0,206 1,331 1,394 0,166 1,493 -0,960 0,339 1,188 0,837 0,404 1,332 0,737 0,462 1,593 1,671 0,097 1,096 0,223 0,824 1,131 -0,217 0,828 Les résultats significatifs sont signalés par : *** à 1%, ** à 5%, et * à 10%. - Tableau 103 : résultats de la régression testant simultanément l'impact du marché managérial et du marché des biens et services sur la performance de la firme – L'impact sur la performance des voies d'intervention du marché managérial n'est pas modifié par la prise en compte du marché des biens et services. Les variables significatives sont identiques, de même que leurs bêta. L'impact de la sanction notamment ne varie pas avec le degré de compétitivité du secteur. Une explication pourrait être tirée des réflexions d'Hermalin (1992), qui s'était attaché à décomposer l'effet de la compétition sur le comportement des dirigeants en quatre composantes. L'auteur concluait que chacune était de signe ambigu et qu'il n'y avait pas de relation théorique entre le niveau de concurrence et le comportement managérial, sauf sous certaines conditions développées dans son modèle. 339 Nos résultats peuvent être rapprochés des conclusions d'autres études empiriques. Pour les États-Unis, Defond et Park (1999) concluaient à une augmentation de la fréquence du taux de rotation des dirigeants dans les secteurs plus compétitifs, mais sans la lier à une sanction. Pour le Canada, Bozec (2005) confirmait le lien entre l'intensité concurrentielle du marché des biens et services et la performance, estimée par cinq indicateurs. Fee et Hadlock (2000) parvenaient également à montrer empiriquement que les changements de dirigeants étaient plus fréquents dans les firmes américaines exerçant sur des marchés compétitifs que celles appartenant à des marchés monopolistiques, mais ne trouvaient pas de lien avec la sensibilité du taux de rotation à la performance, ce qui rejoint nos conclusions. D'après les résultats des deux régressions effectuées, notre hypothèse H15 n'est pas validée. Le marché des biens et services n'influence pas le rôle joué par le marché managérial dans le système de gouvernance des entreprises. Pour effectuer une dernière vérification de l'imbrication des mécanismes, nous avons effectué une régression les incluant tous. Elle a conforté les résultats précédents, aucune voie d'intervention du marché managérial n'était modifiée, la sanction était toujours significative au seuil de 1%, avec un bêta semblable, la variation du niveau de diplôme également, au seuil de 5%, avec le même coefficient. La seule différence consistait en la perte de significativité de CACOGN (nombre de firmes avec les lesquels les administrateurs sont en relation), qui ressortait avec un t de Student de -1,456 (sign. 0,148). Aucune variable correspondant aux autres mécanismes n'expliquait la variance de la performance de la firme. L'existence d'interactions entre le marché managérial et les autres mécanismes de gouvernance n'est pas confirmée dans nos tests. 340 Synthèse Les tableaux 104a et 104b présentent une synthèse des résultats des tests des hypothèses portant sur les interactions entre le marché managérial et les autres mécanismes. Hypothèses disciplinaires H11 Objet Validation Rôle disciplinaire du conseil d'administration complémentaire à celui du marché managérial Non validée Commentaires Non confirmation de l'influence positive du pourcentage d'indépendants au conseil d'administration H12 Rôle disciplinaire du marché Non validée Pas d'influence de ce des prises de contrôle mécanisme ni sur le rôle complémentaire à celui du du marché managérial ni marché managérial sur la performance de la firme H13 Accentuation de l'intervention Non validée Pas d'influence de ce disciplinaire du marché mécanisme ni sur le rôle managérial en présence d'un du marché managérial ni actionnaire dominant sur la performance de la firme H14 Rôle disciplinaire des Non validée Pas d'influence de ce créanciers prêteurs mécanisme ni sur le rôle complémentaire à celui du du marché managérial ni marché managérial sur la performance de la firme H15 Rôle disciplinaire du marché Non validée Pas d'influence de ce des biens et services mécanisme ni sur le rôle complémentaire à celui du du marché managérial ni marché managérial sur la performance de la firme - Tableau 104a: résultats des tests sur les interactions entre les mécanismes - 341 Hypothèses cognitives H16 H17 H18 H19 Objet Validation Commentaires Rôle cognitif du conseil d'administration complémentaire à celui du marché managérial relativement à la construction de la vision stratégique de la firme Rôle cognitif du marché des prises de contrôle complémentaire à celui du marché managérial relativement à la construction de la vision stratégique de la firme Rôle cognitif du conseil d'administration complémentaire à celui du marché managérial en matière d'apport de compétences Non validée Pas d'influence sur le rôle du marché managérial mais effet négatif sur la performance du nombre de relations des administrateurs Pas d'influence de ce mécanisme ni sur le rôle du marché managérial ni sur la performance de la firme Rôle cognitif du marché des prises de contrôle complémentaire à celui du marché managérial en matière d'apport de compétences Non validée Non validée Non validée Pas d'influence sur le rôle du marché managérial mais effet négatif sur la performance du nombre de relations des administrateurs Pas d'influence de ce mécanisme ni sur le rôle du marché managérial ni sur la performance de la firme - Tableau 104b : résultats des tests sur les interactions entre les mécanismes Nos travaux apportent de nouvelles informations sur les interactions entre les mécanismes. Celles-ci n'avaient pas été testées en relation avec l'ensemble du rôle du marché managérial. Il ressort de nos tests que le marché des dirigeants a la même incidence sur la création de valeur quels que soient les autres mécanismes pris en compte. Nous avons constaté une absence d'effet sur la performance des créanciers prêteurs, du contrôle par les actionnaires, du marché des prises de contrôle et du marché des biens et services. Concernant le conseil d'administration, la part d'indépendants n'apparaît pas jouer de rôle significatif, par contre la multiplicité des relations des administrateurs a une influence négative sur la performance, mais faible. 