le marché des dirigeants, mécanisme particulier de gouvernance des

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le marché des dirigeants, mécanisme particulier de gouvernance des
UNIVERSITE DE BOURGOGNE
FACULTE DE SCIENCES ECONOMIQUES ET DE GESTION
INSTITUT D'ADMINISTRATION DES ENTREPRISES
Contribution à la théorie de la gouvernance :
le marché des dirigeants, mécanisme
particulier de gouvernance des entreprises
Thèse présentée en vue de l'obtention du
Doctorat ès Sciences de Gestion
Par Isabelle Meutelet Allemand
13 juin 2008
Membres du Jury :
Directeur de Thèse :
Rapporteurs :
Monsieur Gérard Charreaux
Professeur, Université de Bourgogne
Madame Martine Girod-Séville
Professeur, Université de Lyon 2
Monsieur Michel Albouy
Professeur, Université de Grenoble 2
Suffragants :
Monsieur Pierre-Yves Gomez
Professeur, E.M. Lyon
Monsieur Alain Schatt
Professeur, Université de Strasbourg 3
0
Résumé de la thèse
La littérature aujourd'hui n'offre pas de vision globale du rôle du marché des dirigeants et sa
contribution à la création de valeur n'a pas été testée. C'est pourquoi nous avons cherché à
mieux appréhender ce mécanisme de gouvernance, en nous fondant sur la grille théorique
synthétique proposée par Charreaux (2002). Outre la fonction fondamentale d'évaluation des
dirigeants, cinq voies d'intervention ont été identifiées : trois disciplinaires, la sanction des
dirigeants inefficaces, la récompense des dirigeants compétents et la réduction des coûts
disciplinaires, deux cognitives : la contribution à la vision stratégique de la firme, l'apport et
le développement des compétences. Notre modèle explicatif du rôle du marché managérial
inclut des facteurs de contingence, liés à la firme (structure de propriété, secteur d'activité) ou
au dirigeant (stratégie de carrière externe, proximité de la retraite, appui de réseaux). Il prend
également en compte, dans une vision systémique du dispositif, les effets de substitution ou
de complémentarité avec cinq mécanismes : le conseil d'administration, le contrôle direct par
les actionnaires, les créanciers prêteurs, le marché des prises de contrôle et le marché des
biens et services.
L'étude empirique a été menée sur les dirigeants des sociétés cotées françaises. La partie
descriptive dresse un tableau du marché managérial et du profil des dirigeants en fonction
entre 1996 et 2005 en France. Les tests du modèle explicatif ont confirmé que ce mécanisme
contribuait à la création de valeur dans la firme, à travers trois des voies d'intervention
identifiées. Parmi les facteurs de contingence, seule la structure de propriété s'est révélée
significative. L'existence de phénomènes d'interdépendance avec le marché managérial n'a pas
été validée.
Mots clés : gouvernance des entreprises, mécanisme, marché managérial, disciplinaire,
cognitif, création de valeur, vision systémique.
1
Abstract
Research today does not provide us with an overall vision of the managerial market role and
its contribution to the creation of value has not been tested. This is why we sought to get a
better understanding of this governance mechanism, using the synthetic theoretical grid
proposed by Charreaux (2002). In addition to the fundamental function of assessing managers,
five ways to intervene were identified : three disciplinary ways, the sanctioning of inefficient
managers, the rewarding of competent managers and the reducing of disciplinary costs ; two
cognitive ways : contributing to the strategic vision of the firm, bringing and developing skills.
Our explanatory model of the role of the managerial market includes contingency factors,
linked to the firm (ownership structure, industry sector) or to the manager (career concerns,
proximity of the retirement, support of networks). The model takes also into account, in a
systemic approach, the substitution or complementary effects of five mechanisms : the board
of directors, the large shareholders, the creditors, the market for corporate control and the
products market competition.
An empirical study of the CEOs of French listed companies was carried out. The descriptive
part draws a picture of the managerial market and profile of the managers between 1996 and
2005 in France. The tests of the explanatory model confirmed that this mechanism contributed
to the value creation in the firm, through three of the identified ways to intervene. Among the
factors of contingency, only ownership structure appeared significant. Taking into account
the other governance mechanisms did not result in the validation of the existence of
phenomena of interdependence.
Key words : corporate governance, governance mechanism, managerial market,
disciplinary, cognitive, value creation, systemic approach.
2
L'Université
n'entend
donner
aucune
approbation
ni
improbation aux opinions émises dans les thèses : ces opinions
doivent être considérées comme propres à leurs auteurs.
3
Remerciements
Mes remerciements s'adressent, en premier lieu, au Professeur Gérard Charreaux, qui m'a
guidée tout au long de mes travaux de thèse et m'a enseigné les valeurs essentielles de la
recherche : la rigueur, la précision, le travail, l'honnêteté et l'humilité. Sa disponibilité et son
encadrement ont été des atouts essentiels pour l'avancement de ma réflexion.
Je souhaite également exprimer ma gratitude au Professeur Martine Girod-Séville et au
Professeur Michel Albouy, qui ont accepté d'évaluer ce travail, ainsi qu'au Professeur PierreYves Gomez et au Professeur Alain Schatt, membres du jury.
Mes remerciements iront aussi :
- aux membres du Fargo pour leurs conseils lors des séminaires, notamment aux
enseignants qui, chaque lundi, consacrent de leur temps à l'encadrement des étudiants, et plus
particulièrement aux Professeurs qui m'on suivie depuis le D.E.A.,
- à Enrico Prinz, avec qui nous avons beaucoup échangé tout au long de nos études
doctorales,
- aux organisateurs et encadrants du CDEG (Centre Doctoral Européen de Gestion) et du
SIFF (Séminaire International Francophone de Finance),
- à l'ESC Dijon-Bourgogne, qui m'a fait confiance en me recrutant en 2004.
Je terminerai en exprimant toute ma reconnaissance à ma famille, mon mari et mon fils, qui
m'ont soutenue tout au long de ce travail et dont la patience et les encouragements m'ont
beaucoup apporté.
4
A Philippe et Florian,
A mes parents et beaux-parents,
5
Table des matières
Introduction générale .......................................................................................................... 12
PREMIERE PARTIE : LE ROLE DU MARCHE DES DIRIGEANTS DANS LE
SYSTEME DE GOUVERNANCE DES ENTREPRISES : UNE REVUE DE LA
LITTERATURE
Introduction ......................................................................................................................... 19
CHAPITRE I : DEFINITIONS ET FONDEMENTS THEORIQUES .......................... 20
1.1. Les dirigeants ............................................................................................................ 20
1.1.1. Les principales pratiques de gouvernance .......................................................... 21
1.1.1.1. La situation aux Etats-Unis ...................................................................... 22
1.1.1.2. La situation au Royaume Uni ................................................................... 23
1.1.1.3. La situation en Allemagne ........................................................................ 23
1.1.1.4. La situation en France ............................................................................. 24
1.1.1.5. Synthèse .................................................................................................... 27
1.1.2. Le rôle des dirigeants ......................................................................................... 28
1.1.2.1. Les stratégies personnelles du dirigeant .................................................. 29
1.1.2.2. Les fonctions et spécificités des dirigeants .............................................. 30
1.2. Le marché des dirigeants ......................................................................................... 32
1.2.1. Des théories de la segmentation à la définition du marché managérial ............. 32
1.2.2. Marchés internes et marchés externes du travail ................................................ 35
1.2.3. Quelques statistiques illustrant le marché managérial ....................................... 38
1.2.4. Synthèse ............................................................................................................. 40
1.3. Choix du cadre théorique ........................................................................................ 41
1.3.1. La gouvernance disciplinaire ............................................................................. 41
1.3.2. La gouvernance cognitive .................................................................................. 43
1.3.3. L‟intérêt d'une vision synthétique ...................................................................... 43
1.3.4. Les mécanismes de gouvernance ....................................................................... 44
Conclusion du chapitre I..................................................................................................... 45
CHAPITRE II : L’EVALUATION DES DIRIGEANTS, FONCTION
FONDAMENTALE DU MARCHE MANAGERIAL ..................................................... 48
2.1. Comment un dirigeant est-il évalué ? ..................................................................... 49
2.1.1. L'évaluation du capital humain des dirigeants ................................................... 49
2.1.1.1. L'âge .......................................................................................................... 50
2.1.1.2. La formation .............................................................................................. 50
2.1.1.3. L'expérience professionnelle ..................................................................... 53
2.1.1.4. Les qualités personnelles .......................................................................... 54
2.1.1.5. Le capital social ........................................................................................ 55
2.1.1.6. La transférabilité des talents managériaux ............................................... 56
2.1.1.7. Les signaux de marché .............................................................................. 58
2.1.1.8. Un développement des systèmes d’évaluation .......................................... 59
2.1.2. L'évaluation du dirigeant en fonction de la performance .................................. 59
2.1.3. En fonction de la cible ....................................................................................... 60
2.1.4. Évolution au cours des dernières années ........................................................... 62
6
2.2. Par qui les dirigeants sont-ils évalués ? .................................................................. 65
2.2.1. L'intervention d'intermédiaires ........................................................................... 65
2.2.2. Les réseaux ......................................................................................................... 67
2.2.3. Les autres modes d'accès au marché des dirigeants ........................................... 69
2.2.4. La décision finale appartient au conseil d‟administration .................................. 70
2.3. A quels moments s’effectue l’évaluation des dirigeants par le marché
managérial ? ..................................................................................................................... 71
2.3.1. La détection des talents ...................................................................................... 71
2.3.2. La progression des talents et l‟accession à un poste de dirigeant ...................... 73
2.4. Quels sont les coûts liés à l’évaluation des dirigeants ? ........................................ 74
Conclusion du chapitre II ................................................................................................... 75
CHAPITRE III : LE ROLE DISCIPLINAIRE DU MARCHE MANAGERIAL ........ 78
3.1. La sanction des dirigeants inefficaces .................................................................... 78
3.1.1. Le rôle disciplinaire de la sanction ..................................................................... 78
3.1.2. Une mauvaise performance ex ante entraîne le départ du dirigeant................... 79
3.1.3. Le départ du dirigeant évincé engendre une hausse de la performance ex post . 85
3.1.4. L‟importance du rôle disciplinaire de la sanction est parfois mise en doute .... 86
3.1.5. Le dirigeant subit des coûts personnels élevés en cas de sanction ..................... 86
3.1.6. Synthèse critique des études évoquées ............................................................... 87
3.2. La récompense des dirigeants compétents ............................................................. 89
3.3. Analyse de l'influence du marché managérial sur les rémunérations ................. 90
3.3.1. La rémunération à la base du modèle de Fama (1980) ...................................... 91
3.3.2. Le marché managérial exerce des pressions sur le niveau des rémunérations ... 92
3.3.3. Lien entre compétences, efforts réalisés et rémunération .................................. 93
3.4. La réduction d’autres coûts disciplinaires ............................................................. 95
3.4.1. Coût des contrats informels ................................................................................ 96
3.4.2. Élimination ex post des manœuvres d‟enracinement ......................................... 97
3.4.3. Élimination ex ante des manœuvres d‟enracinement ......................................... 98
3.4.4. Réduction ou élimination des coûts d‟erreur de décision .................................. 98
Conclusion du chapitre III ................................................................................................. 99
CHAPITRE IV : LE ROLE COGNITIF DU MARCHE DES DIRIGEANTS ............. 101
4.1. Aide à la construction de la vision stratégique de la firme ................................... 101
4.1.1. L‟influence des caractéristiques du dirigeant sur les choix stratégiques............ 102
4.1.2. Le capital humain managérial, une des sources de l‟avantage concurrentiel ..... 104
4.1.3. Les réorientations stratégiques, conséquences du changement de dirigeant ...... 104
4.1.4. La confrontation de différents schémas cognitifs, source d‟innovation
et d‟amélioration de la prise de décision ..................................................................... 106
4.1.5. Les conflits cognitifs, frein à la prise de décision .............................................. 109
4.2. L'apport et le développement de compétences ...................................................... 110
4.2.1. Retour sur la définition de la notion de compétences ........................................ 110
4.2.2. Apport des compétences propres au dirigeant, génératrices de rentes ............... 111
4.2.3. Contribution à l‟évolution des compétences du dirigeant ................................. 113
4.2.4. Orientation et développement des compétences des autres parties prenantes... 114
Conclusion du chapitre IV .................................................................................................. 115
Synthèse des voies d’intervention du marché managérial, mécanisme de
7
gouvernance des entreprises ........................................................................................... 117
DEUXIEME PARTIE : VERS UNE MODELISATION DU ROLE DU MARCHE
DES DIRIGEANTS
Introduction ......................................................................................................................... 120
CHAPITRE V : CARACTERE EXPLICITE OU IMPLICITE DU
ROLE DU MARCHE MANAGERIAL ............................................................................ 122
5.1. Intervention explicite et intervention implicite du marché des dirigeants .......... 122
5.2. Les facteurs modifiant l'intervention du marché des dirigeants.......................... 125
5.2.1. Le degré d'enracinement du dirigeant .............................................................. 125
5.2.1.1. Rappels théoriques .................................................................................... 125
5.2.1.2. Influence de ce déterminant sur l'intervention du marché managérial.... 126
5.2.2. Une structure familiale de propriété ................................................................... 127
5.2.2.1. Définition et fondements théoriques .......................................................... 127
5.2.2.2. Influence de ce facteur sur l'intervention du marché managérial............. 128
5.2.3. Les réseaux sociaux ............................................................................................ 130
5.2.3.1. Retour sur la notion de réseaux ................................................................ 130
5.2.3.2. Influence de ce déterminant sur la fonction d'évaluation du
marché managérial ................................................................................................ 131
Synthèse ................................................................................................................................ 133
CHAPITRE VI : LES DETERMINANTS D’EFFICACITE .......................................... 134
6.1. Les déterminants liés à l’entreprise ........................................................................ 134
6.1.1. La structure de propriété .................................................................................... 134
6.1.1.1. Une situation différente selon les pays ..................................................... 136
6.1.1.2. Influence de ce déterminant sur les voies d’intervention
disciplinaires du marché managérial ..................................................................... 137
6.1.1.3. Influence de ce déterminant sur les voies d’intervention
cognitives du marché managérial .......................................................................... 140
6.1.2. Le secteur d‟activité ........................................................................................... 141
6.1.2.1. Influence de ce déterminant sur les voies d'intervention
disciplinaires du marché managérial .................................................................... 144
6.1.2.2. Influence de ce déterminant sur les voies d'intervention
cognitives du marché managérial ........................................................................ 145
6.2. Les déterminants liés au dirigeant ......................................................................... 146
6.2.1. La stratégie de carrière externe .......................................................................... 146
6.2.1.1. Influence de ce déterminant sur les voies d’intervention
disciplinaires du marché managérial ..................................................................... 148
6.2.1.2. Influence de ce déterminant sur les voies d’intervention
cognitives du marché managérial .......................................................................... 149
6.2.2. La proximité de l'âge de la retraite ..................................................................... 150
6.2.2.1. Influence de ce déterminant sur les voies d’intervention
disciplinaires du marché managérial ..................................................................... 150
6.2.2.2. Influence de ce déterminant sur les voies d’intervention
cognitives du marché .............................................................................................. 153
6.2.3. Les réseaux ou liens relationnels ........................................................................ 156
8
6.2.3.1. Influence de ce déterminant sur les voies d’intervention
disciplinaires du marché managérial ..................................................................... 156
6.2.3.2. Influence de ce déterminant sur les voies d’intervention
cognitives du marché managérial .......................................................................... 158
Conclusion et synthèse ........................................................................................................ 159
CHAPITRE VII : IMBRICATION DU MARCHE MANAGERIAL
AVEC D'AUTRES MECANISMES DE GOUVERNANCE .......................................... 163
7.1. Interdépendance avec la fonction d'évaluation du marché des dirigeants ......... 166
7.1.1. Le conseil d'administration................................................................................. 166
7.1.2. Le marché financier ............................................................................................ 167
7.1.3. Le marché des prises de contrôle ....................................................................... 168
7.2. Interactions des mécanismes relativement à la sanction....................................... 168
7.2.1. Le conseil d'administration................................................................................. 169
7.2.2. Le marché des prises de contrôle ....................................................................... 171
7.2.3. La présence d'un actionnaire dominant .............................................................. 173
7.2.4. Les créanciers prêteurs ....................................................................................... 174
7.2.5. Le marché des biens et services ......................................................................... 175
7.3. Interdépendance des mécanismes sur la récompense des dirigeants
performants ...................................................................................................................... 177
7.3.1. Avec le conseil d'administration ........................................................................ 177
7.3.2. La présence d'un actionnaire dominant .............................................................. 178
7.3.3. Le marché des prises de contrôle ....................................................................... 180
7.4. Interdépendance et réduction des coûts disciplinaires.......................................... 181
7.5. Interdépendance et aide à la vision stratégique de la firme ................................. 182
7.5.1. Le rôle joué par le conseil d'administration ....................................................... 183
7.5.2. Le rôle du marché des prises de contrôle ........................................................... 186
7.6. Interdépendance, apport et développement des compétences .............................. 187
7.6.1. Le rôle joué par le conseil d'administration ....................................................... 187
7.6.2. Le rôle du marché des prises de contrôle ........................................................... 189
Conclusion du chapitre VII ................................................................................................ 191
TROISIEME PARTIE : ETUDE EMPIRIQUE DU MARCHE FRANÇAIS DES
DIRIGEANTS
Introduction ......................................................................................................................... 196
CHAPITRE VIII : MODELE GENERAL, HYPOTHESES ET METHODOLOGIE 198
8.1. Le modèle général et les hypothèses en découlant ................................................. 198
8.2. Méthodologie ............................................................................................................. 203
8.2.1. Choix du positionnement méthodologique ........................................................ 203
8.2.2. Investigations empiriques ................................................................................... 204
8.3. Présentation de l'échantillon ................................................................................... 205
CHAPITRE IX : DESCRIPTION ET OPERATIONNALISATION
DES VARIABLES ............................................................................................................... 210
9.1. La variable expliquée ............................................................................................... 210
9
9.2. Les variables explicatives relatives au rôle du marché des dirigeants ................ 215
9.2.1. La sanction ......................................................................................................... 215
9.2.2. La récompense .................................................................................................... 216
9.2.3. La réduction des coûts disciplinaires ................................................................. 218
9.2.4. L'aide à la construction de la vision stratégique ................................................. 219
9.2.5. L'apport et le développement de compétences ................................................... 221
9.3. Les variables de contrôle.......................................................................................... 223
9.4. Les déterminants ou variables de contingence ...................................................... 225
9.4.1. La structure de propriété .................................................................................... 225
9.4.2. Le secteur d'activité ............................................................................................ 225
9.4.3. La stratégie de carrière externe .......................................................................... 226
9.4.4. La proximité de la retraite .................................................................................. 226
9.4.5. Les réseaux ......................................................................................................... 226
9.5. Les autres mécanismes de gouvernance ................................................................. 227
9.5.1. Le conseil d'administration................................................................................. 227
9.5.2. Le contrôle direct des actionnaires ..................................................................... 229
9.5.3. Les créanciers prêteurs ....................................................................................... 229
9.5.4. Le marché des prises de contrôle ....................................................................... 229
9.5.5. Le marché des biens et services ......................................................................... 230
CHAPITRE X : LES CARACTERISTIQUES DU MARCHE
MANAGERIAL FRANÇAIS ............................................................................................. 232
10.1. Caractéristiques du marché managérial français entre 1996 et 2005 ............... 236
10.1.1. Taux de rotation des dirigeants ........................................................................ 236
10.1.2. Origine des dirigeants....................................................................................... 237
10.1.3. Rapidité d'accession au poste de dirigeant ....................................................... 240
10.1.4. Longévité des dirigeants ................................................................................... 242
10.1.5. Taux de départs forcés ...................................................................................... 243
10.2. Le profil des dirigeants des sociétés cotées françaises entre 1996 et 2005 ......... 246
10.2.1. L'âge des dirigeants .......................................................................................... 246
10.2.2. La formation ..................................................................................................... 248
10.2.3. L'expérience ..................................................................................................... 253
Synthèse ................................................................................................................................ 261
CHAPITRE XI : LE ROLE DU MARCHE DES DIRIGEANTS DANS LE
SYSTEME DE GOUVERNANCE DES ENTREPRISES ............................................... 265
11.1. Description de l'échantillon ................................................................................... 265
11.2. Respect des hypothèses de base de la régression ................................................. 270
11.2.1. Problèmes éventuels de multicolinéarité .......................................................... 270
11.2.2. Examen des résidus .......................................................................................... 271
11.3. Résultats .................................................................................................................. 273
11.3.1. Le rôle disciplinaire du marché managérial ..................................................... 273
11.3.2. Le rôle cognitif du marché managérial............................................................. 276
11.3.3. Le rôle disciplinaire et cognitif du marché managérial .................................... 281
Conclusion ............................................................................................................................ 284
CHAPITRE XII : LES DETERMINANTS MODERATEURS DU
ROLE DU MARCHE DES DIRIGEANTS DANS LE SGE ........................................... 288
10
12.1. Les déterminants liés à la firme ............................................................................ 288
12.1.1. La structure de propriété .................................................................................. 288
12.1.2. Le secteur d'activité .......................................................................................... 296
12.2. Les déterminants liés au dirigeant ........................................................................ 298
12.2.1. La stratégie de carrière externe ........................................................................ 298
12.2.2. La proximité de la retraite ................................................................................ 300
12.2.3. L'influence des réseaux .................................................................................... 302
Synthèse ................................................................................................................................ 308
CHAPITRE XIII : INTERACTION DES AUTRES MECANISMES SUR
LE ROLE DU MARCHE DES DIRIGEANTS DANS LE SGE ..................................... 310
13.1. Influence du conseil d'administration sur le rôle joué par le marché
Managérial ....................................................................................................................... 310
13.1.1. Influence du conseil d'administration sur la performance de la firme ............. 312
13.1.2. Influence simultanée du conseil d'administration et du marché
managérial sur la performance de la firme ................................................................... 315
13.1.3. Influence du conseil d'administration sur le marché managérial ..................... 317
13.2. Influence du contrôle direct par les actionnaires sur le rôle joué par
le marché managérial ...................................................................................................... 320
13.2.1. Influence du contrôle direct par les actionnaires sur la performance de
la firme ......................................................................................................................... 321
13.2.2. Influence simultanée du contrôle par les actionnaires et du marché
managérial sur la performance de la firme ................................................................... 322
13.3. Influence des créanciers prêteurs sur le rôle joué par le marché managérial .. 324
13.3.1. Influence des créanciers prêteurs sur la performance de la firme .................... 325
13.3.2. Influence simultanée des créanciers prêteurs et du marché managérial
sur la performance de la firme ...................................................................................... 327
13.4. Influence du marché des prises de contrôle sur le rôle joué par le
marché managérial .......................................................................................................... 329
13.4.1. Influence du marché des prises de contrôle sur la performance de la firme .... 330
13.4.2. Influence simultanée du marché des prises de contrôle et du marché
managérial sur la performance de la firme ................................................................... 333
13.5. Influence du marché des biens et services sur le rôle joué par le
marché managérial .......................................................................................................... 336
13.5.1. Influence du marché des biens et services sur la performance de la firme ...... 337
13.5.2. Influence simultanée du marché des biens et services et du marché
managérial sur la performance de la firme ................................................................... 338
Synthèse ................................................................................................................................ 341
Conclusion générale ............................................................................................................ 343
Annexes ................................................................................................................................ 357
Bibliographie........................................................................................................................ 358
Index des tableaux ............................................................................................................... 386
Index des figures .................................................................................................................. 389
Index des annexes ................................................................................................................ 389
11
Introduction
La réflexion sur les conséquences de la séparation des fonctions de propriété et de direction
était déjà présente dans les travaux de Smith (1776), qui soulignait que les dirigeants de ces
entreprises, gérant l'argent d'autrui et non le leur, n'ont pas forcément la même vigilance que
des dirigeants propriétaires, plus soucieux de l'utilisation de leurs fonds.
Cette première pensée apportée par Smith a été reprise beaucoup plus tard par Berle et
Means (1932). S‟appuyant sur le développement des grandes sociétés par actions,
caractéristiques d‟un actionnariat diffus, les auteurs ont mis en évidence la perte d‟efficience
consécutive à la séparation des organes chargés des fonctions de propriété et de direction. La
divergence des intérêts entre dirigeants et actionnaires génèrerait des coûts et conduirait à
s‟interroger sur les mécanismes susceptibles d‟assurer l‟alignement de ces intérêts.
Le thème de la corporate governance, ou gouvernance des entreprises, n‟est donc pas
récent, même si le débat théorique s'est surtout développé depuis les années 1970. C‟est aussi
un sujet d‟actualité, au cœur des débats du monde économique. Les affaires récentes, comme
le scandale d‟Enron, de Worldcom, ou pour donner des exemples français les dossiers Crédit
Lyonnais, Vivendi Universal ou Eurotunnel, ont remis en cause l‟efficacité des procédures de
contrôle des dirigeants et de systèmes d‟alerte, faisant ressortir la nécessité d‟approfondir la
recherche en ce domaine et de comprendre les différents mécanismes afin d‟en tirer les
enseignements et aider à s‟orienter vers une meilleure gouvernance. Analyser les relations
entre les dirigeants et les actionnaires et de manière plus générale avec l‟ensemble des parties
prenantes (stakeholders), identifier les différents mécanismes influençant la latitude des
dirigeants, comprendre les déterminants de la performance de l‟entreprise constituent un sujet
sensible, touchant le dispositif central régissant le fonctionnement du système capitaliste
contemporain.
Face à la crise de confiance des investisseurs, les régulateurs de marché, notamment
américains (comme la SEC, Securities and Exchange Commission), ont imposé ou fortement
recommandé la prise en compte d‟indicateurs de gouvernance. Des réformes ont été mises en
place par exemple pour renforcer l‟indépendance et la compétence des conseils
d‟administration. Ainsi la loi Sarbanes-Oxley impose depuis 2002 aux entreprises cotées aux
12
États-Unis d‟avoir un comité d‟audit exclusivement composé de membres indépendants, avec
une définition de l‟indépendance plus stricte qu‟auparavant. En France, la loi sur les
Nouvelles Régulations Economiques (NRE) en 2001 a rendu obligatoire la publication des
rémunérations des dirigeants, dans un souci de transparence. Les codes de gouvernance,
comme les recommandations du rapport Cadbury ou celles des rapports Viénot et Bouton, se
sont multipliés. Les agences de rating, telles Moody‟s, incluent dans leur analyse une
évaluation du système de gouvernance des entreprises (désormais SGE). Mais comme l‟a
analysé Wirtz (2004), les présupposés théoriques de ces codes de " bonne gouvernance "
relèvent essentiellement de l‟approche disciplinaire, l‟attention étant portée sur la réduction
des conflits d‟intérêts pour éviter la spoliation de certaines parties prenantes.
Les excès, très médiatisés, soulèvent la question de la nécessité d‟éventuelles réformes du
SGE, notamment en France. Mais celle-ci ne peut être résolue qu‟en disposant d‟une bonne
connaissance et d‟une compréhension suffisante de ce système. Or les études théoriques et
empiriques concernent principalement les pays anglo-saxons, elles sont encore peu répandues
dans le contexte français.
Que recouvre la gouvernance des entreprises ? Elle peut être définie comme "l‟ensemble
des mécanismes qui gouvernent les décisions des dirigeants et définissent leur espace
discrétionnaire " (Charreaux , 1996, p.50). Le dirigeant occupe le rôle d‟acteur central dans
le processus de création de valeur. La notion de latitude managériale est fondamentale car elle
détermine les décisions stratégiques et influence le processus de création de valeur. Les études
en gouvernance doivent aider à comprendre et expliquer le pouvoir discrétionnaire des
dirigeants et le lien existant entre ce pouvoir et la performance de l‟entreprise.
La compréhension des différents mécanismes et de leur articulation est encore au stade
exploratoire. Quelques uns ont fait l'objet de recherches plus poussées, comme le conseil
d'administration ou le marché des prises de contrôle, qui cependant n‟aboutissent pas à des
résultats consensuels : par exemple la part d‟administrateurs externes joue-t-elle un rôle sur
l‟efficience du rôle du conseil ? D‟autres font l'objet de peu d'articles ou d'analyses partielles,
morcelées, comme le marché du travail des dirigeants.
Deux leviers disciplinaires du marché managérial ont été largement étudiés : la
rémunération et l‟éviction des dirigeants, mais, d‟une part, ils ne sont pas toujours attribués à
13
ce mécanisme, d‟autre part, il existe d‟autres voies disciplinaires, et la dimension cognitive du
marché n‟a quasiment pas été explorée. A notre connaissance, il n'existe pas de travaux
présentant de manière synthétique l‟ensemble des voies d‟intervention du marché des
dirigeants comme mécanisme de gouvernance des entreprises. Or sans vision synthétique, il
est difficile de se rendre compte du rôle réel du marché managérial et de mettre en évidence
l'‟articulation de ses différents leviers. C'est sans doute pourquoi la réalité même et
l‟efficience du marché du travail des dirigeants sont encore souvent mises en doute, le poids
de sa contribution globale à la performance de la firme n‟ayant ni été analysé ni validé
empiriquement. Ceci explique que nous ayons choisi de concentrer nos recherches sur ce
mécanisme particulier et nous espérons par nos travaux concourir à l‟enrichissement de la
théorie de la gouvernance.
Notre thèse a donc pour objet de comprendre le rôle du marché des dirigeants comme
mécanisme de gouvernance des entreprises, son importance et son positionnement par rapport
aux autres mécanismes. Notre objectif est de développer un modèle explicatif de ce rôle,
fondé sur la contribution du marché managérial à la création de valeur et de tester ce modèle.
En nous appuyant sur la littérature existante, aussi bien en gouvernance, en stratégie ou
encore en ressources humaines, notre sujet étant à l'intersection de plusieurs champs
disciplinaires, nous avons tout d'abord cherché à identifier les différentes facettes du rôle que
le marché managérial pourrait potentiellement jouer en tant que mécanisme de gouvernance
des entreprises. Cette réflexion occupe la première partie de notre thèse. En introduction de
notre revue de littérature, nous avons explicité les principales notions utilisées, notamment
nous nous sommes attachés à bien définir les termes de "dirigeant" et de "marché
managérial", pour faciliter la compréhension de nos travaux. Nous avons ensuite expliqué
notre choix d'utiliser la grille de lecture synthétique développée par Charreaux (2002). Alliant
les deux dimensions, disciplinaire et cognitive, elle offre la possibilité de dresser un tableau
plus complet des potentialités du rôle du marché des dirigeants. L'identification des
différentes voies d'intervention de ce mécanisme aboutit à la présentation d'une synthèse,
constituant le socle de notre modélisation.
La seconde partie est consacrée à la conceptualisation du rôle du marché des dirigeants,
mécanisme de gouvernance des entreprises. Nos recherches ont été organisées en trois axes
principaux, et se sont concrétisées par le développement d'un modèle explicatif de ce rôle.
14
Dans un premier temps, la réflexion s'est portée sur la synthèse des voies d'intervention
précédemment évoquée, et a permis de faire ressortir une articulation du rôle du marché des
dirigeants en deux niveaux : une étape pouvant être qualifiée de primaire, fondée sur la
fonction fondamentale du marché managérial : l'évaluation des dirigeants, conceptualisée
comme socle de son intervention, et une seconde phase, découlant de la première, prenant en
compte les cinq voies disciplinaires et cognitives identifiées. Une fois le rôle du marché
managérial décomposé et explicité, nous nous sommes intéressés dans un deuxième temps au
recensement des facteurs susceptibles de modifier l'exercice de ce rôle, soit en le renforçant
soit en le réduisant. Nous avons ainsi retenu deux familles de déterminants, ceux liés à
l'entreprise : la structure de propriété et le secteur d'activité, et ceux liés au dirigeant : la
proximité de l'âge de la retraite, la stratégie de carrière externe, et les réseaux. L'objectif de la
prise en compte de ces déterminants d'efficacité est bien sûr de tenter d'enrichir le modèle et
d'en augmenter le pouvoir explicatif. Enfin, toujours dans un souci d'amélioration de la
compréhension du rôle du marché des dirigeants dans le SGE, nous nous sommes attachés à
analyser, dans une vision systémique du dispositif, quels autres mécanismes pouvaient avoir
de l'influence sur l'intensité de ce rôle, en se substituant à lui ou au contraire en venant
renforcer sa contribution par leur complémentarité. Notre champ d‟étude étant centré sur le
marché managérial, nous n'avons pas analysé tous les mécanismes de gouvernance. Nous
n‟avons examiné ceux-ci que lorsqu'ils étaient susceptibles d'exercer un rôle en
interdépendance avec les voies d‟intervention du marché managérial, soit en se substituant,
soit en étant complémentaire au marché des dirigeants. L'analyse étant centrée sur la
modification éventuelle du rôle du marché managérial et de sa contribution à la création de
valeur, l'influence des autres mécanismes sur le marché des dirigeants a été conceptualisée et
incorporée dans la modélisation, mais pas l'inverse. L'autre sens de causalité pourra faire
l'objet de recherches ultérieures, mais n'a pas été pris en compte pour la thèse, le modèle étant
déjà suffisamment complexe et risquant alors de devenir difficile à comprendre et à
interpréter.
La troisième partie de notre thèse concerne la recherche de la validation empirique de notre
modélisation. Nous avons choisi de la tester en étudiant le cas français, pour deux raisons
principales. D'une part, la littérature et les études empiriques, même si elles ne portent pas sur
l'intégralité du rôle du marché des dirigeants mais sur une ou plusieurs de ses voies
d'intervention, sont assez abondantes sur les pays anglo-saxons, notamment les États-Unis,
alors qu'elles sont plus rares en France. D'autre part, le marché managérial français dégage
15
encore aujourd'hui une image forte de spécificité, étant presque toujours perçu comme un
marché du travail cloisonné, imparfait, de type clanique, l'appartenance à un des grands corps
de l'État apparaissant comme le déterminant principal de l'accession d'un candidat à un poste
de dirigeant dans les principales entreprises françaises. Il nous a semblé intéressant d'aller
vérifier ou, pourquoi pas, remettre en cause cette vision par une analyse portant sur des
données récentes et un échantillon plus large que les deux cents plus grandes sociétés
habituellement étudiées.
L'analyse empirique se décompose en deux parties, une étude descriptive des dirigeants
français des sociétés cotées entre 1996 et 2005 et des principales caractéristiques du marché
managérial sur cette période, et les tests de notre modèle, articulés en trois séries, afin de
mieux appréhender les effets des différentes voies d'intervention du marché des dirigeant,
l'impact de facteurs d'influence liés à la firme ou au dirigeant et enfin la complémentarité
éventuelle des autres mécanismes de gouvernance avec le marché managérial.
L'étude descriptive porte sur l'ensemble des dirigeants ayant été en fonction entre 1996 et
2005, soit 1007 individus, ayant exercé dans 637 sociétés cotées. Elle fait ressortir les
contrastes du marché managérial français, en rapprochant ses caractéristiques de celles des
autres principaux pays industrialisés. Certains aspects permettraient, d'un côté, de le qualifier
de marché peu actif, le taux de rotation des dirigeants étant faible, de l'autre, plusieurs
arguments justifient le caractère dynamique et réel du marché des dirigeants en France :
accession plus tôt aux postes les plus élevés, importance des carrières externes, fréquence du
recours au levier disciplinaire de la sanction. L'analyse des profils des dirigeants met en
évidence les critères principaux de sélection qui semblent être retenus en France : la formation
supérieure, la diversité de l'expérience, l'antériorité en management, les connaissances
sectorielles, avoir déjà exercé dans la firme mais aussi avoir connu plusieurs entreprises.
Pour les tests empiriques du modèle, nous avons utilisé un sous-échantillon comprenant
uniquement les dirigeants nommés entre 1996 et 2004, en retirant les créateurs, les dirigeants
déjà en place et ceux recrutés en 2005, notre variable de performance étant calculée sur deux
années avant et après le changement de dirigeant. Ils ont donc porté sur 165 mouvements.
Nous avons en effet choisi d'étudier le rôle du marché managérial à un moment clé, celui du
changement de dirigeant, bien que son intervention, implicite et explicite, puisse se
concrétiser tout au long de la carrière des dirigeants et des hauts potentiels. Ce choix a été
16
motivé d'une part par la richesse supérieure de l'information au moment des mutations,
notamment relativement à une éventuelle sanction, d'autre part par une identification plus
aisée des impacts de la dimension managériale sur la performance de la firme en cas de
changement de dirigeant. La mesure de performance retenue est celle utilisée par Fernandez et
Villanueva (2005). Il s'agit d'une mesure externe, par le marché, de la valeur créée. Le rôle du
marché managérial dans le système de gouvernance des entreprises est validé sur notre
échantillon. Les résultats sont détaillés dans les chapitres XI à XIII, qui exposent quelles voies
d'intervention du marché des dirigeants ont effectivement un impact sur la performance, les
facteurs de contingence qui font varier son rôle et enfin si une complémentarité entre les
mécanismes de gouvernance peut être confirmée.
Les principaux apports de la thèse sont constitués de la confirmation du rôle joué par le
marché managérial dans le système de gouvernance des entreprises et de sa participation à la
création de valeur dans la firme, à travers la sanction des dirigeants inefficaces, la réduction
des coûts disciplinaires liés à l'enracinement du précédesseur et la contribution à la vision
stratégique. Cette dernière se concrétise positivement lorsqu'un dirigeant interne est remplacé
par un candidat externe et lorsque le choix se porte sur un dirigeant dont le niveau d'études est
similaire à celui de son précédesseur.
D'autres résultats méritent également une attention particulière. Nous avons confirmé
l'impact du dirigeant sur la performance de la firme, même si celui-ci reste modeste compte
tenu des autres facteurs, multiples, à prendre en considération. Nous avons conforté pour la
France sur une période récente l'influence de la structure de propriété sur le rôle disciplinaire
et cognitif du marché managérial, ainsi que sur la performance de la firme. L'absence de
significativité des variables explicatives concernant les réseaux a apporté un nouvel éclairage
au débat sur leur incidence en France : l'appartenance à un réseau ne modifie pas les voies
d'intervention du marché managérial, notamment l'incitation à la performance lorsque le
prédécesseur a fait l'objet d'une sanction, et elle n'explique pas la variation de performance de
la firme. Enfin les tests portant sur les interactions entre le marché des dirigeants et cinq
autres mécanismes de gouvernance, dans une vision systémique du dispositif, se sont révélés
non significatifs. Aucun ne modifie l'intervention du marché managérial ni sa contribution à la
création de valeur dans la firme.
17
PREMIERE PARTIE
LE ROLE DU MARCHE DES DIRIGEANTS DANS LE
SYSTEME DE GOUVERNANCE DES ENTREPRISES :
UNE REVUE DE LA LITTERATURE
18
Introduction
Cette première partie est consacrée à la définition et à la compréhension du rôle du marché
des dirigeants dans le système de gouvernance des entreprises. Le chapitre I a deux objectifs :
d'une part, expliciter, préalablement à cette analyse, la notion de dirigeant retenue et celle de
marché managérial, d'autre part, exposer le cadre théorique retenu. Afin de mieux saisir quels
pouvaient être le rôle et la latitude des dirigeants, nous allons chercher à mettre en évidence
les grands traits caractérisant la gouvernance dans les pays industrialisés habituellement
étudiés. Nous allons également nous intéresser aux différentes représentations des stratégies
personnelles des dirigeants et à la définition de la fonction managériale.
En nous appuyant sur la littérature, nous allons ensuite essayer d'appréhender les différentes
voies d'intervention par lesquelles le marché des dirigeants peut exercer son rôle. Sa fonction
fondamentale d'évaluation des dirigeants sera présentée au chapitre II, qui propose des
réponses aux questions suivantes : comment un dirigeant est-il évalué ? Par qui ? A quels
moments s'effectue cette évaluation ? Quels en sont les coûts ? Puis nous nous intéresserons
au rôle disciplinaire du marché managérial, en cherchant, à travers la littérature, à identifier
les différents leviers potentiels. C'est l'objet du chapitre III. Ayant adopté une grille de lecture
synthétique, nous analyserons au chapitre IV quelles peuvent être les voies d'intervention
cognitives de ce mécanisme. Une synthèse est proposée en fin de cette première partie.
19
CHAPITRE I : DEFINITIONS ET FONDEMENTS THEORIQUES
Ce chapitre a pour but de définir les notions aux fondements de la thèse, notamment le
terme de "dirigeants", tel que nous l‟avons utilisé dans nos recherches, et celui de marché des
dirigeants. Afin de mieux comprendre quels peuvent être le rôle et la place du dirigeant dans
la firme, il retrace les principales pratiques de gouvernance dans les pays industrialisés, en
essayant d'appréhender les éventuelles spécificités françaises qui pourraient avoir un impact
sur le marché managérial, puis développe les différentes stratégies personnelles des dirigeants
et le contenu de la fonction managériale. Enfin nous avons précisé notre cadre théorique et
justifié son choix, en le replaçant par rapport aux principaux courants théoriques développés
aujourd'hui en gouvernance.
1.1. Les dirigeants
Les dirigeants qui ont fait l‟objet de cette étude sont ceux qui détiennent le pouvoir de
direction, qui sont mandataires sociaux, c‟est-à-dire qui peuvent engager la société en lieu et
place des actionnaires. La loi définit les organes chargés respectivement de gérer,
d'administrer et de diriger les sociétés commerciales. Les sociétés de personnes, les sociétés à
responsabilité limitée, les sociétés en commandite par actions, ont pour organe de gestion
interne et externe un ou plusieurs gérants. Les sociétés anonymes de type classique sont
administrées par un conseil d'administration, la direction générale étant assumée par le
président du conseil d'administration, ou, depuis la loi sur les Nouvelles Régulations
Économiques de 2001, par un directeur général ne cumulant pas les fonctions. Les sociétés
anonymes de type dualiste comptent un directoire qui dirige la société, et un conseil de
surveillance qui supervise le directoire.
La notion de "dirigeant" que nous avons utilisée tout au long de notre étude couvre ainsi les
fonctions de directeurs généraux, de présidents du directoire pour les sociétés anonymes de
type dualiste, de présidents et autres dirigeants définis par les statuts pour les sociétés
anonymes simplifiées, de gérants. Elle est cohérente avec la loi sur les Nouvelles Régulations
Économiques de 2001, qui considère comme dirigeant effectif le directeur général pour une
20
société à conseil d'administration ou le président du directoire dans le cas d'une société à
conseil de surveillance.
Pour bien comprendre quel peut être le rôle joué par le marché managérial, nous avons
cherché dans un premier temps à appréhender le fonctionnement des organes de direction, de
gestion et d'administration des sociétés, et la répartition des tâches et des responsabilités entre
ces différents organes. Les grandes lignes en sont présentées dans les deux prochaines
sections, en rappelant les principales pratiques de gouvernance par pays puis en détaillant le
rôle des dirigeants.
1.1.1. Les principales pratiques de gouvernance
Les informations reprises dans cette section pour les États-Unis, l'Angleterre et l'Allemagne
proviennent du rapport de la commission internationale de l'IFA présenté le 30 mars 2005 :
"pratiques internationales de gouvernance : une approche comparative". Elles concernent les
trois principaux acteurs en gouvernance, qui, comme le rappellent les principes Calpers
(1999), sont les actionnaires, le conseil d'administration et les dirigeants. Les deux premiers
ayant pour rôle de surveiller les dirigeants et de délimiter leur espace discrétionnaire dans un
souci d'alignement des intérêts entre les propriétaires (les actionnaires) et les dirigeants, il
nous a paru utile de rechercher des informations sur leurs caractéristiques et le cadre
règlementaire dans lequel ils pouvaient intervenir. Pour la France, nous avons utilisé le code
Lamy (2005)1.
Les lois et les codes de gouvernance sont fondés sur plusieurs présupposés. La dissociation
de la fonction exécutive et de la fonction de contrôle, c'est-à-dire le non cumul des postes de
directeur général et de président du conseil d'administration, conduirait à une meilleure
gouvernance de l'entreprise. En ce qui concerne le conseil d'administration, l'indépendance
des administrateurs serait un gage de leur capacité à contrôler les dirigeants. La multiplicité
des mandats, dans une vision disciplinaire, devrait être limitée car elle réduit le temps qu'un
administrateur peut consacrer à une société et favorise les phénomènes de réseaux. La
présence de cabinets spécialisés (audit, nomination, rémunération) approfondissant pour le
conseil des questions spécifiques pour lesquelles ils ont une expertise supérieure, la fréquence
1
Mestre J. (2005), Code Lamy des sociétés commerciales, éds. Lamy, Paris
21
des réunions, le taux d'assiduité, l'existence d'un règlement intérieur et d'une évaluation au
moins annuelle de son fonctionnement permettraient de juger de la qualité du conseil
d'administration. L'actionnariat des administrateurs renforcerait leur implication dans la bonne
marche de l'entreprise. Les actionnaires quant à eux devraient être bien informés par les
dirigeants et le conseil d'administration, et leurs intérêts, notamment pour les minoritaires,
être protégés par l'existence de procédures de défense et de sanctions en cas de manquement.
1.1.1.1. La situation aux États-Unis
Outre la loi Sarbanes-Oxley (2002), qui a fortement augmenté le formalisme incombant aux
conseils d'administration, et les règles imposées aux sociétés cotées au New York Stock
Exchange (2003) et au Nasdaq (2003) qui définissent le cadre législatif, des recommandations
sont proposées par Calpers, ou encore l'American Law Institute, et sont généralement bien
suivies. Le cadre règlementaire américain est particulièrement contraignant et met l'accent sur
les responsabilités des dirigeants, ceux-ci devant, depuis la loi Sarbanes-Oxley, certifier
personnellement les comptes présentés à la Securities Exchange Commission (SEC).
Aux États-Unis, en 2004, 75% des sociétés cotées du S&P 500 ne dissociaient pas les
fonctions de président et de directeur général. Leurs conseils d'administration étaient
composés majoritairement d'administrateurs indépendants, allant au-delà du pourcentage
exigé par les obligations légales. La réglementation américaine ne limite pas le nombre de
mandats par administrateur. Il est recommandé que le comité des rémunérations détermine
précisément la décomposition de la rémunération du dirigeant. Les conseils d'administration,
d'après les règles du NYSE, doivent faire l'objet d'une évaluation annuelle. Pour renforcer la
qualité du contrôle, la loi Sarbanes-Oxley a imposé à toutes les sociétés cotées d'avoir un
comité d'audit composé uniquement de membres indépendants.
Les deux principales particularités américaines sont la possibilité de mettre en cause la
responsabilité des dirigeants2 et la nomination de plus en plus fréquente dans les sociétés
cotées d'un "directeur général de la gouvernance" (Chief Governance Officer), chargé
d'assurer l'interface et de communiquer avec toutes les parties prenantes : actionnaires, conseil
2
Par la procédure class actions, qui permet à des actionnaires de "se regrouper ou d'être regroupés pour faire
valoir les droits à l'indemnisation de l'ensemble des actionnaires potentiellement lésés par les actions des
dirigeants" (p. 22 du rapport de l'IFA).
22
d'administration, comités,… mais aussi de surveiller les risques liés à la gouvernance dans
l'entreprise.
1.1.1.2. La situation au Royaume Uni
Alors qu'aux États-Unis les réglementations sont nombreuses, l'Angleterre fonctionne
principalement par des recommandations, des principes et des suggestions (The Cadbury
Report, 1992, Combined Code, 2003, The Higg Report, 2003). Une très forte majorité des
sociétés cotées (93%) suit les conseils du Combined Code (2003) et dissocie les fonctions de
président, qui est presque toujours un non exécutif, et de directeur général, qui est par
définition un exécutif. C'est une autre différence importante avec les États-Unis. La structure
majoritaire demeure cependant le type moniste. Légalement, le nombre de membres du
conseil de surveillance peut être faible : le minimum est fixé à deux ; dans la pratique, en
moyenne huit membres constituent le conseil dans les sociétés du Footsie 350 et onze pour le
Footsie 100, ce qui situe les conseils anglais au niveau du minimum européen. La plupart des
administrateurs sont recrutés par le biais de cabinets spécialisés. Globalement, la part des
administrateurs indépendants s'équilibre avec celle des exécutifs, dont la durée de mandat est
particulièrement courte : un an, ce qui assure une rotation plus forte au sein du conseil. Le
conseil doit effectuer une fois par an une évaluation formelle de la performance. L'existence
d'au moins trois comités spécialisés par entreprise est le cas le plus général : audit,
rémunération, nominations, auxquels vient s'ajouter fréquemment un comité stratégique, et
plus occasionnellement un comité d'éthique et un comité des risques. La composition de ces
comités est publique ; le Royaume Uni serait un des pays les plus performants en matière de
transparence (The Economist Unit, 2003).
1.1.1.3. La situation en Allemagne
La réglementation impose le système dual aux entreprises, qui sont donc gouvernées par un
directoire et un conseil de surveillance. Dans les faits, le contrôle s'effectue principalement à
travers le rôle de conseil en stratégie. Un contrôle des comptes approfondi n'est pas
obligatoire pour les conseils de surveillance allemands. La loi impose par contre un taux de
présence de représentants du personnel, qui doivent constituer un tiers du conseil de
surveillance dans les sociétés de cinq cents à deux mille salariés, et la moitié au-delà de deux
mille salariés. Cette cogestion fait l'objet de débats importants, et elle pourrait être remise en
23
cause avec le nouveau statut de "société européenne". Souvent considérée comme une
spécificité culturelle allemande, la forte représentation du personnel explique une quasi
absence d'administrateurs indépendants dans les conseils de surveillance en 2004. Elle peut
soulever la question de l'efficience du contrôle des dirigeants, les salariés leur étant liés par
des contrats formels et informels. La taille minimale légale est de trois membres, mais la
moyenne s'établit à dix huit pour les sociétés du DAX 30. Le conseil de surveillance nomme
les membres du directoire, et les actionnaires mandatent les membres du conseil de
surveillance autres que représentants du personnel et syndicats. En moyenne, les entreprises
cotées ont mis en place deux comités spécialisés (audit et rémunération), ce qui va au-delà des
préconisations du code Cromme (2002).
1.1.1.4. La situation en France
Les firmes françaises en société anonyme peuvent adopter deux types de structure de
conseil d'administration : celui dit "un tiers", où le dirigeant est également président du
conseil d'administration, ou celui dit "deux tiers", où deux organes sont nommés et se
réunissent séparément : un directoire composé des dirigeants exécutifs, et un conseil de
surveillance, principalement composé d'administrateurs externes. Le premier cas est le plus
développé en France. En Europe seulement 23% des entreprises adhèrent à une structure deux
tiers (Code Lamy, 2005). Depuis la loi sur les Nouvelles Régulations Économiques de 2001
(NRE), qui a instauré un nouveau mode de fonctionnement pour les sociétés anonymes à
conseil d'administration, le Code du Commerce distingue deux fonctions, celle de directeur
général et celle de président du conseil d'administration, même si elles peuvent être exercée
par la même personne. La séparation est cependant minoritairement observée en pratique dans
les entreprises, elle était seulement de 40% en 2003 dans les sociétés cotées françaises (voir
tableau 1). L'âge limite pour exercer la fonction de directeur général, sauf précision contraire
dans les statuts, est de 65 ans. "Le directeur général est investi des pouvoirs les plus étendus
pour agir en toute circonstance au nom de la société. Il exerce ces pouvoirs dans la limite de
l'objet social (…). Il représente la société dans ses rapports avec les tiers" (Code Lamy, 2005,
art. L. 225-56, p. 370).
La taille du conseil d'administration peut varier selon les statuts de trois à dix-huit
membres, nommés en assemblée générale pour une durée maximale de six ans. Les
administrateurs sont rééligibles, mais peuvent aussi être révoqués à tout moment. Sauf
24
disposition spécifique dans les statuts, l'âge de 70 ans ne peut être dépassé pour plus d'un tiers
des administrateurs. Sur le territoire français, le cumul de mandats d'administrateurs de
sociétés anonymes ne peut dépasser cinq. Le nombre d'administrateurs également salariés de
l'entreprise est limité à un tiers des administrateurs. Chaque administrateur doit être
propriétaire d'un nombre d'actions de la société déterminé par les statuts. "Le conseil
d'administration détermine les orientations de l'activité de la société et veille à leur mise en
œuvre. Sous réserve des pouvoirs expressément attribués aux assemblées d'actionnaires et
dans la limite de l'objet social, il se saisit de toute question intéressant la bonne marché de la
société et règle par ses délibérations les affaires qui la concernent. (…) Le conseil
d'administration procède aux contrôles et vérifications qu'il juge opportuns" (Lamy, 2005, art.
L. 225-35, p. 365) 3 . Une société anonyme peut également choisir d'être dirigée par un
directoire, composé au maximum de cinq personnes, et un conseil de surveillance, comptant
au moins trois personnes, qui nomme les membres et le président du directoire. Ceux-ci sont
révocables à tout moment par l'assemblée générale et, si les statuts le prévoient, le conseil de
surveillance. Les membres du conseil de surveillance sont eux nommés par l'assemblée
générale, le président étant élu par le conseil lui-même. Ils ne peuvent faire partie du
directoire. Ils ne peuvent cumuler plus de cinq mandats de membre du conseil de surveillance
de sociétés ayant leur siège social sur le territoire français. Les membres du directoire ne sont
pas forcément actionnaires, ceux du conseil de surveillance détiennent forcément un nombre
d'actions de la société fixé par les statuts. La limite d'âge, sauf indication contraire dans les
statuts, est de 65 ans pour les membres du directoire ; le conseil de surveillance ne doit pas
être composé à plus d'un tiers par des membres de plus de 70 ans. La durée du mandat est de
quatre ans, mais elle peut être comprise entre deux et six ans par disposition statutaire.
Comme le directeur général, le directoire est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en
toute circonstance au nom de la société, et engage par ses actes la société vis-à-vis des tiers.
"Le conseil de surveillance exerce le contrôle permanent de la gestion de la société par le
directoire. Les statuts peuvent subordonner à l'autorisation préalable du conseil de
surveillance la conclusion des opérations qu'ils énumèrent (…). A toute époque de l'année, le
conseil de surveillance opère les vérifications et les contrôles qu'il juge opportuns et peut se
faire communiquer les documents qu'il estime utiles à l'accomplissement de sa mission"
(Lamy, 2005, art. 225-68, p. 372).
3
Mestre J., Velardocchio D. (2005), Lamy sociétés commerciales, éds. Lamy, Paris.
25
Bien que la loi NRE ait renforcé l'indépendance des administrateurs vis-à-vis du président,
la part d'indépendants au conseil d'administration en France était en 2003 encore très faible,
seulement 5% des entreprises dépassaient le seuil de 50% d'administrateurs indépendants. Elle
s'est développée depuis, notamment dans les entreprises du CAC40 (figure 1), mais reste
cependant en dessous des moyennes anglo-saxonnes, probablement du fait que d'autres
représentants que les actionnaires (banquiers, personnel, …) siègent généralement dans les
conseils français.
Composition des conseils d'administration des sociétés du CAC 40
- Figure 1 : composition des conseils d'administration des sociétés du CAC40 -
L'information sur les rémunérations a été rendue obligatoire avec la loi NRE, permettant
ainsi à la France de se rapprocher un peu du modèle anglo-saxon, même si les réticences à
divulguer des renseignements sur ce que gagnent les dirigeants sont encore très fortes en
France. La loi relative à la sécurité financière de 2003 a mis notamment l'accent sur le
contrôle interne et la transparence liée à l'exercice de celui-ci. En France et en Europe,
contrairement aux États-Unis (où a été défini le COSO4), il n'existe pas encore de référentiel
en matière de contrôle interne. Globalement la législation française est moins contraignante
4
COSO : référentiel de contrôle interne défini par le Committee Of Sponsoring Organizations of the Treadway
Commission, commission à but non lucratif qui a établi en 1992 une définition standard du contrôle interne et
créé un cadre pour évaluer son efficacité.
26
qu'aux États-Unis en matière de gouvernance. Les régulateurs de marché en France sont
également en faveur d'un juste équilibre entre les règles et l'autorégulation, l'un et l'autre
devant être examinés simultanément en termes d'apports et de coûts5. Les recommandations
des rapports Viénot I (1995), Viénot II (1999), Bouton (2002), Clément (2003) servent de
référence aux entreprises françaises, qui sont invitées à les suivre.
1.1.1.5. Synthèse
Les dirigeants n'exercent pas tous leurs fonctions dans les mêmes conditions de surveillance
et de contrôle. La législation est par exemple plus contraignante et prévoit des sanctions plus
systématiques aux États-Unis qu'en France, davantage en faveur de l'autorégulation
s'appuyant sur des recommandations. La dissociation des fonctions de direction et de contrôle
est mal assurée en France et aux États-Unis, où une majorité de dirigeants cumulent encore les
deux, ce qui pose la question de l'efficience de la surveillance des dirigeants. Les
caractéristiques des conseils d'administration diffèrent d'un pays à l'autre, le tableau 1 en
présente une synthèse dans six pays industrialisés. Il conforte les disparités que nous avons
évoquées précédemment, en soulignant l'importance accordée aux administrateurs
indépendants et la taille plus réduite des conseils dans les pays anglo-saxons, une relative
infériorité du nombre de réunions en France et en Allemagne. En 2005, l'évaluation des
conseils était déjà très développée aux États-Unis (85% des entreprises cotées en avaient
effectuée) et en Angleterre (86% des sociétés cotées), alors que seulement 52% des sociétés
du CAC40 avaient évalué leur conseil, et seulement 32% leur président6. Il est probable que
l'écart s'est réduit depuis, conformément aux préconisations du rapport Bouton. L'observation
de ces statistiques descriptives ne permet pas cependant de conclure à la supériorité de
certains modes de gouvernance, car elles ne fournissent pas d'informations sur le lien entre
ces caractéristiques et les performances des firmes.
5
Propos évoqués par M. Prada, président de l'AMF, Autorités des Marchés Financiers, au congrès de l'AFFI
"éthique et gouvernance" en juin 2007 à Bordeaux.
6
"La gouvernance d'entreprise à l'heure anglo-saxonne", la Tribune, 2 février 2006, p. 28.
27
- Tableau 17 : Comparaison internationale des conseils d'administrations en 2003 -
1.1.2. Le rôle des dirigeants
La construction d‟un modèle explicatif du rôle du marché des dirigeants dans le SGE est
liée à la compréhension du rôle du dirigeant dans l‟organisation et de ses différents
comportements possibles. La représentation des stratégies personnelles du dirigeant apporte
un enrichissement et des éclairages différents à l‟analyse de la gouvernance des entreprises,
et conduit à des résultats distincts en matière d‟efficacité. Elle fait l‟objet de plusieurs
courants théoriques.
7
Extrait du Rapport de la commission internationale de l'IFA présenté le 30 mars 2005 : "Pratiques
internationales de gouvernance : une approche comparative", 2005, p. 86.
28
1.1.2.1. Les stratégies personnelles du dirigeant
Dans la perspective néo-classique, tous les choix individuels convergent vers un objectif
commun de maximisation de richesse. Les décisions prises par les dirigeants permettent de
réduire les coûts et d‟améliorer la position concurrentielle de l‟entreprise. Les dirigeants sont
considérés comme parfaitement substituables, formant une population homogène. Avec la
théorie de l‟agence, la vision des dirigeants évolue : ils peuvent chercher à modifier les
décisions stratégiques souhaitables pour la firme afin de privilégier leurs propres objectifs.
Les intérêts des actionnaires et des dirigeants ne convergent pas forcément. La séparation
des fonctions d'assomption du risque, de décision et de propriété, engendre des conflits
d‟intérêt. La recherche de l‟efficacité consiste en l‟identification des mécanismes assurant
que les dirigeants gèrent l‟entreprise conformément aux intérêts des actionnaires. Mais les
différences idiosyncrasiques entre les dirigeants ne sont pas explicitement prises en compte,
l'attention étant concentrée sur la force et l'hétérogénéité des mécanismes de gouvernance.
"Dans les théories fondatrices qui sous-tendent l'analyse du gouvernement des entreprises,
le rôle du dirigeant apparaît sinon absent, du moins très discret" (Charreaux, 1996, p. 52).
L‟existence des mécanismes de contrôle se justifie par la réduction des coûts
organisationnels. Ils sont efficaces, seules les formes organisationnelles minimisant ces
coûts subsistent. Le rôle des dirigeants est réduit au minimum, ils subissent passivement la
discipline exercée, sans chercher à la neutraliser, ni à orienter la politique de l‟entreprise.
Ainsi, dans l'analyse de Fama (1980), le rôle du dirigeant est envisagé au même titre que
celui d'un autre facteur de production.
Les théories fondées sur le comportement passif du dirigeant ne reflètent pas
suffisamment l‟incomplétude des contrats et des marchés, et ne laissent pas de place pour la
latitude managériale. La réflexion s‟est alors enrichie avec l‟introduction de la stratégie du
dirigeant, en particulier avec les travaux sur l‟enracinement, développés au chapitre V,
paragraphe 5.2.1., et sur la réputation, explicités dans le chapitre VI, paragraphe 6.2.1.. Le
dirigeant devient actif, il cherche à neutraliser les mécanismes disciplinaires, à élargir sa
latitude discrétionnaire, à maximiser son capital managérial, dont la réputation est un
élément déterminant. Sa stratégie peut être orientée vers l‟extérieur, en ayant recours au
marché managérial pour accéder à des postes mieux valorisés ou plus prestigieux.
L‟activisme du dirigeant n‟a pas forcément pour but de s‟attribuer un maximum de rentes,
29
au détriment des autres parties prenantes, ce qui se traduirait par une baisse de performance
de la firme, mais peut également s‟inscrire dans un principe d‟efficacité, avec un partage des
rentes entre l‟entreprise et le dirigeant.
Dans certains courants stratégiques, le rôle du dirigeant devient central. Les firmes
choisissent leur dirigeant pour ses capacités spécifiques, en fonction des besoins qu'elles ont
identifiés. Les décisions stratégiques sont considérées varier selon les caractéristiques et les
compétences du candidat retenu, qui devient un moteur de changement. Il n'y a cependant pas
de consensus, le courant de l'Écologie des Populations par exemple niant totalement que le
dirigeant puisse avoir une influence sur performance, celle-ci étant principalement le résultat
de facteurs extérieurs sur lesquels la direction n‟a pas de contrôle (Hannan et Freeman, 1977).
1.1.2.2. Les fonctions et spécificités des dirigeants
Comme l‟a rappelé Pigé (1993), les dirigeants se distinguent des autres salariés porte sur
quatre points :
-
ils ne sont pas soumis à un contrôle hiérarchique;
-
ils peuvent engager la société vis-à-vis des tiers en tant que mandataires
sociaux;
-
ils peuvent s‟octroyer des avantages spécifiques;
-
ils possèdent des compétences rares dans la gestion des ressources.
Cependant, s'ils ont incontestablement le pouvoir d'engager la société et d'agir en son nom,
les dirigeants ne sauraient disposer d'un pouvoir sans limites, dans la mesure où il est exercé
pour le compte des actionnaires. Leurs compétences peuvent être limitées légalement,
statutairement, conventionnellement ou judiciairement. Il revient généralement au dirigeant
les fonctions d'autorité : engager, licencier les salariés de la société et fixer leur rémunération,
l'administration du patrimoine social, notamment pour préserver son intégrité, tous les actes
relatifs à l'exercice de l'activité économique de la société ; dans certains cas les pouvoirs du
dirigeant social sont étendus aux prises de participations (Lamy, 2005). La classification du
pouvoir développée par French et Raven (1959), en cinq types, permet également de mieux en
appréhender les fondements. Le pouvoir du dirigeant est tout d'abord légitime : des pouvoirs
formels vastes lui ont été attribués par le conseil d'administration, il peut imposer ses
décisions à son personnel par exemple. Il détient ensuite le pouvoir de récompense :
30
détermination des salaires et des avantages… Enfin, il cumule généralement pouvoir coercitif,
pouvoir référentiel (basé sur l'identification) et pouvoir d'expert. D'après Mintzberg (2003, p.
185), "lorsque le président directeur général parle, les autres personnes ont plusieurs bonnes
raisons de l'écouter. Ce qui revient à dire que le système d'autorité est le système d'influence
le plus important pour le P.D.G.". Le dirigeant bénéficie aussi d'autres systèmes d'influence.
Comme représentant de l'idéologie de l'organisation, il peut par exemple entraîner les autres
individus dans une démarche engagée. "La position du P.D.G. au sommet stratégique lui
donne une assise très solide de connaissances particulières. Les recherches effectuées sur les
activités de direction prouvent que le directeur est le centre nerveux de sa propre organisation,
habituellement le seul membre le mieux informé" (Mintzberg, 2003, p. 186). C'est lui qui a le
plus de connaissances en matière d'organisation.
Une part importante de la richesse des dirigeants est attachée à l‟entreprise. Leur patrimoine
humain est lié à celui de la firme, et la valorisation de leur capital humain est souvent fonction
de la performance de l‟entreprise qu‟ils dirigent. En cas de difficulté de celle-ci, ils peuvent
connaître une baisse de rémunération, perdre leur poste et devoir se replacer dans des
conditions moins favorables. En outre une partie significative de leur patrimoine financier est
généralement investie dans l‟entreprise, notamment par le biais des stock options. Leur vision
est liée à la durée de leur mandat, et diffère ainsi de celle des actionnaires, généralement plus
long terme, même si certains types d'actionnariat, comme celui des investisseurs
institutionnels, peuvent avoir également une stratégie court-termiste.
La définition de la fonction managériale de Fama (1980, p. 290) peut nous aider à mieux
comprendre le rôle du dirigeant. Elle consisterait "en la coordination des activités des inputs
et à mener à bien les contrats signés relativement à ces inputs, tout ce qui peut être caractérisé
comme "prise de décision"" 8 . Lorsque le dirigeant est entrepreneur, il assume également
l‟assomption du risque, c‟est-à-dire qu‟il accepte l‟incertitude et la possibilité d‟une perte à la
fin de chaque période de production. D'autres définitions de la fonction managéri ale ont été
proposées. Pour Langlois (1998), il s'agirait de la coordination des facteurs de production :
administration, surveillance, coordination et planification. Elle comporterait également une
dimension cognitive de construction des connaissances, et une fonction perceptive associée au
repérage des opportunités rentables et à la construction de ces opportunités (Dosi, 1990).
8
Fama E. (1980, p. 290) : "management is (…) coordinating the activities of inputs and carrying out the
contracts agreed among inputs, all of which can be characterized as"decision-making"".
31
1.2. Le marché des dirigeants
De manière générale, le marché du travail est lié au processus d'affectation des travailleurs
à des emplois proposés par les firmes, c'est-à-dire à un poste de travail et à une rémunération.
Le concept de marché du travail englobe également les règles qui régissent les rapports entre
les entreprises et les travailleurs. "Sur ce marché s'opère la régulation de l'offre et de la
demande ; dans cette interprétation le salaire est un prix et le travail est une marchandise"
(Jalladeau, 1998). Le marché du travail enregistre des entrées et des sorties. "L'une des
fonctions du marché du travail, dans les économies modernes, est de permettre cette constante
réallocation du travail entre les firmes" (Blanchard et Cohen, 2004). Pour essayer
d'appréhender au mieux le marché managérial, nous sommes partis des conclusions des
théories de la segmentation. Nous avons ensuite affiné cette vision en nous intéressant à la
distinction généralement effectuée entre marché interne et marché externe. Enfin quelques
statistiques ont été reprises pour illustrer les caractéristiques principales des marchés
managériaux dans les différents pays industrialisés.
1.2.1. Des théories de la segmentation à la définition du marché managérial
Plusieurs théories de la segmentation se sont développées, postulant que le marché du
travail n'est pas une entité homogène, mais est au contraire constitué de segments
indépendants, à l'intérieur desquels les mécanismes et structures de travail fonctionnent
différemment. La relation entre la capacité productive d'un travailleur, sa rémunération et le
type de postes qu'il peut obtenir serait susceptible d'être modifiée par différents facteurs,
comme le système de régulation du marché du travail, les conditions technologiques, le
secteur d'activité, les stratégies de contrôle des dirigeants, les réseaux… Le marché du travail
serait composé "d'une variété de segments n'étant pas en compétition, où le capital humain est
récompensé différemment selon le segment, les barrières institutionnelles empêchant les
différentes parties de la population de bénéficier de manière égalitaire de leur niveau de
formation, scolaire et professionnelle"9 (Leontaridi, 1998, p. 64).
9
Leontaridi M.R. (1998, p. 64) : "of a variety of non-competing segments between which rewards to human
capital differ because institutional barriers prohibit all parts of the population from benefiting equally from
education and training".
32
Dans sa version première, la théorie de la segmentation présente le marché du travail
comme "dual", distinguant deux segments : le marché du travail primaire, où les emplois et
les salaires sont de bon niveau, et la rotation plus faible, du marché du travail secondaire, dans
lequel les emplois et les salaires seraient moins intéressants, la rotation plus importante et le
chômage plus élevé (Doeringer et Piore, 1971, Cain, 1976). La mobilité d'un marché à l'autre
serait restreinte, et les emplois dans le secteur primaire seraient rationnés. Le secteur
secondaire fonctionnerait de manière purement concurrentielle, alors que le marché primaire
serait protégé des pressions compétitives liées à l'offre et la demande. La mobilité d'un
segment à l'autre serait limitée, ce qui empêcherait la convergence des fonctionnements. "Le
différentiel de salaire entre les deux secteurs repose sur l'hypothèse d'une différence de nature
entre les emplois primaires et secondaires : les premiers sont associés à des postes de
responsabilité supposant une autonomie relative du salarié, dont l'effort est donc difficile à
évaluer, tandis que les seconds sont associés à des tâches simples et répétitives parfaitement
supervisables. Les firmes du secteur primaire sont donc contraintes de pratiquer une politique
salariale incitative afin de s'assurer que leurs employés fourniront le niveau d'effort approprié
à leurs fonctions" (Cahuc et Zajdela, 1991, p. 470). Piore (1975) a ensuite affiné son analyse
et a apporté des réflexions intéressantes pour une première appréhension et délimitation du
marché managérial. Il a fait une distinction à l'intérieur du marché primaire, qu'il a subdivisé
en deux populations : le segment inférieur, s'assimilant au secteur primaire précédemment
évoqué, basé sur un ensemble de marchés internes, et le segment supérieur, correspondant aux
emplois de responsabilités et d'encadrement. Ce dernier se caractérise par l'absence de règles
et de procédures administratives, un taux de rotation plus élevé, la mobilité étant motivée par
les possibilités de promotion, en termes de postes plus prestigieux ou de rémunération plus
élevée. La formation et l'expérience sont fortement valorisées. La structure des rémunérations
se rapproche de celle proposée par la théorie du capital humain. Ce sous-segment serait assez
isolé, les personnes souhaitant y entrer et ayant les compétences pour, n'y parvenant pas
forcément du fait de barrières institutionnelles. Piore (1975) souligne le lien avec les
mouvements socio-économiques dans la société, et présente le concept de chaînes de mobilité
: le parcours professionnel d'un individu, son accession à certains postes seraient fonction des
écoles qu'il a fréquentées, de son environnement familial et de son appartenance à certaines
classes ou cercles. Ces caractéristiques du marché managérial restent à confirmer. Les
principaux résultats des études statistiques existantes sont présentés dans la troisième partie,
au chapitre X. Ils font ressortir une situation différente selon les pays.
33
Les théories de la segmentation que nous venons d'évoquer ont cherché à mettre en
évidence l'existence d'une hiérarchie de segments, relativement indépendants, la mobilité de
l'un à l'autre étant restreinte et les fonctionnements étant particuliers à chaque segment. Des
exemples d'ascension professionnelle vers un secteur supérieur existeraient, mais en grande
majorité les individus évolueraient à l'intérieur de leur segment initial. En haut de cette
hiérarchie figurerait le segment des individus les mieux payés et occupant les postes les plus
élevés, dont l'accès serait le plus difficile. S'appuyant sur les travaux de Psacharopoulos
(1978) et de McNabb (1987), relatifs au marché du travail anglais, Leontaridi (1998, p. 93)
avait mis en évidence la formation comme barrière à l'entrée principale de ce segment : "Les
composantes du capital humain, comme la formation, l'expérience, et l'âge, apparaissent être
d'importants déterminants à la fois de l'allocation initiale et de la mobilité ascendante entre les
secteurs. L'accès aux positions les plus hautes dans la hiérarchie fonctionnelle est corrélée
avec le niveau de formation des travailleurs"10 (Leontaridi, 1998, p. 93).
L'existence d'un marché du travail spécifique aux dirigeants apparaît donc faire l'objet d'un
consensus. Les dirigeants se distinguent des autres travailleurs car ils détiennent le pouvoir
organisationnel et l'autorité, ils ont la capacité de superviser les autres, les rémunérer et les
recruter ou les licencier (Elliott, 2000). Le marché managérial est le marché du travail des
dirigeants d‟entreprises. Il permet à un dirigeant d‟évoluer d‟une entreprise à une autre. Dans
une perspective économique, la demande est constituée sur le marché par les firmes qui
cherchent à recruter un nouveau dirigeant. L'offre est composée des candidats aux postes de
dirigeants. Le marché managérial résulte donc de la confrontation entre la demande de la part
des entreprises pour pourvoir des postes de dirigeants et l'offre de candidats ayant les
compétences et les caractéristiques requises. L'évaluation du capital humain des dirigeants est
une fonction fondamentale du marché managérial.
Sur le marché du travail managérial, un dirigeant affronte la concurrence des autres cadres
dirigeants susceptibles d‟être candidats au même poste que lui. S‟il obtient la direction de
l‟entreprise, c‟est qu‟il a remporté les compétitions qui l‟ont opposé aux autres dirigeants
potentiels (Barros et Macho-Stadler, 1998). Cette mise en concurrence est essentielle pour le
bon fonctionnement du marché. Dans un marché managérial efficient, les meilleurs dirigeants
10
Leontaridi M.R. (1998, p. 93) : "human capital variables such as education, experience and age appeared to be
important determinants of both initial allocation among and upward mobility between sectors. Access to higher
positions in the occupational hierarchy is correlated with the level of education of workers".
34
sont supposés être orientés vers les firmes les plus performantes. Un dirigeant gérant son
entreprise en-dessous de sa performance potentielle devrait voir augmenter la probabilité
d'être évincé et remplacé par un autre dirigeant plus adapté aux besoins de l'entreprise et plus
performant. Le pouvoir de négociation d'un dirigeant dépend de la difficulté qu'aurait
l'entreprise à le remplacer d'une part, et de la facilité à se replacer d'autre part.
C'est un marché particulier : il est dispersé, il n‟existe pas de sources d‟information
centralisées facilement disponibles et les différents acteurs sont indépendants et en
compétition. L'information susceptible d'être produite par le marché managérial peut être
individuelle, portant sur la valeur du capital humain de chaque dirigeant, mais aussi
collective, en fournissant des données de référence, relatives aux rémunérations, au coût du
travail, aux conditions de travail, aux qualifications recherchées, ou encore plus généralement
des statistiques sur l'emploi (nombre de dirigeants, fonctions par type, par secteur…).
Comme la plupart des marchés réels, notamment les marchés financiers au niveau
international, le marché managérial est lui-même segmenté, c'est-à-dire que des phénomènes
d'appariements sont observables entre les segments d'offre et ceux de demande. En France,
pour reprendre les travaux de Bauer et Bertin-Mourot (1987, 1996), le recrutement des
dirigeants serait effectué sous l'influence des réseaux, favorisant la promotion des candidats
issus des grands corps de l'État. Leur intervention peut être considérée comme une
contribution à la segmentation.
1.2.2. Marchés internes et marchés externes du travail
Une distinction est généralement effectuée au sein du marché du travail entre marché
interne et marché externe. Les modalités d'évolution de carrière diffèrent entre ces marchés.
Chacun présente des avantages et des inconvénients tant pour le dirigeant ou le candidat à un
poste de direction que pour la firme qui doit nommer un nouveau membre de l'équipe
dirigeante.
Sur le marché interne, la structure des rémunérations n'est pas déterminée directement par
des mécanismes de marché, il existe des échelles de salaires et de promotions, généralement
fonction de l'acquisition au sein de la firme d'expérience et de compétences. Les systèmes
d'incitation sont tout d'abord destinés à développer la loyauté envers la firme avant d'être liés
35
à la performance (Okun, 1981). Les règles de recrutement sont formalisées, les nouveaux
recrutés occupant des postes inférieurs, les fonctions d'encadrement étant confiées à des
promus en interne. Lazear et Rosen (1981) mettaient en avant les apports du recrutement
interne : réduction de l'asymétrie d'information, les candidats étant mieux connus,
préservation du capital humain spécifique (la théorie du capital humain de Becker sera
développée au chapitre II, paragraphe 2.1.1.6.), diminution du risque de sélection adverse. Il
favorise la continuité stratégique (Pigé, 1996). L'ascension d'un haut potentiel à l'intérieur de
l'entreprise jusqu'au poste de direction le plus élevé s'inscrit dans le cadre d'une compétition
organisée, sur une période longue, relevant de la théorie des tournois. Pigé (1996) soulignait
que les perspectives d'accession au poste de dirigeant par la voie interne incitaient les cadres
supérieurs à être performants, comme le développe la théorie des incitations, mais qu'elles
pouvaient aussi conduire aussi à la diminution de la coopération au sein des équipes de
direction. Okun (1981) soulevait une autre limite potentielle du marché interne : lorsque
l'environnement change (évolution de la demande sur le marché des biens et services, des
technologies…), ou en cas de récession économique par exemple, il souffrirait de sa rigidité
en termes de rémunération et de son maque de capacité à développer de nouvelles
compétences. D'autres inconvénients sont liés au marché interne : risque d'affaiblissement des
ressources managériales, facilitation de l'enracinement… Enfin la taille de l'entreprise ne lui
permet pas forcément de développer un marché managérial interne. L'effet taille a été mis en
évidence dans plusieurs études du marché américain : les entreprises de taille inférieure
auraient davantage recours à des candidats externes pour choisir leur dirigeant, ne disposant
pas en interne d'un panel de concurrents suffisamment large (Dalton et Kesner, 1985, Furtado
et Rozeff, 1987, Reinganum, 1985, Fredrickson et al., 1988). Ce phénomène a été aussi
souligné pour la France par Pigé (1996).
Le recours au marché externe présente également des avantages et des inconvénients. Il
offre des possibilités de promotion en changeant d'entreprise, et propose d'autres opportunités
d'évolution. L'ascension en externe serait plus rapide. La compétition s'organise non plus au
sein d'une seule entreprise mais pour un ensemble de candidats potentiels d'horizons
différents. Offrant une libre circulation du capital humain, le marché externe du travail des
dirigeants permettrait l'optimisation des ressources managériales. Plusieurs raisons peuvent
motiver une entreprise à choisir de recruter un dirigeant en externe plutôt que par la voie
interne. Comme nous le développerons au chapitre III, paragraphe 3.1.1., une firme préfère
fréquemment un externe lorsque la performance du prédécesseur était mauvaise ou
36
insuffisante : un externe sera davantage perçu comme ayant la capacité de changer la situation
et de décider des réorientations stratégiques nécessaires (Boecker et Goodstein, 1993, Parrino,
1997). Une autre motivation peut venir de la constatation que les candidats internes sont de
bon niveau mais n'ont pas forcément les compétences et le profil pour diriger la firme, le
conseil d'administration étant alors enclin à chercher un meilleur successeur en externe
(Dalton et Kesner, 1983, Furtado et Rozeff, 1987, Bailey et Helfat, 2003). Des changements
environnementaux importants peuvent également justifier la nécessité de recruter un externe.
Lorsque l'équipe dirigeante précédente a eu un comportement critiquable (malversations
financières, mauvaise image humaine ou éthique), un externe sera certainement préféré pour
redonner confiance aux différentes parties prenantes de la firme. Comme pour le marché
interne, le marché externe connaît également des barrières et des limites. Le conseil
d'administration se trouve en situation d'asymétrie d'information plus forte avec un candidat
externe, il a plus de mal à acquérir les informations le concernant (Furtado et Rozeff, 1987,
Zajac, 1990), l'évaluation de ses compétences est plus difficile, de même que de leur
transférabilité à la firme et de la capacité du dirigeant à s'adapter et réussir dans ce nouvel
environnement. La recherche dure généralement plus longtemps lorsqu'il s'agit d'un externe.
Les coûts de recrutement sont plus élevés. Nous développerons ces différents types de coûts
au chapitre II, paragraphe 2.4..
Même si une distinction est généralement effectuée entre marché interne du travail et
marché externe, les passages de l'un à l'autre sont possibles et leurs fonctionnements sont liés.
D‟une part, les candidats internes à un poste de dirigeant ont toujours la possibilité d‟offrir
leurs services sur le marché externe et d'être sollicités par une autre entreprise. Leur choix de
rester ou non dans l‟entreprise est lié aux coûts d'entrée et de sortie. Les avantages d'une
carrière interne peuvent être d‟autre nature que le niveau de rémunération ou le prestige de la
fonction : sécurité du poste, arguments personnels… D‟autre part, une entreprise qui nomme
un dirigeant d‟origine interne a très certainement recherché des informations sur les candidats
potentiels externes, il y a alors eu mise en concurrence entre les internes et les externes, même
si elle n‟est pas mise en évidence de manière explicite. Le marché managérial joue dans ce cas
un rôle de benchmark, tant en termes de profil de candidat que de rémunération.
37
1.2.3. Quelques statistiques illustrant le marché managérial
Le taux de rotation des dirigeants, indiquant la fréquence des changements, apparaît comme
un premier indicateur permet d'évaluer la réalité du marché managérial : lorsqu'il augmente, la
probabilité de recourir au marché managérial ou d‟en subir l‟influence se développe
également. Plus les mouvements seront nombreux, meilleure sera la qualité du processus
d'évaluation et de sélection du marché des dirigeants : amélioration de l'offre, élargissement
des viviers de candidats… La part des dirigeants recrutés en externe est un second indicateur à
analyser : elle souligne l'aptitude à la mobilité des dirigeants potentiels et son importance
traduit une meilleure liquidité du marché managérial.
La comparaison longitudinale des études empiriques n'est pas aisée, les tests étant effectués
sur des populations souvent différentes. Ainsi, pour les États-Unis, dans l'étude de Leonard
(2001), 20% des plus grosses entreprises américaines (les deux cents plus importantes)
avaient changé de Chief Executive Officer en 2000, contre 11% en 1999. L'analyse de Denis
et Denis (1995), portant sur 1 689 sociétés américaines cotées entre 1985 et 1988, établissait
un taux de rotation des dirigeants de 21.9 %.. Quant à Warner et al. (1988), ils étaient
parvenus à un taux de 18.3 %.
La plupart des études concluent à une hausse de la fréquence de la rotation des dirigeants
dans les pays industrialisés. Ainsi l'analyse de Péladeau et al. (2005), du cabinet Booz Allen
Hamilton, portant sur les 2500 plus grandes entreprises mondiales en termes de capitalisation,
a fait ressortir une augmentation du taux de départ des dirigeants sur les dix dernières années,
2004 constituant l'année record pour l'Europe et la région Asie-Pacifique (hors Japon), et
2005 pour l'Amérique du Nord et le Japon (tableau 2). Toutes zones confondues, 15,3% des
entreprises de l'échantillon avaient changé de dirigeant en 2005. Quant à la durée des
mandats, elle s'établissait à 6,6 années en 2004, contre 9 ans en 1995.
38
- Tableau 2 : taux de rotation des dirigeants entre 1996 et 2005, par pays (Péladeau et al.,
2005, p. 3) -
La part des recrutements externes serait également en développement, comme en témoigne
l'enquête annuelle de Forbes portant sur 1 323 entreprises américaines. En définissant comme
" externe " un candidat qui n‟était pas dans l‟entreprise l‟année précédant sa nomination, il
aurait évolué de 10% à 15% dans les années quatre vingts à 25% - 35% autour de 2000.
D‟après l‟étude d‟Hymowitz (2003), seulement 7% des mille firmes de Fortune nommaient
un dirigeant externe il y a vingt ans. Maintenant près de 40% des compagnies le feraient. Les
travaux de Parrino (1997) portant sur mille successions de dirigeants entre 1969 et 1989 pour
six cents sociétés (dirigeants connus de Forbes) aboutissaient à une proportion de
recrutements externes de 22%. De même dans l‟étude comparative des remplacements de
dirigeants internes et externes menée par Farrell et Whidbee (2003), sur un échantillon de
quatre mille firmes où trois cent soixante changements de dirigeants étaient observés, quatre
vingt avaient été remplacés par des externes, soit un taux de 23%. Le taux de recours à un
dirigeant extérieur ressortait plus faible dans les études plus anciennes : moins de 20% pour
Denis et Denis (1995), Reinganum (1985) ou Warner et al (1988).
Pour l‟Europe, citons l‟étude menée par Olie et al. (2003) sur le top 50 des entreprises
cotées sur le marché d‟Amsterdam, analysant les changements des équipes dirigeantes (notion
de dirigeant plus étendue que celle définie précédemment) entre 1990 et 2000. Elle faisait
ressortir une hausse significative du taux de rotation : il passait de 8% en 1990 à 35% en
2000. Pour les dirigeants eux-mêmes (Chief Executive Officer), sur 45 entreprises, 69
successions étaient enregistrées en onze ans, soit un taux de rotation de 14%.
39
Concernant la France, l‟évolution est identique. Les résultats de Pigé (1993) aboutissaient à
un taux de rotation moyen annuel des dirigeants des sociétés cotées entre 1985 et 1989 de 10
à 15%. Le recours au recrutement externe était important : seuls 40% des dirigeants étaient
déjà dans la société cinq ans auparavant. Une étude plus récente, celle de Dherment-Férère et
Renneboog (2000), portant sur la période 1988-1992, comptabilisait 277 changements de
dirigeants en cinq ans sur les 235 entreprises de l‟échantillon, soit un taux de rotation moyen
annuel de 23,5%. Cette progression reste cependant à confirmer, les deux études venant d'être
citées n'ayant pas analysé le même échantillon.
1.2.4. Synthèse
Le marché managérial correspond au segment supérieur du marché du travail identifié par
Piore (1975), qui d'après l'auteur se caractériserait par un taux de rotation plus élevé, la
mobilité étant encouragée par les perspectives d'évolution de carrière, une forte valorisation
de la formation et de l'expérience, un fonctionnement concurrentiel, mais aussi par la
puissance des barrières à l'entrée, les écoles fréquentées et l'appartenance à certaines classes
étant discriminantes. Ces spécificités restent cependant à confirmer et ne semblent pas être
identiques d'un pays à l'autre.
Pour sélectionner un nouveau dirigeant, les firmes ont le choix entre avoir recours au
marché interne ou marché externe. Le premier inciterait les cadres supérieurs à être
performants, favoriserait la continuité stratégique, valoriserait le capital humain et réduirait
l'asymétrie d'information sur les capacités du futur dirigeant, mais il pourrait aussi limiter
l'esprit d'équipe du fait de la compétition interne, constituer un risque d'affaiblissement des
ressources managériales et ne pas être en mesure de proposer le candidat nécessaire à la firme,
notamment dans les entreprises de petite taille ou lorsque l'environnement est fortement
évolutif. Le recours au marché externe permettrait lui d'optimiser les ressources managériales,
d'apporter une rupture, des réorientations stratégiques, de redonner confiance aux
investisseurs lorsque le prédécesseur a connu des difficultés, mais les coûts de recrutement
seraient plus élevés et l'incertitude serait plus grande tant sur les compétences du dirigeant que
sur son adaptabilité à la firme.
40
1.3. Choix du cadre théorique
Notre objectif est d'apporter une vision la plus complète possible du rôle du marché des
dirigeants comme mécanisme de gouvernance. Celui-ci a en effet été peu étudié dans sa
globalité. Si certains leviers comme la sanction des dirigeants inefficaces ont fait l'objet de
nombreuses recherches, le lien avec le marché managérial n'est pas toujours fait et surtout ses
autres voies d'intervention n'ont pas été clairement identifiées et testées empiriquement. Nous
avions donc besoin d'un cadre théorique synthétique, alliant plusieurs dimensions, afin
d'aboutir à une représentation de ce mécanisme la plus riche possible.
C'est pourquoi nous avons choisi de mener nos recherches en utilisant la grille de lecture
synthétique proposée par Charreaux (2002), qui associe les deux grandes approches
constituant les courants théoriques majeurs en gouvernance : la vision disciplinaire et la
vision cognitive. Les deux perspectives nous semblent nécessaires pour essayer de mieux
comprendre et expliquer les mécanismes de gouvernance, elles se complètent et s'enrichissent.
Pour permettre une meilleure compréhension de l'intérêt de cette vision synthétique, nous
avons rappelé dans les deux prochaines sections les principaux apports et les limites de
chacun des courants qui la composent, puis nous avons exposé les avantages de leur prise en
compte simultanée. Nos travaux étant consacrés à l'analyse d'un des mécanismes de
gouvernance, nous présentons dans le paragraphe 1.3.4. les différentes typologies qui ont été
proposées en gouvernance pour faciliter la compréhension de ces mécanismes.
1.3.1. La gouvernance disciplinaire
Le courant disciplinaire s'est appuyé sur les théories contractuelles des organisations : la
théorie de l‟agence, la théorie des droits de propriété et celle des coûts de transaction. Dans la
conception contractuelle, la firme est présentée comme un nœud de contrats. Les fondements
de la vision juridico-financière de la gouvernance ont été constitués par l'analyse de la
séparation de la fonction de propriété et de la fonction de contrôle de la firme (Berle et
Means, 1932). Dans une firme où la propriété et le management sont séparés, si les
actionnaires sont dispersés, ils deviennent des apporteurs de capitaux mais ne sont pas des
facteurs de production générateurs de rente, ils assument le risque mais sont passifs
41
relativement à la gestion de l'entreprise, contrairement à une firme entrepreneuriale
traditionnelle où le propriétaire de la firme apporte à la fois les capitaux et ses compétences.
De cette séparation sont nés des conflits d'intérêt entre les actionnaires et les dirigeants, qui
engendrent des coûts d'agence venant réduire la création de valeur dans la firme. La notion de
conflit, de divergence d‟intérêts entre les apporteurs de capitaux et les dirigeants, dès qu‟il y a
séparation des fonctions de propriété et de décision, traduit la possibilité d‟un comportement
du dirigeant allant à l‟encontre de l‟attente des actionnaires, comme chercher à s‟octroyer des
avantages en nature afin de maximiser son bien-être, et entraîne la recherche de systèmes et
de mécanismes permettant l‟alignement de ces intérêts.