342 Conclusion générale Partant du constat que certains mécanismes de gouvernance étaient plus étudiés que d'autres et que la théorie de la gouvernance restait encore à enrichir, nous nous sommes intéressés au marché du travail des dirigeants, pour essayer de mieux appréhender son rôle au sein du système de gouvernance et analyser sa contribution à la création de valeur. Les études étaient en effet partielles sur ce mécanisme. Portant principalement sur les leviers de la sanction et de la rémunération, elles n'envisageaient pas ses autres voies d'intervention et ne proposaient pas de vision synthétique de son rôle. Compte tenu de notre volonté de dresser un tableau le plus complet des possibilités du marché managérial, nous avons retenu comme cadre théorique la grille de lecture synthétique proposée par Charreaux (2002), qui nous a permis d'examiner ce mécanisme aussi bien sous la dimension disciplinaire que sous la dimension cognitive. Apports théoriques Segment supérieur du marché du travail, le marché managérial obéit à des règles particulières, en termes d'accession, de taux de rotation, de récompense. Il est lui-même organisé en sous-segments, qui peuvent être définis à partir de la distinction entre marché interne ou marché externe, ou encore relativement à des modes d'accès, comme les réseaux. Le marché interne du travail favorise la continuité de la stratégie de l'entreprise, réduit l'asymétrie d'information et valorise le capital humain lié à la firme, tandis que le marché externe apporte une vision neuve, souvent synonyme de rupture. Ces deux composantes du marché managérial sont liées entre elles, les passages d'un marché à l'autre sont possibles et le marché externe peut servir de référence au marché interne. Nous avons proposé une synthèse des modalités d'évaluation d'un dirigeant, fonction fondamentale du marché managérial. L'évaluation de son capital humain est effectuée à travers des critères comme l'âge, la formation, qui semble être particulièrement influente, notamment en France, l'expérience, le capital social, à savoir les relations que le dirigeant peut mobiliser dans son intérêt et dans celui de l'entreprise, et la transférabilité des compétences est analysée. Le dirigeant est aussi apprécié en fonction de ses performances dans ses postes précédents. Enfin l'adéquation du profil du candidat avec les besoins de l'entreprise est étudiée au moment de la sélection. En 343 France, les cabinets de recrutement, les réseaux et la promotion interne interviendraient chacun pour environ un tiers des renouvellements des dirigeants. La fonction fondamentale d'évaluation du marché managérial repose sur deux types d'efficience : une efficience informationnelle, qui traduit la capacité du marché à utiliser toute l'information disponible, et une efficience allocationnelle, s'il permet d'orienter vers les entreprises les candidats répondant le mieux à leurs besoins. Le dirigeant est soumis à cette évaluation tout au long de sa carrière, que l'intervention du marché managérial soit implicite ou explicite. Nous avons en effet apporté des arguments en faveur de l'existence d'une influence du marché managérial même dans des circonstances habituellement considérées comme des barrières fortes à son exercice. Le marché managérial, lorsqu'il ne joue pas de rôle explicite, est toujours là comme benchmark, ou comme source de mise en concurrence potentielle, que ce soit pour l'entreprise comme pour le dirigeant. Par exemple la succession d'un dirigeant par un héritier dans une firme familiale ne nous apparaît pas constituer une remise en cause de l'intervention du marché managérial. Implicitement, les actionnaires familiaux ont certainement été influencés dans leur décision par ce que le marché managérial proposait, que ce soit pour la nomination ou la définition de la rémunération du dirigeant. Quant à l'héritier, il a probablement accepté le poste après avoir vérifié que son intérêt était de rester dans l'entreprise et non pas de mener une carrière externe. De même le recrutement par l'intermédiaire de réseaux, souvent donné en exemple du mauvais fonctionnement du marché managérial, peut être considéré comme un mode particulier d'ajustement de l'offre et la demande. En réduisant l'asymétrie d'information, il contribue à une meilleure estimation des compétences. En organisant une compétition particulière entre les membres du réseau ou entre réseaux, il relève bien d'une évaluation relative basée sur la mise en concurrence. Si l'évaluation des dirigeants est à la base du rôle du marché managérial, d'autres voies d'intervention potentielles ont été identifiées. Il s'agit, sous la dimension disciplinaire, de la sanction des dirigeants inefficaces, de la récompense des dirigeants performants et de la réduction des coûts disciplinaires. Le levier de la sanction s'exerce de manière préventive et curative : d'une part, une mauvaise performance augmente le risque de révocation du dirigeant, l'incitant ainsi à agir dans l'intérêt des actionnaires, d'autre part, lorsque le dirigeant a fait l'objet d'un départ forcé, il subit des coûts personnels et la firme connaît une variation positive de la performance. La récompense, quant à elle, est considérée comme une meilleure 344 incitation que la menace de sanction pour les dirigeants performants. Des qualités supérieures permettraient au dirigeant d'être mieux rémunéré, mais augmenteraient également la performance de la firme. Enfin la réduction des coûts disciplinaires traduit la remise en question des contrats informels que l'ancien dirigeant avait pu mettre en place. Le recours à un externe notamment est en effet considéré comme le moyen de faire disparaître les contrats qui avaient pu être établis tacitement entre le dirigeant et les salariés ou toute autre partie prenante. Les coûts liés à l'enracinement sont également concernés, le marché managérial permettant leur réduction en favorisant le changement de dirigeant, le niveau de rentes qu'il s'attribuait étant devenu une source de convoitise des équipes concurrentes, ou encore en dissuadant le dirigeant de poursuivre une stratégie d'enracinement, pour ne pas porter préjudice à sa réputation. L'approche cognitive a permis d'attribuer au marché managérial deux autres voies d'intervention potentielles : la contribution à la vision stratégique de la firme, l'apport et le développement des compétences. L'influence du marché managérial sur les décisions stratégiques de la firme peut s'effectuer à travers plusieurs leviers. Tout d'abord elle s'appuie sur le lien entre les caractéristiques du dirigeant, qui ont été évaluées par le marché du travail, et ses choix stratégiques, relation qui a fait l'objet d'un vaste courant de travaux, convergeant vers la reconnaissance de son existence. Ensuite, elle suppose que le capital humain managérial représente une des sources de l'avantage concurrentiel de la firme. Enfin, le changement de dirigeant, encouragé par l'offre de candidats sur le marché managérial, est généralement suivi par des réorientations stratégiques, notamment lorsque le successeur est un externe. De plus, la confrontation des schémas cognitifs du nouveau dirigeant avec ceux des autres membres de l'équipe dirigeante peut être source d'innovation et d'une amélioration de la prise de décision. L'autre voie d'intervention cognitive, l'apport et le développement de compétences, traduit la capacité du marché managérial à échanger et faire acquérir des connaissances et des compétences. Il s'agit tout d'abord des compétences apportées par le dirigeant que le marché managérial a contribué à sélectionner, les capacités managériales étant supposées être génératrices de rentes. Ces compétences ont été évaluées par le marché du travail, pour leur valeur mais aussi leur adéquation aux besoins de l'entreprise. Ceux-ci évoluant, le marché managérial, en favorisant la rotation des dirigeants, offre à la firme la possibilité d'adapter ses compétences. Il contribue également à enrichir les capacités du dirigeant, en élargissant la base de ses connaissances, en multipliant ses expériences et en développant son adaptabilité au changement. Il influence aussi l'évolution des compétences 345 des autres parties prenantes de la firme, le nouveau dirigeant servant de référence et participant au développement de l'apprentissage organisationnel. Ces cinq voies d'intervention constituent, en plus de la fonction fondamentale d'évaluation, les différentes facettes du rôle du marché des dirigeants. Leur prise en compte globale apporte une vision synthétique du marché managérial, et constitue une base pour tester l'influence de ce mécanisme sur la création de valeur dans la firme. Cependant, pour enrichir notre modèle explicatif du rôle du marché managérial dans le système de gouvernance des entreprises, nous avons ajouté deux étapes. Nous nous sommes en effet intéressés aux facteurs de contingence susceptibles de modifier son rôle, puis, dans une vision systémique du dispositif, nous avons cherché à appréhender quelle influence les autres mécanismes de gouvernance pouvaient avoir sur le marché managérial, en termes de substitution ou de complémentarité. Les facteurs de contingence étudiés sont conformes à notre cadre théorique et appartiennent à deux familles : ceux liés à la firme et ceux dépendant du dirigeant. Les premiers sont constitués par la structure de propriété et le secteur d'activité. La structure de propriété influence le rôle des mécanismes disciplinaires, en conditionnant les besoins d'alignement des intérêts des dirigeants et des actionnaires. Elle est susceptible de modifier l'impact des trois voies d'intervention disciplinaires du marché managérial. La vision la plus fréquente est que la sanction serait plus utilisée dans les firmes contrôlées, puis dans les firmes managériales, les firmes familiales étant celles y ayant le moins recours. Sous la dimension cognitive, la contribution à la vision stratégique et l'apport de compétences du marché managérial varierait selon la structure de propriété. L'implication des actionnaires principaux étant plus forte et leur expertise relativement aux besoins de la firme étant plus développée, il est supposé que le rôle cognitif du marché des dirigeants soit renforcé dans les firmes familiales et contrôlées, limité dans les firmes managériales. Le secteur d'activité apparaît également pouvoir modifier l'ensemble des voies d'intervention du marché managérial. A l'intérieur d'un même secteur, l'asymétrie d'information serait réduite, favorisant les leviers de sanction et de récompense. La base de connaissances communes à un même secteur favoriserait la réduction des conflits cognitifs, permettrait une meilleure vision des opportunités stratégiques et la transférabilité d'une partie des compétences renforcerait l'apport du marché managérial. En ce qui concerne les déterminants liés au dirigeant, trois facteurs ont été identifiés : la stratégie de carrière externe, la proximité de la retraite et l'appui de réseaux. Les perspectives 346 de carrière, en réduisant les conflits d'intérêt entre les dirigeants et les actionnaires, en augmentant l'incitation à la performance, en influençant les décisions stratégiques du dirigeant, sont supposées venir renforcer le rôle disciplinaire et cognitif du marché managérial. La proximité de la retraite pourrait engendrer des effets plus contrastés, la vision la plus fréquente étant qu'elle réduirait le rôle disciplinaire du marché des dirigeants, la menace de sanction n'étant plus effective, mais pourrait accroître son rôle cognitif, le dirigeant ayant cumulé plus d'expériences et de connaissances. Le sens de l'influence des réseaux ne fait pas non plus l'objet d'un consensus. Généralement considérés comme des freins à l'intervention disciplinaire du marché managérial, les réseaux peuvent aussi apporter leur concours en réduisant l'asymétrie d'information, en renforçant la compétition ou encore en favorisant la sanction d'un des leurs pour ne pas ternir la réputation du groupe. Leur impact sur le rôle cognitif du marché des dirigeants apparaît lui plutôt positif, le capital social des dirigeants favorisant la mise en place de partenariats et l'établissement de nouvelles relations pour l'entreprise. L'imbrication des mécanismes a fait l'objet de la dernière partie de l'analyse. Elle peut engendrer des phénomènes de substitution ou de complémentarité. Cinq mécanismes ont été identifiés comme pouvant interférer avec le rôle disciplinaire du marché managérial : le conseil d'administration, le contrôle direct par les actionnaires, les créanciers prêteurs, le marché des prises de contrôle et le marché des biens et services. Deux mécanismes sont apparus avoir une influence potentielle sur son rôle cognitif : le conseil d'administration et le marché des prises de contrôle. L'interdépendance des mécanismes semble jouer dans le sens de la complémentarité sur les voies disciplinaires du marché managérial. L'efficience du marché des dirigeants relativement à la sanction comme à la récompense serait liée à celle du conseil d'administration sur ces leviers. Le marché des prises de contrôle favoriserait le remplacement des équipes moins performantes, contribuerait à récompenser les dirigeants compétents et remettrait en cause l'existence de contrats informels, en complémentarité du marché managérial. Les départs forcés seraient plus nombreux et le recours au marché managérial plus fréquent en présence d'un actionnaire principal. Les créanciers prêteurs renforceraient le contrôle et pourraient apporter des informations au marché managérial. Le marché des biens et services, en