Le rôle des systèmes de gouvernance, autrement dit dans une vision systémique des
mécanismes qui les composent, est alors de favoriser cet alignement. La gouvernance est
présentée comme un système disciplinaire, préventif et curatif, ayant pour objectif, dans la
vision actionnariale, de maximiser la richesse des actionnaires et de sécuriser la rentabilité de
l'investissement financier. Un autre courant s'est développé à l'intérieur de l'approche
disciplinaire : la perspective partenariale, élargissant le statut de propriétaire à l'ensemble des
participants au nœud de contrats productif (par exemple les salariés ou encore les clients). La
vision demeure disciplinaire, il s'agit de parvenir à l'alignement des intérêts entre les
dirigeants et les autres partenaires, mais elle pose, en plus de la préservation de la création de
valeur, le problème de sa répartition. Dans les deux modèles, l‟efficience est de source
disciplinaire, les mécanismes du système de gouvernance étant des moyens de contrôle et
d‟incitation, de réduction des conflits d‟intérêts entre les propriétaires et les dirigeants. La
notion d'efficience est fondamentale dans les théories de la gouvernance. Le but de
l‟organisation est de dégager un surplus, et de le répartir entre les différentes parties prenantes
de manière à assurer la pérennité de la coalition. Ainsi les recherches en gouvernance sont
liées à l‟étude de la création et de la répartition de la valeur par l‟organisation. L‟efficience est
relative, elle s‟apprécie par rapport aux concurrents, et est continuellement remise en
question, compte tenu des changements institutionnels et organisationnels. L'étude de
l'influence des mécanismes de gouvernance s'intéresse alors à leur capacité à préserver ou à
créer de la création de valeur. Nos travaux se sont inscrits dans cette perspective et ont été
articulés en deux axes : l'identification des différentes voies d'intervention du marché
managérial, puis le test de leur influence sur la performance de la firme.
42
1.3.2. La gouvernance cognitive
Cette approche puise ses fondements dans deux courants théoriques principaux.
L‟évolutionnisme économique (Nelson et Winter, 1982) mettait en avant la construction de
structures permettant d‟accumuler de la connaissance et des compétences, et faisait le lien
entre connaissance et création de rentes. Les théories stratégiques, avec les travaux
précurseurs de Penrose (1959) et de ses héritiers (Wernefelt, 1984, Conner et Prahalad, 1996,
Teece et al., 1997), se sont fondées sur la notion de ressources et ont cherché à identifier les
sources de l‟avantage concurrentiel. La firme est considérée dans cette approche comme un
répertoire de connaissances. Son efficience consiste en sa capacité à créer de la valeur, de
manière durable, via la construction des opportunités de croissance, à innover, autant qu‟à
réduire les conflits cognitifs. C‟est une efficience de type dynamique, adaptatif et productif.
La performance va être liée à l'aptitude du dirigeant à inventer, détecter, construire de
nouvelles opportunités. Les mécanismes de gouvernance sont alors analysés pour leurs
apports cognitifs, par exemple pour leur capacité à contribuer à un enrichissement de la vision
stratégique ou encore à véhiculer de nouvelles compétences. Concernant le marché des
dirigeants, la prise en compte de la dimension cognitive permet de se poser la question de
l'existence d'autres voies d'intervention que celles de source disciplinaire. Le marché du
travail managérial joue-t-il un rôle dans la création de valeur en ayant une influence sur les
décisions stratégiques des dirigeants ? Quelles compétences permet-il d'apporter à la firme ?
Dans l'analyse cognitive, les marchés sont en effet généralement vus à travers leur capacité
d‟échange et d‟acquisition de connaissances.
1.3.3. L'intérêt d'une vision synthétique
La vision disciplinaire, fréquemment utilisée, constitue une approche partielle, ne
permettant pas d‟analyser toutes les possibilités d‟intervention des mécanismes de
gouvernance et n‟expliquant qu‟une partie de leur contribution à la création de valeur. Dans
cette approche, l‟ensemble des opportunités d‟investissement est supposé exogène, et
l‟analyse de la performance ne s‟attache pas à comprendre comment s‟effectue la création de
valeur, mais à la manière de réduire les coûts pour éviter le gaspillage de cette valeur. Avec la
dimension cognitive, l‟origine de la valeur est au cœur de l‟analyse. La prise en compte de
l‟ensemble de ces aspects, tant les possibilités de réduction des conflits d‟intérêts que les
facteurs contribuant à la création de valeur, nous semble nécessaire pour étudier les
43
mécanismes de gouvernance, les comprendre et traduire une image aussi fidèle que possible
de la réalité. Les deux analyses ne s‟opposent pas, elles se complètent. Un mécanisme résulte
de la volonté explicite de contrôler ou de limiter l‟espace discrétionnaire du dirigeant, mais
peut également contribuer par des apports cognitifs à la création de valeur. Cette vision
synthétique de la gouvernance était également présente dans les travaux de Foss (1996) et
O'Sullivan (2000).
1.3.4. Les mécanismes de gouvernance
Analyser et comprendre les systèmes de gouvernance repose sur une bonne appréhension
des mécanismes qui les composent. Ceci suppose, d'une part, de disposer d'une typologie
permettant de les différencier, d'autre part, dans une conception du dispositif de nature
systémique, de prendre en compte l'existence des interactions potentielles.
Plusieurs typologies des mécanismes de gouvernance ont été proposées. La simple
distinction entre interne et externe est fréquemment utilisée dans l‟approche financière
actionnariale. Elle considère que deux grandes familles de mécanismes peuvent être
distinguées : les internes, liés à la firme, comme le conseil d'administration, et les externes,
notamment les marchés, dont l'influence s'étend au-delà des frontières de la firme. Chaque
sous-ensemble est supposé avoir des caractéristiques propres. Si cette typologie a eu
l'avantage de constituer un premier support de réflexion sur les différences entre les
mécanismes, celle proposée un peu plus tard par Charreaux (1997), en affinant les dimensions
prises en compte, permet de mieux comprendre et appréhender ce que représente un
mécanisme de gouvernance et fait ressortir le caractère contingent des mécanismes. Elle est
basée sur deux axes distinctifs : l'intentionnalité ou la spontanéité d'un mécanisme d'une part,
sa spécificité ou sa non-spécificité d'autre part. La première distingue un mécanisme en
fonction de son caractère intentionnel, formel, résultant d'une volonté explicite, ou au
contraire de son caractère spontané, lorsqu'il n'a pas été au départ conçu pour discipliner les
dirigeants, mais qu'il exerce de fait une contrainte sur ceux-ci. La seconde apporte une
réponse à la difficulté d'appréhender la notion d'internalité, en s'y substituant. "Est considéré
comme spécifique, tout mécanisme propre à l'entreprise délimitant le pouvoir discrétionnaire
des dirigeants, dans le sens où son action influence exclusivement les décisions des dirigeants
de cette entreprise" (Charreaux, 1997, p. 425). Les mécanismes intentionnels spécifiques sont
44
des systèmes formels d‟incitation et de contrôle. Il s'agit par exemple du contrôle direct des
actionnaires, du conseil d‟administration, des systèmes de rémunération des dirigeants ou
encore des comités d‟entreprises. Sont au contraire considérés comme spontanés
spécifiques les mécanismes informels, parmi lesquels figurent les réseaux informels de
confiance, la surveillance mutuelle des dirigeants, la réputation auprès des salariés.
L'environnement légal et réglementaire, auditeurs légaux, association de consommateurs,
constituent eux des mécanismes intentionnels non spécifiques. Enfin les marchés se
caractérisent par leur aspect spontané et non spécifique : marché des biens et des services,
marché financier, marché des dirigeants, marché des prises de contrôle, environnement
médiatique, marché de la formation… (Charreaux, 1997, p. 427). Dans cette typologie, le
marché des dirigeants est un mécanisme spontané non spécifique. Le caractère non spécifique
traduit le fait qu‟il ne concerne pas exclusivement une firme, mais agit sur et avec l‟ensemble
des entreprises. C‟est aussi un mécanisme spontané, par opposition à intentionnel, car il
contrôle et limite l‟espace discrétionnaire du dirigeant sans en avoir la volonté explicite.
Bien comprendre le rôle du marché des dirigeants suppose également tenir compte des
interactions potentielles entre les mécanismes à l'intérieur du système de gouvernance des
entreprises. Ceux-ci n‟agissent pas de manière indépendante, ils sont imbriqués, et présentent
des phénomènes de complémentarité ou de substitution (Jensen et al., 1992, Rediker et Seth,
1995, Agrawal et Knoeber, 1996, Hirshleifer et Thakor, 1998, Coles et al. 2001, Graziano et
Luporini, 2003). Une hiérarchie des mécanismes peut être observée (Fama, 1980), elle varie
selon la structure de l'entreprise. Par exemple, d'après l'auteur, dans les firmes managériales le
mécanisme dominant serait le marché des dirigeants. Cette vision rend plus complexes les
modélisations des systèmes de gouvernance, mais elle permet d‟accroître leur pouvoir
explicatif. De ce fait, les études empiriques cherchant à tester l‟efficacité des différents
mécanismes en les considérant isolément n‟obtiennent généralement que des résultats partiels
ou faibles (Agrawal et Knoeber, 1996). L'analyse de ces interactions sera développée au
chapitre VII.
Conclusion du premier chapitre
Ce premier chapitre nous a permis de définir le cadre général de nos travaux. Nous avons
ainsi expliqué que nous nous intéressions aux dirigeants qui ont le pouvoir de décision et
engagent la société au nom des actionnaires, notre étude portant sur les chefs d‟états majors et
45
non pas, comme certaines recherches, sur l‟ensemble des cadres dirigeants, incluant les
directeurs des ressources humaines ou encore les directeurs financiers.
Un tableau rapide des pratiques de gouvernance dans les principaux pays industrialisés a
fait ressortir leur hétérogénéité mais aussi l'absence de vérification de leur incidence sur la
performance des firmes. Leur prise en compte aide à mieux comprendre comment la latitude
des dirigeants peut varier et comment leur rôle est délimité. Elles influencent de ce fait la
position du marché managérial à l'intérieur du système de gouvernance et sa capacité à créer
de la valeur.
En nous appuyant sur les recherches menées en économie du travail, nous avons
progressivement affiné la définition du marché managérial, segment supérieur du marché du
travail primaire, fondé sur la mise en concurrence et les possibilités de mobilité, dont l'accès
serait difficile et conditionné par les composantes du capital humain des candidats. Nous
avons présenté les deux possibilités qui s'offrent aux firmes souhaitant recruter un nouveau
dirigeant : avoir recours au marché externe ou favoriser la promotion en interne jusqu'aux plus
hauts échelons. L'arbitrage entre ces deux solutions se fait en fonction des besoins et des
ressources de la firme. Par exemple un candidat externe peut être retenu pour sa capacité à
mettre en œuvre des réorientations stratégiques, alors qu'un interne est privilégié lorsque la
firme recherche la continuité.
Le cadre d'analyse qui a été retenu pour mener nos travaux est la grille de lecture
synthétique proposée par Charreaux (2002), qui permet d'étudier le rôle du marché des
dirigeants sous les deux dimensions, disciplinaire et cognitive, afin d‟avoir une vision la plus
complète possible de l'intervention de ce mécanisme. En effet, dans l'approche disciplinaire,
les mécanismes de gouvernance sont vus à travers leur rôle d'incitation et de contrôle et leur
capacité à aligner les intérêts des dirigeants et des actionnaires. Dans la vision cognitive,
d'autres voies d'intervention sont prises en compte, comme l'influence des mécanismes sur la
vision stratégique de la firme ou encore leur capacité à apporter des compétences.
Les prochains chapitres exposent les différentes facettes du rôle du marché des dirigeants
en tant que mécanisme de gouvernance, telles qu‟elles nous ont semblé se dégager de la
littérature, en cherchant à dresser un tableau aussi exhaustif que possible. Le chapitre II sera
concentré sur la fonction du marché managérial reconnue fondamentale : l‟évaluation des
46
dirigeants. Après avoir présenté comment elle s‟effectue, par qui, à quel moment, nous
expliquerons pourquoi cette voie d‟intervention justifiait un chapitre dédié et en quoi elle
constitue, dans une recherche de modélisation du rôle du marché managérial, un préalable aux
autres voies d‟intervention. Le chapitre III sera consacré au rôle disciplinaire du marché des
dirigeants et le chapitre IV à son rôle cognitif dans le SGE.
47
CHAPITRE II : L’EVALUATION DES DIRIGEANTS, FONCTION
FONDAMENTALE DU MARCHE MANAGERIAL
L‟évaluation est généralement considérée comme la fonction principale du marché des
dirigeants. Le marché du travail des dirigeants peut présenter deux types d'efficience : une
efficience informationnelle, si toute l‟information passée et présente est efficacement utilisée
pour évaluer le capital humain des dirigeants relevant de ce marché, et une efficience
allocationnelle, si l'allocation résultant de cette appréciation engendre l'orientation des
meilleurs dirigeants vers les entreprises les plus performantes. En effet les dirigeants ayant les
compétences les plus élevées choisiraient de travailler pour les firmes qui les
récompenseraient le mieux. L'efficience allocative du marché managérial suppose sa capacité
à respecter la double contrainte à laquelle il est confronté : celle de la rareté de la ressource et
celle de la spécificité du besoin en capital humain exprimé par l'entreprise.
L'évaluation d'un dirigeant est un exercice très complexe. Elle porte à la fois sur ses
caractéristiques, sa formation, son expérience, ses compétences, la performance qu'il a
enregistrée et les efforts qu'il a fournis dans ses précédents postes. Elle dépend également des
candidats potentiels sur le marché managérial, le dirigeant obtenant le poste étant celui qui a
remporté la compétition l'opposant aux autres prétendants. Cette mise en concurrence est un
des fondements du fonctionnement du marché managérial, donnant au rôle d'évaluation la
particularité d'être relatif.
La difficulté réside également dans le fait "qu'il faut plus longtemps aux dirigeants qu'aux
autres employés pour faire leurs preuves dans leur fonction. La raison est que leur
productivité dépend de l'aboutissement favorable des efforts des autres – ce qui s'évalue de
manière plus fiable sur le long terme"11 (Elliott, 2000, p. 1039).
Les actifs managériaux faisant partie des actifs non cotés, il est complexe d‟apprécier le
rôle d‟évaluation exercé par le marché des dirigeants. Nous allons chercher à l‟appréhender en
11
Elliott J.R. (2000, p. 1039) : (a defining characteristic of managers is that) "they take longer to prove
themselves on the job than other types of labor. The reason is that their productivity relies upon the steady and
successful culmination of others' efforts – something which is more reliably assessed over the long term".
48
répondant aux questions suivantes : Comment un dirigeant est-il évalué ? Selon les critères de
sélection utilisés pour recruter un dirigeant, nous chercherons à comprendre si le marché
managérial joue un rôle et s‟il est efficient. Par qui un dirigeant est-il évalué ? La
connaissance des acteurs intervenant dans l‟évaluation nous aidera à analyser le rôle du
marché des dirigeants. A quels moments le marché managérial joue-t-il ce rôle d‟évaluation ?
La fréquence des évaluations traduit l‟importance de sa fonction et améliore la connaissance
des candidats. Quels sont les coûts engendrés ou liés à cette évaluation ? S‟ils sont élevés, ils
peuvent être un frein ou être destructeurs de valeur.
A travers l‟étude de ce rôle d‟évaluation, nous essayerons de faire ressortir les
caractéristiques du marché managérial : modes d‟accès, fluidité, segmentation. Nous
expliquerons ensuite comment cette fonction conditionne l‟ensemble du rôle du marché des
dirigeants en tant que mécanisme de gouvernance et peut être considérée comme le socle de
notre analyse.
2.1. Comment un dirigeant est-il évalué ?
L'évaluation des dirigeants fait l'objet d'une littérature abondante en gestion des ressources
humaines. Elle repose sur trois approches complémentaires : l'appréciation du capital humain
managérial, l'évaluation du dirigeant en fonction de la performance des entreprises où il a
exercé précédemment, et enfin l'analyse de l'adéquation du profil du candidat aux spécificités
et besoins de la cible. Les deux premières s'appuient sur la constatation que les talents et les
compétences d'un individu n'étant pas observables, la capacité d'un dirigeant peut être
appréhendée soit ex ante, par sa formation et son expérience professionnelle notamment, soit
ex post en fonction de la performance de la firme qu'il dirige.
2.1.1. L'évaluation du capital humain des dirigeants
Les caractéristiques des dirigeants ont une influence sur la performance de la firme
(Hambrick et Mason, 1984, Gupta, 1984, Lewin et Stephens, 1990, Hitt et Tyler, 1991,
Wiersema et Bantel, 1992, Datta et Guthrie, 1998) et sont généralement utilisées comme
opérationnalisation du capital humain managérial. Le candidat est analysé en fonction de son
âge, de sa formation, de son expérience professionnelle (fonctionnelle, sectorielle,
industrielle), son ancienneté dans le poste, ainsi que relativement à d‟autres critères dont
49
l‟estimation est plus complexe : intégrité, capacité à décider, à prendre des risques, à anticiper
et conduire le changement, à fédérer, à s‟adapter, à négocier… Il semble que le capital
humain ne soit pas intégralement et uniquement lié au cursus, mais que sa valeur dépende de
la prise en compte d'un ensemble de critères. Le rôle d‟évaluation du marché des dirigeants
sera efficient s‟il traduit la valeur effective du capital humain du dirigeant et permet à celui-ci,
de ce fait, de se voir proposer un poste en cohérence avec ses compétences et ses
qualifications.
2.1.1.1. L'âge
L'âge fait partie des critères d'analyse, c'est une des caractéristiques managériales
facilement observables. L‟entreprise peut souhaiter un jeune de quarante ans, ayant déjà de
l‟expérience, mais surtout l‟envie d‟innover, d‟entreprendre, ou au contraire préférer un
dirigeant de cinquante ans, qui sera probablement plus fidèle. S‟il existe très certainement des
différences importantes entre les personnalités de candidats d‟âges identiques, il semble
cependant cohérent de supposer qu‟en fonction de la tranche d‟âge, certains profils puissent se
dégager, en matière de prise de risque, d'investissement, d'innovation, de volonté de
changement (Pfeffer, 1983, Bantel et Jackson, 1989, Miller, 1991, Wiersema et Bantel, 1992,
Hirshleifer et Thakor, 1992, Hambrick et al., 1993, Datta et Rajagopalan, 1998, Bertrand et
Schoar, 2003).
2.1.1.2. La formation
La formation est un autre élément intégré dans l'évaluation. La prise en compte du niveau
d‟études sous-entend que celui-ci valide l‟existence de compétences du candidat et leur
applicabilité à l‟entreprise concernée. Le niveau d'études reflèterait la capacité cognitive d'un
candidat, son ouverture d'esprit, sa réceptivité à l'innovation, sa capacité à percevoir et
distinguer les choses (Becker, 1970, Kimberly et Evanisko, 1981, Bantel et Jackson, 1989,
Wiersema et Bantel, 1992, Wally et Baum, 1994).
Le lien entre l'accession à un poste de dirigeant, à des rémunérations élevées, et un niveau
de formation supérieur a été mis en évidence dans de nombreuses études, aussi bien pour les
États-Unis (Elliott, 2000, Murphy et Zabojnik, 2004, Cappelli et Hamori, 2005), pour
l'Angleterre (McNabb, 1987), que pour la France (Bauer et Bertin-Mourot, 1987, 1995, Pigé,
50
1993, 1996, Nguyen-Dang, 2005). Murphy et Zabojnik (2004) reliaient l'augmentation des
salaires des dirigeants enregistrée depuis les années quatre vingt à la multiplication des études
générales de haut niveau comme les Master in Business Administration (désormais MBA),
apportant une culture en management, en finance, en marketing…. D'après leur article, les
recrutements de dirigeants ayant un MBA avaient doublé en vingt ans et représentaient 28.7%
des changements dans les années 1990.
En France, il semblerait que les recrutements des dirigeants se fassent principalement parmi
les diplômés des grandes écoles, les plus prestigieuses étant HEC, l'ESCP, l'ESSEC pour les
cadres commerciaux et l'École Polytechnique, l'École de Mines, l'École des Ponts, et l'École
Centrale pour les ingénieurs. D‟après les travaux de Bauer et Bertin-Mourot (1987), le
recrutement des dirigeants serait de type clanique, une élite, issue principalement de l‟école
Polytechnique et de l‟École Nationale d‟Administration (désormais ENA), se partageant les
postes les plus hauts placés. Ils mettaient en avant l‟importance déterminante du diplôme
initial et du passage par les grandes écoles et les grands corps de l‟État, ainsi que le
recrutement d‟une proportion élevée des dirigeants dans la haute fonction publique, souvent
après un passage dans les cabinets ministériels ou à l'Inspection des Finances. Rappelons que
pour faire partie d'un des grands corps de l'État, il faut être diplômé de l'ENA puis avoir été en
fonction à l'Inspection des Finances, au Conseil d'État, à la Cour des Comptes, au Corps
Préfectoral, à l'Inspection Générale de l'Administration, ou encore à l'Inspection Générale des
Affaires Sociales, ou pour ceux qui sortent de l'école Polytechnique, être ensuite passé par
l'École de Mines, celle des Télécommunications, les Ponts, l'ENSAE (École Nationale
Supérieure de l'Administration Économique), l'École du Génie Rural, des Eaux et des Forêts,
ou encore l'École de l'Armement. Cela entraînerait un recrutement très uniforme, peu fait pour
tirer parti de la variété des ressources humaines, et ne valorisant pas l‟expérience acquise et la
réussite professionnelle. Une telle évaluation qui se limiterait au diplôme peut paraître
insuffisante, ne tenant pas compte des qualités personnelles du dirigeant, de son parcours
professionnel, ni de l‟adéquation avec les besoins de l‟entreprise. Mais rien ne permet
d'affirmer que ces autres critères n'ont pas été également étudiés. De plus, si l'existence de ces
réseaux peut sembler constituer une barrière à l'entrée du marché managérial français, elle ne
remet pas forcément en question son efficience, pour deux raisons. D'une part, les candidats
promus par les réseaux peuvent tout-à-fait être compétents, et les réseaux apporter une
meilleure information sur leurs capacités, d'autre part, le marché managérial a probablement
également joué un rôle dans l'évaluation, au moins implicitement en servant de référence.
51
Il faut aussi rappeler que ces travaux se limitent à l‟étude des plus hauts dirigeants (les deux
cents), et que la part des entreprises publiques dans leur échantillon était majoritaire, ils ne
traduisent ainsi pas forcément la réalité du marché français des dirigeants pour l‟ensemble des
firmes. Nguyen-Dang (2005), qui étudiait sur une période plus récente (1994 à 2001)
l'influence des réseaux de dirigeants en France, notamment l'appartenance aux grands corps,
confirmait son importance encore une fois sur les plus grosses entreprises (le SBF 250), mais
soulignait parallèlement que ces sociétés avaient une particularité forte, celle d'être sous
l'influence directe ou indirecte du gouvernement. Dans son échantillon, 31% des dirigeants
issus de grands corps et 41% de dirigeants venant de l'Inspection des Finances étaient à la tête
d'une entreprise dont l'État était un actionnaire important. La prédominance de ces clans n'est
peut-être plus une réalité lorsque l'on étudie les firmes privées.
Dans l'étude de Pigé (1996) portant sur 558 entreprises cotées en France sur la période 1966
à 1990, les résultats étaient plus nuancés. S‟inspirant des travaux de Bauer et Bertin-Mourot
(1996), il a repris leur typologie des dirigeants basée sur trois atouts : l„atout " capital " lié à
l‟appui familial, l‟atout " état " faisant référence aux liens construits pendant la formation
(ENA, Polytechnique…) et le passage par la fonction publique, l‟atout " carrière "
représentant l‟expérience professionnelle. Il ressort de son analyse que la formation demeurait
une variable discriminante : un quart des PDG sortait de Polytechnique, un quart était
ingénieurs de formation, un quart issu des grandes écoles de management et de commerce, un
huitième de l‟université et un huitième n‟avait pas de formation supérieure. Cependant les
PDG non issus de grands corps et ne bénéficiant pas d‟appui familial étaient plus de 50% à
avoir travaillé dans une autre entreprise, ce qui tend à traduire un rôle plus important du
marché managérial pour cette catégorie. Le rôle du marché s‟accentuerait lorsqu‟on s‟éloigne
des entreprises les plus importantes (effet taille). Dans les entreprises de taille inférieure, la
part d‟autodidactes augmente et le niveau de diplôme ne se restreint pas aux quelques grandes
écoles citées ci-dessus. L'étude de Pigé n‟a pas trouvé de lien significatif entre les facteurs
ayant permis au dirigeant d‟accéder à la tête de l‟entreprise et la performance de celle-ci au
cours de son mandat. Les dirigeants sélectionnés par le marché du travail n'étaient pas plus
performants que ceux bénéficiant de réseaux ou d‟appui familial.
Il demeure que dans les esprits aujourd‟hui le marché managérial français apparaît comme
segmenté, et de ce fait assumerait mal sa fonction allocationnelle, du fait de la forte influence
52
de réseaux liés à certaines formations. Mais cet argument est très discutable. D'une part, les
effets de cette influence ne sont pas forcément négatifs et en opposition au marché
managérial. Les réseaux peuvent aussi contribuer à une meilleure sélection des dirigeants car
ils disposent de plus d'informations sur leurs compétences. De plus, pour des questions de
réputation, ils sont probablement vigilants à ne pas promouvoir des candidats dont les chances
de succès à la tête de l'entreprise qui recrute seraient réduites. En l‟état actuel de la littérature,
il est difficile de conclure sur ce point. D'autre part, la multiplicité des critères évoqués dans
les études portant sur le recrutement des dirigeants laisse à penser que la formation au sein de
certaines écoles n‟est pas un critère exclusif, même si elle peut jouer un rôle de signal fort.
Étudier les caractéristiques des dirigeants nommés récemment (l‟analyse de Pigé remonte à
1996) et dans des entreprises relevant d‟un panel plus large que le CAC 40 ou les deux cents
plus grosses entreprises, par exemple s'intéresser à l‟ensemble des sociétés cotées, permettrait
d‟apporter un éclairage plus juste et plus précis sur la réalité des critères d'évaluation du
marché managérial en France.
Aux États-Unis et en Angleterre, cette influence des clans n'apparaît pas comme une
caractéristique majeure du marché managérial. Pourtant il existe aussi des formations élitistes
très reconnues, les Ivy league schools12 américaines, ou pour le marché anglais les fameuses
universités d'Oxford et de Cambridge, qui en plus approvisionnent le marché du travail
chaque année d'un nombre de diplômés beaucoup plus élevés que l'ENA et Polytechnique.
Outre un effet "réseaux" moins mis en évidence, le marché managérial américain semblerait
évoluer vers une plus grande diversification des formations de ses dirigeants. Ainsi, l'étude
récente menée par Cappelli et Hamori (2005) concernant les cadres de haut niveau (le top 10)
des entreprises répertoriées dans Fortune 100, faisait ressortir une hausse du niveau d‟études,
mais une baisse de l'influence des formations les plus élitistes. La part des dirigeants issus des
Ivy league Schools était en effet passée de 14% en 1980 à 10% en 2001.
2.1.1.3. L'expérience professionnelle
L'expérience professionnelle est généralement analysée comme une mesure du
développement du capital humain du dirigeant. Elle peut permettre d'expliquer l'existence
12
Les "Ivy League Schools" sont les huit plus prestigieuses institutions privées d'enseignement supérieur du
Nord Est des États-Unis : ce sont les universités de Brown, Princeton, Harvard, Columbia, Cornell, Dartmouth,
Pennsylvania, Yale.
53
d'écarts de rémunération entre les travailleurs (McNabb, 1987). Au moment de la sélection, la
spécialisation du dirigeant au cours de sa carrière est prise en compte, par exemple si elle est
orientée vers un secteur particulier, un type d‟organisation ou certaines fonctions. Ainsi
Didier Lamouche, président de Bull depuis 2005, aurait été recruté notamment pour sa
connaissance du secteur informatique (il était précédemment vice-président d'IBM) et pour sa
capacité à mener à bien des restructurations. Les caractéristiques et l‟expérience des dirigeants
varient
considérablement d‟une industrie à une autre (Datta et Guthrie, 2002).
La
connaissance du secteur et de ses spécificités peut être un critère de sélection (Gunz et al.,
2000). Dans l‟étude de Parrino (1997), peu de nouveaux dirigeants (2,7%) n‟avaient pas
d‟expérience industrielle ou technique liée au domaine de la firme. L‟expérience industrielle
peut être un moyen de réduire les risques coûteux d‟erreur de changements politiques, elle est
synonyme de continuité, et réduit les coûts d‟adaptation du dirigeant lorsqu‟il arrive dans son
nouveau poste. Plus l‟expérience professionnelle augmente, plus le dirigeant développe son
capital humain général et spécifique à la firme. Sa prise en compte dans l‟évaluation d‟un
candidat traduit l‟efficience allocationnelle du rôle du marché managérial si on suppose
qu‟elle constitue un déterminant important des capacités du dirigeant. En outre, plus le
dirigeant a occupé de postes, meilleure est la connaissance de son potentiel, car il a été évalué
plusieurs fois et dans des fonctions différentes. Mais des candidats extérieurs sans expérience
industrielle peuvent aussi être choisis pour obtenir des résultats spécifiques dans d‟autres
domaines.
L'expérience ministérielle semble être recherchée, principalement en France. L'étude de
Bauer et Bertin-Mourot (1996), qui effectuait une comparaison entre la situation en France, au
Royaume Uni et en Allemagne, soulignait notamment l'importance en France du passage dans
les ministères avant de devenir dirigeant : 47% des dirigeants des 200 plus grandes sociétés
françaises étaient issus de la sphère publique Pour l'Angleterre, ce chiffre était de 2%
seulement, et de 8% pour l'Allemagne (également sur les 200). Les relations établies à
l'occasion d'un passage ministériel sont certainement une des principales justifications de
l'importance de ce critère. Cependant, ces chiffres remontant aux années quatre-vingt dix,
cette prépondérance reste à confirmer.
2.1.1.4. Les qualités personnelles
Outre l‟âge, la formation, l‟expérience, ou encore le niveau d‟éducation, la rotation ou
durée des postes précédents, d‟autres critères sont étudiés, et leur estimation est encore plus
54
complexe. Évaluer les qualités et compétences d‟un candidat telles que l‟intégrité,
l‟intelligence, l‟énergie, la capacité à décider, à prendre des risques, à anticiper et conduire le
changement, le degré de motivation, la souplesse d‟adaptation, notamment aux mutations de
l‟environnement, le don pour la négociation, le charisme,… entre dans le domaine du
subjectif, même si des grilles et des tests spécifiques se développent. Il en va de même pour la
réputation (meneur d‟hommes, respecté dans le secteur, dans le milieu financier, "tueur"...) et
le capital confiance associés au dirigeant. La capacité d'adaptation du candidat au nouveau
poste, l'importance de la formation qui lui sera nécessaire pour assumer ses fonctions,
génératrices de coûts, peuvent également être prises en compte. Dans le modèle de
compétition du travail développé par Thurow (1970, 1975), ces coûts varient selon les
caractéristiques et les compétences de l'individu, et détermineraient les possibilités d'accès à
certains postes. Pour Mintzberg (2003, p. 183), l'ambition joue également un rôle important :
"les présidents directeurs généraux ont tendance à être des individus très orientés vers la
réussite. Tout le monde n'arrive pas au sommet de la hiérarchie. Les procédés de sélection ont
tendance à promouvoir ceux qui semblent les plus concernés par la réussite".
2.1.1.5. Le capital social
Pour reprendre la terminologie de Bevort (2001, p. 63), le capital social est constitué "par
les normes et les réseaux qui facilitent la confiance, la coopération et l'action collective". Il est
généralement considéré comme une ressource, difficilement échangeable (Coleman, 1990),
spécifique. Bourdieu (1980), dans sa distinction entre capital économique, capital culturel et
capital social, adoptait une vision utilitariste de ce dernier, synthétisée dans la définition de
Mercklé (2004, p. 55) : le capital social "apparaît comme constitué du réseau des relations
sociales d'un individu et des volumes des différentes sortes de capital détenues par les agents
qu'il peut ainsi atteindre et mobiliser pour son propre intérêt" ; il serait "proportionnel à ses
propres dotations en capital économique et en capital culturel, elles-mêmes très fortement
liées à son origine sociale". Cette vision a été très discutée, notamment par Lin (1995), qui
défend la capacité du capital social à avoir ses effets propres.
La notion de réseau sera développée aux chapitres V, paragraphe 5.2.3., et VI, paragraphe
6.2.3., l'objectif étant à ce stade uniquement de recenser un critère de sélection
supplémentaire: les relations du candidat. Si, par exemple, le dirigeant dispose d‟un carnet
d‟adresses, d‟un réseau, qui lui permettront une fois en poste de nouer des contacts avec de
55
nouveaux clients, des fournisseurs, d‟obtenir des contrats que l‟entreprise ne pouvait obtenir
sans lui, ou encore s‟il bénéficie de relations dans un secteur ou un pays où la société veut se
développer, ces éléments peuvent être déterminants pour sa sélection.
2.1.1.6. La transférabilité des talents managériaux
Transversalement aux critères d‟évaluation que nous venons d‟évoquer, la notion de
transférabilité des talents semble nécessaire à prendre en compte en matière de sélection. En
effet recruter un dirigeant pour ses compétences évaluées par le marché suppose que ces
compétences sont transposables à la nouvelle entreprise qu‟il va diriger.
Chaque dirigeant dispose d‟un répertoire limité de savoir-faire, acquis lors de ses
expériences précédentes, qui ne sont pas forcément transférables d‟une entreprise à une autre
(Hambrick et Fukutomi, 1991). Il s‟agit avant tout de savoirs tacites (Elliasson, 1990). D'après
la théorie du capital humain de Becker (1964), les compétences managériales sont une
hiérarchie de savoir-faire ayant différents degrés de transférabilité entre firmes :
- les savoir-faire liés à une entreprise, non transférables à une autre firme : connaissance de
la culture d‟entreprise, rapports privilégiés établis avec les salariés, avec l‟équipe de direction,
avec les syndicats, avec les parties prenantes ;
- les savoir-faire liés à une industrie, transférables uniquement à une autre entreprise du
même secteur d'activité : maîtrise technologique, connaissances techniques, du marché ;
- les savoir-faire génériques, transférables à toutes les entreprises, qui forment la base de la
hiérarchie des compétences : tous les dirigeants en possèdent et peuvent les mettre en pratique
dans une autre firme, même si la nature et l'étendue de ces savoir-faire varient d'un individu à
un autre. Ces derniers ne suffisent pas pour assumer une direction d‟entreprise (Castanias et
Helfat, 1992). Il s‟agit par exemple des capacités de gestion, de management ou de marketing
des dirigeants.
Ainsi un successeur interne au dirigeant pourra être choisi notamment pour la valeur de son
capital humain spécifique à la firme. Lorsque l'objectif du recrutement est d'assurer la
continuité du savoir faire industriel, un interne ou un externe ayant ces compétences est
susceptible de répondre au profil attendu. Lorsqu'une firme choisit de recruter en interne, elle
s'assure, en plus des capacités spécifiques à la firme du candidat, de savoir-faire plus adaptés
aux besoins de la firme (Harris et Helfat, 1997).
56
La prise en compte de la théorie du capital humain développée par Becker (1964) introduit
plusieurs conséquences importantes pour notre étude. Elle fait évoluer la notion de prix, le
"prix" d'un dirigeant étant la résultante de négociations fondées sur ce qu'il peut apporter de
plus que les autres candidats. Elle peut aussi contribuer à une meilleure compréhension des
modes d'accès et des frontières du marché managérial, en suggérant des facteurs explicatifs du
recours ou du non recours à ce mécanisme pour évaluer et recruter un nouveau dirigeant.
Le modèle de Murphy et Zabojnik (2004) explicitait également cette distinction entre "la
capacité managériale générale", c'est-à-dire les talents managériaux transférables, comme
l'expertise comptable, financière et la capacité à gérer des hommes et des actifs, et "le capital
managérial spécifique à la firme", reflétant les connaissances, contacts, et expérience valables
uniquement à l'intérieur de la firme. Pour les auteurs, seule la capacité managériale générale
était rémunérée par le marché des dirigeants. Ils l'expliquaient notamment par l'importance de
l'adéquation entre le profil du candidat et la cible. Lorsqu'une firme recrute à l'extérieur, et fait
appel au marché des dirigeants, ce n'est pas forcément parce que les compétences attendues
n'existent pas en interne. Ce peut être pour avoir l'opportunité de choisir parmi un panel
beaucoup plus large, permettant justement de recruter la personne la plus adaptée aux besoins
de l'entreprise. Dans ce cas, le capital spécifique à la firme n'est pas recherché ni valorisé.
Pour Murphy et Zabojnik, le développement de la capacité managériale générale, lié à la
multiplication des études de haut niveau, expliquarait l'augmentation des salaires des
dirigeants enregistrée depuis vingt cinq ans.
L‟intérêt du modèle de Murphy et Zabojnik consiste en la réflexion sur la distinction entre
capital humain transférable et spécifique. Leur conclusion que seule la capacité managériale
générale est rémunérée par le marché est cependant discutable. Pour mieux appréhender la
réalité, un approfondissement de la notion de transférabilité et de celle de spécificité apparaît
nécessaire, en examinant par exemple différents degrés de transférabilité. Dans les travaux de
Parrino (1997), le capital humain spécifique et sa transférabilité étaient une considération
importante dans la sélection d‟un nouveau dirigeant. Il ressortait de son étude qu‟à l‟intérieur
d‟un secteur homogène, une part de ce capital humain était effectivement transférable, d‟où
une réduction des coûts de recrutement favorisant la rotation des dirigeants. Il a en outre
analysé les remplacements par des externes et trouvé qu‟ils avaient pour un quart d‟entre eux
des relations professionnelles avec l‟entreprise avant leur mutation (consultant, clients…), ce
57
qui irait également dans le sens de la prise en compte de connaissances spécifiques de la
firme.
2.1.1.7. Les signaux de marché
La question se pose de comprendre quel pouvoir de signal présentent les différentes
caractéristiques personnelles des dirigeants évoquées précédemment, et comment le contenu
informationnel qu'elles véhiculent est appréhendé par les entreprises. Spence (1973) a cherché
à modéliser la structure interactive du marché du travail. Il est parti de la constatation que le
recrutement était un investissement qui s'effectue sous incertitude. Lorsqu'un employeur
engage une nouvelle personne, il est dans l'incertitude quant aux capacités réelles du candidat
choisi. Il demeure en asymétrie d'information pendant une certaine période, le temps que le
nouvel embauché se forme et apprenne les différentes spécificités du poste. De même, le
candidat ne dispose que d'une information partielle sur la fonction et son environnement au
moment où il accepte le poste. L'employeur ne peut appréhender directement la productivité
marginale d'un individu, il dispose principalement des caractéristiques et des attributs
personnels observables du candidat. Cette image inclut la formation, l'expérience, etc. Elle
peut être modifiée par l'individu, qui va par exemple choisir d'investir dans une formation plus
élevée dans l'espoir d'obtenir un poste plus prestigieux ou mieux rémunéré. Sa décision sera
fonction des coûts engendrés par ce choix, en termes financiers et de temps par exemple, et
des gains potentiels attendus. L'existence de coûts est cohérente avec la théorie du signal,
selon laquelle un signal doit être coûteux. Pour Spence (1973), chacune des caractéristiques
individuelles des candidats véhicule un signal pour l'employeur, qui leur attribue un niveau
attendu de productivité marginale. Une fois l'individu en poste, l'employeur va pouvoir
vérifier et ajuster ses attentes. S'il n'y a pas d'écart majeur, il sera conforté dans ses croyances
et interprétera de la même manière le signal lorsqu'il y sera à nouveau confronté. Spence
soulignait le caractère interactif de la structure du marché du travail, car d'une part les
candidats cherchent à modifier leur image en fonction des signaux les mieux perçus par
l'employeur, d'autre part les résultats obtenus par les précédents embauchés contribuent à
renforcer les croyances de l'employeur relativement aux signaux, ou à les modifier en cas
d'échec. Un cycle est effectué lorsque les attentes d'un employeur le conduisent à proposer un
certain niveau de rémunération, que l'attraction de cette rémunération incite les individus à
tenter de produire le signal reconnu par cet employeur, une certaine formation par exemple, et
que les candidats recrutés du fait de ces signaux confortent l'employeur dans ses croyances et
58
favorisent l'embauche ultérieure d'individus ayant les mêmes caractéristiques. La rareté
intervient également, si le signal provient d'une minorité de candidats, et que les croyances de
l'employeur sont fortes relativement à ce signal, la rémunération offerte pourra être plus
élevée. Les signaux ont une incidence sur l'efficience allocationnelle du marché du travail. Le
schéma proposé par Spence pourrait expliquer qu'une firme choisisse de recruter ses
dirigeants au sein de la même formation, lorsque les prédécesseurs ont eu de bons résultats.
Chez Bongrain par exemple Michel Léonard, HEC, a succédé en 2000 à Bernard Lacan,
également issu de HEC, qui était en poste depuis 1997. Au Club Méditerranée, les trois
dirigeants successifs depuis 1993 avaient pour formation une licence ou une maîtrise de
sciences économiques.
2.1.1.8. Un développement des systèmes d’évaluation
Les organisations investissent des sommes de plus en plus importantes et mettent en place
des systèmes de gestion et d‟évaluation toujours plus perfectionnés pour s‟assurer du
recrutement et du niveau des dirigeants. L‟assessment center est fréquemment utilisé : des
cabinets spécialisés soumettent les candidats à divers exercices de simulation, créant des
situations aussi proches que possible de la réalité de leurs responsabilités futures. En interne,
le 360° feedback est un processus d‟évaluation offrant au dirigeant un retour multi niveaux :
celui de son supérieur hiérarchique (s'il existe), celui de ses collègues, de ses collaborateurs,
de ses clients et de ses fournisseurs.
2.1.2. L'évaluation du dirigeant en fonction de la performance
Le lien entre le dirigeant et la performance de l‟entreprise qu‟il dirige est difficile à valider
empiriquement. Il peut être contesté compte tenu des contraintes structurelles ou
environnementales. Dans la vision déterministe par exemple, le dirigeant n‟a pas ou peu
d‟effets sur les outcomes organisationnels, notamment la performance. Celle-ci est
principalement le résultat de facteurs extérieurs sur lesquels la direction n‟a pas de contrôle.
C‟est l‟approche de la théorie de l‟écologie des populations (Hannan et Freeman, 1977). Dans
la perspective du choix stratégique par contre (Child, 1972), les leaders de l‟organisation sont
directement responsables des outcomes organisationnels (Pfeffer, 1983). Dans leur analyse de
la valeur en sciences de gestion, Desreumaux et Bréchet (1998) placaient les pratiques
managériales au cœur du processus de la création de valeur. L'influence du dirigeant sur la
59
performance est cohérente avec notre approche théorique, qui s‟appuie sur le rôle central joué
par le dirigeant dans l'entreprise.
Malgré cette absence de confirmation empirique, la performance du dirigeant ou du cadre
dans ses fonctions précédentes apparaît comme un critère important dans la sélection (Dalton
et Kesner, 1983, Datta et Guthrie, 1994). C‟est une manière d‟évaluer les efforts qu‟il a
déployés et leur concrétisation. Pour Holmström (1982, 1999), la compétence managériale est
initialement incertaine et va être progressivement connue dans le temps, et la performance
passée du dirigeant est une base rationnelle pour prédire sa performance future. Dans le
modèle de Fama (1980), relatif aux sociétés managériales, la valeur du capital humain des
dirigeants est évaluée sur la base des performances passées enregistrées par les entreprises où
a exercé le candidat : "les associations antérieures d'un dirigeant avec le succès ou l'échec
constituent des informations sur ses talents" 13 (Fama, 1980, p. 292). Les compétences et
qualités du dirigeant n‟étant pas connues avec certitude, et étant susceptibles de varier dans le
temps, l‟information sur la performance passée et actuelle du dirigeant sert de base à son
évaluation. Sous l'hypothèse d'efficience informationnelle du marché financier, celui-ci peut
permettre au marché managérial d'évaluer cette performance, l‟évolution du prix de l‟action
étant supposée refléter les résultats de la firme et sa valeur de manière rationnelle. Les
signaux transmis par le marché financier entraînent la réévaluation du capital humain du
dirigeant par le marché managérial, reflétant ainsi la mesure la plus récente de sa production
marginale. Ils conduiront à sa sanction ou à sa récompense selon ses résultats. Cette approche,
admise dans les années 80, est aujourd'hui de plus en plus contestée. D'autres estimations de
la performance sont prises en compte (indicateurs comptables, de gestion, de satisfaction…).
Le choix des critères d'analyse de la performance est délicat et sujet à controverse. Cependant
il ne nous semble pas remettre en cause l'intérêt de la prise en compte de la performance dans
la sélection, qui en permettant de mettre en concurrence les candidats sur une base
d'information commune, est susceptible d'améliorer l'efficience du rôle d'évaluation du
marché managérial.
13
Fama E. (1980, p. 292) : "The previous associations of a manager with success and failure are information
about his talents".
60
2.1.3. En fonction de la cible
L'efficacité de la sélection d‟un nouveau dirigeant serait liée à une bonne adéquation avec
la cible : les besoins organisationnels diffèrent d‟une firme à l‟autre, et l‟efficacité d‟un
individu dépend du contexte dans lequel il exerce (Gupta, 1984). Il s‟agit de rechercher des
liens entre les valeurs et les expériences mises en avant par le candidat et les besoins, leurs
adaptations à l‟entreprise qui recrute (Khurana, 2003). " La situation des entreprises varie
d‟une firme à l‟autre (..), certaines compétences sont davantage souhaitables dans certaines
situations " (Castanias et Helfat, 1991, p. 159) 14 . Le conseil d'administration recherche le
candidat dont les qualités et compétences apparaissent les mieux adaptées pour diriger la
firme avec succès en fonction de ses besoins présents et futurs (Vancil, 1987, Finkelstein et
Hambrick, 1996). Il sélectionne celui dont les capacités permettront de faire face aux
problèmes auxquels l'organisation sera confrontée (Pfeffer et Salancik, 1978). Les dirigeants
diffèrent par leurs compétences et la valeur de leur capital humain, mais au-delà de la notion
de "bon" ou "mauvais" dirigeant, il s'agit de détecter le profil le plus adapté aux besoins et à
l'environnement de la firme (Bertrand et Schoar, 2003). Ainsi Gilles Michel, alors président
du directoire de Gemplus, a été recruté en 2004 par Cybernetix pour sa capacité à mener à
bien le recentrage de la société et son retour aux bénéfices. De même Pierre Lefebvre,
directeur général de Vilmorin Clause, a obtenu en 2005 la présidence d'Evialis grâce à son
expérience internationale, l'entreprise souhaitant se développer dans les pays émergents.
Deux visions s‟opposent à partir de cette analyse. Pour la première, l‟adéquation recherchée
repose sur les compétences spécifiques du dirigeant : ses caractéristiques doivent être en
phase avec celles du secteur où exerce la firme (Datta et Guthrie, 2002). La transférabilité des
compétences dépendrait en effet des frontières industrielles ou fonctionnelles (Becker, 1964,
Castanias et Helfat, 1991, Parrino, 1997).
L'analyse empirique menée par Datta et
Rajagopalan (1998) sur 134 successions de dirigeants dans les grandes entreprises
américaines industrielles non diversifiées, sur la période 1977 à 1987, cherchait également à
mettre en avant la nécessaire adéquation entre les conditions du secteur d'activité et les
caractéristiques des dirigeants. Cependant les auteurs ont abouti à un lien faible entre cette
adéquation et une amélioration de la performance de la firme suite à la succession. Ils en
déduisaient une conséquence possible des particularités de l'expérience professionnelle des
14
Castanias R.P., Helfat C.E. (1991, p. 159) : " Companies‟ situations differ from one another, (..) certain skills
may be more desirable in some situations than in others”.
61
dirigeants : des compétences trop spécifiques ou des durées de postes trop longues réduiraient
leurs possibilités de carrière.
Dans la seconde, seule la capacité managériale générale serait rémunérée par le marché des
dirigeants (Murphy et Zabojnik, 2004), car c‟est elle qui permettrait de réussir cette
adéquation. Il s'agit des talents managériaux transférables, comme l'expertise comptable,
financière et la capacité à gérer des hommes et des actifs, En fonction du cycle stratégique de
la firme (croissance, stabilité, régression) et des objectifs recherchés (diversification,
recentrage), un certain profil de dirigeant sera davantage adapté à la situation (Ocasio et Kim,
1999). Pour cela il est nécessaire de pouvoir clairement définir quels sont les buts de
l‟entreprise, si par exemple elle doit se diversifier davantage (produits, marchés, par pays…)
ou se recentrer sur son métier, ce qui représente là encore une tâche complexe. Le processus
de sélection passe par la définition de la stratégie de l‟entreprise. Il s‟agit de trouver un
candidat capable de mettre en œuvre cette stratégie, mais également susceptible, par sa propre
vision, de l‟enrichir pour rendre la firme la plus performante. La compétence clé attendue
d‟un dirigeant est d‟être capable de décider quelle stratégie est la meilleure pour l‟entreprise,
de savoir la mettre en œuvre, et de préparer la firme aux changements futurs (Parise, 2007). Si
le marché des dirigeants permet cette adéquation, en offrant des candidats au profil recherché
et en les ayant évalués de manière efficiente, il joue effectivement un rôle dans le SGE et
contribue à l‟amélioration de la performance.
2.1.4. Évolution au cours des dernières années
Les cadres seraient plus mobiles et changeraient plusieurs fois de firme pour accélérer leur
promotion. Aux États-Unis, un courant de recherche s‟est intéressé à ce phénomène, et, en
s‟inspirant des travaux de Hall (1976), a développé un modèle de " carrière sans frontières "15
(Arthur et Rousseau, 1996, DeFillippi et Arthur, 1996, Sullivan, 1999). Les frontières,
définies comme des limites à la sélection et à la mobilité (Gunz et al., 2000), sont liées
notamment à la complexité de l‟évaluation des compétences sur le marché externe du travail.
Cependant elles auraient tendance à se réduire avec l‟arrivée et le développement d‟une
nouvelle approche en recrutement : la demande de validation externe des capacités des
dirigeants (Arthur et Rousseau, 1996). Cette augmentation des mouvements de dirigeants
d‟une entreprise à l‟autre, le raccourcissement des durées de postes, traduisent un
15
"Boundaryless career model".
62
développement du recours au marché des dirigeants et une modification fondamentale de ses
caractéristiques. Les dirigeants sont évalués plus souvent, et chaque changement constitue une
opportunité supplémentaire de mieux connaître leurs capacités.
Cette évolution a été mise en évidence pour le marché américain notamment par l‟étude de
Cappelli et Hamori (2005). Ils ont comparé les caractéristiques des dirigeants de Fortune 100
en 1980 et en 2001, c‟est-à-dire du " top 10 ", ce qui représente un échantillon assez large, de
huit cents individus pour le panel de 1980 et mille cent soixante pour celui de 2001. Les
conclusions étaient les suivantes : les dirigeants étaient plus jeunes (quatre ans de moins en
2001 : moyenne s‟établissant à 52 au lieu de 56), ils avaient bénéficié de plus d‟années
d‟études (en moyenne 17,3 années), mais avec une part fortement en baisse des écoles d‟élite,
qui ne représentaient plus que 10% en 2001 contre 14% en 1980. Ceci pourrait s‟expliquer
notamment par l‟explosion des effectifs dans les autres écoles supérieures. Il y avait en outre
une augmentation significative des diplômes de second degree, comme les MBA et les law
degrees. Ils avaient occupé moins de postes avant d‟arriver en haut de l‟échelle (5 en 2001
contre 6 en 1980), ils étaient depuis moins longtemps dans l‟entreprise (15 ans en moyenne
contre 21), et le pourcentage de recrutement externe était en augmentation. Ils changaient plus
fréquemment d‟entreprise au cours de leur carrière. Le profil évoluait également : alors que le
marketing avait été le premier pourvoyeur de dirigeants, c‟était la finance qui fournissait
principalement les états-majors, l‟influence des investisseurs s‟étant renforcée sur les sociétés.
Leur étude portant sur de grosses entreprises, stables, offrant des perspectives attractives de
carrière interne, ils en déduisaient que cette évolution était a fortiori encore plus vérifiée dans
les firmes de taille inférieure.
Cappelli et Hamori reliaient cette forte évolution à celle de l‟environnement économique.
Dans leur base de données, Fortune 100, seulement 26% des entreprises en faisant partie en
1980 figuraient encore en 2001. La récession économique du début des années 90, le déclin
de l‟industrie, au profit des services, notamment financiers, expliquaient ce changement.
C‟était essentiellement une modification en termes d‟activité qui était enregistrée, les sociétés
recensées en 2001 par Fortune 100 n'étaient pas des créations récentes, au contraire elles
étaient plus anciennes qu‟en 1980 et compte davantage de salariés. Dans leur étude, les
changements de dirigeants étaient plus fréquents dans les secteurs qui connaissaient des
modifications structurelles. Ainsi les industries où la technologie évolue rapidement
nécessitent de nouvelles compétences et de ce fait une nouvelle génération de dirigeants.
63
Les auteurs retiraient de leur étude plusieurs implications en termes de carrière et de
promotion : il était plus avantageux de travailler pour une entreprise en croissance, les firmes
plus jeunes (moins de trente ans) offraient un avancement plus rapide, confiaient le poste de
dirigeant à des cadres plus jeunes, sans doute car la hiérarchie était moins développée.
Cependant le risque pour le dirigeant était également plus élevé, la stabilité étant moins forte
que dans les très grands groupes.
Une autre évolution vient accentuer ce phénomène : l‟accroissement des équipes de
direction, notamment dans les grands groupes. Les postes d‟encadrement se multiplient par
rapport au passé, comme le soulignaient Cappelli et Hamori (2005) de nouvelles fonctions ont
été créées ; ce développement de la hiérarchie est également observable dans les grandes
entreprises françaises. Il ne s‟agit pas forcément d‟une hausse du nombre de dirigeants, mais
plutôt des cadres supérieurs immédiatement en-dessous. Cela nous semble cependant pouvoir
traduire une augmentation potentielle de l'importance du marché managérial, car de ce fait les
viviers s‟élargissent et l‟offre se renforce sur le marché.
L'évolution peut aussi s‟expliquer par l‟augmentation de la pression du marché des biens et
services, le développement de l‟activisme des actionnaires, et plus généralement la
sensibilisation aux questions de gouvernance. Le processus de sélection des dirigeants, et de
ce fait la qualité de leur évaluation, se doit d‟être de plus en plus performant pour répondre
aux exigences des autres parties prenantes et faire face à l‟environnement concurrentiel.
Pour les autres pays, Zerbib et al (2002), qui ont étudié les départs des dirigeants en 1995 et
en 2001 des 2 500 sociétés mondiales présentant les plus fortes capitalisations, concluaient
également à une nette évolution. Du fait de la réduction de la durée moyenne de poste des
dirigeants, du rajeunissement de l‟âge d‟accession à la fonction de directeur général, le vivier
de directeurs expérimentés et disponibles aurait fortement augmenté. Ils mettaient en avant
que cette offre croissante de potentiels allait inciter à l‟avenir les conseils d‟administration et
les actionnaires à accélérer le taux de renouvellement de leurs dirigeants. Elle va aussi dans le
sens d‟un renforcement du rôle du marché managérial.
Même si l'échantillon de Zerbib et al. (2002) incluait des sociétés françaises, leur analyse
s'effectuait au niveau européen, américain et asiatique, et ne suffit pas pour bien appréhender
64
cette évolution dans le cas français. Une étude sur une période récente des caractéristiques des
dirigeants de notre pays aiderait à conclure sur l'existence de transformations du marché
managérial français.
2.2. Par qui les dirigeants sont-ils évalués ?
Le marché des dirigeants est un marché dispersé : il n'y a pas de base centrale disponible
reprenant toute l'information clé sur les dirigeants : caractéristiques, qualité, expérience,
rémunération… L'étude d'Elliott (2000), déjà évoquée au chapitre I, paragraphe 1.2.2.,
rappelait les trois modes principaux d'adéquation de l'offre à la demande de travail : la
recherche active d'un poste par les canaux formels, l'intervention de réseaux, et le débauchage,
c'est-à-dire l'obtention d'un emploi sans avoir effectué de démarches pour l'obtenir. Dans son
échantillon, les dirigeants avaient été recrutés à 41,9% par des canaux formels, à 33,2% avec
l'intervention de réseaux, et enfin à 24,9% par débauchage.
2.2.1. L'intervention d'intermédiaires
Il est fréquent que des intermédiaires : cabinets de recrutement, de conseil, coordonnent et
légitiment le rapprochement entre les candidats potentiels et les entreprises. Ils sont
susceptibles d'intervenir dans l‟évaluation, la proposition et la sélection de candidats. Durant
l‟étape finale, ils peuvent également participer à la négociation qui se noue entre la société et
le candidat. Les intermédiaires contribuent à l‟animation et à la vie du marché des dirigeants.
Dans l‟enquête sur le recrutement des cadres dirigeants publiée par le Syntec (2003), syndicat
de la profession, comptant mille deux cent cinquante groupes et sociétés françaises, 34% des
cadres supérieurs et dirigeants de quarante cinq ans et plus avaient obtenu leur poste de
direction par l'intermédiaire d'un cabinet de recrutement (29% avaient bénéficié d'une
mutation interne, 32% de réseaux relationnels). Cette intervention était même de 39% pour les
cadres supérieurs et dirigeants de trente à quarante cinq ans (25% de mutations internes, 33%
en utilisant les réseaux relationnels). Le rôle des intermédiaires serait en développement : la
rapide évolution des conditions économiques et des technologies, accentuant l'incertitude et la
complexité, inciterait à avoir davantage recours à des spécialistes du recrutement.
La littérature académique est peu abondante sur ces intermédiaires et sur le rôle qu‟ils
peuvent jouer au sein du marché du travail. Quelques travaux, cependant, se sont intéressés à
65
la justification de leur existence, et ont mis en évidence deux explications principales, fondées
sur les économies de coûts de transaction qu'ils peuvent permettre, et la réflexion qu‟un
marché fonctionne bien si les acheteurs et les vendeurs se connaissent et ont une bonne
information les uns sur les autres. La première justification des intermédiaires consiste ainsi
en leur capacité à mettre en relation des acteurs qui ne se connaissent pas, induisant une
réduction des coûts de recherche (Finlay et Coverdill, 2002, Khurana, 2004) : les cabinets de
recrutement disposent de bases de données importantes et sont à l‟initiative de contacts
permettant d‟identifier de nouveaux candidats potentiels. L'entreprise bénéficie d‟une
sélection de candidats sur une base plus large que celle dont elle disposerait en agissant seule
(Khurana, 2004), elle accède à des dossiers dont elle n‟aurait pas eu connaissance sans le
cabinet de recrutement (Khurana et Lorsch, 1999). La seconde explication de l‟existence
d‟intermédiaires réside en leur aptitude à réduire l‟incertitude en contrôlant le flux
d‟information entre les acteurs (Finlay et Coverdill, 2002), en apportant leur expertise dans la
vérification des informations (Khurana et Lorsch, 1999). L‟existence de cabinets de
recrutement pourrait ainsi contribuer à l‟amélioration de l‟efficience du marché managérial,
en augmentant sa capacité d‟offre et de demande, et en participant à son rôle d‟évaluation.
Elle permettrait en effet la mise en concurrence d‟un nombre plus élevé de candidats, ce qui
laisserait supposer que celui qui a remporté la compétition dispose de compétences
supérieures. Cependant la qualité des dossiers fournis par les cabinets n‟a pas fait l‟objet de
tests empiriques. Leur capacité à détecter des talents n‟est pas non plus confirmée (Khurana et
Lorsch, 1999).
Une des pratiques très utilisée par les cabinets de recrutement est le " débauchage ". Les
" chasseurs de têtes " fonctionnent principalement sur proposition. Ils disposent de listes de
postes clés (directeur commercial, dirigeant…) et utilisent ces bases de données pour
contacter régulièrement les personnes occupant ces fonctions. Ils mettent ainsi leurs fichiers à
jour sur le profil de ces cadres dirigeants, estiment la probabilité de les débaucher en évoquant
la possibilité avec eux de leur faire des offres. En France, 80% des missions de recrutement de
cadre dirigeant recensées par le Syntec se font par approche directe (executive search) ou
" chasse ". Les cabinets d‟une certaine taille sont dotés d‟un service de recherche, chargé
d‟analyser le marché, de cibler la fonction, d‟identifier les candidats, de les contacter et
d‟effectuer une pré sélection. Chaque contact est géré dans le respect de la plus stricte
confidentialité. L‟importance de la chasse au dirigeant d‟entreprise, présentée comme un
facteur clé de réussite de l‟entreprise, semble d‟après les professionnels s‟être accrue depuis
66
quelques années (Picard, Piédalu, 2004). Pour les États-Unis, le débauchage est également
une pratique courante. Dans son étude portant sur 2 368 individus actifs ayant répondu à un
questionnaire, dont 217 dirigeants, Elliott (2000) mettait en évidence que les besoins en
dirigeants seraient davantage comblés par débauchage que les autres postes (25% des
recrutements, contre 15% pour les autres classes). Selon l'auteur, le taux de débauchage serait
une mesure inversement proportionnelle de l'ouverture du marché du travail : plus il serait
important, plus l'adéquation entre l'offre et la demande de travail se ferait de manière
spécifique, par des contacts noués de façon étroite, le profil recherché relevant de
caractéristiques et de compétences particulières. Mais cette vision peut être discutée, une autre
vision de la relation pourrait être qu'au contraire le débauchage soit une manière d'alimenter et
de rendre plus actif le marché managérial, en augmentant les modes d'accès. Au niveau
mondial, Péladeau et al. (2005), du cabinet Booz Allen Hamilton, soulignaient également
dans leur dernière enquête annuelle sur les changements des principaux dirigeants une hausse
du "débauchage", la tendance actuelle étant de rechercher un candidat déjà expérimenté et de
proposer la direction à un dirigeant ayant réussi dans une autre entreprise. Korn/Ferry
International, sur le site internet de son entité de recrutement Futurstep, place en première
position la recherche de candidats par approche directe pour les postes de direction, de
management et de spécialistes. Ce cabinet réputé justifie la technique utilisée par la nécessité
d'avoir "recours à une approche personnelle et discrète, à une évaluation complète et à une
validation fiable des références. Chaque année, avec sa cellule d'approche directe spécialisée,
Futurestep recrute des centaines de cadres experts et de dirigeants expérimentés qui sont
contactés confidentiellement en fonction des besoins exprimés par ses entreprises clientes"16.
2.2.2. Les réseaux
L'appartenance à un réseau peut aussi être à l'origine du recrutement. Un directeur général
peut par lui-même chercher un nouveau poste en contactant les anciens de son école. Les liens
familiaux, avec les actionnaires, avec les administrateurs, ou avec les autres parties prenantes
peuvent jouer : le recrutement se fait alors par connaissance. La notion de capital relationnel
est influente. Il peut s'agir de relations propres au candidat : le rôle central pouvant être joué
par ces réseaux dans un processus de recrutement a été mis en évidence très tôt, notamment
par Myers et Schultz (1951) et Rees (1966), mais également de réseaux de l'employeur
(Marsden et Campbell, 1990, Marsden, 1994). Celui-ci est susceptible de préférer avoir
16
http ://cadreemploi.fr/minisites/ms_futurestep/solutions.html.
67
recours à ses réseaux pour recruter pour des raisons économiques : la démarche apparaît plus
efficiente car elle apporte une meilleure information sur le candidat (Wielgosz et Carpenter,
1987), ou sociologiques : ce serait une manière d'augmenter le contrôle social sur le travail
(Granovetter et Tilly, 1998), les employeurs véhiculant ainsi davantage leur normes et leurs
modes de sanction. Les réseaux jouent un rôle dans le processus de mobilité (Granovetter,
1974).
Deux principaux types de réseaux de dirigeants ont été identifiés par les sociologues : les
liens inter conseils, où un dirigeant siège au conseil d'administration d'une firme dont le
dirigeant est administrateur de l'entreprise qu'il dirige, et les cercles sociaux, ou "petits
mondes de l'élite", inhérents par exemple pour la France à l'appartenance à un grand corps,
aux diplômés de certaines grandes écoles, ou au passage par l'Inspection des Finances ou un
ministère. La théorie de la dépendance envers les ressources permet de justifier l'existence des
réseaux inter conseils par leur capacité à réduire l'incertitude, alors que la théorie des classes
sociales les présente comme reflétant la structure interne du capitalisme. Ces réseaux seraient
influents aussi bien aux États-Unis qu'en Angleterre (Useem, 1984), en Allemagne ou encore
en France (Nguyen-Dang, 2005) : un petit noyau occuperait les places de dirigeants et serait
également les principaux administrateurs des plus grosses sociétés du pays. Les dirigeants de
banques sont particulièrement cumulards, jouant un rôle central dans les affaires : ainsi en
1995 Marc Viénot, président du groupe Société Générale, assurait onze postes
d'administrateur.
L'influence des réseaux peut être considérée négativement, entraînant une réduction de
l‟efficience du marché des dirigeants, si elle traduit un mode d'évaluation restreint, mais elle
peut aussi être analysée positivement, le recours à des contacts personnels permettant au
contraire d'avoir une vision plus large du candidat et de réduire l‟asymétrie d‟information
(Granovetter, 1974, Fernandez et Weinberg, 1997). Les individus et les firmes sur le marché
du travail reçoivent et transmettent fréquemment leurs informations à travers des réseaux
relationnels (Marsden et Campbell, 1990). Les réseaux peuvent contribuer à détecter un jeune
talent ou encore à valoriser le capital humain d'un dirigeant ayant du potentiel mais n'ayant
pas encore été reconnu comme tel par le marché managérial, en permettant de l‟évaluer à
partir d‟autres critères que les grilles traditionnelles. C'est aussi une façon d‟alimenter le
marché des dirigeants et de le rendre plus animé, plus actif : en accédant à un poste de
direction la première fois par relation, le candidat se fait connaître du marché du travail et
68
vient augmenter les potentialités de l‟offre. L'influence des réseaux sera analysée plus en
détail dans le chapitre V, paragraphe 5.2.3., et au chapitre VI, paragraphe 6.2.3..
2.2.3. Les autres modes d'accès au marché des dirigeants
D'autres possibilités existent pour se signaler au marché des dirigeants et être évalué. Pour
Elliott (2000), la prospection active d'un candidat pour obtenir un nouveau poste, démarche
qu'il qualifie de recrutement par les canaux formels, est celle relevant le plus d'un mécanisme
de marché, car elle correspond à une recherche ouverte tant de la part de l'employé que de
celle de l'employeur, et à une mise en concurrence plus importante.
-
les candidatures spontanées, ciblées et parvenant à l‟entreprise lorsqu‟un départ est
annoncé ou supposé (retraite, rumeurs…), ou adressées à un cabinet de recrutement, semblent
un mode d‟accès répandu. Picard et Piedalu (2004) notaient le grand nombre de candidatures
spontanées de très bonne qualité. Les cycles de carrière raccourcissent, les stratégies à deux
ou trois ans devenant même envisageables. Beaucoup de patrons sont sur un siège éjectable et
le savent, d‟où un nombre important de candidatures.
-
Les bureaux de placement des écoles : Elliot (2000) les incluait dans les canaux de
recrutement formels, car il y a une démarche active du candidat, de la firme et une forme
collective de proposition de demandes et de recherche d'offres. La question se pose cependant
en France, pour les grands corps comme l'École des Mines, Polytechnique… si les bureaux de
placement de ces écoles ne relèvent pas plutôt d'un mode de recrutement de type "réseaux".
-
la presse semble moins utilisée en France qu‟en Angleterre par exemple, certainement
pour des raisons de culture, les français ayant encore des difficultés à communiquer sur les
postes haut placés, notamment en matière de rémunération. Les anglo-saxons eux n‟hésitent
pas à faire paraître une annonce, aussi bien pour recruter un dirigeant que pour proposer ses
services.
-
les portails internet, vecteur qui peut paraître surprenant au départ pour recruter un
dirigeant, sont à prendre maintenant en considération, avec des sites spécialisés comme
dirigeants-enligne.com, orienté vers les postes de responsables d‟entreprise et les missions de
dirigeant de transition, ou encore les sites des cabinets de recrutement. Certains sites internet
69
sont spécialisés dans un secteur d‟activité : par exemple CEO Europe propose ses services de
recrutement de dirigeants à l‟international dans le domaine des hautes technologies. Dans
trente trois pays (Europe, États-Unis, Asie), les utilisateurs ont à leur disposition une
recherche multicritères. D'après CEO Europe, ils recevraient jusqu‟à cinquante candidatures
par semaine, en sélectionneraient et certifieraient 25% d‟entre elles pour alimenter la base de
consultation proposée qui compterait en moyenne neuf cents candidats. 86% d‟entre eux sont
des créateurs ou des co-fondateurs d‟entreprises. Une simulation des coûts de recrutement est
possible, le logiciel prenant en compte les spécificités de coûts selon les pays.
2.2.4. La décision finale appartient au conseil d‟administration
Si la sélection d‟un nouveau dirigeant peut être menée avec l‟aide de cabinets spécialisés, la
décision finale est uniquement entre les mains du conseil d‟administration, ou dans certains
cas celles des actionnaires. Le conseil, en tant que représentant des actionnaires, a le pouvoir
de nommer, de révoquer et de fixer la rémunération des mandataires sociaux que sont le
président du conseil d‟administration et les directeurs généraux. Le processus d'évaluation et
de sélection s'effectue généralement en trois étapes : le conseil d'administration définit le
besoin : profils du poste et du candidat souhaité, puis le marché du travail managérial effectue
un tri des dirigeants potentiels basé sur l'évaluation de leurs compétences, leurs performances,
et les met en concurrence, et enfin la décision est prise par le conseil d'administration ou de
surveillance.
En présence d'actionnaires dominants (famille, autre société), le rôle du conseil peut être
réduit et la décision être prise sous l'impulsion des actionnaires. Mintzberg (2003) soulignait
la difficulté de savoir qui a vraiment pris la décision de recruter un dirigeant, de nombreuses
influences pouvant intervenir dans le jeu complexe du pouvoir dans une organisation. Pour
Mace (1971), les administrateurs examinent les candidatures, mais compte tenu de l'asymétrie
d'information et d'un manque d'expertise, fréquemment c'est le président lui-même qui décide
qui va lui succéder. Son étude portait sur les sociétés de grande taille, où les administrateurs
étaient en retrait et ne représentaient pas de manière très effective les intérêts des actionnaires.
Lorsque le conseil d‟administration choisit un nouveau dirigeant, il examine si les capacités
du candidat sont adaptées à la situation compétitive dans laquelle se trouve l‟entreprise. Si
l‟entreprise est performante par exemple, la continuité de la stratégie actuelle sera sans doute
70
recherchée. Le niveau d‟expertise, la bonne vision du conseil vont influencer la qualité de
l‟évaluation. La sélection d‟un dirigeant peut être erronée si la définition de son poste et de
son rôle est mal délimitée. L‟identification des différentes dimensions de la fonction est
essentielle pour pouvoir définir le profil du candidat le plus approprié. L‟efficacité du rôle
d‟évaluation du marché des dirigeants va donc dépendre de celle des autres mécanismes,
principalement celui du conseil d‟administration, et de la présence éventuelle de comités.
2.3. A
quels
moments s’effectue l’évaluation des
dirigeants par le
marché managérial ?
Le marché managérial est susceptible d‟intervenir dans l‟évaluation des dirigeants à chaque
moment clé de leur carrière. Bien avant l‟accession à un poste de dirigeant, il peut jouer un
rôle dès la détection des talents.
2.3.1. La détection des talents
La littérature académique est moins abondante que la presse économique sur
l‟identification des hauts potentiels, l‟attention portée à ce thème semblant récente. A notre
connaissance, il n‟existe pas de modélisation du processus de recherche des futurs dirigeants,
peut-être du fait du secret entourant généralement le choix de ces jeunes cadres et le parcours
de carrière spécifique qui leur est offert.
Dans le sport, la détection des talents se fait chez les plus jeunes. Ainsi Guy Roux, dont la
renommée des pratiques n‟est plus à faire, s‟intéresse aux très jeunes footballeurs et constitue
un vivier. Il cherche à déceler chez eux un esprit d‟indépendance, une force mentale, des
valeurs, le sens de la compétition, du dialogue, et également des compétences techniques.
Dans les entreprises, la détection en interne des talents serait proche de celle du monde du
sport : la hiérarchie cherche à déceler chez les jeunes cadres des compétences, un
tempérament particuliers, une capacité à apprendre, à s‟approprier rapidement de nouveaux
projets (Falcoz, 1999, Sonsino, 2003, Boumrar et Gilson, 2004). Les grandes entreprises ont
institutionnalisé la détection de leurs futurs dirigeants et disposent d‟une liste de candidats.
Celle-ci est établie grâce à un modèle d‟identification des compétences (Conger et Fulmer,
2003) ou de manière plus informelle par les comités de carrière, qui consolident de manière
71
centralisée les remontées de la hiérarchie intermédiaire (Falcoz, 2004) 17 . Un jeune cadre
repéré par sa direction se verra rapidement proposer des postes de responsabilité plus élevés,
où ses qualités pourront davantage se développer et se révéler. Il bénéficie souvent d‟un
cursus d'instruction spécifique (Conger et Fulmer, 2003, Falcoz, 2004) : financement de
formations prestigieuses ou participation à des programmes dédiés (par exemple
" Télémaque " chez Axa ou " Unex " chez Pinault Printemps Redoute, qui accueillent une
trentaine de personnes sélectionnées par an). Il peut également profiter d'augmentation de
salaire et d'attribution de stock options. Il fait alors partie des " hauts potentiels " ou " talents
clés " et se situe dans la tranche d‟âge vingt cinq – trente cinq ans (Falcoz, 2004). L‟accession
à certains postes clés (directeur commercial, directeur financier, …) va alors le signaler au
marché managérial en attirant les chasseurs de têtes, toujours à l‟affût des nouveaux nominés,
ou encore en le faisant remarquer par un des partenaires de l‟entreprise, ou enfin dans une
logique de carrière externe en l‟amenant à proposer de lui-même sa candidature à un cabinet.
Bien que les entreprises s‟emploient à fidéliser ces cadres de haut niveau, et à garder secret
leur vivier, les départs sont très importants (Eos Conseil et le Figaro, 2003)18. D‟après l‟étude
de L‟Expansion " les jeunes loups du capitalisme français ", 2002, parmi les élites ayant
bénéficié d‟une formation comme un MBA, la majorité quittait l‟entreprise dans les deux ans
qui suivaient, s‟étant constitué un réseau de relations professionnelles. Lorsque l‟importance
de la société diminue, le coût de l‟investissement dans ces viviers devient prohibitif, et les
procédures sont plus rares ou moins formalisées. Nous avons peut-être ici une autre
justification d‟un recours au marché managérial plus fréquent dans les entreprises autres que
celles du CAC 40, pour le cas français. Au-delà de trente cinq ans, il s‟agit d‟une catégorie
souvent appelée " les successeurs ", c‟est-à-dire des cadres à hauts potentiels qui ont déjà
progressé et sont prêts à prendre des postes de dirigeants. Les professionnels des ressources
humaines semblent d‟accord sur la nécessité de détecter avant trente ans les dirigeants
destinés à exercer les plus hautes responsabilités, afin qu‟ils puissent y être préparés.
Les cabinets mettent généralement en avant leur capacité à détecter des talents, mais celleci n'a jamais été validée empiriquement. DDI, par exemple, se présente comme un spécialiste
international de la détection et de la valorisation des talents en entreprise. Présent dans vingt
17
Falcoz C. (2004), " Gérer les cadres à haut potentiel ", Eurostaf -Les Echos, étude publiée en février.
18
Eos Conseil, le Figaro, " Fidéliser ses homes clés : un enjeu majeur ", Baromètre de la performance des
ressources humaines, Le Figaro, 13 janvier 2003.
72
deux pays, il compte mille cinq cents collaborateurs et douze mille entreprises clientes, et
travaille en France pour de grands noms comme Alstom, EDF, Exxon mobile, Sofinco,
Toyota France, Kellog‟s France, Bic… Il propose ses services aux grandes entreprises, en
reprenant les méthodes des assessment centers (centres d‟évaluation), pour détecter en interne
les cadres à haut potentiel, à partir d‟entretiens, ensuite analysés par des programmes
spécialisés, rapprochés des profils de postes de direction. Quatre critères essentiels sont
retenus : le profil de leader (propension à diriger les autres, valorisation des talents des
autres), la capacité à se remettre en cause, une bonne maîtrise de la complexité, un équilibre
entre valeurs et résultats. Des formations d‟accompagnement de ces futurs dirigeants sont
également assurées, pour leur fournir les compétences complémentaires nécessaires. En
repérant la capacité à diriger de certains cadres, en accélérant leur promotion, ce système
permet de couvrir les besoins de dirigeants en interne, mais comme nous l‟avons évoqué plus
haut, l‟accession à des postes clés va aussi déclencher des offres des cabinets de recrutement,
elle constitue un signal, enrichissant ainsi le marché managérial chaque fois que ces cabinets
ont réussi à persuader le candidat de l‟intérêt d‟une carrière externe ou que le cadre est attiré
par une promotion externe.
Le processus de détection des talents que nous venons de décrire amène plusieurs
réflexions. Tout d‟abord la possibilité d‟évaluer un candidat en direct, en interne, sur une
période suffisante, si elle ne préjuge pas d‟une transposition dans un autre environnement
(autre entreprise, autre poste) forcément réussie, présente l‟avantage d‟une connaissance
approfondie du dirigeant potentiel, et va dans le sens d‟une meilleure qualité probable de la
sélection. D‟autre part, et c‟est un point important dans l‟argumentation pour un marché des
dirigeants réel, actif et fluide, un diplômé d‟une école moins prestigieuse que l‟ENA ou
Polytechnique, voire un autodidacte, peut se faire remarquer pour ses qualités personnelles et
professionnelles, bénéficier d‟une ascension rapide, se signaler ainsi à la profession et
poursuivre sa carrière dans d‟autres entreprises.
Un talent peut également se révéler par le biais de la création d‟entreprise : le fondateur de
la firme accède, par l‟aboutissement et la mise en œuvre de son projet, au statut de dirigeant et
devient un potentiel supplémentaire sur le marché.
73
2.3.2. La progression des talents et l‟accession à un poste de dirigeant
La progression des talents s‟effectue soit en interne, soit en changeant d‟entreprise. Les
hauts potentiels que nous venons de décrire bénéficient d‟une progression de carrière plus
rapide que la moyenne des cadres. "La recherche suggère que les perspectives d'avancement
diminuent lorsque la durée des postes occupés s'allonge. Les individus qui vont monter au
sommet sont généralement les plus jeunes dans leurs cohortes – parce que leur talent et leurs
capacités ont été détectés de bonne heure, ou en raison de leur aura et des effets de
réputation"19 (Capelli et Hamori, 2005, p. 30).
2.4. Quels sont les coûts liés à l’évaluation des dirigeants ?
L‟évaluation des dirigeants génère des coûts : coûts de transaction si un cabinet a participé,
coûts de mesure des performances et qualités du dirigeant menant à la décision de la
remplacer, coûts d'asymétrie d'information. S‟ajoutent à ces coûts ceux des éventuelles
mesures de protection du dirigeant en place. Ces coûts ont une incidence sur le rôle du marché
managérial : s‟ils sont trop élevés relativement aux gains espérés par le changement de
dirigeant, ils peuvent être un obstacle à son intervention (Charreaux, 1995).
- Les coûts de transaction : le prix du recrutement d‟un nouveau dirigeant est en général
élevé : lorsqu‟il est confié à un cabinet spécialisé, il représente en France en moyenne 15 à
25% de la rémunération annuelle du dirigeant, et peut atteindre 35% pour les dossiers
complexes 20 . Le coût est du même ordre aux États-Unis : l‟équivalent d‟un tiers de la
rémunération du candidat retenu la première année (Khurana, 2004). Si l‟entreprise mène la
sélection elle-même, il faut alors prendre en considération le temps passé à cette mission, qui
représente également un coût.
- Les coûts de vérification de la valeur du dirigeant en place avant de le remercier :
contrôler, mesurer cette valeur a un coût. Celui-ci inclut le choix, la définition et la mise en
place d‟outils de suivi, leur mesure, la réflexion menant à la décision, le délai pour effectuer
cette évaluation. La disponibilité de mesures de performances fiables a une incidence
19
Capelli P., Hamori M. (2005, p. 30) : "Research suggests that the odds of advancement fall as a person's
tenure in a job grows. Individuals who advance to the top tend to be among the youngest in their cohorts –
possibly because talent and ability get spotted early, possibly because of "halo" or reputation effects".
20
Syntec, Le Monde, IFOP, ACE, enquête sur le recrutement des cadres, 24/06/2003.
74
importante sur la décision de changer de dirigeant ; dans des secteurs homogènes, ces coûts
sont plus réduits, ce qui facilite et favorise le taux de rotation des dirigeants (Parrino, 1997). Il
ressort en outre de l'étude de Parrino (1997) que dans le cas des départs forcés, le plus souvent
le dirigeant a plus de cinq ans d‟ancienneté, ce qui irait dans le sens qu‟il est long et difficile
de détecter un mauvais dirigeant.
- Les coûts d‟évaluation liés à l‟asymétrie d‟information : le marché du travail réalise ses
évaluations sur la base d‟informations imparfaites. Ces coûts sont liés à l„incertitude sur la
valeur du capital humain, ils portent aussi bien sur l‟évaluation du dirigeant en poste (risque
de renvoyer un dirigeant compétent) que sur celle du candidat à la succession (risque d‟un
mauvais recrutement). Ce phénomène de sélection adverse, souvent évoqué dans la relation
d‟agence, existe car le dirigeant détient des informations privilégiées sur sa valeur réelle, que
le conseil d‟administration, qui doit décider du recrutement, ne connaît pas ou partiellement.
Une firme qui choisit de recruter un candidat externe doit faire face à un problème de
sélection adverse plus élevé que dans le cas d'un successeur interne, du fait de l'asymétrie
d'information (Harris et Helfat, 1997). D‟où l‟importance pour le dirigeant d‟avoir signalé ses
compétences au marché managérial, et pour celui-ci d'extérioriser une évaluation de qualité et
adaptée à l'entreprise. Pour Fama (1980) cette asymétrie ne serait pas un obstacle : le marché
boursier, base d‟information du marché managérial, effectue des évaluations rationnelles de la
valeur de la firme bien que ne disposant que d‟information imprécise et incertaine, et il
transpose cette constatation au marché des dirigeants. D‟autres auteurs soulignent au contraire
l‟existence de ces coûts et leurs effets dans leurs études (Parrino, 1997).
- Les coûts d‟indemnisation liés à la rupture du contrat : des mesures de protection des
dirigeants ont pu être mises en place par la firme : existence de parachute doré,
indemnisations prévues en cas de départ, …. Les coûts de rupture de contrats peuvent être très
élevés. Cependant, d‟après une enquête sur le salaire des patrons français publiée dans
l‟Expansion du 24/09/2003, suite aux retentissements de l‟affaire Messier, les parachutes
dorés, les indemnités de départ prévues contractuellement, auraient été revus à la baisse, sous
l‟impulsion des comités de rémunération, des actionnaires et avec l‟aval des dirigeants.
75
Conclusion du deuxième chapitre
La fonction fondamentale du marché managérial, l‟évaluation des dirigeants, est complexe
: multiplicité des critères, difficulté de mesure, asymétrie d‟information, interrogation sur la
qualité du signal transmis par le dirigeant, transférabilité incertaine des savoirs faire,
évolution des besoins des entreprises, dispersion du marché, existence de barrières et
d'influences (réseaux, actionnariat,…).
La formation et la performance dans les postes
précédents apparaissent dans les études comme des facteurs principaux, mais d‟autres
éléments sont généralement également pris en compte.
Cette fonction repose sur deux types d'efficience : une efficience informationnelle, fonction
de sa capacité à utiliser toute l'information disponible passée et présente, et une efficience
allocationnelle, lorsque l'évaluation des candidats par le marché managérial conduit à une
orientation efficiente des dirigeants vers les entreprises qui ont besoin du capital humain
correspondant.
Le rôle d'évaluation du marché managérial est bien mis en évidence dans la littérature,
cependant
sous
l'effet
des
modifications
de
l‟environnement
économique,
de
l‟internationalisation, de la réduction ou de l'augmentation de l'intervention de l'État, les
modes d‟accès au marché managérial et la progression des carrières se modifient, ce qui
nécessite une actualisation régulière des études pour continuer de bien en appréhender les
caractéristiques. L'étude des profils des dirigeants français sur une période récente, que nous
avons effectuée, va permettre de vérifier si le marché du travail managérial a évolué en
France, si son caractère clanique s'est atténué, facilitant l‟accroissement de l'efficience de son
rôle d‟évaluation.
76
CHAPITRE III : LE ROLE DISCIPLINAIRE DU MARCHE MANAGERIAL
Après avoir présenté la fonction fondamentale du marché managérial : l‟évaluation des
dirigeants, nous allons maintenant nous attacher à dresser un tableau aussi fidèle et complet
que possible des différentes voies d‟intervention potentielles du marché des dirigeants en tant
que mécanisme de gouvernance des entreprises. Conformément à notre cadre théorique, nous
allons identifier quel peut être son rôle tant sous la dimension disciplinaire que sous la
dimension cognitive. Nous allons nous intéresser tout d‟abord dans ce chapitre au rôle
disciplinaire, en nous appuyant sur la littérature existante pour cerner ses différentes facettes.
Dans l‟analyse d‟Alchian et Demsetz (1972), basée sur les firmes entrepreneuriales, le
dirigeant, dont le rôle est de mesurer la performance réalisée par les différents facteurs qu‟il
coordonne, occupe une place centrale. Ce sont les marchés des inputs qui assurent le contrôle
du dirigeant, s'ils sont suffisamment concurrentiels. Le mécanisme disciplinaire principal est
le marché des dirigeants, auquel peuvent s'ajouter le marché des prises de contrôle et la
surveillance mutuelle entre dirigeants. Jensen et Meckling (1976), en fondant leur analyse sur
la relation d'agence entre les dirigeants et les actionnaires, mettent également en avant le rôle
des marchés (à l‟exception de celui des biens et services) pour discipliner les dirigeants et
réduire les coûts d‟agence liés à la séparation des fonctions de propriété et de direction. Si le
dirigeant perd le contrôle du capital, il se soumet à la discipline du marché du travail (les
autres actionnaires peuvent alors engager un autre dirigeant), et à la discipline du marché
financier, les actionnaires pouvant céder leurs actions.
Selon la théorie de l'agence, la discipline est exercée par le marché managérial sur les
dirigeants à travers deux leviers, la rémunération et la menace d'éviction. Ces leviers sont à la
base de la définition des deux premières voies d‟intervention du marché que nous allons
analyser : la sanction des dirigeants inefficaces et la récompense des dirigeants performants.
La sanction peut se traduire par une baisse de rémunération ou un départ forcé et la difficulté
de se replacer, la récompense par une hausse de la rémunération ou l‟accès à un poste plus
prestigieux. Un autre levier disciplinaire du marché managérial sera ensuite examiné : la
contribution à la réduction d‟autres types de coûts, liés à l‟existence de contrats informels, à
l‟enracinement ou encore aux erreurs de décision.
77
3.1. La sanction des dirigeants inefficaces
3.1.1. Le rôle disciplinaire de la sanction
Dans la théorie de l‟agence, la menace de révocation est un des principaux moyens de
résolution des conflits entre actionnaires et dirigeants. La sanction joue un rôle d‟incitation à
la performance, le dirigeant agissant dans l‟intérêt des actionnaires ou des autres parties
prenantes par crainte d‟être évincé, hors de l‟entreprise ou du poste de direction (Shleifer et
Vishny, 1997). Le départ forcé d‟un dirigeant sanctionnant de mauvais résultats devrait être
suivi d‟une amélioration de la performance de la firme. Le marché des dirigeants est
susceptible d‟intervenir dans cette sanction à deux niveaux. Marché concurrentiel, il favorise
la décision de faire partir le dirigeant jugé inefficace en offrant des candidats en
remplacement. "La disponibilité d'un candidat externe de qualité est une considération
importante dans la décision de remplacer un dirigeant sous performant"21 (Parrino, 1997, p.
166). Marché curatif, il ne permet pas au dirigeant déchu de retrouver un poste équivalent :
soit il n‟exerce plus, soit sa nouvelle fonction ou sa rémunération sont inférieures à sa
situation précédente. Si le dirigeant est compétent mais fournit peu d‟efforts, ou les dirige
mal, le système de rémunération apportera la solution incitative sans doute la plus appropriée.
Si le dirigeant est peu compétent, modifier son salaire aura une faible incidence, il sera
nécessaire de le révoquer et de le remplacer. La sanction d‟un dirigeant inefficace est
l‟élément ultime du processus de correction des erreurs. Cette menace n‟aura de poids que si,
d‟une part, le dirigeant subit des coûts personnels en cas de révocation : perte de revenu, de
capital humain spécifique, de pouvoir, de prestige, d‟avantages, baisse de sa réputation,
difficulté à retrouver un poste (Gilson, 1989), d‟autre part, si la menace peut concrètement
être mise en application le cas échéant, ce qui signifie que les mécanismes de contrôle ont la
possibilité réelle d'évincer le dirigeant. Le rôle de sanction a un effet dans la durée : un
dirigeant qui remplace un départ forcé sera d‟autant plus incité à être performant ou à réaliser
les objectifs qui lui ont été fixés, car il sait qu‟il peut faire à son tour l‟objet d‟une éviction.
21
Parrino R. (1997, p. 166) : "The availability of a strong outside candidate is an important consideration in the
decision to replace poor CEO."
78
3.1.2. Une mauvaise performance ex ante entraîne le départ du dirigeant.
La littérature est abondante sur l‟étude de ce lien et converge généralement vers la
conclusion qu‟une mauvaise performance est une des causes du départ (forcé) du dirigeant et
donc de sa sanction, dans la plupart des pays étudiés, malgré un environnement légal et social
différent. Ainsi cette relation est validée empiriquement aussi bien dans les études du marché
américain (Crain et al., 1977, Reinganum, 1985, Furtado et Rozeff, 1987, Warner et al., 1988,
Weisbach, 1988, Gilson, 1989, Jensen et Murphy, 1990, Murphy et Zimmerman 1993, Denis
et Denis, 1995, Parrino, 1997, Neumann et Voetmann, 1999, Zerbib et al., 2002, Fee et
Hadlock, 2003), dans celles du marché anglais (Conyon et al., 1995, Renneboog et
Trojanowski, 2003), que celles du marché français (Pigé, 1993, Dherment Férère, 1996). Le
tableau 3 présente une synthèse de ces études. Le dirigeant serait puni par le marché
managérial pour de très faibles outputs (Zabojnik, 2001). La longévité des dirigeants dépend
des profits réalisés : un comportement de non maximisation du profit n‟est pas toléré dans le
secteur privé (Crain et al., 1977). La mise en évidence de cette relation est une manière de
valider l‟existence de l‟effet incitatif de la sanction. La probabilité d‟un départ forcé devrait
être une fonction décroissante de la performance.