accroissant la compétition entre les firmes, réduirait le slack managérial, augmenterait le taux 347 de rotation des dirigeants, améliorerait l'évaluation de performance relative des dirigeants, facilitant ainsi leur sanction ou leur récompense. L'effet de l'imbrication des mécanismes sur le rôle cognitif du marché managérial relèverait moins systématiquement de la complémentarité. Le conseil d'administration, en participant à la stratégie de l'entreprise, peut être source de conflits cognitifs avec le dirigeant, ou au contraire contribuer à enrichir la vision de celui-ci. De plus l'implication dans la stratégie semble varier d'un conseil d'administration à un autre. L'apport de compétences des administrateurs semble par contre bien constituer une complémentarité avec le rôle du marché managérial, dans une vision d'accumulation de connaissances. Le marché des prises de contrôle est souvent associé à des changements stratégiques importants. La complémentarité ou la substitution avec le rôle joué par le marché des dirigeants dépend alors du caractère imposé des réorientations décidées le repreneur. Considéré comme vecteur d'acquisition de compétences, le marché des prises contrôle semble pouvoir intervenir en complémentarité avec le marché managérial en terme d'apport de compétences, mais pour les mêmes raisons que pour la vision stratégique, l'existence de conflits cognitifs peut aussi réduire les possibilités de développement des compétences. L'ensemble de ces cheminements théoriques ont permis d'aboutir à la finalisation du modèle explicatif du rôle du marché des dirigeants dans le système de gouvernance des entreprises, qui est présenté dans la figure 25. 348 FINALISATION DU MODELE Structure de propriété Intervention implicite Marché des dirigeants Intervention explicite Secteur activité Rôle comme mécanisme de gouvernance Réseaux relationnels Proximité de l‟âge de la retraite Stratégie carrière externe voies d‟intervention disciplinaires Création de la valeur dans la firme voies d‟intervention cognitives Rôle joué par les autres mécanismes - Figure 25 : modèle explicatif final - Les hypothèses découlant de ce modèle, tant sur les voies d'intervention du marché managérial que sur les facteurs de contingence et l'imbrication des mécanismes, ont été testées sur les sociétés françaises cotées ayant changé de dirigeant entre 1996 et 2004. Le cas français a retenu notre attention car il a fait l'objet de moins d'études empiriques que les pays anglosaxons, mais aussi car il a une image de forte spécificité, notamment du fait de l'existence de réseaux. Nous nous sommes concentrés sur le changement de dirigeant car il permettait de mieux isoler l'influence du dirigeant et constituait une période d'information importante, notamment sur le levier de la sanction. Les données recueillies ont servi à alimenter deux études. La première, descriptive, portant sur 1007 dirigeants ayant été en poste entre 1996 et 2005, a dressé un tableau du marché managérial français sur une période récente et du profil des dirigeants des sociétés cotées. La seconde a été le test du modèle, sur un échantillon de 165 dirigeants ayant été nommés entre 1996 et 2004. Nous avons choisi de mener une étude quantitative pour plusieurs raisons : faciliter le rapprochement avec des travaux antérieurs, limiter les biais de collecte et d'information (interroger des dirigeants posait en outre le 349 problème de la difficulté d'obtenir des entretiens) et permettre une généralisation au sens statistique des résultats. Apports empiriques et implications managériales L'étude descriptive a fait ressortir une image contrastée du marché managérial français. Avec un taux de rotation moyen sur la période de 6,9%, une durée moyenne des mandats de onze ans, il apparaît au premier abord faiblement actif. Mais les changements de dirigeants sont en augmentation, 10% d'entre eux ont été remplacés en 2005, et le levier de la sanction semble particulièrement utilisé en France, avec un taux de départs forcés de 18,6% en moyenne sur la période, culminant à 40% en 2005, ce qui représente un des taux les plus élevés des pays industrialisés. La moitié d'entre eux étaient dus à de mauvaises performances, 39% à des divergences stratégiques entre le dirigeant et le conseil d'administration ou les actionnaires, 11% à l'arrivée d'un nouvel actionnaire principal. 56% des départs forcés avaient été suivis du recrutement d'un dirigeant externe. Le marché managérial français permettrait en outre d'accéder plus rapidement au poste de dirigeant que le marché américain (après un peu moins de vingt ans de vie professionnelle, contre vingt-quatre ans aux États-Unis). Les dirigeants français ont été nommés en moyenne à 44 ans, deux ans plus jeunes que leurs homologues américains. Si les créateurs (34%) et les dirigeants d'origine interne (39%) sont les plus représentés, un dirigeant sur cinq a été recruté à l'extérieur. Le recours au marché externe apparaît plus important en France que dans les autres pays industrialisés et demeure orienté à la hausse. L'analyse du profil des dirigeants des sociétés cotées françaises entre 1996 et 2005 confirme la prise en compte des critères évoqués dans la vision théorique de la fonction d'évaluation du marché managérial. La formation est un critère fort : quatre dirigeants français sur cinq ont effectué au moins cinq années d'études supérieures, se situant ainsi sensiblement au même niveau que les américains. Les écoles d'ingénieur constituent la formation la plus demandée (22%, et même 33% en incluant L'École Polytechnique). Seulement 10% des dirigeants de notre échantillon sont issus des grands corps. La formation internationale, faiblement recherchée il y a dix ans, a contribué à la sélection d'un tiers des dirigeants en 2005. La diversité de l'expérience semble un critère demandé : les dirigeants ont occupé en moyenne 2,4 postes de direction avant d'être nommés, ont connu trois autres fonctions différentes, ont exercé à l'international pour 36% d'entre eux. Avoir occupé des fonctions dans 350 un ministère n'est pas un parcours obligé, moins d'un dirigeant sur cinq est passé par le service de l'État. L'expérience sectorielle semble un facteur de sélection, comme aux États-Unis : plus de la moitié des dirigeants français n'ont connu qu'un secteur d'activité (sur une distinction en six secteurs), seulement 12% n'avaient pas d'expérience du secteur avant d'être nommés. La prise en compte du capital humain spécifique à la firme est également importante en France, 67% des dirigeants nommés étaient déjà dans l'entreprise depuis plus d'un an, mais elle est moins systématique qu'aux