Si les mécanismes de contrôle sont efficaces, le taux de rotation des dirigeants devrait être
plus élevé dans les firmes sous performantes (Denis et Denis, 1995). A partir d‟un échantillon
de 909 entreprises ayant connu au moins un changement de dirigeant (directeur général,
président du conseil d‟administration) de sociétés américaines concernant la période 1985 à
1988, ils ont identifié par voie de presse 107 départs forcés, soit un taux de 11,8%, ce qui
confirme l‟existence de sanctions. Ce chiffre est probablement sous estimé du fait de la
difficulté d‟obtenir l‟information (les firmes souhaitant éviter la publicité autour de certains
cas d‟éviction disciplinaire). En outre leur définition n‟inclut pas les départs pour différence
de politique. Même un départ en retraite peut masquer une sanction (Warner et al., 1988). Les
auteurs ont validé empiriquement, tant au niveau des résultats boursiers (étude
évènementielle)
que
comptables
(calcul
du
ratio
" résultat
d‟exploitation
avant
amortissement " sur " total actifs " sur une période de sept ans centrée sur le changement :
trois ans avant et trois ans après) que les départs forcés suivaient une période de performance
médiocre ou déclinante. De même, ils se sont attachés à connaître la raison du changement, la
destination et l‟âge du dirigeant sortant, l‟identité et le poste antérieur du successeur, mais
l‟analyse de la sanction est restée au niveau de la définition du départ forcé : ainsi le sort du
79
précédent dirigeant n'a pas fait l‟objet de conclusions (difficulté à se replacer, perte de
rémunération ou poste inférieur). Dans un cas sur deux, le prédécesseur quittait l‟entreprise,
pour 27% des firmes, il restait dans l‟entreprise à un poste de direction et pour 19.6% au
conseil d‟administration. La notion de fonction honorifique (manière élégante de mettre de
côté un dirigeant, mais qui peut correspondre toutefois à une sanction) n‟était pas envisagée
par les auteurs. Il ressortait de leur étude que 52% des départs forcés donnaient lieu à la
nomination d‟un candidat externe, ce qui irait dans le sens de l‟intervention du marché
managérial, mais celle-ci n‟était pas explicitement évoquée par les auteurs.
Dans l'étude de Renneboog et Trojanowski (2003) également, il ressort que la rotation des
dirigeants assure le rôle d‟un mécanisme disciplinaire sanctionnant la sous performance.
Analysant un échantillon de deux cent cinquante entreprises cotées sur le marché de Londres,
entre 1988 et 1993, ils concluaient que les deux leviers du marché managérial, la
rémunération et la menace d‟éviction, jouaient un rôle important pour réduire les problèmes
d‟agence entre les dirigeants et les actionnaires et qu‟ils avaient une incidence sur la
performance de la firme.
Bien qu‟un peu ancienne maintenant, l‟analyse de Parrino (1997) des 977 départs de
dirigeants répertoriés dans Forbes sur la période 1971 à 1989 mérite d‟être citée car elle
apportait des conclusions assez fines, d‟une part en introduisant la notion de secteur
homogène ou hétérogène, d‟autre part en analysant les coûts liés au transfert de capital
humain. Elle validait l‟existence de sanctions, avec un taux de départs forcés représentant
13% des changements. Elle concluait à une probabilité de changement de dirigeant, de départs
forcés et de succession par un externe qui variait selon le secteur d‟activité. Dans les
industries homogènes, les dirigeants sous performants étaient moins coûteux à remplacer et
étaient plus facilement indentifiables. Les industries étaient considérées homogènes si elles
employaient des techniques de production similaires, si leurs productions relevaient des
mêmes marchés, si les changements (conditions économiques, innovations technologiques)
avaient les mêmes conséquences. Le coût plus faible s‟expliquait par la part de capital humain
transférable plus élevée à l‟intérieur d‟un secteur homogène (proximité des compétences). La
réduction des coûts, la diminution de l‟asymétrie d‟information pouvant perturber l‟évaluation
de la performance, affectaient la probabilité de remplacer un dirigeant et notamment la réalité
du rôle de sanction. La notion de secteur était également analysée pour montrer que la
performance prise en compte dans l‟évaluation du dirigeant était généralement relative, c‟est80
à-dire que la sous performance était remarquée par rapport à la moyenne du secteur, et non
pas dans l‟absolu. Lorsqu‟elle ne diffèrait pas significativement de la moyenne, les gains
potentiels d‟un changement de dirigeant n'étaient pas suffisants pour susciter celui-ci. Parrino
validait, d‟autre part, le lien entre une mauvaise performance ex ante et la probabilité d‟un
successeur externe, qu‟il explique par le fait que celui-ci sera plus à même de changer la
stratégie de l‟entreprise : la moitié des départs forcés étaient suivis de l‟arrivée d‟un nouveau
dirigeant venant de l‟extérieur. Ce lien a été confirmé également dans l‟étude de Wiersema
(1992), portant sur cinq cents sociétés de Fortune ayant changé de dirigeant entre 1997 et
1998 : 62% des renvois avaient été suivis d‟un recrutement externe. Bien que cette réflexion
n‟apparaisse pas explicitement dans leurs travaux, le choix d‟un candidat externe en cas de
sous performance nous semble mettre en avant le rôle du marché managérial dans la sanction.
L'enquête annuelle sur les changements de dirigeants des 2500 principales sociétés
mondiales réalisée en 2004 par le cabinet Booz Allen Hamilton 22 confirme des disparités
significatives selon le secteur d'activité. Les secteurs de l'industrie et des télécommunications,
de l'énergie, extériorisaient les plus forts taux de rotation, la banque et l'assurance le plus
faible.
- Figure 2 : taux de renouvellement des dirigeants par secteur d'activité23 22
23
Etude de Booz Allen Hamilton (2004) : "CEO : la fin d'une ère".
Etude de Booz Allen Hamilton (2004, p. 3) : "CEO : la fin d'une ère".
81
Comme pour l'évaluation, le rôle de la sanction du marché managérial semble évoluer vers
un renforcement. Dans l‟étude de Zerbib et al. (2002), portant sur les directeurs généraux des
2 500 sociétés mondiales aux capitalisations boursières les plus élevées ayant quitté leur
entreprise en 2001, s'appuyant sur l'enquête annuelle du cabinet Booz Allen Hamilton sur le
renouvellement des dirigeants, les auteurs faisaient ressortir que les exigences de performance
contribuaient à une augmentation du taux de rotation des dirigeants, mais aussi à une baisse
de la durée moyenne de poste. Ainsi la moyenne d‟exercice passait de 9,5 années en 1995 à
7,3 années en 2001, la principale cause de cette réduction étant la forte diminution de la durée
de poste des dirigeants écartés pour mauvaise performance, qui chutait de 7 à 4,6 années. Un
dirigeant faisant l‟objet d‟un départ forcé était resté en moyenne en poste deux fois moins
longtemps qu‟un dirigeant quittant l‟entreprise dans le cadre d‟un départ normal (départ
projeté, volontaire : meilleure situation, raisons familiales, santé ou décès). Ils insistaient sur
l‟évolution entre 1995 et 2001, allant vers un renforcement de la sanction : l‟augmentation du
taux de rotation des dirigeants était due presque intégralement à celle des départs forcés liés à
une mauvaise performance. Ceux-ci représentaient 25% des causes de départs en 2001, contre
16% en 1995. Ils constataient également que l‟éviction du dirigeant était davantage engendrée
par une contre performance brutale que par un manque de performance étalé dans le temps.
Zerbib et al. se sont également intéressés à la définition de sous populations. Ainsi ils
mettaient en avant des différences importantes selon le secteur d‟activité, déterminant que
nous étudierons au chapitre V. Les secteurs des télécommunications, de l‟énergie et des
systèmes d‟information connaîtraient des taux supérieurs à la moyenne. Ils effectuaient aussi
une distinction selon la zone géographique : la durée de poste d‟un dirigeant était la plus
courte en Europe (6,5 années), venait ensuite l‟Asie Pacifique avec 6,8 années, puis
l‟Amérique du Nord avec 9,5 années. Une proportion plus élevée de départs sanctionnant une
mauvaise performance expliquerait la situation européenne. Pour l‟Asie, ce serait l‟âge : un
dirigeant est nommé en moyenne à 58 ans, contre 50 ans pour les deux autres zones. L‟Europe
serait donc la plus virulente en termes de sanction.
La base d'informations utilisée par Zerbib et al. (2002) étant l'enquête annuelle sur les
dirigeants mondiaux menée par Booz Allen Hamilton, et celle-ci ayant fait l'objet d'un article
plus récent, écrit cette fois par Péladeau et al. (2005), cadres supérieurs du cabinet, nous
pouvons vérifier la poursuite de cette tendance haussière. 2005 aurait enregistré un record de
82
changements de dirigeants : plus d'une entreprise sur sept dans l'échantillon a connu le
remplacement de son dirigeant, contre une sur onze il y a dix ans, mais également de départs
forcés : quatre fois plus de Chief Executive Officer auraient été évincés qu'en 1995. La moitié
des départs de dirigeants serait due à des résultats insuffisants ou des fusions. Ces chiffres
2005 masquent des différences géographiques, l'Amérique du Nord ayant connu le plus fort
taux de départs forcés (35%), alors que l'Europe (37%) réduit son taux record de 2004 (42%),
de même que la région Asie-Pacifique (hors Japon), et que le Japon se distingue avec un taux
exceptionnellement bas de 10%. Les auteurs rappellent qu'en 1995, deux tiers des dirigeants
quittant leurs fonctions avaient au moins soixante deux ans, le départ à la retraite était alors le
motif principal de départ. En 2005, il n'explique plus que 40% des changements. La situation
en Amérique du Nord serait une conséquence, pour Péladeau et al. (2005), de la loi SarbanesOxley et des nouvelles règles imposées par l'American Stock Exchange et le Nasdaq.
- Figure 3 : taux de départ des dirigeants par pays, en fonction de la raison du départ
(Péladeau et al., 2005, p.3) -
Pour la France, les travaux de Pigé (1996), portant sur 558 entreprises cotées suivies sur la
période 1966 à 1990, avaient apporté des résultats intéressants. Ils validaient l‟hypothèse
selon laquelle le risque de révocation, mesuré par le renouvellement annuel, le taux de
rotation ou la durée des fonctions de président directeur général, constituait une incitation à la
performance. Le niveau de performance expliquerait une partie des différences de longévité
des dirigeants et justifierait les écarts de fréquence de rotation. L‟auteur s‟interrogeait très
justement sur le sens de causalité : la rotation des dirigeants est-elle fonction de la
83
performance et/ou la performance est-elle fonction de la rotation des dirigeants ? Pigé
confirmait la double causalité : d‟une part le taux de rotation des dirigeants était deux fois
plus élevé pour les firmes figurant parmi les 10% enregistrant la performance la plus
médiocre par rapport aux 10% de firmes enregistrant la meilleure performance boursière
relative, d‟autre part la performance boursière, tant absolue que relative, était
significativement différente au seuil de 10% selon le nombre de changements de dirigeant. Il
étudiait également la carrière ultérieure du dirigeant sortant, et confirmait l‟existence de
sanction : lorsque le dirigeant n‟occupait plus de poste de responsabilités, il extériorisait
précédemment une performance inférieure.
Dans la plupart des études empiriques cependant, le rôle de sanction du marché managérial
reste implicite. Même la conclusion qu'un départ forcé est plus souvent suivi d'un recrutement
externe (52% chez Denis et Denis, 1995, la moitié chez Parrino, 1997, 62% pour Wiersema et
Bantel, 1992) ne conduit pas les auteurs à mettre en avant le rôle du marché managérial dans
la sanction, qui en offrant des successeurs potentiels compétents augmente la probabilité de
remplacement d‟un dirigeant sous performant. Parrino (1997) exposait bien l‟argument que la
quantité et la qualité de l‟offre de candidats entrent de manière significative dans la prise de
décision de remplacer un dirigeant, mais il ne citait pas explicitement le marché managérial.
ETUDE
ECHANTILLON
TAUX DE
DEPARTS
FORCES
MAUVAISE
PERFORMANCE
(cause)
Lien validé
Crain et al.,
1977
500 entreprises de Forbes
1971-1975
Reinganum,
1985
2500 sociétés du NYSE
et AMEX
1978-1979
Furtado et
Rozeff, 1987
323 annonces de
changement de dirigeant
Sociétés cotées au NYSE
ou AMEX
1975-1982
Warner, Watts,
Wruck, 1988
272 entreprises
américaines
1963-1978
Weisbach, 1988
495 sociétés cotées au
NYSE
1977-1980
Non
calculé
Lien validé
Gilson, 1989
409 entreprises
américaines NYSE et
AMEX - 1979-1984
52% dans
les firmes
en difficulté
Lien validé
Jensen et
Murphy, 1990
2200 PDG de Forbes
1974-1986
HAUSSE DE LA
PERFORMANCE
(conséquence)
Lien validé
4,4%
Lien validé
Lien validé
Lien validé
Lien validé
84
ETUDE
ECHANTILLON
Murphy et
Zimmerman,
1993
915 sociétés américaines
(1630 dirigeants de
Forbes)
1971-1990
Pigé, 1993
558 sociétés françaises
cotées
1966 - 1990
Denis et Denis,
1995
909 sociétés américaines
1985- 1988
DhermentFérère, 1996
TAUX DE
DEPARTS
FORCES
Non
calculé
MAUVAISE
PERFORMANCE
(cause)
Lien validé
HAUSSE DE LA
PERFORMANCE
(conséquence)
Double causalité
11,8 %
Lien validé
1/3
Lien validé
Lien validé
Parrino, 1997
977 départs de dirigeants
de Forbes
1971-1989
13%
Lien validé
DhermentFérère,
Renneboog,
2000
235 entreprises
françaises cotées 19881992
40%
Zerbib, Lucier,
Spiegel,
Schuyt. 2002
2500 plus grandes
sociétés mondiales
1995 - 2001
16% en
1995
25% en
2001
Lien validé
Fee et Hadlock,
2003
Sociétés S&P 500
1993-1998
15,6 %
Lien validé
Renneboog et
Trojanowki,
2003
250 sociétés du London
Stock Exchange
1988-1993
Non
calculé
Lien validé
Helfat et
Bailey, 2005
36 nominations de
dirigeants de Forbes
1978-1987
Lien validé pour
les successions
externes
Lien validé
- Tableau 3 : synthèse des études empiriques portant sur les départs forcés des dirigeants -
3.1.3. Le départ du dirigeant évincé engendre une hausse de la performance ex post
Un changement de dirigeant consécutif à une sanction devrait se traduire par un retour à de
meilleurs résultats. Ce lien a été validé empiriquement par Reinganum (1985), Furtado et
Rozeff (1987), Weisbach (1988), Denis et Denis (1995), Helfat et Bailey (2005) et DhermentFérère (1996) pour la France (tableau 3). L‟amélioration de la performance engendrée dans le
cas d'un départ forcé est supérieure à celle enregistrée consécutivement à un départ en retraite
(Denis et Denis, 1995), un départ forcé engendre une variation positive de la firme
(statistiquement constatée à partir du rendement boursier anormal). Les départs forcés
constituent un signal fort de besoin de changement dans l'organisation, de provoquer une
cassure avec la situation existante (Friedman et Saul, 1991). Ils conduisent généralement à
85
une amélioration de la performance supérieure à celle observée dans les cas de successions de
dirigeants sans sanction du prédécesseur (Helfat et Bailey, 2005). Les auteurs argumentaient
notamment sur le fait que l'encadrement et les salariés recevaient dans le cadre d'un départ
forcé un signal fort sur la nécessité de coopérer, ce qui facilitait la réussite des changements
stratégiques initiés par le nouveau dirigeant.
Pour le marché français, l‟analyse de Dherment-Férère (1996) faisait ressortir que dans un
tiers des cas de changement de dirigeant, le départ du prédécesseur avait été imposé. Elle
trouvait que ces départs forcés avaient une incidence positive sur la performance de la firme,
et que l‟effet était plus significatif lorsque le successeur est un externe. Ceci expliquerait la
réaction positive des marchés financiers à l‟annonce du remplacement par un candidat externe
d‟un dirigeant quittant l‟entreprise suite à de mauvaises performances, observée par exemple
dans l‟étude de Dherment-Férère et Renneboog sur des sociétés cotées à Paris (2000).
3.1.4. L‟importance du rôle disciplinaire de la sanction est parfois mise en doute
Jensen et Murphy (1990), dans leur étude portant sur plus de 2 200 présidents directeurs
généraux recensés dans Forbes entre 1974 et 1986, confirmaient que la probabilité d‟être
remplacé était plus forte dans les sociétés ayant réalisé une performance très inférieure au
marché, mais ils mettaient en avant que la probabilité d‟être évincé était trop faible pour
constituer une menace suffisamment conséquente pour les dirigeants et les inciter à agir dans
les intérêts des actionnaires. Par ailleurs, dans les études figurant au tableau 3, la sanction par
un départ forcé est validée le plus fréquemment pour les firmes figurant parmi les 10 ou les
20% les moins performantes. Si l‟entreprise est sous-performante mais que le différentiel avec
la moyenne du secteur par exemple reste limité, le dirigeant n‟est pas sanctionné. Ce levier
disciplinaire semble donc s‟exercer dans les cas les plus catastrophiques, probablement pour
des raisons de coûts (gains attendus inférieurs aux coûts de changement de dirigeant).
3.1.5. Le dirigeant subit des coûts personnels élevés en cas de sanction
Les travaux de Gilson (1989) ont cherché à déterminer si l‟éviction du dirigeant en cas de
sous performance était réellement une sanction pour lui. Le risque d‟être évincé n‟a de
pouvoir incitatif que si le dirigeant déchu connaît des coûts personnels élevés. De plus la
difficulté de se replacer indique que le marché le tient pour responsable de la mauvaise
86
performance. Dans son étude des entreprises figurant parmi les 5% moins bonnes rentabilités
boursières du New York Stock Exchange et de l'American Stock Exchange, portant sur un
échantillon de 409 sociétés sur la période 1979 à 1984, il confirmait que la rotation des
dirigeants était plus élevée dans les firmes en difficulté. Seulement 34% des dirigeants de
firmes en détresse financière (en restructuration ou en dépôt de bilan) conservaient leur
emploi. Aucun des dirigeants ayant dû quitter son entreprise n‟avait retrouvé de position
similaire dans une autre société cotée dans les trois ans suivant son départ. Le dirigeant se
trouve confronté à une forte pression et en cas de révocation ou de démission, il aura
beaucoup de difficultés à obtenir un nouveau poste sur le marché du travail (il encourt donc
des coûts importants). Il subit des pénalités en termes de réputation liées à sa mauvaise
performance organisationnelle. Il semble donc qu‟il y ait bien une liaison effectuée entre la
performance de la firme et la valeur estimée de son dirigeant.
Fee et Hadlock (2003) ont également validé l‟existence de coûts personnels dans leur étude
des changements de dirigeants dans les sociétés du Standard and Poor 500 entre 1993 et 1998.
Après avoir confirmé que le mécanisme de rotation des dirigeants permettait l‟éviction des
dirigeants sous optimaux, avec un taux de départs forcés de 15,6%, ils ont analysé le sort du
dirigeant sanctionné. Les dirigeants démis pour ce motif avaient du mal à retrouver un poste
équivalent, le changement de dirigeant donnant un signal négatif au marché sur leur capacité
managériale. Les employeurs potentiels pensent qu‟un manager déchu est moins capable. Les
auteurs montraient que la probabilité d‟obtenir un nouvel emploi était plus faible en cas de
départ forcé, et qu‟elle était la plus basse s‟il y avait eu scandale. Ils mettaient en évidence le
lien entre un départ involontaire et la difficulté de trouver un autre emploi, et si le dirigeant en
cause y parvenait, sa nouvelle rémunération était inférieure. Les dirigeants de ce fait étaient
incités à travailler dur pour éviter d‟être évincés, car les pénalités du marché managérial
étaient substantielles.
3.1.6. Synthèse critique des études évoquées
Le levier disciplinaire de la sanction fait globalement l‟objet d‟un consensus, tant théorique
qu‟empirique. Les conclusions des études confirment le lien entre la probabilité d‟éviction du
dirigeant et la performance de la firme : plus celle-ci est mauvaise, en absolu ou en relatif,
plus le risque d‟être déchu est élevé pour le dirigeant. Les conséquences positives de la
sanction sur la performance future de la firme ont été validées empiriquement dans les études
87
que nous avons citées. Mais les analyses ne parviennent pas toutes à la même conclusion. Par
exemple le courant de littérature en gestion des ressources humaines, portant sur les plans de
succession et la nécessité de bien préparer le changement de dirigeant, considère que les
départs forcés ont plutôt des effets négatifs. Cependant il associe le départ involontaire à un
changement brutal, or il nous semble probable que la décision d‟évincer un dirigeant jugé
inefficace est longue à prendre, et que de ce fait le départ peut également être préparé.
Des freins à l'exercice de la sanction existent cependant, il semblerait qu'il ne soit effectif
que dans les cas de mauvaise performance les plus significatifs, très certainement pour des
raisons de coûts. L‟asymétrie d‟information et la difficulté de déterminer la part de
responsabilité du dirigeant dans les évolutions de performance en font partie. Parrino (1997)
notamment soulevait dans son étude ce problème, et le reliait au délai fréquemment observé
avant qu‟une sanction soit mise en œuvre. Sur son échantillon, plus de la moitié des départs
forcés étaient consécutifs à au moins trois ans de sous performance relativement à la moyenne
du secteur. Il constatait cependant qu‟en cas de mauvaise performance, non sanctionnée par
un départ forcé, au moment où le dirigeant quittait la société pour d'autres motifs, il était
généralement remplacé par un externe, ce qui semble traduire un recours au marché
managérial plus systématique dans ce cas.
Les études que nous venons de citer appellent plusieurs commentaires. Tout d'abord, elles
font ressortir une difficulté majeure pour bien appréhender le rôle de la sanction. La définition
de la notion de départ forcé varie selon les auteurs et son opérationnalisation est complexe. En
effet, pour des raisons de difficulté d‟accession à l‟information, elle fait l‟objet
d'approximations différentes selon les analyses. Certains chercheurs se sont attachés à
examiner dans la presse tout renseignement pouvant les aider à classifier les départs, et
utilisent comme Parrino (1997) la position retrouvée par le dirigeant sortant pour pouvoir
conclure à un départ volontaire ou forcé (il est volontaire si le nouveau poste est aussi valorisé
que le précédent). D‟autres se contentent d‟une notion de départ forcé limitée, définie par
défaut comme tout départ autre que lié à la retraite. Or le départ d‟un dirigeant peut être
volontaire, par exemple dans un souci de carrière externe. Il peut aussi traduire la
reconnaissance d‟efforts reconnus par le marché du travail et leur récompense par l‟offre d‟un
poste plus prestigieux dans une autre entreprise : le dirigeant dans ce cas répond à une
sollicitation du marché managérial. C‟est pourquoi, même si la tâche est difficile, il nous
88
semble nécessaire d‟analyser au cas par cas chaque départ afin d‟aboutir à une explication
plus fine du phénomène et de pouvoir confirmer l‟existence de ce rôle de sanction.
Ensuite, si plusieurs variables pouvant expliquer le taux de rotation des dirigeants ont été
testées : structure de propriété, composition du conseil d‟administration, influence du marché
des prises de contrôle, nous n‟avons pas trouvé de travaux portant explicitement sur le marché
managérial. Or en offrant des candidatures de meilleure qualité et en simplifiant l‟accès des
firmes à ces dirigeants potentiels, si les coûts liés au changement ne sont pas trop élevés, il
semble que le marché managérial puisse faciliter la décision de révoquer le dirigeant en place,
et de ce fait assurer un rôle disciplinaire déterminant en favorisant la sanction des dirigeants
inefficaces et le retour à de meilleures performances.
3.2. La récompense des dirigeants compétents
Cette seconde voie d‟intervention disciplinaire se conçoit naturellement en symétrie de la
précédente. "Si l'éviction d'un dirigeant sanctionne une sous-performance, le seul but d'éviter
une mauvaise performance (et, par là, un départ forcé) ne constitue pas une bonne incitation
pour les dirigeants performants à poursuivre une stratégie de maximisation de la valeur"
(Renneboog et Trojanowki, 2003, p.6)24. Si des efforts managériaux supérieurs se traduisent
par une performance plus élevée, ce n‟est plus la sanction mais la notion de récompense qui
devient la plus incitative.
Dans un marché du travail managérial efficient, les dirigeants les plus compétents sont
récompensés, soit par une hausse de leur rémunération, soit par des fonctions plus élevées, ou
les deux. Cet espoir de récompense participe également au système d'incitation des dirigeants
à agir dans le sens des intérêts des actionnaires (Renneboog et Trojanowski, 2003). La
rémunération est positivement liée à la performance. Elle récompense à la fois de bonnes
performances comptables, ajustées au secteur, et de bonnes performances boursières. Elle
rémunèrerait également une plus grande prise de risque.
24
Renneboog L., Trojanowski G. (2003, p. 6) : "as disciplinary turnover penalizes underperformance, the mere
fact of being able to avoid poor performance (and, hence dismissal) does not constitute the right incentive for
well-performing managers to pursue a value-maximizing strategy".
89
Des performances supérieures permettent aux dirigeants de se placer sur le marché
managérial et de changer volontairement d‟employeur. Fee et Hadlock (2003), par exemple,
arrivent dans leur étude au résultat que les cadres supérieurs qui accèdent au poste de
dirigeant dans une autre entreprise viennent de sociétés dont les performances boursières sont
supérieures à la moyenne. Une bonne performance signale le dirigeant au marché managérial
et lui permet de recevoir des propositions de recrutement et de promotion. C‟est le même
phénomène qui joue avec les sportifs de haut niveau. De ce fait, un dirigeant ayant pour
objectif d'évoluer professionnellement va œuvrer pour que son entreprise extériorise des
performances favorables.
3.3. Analyse de l'influence du marché managérial sur les rémunérations
L‟influence du marché des dirigeants sur la rémunération entre en jeu à la fois dans la
sanction des dirigeants inefficaces et dans la récompense des dirigeants compétents. Il nous
semble utile d‟approfondir l‟analyse de ce levier, ce qui permettra une meilleure
compréhension de ces deux voies d‟intervention du marché managérial.
Dans la théorie de l‟agence, la rémunération constitue un facteur privilégié d‟alignement
des intérêts du dirigeant avec ceux des actionnaires. La sensibilité de la rémunération à la
performance et son caractère incitatif font l‟objet d‟une littérature abondante. Mais ce n‟est
pas la rémunération en elle-même, ni les avantages de ses différents modes (directs, indirects,
stock options…), qui nous intéressent. Nous cherchons à comprendre l‟incidence du marché
des dirigeants sur le système de rémunération, c‟est-à-dire le rôle du marché du travail dans la
détermination des salaires des dirigeants d‟entreprises. Dans la théorie néoclassique et la
théorie du capital humain (Becker, 1964), les différences de salaires sont fonction de
l'investissement en capital humain de l'individu, un travailleur ayant un niveau de formation
supérieur ou des capacités plus élevées étant mieux rémunéré. Si la rémunération est
entièrement définie par la loi de l‟offre et la demande sur le marché managérial, elle pourrait
atteindre alors des niveaux très élevés, en fonction des compétences reconnues du dirigeant et
de leur influence sur la performance de la firme. Le niveau de rémunération récompenserait
l‟importance des responsabilités assumées et les résultats obtenus. "Les entreprises peuvent
récompenser les cadres pour des inputs comme leurs compétences, aussi bien que pour des
90
outputs comme la performance de la firme"25 (Harris et Helfat, 1997, p. 895). Si le marché
managérial est efficient, d‟une part un dirigeant de qualité supérieure devrait être mieux
rémunéré, d‟autre part son recrutement devrait permettre à l‟entreprise d‟augmenter sa
performance. Un employé voit le niveau de sa rémunération comme la représentation de sa
valeur auprès de son employeur (Wallace et Fay, 1981).
3.3.1. La rémunération à la base du modèle de Fama (1980)
Dans l‟étude de Fama (1980), le processus de révision des rémunérations des dirigeants
imposé par le marché managérial permet la résolution des problèmes d‟incitation des
dirigeants. Fama, en analysant comment la séparation de la propriété et du contrôle, fréquente
dans les sociétés managériales, peut être une forme efficiente d‟organisation économique, met
en avant le rôle disciplinaire " naturel " des marchés. Soumis à la discipline du marché
managérial, mais aussi du fait des opportunités offertes par ce même marché, le dirigeant est
incité à agir en faveur des intérêts des actionnaires et de la firme. Si les dirigeants sont
convaincus que l‟offre d‟une rémunération importante dépend des niveaux actuels de
performance de la firme où ils exercent, ils vont faire un maximum d‟efforts aujourd‟hui pour
se construire une valeur réputationnelle. Reprenant les travaux d‟Alchian et Demsetz (1972)
et de Jensen et Meckling (1976), il considère la firme comme une équipe dont les membres
agissent en fonction de leurs propres intérêts, mais en tenant compte du fait que leur destinée
est liée à la survie de l‟équipe, en compétition avec d‟autres équipes. Chaque facteur de
production est ainsi face à son propre marché, dans le cas des dirigeants les alternatives
offertes par le marché managérial les motivent pour être performants. C‟est grâce à lui que
leurs services pourront, dans le futur, être loués ou vendus à une autre entreprise. L‟incitation
cependant est fonction du nombre d‟années pendant lequel le dirigeant reste un potentiel pour
le marché managérial, elle peut ainsi se réduire lorsque le départ à la retraite se rapproche.
Nous reviendrons sur cette analyse dans le chapitre V consacré aux déterminants. Fama
précise également qu‟il peut y avoir des cas où le poids de l‟incitation de futures
rémunérations supérieures n‟est pas suffisant pour contrebalancer les gains obtenus par le
dirigeant en agissant en sa faveur sur le contrat le liant aux actionnaires. De plus les
répercutions de la performance sur la rémunération ne sont pas immédiates, mais le succès ou
le revers de l‟équipe du dirigeant auront un impact sur sa rémunération future.
25
Harris D., Helfat C.E. (1997, p. 895) : "firms may compensate executives for inputs such as skills, as well as
for outputs such as firm performance".
91
Les travaux de Fama ont permis une analyse approfondie du mécanisme d‟influence des
rémunérations et de son appartenance au marché des dirigeants. Ils restent cependant à
poursuivre car ils présentent deux limites. D'une part le comportement du dirigeant, défini
comme un facteur de production particulier contrôlé par le marché managérial, est supposé
passif, or il nous semble nécessaire de prendre en compte la stratégie du dirigeant pour mieux
comprendre les mécanismes de gouvernance. D‟autre part, l‟étude de Fama porte sur les
sociétés managériales26, il reste à vérifier que l‟incitation reste effective pour d‟autres types de
firmes. Jensen et Murphy (1990) avaient également cherché à comprendre si les systèmes de
rémunération existant à l'époque de leur étude étaient suffisamment attractifs pour attirer les
meilleurs dirigeants, mais n'avaient pu conclure. Une seconde réflexion a été menée par les
auteurs (Jensen et Murphy, 2004) et a apporté de nouveaux éclairages, par exemple sur
l'incidence directe, en termes de récompense ou de punition, de l'évolution du cours boursier
sur les dirigeants bénéficiant d'une partie de leur rémunération en actions. L'apport de leur
second article a surtout été de mettre en avant que si les sytèmes de rémunération pouvaient
contribuer à réduire les conflits d'intérêt entre le dirigeant et les actionnaires, ils étaient aussi
susceptibles de "constituer une source substantielle de coûts d'agence s'ils n'étaient pas gérés
correctement"27 (p. 98).
3.3.2. Le marché managérial exerce des pressions sur le niveau des rémunérations
Le marché managérial exerce des pressions sur la firme pour rémunérer le dirigeant en
fonction de la performance. D‟une part, l‟entreprise peut avoir besoin un jour de recourir au
marché pour recruter un nouveau dirigeant, or un moyen d'attirer des candidats de talent est
d'associer récompense et performance, même s‟il peut exister d‟autres motivations que la
rémunération monétaire (recherche de prestige, souhait d‟acquérir certaines compétences...).
D‟autre part, si son système de rémunération n‟est pas incitatif à la performance et que son
dirigeant est bon, celui-ci sera incité à quitter l‟entreprise et à se replacer dans de meilleures
conditions grâce au marché managérial.
26
Les sociétés managériales sont définies par l‟absence d‟actionnaire détenant plus de 10% du capital, elles se
caractérisent par un actionnariat diffus.
27
Jensen M.C., Murphy K.J. (2004, p. 98): (…) "a substantial source of agency costs if it is not managed
properly".
92
Un candidat, qu'il soit interne ou externe, dispose d'un certain pouvoir de marché lui
permettant de négocier à la hausse sa rémunération, dans la mesure où il est le successeur
recherché par la firme. Mais ce pouvoir est limité par l'existence d'autres candidats potentiels
(Harris et Helfat, 1997). Plus son capital humain est rare, ou de qualité supérieure, moins la
concurrence est forte, et plus le dirigeant dispose de pouvoir de négociation.
La compétition entre les firmes pour attirer le dirigeant le plus talentueux détermine le
niveau de rémunération qui va lui être proposé, et le renforcement de cette concurrence se
traduit par une hausse des salaires managériaux. Le lien fait par Murphy et Zabojnik (2004)
entre la hausse des recrutements externes et celle de la rémunération moyenne des dirigeants
semble traduire l‟impact de l'intervention du marché des dirigeants sur le niveau des
rémunérations. Les dirigeants d'origine externe sont généralement mieux rémunérés que ceux
d'origine interne (15.3% de plus), et il peut y avoir un effet de propagation au secteur :
lorsqu'une industrie privilégie les recrutements externes, le niveau moyen de salaire des
dirigeants est plus élevé. Il est à noter cependant que d'autres auteurs, comme Parrino,
attribuent cette tendance non pas au marché managérial mais à un meilleur contrôle du conseil
d'administration, qui pousse les dirigeants à plus d'efforts, ensuite récompensés par des
salaires plus importants.
3.3.3. Lien entre compétences, efforts réalisés et rémunération
Si le marché des dirigeants est efficient, un niveau de compétences supérieur entraîne un
niveau de rémunération supérieur : il existe alors un lien entre les qualités, les capacités, la
reconnaissance des compétences du dirigeant, sa production marginale, sa contribution à la
valeur de la firme, et la rémunération. Toute l‟information passée et présente est efficacement
utilisée pour évaluer le prix du capital humain des dirigeants du marché. Le marché du travail
sert de base de référence pour la détermination de la rémunération du dirigeant. Une révision
des salaires se fait périodiquement en fonction des performances ou des objectifs fixés. Toutes
les firmes et les dirigeants partagent une information commune sur les capacités de chaque
dirigeant. L‟évaluation du capital humain du dirigeant se reflète dans le cours du marché
financier (pour une société cotée, pour une autre entreprise : sa cotation ou sa réputation), qui
conditionne son niveau de rémunération. Si cette évaluation n‟est pas correcte, le dirigeant
aura intérêt à quitter la société. Mais cette vision théorique du marché du travail managérial
correspond-elle à la réalité ?
93
La récompense de qualités supérieures par une prime de rémunération du dirigeant a été
notamment validée dans les études de Palia (2000), Fee et Hadlock (2003). Les dirigeants
ayant extériorisé des performances supérieures dans leur poste précédent voient leur
rémunération augmenter avec leurs nouvelles fonctions, car ils sont perçus comme étant de
meilleurs dirigeants. Sur une population plus large de salariés, l'analyse empirique pour la
France de Daniel et Sofer (1998), exploitant les données des recensements de l'INSEE sur la
période 1986 à 1987, a validé également le lien entre un niveau supérieur de formation, une
expérience professionnelle plus importante et des rémunérations plus élevées.
Cette relation fonctionnerait à la hausse comme à la baisse. Dans l‟étude de Fee et Hadlock
(2003), les cadres de haut niveau ayant des rémunérations supérieures à la normale voyaient
leurs salaires revus à la baisse lorsqu‟ils changent d‟entreprise. Le passage par le marché
managérial semble donc entraîner un réajustement des rémunérations. Les auteurs aboutissent
également à la conclusion qu‟il existe un lien entre le type de départ et la rémunération du
nouveau poste : s‟il est involontaire (associé à un départ forcé, une sanction), les salaires sont
inférieurs à ceux de la fonction précédemment occupée.
Les meilleurs dirigeants reçoivent un supplément de rente et permettent à la firme
d‟augmenter sa performance (Barros et Macho-Stadler, 1998). Ce complément de rente est
fonction du profit additionnel que la firme considère pouvoir dégager en l‟embauchant. En
contrepartie elle demande au nouveau dirigeant un niveau d‟efforts et de résultats plus élevés :
les incitations données au dirigeant sont plus fortes. La firme qui attire le dirigeant le plus
compétent est la plus efficiente sur le marché en termes de productivité, en présence de
problèmes d‟agence dans le processus de production. La performance ex post de la firme est
supérieure lorsqu‟il y a eu compétition pour recruter son dirigeant. Ce sont les firmes les plus
performantes avant la sélection qui parviennent à attirer les meilleurs dirigeants, car la rente
additionnelle qu‟elles peuvent payer est plus importante. Les dirigeants se différencient entre
eux par leur productivité, leurs efforts et les capacités qui leur sont propres, Barros et MachoStadler supposant que l‟information sur leurs compétences est connue et disponible. Le
marché managérial offre des candidats de différents types. La compétition entre les firmes
pour obtenir le meilleur dirigeant pourrait même éliminer la perte d‟efficience productive due
à l‟asymétrie d‟information dans la relation entre l'entreprise et le dirigeant. Le modèle
développé dans l‟étude de Barros et Macho-Stadler n‟a pas été testé empiriquement.
94
Ang et al. (2003), qui ont étudié la rémunération de 268 dirigeants (Chief Executive Officer)
de compagnies américaines cotées au New York Stock Exchange, à l‟American Stock
Exchange et au Nasdaq sur la période 1991 à 1995, de même que Hayes et Schaefer (2000),
validaient également la relation entre des qualités supérieures, un niveau de rémunération
supérieur du dirigeant et une augmentation de la performance de la firme. Le nouveau
dirigeant, choisi pour ses compétences supérieures, génère des rentes supplémentaires
relativement à son prédécesseur, et ces rentes vont être partagées entre le dirigeant, sous
forme d'une rémunération plus attractive, et la firme. Diriger une firme de grande taille par
exemple, demanderait des compétences supérieures, ce qui justifierait un niveau de
rémunération plus élevé (Harris et Helfat, 1997).
D‟autres analyses ne concluaient pas à l‟existence de cette relation : Reinganum (1985),
Warner et al. (1988), qui recherchait l‟existence d‟une réponse du marché boursier au
changement de dirigeant, n‟avaient pas trouvé de lien statistiquement significatif.
Enfin une autre explication du lien entre compétences et rémunération est proposée
notamment par Harris et Helfat (1997) : la rémunération offerte peut compenser le risque lié à
l'absence de capital humain spécifique à la firme du dirigeant. Lorsqu'un travailleur quitte une
entreprise pour être recruté par une autre, il demande une compensation pour la perte des
gains liés à son capital humain spécifique à la firme qu'il aurait engrangés s'il était resté dans
la même entreprise (Topel, 1991). Ainsi les successeurs externes, qui, d'une part, perdent la
valorisation de leurs compétences spécifiques à la firme où ils exerçaient précédemment,
d'autre part, sont en risque car ils ne possèdent pas en arrivant de capacités spécifiques à la
nouvelle firme, acceptent de changer d'entreprise s'ils reçoivent une prime. Les auteurs
étendent cette réflexion au capital humain spécifique industriel : un dirigeant changeant de
secteur d'activité percevrait également une prime venant augmenter sa rémunération. Leur
étude empirique, portant sur 305 successions de dirigeants de grandes firmes américaines
répertoriés dans Forbes sur la période 1978 à 1987, confirme que les successeurs externes à la
firme et externes au secteur reçoivent un montant global de salaires et de bonus supérieurs
aux successeurs internes. La notion de risque figure également dans les travaux de Hambrick
et Finkelstein (1995) : les successeurs externes ont moins de connaissances de l'entreprise que
les internes et ont plus de mal à évaluer si leurs compétences génériques correspondent bien à
la demande du poste.
95
3.4. La réduction d’autres coûts disciplinaires
Nous venons d‟analyser deux voies disciplinaires du marché managérial participant à la
réduction des coûts d‟agence, des conflits d‟intérêts entre les dirigeants et les actionnaires ou
les autres parties prenantes. Le marché peut également intervenir sur d‟autres types de
coûts disciplinaires et ainsi contribuer à l‟amélioration de la performance de la firme, en
évitant la destruction de valeur.
3.4.1. Coût des contrats informels
Le premier type de coût sur lequel le marché des dirigeants est susceptible de jouer un rôle
est lié aux contrats informels. Le dirigeant établit des contrats explicites et implicites avec
tous les partenaires de la firme : clients, fournisseurs, salariés, actionnaires, banques…. Les
contrats implicites n'ont pas de forme légale, mais lient les parties relativement à leurs
comportements respectifs. "Un complément important aux contrats écrits incomplets est
constitué des attentes non explicitement formulées mais présumées partagées que les
différentes parties peuvent avoir dans le cadre de leurs relations"28 (Milgrom et Roberts, 1992,
p. 132). Ils ne sont connus que du dirigeant et de la partie prenante concernée. Ils sont
constitués par le dirigeant pour l‟aider à être plus efficace, mais aussi pour se protéger et
asseoir son influence. S'ils peuvent être favorables à la firme, par exemple en lui permettant
de conserver un client important ou un fournisseur clé, ces contrats implicites, dans la vision
négative de l'enracinement, sont considérés comme une source de coûts. Leur multiplication
avec différents partenaires réduit les pouvoirs de chacun d'eux, notamment en matière de
contrôle. Ils permettent au dirigeant de maintenir l'asymétrie d'information, diminuant ainsi la
visibilité des équipes concurrentes, qui de ce fait ne le menacent pas d'être remplacé. Ils sont
également coûteux lorsque le dirigeant, pour développer ces contrats informels, accorde des
concessions, notamment financières, pour s'assurer la loyauté et la fidélité de certaines parties
prenantes.
Selon Shleifer et Vishny (1989), une méthode de contrôle qui permet de réduire les contrats
informels, que les dirigeants ont pu établir à leur avantage et en lieu et place des intérêts des
28
Milgrom P., Roberts J. (1992, p. 132) : "An important adjunct to incomplete written contracts are the
unarticulated but (presumably) shared expectations that the parties have concerning the relationship".
96
actionnaires, est d‟embaucher des dirigeants externes. Le nouveau dirigeant supprimera une
partie des relations informelles qui reposaient sur son prédécesseur. On peut ainsi espérer un
accroissement de la productivité globale de l‟équipe de direction, si le marché du travail des
dirigeants est efficient et qu‟il a bien évalué les qualités et les compétences du successeur.
3.4.2. Élimination ex post des manœuvres d‟enracinement
Dans la théorie de l‟enracinement, le dirigeant est actif, il cherche à neutraliser les
mécanismes disciplinaires, à élargir sa latitude discrétionnaire. Il peut alors construire une
stratégie ayant pour but de réduire les possibilités de contrôle du conseil d'administration, en
tissant des liens avec certains administrateurs ou en orientant l'information présentée au
conseil d'administration (Charreaux, 1994). Lorsqu‟il a une stratégie de carrière interne, son
objectif est de persuader les actionnaires qu‟il est le plus apte à gérer l‟entreprise et que son
remplacement serait trop coûteux. Il cherche à maximiser la valeur des investissements
idiosyncrasiques dont le caractère spécifique dépend de sa présence à la direction de
l‟entreprise, ou qui sont liés à une asymétrie d‟information plus importante (Shleifer et
Vishny, 1989). Il peut même chercher à manipuler l‟information (Stiglitz et Edlin, 1992,
Hirshleifer, 1993). Le processus d‟enracinement se traduit par des stratégies mises en œuvre
par le dirigeant pour se rendre indispensable et rendre difficile son éviction. Dans cette vision
disciplinaire négative de l‟enracinement, il conduit à la réduction de l‟efficacité du marché
managérial. D‟une part il fait disparaître son pouvoir d‟incitation à la performance, le
dirigeant ne recherchant pas à se valoriser pour effectuer une carrière externe. D‟autre part il
minimise les possibilités de sanction, les actionnaires subissant des coûts de sortie plus élevés
(le départ du dirigeant va entraîner la perte d‟une partie de la rente organisationnelle, basée
sur les investissements idiosyncrasiques), et ayant moins de visibilité pour évaluer l‟intérêt de
remplacer le dirigeant (Shleifer et Vishny, 1989). Les équipes dirigeantes concurrentes sont
également moins incitées à vouloir le remplacer, par manque de transparence. La stratégie
d‟enracinement du dirigeant est à prendre en compte dans l‟étude du lien de causalité entre la
sanction et les mauvais résultats de l‟entreprise (Pigé, 1993). L‟enracinement est
négativement corrélé avec la performance financière (Paquerot, 1996).
97
Le marché managérial peut ainsi voir son rôle de sanction modifié par l‟enracinement, mais
il peut aussi, si celui-ci n‟a pas été dissuasif dans la décision de changer de dirigeant 29 ,
intervenir d‟une autre manière, en engendrant une réduction de coûts disciplinaires. Le
recours à un nouveau dirigeant peut permettre d‟éliminer les conséquences des manœuvres
d‟enracinement de l‟ancien dirigeant, c‟est-à-dire les coûts dérivés des rentes que les
dirigeants en place s‟octroient par le biais des relations contractuelles informelles qu‟ils ont
tissées à leur profit (Faith et al., 1984). Le changement de dirigeant et le recours au marché
managérial génèrent un coût immédiat, lié à la perte de rente concernant les investissements
idiosyncrasiques, mais, ensuite, ils permettent de supprimer les coûts additionnels liés à
l‟enracinement, qui auraient continué à s‟accroître si l‟ancien dirigeant était resté en place. Si
le coût de sortie est inférieur à ces gains futurs, le marché des dirigeants contribue à la
réduction de la destruction de valeur et, de ce fait, à l‟amélioration de la performance.
Cette réduction potentielle des coûts trouve sa justification dans l‟approche disciplinaire,
mais elle diffère de la vision cognitive, où, en privilégiant le rôle de créateur de rentes du
dirigeant, l‟enracinement est souvent présenté de manière positive, le développement du
capital humain étant favorisé par la durée, ainsi que l‟intensité des réseaux relationnels
bénéfiques à l‟entreprise (Castanias et Helfat, 1992).
3.4.3. Élimination ex ante des manœuvres d‟enracinement
Le marché des dirigeants peut également jouer un rôle dissuasif (ex ante) par rapport à
l‟enracinement. En effet le comportement opportuniste d‟un dirigeant a un coût car il porte
préjudice à sa réputation sur le marché de l‟emploi du fait de la perception de son attitude. La
baisse de sa réputation risque de bouleverser les rapports de pouvoir du dirigeant avec les
actionnaires, car il lui sera plus difficile en cas de départ, du fait de cette détérioration, de
retrouver un poste équivalent à son poste actuel. Il ne peut plus, de ce fait, menacer de façon
crédible les actionnaires de démissionner. Le dirigeant peut alors considérer que la stratégie
d‟enracinement n‟est pas la meilleure solution pour lui, et le marché managérial aura ainsi
permis d‟éviter les coûts potentiels correspondants.
29
Si le dirigeant enraciné s'attribue un niveau de rentes élevé qui devient visible, l'attrait du poste pour les
équipes concurrentes est renforcé et le risque de remplacement s'accroît : cet argument sera développé au
paragraphe 5.2.1..
98
3.4.4. Réduction ou élimination des coûts d‟erreur de décision
Le recours au marché des dirigeants peut permettre de réduire les coûts d‟agence liés aux
erreurs de décision des dirigeants. Il s‟agit ici non pas d‟agissements opportunistes du
dirigeant, mais d‟erreurs de gestion, par exemple la prise de décisions d‟investissement non
optimales, ou encore une mauvaise exploitation des opportunités existantes. En raison de la
divergence d‟intérêts entre les dirigeants et les actionnaires, une décision considérée comme
opportune par le dirigeant peut représenter une erreur pour les apporteurs de capitaux. Là
encore une bonne évaluation du candidat et de son adéquation avec la firme par le marché
managérial peut engendrer une réduction ou la disparition de ces coûts.
Conclusion du chapitre III
En nous appuyant sur la littérature existante, nous avons pu cerner le rôle disciplinaire du
marché des dirigeants. Utilisant deux leviers identifiés dans la théorie de l‟agence : la menace
d‟éviction et la rémunération, il est susceptible de participer à la contribution de valeur
principalement par deux voies d‟intervention :
-
la sanction des dirigeants inefficaces : d‟une part le marché managérial
favoriserait ex ante la décision de leur remplacement en offrant des candidatures de
qualité, d‟autre part il pourrait les pénaliser ex post, en les empêchant de retrouver un
nouveau poste de direction, ou dans des conditions (rémunération, prestige) moins
favorables ;
-
la récompense des dirigeants performants : les dirigeants extériorisant des
résultats plus élevés que ceux des autres firmes, du fait de leurs compétences
supérieures et de leurs efforts, se verraient confier, grâce au marché managérial, des
postes plus avantageux, soit par sollicitation, soit en offrant leurs services sur le marché
du travail. Les dirigeants seraient ainsi incités à être plus performants pour obtenir une
promotion, en termes de poste et de rémunération.
Nous avons également identifié une troisième voie d‟intervention potentielle, liée à certains
agissements du dirigeant pouvant être néfastes pour la firme. Le marché managérial jouerait
ainsi un rôle engendrant une amélioration de la performance de la firme :
-
en permettant de supprimer les contrats informels que le précédent dirigeant
avait pu nouer au détriment de l‟entreprise ;
99
-
en éliminant les conséquences néfastes de l‟enracinement lorsque les coûts de
sortie ne sont pas trop élevés ;
-
en dissuadant le dirigeant de s‟engager dans des manœuvres d‟enracinement ;
-
en supprimant les coûts liés aux erreurs de décision du prédécesseur.
Cette première revue de littérature fait ressortir deux limites des travaux disponibles sur le
mécanisme que nous étudions. D'une part, si les voies d‟intervention disciplinaires du marché
du travail des dirigeants sont bien analysées, elles lui sont rarement attribuées explicitement.
D‟autre part, elles sont examinées séparément, la contribution à la création de valeur du rôle
disciplinaire joué par le marché managérial dans son ensemble n'a pas été validée
empiriquement. C‟est une des motivations qui nous a conduits à concentrer nos recherches sur
la modélisation du rôle de ce mécanisme.
Par ailleurs, le choix d'une grille de lecture disciplinaire nous apparaît être trop limitatif
pour permettre d‟appréhender dans sa globalité la contribution du marché des dirigeants et
refléter le mieux possible la réalité de ce mécanisme. C'est pourquoi nous avons choisi
comme cadre théorique la grille synthétique de la gouvernance, comme nous l'avons justifié
au chapitre I. L'analyse des voies d‟intervention du marché managérial sous la dimension
cognitive autorise l'émergence d'autres fondations, complémentaires, à la modélisation du rôle
du marché des dirigeants. Leur identification fait l‟objet du prochain chapitre.
100
CHAPITRE IV : LE ROLE COGNITIF DU MARCHE DES DIRIGEANTS
Analyser également le marché des dirigeants sous la dimension cognitive permet une
approche différente et complémentaire du rôle de ce mécanisme. L‟apport principal des
théories cognitives est de s‟intéresser à " l‟origine des connaissances qui fondent les
compétences distinctives sur lesquelles s‟appuient les stratégies de création de valeur "
(Charreaux, 2000, p.13). La connaissance est l‟aboutissement de l‟interprétation d‟une
information, à travers un filtre ou cadre personnel : le modèle cognitif. Issue de
l‟apprentissage organisationnel, elle se construit par interdépendance entre les individus
(Simon, 1947, Cyert et March, 1963). La confrontation de différentes bases d‟interprétation
peut conduire à des conflits, ayant des conséquences positives ou négatives. La notion de
concurrence, fondée sur l'innovation, est centrale dans les théories cognitives (Nelson et
Winter, 1982, Dosi, 1990, Foss, 1996). La firme est analysée comme un ensemble de
ressources permettant l'accumulation des connaissances, sous l'impulsion des dirigeants, dont
la vision est guidée par leur expérience (Penrose, 1959, Wernerfelt, 1984, Barney, 1991). La
conception de l‟efficience est dynamique : la gouvernance doit aider la firme à construire des
stratégies permettant de créer de la valeur de façon durable (Charreaux, 2000, p. 14). Cette
approche, en fournissant d'autres explications de la création de la valeur dans l'entreprise, va
nous permettre d'appréhender le rôle du marché managérial dans sa globalité et de mieux
comprendre sa participation à la variation de performance de la firme. En nous appuyant sur
la littérature existante, nous allons identifier deux voies d'intervention supplémentaires du
marché des dirigeants : l‟influence sur la vision stratégique de l‟entreprise et l‟apport de
nouvelles compétences.
4.1. Aide à la construction de la vision stratégique de la firme
L‟influence du marché managérial sur la vision stratégique ressort implicitement de la
littérature à travers quatre thèmes de recherche : la relation entre les caractéristiques du
dirigeant et les choix stratégiques qu‟il engage, la contribution du capital humain managérial à
la constitution de l‟avantage concurrentiel, le lien entre le changement de dirigeant et les
réorientations stratégiques, et le développement de l‟innovation engendré par la confrontation
de différents schémas cognitifs.
101
4.1.1. L‟influence des caractéristiques du dirigeant sur les choix stratégiques
L‟influence des caractéristiques des dirigeants sur les choix stratégiques de la firme qu‟ils
vont diriger a fait l‟objet d‟une littérature abondante (March et Simon, 1958, Dearborn et
Simon, 1958, Pfeffer, 1983, Hambrick et Mason, 1984, Gupta, 1984, Bantel et Jackson, 1989,
Lewin et Stephens, 1990, Hitt et Tyler, 1991, Wiersema et Bantel, 1992, Melone, 1994,
Buchholtz et Ribbens, 1994, Finkelstein et Hambrick, 1990, Gunz et Jalland, 1996, Datta et
Guthrie, 1998, Bertrand et Schoar, 2003). Les politiques menées par les firmes divergent
selon l'identité des dirigeants qui les gouvernent ; ceux-ci ont leur propre style, ce qui se
traduit par des décisions stratégiques différentes (Bertrand et Schoar, 2003). L‟âge, la
formation, l‟expérience, le savoir-faire développé par les dirigeants dans leurs fonctions
précédentes, affectent leur prise de décision. Ce lien est à la base de la théorie des échelons
supérieurs développée par Hambrick et Mason (1984, p. 193)
30
: " Les résultats
organisationnels – choix stratégiques et niveaux de performance – sont partiellement
prédictibles par les caractéristiques des dirigeants ", lesquelles " sont considérées refléter les
valeurs et la base cognitive des acteurs détenant le pouvoir dans les organisations ". Leur
modélisation est en phase avec notre grille de lecture, où le dirigeant est actif, occupant une
place centrale, et s‟oppose à d‟autres courants théoriques, comme celui de l‟Écologie des
Populations, dont la vision déterministe nie l‟importance du dirigeant sur la performance de la
firme, les actions individuelles étant considérées comme dérisoires relativement à l'influence
dominante de l‟environnement. S‟appuyant sur les travaux de Child (1972) sur la perspective
du choix stratégique, de March et Simon (1958) et de Cyert et March (1963), les auteurs
mettent en évidence que les choix stratégiques reflètent les idiosyncrasies des dirigeants, dont
les valeurs et la base cognitive agissent comme un filtre dans leur perception et leur
interprétation des différentes situations auxquelles ils sont confrontés. " Différents types de
dirigeants sont associés à différents résultats organisationnels " (Hambrick et Mason, 1984, p.
194)
31
. L‟analyse des caractéristiques managériales observables (âge, expérience
professionnelle, éducation, formation…), prises en compte dans la sélection des dirigeants,
constituerait un moyen d‟opérationnaliser ces idiosyncrasies, plus efficient que l‟étude de
dimensions psychologiques, difficiles à mesurer et ayant un pouvoir explicatif plus limité. Le
30
Hambrick D.C., Mason P.A. (1984, p. 193) : " Organizational outcomes – strategic choices and performance
levels – are partially predicted by managerial background characteristics " (..) “are viewed as reflections of the
values and cognitive bases of powerful actors in the organization ".
31
Hambrick D.C., Mason P.A. (1984, p. 194) : " Different types of managers are associated with different
organizational outcomes ".
102
niveau de formation, par exemple, serait positivement corrélé avec la réceptivité à
l‟innovation. Bertrand et Schoar (2003), dans leur étude de 500 dirigeants et cadres supérieurs
américains répertoriés dans Forbes entre 1969 et 1999, avaient également mis en évidence que
les dirigeants détenteurs d'un MBA développaient des stratégies plus agressives, investissaient
davantage, avaient plus recours à l'endettement et payaient moins de dividendes. L‟âge serait
inversement lié à la prise de risque (en termes de diversification, d‟effet de levier…). Le
modèle d‟Hambrick et Mason a été repris par Wiersema et Bantel (1992), qui ont validé
empiriquement la relation entre les caractéristiques de l‟équipe dirigeante et les décisions
stratégiques en matière de diversification, sur un échantillon aléatoire de 100 entreprises de
Fortune 500 étudié pour l‟année 1980. " Les perspectives cognitives des dirigeants, reflétées
par leurs caractéristiques démographiques, sont liées à la propension de l‟équipe à changer la
stratégie de l‟entreprise " (Wiersema et Bantel, 1992, p. 91)32. Certains traits des dirigeants
(âge, durée de poste, spécialisation ou diversité de la formation, niveau d‟éducation) indiquent
leur réceptivité au changement, à la prise de risque, à l‟innovation et la diversité de leurs
sources d‟information, influençant leur prise de décision.
Ce lien a également été mis en évidence sur un type de successeurs : les dirigeants d'origine
externe. "L'expérience et le passé des successeurs externes les prédisposent à faire des
changements s'apparentant à des bouleversements"33 (Helfat et Bailey, 2005, p. 51). Ayant
une expérience différente de la direction qu'ils ont remplacée, ils n'hésitent pas à changer les
routines dans la firme (Friedman et Singh, 1989, Hambrick et al., 1993, Harris et Helfat,
1997). Pour Helfat et Bailey (2005), l'impact sur la performance du recours à un candidat
externe dépend de l'amplitude des bouleversements qu'il engendre, du degré d'incertitude ainsi
créé et de la capacité du dirigeant à gérer le changement, notamment à le faire accepter par
l'encadrement et les salariés.
Dans les travaux que nous venons de citer, le marché managérial n‟est pas explicitement
évoqué, mais son rôle est implicite. En effet, par sa fonction fondamentale d‟évaluation des
dirigeants, il est à la base de l‟analyse de leurs caractéristiques. Compte tenu du lien avec les
choix stratégiques précédemment développé, il est donc susceptible d'influencer la vision
stratégique de la firme, et de jouer un rôle dans sa construction.
32
Wiersema M.F., Bantel K.A. (1992, p. 91) : " top managers‟ cognitive perspectives, as reflected in a team‟s
demographic characteristics, are linked to the team‟s propensity to change corporate strategy ".
33
Bailey E.E., Helfat C.E. (2005, p. 51) : "the backgrounds and work experiences of external successors may
predispose them to make disruptive changes".
103
4.1.2. Le capital humain managérial, une des sources de l‟avantage concurrentiel
L‟identification des sources de l‟avantage concurrentiel est à l‟origine de plusieurs courants
théoriques (Penrose, 1959, Porter 1980, 1985, Wernerfelt, 1984,1989). Cet avantage peut être
notamment développé par les firmes en mettant en œuvre des stratégies exploitant leurs
forces, répondant aux opportunités environnementales et neutralisant les menaces externes
(Barney, 1991). Les ressources
satisfaisant à certains critères : être valorisables dans
l‟entreprise, rares, imparfaitement inimitables et non substituables (Barney, 1991), sont
susceptibles de contribuer à la constitution d'avantages concurrentiels. Le capital humain des
dirigeants répond à ces conditions : le talent managérial est une des ressources nécessaires à
l‟accomplissement de la stratégie de la société (Hambrick, 1987), une firme peut chercher à
imiter le management d‟un concurrent mais ne parviendra pas à copier exactement la stratégie
du dirigeant (Barney et Tyler, 1990). Le capital humain managérial, en participant à la
définition et la mise en œuvre de stratégies créatrices de valeur, non développées
simultanément par d‟autres concurrents potentiels, contribue ainsi au développement de
l‟avantage concurrentiel (Castanias et Helfat, 1991). Une nouvelle fois, le rôle du marché des
dirigeants est implicite : en évaluant le capital humain managérial, en mettant en concurrence
les candidats, la compétition étant remportée par le meilleur dirigeant, il peut contribuer à la
constitution de l'avantage concurrentiel et ainsi favoriser la création de valeur dans
l‟entreprise.
4.1.3. Les réorientations stratégiques, conséquences du changement de dirigeant
L‟arrivée d‟un nouveau dirigeant se traduit généralement par des modifications importantes
dans la politique et la stratégie de l'entreprise (Shen et Cannella, 2003), et peut permettre à
l‟entreprise de s‟adapter aux évolutions du contexte (Wiersema et Bantel, 1992). Les
dirigeants ayant une durée de poste dans la moyenne ou inférieure à celle-ci sont plus prompts
à s'adapter aux changements, permettant une meilleure adéquation de la firme à son
environnement, et ainsi une performance supérieure de l'entreprise (Miller, 1991). Une
relation négative est observée entre l'ancienneté dans l'organisation et la probabilité de
changements stratégiques dans les travaux de Bantel et Jackson (1989) et Finkelstein et
Hambrick (1990).
104
Les réorientations stratégiques consécutives à un changement de dirigeant ont été
essentiellement analysées sous l‟aspect disciplinaire. Ainsi Denis et Denis (1995) ont validé
empiriquement l‟existence de restructurations consécutives à l‟arrivée du nouveau dirigeant :
ventes d‟actifs, mesures de réduction de coûts, changement de l‟équipe d‟encadrement,
modification du nombre d‟employés, des investissements, réorientation de l‟activité… Pour
Weisbach (1995) également, des changements organisationnels suivent le changement de
dirigeant, même en cas de départ à la retraite, ce qu‟il analysait comme l‟opportunité de
corriger les erreurs du prédécesseur. Cette vision était aussi celle de Reinganum (1985) : un
changement de dirigeant peut se traduire par des modifications importantes dans la politique
et la stratégie de l'entreprise, et permettre au nouveau dirigeant de ne pas réitérer les erreurs
commises dans le passé. Lorsque le choix se porte sur un candidat externe, généralement il est
lié à la remise en cause de la politique antérieure. Un dirigeant venant de l'extérieur sera
recherché si l‟objectif est d‟éviter la compétitivité interne jugée alors néfaste, mais aussi s‟il y
a besoin d‟une rupture forte, ou d‟un dirigeant ayant une autre expérience, apportant de
nouveaux marchés, ou encore s‟il est nécessaire pour l‟entreprise de prendre de nouvelles
orientations stratégiques pour s‟adapter aux changements de l‟environnement commercial et
concurrentiel. Les successeurs externes sont davantage considérés comme capables de faire
évoluer la mission, la stratégie de l‟entreprise, d'initier des changements bénéfiques
(Friedman et Singh, 1989, Goodstein et Boecker, 1991, Wiersema, 1992, Helfat et Bailey,
2005). Ils apportent une perspective nouvelle (Hambrick et al., 1993). Un successeur externe
est recherché lorsque l'environnement évolue et que des changements stratégiques et
opérationnels sont nécessaires (Weisbach, 1995, Finkelstein et Hambrick, 1996). Il a souvent
une propension plus élevée à prendre des risques, ce qui peut être nécessaire pour redresser
une entreprise en difficulté, accompagner une firme en pleine croissance ou l‟aider à s‟adapter
lorsqu‟elle exerce dans un environnement en forte mutation.
Le choix de certains dirigeants est lié à la volonté de mettre en œuvre des stratégies
spécifiques (Gupta, 1984). Le nouveau dirigeant remet en cause les modes établis de routines
organisationnelles et opérationnelles (Nelson et Winter, 1982), en initiant une nouvelle
stratégie et de ce fait améliore la performance (Andrews, 2001, Gordon et al., 2000). Les
dirigeants d'origine externe sont plus à même de chercher et développer de nouvelles routines
organisationnelles (Newman, 2000). Le marché managérial est donc susceptible de jouer un
rôle dans les réorientations stratégiques, d'une part car il est fondamentalement basé sur
l'existence de candidats externes, comme nous l'avons rappelé au chapitre I, d'autre part car il
105
facilite et encourage la rotation des dirigeants, par sa capacité à offrir aux firmes des candidats
potentiels et aux dirigeants des perspectives d‟évolution de carrière.
4.1.4. La confrontation de différents schémas cognitifs, source d‟innovation et
d‟amélioration de la prise de décision
Avant de développer les conséquences de la confrontation de différents schémas cognitifs,
engendrée par le recours au marché managérial, nous allons rappeler ce qu'englobe la notion
de schéma cognitif, pour une meilleure compréhension des arguments qui ont été avancés.
Le concept de structure de connaissances et celui de schéma cognitif ont été introduits en
psychologie cognitive par un des deux courants de recherche concernant l‟application de la
psychologie cognitive au management. Ces deux courants se distinguent par leur niveau
d‟analyse : le premier est centré sur l‟individu, plus particulièrement le dirigeant, le second
sur l‟organisation. Chacun apporte sa contribution à la compréhension des schémas cognitifs :
le premier les définit, le second analyse la confrontation de schémas différents entre plusieurs
personnes.
Dans le premier courant, tout individu forme sa propre représentation mentale d‟une
situation, qui n‟est pas le reflet exact de la réalité. Cette représentation est le résultat de
sélection, de classement, de manipulation complexes, fonctions de nos intérêts, notre
connaissance et nos intentions. Les systèmes de connaissances préexistants permettent aux
individus d‟interpréter ce qui les entoure et de déterminer leur comportement (Weick, 1979).
Les informations que les dirigeants doivent gérer étant complexes, incomplètes, ils utilisent
des structures de connaissances pour faciliter leur traitement et prendre des décisions. La prise
de décision varie du fait des croyances et des expériences individuelles. Cette perception
simplifiée du monde est à la base de la notion de schéma cognitif. Celui-ci traduit la
hiérarchisation et la mise en relation de la connaissance ayant pour objectif la compréhension
et l‟action. Les systèmes de connaissances pré existants permettent d‟interpréter le monde
organisationnel et de générer les comportements appropriés. Ils aident l‟individu à traiter et
organiser l‟information, à l‟interpréter et l‟évaluer en fonction de leur similarité avec des
attributs existants, et fournissent un cadre aux réactions affectives à l‟information.
L‟expérience, le vécu de situations antérieures se rapprochant, influencent le traitement des
informations nouvelles. Selon les auteurs, ces systèmes sont appelés croyances, schémas,
106
modèles mentaux ou cadres. La formation et l‟éducation font partie des influences classiques,
mais le schéma cognitif d‟un individu dépend également de son histoire et de sa personnalité,
de la position qu‟il a occupée dans l‟entreprise.
En reprenant les travaux de Gupta (1992), le paradigme du dirigeant est basé sur deux
éléments : le schéma de représentation et le répertoire. Le schéma cognitif dépend du système
de connaissances existant du dirigeant, incluant les perceptions conscientes et inconscientes,
les croyances, les attentes… qui proviennent des expériences familiales et culturelles,
professionnelles, ainsi que des réseaux, de l‟éducation, de l‟observation… Le répertoire est la
boite à outils du dirigeant, il contient par exemple des capacités de négociation qui se sont
développées avec l‟expérience de situations conflictuelles… Le schéma cognitif sert
d‟appareil perceptif et interprétatif, le répertoire représentant les capacités tangibles du
dirigeant à appliquer ce schéma dans un contexte économique et social. Le paradigme
managérial n‟est pas statique, il évolue dans le temps et en fonction des nouvelles
expériences.
Les cadres cognitifs dans lesquels les dirigeants prennent leurs décisions et la confrontation
des schémas ont une influence sur la dynamique de l‟apprentissage organisationnel. Une
connaissance individuelle deviendra organisationnelle si elle est échangée et acceptée par les
autres, les principes d‟assimilation et d‟accommodation développés pour l‟apprentissage
individuel par Piaget pouvant être transposés aux organisations (Argyris et Schön, 1978).
L‟apprentissage organisationnel nécessite l‟émergence de nouvelles capacités collectives à
partir du processus au travers duquel se construit, s‟approprie et s‟évalue le changement
conduit. Au-delà même du changement, c‟est dans la construction basée sur le mode action et
réaction, sur de nouveaux modèles relationnels et de nouveaux modes de raisonnement, que le
système existant se transforme (Crozier, Friedberg, 1977).
Le deuxième courant, qui s‟intéresse à l‟organisation, naît du constat que les décisions
stratégiques ne sont pas prises par un seul décideur isolément, et souligne la nécessité de
prendre en compte les interactions entre les schémas cognitifs des différents intervenants.
C‟est l‟origine de la cognition organisationnelle. Les schémas d‟interprétation individuels
changent suite à une restructuration organisationnelle. La notion de zone d‟acceptation des
individus d‟un groupe est définie par Simon (1958) comme l‟espace dans lequel le dirigeant
s‟attend à ce que les esprits des autres acteurs contribuant à la décision s‟alignent. Cette zone
107
est influencée par le partage des objectifs et des valeurs par les membres du groupe. S‟il n‟y a
pas consensus ou signification partagée, les actions individuelles ne sont pas cohérentes et la
firme sera moins performante : de la confrontation naissent des coûts cognitifs. Les
interactions entre les schémas cognitifs peuvent également être analysées positivement :
l‟échange de points de vue est un moteur d‟innovation.
Les conflits cognitifs, pour reprendre la définition de Jehn (1995, p. 258) 34 , sont des
" désaccords relatifs aux tâches à effectuer, incluant des différences dans les points de vues,
les idées et les opinions ". Ils sont susceptibles de se développer lorsqu‟un groupe doit prendre
des décisions complexes (Forbes et Milliken, 1999). Ils sont basés sur des processus
d‟interaction naissant des désaccords et des critiques (Amason, 1996). Les conflits cognitifs
peuvent avoir des conséquences positives, lorsqu‟ils se traduisent par l‟accroissement des
alternatives envisagées et de leur analyse, conduisant à une meilleure prise de décision
stratégique (Schweiger et al. 1986, Milliken et Vollrath, 1991, Eisenhardt et al., 1997).
L‟interaction entre des acteurs multiples, impliquant des rationalités et des logiques
différentes dont les résultats doivent être combinés, favorise l‟apprentissage organisationnel et
l‟innovation. L‟innovation peut se développer, et de nouvelles opportunités d‟investissement
apparaître. La capacité créative étant une des sources principales d‟avantage concurrentiel,
elle permet une augmentation de la création de valeur et assure la survie de l‟entreprise.
L‟hétérogénéité relative de l‟équipe dirigeante augmente avec l‟arrivée d‟un successeur
externe, elle apporte une plus grande diversité d‟information, de sources et de perspectives.
Elle permet l‟émergence de nouvelles solutions du fait de la diversité des connaissances,
vécus et opinions du groupe (Brief et al., 1976). L‟absence de coûts cognitifs peut être
associée à une moins grande capacité innovatrice (Charreaux, 2002). La variété des
comportements génère l‟accroissement de l‟innovation et de l‟efficience dynamique (Bantel et
Jackson, 1989, Foss, 1996).
Les recherches sur les effets de la durée de poste des dirigeants suggèrent que celle-ci est
négativement corrélée au changement organisationnel et à l‟innovation (Finkelstein et
Hambrick, 1996). Les dirigeants qui restent longtemps en place adoptent une conduite
conservatrice. Le dirigeant est guidé par son schéma cognitif, mais celui-ci limite aussi sa
34
Jehn K. (1995, p. 258) : " disagreements about the content of the tasks being performed, including differences
in vieWorking Paperoints, ideas and opinions ".
108
capacité à comprendre d‟autres domaines. Les travaux sur la perception sélective ont
complété cette approche, et ont eu pour conséquence de recommander la rotation des postes
pour éviter la fixité fonctionnelle. Gupta (1984) met en avant que des dirigeants au profil de
carrière et de fonctions diversifié seraient plus efficaces. La perception sélective fait l‟objet de
débats, le lien entre l‟expérience dans un domaine et le contenu des structures de croyances,
testé notamment par Walsh (1995) et non validé par son étude, ne faisant pas l‟objet d‟un
consensus. Melone (1994) a analysé les effets de l‟expérience professionnelle, de l‟expertise
et du type de poste occupé par le dirigeant sur son processus de raisonnement pour la prise de
décisions managériales. Selon l‟origine professionnelle du dirigeant, par exemple s‟il était
précédemment responsable financier ou responsable du développement, son évaluation d‟un
projet : environnement concurrentiel, santé financière, management, opérations et synergies
potentielles, et la décision prise étaient différentes.
Une facette supplémentaire du rôle du marché managérial semble donc être la participation
au développement de l‟innovation et la contribution à une meilleure prise de décision
stratégique, sur une base plus riche. En effet il intervient dans le processus en favorisant le
changement des dirigeants, en augmentant leur taux de rotation, en fournissant des candidats
externes avec des schémas cognitifs différents, et en évaluant les valeurs et les
caractéristiques des dirigeants.
4.1.5. Les conflits cognitifs, frein à la prise de décision
Les schémas cognitifs facilitent l‟utilisation de l‟information, en la rendant moins
complexe, mais ils peuvent également aveugler le décideur : c‟est le paradoxe de l‟expert, qui
traite rapidement la bonne information, mais est moins ouvert à des informations nouvelles.
Si les conflits cognitifs sont trop importants, l‟équipe dirigeante peut devenir inapte à
prendre des décisions ou à engager des actions (Pfeffer, 1983). La communication devient
plus difficile (Mc Cain et al., 1983). Le développement des conflits cognitifs et affectifs a un
effet négatif sur la qualité des décisions stratégiques du groupe (Amason et Sapienza, 1997).
Il réduit l‟implication des individus, augmente leur désir de quitter l‟entreprise et leur degré
d‟insatisfaction (Jehn, 1995, Schweiger et al., 1986). Les conflits peuvent également exister
entre le dirigeant et les autres parties prenantes, notamment le conseil d‟administration. C'est
une autre facette de l'influence possible du marché des dirigeants sur la vision stratégique de
109
la firme : selon la base cognitive du candidat qu'il aura contribué à sélectionner par son
évaluation, le marché managérial peut être à l'origine de freins à la prise de décision.
Conclusion
L'influence du marché managérial sur la vision stratégique de la firme apparaît comme
pouvant être multiple. Par sa fonction fondamentale d'évaluation du capital humain des
dirigeants, il contribuerait à orienter les choix stratégiques de l'entreprise, favoriserait le
développement de l'avantage concurrentiel et de l'innovation. En facilitant la rotation des
dirigeants et en organisant une mise en concurrence avec des externes, il encouragerait les
réorientations stratégiques et la remise en cause des routines.
4.2. L'apport et le développement de compétences
Dans la vision cognitive, les marchés sont appréhendés à travers leur capacité à échanger et
faire acquérir des connaissances. Une autre voie d‟intervention du marché managérial
s'envisage alors : apporter de nouvelles compétences, celles du dirigeant qu‟il a conduit à
sélectionner, et contribuer au développement des compétences managériales, en promouvant
la multiplicité des expériences, et de celles des autres parties prenantes, le nouveau dirigeant
ayant une influence significative sur leur évolution.
4.2.1. Retour sur la définition de la notion de compétences
Le concept de compétences est plus riche et plus opérationnel que celui de savoir tacite. Lié
à l‟action, il englobe différents types de connaissances, leurs dynamiques et leurs tensions.
Les compétences se développent à la faveur de l‟expérimentation. Pour reprendre la définition
de De Montmollin (1990, p. 77), elles articulent " des connaissances, représentations de lois
ou de structures concernant les appareils et les phénomènes dont ils sont le siège ainsi que les
règles qui permettent de les utiliser, des savoir-faire issus de l‟expérience, moins formalisés
mais plus immédiatement disponibles, des modes de raisonnements, opérations de traitement
des informations, qui surviennent au cours du travail et des stratégies cognitives, organisation
à un niveau supérieur des conduites intelligentes ".
110
Les compétences peuvent être également définies comme l'ensemble " des connaissances,
des capacités d'action et des comportements structurés en fonction d'un but et dans un type de
situation donnée " (Gilbert et Parlier (1992, p. 44). Pour Harris et Helfat (1997), elles sont
composées de l'expertise, des capacités et des connaissances.
Plusieurs classifications des compétences ont été développées. Celle de Becker (1964), en
fonction du degré de transférabilité, a été évoqué au paragraphe I.1.1.4.. Une autre distinction
a été proposée par Katz (1974) en trois sous-populations : compétences techniques,
compétences humaines et compétences conceptuelles. Enfin Mintzberg (1973) a identifié huit
catégories de compétences managériales : celles liées aux relations nobles, au leadership, à la
résolution des conflits, au processus d'information, à la prise de décision dans un contexte
incertain, à l'allocation des ressources, à l'entreprenariat, et à l'introspection.
La sociologie apporte un éclairage complémentaire sur la notion de compétence : c‟est le
succès public qui conditionne sa réalité : il n‟y a compétence que s‟il y a reconnaissance
sociale de cette compétence. La compétence peut alors être définie comme un savoir-faire
opérationnel validé et exercé. Le terme validé rejoint la notion de reconnaissance et celui
d‟exercé traduit la nécessité d‟utilisation pour éviter l‟obsolescence.
4.2.2. Apport des compétences propres au dirigeant, génératrices de rentes
Les compétences englobent différents types de connaissances, leurs dynamiques et leurs
tensions, et représentent une part importante du capital humain des dirigeants. Outre les
capacités à administrer, coordonner, surveiller, planifier, qui font partie des compétences
managériales, le dirigeant apporte également ses compétences perceptives : la capacité à
construire de nouvelles connaissances, à repérer les opportunités créatrices de valeur, les
possibilités d‟innovation et leur mise en œuvre (Prahalad, 1994, O‟Sullivan, 2000). Cette
dimension perceptive apparaît aussi dans les composantes identifiées dans la fonction
entrepreneuriale par Schumpeter, Say, et Knight.
Les dirigeants diffèrent dans la combinaison de leurs types de compétences (Bailey et
Helfat, 2003). Or, les théories cognitives, à l'instar de la vision contractuelle, reconnaissent le
lien entre les compétences et la rente organisationnelle. L‟apport des compétences
managériales et leur capacité à générer des rentes, c‟est-à-dire à créer de la valeur, figuraient
111
déjà dans les travaux de Berle et Means (1932). La différence de compétences entre les
dirigeants constitue une explication possible des écarts de rentes qu‟ils génèrent (Castanias et
Helfat, 1991, 2001). Dans leur modèle des rentes managériales, les auteurs analysent
l‟allocation entre les différents types de capacités des dirigeants (génériques, liées au secteur
d‟activité, spécifiques à la firme) et son influence sur le niveau des rentes. "Les ressources
managériales, définies comme les compétences et les capacités des dirigeants, constituent une
part importante des ressources de la firme qui permettent à certaines entreprises de générer
des rentes" (Castanias et Helfat, 2001, p. 661)35. Les dirigeants prennent et mettent en oeuvre
des décisions, stratégiques et opérationnelles, qui peuvent créer des rentes que leurs
concurrents ne sont pas à même de développer (Castanias et Helfat, 1991). Les auteurs,
reprenant les travaux de Barney (1991), confirment l‟influence du capital humain des
dirigeants sur la création de rentes du fait de son caractère valorisable, rare, imparfaitement
imitable et substituable. La rareté par exemple vient du fait que le dirigeant possède des
compétences supérieures à celles de ses concurrents. Certains dirigeants peuvent être de
qualité équivalente, résultat de la compensation de faiblesses dans certains domaines par des
performances plus élevées sur d‟autres critères, mais une hiérarchie existe sur l‟ensemble des
dirigeants. Le niveau de rente dépend en outre des efforts et de la motivation des dirigeants
(Castanias et Helfat, 2001). Il peut également varier selon l‟adaptation des compétences du
dirigeant aux caractéristiques de la firme (Castanias et Helfat, 2001, Datta et Guthrie, 2002).
Ces travaux font ressortir de manière implicite la seconde voie d‟intervention cognitive du
marché managérial. D‟une part, en offrant des candidats, en facilitant leur transfert d‟une
entreprise à une autre, il exerce directement un rôle dans l‟apport des compétences. D‟autre
part, sa fonction essentielle d‟évaluation, avec ses différents aspects : analyse des
caractéristiques des dirigeants, de leur adéquation à la cible, mise en concurrence des
candidats, contribuerait à la réalisation des quatre conditions évoquées par Barney (1991), et
de ce fait serait susceptible d‟influencer la génération de rentes. Enfin, en favorisant la
rotation des dirigeants, il participerait à l‟adaptation des compétences aux nouveaux besoins.
Les compétences requises évoluent en effet avec le marché, l‟environnement, d‟où un
nécessaire changement des individus, y compris le dirigeant : licenciements, promotions,
recrutements externes (Kerr et Jackofsky, 1989, Castanias et Helfat, 2001).
35
Castanias R.P., Helfat C.E. (2001, p. 661) : "Managerial resources, defined as the skills and abilities of
managers, are important contributors to the entire bundle of firm resources that enable some firms to generate
rents ".
112
4.2.3. Contribution à l‟évolution des compétences du dirigeant
L‟apprentissage implique des changements à la fois dans le contenu et dans la structure des
schémas cognitifs. Si l‟assimilation à un schéma existant n‟est pas possible, un processus
d‟accommodation se développe, par transformation des schémas existants. La psychologie
cognitive a souligné l‟importance des représentations dans la construction des compétences au
travail et l‟incidence de cette construction sur la création de valeur. L‟évolution des
compétences passe par l‟acquisition de nouveaux schémas cognitifs. Le développement de
ceux-ci se fait par l‟expérience et la confrontation à de nouvelles situations. Plus l‟expérience
augmente, plus les schémas deviennent abstraits, organisés et complexes.
La théorie de l'apprentissage organisationnel sous-entend que la multiplicité des
expériences développe la capacité à gérer des situations et challenges plus complexes.
L‟adaptation au changement, l‟expérience nouvelle, consécutives à l‟accession à un poste de
dirigeant, apportent de nouvelles capacités et compétences managériales (Miles, 1982). Les
compétences managériales s'enrichissent à travers la pratique et l‟apprentissage fondé sur
l‟expérience et la formation (Mintzberg, 1973, Katz, 1974). Si la connaissance peut se
constituer grâce à des livres ou tout autre moyen d'information, c'est en faisant par lui-même
que le dirigeant acquiert des compétences managériales effectives (Mintzberg, 1973). "Les
dirigeants acquièrent la connaissance, développent leur expertise et perfectionnent leurs
compétences en partie grâce à leur expérience professionnelle antérieure"36 (Bailey et Helfat,
2003, p. 350). Les changements engendrent des ajustements graduels et itératifs, l'ensemble
de ces révisions constituant l'apprentissage expérimental (Leroy et Ramanantsoa, 1997).
L'acquisition de nouvelles expériences et pratiques différentes est nécessaire pour le
développement des compétences (Nonaka, 1994). Les cadres supérieurs ayant travaillé dans
une seule organisation ont une base de connaissances et des perspectives plus limitées que
ceux ayant connu plusieurs types d‟entreprises et de secteurs d‟activité (Hambrick et Mason,
1984). "Les dirigeants acquièrent et perfectionnent leurs compétences en partie grâce à leur
expérience professionnelle passée" (Castanias et Helfat, 2001, p. 662) 37 .
Une carrière
diversifiée faciliterait le processus d‟apprentissage organisationnel et développerait l'efficacité
36
Bailey E.E., Helfat C.E. (2003, p. 350) : "Managers acquire knowledge, develop expertise, and perfect their
abilities in part through prior work experience".
37
Castanias R.P., Helfat C.E. (2001, p. 662) : " Managers acquire and perfect skills in part through prior work
experience".
113
des dirigeants (Gupta, 1984). Lorsqu'une firme recrute un nouveau dirigeant, elle façonne ses
compétences à ses besoins, entraînant une évolution et un développement de celles-ci
(Finkelstein et Hambrick, 1996), liés au changement d'entreprise et également, selon le cas, au
changement de secteur d'activité (Castanias et Helfat, 2001). Nous avons ici un nouvel aspect
du rôle que le marché managérial est susceptible de jouer. En permettant d‟accéder à de
nouveaux postes, en facilitant les changements, les mutations d‟une entreprise à une autre,
d‟un secteur à un autre, le marché managérial contribuerait au développement des
compétences des dirigeants.
4.2.4. Orientation et développement des compétences des autres parties prenantes
La gestion des compétences dans l‟entreprise relève des fonctions managériales, elle
contribue à aider l‟entreprise à s‟adapter à son environnement ou à résoudre les conflits
(Brabet, 1993). Selon la formation, l‟expérience, les valeurs, du dirigeant recruté, celui-ci va
chercher à développer chez ses salariés d‟autres compétences, nécessaires à la création et la
mise en œuvre des projets qu‟il veut réaliser dans l‟entreprise. L'apprentissage, au niveau
individuel, dépend des changements de comportement, résultant d'agents externes, et basés
sur la réponse à des stimulations (Kazdin, 1975). La mise en place par le dirigeant de
récompenses par exemple peut encourager l'apprentissage de ses salariés.
Outre la volonté qu'il peut avoir de faire évoluer les compétences des autres parties
prenantes, le dirigeant est susceptible de les influencer pour deux raisons. D'une part, il est
souvent considéré comme une référence : " Les dirigeants affectent également les décisions et
les actions des autres personnes à la fois à l‟intérieur et à l‟extérieur de l‟organisation, en
agissant comme des symboles et des modèles de ce qui est important " (Gupta, 1992, p. 52)38.
L'apprentissage peut être le résultat de l'imitation d'un expert par le novice (Nonaka, 1994).
D'autre part, les travaux sur l‟apprentissage organisationnel (Prahalad et Hamel, 1990, Teece
et al. 1997, Lazonick et O‟Sullivan, 1998) mettent en évidence l‟influence de l‟interaction
entre les différentes parties prenantes sur la création de connaissance et le développement des
compétences. L'arrivée d'un nouveau dirigeant externe, souvent synonyme de rupture,
représente un changement cognitif important, source d'apprentissage, la connaissance se
construisant à travers l'action (Argyris et Schön, 1978). Les membres de l'organisation
38
Gupta A.K. (1992, p. 53) : " CEOs also affect the decisions and actions of other people both inside and outside
the organization by acting as symbols and role models for what is important ".
114
adoptent de nouveaux comportements suite à ce changement (Leroy et Ramanantsoa, 1997).
La connaissance, même tacite, peut se transmettre collectivement, à l'intérieur d'une
communauté de pratique : c'est ce que Nonaka (1994) appelle un processus de "socialisation".
Le dirigeant peut apporter un savoir-faire spécifique, non transmissible par les livres, mais
qu'il pourra partager avec d'autres parties prenantes par imitation ou par pratique, en
travaillant avec eux. L'arrivée de nouvelles compétences favorise l'innovation (Miller, 1991).
Une nouvelle justification, implicite, du marché managérial est ainsi fournie : en évaluant les
dirigeants, il détermine leurs caractéristiques et leurs compétences, qui vont influencer ensuite
l‟enrichissement des compétences des autres parties prenantes.
Conclusion du chapitre IV
L‟approche cognitive nous a permis d‟identifier d‟autres voies d‟intervention potentielles,
venant enrichir notre vision du rôle du marché managérial en tant que mécanisme de
gouvernance des entreprises. Une synthèse est apportée par la figure 4.
Le marché managérial est susceptible de contribuer à la construction de la vision
stratégique de la firme de plusieurs manières. En évaluant le capital humain des dirigeants, il
peut jouer un rôle dans les choix stratégiques, dans la constitution de l'avantage concurrentiel
et le développement de l'innovation. En organisant la compétition entre les candidats, en
incitant à avoir recours à des externes, en favorisant la rotation des dirigeants car il offre aux
firmes des successeurs potentiels, et aux dirigeants des postes plus prestigieux, il favoriserait
également les réorientations stratégiques.
Une seconde voie d‟intervention cognitive du marché managérial serait de faciliter
l‟échange et l‟acquisition de compétences, par l‟apport des compétences du nouveau dirigeant
et par l‟évolution des compétences de l‟ensemble des parties prenantes. En effet, en favorisant
la multiplicité des expériences inter-firmes et intersectorielles, le marché managérial
contribuerait au développement du capital humain des dirigeants. Il jouerait aussi un rôle dans
l'enrichissement des compétences des autres parties prenantes, le dirigeant étant considéré
comme un modèle et constituant une source d'apprentissage et de construction de nouvelles
connaissances.
115
La littérature existante, en faisant des emprunts à plusieurs domaines : gouvernance, gestion
des ressources humaines, stratégie…, nous a apporté les éléments de réflexion nécessaires à la
conceptualisation du rôle cognitif du marché des dirigeants. Cependant, celle-ci n‟est à notre
connaissance formalisée et synthétisée dans aucune autre étude à ce jour, les voies
d‟intervention recensées précédemment étant étudiées individuellement et, la plupart du
temps, non explicitement attribuées au marché managérial.
La conclusion de ce chapitre vient donc conforter celle du précédent sur l‟absence de vision
globale du rôle du marché des dirigeants. Elle confirme l‟intérêt d‟une étude approfondie du
marché managérial, notre synthèse de ses voies d'intervention possibles permettant
d‟envisager qu‟il puisse constituer un mécanisme de gouvernance occupant une place
significative dans le SGE. Mais cette vision théorique reste à valider empiriquement.
Notre revue de littérature pose les fondations d'une modélisation du rôle du marché des
dirigeants comme mécanisme de gouvernance. Pour l'enrichir, les étapes suivantes seront
d'identifier les déterminants d'efficacité, c'est-à-dire les facteurs susceptibles de faire varier le
rôle du marché managérial. Ce sera l'objet du chapitre V. Puis, dans la vision systémique de la
gouvernance que nous avons adoptée, le chapitre VI étudiera pour chacune des voies
d'intervention avec quels autres mécanismes le marché managérial se trouve en concurrence,
et tentera de comprendre leur articulation.
116
Sanction des
dirigeants inefficaces
Capital
humain
Adéquation
avec la firme
Récompense des
dirigeants compétents
Evaluation
des
dirigeants
Réduction de coûts
disciplinaires
Aide à la construction
de la vision
stratégique de la firme
performance
Apport des compétences du
dirigeant et développement
des compétences de
l’ensemble des parties
prenantes
Voies d’intervention
disciplinaires
Autres voies d’intervention
Voies d’intervention
cognitives
Fonction primaire
- Figure 4 : synthèse des voies d‟intervention du marché managérial, mécanisme de
gouvernance des entreprises -
De cette première modélisation découlent un certain nombre d'hypothèses, qui feront l'objet
des tests présentés dans la troisième partie. Nous avons en effet choisi une démarche
hypothético-déductive. L'influence du marché managérial en tant que mécanisme dans le
système de gouvernance étant fondée sur sa capacité à créer de la valeur, il s'agit de vérifier
que ses différentes voies d'intervention induisent une amélioration de performance. Nous
avons donc formulé les hypothèses suivantes, en cohérence avec les conclusions de nos
développements du chapitre IV :
117
H1: Le rôle de sanction du marché managérial influence positivement la création de valeur
dans la firme : le départ forcé du prédécesseur contribue à expliquer la performance
enregistrée par le nouveau dirigeant.