États-Unis et surtout l'expérience inter-firmes est aussi recherchée conjointement : un dirigeant est recruté car il connaît la firme mais aussi parce qu'il a développé des compétences dans d'autres entreprises. Le profil des dirigeants varie avec la structure de propriété. Dans les firmes familiales, ils sont plus jeunes, ont un niveau d'études moins élevé, ont moins de formation et d'expérience internationales, ne sont que 11% à avoir été recrutés en externe, et accèdent plus rapidement au poste de dirigeant. Pour tester l'incidence du rôle du marché managérial sur la création de valeur, nous avons retenu comme mesure de performance la méthode utilisée par Fernandez et Villanueva (2005) pour calculer la valeur créée pour les actionnaires. C'est la variation moyenne sur deux ans de cette mesure avant et après le changement de dirigeant qui a été prise en compte. Si la qualité au niveau global de la relation étudiée entre la performance et les voies d'intervention du marché managérial est bonne, permettant de conclure sur le rôle joué par le marché des dirigeants, la faiblesse du coefficient de détermination nous a conduits à relativiser la place du dirigeant dans la firme et son influence sur la création de valeur. Si son impact sur la performance n'est pas remis en cause, il demeure modeste et ne confirme pas la vision de certains courants théoriques attribuant une place centrale au dirigeant. Le rôle du marché managérial apparaît bien avoir une influence significative sur la création de valeur dans la firme, à travers trois des voies d'intervention que nous avons identifiées, deux disciplinaires et une cognitive. Il contribue tout d'abord positivement à la performance à travers le levier de la sanction et son impact semble être de plus en plus significatif, si l'on compare nos résultats aux études antérieures du marché français (Dherment-Férère, 1996). Nos travaux confirment l'existence d'un lien entre le départ forcé d'un dirigeant et le retour à de meilleures performances, qui fait globalement l'objet d'un consensus aussi bien pour les pays anglo-saxons que pour la France. Le marché managérial intervient également à travers la réduction des coûts disciplinaires, la remise en cause de l'enracinement étant créatrice de 351 valeur. Des études antérieures pour la France (Paquerot, 1996, Pigé, 1998) avaient conclu à un effet négatif de l'enracinement du dirigeant sur la performance. Nous avons apporté un éclairage complémentaire en montrant que la suppression de l'enracinement engendrait de la création de valeur dans la firme. Sous la dimension cognitive, les réorientations stratégiques consécutives au remplacement d'un dirigeant d'origine interne par un candidat recruté à l'extérieur ont un impact positif sur la variation de performance de la firme. Nos résultats sont plus marqués que ceux de DhermentFérère (1998), ce qui laisserait supposer que la relation se soit renforcée entre les deux périodes étudiées, et permettent de conforter pour la France les conclusions obtenues pour les États-Unis (Shen et Cannella, 2002, Helfat et Bailey, 2005) ou au niveau mondial (Péladeau et al., 2005). Ce résultat est à rapprocher de l'effet positif de la sanction, car 56% des dirigeants ayant fait l'objet d'un départ forcé ont été remplacés par un candidat externe. Nos travaux ont également mis en évidence que la formation avait une incidence, à travers la variation de niveau de diplôme entre l'ancien et le nouveau dirigeant : lorsqu'il y a un écart, qu'il soit à la hausse ou à la baisse, l'effet sur la performance de la firme est négatif. Ce résultat accrédite l'idée selon laquelle le niveau de formation et la vision stratégique développée seraient liés. Il apporte un nouvel éclairage, les études précédentes s'étant concentrées sur le lien entre la formation et la performance, sans d'ailleurs dégager de consensus (absence d'influence pour le marché français, Pigé, 1993, supériorité des MBA, Bertrand et Schoar, 2003), alors que nous avons analysé l'impact du changement de formation entre deux dirigeants. L'incidence négative de celui-ci justifie le choix d'une entreprise de recruter un dirigeant issu de la même formation que son prédécesseur. Par contre elle remet en question la vision selon laquelle un niveau d'études plus élevé traduirait des capacités supérieures, car la variation ressort avec un impact négatif sur la performance qu'elle soit à la baisse comme à la hausse. Ni l'âge, ni l'écart de compétences génériques, sectorielles ou liées à la firme, n'apparaissent avoir d'incidence sur la création de valeur. Peu d'études empiriques ont été menées sur le lien entre les différents types de compétences et la performance de la firme. Datta et Rajagopalan (1998) avaient déjà mis en évidence que les compétences sectorielles du dirigeant n'expliquaient pas la performance de la firme. Nos résultats confirment l'absence de cette relation, ce qui conduit à s'interroger sur le bien-fondé des critères de sélection identifiés dans la partie descriptive. La non significativité des compétences spécifiques à la firme tendrait par 352 contre à souligner une meilleure efficience de la sélection en France, les dirigeants recrutés ayant moins d'ancienneté dans la firme que leurs homologues américains, et l'expérience inter-firmes étant également valorisée. L'introduction des déterminants dans les tests du modèle a mis en évidence l'incidence de la structure de propriété. Nos travaux ont déjà permis, dans un premier temps, de confirmer pour la France sur une période récente que les entreprises familiales étaient plus performantes, en cohérence avec les résultats de Sraer et Thesmar (2007), ou encore pour le marché américain de Anderson et Reeb (2003) et Villalonga et Amit (2006). Ils confortent ainsi la vision des firmes familiales, dont la force résiderait dans la recherche de pérennité, dans l'optique long terme des dirigeants, dans la loyauté du personnel… Relativement au rôle du marché managérial, son intervention disciplinaire est plus significative dans les firmes contrôlées que dans les firmes familiales, où la sanction n'est pas influente, conformément à nos hypothèses. Là encore nous retrouvons un résultat déjà constaté pour la France, mais sur une période plus ancienne (Pigé, 1993), et pour les pays anglo-saxons (Parrino, 1997, Denis et al., 1997, Schulze et al., 2001). Sous la dimension cognitive, c'est au contraire dans les firmes familiales que le rôle du marché managérial est plus prononcé. Alors qu'une seule des voies d'intervention est significative pour les firmes contrôlées, la variation d'origine, la variation du niveau de diplôme, la variation de la