H2: L'incitation à la performance associée à la perspective de récompense par le marché
des dirigeants contribue à la création de la valeur dans la firme.
H3: Si le dirigeant précédent était enraciné, le recours au marché managérial a un effet
positif sur la performance de la firme par la réduction des coûts disciplinaires.
H4a: Les réorientations stratégiques consécutives à la succession d'un dirigeant interne par
un externe ont un effet positif sur la performance de la firme.
H4b : La variation d'âge entre le nouveau dirigeant et son prédécesseur a une incidence
négative sur la création de valeur dans la firme, un dirigeant plus âgé ayant davantage
d'expérience et de connaissances.
H4c : La variation du niveau de diplôme entre le nouveau dirigeant et son prédécesseur a
une incidence positive sur la création de valeur dans la firme.
H4d : Lorsqu'il y a une variation de formation (type de formation) entre les deux dirigeants
qui se succèdent, celle-ci a une influence positive sur la création de valeur de la firme car
elle engendre des variations stratégiques plus importantes.
H5a : L'augmentation de compétences génériques entre le nouveau dirigeant et l'ancien
contribue positivement à la création de valeur dans la firme.
H5b : L'augmentation des compétences sectorielles entre le nouveau dirigeant et son
prédécesseur contribue positivement à la création de valeur dans la firme.
H5c : L'augmentation des compétences spécifiques à la firme entre l'ancien et le nouveau
dirigeant est positivement liée à la création de valeur dans la firme.
118
DEUXIEME PARTIE
VERS UNE MODELISATION DU ROLE DU MARCHE
DES DIRIGEANTS
119
Introduction
La synthèse que nous avons proposée des travaux portant sur le rôle joué par le marché des
dirigeants dans le SGE a mis en évidence la diversité des voies d'intervention potentielles de
ce mécanisme, mais aussi l'absence d'analyse globale offrant une visibilité d'ensemble. Elle a
fait ressortir l'intérêt scientifique de chercher à construire un modèle explicatif du rôle du
marché managérial comme mécanisme de gouvernance.
Pour faire émerger cette modélisation, nous allons suivre trois axes de recherche. Nous
allons tout d'abord essayer de mieux comprendre les différents caractères de l'intervention du
marché managérial, qui selon la présence de certains facteurs, peut être implicite ou explicite.
C'est ce que développe le chapitre V. Nous allons ensuite chercher à comprendre les facteurs
susceptibles de faire varier le rôle exercé par le marché des dirigeants dans le SGE, soit en le
réduisant, soit en l'intensifiant. Le chapitre VI sera ainsi consacré à l'identification et à l'étude
des facteurs dont la prise en compte est justifiée par notre cadre théorique. Enfin, dans une
vision systémique de la gouvernance, comme évoqué dans la partie I, il apparaît réducteur
d'envisager isolément le rôle joué par un seul mécanisme, celui-ci étant de manière évidente
fortement imbriqué avec d'autres. Une analyse portant uniquement sur le marché managérial,
sans le resituer dans son contexte global, risque d'aboutir à une vision faussée de son rôle et
de ses potentialités. Nous allons donc chercher au chapitre VII à comprendre dans quelle
mesure et de quelle manière d'autres mécanismes, comme le conseil d'administration ou le
marché financier, sont susceptibles d'interférer sur les voies d'intervention du marché des
dirigeants, se substituant à lui ou au contraire venant appuyer ou renforcer son rôle.
Les réflexions qui vont être présentées ont toutes pour fondement de comprendre
l'incidence du marché managérial sur la performance de la firme. Un système de gouvernance
est efficace, et par conséquent les mécanismes qui le composent, s‟il permet de maximiser la
création de valeur en évitant une répartition impliquant la spoliation de certaines parties
prenantes. La recherche académique en gouvernance a tenté de mettre en évidence le lien
entre le rôle joué par les différents mécanismes et la performance de la firme. La littérature et
les études empiriques sont abondantes sur le sujet, mais les résultats ne sont pas convergents
ou sont non significatifs. Les difficultés rencontrées sont multiples : complexité de l'analyse
simultanée de plusieurs mécanismes, et de l'opérationnalisation de leurs interventions, choix
120
de la mesure de performance…. Enfin, les paramètres retenus variant d'une étude à l'autre, les
résultats sont difficilement comparables. L'existence même de ce lien entre les variables de
gouvernance et la performance est délicate à prouver (Dalton et al., 1998). Notre modèle
ayant pour objectif de comprendre le rôle du marché managérial dans le SGE et de mesurer sa
contribution à la création de valeur dans la firme, il inclut la constatation de l'effet des
différentes voies d'intervention identifiées sur la variation de performance de l'entreprise, et
l'estimation de la part qui peut lui être attribuée. Une première ébauche de modélisation figure
ci-dessous. Le caractère explicite ou implicite de l'intervention du marché managérial sera
exposé au chapitre V, paragraphe 5.1.. La notion de performance et son opérationnalisation
seront développées dans la partie III consacrée aux tests empiriques du modèle.
CONCEPTUALISATION DU ROLE DU MARCHE MANAGERIAL
Intervention
implicite
Rôle comme
mécanisme
de
gouvernance
Marché des
dirigeants
Intervention
explicite
voies
d‟intervention
disciplinaires
Variation de
performance
de la firme
voies
d‟intervention
cognitives
- Figure 5 : conceptualisation du rôle du marché managérial -
121
CHAPITRE V : CARACTERE EXPLICITE OU IMPLICITE DU ROLE DU
MARCHE MANAGERIAL
Lorsque le marché managérial est évoqué, au moins pour le cas français, le débat s'oriente
souvent rapidement sur la réalité de son existence. La vision la plus fréquemment partagée est
celle développée par Bauer et Bertin-Mourot (1987) : le marché du travail des dirigeants serait
peu actif en France, une sélection de type clanique, basée sur l'influence des grands corps, se
substituant le plus souvent à une évaluation efficiente des compétences et capacités des
candidats. Il nous semble donc important de revenir sur le caractère explicite ou implicite du
rôle du marché des dirigeants.
5.1. Intervention explicite et intervention implicite du marché des dirigeants
Comme nous l'avons développé au chapitre II, paragraphe 2.3., le marché du travail
managérial est susceptible de jouer un rôle à différentes étapes de la carrière d'un dirigeant. Il
peut intervenir très tôt dans sa vie professionnelle, en lui permettant, alors qu'il n'est encore
qu'un jeune talent, d'évoluer plus rapidement en changeant d'entreprise. Il est ensuite un acteur
potentiel à chaque mutation du cadre dirigeant, toutes les étapes de sa progression pouvant
justifier son intervention, de manière explicite ou implicite.
Les frontières du marché du travail managérial sont difficiles à appréhender. Les réseaux,
précédemment évoqués, doivent-ils être envisagés comme se substituant au marché des
dirigeants lorsque le candidat est issu de Polytechnique ou de l'ENA ? S'il y a eu mise en
concurrence, même à l'intérieur d'un de ces clans, il est sans doute plus fondé de considérer
que le candidat a été soumis aux lois du marché du travail. Les réseaux peuvent être aussi
considérés comme un cas particulier d'ajustement de l'offre à la demande venant pondérer le
simple ajustement par les prix. D'autres questions se posent quant aux successeurs internes. Si
le candidat a fait toute sa carrière dans l'entreprise, mais reçoit des propositions de cabinets de
recrutement ou de firmes recherchant un nouveau dirigeant, il peut un jour devenir un
concurrent potentiel sur le marché du travail (Harris et Helfat, 1997). Il a
en outre
probablement fait son choix de carrière en arbitrant entre les possibilités offertes par le
marché externe et le marché interne. Il semble donc que l'intervention du marché des
122
dirigeants puisse prendre deux formes : une intervention explicite ou une participation
implicite.
La contribution du marché managérial peut être explicite, si par exemple le haut potentiel
ou le dirigeant choisit de poursuivre sa carrière dans une autre société : il a été probablement
évalué et mis en concurrence avec d‟autres candidats. La notion d'évaluation relative est
fondamentale. Lorsque d'autres noms ont été pressentis pour le poste de dirigeant,
l'intervention du marché du travail est explicite. Le fait de changer d'entreprise constitue une
autre justification du recours au marché managérial.
Elle apparaît également explicite lorsque le marché managérial a été à l'initiative de
l'ascension d'un haut potentiel : ainsi Michel Léonard, devenu président du directoire de
Bongrain en 2000, après quinze ans exercés dans le groupe à divers postes de directions, est
passé préalablement par le marché du travail des dirigeants, en 1982 lorsqu'il a quitté son
poste de directeur chez Évian pour devenir directeur général du groupe Prouvost, puis en
1985 au moment où il a rejoint Bongrain. D'après les Échos du 26 mars 1996, son départ de
BSN en 1982 était motivé par le souhait de faire progresser sa carrière plus vite, les "jeunes
loups" étant trop nombreux chez BSN et les passerelles entre les filiales encore rares.
L'intervention du marché des dirigeants peut également être implicite et prendre plusieurs
formes :
- lorsque le dirigeant est recruté en interne, le conseil d‟administration dispose
d‟informations privilégiées pour évaluer le candidat. Cependant le marché du travail constitue
généralement une référence, et ainsi participe à la définition des compétences attendues du
dirigeant, de sa fonction et de sa rémunération.
- s‟agissant d‟un poste d‟encadrement, même si le recrutement est interne, une comparaison
avec des candidats externes, offerts par le marché managérial, a certainement été faite : la
mise en concurrence est alors implicite (en termes de poste, de rémunération). Il arrive de
relever dans les articles de presse annonçant la nomination d'un nouveau dirigeant, issu de
l'entreprise, le nom d'autres prétendants extérieurs qui avaient été envisagés pour le poste.
- même si un dirigeant reste à vie dans son entreprise, il subit indirectement l'influence du
marché managérial, notamment en se comparant aux autres dirigeants, à travers par exemple
123
les enquêtes publiées sur les rémunérations et les carrières, ou encore les propositions qu'il a
pu recevoir des cabinets de recrutement.
- en fonction de l‟intensité concurrentielle du marché du travail, un dirigeant qui n‟a pas été
soumis à la discipline du marché managérial dans le passé peut connaître dans la suite de sa
carrière la menace d‟être remplacé. Celle-ci sera d'autant plus forte qu'il existera sur le marché
du travail des dirigeants potentiels ayant des compétences et un profil valorisables pour
l'entreprise. La définition de viviers de concurrence, c‟est-à-dire de populations de cadres
supérieurs ou de dirigeants susceptibles d‟être plus attractifs que le dirigeant en place et par
conséquent de l‟évincer un jour, permettrait d‟appréhender l‟importance de cette intervention
implicite du marché managérial. Si, comme l‟étude de Parrino (1997) l‟a mis en avant,
l‟expérience professionnelle est un critère déterminant, cette notion de vivier pourrait par
exemple s‟appuyer sur la distinction par secteur d‟activité, ou pour prendre une définition plus
large, la délimitation pourrait être élargie aux firmes liées industriellement, comme le
proposent Rumelt (1974), Finkelstein et Hambrick (1996) ou Bailey et Helfat (2003), c'est-àdire des entreprises ayant des similitudes en termes de processus de production, de cycles
d'activité, de volumes, de compétences, de ressources ou de marchés. La distinction proposée
par Williams (1992), en fonction des cycles de compétition, est une autre possibilité. Trois
viviers seraient alors envisageables, selon que le candidat a exercé dans des firmes relevant de
marchés en cycle rapide, standard ou lent, l'allocation à une de ces sous-populations étant
fonction de la vitesse d'érosion des avantages compétitifs de la firme.
- la notion de viviers peut permettre également d'appréhender d'autres potentialités du
marché managérial. Un nombre élevé de postes équivalents en termes de responsabilités et de
spécificités encourage et facilite la mobilité des dirigeants. Cette hypothèse a été utilisée dans
l'étude des interactions entre les mécanismes de gouvernance d'Agrawal et Knoeber (1996),
où l'importance du recours au marché du travail des dirigeants est testée comme une fonction
notamment de l'âge du dirigeant et du nombre d'opportunités professionnelles s'offrant au
dirigeant, estimé par le nombre de firmes appartenant au même secteur d'activité.
Le caractère implicite ou explicite du marché managérial va être approfondi dans le
paragraphe qui suit, en prenant en compte différents facteurs d'influence.
124
5.2. Les facteurs modifiant l'intervention du marché des dirigeants
En nous appuyant sur la littérature, et conformément à notre cadre théorique, plusieurs
influences potentielles émergent : l'enracinement du dirigeant, une structure familiale de
propriété et l'existence de réseaux.
5.2.1 Le degré d'enracinement du dirigeant
5.2.1.1. Rappels théoriques
Selon la théorie de l‟enracinement, où le dirigeant vise une stratégie de carrière interne,
l‟objectif du dirigeant est de persuader les actionnaires qu‟il est le plus apte à gérer
l‟entreprise et que son remplacement serait trop coûteux. Les travaux sur l'enracinement de
Shleifer et Vishny (1989) notamment, portent sur le comportement attribué à un dirigeant qui
cherche à maximiser la valeur des investissements idiosyncrasiques dont le caractère
spécifique dépend de sa présence à la direction de l‟entreprise. Le processus d‟enracinement
se traduit par des stratégies mises en œuvre par le dirigeant pour apparaître indispensable et
rendre difficile son éviction. Le dirigeant cherche à augmenter sa latitude discrétionnaire, à
neutraliser les mécanismes disciplinaires, notamment à s‟affranchir de la tutelle du conseil
d‟administration et des actionnaires.
Dans les premiers travaux sur l‟enracinement, les dirigeants cherchent à s‟enrichir au
détriment des autres parties prenantes. Aussi, dans la vision disciplinaire, l‟enracinement est
vu négativement, car il engendre des coûts supplémentaires et conduit à des investissements
non optimaux. Cette vision opportuniste est centrale dans les théories contractuelles des
organisations. Le dirigeant, dans cette perspective négative de l‟enracinement, peut chercher à
manipuler l‟information (Stiglitz et Edlin, 1992, Hirshleifer, 1993). Cherchant à maximiser
son capital managérial, il choisit des investissements idiosyncrasiques ou liés à une asymétrie
d‟information plus importante, afin de rendre plus incertaine la vision de l‟entreprise des
équipes dirigeantes concurrentes potentielles sur le marché managérial, qui seront ainsi moins
enclines à vouloir le remplacer. La politique d‟investissement et la stratégie informationnelle
ne sont pas les seuls vecteurs d‟enracinement : le dirigeant peut aussi chercher à s‟attacher les
ressources essentielles au succès de la firme, par exemple il peut faire en sorte que les
relations avec les plus gros clients reposent uniquement sur lui et s‟appuient sur les réseaux
125
qui lui sont propres (Breton et Wintrobe, 1982). Il devient alors beaucoup plus difficile de
décider de l‟évincer.
Castanias et Helfat (1992), en privilégiant le rôle de créateur de rentes du dirigeant,
révisent positivement l‟analyse de l‟enracinement. De même pour Garvey et Swann (1994),
l'enracinement peut être compatible avec l‟efficacité de la firme. Il s‟agit alors de protéger le
capital managérial, en permettant aux dirigeants de créer des rentes par leurs décisions
stratégiques et opérationnelles, ce qui est bénéfique pour l‟ensemble des autres parties
prenantes. Dans l‟approche cognitive, l‟enracinement est présenté de manière positive, le
développement du capital humain étant favorisé par la durée, ainsi que l‟intensité des réseaux
relationnels bénéfiques à l‟entreprise, mais il peut aussi avoir un impact négatif par le manque
de renouvellement des schémas cognitifs.
5.2.1.2. Influence de ce déterminant sur l'intervention du marché managérial
L'enracinement, comme présenté dans la vision disciplinaire, est susceptible de réduire le
rôle du marché managérial, en limitant, d'une part, la capacité et l'envie de l'entreprise d'avoir
recours au marché du travail, et en supprimant, d'autre part, les incitations du dirigeant à agir
dans l'intérêt des actionnaires pour se faire reconnaître et évaluer par le marché managérial.
L'enracinement, en augmentant l'asymétrie d'information, peut réduire le nombre de
concurrents potentiels capables de gérer les actifs spécifiques à la firme (Shleifer et Vishny,
1989, Hirshleifer, 1993), et constituer ainsi un frein à la mise en compétition fondamentale
dans le recours au marché managérial. Lorsque le dirigeant est enraciné, l'opacité sur ses
actions et ses performances constituerait une barrière forte à l'évaluation de ses capacités.
Deux des voies d'intervention disciplinaires du marché managérial sont susceptibles d'être
modifiées : la sanction des dirigeants inefficaces et la récompense des dirigeants compétents.
Pigé (1993) avait souligné que pour analyser le lien entre la sanction et la performance, il était
nécessaire de prendre en compte la stratégie d‟enracinement du dirigeant. Dans son étude,
l‟enracinement était apprécié par l'existence d'appuis familiaux ou de relations informelles
que le dirigeant avait pu tisser autour de lui, cherchant à se constituer un réseau susceptible de
pouvoir faire contrepoids au pouvoir du conseil d‟administration. La menace de la sanction
est ainsi fortement affaiblie, les actionnaires étant peu incités à remplacer le dirigeant et
risquer une perte de richesse. Le dirigeant doit tout de même leur assurer une rentabilité
126
minimale, au-dessus de laquelle ils ne prendront pas de mesure à son encontre (Castanias et
Helfat, 1992). De plus cette stratégie peut être considérée comme risquée, car les dirigeants
enracinés subissent des coûts, ils perdent "une part importante de leur capital humain :
réputation sur le marché de l'emploi, diminution des opportunités concernant l'utilisation de
leurs connaissances spécifiques" (Paquerot, 1996, p. 186).
La deuxième voie d'intervention du marché managérial, la récompense des dirigeants
compétents, s'exerce également plus difficilement sur les dirigeants enracinés. Ceux-ci ne sont
pas incités à être performants dans l'espoir d'obtenir une meilleure rémunération ou un poste
plus élevé dans une autre entreprise. Comme le souligne Paquerot (1996, p. 177), ces
dirigeants "doivent arbitrer entre leur rémunération (incluant les avantages en nature) et leur
sécurité de l'emploi. Un accroissement de leur rémunération peut inciter les équipes
concurrentes à postuler pour la gestion des actifs de la firme".
Une autre analyse de l'enracinement conduit au contraire à un accroissement possible, pour
le dirigeant, de la menace potentielle d'être remplacé par des équipes concurrentes. En
s'enracinant, le dirigeant peut s'approprier davantage de rentes. Si le niveau de ces rentes
augmente et atteint un niveau élevé, les bénéfices privés que le dirigeant a pu s'octroyer
deviennent certainement visibles, au moins en partie. L'intérêt des autres équipes dirigeantes
pour le remplacer est alors renforcé. Dans cette vision, l'enracinement ne conduit à la
réduction du rôle du marché managérial, mais au contraire à une hausse de la compétition.
L'impact de l'enracinement sur le marché des dirigeants reste donc à confirmer.
5.2.2. Une structure familiale de propriété
5.2.2.1. Définition et fondements théoriques
Le démembrement de la fonction de propriété de la firme en une fonction de contrôle et une
fonction décisionnelle (Berle et Means, 1932) fait partie des fondements de la réflexion ayant
conduit au développement de la théorie de la gouvernance. La structure de propriété influence
la vision de la gouvernance, et modifie le rôle des différents mécanismes dans le SGE.
Pour reprendre la typologie de Charreaux et Pitol-Belin (1985, 1987), trois grandes
catégories sont généralement étudiées, en fonction de la nature de l'actionnariat : les sociétés
familiales, les sociétés contrôlées (par un actionnaire industriel, par l'État, par des
127
investisseurs institutionnels ou encore par des banques), et les sociétés managériales. Dans
leur analyse, les firmes managériales étaient définies par l‟absence d‟actionnaire détenant plus
de 10% du capital, mais ce seuil strict avait été complété par une analyse qualitative de
l'actionnariat. Dans les firmes managériales, "Il y a dissolution quasi-complète des organes
chargés d'accomplir les fonctions de propriété et de décision" (Charreaux, 1991, p.526). Les
firmes sont dites contrôlées si une société ou un groupe de sociétés détient plus de 10% du
capital. "Les représentants de la firme qui contrôlent, dominent le conseil d'administration et
nomment les dirigeants. Il y a au sens strict, séparation propriété-décision car les dirigeants
nommés ne sont pas personnellement propriétaires du capital et il y a bien relation d'agence"
(Charreaux, 1991, p. 60). Enfin une firme est familiale si les principaux actionnaires sont des
personnes physiques représentant plus de 10% du capital. "Les séparations propriété-décision
et propriété-contrôle deviennent alors très atténuées, même si une partie du capital est détenue
par le public" (Charreaux, 1991, p. 60). La structure de propriété familiale est une forme
dominante, même dans les sociétés cotées, en Europe de l'Ouest, en Asie du Sud et de l'Est, en
Amérique Latine… Même aux États-Unis et en Angleterre, de grandes sociétés cotées sont
contrôlées familialement (La Porta et al., 1999).
5.2.2.2. Influence de ce facteur sur l'intervention du marché managérial
Dans les firmes à structure familiale, la succession du dirigeant peut être assurée par un
membre de la famille, un interne n'en étant pas issu ou encore en ayant recours à un dirigeant
d'origine externe. Lorsque le choix se porte sur un héritier, le rôle du marché managérial est
davantage implicite, mais il n'est pas remis en cause. Il y a peut-être eu mise en compétition
entre plusieurs membres de la famille, ou des rivalités pour faire accéder au poste de dirigeant
un candidat ayant leurs préférences. De plus, le successeur issu de la famille s'est très
probablement demandé si son intérêt était de rester dans l'entreprise ou au contraire de mener
une carrière externe. Il peut aussi s'être appuyé sur les informations fournies par le marché
managérial pour discuter de sa rémunération avec les actionnaires familiaux.
La modélisation de la succession dans les entreprises familiales, proposée par Burkart et al.
(2003), peut nous aider à comprendre l'influence de ce facteur sur le rôle du marché des
dirigeants. Les auteurs ont cherché à comprendre les motivations du choix d'un successeur
lorsque le fondateur souhaite se retirer. Aux États-Unis, ce retrait se fait souvent assez
rapidement après la création, au bénéfice d'un professionnel, et l'ancien dirigeant quitte à la
128
fois ses fonctions et sa qualité d'actionnaire principal. En Europe de l'Ouest, la famille reste
généralement au capital de manière significative, que le nouveau dirigeant soit un descendant
du fondateur ou un candidat externe. D'après Burkart et al. (2003), trois motivations
pourraient expliquer le choix d'un descendant comme successeur. La première serait
constituée par le "potentiel d'agrément", traduisant la satisfaction du fondateur de voir un
membre de sa famille diriger à son tour l'entreprise, et la transmission de son nom. Lorsque ce
potentiel est fort, il constitue une barrière à l'exercice du rôle du marché managérial. Le
recours au marché du travail des dirigeants serait plus explicite dans le cadre d'un potentiel
faible et lorsqu'un écart significatif de compétences est évalué entre le descendant et un
externe, en faveur de ce dernier, le principal bénéfice du recrutement d'un externe avancé par
les auteurs étant constitué par sa capacité à être un meilleur dirigeant. La seconde serait une
raison commerciale, s'appuyant sur la renommée du nom lui-même, synonyme de
compétences sur les marchés économiques et politiques, et permettant à la firme de bénéficier
de réseaux. La troisième se situerait dans une approche disciplinaire, le recrutement d'un
externe conduisant à un risque d'expropriation des actionnaires, notamment familiaux, lorsque
la protection légale est insuffisante. Le recours au marché du travail managérial serait alors
plus fréquent dans les pays où la législation en faveur de la protection des intérêts des
actionnaires est forte ; dans le cadre contraire, les coûts d'agence étant trop élevés, même en
présence de candidats de qualités supérieures, la famille préférerait conserver la direction (La
Porta et al., 1999, Burkart et al., 2003).
Un autre argument, proche de l'idée de "potentiel d'agrément" précédemment évoqué, issu
de la littérature économique, a été utilisé par Schulze et al. (2001) dans leur analyse des coûts
d'agence dans les entreprises familiales. L'altruisme biaisant les perceptions parentales, le
fondateur serait aveuglé dans son évaluation des compétences de ses descendants, qu'il
estimerait à une valeur supérieure à la réalité. Il privilégierait de ce fait comme successeur un
membre de la famille plutôt qu'un candidat externe offert par le marché du travail.
Enfin, de manière plus positive, une firme familiale peut choisir de nommer comme
dirigeant un membre de la famille plutôt que d'avoir recours au marché managérial car il aura
une vision plus long terme, une meilleure connaissance de la firme et une incitation à la
performance plus élevée (Mac Vey et al., 2005). Il aura déjà développé au cours de son
enfance, en grandissant dans un espace à la fois lieu de vie familiale et lieu de travail, des
aptitudes, des normes et des valeurs qui l'aideront dans son rôle de futur entrepreneur
129
(Mouline, 2000). L'appréciation des compétences et du potentiel du candidat familial se font
dans un objectif de pérennité de l'entreprise. Les salariés sont davantage mis en confiance
lorsque le successeur est un héritier : "l'acquisition de la légitimité et l'exercice de l'autorité se
fait à travers une relation père/fils et fils/salariés de l'entreprise qui repose sur le respect et la
confiance mutuelle" (Mouline, 2000, p. 210-211).
Au contraire un externe peut être préféré pour éviter des conflits familiaux ou encore parce
qu'une vision extérieure et neuve est devenue nécessaire à la société. Une entreprise à
structure familiale serait plus performante avec un dirigeant un externe (Anderson et Reeb,
2003, Villalonga et Amit, 2006), mais Sraer et Thesmar (2007) concluaient à une légère
supériorité des performances lorsque le dirigeant était issu de la famille. La littérature, bien
qu'abondante sur le sujet, n'aboutit pas à un consensus sur la supériorité en termes de
performance du recrutement d'un externe ou d'un héritier dans les firmes familiales.
Compte tenu de tout ce qui précède, il n'est pas évident de déterminer si une structure
familiale de propriété constitue une barrière à l'intervention du marché managérial. Même
lorsque les successeurs du fondateur sont issus de sa famille, le rôle du marché managérial
peut être implicite, en servant de référence aux actionnaires comme au futur dirigeant. Par
contre, lorsque les actionnaires familiaux choisissent de sélectionner un dirigeant d'origine
externe, l'intervention du marché managérial devient explicite, celui-ci ayant pu motiver leur
décision par son offre de candidats potentiels et ayant contribué à l'évaluation du capital
humain de ces derniers.
5.2.3. Les réseaux sociaux
5.2.3.1. Retour sur la notion de réseaux
L'étude de ce déterminant se justifie car il constitue une partie significative du capital des
dirigeants, intégrée ou considérée comme distincte, selon les champs théoriques des auteurs,
du capital humain, notion fondamentale centrale dans notre thèse. Le terme de réseau social a
été introduit par Barnes (1954), mais les racines de l'analyse des réseaux sociaux peuvent être
attribuées au philosophe et sociologue allemand Simmel, dont les travaux ont mis en évidence
deux caractéristiques fortes de cette analyse : le formalisme (importance de la forme des
interactions) et le dualisme (nécessité d'adopter deux approches habituellement opposées : le
130
holisme et l'individualisme méthodologique). Parfois évoqué comme "un petit monde"
(Milgram, 1967), le capital social fait référence à "un ensemble d'unités sociales et des
relations que ces unités sociales entretiennent les unes avec les autres, directement, ou
indirectement, à travers des chaînes de longueur variable" (Mercklé, 2004, p. 4). Un réseau ne
se résume pas aux liens entre les personnes, il traduit également l'existence de liaisons entre
les relations elles-mêmes, autrement dit l'influence d'une relation sur les autres relations
(Nadel, 1957). Marsden (1982) met lui en avant le caractère de non finitude des réseaux, leur
étendue et leurs frontières étant difficiles à appréhender. La délimitation d'un réseau peut être
fondée sur un sous ensemble ayant une cohésion interne, à l'intérieur duquel les relations sont
plus denses qu'à l'extérieur. Le débat relatif aux réseaux porte également sur les
méthodologies employées, l'analyse de groupes sociaux définis a priori, par exemple à partir
de leur diplôme, de leur origine sociale, de leur profession, offrant une vision différente de
l'approche a posteriori, consistant à essayer de définir un groupe à partir de sa cohésion, c'està-dire des relations fortes observées entre les individus. La théorie de l'équivalence structurale
propose elle d'appréhender les réseaux sociaux en analysant l'équivalence de rôle des
individus, autrement dit comme un groupe de personnes présentant une ressemblance, ne se
limitant pas à une logique d'attributs individuels (Degenne et Forsé, 1994).
La notion de réseau peut faire référence à des relations professionnelles, développées avec
des collègues de travail, des clients, des fournisseurs ou autres parties prenantes, dans le cadre
de cercles patronaux, ou à des relations personnelles (cercles amicaux, formation
commune…). Elle est liée à celle de réputation collective. Les membres ne se connaissent pas
tous, mais leur appartenance à un réseau suffit à leur assurer une reconnaissance. "La
solidarité des réseaux résulte en fait d'une forme d'obligation morale des membres à l'égard
des autres" (Paquerot, 1996, p. 142).
5.2.3.2. Influence de ce déterminant sur la fonction d'évaluation du marché
managérial
Les réseaux sont souvent mis en avant dans le processus de mobilité et le développement
des carrières. Cependant les études empiriques menées sur les réseaux portent plutôt sur les
réseaux d'administrateurs que ceux de dirigeants. Pour la France, Bertin Mourot et Bauer
(1987, 1992) soulignaient dans leurs travaux l'importance du facteur " État ", qui traduisait les
liens construits pendant la formation (ENA, Polytechnique…). Pour ces auteurs, la force des
131
réseaux remettrait totalement en cause le rôle du marché managérial, l'accès aux postes les
plus élevés de dirigeants (ils étudient les 200 plus grandes entreprises) étant réservé aux
anciens élèves de ces écoles prestigieuses, les autres critères potentiels d'évaluation étant peu
pris en compte. Dans cette vision, les réseaux constitueraient une barrière à l'intervention du
marché managérial.
Cette conclusion reste cependant à confirmer. L'influence des réseaux peut être également
être vue positivement, lorsqu'elle permet de dépasser les limites d'asymétrie d'information
(Granovetter, 1974). Il ne s'agirait plus alors d'un déterminant se substituant au rôle du
marché des dirigeants, mais au contraire venant l'alimenter et pouvant en améliorer
l'efficience. L'information en provenance des réseaux constitue une aide particulièrement utile
lorsqu'il s'agit d'évaluer des métiers plus complexes, comme celui de dirigeant (Granovetter,
1995). Sur le marché du travail, les individus et les firmes s'échangent des informations grâce
aux réseaux relationnels (Marsden et Campbell, 1990). Les transferts de compétences
s'effectuent de manière plus efficiente lorsque les réseaux interviennent (Parise, 2007). Les
réseaux sociaux affectent les évolutions de carrière à travers des systèmes de référence
(Petersen et al., 2000). Les clans développent leur propre langage et leurs modes de
reconnaissances, qu'un agent extérieur aura plus de mal à comprendre et à identifier ; l'accès à
l'information à l'intérieur du clan est plus rapide et moins coûteuse (Ouchi, 1979). Pour Ouchi,
plus l'évaluation du travail est complexe, plus le rôle des clans trouve sa justification, ceux-ci
étant plus à même d'estimer les attitudes, les valeurs et les croyances de leurs membres.
L'existence d'une structure sociale sur le marché du travail ressort également de travaux
menés pour l'Allemagne par Boxman et al. (1991).
Un autre argument s'appuie sur la notion de mise en concurrence effective. Si d'autres
candidats ont été pressentis, comme la presse peut en faire écho, même s'ils font partie d'un
même clan, ils ont été mis en compétition, ce qui relève bien d'un mécanisme de marché.
Pourquoi en effet considérer hors du marché managérial des candidats potentiels, certes issus
de la même grande école, mais qui se sont livrés un duel sans merci ? Une évaluation relative
fondée sur ses compétences et son expérience a bien été à l'origine de la sélection de l'un
d'entre eux, et pas seulement son appartenance à un grand corps.
L'effet des réseaux sur le rôle du marché managérial peut ainsi être conçu deux manières,
soit comme un frein à l'intervention de ce mécanisme, soit au contraire comme un
132
renforcement de son efficience, les réseaux venant alimenter le marché des dirigeants de leurs
connaissances et réduisant l'asymétrie d'information. Ils constituent alors un mode particulier
d'ajustement de l'offre à la demande. Dans les travaux de Pigé (1996), les firmes françaises
ayant à leur tête des dirigeants issus des réseaux n'enregistraient pas des performances
inférieures aux autres entreprises. Leur influence reste donc à déterminer, notamment dans le
cas français, où l'image traditionnelle s'appuyant sur les clans est encore forte.
Synthèse
L'analyse que nous venons d'effectuer a permis de faire progresser notre compréhension du
marché des dirigeants et d'enrichir la première étape de notre modélisation. Les trois facteurs
de contingence envisagés semblent bien pouvoir avoir une influence sur l'intervention du
marché managérial. Cependant, au-delà de la vision traditionnelle négative de l'impact de
l'enracinement, d'une structure familiale de propriété et des réseaux sur le marché managérial,
nous avons cherché à mettre en évidence que ces facteurs ne remettaient pas en cause le rôle
du marché des dirigeants mais définissaient plutôt le caractère explicite ou implicite de son
intervention.
En ce qui concerne les réseaux par exemple, il est apparu réducteur de considérer les
réseaux comme une barrière à l'intervention du marché managérial, et de supposer que la
seule constatation de l'appartenance à un clan était suffisante pour réfuter le rôle du marché
des dirigeants et son existence. La concurrence forte pouvant être observée entre les réseaux,
mais aussi à l'intérieur même d'un réseau, apparaît bien relever d'un mécanisme de marché.
Nous avons également insisté sur les apports cognitifs des réseaux et leur capacité à réduire
l'asymétrie d'information sur le capital humain des dirigeants. Les réseaux apparaissent alors
comme une forme de segmentation du marché du travail des dirigeants. Comparer la
contribution à la création de valeur du marché managérial entre les firmes où le dirigeant a
bénéficié de réseaux et les autres, nous apportera sans doute davantage d'éclairages sur
l'influence des réseaux.
133
CHAPITRE VI : LES FACTEURS DE CONTINGENCE
Les carrières des dirigeants et les évolutions des sociétés présentées dans la presse nous
conduisent intuitivement à constater que très probablement le rôle du marché managérial ne
s‟exerce pas de la même manière sur tous les dirigeants ni sur l‟ensemble des entreprises. Au
chapitre V, notre réflexion sur le caractère implicite ou explicite de l'intervention du marché
managérial nous a conduits à étudier l'influence de trois déterminants : le degré
d'enracinement du dirigeant, la structure familiale de propriété et les réseaux relationnels.
Nous allons maintenant nous intéresser
aux
différents
facteurs
de
contingence
susceptibles d'influencer les voies d'intervention du marché des dirigeants. Ceux-ci sont liés à
la firme ou au dirigeant. Dans le premier cas, la structure de propriété et le secteur d'activité
pourraient avoir des conséquences aussi bien sur le rôle disciplinaire du marché managérial
que sur son rôle cognitif. Dans le second cas, d'autres déterminants, conformes à notre cadre
théorique, émergent de la littérature et nous semblent également présenter un intérêt pour
mieux appréhender l'intervention du marché managérial : la stratégie de carrière externe du
dirigeant, la proximité de l'âge de la retraite et l'appui de réseaux. Notre analyse s'organise
ainsi en deux familles de déterminants : ceux liés à l‟entreprise (paragraphe 6.1.), et ceux liés
au dirigeant (paragraphe 6.2.).
6.1. Les déterminants liés à l’entreprise
6.1.1. La structure de propriété
La justification théorique du choix de ce facteur d‟influence appartient aux fondations
même de la vision juridico-financière de la gouvernance. Celle-ci puise ses origines dans le
démembrement de la fonction de propriété de la firme, présenté par Berle et Means (1932), en
une fonction de contrôle, basée sur les systèmes d‟incitation et de surveillance, et une fonction
décisionnelle. Il ressort de leur analyse qu'il existe des différences fondamentales en matière
de gouvernance entre une firme entrepreneuriale traditionnelle et une entreprise où la
propriété et le management sont séparés, suite à l‟ouverture du capital pour accompagner la
134
croissance de la firme. Dans le premier cas, le propriétaire de la firme est à la fois apporteur
de capitaux (et donc assume le risque lié) et apporteur de ses compétences, facteur de
production générateur de rentes. Dans la seconde hypothèse, les actionnaires sont supposés
dispersés, ils sont alors de simples apporteurs de capitaux, assurant le risque, mais
n‟interviennent pas dans le management de l‟entreprise ni dans la dimension perceptive. Leur
passivité ne leur donne pas droit au statut de créancier résiduel. Avec l‟émergence des
sociétés managériales (actionnariat diffus), les trois types de fonctions ne sont plus concentrés
sur le même acteur. Alchian et Demsetz (1972) n‟attribuent pas le statut de créancier résiduel
aux apporteurs de capitaux, passifs dans le cas d‟un actionnariat diffus, mais à l‟entrepreneur,
incité de ce fait à accomplir efficacement le côté actif de la propriété.
Shleifer et Vishny, dans leur revue de littérature sur la gouvernance des entreprises (1997),
centrent leur réflexion sur la structure de propriété : "notre perspective de la gouvernance des
entreprises est manifestement une perspective d'agence, qui renvoie généralement à la
séparation de la propriété et du contrôle" (1997, p. 738)39. Ils développent les avantages et les
inconvénients de la présence d'un actionnariat concentré : son éventuelle capacité à réduire les
coûts d'agence, mais aussi le risque qu'il exproprie les autres parties prenantes ou actionnaires
minoritaires. Les blocs d'investisseurs joueraient un rôle actif en gouvernance (Shleifer et
Vishny, 1986) et constitueraient "une méthode universelle de contrôle aidant les investisseurs
à retrouver leur argent"40 (Shleifer et Vishny, 1997, p. 774).
Dans une perspective disciplinaire, la structure de propriété semble donc conditionner la
vision de la gouvernance, et des mécanismes qui la composent, le degré de séparation entre la
propriété, la décision et le contrôle étant susceptibles de modifier significativement la manière
dont les dirigeants sont gouvernés, de même que l‟exercice du rôle des différents mécanismes.
Mais son intervention ne se limite pas aux aspects disciplinaires, la prise en compte de la
structure d'actionnariat se justifiant aussi par son rôle cognitif : orientation et apport de
compétences (Charreaux, 2002, (c)). Cette réflexion s'inscrit dans la vision élargie synthétique
de la gouvernance que nous avons adoptée comme cadre théorique.
6.1.1.1. Une situation différente selon les pays
39
Shleifer A., Vishny R.W. (1997, p. 738) : "our perspective on corporate governance is a straightforward
agency perspective, sometimes referred to as separation of ownership and control".
40
Shleifer A., Vishny R.W. (1997, p. 774) : "is also a nearly universal method of control that helps investors to
get their money back".
135
Les structures de propriété dominantes diffèrent d'un pays à l'autre. Ainsi, le modèle de
séparation de la propriété et de la gestion de l‟entreprise serait majoritaire aux États-Unis,
probablement du fait de la réglementation sur l'actionnariat majoritaire (Roe, 1994) et pour
des raisons historiques. En Europe au contraire, seulement 37% des firmes auraient un
actionnariat diffus (pas d'actionnaire détenant au moins 20% du capital), mais les écarts sont
forts entre l'Allemagne (10,4%) et l'Angleterre (63,1%), et 54% des firmes n'auraient qu'un
seul actionnaire dominant : famille, État, partenaire industriel… (Faccio et Lang, 2002). Cette
spécificité se vérifierait notamment en Allemagne et en France. La situation de l'Angleterre
serait proche de celle des États-Unis, avec une faible concentration de l'actionnariat : dans
l'étude de Renneboog et Trojanowski (2003) des sociétés cotées au London Stock Exchange,
l'indice de Herfidahl-5 ressortait à une moyenne de 0,057.
Le rapport de la commission internationale de l'IFA41, déjà cité dans la première partie au
chapitre I, 1.1.1., nous permet d'avoir une vision actualisée de l'actionnariat en France, aux
États-Unis, au Royaume Uni, en Allemagne, et aux Pays Bas, des plus grandes capitalisations
boursières (entreprises appartenant au CAC40 ou équivalent):
- Tableau 4 : comparaison internationale de l'actionnariat des sociétés cotées en 2003 Rapport de la commission internationale de l'IFA, 2005, p. 85 -
41
Rapport de la commission internationale de l'IFA, présenté le 30 mars 2005 : "Pratiques internationales de
gouvernance : une approche comparative".
136
Ce rapport rappelle et confirme les grandes tendances concernant ces pays, et souligne
l'intérêt de prendre en compte la structure de capital des entreprises pour analyser et
comprendre les pratiques de gouvernance. En effet, la présence de blocs de contrôle marquée
dans certains pays, comme la France et l'Allemagne, ou au contraire l'importance des petits
porteurs dans d'autres nations, comme aux États-Unis et en Angleterre, peuvent influencer la
structure des conseils et l'équilibre des pouvoirs. En France, les deux principaux actionnaires
détiennent en moyenne 75% du capital. Dans les cinq pays analysés, l'influence des
investisseurs institutionnels apparaît forte, car elle peut figurer dans plusieurs rubriques : les
institutionnels bien sûr, mais aussi les salariés à travers les caisses de retraite et les
investisseurs étrangers, qui sont fréquemment des institutionnels.
6.1.1.2. Influence de ce déterminant sur les voies d’intervention disciplinaires du
marché managérial
Dans la théorie de l‟agence, les mécanismes d‟alignement des intérêts des dirigeants et des
actionnaires sont dépendants de la structure de l‟actionnariat. La structure de propriété se
justifie par sa capacité à réduire les coûts liés aux conflits d‟intérêts afin de maximiser la
richesse des actionnaires. Elle influence le rôle des différents mécanismes disciplinaires.
Ainsi dans l‟étude de Fama (1980), portant sur les sociétés managériales, où la séparation
propriété et management est totale, ce qui entraîne la séparation des fonctions managériale et
d‟assomption du risque, le rôle de mécanisme disciplinaire principal est attribué au marché
des dirigeants, aidé dans sa tâche par le marché financier, le conseil d‟administration et le
marché des prises de contrôle. Pour Shleifer et Vishny (1997), les blocs d'actionnaires
peuvent être une solution au problème d'agence car ils ont "à la fois un intérêt global dans la
maximisation du profit et suffisamment de pouvoir sur les actifs de la firme pour voir leurs
intérêts respectés" (1997, p. 754) 42 . En effet, la menace de pouvoir vendre un nombre
important d'actions, s'ils sont mécontents des résultats de la firme, peut leur permettre
d'influencer le comportement managérial (Brickley et al., 1988). Dans les sociétés familiales,
les fondateurs ou leurs descendants conservent fréquemment une part importante du capital
pour garder le contrôle de la société et éviter d'être imposés sur les plus values (Agrawal et
Knoeber, 1996).
42
Shleifer A., Vishny R.W. (1997, p. 754) : "they both have a general interest in profit maximisation and enough
control over the assets of the firm to have their interests respected".
137
Ce déterminant est susceptible tout d'abord d'intervenir dans le rôle de sanction du marché
managérial. S‟il existe un actionnaire dominant (ou une coalition d‟actionnaires), il a le
pouvoir de faire changer le dirigeant. Celui-ci court alors un risque plus important d‟éviction,
même s‟il contrôle l‟information diffusée à l‟actionnaire (Charreaux et Desbrières, 1998).
C‟est le cas par exemple en présence d‟un investisseur institutionnel influent ou d‟une société
de capital risque. L‟existence d‟actionnaires dominants peut renforcer l‟efficacité du contrôle
(Shleifer et Vishny, 1989), elle est liée à une augmentation du taux de rotation des dirigeants
(Franks et Mayer, 1994), et la probabilité d'un départ du dirigeant en cas de mauvaise
performance est supérieure (Kaplan et Minton, 1994).
Renneboog et Trojanowski (2003) ont testé l‟impact de la structure de propriété sur la
probabilité d‟éviction du dirigeant. Ils ont cherché à lier l‟intensité du rôle disciplinaire et la
concentration de l‟actionnariat, ainsi que le type d‟actionnariat. D‟après leur analyse, les blocs
dominants externes attribueraient davantage la responsabilité d‟une mauvaise performance au
dirigeant et chercheraient alors le faire partir. Contrairement à Fama, ils envisagent que la
décision de sanction du dirigeant pour mauvaise performance intervienne tardivement en cas
d‟actionnariat diffus. Mais leur étude aboutit à une absence de relation entre la concentration
de l‟actionnariat, mesurée par l‟index d‟Herfidhal-5, et le taux de rotation des dirigeants. Ni la
concentration de l‟actionnariat ni la présence de blocs dominants d‟actionnaires (institutions,
familles…) ne seraient liées à un taux de rotation des dirigeants plus élevé, même en cas de
mauvaise performance. Rappelons cependant que leur étude porte sur des sociétés anglaises,
où la structure de propriété dominante diffère du cas français.
Parrino (1997) s'est intéressé dans son étude à un type particulier de blocs significatifs
d‟actions, ceux détenus par la famille du dirigeant. Il observe alors que celui-ci conserve sa
position plus longtemps que les autres directeurs. Le changement de dirigeant est moins
sensible à la performance, la probabilité d'éviction est plus faible dans les entreprises
dominées par un actionnariat interne (Denis et al., 1997). La confusion entre l'actionnaire et le
dirigeant dans les sociétés familiales réduirait l'efficience et la capacité d'intervention des
mécanismes de contrôle externe (Schulze et al., 2001).
L‟effet de la structure de propriété sur l‟un des leviers disciplinaires, la sanction, a été
étudié pour la France par Pigé (1993). Il parvient à la conclusion que la relation sanction et
performance est dépendante de la structure de l‟actionnariat et du lien entre le dirigeant et les
138
actionnaires. L‟existence d‟un actionnaire important aurait une influence significative positive
dans la décision et dans la fréquence de renouvellement du dirigeant. Le poids de la
performance sur la décision de départ du dirigeant est plus faible si celui-ci dispose d‟appuis
personnels.
Les résultats sont plus consensuels en matière de rémunération, qui rappelons-le, est un
levier intervenant à la fois dans le rôle de sanction et celui de récompense du marché
managérial. Shleifer et Vishny (1997) argumentent que les contrats d'incitation connaissent
moins de dérives lorsqu'ils sont négociés avec des blocs dominants d'actionnaires plutôt
qu'avec un conseil d'administration faiblement impliqué. Renneboog et Trojanowski (2003)
concluent que la rémunération du dirigeant est plus sensible aux performances boursières dans
les entreprises ayant un actionnariat externe fort, et aux performances comptables dans les
sociétés dominées par des actionnaires internes. Les contrats de rémunération diffèrent selon
la structure de propriété. Ils sont le plus souvent indexés sur des critères comptables lorsque
l‟actionnariat est diffus ou dominé par des internes, et fondés sur des mesures boursières
lorsqu‟il est principalement externe. L‟influence sur la rémunération de la structure de
propriété a été également mise en évidence dans l‟étude de Core et al. (1999). Ce déterminant,
avec les caractéristiques du conseil d'administration, expliquerait une part significative des
écarts de rémunération d'une firme à l'autre. Les dirigeants recevraient un salaire plus élevé
lorsque les structures de gouvernance sont plus faibles.
Une hiérarchie semble donc se dessiner : dans les sociétés contrôlées, notamment lorsque
l'actionnaire dominant est externe, la sanction des dirigeants inefficaces serait plus fréquente,
et le rôle du marché managérial s'en trouverait renforcé. La structure managériale, avec un
actionnariat diffus, n'est pas un moteur de sanction, mais par son absence d'implication, peut
laisser plus de motifs d'intervention au marché des dirigeants et davantage justifier son
intervention disciplinaire. Enfin les firmes familiales apparaissent essentiellement comme un
frein à l'exercice du rôle du marché managérial, plus réduit lorsque le dirigeant est un externe,
mais a priori avec une capacité de réaction plus lente. Il ne s'agit à ce stade que d'hypothèses,
l'absence de travaux empiriques sur le sujet ne permettant pas de conclure.
139
6.1.1.3. Influence de ce déterminant sur les voies d’intervention cognitives du
marché managérial
L‟analyse de ce déterminant peut être approfondie et élargie avec les travaux de Charreaux
(2002, (c)) sur le rôle cognitif des actionnaires, qui ont permis notamment de mieux
comprendre la recherche de partenariats industriels : ces actionnaires apportent outre leur
soutien financier une contribution en termes de compétences et de stratégie. L‟intervention
cognitive apparaît effectivement comme influente dans la majorité des structures de propriété,
exception faite des cas de séparation totale, se traduisant par l‟existence de petits porteurs
dont l‟action est nécessairement très limitée. L‟activisme des actionnaires se développe :
fonds de pensions, investisseurs individuels, détenteurs de blocs s‟investissent de plus en plus
dans les décisions stratégiques, y compris le choix d‟un successeur (Gupta, 1992).
L‟introduction de la dimension cognitive modifie la perception du système de gouvernance.
Ainsi le rôle des actionnaires ne se limite plus à une intervention passive, ils sont susceptibles
de participer aux fonctions managériale et perceptive. L‟ensemble des opportunités s‟élargit,
de même que leur exploitation. Le rôle cognitif des actionnaires peut porter sur l‟apport et
l‟exploitation de nouvelles opportunités, la confrontation avec les schémas cognitifs du
dirigeant étant source d‟enrichissement et de développement des capacités d‟innovation.
La prise en compte de la fonction cognitive de la structure de propriété conduit, comme
dans la vision disciplinaire, à revoir le rôle exercé par les différents mécanismes de
gouvernance. Elle est susceptible d'influencer les deux voies d'intervention cognitives que
nous avons identifiées au chapitre IV pour le marché managérial. La littérature aujourd'hui ne
nous permet pas de conclure sur le sens de cette influence. Concernant l'aide à la construction
de la vision stratégique de la firme, que le marché managérial peut apporter d'une part en
fonction des caractéristiques du dirigeant qu'il a évaluées, d'autre part en favorisant les
changements de dirigeants, deux conceptions sont envisageables. Dans la première, son rôle
est réduit dans les firmes contrôlées, ou familiales, les actionnaires principaux étant à
l'initiative des décisions stratégiques, laissant peu d'initiatives au dirigeant. Il s'exprimerait au
contraire avec plus de latitude pour les sociétés managériales. Dans la seconde, les apports à
la construction de la vision stratégique de la firme du dirigeant et des actionnaires la
contrôlant, se conjuguent et conduisent à des décisions plus approfondies. Nous observerions
140
alors un renforcement du rôle du marché managérial dans les sociétés contrôlées et familiales
avec un dirigeant externe, et un effet neutre dans les firmes managériales.
6.1.2. Le secteur d‟activité
Le secteur d'activité apparaît comme un des fondamentaux de l'analyse du capital humain
des dirigeants. Dans la typologie de Becker (1964), présentée au chapitre II, paragraphe
2.1.1.6., les compétences managériales sont classées en fonction de leur degré de
transférabilité. Une des quatre catégories concerne les savoir-faire liés à une industrie,
transférable à une autre entreprise de cette industrie : maîtrise technologique, connaissances
techniques, du marché. De même Castanias et Helfat (1991, 2001) "caractérisent les
dirigeants comme des ressources de la firme qui possèdent des qualités et des quantités
variables de connaissances" pouvant être hiérarchisées en "génériques, relatives à un secteur
d'activité, spécifiques à celui-ci, et spécifiques à la firme" 43 (Castanias et Helfat, 2001, p.
663). Les compétences liées à une industrie sont également mises en évidence dans les études
de Finkelstein et Hambrick (1996), Rajagopalan et Datta (1996, 1998), Rajagopalan et al.
(2001), Parrino (1997), ou encore Bailey et Helfat (2003). Lorsqu'un dirigeant change de
société, ses capacités spécifiques à la firme sont perdues, mais s'il est recruté par une
entreprise du même secteur d'activité, ses connaissances industrielles peuvent être valorisées
(Harris et Helfat, 1997). Celles-ci sont particulièrement importantes dans les secteurs soumis
à des changements technologiques et de marché (Castanias et Helfat, 2001). La haute qualité
de ces compétences particulières est susceptible de compenser la perte de celles spécifiques à
la firme (Castanias et Helfat, 2001). Certaines capacités fonctionnelles sont davantage
développées dans certains types d'industries (Rajagopalan et Datta, 1996). Certains dirigeants
sont recrutés "parce qu'ils apportent un savoir-faire associé à des produits, des clients ou des
technologies"44 (Gunz et al., 2000, p. 30), ou parce qu'ils sont familiers aux problèmes ou aux
opportunités spécifiques du secteur. Bailey et Helfat (2003), dans leur étude portant sur trente
six dirigeants américains répertoriés dans Forbes, sur la période 1978 à 1987, ne trouvent pas
de différence, en termes de performance moyenne, entre des firmes ayant recruté des
dirigeants avec des compétences relatives ou spécifiques au secteur et celles les ayant
sélectionnés pour leurs capacités génériques, mais observent une hausse de la volatilité des
43
Castanias R.P., Helfat C.E. (2001, p. 663) : "characterized CEOs as firm resources that possess varying
qualities and quantities of generic (or general), industry-specific, and firm-specific skills".
44
Gunz H.P., Evans M.G., Jalland R.M. (2000, p. 30) : "because they may bring know-how associated with
products, clients or technology".
141
profits dans le second cas. Parrino (1997) conclut que le capital humain spécifique au secteur
d'activité présente un meilleur degré de transférabilité entre firmes dans les industries
homogènes.
Le secteur d'activité est pris en compte dans l‟évaluation, à la fois dans l'estimation du
capital humain du dirigeant, et dans l'analyse de ses performances passées. Il sera jugé
performant s‟il fait mieux que les concurrents de la même industrie (Parrino, 1997).
L'asymétrie d'information est plus faible lorsqu'une entreprise recrute un dirigeant du même
secteur (Parrino, 1997, Harris et Helfat, 1997, Castanias et Helfat, 2001), elle dispose alors
d'une meilleure connaissance des compétences du candidat et de leur adéquation à ses
besoins. La sélection des dirigeants est susceptible de varier de manière importante selon les
caractéristiques du secteur : changements technologiques, conditions de marché (Castanias et
Helfat, 2001), degré d'homogénéité défini par Parrino (1997) comme un niveau de similitude
entre les firmes (mêmes technologies de production, mêmes marchés de biens et services…).
Les firmes à l'intérieur d'un même secteur homogène sont plus susceptibles de recruter un
dirigeant externe (Parrino, 1997). L'appartenance à un secteur industriel joue un rôle
important dans la sélection d'un nouveau dirigeant (Rajagopalan et Datta, 1998). S'appuyant
sur les travaux de la perspective contingente, ces mêmes auteurs concluent que "dans le
contexte de sélection et de rétention des dirigeants, les incertitudes organisationnelles et les
problèmes subordonnés à différents contextes industriels peuvent être effectivement prises en
compte en sélectionnant des dirigeants disposant d'un ensemble approprié de connaissances,
compétences et orientations cognitives" (Rajagopalan et al., 2001, p.1)45 . La connaissance
industrielle prise en compte dans l'évaluation peut être liée à l'expérience passée, mais aussi
aux mandats d'administrateur assurés par le dirigeant dans d'autres entreprises (Castanias et
Helfat, 2001).
L'analyse des remplacements de dirigeants par un candidat extérieur au secteur industriel
faite par Parrino (1997) a fait ressortir que plus de la moitié de ces successeurs était en
relation avec la firme (administrateur de la société ou d'une autre entreprise du secteur,
conseiller…). La maturité du secteur est également susceptible d'avoir une influence : dans un
45
Rajagopalan N., Datta D.K., Guthrie J. (2001, p. 1) : "in the context of top management selection and
retention, the unique organizational uncertainties and problems created by different industry contexts can be
effectively handled by selecting leaders with an appropriate set of knowledge and skills and cognitive
orientations".
142
type d'industrie récent, les compétences spécifiques à cette industrie sont rares, elles seront
davantage recherchées et probablement rémunérées par une prime additionnelle. Dans un
secteur dont le développement a atteint sa maturité, les connaissances sont plus largement
diffusées et constituent un apport compétitif moindre (Castanias et Helfat, 2001). "Les cadres
parviennent plus rapidement au sommet dans les industries connaissant des changements
structurels. Ces industries reposant sur des technologies émergentes ou évoluant rapidement,
réclament de nouvelles compétences – de ce fait nécessitent une nouvelle génération de
dirigeants" (Cappelli et Hamori, 2005)46.
Rajagopalan et al. (2001), dans leur étude de 305 firmes américaines de plus de 100
millions de dollars de chiffre d'affaire, sur la période 1973-1987, confirmaient la relation entre
le secteur industriel et l'évolution de carrière des dirigeants. Les caractéristiques et la
spécialisation des dirigeants sont positivement corrélées au degré de concentration et à
l'intensité capitalistique de l'industrie, négativement à son niveau de diversification et à son
taux de croissance.
La valorisation des compétences du dirigeant liées au secteur a cependant une limite : elle
se justifie principalement dans les firmes exerçant sur un seul métier (Gupta, 1984). Dans les
firmes diversifiées, plusieurs secteurs d'activité sont concernés, ce qui rend plus difficile
l'adéquation du capital humain spécifique au secteur du dirigeant aux besoins de la firme.
Certains auteurs ne confirment pas dans leurs analyses empiriques que le secteur d'activité
constitue un facteur de segmentation du marché managérial. Ainsi Bertrand et Schoar (2003),
qui ont étudié 500 dirigeants ou cadres supérieurs américains, recensés par Forbes entre 1969
et 1999, observaient une majorité de mutations extra sectorielles : elles concernaient 63% des
dirigeants de l'échantillon ayant changé de firme pour une nouvelle direction. Il serait
intéressant d'analyser l'origine sectorielle des dirigeants français en place aujourd'hui pour
vérifier si le marché managérial est segmenté relativement à ce critère en France.
Le secteur d'activité apparaît cependant globalement comme un critère significativement
pris en compte dans l'évaluation d'un dirigeant. Une transférabilité réduite des savoir-faire
46
Cappelli P., Hamori M. (2005, p. 30) : "Executives reached the top more quickly industries that were
undergoing structural change. These industries were built on emerging or quickly changing technologies or
required new competencies – and therefore needed a new generation of executives".
143
d'un secteur à un autre justifierait l'existence d'une segmentation du marché du travail
managérial. Il en influence l'intervention, en constituant des sous-segments.
6.1.2.1. Influence de ce déterminant sur les voies d'intervention disciplinaires du
marché managérial
Le caractère disciplinaire du changement de dirigeant est influencé par le type d‟industrie
(Parrino, 1997). Le taux de rotation des dirigeants diffère selon les industries (Parrino, 1997,
Murphy et Zabojnik, 2004). Le contrôle des dirigeants est facilité par la récurrence des
opérations et des stratégies à mettre en œuvre, et l'asymétrie d'information est plus faible à
l'intérieur d'un même secteur. La probabilité d'une sanction sous forme de départ forcé est
plus élevée dans les industries homogènes (Parrino, 1997) ; celle d'un départ volontaire
également, ce qui traduirait un renforcement des potentialités du rôle de récompense du
marché managérial. La plupart des candidats externes succédant à un dirigeant ayant subi un
départ forcé ont une expérience industrielle (Parrino, 1997). L'auteur propose plusieurs
raisons pour expliquer ces résultats : les dirigeants sous-performants sont plus faciles à
identifier dans la même industrie, les mesures de performance sont plus exactes, le risque de
renvoyer un dirigeant compétent par erreur est réduit, il est donc moins coûteux de les
remplacer. L'arrivée du nouveau dirigeant, s'il appartient à un secteur homogène, se traduit
également par des coûts moindres, une partie plus importante de son capital humain étant
transférable et adaptable à la firme, et son évaluation étant plus fiable (DeFillipi et Arthur,
1996). L'analyse des réactions du marché français à l'annonce des successions de présidents,
effectuée par Dherment-Férère (1998) sur la période 1988-1992, confirme l'impact positif de
l'homogénéité du secteur industriel de la firme.
La rémunération serait également influencée par le secteur d‟activité (Harris et Helfat,
1997, Murphy et Zabojnik, 2004), ce qui peut se justifier par la spécificité des connaissances
industrielles et leur degré de transférabilité. Ces compétences spécifiques à un secteur seraient
rémunérées. La rémunération peut différer en capitaux et en structure : ainsi, dans le secteur
des hautes technologies, la part variable serait plus élevée car l'importance des décisions
prises par le dirigeant est très forte. Dans un secteur plus traditionnel, où l‟essentiel des
décisions relèverait de la gestion courante, la part fixe pourrait être majoritaire.
144
L'influence attendue de ce déterminant semble donc positive sur les voies d'intervention
disciplinaires du marché des dirigeants : à l'intérieur d'un même secteur d'activité, le recours
au marché managérial serait plus important, et grâce à une asymétrie d'information et des
coûts plus faibles, son rôle de sanction ou de récompense serait encouragé et facilité. Cette
hypothèse reste bien sûr à valider empiriquement.
6.1.2.2. Influence de ce déterminant sur les voies d'intervention cognitives
du
marché managérial
Les travaux de recherche sur la cognition collective font ressortir l‟existence de perceptions
communes au niveau d‟un même secteur industriel. Il existe " une base de connaissance
partagée que ceux qui sont socialisés dans une industrie prennent pour le sens commun
professionnel familier " (Spender, 1989, p. 69). Cette vision commune expliquerait la
similitude des actions entre concurrents d‟une même activité. Elle serait susceptible de réduire
les conflits cognitifs (Jehn, 1995). L'association entre la notion de gain cognitif et le secteur a
aussi été mise en évidence dans les travaux de Charreaux (2002 (c)), qui souligne le rôle
cognitif d'apport et de développement des compétences des actionnaires industriels.
Ce déterminant peut avoir deux influences sur la vision stratégique de la firme. D'une part,
l'expérience et la connaissance étant liées au secteur d'activité dans lequel le dirigeant a exercé
ses talents précédemment, elles influenceraient ses choix stratégiques dans son nouveau poste
(Holbrook et al., 2000). D'autre part le contexte industriel agirait sur la prise de décisions
stratégiques des dirigeants et leurs actions (Hansen et Wernerfelt, 1989, Rajagopalan et al.,
2001), car il fait varier les attributs environnementaux : incertitude, complexité, et les
conditions organisationnelles : structure interne de pouvoir, performances et stratégies passées
(Rajagopalan et al., 1993). Selon le secteur d'activité, la concurrence et les marchés évoluent,
les firmes disposent d'opportunités de croissance différentes (Hamel et Prahalad, 1994). La
bonne adéquation entre les décisions stratégiques prises par le dirigeant et le secteur d'activité
peut affecter significativement la performance de la firme (Porter, 1980). Les firmes qui
choisissent leur nouveau dirigeant en bonne adéquation avec les besoins du secteur où elles
exercent réalisent des performances supérieures (Datta et Rajagopalan, 1998).
Il est alors envisageable que le secteur d'activité joue de deux manières sur le rôle cognitif
du marché managérial : tout d'abord, à l'intérieur d'un même secteur, il serait renforcé et d'une
145
qualité supérieure, la construction de la vision stratégique étant enrichie par l'expérience
passée du dirigeant, et l'apport de compétences étant plus important. Ensuite, en comparant les
secteurs d'activité entre eux, des différences, que ce soit en termes de nombre et de nature des
décisions stratégiques, comme de types de compétences, devraient être observées, d'où une
variation de l'influence sur la création de valeur engendrée par le recours au marché
managérial.
6.2. Les déterminants liés au dirigeant
Deux dimensions principalement, l'enracinement et la réputation, éclairent les stratégies
personnelles des dirigeants et leur capacité à manipuler les mécanismes disciplinaires.
L'enracinement a déjà été évoqué au chapitre V, paragraphe 5.2.1.. La prise en compte des
travaux sur la réputation va nous permettre d'envisager un autre déterminant potentiel
susceptible d'influencer l'importance du rôle du marché des dirigeants : la stratégie de carrière
externe. Nous allons nous aider de la littérature pour étudier dans quelle mesure ce facteur
peut modifier l'exercice des voies disciplinaires et cognitives du marché managérial. Nous
réfléchirons ensuite au rôle d'un autre facteur : la proximité de l'âge de retraite, car il
représente une étape importante dans la vie et la carrière d'un dirigeant, et constitue un butoir
légal à l'exercice de ses fonctions. Enfin nous poursuivrons notre réflexion sur les réseaux, en
essayant d'appréhender quelle influence ils peuvent avoir sur les autres composantes du rôle
du marché managérial.
6.2.1. La stratégie de carrière externe
Une logique de carrière peut être définie comme "un plan distinctif d'enchaînement de
fonctions professionnelles"47 (Gunz et al., 1998, p. 22), elle se traduit soit par une succession
de postes de direction qui diffèrent dans l'importance des responsabilités confiées et le
prestige du poste, soit par la recherche d'expériences dans des fonctions ou des secteurs
différents. Un cadre ambitieux doit se tourner vers une carrière "sans frontières" (Arthur et
Rousseau, 1996), c'est-à-dire non limitée par les frontières de la firme, ni fonctionnellement
ou géographiquement, et accumulant les expériences diverses. "Des ambitions de carrière
émergent fréquemment : elles se produisent chaque fois que le marché du travail (interne ou
externe) utilise un output actuel d'un individu actif pour mettre à jour sa connaissance des
47
Gunz H.P., Jalland R.M., Evans M.G. (1998, p. 22) : "a distinctive pattern of work role transitions".
146
capacités de ce sujet, et alors baser sa rémunération future sur cette estimation "48 (Gibbons et
Murphy, 1992, p. 469).
La justification de ce déterminant trouve ses fondements dans le courant d'analyse de la
réputation et dans la théorie de l'agence. Dans les travaux sur la réputation, l‟objectif du
dirigeant est d‟accroître sa réputation pour mieux valoriser son capital humain et élargir ses
horizons managériaux, dans une optique le plus souvent de carrière externe, bien qu‟une
bonne réputation puisse également servir des intérêts d‟enracinement en dissuadant les
actionnaires de recruter un autre candidat (dans ce cas, elle est spécifique à la firme). La
réputation peut devenir un actif commercialisable (Kreps, 1990). Les décisions prises dans le
cadre d‟un objectif de carrière externe " cherchent principalement à maximiser la valeur de la
réputation sur le marché des dirigeants et la probabilité d‟être sollicité pour parvenir à diriger
une entreprise plus importante ou plus prestigieuse " (Charreaux, 1996, p. 57). "La réputation
des dirigeants sur le marché de l'emploi est l'élément qui va influencer le plus fortement leur
pouvoir à l'intérieur de la firme" (Paquerot, 1996, p. 169). Le comportement du dirigeant est
orienté non plus par le souci de se rendre irremplaçable, mais par le souhait de pouvoir quitter
l‟entreprise et se valoriser au mieux sur le marché managérial. Ses décisions sont choisies
selon leur apport en termes de réputation, et elles sont fonction de la perception qu‟a le
dirigeant de ses propres compétences. Les actions individuelles sont influencées par les
perspectives de carrière et leurs attraits (Gibbons et Murphy, 1992). "A travers la réputation,
le dirigeant cherche à accroître son pouvoir de négociation de façon à obtenir une meilleure
rémunération; cette réputation lui permet également d'accroître sa valeur sur le marché du
travail et éventuellement de quitter plus facilement l'entreprise" (Charreaux, 1996, p. 55). La
réputation est un composant très important du capital managérial, car elle va influencer les
possibilités d‟évolution de carrière du dirigeant, en termes de poste et de rémunération.
Le choix du dirigeant entre une carrière externe ou être promu en interne dépend
notamment des caractéristiques du marché des dirigeants : modes d‟accès et de sortie,
constitution de la réputation… Mais il y a ici une double causalité : ce choix a également une
influence sur l‟exercice du rôle du marché des dirigeants. Lorsque le dirigeant poursuit une
stratégie d‟enracinement, il s‟oppose à l‟intervention du marché managérial en rendant par
48
Gibbons R., Murphy K.J. (1992, p. 469) : "Career concerns arise frequently : they occur whenever the (internal
or external) labor market uses a worker's current output to update its belief about the worker's ability and then
bases future wages on these updated beliefs".
147
exemple plus opaque la vision que les autres dirigeants concurrents potentiels peuvent avoir
de l‟entreprise. A l‟opposé, s‟il recherche les promotions externes, il va agir pour se signaler
au marché du travail des dirigeants, et faciliter le transfert d‟information sur ses compétences,
et plus généralement sur son capital humain.
6.2.1.1. Influence de ce déterminant sur les voies d’intervention disciplinaires du
marché managérial
Les perspectives de carrière peuvent réduire les problèmes d'agence entre les dirigeants et
les actionnaires et réduirent les conflits d'intérêt (Fama, 1980, Holmström, 1982). Elles
contribuent à diminuer les problèmes de risque moral et à discipliner les dirigeants (Fama,
1980). Les dirigeants ayant des ambitions d'évolution professionnelle sont incités à exercer
des efforts et à agir dans l'intérêt des actionnaires. Dans le modèle d‟Holmström (1999), le
dirigeant, reconnaissant que la performance est utilisée comme un signal de productivité,
essaie d‟influencer le processus d‟évaluation par le choix de ses actions. Ses décisions
peuvent avoir une incidence sur deux retours sur capital : humain et financier. Le dirigeant est
concerné par le retour en capital humain, les actionnaires par le retour financier. Un schéma
explicite d‟incitation est nécessaire pour éviter que le dirigeant ne privilégie que le premier.
La vision d‟Holmstrom est plutôt négative, concluant aux effets néfastes de la volonté de
carrière externe du dirigeant. Jensen et Meckling (1976) font également référence au rôle de la
réputation des dirigeants pour réduire les coûts d‟agence. Gibbons et Murphy (1992), dans la
définition de leur contrat de rémunération optimal, associent l'incitation implicite de la
volonté de faire carrière, et celle, explicite, du contrat de rémunération lui-même.
L'augmentation de l'incitation à la performance chez les dirigeants ayant choisi une carrière
externe ressort également des travaux de Cappelli et Hamori (2005), qui mettaient en
évidence une évolution du profil des dirigeants américains et la modification de leurs
stratégies de carrière. Comme l‟âge moyen d‟accession à un poste de dirigeant diminue, un
dirigeant ayant pour objectif d‟arriver au sommet va rechercher des promotions plus rapides,
tout retard devenant dommageable : il ne faut pas être trop vieux aux différents points d‟étape.
Ceci va donc l‟inciter à partir vers une autre entreprise, et à choisir d‟investir son capital
humain dans une société en fonction des potentialités d‟évolution qu‟elle lui offre. Il s‟agit de
se signaler par sa jeunesse dans la fonction, de faire remarquer très tôt son talent et ses
capacités, et de progresser rapidement : le haut potentiel se constitue ainsi une réputation de
148
futur dirigeant. Un parcours possible est par exemple de se signaler par une performance
élevée dans une petite entreprise, ou comme entrepreneur, puis d‟intégrer un groupe plus
important. Ceci va dans le sens d‟un renforcement du rôle du marché managérial, les
dirigeants ayant de plus en plus recours au marché du travail pour accélérer leur carrière, et
étant de ce fait évalués par lui et incités à être rapidement performants.
Mais l‟objectif réputationnel peut aussi avoir des conséquences négatives sur l‟efficacité de
la firme, par exemple s'il conduit à des manipulations de l'information (Hirshleifer, 1993). Le
dirigeant qui souhaite améliorer plus rapidement sa réputation peut être tenté de présenter
avantageusement les indicateurs court terme, d'avancer les nouvelles favorables ou au
contraire de retarder les mauvaises. Mais ce comportement de manipulation, au départ
opportuniste, n'est pas forcément négatif : il peut inciter le dirigeant à gérer aussi dans les
intérêts des créanciers, limitant ainsi les coûts d‟agence entre actionnaires et créanciers
(Hirshleifer, 1993), et prendre des décisions, par exemple augmenter les investissements en
recherche et développement, qui peuvent contribuer à augmenter la performance de la firme.
Ce déterminant semble donc être susceptible de jouer un rôle sur les voies disciplinaires du
marché des dirigeants, allant essentiellement dans le sens d'un renforcement et d'une
facilitation de leur exercice. Augmentant l'incitation des dirigeants à extérioriser de la
performance, développant les occasions d'être évalués par le marché managérial, il peut
contribuer à renforcer la place de ce mécanisme dans le SGE.
6.2.1.2. Influence de ce déterminant sur les voies d’intervention cognitives du
marché managérial
Ce déterminant peut également avoir une influence sur le rôle cognitif du marché des
dirigeants. Il est envisageable tout d'abord qu'il agisse sur la première voie d'intervention
cognitive que nous avons identifiée, l'aide à la construction de la vision stratégique de la
firme. En effet pour un dirigeant qui développe une stratégie réputationnelle, sa valeur sur le
marché du travail va dépendre des projets qu‟il va choisir d‟entreprendre. La pression du
marché managérial sur les choix stratégiques effectués par le dirigeant serait alors renforcée.
Si le dirigeant veut montrer par sa stratégie et ses résultats qu‟il est capable de diriger un autre
type d‟entreprise, plus importante, plus prestigieuse, il va chercher à se signaler au marché
managérial et à faire reconnaître ses compétences, ce qui le conduit à prendre certaines
149
décisions stratégiques. Celles-ci seront davantage liées à ses objectifs personnels : ici
l‟amélioration de sa réputation, le dirigeant cherchant à se faire valoir, qu‟aux besoins de la
firme. Mais les deux peuvent converger.
La réputation peut aussi jouer un rôle indirect : compte tenu de l‟aura de certains dirigeants,
de leur réussite, d‟autres managers vont adopter leurs choix stratégiques par comparaison ou
imitation. De même en cas de scandale ou de mauvaise renommée de certains de leurs pairs,
ils peuvent
chercher à se différencier, se distinguer d‟eux en décidant d‟une stratégie
complètement différente pour leur entreprise.
6.2.2. La proximité de l'âge de la retraite
Notre étude étant centrée sur le dirigeant, nous avons déjà mis en évidence l'importance de
ses caractéristiques, aussi bien dans le rôle d'évaluation du marché managérial, que sur ses
voies d'intervention disciplinaires et cognitives. Nous venons de voir également l'impact de la
réputation et de la notion de carrière sur les actions des dirigeants. Il nous semble justifié
d'analyser aussi un aspect spécifique de la vie d'un dirigeant : la proximité de la retraite, et son
incidence sur le rôle du marché des dirigeants. Ce déterminant étant évoqué dans plusieurs
études en gouvernance, nous allons nous appuyer sur ces articles pour essayer de comprendre
son influence.
6.2.2.1. Influence de ce déterminant sur les voies d’intervention disciplinaires du
marché managérial
La proximité de l'âge de la retraite réduirait le risque de sanction (Vancil, 1987). Lorsque le
dirigeant est en fin de carrière, s‟il est sous performant, il peut être moins coûteux d‟attendre
quelques temps que de provoquer un départ forcé, alors qu'un jeune dirigeant identifié comme
tel est davantage susceptible d'être remplacé (Parrino, 1997, p. 176) : "il est plus coûteux de
retenir un mauvais dirigeant qui est à dix ou quinze ans de la retraite que de conserver en
poste un dirigeant susceptible de partir volontairement dans les années à venir"49. L'intensité
de la relation entre le changement de dirigeant et la mauvaise performance décroît avec l'âge
du dirigeant, les jeunes dirigeants risquent davantage d'être disciplinés par ce levier (Jensen et
49
Parrino R. (1997, p. 176) : "It is more costly to retain a poor CEO who is 10 or 15 years from retirement than it
is to retain one who is likely to step down voluntarily in the next few years".
150
Murphy, 1990), et le taux de rotation est plus élevé dans cette population (Warner et al. 1988,
Weisbach, 1988, Gibbons et Murphy, 1992). Les dirigeants proches de la retraite sont moins
sensibles à leur réputation sur le marché de l'emploi, ils ne se soucient plus de devoir
retrouver un poste équivalent en cas de licenciement : leur enracinement étant souvent plus
fort, la probabilité d'une sanction est réduite (Paquerot, 1996), et ils peuvent avoir accumulé
un patrimoine suffisant.
Cependant des exemples récents montrent que la proximité de la retraite ne suffit pas
toujours à éviter au dirigeant d'être évincé de l'entreprise. Ainsi en France, Pierre Bilger,
président d'Alstom depuis 1991, a été obligé de quitter le groupe industriel, au bord de la
cessation de paiements suite notamment à sa stratégie de croissance externe désastreuse, en
2003, à 63 ans. Il a même rendu les fortes indemnités qu'il avait touchées à son départ.
La seconde voie d'intervention disciplinaire du marché managérial, la récompense des
dirigeants compétents, serait aussi affectée par ce déterminant. L‟incitation à la performance
serait fonction du nombre d‟années où le dirigeant reste un potentiel pour le marché
managérial, et se réduirait lorsque le départ à la retraite se rapproche (Fama, 1980). Dans le
modèle d'Homström (1982) également, le dirigeant fournirait l'essentiel de ses efforts dans ses
jeunes années, lorsque le marché managérial évalue ses capacités, et se relâcherait les
dernières années. Les dirigeants proches de la retraite seraient moins soumis à la discipline du
marché du travail managérial (Gibbons et Murphy, 1992), qui suggèrent, pour compenser la
diminution du caractère incitatif des perspectives de carrière, d'augmenter la partie incitative
des contrats de rémunération. Les incitations à la performance du marché managérial seraient
plus faibles chez les dirigeants âgés que chez les jeunes (Lewellen et al., 1987). Une
corrélation positive existerait entre l'âge et la durée de poste (Pfeffer, 1981, Zenger et
Lawrence, 1989), en fin de carrière l'envie de changer de poste serait moins forte, du fait des
liens amicaux et des réseaux que le dirigeant a pu développer. Lorsque la retraite se
rapproche, les possibilités d'emploi deviendraient moins importantes aux yeux de l'individu
(Hall et Mirvis, 1995).
La proximité de la retraite semble donc avoir un effet réducteur sur le rôle disciplinaire du
marché managérial. Cette influence reste cependant à confirmer. En effet il est envisageable
que le niveau d'incitation à la performance soit encore élevé chez un dirigeant en fin de
carrière, pour plusieurs raisons. Tout d'abord, les résultats engendrés pendant les dernières
151
années de fonction du dirigeant conditionnent sa rémunération en tant que retraité et les
avantages pécuniaires éventuels qu'il peut obtenir au moment de son départ. Les dirigeants
cherchent à augmenter leurs bénéfices avant de partir en retraite pour recevoir une
rémunération plus élevée (Pourciau, 1993). Dans le modèle du marché de la réputation de
Tadelis (2002), les agents jeunes ont les mêmes incitations que les sujets âgés : les bonnes
réputations sont rares, et génèrent de la valeur pour l'individu, que son horizon soit long ou
court. Ensuite, s'il ne brigue plus un autre poste de dirigeant, il peut chercher à bénéficier d'un
mandat d'administrateur dans la firme ou une autre société. Ce second argument a été validé
empiriquement par Brickley et al. (1999), sur un échantillon de 277 dirigeants de Forbes
partis à la retraite entre 1989 et 1993. "La probabilité qu'un dirigeant en retraite soit
administrateur de la société deux ans après son départ, de même que la probabilité d'être
engagé comme administrateur externe d'une autre firme, sont positivement et fortement
corrélées à sa performance lorsqu'il exerçait les fonctions de dirigeant" 50 (Brickley et al.,
1999, p. 341). Dans leur étude, 88% des dirigeants retraités occupent au moins un poste
d'administrateur, 42% détiennent trois sièges ou plus, et même 28% cumulent plus de quatre
mandats. L'ancien dirigeant peut également rester actif en devenant consultant : "certaines
firmes signent de lucratifs contrats de consultants avec leurs anciens dirigeants" 51(Brickley et
al., 1999, p. 343). D'après Vancil (1987), 80% des dirigeants resteraient au conseil
d'administration de leur société après leur départ en retraite. Leurs qualités d'expert expliquent
que beaucoup de dirigeants deviennent administrateurs de leur entreprise ou d'une autre firme
lorsqu'ils partent à la retraite (Lorsch et MacIver, 1989). L'incitation à la performance serait
donc maintenue même dans les dernières années de poste, lorsque le dirigeant est intéressé
par les opportunités pouvant s'offrir à lui après son départ en retraite, les fonctions de
consultant ou d'administrateur procurant des avantages financiers pouvant être élevés (salaire,
stock options, complément de retraite…), mais aussi non pécuniaires comme le statut et le
prestige. Un dernier argument est développé dans la thèse de Paquerot (1996) : les dirigeants
peuvent chercher à conserver leur poste au-delà de l'âge légal de la retraite, ils sont alors
incités à extérioriser de la performance pour résister aux pressions, ou, dans une vision
négative, à augmenter leur enracinement, en accroissant l'asymétrie d'information et en
éliminant la concurrence.
50
Brickley J.A., Linck J.S., Coles J.L. (1999, p. 341) : "Both the likelihood that a retired CEO serves on his own
board two years after his departure, as well as the likelihood of serving as an outside director on other boards, are
positively and strongly correlated to his performance while CEO".
51
Brickley JA., Lick J.S., Coles J.L. (1999, p. 343) : "some firms give lucrative consulting contracts to their exCEOs".
152
Plusieurs exemples de dirigeants français proches de la retraite ayant poursuivi leurs efforts
jusqu'à leur départ, et en ayant été récompensés par des fonctions ultérieures, montrent qu'il
est difficile de conclure sur la diminution du rôle disciplinaire du marché du travail. Citons
pour illustrer nos propos le cas de Jean-Marie Descarpentries, Président Directeur Général du
groupe Bull de 1993 à 1997, arrivé à la tête du constructeur informatique alors qu'il
enregistrait des pertes record. Sous son action, le groupe Bull est redevenu bénéficiaire en
1995. En 1997, à 61 ans, Jean-Marie Descarpentries a cédé la présidence à Guy de Panafieu.
Après son départ en retraite, il est resté membre du conseil d‟administration de Bull. Il était
également administrateur ou membre du comité stratégique d'autres sociétés (Bolloré,
Parsys…), et en 2001 était devenu le président du conseil de surveillance de Sidel52.
6.2.2.2. Influence de ce déterminant sur les voies d’intervention cognitives du
marché managérial
Les problèmes d'horizon ont des conséquences en matière d'incitation, mais sont également
généralement associés à une modification des décisions stratégiques des dirigeants.
L'ouverture à l'innovation serait moins forte chez les dirigeants plus âgés et en poste depuis
plus longtemps (Pfeffer, 1983), ils seraient moins flexibles et moins créatifs dans leur prise de
décision. Les dirigeants plus âgés investissent moins que les plus jeunes, ils utilisent moins
l'effet de levier financier, ils ont moins tendance à s'engager dans des actions de
diversification (Bertrand et Schoar, 2003). L'absence d'incitation du marché managérial
conduit les dirigeants en fin de carrière à la myopie dans leur prise de décision (Lewellen et
al., 1987), et ils deviennent moins adverses au risque que les jeunes. Cette thèse est partagée
par Hirshleifer et Thakor (1992) : en début de carrière, les dirigeants seraient plus
conservateurs, évitant les projets profitables mais risqués, par crainte de détérioration de leur
réputation. La diminution de la contrainte de réputation et de la probabilité de licenciement
oriente les décisions du dirigeant en fin de carrière, qui peut faire le choix d'augmenter sa
consommation, en accroissant les prélèvements (rémunération, avantages en nature) ou en
réalisant des investissements de prestige (Paquerot, 1996). L'âge est associé à la préférence
52
Le Gales Y., " Informatique, Bull change de président ", Le Figaro, septembre 1997.
Robert V., " Informatique – A la tête du groupe informatique français depuis quatre ans, Jean-Marie
Descarpentries quitte la présidence de Bull et cède son siège à Guy de Panafieu, directeur général de la
Lyonnaise des Eaux ", Les Echos, septembre 1997.
Brafman N., " Informatique – Jean-Marie Descarpentries quitte la présidence de Bull ", La Tribune, septembre
1997.
153
pour le statu quo, à une rigidité cognitive, à une probabilité réduite de changements
stratégiques et à une exploration limitée de nouvelles alternatives (Bantel et Jackson, 1989,
Miller, 1991, Wiersema et Bantel, 1992, Hambrick et al., 1993). Mais la stabilité peut aussi
être recherchée par la firme, dans les industries à forte intensité capitalistique par exemple,
auquel cas un candidat âgé sera mieux valorisé (Thomas et al., 1991, Datta et Rajagopalan,
1998).
Les problèmes d'horizon peuvent aussi inciter à la manipulation et au développement de
l'opportunisme. Les dirigeants proches de la retraite "prennent des décisions d'investissement
et comptables de manière à augmenter les bénéfices (et leur rémunération basée sur ceux-ci)
les dernières années de leur mandat, au détriment des revenus futurs" 53 (Murphy et
Zimmerman, 1993, p. 274). Mais leur étude ne confirme la prise de telles mesures, qu'ils
définissent comme l'exercice de la discrétion managériale, que pour les dirigeants proches de
la retraite dans les firmes sous performantes. L'observation, chez les dirigeants en fin de
carrière, de la réduction des dépenses en recherche et développement et en publicité, afin
d'extérioriser de meilleurs résultats, est par contre validée dans l'étude de Dechow et Sloan
(1991).
La seconde voie d'intervention cognitive du marché managérial, l'apport et le
développement des compétences, est également susceptible de varier avec la proximité de la
retraite. D'après les travaux sur la mémoire et la cognition, la performance intellectuelle
déclinerait avec l'âge (Cerella, 1990, Salthouse, 1996). Le processus de réflexion serait moins
rapide chez les sujets plus âgés, la complexité moins bien appréhendée (Salthouse et al., 1996,
Just et Carpenter, 1992). Les capacités se détérioreraient au cours du cycle de vie (Clark et al.,
1978). Les connaissances deviendraient obsolètes du fait des changements technologiques et
dans les méthodes de travail (Boes et Von Weizsaecker, 1989, Clark, 1993). D'autres auteurs
défendent l'idée qu'il n'y a pas de lien entre l'âge et la performance (Waldman et Avolio,
1986). Mais les travaux que nous venons de citer portent sur les sujets en général, sans
distinguer spécifiquement le cas des dirigeants. Or il est raisonnable d'envisager que compte
tenu de la supériorité de leurs compétences d'une part, et du fort entraînement intellectuel
qu'engendre la direction d'une entreprise d'autre part, la diminution de leurs capacités ne soit
53
Murphy K.J., Zimmerman J.L. (1993, p. 274) : (outgoing CEOs approching a known retirement) "make
accounting or investment decisions to increase earnings (and earnings-based compensation) in their final years,
at the expense of future earnings ".
154
pas significative. Cette suggestion a notamment été examinée indirectement par Stewman
(1986), qui soulevait la possibilité que la productivité augmente chez certains individus alors
qu'ils sont plus âgés parce qu'ils font face à des opportunités de promotion plus élevées et plus
rapides. De même Greller et Simpson (1999) font l'hypothèse que si la performance des
travailleurs âgés diminue, c'est parce que l'organisation leur offre moins de perspectives
d'évolution et de formation, réduisant leur motivation et le développement de leurs
compétences. De plus, d'autres auteurs considèrent positivement l'impact de l'avancement en
âge. Ainsi, dans la théorie du capital humain de Becker (1964), les compétences se
développent avec l'expérience, et augmentent la capacité productive. Plus le dirigeant est
proche de la retraite, plus son capital humain s'enrichit. "Un répertoire fondamentalement plus
riche d'histoire personnelle et d'expérience subjective influence chaque actif âgé, et se
manifeste par un éventail plus large de préférences, d'identités, de jeux de compétences pour
le travail" 54 (Greller et Simpson, 1999, p. 336). Certains travaux en ressources humaines,
portant sur l'individu en général, concluent que la productivité des sujets proches de la retraite
diminue en quantité mais augmente en qualité (Rao et Rao, 1997). Avec l'âge, les
responsabilités de supervision augmentent, or elles nécessitent prioritairement cette qualité.
Le plus important pour des dirigeants âgés n'est pas de produire beaucoup, mais d'être
capables de stimuler de hauts niveaux de performance chez les personnes qu'ils encadrent
(Greller et Simpson, 1999). L'étude de Liden et al. (1996) a validé empiriquement que des
commerciaux ont des résultats supérieurs lorsqu'ils dépendent d'un dirigeant âgé que lorsqu'il
s'agit d'un jeune. L'origine de la performance serait différente chez les individus proches de la
retraite, d'autres aspects (expérience,…) venant compenser certaines déficiences (McEvoy et
Cascio, 1989).
Concernant le développement des compétences des autres parties prenantes, l'influence de
ce déterminant peut être à nouveau considérée négativement. Il ressort des travaux sur la
dynamique de groupe (McCain et al., 1983, Zenger et Lawrence, 1989), que la
communication est meilleure lorsque les membres du groupe sont d'âge similaire. La
proximité de l'âge de la retraite pourrait donc limiter les gains cognitifs nés de la
confrontation des schémas cognitifs entre les individus, le dirigeant étant peut-être alors
moins réceptif aux suggestions des plus jeunes. Mais cette vision ne fait pas l'objet d'un
consensus. Ainsi dans l'analyse de Perry et al. (1996), les travailleurs âgés influencent
54
Greller M.M. et Simpson P. (1999, p. 336) : "An inherently richer repertoire of personal history and subjective
experience shapes each old worker, manifesting a wide array of preferences, identities, and skills sets for work".
155
davantage leur équipe et servent de modèles lorsque les tâches cognitives se complexifient,
leur part dans la performance est supérieure dans la difficulté. Et les dirigeants âgés
délègueraient davantage (Pigé, 1993).
Le sens de l'intervention de ce déterminant sur les voies cognitives du marché managérial,
comme sur les voies disciplinaires, reste donc à tester et à déterminer, la littérature ne
permettant pas de conclure, et apportant au contraire des éclairages opposés selon les auteurs.
6.2.3. Les réseaux ou liens relationnels
La justification théorique de ce déterminant et la définition du terme "réseaux" ont été
développées dans le chapitre V, paragraphe 5.2.3.. Nous avons vu que les liens relationnels
contribuaient à la segmentation du marché managérial. Mais les conséquences de leur
intervention méritent une analyse plus approfondie pour bien comprendre de quelle manière,
au-delà de la fonction d'évaluation, les réseaux peuvent influencer l'exercice du rôle du
marché managérial, tant sous la dimension disciplinaire que cognitive.
6.2.3.1. Influence de ce déterminant sur les voies d’intervention disciplinaires du
marché managérial
L‟intervention de ce déterminant peut se concevoir en termes de coûts disciplinaires, si
l‟existence de réseaux constitue par exemple une barrière à l‟application d‟une sanction du
marché managérial, ou en termes de gains, si elle facilite le transfert d‟information et conduit
à une meilleure évaluation du dirigeant. La vision disciplinaire prédominante attribue aux
réseaux une influence négative sur la performance de la firme, les considérant comme des
vecteurs d'enracinement et un frein à la discipline exercée par le conseil d'administration
(Charreaux, 2003).
La solidarité entre les membres d'un réseau peut avoir des conséquences sur le levier
disciplinaire que constitue la sanction. Elle est susceptible de jouer en cas de désaccord du
dirigeant avec d'autres parties prenantes. Grâce aux pouvoirs et à l'aura de son réseau, un
dirigeant sous performant peut ne pas être évincé, ou s'il est écarté de l'entreprise retrouver un
poste équivalent sans être sanctionné par le marché du travail managérial, ses relations lui
offrant des possibilités de se replacer (Charreaux, 2003).
156
Les résultats des études empiriques ne sont cependant pas convergents sur l'absence de
sanction des membres des réseaux. Ainsi, pour le marché français, Nguyen-Dang (2005), qui
a analysé les départs des dirigeants des plus grandes sociétés cotées entre 1994 et 2001,
observait que l'appartenance à un cercle social (par exemple issu d'une certaine formation)
n'empêchait pas un dirigeant d'être évincé pour mauvaise performance. Par contre, s'il faisait
partie d'un réseau commun aux administrateurs de la firme, s'il existait des liens croisés (le
dirigeant de la firme A était administrateur d'une firme B, dont le dirigeant était
administrateur de A), il bénéficiait d'une protection contre l'éviction. Enfin, dans les deux cas,
si le dirigeant était tout de même révoqué, il avait plus de facilités pour retrouver un poste de
bon niveau : dans l'étude de Nguyen-Dang (2005), 28,6% des dirigeants issus de l'Inspection
des Finances ayant été évincés pour mauvaise performance retrouvaient un poste plus élevé
après leur sanction.
Par ailleurs, les réseaux eux-mêmes peuvent être à l'origine de la sanction : "la sanction
résultant d'un manquement à l'obligation morale est l'exclusion du réseau et la perte des
avantages liés à son appartenance" (Paquerot, 1996, p. 142). Il est tout à fait envisageable que
pour des raisons de réputation de leur réseau, les membres qui le composent assurent d‟euxmêmes un contrôle et prennent si nécessaire des mesures à l‟encontre d‟un membre inefficace
ou corrompu, afin d‟éviter que la mauvaise image ne rejaillisse sur le groupe dans son
ensemble. Pour garder sa crédibilité et son aura, le réseau est amené à exercer sa propre
discipline. L'effet disciplinaire est alors fort, l'appartenance à un réseau se traduisant par des
avantages faisant partie intégrante du capital humain du dirigeant, dont la perte constitue une
diminution de sa valeur sur le marché du travail managérial. Il y aurait alors complémentarité
entre le rôle joué par le réseau et celui du marché des dirigeants. Le contrôle de type clanique
ou social a été mis en évidence dans les travaux d‟Ouchi (1979). Pour cet auteur, trois types
de mécanismes contribuent à l'évaluation et au contrôle du travail des individus dans une
organisation : les marchés, les bureaucraties et les clans, terme désignant une structure sociale
informelle. "Les clans s'appuient sur un processus de socialisation relativement complet qui
élimine de manière effective l'incongruité des objectifs entre les individus"55 (Ouchi, 1979, p.
833). Leur contrôle n'est pas basé sur un mécanisme explicite de prix comme pour les
marchés, mais s'appuie sur une définition commune et propre au groupe de ce qui constitue le
55
Ouchi W.G., 1979, p. 833 : "Clans rely upon a relatively complete socialization process which effectively
eliminates goal incongruence between individuals".
157
bon comportement. Pour Ouchi, il y a complémentarité entre les trois formes de mécanismes
disciplinaires, aucune organisation ne relevant d'un système unique de contrôle.
L'exercice du second levier disciplinaire du marché managérial est également susceptible
d'être modifié par l'existence de réseaux. Ceux-ci influenceraient la récompense des dirigeants
dans les firmes (Carroll et Teo, 1996, Burt et al., 2000, Charreaux, 2003). Les dirigeants
bénéficiant de relations inter conseils se verraient confier des firmes de plus grande taille et
seraient mieux rémunérés (Hallock, 1997). Un dirigeant pourrait obtenir une promotion ou
une hausse de ses avantages du fait de son appartenance à un réseau et non pas seulement
consécutivement à une évaluation favorable de ses compétences et de ses performances par le
marché du travail. Cependant, en reprenant l'argument selon lequel les réseaux améliorent la
transmission de l'information, notamment sur la valeur du dirigeant, il est probable que leur
rôle vienne renforcer et améliorer la qualité de celui du marché des dirigeants, plus à même de
reconnaître les dirigeants compétents et de les récompenser. L'existence et le sens du lien
entre ce déterminant et le marché managérial restent à valider empiriquement.
6.2.3.2. Influence de ce déterminant sur les voies d’intervention cognitives du
marché managérial
L'influence des réseaux dans les approches socio stratégiques apparaît, contrairement aux
conclusions de la théorie de l'agence, majoritairement positive. Dans cette vision, les réseaux
sont des entités facilitant le contrôle et la domination de groupes de sociétés ou de familles, ils
agissent en faveur des individus qui en font partie. Ils sont également susceptibles de
"favoriser les politiques d'alliances industrielles ou de partenariat avec d'autres entreprises
(stratégie d'alliance pour la recherche et développement, mise au point de standards
technologiques…)" (Paquerot, 1996, p. 142). Le capital social des administrateurs favorise la
mise en place de partenariats entre les entreprises, en facilitant les contacts et la négociation
de ces accords (Ben Hadj M'Barek, 2006). Dans l'approche inter organisationnelle, ces liens
trouvent quatre justifications: l'asymétrie, la stabilité, la réciprocité et la légitimité (Charreaux,
2003). Les liens externes des dirigeants ont une influence sur leurs choix stratégiques
(Geletkanycz et Hambrick, 1997), qui se traduit positivement sur la performance de la firme.
Les relations et les réseaux peuvent également favoriser la création et la détection des
compétences, le développement de l'expérience et l'apprentissage. Ils facilitent l'accès à
158
l'information sur les techniques et les moyens de procéder dans d'autres firmes, qui peuvent
venir enrichir le savoir faire de l'entreprise. Ils sont un moyen de diffuser les bonnes pratiques
de gouvernance (Nguyen-Dang, 2005). Mais ils peuvent aussi constituer des facteurs de
rigidité cognitive et accroître les risques d‟appropriation de rentes aux dépends des membres
extérieurs au réseau.
Conclusion et synthèse
La recherche et l'analyse des facteurs susceptibles d'influencer l'exercice du rôle du marché
des dirigeants ont mis en évidence la complexité d'appréhender ce mécanisme. Si la littérature
nous a permis d'identifier ces déterminants, elle n'est pas suffisante à ce jour pour affirmer de
manière claire quelles sont leurs conséquences sur le marché managérial, et nous n'avons pu
conclure qu'en formulant des hypothèses, qui restent à valider empiriquement.
La structure de propriété agirait sur le rôle du marché managérial dans le SGE : ses leviers
disciplinaires seraient renforcés dans les sociétés contrôlées, sollicités dans les entreprises
managériales, réduits ou plus lents dans les entités familiales. Les voies cognitives seraient
également modifiées par ce déterminant, mais des arguments peuvent être avancés aussi bien
dans le sens d'un renforcement de son rôle que dans celui d'une réduction, pour les trois types
de structures.
L'influence du second facteur identifié, le secteur d'activité, ressort plus clairement de la
littérature. Elle jouerait positivement, venant renforcer le rôle du marché des dirigeants et sa
contribution à la création de valeur dans la firme. En effet, en réduisant l'asymétrie
d'information, l'appartenance à un même secteur d'activité faciliterait les voies d'intervention
disciplinaires du mécanisme que nous étudions, la sanction et la récompense. De plus, à
l'intérieur d'un même secteur, le rôle cognitif du marché des dirigeants serait plus efficient,
améliorant la vision stratégique de la firme et apportant des compétences complémentaires.
La stratégie de carrière externe, autre déterminant analysé, apparaît également venir
renforcer le rôle du marché managérial, aussi bien sous la dimension disciplinaire que sous la
dimension cognitive. Un dirigeant poursuivant un objectif réputationnel serait davantage
incité à agir dans l'intérêt des actionnaires ou des parties prenantes, et à se signaler au marché
managérial.
159
Enfin la proximité de la retraite, autre facteur lié au dirigeant, est généralement présentée
comme une barrière à l'intervention disciplinaire du marché managérial, mais cette vision ne
fait pas l'objet d'un consensus. Il est également difficile de conclure sur le sens de son
influence sur les voies cognitives du marché des dirigeants. Soit le dirigeant âgé est considéré
négativement, prenant moins de décisions stratégiques et disposant de compétences pouvant
devenir obsolètes, soit il est appréhendé positivement, son capital humain étant plus riche et
son expérience favorisant la prise de décisions stratégiques efficientes.
L'incidence des différents déterminants que nous venons d'examiner reste donc à tester
empiriquement. Une synthèse de l'influence attendue de ces facteurs figure ci-dessous.
DETERMINANTS
INFLUENCE
INFLUENCE
ATTENDUE SUR LES
ATTENDUE SUR LES
VOIES DISCIPLINAIRES
VOIES COGNITIVES DU
DU MARCHE
MARCHE MANAGERIAL
MANAGERIAL
Structure de propriété
∆ selon la structure
∆ selon la structure
Secteur d'activité
+ à l'intérieur d'un secteur
+ à l'intérieur d'un secteur
∆ selon le secteur
∆ selon le secteur
+
+
+ ou -
+ ou -
+ ou -
+
Stratégie de carrière
externe
Proximité âge de la retraite
Réseaux
- Tableau 5 : synthèse de l'influence attendue des déterminants -
L'identification de déterminants et l'analyse de leur influence nous permet de compléter à
nouveau notre modélisation du rôle du marché des dirigeants dans le SGE (figure 6) :
160
INTRODUCTION DES DETERMINANTS D’EFFICACITE
Structure de
propriété
Secteur
activité
Intervention
implicite
Rôle comme
mécanisme
de
gouvernance
Marché des
dirigeants
Intervention
explicite
Réseaux
relationnels
voies
d‟intervention
disciplinaires
Proximité
de l‟âge de
la retraite
Stratégie
carrière
externe
Variation de
performance
de la firme
voies
d‟intervention
cognitives
- Figure 6 : introduction des facteurs de contingence dans le modèle explicatif –
Un nouveau corps d'hypothèses découle de cet enrichissement du modèle explicatif.
Compte tenu des arguments théoriques développés dans le chapitre VI, nous avons prévu de
tester dans la troisième partie les hypothèses suivantes :
Relativement à la structure de propriété :
H6a: Le rôle disciplinaire du marché des dirigeants est plus prononcé dans les firmes
managériales que dans les sociétés contrôlées, et le moins significatif dans les firmes
familiales.
H6b: Le rôle cognitif du marché managérial est le plus significatif dans les firmes
familiales, puis dans les firmes contrôlées, il est moindre dans les sociétés managériales.
Au secteur d'activité :
H7: L'influence du rôle exercé par le marché managérial sur la performance de la firme
varie avec le secteur d'activité auquel elle appartient.
A la stratégie de carrière externe du nouveau dirigeant :
H8: Lorsque le dirigeant poursuit une stratégie de carrière externe, l'ensemble du rôle du
marché managérial est renforcé et explique davantage la création de valeur dans la firme.
161
A la proximité de l'âge de la retraite du nouveau dirigeant :
H9a: Lorsque le dirigeant est proche de la retraite, l'intervention disciplinaire du marché
managérial se réduit et sa contribution à la création de valeur également.
H9b: Lorsque le dirigeant est proche de la retraite, l'intervention cognitive du marché
managérial contribue plus fortement à la création de valeur.
A l'appui de réseaux du nouveau dirigeant :
H10a: Lorsque le dirigeant bénéficie de l'appui de réseaux, le rôle disciplinaire du marché
managérial est diminué.
H10b: En présence de réseaux, les voies d'intervention cognitives du marché managérial
contribuent plus fortement à la création de valeur dans la firme.
162
CHAPITRE VII : IMBRICATION DU MARCHE MANAGERIAL AVEC
D'AUTRES MECANISMES DE GOUVERNANCE
Comme nous l‟avons exposé dans les fondements théoriques, l‟approche de la gouvernance
que nous avons adoptée est une vision systémique du dispositif. Analyser isolément le marché
des dirigeants, sans tenir compte de son articulation conjointe à d‟autres mécanismes, nous
conduirait à une conception appauvrie de son rôle, et en fausserait la compréhension.
"Puisque des mécanismes de contrôle alternatifs existent, l'utilisation plus importante d'un
mécanisme n'est pas forcément positivement liée à la performance de la firme. Lorsqu'un
mécanisme est moins utilisé, d'autres peuvent jouer un rôle supérieur, le résultat étant une
performance de même niveau. L'existence de mécanismes de contrôle alternatifs et leur
possible interdépendance rend les régressions reliant l'usage d'un mécanisme isolé à la
performance de la firme difficiles à interpréter" 56 (Agrawal et Knoeber, 1996, p. 378).
L'importance du rôle d'un mécanisme est influencée par le niveau d'intervention des autres
mécanismes opérant simultanément dans la firme (Rediker et Seth, 1995). "Les organisations
doivent considérer les différents mécanismes comme des substituts ou des compléments, étant
donnée l'interaction possible à l'intérieur et entre les différentes catégories de mécanismes de
gouvernance"57 (Coles et al. 2001, p.25). Dans leur analyse empirique du lien entre plusieurs
mécanismes et la performance de la firme, portant sur 144 entreprises américaines entre 1974
et 1988, ils parvenaient ainsi à la conclusion que par exemple la constitution du conseil
d'administration et la sensibilité de la rémunération aux résultats pouvaient se substituer : les
organisations ayant un conseil d'administration dominé par des internes, mais ayant mis en
place un système de rémunération très incitatif à la performance, avaient des résultats (estimés
par la MVA, market value added) équivalents ou supérieurs à celles ayant une majorité
d'administrateurs externes. Par contre la présence majoritaire d'administrateurs internes
combinée à une durée de mandat longue du dirigeant conduisait à des niveaux de performance
inférieurs.
56
Agrawal A., Knoeber C.R. (1996, p. 378) : "since alternative control mechanisms exist, greater use of one
mechanism need not to be positively related to firm performance. Where one specific mechanism is used less,
other may be used more, resulting in equally good performance. The existence of alternative control mechanisms
and their possible interdependence also make regressions relating the use of any single mechanism to firm
performance difficult to interpret".
57
Coles J.W., McWilliams V.B., Sen N. (2001, p. 25) : "organizations might consider using different
mechanisms as substitutes or complements, given the possible interaction both within and across different
categories of governance mechanisms".
163
Les relations pouvant exister entre les mécanismes, et leurs effets, sont complexes à
appréhender. Y-a-t-il alternance ou complémentarité ? S'il est plausible d'envisager que l'un
puisse remplacer l'autre, pour aboutir à un résultat équivalent, il est également envisageable
que leurs rôles s'ajoutent et viennent se renforcer mutuellement, permettant d'atteindre un
niveau de performance de la firme plus élevé (Agrawal et Knoeber, 1996). Charreaux (1991),
dans son analyse de 106 sociétés françaises cotées en 1980, concluait plutôt à des
phénomènes de substitution. Mais il a aussi souligné que si de tels effets avaient été identifiés,
la complémentarité était également probable et restait à étudier (Charreaux, 1997). Reprenant
la définition de Milgrom et Roberts (1992), il rappelait qu'il y avait complémentarité "lorsque
le renforcement de la contrainte exercée par un des mécanismes entraîne un accroissement de
celle associée à un autre mécanisme" (Charreaux, 1997, p. 438).
La littérature est riche sur l'interdépendance entre les mécanismes de gouvernance. Dans
une vision disciplinaire, les liens les plus étudiés sont ceux pouvant exister entre un
actionnariat dominant (institutionnels ou bloc), le conseil d'administration, le recours au
financement par dettes et le marché des prises de contrôle. Ainsi l'analyse empirique de
Jensen et al. (1992) sur 600 entreprises américaines en 1982 et 1987 a validé
l'interdépendance entre l'actionnariat interne et le recours à l'endettement financier, le premier
ayant une influence négative sur le second. Les auteurs justifiaient cette relation par la théorie
de l'agence et les théories du signal, les deux mécanismes permettant de réduire les coûts liés
à l'asymétrie d'information.
Mais la complexité de ces relations explique sans doute l'absence de consensus sur leur
existence, leur sens de causalité et leur incidence sur la performance de la firme. La
modélisation de l'interdépendance entre le conseil d'administration et le marché des prises de
contrôle, par exemple, conduisait Graziano et Luporini (2003) à conclure que le
comportement du conseil d'administration était influencé par les pressions du marché des
prises de contrôle. Lorsque celles-ci étaient fortes, elles pouvaient l'amener à ne pas utiliser
l'information qu'il détenait sur l'inefficacité du dirigeant, et donc à choisir de ne pas le
révoquer, afin de ne pas signaler son erreur, son incapacité au moment de la sélection et de la
nomination. Hirshleifer et Thakor (1998), au contraire, argumentaient que le conseil
d'administration était incité à révoquer plus facilement le dirigeant lorsque le marché des
prises de contrôle intervenait, car il était sous la menace d'être lui-même remplacé par
l'acquéreur externe. Les auteurs suggéraient une autre possibilité : concevoir les deux
164
mécanismes comme complémentaires, un marché des prises de contrôle actif conduisant à une
meilleure information, résultat de l'agrégation des informations détenues, d'une part, par le
conseil d'administration, d'autre part, par l'acquéreur. La probabilité de sanction d'un dirigeant
inefficace est alors forte, l'un ou l'autre des mécanismes pouvant en être à l'origine.
L'étude d'Agrawal et Knoeber (1996) a également validé empiriquement l‟existence d‟effets
de complémentarité ou de substituabilité entre les mécanismes de gouvernance. Dans leur
réflexion sur ces imbrications, ils envisageaient notamment que le marché managérial facilite
l'intervention du marché des prises de contrôle : "une plus grande confiance dans le marché du
travail des dirigeants signifie qu'un dirigeant appréhende moins d'être remplacé. En
conséquence, il résistera probablement moins à une tentative de prise de contrôle"58 (Agrawal
et Knoeber, 1996, p. 380). Cependant, si leurs résultats statistiques faisaient ressortir les
interdépendances entre par exemple le marché des prises de contrôle et un actionnariat
dominé par un bloc, ils aboutissaient principalement en ce qui concernait le marché du travail
des dirigeants à un seul sens de causalité : il n'affectait pas ou peu les autres mécanismes
étudiés, mais son rôle était réduit par la présence de blocs d'actionnaires ou d'actionnaires
institutionnels, et il était au contraire renforcé en présence d'actionnaires externes actifs.
La vision systémique était déjà présente dans les travaux de Fama (1980), qui suggérait
même une hiérarchisation de l'intervention des différents mécanismes : dans son étude des
sociétés managériales, le marché des dirigeants était présenté comme le mécanisme
disciplinaire principal. Les actionnaires recherchant la diversification de leur portefeuille pour
réduire le risque étaient moins impliqués dans la supervision des entreprises où ils étaient au
capital. Le conseil d‟administration était vu comme une institution induite par le marché
managérial, le mécanisme interne de contrôle ultime. Enfin le marché des prises de contrôle
constituait la solution de dernier ressort. Une autre interdépendance avec le marché des
dirigeants avait été analysée par Jensen et Meckling (1976) : celle du marché financier, leurs
travaux mettant en évidence le rôle conjoint des marchés.
Il apparaît cependant que l'analyse reste à compléter et à approfondir en ce qui concerne les
interactions du marché des dirigeants avec les autres mécanismes. La compréhension par
exemple de la fonction fondamentale d‟évaluation du marché managérial se conçoit
58
Agrawal A., Knoeber C.R. (1996, p. 380) : "greater reliance on the external managerial labor market means
that a manager has less to fear from displacement. As a consequence, he is likely to resist a takeover attempt."
165
difficilement sans prendre en compte le rôle de sélection des dirigeants assuré par le conseil
d‟administration. De même la complémentarité avec le marché financier, pouvant servir de
base à l‟information sur la performance, élément pris en compte dans l‟évaluation, mérite une
attention particulière.
Nous allons donc examiner pour chacune des voies d‟intervention que nous avons
identifiées aux chapitres II, III et IV, quels principaux mécanismes sont susceptibles
d‟interagir avec le marché des dirigeants. Nous chercherons à comprendre la nature des liens
qui peuvent exister entre eux, et nous nous concentrerons sur le sens de causalité qui nous
intéresse directement pour notre modélisation : comment et dans quelle mesure le rôle du
marché managérial peut-il être modifié par celui joué par les autres mécanismes ?
7.1. Interdépendance avec la fonction d'évaluation du marché des dirigeants
Deux mécanismes principalement apparaissent jouer un rôle dans l'évaluation des
dirigeants, et ainsi interférer avec celui du marché managérial : le conseil d'administration et
le marché financier. Un autre serait susceptible d'en faire varier l'intensité : le marché des
prises de contrôle.
7.1.1. Le conseil d'administration
Le conseil d'administration joue de manière évidente un rôle très imbriqué avec celui du
marché managérial dans la fonction d'évaluation du dirigeant. Un des rôles principaux des
administrateurs est de décider le changement de dirigeant et de choisir un successeur. Ils
peuvent s‟appuyer sur l‟information et l‟évaluation fournies par le marché managérial pour
effectuer leur sélection. Ce sont généralement eux qui ont en charge de définir le profil du
poste et du candidat souhaité pour ce poste. Comme nous l'avons développé au chapitre II,
paragraphe 2.1.3., l'adéquation des qualités et compétences du candidat aux besoins exprimés
par la firme est une des trois grandes familles de critères de sélection d'un dirigeant (Vancil,
1987, Castanias et Helfat, 1991, Finkelstein et Hambrick, 1996, Khurana, 2003). Dans ce
schéma, une complémentarité potentielle entre les deux mécanismes se dessine : l‟efficacité
du rôle du conseil d‟administration, sa capacité à bien définir le profil de dirigeant nécessaire
à la firme, et la qualité de l‟évaluation du capital humain du dirigeant par le marché
managérial contribueraient conjointement à l'efficience de la sélection.
166
L‟expérience des administrateurs en matière de recrutement des dirigeants serait un facteur
de réussite de la sélection (Parise, 2007). S‟ils ont eu à décider un changement de dirigeant
dans leur entreprise, ou dans un autre conseil d‟administration, ils sont mieux à même
d‟analyser le profil du candidat, de définir les besoins de la firme et l‟alignement de ces deux
composantes. Le conseil d‟administration doit être capable de comprendre les challenges
stratégiques auxquels le dirigeant devra faire face, de même qu‟évaluer la direction future que
devrait prendre l‟entreprise. C‟est lui qui va définir les dimensions du poste et par là le profil
requis pour le futur dirigeant. Le candidat le plus proche de cette attente sera alors recruté, en
s'appuyant sur l‟information fournie par le marché managérial et la compétition qu'il a
organisée.
L'influence des caractéristiques des administrateurs sur le choix d'un nouveau dirigeant
aurait également une autre conséquence : pour Zajac et Westphal (1996), les administrateurs
favoriseraient les candidats ayant un profil proche du leur, l'attraction vers des personnes
semblables faisant partie des forces sociales et psychologiques fondamentales. Cette
interférence avec l'évaluation du dirigeant effectuée par le marché managérial peut être
interprétée négativement, si elle se substitue à elle et aboutit à des conclusions opposées, ou,
au contraire, positivement si, en apportant une meilleure connaissance du candidat, elle
permet de réduire l'asymétrie d'information et d'améliorer l'évaluation. En outre, les
similitudes entre le nouveau dirigeant et certains administrateurs peuvent faciliter la
communication entre eux, limiter les conflits et faciliter l'intégration du nouveau venu
(O'Reilly et al., 1989).
7.1.2. Le marché financier
Parmi les différentes fonctions habituellement attribuées au marché boursier, deux nous
intéressent plus particulièrement : d‟une part il permet l‟échange d‟actions de la société, c‟està-dire le droit de contrôler l‟entreprise, d‟autre part il assure l‟évaluation de la valeur de la
firme pour les actionnaires. De ce fait il fournit également une évaluation de la performance
des dirigeants : "l'évaluation par le marché des actions reflète la valeur des décisions
managériales" (Charreaux, 1995, p. 140). Pour Fama (1980), la performance enregistrée par
les entreprises où le dirigeant a exercé précédemment constitue un mode d'évaluation de la
valeur du capital humain du dirigeant. Dans de nombreuses études, l‟hypothèse est faite que le
167
capital managérial est indirectement évalué par le marché financier. Lorsqu‟une société est
cotée, l‟évolution du cours de bourse est en effet souvent une manière d‟estimer les
performances. Ang et al. (2003) ont validé l'existence de la relation inverse : le marché
managérial influencerait également le marché financier. Les investisseurs acquièrent de
l‟information du marché des dirigeants et réagissent rationnellement à cette annonce. Ainsi le
recrutement d‟un dirigeant mieux payé, ce qui suppose des compétences supérieures,
engendrera une hausse des cours, les investisseurs anticipant une hausse à venir de la
performance de la firme.
L'imbrication de ces deux mécanismes apparaît donc relever de la complémentarité, plutôt
que de la substitution. L'information relative à la performance transmise par le marché
financier est fréquemment une composante de l'évaluation du dirigeant effectuée par le
marché managérial. Elle est supposée en améliorer l'efficience, en levant une partie de
l'asymétrie d'information sur les capacités du dirigeant.
7.1.3. Le marché des prises de contrôle
Il est susceptible d'intervenir sous deux formes. La première serait de réduire l'asymétrie
d'information portant sur les compétences et la performance du dirigeant. L'acquéreur est
souvent mieux informé des conditions du secteur et mieux à même de juger la pertinence de la
politique suivie par la firme que les administrateurs (Jensen et Ruback, 1983, Hirshleifer et
Thakor, 1998), ce qui devrait participer à améliorer la qualité de l'évaluation du dirigeant. La
seconde serait d'augmenter la volonté de recourir au marché managérial pour recruter un
nouveau dirigeant (Jensen et Ruback, 1983, Jensen, 1988).
7.2. Interaction des mécanismes relativement à la sanction
Le marché des dirigeants, comme nous l'avons développé au chapitre III, paragraphe 3.1.1.,
peut intervenir dans la sanction d'un dirigeant, soit en favorisant la décision de l'évincer car il
offre des candidats de qualité supérieure, soit en empêchant le dirigeant révoqué de retrouver
des conditions de travail équivalentes.
"L'efficacité partielle du contrôle par le marché du travail justifie l'intervention de
mécanismes complémentaires, principalement le conseil d'administration et les prises de
168
contrôle" (Charreaux, 1995, p. 143). La sanction d'un dirigeant sous la forme de sa révocation
peut être décidée par le conseil d'administration, ou être provoquée par un actionnaire
dominant ou le marché des prises de contrôle. De même les créanciers prêteurs peuvent
exercer des pressions pour que le dirigeant soit révoqué (Shleifer et Vishny, 1997). Lorsque le
conseil d'administration est défaillant, l'un de ces mécanismes peut se substituer et provoquer
le départ du dirigeant (Hirshleifer et Thakor, 1998). Ces quatre mécanismes sont alors
susceptibles de jouer un rôle en interdépendance avec celui du marché managérial. Nous
allons chercher à comprendre de quelle manière.
7.2.1. Le conseil d'administration
Le conseil d‟administration est l‟organe élu par les actionnaires pour exercer le contrôle des
dirigeants (Alchian et Demsetz, 1972). C'est "l'instance qui contrôle, d'une manière formelle,
l'organisation" (Mintzberg, 2003, p. 109). Il est composé de différents membres officiellement
désignés pour y siéger, qui peuvent être internes ou externes à l'organisation. Comme le
souligne Mintzberg, la loi ne prévoit pas de conditions requises pour être administrateur, ce
qui l'amène à conclure qu'être membre du conseil d'administration est "une question
d'influence et de négociation" (Mintzberg, 2003, p. 119). Il relève de la responsabilité du
conseil d'administration de s'assurer que les dirigeants agissent dans l'intérêt des actionnaires
(Fama, 1980, Fama et Jensen, 1983), ou, dans une perspective partenariale, dans celui de
l'ensemble des parties prenantes. Le rôle principal du conseil d'administration consiste à
surveiller l'équipe de direction et à la remplacer si nécessaire (Shleifer et Vishny, 1989). Dans
l‟analyse disciplinaire, il s‟agit souvent d‟un contrôle a posteriori, les fonctions de décision
incombant aux dirigeants. Le conseil d‟administration dispose de deux leviers principaux pour
assurer son rôle disciplinaire : agir sur le système de rémunération des dirigeants et les
révoquer (Godard, 1996). Une de ses fonctions est d'exercer un contrôle direct pendant les
périodes de crise, principalement en décidant de changer un dirigeant dont les performances
ou la direction ne sont pas celles attendues (Mace, 1971, Mintzberg, 2003). En France, deux
tiers des conseils d'administration avaient la capacité réelle de révoquer le dirigeant dans
l'étude de Charreaux et Pitol-Belin (1989), cette proportion s'élevant à 87% dans le cas des
sociétés managériales, et chutant à 65% dans les sociétés contrôlées et 49% pour les sociétés
familiales.
169
Le lien entre le rôle disciplinaire du changement de dirigeant et les caractéristiques du
conseil d‟administration fait l'objet d'une littérature abondante, mais qui n'aboutit pas à des
conclusions convergentes. Pour les États-Unis, l‟influence de la composition du conseil
d'administration a, par exemple, été mise en évidence dans les travaux de Weisbach (1988) :
les dirigeants peu performants étaient plus fréquemment évincés lorsque le conseil
d‟administration était dominé par des externes. Dans l'étude d'Agrawal et Knoeber (1996) au
contraire, il ressortait que le taux de rotation des dirigeants n‟était pas corrélé à la composition
du conseil d'administration. De même Baysinger et Hoskinsson (1990) concluaient que les
administrateurs externes n'assuraient pas forcément un meilleur contrôle des dirigeants.
Renneboog et Trojanowki (2003) trouvaient un résultat intermédiaire dans leur étude portant
sur 250 firmes anglaises cotées entre 1988 et 1993 : les conseils d'administration de plus
grande taille, ou ayant une proportion élevée d‟administrateurs non cadres de l‟entreprise,
changaient plus fréquemment de dirigeant, mais la proportion d‟externes n‟était pas corrélée
significativement au taux de rotation. Pour la France, les travaux de Godard (1996) ont fait
ressortir que "les contrôles exercés par les administrateurs externes et les administrateurs
cumulant plus de cinq mandats n'influent pas de façon significative sur la performance des
entreprises" (p. 436).
Denis et Denis (1995) validaient également l'interdépendance des mécanismes, plutôt dans
le sens d'une complémentarité que d'une substitution. Les auteurs analysaient le levier de la
sanction relativement au conseil d‟administration, dont le rôle est de démettre les dirigeants
inefficaces et d‟être à même d‟identifier et d‟attirer des successeurs de qualité supérieure. Les
résultats de leur étude les ont conduits à confirmer l‟intervention du conseil d‟administration
(surveillance et contrôle), mais conjointement à d‟autres mécanismes pour 56% des firmes
étudiées : prises de contrôle, bloc d‟actionnaires dominant, créanciers, … Dans 70% des cas
de départs forcés, une activité de prise de contrôle était recensée l‟année précédant le
changement de dirigeant ou dans les deux années qui suivaient. A aucun moment le marché
managérial n‟est évoqué explicitement, bien que le phénomène de sanction puisse lui être
affecté, et la possibilité de trouver des successeurs plus compétents n‟est pas analysée.
La complémentarité potentielle entre ces deux mécanismes semble d'autant plus évidente
que le rôle du marché des dirigeants ne peut s'exercer que si le conseil d'administration prend
la décision d‟évincer un dirigeant inefficace. Si ce n'est pas le cas, par exemple parce qu‟il a
noué des relations amicales avec lui, le marché managérial ne participera pas à sa sanction, ou
170
tardivement lorsque le dirigeant finira par quitter l'entreprise, en l‟empêchant de retrouver un
poste équivalent. L'efficience du marché des dirigeants serait alors liée à celle du conseil
d'administration, cette dernière étant généralement considérée comme fonction de sa
composition, même si les résultats des études empiriques ne font pas l'objet d'un consensus.
7.2.2. Le marché des prises de contrôle
La menace d‟éviction apparaît également dans la littérature comme un levier disciplinaire
du marché des prises de contrôle. La probabilité d'une prise de contrôle augmente chez les
entreprises insuffisamment rentables ou en pertes (Alchian et Demsetz, 1972). Ce mécanisme
peut se substituer au conseil d'administration dans son rôle de sanction, en évinçant un
dirigeant inefficient que les administrateurs n'ont pas démis de ses fonctions malgré des
signaux internes de sous performance, ou jouer un rôle complémentaire, en incitant les
administrateurs à révoquer le dirigeant, pour ne pas être considérés comme laxistes par
l'acquéreur potentiel (Hirshleifer et Thakor, 1998). L'estimation qu'une nouvelle équipe
dirigeante puisse avoir des performances supérieures est souvent une des motivations de
l'acquéreur, qui dès l'opération réalisée, révoque le dirigeant en place. Le marché des
dirigeants complète le marché des prises de contrôle dans le dispositif disciplinaire des
dirigeants (Pérez, 2003). Très peu de prises de contrôle sont hostiles, mais qu'elles soient
amicales ou non, elles constituent une menace de perte de fonction pour les dirigeants : "les
prises de contrôle s'effectuent généralement parce qu'un changement technologique ou une
évolution des conditions de marché nécessitent une restructuration importante des actifs de la
société, et que celle-ci est plus facile à mettre en place par une nouvelle équipe dirigeante,
avec une vue neuve de l'activité et sans liens avec les employés ou les communautés" 59
(Jensen, 1988, p. 23). Lorsque la stratégie du dirigeant n'est plus adaptée compte tenu des
évolutions de l'environnement, le marché des prises de contrôle est souvent un déclencheur de
son départ.
La sanction est plus généralement décidée lorsque le dirigeant a obtenu de mauvaises
performances. Pour Walsh et Seward (1990), le marché des prises de contrôle jouerait un rôle
de complémentarité avec celui de sanction du marché des dirigeants. Dans la plupart des cas,
59
Jensen M.C. (1988, p. 23) : "Takeovers generally occur because changing technology or market conditions
require a major restructuring of corporate assets, and it is easier for new top-level managers with a fresh view of
the business and no ties with current employees or communities (…)".
171
la prise de contrôle d‟une société engendre le remplacement des dirigeants non performants
(Agrawal et Knoeber, 1996). L'éviction des dirigeants non performants est plus fréquente sous
la pression du marché des prises de contrôle, que celles-ci soient amicales ou hostiles (Martin
et McConnell, 1991). Dans leur étude portant sur 253 offres publiques aux États-Unis entre
1958 et 1984, 41,9% des dirigeants étaient remerciés dans l'année suivant l'offre. Pour la
plupart, la firme qu'ils géraient extériorisait avant la prise de contrôle une performance
boursière inférieure à celle de la moyenne du secteur. De même Jensen (1988) estimait que
50% des dirigeants de la société cible étaient remplacés dans les trois ans suivants la prise de
contrôle. L'obligation de quitter la firme n'est pas la seule façon de sanctionner : les
dirigeants, consécutivement à une prise de contrôle, peuvent se voir imposer des coûts
personnels, comme des mutations internes, la perte de pouvoir et de prestige… (Jensen,
1988). Les départs forcés sont souvent liés au rôle disciplinaire du marché des prises de
contrôle (Denis et Denis, 1995). Les dirigeants quittent à un taux supérieur à la normale une
entreprise ayant été rachetée dans les neuf ans. Ce taux est plus élevé s‟il s‟agit d‟un rachat
par un groupe international (Krug, 2003). Parmi les hypothèses proposées par Walsh et
Seward (1990) sur l‟origine des gains liés aux prises de contrôle, figure l‟élimination de
dirigeants inefficaces. Citons enfin Fama et Jensen (1983), qui considèrent qu‟une des
motivations majeures des prises de contrôle consiste à reprendre des entreprises mal gérées et
à chercher à dégager des plus values par une meilleure gestion, permise notamment par le
remplacement des dirigeants en place par une équipe plus efficace. Cette thèse se retrouve
également dans les travaux de Jensen et Ruback (1983), pour qui le changement de dirigeants,
dont l'incompétence ou l'opportunisme sont jugés trop coûteux, permet d'améliorer les
résultats lorsque la firme possède un potentiel de croissance, non valorisé par l'équipe en
place. Le marché des prises de contrôle engendrant des coûts élevés, il est plutôt considéré
comme un mécanisme de dernier recours pour discipliner les dirigeants, n'intervenant que
dans les cas d'échecs majeurs de performance (Charreaux, 1995, Shleifer et Vishny, 1997), ou
comme un moyen imparfait de corriger les erreurs managériales (Hirshleifer et Thakor, 1998).
Cette vision du rôle disciplinaire du marché des prises de contrôle appelle cependant
plusieurs réflexions. Tout d'abord, l'activité de ce marché n'est pas constante dans le temps et
varie d'un pays à l'autre. Par exemple en France, les prises de contrôle ou les offres hostiles
sont peu fréquentes. Elles ne seraient que onze sur la période 1981 à 1991 selon l‟étude de
Schatt (1995). Ensuite, la motivation d'une prise de contrôle n‟est pas forcément de
sanctionner une mauvaise gestion, elle peut avoir pour cible une société performante mais
172
constituant un concurrent que l'acquéreur souhaite neutraliser, ou encore une entreprise
recherchée pour sa rentabilité. La perte de mandat des dirigeants consécutive à une prise de
contrôle peut traduire une sanction due à une performance jugée insuffisante, mais aussi être
simplement la conséquence d‟une opération de restructuration traduisant une meilleure
utilisation des ressources existantes.
En conclusion, la relation attendue entre le rôle exercé par le marché des prises de contrôle
et celui assuré par le marché des dirigeants, relativement au levier de la sanction, semble
relever de la complémentarité, plutôt que de la substitution, comme pour le conseil
d'administration. En effet si le marché managérial est susceptible d'intervenir en amont, en
facilitant la décision de remplacer le dirigeant par son offre de candidats attractifs, et en aval
en empêchant le dirigeant sanctionner de retrouver un poste équivalent, il exercera son rôle de
manière explicite si le nouvel acquéreur décide de révoquer l'actuel dirigeant pour ses
performances insuffisantes, ou jugées inférieures à celles réalisables par des concurrents
potentiels sur le marché du travail.
7.2.3. La présence d'un actionnaire dominant
La définition d'actionnaire dominant varie d'une étude à une autre, la limite la plus
fréquemment utilisée étant la détention d'au moins 10% du capital et des droits de contrôle.
Aux États-Unis, l'actionnariat concentré n'est pas la forme la plus développée, mais il existe
cependant des firmes détenues majoritairement par une famille ou un investisseur de grande
taille (Shleifer et Vishny, 1997). Les auteurs soulignent également qu'il est fréquent dans
d'autres pays : en Allemagne, les banques sont souvent largement présentes au capital des
grandes sociétés, et les petites et moyennes entreprises sont majoritairement sous contrôle
familial ; au Japon, les banques sont également fréquemment des actionnaires importants dans
les firmes.
Plus la structure de propriété est dispersée, plus les coûts d'agence sont élevés (Jensen et
Meckling, 1976). A contrario, l'existence d'un actionnaire dominant serait source de réduction
de ces coûts. Il est incité à s'informer sur le comportement du dirigeant et à le surveiller, il
dispose en outre de droits de vote suffisants pour pouvoir influencer ses décisions s'il le
souhaite (Shleifer et Vishny, 1997). Les problèmes d'agence sont réduits car les actionnaires
dominants ont "à la fois un intérêt général dans la maximisation du profit, et suffisamment de
173
pouvoir de contrôle sur les actifs de la firme pour voir leurs intérêts respectés"60 (Shleifer et
Vishny, 1997, p. 754). La surveillance et le contrôle exercés par les blocs d'actionnaires sont
créateurs de valeur dans la firme (Demsetz et Lehn, 1985, Zeckhauser et Pound, 1990). En
cas de mauvaise performance, le dirigeant a un risque plus élevé d'être révoqué lorsqu'il y a
un actionnaire dominant (Kaplan et Minton, 1994, étude du cas japonais, Denis et Serrano,
1996, analyse du marché américain). Lorsque la part de capital détenue par le principal
actionnaire est élevée, c'est lui qui détient le pouvoir de révoquer le dirigeant ; les possibilités
de contrôle, et notamment de sanction, par le conseil d'administration sont alors réduites au
profit de l'actionnaire dominant (Charreaux, Pitol-Belin, 1989).
La présence d'un actionnaire dominant serait alors un catalyseur pour l'intervention du
marché managérial, provoquant la décision de forcer le départ du dirigeant, accélérant ainsi
l'éventualité d'un recours au marché du travail pour recruter son successeur, et offrant au
marché des dirigeants la possibilité de sanctionner le dirigeant sortant en l'empêchant de se
replacer dans des conditions équivalentes. Les rôles des deux mécanismes apparaissent
comme complémentaires.
7.2.4. Les créanciers prêteurs
Les liens étroits qui existent fréquemment entre la firme et ses principaux banquiers leur
donnent la possibilité d‟accéder à des sources internes d‟information et aux processus
décisionnels, renseignements qui ne sont pas disponibles sur le marché financier ou à un coût
élevé. Les banques, en participant à la surveillance des dirigeants, représentent un moyen
d‟économiser des coûts de contrôle, l‟accès à l‟information étant moins coûteux. Le plus
fréquemment, les prêteurs financiers contrôlent la politique d‟investissement et de
financement de l‟entreprise. Ils peuvent augmenter leur capacité de contrôle en prenant une
part au capital ou encore en obtenant un siège d‟administrateur.
Les organismes financiers, prêteurs de capitaux, assument généralement une fonction de
contrôle car ils veulent éviter que les dirigeants utilisent les fonds pour financer des activités
plus risquées, ce qui les conduirait à assumer une part de risque supérieure à celle prévue
initialement. Ils peuvent demander des garanties, et exiger un droit de regard sur l‟entreprise.
60
Shleifer A., Vishny R.W. (1997, p. 754) : "they both have a general interest in profit maximization, and
enough control over the assets of the firm to have their interests respected".
174
N‟appartenant pas à la catégorie des créanciers super privilégiés, en cas de défaillance ils
récupèrent rarement l‟intégralité des fonds prêtés, et sont donc fortement incités à limiter
l‟espace discrétionnaire du dirigeant par différents moyens, tels que des clauses contractuelles
spécifiques. Comme les actionnaires, les créanciers prêteurs peuvent susciter des
réorganisations dans l'entreprise et inciter le conseil d'administration à changer de dirigeant
(Shleifer et Vishny, 1997). Lorsque les dettes ne sont plus remboursées par l'entreprise, ils ont
le pouvoir de provoquer son dépôt de bilan, entraînant quasi systématiquement la révocation
du dirigeant (Gilson, 1990). Comme le marché des prises de contrôle, leur rôle de sanction est
souvent une intervention de dernier recours, leur discipline s'exerçant lorsque l'entreprise
connaît déjà une situation financière critique (Harris et Raviv, 1990). Les auteurs soulignent
qu'inversement la capacité d'une firme à honorer ses engagements, c'est-à-dire à rembourser
les crédits qui lui ont été octroyés, est également une source d'information pour l'extérieur. Si
les actionnaires ne sont pas certains de la qualité du management et de ses décisions, le
recours à la dette permet de générer de l'information complémentaire.
Dans une modélisation des interactions à l'intérieur du SGE, les créanciers prêteurs
apparaissent donc comme un mécanisme pouvant agir en complémentarité du marché des
dirigeants. D'une part, ils peuvent être un moteur additionnel dans la décision de révocation.
D'autre part, le signal qu'ils transmettent alors à l'extérieur est susceptible de constituer une
source d'information pour le marché du travail managérial, l'incitant à empêcher ce dirigeant
de retrouver des fonctions équivalentes dans une autre entreprise, sa réputation étant entachée
par les difficultés financières rencontrées et l'échec pour trouver un compromis avec les
créanciers.
7.2.5. Le marché des biens et services
Le marché des biens et services est considéré comme un mécanisme spontané de discipline
des dirigeants. Il est supposé jouer un rôle disciplinaire dans le système de gouvernance, à
travers la compétition qu'il engendre entre les firmes. Le lien entre la compétition et la
performance a été mis en évidence par plusieurs auteurs (Nickell, 1996, Berger et Hannan,
1998). Dans le modèle de Leibenstein (1966), les firmes monopolistiques sont moins poussées
à utiliser de manière efficiente leurs inputs que les firmes en situation de concurrence.
175
La compétition que se livrent les entreprises entre elles pour offrir aux consommateurs les
produits qu‟ils attendent avec le meilleur rapport qualité-prix possible peut constituer un frein
à la liberté d‟action des dirigeants. Le marché des biens et services réduirait le slack
managérial (Leibenstein, 1966, Machlup, 1967). En effet, les avantages que ces derniers
souhaiteraient s‟octroyer ayant une incidence sur les prix de vente, toute déviation dans le
comportement des dirigeants entraînerait une baisse de la compétitivité de l‟entreprise. Mais
la littérature soulève aussi les effets ambigus d'une hausse de la concurrence sur l'incitation
des dirigeants, ceux-ci pouvant être découragés par les difficultés rencontrées et le retour sur
investissement.
Le marché des biens et services interviendrait également sur le taux de rotation des
dirigeants. Fee et Hadlock (2000) ont confirmé un lien positif entre celui-ci et le niveau de
compétitivité auquel la firme est confrontée, dans leur étude du secteur de la presse aux ÉtatsUnis entre 1950 et 1993. Ils ont proposé trois explications à cette relation. La première tient
au fait que lorsque la concurrence est élevée, l'importance du dirigeant dans la performance se
réduit. Mais les auteurs pensent plutôt que les capacités et les efforts des dirigeants ont au
contraire plus d'effet dans les firmes appartenant à un secteur très concurrentiel. La seconde
consiste en une amélioration de la qualité de l'information pour évaluer les dirigeants dans les
secteurs concurrentiels. La troisième attribue la fréquence plus élevée des changements dans
les secteurs où la compétition est forte à la propension des dirigeants à rechercher un autre
poste car le leur présente un risque trop élevé. Les auteurs n'ont validé que la dernière
justification. Le marché des biens et services serait alors un catalyseur pour le marché
managérial, en augmentant la fréquence des changements et le recours au marché du travail.
Un autre argument en faveur de la complémentarité entre les deux mécanismes est constitué
par l'existence d'un lien entre le niveau de compétition des firmes et la possibilité de disposer
d'une évaluation de performance relative pour estimer les capacités de leurs dirigeants. Cette
relation a été mise en avant dans les travaux de Lazear et Rosen (1981) et Holmström (1982).
Une meilleure connaissance de la valeur des dirigeants permettrait aussi de mettre en évidence
plus rapidement leur sous-performance, d'où un taux de rotation plus élevé dans les secteurs
concurrentiels. La menace de la sanction est plus forte dans ces secteurs car les écarts sont
détectés plus rapidement, mais aussi car ils peuvent conduire à la liquidation de l'entreprise si
des mesures ne sont pas prises (Schmidt, 1997). C'est donc également un mécanisme curatif.
Si le marché des dirigeants n‟a pas sanctionné les déficiences, le marché des biens et services
176
le fera, avec des conséquences plus sévères : dépôt de bilan, redressement judiciaire…, et
généralement révocation du dirigeant. Le marché des biens et services entraîne une hausse des
coûts des erreurs stratégiques : les décisions de succession doivent de plus en plus être
guidées par les motivations de l‟entreprise en terme de besoins stratégiques futurs (Gupta,
1992). Mais le lien entre la variation de la sensibilité du taux de rotation des dirigeants à la
performance et le niveau de concurrence ne fait pas l'objet d'un consensus : Fee et Hadlock
(2000) par exemple ne trouvaient pas de preuve de cette relation.
Le risque de sanction par le marché des biens et services semble donc augmenter le recours
au marché des dirigeants et pouvoir renforcer son rôle dans le système de gouvernance des
entreprises. L'interaction entre les deux mécanismes apparaît relever de la complémentarité.
7.3. Interdépendance des mécanismes sur la récompense des dirigeants performants
Trois des mécanismes étudiés pour leur rôle dans la sanction peuvent être également à
l'origine de la décision de la nomination ou de la récompense d'un nouveau dirigeant : le
conseil d'administration, un actionnaire dominant ou le marché des prises de contrôle. Nous
allons étudier comment ils sont susceptibles d'interférer avec la seconde voie d'intervention
disciplinaire du marché managérial, la récompense des dirigeants compétents. La littérature
est moins riche sur ce levier, nous essayons d'en déduire cependant quelles peuvent être les
conséquences de l'action de ces mécanismes sur le rôle du marché des dirigeants.
7.3.1. Avec le conseil d'administration
Le conseil d'administration joue un rôle prépondérant dans la nomination du dirigeant. C'est
une de ses fonctions principales, qu'il délègue rarement, sauf parfois à un de ses membres, par
exemple le dirigeant sortant (Mintzberg, 2003). En France, dans les sociétés managériales, il
apparaissait comme un élément clé de sa promotion dans 88% des cas, par contre son
intervention était réduite au sein des sociétés familiales : 54%, et contrôlées : 49% (Charreaux
et Pitol-Belin, 1989). Il participe de ce fait activement à la récompense des dirigeants
compétents. Le marché du travail managérial véhicule une information d'une part sur les
qualités du dirigeant, transmettant des signaux quant à ses compétences managériales et ses
performances dans ses postes précédents, d'autre part sur l'existence et les capacités d'autres
candidats éventuels. Mais le pouvoir de décision est entre les mains du conseil
177
d'administration, qui peut soit avoir recours au marché des dirigeants, soit choisir un autre
vecteur pour recruter le nouveau dirigeant, par exemple se contenter des recommandations de
son prédécesseur, ou encore pressentir un candidat de ses relations, sans le mettre en
concurrence.
Le conseil d'administration dispose d'un second moyen pour récompenser un dirigeant : lui
attribuer une rémunération plus élevée. C'est un autre levier qu'il peut utiliser pour discipliner
les dirigeants. Là encore les deux mécanismes peuvent être envisagés comme
complémentaires. Le marché managérial, fournisseur d‟information, offre au conseil
d'administration la possibilité de connaître des niveaux de salaires de référence, de comparer
son offre à celles émises par les autres entreprises. Compte tenu de la compétition entre les
firmes pour attirer le meilleur dirigeant, la confrontation de l‟offre et de la demande sur le
marché du travail contribue à la détermination de la rémunération proposée au dirigeant. Le
salaire du dirigeant est fonction du niveau de responsabilité assumé, mais aussi des niveaux
de rémunération sur le marché du travail (Milkovich et Newman, 1987). Mais il est fixé au
final par le conseil d'administration. Les actions des deux mécanismes apparaissent alors
contribuer conjointement à la récompense d'un dirigeant compétent, et, de ce fait, sont
réciproquement nécessaires pour inciter le dirigeant à être performant et à agir dans l'intérêt
des actionnaires ou des parties prenantes.
7.3.2. La présence d'un actionnaire dominant
La présence de blocs d‟actionnaires externes actifs constituerait une pression pour
s‟appuyer davantage sur le marché managérial pour évaluer les dirigeants. Elle accélèrerait et
faciliterait la récompense des dirigeants performants en offrant une promotion à des candidats
externes, de la même manière qu'elle favorisait la sanction et le départ des dirigeants
inefficaces en place. Dans leur analyse portant sur 400 grandes entreprises américaines de
Forbes en 1987, Agrawal et Knoeber (1996) recherchaient la preuve d'interdépendances entre
un actionnariat important interne, l'existence de blocs d'actionnaires, l'actionnariat
institutionnel, la présence d'externes au conseil d'administration, l'utilisation de dettes
financières, le marché des prises de contrôle, et, ce qui nous concerne plus particulièrement, le
recours au marché du travail des dirigeants. Celui-ci était opérationnalisé comme étant
l'inverse du capital humain spécifique à la firme, mesuré par la durée depuis laquelle le
dirigeant était à la tête de la firme. Les auteurs parvenaient à la conclusion que le rôle du
178
marché managérial était réduit par la présence de blocs d'actionnaires ou d'actionnaires
institutionnels, mais qu'il était au contraire renforcé en présence d'actionnaires externes
actifs : ceux-ci "créent une pression pour s'appuyer davantage sur le marché du travail pour
évaluer les dirigeants"61 (Agrawal et Knoeber, 1996, p. 389).
Grossman et Hart (1980) ont mis en évidence qu'un externe sera incité à s'impliquer dans la
surveillance du dirigeant et la bonne marche de la firme s'il devient actionnaire de la société,
la détention d'actions le récompensant de manière proportionnelle à la création de valeur
additionnelle consécutive à son action. Shleifer et Vishny (1986) ont poursuivi leur analyse en
s'intéressant aux actionnaires importants déjà en place, et leur capacité à susciter des
changements augmentant la valeur de la firme. Pour améliorer la stratégie opérationnelle de
l'entreprise, ils seraient fréquemment des moteurs dans la décision de remplacer le dirigeant,
et permettre ainsi à un candidat, jugé plus compétent, de prendre sa place, en s'appuyant
notamment sur le marché des prises de contrôle. Comme Grossman et Hart, Shleifer et Vishny
cherchent à montrer que plus un actionnaire détient de parts de la société, plus il est incité à
s'impliquer, le bénéfice qu'il en obtiendra étant supérieur aux coûts de contrôle engendrés.
L'importance de ses actions, par exemple parvenir à faire changer le dirigeant, serait fonction
des profits espérés. Il serait particulièrement vigilant sur le choix du remplaçant, recruté pour
sa capacité à générer des rentes supplémentaires. Pour Shleifer et Vishny, sa taille lui donne
accès à des informations et des techniques de surveillance permettant une meilleure vision des
potentialités d'amélioration de la firme.
Un actionnaire dominant peut jouer un rôle dans la récompense des dirigeants en motivant
l'arrivée d'une nouvelle équipe jugée pouvant être plus performante que la précédente, mais
également, sans changement de dirigeant, en contribuant à augmenter la rémunération du
dirigeant en place. Comme le soulignent Shleifer et Vishny (1986), l'achat important de parts
de la société par un actionnaire contribue à l'augmentation de la valeur de la firme et des
profits espérés de celle-ci. Une majorité de dirigeants étant intéressée financièrement aux
résultats de l'entreprise, ceux qui ont été conservés à la tête de la société car ils ont été évalués
comme étant compétents et d'un profil adapté aux besoins de la firme, se retrouvent
mécaniquement récompensés. Un autre argument vient des travaux d'André et Schiehll
(2004), qui, à partir de leur étude de 178 sociétés canadiennes cotées à Toronto, sur la période
61
Agrawal A., Knoeber C.R. (1996, p. 389) : "active outside shareholders create pressure to rely more on the
labor market to evaluate managers".
179
1997-1999, ont validé empiriquement le lien entre la présence d'un actionnaire dominant et la
structure de rémunération des dirigeants, constatée beaucoup plus incitative. Les perspectives
d'augmentation de salaire, sous réserve de performance, seraient ainsi plus élevées en cas
d'actionnariat dominant, et favoriseraient la récompense des dirigeants compétents.
La présence d'un actionnaire important apparaît donc comme jouant un rôle dans la
récompense des dirigeants. Il ressort de la littérature qu'elle est généralement conjointe au
recours au marché managérial, ce qui semble traduire une complémentarité des deux
mécanismes, le marché des dirigeants bénéficiant de
son action, par une hausse de la
fréquence des changements, par les apports de son implication dans une bonne définition du
profil du candidat, du poste et des potentialités de développement de la firme et enfin par son
influence sur la structure de rémunération, le caractère incitatif étant privilégié.
7.3.3. Le marché des prises de contrôle
Pour Jensen (1988), le marché des prises de contrôle serait un composant essentiel du
marché du travail des dirigeants : "les autres équipes dirigeantes qui identifient une
opportunité pour réorganiser ou redéployer les actifs d'une organisation et ainsi créer de la
valeur peuvent postuler pour obtenir les droits de contrôle via le marché des prises de
contrôle"62 (Jensen, 1988, p. 28). Il faciliterait et animerait la compétition entre les équipes
dirigeantes pour obtenir le droit de gérer les ressources de la firme (Jensen et Ruback, 1983),
et de ce fait jouerait un rôle important dans la récompense des dirigeants performants, en
complémentarité de celui assuré par le marché managérial.
Le marché des prises de contrôle est susceptible de jouer un rôle dans la récompense des
dirigeants de la société qui absorbe comme de celle qui fait l'objet de la reprise. Dans l'analyse
de Caves (1989), une société cible a intérêt à ce que les repreneurs soient le plus nombreux
possible et qu'ils soient mis en compétition, afin de faire augmenter le prix de l'offre et de ce
fait le surplus dont bénéficieront les actionnaires. Jensen et Ruback (1983) concluent que les
acquisitions sont sources de gains importants pour les actionnaires de la société cible dans
leur étude portant sur des sociétés américaines, de même que Firth (1980) pour le Royaume
Uni. Il est probable dans ce schéma que le dirigeant de la société acquise soit également
62
Jensen M.C. (1988, p. 26) : "Other management teams that recognize an opportunity to reorganize or redeploy
a organization's assets and thereby create new value can bid for the control rights in the takeover market".
180
récompensé, ne serait-ce que par le biais des stock options qu'il peut détenir. Zalewski (2001)
souligne le paradoxe selon lequel le marché des prises de contrôle, dont une des motivations
peut être la réduction des problèmes d'agence, conduit fréquemment à récompenser les
équipes dirigeantes estimées sous performantes du fait de l'augmentation du prix de l'action,
ou encore en leur offrant des conditions financières de départ très avantageuses. Mais comme
nous l'avons déjà évoqué, la reprise d'une société ne se justifie pas uniquement par la
possibilité d'améliorer sa direction, elle peut avoir été décidée parce qu'elle était très rentable
ou encore par les complémentarités externes d'activités offertes à l'acquéreur. Il y aurait alors
dans ce cas de figure un lien positif entre les qualités du dirigeant et sa récompense, conforme
à celui normalement induit par le marché managérial.
En se plaçant maintenant du côté de l'acquéreur, le marché des prises de contrôle serait un
moyen pour les dirigeants d'augmenter leur prestige, leur pouvoir car ils vont gérer une
entreprise de plus grande taille, et, très fréquemment, de bénéficier conjointement à cette
occasion d'une hausse de leur rémunération (Ingham et al., 1992). Il peut être également vu
comme un moyen pour les dirigeants de la société qui absorbe, convaincus qu'ils pourraient
mieux gérer la firme cible, d'obtenir un retour financier élevé, une récompense plus
considérable que celles que d'autres décisions stratégiques leur conféreraient (Manne, 1965).
Une nouvelle fois, la complémentarité semble plus probable que la substitution, la
récompense des dirigeants performants étant permise par l'action commune des deux
mécanismes. Le marché managérial trouverait grâce aux prises de contrôle des occasions
supplémentaires d'intervenir et de récompenser des dirigeants compétents et disposerait d'une
base informationnelle plus fournie.
7.4. Interdépendance et réduction des coûts disciplinaires
Outre le marché managérial, un autre mécanisme ressort principalement de la littérature
comme étant susceptible de pouvoir supprimer les contrats informels tissés par le dirigeant : le
marché des prises de contrôle.
Un des arguments souvent évoqué pour justifier la création de valeur engendrée par le
marché des prises de contrôle est sa capacité à remettre en cause les contrats implicites que le
dirigeant a pu tisser. Pour Jensen (1988), lorsque des changements importants doivent être
181
entrepris, le marché des prises de contrôle constitue une solution, engendrant l'arrivée d'une
nouvelle équipe dirigeante qui ne sera pas limitée dans ses actions par des liens tissés
antérieurement avec les salariés ou d'autres communautés en relation avec la société.
Shleifer et Summers (1988) affinaient l'analyse et concluaient que la probabilité de remise
en cause de certains contrats implicites, comme la valorisation et la poursuite des plans
retraite dont les salariés pouvaient être bénéficiaires, était supérieure dans les cas de prises de
contrôle hostiles. Le caractère implicite tenait au fait que les employés s'attendaient
généralement à ce que la firme participe à la constitution d'une retraite plus avantageuse pour
eux, allant au-delà des obligations légales, en contrepartie de quoi ils étaient plus fidèles à
l'entreprise et moins incités à la quitter. La suppression de ces plans et la captation des actifs
correspondants par le repreneur serait une des sources des gains engendrées par une prise de
contrôle pour les actionnaires, et elle serait deux fois plus fréquente suite à une prise de
contrôle hostile que dans le cas d'une acquisition amicale (Pontiff et al., 1990). Le
changement de dirigeant, et de ce fait le recours au marché managérial, étant également plus
observé lors d'une prise de contrôle hostile, il est probable que la décision de la remise en
cause des plans de retraite a été prise par la nouvelle direction, plus à l'aise pour le faire que
l'équipe précédente qui avait tissé des liens avec les salariés et pu faire certaines promesses.
Les rôles des deux mécanismes apparaissent une nouvelle fois imbriqués, et s'orienter vers
la complémentarité. L'action commune du marché des prises de contrôle et du marché des
dirigeants se traduirait fréquemment par la remise en question de contrats implicites tissés
avec différentes parties prenantes et qui pouvaient être coûteux à la firme. Elle serait
susceptible de renforcer la contribution à la création de valeur engendrée par l'intervention du
marché managérial.
7.5. Interdépendance et aide à la vision stratégique de la firme
Il ressort de la littérature que deux mécanismes de gouvernance essentiellement, autres que
le marché des dirigeants, peuvent contribuer à la construction de la vision stratégique de la
firme : le conseil d'administration et le marché des prises de contrôle.
182
7.5.1. Le rôle joué par le conseil d'administration
Sous la dimension cognitive, le rôle du conseil d'administration s‟élargit à l‟aide à la
construction de la vision stratégique et à sa mise en œuvre. Son expertise est source de
développement et d‟apprentissage organisationnel. Il joue un rôle de conseil et participe à la
prise de décisions. Il peut aider le dirigeant à détecter ou à construire des opportunités de
croissance, à enrichir sa vision stratégique par la confrontation de son schéma cognitif et de
ceux des administrateurs (Charreaux, 2002(a)). Lorsqu'il est face à certains problèmes ou
interrogations, un dirigeant ne peut pas toujours en discuter avec ses subalternes, et se tourne
davantage vers le conseil d'administration pour recueillir des avis et des conseils (Mace, 1971,
Mintzberg, 2003).
Dans l'étude de Charreaux et Pitol-Belin (1989) basée sur 107
questionnaires adressés à un échantillon de conseils d'administration de sociétés françaises,
pour 74% des dirigeants interrogés, le conseil d'administration était considéré comme un
organe de réflexion aidant à la préparation des décisions, susceptible d'orienter la stratégie. Il
était consulté, pour les décisions importantes comme la diversification, les acquisitions et les
cessions d'actifs, dans les trois quarts des cas. Les auteurs observaient également que 26% des
conseils d'administration définissaient les objectifs stratégiques à moyen long terme de la
firme et ne se contentaient pas de les entériner.
Le rôle actif du conseil d'administration serait cependant moins marqué en France qu'aux
États-Unis : par exemple la planification stratégique serait une des préoccupations majeures
pour 37% des conseils français, contre 63% pour les américains (Charreaux et Pitol-Belin,
1989). De même l'existence de seuils en matière d'investissement et de financement à partir
desquels le conseil d'administration doit être systématiquement consulté est peu constatée en
France, alors qu'elle est courante aux États-Unis (Charreaux, 1994). Les administrateurs
peuvent être une source d'information utilisée par les dirigeants pour formuler leur stratégie
(Vancil, 1987). Ils passent du temps à conseiller les dirigeants, cette fonction fait partie de
leurs devoirs (Lorsch et MacIver, 1989). Dans leur étude basée sur des interviews menées
avec des administrateurs de sociétés américaines, il ressortait que ceux-ci considèraient leur
rôle de conseil dans les décisions stratégiques comme prédominant, et qu'il se développait,
notamment grâce à la multiplication des comités. Leur intervention peut être plus forte,
lorsqu'ils sont à l'initiative de changements stratégiques importants, comme les décisions
d'acquisition (Haunschild, 1993). Le conseil d'administration, considéré alors comme un
réseau social, est également susceptible d'intervenir dans les décisions stratégiques en
183
facilitant l'accès à certaines ressources (Pfeffer et Salancik, 1978). Les administrateurs
contribuent à réduire l'incertitude et la complexité associées aux décisions stratégiques ; grâce
à leur expertise en matière de résolution de problèmes, ils peuvent participer aux différentes
étapes du processus de décision : l'exploration des possibilités, leur interprétation et le choix
final (Rindova, 1999). L'incidence de l'implication dans la stratégie de l'entreprise du conseil
d'administration sur la performance n'est cependant pas confirmée. Dans les travaux de
Godard (1996), le lien entre la composition du conseil d'administration et la stratégie de
l'entreprise n'avait pas d'effet significatif sur la performance.
Une réflexion menée collectivement par le conseil d'administration et le dirigeant sur la
stratégie apparaît souhaitable pour deux raisons : d'une part les administrateurs seraient à
même d'augmenter la créativité des stratégies grâce à leurs expériences, d'autre part ils
assureraient de manière plus efficiente leur rôle de surveillance et de contrôle s'ils
comprenaient mieux et étaient davantage impliqués dans la stratégie de la firme (Andrews,
1980). Les alternatives étudiées sont plus nombreuses et aboutissent à des solutions plus
créatives lorsque la firme bénéficie d'une variété cognitive (Milliken et Martins, 1996).
Ce rôle ne fait cependant pas l'objet d'un consensus : les conseils d'administration
s'impliquent de manière inégale dans la stratégie de l'entreprise, certains sont passifs, limitant
leur intervention à entériner les décisions proposées par le dirigeant (Pfeffer, 1972). Mace
(1971) concluait que les conseils d'administration ne devenaient actifs qu'en situation de crise.
Les pressions, notamment institutionnelles et légales, auraient depuis fait évoluer la situation
vers un rôle accru des administrateurs. C'est peut-être une des explications à l'obtention de
conclusions différentes dans l'étude de Judge et Zeithaml (1992), une vingtaine d'années plus
tard. Le degré d'investissement des administrateurs dans la prise de décisions stratégiques
avait été analysé par les auteurs à partir d'entretiens semi-directifs avec le dirigeant, un
administrateur externe et un interne, de quarante sociétés américaines de taille et de secteur
d'activité différents. Leurs résultats étaient intéressants : 30% des répondants avaient déclaré
participer de manière effectivement à la définition de la stratégie de la firme, notamment en
matière de décisions d'allocation des ressources affectant la performance à long terme de
l'entreprise, 30% ratifiaient, mais après les avoir révisées, les propositions stratégiques, et
40% se contentaient de les entériner. En matière d'information, seulement 27% des conseils
d'administration seraient à l'initiative de la demande d'informations spécifiques pour étudier et
évaluer la pertinence des propositions stratégiques du dirigeant, 70% se limitaient à analyser
184
la documentation fournie par le dirigeant. Parmi les déterminants de l'implication du conseil
d'administration dans la stratégie, ressortaient statistiquement significatifs dans leur étude : le
niveau de diversification, de manière négative (plus il était élevé, moins l'implication était
forte), la représentation des internes parmi les administrateurs et la taille du conseil,
également avec un effet négatif.
L'incidence et l'importance des compétences managériales dans les décisions stratégiques,
présentées au chapitre IV, paragraphe 4.1., peuvent être étendues à celles des administrateurs
(Rindova, 1999). Selon leurs caractéristiques, leurs expériences professionnelles antérieures,
les administrateurs participent à des degrés différents à la prise de décisions stratégiques
(Castanias et Helfat, 2001). Lorsqu'ils siègent au conseil de plusieurs entreprises, leur
implication dans la stratégie de la firme est généralement plus forte (Carpenter et Westphal,
2001). Les conseils d'administration dominés par les internes favoriseraient l'innovation
comme stratégie à long terme, ceux comportant une majorité d'externes inciteraient à plus de
diversification (Hill et Snell, 1988). L'incidence de la structure du conseil d'administration
sur son implication dans la stratégie de l'entreprise ne fait pas l'objet d'un consensus, même si
le critère d'indépendance est souvent mis en avant comme une condition nécessaire : ainsi
Whestphal (1998) conclut qu'il existe des preuves faibles de ce lien. De même la multiplicité
des mandats est vue soit comme un facteur de réduction de l'implication des administrateurs,
faute de temps (Melcher, 1996), soit, dans une perspective sociocognitive, comme un
enrichissement des connaissances et compétences des administrateurs leur permettant
justement de participer et de contribuer efficacement à l'élaboration de la stratégie de la firme,
notamment en matière de diversification et d'internationalisation (Carpenter et Westphal,
2001). Siéger à plusieurs conseils fournit aux administrateurs une source importante
d'information sur les pratiques et les politiques des entreprises (Mizruchi, 1996), c'est un
déterminant "positivement associé à la perception des administrateurs de leurs capacités à
contribuer aux discussions du conseil"63 (Carpenter et Westphal, 2001, P. 649).
Deux éventualités semblent alors pouvoir être examinées : soit le conseil d'administration,
très impliqué dans la stratégie de l'entreprise, est source de conflits cognitifs et impose sa
vision au dirigeant : il va alors réduire le rôle du marché managérial et ses conséquences sur la
performance de la firme, soit il contribue à l'enrichissement et au développement de la
63
Carpenter M.A., Westphal J.D. (2001, p. 649) : (related appointments) "will be positively associated with
directors' perceptions of their ability to contribute to board discussions".
185
réflexion du dirigeant, auquel cas les deux mécanismes apparaîtraient comme intervenant de
manière complémentaire. Judge et Zeithaml (1992) ont trouvé une relation positive entre
l'implication du conseil d'administration dans la stratégie et la performance de la firme, mais
en examinant le rôle de ce mécanisme isolément. L'effet positif, sur la performance de la
firme, de la complémentarité entre l'implication dans la stratégie du conseil d'administration et
du dirigeant, ressort notamment des études de Pearce et Zahra (1991) et de Kimberly et Zajac
(1988).
7.5.2. Le rôle joué par le marché des prises de contrôle
Le marché des prises de contrôle est un autre mécanisme de gouvernance susceptible
d'influencer les décisions stratégiques de la firme. "Les dirigeants ont souvent du mal à
abandonner les stratégies qu'ils développent et soutiennent depuis des années, même si ces
stratégies ne contribuent plus à la survie de l'organisation"64 (Jensen, 1988, p. 23). Lorsque
des changements importants sont nécessaires, et que les mécanismes de contrôle internes sont
lents ou trop coûteux pour les susciter, l'intervention du marché des prises de contrôle peut se
justifier, et elle se traduit généralement par des modifications stratégiques majeures, conduites
par une nouvelle équipe dirigeante que le marché des prises de contrôle aura contribué à
mettre en place (Jensen, 1988).
L'effet positif de l'intervention du marché des prises de contrôle ne fait pas non plus l'objet
d'un consensus. Elle est souvent associée à une chute des dépenses en recherche et
développement par exemple, mais comme le souligne Jensen (1988), cette relation n'est pas
validée empiriquement. Dans l'étude de Hitt et al. (1991), une politique de croissance externe
conduisait l'entreprise à un ralentissement du processus d'innovation interne. Les acquisitions
externes représentant un coût élevé, elles engendraient la limitation des autres
investissements, que ce soit en recherche et développement, pour l'ouverture de nouveaux
marchés, ou encore améliorer l'outil de production. Cette conclusion n'est pas confirmée par
l'analyse d'Healy et al. (1992) qui concluaient à l'absence de relation systématique. Dans une
seconde étude, portant sur 250 firmes américaines sur la période 1985 à 1991, Hitt et al.
(1996), validaient le lien entre une politique de croissance externe et le ralentissement de
l'innovation interne, et fournissaient un éclairage supplémentaire : l'innovation externe se
64
Jensen M.C. (1988, p. 23) : "Managers often have trouble abandoning strategies they have spent years
devising and implementing, even those strategies no longer contribute to the organization's survival".
186
substituerait à cette dernière, de nouvelles acquisitions permettant de capter plus rapidement
des bénéfices relativement à la concurrence que l'investissement dans de nouvelles
technologies. Les firmes développant une stratégie de croissance externe auraient une
propension à se transformer en holdings financiers.
L'orientation de la stratégie qui va être choisie et ses conséquences sur la performance de la
firme varient selon les conclusions des auteurs, mais il demeure que le marché des prises de
contrôle incite généralement au changement de l'équipe dirigeante et à de nouvelles décisions
stratégiques. Si celles-ci sont le fruit de la confrontation positive entre les schémas cognitifs
des nouveaux dirigeants, évalués par le marché managérial, et ceux du repreneur, le rôle du
marché des prises de contrôle peut être conceptualisé comme complémentaire à celui du
marché des dirigeants sur cette voie d'intervention. En cas de conflits cognitifs forts, au
contraire, ou de vision stratégique principalement imposée par le repreneur, il est
envisageable que le premier mécanisme se substitue et même s'oppose au second.
7.6. Interdépendance, apport et développement des compétences
Nous avons présenté au chapitre IV, paragraphe 4.2., le rôle d'apport et de développement
des compétences du marché managérial. D'autres mécanismes sont susceptibles de jouer
également ce rôle, principalement le conseil d'administration et le marché des prises de
contrôle.
7.6.1. Le rôle joué par le conseil d'administration
Les administrateurs proviennent d'horizons différents : certains sont également, ou ont été
avant leur départ en retraite, dirigeants d'entreprise, actionnaires, banquiers, hommes de loi,
professionnels. Ils sont susceptibles d'être à l'origine de deux types d'apports : des
informations et des connaissances d'une part, des compétences d'autres part. Une des
fonctions reconnues du conseil d'administration est de permettre d'établir des contacts pour
l'organisation, les administrateurs une fois nommés apportant leurs réseaux et permettant
d'ouvrir certaines portes (Mintzberg, 2003). Ils peuvent aussi jouer un rôle dans le
développement de la réputation de la firme, compte tenu des titres et du prestige dont ils
disposent (Mace, 1971). Reprenant les travaux de Pfeffer (1972), Mintzberg soulignait que le
choix des administrateurs n'était pas fortuit, qu'il était fonction des besoins de service de la
187
firme, de ce qu'ils pouvaient lui apporter : capacités financières, juridiques…, et l'expliquait
davantage comme un apport de compétences qu'un jeu de pouvoir.
Les conseils d'administration comprenant des représentants des différentes parties prenantes
encouragent les stratégies de développement de l'apprentissage organisationnel (Lazonick et
O'Sullivan, 1998). Le conseil d'administration trouve ici une autre justification : apporter des
compétences et faciliter leur développement (Charreaux, 2000). Les critères d'analyse de la
qualité d'un conseil d'administration ne se conçoivent alors plus en termes d'indépendance,
mais de diversité et de contributions cognitives.
L'expérience acquise dans d'autres conseils ou d'autres fonctions permettrait aux
administrateurs d'être une source importante d'information pour la firme (Mizruchi, 1996). Le
développement avec l'expérience dans des fonctions similaires des structures de
connaissances utilisées par les individus pour traiter une demande d'information avait été
précédemment mis en évidence dans les travaux de Dearborn et Simon (1958). Plus un groupe
est large et diversifié, plus riche est la collecte d'information (Milliken et Vollrath, 1991). Les
connaissances et l'information que le conseil d'administration peut fournir contribuent à
réduire l'incertitude dans laquelle la firme évolue (Rindova, 1999).
Les administrateurs, notamment externes, sont également une source de compétences
variées, en termes de formation, d'expérience professionnelle et organisationnelle (Milliken et
Martins, 1996). Leur apport serait particulièrement positif lorsqu'ils exerceraient dans d'autres
entreprises ayant des similitudes avec celle dont ils sont administrateurs, par exemple en
matière d'organisation ou de marchés (Melcher, 1996). La multiplicité des mandats serait
source d'apprentissage (Useem, 1984). Les administrateurs sont souvent présentés comme des
experts, l'expertise pouvant être définie, pour reprendre l'analyse de Sullivan (1990) comme la
maîtrise de certains domaines, dont ils connaissent les difficultés et les solutions pouvant être
apportées aux problèmes se posant. Les dirigeants seraient de plus en plus conscients de la
contribution que peut leur apporter le conseil d'administration, et le considère comme une
ressource (Melcher, 1996).
Le rôle que le conseil d'administration peut jouer apparaît, dans une vision cognitive,
comme complémentaire à l'intervention du marché des dirigeants. L'accumulation et la
188
confrontation de compétences différentes est susceptible de contribuer à un renforcement du
rôle de chacun des mécanismes, conduisant à une amélioration de la performance de la firme.
7.6.2. Le rôle du marché des prises de contrôle
Vu sous la dimension disciplinaire comme un outil sanctionnant les dirigeants inefficaces,
le marché des prises de contrôle peut aussi être considéré, selon l‟approche cognitive, comme
un vecteur d‟acquisition de compétences. La reprise d'une autre entreprise est porteuse de
nouvelles connaissances et de nouvelles ressources (Vermeulen et Barkema, 2001). Une des
justifications avancées pour l'absorption ou la prise de participation d'une autre société est
d'apporter un savoir-faire non maîtrisé par la maison mère. De nombreuses cibles sont
acquises à titre de diversification (Holmstrom et Kaplan, 2001). Dans le secteur bancaire par
exemple, les rapprochements ont pour motivation la complémentarité des réseaux et des
compétences (Went, 2003) : un établissement reconnu pour son savoir faire en tant que
banque d'investissement peut souhaiter s'allier à une banque de réseau. Une prise de contrôle
peut permettre d'acquérir et d'apprendre de nouvelles techniques ou de nouvelles technologies
(Hitt et al., 1997), elle permet l'échange d'expertise (Leroy et Ramanantsoa, 1997). Lorsqu'une
entreprise souhaite s'internationaliser, le marché des prises de contrôle lui offre la possibilité
de disposer rapidement des compétences, des connaissances, de la culture nécessaires pour
accéder à ces nouveaux marchés (Clark et al., 1997). Cependant la capacité d'absorption de
l'expérience et des connaissances apportées par la société cible à l'acquéreur a des limites, audelà desquelles l'intégration n'est plus efficiente (Vermeulen et Barkema, 2002).
Le marché des prises de contrôle peut également jouer un rôle dans l'évolution et le
développement des compétences existantes : "une opération de fusion-acquisition représente
un contexte dans lequel des organisations doivent résoudre leurs différences ou contradictions
et ont à s'adapter aux routines et bases de connaissances de l'autre"65 (Leroy et Ramanantsoa,
1997, p. 872). Le rapprochement de deux sociétés engendre des changements cognitifs
individuels, mais aussi au niveau de l'organisation, modifiant par exemple la manière de
travailler ou les procédures du département des ventes (Leroy et Ramanantsoa, 1997). Les
auteurs font remarquer que des blocages peuvent empêcher ce développement des
compétences, lorsque l'apprentissage est forcé, et ne fait pas l'objet de l'adhésion des autres
65
Leroy F., Ramanantsoa B. (1997, p. 872) : "A merger represents a context in which organizations have to
resolve their differences or contradictions and have to adapt to each others' routines and knowledge bases".
189
parties prenantes. Ils mettent en évidence l'importance du rôle joué par le dirigeant,
susceptible de faire disparaître ces obstacles, de créer un climat favorable et positif. Il
contribuerait au succès de la prise de contrôle, en facilitant l'intégration des deux
organisations, préservant les forces de chacune (Cartwright et Cooper, 1994). Cet argument
irait dans le sens de la complémentarité des deux mécanismes, les qualités du dirigeant,
évaluées par le marché managérial, s'ajoutant aux compétences apportées par le marché des
prises de contrôle pour faire évoluer favorablement celles des autres parties prenantes. Les
évènements perturbateurs venant rompre la continuité des activités de la firme sont des
moteurs pour l'apprentissage (Starbuck et Milliken, 1988). Une prise de contrôle se traduit par
l'arrivée de nouvelles pratiques, de systèmes de référence différents ; la confrontation de ces
contrastes facilite l'apprentissage, lorsque les écarts ne sont pas trop importants et ne
constituent pas un traumatisme et une source d'incertitude trop conséquente (Leroy et
Ramanantsoa, 1997).
Les acquisitions contribuent à faire progresser les compétences : elles "revitalisent la firme
et renforcent sa capacité à réagir de manière adéquate aux changements (…), enrichissent les
bases de connaissances et rompent les rigidités des firmes acquéreuses" 66 (Vermeulen et
Barkema, 2001, p. 458). Les différences entre les organisations sont sources d'opportunités de
synergies et d'apprentissage (Harrison et al., 1991). La diffusion de connaissances et de
pratiques d'une société à l'autre favorise le développement de nouvelles connaissances
(Walsh, 1995), créées par combinaison de compétences existantes (Kogut et Zander, 1992).
Le rapprochement entre deux entreprises confronte celles-ci à un éventail plus large
d'évènements et d'idées, pouvant permettre l'enrichissement des structures de connaissances
(March, 1991).
Une complémentarité de deux mécanismes sur cette voie d'intervention, conduisant peutêtre à une meilleure performance de la firme, semble ressortir de manière plus évidente que la
substitution. Elle est susceptible de s'effectuer aussi bien en termes d'apports plus importants
et plus diversifiés de compétences, qu'en matière de développement : la confrontation des
connaissances, expériences… des dirigeants et des administrateurs par exemple, pouvant
conduire à un élargissement des compétences de chacun. Une coordination efficiente des deux
66
Vermeulen F., Barkema H. (2001, p. 458) : (acquisitions) "revitalize a firm and enhance its ability to react
adequately to changing circumstances (…), enrich the knowledge bases and break the rigidities of acquiring
firms".
190
mécanismes renforcerait leur effet positif individuel sur la performance de la firme, lorsque
leur action conjointe n'a pas suscité de conflits cognitifs.
Conclusion du chapitre VII
Il apparaît clairement dans la littérature que plusieurs mécanismes agissent à l'intérieur du
SGE par les mêmes leviers que le marché des dirigeants, principalement le conseil
d'administration et le marché des prises de contrôle, qui se retrouvent sur au moins quatre des
voies d'intervention identifiées du marché managérial, intervenant conjointement aussi bien
sous la dimension disciplinaire que sous la dimension cognitive. La figure 7 illustre la prise en
compte de ces mécanismes dans le modèle explicatif sur rôle du marché managérial.
INTERACTIONS AVEC LES AUTRES MECANISMES
Conseil
d‟administration
Marché des
prises de
contrôle
Intervention
implicite
Rôle comme
mécanisme
de
gouvernance
Marché des
dirigeants
Intervention
explicite
Contrôle
direct des
actionnaires
Créanciers
prêteurs
voies
d‟intervention
disciplinaires
Marché des
biens et
services
Variation de
performance
de la firme
voies
d‟intervention
cognitives
Conseil
d‟administration
Marché des
prises de
contrôle
- Figure 7 : prise en compte des interactions avec les autres mécanismes dans le modèle
explicatif Il est en revanche plus difficile de comprendre de quelle manière leurs actions s'imbriquent,
aboutissant à une substitution ou une complémentarité. Les effets potentiels de
complémentarité seraient a priori les plus nombreux, d'une part parce que, dans un certain
191
nombre de cas, le marché des dirigeants ne peut exercer son influence que si un autre
mécanisme intervient également, d'autre part du fait d'un renforcement envisagé des résultats
des actions des mécanismes lorsqu'elles sont menées conjointement. La prise en compte des
imbrications et complémentarités du marché des dirigeants avec les autres mécanismes
pourrait se traduire par une contribution plus élevée du marché managérial à la création de
valeur dans la firme et permettre d'expliquer une part plus importante de la variation de la
performance. Mais la conceptualisation de ces imbrications est extrêmement complexe,
d'autant plus que la dimension temporelle peut poser problème pour analyser la
complémentarité. La littérature ne nous permet pas aujourd'hui de conclure. Une synthèse des
effets attendus est proposée dans le tableau 6.
Voies d’intervention
du marché
managérial
Évaluation
Sanction
Récompense
Réduction d'autres
coûts disciplinaires
Aide à la construction
de la vision
stratégique
Apport et
développement des
compétences
Autre(s) mécanisme(s)
pouvant interagir
Effet attendu : substitution,
complémentarité
Conseil d'administration
Marché financier
Marché des prises de contrôle
Marché des biens et services
Conseil d'administration
Contrôle direct des actionnaires
Créanciers prêteurs
Marché des prises de contrôle
Marché des biens et services
Conseil d'administration
Contrôle direct des actionnaires
Marché des prises de contrôle
Marché des prises de contrôle
Complémentarité
Complémentarité
Complémentarité
Complémentarité
Complémentarité
Complémentarité
Complémentarité
Complémentarité
Complémentarité
Complémentaire
Complémentarité
Complémentarité
Complémentarité
Conseil d'administration
Marché des prises de contrôle
Complémentarité ou substitution
Complémentarité ou substitution
Conseil d'administration
Marché des prises de contrôle
Complémentarité
Complémentarité pour l'apport,
complémentarité ou substitution
pour le développement
- Tableau 6 : synthèse des effets de complémentarité ou de substitution attendus entre le
marché managérial et les autres mécanismes -
192
L'analyse que nous venons d'effectuer met en évidence la nécessité de tenir compte des
actions des autres mécanismes dans notre modèle, et nous conduit à l'enrichir à nouveau en
introduisant ces mécanismes dans la conceptualisation du rôle du marché des dirigeants. La
vision que nous avons maintenant de celui-ci, après avoir proposé une décomposition de son
action en trois voies d'intervention disciplinaires et deux cognitives, cherché quels
déterminants pouvaient en influencer l'exercice, et pris en compte l'influence des autres
mécanismes, nous semble mieux à même de rendre compte de la réalité. Le modèle final est
présenté ci-après. La conception du marché managérial demeure cependant à ce stade
théorique. Comme nous l'avons souligné tout au long de nos travaux, l'absence d'études
empiriques synthétiques sur le marché managérial nous a conduits à formuler des hypothèses,
notamment sur le sens des actions des déterminants et des autres mécanismes, mais il reste à
les confronter à la réalité. C'est l'objet de notre troisième partie, consacrée aux tests du modèle
sur un échantillon constitué d'entreprises françaises cotées sur Euronext.
FINALISATION DU MODELE
Structure de
propriété
Intervention
implicite
Marché des
dirigeants
Intervention
explicite
Secteur
activité
Rôle comme
mécanisme
de
gouvernance
Réseaux
relationnels
Proximité
de l‟âge de
la retraite
Stratégie
carrière externe
voies
d‟intervention
disciplinaires
Création de la
valeur dans la
firme
voies
d‟intervention
cognitives
Rôle joué par
les autres
mécanismes
- Figure 8 : modèle explicatif final -
193
Les hypothèses découlant de cette partie du modèle sont les suivantes, en cohérence avec
les développements précédemment effectués :
H11: Le conseil d'administration exerce un rôle médiateur dans la relation entre le
rôle disciplinaire du marché managérial et la performance de la firme, il renforce
l'intervention du marché des dirigeants (mécanismes complémentaires).
H12: Le rôle disciplinaire du marché des prises de contrôle conforte celui du marché
managérial et augmente sa contribution à la création de valeur dans la firme
(complémentarité des mécanismes).
H13: L'existence d'actionnaires dominants accentue l'intervention disciplinaire du
marché managérial (mécanismes complémentaires).
H14: Le rôle disciplinaire exercé par les créanciers prêteurs renforce celui du marché
managérial et augmente sa contribution à la création de valeur dans la firme
(mécanismes complémentaires).
H15: Le rôle disciplinaire exercé par le marché des biens et services influence
positivement la relation entre le marché managérial et la performance de la firme
(complémentarité des mécanismes).
H16: L'expertise et la participation aux décisions stratégiques des administrateurs
renforcent le rôle cognitif du marché managérial et sa contribution à la performance de
la firme, par le développement des schémas cognitifs et une vision plus large des
opportunités (complémentarité des mécanismes).
H17: Le marché des prises de contrôle, en favorisant les réorientations stratégiques,
conforte le rôle d'aide à la vision stratégique du marché managérial et augmente sa
contribution à la création de valeur dans la firme (complémentarité des mécanismes).
H18: La complémentarité des apports des compétences du conseil d'administration et
du marché managérial se traduit par un renforcement du rôle des deux mécanismes et de
leur contribution à la performance de la firme (complémentarité des mécanismes).
H19: Suite à une prise de contrôle de la firme, les savoir-faire des repreneurs
contribuent à l'enrichissement et au développement des compétences apportées par le
marché managérial, augmentant ainsi son incidence positive sur la création de valeur
dans la firme (complémentarité des mécanismes).
194
TROISIEME PARTIE
ETUDE EMPIRIQUE DU MARCHE FRANÇAIS DES
DIRIGEANTS
195
Introduction
Dans notre recherche de modélisation du rôle du marché managérial à l'intérieur du système
de gouvernance des entreprises, nous avons procédé par étapes, en identifiant tout d'abord les
différentes voies d'intervention potentielles de ce mécanisme, puis en examinant quels
pouvaient être les facteurs de contingence, enfin en analysant l'influence des autres
mécanismes sur le marché des dirigeants, dans une vision systémique de la gouvernance. La
confrontation de notre modèle à la réalité a été réalisée de la même manière et s'est ainsi
scindée en trois séries de tests. Nous avons choisi de mener une étude quantitative, portant sur
les dirigeants des sociétés françaises cotées. Nos motivations sont développées au chapitre
VIII, paragraphe 8.2.1..
La présentation des résultats de l'étude empirique est articulée en quatre chapitres. Le
chapitre VIII rappelle les hypothèses à tester découlant du modèle théorique et l'articulation
en trois parties de ce dernier : les voies d'intervention du marché managérial, la prise en
compte des facteurs de contingence pouvant faire évoluer son rôle et celle des interactions
éventuelles avec les autres mécanismes de gouvernance. Il expose la méthodologie retenue et
présente l'échantillon ayant servi aux tests. Le chapitre IX décrit l'opérationnalisation de la
variable à expliquer et des variables explicatives, il justifie les choix qui ont été effectués.