nature de la formation influencent toutes les trois la création de valeur dans les firmes familiales, la première positivement et les deux autres négativement. Nos résultats confortent pour la France les conclusions des études américaines (Anderson et Reeb, 2003, Villalonga et Amit, 2006) : les entreprises familiales progressent en performance lorsqu'elles décident de rompre avec la tradition et de recruter un dirigeant d'origine externe. Ils sont novateurs en ce qui concerne la formation. Nous avons mis en évidence que dans les firmes familiales, la performance était positivement liée à la proximité des profils en termes de formation du nouveau dirigeant et de son prédécesseur. Comme nous avons souligné dans la partie descriptive que les créateurs et les héritiers avaient souvent un niveau d'études plus faible que la moyenne des dirigeants, ceci tendrait à montrer que le choix d'un successeur d'origine externe, pour apporter les meilleurs résultats, ne devrait pas être fondé sur la recherche d'un niveau de formation plus élevé. Il est intéressant de souligner que la prise en compte de la dimension cognitive a permis de remettre en cause la vision habituelle selon laquelle le marché managérial n'interviendrait pas dans les firmes familiales. Dans les firmes contrôlées, ce sont les variations de compétences génériques qui influencent la performance, mais négativement, contrairement à ce qui était attendu. L'augmentation de ce 353 type de compétences a une incidence négative sur la création de valeur. Il ressortait pourtant comme un critère de sélection dans la partie descriptive. L'influence des autres déterminants sur le rôle du marché managérial n'a par contre pas été confirmée. Ni le secteur d'activité, ni la stratégie de carrière externe du dirigeant, ni la proximité de la retraite n'apparaissent modifier son intervention dans le système de gouvernance. Il en va de même pour les réseaux, aucun des trois réseaux étudiés : grandes écoles, ministères, grands corps, n'a d'impact significatif. Cette absence de relation constitue un résultat intéressant, car elle remet en cause l'idée très répandue selon laquelle les réseaux se substitueraient au marché managérial en France. Il n'y a pas d'écart de performance entre les firmes choisissant de recruter un membre de ces grands réseaux et les autres firmes. Le rôle du marché managérial relatif à la sanction est créateur de valeur que le successeur nommé vienne d'un réseau ou non, ce qui tendrait à montrer que le caractère incitatif est le même dans les deux cas. Les voies d'intervention du marché managérial ne sont pas modifiées par la présence de réseaux. Nos travaux viennent alimenter le débat sur cette question, les résultats des études françaises n'étant pas convergents (moindre performance des dirigeants issus des grands réseaux pour Kramarz et Thesmar, 2006, performance supérieure pour Yeo et al., 2003, pas de relation pour Carminatti-Marchand et Paquerot, 2003). Enfin nous avons étudié l'impact de l'imbrication des mécanismes. Nos tests n'ont pas permis de confirmer l'existence d'effets de complémentarité ou de substitution entre le rôle joué par le marché managérial et celui exercé par les autres mécanismes analysés : le conseil d'administration, le contrôle direct par les actionnaires, les créanciers prêteurs, le marché des prises de contrôle et le marché des biens et services. Aucune influence n'a été observée, ni sur les voies d'intervention disciplinaires, ni sur les voies cognitives. Nous n'avons pas trouvé par exemple de lien entre la sanction et le pourcentage d'indépendants au conseil d'administration ou encore le marché des prises de contrôle. Il faut souligner que cette relation ne fait pas l'objet d'un consensus, en France comme dans les pays anglo-saxons. Alors que l'influence du rôle du marché managérial sur la création de valeur a été confirmée dans nos tests, nous n'avons pas trouvé d'impact significatif sur la performance de l'intervention du contrôle direct par les actionnaires, des créanciers prêteurs, du marché des prises de contrôle et du marché des biens et services. En ce qui concerne le conseil d'administration, le pourcentage d'indépendants, objet de nombreuses études mais qui 354 n'aboutissent pas une vision commune, n'a pas d'influence sur la performance des firmes dans notre échantillon. Le nombre de firmes avec lesquelles les administrateurs sont en relation est par contre significatif, mais avec un impact négatif sur la création de valeur, contrairement à ce qui était attendu. Nos travaux confortent donc la vision disciplinaire plutôt que l'approche cognitive relativement au nombre de mandats : un cumul trop important de mandats ne permettrait pas aux administrateurs de se consacrer suffisamment à la surveillance et aux contrôle des dirigeants. Cependant l'influence de cette variable étant très faible, la question demeure de la possibilité d'effets contraires s'annihilant, et donc d'un impact positif éventuel de la multiplication des relations sous la dimension cognitive, car elle traduit un apport de connaissances et de réseaux plus important. Limites et ouvertures Un certain nombre d'idées n'ont pas été exploitées dans ce travail doctoral et constituent des points d'approfondissement susceptibles d'apporter des éclairages complémentaires sur le rôle du marché des dirigeants. En matière d'opérationnalisation, nous avions souhaité prendre en compte la rémunération des dirigeants pour la variable liée à la récompense. La difficulté de trouver l'information avant la loi NRE de 2001 ne nous a pas permis de le faire. Il serait intéressant de vérifier sur une période récente le caractère incitatif de cette voie d'intervention, que nous n'avons pu établir avec notre opérationnalisation simplifiée. De même, l'absence d'influence de la plupart des autres mécanismes sur le marché managérial et sur la performance est peut-être due à la prise en compte trop réduite de variables pour chacun d'eux. Nous n'avons en effet utilisé qu'une variable pour représenter le rôle disciplinaire d'un mécanisme et une pour son rôle cognitif. Compte tenu de la complexité de l'influence des différents mécanismes, la prise en compte d'autres éléments aurait peut-être permis d'établir un lien. Toujours relativement à la vision systémique, nous avions soulevé le problème de la dimension temporelle. Celle-ci n'a pas été étudiée dans nos travaux, or elle pourrait également constituer une piste pour déceler des relations. Nous avons choisi de mener une étude quantitative, pour les raisons qui ont été développées précédemment. Ces travaux de recherche pourraient être approfondis en effectuant une