Le chapitre X est consacré à une étude descriptive des dirigeants français des sociétés
cotées sur la période 1996 à 2005. Elle est fondée sur les données de la base initialement
constituée pour recenser tous les dirigeants ayant exercé sur la période considérée, qui
contient 1 007 profils de dirigeants. Les apports de cette analyse sont doubles : actualiser les
informations disponibles sur le marché managérial français et les proposer pour un échantillon
de firmes diversifiées, aussi bien en termes de taille, de capitalisation que d'activité ou encore
d'actionnariat.
Le chapitre XI présente les résultats des tests du rôle du marché des dirigeants comme
mécanisme de gouvernance, au centre du modèle théorique. Après avoir précisé le souséchantillon retenu et ses caractéristiques, les vérifications des hypothèses de base de la
régression sont rappelées. Les résultats des tests incorporant les facteurs de contingence :
structure de propriété, secteur d'activité, stratégie de carrière externe du dirigeant, proximité
de la retraite et influence de réseaux, figurent dans le chapitre XII. Enfin le chapitre XIII
196
expose les résultats concernant l'étude des interactions de cinq autres mécanismes avec le rôle
joué par le marché managérial : le conseil d'administration, le contrôle direct par les
actionnaires, les créanciers prêteurs, le marché des prises de contrôle et le marché des biens et
services.
197
CHAPITRE VIII : MODELE GENERAL, HYPOTHESES ET METHODOLOGIE
8.1. Le modèle général et les hypothèses en découlant
Notre modèle général s'est enrichi progressivement au cours de la deuxième partie. Son
apport principal est de permettre une représentation du rôle du marché managérial, explicitant
de quelle manière il est susceptible d'intervenir dans le SGE et l'influence attendue de son rôle
sur la création de valeur dans la firme. Il se décompose en trois grands axes :
a)
la modélisation du rôle du marché des dirigeants, mécanisme de
gouvernance, s'appuyant sur la décomposition de son intervention sous les deux
dimensions disciplinaire et cognitive, et s'intéressant au lien entre l'exercice de ce
rôle et la performance de la firme.
MODELISATION DU ROLE DU MARCHE MANAGERIAL
Non
intervention
Marché des
dirigeants
Intervention
Rôle comme
mécanisme
de
gouvernance
voies
d‟intervention
disciplinaires
Performance
de la firme
voies
d‟intervention
cognitives
- Figure 9 : Modélisation du rôle du marché managérial -
La première série d'hypothèses théoriques à tester découlant du modèle, qui a été justifiée
dans la première partie aux chapitres III et IV, est concentrée sur la question centrale de notre
thèse : quel est le rôle joué par le marché managérial à l'intérieur du SGE ? Elle reprend les
198
différentes voies d'intervention identifiées dans la deuxième partie et traduit l'impact attendu
pour chacune d'elles sur la performance de la firme.
Dimension
Disciplinaire
Hypothèses théoriques relatives au rôle du marché managérial
H1: Le rôle de sanction du marché managérial influence
positivement la création de valeur dans la firme : le départ forcé du
prédécesseur contribue à expliquer la performance enregistrée par le
nouveau dirigeant.
H2: L'incitation à la performance associée à la perspective de
récompense par le marché des dirigeants contribue à la création de la
valeur dans la firme.
H3: Si le dirigeant précédent était enraciné, le recours au marché
managérial a un effet positif sur la performance de la firme par la
réduction des coûts disciplinaires.
Cognitive
- Les caractéristiques du dirigeant influençant les décisions
stratégiques qu'il prend, un changement du dirigeant a une incidence
sur la vision stratégique de la firme et contribue positivement à la
création de valeur dans la firme.
H4a: Les réorientations stratégiques consécutives à la succession
d'un dirigeant interne par un externe ont un effet positif sur la
performance de la firme.
H4b : La variation d'âge entre le nouveau dirigeant et son
prédécesseur a une incidence négative sur la création de valeur dans
la firme, un dirigeant plus âgé ayant davantage d'expérience et de
connaissances.
H4c : La variation du niveau de diplôme entre le nouveau dirigeant
et son prédécesseur a une incidence positive sur la création de valeur
dans la firme.
H4d : Lorsqu'il y a une variation de formation (type de formation)
entre les deux dirigeants qui se succèdent, celle-ci a une influence
positive sur la création de valeur de la firme car elle engendre des
variations stratégiques plus importantes.
- L'apport relatif et différent de compétences du nouveau dirigeant
à travers le marché managérial contribue positivement à la création
de valeur dans la firme.
H5a : L'augmentation de compétences génériques entre le nouveau
dirigeant et l'ancien contribue positivement à la création de valeur
dans la firme.
H5b : L'augmentation des compétences sectorielles entre le
nouveau dirigeant et son prédécesseur contribue positivement à la
création de valeur dans la firme.
H5c : L'augmentation des compétences spécifiques à la firme entre
l'ancien et le nouveau dirigeant est positivement liée à la création de
valeur dans la firme.
- Tableau 7 : récapitulatif des hypothèses théoriques relatives au rôle du marché managérial -
199
b)
la prise en compte de facteurs de contingence susceptibles de faire varier
l'intensité de cette relation : ce sont les déterminants d'efficacité liés à la firme
(structure de propriété, secteur d'activité) ou au dirigeant lui-même (stratégie de
carrière externe, appui de réseaux, proximité de la retraite). Les hypothèses
découlant du modèle explicatif et concernant les déterminants ont été justifiées
dans la deuxième partie de la thèse au chapitre VI.
INTRODUCTION DES DETERMINANTS D’EFFICACITE
Structure de
propriété
Secteur
activité
Non
intervention
Marché des
dirigeants
Intervention
Rôle comme
mécanisme
de
gouvernance
Réseaux
relationnels
Proximité
âge retraite
Stratégie
carrière
externe
voies
d‟intervention
disciplinaires
Performance
de la firme
voies
d‟intervention
cognitives
- Figure 10 : introduction des facteurs de contingence dans le modèle –
Famille
Liés à la firme
Hypothèses théoriques relatives aux déterminants d'efficacité
(variables de contingence)
- la structure de propriété :
H6a: Le rôle disciplinaire du marché des dirigeants est plus
prononcé dans les firmes managériales que dans les sociétés
contrôlées, et le moins significatif dans les firmes familiales.
H6b: Le rôle cognitif du marché managérial est le plus significatif
dans les firmes familiales, puis dans les firmes contrôlées, il est
moindre dans les sociétés managériales.
- le secteur d'activité :
H7: L'influence du rôle exercé par le marché managérial sur la
performance de la firme varie avec le secteur d'activité auquel elle
appartient.
200
Famille
Hypothèses théoriques relatives aux déterminants d'efficacité
(variables de contingence)
Liés au
- la stratégie de carrière externe du nouveau dirigeant :
H8: Lorsque le dirigeant poursuit une stratégie de carrière externe,
dirigeant
l'ensemble du rôle du marché managérial est renforcé et explique
davantage la création de valeur dans la firme.
- la proximité de l'âge de la retraite du nouveau dirigeant :
H9a: Lorsque le dirigeant est proche de la retraite, l'intervention
disciplinaire du marché managérial se réduit et sa contribution à la
création de valeur également.
H9b: Lorsque le dirigeant est proche de la retraite, l'intervention
cognitive du marché managérial contribue plus fortement à la création
de valeur.
- l'appui de réseaux du nouveau dirigeant :
H10a: Lorsque le dirigeant bénéficie de l'appui de réseaux, le rôle
disciplinaire du marché managérial est diminué.
H10B: En présence de réseaux, les voies d'intervention cognitives du
marché managérial contribuent plus fortement à la création de valeur
dans la firme.
- Tableau 8 : récapitulatif des hypothèses relatives aux déterminants -
c)
l'incorporation au modèle des interactions potentielles avec les autres
mécanismes de gouvernance, pouvant jouer un rôle de médiateurs en intervenant
dans la relation entre le marché des dirigeants et la performance de la firme. Nous
avons émis les hypothèses découlant du modèle explicatif concernant ces
interactions dans la deuxième partie de la thèse au chapitre VII. Nous en rappelons
une synthèse dans le tableau 9 ci-dessous.
201
INTERACTIONS AVEC LES AUTRES MECANISMES
Conseil
d‟administration
Marché des
prises de
contrôle
Non
intervention
Marché des
dirigeants
Intervention
Rôle comme
mécanisme
de
gouvernance
Contrôle
direct des
actionnaires
Créanciers
prêteurs
voies
d‟intervention
disciplinaires
Marché des
biens et
services
Performance
de la firme
voies
d‟intervention
cognitives
Conseil
d‟administration
Marché des
prises de
contrôle
- Figure 11 : prise en compte des interactions avec les autres mécanismes -
Dimension
disciplinaire
Le conseil
d'administration
Le marché des
prises de
contrôle
Le contrôle
direct des
actionnaires
Les créanciers
prêteurs
Le marché des
biens et services
Hypothèses théoriques relatives aux interactions avec les autres
mécanismes
H11: Le conseil d'administration exerce un rôle médiateur dans la
relation entre le rôle disciplinaire du marché managérial et la
performance de la firme, il renforce l'intervention du marché des
dirigeants (mécanismes complémentaires).
H12: Le rôle disciplinaire du marché des prises de contrôle conforte
celui du marché managérial et augmente sa contribution à la création
de valeur dans la firme (complémentarité des mécanismes).
H13: L'existence d'actionnaires dominants accentue l'intervention
disciplinaire du marché managérial (mécanismes complémentaires).
H14: Le rôle disciplinaire exercé par les créanciers prêteurs
renforce celui du marché managérial et augmente sa contribution à la
création de valeur dans la firme (mécanismes complémentaires).
H15: Le rôle disciplinaire exercé par le marché des biens et services
influence positivement la relation entre le marché managérial et la
performance de la firme (complémentarité des mécanismes).
202
Dimension
Hypothèses théoriques relatives aux interactions avec les autres
cognitive
mécanismes
H16: L'expertise et la participation aux décisions stratégiques des
administrateurs renforcent le rôle cognitif du marché managérial et sa
contribution à la performance de la firme, par le développement des
schémas cognitifs et une vision plus large des opportunités
(complémentarité des mécanismes).
H17: Le marché des prises de contrôle, en favorisant les
Le marché des
réorientations stratégiques, conforte le rôle d'aide à la vision
prises de
stratégique du marché managérial et augmente sa contribution à la
contrôle
création de valeur dans la firme (complémentarité des mécanismes).
H18: La complémentarité des apports des compétences du conseil
Le conseil
d'administration d'administration et du marché managérial se traduit par un
renforcement du rôle des deux mécanismes et de leur contribution à
la performance de la firme (complémentarité des mécanismes).
H19: Suite à une prise de contrôle de la firme, les savoir-faire des
Le marché des
repreneurs contribuent à l'enrichissement et au développement des
prises de
compétences apportées par le marché managérial, augmentant ainsi
contrôle
son incidence positive sur la création de valeur dans la firme
(complémentarité des mécanismes).
- Tableau 9 : récapitulatif des hypothèses relatives aux interactions avec les autres
Le conseil
d'administration
mécanismes de gouvernance -
8.2. Méthodologie
8.2.1. Choix du positionnement méthodologique
Nos travaux, inscrits dans une approche positive, ont pour but de mieux comprendre le rôle
exercé par le marché managérial, mécanisme de gouvernance, et d'en mesurer l'incidence sur
la performance de la firme. Aboutissement du processus scientifique, la mise à l'épreuve de
notre modèle théorique, pour en estimer la plausibilité, passe par la réalisation d'une analyse
empirique. Celle-ci est fondée sur une démarche hypothético-déductive. Les différents tests
effectués, articulés en fonction des hypothèses formulées précédemment, ont pour objectif de
les valider ou de les infirmer, au sens de Popper, pour qui une hypothèse est dite réfutable s'il
est possible d'imaginer ou de fournir une série d'observations qui la contredisent.
Nous avons choisi de mener une étude quantitative pour plusieurs raisons. Nous intéressant
au cas français (nos motivations ont été développées au paragraphe 8.3.), nous souhaitions par
nos recherches nous faire notre propre idée du marché managérial, souvent "caricaturé"
203
comme un marché du travail de type clanique, peu efficient, jouant un faible rôle dans le
SGE. Afin de permettre les comparaisons avec les travaux antérieurs, menés à partir
d'analyses quantitatives, cette démarche nous semblait plus appropriée. Une autre motivation
de notre choix tient à notre souhait de limiter les biais de collecte et d'interprétation. Une
étude de cas aurait permis d'affiner les particularités de l'intervention du marché managérial,
mais une analyse quantitative permet une généralisation au sens statistique des résultats. La
solution d'interroger quelques dirigeants de sociétés cotées, outre la difficulté d'obtenir un
rendez-vous, posait à notre sens le problème de la subjectivité et de l'éventuelle déformation
des propos recueillis sur un thème délicat, car sujet à controverse. Nos conclusions risquaient
davantage d'être influencées et soumises à des biais, les dirigeants de ces entreprises, habitués
à communiquer avec les médias, pouvant transmettre une vision travaillée plutôt que
spontanée d'événements tels que la sanction du prédécesseur ou les motifs de nomination.
Nous envisageons, dans des travaux ultérieurs, de suivre également une approche qualitative,
mais qui aura pour objet de corroborer les résultats de l'analyse quantitative réalisée, et
d'apporter des éléments complémentaires sur les aspects n'ayant pu être confirmés par cette
démarche. La collecte d'informations sur les dirigeants et leurs sociétés, via des bases de
données externes, nous apparaît un moyen moins sujet à controverse pour expliquer quel est
effectivement le rôle du marché managérial dans le SGE en France. Certes ces bases peuvent
contenir des erreurs, mais nous avons cherché à les réduire en confrontant systématiquement
plusieurs sources.
8.2.2. Investigations empiriques
Étudiant deux ensembles de variation, disposant d'une seule variable à expliquer métrique,
la variation de performance, la méthode adoptée a été la régression linéaire, nos variables
explicatives étant également métriques ou binaires. Les logiciels utilisés ont été SPSS version
13.0. pour Windows et GRETL. Notre étude s'est déroulée en trois phases, en cohérence avec
chacun des axes de notre modèle explicatif rappelés au paragraphe 8.1..
Nous avons tout d'abord testé l'impact du rôle du marché managérial sur la performance de
la firme, fondation de notre modèle et de nos recherches. Conformément à notre cadre
théorique, qui nous a permis d'analyser les deux dimensions, nous avons effectué une
première régression intégrant comme variables explicatives les voies d'intervention
disciplinaires du marché des dirigeants, puis une seconde pour tester les voies cognitives
204
identifiées, et enfin une troisième régression reprend l'ensemble des variables, tant
disciplinaires que cognitives, dans une vision synthétique.
Nous avons, dans un deuxième temps, introduit les variables modératrices que nous avions
identifiées dans la deuxième partie au chapitre VI : la structure de propriété, le secteur
d'activité, la stratégie de carrière externe, la proximité de l'âge de la retraite et l'appui de
réseaux. Pour analyser leur impact, nous les avons introduites une par une dans la régression.
Lorsqu'une variable de contingence se révélait significative, nous avons cherché à mieux
comprendre l'effet de cette variable sur les différentes voies d'intervention du marché
managérial. Pour cela, nous avons scindé notre échantillon en sous-groupes correspondant à
chacune de ses modalités et réitéré la régression générale comprenant toutes les variables
explicatives et la variable de contrôle. Les groupes constitués sont indépendants, la
codification à une modalité étant exclusive. L'interprétation des résultats a été fondée sur les
variations de significativité et de coefficients bêta des variables explicatives.
Enfin, l'influence des autres mécanismes sur le rôle exercé par le marché managérial dans le
SGE a fait l'objet de tests spécifiques. Nous nous sommes inspirés de la méthodologie utilisée
par Agrawal et Knoeber (1996), qui ont décomposé leur étude des relations entre les
mécanismes de gouvernance en trois étapes. Tout d'abord les liens pouvant exister entre deux
mécanismes ont été identifiés en effectuant une régression de l'un sur l'autre. Puis la
contribution de chacun à la performance a été estimée par de nouveaux tests. Enfin les
interventions de l'ensemble des mécanismes ont été testées simultanément par une régression
sur la performance de la firme.
8.3. Présentation de l'échantillon
Pour tester notre modèle théorique, nous avons choisi d'étudier le marché des dirigeants en
France, sur la période 1996 – 2005. Pourquoi nous intéresser à la France ? La première raison
tient au fait que les analyses en gouvernance, proches de notre objet de recherche, sont
beaucoup plus nombreuses pour les pays anglo-saxons, et moins développées en France,
hormis les quelques travaux que nous avons déjà évoqués, les plus récents apportant des
informations sur les profils des dirigeants mais sans s'intéresser explicitement au marché du
travail managérial (Godard, 1996, Pigé, 1993 et 1996, Dherment Ferrère et Renneboog, 2000,
Bertrand et al. , 2004, Nguyen-Dang, 2005).
205
La seconde motivation est liée aux spécificités généralement attribuées au marché français,
consécutivement aux travaux de Bertin-Mourot et Bauer notamment (1987, 1992, 1995). Il
nous a semblé pertinent à travers notre étude de faire le point sur la réalité du marché du
travail des dirigeants en France aujourd'hui, et d'essayer de l'appréhender en analysant un
échantillon plus large que les deux cents plus grandes entreprises prises en compte. Pour des
questions d'accessibilité aux données, nous nous sommes limités aux sociétés cotées, mais
comme le montre la partie descriptive, ce périmètre permet d'aborder des firmes de taille et de
caractéristiques très différentes. De plus, comme l'a souligné Pigé (1996, p. 244), dans les
entreprises cotées "les modes de régulation des dirigeants sont supposés davantage liés au
marché boursier et au marché du travail".
L'échantillon de base que nous avons constitué contient 1007 fiches de dirigeants, ayant
exercé dans 637 sociétés cotées. Nous avons retenu la période 1996 – 2005, soit dix ans, car
nous souhaitions à la fois mener une étude sur une durée assez longue et offrir des résultats
récents et actualisés. La limite en 1996 a été définie par les historiques disponibles sur les
sources que nous avons utilisées, notamment LexisNexis qui permet d'effectuer des
recherches en ligne dans la presse mondiale essentiellement depuis cette date. La troisième
motivation tient à l'alimentation des variables explicatives constituant le modèle, aussi bien
celles relatives aux voies d'intervention du marché managérial que celles concernant les
déterminants d'efficacité et les autres mécanismes. Comme l'a montré l'étude de Péladeau et
al. (2005), que nous avons présentée dans la première partie (chapitre 1.2.6.), le taux de
rotation des dirigeants s'est accru depuis 2000, de manière plus significative en Europe que
dans la zone Amérique. L'étude du cas français nous offre ainsi un volume de changements de
dirigeants intéressant. Elle permet aussi une analyse plus pertinente de deux des déterminants
: la structure de propriété, particulière en France, avec une prédominance des entreprises
familiales, et l'appui des réseaux, qui sont considérés comme particulièrement influents en
France.
Bien que le rôle du marché managérial puisse s'exercer à tout moment de la carrière d'un
dirigeant, nous l'avons analysé sur une période clé : celle du changement de dirigeant, pour
deux raisons. La première tient au fait qu'il apparaît plus facile de mettre en évidence son
intervention, notamment disciplinaire, à l'occasion de la mutation des dirigeants. Les
informations pouvant être collectées relativement au rôle d'évaluation, de sanction et de
206
récompense du dirigeant, par exemple par voie de presse, sont souvent concentrées sur ces
moments, et font ressortir plus explicitement la fonction de ce mécanisme de gouvernance.
Comme nous le verrons dans la partie descriptive, les dix années étudiées permettent de
prendre en compte des situations très différentes de rotation des dirigeants, avec un taux
annuel de changements de dirigeants oscillant entre 5 et 10%. La seconde raison est liée à la
possibilité d'évaluer l'impact de la dimension managériale sur les décisions et la performance
de la firme. Comme l'ont explicité Bertrand et Schoar (2003) dans leur étude, l'influence du
dirigeant sur la politique de la firme ne peut être identifiée isolément des autres
caractéristiques de la firme (activité, technologie…) si celui-ci n'a pas changé sur la période
étudiée.
Deux bases de données ont été constituées. La première reprend les données collectées sur
l'ensemble des dirigeants ayant exercé dans une société cotée française sur la période étudiée,
qu'ils soient encore en fonction ou qu'ils aient été à la tête de l'entreprise à un moment donné
entre 1996 et 2005. Elle sert de support à l'analyse descriptive présentée au chapitre X. Les
banques ont été retirées de l'échantillon car leurs bilans s'analysent de manière différente, et
certains ratios utilisés, comme la capacité d'autofinancement divisée par les dettes à moyen et
long terme, n'auraient pas été cohérents avec les autres entreprises étudiées. Elles figuraient
dans les travaux de Bauer et Bertin-Mourot (1987, 1995), mais pas dans ceux de Pigé (1993,
1996). La base contient des informations sur les dirigeants relatives à leur curriculum vitae,
recensées grâce à trois sources principales : Topmanagement, le Who's Who et le guide des
Etats Majors, qui ont été systématiquement croisées pour améliorer la qualité des
renseignements recueillis. Les données manquantes ont été recherchées sur les sites des
sociétés et dans la presse, grâce à LexisNexis. Les nombreux recoupements effectués entre les
différentes sources confortent la validité interne de nos données et sont un gage de la solidité
de notre matériel empirique. La base constituée inclut également des renseignements sur les
entreprises qu'ils ont dirigées, obtenus dans Osiris.
207
Données collectées dans la base initiale
Sur le dirigeant
- année de nomination
- année de départ (s'il n'est plus en poste)
- date de naissance
- nationalité
- détail de sa formation
- origine (interne, externe…)
- date d'entrée dans la vie active
- date d'entrée dans la société
- poste précédent occupé (fonction et société)
- nombre
de
postes
antérieurs
(avec
distinction
ministères/entreprises)
- nombre de fonctions différentes exercées
- nombre de postes à l'international
- nombre de mandats (direction, administrateur)
- nombre de groupes différents dans lesquels le dirigeant a
travaillé
- nombre de secteurs différents où il a exercé (classification en
sept secteurs d'activité : BTP, transport, industrie, services,
banques et assurances, distribution, ministères, codifiée à
partir de l'activité principale du groupe)
- motif de départ du prédécesseur
Sur la société
- forme juridique
- ville d'implantation du siège
- nombre de filiales
- chiffre d'affaires
- effectif
- capitalisation boursière en 2005
- marché de cotation
- secteur d'activité
- Tableau 10 : détail des informations collectées dans la base initiale -
208
La seconde base est celle qui a servi aux tests du modèle théorique. Elle contient 165 fiches
de dirigeants. Par rapport à la base initiale, nous n'avons pas conservé :
- 322 dirigeants qui sont aussi les créateurs de l'entreprise, plusieurs voies
d'intervention du marché managérial ne s'exerçant pas dans leur cas au moment
de la nomination : évaluation du dirigeant ayant conduit à sa sélection, sanction
du prédécesseur, réduction des coûts disciplinaires liés à l'enracinement du
dirigeant antérieur, récompense du dirigeant nommé pour ses qualités et ses
performances.
- 238 dirigeants qui ont exercé sur la période étudiée mais qui étaient déjà en
poste en 1996.
- 77 dirigeants identifiés comme des prédécesseurs mais qui ont dirigé la
société avant qu'elle ne soit cotée (pour calculer la mesure de performance que
nous avons retenue, nous avons eu besoin de la capitalisation boursière) et 23 car
la société n'était pas cotée sur toute la période étudiée pour ce même calcul (cinq
ans).
- 121 fiches trop incomplètes malgré nos efforts pour collecter les données
manquantes.
- 61 dirigeants ayant été nommés en 2005, la variable de performance étant
calculée sur deux années avant et après le changement de dirigeant.
La base de test a été enrichie d'informations complémentaires par rapport à la base initiale,
l'objectif étant cette fois de tester notre modèle. Le détail est présenté dans le chapitre IX qui
décrit les variables et leur opérationnalisation.
209
CHAPITRE IX : DESCRIPTION ET OPERATIONNALISATION DES
VARIABLES
Le choix des variables est une étape très importante de la partie empirique, car la validation
ou la réfutation de nos hypothèses en dépend fortement, et de ce fait les conclusions sur la
qualité de notre modèle également.
9.1. La variable expliquée
La mesure de la performance est une question complexe, qui dépend de la perspective
choisie pour l‟analyse. Les critères de mesure, qu‟ils soient comptables ou boursiers,
présentent des déficiences, et leur aptitude à capturer la capacité de la firme à créer de la
valeur n‟est ni certaine ni partagée par tous les auteurs. D‟après Charreaux et Desbrières
(1997, p. 28), "il y a création de valeur si le surplus obtenu par l‟entreprise permet de
rémunérer les différents apporteurs de ressources financières au-delà de leur coût
d‟opportunité".
Une mesure de performance fréquemment utilisée dans les études de gouvernance relevant
de l‟approche financière actionnariale est l‟évolution du cours de bourse pour les sociétés
cotées. Cette évolution est analysée soit sous la forme événementielle, en prenant en compte
les rentabilités anormales enregistrées au moment du phénomène, soit sur une durée plus
longue, relativement aux autres entreprises du secteur ou à l‟ensemble du marché, par
exemple dans les systèmes de rémunération. Nous ne l'avons pas retenue pour plusieurs
raisons. Le choix de cette mesure pose le problème de l‟efficience des marchés boursiers, de
leur capacité à intégrer immédiatement et totalement toute information disponible. De plus, la
fixation de la date de changement et la durée de la fenêtre à considérer peuvent être sujet à
controverse. Dans le cas qui nous intéresse, faut-il porter notre attention à la variation de la
rentabilité au moment de la première annonce d'un futur de changement de dirigeant ou à la
date de sa prise de fonctions ? La durée de la fenêtre est encore plus problématique, car pour
prendre en compte les résultats des efforts et des compétences du nouveau dirigeant, plusieurs
années apparaissent nécessaires.
210
D'autres mesures s'intéressent à la performance partenariale et incluent des critères non
financiers tels que les parts de marché, l'indice de satisfaction de la clientèle, des critères de
contrôle de gestion… Beaucoup plus riches, elles permettent l'appréhension d'une notion de
performance élargie, ne se limitant pas à la maximisation de la valeur actionnariale. Elles
nous semblent particulièrement intéressantes, mais, comme le fait ressortir Tirole (2001), la
mise en œuvre de ce type de mesure est délicate et pose le problème de l'accès aux
informations et de leur uniformisation. Ainsi le balanced scorecard de Kaplan et Norton
(2005), outil élaboré prenant en compte les différentes sources de création de valeur et
l‟ensemble des partenaires, peut constituer une base d‟information très utile en interne, mais
la multiplicité et l‟équipondération des critères rendent difficile l‟usage et l‟analyse de cette
mesure dans les études empiriques.
Les mesures comptables et financières utilisées dans les études de gouvernance (et plus
généralement dans les études de finance d'entreprise) sont multiples : le ROE (return on
equity ou taux de rentabilité des capitaux propres), le ROA (return on assets ou taux de
rentabilité des actifs)… Des mesures hybrides sont également fréquemment retenues,
notamment le Q de Tobin, rapport entre la valeur de marché de l‟entreprise et sa valeur
comptable. Il est considéré comme une mesure des opportunités de croissance, de la qualité
des dirigeants et autres actifs intangibles. Mais aucune de ces mesures n'est fondée
explicitement sur le coût du capital qui a été nécessaire pour réaliser la performance.
Nous nous sommes intéressés à l'EVA, Economic Value Added, proposée par le cabinet
Stern Stewart, qui est une adaptation d'une mesure ancienne le bénéfice "résiduel", comme
mesure de performance, car elle nous apparaît constituer une bonne approche de la création de
valeur dans la firme. Elle repose sur l'idée qu'une firme est réellement créatrice de richesse si
son activité permet de dégager une rentabilité supérieure au coût des ressources financières
utilisées, qui incluent les fonds propres mis à disposition par les actionnaires. Représentant le
résultat résiduel, l'EVA est "la valeur subsistant après que les actionnaires d'une société (et
tous les apporteurs de capital) aient été rémunérés de manière adéquate"67 (Stern et al. 1996,
p. 224). Elle traduit la manière dont la stratégie des dirigeants affecte la richesse des
actionnaires, en rendant explicite le coût du capital provenant des différents apporteurs
(financiers et actionnaires). Une mesure de performance satisfaisante "d'un côté doit être
67
Stern J.M., Stewart G.B. III, Chew D.H. (1996, p. 224) : "the value that is left over after a company's
stockholders (and all other providers of capital) have been adequately compensated".
211
fortement corrélée aux changements de richesse des actionnaires, de l'autre ne pas être sujette
au caractère aléatoire et aux bruits inhérents au cours boursier de l'entreprise"68 (Bacidore et
al., 1997, p. 11). L'EVA, pour les auteurs, répond à cette double condition. Lorsque les
actionnaires sont mieux rémunérés par la firme qu'ils ne l'attendaient, compte tenu du niveau
de risque de celle-ci, ils ont plus que couvert leur coût d'opportunité ajusté au risque. L'EVA,
en montrant comment la firme a performé relativement aux capitaux qu'elle a employés pour
obtenir ces résultats, nous semble constituer une mesure de création de valeur plus élaborée et
plus pertinente que les mesures traditionnelles. Souvent considérée comme une évaluation de
l'efficacité des dirigeants pour une année donnée, elle apparaît bien adaptée à notre question
de recherche et à notre cadre théorique.
L'EVA peut être calculée chaque année en multipliant la valeur comptable économique des
capitaux propres de la firme (C) au début de l'année par la différence entre le résultat (R) et le
coût des fonds propres (K) :
EVAt = (Rt – Kt )* Ct-1
Elle peut aussi s'exprimer, de façon équivalente, comme la différence entre le résultat
d'exploitation après impôt (NOPAT) et le montant de l'actif économique (capitaux propres
comptables + dettes financières stables) multiplié par le coût moyen pondéré du capital :
EVAt = NOPATt – CMPt * AEt-1
Deux arguments sont fréquemment opposés à l'utilisation de l'EVA. Le premier est lié à la
complexité de sa mise en application. En effet, dans les modalités proposées par le cabinet
Stern Stewart, de nombreux retraitements sont à effectuer (164 sont listés, mais ne sont pas
tous pris en compte dans la plupart des calculs d'EVA). Dans une analyse quantitative comme
la nôtre, l'accès limité aux informations comptables, la source utilisée, Osiris, ne reprenant pas
l'intégralité des bilans et comptes de résultat, rend délicats les calculs d'EVA. Le second
réside en la difficulté de déterminer le coût du capital.
68
Bacidore J.M., Boquist J.A., Milbourn T.T., Thakor A.V. (1996, p. 11) : "on the one hand, must be correlated
highly with changes in shareholder wealth and, on the other, should not be subject to all of the randomness and
"noise" inherent in a firm's stock price".
212
Compte tenu de notre intérêt pour cette mesure de performance, qui nous semble pouvoir
traduire à la fois la création de valeur et le rôle joué par le dirigeant dans celle-ci, nous avons
retenu la méthode utilisée par Fernandez et Villanueva (2005) pour calculer la valeur créée
pour les actionnaires, car elle nous apparaît proche de la définition de l'EVA et de ses
préoccupations, et présenter des atouts similaires tout en évitant les incertitudes de la mesure
comptable du résultat.
Les auteurs recherchent tout d'abord la valeur actionnariale ajoutée (SVA), c'est-à-dire la
différence entre la richesse des actionnaires à la fin de l'année étudiée (n) et celle de l'année
précédente, qu'ils calculent ainsi :
SVAn = variation de la valeur de marché des capitaux propres (EMV) entre n et (n-1)
+ dividendes payés durant l'année n
- montant des augmentations de capital
+ tous autres paiements aux actionnaires (émission en dessous du pair, rachats
d'actions)
- montant associé à la conversion des obligations convertibles ou autres
obligations donnant accès au capital.
Ils déterminent alors la rentabilité requise des capitaux propres (Ke), c'est-à-dire le coût des
fonds propres, selon la logique du MEDAF, en ajoutant au taux de rentabilité des obligations
d'État, censé exprimer le taux de l'actif sans risque, la prime de risque spécifique à la firme.
La création de valeur pour l'actionnaire (CSV) est ainsi :
CSVn = SVAn – (EMVn-1* Ke)
Cette mesure s‟écarte de l‟EVA stricto sensu dans la mesure où la valeur créée n‟est pas
déterminée à partir du résultat comptable mais à partir de la variation de la valeur de marché
des fonds propres pendant l‟année. Il s‟agit donc d‟une mesure externe, par le marché, de la
valeur créée. En tant que mesure de marché, elle tient compte des révisions des anticipations
par les investisseurs financiers notamment quant à la valeur des opportunités de croissance.
Elle s‟écarte donc de l‟EVA standard qui s‟appuie sur la mesure comptable, « interne », du
résultat créé et donc est vulnérable aux manipulations de la comptabilité. D‟une certaine
manière, nous préférons être soumis aux aléas de l‟évaluation par le marché qu‟aux biais de
manipulation comptable, mais ce choix peut se contester.
213
Compte tenu de ce que nous souhaitons étudier, nous avons calculé les CSV sur une fenêtre
de cinq années, allant de -2 à +2 par rapport à n, année du changement du dirigeant. Une
étude sur sept ans aurait sans doute été souhaitable, mais l'élargissement de la période aurait
conduit à diminuer encore notre échantillon, d'autant plus que le nombre de changements est
croissant sur la période étudiée et particulièrement élevé en 2004 et 2005. Elle aurait
également réduit l'actualité de notre analyse, en s'arrêtant aux changements de dirigeants de
l'année 2003.
Les informations nécessaires au calcul de SVA ont été collectées dans la base Osiris. Les
données comptables sont toutes issues des bilans consolidés. Les capitalisations boursières ont
été vérifiées avec les cours historiques ajustés fournis sur fr.finance.yahoo.com.
Pour déterminer Ke, nous nous sommes appuyés sur le MEDAF :
Ke = E(Ri) = Rf + β*(E(Rm) – Rf).
La moyenne annuelle des TME, taux moyen des emprunts d'Etat, a été retenue pour le taux
de l'actif sans risque, Rf. La prime de risque anticipée du marché a été pour simplifier estimée
par la prime de risque historique pour la France calculée sur 104 ans par Dimson et al.69 en
2005, et qui figure dans le Vernimmen, 2005, p. 447), soit 3,7%.
Les β ont été calculés grâce aux cours historiques ajustés obtenus sur fr.finance.yahoo.com,
et pour les années les plus éloignées sur Fininfo, en utilisant la relation :
β = COV(Ri,Rm) / VAR(Rm)
Le taux de marché retenu correspond à celui du CAC 40, seul indice existant sur toute la
période étudiée. Bien que calculé sur un échantillon réduit d'entreprises, il nous apparaît une
estimation satisfaisante pour nos tests car les différents indices boursiers sont fortement
corrélés. Nous avons effectué tous les calculs en respectant la date d'arrêté des bilans (mars,
juin, septembre ou décembre), par souci de cohérence avec les informations comptables
entrant dans la formule utilisée pour notre mesure de performance CSV.
Les SVA ont été déterminées à partir des informations d'Osiris (corrigées éventuellement
pour les capitalisations boursières) de la manière suivante :
69
Dimson, Marsh, Staunton (2005), Global Investment Returns Yearbook 2005, ABN-AMRO-LBS.
214
SVA n+1 = EMV n+1 – EMV n
(a)
+ dividendes de n (versés en n+1)
- ABS (variation de capital entre n et n+1)
(b)
(a) EMV capitalisation boursière de la société à la date d'arrêté du bilan.
(b) la variation de capital est la somme de la variation du capital social et de la variation des
primes d'émission afin de tenir compte des ajustements de la richesse investie par les
actionnaires pendant l'année considérée.
Notre variable à expliquer, la variation de performance de la firme, correspond à la
différence entre la valeur créée en moyenne les deux années avant le changement de dirigeant
((CSVn-2 + CSVn-1)/2) et celle créée en moyenne les deux années ayant suivi ce changement
((CSVn+2 + CSVn+1)/2). Afin d'éliminer l'effet taille, nous avons rapporté chacune de ces
moyennes à la valeur de la firme au début de la période considérée, soit EMV n-3 pour la
création de valeur attribuable à l'ancien dirigeant, et EMVn pour celle correspondant au
nouveau dirigeant. EMVn est en effet la valeur de la société au moment où elle lui a été
confiée.
VAR PERF = [(CSVn+2 + CSVn+1)/2] / EMVn - [(CSVn-2 + CSVn-1)/2] / EMVn-3
9.2. Les variables explicatives relatives au rôle du marché des dirigeants
Nous allons maintenant décrire et commenter les opérationnalisations qui ont été retenues
pour chacune des variables explicatives correspondant aux différentes voies d'intervention du
marché managérial.
9.2.1. La sanction
L'hypothèse H1 est relative à l'un des leviers disciplinaires du marché managérial, la
sanction. Dans la théorie de l‟agence, la menace de révocation incite les dirigeants à agir dans
l'intérêt des actionnaires. Une mauvaise performance engendre le départ du dirigeant, et
devrait être suivie d'une amélioration des résultats de la firme, la sanction récente traduisant
215
pour le nouveau dirigeant une menace bien réelle dans cette firme en cas de résultats
insuffisants.
Nous avons donc recherché si le changement de dirigeant correspondait à un départ forcé.
Nous nous sommes intéressés aux conditions de départ du dirigeant sortant, de façon à cerner
le lien entre ce départ et la variation de performance :
-
Le dirigeant a quitté ses fonctions volontairement (offre de promotion, départ à la
retraite attendu…).
-
Le prédécesseur est parti suite à des divergences avec les actionnaires ou le conseil
d'administration, ou consécutivement à l'arrivée d'un nouvel actionnaire principal,
mais sans avoir enregistré de mauvaises performances.
-
Il a fait l'objet d'un départ forcé consécutivement à des pertes financières ou à une
forte dégradation du cours boursier.
Les informations ont été recueillies dans la presse, à partir de recherches sur LexisNexis,
permettant de collecter l'ensemble des articles de journaux relatifs à la nomination du nouveau
dirigeant et au départ de son prédécesseur (les Echos, la Tribune, journaux régionaux…). La
lecture de la presse sur une période encadrant le changement de dirigeant permet
généralement d'identifier les motifs de départ du prédécesseur. Nous avons contrôlé
l'existence de pertes financières et celle d'une chute des cours l'année du changement ou
l'année précédente en décalage avec l'évolution du marché boursier sur la même période. La
variable SANCTION comporte trois modalités : elle est égale à 0 s'il n'y a pas eu de sanction
identifiée, à 1 en cas de départ contraint suite à des divergences avec les actionnaires ou les
administrateurs, et enfin à 2 lorsque le prédécesseur a fait l'objet d'un départ forcé pour de
mauvaises performances. Sa codification est basée sur une notion de progression : degré de
gravité de l'origine de la sanction, qui sera utilisée pour l'interprétation des résultats.
9.2.2. La récompense
La deuxième voie d'intervention disciplinaire du marché managérial que nous avons
identifiée, la récompense des dirigeants performants, est l'objet de l'hypothèse H2. La
perspective d'une récompense, en se voyant confier un poste plus prestigieux et/ou attribuer
une rémunération plus élevée, constitue pour les dirigeants une incitation à rechercher la
maximisation de la valeur de la firme (Renneboog et Trojanowki, 2003). Si la définition de la
variable explicative RECOMPENSE apparaît assez simple, son opérationnalisation est
216
beaucoup plus complexe, principalement pour des raisons d'accessibilité aux données. La
comparaison de la rémunération du dirigeant avant et après sa nomination à la tête de la
société aurait été un critère pertinent d'évaluation de la récompense, malheureusement les
informations sur les rémunérations des dirigeants ne figurent systématiquement dans les
rapports annuels que depuis la loi sur les Nouvelles Régulations Economiques de 2001, or
nous travaillons sur la période 1996 – 2005. D'autres raisons n'ont pas permis non plus
d'accéder à ces données : un certain nombre de dirigeants ne l'étaient pas avant, notamment
lorsqu'ils sont issus de la voie interne, d'autres occupaient des fonctions de direction mais
dans une société non cotée. La seconde opérationnalisation envisagée a été de vérifier la
performance du nouveau dirigeant dans son poste précédent. Là encore les données collectées
étaient très partielles : comment chiffrer la performance antérieure d'un candidat qui n'était
pas déjà dirigeant ?
Nous avons de ce fait finalement choisi d'opérationnaliser la récompense par une simple
variable binaire oui / non. Nous avons retenu à nouveau la solution de la presse et recherché à
travers les articles publiés pendant la période de changement de dirigeant tout ce qui faisait
mention d'une récompense du candidat. Citons deux exemples pour illustrer nos propos :
-
Patrick Kron, nommé en 2003 à la tête d'Alstom, a été, d'après la presse, recruté car
les investisseurs lui prêtent des "qualités d'un capitaine d'industrie capable de
redresser la barre chez Alstom" 70 . Pour "la première fois à la tête d'un monstre
industriel", Patrick Kron "affiche un parcours sans faute". "A 50 ans, Il était temps
pour lui de prendre son bâton de maréchal, il voulait passer à la vitesse supérieure"
et "parfaire son ascension sociale"71. Son passage de la direction d'Imerys, entreprise
de taille moyenne qui fabrique des matériaux pour l'industrie, à celle d'Alstom, a été
codifié comme une récompense.
-
Les commentaires dans la presse relatifs à la nomination de John Schwarz à la tête
de Business Objects en 2005 nous ont conduits à la même conclusion pour ce
dirigeant : "il a le profil idéal, il a déjà réussi à hisser Symantec de 800 millions à 2,7
milliards de dollars de chiffre d'affaires et il a une grande connaissance de notre
métier qu'il a acquise chez IBM"72.
70
Le Figaro, 8 janvier 2003.
Le point, 1er avril 2004.
72
Les Echos, 13 septembre 2005, propos recueillis de Bernard Liautaud, précédent dirigeant et cofondateur.
71
217
Lorsque nous avions l'information sur la rémunération avant et après le changement, nous
en avons tenu compte pour codifier s'il y avait ou non récompense. L'obtention d'un poste
hiérarchiquement plus élevé (par exemple un directeur financier qui devient président du
directoire : c'était le cas de Dominique Giraudier, nommé à la tête du groupe Flo en 2002), et
celle d'un second poste de dirigeant, si la société précédente était de taille inférieure (estimée
par le chiffre d'affaires), ont été classifiées comme des récompenses. Nous avons également
cherché à identifier les autres motifs de la nomination du dirigeant : il s'agit du repreneur, d'un
membre de la famille actionnaire principal, ou encore du dirigeant de la maison mère qui
prend les rênes et devient le directeur général ou le président du directoire d'une de ses
filiales. Dans ces trois cas de figure, nous avons opté pour une codification "non" par défaut,
il est en effet difficile pour un dirigeant issu de la famille de déterminer si sa nomination
représente la récompense de ses qualités et de ses résultats antérieurs ou s'explique en premier
lieu par ses liens de parenté.
9.2.3. La réduction des coûts disciplinaires
Dans la vision disciplinaire, les contrats informels que le dirigeant a pu mettre en place
avec les différentes parties prenantes sont considérés comme des sources de coûts. Ils sont
souvent particulièrement développés en cas d'enracinement du dirigeant, et font obstacle à la
vision des actionnaires comme à celle des autres équipes dirigeantes, concurrents potentiels.
Le recours à un nouveau dirigeant, notamment externe, entraînerait la réduction de ces coûts
disciplinaires (Shleifer et Vishny, 1989). C'est l'idée développée dans l'hypothèse H3. Nous
avons retenu comme variable explicative exprimant cette troisième voie d'intervention
disciplinaire du marché managérial l'enracinement du dirigeant, celui-ci étant l'explication la
plus fréquente de l'existence des contrats informels. Il a été opérationnalisé de manière
simple, comme dans les travaux de Pigé (1993, 1996) ou encore de Paquerot (1997), par la
durée de poste du dirigeant précédent. Celle-ci a été recensée grâce aux trois bases utilisées
pour connaître les caractéristiques des dirigeants : Topmanagement, le Who'swho et le guide
des Etats Majors. Lorsque le prédécesseur ne figurait dans aucune de ces trois sources, nous
avons cherché l'information dans les annuaires Dafsaliens, dans les rapports annuels (à partir
du site internet de la société ou de l'AMF) ou dans la presse, à partir de recherches sur
LexisNexis.
218
L'ensemble des sources que nous venons d'évoquer ont été utilisées pour alimenter les
variables cognitives qui vont être maintenant présentées. Les curriculum vitae des dirigeants
sur les trois bases principales : Topmanagement, Who'swho et le guide des Etats Majors ne
comportant pas toujours les mêmes informations, dans un souci de vérification et
d'exhaustivité nous avons systématiquement interrogé les trois sources. Comme pour les
prédécesseurs, les données manquantes ont été complétées grâce à Dafsaliens, aux rapports
annuels, et à la presse via LexisNexis.
9.2.4. L'aide à la construction de la vision stratégique
Comme nous l'avons développé dans la première partie, au chapitre 4.1., le marché
managérial est susceptible d'intervenir dans la construction de la vision stratégique de
plusieurs manières :
-
L'influence des caractéristiques des dirigeants sur leurs choix stratégiques a fait
l'objet d'une vaste littérature, avec des résultats convergents (March et Simon, 1958,
Hambrick et Mason, 1984, Wiersema et Bantel, 1992, Bertrand et Schoar, 2003), or
ces caractéristiques ont probablement été évaluées par le marché managérial.
-
Le changement de dirigeant, qui a pu être suscité ou facilité par l'existence du
marché managérial, se traduit généralement par des réorientations stratégiques dans
l'entreprise, particulièrement significatives lorsque le candidat est un externe (Bantel
et Jackson, 1989, Finkelstein et Hambrick, 1990, Denis et Denis, 1995, Shen et
Cannella, 2003).
Relativement au premier mode d'intervention, la prise en compte des caractéristiques des
dirigeants, comme nous cherchons à expliquer la variation de performance liée au changement
de dirigeant, nous nous sommes intéressés aux écarts de profils entre le nouveau dirigeant et
son prédécesseur. Nous avons retenu les variables les plus utilisées dans la littérature : l'âge,
la formation et l'expérience, car elles correspondent également aux principaux critères
d'évaluation du dirigeant par le marché managérial que nous avons développés dans la
deuxième partie au chapitre 2.1., et aux plus objectifs. La prise de décision des dirigeants
serait influencée par leur âge, leur formation et leur expérience (Bertrand et Schoar, 2003).
L'analyse
des
caractéristiques
observables
des
dirigeants
constitue
une
manière
d'opérationnaliser leurs idiosyncrasies (Hambrick et Mason, 1984). L'appétence pour les
risques, l'innovation ou encore la réceptivité au changement d'un dirigeant seraient fonction
219
de son âge, sa durée de poste, sa formation (Wiersema et Bantel, 1992). Les caractéristiques
démographiques comme l'âge et l'ancienneté sont fréquemment utilisées pour rendre compte
de façon approximative des attributs cognitifs sous jacents. Les données sont facilement
accessibles et peuvent permettre la constitution d'échantillons plus larges, ainsi que la
comparaison entre les études (Datta et Rajagopalan, 1998). Des variables démographiques
comme l'expérience professionnelle n'ont pas de mesures psychologiques comparables
(Finkelstein, 1988). D'après Datta et Rajagopalan (1998) et Finkelstein et Hambrick (1996),
les variations dans les attributs cognitifs peuvent être évaluées à partir de quatre
caractéristiques clés des dirigeants : l'ancienneté dans l'organisation, l'âge, le niveau de
formation et l'expérience fonctionnelle. Finkelstein (1988) et Pfeffer (1983) soutiennent
fortement l'utilisation de données démographiques, pour des raisons d'objectivité et de
disponibilité des données.
La variable VARAGE, qui comptabilise la différence d'âge entre le nouveau et l'ancien
dirigeant, est l'opérationnalisation de la prise en compte de deux caractéristiques du dirigeant
dans sa vision stratégique : l'âge et l'expérience. En effet, dans une vision simplifiée,
l'expérience est supposée croître avec l'âge. De plus une opérationnalisation plus fine de
l'expérience, notamment en termes de fonctions exercées, aurait posé des problèmes de
multicolinéarité avec les variables de compétences décrites au paragraphe 9.2.5..
Pour la formation, nous nous sommes intéressés à deux aspects :
-
L'écart de niveau de diplôme entre les deux dirigeants, opérationnalisé par une
variable binaire, prenant la valeur 0 si le nouveau dirigeant et son prédécesseur ont
un diplôme de même niveau, 1 dans le cas contraire : c'est la variable
VARDIPLOME.
-
La variété de leur formation : la variable VARTYPEFORM est binaire, elle prend la
valeur 1 si le type de formation du nouveau dirigeant diffère de celui de son
prédécesseur (la distinction a été principalement faite entre les études économiques
ou de commerce, les études d'ingénieur ou techniques, les études politiques, et les
autres types de formation), la valeur 0 lorsque il est le même.
Le second mode d'intervention, les réorientations stratégiques consécutives au changement
de dirigeant, nous a conduits à retenir une nouvelle variable VARORIGINE, explicitant la
variation d'origine entre le nouveau dirigeant et l'ancien. Certaines études définissent comme
220
externes des dirigeants ayant plusieurs années d'ancienneté dans l'entreprise, en fixant un seuil
(Vancil, 1987, Chaganti et Sambharya, 1987, Guthrie et al., 1991, Rose et Shepard, 1997).
Nous avons choisi de retenir une classification stricte, qui nous semble plus pertinente : ont
été considérés comme externes tous les dirigeants qui étaient depuis moins d'un an dans
l'entreprise. Par exemple, dans la population des nouveaux dirigeants de notre échantillon,
quinze d'entre eux, issus de l'extérieur, nommés à un poste de direction générale qu'ils ont
occupé moins de douze mois avant de devenir le numéro un, ont été retenus comme
"externes". L'objectif de ce poste intermédiaire est principalement, comme en fait écho la
presse, une meilleure passation de pouvoirs entre l'ancien et le nouveau dirigeant. Les
réorientations stratégiques étant généralement attribuées au passage d'un dirigeant interne à un
externe, la variable VARORIGINE prend la valeur :
1 si le prédécesseur était un interne et le nouveau, un externe,
-1 dans le cas contraire,
0 si les deux sont internes ou externes, c'est-à-dire de la même origine.
La succession d'un créateur par un interne a été codifiée "0", car la continuité de la vision
stratégique nous a semblée sous-jacente. Les repreneurs ont été considérés comme des
externes ou des internes, selon la règle précédemment évoquée, à savoir en fonction de leur
présence dans la firme depuis moins d'un an ou non.
9.2.5. L'apport et le développement de compétences
La capacité des marchés à échanger et acquérir des connaissances est une des notions
fondamentales de la vision cognitive. L'apport de nouvelles compétences, celles du dirigeant,
et leur développement, favorisé par la multiplicité des expériences, constituent la seconde
voie d'intervention cognitive du marché managérial, dont l'incidence positive sur la
performance de la firme est testée sur la base des hypothèses H5a, H5b, H5c. Le lien entre les
compétences managériales et la génération de rentes a notamment été postulé par Castanias et
Helfat (1991, 2001), Barney (1991) ou encore Datta et Guthrie (2002).
La notion de compétences, complexe, a fait l'objet de plusieurs typologies. Nous avons
retenue celle développée par la théorie du capital humain de Becker (1964), présentée dans la
première partie de la thèse, au paragraphe 2.1.1.6., qui s'appuie sur le degré de transférabilité
des savoir-faire entre firmes :
221
- Les compétences génériques, pouvant être mises en pratique dans différentes firmes,
qui regroupent par exemple les capacités en termes de management, de marketing ou
encore de gestion.
- Les compétences sectorielles, transférables d'une entreprise d'un secteur à une autre
ayant le même type d'activité.
- Les compétences propres à la firme, qui lui sont spécifiques et ne sont pas
transférables à une autre entreprise.
La distinction proposée par Becker nous semble pertinente et bien refléter les principaux
axes de réflexion utilisés dans l'évaluation d'un candidat pour un poste de direction. Elle
apparaît en outre pouvoir être assez facilement opérationnalisable.
Nous avons ainsi retenu trois variables 73 , toujours en nous intéressant à la variation de
compétences entre l'ancien dirigeant et le nouveau :
-
VARCOMPETGENERIQUES, qui comptabilise la différence de compétences
génériques entre les deux dirigeants en fonction des différents postes qu'ils ont
occupés dans leur carrière : ventes, marketing, production, finance, international,
management. Cette variable vaut par exemple 2 (3-1) si le nouveau dirigeant a
assumé précédemment des fonctions en production, finance et management (3
compétences génériques) et l'ancien dirigeant uniquement des postes de direction (1
compétence générique). Elle prend une valeur négative (-2) si la situation inverse est
recensée.
-
VARCOMPETSECTEUR, sur le même principe, comptabilise la différence entre le
nombre de firmes appartenant au même secteur d'activité dans lesquelles le nouveau
dirigeant a exercé, quelle que soit sa fonction, et celui correspondant à son
prédécesseur.
-
73
VARCOMPETFIRME, qui reprend la différence d'années passées dans la firme.
Les deux voies d'intervention cognitives sont opérationnalisées par plusieurs variables. Nous avons effectué
des analyses factorielles pour chacune. Les facteurs obtenus ont été utilisés comme variables relais, mais les
résultats des régressions n'étaient plus significatifs : comme nous le verrons dans le chapitre XI, certaines
composantes sont significatives, mais pas toutes, de ce fait une combinaison linéaire des variables absorbe
l'intérêt de certaines d'entre elles.
222
9.3. Les variables de contrôle
Notre travail de recherche est centré sur le dirigeant, mais il apparaît évident que la création
de valeur dans une entreprise dépend de nombreux autres éléments. Nous avons introduit dans
nos tests plusieurs variables de contrôle, détaillées ci-après :
-
EFFECTIF : le dirigeant n'obtient pas ses résultats seul, il s'appuie sur son
personnel, c'est pourquoi nous nous sommes intéressés à l'effectif, même s'il s'agit
d'une approximation très sommaire ne tenant pas compte de la qualification du
personnel. Nous avons collecté l'information sur Osiris et calculé le logarithme des
différentes valeurs.
-
LOGASSETS: un indicateur de la taille de la firme habituellement utilisé dans les
régressions (logarithme du total actif).
-
FILIALES : le nombre de filiales pouvant être un indicateur de la complexité de la
fonction du dirigeant, nous avons également testé cette information obtenue à partir
de la base Osiris.
-
VARPIB : la variation du produit intérieur brut a été retenue comme variable de
conjoncture, les résultats des efforts des dirigeants étant logiquement amplifiés ou
réduits par l'évolution économique du pays où ils exercent. Le PIB est un des
indicateurs de croissance économique les plus utilisés. Le glissement annuel calculé
par l'INSEE a servi de référence pour constituer cette variable de contrôle. Nous
avons calculé l'évolution du PIB entre les deux périodes (n+1, n+2) et (n-2, n-1).
Une seule d'entre elles, VARPIB, étant significative, nous avons finalement conduit les
tests avec cette unique variable de contrôle, ce qui présente l'avantage de concentrer l'analyse
sur les voies d'intervention du marché managérial et limite les problèmes de multicolinéarité.
223
Variable
Signification
SANCTION
Sanction du prédécesseur
Opérationnalisation
0 : pas de sanction, 1 : sanction pour
divergences, 2 : sanction pour mauvaises
performances.
RECOMPENSE
Récompense du candidat
0 : non, 1 : oui
COUTSDISC
Enracinement du prédécesseur
Durée du mandat du prédécesseur.
VARAGE
Incidence du changement d'âge
Différence entre l'âge du nouveau dirigeant
entre les deux dirigeants sur la
et celui de l'ancien.
vision stratégique (rajeunissement
et expérience différente)
VARDIPLOME
Incidence de la variation du niveau
Variable binaire prenant la valeur 1 si le
de diplôme entre les deux dirigeants
niveau de diplôme du nouveau dirigeant et celui
sur les décisions stratégiques
de son prédécesseur sont différents, 0 s'il est
identique.
VARTYPEFORM
Incidence d'un changement de la
nature de la formation entre les
Variable
prenant
la
valeur
1
si
un
changement est recensé, 0 dans le cas contraire.
deux dirigeants sur les décisions
stratégiques
VARORIGINE
Incidence du changement d'origine
Variable prenant la valeur 1 si l'ancien
du dirigeant sur les réorientations
dirigeant est un interne et le nouveau un
stratégiques
externe, -1 dans le cas contraire, et 0 s'il y a
continuité (interne – interne, ou externe –
externe).
VARCOMPET
Variation de compétences
GENERIQUES
génériques entre les deux dirigeants
Différence entre le nombre de compétences
génériques du nouveau dirigeant et celui de
l'ancien, six compétences génériques étant
recensées
:
vente,
marketing,
production,
finance, international, management.
VARCOMPET
Variation de compétences
Écart entre le nombre de firmes du même
SECTEUR
sectorielles entre les deux
secteur dans lesquelles le nouveau dirigeant a
dirigeants
exercé
et
celui
correspondant
à
son
prédécesseur.
VARCOMPET
FIRME
Variation de compétences
Différence d'années passées dans le groupe.
spécifiques à la firme entre les deux
dirigeants
- Tableau 11 : opérationnalisation des variables explicatives -
224
9.4. Les déterminants ou variables de contingence
Deux familles de déterminants ont été identifiées dans la modélisation du rôle du marché
managérial : les facteurs d'influence liés à la firme (structure de propriété, secteur d'activité) et
ceux liés au dirigeant (stratégie de carrière externe, proximité de l'âge de la retraite, réseaux).
9.4.1. La structure de propriété
La distinction retenue scinde la population étudiée en trois groupes indépendants : les
firmes managériales, contrôlées ou familiales. Deux variables muettes ont été utilisées pour
opérationnaliser
les
différentes
structures
possibles
:
STRUCTMANAGERIALE,
STRUCTFAMILIALE. Elles prennent la valeur 1 s'il s'agit respectivement d'une firme
managériale ou d'une firme familiale, 0 sinon. La structure contrôlée correspond à la situation
où les deux variables muettes valent 0. L'information a été collectée à partir de Dafsaliens, par
une recherche historique : les informations ont été recensées à la date de nomination du
dirigeant. Elle a été contrôlée chaque fois que cela était possible grâce aux rapports annuels
des sociétés. Le seuil retenu est de 10% : si aucun actionnaire de la firme ne détient plus de
10% du capital, elle est codifiée comme managériale, si un actionnaire est au-delà de 10%,
l'entreprise est soit contrôlée, soit familiale selon la nature de cet actionnaire.
9.4.2. Le secteur d'activité
Une classification en six secteurs a été utilisée : bâtiment et travaux publics (BTP),
industrie, services, distribution, transport, finance. Comme pour la structure de propriété, cinq
variables muettes ont été utilisées : SECTBTP, SECTINDUSTRIE, SECTTRANSPORT,
SECTSERVICES, SECTDISTRIB, elles prennent la valeur 1 si le secteur d'activité principale
de la firme est celui évoqué dans l'intitulé de la variable, 0 dans les autres cas. Le secteur
financier est obtenu par défaut lorsque les cinq variables muettes sont à zéro, les souspopulations étant indépendantes.
Plusieurs sources ont servi à la codification, pour déterminer le secteur principal d'activité
(critère retenu : le chiffre d'affaires), les groupes en ayant souvent plusieurs : Osiris (qui
fournit le primary US SIC code et le détail des lignes métiers), les rapports annuels permettant
225
de vérifier qu'à la date de la nomination, l'activité principale était déjà celle proposée par
Osiris.
9.4.3. La stratégie de carrière externe
Cette variable, nommée STRATCARRIEREEXTERNE a été opérationnalisée par le
nombre de groupes différents dans lesquels le dirigeant a travaillé au cours de sa carrière, tous
secteurs confondus. Les renseignements ont été collectés et croisés, comme tous ceux
concernant le curriculum vitae du dirigeant, à partir des trois bases Topmanagement,
Who'swho et Guide des Etats Majors.
9.4.4. La proximité de la retraite
L'âge du dirigeant a été utilisé pour ce déterminant, en définissant la proximité de la retraite
à partir de l'idée que la nomination étudiée constitue a priori son dernier poste. La barre a été
fixée à 55 ans inclus : compte tenu de la durée moyenne de mandat relevée dans notre
échantillon et de la limite d'âge d'un dirigeant généralement fixée à 65 ans, au-delà de ce seuil
la probabilité que la nomination constitue le dernier poste du nouveau dirigeant est très forte.
La variable ainsi obtenue a été nommée PROXRETRAITE.
9.4.5. Les réseaux
Les appuis de réseaux peuvent être de multiples sortes : réseaux d'administrateurs, amicaux,
cercles professionnels, clubs… Pour des raisons d'accessibilité des données et de
comparatibilité, nous avons étudié l'impact de trois réseaux seulement : le réseau des
dirigeants ayant occupé au moins un poste dans un ministère, le réseau des plus grandes
écoles (ENA, Polytechnique, Ponts, Mines, Centrale, HEC) et celui des grands corps. Ils sont
tous les trois fréquemment évoqués dans les études du marché français, et l'information a pu
être obtenue à partir des trois bases habituelles sur les dirigeants. Les autres réseaux
(cercles…) présentent des risques de biais importants, l'information collectée étant trop
parcellaire.
Trois
variables
ont
ainsi
été
constituées
et
testées
séparément
:
RESEAUMINISTERE, RESEAUGRANDEECOLE, RESEAUGRANDSCORPS.
226
Variable
Signification
STRUCTMANAGERIALE
Structure de propriété :
STRUCTFAMILIALE
managériale, familiale ou
contrôlée
Opérationnalisation
Variables muettes prenant la valeur 1
respectivement si :
- aucun actionnaire ne détient 10% ou plus
du capital (STRUCTMANAGERIALE),
- un actionnaire d'origine familiale détient au
moins 10% du capital (STRUCTFAMILIALE)
SECTBTP,
Secteur d'activité,
Variables muettes prenant la valeur 1 si le
SECTINDUSTRIE,
décomposition en six
secteur d'activité principale de la firme est celui
SECTTRANSPORT,
secteurs (bâtiment et
évoqué dans l'intitulé de la variable, 0 dans les
SECTSERVICES,
travaux publics, industrie,
SECTDISTRIB
transport, services,
autres cas
distribution, services
financiers)
STRATCARRIERE
Stratégie de carrière
EXTERNE
externe poursuivie par le
Nombre de groupes différents dans lesquels
le dirigeant a travaillé au cours de sa carrière
nouveau dirigeant
PROXRETRAITE
Proximité de la retraite du
nouveau dirigeant (dernier
poste)
RESEAUMINISTERE
Appui réseau
Variable binaire prenant la valeur 1 si le
dirigeant est âgé de 56 ans et plus à sa
nomination, 0 sinon
Binaire prenant la valeur 1 pour les dirigeants
ayant effectué au moins un poste dans un
ministère, 0 sinon
RESEAUGRANDE
Appui réseau
ECOLE
Binaire prenant la valeur 1 pour les dirigeants
issus des plus grandes écoles (ENA,
Polytechnique, Ponts, Mines, Centrale, HEC)
RESEAUGRANDS
Appui réseau
CORPS
Binaire prenant la valeur 1 pour les dirigeants
appartenant à un grand corps de l'État
- Tableau 12 : opérationnalisation des variables de contingence -
9.5. Les autres mécanismes de gouvernance
9.5.1. Le conseil d'administration
Le rôle disciplinaire du conseil d'administration a été opérationnalisé par le pourcentage
d'administrateurs indépendants au conseil, ce critère étant pris en compte dans les obligations
légales aux Etats-Unis (loi Sarbanes Oxley de 2002) et figurant pour d'autres pays dans les
227
principales recommandations des rapports de gouvernance pour améliorer la qualité du
contrôle, en France par exemple (rapports Viénot I en 1995, Viénot II en 1999, Bouton en
2002), ou encore en Angleterre (rapport Cadbury en 1991, Combined Code en 2002). La
définition de l'indépendance retenue a été celle du document diffusé par le MEDEF et l'AFEP
en octobre 2003 (voir annexe 1), car c'est celle que nous avons rencontrée le plus
fréquemment dans les rapports annuels. Nous avons pris en considération dans notre étude le
degré d'indépendance du conseil d'administration en année n, c'est-à-dire au moment du
changement, le renouvellement du dirigeant et sa sélection ayant été décidés par les
administrateurs présents cette année là.
Plusieurs sources ont été nécessaires pour collecter les données sur cette variable. Chaque
fois qu'il était disponible sur le site de la société, nous avons utilisé le rapport annuel de
l'année du changement de dirigeant (n) pour rechercher la composition du conseil
d'administration et l'indépendance de ses membres. Nous avons vérifié la définition de
l'indépendance reprise par la société, et lorsqu'il y avait un écart avec celle que nous avions
retenue, nous avons cherché, pour compléter, les liens et le curriculum vitae des
administrateurs dans le rapport annuel, dans Dafsaliens et dans les autres bases utilisées pour
les dirigeants (Who'swho, Topmanagement, Guide des Etats Majors). Lorsque le rapport
annuel n'était pas disponible (notamment pour les années étudiées les plus anciennes), nous
avons identifié les administrateurs l'année du changement grâce à une recherche historique sur
Dafsaliens, puis le critère d'indépendance a été établi à partir des informations sur les liens des
administrateurs avec d'autres sociétés recueillies sur Dafsaliens et des renseignements sur leur
curriculum vitae figurant dans Topmanagement, le Who'swho et le Guide des Etats Majors.
Le rôle cognitif des administrateurs a été plus délicat à opérationnaliser. Nous avons
finalement retenu comme approximation le nombre de firmes différentes avec lesquelles le
conseil d'administration est en relation à travers les fonctions exercées par ses membres
(comme dirigeants ou administrateurs). Les informations ont été collectées à partir de la base
Dafsaliens, en listant pour chaque administrateur les autres sociétés avec lesquelles il pouvait
avoir des liens, puis en réduisant les doublons existants à l'intérieur d'un même conseil. Cette
estimation nous a paru constituer une solution pour prendre en compte deux aspects
importants de l'analyse cognitive : l'apport de connaissances et de compétences, supposé plus
développé si l'administrateur exerce des fonctions de direction dans d'autres sociétés, et
l'apport de réseaux, également probablement plus significatif dans ce cas.
228
Les deux variables correspondantes ont été nommées CADISC et CACOGN.
9.5.2. Le contrôle direct des actionnaires
Le contrôle direct par les actionnaires a été introduit dans notre modèle théorique sous la
dimension disciplinaire. L'opérationnalisation retenue pour cette variable, appelée
ACTIONNAIRES, a été le pourcentage détenu par l'actionnaire le plus important.
L'information a été collectée pour l'année du changement de dirigeant. La recherche
historique a été faite à partir de la base Dafsaliens. L'information a été vérifiée dans le rapport
annuel chaque fois que cela était possible.
9.5.3. Les créanciers prêteurs
C'est également le rôle disciplinaire des créanciers prêteurs qui a été pris en compte dans la
modélisation. Ceux-ci sont en effet supposés exercer un contrôle dont l'importance croît avec
l'importance du financement qu'ils accordent à la société. Le degré de liberté, de latitude du
dirigeant serait alors fonction de sa capacité d'autofinancement. C'est pourquoi la variable
CREANCIERS a été opérationnalisée à partir du ratio capacité d'autofinancement / dettes à
moyen et long terme. La CAF a été calculée de manière simplifiée :
CAF = résultat net + dotations aux amortissements
pour deux raisons : d'une part nous n'avions accès qu'à certains postes du compte de résultat
dans Osiris, la base d'information comptable et financière utilisée, d'autre part nous avons
travaillé sur les comptes consolidés, pour lesquels il n'y a pas de calcul standard de la CAF.
Les données ont été collectées l'année n du changement de dirigeant.
9.5.4. Le marché des prises de contrôle
Deux voies d'intervention du marché des prises de contrôle ont été prises en compte dans
notre modèle théorique : une disciplinaire et une cognitive. Sous la dimension disciplinaire,
nous avons opérationnalisé la variable MPCDISC à partir du caractère opéable de la société.
En effet si la firme est réputée opéable, l'incitation à la performance est certainement plus
forte pour le dirigeant, qui veut éviter d'être évincé en cas de prise de contrôle. Nous avons
utilisé plusieurs méthodes pour déterminer si une entreprise de notre échantillon était opéable
ou non. La notion de menace étant importante dans le rôle disciplinaire joué par le marché des
229
prises de contrôle, nous avons recherché sur LexisNexis tous les articles parus dans la presse
française contenant le mot "opéable". Ils sont nombreux, nous en avons étudié 1385 sur la
période 1996 – 2007 (dont 1000 depuis fin 2001). Ils sont essentiellement issus de la presse
financière (la Tribune, les Echos, le Journal des Finances…). Ceci nous a permis d'identifier
143 sociétés réputées opéables à une date donnée (dont 47 appartenant à notre base de tests),
et 40 sociétés réputées non opéables (dont 17). Pour codifier les autres firmes, nous avons
tenu compte des informations complémentaires sur la société dont nous disposions (structure
en commandite, existence de pactes d'actionnaires). Enfin nous avons classifiée comme
opéable toute entreprise satisfaisant à au moins un des deux critères suivant :
-
n'avoir pas d'actionnaire de type industriel ou familial détenant plus d'un tiers du
capital,
-
avoir plus de 33% de flottant.
La barre a été fixée relativement aux obligations de déposer une offre publique d'achat pour
toute personne physique ou morale venant à franchir le seuil d'un tiers du capital ou des droits
de vote. Les firmes détenues majoritairement par des investisseurs institutionnels ou de type
managérial ont été classées comme opéables.
L'intervention cognitive du marché des prises de contrôle peut s'effectuer sous deux
formes : d'une part, des réorientations stratégiques sont généralement mise en place
consécutivement à l'arrivée d'un repreneur, d'autre part la firme va probablement bénéficier de
l'apport des connaissances, des compétences et des réseaux du repreneur. Pour l'analyser le
rôle cognitif du marché des prises de contrôle, nous avons recherché les entreprises ayant
changé d'actionnaire principal l'année du renouvellement du dirigeant : la variable binaire
MPCCOGNSTRAT reprend cette information (elle prend la valeur 0 s'il n'y a pas eu de
changement,
1
dans
le
cas
inverse).
Nous
avons
créé
une
autre
variable,
MPCCOGNCOMPET, qui codifie le repreneur en fonction de sa qualité : financier,
investisseur institutionnel, industriel, individuel, salariés.
9.5.5. Le marché des biens et services
Le marché des biens et services a été introduit dans le modèle théorique sous la dimension
disciplinaire, la latitude du dirigeant pouvant être réduite par l'existence d'une forte
concurrence sur son secteur d'activité. Le risque de sanction par ce mécanisme est supposé
agir en complémentarité du rôle joué par le marché managérial. Une baisse de compétitivité
230
de la firme constitue une alerte, qui peut, si elle n'est pas prise en compte, engendrer des
conséquences sévères conduisant jusqu'au dépôt de bilan ou au redressement judiciaire, et
souvent généralement à la révocation du dirigeant. La variable MBSDISC, représentant le
rôle disciplinaire du marché des biens et services, a été opérationnalisée par le nombre de
firmes ayant le même code d'activité rapporté au nombre total de firmes répertoriées en
France. L'information a été collectée sur la base Diane pour l'activité principale recensée, en
s'appuyant sur la nomenclature d'activités française NAF rév. 1 de 2003 niveau 60 distinguant
99 divisions (utilisée par Diane).
Variable
CADISC
Signification
Opérationnalisation
Rôle disciplinaire du CA
% d'administrateurs indépendants
au conseil
CACOGN
Rôle cognitif du CA
Nombre de firmes différentes avec
lesquelles les administrateurs sont
en relation par mandat
ACTIONNAIRES
CREANCIERS
MPCDISC
Contrôle direct par les actionnaires
% actionnaire principal
Rôle disciplinaire des créanciers
Capacité d'autofinancement /
prêteurs
Dettes à Moyen et Long Terme
Rôle disciplinaire du marché des
Caractère opéable de la société
prises de contrôle
MPCCOGNSTRAT
Incitation aux réorientations
Binaire oui/non s'il y a eu
stratégiques suite à une prise de
changement d'actionnaire principal
contrôle
MPCCOGNCOMPET
Apport des compétences du
Nature du repreneur (financier,
marché des prises de contrôle
investisseur institutionnel,
industriel, individuel, salariés)
MBSDISC
Rôle disciplinaire du marché des
Nombre de firmes ayant le même
biens et services
code d'activité principale sur la
population totale des firmes
répertoriées
- Tableau 13 : opérationnalisation des variables représentant les autres mécanismes de
gouvernance -
231
CHAPITRE X : LES CARACTERISTIQUES DU MARCHE MANAGERIAL
FRANÇAIS
L'échantillon de base, qui contient 1007 fiches de renseignements, nous permet de dresser
un portrait assez détaillé des dirigeants ayant été à la tête d'une société cotée française entre
1996 et 2005. Cette partie descriptive apporte sa contribution à notre réflexion, en
enrichissant et en actualisant la vision du marché managérial français qui émanait de travaux
précédents (Pigé, 1993 et 1996, Dherment Ferrère et Renneboog, 2000, Bertrand et al., 2004,
Nguyen-Dang, 2005). Comme nous l'avons déjà évoqué dans le chapitre VIII, un des intérêts
de notre étude est d'analyser, sur une période récente, le marché des dirigeants en prenant en
compte des sociétés de tailles différentes, certes cotées pour des raisons d'accessibilité aux
données, mais offrant un éventail de situations plus large qu'un panel constitué des deux cents
plus grosses entreprises françaises.
Le tableau 14 ci-dessous et les deux graphiques qui le suivent détaillent les caractéristiques
des sociétés étudiées, et mettent en évidence leurs disparités. Le chiffre d'affaires en 2005 de
la plus petite entreprise cotée est inférieur à 100 000 euros (Etablissements Fauvet Girel),
celui de la plus grosse atteint 121 milliards d'euros (Total). 50% des firmes de l'échantillon
réalisent moins de 100 millions de chiffre d'affaires. Les effectifs, avec une moyenne de 11
167 personnes, présentent également une dispersion très large : ils vont de 3 personnes pour
Access2net à 440 479 pour Carrefour. Enfin la capitalisation boursière varie de 830 000 euros
pour Edip à 136 milliards d'euros pour Total. La moitié des sociétés étudiées a une
capitalisation boursière inférieure à 100 millions d'euros. Les groupes français analysés
comptent en moyenne 70 filiales, le plus petit n'en ayant aucune, le plus grand plus de 5 000
(AXA). 42% des firmes de l'échantillon ont moins de 10 filiales.
232
Chiffres d'affaires
(millions d'euros)
Effectif
Capitalisation
boursière
(millions d'euros)
Nombre de filiales
Moyenne
Médiane
Minimum
Maximum
2 241
100
0,1
120 545
11 167
2 364
654
99
3
0,83
440 479
135 703
70
13
0
5059
- Tableau 14 : description des 637 sociétés françaises cotées constituant l'échantillon –
REPARTITION DES SOCIETES DE L'ECHANTILLON SELON
LEUR CHIFFRE D'AFFAIRES
%
20
15
10
5
0
<= 10
11 à 20
21 à 50 51 à 100
101 à
200
201 à
500
501 à
1000
1001 à
10000
> 10 000
M€
- Figure 12 : répartition par tranche de chiffre d'affaires des sociétés de l'échantillon –
REPARTITION DE L'ECHANTILLON SELON L'EFFECTIF
%
30
25
20
15
10
5
0
< 100
101 à 500
501 à
1000
1001 à
5000
5001 à
10000
10000 à
100000
> 100000
- Figure 13 : répartition par tranche d'effectif des sociétés de l'échantillon –
233
Les groupes familiaux dominent dans l'échantillon : 61%, ce qui est en cohérence avec les
études précédentes effectuées sur la France, et la part de créateurs propriétaires de leur
entreprise est élevée, comme nous le verrons au paragraphe 10.1.. Les firmes contrôlées74
représentent 34% de la base et les sociétés managériales75 5% seulement.
Structure de propriété
Managériale
Contrôlée
Familiale
Firmes de l'échantillon
5%
34%
61%
(562 observations)
- Tableau 15: Répartition des firmes de l'échantillon selon la structure de propriété –
Sur la période étudiée, la base de données reprend les informations relatives à 641
dirigeants en place (ce nombre est supérieur à 637 car certaines sociétés ont une direction
bicéphale : E.A.D.S., JC Decaux), et à 366 dirigeants ayant été en fonction entre 1996 et
2005.
Nous avons, chaque fois que cela était possible, rapproché nos chiffres de ceux de Pigé
(1993), dont l'étude portait sur 558 sociétés cotées françaises entre 1980 et 1990. Notre
échantillon est un peu plus large (637 sociétés), mais coïncide probablement assez bien avec
celui de Pigé, et le parallèle effectué permet de souligner certaines évolutions intéressantes du
marché managérial français. Certaines données des études de Bertrand et al. (2004) et
Nguyen-Dang (2005) ont également été utilisées pour faire des rapprochements avec nos
résultats. Rappelons que l'analyse de Bertrand et al. portait sur les dirigeants des sociétés
cotées françaises entre 1989 et 2002 recensés dans le Who's Who ou les annuaires des anciens
élèves de l'ENA et de Polytechnique.
Des comparaisons internationales ont également été opérées afin d'essayer de dégager les
particularités françaises. Deux études récentes, déjà présentées au chapitre II, paragraphe
2.1.4., ont été utilisées : l'analyse des dirigeants américains de Fortune 100 à deux périodes
données : 1980 et 2001, réalisée par Cappelli et Hamori (2005) et celle portant sur les 2 500
74
75
Firme contrôlée : un actionnaire, qui n'est ni individuel ni d'origine familiale, détient plus de 10% du capital.
Société managériale : capital dispersé, aucun actionnaire n'en détenant au moins 10%.
234
plus importantes capitalisations boursières mondiales de 1995 à 2004, proposée par Péladeau
et al. du cabinet Booz Allen Hamilton (2005).
Les tableaux 16 et 17 ci-dessous présentent une synthèse des échantillons et des sources
utilisées dans les études que nous avons retenues à titre de comparaison, pour la France d'une
part et pour l'international d'autre part. Concernant la France, notre étude se distingue des
travaux antérieurs les plus récents par son périmètre. En effet le croisement de trois sources
sur les dirigeants (Who's Who, Guide des États Majors, Topmanagement), la recherche
d'informations complémentaires sur LexisNexis et les sites des sociétés, qui ont conforté la
fiabilité de notre base de tests, ont aussi permis un élargissement de la population prise en
compte, le Who's Who, fréquemment utilisé, ne recensant que les dirigeants les plus connus.
Auteurs
Année
Échantillon
Période
étudiée
Sources utilisées
sur les dirigeants
1993
1996
559 sociétés cotées françaises
1966-1990
- Desfossés
- Dafsa
- Who's who
DhermentFerrère et
Renneboog
2000
235 sociétés cotées au premier
marché de Paris ayant
enregistré un changement de
dirigeant
1988-1992
- Desfossés
- Dafsa
- Who's Who
Les Échos
Bertrand,
Kramarz,
Schoar,
Thesmar
2004
Sociétés cotées françaises
1989 - 2002
-Who's Who
- Dafsa
- Annuaires des écoles
ENA et Polytechnique
Nguyen-Dang
2005
Plus grandes sociétés cotées
françaises (200 en début de
période, 400 en fin)
1994-2001
- Guide des États
Majors
- Lexis-Nexis
Pigé
- Tableau 16 : caractéristiques des échantillons des études des dirigeants français prises en
comparaison –
Auteurs
Année
Échantillon
Période
étudiée
Sources utilisées sur
les dirigeants
Péladeau,
Romac et
Favennec,
2005
2500 plus grandes entreprises
mondiales
1995, 1998 et
2000-2005
Étude annuelle du
cabinet Booz Allen
Hamilton
Cappelli et
Hamori
2005
Dirigeants des sociétés
américaines figurant dans
Fortune 100
1980 et 2001
- Dun & Bradstreet
reference book of
corporate managements
- Standard & Poor's
register of corporations,
directors and executives
- Tableau 17 : caractéristiques des échantillons des études internationales prises en
comparaison –
235
10.1. Caractéristiques du marché managérial français entre 1996 et 2005
La base de données constituée permet de dégager les grandes caractéristiques du marché
managérial français sur la période étudiée et d'en apprécier l'évolution. Nous avons estimé son
activité en calculant le taux de rotation des dirigeants, en nous intéressant à leur origine et à
leur longévité, à la rapidité d'accession à un poste de dirigeant, au taux de départs forcés ainsi
qu'à la motivation de ces derniers.
10.1.1. Taux de rotation des dirigeants
Le taux de rotation des dirigeants français apparaît assez faible sur la période, bien que dans
la fourchette attendue : il est en moyenne de 6,9%. Une augmentation de ce taux est
observable et notable en 2004 et en 2005. Si la période étudiée est scindée en deux, le taux de
rotation annuel des dirigeants ressort à 6,5% de 1996 à 2000 et à 7,4% de 2001 à 2005, en
nette progression. Il a atteint 10% en 2005. Dans l'analyse de Nguyen-Dang (2005), le taux de
rotation des dirigeants ressortait à une moyenne de 6% entre 1994 et 2001. Ces éléments
iraient dans le sens d'un renforcement du rôle du marché managérial. Nos statistiques sont
nettement inférieures à celles publiées par Péladeau et al. (2005) pour l'Europe (10% en 2003,
17% en 2004), mais le périmètre géographique est différent et la taille des sociétés analysées
également, leur étude portant sur les plus grandes capitalisations boursières mondiales. Il n'est
pas surprenant que le taux de rotation soit plus réduit dans des entreprises de taille inférieure,
l'accès au marché des dirigeants étant plus difficile et plus coûteux proportionnellement.
Il est intéressant de noter, comme le montre le tableau 18 extrait de l'étude de Péladeau et
al. (2005), que l'Europe, à part le rattrapage de 2004, connaît un taux de renouvellement
toujours inférieur à celui de l'Amérique du Nord et du Japon. Le rapprochement des deux
études laisse à penser que le marché managérial français serait moins actif que le marché du
travail des dirigeants américain ou japonais : les changements de dirigeants seraient moins
fréquents en France, mais une convergence serait en cours, le taux de départs ayant fortement
augmenté en 2004 et 2005.
236
TAUX DE ROTATION ANNUEL DES DIRIGEANTS
12,0%
10,0%
10,0%
8,0%
6,0%
6,7%
7,0%
1997
1998
7,5%
6,7%
6,5%
1999
2000
6,5%
5,4%
7,0%
5,9%
4,0%
2,0%
0,0%
1996
2001
2002
2003
2004
2005
- Figure 14 : taux de rotation annuel des dirigeants français sur la période 1996 à 2005 –
- Tableau 18 : taux de rotation annuelle des dirigeants des plus grandes capitalisations
boursières, Péladeau et al. (2005), p. 2 –
10.1.2. Origine des dirigeants
Les créateurs d'entreprise sont extrêmement bien représentés, ils constituent 34% des
dirigeants des sociétés cotées françaises entre 1996 et 2005. Le marché interne domine, avec
39% des dirigeants d'origine interne, c'est-à-dire présents depuis un an et plus dans le groupe.
Un dirigeant sur cinq a été recruté à l'extérieur de la firme. Rappelons la délimitation entre les
internes et les externes que nous avons retenue, et qui a été détaillée au paragraphe 9.2.4. : est
considéré comme d'origine interne tout dirigeant ayant exercé un an et plus dans la firme. Les
externes sont les candidats arrivant directement d'une autre entreprise pour être dirigeant, ou
237
ayant été en mission pendant plusieurs de mois (maximum douze) avec le prédécesseur, dans
une optique de bonne passation des consignes. L'étude de Pigé (1993) ne permet pas une
comparaison directe, car il s'était intéressé aux dirigeants déjà dans l'entreprise cinq ans avant
leur nomination. Cependant, ceux-ci représentant 40% de l'échantillon à l'époque, il semble
que la proportion d'internes ait diminué entre les deux périodes étudiées en France
puisqu'aujourd'hui avec une notion plus large d'internes (dans l'entreprise depuis au moins un
an), la part n'est que de 39%. Cette constatation est confirmée avec la figure 15, qui montre
que la proportion de nominations de dirigeants d'origine interne et celle d'externes se
rejoignent en 2005, après une prédominance depuis 1996 des internes.
La comparaison avec l'étude mondiale de Péladeau et al. (2005), à partir des figures 16 et
17, fait ressortir deux éléments intéressants : d'une part, la courbe a sensiblement la même
forme, avec un creux en 2000, c'est-à-dire avant la loi NRE76 (2001) et la loi Sarbanes-Oxley
(2002), d'autre part, le taux de dirigeants d'origine externe est globalement plus élevé en
France qu'en moyenne dans le monde sur la même période et demeure orienté à la hausse
depuis 2003, alors qu'un fléchissement est observable au niveau mondial. Ce qui pourrait
signifier que contrairement aux idées reçues, le marché du travail des dirigeants serait plus
actif en France.
ORIGINE DES DIRIGEANTS DE L'ECHANTILLON
Externes
19%
Créateurs
34%
Repreneurs
8%
Internes
39%
- Figure 15 : origine des dirigeants français sur la période 1996 à 2005 (948 fiches
exploitables) -
76
Loi sur les Nouvelles Régulations Économiques de mai 2001.
238
EVOLUTION DE L'ORIGINE DES DIRIGEANTS
%
60
50
Créateurs
40
Externes
30
Internes
20
Repreneurs
10
0
1996
1997
1998
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
- Figure 16 : évolution de l'origine des dirigeants français sur la période 1996 à 2005 -
- Figure 17 : part d'externes dans l'étude mondiale de Péladeau et al. (2005, p. 6) -
Le croisement entre l'origine et la structure de propriété (tableau 19) confirme un résultat
intuitif, à savoir que les sociétés managériales recrutent davantage de dirigeants externes
(43% des renouvellements), puis ce sont les firmes contrôlées avec 27%, cette proportion
tombant à 11% chez les firmes familiales. Nous avons également vérifié le poids des héritiers
parmi les dirigeants d'origine interne nommés dans les sociétés familiales : ils représentent
52% des nominations internes dans cette structure de propriété.
239
Structure de Créateurs
Internes
Repreneurs
Externes
Nombre
propriété
d'observations
Managériale
23 %
32 %
2%
43 %
56
Contrôlée
13 %
50 %
10 %
27 %
342
Familiale
50 %
33 %
6%
11 %
466
- Tableau 19 : origine des dirigeants selon la structure de propriété -
10.1.3. Rapidité d'accession au poste de dirigeant
Les dirigeants à la tête des sociétés cotées françaises entre 1996 et 2005 ont occupé en
moyenne 5,1 postes avant de devenir numéro un. Les écarts sont importants : 4% ont été
nommés directement à la fin de leurs études, 11% totalisent dix postes et plus avant de
devenir le dirigeant d'une des sociétés étudiées. Les dirigeants sont promus numéro un d'une
des firmes étudiées en moyenne après un peu moins de vingt ans de vie professionnelle : 20%
d'entre eux le deviennent avant dix ans.
Le rapprochement avec l'étude de Cappelli et Hamori (2005), même s'il doit être fait avec
précaution, les firmes analysées étant plus importantes (elles appartiennent au classement
Fortune 100) et la définition des dirigeants plus large (top executives), tendrait à mettre en
évidence que l'accession à un poste de dirigeant est légèrement plus rapide en France qu'aux
États-Unis (figure 18) : en 2001, il fallait occuper en moyenne 5 postes avant de devenir
dirigeant (5,8 en 1980) et 24,1 années de vie professionnelle (28,4 années en 1980).
- Figure 18 : modalités d'accession à un poste de dirigeant – Étude aux États-Unis de Cappelli
et Hamori (2005, p. 28) -
240
L'origine est discriminante dans notre étude : les créateurs occupent moins de trois postes
avant de fonder leur entreprise, les internes sont passés par un peu moins de six postes avant
d'être nommés, les externes sept. La promotion plus rapide des dirigeants par la voie interne
peut s'expliquer par les transmissions de pouvoir dans les groupes familiaux, qui s'effectuent
souvent après une période d'intégration dans la firme assez courte. En effet 45% des
dirigeants d'origine interne ont été nommés dans une entreprise familiale, ce qui influence
fortement cette sous-population. Nous avons calculé le nombre moyen de postes effectués par
les candidats internes, en distinguant chaque structure de propriété. Les dirigeants d'origine
interne à la tête d'une société managériale totalisent en moyenne 8 postes, dans les sociétés
contrôlées 7 postes, ce qui est proche du résultat des candidats externes, alors que les internes
qui dirigent une entreprise familiale n'ont à leur actif que 4 postes en moyenne. La distinction
entre les dirigeants "héritiers" et les autres candidats d'origine interne dans les firmes
familiales confirme un résultat intuitif : les dirigeants issus de la famille sont nommés à la tête
de l'entreprise après seulement 2,8 postes en moyenne. A noter que la promotion demeure un
peu plus rapide pour un interne non héritier dans une firme familiale, il a occupé 5,6 postes
avant d'être dirigeant.
Créateurs
Internes
Repreneurs
Externes
Nb moyen de
postes occupés
2,7
5,7
5
7
- Tableau 20 : nombre moyen de postes effectués avant de devenir dirigeant selon l'origine -
La structure de propriété est également discriminante : pour conforter ce que nous venons
d'évoquer, nous avons calculé le nombre moyen de postes occupés avant de devenir
dirigeants, quelle que soit l'origine cette fois, dans chacune des trois structures répertoriées.
Les tests de différence de moyennes effectués pour comparer la structure familiale et la
structure managériale d'une part, la structure familiale et la structure contrôlée d'autre part,
conduisent à rejeter l'hypothèse nulle au seuil de 5%, alors que l'hypothèse est acceptée pour
le rapprochement entre la structure contrôlée et la structure managériale. La promotion est
beaucoup plus rapide dans les firmes familiales, principalement car les héritiers arrivent
nettement plus vite à la tête du groupe que les autres.
241
Structure de
propriété
Nombre moyen
Médiane
Écart-type
Nombre
de postes occupés
d'obs.
avant d'être
dirigeant
Managériale
7
7
3,108
51
Contrôlée
6,7
6
3,334
280
Familiale
3,8
3
3,002
340
- Tableau 21 : nombre moyen de postes effectués en fonction de la structure de propriété -
10.1.4. Longévité des dirigeants
366 mandats se sont terminés pendant la période étudiée (1996-2005). Leur durée moyenne
a été de onze ans. Elle se situe sensiblement en dessous des chiffres de Pigé (1993), elle aurait
donc peu évolué depuis quinze ans. Mais la médiane se situe à six ans, et les disparités sont
fortes : les plus petits mandats ont été de quelques mois (par exemple Russ Robinson resté à
la tête de Metaleurop de septembre 2002 à décembre 2003, d'ailleurs condamné en 2005 par
l'AMF pour avoir dissimulé la dégradation de la santé financière de la société, ou encore Paul
Roll chez Look Voyages de juillet 1998 à mars 1999, soit moins de neuf mois), le plus long
de 55 ans (Robert Fiévet, dirigeant d'origine interne, issu de la famille principal actionnaire,
né en 1907, a été à la tête des Fromageries Bel de 1941 à 1996).
0à5
6 à 10
11 à 15
16 à 20
21 à 25
> 25 ans
Durée de
ans
ans
ans
ans
ans
mandat
%
45%
18%
14%
8%
4%
11%
- Tableau 22 : répartition des mandats terminés entre 1996 et 2005 par tranches de durée -
La comparaison avec les chiffres de Péladeau et al. (2005) confirme la constatation
effectuée sur le taux de rotation des dirigeants plus faible en France dans notre échantillon :
nous sommes nettement au-dessus des durées moyennes de mandat de leur étude : 6,3 années
en moyenne sur la période 1995-2004 en Europe, 7,3 au Japon et 9,3 en Amérique du Nord.
Des écarts importants sont également à noter en fonction de l'origine : les créateurs restent à
la tête de l'entreprise qu'ils ont fondée deux fois plus longtemps que les autres dirigeants, ce
qui n'est pas surprenant. Par contre la différence de longévité entre les dirigeants internes
(10,5 ans) et les dirigeants externes (4,5 ans) peut soulever des interrogations. Les externes
ont-ils fait l'objet de départs forcés plus nombreux et plus rapides ? Est-ce au contraire une
242
volonté de changer plus fréquemment d'entreprise pour accélérer leur carrière ? Nous
reviendrons sur ces questions dans le prochain paragraphe.
Créateurs
Internes
Repreneurs
Externes
Durée moyenne du
mandat
19 ans
10 ans 1/2
9 ans et 1/2
4 ans 1/2
- Tableau 23 : durée moyenne des mandats en fonction de l'origine -
10.1.5. Taux de départs forcés
76 départs forcés77 ont été identifiés grâce à la presse, à partir de recherches sur LexisNexis,
ce qui représente un taux annuel moyen de départs non volontaires de 18,6 % (sur les 366
dirigeants de l'échantillon ayant quitté leurs fonctions entre 1996 et 2005). Le taux de départs
involontaires a augmenté significativement sur la période étudiée. En dessous de 10%
jusqu'en 1998, il passe à deux chiffres en 1999, et culmine en 2004 (35,7%) et 2005 (40,4%).
La sanction semble donc être un levier disciplinaire utilisé en France, dont nous vérifierons au
prochain chapitre l'incidence sur la performance de la firme.
Il est intéressant d'examiner les motifs de ces départs (tableau 24 et figure 19), tels qu'ils
sont évoqués dans la presse. Les départs forcés en 2005, année où ils sont les plus importants,
sont dus à 50% à la sanction de mauvaises performances (pertes financières principalement)
ou de fautes graves (malversations, abus de biens sociaux), à 39% à des divergences,
principalement stratégiques, avec les actionnaires ou le conseil d'administration, ou à des
luttes d'influence, à 11% à une cessation de mandat liée à l'arrivée d'un nouvel actionnaire
principal. Dans leur étude portant sur les sociétés françaises cotées entre 1988 et 1992 ayant
connu un changement de dirigeant, Dherment-Férère et Renneboog (2000) avaient identifié
10% de départs liés à des conflits avec des actionnaires ou le conseil d'administration. Il
semblerait donc que ce motif de révocation soit plus fréquent aujourd'hui et qu'un dirigeant
puisse être démis parce que sa gestion n'apparaît être conforme aux attentes des actionnaires,
même si cela ne se traduit pas, ou pas encore, en termes de mauvaise performance pour la
firme qu'il dirige.
77
Pour plus d'information sur la notion de départ forcé utilisée, se référer au paragraphe 9.2.1..
243
Nominations
hors
créateurs
1996
1997
1998
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
22
33
34
28
32
45
37
36
42
57
Sanction du
prédécesseur
(nb)
Sanction du
prédécesseur
(%)
Motif :
divergences
Motif :
mauvaises
performances
Motif :
prise de
contrôle
1
4,5%
0
1
2
6,1%
2
0
3
8,8%
1
2
4
14,3%
0
4
5
15,6%
2
1
8
17,8%
5
3
9
24,3%
2
6
6
16,7%
1
4
15
35,7%
5
10
23
40,4%
9
12
- Tableau 24 : taux de départs forcés et motifs de départ -
0
0
0
0
2
0
1
1
0
2
TAUX DE DEPARTS FORCES ET MOTIFS DE DEPART
50,0%
40,0%
30,0%
20,0%
10,0%
0,0%
1996
1997
1998
DIVERGENCES
1999
2000
2001
2002
MAUVAISES PERFORMANCES
2003
2004
2005
PRISES DE CONTROLE
- Figure 19 : représentation graphique du taux de départs forcés et des motifs de départ -
L'étude de Péladeau et al. (2005) a mis en évidence également une hausse des départs
forcés au niveau mondial et une tendance plus marquée encore en Europe (figure 20). En
2004, l'Europe enregistrait 42% de départs forcés (37% en 2005) contre 31% aux Etats-Unis
(35% en 2005). Comme l'évoquent les auteurs, plusieurs explications sont probables : la
croissance économique plus faible en Europe, le rajeunissement des dirigeants, qui de ce fait
bénéficient de moins de soutien, et des structures de gouvernance plus réactives. Au Japon, le
taux de départs forcés est nettement plus faible, même en 2004 et 2005 (respectivement 22%
et 13%). Le rapprochement avec notre étude faite ressortir une tendance commune à la
hausse, mais également, nos pourcentages étant supérieurs à ceux du cabinet Booz Allen
Hamilton, que la sanction serait un levier particulièrement utilisé en France.
244
- Figure 20 : motifs de départ des dirigeants au niveau mondial, Péladeau et al. (2005, p.2) -
L'analyse conjointe des sanctions des prédécesseurs et des nominations (hors créations) en
fonction de l'origine des dirigeants apporte d'autres informations intéressantes : 56% des
départs forcés ont été suivis du recrutement d'un dirigeant externe, 33% de celui d'un dirigeant
interne, 10% par l'arrivée du repreneur à la tête de l'entreprise. Le recours plus important à des
externes en cas de mauvaises performances ou de sanction, souvent évoqué dans la littérature,
apparaît donc se vérifier aussi sur notre échantillon.
Nous avons vérifié s'il existait un lien avec la structure de propriété. Le taux de départs
forcés est de 11,4% dans les firmes familiales, de 14,4% dans les firmes contrôlées, de 22,2%
dans les firmes managériales. Les tests de différence de moyenne sont significatifs : la
sanction diffère selon la structure de propriété, elle est la plus forte dans les firmes
managériales, puis dans les sociétés contrôlées et la moins fréquente dans les firmes
familiales. Ce résultat est conforme à la vision théorique de Fama (1980), selon laquelle dans
les firmes managériales le marché managérial joue un rôle prépondérant, la menace de
sanction incitant le dirigeant à agir dans l'intérêt des actionnaires.
Nous avons également croisé les motifs de départ et la structure de propriété. 57% des
départs forcés dans les firmes contrôlées sont dus à des divergences avec les actionnaires ou
le conseil d'administration, alors que dans les firmes familiales la sanction est principalement
245
attribuable à de mauvaises performances (73% des cas). Dans les sociétés managériales, les
départs sont justifiés par des divergences à hauteur de 37%, par de mauvaises performances
pour 63%. Là encore les chiffres confirment des visions intuitives : dans une firme contrôlée,
un dirigeant a plus de risque d'être en opposition avec l'actionnaire principal, souvent
impliqué dans la stratégie de l'entreprise; dans les firmes familiales la décision d'évincer un
dirigeant n'est prise que lorsque les mauvaises performances rendent sont départ
indispensable. Un seul héritier ayant fait l'objet d'un départ forcé dans notre échantillon, cette
dernière remarque conforte la vision fréquente dans la littérature de l'importance dans les
firmes familiales de valeurs comme la loyauté, la fidélité (Allouche et Amann, 2000,
Allouche et Hirigoyen, 2000, Ward 2005) et l'existence de liens plus forts entre la direction,
les actionnaires et le personnel.
10.2. Le profil des dirigeants des sociétés cotées françaises entre 1996 et 2005
Les données collectées apportent également des informations sur le profil des dirigeants
français et mettent en évidence les caractéristiques principales semblant être prises en compte
pour leur recrutement. L'étude descriptive est structurée à partir des trois principaux critères
d'évaluation du capital humain des dirigeants que nous avions présentés dans la partie II au
paragraphe 2.1.1. : l'âge, la formation et l'expérience.
10.2.1. L'âge des dirigeants
L'accession à un poste de dirigeant est assez rapide : à la nomination, les dirigeants des
sociétés cotées françaises ont en moyenne 44 ans. Ce chiffre cache des disparités importantes,
le plus jeune étant Jean François, fondateur des Tonneleries François, le plus âgé, Jean-Pierre
Brunet, qui a pris la tête du groupe Arbel à 77 ans. La tranche d'âge la plus représentée est
celle des 40-49 ans. En comparant ces chiffres à ceux de Pigé (1993), un rajeunissement à la
nomination apparaît. Dans ses travaux, l'âge moyen à la nomination était de 48 ans dans les
sociétés familiales et managériales, et de 53 ans dans les firmes contrôlées. Quinze ans plus
tard, les candidats accèdent aux plus hauts postes de direction en moyenne plus de quatre ans
plus tôt. L'élargissement des sociétés cotées à de jeunes entreprises liées à la nouvelle
économie explique probablement une partie du phénomène. Cette évolution semble cependant
dépasser le cadre français et faire partie d'un mouvement général au niveau mondial. Ainsi
dans l'étude du marché américain de Cappelli et Hamori (2005), les dirigeants en poste en
246
2001 étaient quatre ans plus jeunes que ceux de 1980 (52 ans contre 56 ans) et avaient accédé
4,3 années plus vite à un poste de direction. Les auteurs ne précisent pas dans leur article à
quel âge les dirigeants ont été nommés, mais nous pouvons le reconstituer avec d'autres
données : le nombre d'années professionnelles antérieures à leur promotion (24,1 en 2001) et
le nombre d'années de formation (17,26 en 2001). L'âge d'entrée à l'école étant 5 ou 6 ans,
cela signifie que les dirigeants français seraient nommés légèrement plus jeunes que les
américains (deux ans plus tôt en moyenne). La part élevée de créateurs et d'héritiers dans
notre échantillon en est sans doute l'explication la plus probable.
Age à la nomination
Fréquence
< 30 ans
10,6 %
30 à 39 ans
21,7 %
40 à 49 ans
34,5 %
50 à 59 ans
26,4 %
60 ans et plus
6,8 %
- Tableau 25 : répartition par tranches d'âge des dirigeants à leur nomination -
Bien que les dirigeants soient nommés assez jeunes, du fait de la durée importante des
mandats, la photographie en 2005 des dirigeants des sociétés cotées françaises fait ressortir
une moyenne d'âge nettement plus avancée : elle s'établit à 57,5 ans et 27,9% des dirigeants
ont plus de 60 ans. Dans l'étude de Cappelli et Hamori (2005), les dirigeants américains
étaient âgés en moyenne de 52 ans en 2001. Il semble donc que les dirigeants en poste soient
plus âgés en France qu'aux États-Unis.
Les dirigeants qui ont pris leurs fonctions avant 30 ans sont principalement des créateurs
(70%). La moyenne d'âge passe à 47 ans si les créateurs sont retirés de l'échantillon.
Contrairement aux attentes, la voie interne est plus rapide que la voie externe : la fréquence la
plus élevée pour les internes correspond à la tranche 40-49 ans, avec 38%, alors qu'elle se
situe dans la tranche 50-59 ans pour les externes, avec 42% (tableau 26). Ce constat est
cependant à nuancer compte tenu de la structure souvent familiale des sociétés françaises :
parmi les dirigeants nommés par promotion interne figurent des héritiers qui succèdent à leur
ascendant, et ce plus rapidement que cela n'aurait été possible à un candidat n'appartenant pas
à la famille. Nous l'avons vérifié en effectuant un test de différence de moyenne sur la souspopulation des internes en fonction de la structure de propriété : il est significatif au seuil de
247
5%. L'âge de nomination d'un dirigeant d'origine interne est statistiquement différent entre
une firme managériale, une firme contrôlée et une firme familiale (tableau 27).
Tranche d'âge
< 30 ans
Créateurs
Internes
Repreneurs
Externes
Total
70 %
24 %
4%
2%
100 %
29 %
7%
6%
1%
53 %
33 %
4%
10 %
100 %
30-39 ans
36 %
16 %
11 %
9%
22 %
45 %
12 %
21 %
100%
40-49 ans
26 %
38 %
52 %
35 %
9%
50 %
7%
34%
100%
50-59 ans
8%
32 %
23 %
42 %
6%
44 %
9%
41 %
100%
60 ans et plus
1%
7%
8%
13 %
100%
100%
100%
100%
100%
Total
- Tableau 26 : âge à la nomination des dirigeants : répartition en fonction de l'origine -
Structure
Moyenne
Écart-type
Nombre
46,94
6,339
17
managériale
48,90
7,856
154
contrôlée
44,00
11,021
134
familiale
- Tableau 27 : âge à la nomination des dirigeants d'origine interne selon la structure de
propriété -
Somme des
df
Moyenne
F
Sign.
carrés
des carrés
1 723,85
2
861,92
9,920
0,000
Inter-groupes
26 240,48
302
86,89
Intra-groupes
- Tableau 28 : tests de différence de moyenne sur l'âge à la nomination des dirigeants
d'origine interne selon la structure de propriété -
10.2.2. La formation
La formation apparaît bien comme un critère fort de sélection : le niveau de formation des
dirigeants des sociétés cotées françaises est élevé, le nombre d'années d'études supérieures
étant en moyenne de 4 ans et 9 mois. 78,6% des dirigeants ont effectué au moins cinq ans
d'études après le baccalauréat et 7,2% sont docteurs. Seulement 7,6% des dirigeants n'ont pas
248
fait d'études supérieures. La sélection par la formation semble s'être accentuée, conjointement
à une hausse générale du niveau de formation de la population : dans les travaux de Pigé
quinze ans plus tôt, 15% des dirigeants avaient au plus un baccalauréat. Ce pourcentage n'est
plus que de 7,6% dans notre échantillon.
Baccalauréat
Bac+2
Bac+3
Bac+4
Bac+5
Bac+6
Doctorat
6,4%
3,3%
4,1%
50,4%
21 %
7,2 %
ou inférieur
Répartition
7,6%
- Tableau 29 : niveau de formation des dirigeants à la tête des sociétés cotées françaises entre
1996 et 2005 -
L'étude de Péladeau et al. (2005) ne fournissant pas d'informations sur la formation des
dirigeants au niveau mondial, nous pouvons seulement rapprocher nos chiffres de l'analyse de
Cappelli et Hamori (2005) portant sur les dirigeants de Fortune 100. Les auteurs ont observé
une hausse du niveau de formation entre 1980 et 2001, le nombre d'années d'études
augmentant légèrement de 17,02 à 17,26. En comptant pour la France le nombre d'années à
partir du seuil obligatoire (le cours préparatoire), nous obtenons dans notre échantillon une
moyenne sur la période 1996 à 2005 de 16 ans et 9 mois, sensiblement identique à celle des
États-Unis.
En France, les dirigeants d'origine externe ont le niveau d'études le plus élevé, 92% ont
effectué au moins cinq années d'études après le baccalauréat, contre 79% pour les internes et
69% pour les créateurs. Le niveau de formation apparaît bien constituer un critère de sélection
sur le marché du travail des dirigeants.
Niveau de
Créateurs
Internes
Repreneurs
Externes
Formation
supérieure
11%
9%
9%
1%
Baccalauréat ou
inférieur
12 %
6%
2%
1%
Bac+2
6%
2%
4%
2%
Bac+3
2%
5%
9%
4%
Bac+4
50 %
51 %
55 %
48 %
Bac+5
11 %
21 %
11 %
36 %
Bac+6
8%
7%
9%
7%
Doctorat
100 %
100 %
100 %
100 %
Total
- Tableau 30 : niveau de formation des dirigeants selon leur origine -
249
Une distinction en fonction de la structure de propriété fait également ressortir des
disparités : dans les sociétés managériales, 86% des dirigeants sont au moins bac+5, de même
que 85% des dirigeants des sociétés contrôlées, alors que cette proportion n'est que de 74%
dans les firmes familiales. Dans l'étude de Pigé (1996), 36% des dirigeants ayant bénéficié
d'un appui familial étaient autodidactes; ce chiffre peut être rapproché, pour notre échantillon,
des 12% de dirigeants de niveau baccalauréat ou inférieur, ce qui tendrait à montrer que les
dirigeants d'origine familiale ont maintenant un niveau d'études un peu plus élevé, même s'il
reste inférieur à celui observé dans les autres sociétés. L'absence de diplôme, si elle n'est pas
forcément un obstacle par la voie interne (principalement du fait des dirigeants d'origine
familiale), semble constituer une barrière forte pour accéder à un poste de direction par la voie
externe.
Niveau de
Sociétés managériales Sociétés contrôlées
Sociétés familiales
formation
Baccalauréat et
0%
3%
12 %
inférieur
Bac+2
2%
5%
8%
Bac+3
4%
2%
3%
Bac+4
8%
5%
3%
Bac+5
48 %
48 %
54 %
Bac+6
32 %
29 %
14 %
Doctorat
6%
8%
6%
Total
100 %
100 %
100 %
- Tableau 31 : niveau de formation des dirigeants selon la structure de propriété -
Les écoles d'ingénieur sont toujours la formation la plus fréquente chez les dirigeants
(22%+11%), suivies par l'Université (20%, dont un tiers de docteurs) et les Écoles
Supérieures de Commerce (19%). Le tableau 32 reprend la répartition par type de formation
sur l'ensemble de l'échantillon, les formations inférieures à bac+5 n'étant pas détaillées. La
part des polytechniciens (11%) est un peu plus faible que dans celui de Pigé (13%), au même
niveau pour les énarques (5%). Nos chiffres sont très proches des statistiques de l'étude de
Bertrand et al. (2004), selon laquelle 7% des dirigeants des sociétés cotées françaises entre
1989 et 2003 étaient issus de l'ENA, 11% de Polytechnique. De façon non surprenante, notre
base étant plus large et n'incluant pas de sociétés publiques non cotées, nos chiffres sont
nettement inférieurs à ceux figurant dans les travaux de Bauer et Bertin-Mourot (1990), qui
250
portaient sur les deux cents plus grosses entreprises : 27% de polytechniciens et 19%
d'énarques, ou encore ceux de l'étude de Nuyen-Dang (2005) analysant elle aussi les plus
grandes sociétés françaises et qui identifiait 23% de dirigeants issus des grands corps de l'État.
La prise en compte d'un plus grand nombre de sociétés, et donc d'une plus grande diversité,
remet en cause la domination habituellement mise en évidence de quelques grandes écoles en
France. Les grands corps (à savoir les dirigeants cumulant à la fois Polytechnique et l'une des
écoles suivantes : les Mines, Télécom, Les Ponts, l'ENSAE78, le Génie Rural ou les Eaux et
Forêts, l'Armement, et les dirigeants issus de l'ENA ayant été promus à l'Inspection des
Finances, au Conseil d'État, à la Cour des Comptes, dans un Corps Préfectoral ou à
l'Inspection Générale de l'Administration ou des Affaires Sociales) ne représentent que 10 %
de notre échantillon. Ces éléments confirment nos suppositions initiales : si les grands corps
occupent une part importante des postes de dirigeants les deux cents plus grandes sociétés
françaises, l'élargissement de l'analyse à des entreprises de moindre envergure, même en se
limitant aux sociétés cotées, conduit à une conclusion relativement différente.
<
Bac+5
21%
Ecole
Ecole de
Université Polytechnique ENA Autres
d'ingénieur commerce
22%
19%
20%
11%
5%
1%
- Tableau 32 : détail des formations supérieures des dirigeants -
Total
100%
L'appartenance à une formation d'élite apparaît cependant être plus discriminante que sur le
marché américain des dirigeants. Dans l'étude de Cappelli et Hamori (2005), 14% des
dirigeants étaient issus des Ivy League Schools 79 en 1980, et 10% en 2001. Les auteurs
soulignent l'évolution des critères de sélection des dirigeants et leur ouverture vers les écoles
publiques notamment.
En France, les dirigeants issus des grands corps de l'État sont, de manière non surprenante,
moins représentés dans les firmes familiales (4%) que dans les firmes contrôlées (15%) et les
firmes managériales (25%). Comme dans l'étude de Bertrand et al. (2004), ils sont à la tête
des plus grandes entreprises françaises : ils dirigent 21% des firmes de plus d'un milliard
78
ENSAE : école nationale de la statistique et de l'administration économique.
Les "Ivy League Schools" sont les huit plus prestigieuses institutions privées d'enseignement supérieur du
Nord Est des États-Unis : ce sont les universités de Brown, Princeton, Harvard, Columbia, Cornell, Dartmouth,
Pennsylvania, Yale.
79
251
d'euros de chiffre d'affaires et seulement 5% des firmes de moins de 100 millions de chiffre
d'affaires.
Dirigeant issu
Firme
Firme
Firme
Moyenne
d'un Grand
managériale
contrôlée
familiale
échantillon
Corps
Oui
25 %
15 %
4%
10 %
Non
75 %
85 %
96 %
90 %
- Tableau 33 : dirigeants issus des grands Corps selon la structure de propriété -
Les formations internationales restent relativement peu répandues : seulement 17,6% des
dirigeants en fonction entre 1996 et 2005 ont suivi une année de spécialisation à l'étranger,
sont titulaires d'un MBA ou ont fait l'INSEAD. C'est particulièrement vrai pour les dirigeants
en poste en 1996 mais nommés antérieurement (le pourcentage descend à une moyenne de
14%). Nous n'avons pas trouvé d'études statistiques dans d'autres pays pour pouvoir effectuer
une comparaison. Sur la période étudiée allant de 1996 à 2005, la formation internationale
apparaît comme un critère de sélection de plus en plus retenu, comme l'indique le tableau cidessous :
Dirigeants
nommés en
Sans
formation
1996
1997
1998
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
73%
89%
87%
79%
81%
78%
77%
75%
74%
67%
Avec
formation
27%
11%
13%
21%
19%
22%
23%
25%
26%
33%
Total
100%
100%
100%
100%
100%
100%
100%
100%
100%
100%
- Tableau 34 : formation internationale des dirigeants nommés entre 1996 et 2005 -
Une nouvelle fois, la structure de propriété est discriminante (tableau 35). De façon non
surprenante, les firmes managériales sélectionnent davantage des dirigeants ayant une
formation internationale (31,4%), puis ce sont les firmes contrôlées avec 22,1% des dirigeants
et c'est dans les firmes de structure familiale que les dirigeants ont le moins de formation
internationale (13,3%). Les différences de moyennes sont significatives au seuil de 5%.
252
Formation
Firmes
Firmes
Firmes
Moyenne
internationale
managériales
contrôlées
familiales
Oui
31,4 %
22,1 %
13,3 %
17,6 %
Non
68,6 %
77,9 %
86,7 %
82,4 %
- Tableau 35 : formation internationale des dirigeants selon la structure de propriété de la
firme qu'ils dirigent -
La formation internationale du dirigeant apparaît intuitivement corrélée également à la taille
de la firme. Ceci se vérifie dans notre échantillon (tableau 36) : en distinguant deux souspopulations, les firmes dont le chiffre d'affaires est inférieur à 100 millions d'euros et celles
dont le chiffre d'affaires est supérieur à ce seuil (médiane calculée dans l'introduction du
chapitre X), nous avons observé une différence de moyenne significative au seuil de 5%,
respectivement 14,5% et 19,9 %.
Firmes ayant un :
CA < 100 M €
Dirigeant avec
formation
internationale
14,5 %
Dirigeant sans
formation
internationale
85,5 %
CA > 100 M €
19,9 %
80,1 %
Écart-type
0,570
- Tableau 36 : formation internationale des dirigeants selon la taille de la firme qu'ils dirigent -
10.2.3. L'expérience
Comme nous l'avons vu au paragraphe 10.1., les dirigeants ont occupé en moyenne 5,1
postes avant de devenir le numéro un d'une des sociétés que nous étudions. Leur expérience
professionnelle peut avoir consisté en un passage par un ministère (la moyenne sur tout
l'échantillon ressort à 0,7 poste), de fonctions dans une entreprise, publique ou privée
(moyenne de 4,4 postes), ou les deux. Quelques dirigeants (4%) ont pris la tête de la société
directement, sans avoir exercé une activité au préalable. Ce sont très majoritairement des
créateurs d'entreprises (pour 80%).
-
Expérience ministérielle :
Moins d'un dirigeant sur cinq (19%) a occupé au moins une fonction dans un ministère.
Dans l'étude de Pigé (1993), un quart des dirigeants étaient passés par le service de l'État.
253
Ceux qui ont commencé leur carrière dans un ministère ont généralement occupé au moins un
poste en entreprise avant d'être nommés dirigeants d'une des sociétés cotées étudiées (90%
d'entre eux), et ils présentent dans leur curriculum vitae plus de postes (8) que ceux qui ne
sont pas passés par un ministère (5). La voie ministérielle n'apparaît donc pas comme la plus
rapide pour accéder aux fonctions les plus élevées. Ce constat est à nuancer par deux
remarques. Premièrement, nous ne tenons pas compte dans ces chiffres de la taille de la
société cotée : les dirigeants issus des ministères se voient confier les plus grandes entreprises,
mais un peu plus tard dans leur carrière (les deux-tiers sont à la tête de groupes de plus de 100
millions d'euros de chiffre d'affaires). Deuxièmement, les passages par les ministères sont
souvent très courts (un an ou moins), en avoir assuré plusieurs n'entraîne pas alors un retard
important pour un candidat.
-
Le cas des dirigeants issus des grands corps :
Nous avons comparé les parcours des dirigeants issus des grands corps et des autres
candidats. Contrairement aux résultats des études précédentes, nous n'observons pas de
carrières plus rapides pour les personnes issues des grands corps, ce qui voudrait dire que les
"parachutages" deviennent moins fréquents, même si ces dirigeants ont occupé plus de postes
de direction dans leur carrière. Seuls 6% des grands corps sont passés directement d'un
ministère à la tête d'une société cotée, sans avoir occupé d'autre poste dans le privé. Par
contre, comme Pigé (1996), nous constatons que les dirigeants issus des grands corps sont
parvenus à la tête de l'entreprise de manière plus externe : ils ont passé en moyenne 4,5 ans
dans la firme avant d'être nommés, contre presque 9 ans pour les autres dirigeants.
Grands Corps
5
Nombre moyen de postes dans le privé
avant d'être nommés
Nombre moyen de postes de direction
3
avant d'être nommés
Nombre moyen d'années de vie
24,7
professionnelle à la nomination
Nombre moyen de postes au total
8,7
effectués
Ancienneté dans le groupe où ils sont
4 ans et 7 mois
nommés (moyenne)
94 observations
Autres dirigeants
4,4
2,3
25,5
4,6
8 ans et 10 mois
623 observations
- Tableau 37 : comparaison des parcours des grands corps et des autres dirigeants –
254
S'ils n'arrivent pas plus vite de manière générale à la tête d'une société cotée, les dirigeants
issus des grands corps par contre se voient confier des entreprises plus importantes. Les
statistiques convergent sur ce fait, que ce soit relativement au chiffre d'affaires, à l'effectif, au
nombre de filiales ou, encore, la capitalisation boursière.
Caractéristiques des sociétés
Grands Corps
Autres
dirigées
Chiffre d'affaires moyen
9 875
1 888
(millions d'euros)
Capitalisation boursière moyenne
13 140
2 365
(millions d'euros)
Nombre moyen de filiales
225
65
Effectif moyen
29 711
11 329
- Tableau 38: comparaison des caractéristiques des sociétés dirigées -
Les dirigeants issus des grands corps sont prédominants dans les firmes où le premier
actionnaire est l'État : ils sont à la tête de 53% d'entre elles dans notre échantillon. En
élargissant aux dirigeants diplômés de Polytechnique, de l'ENA ou de l'école des Mines, ce
pourcentage passe à une écrasante majorité de 80%. Nos statistiques confirment l'influence
des réseaux dans les plus grandes entreprises où l'État est influent.
-
Expérience fonctionnelle :
Les dirigeants étudiés ont déjà occupé en moyenne 2,4 postes de direction avant d'être
nommés, à la tête d'une société cotée ou non. 67% étaient déjà dirigeants. Bertrand et Schoar
(2003) parvenaient dans leur étude à un taux beaucoup plus faible pour le marché américain
de 23% de CEO80 qui l'étaient déjà avant d'être nommés. L'étude de Péladeau et al. (2005) ne
fournit pas de chiffres permettant une comparaison directe. Elle conclut seulement que le
nombre de dirigeants nommés ayant déjà une expérience de direction de société cotée est en
forte augmentation entre 2001 et 2005 au niveau mondial. Ce phénomène s'explique, d'après
les auteurs (p.6 et 7), par la volonté des conseils d'administration de mettre en place un
dirigeant ayant déjà l'expérience d'une direction générale, ayant "déjà été confronté aux défis
auxquels tout CEO doit faire face, comme travailler la main dans la main avec un conseil
80
CEO : Chief Executive Officer : dirigeant exécutif.
255
d'administration, communiquer avec les investisseurs et analystes financiers, développer et
mettre en place une stratégie" et par la possibilité de prendre en compte ses résultats dans sa
précédente gestion. La prédominance dans notre échantillon des dirigeants ayant déjà une
expérience de direction est sans doute motivée par les mêmes raisons. Ceci étant, 33% des
candidats n'étaient pas encore directement sur le marché des dirigeants, mais proviennent des
viviers, ce qui traduit, d'une part, la possibilité de promotion et d'évolution en France, dont le
caractère incitatif apporte sa contribution au système de gouvernance, d'autre part un
renouvellement et un enrichissement du marché managérial.
Les dirigeants français des sociétés cotées ont, dans leur carrière, assuré en moyenne trois
fonctions différentes. 36 % des dirigeants nommés sur la période étudiée à la tête d'une
société cotée ont une expérience professionnelle à l'international : ils ont occupé au moins un
poste à l'étranger, 9% en ont même occupé trois ou plus. Comme nous l'avions remarqué pour
la formation internationale, l'expérience à l'étranger apparaît faire de plus en plus partie des
critères de sélection car, à partir de 2001, plus de la moitié des dirigeants nommés ont
travaillé à l'international au cours de leur carrière. Nos chiffres sont cohérents avec l'étude de
Korn Ferry International 81 (2007) qui faisait ressortir que 38% des présidents des conseils
d'administration avaient exercé des responsabilités à l'étranger. Le rapprochement entre les
deux semble indiquer que l'internationalisation des dirigeants n'est pas réservée aux plus
grandes sociétés du CAC 40, nos chiffres étant plus élevés, mais la population de dirigeants
analysée n'est pas exactement la même.
Nomination 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004
en
Aucun poste
59% 64% 54% 72% 55% 46% 41% 52% 41%
à
l'international
Au moins un 41% 36% 46% 28% 45% 54% 59% 48% 59%
poste à
l'international
- Tableau 39 : expérience professionnelle à l'international des dirigeants -
2005
48%
52%
La structure de propriété est une nouvelle fois discriminante (tableau 40) : 26% des
dirigeants des sociétés familiales ont une expérience à l'international, alors que dans les
81
Korn Ferry International (2007) : Les sociétés du CAC 40 : Comment sont-elles dirigées et qui les dirigent ?
Étude comparative 1995/2006, avril 2007.
256
sociétés contrôlées ils représentent 46% et dans les firmes managériales 62%. En moyenne, le
nombre de postes occupés à l'international dans la carrière du dirigeant est respectivement
selon ces trois structures de 0,4, 0,9 et 1,5. Les tests de différence de moyenne sont tous
significatifs au seuil de 5%.
Expérience
Firmes
Firmes contrôlées
Firmes
internationale du
managériales
familiales
dirigeant
Pas de poste
38 %
54 %
74 %
Au moins un poste
62 %
46 %
26 %
Moyenne
1,5
0,9
0,4
Écart-type
1,717
1,334
0,905
Nombre d'observations
50
277
335
- Tableau 40 : expérience internationale des dirigeants selon la structure de propriété -
De manière non surprenante, les dirigeants ayant une expérience professionnelle à
l'international sont plus représentés dans les sociétés de plus grande taille (tableau 41) : la
proportion atteint 43% dans les firmes dont le chiffre d'affaires est supérieur à un milliard
d'euros.
Chiffre d'affaires
< 100 M €
101 à 1000 M €
> 1000 M €
Dirigeant sans expérience
70 %
65 %
57 %
internationale
Dirigeant avec expérience
30 %
25 %
43 %
internationale
- Tableau 41 : expérience internationale des dirigeants selon la taille de la firme -
-
Expérience sectorielle :
La diversité sectorielle n'est pas très marquée dans notre échantillon : en moyenne les
dirigeants étudiés ont travaillé dans 1,7 secteurs82. 51% n'ont exercé que dans un secteur. 15%
seulement ont connu trois secteurs ou plus. 12% des dirigeants nommés n'ont pas d'expérience
du secteur de la firme qui leur a été confiée. L'appartenance à un même secteur d'activité
semble donc constituer un critère discriminant dans la sélection des dirigeants français. Pour
effectuer une comparaison internationale, nous avons repris les études du marché américain
de Bertrand et Schoar (2003) portant sur la période 1992 à 1999, Bailey et Helfat (2003) sur
82
Pour plus d'informations sur la décomposition sectorielle retenue, se référer au paragraphe 9.4.2..
257
celle entre 1978 et 1987, Parrino (1997) entre 1971 et 1989, et Harris et Helfat (1997), entre
1978 et 1987. Concernant les analyses les plus anciennes, les statistiques ne concernent pas le
nombre moyen de secteurs dans lesquels les dirigeants ont travaillé, mais la part de dirigeants
nommés n'ayant pas d'expérience du secteur. Elle était de 9,6% dans l'analyse de Parrino
(1997) et de 6,2% dans celle de Harris et Helfat (1997). Avec une notion plus élargie des
compétences sectorielles basée sur l'appartenance à un même cycle de marché, Bailey et
Helfat (2003) constataient que seulement 11% des dirigeants recrutés d'origine externe n'en
disposaient pas. Si ces chiffres ne peuvent être rapprochés directement des nôtres, ils
confirment la prise en compte de l'expérience sectorielle dans le recrutement des dirigeants
tant américains que français malgré une relative diminution de l'importance de ce critère entre
les périodes considérées (respectivement 1971 à 1989 et 1996 à 2005). L'étude de Bertrand et
Schoar (2003) par contre fait état que 63% des dirigeants nommés sur la période ont changé
de secteur d'activité, mais leur distinction sectorielle est plus fine que la nôtre, les auteurs
ayant retenu le code 2-digit industries, ce qui explique probablement l'écart.
NB DE SECTEURS DANS LESQUELS LES DIRIGEANTS ONT EXERCE
1%
3%
12%
51%
33%
1
2
3
4
5
- Figure 21 : Nombre de secteurs dans lesquels les dirigeants ont exercé -
L'origine des dirigeants est liée au nombre de secteurs différents dans lesquels ils ont
travaillé : les créateurs ont très majoritairement exercé dans un seul secteur (68% d'entre eux),
90% des internes ont connu au mieux un autre secteur que celui de la firme qu'ils dirigent. S'il
n'est pas surprenant que les dirigeants d'origine externe aient une expérience plus diversifiée,
la part de candidats ayant connu trois secteurs et plus (27%) traduit l'importance de cette
diversité.
258
Nb de secteurs
Créateurs
Internes
Repreneurs
Externes
1
61%
58%
47%
28%
2
28%
32%
32%
45%
3
10%
9%
8%
21%
4
1%
1%
7%
5%
5
0%
0%
6%
1%
Total
100%
100%
100%
100%
- Tableau 42 : nombre de secteurs dans lesquels le dirigeant a exercé, selon l'origine -
-
Expérience inter-firmes et compétences liées à la firme
L'expérience inter-firmes est importante : en moyenne les dirigeants ont fréquenté trois
groupes, en incluant celui qu'ils dirigent. Le maximum est de dix sociétés : c'est le cas
d'Antoine Veil, nommé à 70 ans à la tête de SAGA en 1996 pour une mission de
redressement. Seulement un sur cinq n'en a connu qu'un. Sachant que les dirigeants d'origine
interne représentent 39% de notre échantillon, cela signifie que la moitié d'entre eux ont
exercé dans au moins une autre firme. Pour accéder aux plus hauts postes de direction, il
semble donc préférable de ne pas avoir fait toute sa carrière dans le groupe. A l'époque des
travaux de Pigé (1996), 50% des dirigeants avaient travaillé dans une autre entreprise.
Aujourd'hui ils sont 80%, ce qui aurait tendance à confirmer le renforcement du rôle du
marché managérial, celui-ci ayant plus de probabilités d'être intervenu au cours de la carrière
du dirigeant, son rôle d'évaluation et de sélection pouvant s'exercer plus souvent.
Cette évolution était également notée par Cappelli et Hamori (2005) pour le marché
américain, avec une proportion de cadres dirigeants ayant passé toute leur carrière dans une
seule firme évoluant de 53% en 1980 à 45% en 2001. Leurs chiffres sont nettement supérieurs
aux nôtres, pour des périodes comparables. La principale explication est sans doute liée à la
population étudiée, restreinte dans notre analyse au numéro un de la firme, élargie dans leur
article aux équipes dirigeantes, la mobilité inter-firmes étant plus importante chez les
dirigeants de plus haut niveau, qui pour progresser et évoluer ont besoin de changer
d'entreprise. Mais une part de la différence est probablement due également à une tradition de
carrière interne plus forte aux États-Unis. L'analyse en fonction de l'origine interne ou externe
des dirigeants présentée au paragraphe 10.1., qui avait mis en évidence que le recours à un
dirigeant externe était plus fort en France qu'en moyenne dans le reste du monde (d'après
l'étude de Péladeau et al., 2005), conforte cette explication.
259
Expérience inter-groupes des dirigeants
25%
20%
15%
10%
5%
0%
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
nombre de groupes où le dirigeant a exercé
- Figure 22 : Nombre de groupes fréquentés par les dirigeants au cours de leur carrière -
Le capital spécifique à la firme semble cependant recherché, puisque, si on exclut les
créateurs et les repreneurs, 67% des dirigeants nommés étaient déjà dans l'entreprise depuis
un an et plus. Les dirigeants d'origine interne ont passé en moyenne 12,5 ans dans le groupe
(voir figure 23). Dans l'étude de Cappelli et Hamori (2005), les dirigeants américains
totalisaient 15,2 années d'ancienneté dans la firme avant d'être nommé à leur tête en 2001 et
20,6 années en 1980. Cette nouvelle comparaison confirme nos remarques effectuées
précédemment : le capital humain spécifique à la firme est un critère de sélection retenu pour
sélectionner un nouveau dirigeant aussi bien aux États-Unis qu'en France, mais en France il
est moins systématique et l'expérience inter-firmes est conjointement prise en compte.
Autrement dit un dirigeant sera recruté car il connaît déjà l'entreprise mais aussi pour les
connaissances qu'il a pu acquérir dans d'autres firmes au cours de sa vie professionnelle.
La distinction en fonction de la propriété faire ressortir une ancienneté dans le groupe plus
importante pour les dirigeants des firmes contrôlées (12,5 ans) et les firmes familiales (12,8
ans) que dans les firmes managériales (10,2 ans), mais les tests de différence des moyennes ne
sont pas significatifs au seuil de 5%.
260
ANCIENNETE DANS LE GROUPE DES DIRIGEANTS AYANT UNE
EXPERIENCE DE LA FIRME
%
30
25
20
15
10
5
0
1 à 5 ans
6 à 10 ans
11 à 15 ans
16 à 20 ans 21 à 25 ans
26 à 30 ans
> 30 ans
- Figure 23 : ancienneté dans le groupe des dirigeants ayant une expérience de la firme –
ANCIENNETE DANS LE GROUPE DES DIRIGEANTS AYANT UNE
EXPERIENCE DE LA FIRME
40
35
30
25
20
15
10
5
0
1 à 5 ans
6 à 10 ans
Echantillon global
11 à 15 ans 16 à 20 ans 21 à 25 ans 26 à 30 ans
Firmes managériales
Firmes contrôlées
> 30 ans
Firmes familiales
- Figure 24 : ancienneté dans le groupe des dirigeants ayant une expérience de la firme selon
la structure de propriété –
Synthèse
Le tableau du marché managérial français que nous avons dressé à partir des
caractéristiques de notre échantillon est contrasté. D'un côté, il apparaît moins actif que dans
le reste du monde, le taux de rotation annuel des dirigeants étant plus faible, mais en
progression sur la période, les durées de mandats sont plus longues, de l'autre, il permet à des
261
candidats plus jeunes d'accéder aux postes les plus élevés, il favorise les stratégies de carrière
externe et permet à la France d'être le pays étudié le plus utilisateur du levier disciplinaire
constitué par la sanction.
Le taux de rotation annuel, en moyenne assez bas (6,9%), est en nette progression depuis
2001. Il se situe cependant nettement en dessous de la moyenne mondiale évaluée par
Péladeau et al. (2005). Le marché managérial français serait donc moins actif, mais il évolue
et une convergence est en cours, notamment sur 2004 et 2005. La durée moyenne de mandat
est longue : 11 ans, mais ce chiffre cache de fortes disparités : la médiane est à 6, et les
dirigeants externes par exemple ne restent en poste en moyenne que 4,5 ans. Elle est très
supérieure à la moyenne mondiale de 6,3 ans.
Bien que les créateurs soient bien représentés (34%), un dirigeant sur cinq vient de
l'extérieur de la firme. Le recours à un dirigeant externe est plus fréquent en France que dans
le reste du monde et la tendance est toujours orientée à la hausse alors qu'un fléchissement est
observé dans les autres pays. Une distinction est à observer selon la structure de propriété, les
firmes managériales recrutant 43% de dirigeants d'origine externe, contre 11% pour les firmes
familiales, dans lesquelles la préférence est donnée aux héritiers qui représentent plus de la
moitié des candidats d'origine interne.
La sanction ressort comme un levier disciplinaire effectif en France, avec un taux moyen de
départs forcés de 18,6% et une très forte croissance des évictions en 2004 et 2005. Les motifs
de révocation évoluent, seule la moitié apparaît due à de mauvaises performances, les autres
départs se justifiant par des divergences avec les actionnaires ou les administrateurs, ou
l'arrivée d'un repreneur. Péladeau et al. (2005) soulignaient dans leur étude un recours à la
sanction plus fort en Europe que dans le reste du monde, or nos chiffres sont encore
supérieurs à ceux de leur analyse, ce qui laisse penser que la France est un des pays les plus
actifs en matière de sanction et que le marché managérial français joue bien son rôle
disciplinaire. Des écarts significatifs sont observés en fonction de la structure de propriété, ce
levier étant le plus utilisé dans les sociétés managériales et le moins dans les firmes familiales.
Celles-ci y ont recours principalement lorsque de mauvaises performances sont observées.
L'accession à un poste de dirigeant semble plus rapide en France qu'aux États-Unis et dans
le reste du monde. Les candidats ont occupé en moyenne 5,1 postes et totalisé vingt ans de vie
262
professionnelle avant de devenir dirigeant d'une des sociétés cotées de l'échantillon (quatre
ans de moins qu'aux États-Unis). L'importance en France de la part de créateurs et de
dirigeants héritiers dans les sociétés familiales est l'explication la plus plausible de cet
avantage.
Les dirigeants des sociétés cotées françaises entre 1996 et 2005 ont été nommés en
moyenne vers 44 ans, les plus jeunes étant les créateurs d'entreprise, qui accèdent à la position
de numéro un à 36 ans, puis les dirigeants d'origine interne (46 ans), et enfin les externes (50
ans). Ils sont plus jeunes de quatre ans que dans l'étude du marché français de Pigé (1993). Ce
rajeunissement est également observé sur le marché américain par Cappelli et Hamori (2005),
mais les dirigeants français sont plus jeunes de deux ans à la nomination.
Plusieurs critères de sélection ressortent très clairement de l'analyse descriptive et
confirment notre présentation de la fonction d'évaluation du marché managérial au chapitre
II :
-
La formation est un critère fort : 78,6% des dirigeants ont effectué au moins cinq
années d'études supérieures, ils sont principalement ingénieurs (22% hors
Polytechnique). Les dirigeants issus des grands corps ne représentent que 10% de
l'échantillon. Seulement 7,6% des dirigeants n'ont pas fait d'études supérieures. Le
niveau de formation est sensiblement le même que celui des dirigeants américains.
De façon non surprenante, il est inférieur à la moyenne dans les firmes familiales,
supérieur dans les firmes contrôlées et managériales.
-
La formation internationale est en progression : en 2005, un tiers des candidats
recrutés en avaient suivi une. Là encore, les dirigeants des firmes familiales sont les
moins formés.
-
La diversité de l'expérience est recherchée : en moyenne les dirigeants ont exercé
trois fonctions différentes en plus du management, et depuis 2001 plus de la moitié
ont occupé au moins un poste à l'étranger.
-
L'expérience en management est une condition souvent nécessaire : les dirigeants
ont occupé 2,4 postes de direction en moyenne avant d'être nommés sur la période
analysée à la tête d'une des sociétés cotées de l'échantillon. L'étude de Péladeau et al.
(2005) avait également conclu à l'importance d'une expérience managériale pour se
voir confier la tête d'une société cotée. En France, 67% des candidats nommés sur la
période étudiée étaient déjà dirigeants, mais tout de même 33% sont issus des
263
viviers, ce qui constitue un nouvel argument en faveur de l'activité du marché
managérial français.
-
36% des dirigeants ont une expérience professionnelle à l'international. Cette
proportion augmente avec la taille de firme et elle est nettement supérieure dans les
firmes managériales et contrôlées que dans les firmes familiales.
-
L'expérience en ministère n'est pas un passage obligé : 19% des dirigeants étudiés en
ont une, mais ils ne sont pas promus plus vite que les autres candidats, et doivent
également faire leurs preuves en entreprise avant d'obtenir la direction d'une grande
société cotée. Nous n'avons pas observé de carrières significativement plus rapides
pour les grands corps, mais ils sont nommés à la tête des plus grosses entreprises et
des sociétés où l'État est le premier actionnaire.
-
Les connaissances sectorielles semblent être un motif de recrutement, 51% des
dirigeants n'ont connu qu'un seul secteur et la moyenne de l'échantillon est inférieure
à deux secteurs. Seulement 12% des dirigeants n'ont pas d'expérience du secteur de
la firme pour laquelle ils ont été recrutés. Il semble cependant que l'expérience
sectorielle en France soit un peu moins un passage obligé qu'aux États-Unis et que
son importance diminue progressivement.
-
Le profil recherché pour être dirigeant en France est multiple : il faut à la fois avoir
une expérience de la firme et connaître plusieurs firmes. La mobilité inter-firmes est
valorisée : les dirigeants ont travaillé en moyenne dans deux autres groupes que
celui dont ils ont pris la tête. Seulement 20% n'en ont connu qu'un seul, contre 50%
dans l'étude plus ancienne de Pigé (1993), ce qui met en évidence une hausse de la
mobilité. Mais les compétences spécifiques à la firme sont aussi recherchées : hors
créateurs et repreneurs, deux tiers des dirigeants sont d'origine interne et ont exercé
dans le groupe depuis 12,5 ans en moyenne. Le profil des dirigeants recrutés en
France semble plus diversifié qu'aux États-Unis, où la promotion interne à l'intérieur
d'une unique société reste plus marquée même si elle a diminué également au cours
des dernières années.
264
CHAPITRE XI : LE ROLE DU MARCHE DES DIRIGEANTS DANS LE SYSTEME
DE GOUVERNANCE DES ENTREPRISES
Ce chapitre présente les résultats de l'étude empirique relative à la partie centrale de notre
modèle théorique : le rôle du marché des dirigeants et sa contribution à la création de valeur
dans la firme. La méthodologie et les variables ont été explicitées aux chapitres VIII et IX.
Après avoir décrit l'échantillon ayant servi aux tests, et mis en évidence ses spécificités par
rapport à la base globale, nous avons rappelé les vérifications préalables à la régression que
nous avons effectuées. Nous avons ensuite détaillé et commenté les résultats des tests
statistiques.
11.1. Description de l'échantillon
La base utilisée pour les tests compte 165 changements de dirigeants, sur la période 1996 à
2004. Le tableau ci-dessous compare ses caractéristiques à celles de l'échantillon global. Il est
intéressant de le commenter en détail, car il fournit probablement les informations relatives au
marché managérial les plus proches de la réalité, les dirigeants faisant partie de cette base
étant ceux qui ont été recrutés sur la période étudiée, c'est-à-dire qui ont probablement été
évalués et sélectionnés par le marché du travail. Les créateurs ne faisant pas partie de la base
test, les principales caractéristiques des dirigeants étudiées sont modifiées : ils accèdent à la
direction d'une société cotée plus tard (à 51 ans contre 44 ans), après avoir occupé 2,1 postes
de plus, ils sont davantage diplômés (86% ont un niveau bac+5 et plus), ont une expérience
fonctionnelle, internationale, sectorielle et inter-firmes supérieure. Ceci n'est pas surprenant,
les dirigeants ayant une stratégie de carrière externe, forcément plus représentés dans cet
échantillon, étant plus mobiles fonctionnellement et géographiquement. Avant de prendre la
tête d'une société cotée, ils ont occupé en moyenne 2,8 postes de direction. Plus de la moitié
des dirigeants sont passés par au moins un poste à l'international. Ils ont changé plusieurs fois
de firmes, en moyenne ils ont travaillé dans 3,8 groupes. Les grands corps sont mieux
représentés dans la base test, et se situent sensiblement au même niveau, 18% contre 17%,
que dans l'étude de Pigé (1993). Il semblerait donc que leur influence n'ait pas évolué. Nous
restons très en-dessous des statistiques des travaux de Bauer et Bertin-Mourot (1987, 1995),
265
qui comptabilisaient parmi les dirigeants de leur étude 27% de polytechniciens et 19%
d'énarques83.
Taux de départs forcés
Rapidité d'accession au poste de dirigeant :
- nombre moyen de postes antérieurs
- années de vie professionnelle
Age moyen à la nomination
% de niveau master et plus
% de polytechniciens
% d'énarques
% de grands corps
Expérience fonctionnelle :
- ministérielle
- postes de direction
- fonction différentes exercées
- expérience internationale
Expérience sectorielle :
- nombre moyen de secteurs où le dirigeant
a exercé
- % n'ayant connu qu'un seul secteur
Expérience de la firme :
- nombre moyen de groupes où le dirigeant a
exercé
- % n'ayant connu qu'un seul Groupe
- ancienneté moyenne dans la firme
Origine des dirigeants
Echantillon
global
18,6%
Base test
5,1
20 ans
44 ans
79%
12%
10%
10%
7,2
26 ans et 4 mois
51 ans
86%
15%
8%
18%
20%
2,4
3
36%
18%
2,8
4,5
52%
1,7
1,8
51%
40%
3
3,8
20%
8 ans et 4 mois
17%
9 ans
6% repreneurs
59% internes
35% externes
1007 observations
25%
165 observations
- Tableau 43 : principales caractéristiques des dirigeants de l'échantillon test -
Le tableau suivant reprend les caractéristiques des sociétés dans lesquelles les dirigeants ont
été recrutés. La taille est plus importante que dans l'échantillon global, quel que soit
l'indicateur utilisé : chiffre d'affaires, effectif, capitalisation boursière, nombre de filiales.
Nous avons cependant toujours une diversité élevée des entreprises étudiées, puisque les
extrêmes sont très éloignés. La plus petite capitalisation boursière de notre échantillon est de
2,2 millions d'euros, la plus importante de 68 943 millions d'euros, avec une médiane à 660
83
Leur échantillon étant constitué des deux cents plus grandes entreprises françaises, il se distingue du nôtre par
la taille des firmes et une présence de l'État plus marquée dans l'actionnariat.
266
millions. La complexité du groupe est également très variable : de 0 filiale à 4 780, de même
que les effectifs : de 5 (pour la société de capital développement Salvepar) à 241 627 (pour
Veolia Environnement).
Chiffres d'affaires
(millions d'euros)
Effectif
Capitalisation
boursière (millions
d'euros)
Nombre de filiales
Moyenne
4 343
Médiane
734
Minimum
1,2
Maximum
77 860
15 594
3 514
2 761
660
5
2,2
241 627
68 943
135
39
1
4 780
- Tableau 44 : caractéristiques principales des 122 firmes de l'échantillon -
Les
autres
renseignements
figurant
dans
la
base
de
test
correspondent
à
l'opérationnalisation des variables explicatives, disciplinaires et cognitives, et de la variable à
expliquer.
La variation de création de valeur (VARPERF) entre les deux dernières années d'exercice
du prédécesseur et les deux premières années de mandat du nouveau dirigeant est positive sur
l'ensemble de notre échantillon, la somme étant égale à 25,47, ce qui tendrait à montrer que
globalement l'ensemble des changements de dirigeants effectués sur la période s'est traduit par
un effet positif sur la performance des firmes étudiées. Ce pourcentage est cependant à
analyser avec précaution car il résulte de l'addition de variations portant sur des montants de
créations de valeur très divers et sur des années différentes. La variation moyenne de
performance des firmes de l'échantillon consécutive au changement de dirigeant est de 0,16.
La médiane est à 0,15. L'écart-type est de 0,41. Deux entreprises sur trois ont connu une
variation positive de leur performance suite à l'arrivée du nouveau dirigeant. La répartition par
tranches met en évidence des variations parfois très fortes, puisque VARPERF est inférieure à
-0,5 dans 6% des firmes et elle est supérieure à 0,50 dans 20% d'entre elles. Ainsi Transgène,
société bio-pharmaceutique créée en 1979, qui enregistrait une variation annuelle de
performance négative en moyenne de 12% les deux années précédant l'arrivée de Philippe
Archinard à la tête de la firme et qui a connu depuis 2004 une évolution moyenne annuelle
positive de 59%, ressort dans notre base avec une variation de création de valeur de 0,72.
267
VARPERF
% de firmes de l'échantillon
<0
33 %
>0
67 %
<-0,5
6%
-0,5 à -0,25
10 %
-0,25 à 0
17 %
0 à 0,25
28 %
0,25 à 0,5
19 %
> 0,5
20 %
-0,09
25 %
0,15
50 %
0,41
75 %
1,41
100 %
- Tableau 45 : répartition de la variable à expliquer -
L'étude descriptive des variables explicatives apporte d'autres informations sur les
changements de dirigeants. Relativement à la dimension disciplinaire, 80% des nominations
de dirigeants étudiées représentent une récompense : fonction hiérarchique, rémunération ou
taille de l'entreprise supérieure. Les dirigeants français sont soumis au risque de la sanction :
25% des changements étudiés sont consécutifs au départ forcé 84 du prédécesseur (11% en
raison de divergences avec les actionnaires ou les administrateurs, 14% consécutivement à de
mauvaises performances). La durée moyenne des mandats des prédécesseurs s'établit à onze
ans, mais ce chiffre masque des disparités fortes, puisque le minimum est de quelques mois, le
maximum de 44 ans. En examinant la répartition par périodes de dix ans, 60% des dirigeants
sont restés entre 0 et 10 ans en poste, 23% entre 11 et 20 ans, 10% entre 21 et 30 ans, et 7%
plus de 30 ans.
Variables
disciplinaires
Fréquence par modalités
Moyenne
RECOMPENSE85
NON : 20%
OUI : 80%
NON : 75%
OUI (divergences) : 11%
OUI (performances) : 14%
0,80
SANCTION86
COUTSDISC 87
Médiane
0,38
11,2
8
Min
Max
Nb
d'obs.
0
1
0
2
165
0
44
165
165
- Tableau 46 : données descriptives sur les variables disciplinaires 84
La définition de la notion de départ forcé a été développée au paragraphe 9.2.1..
Promotion du nouveau dirigeant, variable binaire oui/non.
86
Départ forcé du prédécesseur, variable à trois modalités selon le motif de départ.
87
Réduction des coûts disciplinaires liés à l'enracinement, variable opérationnalisée par la durée du mandat du
prédécesseur.
85
268
Sous la dimension cognitive, les variables explicatives prennent en compte la différence de
profil et de compétences entre l'ancien et le nouveau dirigeant. Le tableau 47 fournit les
données descriptives sur ces variables. Le changement de dirigeant est l'occasion d'un
rajeunissement en moyenne de dix ans, mais la durée moyenne des mandats étant de 11 ans,
l'âge au moment du recrutement comme dirigeant de diminue pas.
Le renouvellement d'un dirigeant n'est pas forcément l'occasion d'augmenter le niveau de
formation. Dans 28% des changements de dirigeants, le nouveau présente moins d'années de
formation que le prédécesseur, dans 35% le même nombre d'années, et dans 37% une hausse.
La continuité du type de formation est fréquente, puisque 42% des successions se sont
effectuées en recrutant un dirigeant ayant le même cursus que son prédécesseur
(remplacement d'un ingénieur par un ingénieur, d'un cadre commercial par un autre cadre
commercial…). Ceci peut traduire soit des effets de réseaux d'école, soit une volonté du
conseil d'administration de ne pas changer trop radicalement la direction de l'entreprise.
Cette volonté est sans doute également l'explication de la continuité également observée en
matière d'origine du dirigeant : 66% des renouvellements de dirigeants n'ont pas été l'occasion
de passer d'un interne à un externe ou l'inverse. Parmi les changements d'origine, il est deux
fois plus fréquent de passer d'un interne à un externe (23%) que d'un externe à un interne
(11%). Ceci traduit sans doute une évolution vers un recours explicite plus important au
marché managérial, car le solde s'exprime en faveur des externes.
Le changement de dirigeant est l'occasion de rechercher plus de compétences génériques. Si
la moyenne de la variation n'est que légèrement positive, la décomposition par seuil met plus
en évidence le phénomène : 25% des nouveaux dirigeants totalisent moins de compétences
génériques que leur prédécesseur, mais 36% ont le même niveau et 39% en ont davantage.
L'expérience sectorielle semble également recherchée : si dans 29% des cas, le nouveau
dirigeant a travaillé dans moins de firmes du même secteur que son prédécesseur avant d'être
nommé, pour 36% des changements, son expérience sectorielle est identique, et dans 39% des
cas elle est supérieure.
269
L'expérience spécifique à la firme apparaît également un facteur de recrutement : si 33%
des nouveaux dirigeants ont passé moins d'années dans la firme que leur prédécesseur à sa
nomination, 21% ont la même ancienneté et 46% étaient dans le groupe depuis plus
longtemps. Ceci n'est pas contradictoire avec notre remarque sur l'évolution de l'origine des
dirigeants, les 23% de changements d'un dirigeant interne au profit d'un externe étant
inférieurs aux 33% de nouveaux dirigeants avec une expérience moindre de la firme.
Variables
explicatives
cognitives
VARAGE88
Fréquence par
modalités
VARDIPLOME89
Même niveau de diplôme
: 73%
Niveau différent : 27%
Pas de changement :
69%
Un changement : 31%
Même origine : 66%
Interne  externe : 23%
Externe  interne : 11%
Fréquence par
modalités
VARTYPEFORM90
VARORIGINE91
Moyenne
Médiane
Min
Max
Nb
d'obs
-10 ans
- 11,5 ans
-20
40
147
Variables
Moyenne
Médiane
Min
explicatives
Max
cognitives
VARCOMPET92
0,3
0
-3
GENERIQUES
3
93
VARCOMPET
0,3
0
-10
SECTEUR
6
VARCOMPETFIRM
0,6
0
-33
94
EANS
36
- Tableau 47: données descriptives sur les variables cognitives -
147
147
154
Nb
d'obs
147
147
150
11.2. Respect des hypothèses de base de la régression
11.2.1. Problèmes éventuels de multicolinéarité
88
Différence d'âge entre le nouveau et l'ancien dirigeant.
Différence de niveau de diplôme entre le nouveau et l'ancien dirigeant.
90
Existence d'un changement de type de formation (exemple : passage d'un ingénieur à un ESC) : oui/non.
91
Variation d'origine entre le nouveau et l'ancien dirigeant.
92
Différence de compétences génériques entre le nouveau et l'ancien dirigeant (6 recensées).
93
Différence du nombre de firmes du même secteur dans lesquelles l'ancien et le nouveau dirigeant ont travaillé.
94
Différence d'ancienneté dans la firme entre le nouveau et l'ancien dirigeant à leur nomination.
89
270
Les variables explicatives relatives aux différentes voies d'intervention du marché
managérial et les variables de contrôle peuvent être introduites dans la régression car nous
n'avons pas de problèmes de multi-colinéarité trop élevée. Nous avons examiné pour chaque
variable le Variance Inflation Factor (VIF), qui est toléré, jusqu'à une valeur de 4, or, dans
nos différentes régressions, aucun VIF n'atteint 2, les coefficients sont très majoritairement
proches de 1. Nous avons aussi, pour chaque régression effectuée, étudiée la matrice des
corrélations.
11.2.2. Examen des résidus
Pour pouvoir utiliser la méthode des moindres carrés ordinaire pour estimer les paramètres
de l'équation étudiée entre la variable à expliquer et les variables explicatives, plusieurs
hypothèses sur les résidus doivent être vérifiées. Elles concernent la normalité,
l'homoscédasticité des erreurs et leur indépendance vis-à-vis de toutes les variables
explicatives. Outre les tests graphiques et les tests de White, nous avons utilisé le test de
normalité de Kolmogorov Smirnov et la fonction "casewise diagnostics" de SPSS. Elle nous a
permis d'identifier quatre résidus standardisés dépassant plus ou moins 3 unités d'écart-type. Il
s'agit de cas déviants mal expliqués par notre modèle de régression.
Nous avons étudié chacun de ces cas particuliers. Les données ont toutes été vérifiées afin
d'identifier une éventuelle erreur de saisie, ce qui n'était pas le cas. Deux raisons principales
de déviance sont apparues :
-
La volatilité excessive du cours de bourse due à un faible flottant, le nombre réduit
de transactions expliquant l'existence d'écarts très élevés d'une période à une autre.
L'impact d'une constatation à une date donnée est alors extrêmement fort, or pour
calculer notre variable de performance, nous utilisons dans les données la
capitalisation boursière un jour précis, celui de la date d'arrêtés des bilans.
-
L'existence d'un événement exceptionnel dans la vie de la société la même année que
le changement de dirigeant, qui vient masquer l'effet potentiel de celui-ci : opération
en capital significative par rapport à la taille de la firme et non répétitive, plan de
sauvetage avec apports externes de fonds et réduction des dettes bancaires….
271
Les quatre valeurs déviantes correspondant à ces situations, qui sortent de notre étude
théorique, ont été retirées de l'échantillon. Il s'agit d'Alstom (2003), Jet Multimédia (2000),
Oeneo (2004) et Vallourec (2004).
Alstom était dans une situation financière catastrophique en 2003 (perte de 1,38 milliards
d'euros, chute du cours de bourse de 50%) au moment du changement de dirigeant, affaibli
par un dividende exceptionnel versé à ses précédents actionnaires (230 millions d'euros à
Marconi, autant à Alcatel) et par les difficultés de sa division de turbines à gaz de grande
puissance. Cette crise a été surmontée en moins de deux ans grâce à la suppression de 3000
emplois en Europe, deux augmentations de capital (600 millions d'euros), la mise en place de
refinancements avec les banques, l'intervention de l'État français (2,5 milliards de cautions et
souscription d'actions pour 300 millions d'euros) et un important programme de cessions
(pour 3 milliards d'euros). Compte tenu de l'importance du plan de sauvetage, l'incidence de
l'arrivée du nouveau dirigeant passe nécessairement au second plan et ne peut expliquer la
même part de l'évolution de la performance que dans une société où les choses sont égales par
ailleurs.
Jet Multimédia cumule les deux explications. Inscrite au compartiment C d'Eurolist
(capitalisation inférieures à 150 millions d'euros) elle n'offrait en 2000 qu'un flottant inférieur
à 10% et les variations de cours à l'époque étaient brutales. Concomitamment à l'arrivée du
nouveau dirigeant, le périmètre du groupe s'est élargi considérablement avec le rachat de
Victoire Multimédia. Une augmentation de capital de 33 millions d'euros a été lancée et un
important partenariat avec D.I. Group, pôle média du groupe LVMH, a été signé.
Le conseil d'administration d'Oeneo, en péril du fait de ses résultats, du niveau des
provisions, de la disparition de ses fonds propres et de son niveau d'endettement, a pris en
2004 des décisions stratégiques majeures : lancement d'un plan de restructuration, cession des
sites déficitaires, recomposition des forces de commerciales, nouveau pari industriel sur un
produit de la division bouchons, arrêt de la fabrication de bouchons traditionnels, accord de
refinancement des banques, augmentation de capital et nomination temporaire d'un nouveau
dirigeant en la personne de Marc Hériard Dubreuil (la famille Hériard Dubreuil est le
principal actionnaire) pour accompagner ces réorientations.
272
Vallourec a connu également un événement exceptionnel majeur peu après l'arrivée de son
nouveau dirigeant : le rachat des 45% de V&M Tubes qu'il ne détenait pas, pour 545 millions
d'euros en numéraire, opération financée par recours à la trésorerie disponible, à l'endettement
bancaire et une augmentation de capital de 125 millions d'euros.
11.3. Résultats
Notre cadre théorique étant une synthèse de la prise en compte de la dimension disciplinaire
et de la dimension cognitive, nous avons procédé à une série de trois régressions, afin de
tester tout d'abord le rôle disciplinaire du marché managérial, puis son rôle cognitif, et enfin
son intervention dans sa globalité, au cas où il existerait des interactions entre les deux.
11.3.1. Le rôle disciplinaire du marché managérial
La première régression a été effectuée en introduisant les trois variables explicatives
disciplinaires : RECOMPENSE, SANCTION, COUTSDISC et la variable de contrôle
VARPIB95.
R2 ajusté
F
Sign.
Nb observations
8,4%
4,647
0,001
160
-Tableau 48 : qualité de la régression intégrant les variables disciplinaires –
Le coefficient de détermination n'est pas très élevé, le R2 ajusté atteint 8,4%, mais la taille
de notre échantillon est assez petite et à part VARPIB, seules les trois variables liées au rôle
disciplinaire du marché managérial ont été introduites dans la régression. Il n'est pas
surprenant que de nombreuses autres variables, non liées à ce mécanisme, expliquent la
création de valeur dans la firme. Nous commenterons plus amplement cette relative faiblesse
du coefficient de détermination au paragraphe 11.3.3. portant sur l'ensemble des voies
d'intervention du marché managérial.
Le test F de Fisher-Snedecor, qui permet d'interpréter la signification des résultats en
fonction du nombre d'observations, traduit une bonne qualité au niveau global de la relation
95
Variation du PIB entre les deux années consécutives au changement de dirigeant et les deux années antérieures
à ce changement.
273
étudiée. Au niveau des variables, le test t de Student a confirmé l'existence d'une relation
significative entre la variable à expliquer, la variation de performance de la firme, et deux des
trois variables explicatives, SANCTION et COUTSDISC, ainsi qu'avec la variable de
contrôle VARPIB.
VARIABLES et constante
RECOMPENSE
SANCTION
COUTSDISC
VARPIB
Constante
COEFF β
(écart-type)
0,007
(0,083)
0,149***
(0,045)
0,006*
(0,003)
0,064*
(0,033)
-0,049
(0,089)
t
Sign.
VIF
0,082
0,935
1,055
3,309
0,001
1,046
1,883
0,062
1,026
1,915
0,057
1,039
-0,556
0,579
Les résultats significatifs sont signalés par : *** à 1%, ** à 5%, et * à 10%.
- Tableau 49 : résultats de la régression intégrant les variables disciplinaires -
Deux de nos hypothèses liées au rôle disciplinaire du marché des dirigeants sont validées :
H1 et H3. Le marché managérial joue un rôle disciplinaire en France dans les sociétés cotées
sur la période 1996-2004 à partir de deux leviers, l'incitation liée à la menace de sanction et la
réduction des coûts disciplinaires relatifs à l'enracinement du prédécesseur. Suite à un départ
forcé du dirigeant, la variation de performance de la firme est positive. Plus le dirigeant
précédent est resté longtemps en poste, ce qui laisse supposer que davantage de contrats
informels ont été noués, plus le changement de dirigeant est créateur de valeur dans la firme.
Nos résultats confortent les nombreux travaux validant le lien positif entre un départ forcé et
la variation de performance de la firme, enregistrés aussi bien pour le marché américain
(Parrino, 1997, Zerbib et al., 2002, Fee et Hadlock, 2003, pour les plus récents), que pour le
marché anglais (Conyon et al., 1995, Renneboog et Trojanowski, 2003), le Danemark
(Neumann et Voetmann, 1999) ou encore le marché français (Pigé, 1993, Dherment Férère,
1996).
En ce qui concerne la France, nos résultats sont plus marqués que ceux de l'étude de
Dherment-Férère (1996) portant sur les 235 entreprises cotées sur le marché du règlement
mensuel et du comptant ayant enregistré un changement de dirigeant entre 1988 et 1992.
274
L'auteur concluait à une amplitude plus forte et positive de l'impact de la succession d'un
dirigeant sur la performance en cas de départ forcé, notamment dans le cas du remplacement
par un externe, mais avec une faible significativité. L'analyse de Dherment-Férère et
Renneboog (2000) sur le même échantillon confirmait l'incidence positive de la sanction sur
la performance de la firme, avec une hausse significative des cours de l'action de 0,5% dans
une fenêtre de vingt jours autour de l'annonce d'un départ forcé. Notre étude permet de mettre
en évidence que la sanction joue toujours un rôle disciplinaire dans le système de
gouvernance des entreprises françaises sur une période plus récente, 1996 à 2004, et que cette
influence semble être de plus en plus significative sur la performance de la firme.
Le rôle de sanction du marché managérial contribue positivement à la création de valeur
dans la firme.
La récompense, autre levier disciplinaire d'incitation à la performance, n'apparaît pas
significative dans nos tests, sans doute du fait de son opérationnalisation très simplifiée, faute
d'accès à plus de données. L'hypothèse H2 n'est pas validée. La notion de récompense retenue
était limitée à l'accession à un poste plus élevé ou prestigieux, sans prise en compte de
l'évolution chiffrée de la rémunération et de la composition de celle-ci. Si nous rapprochons
ce résultat de ceux des études empiriques portant sur l'influence des systèmes de
rémunérations, il semblerait donc que si la part variable peut être liée positivement à la
performance de la firme, d'autres éléments moins sensibles comme le prestige ou la
satisfaction d'obtenir un poste plus élevé ne soient pas suffisamment incitatifs pour contribuer
à la création de valeur dans la firme.
Une deuxième voie d'intervention disciplinaire du marché managérial, la réduction des
coûts disciplinaires, apparaît avoir une influence significative sur la performance de la firme.
Nos travaux confortent et actualisent les résultats pour le marché français de Paquerot (1996,
1997) et de Pigé (1998). Paquerot, dont l'analyse s'intéressait aux dirigeants des sociétés
cotées françaises en 1993, concluait également à un effet négatif de l'enracinement, évalué par
le dépassement de l'âge de la retraite et le cumul des mandats, sur la rentabilité ajustée au
risque de la firme. Pigé, dont l'étude portait sur 558 dirigeants de sociétés cotées françaises
entre 1966 et 1990, affinait ce constat en confirmant une relation statistiquement significative
et négative entre la performance boursière annuelle et le niveau d'enracinement du dirigeant,
lorsque ce dernier dépassait un certain seuil. L'opérationnalisation de seuils d'enracinement est
275
plus complexe dans son étude que dans la nôtre, qui distingue seulement les prédécesseurs
restés en poste plus longtemps ou moins longtemps que la moyenne de l'échantillon, mais les
conclusions convergent. Notre analyse apporte un éclairage complémentaire, car elle
s'intéresse aux conséquences du changement de dirigeant. L'étude de Pigé a permis de
conclure que l'enracinement avait une influence négative sur la performance de la firme à
partir d'un certain seuil. Nos travaux montrent que la suppression de cet enracinement
consécutive au changement de dirigeant engendre de la création de valeur dans la firme, par
réduction des coûts disciplinaires liés.
Le rôle de réduction des coûts disciplinaires du marché managérial contribue positivement
à la création de valeur dans la firme.
11.3.2. Le rôle cognitif du marché managérial
La seconde régression a intégré cette fois les variables explicatives cognitives : VARAGE,
VARDIPLOME,
VARTYPEFORM,
VARORIGINE,
VARCOMPETGENERIQUES,
VARCOMPETSECTEUR, VARCOMPETFIRME, et la variable de contrôle VARPIB.
R2 ajusté
F
Sign.
Nb observations
12,6%
2,403
0,019
142
- Tableau 50 : qualité de la régression intégrant les variables cognitives –
Le coefficient de détermination R2 est plus élevé : 12,6% que pour la régression sur les
voies disciplinaires, ce qui n'est pas surprenant car le nombre de variables introduites est plus
important. La réflexion évoquée au paragraphe 11.3.1. est cependant toujours fondée, d'autres
déterminants que le mécanisme que nous étudions expliquent la création de valeur dans la
firme. La qualité au niveau global de la relation, estimée par le test F de Fisher-Snedecor, est
toujours satisfaisante.
Le test t de Student a confirmé l'existence d'une relation significative entre la variable à
expliquer, la variation de performance de la firme, et deux des sept variables explicatives
cognitives VARORIGINE et VARDIPLOME. La variable de contrôle VARPIB est toujours
significative.
276
VARIABLES et constante
VARAGE
VARDIPLOME
VARTYPEFORM
VARORIGINE
VARCOMPETGENERIQUES
VARCOMPETSECTEUR
VARCOMPETFIRME
VARPIB
Constante
COEFF β
(écart-type)
-0,004
(0,003)
-0,244***
(0,083)
-0,127
(0,081)
0,120*
(0,068)
-0,018
(0,028)
0,020
(0,017)
0,002
(0,003)
0,069*
(0,036)
0,121
(0,077)
t
Sign.
VIF
-1,183
0,239
1,150
-2,933
0,004
1,248
-1,567
0,119
1,265
1,757
0,081
1,333
-0,630
0,530
1,099
1,180
0,240
1,232
0,668
0,505
1,321
1,908
0,059
1,048
1,581
0,116
Les résultats significatifs sont signalés par : *** à 1%, ** à 5%, et * à 10%.
- Tableau 51 : résultats de la régression intégrant les variables cognitives -
La variation d'âge entre les deux dirigeants qui se succèdent n'est pas une variable
significative dans les tests effectués. Notre hypothèse H4b n'est pas validée. Il est intéressant
de remarquer que le coefficient bêta aurait été négatif, ce qui signifie que le rajeunissement du
dirigeant aurait une influence positive sur la création de valeur dans la firme. Ceci n'est pas
conforme à nos attentes, nous avions supposé que la perte de l'expérience plus élevée d'un
dirigeant plus âgé était coûteuse pour la firme.
L'âge est pourtant une caractéristique explicative des stratégies des dirigeants souvent mise
en avant, notamment dans les études américaines, mais le lien avec la création de valeur n'est
pas toujours analysé. Les dirigeants plus jeunes prendraient plus de risques ou encore seraient
davantage réceptifs au changement. Bertrand et Schoar (2003) par exemple concluaient à une
relation significative positive entre l'âge et une prise de décision plus conservative, mais un
lien faible avec la performance. Il n'y a pas cependant de consensus sur ce point, Wiersema et
Bantel (1992) concluaient ainsi que l'âge n'avait pas d'effet sur les changements stratégiques.
L'absence de significativité de la variation d'âge entre l'ancien et le nouveau dirigeant sur la
performance de la firme constitue une preuve que ces conjonctures ne sont pas vérifiées dans
277
notre échantillon, ou peut-être que les effets de l'âge sur la performance, à travers la stratégie
adoptée par le dirigeant, sont complexes, certaines décisions ayant un impact positif, mais
celui-ci étant compensé par d'autres mesures prises influençant négativement la performance.
Les variations de compétences, qu'elles soient génériques, sectorielles ou liées à la firme, ne
ressortent pas non plus comme des variables explicatives significatives. Nos travaux sont
novateurs car très peu d'études empiriques ont cherché à évaluer l'impact sur la performance
de la firme des différences de compétences entre l'ancien et le nouveau dirigeant. A noter que
contrairement à ce qui était anticipé, si la variable VARCOMPETGENERIQUES avait été
significative, le coefficient bêta aurait été négatif : plus de compétences génériques aurait une
incidence négative sur la performance de la firme. Nous pouvons alors nous interroger sur la
pertinence des critères de sélection, car selon la statistique descriptive présentée au
paragraphe 11.1., 39% des dirigeants recrutés sur la période avaient plus de compétences
génériques que leur prédécesseur.
L'absence de significativité de la variable COMPETSECTEUR sur la performance nous
interpelle également. Comme nous l'avons vu au paragraphe 10.2.3., l'appartenance à un
même secteur d'activité constitue un critère discriminant dans la sélection des dirigeants. Or le
fait qu'un dirigeant ait travaillé dans plusieurs firmes du même secteur que celle dont la
direction lui est confiée n'explique la création de valeur dans la firme. Notre étude conforte les
résultats pour le marché américain de Datta et Rajagopalan (1998) sur une période plus
ancienne (1977 à 1987), qui ne confirmaient pas le fait que l'adéquation des compétences du
dirigeant au secteur de la firme qui lui est confiée engendre une meilleure performance de la
firme. Bailey et Helfat (2003) concluaient dans leur étude à une variance plus forte de la
performance pour les firmes ayant recruté un dirigeant externe sans expérience sectorielle,
mais leur analyse ne permettait pas de définir si la création de valeur était supérieure dans un
cas ou dans l'autre.
La non significativité de la variable COMPETFIRME apparaît par contre corroborer
l'efficience des critères de sélection en France relatifs à l'expérience du dirigeant dans la firme
: si le capital humain spécifique à la firme est pris en compte par les recruteurs, il l'est jusqu'à
un certain seuil, l'expérience inter-firmes étant recherchée conjointement.
278
L'une des deux variables explicatives cognitives ayant une influence dans la relation étudiée
est VARORIGINE, avec un bêta positif. Notre hypothèse H4a est validée :
Les réorientations stratégiques consécutives à la succession d'un dirigeant interne par un
externe ont un effet positif sur la performance de la firme, et inversement le passage d'un
externe à un interne se traduit par un effet négatif.
Ce résultat est intéressant, car il met en évidence qu'un changement de dirigeant est plus
positif pour la firme lorsqu'il permet d'amener une vision externe et neuve à l'entreprise,
synonyme certainement de modifications plus radicales que n'en aurait apporté un candidat
interne. Il est à rapprocher de la relation positive confirmée sur notre échantillon entre la
sanction et la création de valeur dans la firme, 56% des départs forcés ayant été suivis du
recrutement d'un dirigeant externe. Cette association avait déjà été mise en évidence pour le
marché américain par Helfat et Bailey (2005), à savoir que l'impact positif sur la performance
de l'arrivée d'un dirigeant externe était plus significatif lorsqu'elle était consécutive à un
départ forcé.
Alors que Dherment-Férère (1998) obtenait des résultats contrastés dans son étude
concernant l'incidence de l'origine externe du dirigeant sur la performance de la firme,
mesurée par la rentabilité anormale du cours de bourse, nos travaux sur la période 1996 à
2004 confortent pour le marché français les résultats d'études empiriques menées pour les
États-Unis par Shen et Cannella (2002), ou encore au niveau mondial l'analyse de Péladeau et
al. (2005). Ces derniers effectuaient également le lien avec le remplacement des dirigeants
ayant subi un départ forcé par un externe et de manière générale soulignaient la meilleure
performance des "outsiders" les premières années de leur mandat, qu'ils attribuaient à leur "art
de dynamiser l'entreprise : établir une nouvelle direction stratégique, exiger plus de résultats,
réduire les coûts, liquider les actifs sous-performants et communiquer avec les investisseurs"
(p. 10), les dirigeants d'origine interne pour leur part étant plus à même d'assurer une
croissance certes moins dynamique mais plus orientée vers le long terme et continue. Les
résultats de leur étude par grande zone géographique faisaient ressortir que ce constat se
vérifiait surtout en Amérique du Nord, les performances comparées entre dirigeants d'origine
interne et dirigeants d'origine externe étant relativement similaires en Europe. Nos résultats
permettent de mettre en évidence que la situation de la France semble se rapprocher
davantage de celle des États-Unis que des autres pays européens. Enfin, au-delà de la prise en
279
compte de l'origine du nouveau dirigeant, ils montrent que le changement d'origine entre le
candidat venant d'être nommé et son prédécesseur est positif lorsqu'un interne est remplacé
par un externe, négatif dans le cas contraire.
La seconde variable cognitive significative est VARDIPLOME, au seuil de 1%, mais avec
un signe opposé à celui attendu. Notre hypothèse H4c est infirmée.
Un changement de niveau de diplôme entre le nouveau dirigeant et l'ancien a un effet
négatif sur la création de valeur dans la firme.
Pour mieux comprendre et analyser ce résultat, nous avons essayé d'affiner pour voir s'il y
avait un sens à prendre en compte dans la variation : hausse du niveau de diplôme ou baisse.
Pour cela nous avons recodé VARDIPLOME pour qu'elle prenne la valeur -1 en cas de baisse,
1 en cas de hausse, 0 si le diplôme est équivalent. Une nouvelle régression fait ressortir que la
variable n'est plus significative. Ce n'est donc pas le fait d'augmenter le niveau de diplôme du
dirigeant ou de le réduire qui explique une partie de la variation de la performance. C'est le
changement de niveau de diplôme qui a une influence négative sur la performance de la firme.
Une explication serait peut-être que le changement de vision stratégique est plus fort entre
deux dirigeants ayant un niveau différent, par exemple l'un à bac+2 et l'autre à bac+5, qu'entre
deux dirigeants de même niveau (par exemple bac+5) mais provenant d'écoles différentes.
Ce résultat confirme l'existence d'un lien entre la formation du dirigeant et la performance
de la firme, accréditant l'idée selon laquelle un certain niveau de formation correspond à une
vision stratégique spécifique. Un changement trop significatif de formation de dirigeant serait
destructeur de valeur. Nos travaux apportent donc une analyse affinée des conséquences du
changement de profil entre l'ancien et le nouveau dirigeant : si le recours à un candidat
externe, généralement synonyme de renouveau et de rupture de politique, a une incidence
positive sur la performance par l'apport de ses connaissances et compétences différentes, les
schémas cognitifs qu'il a développés pendant sa formation ne doivent pas être trop éloignés de
ceux de son prédécesseur. Autrement dit, choisir un candidat externe mais de même niveau de
formation que son prédécesseur apparaît être le plus profitable pour la firme.
La variable VARTYPEFORM n'est pas significative (même si le test de Student en est
proche), mais il est intéressant de noter que le coefficient bêta aurait été également négatif :
280
une rupture dans la nature de la formation entre le nouveau et l'ancien dirigeant aurait une
influence négative sur la création de valeur dans la firme. Ceci est sans doute l'une des raisons
pour lesquelles nous avons observé dans la base des successions des mêmes écoles, même si
celles-ci s'expliquent souvent par l'effet réseau.
Les deux résultats précédents apportent un nouvel éclairage au débat portant sur l'incidence
de la formation du dirigeant sur la performance, qui ne fait pas l'objet d'un consensus. Pour le
marché français, Pigé (1993) concluait à l'absence d'influence de la formation sur la
performance boursière de l'entreprise. Au contraire, pour le marché américain par exemple, la
supériorité de certaines formations, les MBA, a été mise en évidence par Bertrand et Schoar
(2003). Notre étude explore un nouvel aspect de la question : l'effet sur la performance de la
firme du changement de formation consécutif à l'arrivée d'un nouveau dirigeant, qui ressort
significatif et négatif pour le niveau de diplôme.
11.3.3. Le rôle disciplinaire et cognitif du marché managérial
La troisième régression a intégré toutes les variables explicatives, qu'elles soient
disciplinaires cognitives : RECOMPENSE, SANCTION, COUTSDISC, VARAGE,
VARDIPLOME,
VARTYPEFORM,
VARORIGINE,
VARCOMPETGENERIQUES,
VARCOMPETSECTEUR, VARCOMPETFIRME, et la variable de contrôle VARPIB.
R2 ajusté
F
Sign.
Nb observations
13,4%
2,961
0,002
141
- Tableau 52 : qualité de la régression testant l'ensemble du rôle du marché managérial –
Le coefficient de détermination R2 est maintenant de 13,4%, en incluant toutes les voies
d'intervention du marché managérial. Compte tenu du niveau du R2, nous nous situons à mi
chemin entre plusieurs courants théoriques : d'une part, la vision néoclassique de la firme,
dans laquelle l'influence du dirigeant n'est pas prise en compte, ou encore le courant de
l'écologie des populations qui la nie totalement, car notre coefficient de déterminant reste peu
élevé, d'autre part, l'approche de la théorie de l'agence, qui met en avant la latitude
discrétionnaire du dirigeant, sans se concentrer cependant sur les différences idiosyncrasiques
entre dirigeants, et le corps de littérature stratégique, avec notamment Hambrick et Mason
(1984), qui attribue une place prépondérante au rôle du dirigeant dans la firme, car le
281
coefficient de détermination est tout de même supérieur à 10%. Dans leur étude portant sur les
dirigeants des huit cents plus grandes sociétés américaines entre 1969 et 1999, Bertrand et
Schoar (2003) concluaient que ceux-ci constituaient des déterminants importants de la
stratégie et de la performance de la firme (estimée par le taux de rentabilité des actifs) car
l'introduction des variables liées aux dirigeants dans une régression comprenant déjà comme
variables explicatives les caractéristiques de la firme augmentait le R2 de plus de 5%. Nos
travaux confirment l'existence de l'influence du dirigeant sur la performance de la firme, mais
celle-ci n'explique qu'une partie, relativement modeste, de la création de valeur dans la firme,
de nombreux autres facteurs entrant également en compte : caractéristiques de l'entreprise, du
secteur d'activité, des mécanismes de gouvernance, de la conjoncture… Nos résultats sont
cependant plus marqués que dans l'étude américaine de Larcker et al. (2007). Ces auteurs, qui
voulaient tester l'incidence de la gouvernance sur la performance de la firme, ont étudié 39
variables, réunies en treize facteurs par une analyse en composantes principales, qui incluaient
notamment la composition du conseil d'administration, les mesures anti-OPA, la nature de
blocs d'actionnaires, l'endettement ... Ces derniers contribuaient en moyenne à expliquer entre
1,4% et 9,1% de la variance de la performance. Enfin, un autre éclairage peut être apporté par
les résultats d'Adams et al. (2005). Dans leur étude de 336 sociétés de Fortune 500 entre 1992
et 1999, ils ont montré que l'impact des dirigeants sur la performance de la firme était
fonction de leur degré d'influence, mesuré par trois variables relatives au dirigeant : une
binaire indiquant s'il était le fondateur de la firme, la part de capital qu'il détenait, sa position
éventuelle d'unique membre interne au conseil d'administration. Notre échantillon contenant
des entreprises très diverses, l'impact de cette influence est lissé.
Compte tenu du niveau du test F de Fisher-Snedecor, la qualité au niveau global de la
relation est bonne. Le test t de Student a confirmé l'existence d'une relation significative entre
la variable à expliquer, la variation de performance de la firme, une variable explicative
disciplinaire, SANCTION, une variable cognitive VARDIPLOME et la variable de contrôle
VARPIB.
282
VARIABLES et constante
RECOMPENSE
SANCTION
COUTSDISC
VARAGE
VARDIPLOME
VARTYPEFORM
VARORIGINE
VARCOMPETGENERIQUES
VARCOMPETSECTEUR
VARCOMPETFIRME
VARPIB
Constante
COEFF β
(écart-type)
0,040
(0,090)
0,157***
(0,049)
0,005
(0,004)
-0,004
(0,004)
-0,214**
(0,082)
-0,106
(0,079)
0,096
(0,070)
-0,027
(0,029)
0,015
(0,017)
0,003
(0,003)
0,062*
(0,037)
t
Sign.
VIF
0,449
0,654
1,206
3,203
0,002
1,092
1,215
0,227
1,423
-1,206
0,230
1,525
-2,596
0,011
1,275
-1,341
0,182
1,285
1,382
0,169
1,472
-0,943
0,348
1,168
0,847
0,398
1,331
0,745
0,458
1,593
1,676
0,096
1,096
-0,197
0,844
Les résultats significatifs sont signalés par : *** à 1%, ** à 5%, et * à 10%.
- Tableau 53 : résultats de la régression testant l'ensemble du rôle du marché managérial -
La sanction est toujours significative au seuil de 1% avec un bêta légèrement plus élevé
(0,157 contre 0,149). La variation du niveau diplôme est significative à 5% au lieu de 1%, et
le bêta passe de -0,214 à -0,244.
Deux des variables qui étaient significatives lorsque nous avons testé séparément les deux
dimensions du rôle du marché managérial ne le sont plus dans l'analyse simultanée de toutes
les voies d'intervention du mécanisme. Il ne semble pas que ce soit pour des problèmes de
multicolinéarité, le VIF le plus élevé étant celui de VARCOMPETFIRME, avec 1,593. Nous
avons cependant vérifié à nouveau avec la matrice des corrélations.
283
La plus forte corrélation entre COUTSDISC et une autre variable est égale à -0,34 avec
VARAGE. Cette variable est également corrélée à plus de 0,20 avec RECOMPENSE (0,208)
et VARCOMPETSECTEUR (0,245). Si la variable VARAGE est retirée de la régression,
COUTSDISC redevient une variable significative, sans différence statistique de bêta avec la
première régression portant sur les seules variables explicatives disciplinaires :
COUTSDISC
Régression avec les variables explicatives
disciplinaires
Régression avec les variables explicatives
disciplinaires et cognitives
Régression avec les variables explicatives
disciplinaires et cognitives, mais sans VARAGE
COEFF β
(écart-type)
0,006*
(0,003)
0,005
(0,004)
0,007*
(0,004)
t
Sign.
1,883
0,062
1,215
0,227
1,847
0,067
Les résultats significatifs sont signalés par : *** à 1%, ** à 5%, et * à 10%
- Tableau 54 : évolution de la significativité de la variable COUSTDISC -
La question se pose d'une éventuelle interaction entre l'effet des deux variables
COUTSDISC et VARAGE. Pour tester cette hypothèse, nous avons introduit dans la
régression une nouvelle variable, COUTSDISC*VARAGE. Elle n'est pas significative (t de
Student égal à -0,832, significativité de 0,407). L'interaction n'est donc pas confirmée.
Pour
VARORIGINE,
les
corrélations
les
plus
élevées
sont
celles
avec
VARCOMPETFIRME (-0,450), VARCOMPETSECTEUR (0,260) et SANCTION (0,154).
Nous
avons
ajouté
dans
VARORIGINE*VARCOMPETFIRME,
la
régression
les
variables
croisées
VARORIGINE*CARCOMPETSECTEUR,
VARORIGINE*SANCTION. Elles ne sont pas significatives, ce qui ne permet pas de
confirmer l'existence d'interactions entre ces variables.