étude de cas, reposant à la fois sur la collecte de données publiques et l'interview des dirigeants de 355 la société concernée. Cette analyse complémentaire apporterait plusieurs éléments pour une meilleure interprétation du rôle du marché managérial. D'une part, elle permettrait de mieux comprendre comment s'effectuent les interventions que nous avons validées empiriquement, par exemple, relativement à la sanction, d'identifier quelles actions et décisions ont été choisies par le dirigeant sous l'influence du départ forcé de son prédécesseur et ont eu une incidence positive sur la création de valeur. D'autre part, elle contribuerait à trouver des explications à l'absence de significativité de certaines voies d'intervention, notamment de revenir sur le lien non confirmé entre les différents types de compétences et la performance, en permettant peut-être de mieux identifier l'impact de ces compétences sur la création de valeur. Nous avons développé dans la partie théorique des réflexions sur le caractère implicite ou explicite du rôle du marché des dirigeants. La mise en évidence de ces deux dimensions n'a été que partielle dans notre étude empirique. D'autres travaux statistiques pourraient permettre d'aller plus loin, en s'intéressant par exemple à la notion de viviers de concurrence. Concernant la généralisation de nos résultats, l'étude ayant porté sur les sociétés cotées, il pourrait être envisagé de mener une enquête, par questionnaire, pour savoir dans quelle mesure le modèle explicatif du rôle du marché managérial que nous avons proposé pourrait être appliqué aux dirigeants de petites et moyennes entreprises. Enfin des rapprochements pourraient être effectués avec des problématiques proches de la nôtre. Nos développements théoriques notamment pourraient contribuer à alimenter la réflexion sur un autre marché, celui des administrateurs, certainement proche du marché managérial sur de nombreux points, les deux populations étant imbriquées. Il serait intéressant de voir ce qui serait modifié dans notre modèle par l'étude des présidents de conseil d'administration, non directeurs généraux, et d'autres administrateurs. 356 Annexes Annexe 1 : définition de l'indépendance retenue pour les membres du conseil d'administration (extraite du document diffusé par le MEDEF et l'AFEP en octobre 2003). 357 BIBLIOGRAPHIE Adams R.B., Almeida H., Ferreira D. (2005), "Powerful CEOs and Their Impact on Corporate Performance", The Review of Financial Studies, vol. 18, n°4, p. 1403-1432 Agrawal A., Knoeber C.R. (1996), "Firm Performance and Mechanisms to Control Agency Problems between Managers and Shareholders", Journal of Financial and Quantitative Analysis, vol. 31, n°3, p. 377-397 Alchian A.A., Demsetz H. (1972), "Production, Information Costs, and Economic Organization", American Economic Review, vol. 62, n° 5, p. 777-795 Alexandre H., Paquerot M. 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(2005), p. 2 Tableau 19 : origine des dirigeants selon la structure de propriété Tableau 20 : nombre moyen de postes effectués avant de devenir dirigeant selon l'origine Tableau 21 : nombre moyen de postes effectués en fonction de la structure de propriété Tableau 22 : répartition des mandats terminés entre 1996 et 2005 par tranches de durée Tableau 23 : durée moyenne des mandats en fonction de l'origine Tableau 24 : taux de départs forcés et motifs de départ Tableau 25 : répartition par tranches d'âge des dirigeants à leur nomination Tableau 26 : âge à la nomination des dirigeants : répartition en fonction de l'origine Tableau 27 : âge à la nomination des dirigeants d'origine interne selon la structure de propriété Tableau 28 : tests de différence de moyenne sur l'âge à la nomination des dirigeants d'origine interne selon la structure de propriété Tableau 29 : niveau de formation des dirigeants à la tête des sociétés cotées françaises entre 1996 et 2005 Tableau 30 : niveau de formation des dirigeants selon leur origine Tableau 31 : niveau de formation des dirigeants selon la structure de propriété Tableau 32 : détail des formations supérieures des dirigeants Tableau 33 : dirigeants issus des grands Corps selon la structure de propriété Tableau 34 : formation internationale des dirigeants nommés entre 1996 et 2005 Tableau 35 : formation internationale des dirigeants selon la structure de propriété de la firme qu'ils dirigent Tableau 36 : formation internationale des dirigeants selon la taille de la firme qu'ils dirigent Tableau 37 : comparaison des parcours des grands corps et des autres dirigeants Tableau 38: comparaison des caractéristiques des sociétés dirigées 385 Tableau 39 : expérience professionnelle à l'international des dirigeants Tableau 40 : expérience internationale des dirigeants selon la structure de propriété Tableau 41 : expérience internationale des dirigeants selon la taille de la firme Tableau 42 : nombre de secteurs dans lesquels le dirigeant a exercé, selon l'origine Tableau 43 : principales caractéristiques des dirigeants de l'échantillon test Tableau 44 : caractéristiques principales des 165 firmes de l'échantillon Tableau 45 : répartition de la variable à expliquer Tableau 46 : données descriptives sur les variables disciplinaires Tableau 47: données descriptives sur les variables cognitives Tableau 48 : qualité de la régression intégrant les variables disciplinaires Tableau 49 : résultats de la régression intégrant les variables disciplinaires Tableau 50 : qualité de la régression intégrant les variables cognitives Tableau 51 : résultats de la régression intégrant les variables cognitives Tableau 52 : qualité de la régression testant l'ensemble du rôle du marché managérial Tableau 53 : résultats de la régression testant l'ensemble du rôle du marché managérial Tableau 54 : évolution de la significativité de la variable COUSTDISC Tableau 55 : synthèse des résultats des tests des hypothèses relatives à l'influence des voies d'intervention du marché managérial sur la performance de la firme Tableau 56 : rapprochement des résultats avec d'autres études empiriques Tableau 57 : qualité de la régression testant l'influence de la structure de propriété Tableau 58 : résultats de la régression testant l'impact de la structure de propriété dans la relation étudiée Tableau 59 : qualité de la régression testant séparément l'influence des différentes structures de propriété Tableau 60 : résultats de la régression en fonction de la structure de propriété Tableau 61 : répartition de l'échantillon selon le secteur d'activité Tableau 62 : qualité de la régression testant l'influence du secteur d'activité Tableau 63 : résultats de la régression testant l'impact du secteur d'activité sur la relation étudiée Tableau 64 : qualité de la régression testant l'influence de la stratégie de carrière externe du nouveau dirigeant Tableau 65 : résultats de la régression testant l'impact de la stratégie de carrière externe du nouveau dirigeant dans la relation étudiée Tableau 66 : qualité de la régression testant l'influence de la proximité de la retraite du nouveau dirigeant Tableau 67 : résultats de la régression testant l'impact de la proximité de la retraite du nouveau dirigeant dans la relation étudiée Tableau 68 : qualité de la régression testant l'influence des réseaux ministériels du nouveau dirigeant Tableau 69 : résultats de la régression testant l'impact des réseaux ministères dans la relation étudiée Tableau 70 : qualité de la régression testant l'influence des réseaux ministériels du nouveau dirigeant Tableau 71 : résultats de la régression testant l'impact des réseaux des plus grandes écoles dans la relation étudiée Tableau 72 : qualité de la régression testant l'influence des réseaux grands corps du nouveau dirigeant dans la relation étudiée Tableau 73 : résultats de la régression testant l'impact des réseaux grands corps dans la relation étudiée Tableau 74 : synthèse des résultats relatifs à l'introduction des déterminants 386 Tableau 75 : données descriptives sur les conseils d'administration de l'échantillon Tableau 76 : qualité de la régression testant l'influence du rôle du conseil d'administration sur la performance Tableau 77 : résultats de la régression testant l'impact du rôle du conseil d'administration sur la performance de la firme Tableau 78 : qualité de la régression testant l'influence simultanée des deux mécanismes sur la performance Tableau 79 : résultats de la régression testant simultanément l'impact du marché managérial et du conseil d'administration sur la performance de la firme Tableau 80 : moyennes des sous-groupes sur les variables et variance des variables Tableau 81 : vérification de l'existence de différences de moyenne relativement à la sanction Tableau 82 : moyennes des sous-groupes sur les variables et variance des variables Tableau 83 : vérification de l'existence de différences de moyenne relativement à VARDIPLOME Tableau 84: données descriptives sur le contrôle par les actionnaires Tableau 85 : qualité de la régression testant l'influence du contrôle par les actionnaires sur la performance Tableau 86 : résultats de la régression testant l'impact du contrôle direct par les actionnaires sur la performance de la firme Tableau 87 : qualité de la régression testant l'influence simultanée des deux mécanismes sur la performance Tableau 88 : résultats de la régression testant simultanément l'impact du marché managérial et du contrôle par les actionnaires sur la performance de la firme Tableau 89 : données descriptives sur la variable CREANCIERS Tableau 90 : qualité de la régression testant l'influence des créanciers prêteurs sur la performance Tableau 91 : résultats de la régression testant l'impact des créanciers prêteurs sur la performance de la firme Tableau 92 : qualité de la régression testant l'influence simultanée des deux mécanismes sur la performance Tableau 93 : résultats de la régression testant simultanément l'impact du marché managérial et des créanciers prêteurs sur la performance de la firme Tableau 94: données descriptives sur le marché des prises de contrôle Tableau 95 : qualité de la régression testant l'influence du rôle du marché des prises de contrôle sur la performance Tableau 96 : impact du rôle du marché des prises de contrôle sur la performance de la firme Tableau 97 : qualité de la régression testant l'influence simultanée des deux mécanismes sur la performance Tableau 98 : résultats de la régression testant simultanément l'impact du marché managérial et du marché des prises de contrôle sur la performance de la firme Tableau 99 : données descriptives sur le marché des biens et services Tableau 100 : qualité de la régression testant l'influence du marché des biens et services sur la performance Tableau 101 : résultats de la régression testant l'impact du marché des biens et services sur la performance de la firme Tableau 102 : qualité de la régression testant l'influence simultanée des deux mécanismes sur la performance Tableau 103 : résultats de la régression testant simultanément l'impact du marché managérial et du marché des biens et services sur la performance de la firme Tableau 104 : résultats des tests sur les interactions entre les mécanismes 387 Index des figures Figure 1 : composition des conseils d'administration des sociétés du CAC40 Figure 2 : taux de renouvellement des dirigeants par secteur d'activité Figure 3 : taux de départ des dirigeants par pays, en fonction de la raison du départ Figure 4 : synthèse des voies d‟intervention du marché managérial, mécanisme de gouvernance des entreprises Figure 5 : conceptualisation du rôle du marché managérial Figure 6 : introduction des facteurs de contingence dans le modèle explicatif Figure 7 : prise en compte des interactions avec les autres mécanismes dans le modèle explicatif Figure 8 : modèle explicatif final Figure 9 : Modélisation du rôle du marché managérial Figure 10 : introduction des facteurs de contingence dans le modèle Figure 11 : prise en compte des interactions avec les autres mécanismes Figure 12 : répartition par tranche de chiffre d'affaires des sociétés de l'échantillon Figure 13 : répartition par tranche d'effectif des sociétés de l'échantillon Figure 14 : taux de rotation annuel des dirigeants français sur la période 1996 à 2005 Figure 15 : origine des dirigeants français sur la période 1996 à 2005 Figure 16 : évolution de l'origine des dirigeants français sur la période 1996 à 2005 Figure 17 : part d'externes dans l'étude mondiale de Péladeau et al. (2005, p. 6) Figure 18 : modalités d'accession à un poste de dirigeant – Étude aux États-Unis de Cappelli et Hamori (2005, p. 28) Figure 19 : représentation graphique du taux de départs forcés et des motifs de départ Figure 20 : motifs de départ des dirigeants au niveau mondial, Péladeau et al. (2005, p.2) Figure 21 : Nombre de secteurs dans lesquels les dirigeants ont exercé Figure 22 : Nombre de groupes fréquentés par les dirigeants au cours de leur carrière Figure 23 : ancienneté dans le groupe des dirigeants ayant une expérience de la firme Figure 24 : ancienneté dans le groupe des dirigeants ayant une expérience de la firme selon la structure de propriété Figure 25 : modèle explicatif final Index des annexes Annexe 1 : définition de l'indépendance retenue pour les membres du conseil d'administration. 388