Conclusion
La première série de tests portant sur le centre du modèle, l'influence des différentes voies
d'intervention du marché managérial sur la performance de la firme, nous a conduits à valider
trois de nos hypothèses et à en infirmer une. Elle a également permis de constater l'existence
de l'impact du dirigeant sur la performance de la firme, mais celui-ci reste modeste compte
tenu des nombreux autres facteurs à prendre en considération. Ainsi nos travaux ne
284
confirment pas la place centrale du dirigeant, mais n'aboutissent pas non plus à la négation de
son rôle. Nos résultats sont même plutôt supérieurs à ceux d'autres études en gouvernance que
nous avons rappelés.
Deux leviers disciplinaires exercés par le marché managérial, la sanction et la réduction des
coûts disciplinaires, contribuent à la création de valeur dans la firme, ils ressortent
significatifs de nos tests. Suite à un départ forcé du dirigeant, la firme observe une
amélioration de sa performance. De même lorsqu'un dirigeant enraciné, c'est-à-dire qui est
resté en poste plus longtemps que la moyenne de l'échantillon (onze ans), est remplacé, le
changement est créateur de valeur pour la firme.
Lorsqu'un candidat externe est choisi pour remplacer un dirigeant issu lui de la voie interne,
la performance de la firme enregistre une variation positive, ce qui traduit probablement
l'incidence favorable d'une rupture dans la stratégie de la firme. Le changement n'est pas
cependant créateur de valeur dans toutes ses formes, comme le montre l'infirmation de
l'hypothèse H4c : une différence de niveau d'études entre le nouveau dirigeant et son
prédécesseur, quel que soit son sens, a un impact négatif sur la performance. Ce résultat
suggère qu'il est plus favorable pour l'entreprise de rechercher un nouveau dirigeant ayant un
niveau de diplôme proche de celui qui s'en va, sans doute pour conserver certains aspects de
la vision stratégique.
La variation de compétences génériques, sectorielles et spécifiques à la firme entre les deux
dirigeants n'apparaît pas expliquer les variations de performance de l'entreprise. L'expérience
du secteur et la connaissance de la firme faisaient pourtant partie des critères de sélection des
dirigeants identifiés aussi bien pour la France que dans les pays anglo-saxons.
L'analyse du rôle du marché managérial dans sa globalité a fait ressortir des interactions
entre les différentes voies d'intervention de ce mécanisme, aboutissant à la disparition de deux
variables significatives dans la relation, l'une disciplinaire et l'autre cognitive.
Une synthèse des résultats des tests de nos différentes hypothèses est présentée dans le
tableau 55. Le tableau 56 permet lui de mettre en évidence l'apport de nos travaux par rapport
à d'autres résultats existants de la littérature.
285
Hypothèse
H1
H2
H3
Objet
Validation
Commentaires
La sanction
Validée
Effet positif confirmé
La récompense
Non validée
La réduction des coûts
Validée
Effet positif confirmé
disciplinaires
H4a
Réorientations stratégiques
Validée
Effet positif confirmé
engagées par les externes
H4b
Incidence de l'âge et
Non validée
Relation non significative
l'expérience sur l'évolution
de la vision stratégique
H4c
Incidence de la variation du
Infirmée
Effet négatif du
niveau de diplôme sur la
changement
vision stratégique de la
variation du niveau de
diplôme
H4d
Incidence de la variation du
Non validée
Relation non significative
type de formation sur la
vision stratégique
H5a
Incidence de l'évolution du
Non validée
Relation non significative
nombre de compétences
génériques du dirigeant
H5b
Incidence de l'évolution de
Non validée
l'importance des
compétences sectorielles
H5c
Incidence de l'évolution de
Non validée
l'importance des
compétences spécifiques à
la firme
Variable de
Conjoncture (variation du
Validée
Effet positif
Contrôle
PIB)
- Tableau 55 : synthèse des résultats des tests des hypothèses relatives à l'influence des voies
d'intervention du marché managérial sur la performance de la firme –
286
Incidence sur
la
performance
D'un départ
forcé
Études du
marché
français
Effet positif
(Pigé 1993,
Dherment
Férère 1996)
De la
réduction des
coûts
disciplinaires
liés à
l'enracinement
Effet négatif de
l'enracinement
sur la
performance
(Paquerot,
1996, 1997,
Pigé, 1998)
Études récentes des
marchés anglo-saxons ou
autres pays
Effet positif (Neumann et
Voetmann, 1999, Zerbib et
al., 2002, Fee et Hadlock,
2003, Renneboog et
Trojanowski, 2003)
Notre étude : résultats
et apports
Effet positif, plus
significatif que dans
l'étude de DhermentFérère et confirmé sur
une période récente.
Effet positif de la
suppression de
l'enracinement par
changement de dirigeant.
De la variation
d'âge du
dirigeant, la
vision
stratégique
étant différente
Pas de lien entre l'âge et la Lien entre le changement
vision stratégique
d'âge du dirigeant et la
(Wiersema et Bantel,
performance de la firme
1992), existence d'une
non significatif.
relation mais lien faible
avec la performance de la
firme (Bertrand et Schoar,
2003).
Du
Résultats
- Effet positif de passage
Confirmation pour la
changement
contrastés de
d'un interne à externe
France de l'impact positif
d'origine du
Dherment(Shen et Cannella, 2002),
sur la performance du
dirigeant
Férère (1998)
en lien avec le départ forcé passage d'un interne à un
(Helfat et Bailey, 2005)
externe, et négatif en
- Au niveau mondial, les
sens inverse. La France
externes ont de meilleurs
serait sur ce point plus
résultats les premières
proche de l'Amérique du
années (Péladeau et al.,
Nord que des autres pays
2005), notamment en
européens.
Amérique du Nord
De la variation
Peu d'études empiriques
L'écart d'expérience
des
- Pas de lien entre
sectorielle entre le
compétences
l'expérience sectorielle du
nouveau et l'ancien
sectorielles
dirigeant et la performance
dirigeant n'a pas
entre les deux
de la firme (Datta et
d'influence sur la
dirigeants
Rajagopalan, 1998)
performance de la firme.
- variance plus forte de la
performance des firmes
ayant recruté un dirigeant
externe sans expérience
sectorielle
- Tableau 56 : rapprochement des résultats avec d'autres études empiriques –
287
CHAPITRE XII : LES DETERMINANTS MODERATEURS DU ROLE DU
MARCHE DES DIRIGEANTS DANS LE SGE
Deux familles de déterminants ont été identifiées et ont enrichi notre modélisation du rôle
du marché managérial dans le SGE : ceux liés à la firme (structure de propriété, secteur
d'activité) et ceux liés au dirigeant (stratégie de carrière externe, proximité de la retraite,
réseaux). Nous allons maintenant présenter les résultats empiriques en incluant ces différents
facteurs. Ils ont été analysés séparément, en les introduisant un par un dans la régression.
12.1. Les déterminants liés à la firme
12.1.1. La structure de propriété
La structure de propriété a été opérationnalisée par deux variables muettes
STRUCTMANAGERIALE et STRUCTFAMILIALE, qui prennent la valeur 1 si la structure
de la firme est celle évoquée dans l'intitulé de la variable, 0 dans les autres cas. La structure
contrôlée correspond à la situation où ces deux variables muettes sont à zéro, les souspopulations étant indépendantes.
Conformément à notre modèle théorique, qui a mis en évidence une influence de la
structure de propriété à la fois sur les voies d'intervention disciplinaires du marché des
dirigeants et sur celles relevant de la dimension cognitive, nous avons effectué une régression
reprenant l'ensemble des variables explicatives précédemment étudiées, la variable de
contrôle VARPIB et les deux variables muettes. Elle a donné les résultats suivants :
R2 ajusté
F
Sign.
Nb observations
14,2%
2,787
0,002
141
- Tableau 57 : qualité de la régression testant l'influence de la structure de propriété –
288
VARIABLES et constante
RECOMPENSE
SANCTION
COUTSDISC
VARAGE
VARDIPLOME
VARTYPEFORM
VARORIGINE
VARCOMPETGENERIQUE
S
VARCOMPETSECTEUR
VARCOMPETFIRME
VARPIB
STRUCTMANAGERIALE
STRUCTFAMILIALE
Constante
COEFF β
(écart-type)
0,055
(0,090)
0,145***
(0,049)
0,002
(0,004)
-0,004
(0,004)
-0,201**
(0,083)
-0,096
(0,080)
0,089
(0,070)
-0,034
(0,029)
0,016
(0,017)
0,002
(0,003)
0,067*
(0,037)
0,083
(0,132)
0,1474*
(0,081)
0,080
(0,126)
t
Sign.
VIF
0,607
0,545
1,221
2,938
0,004
1,120
0,413
0,680
1,680
-1,190
0,236
1,578
-2,427
0,017
1,296
-1,200
0,232
1,313
1,281
0,202
1,480
-1,190
0,236
1,192
0,927
0,356
1,341
0,616
0,539
1,601
1,813
0,072
1,106
0,625
0,533
1,191
1,816
0,072
1,441
0,637
0,525
Les résultats significatifs sont signalés par : *** à 1%, ** à 5%, et * à 10%.
- Tableau 58 : résultats de la régression testant l'impact de la structure de propriété dans la
relation étudiée -
La structure de propriété a bien une influence dans la relation étudiée : la variable muette
STRUCTFAMILIALE est significative. Pour vérifier l'impact de notre codification, nous
avons
effectué
la
même
régression
mais
avec
STRUCTMANAGERIALE
et
STRUCTCONTROLEE. Les résultats (bêta, significativité) sont identiques pour les variables
explicatives liées au marché managérial, STRUCTCONTROLEE est également significative
au seuil de 10%, mais avec un bêta négatif de -0,147 et un écart-type de 0,081 (T de Student :1,816, significativité : 0,072). La structure familiale apparaît avoir une influence positive sur
289
la création de valeur, alors que la structure contrôlée aurait un impact négatif. Le faible
nombre de firmes managériales dans notre échantillon (11 sur 141) explique sans doute que la
variable muette correspondante ne soit pas significative. Concernant le marché français, notre
étude examine plus en détail l'influence de ce déterminant que les travaux de Pigé (1993), qui
s'était intéressé à deux points particuliers, le lien entre le nombre de rotations et la
performance d'une part et la fréquence des rotations d'autre part, et n'avait pas trouvé de
différence significative selon la structure de propriété que dans le second cas. Il concluait par
contre également à la capacité de ce déterminant à expliquer une partie de la variance de la
performance de la firme. Notre analyse prolonge également les travaux de Charreaux (1991),
qui faisaient ressortir une différence de performance, pour trois des six mesures de
performance utilisées, entre les firmes familiales et les firmes contrôlées, en faveur des
premières, avant neutralisation de l'incidence des variables de discipline externe.
Nos travaux permettent de conforter sur une période récente pour la France un résultat
souvent constaté, à savoir la supériorité en termes de performance des entreprises familiales.
Dans leur étude portant sur les sociétés cotées françaises entre 1994 et 2000, Sraer et Thesmar
(2007) concluaient déjà à la sur-performance des entreprises familiales. Celle-ci a été aussi
validée empiriquement pour le marché américain, par exemple par Anderson et Reeb (2003)
sur les entreprises du Standard and Poor's 500 entre 1992 et 1999, ou encore Villalonga et
Amit (2006) sur les firmes de Fortune 500 pour les analyses les plus récentes. Nos travaux
s'inscrivent ainsi dans le courant de littérature défendant la supériorité de cette structure de
propriété, généralement justifiée par la réduction des coûts d'agence, une meilleure politique
sociale, un respect plus grand des traditions, une forte implication des dirigeants, une vision à
long terme et un objectif fort de pérennité de l'entreprise 96. En s'intéressant au marché du
travail des dirigeants, ils apportent de nouvelles explications, que nous détaillons ci-après.
La structure familiale de propriété a une influence positive sur la performance de la firme.
Les variables significatives liées au rôle du marché managérial sont les mêmes que dans la
régression réalisée au paragraphe 11.3.3., mais les coefficients bêta sont légèrement moins
96
Pour une revue de littérature plus approfondie de ces arguments, se référer à Allouche J. et Amann B. (1999)
"L‟entreprise familiale : un état de l‟art", Finance, Contrôle, Stratégie, Mars, vol. 3, n° 1, pp. 33-79.
290
élevés : SANCTION (bêta de 0,145 au lieu de 0,157) et VARDIPLOME (bêta de -0,201 au
lieu de -0,214). La variable de contrôle VARPIB est toujours significative.
Pour mieux comprendre l'incidence de la structure de propriété sur le rôle joué par le
marché managérial, nous avons scindé notre échantillon en trois sous-populations
correspondant à chacune des structures possibles et nous avons réitéré la régression. Les
résultats ne sont pas exploitables pour la structure managériale, compte tenu du nombre trop
faible de données. Par contre pour les deux autres populations, les régressions apportent de
nouvelles informations.
R2 ajusté
F
Sign.
Nb observations
Firmes contrôlées
13,9%
2,145
0,028
79
Firmes familiales
20,4%
2,164
0,038
51
- Tableau 59 : qualité de la régression testant séparément l'influence des différentes structures
de propriété –
Structure
VARIABLES et constante
COEFF β
(écart-type)
t
Sign.
VIF
0,018 (0,124)
0,137 (0,157)
0,146
0,874
0,885
0,388
1,194
1,510
0,140**(0,063)
0,118 (0,085)
2,223
1,385
0,030
0,174
1,084
1,244
0,011 (0,008)
0,000 (0,006)
1,430
-0,073
0,157
0,943
1,301
1,705
0,006 (0,005)
-0,010 (0,006)
1,140
-1,499
0,258
0,142
1,787
1,465
-0,084 (0,102)
-0,355** (0,152)
-0,828
-2,339
0,411
0,025
1,319
1,473
0,066 (0,100)
-0,286* (0,163)
0,656
-1,750
0,514
0,088
1,311
1,565
-0,062 (0,086)
0,324** (0,131)
-0,717
2,469
0,476
0,018
1,431
1,667
RECOMPENSE
Contrôlée
Familiale
SANCTION
Contrôlée
Familiale
COUTSDISC
Contrôlée
Familiale
VARAGE
Contrôlée
Familiale
VARDIPLOME
Contrôlée
Familiale
VARTYPEFORM
Contrôlée
Familiale
VARORIGINE
Contrôlée
Familiale
291
Structure
VARIABLES et constante
COEFF β
(écart-type)
t
Sign.
VIF
-0,059* (0,036)
0,015 (0,052)
-1,671
0,284
0,099
0,778
1,190
1,165
0,030 (0,019)
-0,034 (0,045)
1,623
-0,746
0,109
0,460
1,270
1,898
-0,002 (0,004)
-0,001 (0,008)
-0,592
-0,074
0,556
0,941
1,627
2,081
0,038 (0,045)
0,005 (0,080)
0,848
0,059
0,400
0,953
1,229
1,224
-0,066 (0,164)
0,133 (0,182)
-0,402
0,732
0,689
0,469
VARCOMPETGENERIQUES
Contrôlée
Familiale
VARCOMPETSECTEUR
Contrôlée
Familiale
VARCOMPETFIRME
Contrôlée
Familiale
VARPIB
Contrôlée
Familiale
Constante
Contrôlée
Familiale
Les résultats significatifs sont signalés par : *** à 1%, ** à 5%, et * à 10%.
- Tableau 60 : résultats de la régression en fonction de la structure de propriété -
La variable de contrôle n'est plus significative. Sous la dimension disciplinaire, la
récompense et la réduction des coûts disciplinaires ne sont significatives dans la relation pour
aucune des structures. La sanction ressort significative chez les firmes contrôlées, mais elle ne
l'est plus chez les firmes familiales. Nous n'avons pas d'éléments sur les sociétés
managériales, par manque de données. Notre hypothèse H6a est partiellement validée :
Le rôle disciplinaire du marché managérial est plus significatif dans les firmes contrôlées
que dans les firmes familiales.
Nous confirmons ici un résultat déjà validé empiriquement par Pigé (1993) pour la France,
qui concluait également à la relation positive entre l'existence d'un actionnaire dominant et le
taux de rotation des dirigeants, mais à une probabilité plus faible de sanction en cas de
mauvaises performances lorsque le dirigeant disposait d'appuis familiaux. Nos travaux
rejoignent également les conclusions des études portant sur les pays anglo-saxons, comme
celle de Parrino (1997), de Denis et al. (1997) ou encore Schulze et al. (2001). Renneboog et
Trojanowski (2003) n'avaient eux pas confirmé l'existence de cette relation pour l'Angleterre.
Nos résultats s'expliquent principalement par le fait que dans les structures contrôlées,
l'actionnaire principal, qu'il soit industriel ou financier, est particulièrement concerné par la
292
bonne marche de l'entreprise, il accède plus facilement à l'information et dispose du poids
nécessaire pour provoquer le départ d'un dirigeant jugé inefficace. La non significativité de la
sanction dans les entreprises familiales se justifie pour sa part par les liens existants entre le
dirigeant et les actionnaires, lorsque celui-ci est un héritier.
Concernant les voies cognitives du marché managérial, des différences sont également
observables selon la structure de propriété et permettent de mettre en évidence de nouveaux
résultats.
Dans les firmes familiales, trois variables explicatives cognitives sont significatives : la
variation d'origine du dirigeant, avec un coefficient bêta positif, la variation du niveau de
diplôme (influence négative) et le changement de nature de formation du dirigeant (influence
négative). Aucune ne l'est dans les firmes contrôlées. Les voies cognitives du marché
managérial sont renforcées dans les structures familiales, les trois coefficients bêta des
variables significatives sont statistiquement supérieurs à ceux calculés sur la population totale
de l'échantillon.
La variation d'origine tout d'abord conforte les résultats de travaux empiriques précédents
menés sur le marché américain (Anderson et Reeb, 2003, Villalonga et Amit, 2006) et apporte
un nouvel éclairage aux conclusions apportées sur le marché français. Sraer et Thesmar
(2007) aboutissaient à la supériorité des firmes familiales, qu'elles soient dirigées par un
membre de la famille ou un externe, mais à une différence marginale de performance en
faveur des héritiers. Nos travaux accréditent la thèse selon laquelle les entreprises familiales
sont plus performantes si elles sont dirigées par un candidat externe.
Le recrutement d'un candidat externe pour remplacer un dirigeant d'origine interne est
créateur de valeur dans les entreprises familiales.
Les deux autres variables cognitives significatives dans les firmes familiales, la variation du
niveau de diplôme et du type de formation entre l'ancien et le nouveau dirigeant, ont une
influence négative sur la performance, encore plus marquée que sur l'ensemble de
l'échantillon. A notre connaissance, il n'existe pas d'autres études empiriques s'étant
intéressées à cette relation. Ce résultat apporte plusieurs enseignements. D'une part, le fait que
l'héritier succédant au fondateur n'aura pas de meilleurs résultats que son parent s'il a suivi de
293
plus longues études que lui. D'autre part, il conforte l'existence du lien entre la formation du
dirigeant et la performance de la firme précédemment validé, en l'élargissant au type de
formation pour les sociétés familiales. Plus le profil du nouveau dirigeant en termes de
formation sera proche de son prédécesseur, plus la performance sera préservée. Ainsi par
exemple il serait plus profitable dans une firme familiale de recruter, pour remplacer le
dirigeant fondateur ou héritier, un externe n'ayant pas forcément effectué de nombreuses
années d'études supérieures si son prédécesseur était un autodidacte ou de niveau licence, ce
qui est souvent le cas dans les entreprises familiales. Cette similitude de profil recherchée,
combinée à l'apport d'expériences neuves en provenance de l'extérieur, se justifie sans doute
par la nécessité, dans les firmes familiales, de ne pas remettre en cause simultanément toutes
les valeurs fortes de ces entreprises, mais en apportant cependant lorsque cela devient
nécessaire un certain changement.
Le profil du nouveau dirigeant en termes de formation (niveau et type) doit être proche de
celui de son prédécesseur dans les firmes familiales pour éviter la destruction de valeur.
Dans
les
firmes
contrôlées,
c'est
une
autre
variable
cognitive,
VARCOMPETGENERIQUES, qui devient significative, alors qu'elle ne l'était pas sur
l'ensemble de l'échantillon. Le bêta est négatif, mais il est faible, ce qui traduit une influence
négative mais réduite de l'importance relative des compétences génériques du nouveau
dirigeant. Ceci sous-entend qu'un dirigeant cumulant plus de compétences génériques (ventes,
marketing, production, finance, management, international) ne serait pas plus performant et
qu'une expérience professionnelle approfondie dans certaines domaines serait plus valorisante
pour l'entreprise que des compétences moins pointues mais plus élargies. La reconnaissance
de ce phénomène uniquement dans les firmes contrôlées est difficile à expliquer. Il est
probable que dans les firmes familiales, souvent de plus petite taille, le dirigeant doive
davantage disposer de compétences multiples que dans les entreprises contrôlées (le bêta de
cette variable est d'ailleurs positif pour les firmes familiales).
L'augmentation des compétences génériques du dirigeant dans les firmes contrôlées a une
incidence négative sur la création de valeur.
Le bêta de VARCOMPETGENERIQUES étant nettement plus faible que ceux des autres
variables cognitives significatives pour les firmes familiales, et le nombre de variables
294
significatives étant inférieur pour les firmes contrôlées, notre hypothèse H6b est partiellement
validée :
Le rôle cognitif du marché managérial est plus significatif dans les firmes familiales que
dans les firmes contrôlées.
Ce résultat remet en cause la vision traditionnelle du marché managérial, souvent considéré
comme jouant un rôle prépondérant dans les firmes managériales, moins marqué dans les
sociétés contrôlées et inexistant dans les entreprises familiales, du fait de leurs spécificités en
termes d'héritage et de succession. Or nous avons souligné que les firmes familiales les plus
performantes étaient celles qui avaient recours au marché du travail en recrutant un dirigeant
externe, et que les critères de sélection de celui-ci, en matière de formation, avaient bien une
incidence sur la création de valeur.
Bien qu'elles ne soient pas significatives, nous pouvons remarquer que le coefficient bêta de
certaines variables cognitives change de signe selon la structure de propriété étudiée :
VARAGE,
VARTYPEFORM,
VARORIGINE,
VARCOMPETGENERIQUES
et
VARCOMPETSECTEUR. Le rajeunissement du dirigeant à l'occasion du renouvellement
aurait un impact positif sur la création de valeur dans les firmes familiales, mais un impact
négatif dans les firmes contrôlées. Nous avons vu au paragraphe 10.2.1. que les dirigeants
nommés dans les firmes familiales étaient en moyenne cinq ans plus jeunes que ceux arrivant
à la tête d'une société contrôlée. Nous avons aussi souligné que la longévité était deux fois
plus forte chez les internes que chez les externes. Il semble donc y avoir un effet seuil pour la
variable VARAGE, qui aurait un effet positif lorsque le rajeunissement est très marqué,
négatif lorsqu'il est réduit. Le changement de niveau de diplôme entre l'ancien et le nouveau
dirigeant aurait une influence positive sur la performance dans les firmes contrôlées, négative
dans les firmes familiales. Le changement d'origine du dirigeant au profit d'un externe serait
créateur de valeur dans les firmes familiales, mais destructeur de valeur dans les firmes
contrôlées. L'accroissement des compétences génériques entre les deux dirigeants se
succédant aurait un impact négatif pour les firmes contrôlées, positif chez les firmes
familiales. L'accroissement des compétences sectorielles aurait une influence positive sur la
performance dans les firmes contrôlées et négative dans les firmes familiales. La plupart de
ces remarques sont conformes à la vision intuitive. Il semble compréhensible que dans les
firmes contrôlées, où l'actionnaire principal est probablement très impliqué dans les décisions
295
stratégiques et le fonctionnement de l'entreprise, un nouveau dirigeant ayant une formation
différente mais aussi une expérience de la firme et un certain niveau de spécialisation
reconnue (compétences managériales et sectorielles approfondies), soit plus à même de faire
passer ses idées et ainsi de créer de la valeur. Dans les firmes familiales, lorsqu'un
changement de dirigeant devient nécessaire, il s'agit d'apporter de nouvelles compétences,
différentes de celles très développées du fondateur ou de l'héritier, dont la force résidait dans
sa connaissance de la firme et des spécificités du secteur, la firme ayant souvent grandi en
taille et nécessitant alors d'autres qualités génériques et de disposer d'une vision externe.
12.1.2. Le secteur d'activité
Rappelons que nous avons retenu comme classification une décomposition en six secteurs :
BTP (bâtiment travaux publics), industrie, transport, services, distribution, secteur financier.
La répartition de l'échantillon selon le secteur d'activité est la suivante :
BTP
Industrie
Transport
Services
Distribution
Finance
Nombre
4
74
12
35
12
24
d'observations
%
2%
46%
7%
22%
7%
15%
- Tableau 61 : répartition de l'échantillon selon le secteur d'activité -
Total
obs.
161
100%
Comme pour la structure de propriété, nous avons utilisé également des variables muettes.
SECTBTP, SECTINDUSTRIE, SECTTRANSPORT, SECTSERVICES, SECTDISTRIB
prennent la valeur 1 si le secteur d'activité principale de la firme est celui évoqué dans
l'intitulé de la variable, 0 dans les autres cas. Le secteur financier correspond à la situation où
les cinq variables muettes sont à zéro, les sous-populations étant indépendantes.
Nous avons effectué une régression reprenant l'ensemble des variables explicatives
précédemment étudiées, la variable de contrôle VARPIB et les cinq variables muettes
permettant de tenir compte du secteur d'activité. Elle a donné les résultats suivants :
R2 ajusté
F
Sign.
Nb observations
14,8%
2,525
0,002
141
- Tableau 62 : qualité de la régression testant l'influence du secteur d'activité –
296
VARIABLES et constante
RECOMPENSE
SANCTION
COUTSDISC
VARAGE
VARDIPLOME
VARTYPEFORM
VARORIGINE
VARCOMPETGENERIQUES
VARCOMPETSECTEUR
VARCOMPETFIRME
VARPIB
SECTBTP
SECTINDUSTRIE
SECTRANSPORT
SECTSERVICES
SECTDISTRIB
Constante
COEFF β (écarttype)
0,078
(0,093)
0,159***
(0,051)
0,005
(0,004)
-0,003
(0,004)
-0,207**
(0,085)
-0,072
(0,083)
0,078
(0,070)
-0,032
(0,028)
0,010
(0,017)
0,003
(0,003)
0,057
(0,037)
-0,574*
(0,299)
0,009
(0,107)
-0,246
(0,157)
-0,064
(0,122)
-0,054
(0,147)
-0,004
(0,133)
t
Sign.
VIF
0,839
0,403
1,307
3,121
0,002
1,210
1,220
0,225
1,506
-0,866
0,388
1,564
-2,442
0,016
1,375
-0,869
0,387
1,413
1,121
0,265
1,490
-1,129
0,261
1,180
0,581
0,563
1,360
0,926
0,356
1,629
1,544
0,125
1,120
-1,920
0,057
1,192
0,081
0,935
2,693
-1,567
0,120
1,553
-0,530
0,597
2,482
-0,368
0,713
1,610
-0,031
0,975
Les résultats significatifs sont signalés par : *** à 1%, ** à 5%, et * à 10%.
- Tableau 63 : résultats de la régression testant l'impact du secteur d'activité sur la relation
étudiée -
Une seule variable muette est significative, celle correspondant au secteur du BTP, or il ne
concerne que quatre firmes de l'échantillon. Les autres secteurs d'activité n'apparaissent pas
297
influencer significativement la relation entre le rôle joué par le marché managérial et la
variation de performance de la firme consécutive à un changement de dirigeant. Les variables
explicatives significatives sont les mêmes que pour la régression n'incluant pas la distinction
par secteur d'activité : la sanction et la variation du niveau de diplôme, et les coefficients bêta
ne sont pas statistiquement différents. Notre hypothèse H8 n'est pas validée :
L'intensité du rôle joué par le marché managérial dans le SGE ne varie pas selon le secteur
d'activité.
Notre démarche diffère de celle de Dherment-Férère (1998), qui en prenant en compte
l'homogénéité du secteur, aboutissait pour le marché français à une influence positive
supérieure du changement de dirigeant lorsque le secteur était homogène. Les résultats de
Parrino (1997) pour le marché américain montraient également, notamment pour la sanction,
une situation différente selon le degré d'homogénéité du secteur d'activité de la firme. De
même Murphy et Zabojnik (2004) concluaient à un taux de rotation des dirigeants différent
selon les industries, l'asymétrie d'information étant réduite et le contrôle facilité à l'intérieur
d'un même secteur. L'opérationnalisation plus simple que nous avons choisie ne confirme pas
l'influence du secteur d'activité sur le marché des dirigeants.
12.2. Les déterminants liés au dirigeant
12.2.1. La stratégie de carrière externe
Rappelons que pour l'opérationnalisation de la stratégie de carrière externe, c'est le nombre
de groupes différents dans lesquels le nouveau dirigeant a travaillé au cours de sa carrière qui
a été pris en compte. Comme nous l'avons vu dans la partie descriptive, les dirigeants de
l'échantillon ont connu en moyenne 3,8 groupes. La régression reprend l'ensemble des
variables explicatives du marché managérial, la stratégie de carrière externe comme
déterminant et la variable de contrôle VARPIB.
R2 ajusté
F
Sign.
Nb observations
12,9%
2,722
0,003
141
- Tableau 64 : qualité de la régression testant l'influence de la stratégie de carrière externe du
nouveau dirigeant –
298
VARIABLES et constante
RECOMPENSE
SANCTION
COUTSDISC
VARAGE
VARDIPLOME
VARTYPEFORM
VARORIGINE
VARCOMPETGENERIQUES
VARCOMPETSECTEUR
VARCOMPETFIRME
VARPIB
STRATEGIECARRIERE
EXTERNE
Constante
COEFF β (écarttype)
0,041
(0,090)
0,163***
(0,051)
0,005
(0,004)
-0,004
(0,004)
-0,208**
(0,083)
-0,104
(0,080)
0,100
(0,070)
-0,027
(0,029)
0,018
(0,018)
0,002
(0,003)
0,061
(0,037)
-0,010
(0,019)
0,012
(0,131)
t
Sign.
VIF
0,460
0,646
1,207
3,225
0,002
1,165
1,211
0,228
1,423
-1,092
0,277
1,573
-2,498
0,014
1,297
-1,301
0,196
1,290
1,422
0,158
1,485
-0,929
0,355
1,168
0,966
0,336
1,469
0,673
0,502
1,617
1,650
0,101
1,098
-0,527
0,599
1,493
0,093
0,926
Les résultats significatifs sont signalés par : *** à 1%, ** à 5%, et * à 10%.
- Tableau 65 : résultats de la régression testant l'impact de la stratégie de carrière externe du
nouveau dirigeant dans la relation étudiée -
La variable stratégie de carrière externe n'est pas significative. Son introduction dans la
régression comportant l'ensemble des variables explicatives du rôle du marché managérial n'a
pas modifié les coefficients bêta des différentes voies d'intervention. Notre hypothèse H8 n'est
pas validée :
Le rôle du marché managérial n'est pas renforcé lorsque le nouveau dirigeant poursuit une
stratégie de carrière externe.
299
L'absence d'autres études empiriques sur cette relation ne permet pas de faire des
rapprochements avec nos résultats. Ceux-ci s'opposent cependant à la vision traditionnelle
selon laquelle les perspectives de carrière réduiraient les problèmes d'agence et les conflits
d'intérêt entre dirigeants et actionnaires (Fama, 1980, Holmström, 1982). Les dirigeants
poursuivant une stratégie de carrière externe ne sont pas plus performants que les autres (la
variable explicative STRATEGIECARRIEREEXTERNE n'est pas significative). Les leviers
disciplinaires comme les voies cognitives du marché managérial ne sont pas modifiés.
12.2.2. La proximité de la retraite
Pour appréhender l'influence de ce déterminant, nous avons effectué une distinction entre
les nouveaux dirigeants âgés à la nomination de 55 ans ou moins (codifiés 0), et ceux âgés de
56 ans et plus (codifiés 1), ce seuil ayant été choisi en fonction de la durée moyenne des
mandats, car il apparaît constituer une forte probabilité de dernier poste, l'âge normal de
départ à la retraite étant 65 ans. 29% des dirigeants nommés sur la période étudiée ont ainsi
été codifiés comme étant proches de la retraite. Cette variable binaire a été introduite dans la
régression avec les variables explicatives du rôle du marché managérial.
R2 ajusté
F
Sign.
Nb observations
12,7%
2,694
0,003
141
- Tableau 66 : qualité de la régression testant l'influence de la proximité de la retraite du
nouveau dirigeant –
300
VARIABLES et constante
COEFF β
(écart-type)
t
Sign.
VIF
RECOMPENSE
0,041
(0,090)
0,157***
(0,049)
0,005
(0,004)
-0,004
(0,004)
-0,208**
(0,083)
-0,107
(0,080)
0,096
(0,071)
-0,027
(0,029)
0,015
(0,018)
0,003
(0,003)
0,062*
(0,037)
0,005
(0,089)
-0,025
(0,122)
0,449
0,654
1,208
3,175
0,002
1,108
1,166
0,246
1,501
-1,076
0,284
1,995
-2,498
0,014
1,305
-1,337
0,184
1,289
1,360
0,176
1,493
-0,930
0,354
1,178
0,845
0,400
1,331
0,731
0,466
1,614
1,670
0,097
1,098
0,054
0,957
1,499
-0,202
0,840
SANCTION
COUTSDISC
VARAGE
VARDIPLOME
VARTYPEFORM
VARORIGINE
VARCOMPETGENERIQUES
VARCOMPETSECTEUR
VARCOMPETFIRME
VARPIB
PROXRETRAITE
Constante
Les résultats significatifs sont signalés par : *** à 1%, ** à 5%, et * à 10%.
- Tableau 67 : résultats de la régression testant l'impact de la proximité de la retraite du
nouveau dirigeant dans la relation étudiée -
La variable proximité de la retraite n'est absolument pas significative. Il n'y a pas de
différence de performance entre les dirigeants proches de la retraite et les dirigeants plus
jeunes. Son introduction dans la régression comportant l'ensemble des variables explicatives
du rôle du marché managérial n'a modifié ni la significativité des variables explicatives ni
leurs coefficients bêta respectifs. Notre hypothèse H9 n'est pas validée :
301
La proximité de la retraite n'influence pas le rôle du marché managérial dans le système de
gouvernance des entreprises.
Ce résultat remet en cause les écrits précédents sur l'influence négative ou positive de la
proximité de la retraite. L'incitation à la performance n'apparaît pas être moins forte chez les
dirigeants plus âgés, ce qui tendrait à confirmer l'argument selon lequel d'autres perspectives
que celles d'être à nouveau dirigeant peuvent jouer, comme briguer un poste d'administrateur
ou se voir confier des missions comme consultant une fois à la retraite. Les dirigeants dont
c'est le dernier poste ont autant envie de réussir que les autres, probablement pour des raisons
de rémunération et de réputation. La vision cognitive selon laquelle un dirigeant plus âgé, plus
compétent et ayant plus d'expérience, serait davantage performant, n'est pas non plus
confirmée. L'influence sur la création de valeur du lien entre l'âge et les schémas cognitifs du
dirigeant est sans doute plus complexe, certains aspects comme la prise de risque plus élevée
et le goût pour l'innovation des plus jeunes étant contrebalancés par les apports de
l'expérience et la maturité chez les dirigeants plus âgés.
12.2.3. L'influence des réseaux
Trois types de réseaux qui apparaissent influents en France ont été étudiés : le réseau des
dirigeants ayant occupé au moins un poste dans un ministère (RESEAUMINISTERE), celui
des diplômés des plus grandes écoles supérieures : ENA, Polytechnique, Mines, Ponts,
Centrale, HEC (RESEAUGRANDEECOLE) et celui des grands corps de l'État
(RESEAUGRANDSCORPS). Dans notre échantillon, sur 161 changements testés, 28
nouveaux dirigeants sont passés par un ministère, 64 par une grande école de la liste cidessus, 29 font partie d'un grand corps de l'État. Nous avons étudié l'impact de chacun
séparément, en introduisant successivement dans la régression incluant les variables
explicatives du rôle du marché managérial la variable binaire correspondante (valant 1 si le
nouveau dirigeant fait partie du réseau, 0 dans le cas contraire).
-
Les réseaux ministère
R2 ajusté
F
Sign.
Nb observations
12,7%
2,698
0,003
141
- Tableau 68 : qualité de la régression testant l'influence des réseaux ministériels du nouveau
dirigeant –
302
VARIABLES et constante
COEFF β
(écart-type)
t
Sign.
VIF
RECOMPENSE
0,044
(0,092)
0,156***
(0,049)
0,005
(0,004)
-0,004
(0,004)
-0,214**
(0,083)
-0,100
(0,086)
0,099
(0,071)
-0,027
(0,029)
0,015
(0,018)
0,003
(0,003)
0,063*
(0,037)
-0,022
(0,103)
-0,025
(0,114)
0,482
0,631
1,261
3,160
0,002
1,101
1,148
0,253
1,477
-1,217
0,226
1,543
-2,587
0,011
1,275
-1,161
0,248
1,491
1,393
0,166
1,501
-0,943
0,347
1,168
0,845
0,394
1,335
0,758
0,450
1,606
1,683
0,095
1,119
-0,213
0,832
1,344
-0,215
0,830
SANCTION
COUTSDISC
VARAGE
VARDIPLOME
VARTYPEFORM
VARORIGINE
VARCOMPETGENERIQUES
VARCOMPETSECTEUR
VARCOMPETFIRME
VARPIB
RESEAUMINISTERE
Constante
Les résultats significatifs sont signalés par : *** à 1%, ** à 5%, et * à 10%.
- Tableau 69 : résultats de la régression testant l'impact des réseaux ministères dans la relation
étudiée -
La variable RESEAUMINISTERE n'est pas significative. Recruter un dirigeant ayant
exercé dans un ministère n'explique ni négativement ni positivement la création de valeur
dans la firme. Son introduction dans la régression comportant l'ensemble des variables
explicatives du rôle du marché managérial n'a pas modifié les coefficients bêta des différentes
voies d'intervention. Nos hypothèses H10a et H10b ne sont pas validées :
L'appartenance à un réseau ministère n'influence pas le rôle du marché managérial dans le
système de gouvernance des entreprises.
303
-
Les réseaux des grandes écoles
R2 ajusté
F
Sign.
Nb observations
12,9%
2,734
0,003
141
- Tableau 70 : qualité de la régression testant l'influence des réseaux ministériels du nouveau
dirigeant –
VARIABLES et constante
RECOMPENSE
SANCTION
COUTSDISC
VARAGE
VARDIPLOME
VARTYPEFORM
VARORIGINE
VARCOMPETGENERIQUES
VARCOMPETSECTEUR
VARCOMPETFIRME
VARPIB
RESEAUGRANDEECOLE
Constante
COEFF β
(écart-type)
0,056
(0,093)
0,152***
(0,050)
0,004
(0,004)
-0,005
(0,004)
-0,215***
(0,083)
-0,097
(0,081)
0,094
(0,070)
-0,026
(0,029)
0,016
(0,018)
0,002
(0,003)
0,064*
(0,037)
-0,047
(0,076)
-0,018
(0,114)
t
Sign.
VIF
0,597
0,551
1,297
3,056
0,003
1,120
1,087
0,279
1,466
-1,250
0,214
1,536
-2,603
0,010
1,276
-1,191
0,236
1,335
1,339
0,183
1,477
-0,919
0,360
1,169
0,924
0,357
1,357
0,696
0,487
1,601
1,720
0,088
1,104
-0,623
0,534
1,261
-0,155
0,877
Les résultats significatifs sont signalés par : *** à 1%, ** à 5%, et * à 10%.
- Tableau 71 : résultats de la régression testant l'impact des réseaux des plus grandes écoles
dans la relation étudiée -
304
Une nouvelle fois la variable RESEAUGRANDEECOLE n'est pas significative. Ce n'est
pas parce qu'elle a recruté un dirigeant issu d'une des écoles les plus prestigieuses qu'une
firme est plus performante ou moins performante. Le coefficient bêta monte que si la relation
avait été significative, elle aurait traduit un impact faiblement négatif de l'appartenance au
réseau des plus grandes écoles. Son introduction dans la régression comportant l'ensemble des
variables explicatives du rôle du marché managérial n'a pas modifié les coefficients bêta des
différentes voies d'intervention. Seul le seuil de significativité de la variable VARDIPLOME
a évolué de 5% à 1%. Nos hypothèses H10a et H10b ne sont pas validées :
L'appartenance à un réseau grande école n'influence pas le rôle du marché managérial dans
le système de gouvernance des entreprises.
-
Les grands corps
R2 ajusté
F
Sign.
Nb observations
13,2%
2,778
0,002
141
- Tableau 72 : qualité de la régression testant l'influence des réseaux grands corps du nouveau
dirigeant dans la relation étudiée –
VARIABLES et constante
RECOMPENSE
SANCTION
COUTSDISC
VARAGE
VARDIPLOME
VARTYPEFORM
VARORIGINE
VARCOMPETGENERIQUES
COEFF β
(écart-type)
0,060
(0,092)
0,151***
(0,049)
0,004
(0,004)
-0,005
(0,004)
-0,214***
(0,082)
-0,081
(0,084)
0,096
(0,070)
-0,026
(0,029)
t
Sign.
VIF
0,645
0,520
1,261
3,057
0,003
1,101
0,962
0,338
1,477
-1,263
0,209
1,543
-2,599
0,010
1,275
-0,967
0,335
1,491
1,376
0,171
1,501
-0,914
0,362
1,168
305
VARIABLES et constante
VARCOMPETSECTEUR
VARCOMPETFIRME
VARPIB
RESEAUGRANDSCORPS
Constante
COEFF β
(écart-type)
0,016
(0,018)
0,003
(0,003)
0,067*
(0,037)
-0,088
(0,098)
-0,027
(0,113)
t
Sign.
VIF
0,933
0,352
1,335
0,762
0,448
1,606
1,798
0,075
1,119
-0,899
0,370
1,344
-0,240
0,810
Les résultats significatifs sont signalés par : *** à 1%, ** à 5%, et * à 10%.
- Tableau 73 : résultats de la régression testant l'impact des réseaux grands corps dans la
relation étudiée -
Notre troisième variable réseau étudiée, RESEAUGRANDSCORPS, n'est pas significative
non plus. L'appartenance à un grand corps du nouveau dirigeant n'explique pas la variation de
performance de la firme. Le coefficient bêta de cette variable est négatif, comme pour les
autres réseaux étudiés précédemment, et un peu plus élevé que ces derniers. Les coefficients
bêta des différentes voies d'intervention du marché managérial n'ont pas été modifiés par son
ajout dans la régression. Nos hypothèses H10a et H10b ne sont pas toujours pas validées :
L'appartenance à un réseau grand corps n'influence pas le rôle du marché managérial dans
le système de gouvernance des entreprises.
Ces résultats viennent remettre en cause la vision traditionnelle des dirigeants en France,
selon laquelle la force des réseaux se substituerait au rôle du marché managérial. Bien que
nous ayons étudié trois types de réseaux, ceux liés à une expérience ministérielle, ceux des
écoles les plus prestigieuses et l'appartenance à un grand corps de l'État, nous n'avons trouvé
aucune influence significative sur les voies d'intervention du marché des dirigeants ni sur la
création de valeur. Que le nouveau dirigeant fasse partie d'un réseau ou non n'explique pas la
variation de performance de la firme. Ceci remet en cause les écrits sur l'inefficience des
dirigeants issus de ces réseaux, supposés avoir été nommés par appui et non par sélection.
Soit ces dirigeants ont en fait été appréciés à la fois à travers les réseaux et le marché
managérial, soit, si les réseaux se sont substitués au marché du travail, ils ont facilité la
promotion d'un des leurs autant pour ses compétences que son appartenance au réseau, ce qui
306
revient à avoir pris en compte les critères d'évaluation habituellement reconnus par le marché
managérial.
Un autre résultat est novateur : le rôle de sanction n'est pas modifié par les réseaux : après
un départ forcé, le dirigeant est incité à être performant, qu'il bénéficie ou non d'appui. Notre
étude apporte un nouvel éclairage à l'influence des réseaux sur la sanction, généralement
étudiée ex ante, c'est-à-dire comme un frein à l'exercice de la sanction.
Nos résultats diffèrent de ceux de Kramarz et Thesmar (2006), qui dans leur étude de
l'influence des réseaux ENA et Polytechnique dans les sociétés françaises cotées entre 1992 et
2003, concluaient que les firmes gérées par les dirigeants bénéficiant de ces réseaux étaient en
moyenne moins performantes. Mais dans leur analyse l'effet n'était significatif sur le taux de
rentabilité des actifs que pour les dirigeants passés par les ministères. De même Nguyen-Dang
(2005) aboutissait dans son analyse du marché français entre 1994 et 2001 à une différence de
performance significative entre les dirigeants issus des grands corps et les autres seulement
pour une de ses trois mesures de performance, la performance boursière moyenne sur vingtquatre mois. Yeo et al. (2003) concluaient eux à une incidence favorable sur la performance,
mesurée par le taux de rentabilité des actifs, de l'existence de réseaux en France. Enfin
Carminatti-Marchand et Paquerot (2003) se rapprochaient de nos conclusions en mettant en
évidence l'absence de différence de performance (mesurée par le ratio de Sharpe) entre les
conseils d'administration contrôlés par l'ENA et Polytechnique et ceux ne subissant pas
l'influence des réseaux pour 123 sociétés françaises cotées en 1995. Le débat reste donc
ouvert, d'autres études empiriques étant nécessaires pour pouvoir conclure sur l'influence
réelle des réseaux sur la performance des firmes françaises.
307
Synthèse
Le tableau 74 présente une synthèse des résultats obtenus avec la seconde série de tests,
prenant en compte les déterminants.
Hypothèse
H6a
H6b
H7
Objet
Influence de la structure de
propriété sur le rôle disciplinaire
du marché managérial
Validation
Partiellement
validée
Influence de la structure de
propriété sur le rôle cognitif du
marché managérial
Partiellement
validée
Commentaires
Rôle plus significatif
dans les firmes
contrôlées que dans
les firmes familiales
Rôle plus significatif
dans les firmes
familiales que dans
les firmes contrôlées
Pas d'influence
Influence du secteur d'activité sur
Non validée
le rôle du marché managérial
H8
Influence de la stratégie de
Non validée
Pas d'influence
carrière externe du nouveau
dirigeant sur le rôle du marché
managérial
H9a
Influence de la proximité de la
Non validée
Pas d'influence
retraite du nouveau dirigeant sur
le rôle disciplinaire du marché
managérial
H9b
Influence de la proximité de la
Non validée
Pas d'influence
retraite du nouveau dirigeant sur
le rôle cognitif du marché
managérial
H10a
Influence des réseaux sur le rôle
Non validée
Pas d'influence
disciplinaire du marché
managérial
H10b
Influence des réseaux sur le rôle
Non validée
Pas d'influence
cognitif du marché managérial
- Tableau 74 : synthèse des résultats relatifs à l'introduction des déterminants –
308
Nos principaux résultats consistent d'une part en la confirmation de l'influence de la
structure de propriété sur le rôle du marché managérial et sur la performance de la firme,
d'autre part dans la mise en évidence de l'absence d'influence des autres déterminants, la plus
marquante, compte tenu des travaux antérieurs, étant celle des réseaux en France. Les
enseignements majeurs en découlant sont les suivants :
-
Le rôle du marché des dirigeants varie en fonction de la structure de propriété,
-
la structure familiale de propriété a une influence positive sur la performance de la
firme,
-
le rôle disciplinaire du marché managérial est plus significatif dans les firmes
contrôlées que dans les firmes familiales,
-
le recrutement d'un candidat externe pour remplacer un dirigeant d'origine interne est
créateur de valeur dans les entreprises familiales,
-
le profil du nouveau dirigeant en termes de formation (niveau et type) doit être
proche de celui de son prédécesseur dans les firmes familiales pour éviter la
destruction de valeur,
-
l'augmentation des compétences génériques du dirigeant dans les firmes contrôlées a
une incidence négative sur la création de valeur,
-
le rôle cognitif du marché managérial est plus significatif dans les firmes familiales
que dans les firmes contrôlées,
-
le secteur d'activité ne modifie pas le rôle du marché des dirigeants,
-
ni la proximité de la retraite du dirigeant ni la poursuite d'une stratégie de carrière
externe n'ont d'influence sur le rôle de ce mécanisme et la performance de la firme
ne s'explique pas en fonction de ces spécificités,
-
les trois types de réseaux étudiés (ministères, plus grandes écoles, grands corps de
l'État) n'ont d'incidence ni sur la création de valeur ni sur le rôle joué par le marché
des dirigeants. Ceci apporte un nouvel éclairage au débat relatif aux réseaux en
France, supposés imposer un recrutement de type clanique parmi les élites en dehors
de toutes autres considérations, notamment de performance.
309
CHAPITRE XIII : INTERACTION DES AUTRES MECANISMES SUR LE ROLE
DU MARCHE DES DIRIGEANTS DANS LE SGE
Afin de mieux appréhender le rôle du marché des dirigeants dans le SGE, nous avons
adopté une vision systémique du dispositif, et cherché à comprendre quels effets,
complémentaires ou substitutifs, les autres mécanismes pouvaient avoir sur lui. Notre modèle
inclut ainsi l'intervention, disciplinaire et/ou cognitive, de cinq mécanismes de gouvernance :
le conseil d'administration, la présence d'un actionnaire dominant, les créanciers prêteurs, le
marché des prises de contrôle et le marché des biens et services. Nous avons étudié ces
interactions en nous inspirant de la méthodologie utilisée par Agrawal et Knoeber (1996). Les
tests portent sur l'examen de l'influence de chaque mécanisme, pris séparément. L'analyse de
leur imbrication avec le marché managérial a été effectuée en trois étapes. L'influence de
chaque mécanisme sur la variation de performance de la firme a été testée par une première
régression, puis les variables correspondant à ce mécanisme et au marché des dirigeants ont
été introduites simultanément dans la seconde régression. Une dernière série de tests a été
effectuée pour confirmer le lien entre les deux mécanismes.
13.1. Influence du conseil d'administration sur le rôle joué par le marché managérial
Le conseil d'administration est un des mécanismes les plus étudiés en gouvernance. Nous
avons justifié au chapitre VII sa probablement très forte imbrication avec le marché
managérial. C'est l‟organe élu par les actionnaires pour exercer le contrôle des dirigeants
(Alchian et Demsetz, 1972) et un des rôles principaux des administrateurs est de décider le
changement de dirigeant et de choisir un successeur. Avec la dimension cognitive, le rôle du
conseil d'administration s‟élargit, son expertise et ses compétences sont prises en compte, il
participe à la prise de décisions. Afin de distinguer ces deux influences, deux
opérationnalisations ont été retenues pour le conseil d'administration, l'une disciplinaire avec
la variable CADISC, qui comptabilise le pourcentage d'administrateurs indépendants au
conseil l'année du changement de dirigeant, l'autre cognitive avec la variable CACOGN, qui
totalise le nombre de firmes différentes avec lesquelles l'ensemble des administrateurs sont en
relation par mandat.
310
Comme le montre le tableau 75, l'indépendance du conseil d'administration est faible dans
les entreprises de notre échantillon : 80% des conseils sont en-dessous du seuil d'un tiers
d'indépendants et si la barre est fixée à la moitié d'indépendants, 91% des conseils n'atteignent
pas cette proportion. La moyenne est à 17% et la médiane à 13%. Un conseil d'administration
sur trois n'a aucun administrateur indépendant. Nous sommes très loin des résultats de Godard
et Schatt (2005) : 41% d'indépendants en moyenne dans les conseils d'administration français
en 2002. L'explication est sans doute liée à l'échantillon : dans les travaux de Godard et
Schatt, la population étudiée est composée de 77 sociétés cotées appartenant au SBF 120,
c'est-à-dire des firmes de plus grande taille que notre échantillon, sans doute plus incitées à
suivre les préconisations des rapports de gouvernance. Le chiffre d'affaires moyen des firmes
de notre base de test est de 4,3 milliards d'euros contre 11,1 milliards d'euros pour celles de
l'étude de Godard et Schatt. Une autre justification très probable de cet écart tient à la période
de référence : 2002 d'un côté, c'est-à-dire après la parution des rapports Viénot I et II, et
concomitamment à celle du rapport Bouton, 1996 à 2004 de l'autre pour notre analyse. Ainsi
dans l'étude comparative 1995 / 2006 publiée par Korn Ferry International 97 (2007), le
pourcentage d'indépendants dans les sociétés du CAC40 était de 15% en 1995 et de 46% en
2006.
La taille moyenne des conseils d'administration est de dix membres. Le nombre de firmes
avec lesquelles les administrateurs sont en relation par mandat est réparti assez uniformément
entre les tranches étudiées, la moyenne s'établissant à 23 et la médiane à 20.
Variables
explicatives
CADISC
Fréquence par seuils
Moyenne
Médiane
Min
Max
0%
85%
Nb
d'obs.
160
0% d'indépendants : 33%
17%
13%
1 à 32% d'indépendants : 47%
33 à 66% d'indépendants : 19%
>67% d'indépendants : 1%
CACOGN
Relations par mandat avec :
23
20
0
160
1 à 10 firmes : 28%
78
11 à 20 firmes : 23%
20 à 30 firmes : 22%
30 à 50 firmes : 18%
> 50 firmes : 9%
Pour information
≤ 10 administrateurs : 54%
10,2
9,8
3
160
: taille du CA
> 10 administrateurs : 46%
21
- Tableau 75 : données descriptives sur les conseils d'administration de l'échantillon 97
Korn Ferry International (2007) : " Les sociétés du CAC40 : comment sont-elle dirigées et qui les dirigent ? ",
étude comparative 1995/2006, avril 2007.
311
13.1.1. Influence du conseil d'administration sur la performance de la firme
La première régression a eu pour but de tester le rôle du conseil d'administration sur la
variation de performance de la firme. Elle inclut les variables CADISC, CACOGN et la
variable de contrôle VARPIB. Elle a donné comme résultats :
R2 ajusté
F
Sign.
Nb observations
4,8%
3,652
0,014
160
- Tableau 76 : qualité de la régression testant l'influence du rôle du conseil d'administration
sur la performance –
Le R2 ajusté est faible, le nombre de variables introduites étant petit également, mais la
qualité de la relation au niveau global est bonne.
VARIABLES et constante
CADISC
CACOGN
VARPIB
Constante
COEFF β
(écart-type)
0,196
(0,181)
-0,005**
(0,002)
0,085**
(0,033)
0,126
(0,068)
t
Sign.
VIF
1,081
0,281
1,074
-2,456
0,015
1,103
2,565
0,011
1,030
1,857
0,065
Les résultats significatifs sont signalés par : *** à 1%, ** à 5%, et * à 10%.
- Tableau 77 : résultats de la régression testant l'impact du rôle du conseil d'administration sur
la performance de la firme -
Le pourcentage d'indépendants au conseil d'administration n'est pas une variable
significative dans la relation étudiée. Trois explications peuvent en être proposées. La
première tient au fait que l'indépendance est peu représentée dans les conseils de notre
échantillon. La seconde est basée sur la réflexion que ce sont les disparités entre les firmes qui
peuvent permettre d'expliquer leurs écarts de performance. Ainsi l'indépendance des
administrateurs est susceptible de constituer un avantage concurrentiel tant qu'elle n'est pas
généralisée et qu'elle est variable d'une firme à l'autre. Enfin, il est probable, comme l'ont
312
souligné Bhagat et Black (2002), que les administrateurs indépendants sont plus performants
pour certaines tâches, mais que des administrateurs internes sont aussi nécessaires pour
d'autres décisions, rechercher une majorité d'indépendants conduisant alors à un
appauvrissement de la variété des compétences des administrateurs. Notre résultat, en tout
cas, ne permet pas de valider l'utilité des préconisations des rapports et codes de gouvernance,
qui conseillent de rechercher l'indépendance de l'organe de surveillance et de contrôle. Nous
pouvons cependant remarquer que si cette variable avait été significative, son influence aurait
été positive, le coefficient bêta étant de 0,196.
Nos travaux viennent enrichir le débat sur l'influence sur la performance de l'indépendance
des administrateurs, qui ne fait pas l'objet d'un consensus. André et Schiehll (2004), qui ont
étudié 178 sociétés canadiennes cotées à Toronto sur la période 1997 à 1999, ont trouvé une
relation significative positive entre le pourcentage d'administrateurs indépendants et la
performance, mesurée par le Q de Tobin. Mais les auteurs rejoignaient notre argument relatif
à la nécessité d'une différence dans le taux d'indépendance entre les firmes pour que celui-ci
explique la variance de performance de l'entreprise car ils ont mis en évidence "qu'une
augmentation moyenne de 10% de la proportion de l'entreprise d'administrateurs indépendants
conduit à une augmentation de 9% de la performance de l'entreprise" (p. 185). Shen et
Cannella (2002) concluaient également à l'influence positive de la part d'administrateurs
indépendants sur la performance des grandes firmes américaines (période 1988 à 1994) après
un changement de dirigeant, mesurée par le taux de rentabilité des actifs. Coles et al. (2001),
dans leur étude de 150 grandes firmes américaines entre 1984 et 1994, aboutissaient à un
impact significatif mais négatif de la part d'administrateurs externes sur la performance,
mesurée par l'EVA. Bhagat et Black (2002) ne trouvaient eux pas de preuve que les firmes
avec plus d'administrateurs indépendants étaient davantage performantes. Pour la France, les
résultats de Godard (2001) étaient proches des nôtres : la prise en compte de l'indépendance
des administrateurs n'influençait pas la performance des entreprises.
Le pourcentage d'indépendants au conseil d'administration n'apparaît pas influencer
significativement la performance de la firme.
La variable représentant le rôle cognitif du conseil d'administration est, elle, significative,
mais elle ressort avec un bêta très faible et négatif, contrairement à ce que nous attendions.
Une première explication peut être apportée, relative à l'ambigüité et au caractère double des
313
critères d'analyse du conseil d'administration. Ainsi, sous la dimension disciplinaire, la taille
du conseil d'administration et la multiplicité des mandats de ses membres sont considérées
comme ayant une influence négative sur la performance. Alors que dans la vision cognitive,
ces mêmes critères sont pris en compte positivement, car ils traduisent un apport de
connaissances, de compétences et de réseaux plus important, une source d'information sur les
pratiques commerciales d'autres firmes (Mizruchi, 1996). Siéger à plusieurs conseils permet à
un administrateur de mieux juger de l'impact des décisions stratégiques, car il en a vu les
conséquences dans d'autres sociétés (Haunschild, 1993). Nos travaux tendraient à conforter la
vision disciplinaire plutôt que l'approche cognitive : cumuler trop de mandats empêcherait les
administrateurs d'effectuer de manière efficiente leur rôle de surveillance et aurait un impact
négatif sur la performance. La faible valeur du coefficient bêta laisse cependant supposer que
cette variable puisse avoir des effets contradictoires, défavorables côté disciplinaire et positifs
côté cognitif, d'où un résultat de son influence proche de zéro.
Le nombre de firmes avec lesquelles les administrateurs sont en relation par mandat a une
influence négative sur la performance de la firme.
Godard (1996) avait trouvé pour la France que la part des administrateurs cumulant plus de
cinq mandats n'avait pas d'incidence sur la performance de la firme. Judge et Zeithaml (1992)
avaient validé l'existence d'une relation positive entre l'implication du conseil d'administration
dans la stratégie et la performance de la firme. Cet effet positif se retrouve également dans les
études de Pearce et Zahra (1991) et de Kimberly et Zajac (1988). La question se pose de
savoir si la multiplicité des relations des administrateurs contribue à leur implication et
améliore leur rôle cognitif. Carpenter et Westphal (2001), dans leur analyse portant sur 600
grandes sociétés américaines de Forbes 1000, apportaient une explication potentielle à nos
résultats : l'augmentation du nombre de firmes avec lesquelles les administrateurs sont en
relation, si ces firmes poursuivent des stratégies différentes, tendrait en fait à réduire leur
capacité à contribuer aux discussions du conseil. Les travaux portant sur les réseaux
d'administrateurs font également ressortir les deux visions possibles : d'un côté, l'importance
de ces réseaux traduirait un meilleur accès à l'information et une plus forte intégration de la
firme dans la communauté, de l'autre leurs effets sont critiqués, la surcharge de travail
engendrée et les relations interpersonnelles venant interférer avec la qualité du contrôle et de
l'aide à la vision stratégique du conseil d'administration. Une position intermédiaire a été
adoptée par certains auteurs (Pettigrew, 1992) : pour bien déterminer l'influence de la
314
multiplicité des mandats, il est nécessaire de mener une analyse plus poussée afin d'évaluer
leurs conséquences en fonction du contexte de la firme. Ainsi Carpenter et Westphal (2001)
ont montré empiriquement que les liens inter conseils des administrateurs affectaient
positivement la performance de la firme s'ils étaient en adéquation avec les besoins
stratégiques de la firme. Nos travaux permettent de confirmer que plus le nombre de firmes
avec lesquelles les administrateurs sont en relation est élevé, moins les firmes sont
performantes. Ce n'est pas la multiplicité des réseaux qu'il faut rechercher pour améliorer la
performance, mais sans doute davantage leur impact individuel sur la firme.
13.1.2. Influence simultanée du conseil d'administration et du marché managérial sur la
performance de la firme
La régression inclut cette fois toutes les variables explicatives liées au rôle du marché
managérial, celles concernant l'intervention du conseil d'administration et la variable de
contrôle VARPIB. L'objectif est de voir si l'impact du marché des dirigeants sur la création de
valeur est modifié par l'introduction du rôle du conseil d'administration.
R2 ajusté
F
Sign.
Nb observations
14,1%
2,753
0,002
140
- Tableau 78 : qualité de la régression testant l'influence simultanée des deux mécanismes sur
la performance –
Le R2 ajusté est relativement faible compte tenu du nombre de variables prises en compte.
D'autres variables non liées à ces mécanismes contribuent à la création de valeur dans la
firme, comme cela a été exposé depuis le début des tests. Le test de Fisher atteste cependant
que la qualité de la relation au niveau global est bonne.
VARIABLES et constante
COEFF β
(écart-type)
t
Sign.
VIF
RECOMPENSE
0,052
(0,091)
0,147***
(0,049)
0,003
(0,004)
0,567
0,572
1,246
2,987
0,003
1,105
0,887
0,377
1,471
SANCTION
COUTSDISC
315
VARIABLES et constante
COEFF β
(écart-type)
t
Sign.
VIF
VARAGE
-0,004
(0,004)
-0,206**
(0,085)
-0,103
(0,080)
0,087
(0,070)
-0,034
(0,029)
0,016
(0,017)
0,002
(0,004)
0,071*
(0,037)
0,082
(0,190)
-0,004*
(0,002)
0,047
(0,128)
-1,220
0,225
1,550
-2,443
0,016
1,318
-1,297
0,197
1,290
1,241
0,217
1,500
-1,159
0,249
1,211
0,928
0,355
1,327
0,524
0,601
1,628
1,893
0,061
1,117
0,432
0,665
1,179
-1,789
0,076
1,239
0,366
0,715
VARDIPLOME
VARTYPEFORM
VARORIGINE
VARCOMPETGENERIQUES
VARCOMPETSECTEUR
VARCOMPETFIRME
VARPIB
CADISC
CACOGN
Constante
Les résultats significatifs sont signalés par : *** à 1%, ** à 5%, et * à 10%.
- Tableau 79 : résultats de la régression testant simultanément l'impact du marché managérial
et du conseil d'administration sur la performance de la firme –
Les variables explicatives significatives sont les mêmes que dans les régressions effectuées
séparément pour chacun des mécanismes : SANCTION et VARDIPLOME pour le marché
managérial, CACOGN pour le conseil d'administration, et VARPIB en variable de contrôle.
Le signe des bêtas de ces variables est inchangé et la valeur de leurs bêta est très peu
modifiée. Seul le seuil de significativité de CACOGN évolue, passant de 5% pour le conseil
d'administration seul à 10% lorsque les deux mécanismes sont pris en compte.
Des études empiriques ont été menées sur l'influence des caractéristiques du conseil
d'administration sur le choix du profil des dirigeants, mais sans faire le lien avec la
performance de la firme. Datta et Rajagopalan (1998) par exemple trouvaient un lien entre le
pouvoir des administrateurs, estimé par le taux d'externes et la part de capital détenue par
316
ceux-ci, et l'expérience fonctionnelle des dirigeants. Zajac et Westphal (1996) concluaient que
les administrateurs choisissaient un dirigeant ayant un profil proche du leurs. L'absence
d'impact du conseil d'administration sur les voies cognitives du marché managérial que nous
venons de mettre en évidence tend à montrer que quelle que soit l'influence du conseil sur le
choix du dirigeant, elle ne conduit pas à créer plus de valeur dans la firme.
Le rôle du conseil d'administration ne semble donc pas influencer celui du marché
managérial, contrairement à ce qui était attendu (complémentarité des mécanismes). Pour
clarifier ce point, nous avons testé l'effet du conseil d'administration sur les voies
d'intervention significatives du marché managérial : SANCTION et VARDIPLOME.
13.1.3. Influence du conseil d'administration sur le marché managérial
La variable SANCTION comportant trois modalités et VARDIPLOME étant dichotomique,
les variables explicatives CADISC, CACOGN et VARPIB étant quantitatives, nous avons
effectué deux analyses discriminantes.

L'analyse relative à la sanction a donné les résultats suivants :
SANCTION
Variables
Moyenne
Ecart-type
Nombre
explicatives
d'observations
Pas de sanction
CA DISC
0,16
0,18
121
CA COGN
23,9
18,3
121
VARPIB
1,2
0,98
121
Sanction pour
CA DISC
0,21
0,23
17
divergences
CA COGN
27,3
17,7
17
VARPIB
1,3
0,99
17
Sanction pour
CA DISC
0,17
0,18
22
mauvaises
CA COGN
23,4
17,7
22
performances
VARPIB
1,3
0,98
22
- Tableau 80 : moyennes des sous-groupes sur les variables et variance des variables –
Il ne semble pas y avoir de différences significatives, mais nous l'avons vérifié par les tests
habituels :
317
CADISC
CACOG
Lambda de
Wilks
0,993
0,980
F
Df1
Df2
0,530
1,628
2
2
157
157
Significativit
é
0,589
0,200
N
0,991
0,700
2
157
0,498
CARPIB
- Tableau 81 : vérification de l'existence de différences de moyenne relativement à la
sanction –
Il n'y a pas de différence significative entre les trois groupes correspondant à chacune des
modalités de la variable à expliquer SANCTION. L'analyse discriminante confirme l'absence
d'influence du rôle du conseil d'administration sur cette voie d'intervention disciplinaire du
marché managérial.
Le pourcentage d'indépendants au conseil d'administration n'a pas d'influence sur le rôle de
sanction du marché managérial.
Nos résultats diffèrent d'études précédentes. Ainsi Weisbach (1988) pour le marché
américain, Kaplan et Minton (1994) pour le marché japonais ou encore Renneboog et
Trajanowski (2003) pour l'Angleterre, trouvaient un lien plus fort entre la performance et la
probabilité d'être évincé pour les dirigeants de firmes dont le conseil d'administration était
dominé par les externes (pour les deux premiers articles, plus anciens) ou les indépendants.
De même Charreaux (1991) confirmait cette influence pour le marché français, mais
uniquement dans les firmes managériales ou contrôlées. Les écarts de résultats sont, comme
nous l'avons déjà évoqué, certainement attribuables à la différence de période, les deux études
venant d'être citées étant très antérieures aux codes de gouvernance, ce qui laisse supposer des
différences importantes de situation entre les firmes. De plus nous n'étudions pas la sanction
exactement de la même manière, les auteurs précédemment cités s'intéressant au lien entre la
probabilité de sanction et la performance, alors que nous avons testé l'impact sur la création
de valeur du phénomène d'éviction.
Nous avons voulu vérifier si la distinction proposée par Charreaux (1991) avait également
une influence dans nos travaux : l'absence de signification pouvait être liée à l'importance de
la structure de propriété familiale dans notre échantillon. Nous avons donc réitéré l'analyse
discriminante sur la sanction en distinguant les trois sous-populations correspondant aux
318
différentes structures de propriété. Pour aucune de ces sous-populations la différence n'est
significative entre les trois groupes correspondant à chacune des modalités de la variable à
expliquer SANCTION. L'influence des caractéristiques du conseil d'administration sur les
effets de la sanction n'est pas vérifiée quelque soit la structure de propriété.

L'analyse relative au changement de niveau de diplôme a donné, elle, les
résultats suivants :
VARDIPLOME
Variables
Moyenne
Ecart-type
Nombre
explicatives
d'observations
Pas de
CA DISC
0,20
0,19
104
changement
CA COGN
23,6
17,6
104
VARPIB
1,2
0,96
104
Niveau de
CA DISC
0,13
0,17
39
diplôme
CA COGN
22,9
16,6
39
différent
VARPIB
1,3
0,98
39
- Tableau 82 : moyennes des sous-groupes sur les variables et variance des variables –
Lambda de
Wilks
0,975
1,000
F
Df1
Df2
Significativit
é
0,060
0,839
3,585
1
141
CADISC
0,042
1
141
CACOG
N
1,000
0,020
1
141
0,886
VARPIB
- Tableau 83 : vérification de l'existence de différences de moyenne relativement à
VARDIPLOME –
Il n'y a pas non plus de différence significative entre les deux groupes correspondant aux
modalités de la variable à expliquer VARDIPLOME. On peut cependant remarquer une
différence de moyenne, même si elle n'est pas statistiquement significative au seuil de 5%,
relativement à la variable CADISC : les conseils d'administration recrutant des dirigeants de
même niveau de diplôme que leurs prédécesseurs comporteraient une part d'indépendants plus
élevée. Compte tenu de ce qui a été développé au paragraphe 11.3.2., ce choix de sélection
serait plus favorable à la création de valeur.
Les analyses discriminantes confirment l'absence d'influence du rôle du conseil
d'administration sur les voies d'intervention du marché managérial significatives dans la
319
relation étudiées avec la variation de performance de la firme. Nos hypothèses H11 et H16 ne
sont pas validées.
Le conseil d'administration n'apparaît pas influencer significativement le rôle du marché
managérial comme mécanisme de gouvernance.
13.2. Influence du contrôle direct par les actionnaires sur le rôle joué par le marché
managérial
L'influence de ce mécanisme dans le système de gouvernance a été présentée au chapitre
VII. Elle est d'ordre disciplinaire. Les coûts d'agence se réduisent avec la concentration du
capital (Jensen et Meckling, 1976). Disposant de droits de vote suffisants pour pouvoir
influencer les décisions du dirigeant (Schleifer et Vishny, 1997), un actionnaire dominant peut
contribuer à la surveillance et au contrôle du dirigeant. Sa présence augmente le risque de
révocation en cas de mauvaise performance (Kaplan et Minton, 1994, Denis et Serrano,
1996).
Le tableau 84 montre que la concentration du capital est forte dans les entreprises de notre
échantillon : la moyenne s'établit à 44% et la médiane à 55%. Seulement 8% des firmes
répondent à la définition des sociétés managériales, sans actionnaire détenant au moins 10%
du capital, comme nous l'avions déjà vu avec l'analyse de l'influence de la structure de
propriété. Deux firmes sur trois ont un actionnaire détenant plus d'un tiers du capital.
Variable
explicative
Fréquence par seuils
Moyenne
Médiane
Nb
d'obs.
ACTIONNAIRES
Le plus gros actionnaire détient :
Moins de 10% du capital : 8%
De 10 à 33% du capital : 28%
De 34 à 66% du capital : 44%
67% du capital et plus : 20%
44%
45%
160
- Tableau 84: données descriptives sur le contrôle par les actionnaires -
320
13.2.1. Influence du contrôle direct par les actionnaires sur la performance de la firme
Comme pour le conseil d'administration, nous avons effectué une première régression pour
tester le rôle de ce mécanisme sur la variation de performance de la firme. Elle comprend la
variable ACTIONNAIRES la variable de contrôle VARPIB.
R2 ajusté
F
Sign.
Nb observations
1,8%
2,423
0,092
160
- Tableau 85 : qualité de la régression testant l'influence du contrôle par les actionnaires
sur la performance –
Le R2 ajusté est très faible et la qualité de la relation au niveau global n'est pas satisfaisante.
VARIABLES et constante
ACTIONNAIRES
VARPIB
Constante
COEFF β
(écart-type)
-0,001
(0,001)
0,065*
(0,034)
0,109
(0,087)
t
Sign.
VIF
-0,637
0,525
1,053
1,910
0,058
1,053
1,259
0,210
Les résultats significatifs sont signalés par : *** à 1%, ** à 5%, et * à 10% .
- Tableau 86 : résultats de la régression testant l'impact du contrôle direct par les actionnaires
sur la performance de la firme -
Le contrôle direct par les actionnaires n'apparaît pas avoir une influence sur la performance
de la firme dans notre échantillon. La variable n'est pas significative et le coefficient bêta est
très voisin de zéro.
Le pourcentage détenu par le principal actionnaire n'explique pas la création de valeur dans
la firme.
Nous retrouvons pour la France les résultats de Demsetz et Lehn (1985), dont l'analyse
portant sur 511 firmes américaines n'avait pas trouvé de relation significative entre la
concentration de la propriété et le taux de rentabilité. Les auteurs expliquaient cette absence
d'influence sur la performance par le fait qu'un actionnariat diffus et un actionnariat concentré
321
offraient chacun des perspectives de réduction de coût, mais dans des domaines différents
(coût d'accès au capital pour le premier, coûts d'agence pour le second). Hill et Snell (1988),
qui ont étudié 122 firmes de Fortune 100, trouvaient eux un lien avec la performance : la
concentration de la propriété, mesurée par le logarithme de la mesure de Herfindhal de la
concentration de l'actionnariat, avait une influence positive sur la valeur ajoutée par employé.
Les différentes mesures de performance utilisées selon les études ne facilitent pas le
rapprochement des conclusions.
13.2.2. Influence simultanée du contrôle par les actionnaires et du marché managérial
sur la performance de la firme
La régression comporte les variables explicatives liées au rôle du marché managérial, la
variable ACTIONNAIRES et la variable de contrôle VARPIB. L'objectif est de voir si
l'impact du marché des dirigeants sur la création de valeur est modifié par l'introduction de la
variable ACTIONNAIRES.
R2 ajusté
F
Sign.
Nb observations
12,5%
2,649
0,003
140
- Tableau 87 : qualité de la régression testant l'influence simultanée des deux mécanismes
sur la performance –
VARIABLES et constante
COEFF β
(écart-type)
t
Sign.
VIF
RECOMPENSE
0,046
(0,093)
0,158***
(0,050)
0,005
(0,004)
-0,004
(0,004)
-0,213**
(0,083)
-0,115
(0,082)
0,096
(0,071)
0,493
0,623
1,226
3,189
0,002
1,095
1,185
0,238
1,381
-1,100
0,273
1,497
-2,560
0,012
1,271
-1,403
0,163
1,297
1,361
0,176
1,480
SANCTION
COUTSDISC
VARAGE
VARDIPLOME
VARTYPEFORM
VARORIGINE
322
VARIABLES et constante
VARCOMPETGENERIQUES
VARCOMPETSECTEUR
VARCOMPETFIRME
VARPIB
ACTIONNAIRES
Constante
COEFF β
(écart-type)
-0,032
(0,030)
0,015
(0,018)
0,002
(0,003)
0,060
(0,038)
0,000
(0,001)
-0,028
(0,147)
t
Sign.
VIF
-1,82
0,282
1,177
0,844
0,400
1,333
0,676
0,500
1,589
1,570
0,119
1,141
0,100
0,921
1,168
-0,189
0,851
Les résultats significatifs sont signalés par : *** à 1%, ** à 5%, et * à 10%.
- Tableau 88 : résultats de la régression testant simultanément l'impact du marché managérial
et du contrôle par les actionnaires sur la performance de la firme –
L'introduction de la variable ACTIONNAIRES n'a pas eu d'impact sur les voies
d'intervention du marché managérial. Les bêta ne sont pas modifiés. Seule la variable de
contrôle n'est plus significative.
Nos travaux confortent les résultats concernant le rôle disciplinaire de ce mécanisme
obtenus précédemment pour la France par Alexandre et Paquerot (2000), qui concluaient à
l'absence d'influence de la concentration du capital (estimée par le pourcentage de capital
détenu par les cinq premiers actionnaires) sur le taux de rotation des dirigeants français des
sociétés cotées et sur la performance de la firme (calculée par la moyenne sur trois ans des
ratios de Sharpe, entre 1991 et 1993). Ils se distinguent par contre de l'analyse de Pigé (1993),
qui trouvait au contraire une relation significative et positive entre le pourcentage détenu par
le principal actionnaire et la probabilité de renouvellement du dirigeant, mais n'étudiait pas le
lien avec la création de valeur. La divergence des conclusions entre Alexandre et Paquerot
d'une part, Pigé d'autre part, met en évidence que le rôle du contrôle direct par les actionnaires
ne fait pas l'objet d'un consensus. Nos résultats apportent cependant un argument
complémentaire en faveur de l'absence d'intervention disciplinaire de ce mécanisme, car nous
avons pris en compte plusieurs voies d'intervention potentielles et analysé son influence sur la
sanction des dirigeants, pas seulement sur le taux de rotation en général.
323
Cette constatation ne semble en outre pas liée à la France et aux spécificités de
l'actionnariat de ses sociétés, elle est également observée par exemple sur le marché anglais
par Renneboog et Trojanoswki (2003). Dans leur étude portant sur 250 entreprises anglaises
cotées entre 1998 et 1993, les auteurs ne trouvaient pas non plus de relation significative entre
la concentration de la propriété, mesurée par l'index Herfindahl-5, ou la présence d'un
actionnaire dominant, et le taux de rotation des dirigeants. Mais il n'y a pas de convergence
avec d'autres études, par exemple Kaplan et Minton (1994) pour le marché japonais ou encore
Denis et Serrano (1996) pour les Etats-Unis concluaient que la probabilité de révocation en
cas de mauvaise performance était plus forte en présence d'un actionnaire dominant. De même
Kini et al. (2004) ont mis en évidence pour le marché américain sur la période 1979-1998 que
l'éviction des dirigeants suite à une prise de contrôle était moins fréquente en présence de
blocs d'actionnaires. L'absence de test de l'impact de ce lien sur la création de valeur de la
firme ne permet pas de conclure sur l'efficience de ce mécanisme.
D'après les résultats des deux régressions effectuées, notre hypothèse H13 n'est pas validée.
Le contrôle direct par les actionnaires n'influence pas le rôle joué par le marché managérial
dans le système de gouvernance des entreprises.
13.3. Influence des créanciers prêteurs sur le rôle joué par le marché managérial
Les créanciers prêteurs jouent un rôle dans la surveillance des dirigeants car ils sont incités
à contrôler ses actions pour ne pas voir leur niveau de risque évoluer défavorablement.
Bénéficiant de relations particulières avec l'entreprise, ils ont accès, en contrepartie de leur
acceptation de lui fournir des fonds, à des informations internes. Ils influencent la politique
d'investissement de la firme, lorsqu'elle a recours aux créanciers. Ils peuvent contribuer à
révoquer le dirigeant en cas de difficultés financières importantes (Schleifer et Vishny, 1997).
Leur intervention est aussi un signal pour l'extérieur (Harris et Raviv, 1990), l'implication
d'une banque dans une firme étant généralement un gage de bonne santé financière. Comme
nous l'avons développé au paragraphe 7.2.4., nous nous attendons à ce que l'amélioration du
contrôle et l'information additionnelle apportées par les créanciers prêteurs jouent un rôle
complémentaire à celui exercé par le marché managérial dans le SGE.
324
La variable CREANCIERS a été opérationnalisée par le ratio capacité d'autofinancement
sur dettes à moyen et long terme. Les contrastes sont très importants dans notre échantillon,
entre les firmes sans endettement auprès des établissements de crédit (Eurazeo en 2001, April
Group en 2003) et celles qui dégagent une capacité d'autofinancement fortement négative
(Bull en 2001, Compagnie Générale de Géophysique en 1999, CS Communication en 2001,
France Télécom en 2002, Géodis en 2001, Thomson en 2004). En dehors de ces situations
extrêmes, 85% des firmes étudiées ont un ratio entre -0,5 et +5.
Variable explicative
Fréquence par seuils
Nb d'obs.
CREANCIERS
< 0 : 14 %
de 0 à 0,33 : 32 %
de 0,34 à 1 : 28 %
de 1 à 3 : 10 %
> 3 : 16 %
160
- Tableau 89 : données descriptives sur la variable CREANCIERS 13.3.1. Influence des créanciers prêteurs sur la performance de la firme
Comme pour les mécanismes précédents, une première régression a eu pour objet de tester
le rôle de ce mécanisme sur la création de valeur. Elle incluait donc une seule variable
explicative, CREANCIERS, et la variable de contrôle VARPIB.
R2 ajusté
F
Sign.
Nb observations
0,5%
1,405
0,248
160
- Tableau 90 : qualité de la régression testant l'influence des créanciers prêteurs sur la
performance –
Le R2 ajusté est proche de zéro, la qualité de la relation au niveau global est mauvaise : la
variable CREANCIERS n'explique pas la performance de la firme.
325
VARIABLES et constante
CREANCIERS
VARPIB
Constante
COEFF β
(écart-type)
-3,8 E-007
(0,000)
0,049
(0,034)
0,089
(0,055)
t
Sign.
VIF
-0,722
0,471
1,005
1,458
0,147
1,005
1,621
0,107
Les résultats significatifs sont signalés par : *** à 1%, ** à 5%, et * à 10%.
- Tableau 91 : résultats de la régression testant l'impact des créanciers prêteurs sur la
performance de la firme -
La théorie selon laquelle les créanciers prêteurs jouent un rôle disciplinaire n'est pas
validée. La menace de liquidation en cas de mauvaises performances incitant le dirigeant à
agir dans l'intérêt des actionnaires, le niveau d'information supérieure des créanciers, le
meilleur contrôle supposés permettre à ce mécanisme d'être influent n'apparaissent pas avoir
d'impact uniforme sur la performance de la firme.
Les créanciers prêteurs, pris isolément, n'ont pas d'influence sur la performance de la firme.
Plusieurs interprétations peuvent être apportées à l'absence d'influence de ce mécanisme,
basées sur les effets hétérogènes ou contradictoires consécutifs à son intervention. La
première est son lien avec l'effet de levier, le risque engendré et de manière plus générale la
structure de capital. Une entreprise plus endettée est peut-être davantage soumise au contrôle
des créanciers, mais elle subit aussi les conséquences de l'effet de levier. Or celui-ci n'a
d'impact positif sur la performance que si le taux de rentabilité des actifs de la firme est
supérieur au coût de la dette. Le recours à l'endettement à moyen et long terme masque des
situations très différentes entre les entreprises, certaines en très bonne santé financière
choisissant ce mode de financement pour améliorer leurs résultats, d'autres l'utilisant par
nécessité et même parfois dans un but de restructuration pour leur permettre de survivre. La
seconde explication a été développée par Bernanke et Gertler (1990) : une entreprise
disposant d'une bonne capacité d'autofinancement serait plus indépendante et plus
performante, ce qui remet en cause l'effet positif du rôle des banques. La forte présence des
créanciers, si elle se traduit par un ratio CAF/DMLT trop faible, constitue un signal de risque
d'où une réticence des banques à financer de nouveaux projets, limitant l'entreprise de ses
326
possibilités de créer de la valeur. Enfin, pour reprendre un des arguments de Nekhili (1994),
la France est caractérisée par l'importance du crédit interentreprises, les fournisseurs d'une
société se substituant pour partie aux banquiers dans son financement. La faiblesse des dettes
à moyen et long terme peut alors avoir deux effets : l'un positif, par la réduction des coûts
financiers et la possibilité de placer les excédents de trésorerie dégagés, l'autre négatif, en
masquant des difficultés financières, la firme ayant plus de poids sur ses fournisseurs que sur
ses banquiers pour leur imposer de lui fournir un crédit et pouvant plus facilement leur limiter
l'information.
A titre de comparaison, rappelons les résultats d'autres d'études empiriques menées sur
l'incidence de ce mécanisme sur la performance. Pour l'Allemagne, Cable (1985) validait le
fait que les entreprises ayant des banquiers dans leur conseil d'administration étaient celles qui
étaient les plus performantes. Cette analyse diffère de notre approche, car les firmes ayant des
administrateurs financiers ne sont pas systématiquement celles qui sont le plus endettées. Pour
l'Italie, Sena (2006) a confirmé empiriquement qu'une restriction d'accès aux ressources
financières, contrairement à ce que nous évoquions précédemment, conduisait la firme à être
plus efficiente. Köke et Renneboog (2005) ont trouvé un lien entre l'effet de levier et la
croissance de la productivité pour le marché allemand (304 firmes cotées étudiées entre 1986
et 1996), mais une absence de relation sur le marché anglais (502 firmes entre 1992 et 1999).
La productivité des firmes dans leurs travaux était calculée par une fonction de production de
Cobb-Douglas ayant la valeur ajoutée comme variable dépendante, le travail et le capital en
variables indépendantes. Nos travaux apportent un élément de comparaison pour la France,
laissant à penser, par l'absence de significativité de la variable CREANCIERS, que les
conséquences de l'endettement sont complexes et peuvent avoir des effets contradictoires.
13.3.2. Influence simultanée des créanciers prêteurs et du marché managérial sur la
performance de la firme
Afin de déterminer si les créanciers prêteurs modifiaient le rôle du marché managérial, la
régression suivante a intégré les variables explicatives liées au rôle du marché managérial, la
variable CREANCIERS et la variable de contrôle VARPIB.
327
R2 ajusté
F
Sign.
Nb observations
13,1%
2,760
0,002
140
- Tableau 92 : qualité de la régression testant l'influence simultanée des deux mécanismes sur
la performance –
VARIABLES et constante
RECOMPENSE
SANCTION
COUTSDISC
VARAGE
VARDIPLOME
VARTYPEFORM
VARORIGINE
VARCOMPETGENERIQUES
VARCOMPETSECTEUR
VARCOMPETFIRME
VARPIB
CREANCIERS
Constante
COEFF β
(écart-type)
0,030
(0,091)
0,155***
(0,049)
0,004
(0,004)
-0,004
(0,004)
-0,221***
(0,083)
-0,113
(0,080)
0,103
(0,070)
-0,026
(0,029)
0,016
(0,018)
0,003
(0,004)
0,061
(0,037)
-4,1 E-007
(0,000)
-0,001
(0,116)
t
Sign.
VIF
0,331
0,741
1,231
3,153
0,002
1,095
1,056
0,238
1,467
-1,208
0,273
1,525
-2,660
0,012
1,288
-1,412
0,163
1,298
1,467
0,176
1,494
-0,922
0,282
1,169
0,902
0,400
1,338
0,914
0,500
1,691
1,647
0,119
1,140
-0,798
0,921
1,097
-0,010
0,992
Les résultats significatifs sont signalés par : *** à 1%, ** à 5%, et * à 10%.
- Tableau 93 : résultats de la régression testant simultanément l'impact du marché managérial
et des créanciers prêteurs sur la performance de la firme –
L'introduction de la variable CREANCIERS n'a pas modifié le rôle du marché des
dirigeants. Les voies d'intervention du marché managérial sont les mêmes, avec des bêta
identiques. VARDIPLOME redevient seulement plus significative, au seuil de 1% au lieu de
5%. La variable de contrôle n'est plus significative. Contrairement à ce que nous aurions pu
328
attendre, le rôle de sanction du marché managérial n'est pas modifié par la prise en compte de
l'intervention des créanciers. Or un des arguments fréquemment évoqués pour justifier leur
rôle est leur implication dans la révocation des dirigeants non efficients, qu'ils sont supposés
provoquer en cas de nécessité, notamment grâce à l'accès à l'information supérieur et plus
rapide dont ils disposent. Nous ne confirmons pas cette vision théorique.
D'après les résultats des deux régressions effectuées, notre hypothèse H14 n'est pas validée.
Les créanciers prêteurs n'ont pas d'influence sur le rôle joué par le marché managérial
relativement à la création de valeur dans la firme.
13.4. Influence du marché des prises de contrôle sur le rôle joué par le marché
managérial
La sanction du dirigeant est un levier disciplinaire pouvant également être initié par le
marché des prises de contrôle. Les entreprises insuffisamment rentables risquent davantage de
faire l'objet d'une prise de contrôle (Alchian et Demsetz, 1972). Même lorsqu'elle n'est pas
hostile, elle est fréquemment suivie d'un changement de direction (Jensen, 1988, Agrawal et
Knoeber, 1996). Les gains liés aux prises de contrôle reposeraient principalement sur
l'amélioration de la gestion, facilitée avec l'arrivée d'un nouveau dirigeant (Fama et Jensen,
1983, Jensen et Ruback, 1983, Walsh et Seward, 1990) et sur la réduction des coûts
disciplinaires liés à la remise en cause des contrats informels. Le marché des prises de
contrôle anime la compétition entre les équipes dirigeantes pour obtenir le droit de gérer les
ressources de la firme (Jensen et Ruback, 1983, Jensen, 1988). Le marché des dirigeants et le
marché des prises de contrôle se complète dans le dispositif disciplinaire des dirigeants
(Walsh et Seward, 1990, Pérez, 2003). L'influence disciplinaire du marché des prises de
contrôle a été opérationnalisée dans notre étude par le caractère opéable de la firme, la
menace étant supposée être plus réelle et davantage susceptible d'inciter le dirigeant à agir
dans l'intérêt des actionnaires dans les sociétés opéables.
Le marché des prises de contrôle peut aussi intervenir sous la dimension cognitive en
contribuant aux réorientations stratégiques dans la firme et en lui permettre d'acquérir de
nouvelles connaissances et compétences. Le repreneur est susceptible d'apporter des
ressources, son expertise (Hitt et al., 1997, Leroy et Ramanantsoa, 1997, Vermeulen et
329
Barkema, 2001). Le changement engendré par une prise de contrôle peut constituer un moteur
pour l'apprentissage (Starbuck et Milliken, 1988). L'interaction entre les deux mécanismes est
également attendue en termes de complémentarité. Le rôle cognitif du marché des prises de
contrôle a été opérationnalisé par la nature du repreneur.
Dans notre échantillon, 20% des firmes ont été identifiées comme étant opéables (au moins
33% de flottant ou pas d'actionnaire détenant au moins 33% du capital, en l'absence de pactes
d'actionnaires). Ce pourcentage peut sembler faible, mais il est cohérent avec la forte présence
dans les entreprises françaises de firmes contrôlées ou familiales, comme nous l'avons vu au
moment de l'étude de l'influence de la structure de propriété. Parmi les dix sept entreprises
ayant fait l'objet d'une prise de contrôle, dix ont vu arriver un repreneur industriel, et cinq un
investisseur institutionnel.
Variables
explicatives
MPCDISC
Fréquence par seuils
Nb d'obs.
Non opéable : 80 %
Opéable : 20 %
MPCCOGNSTRAT
Arrivée d'un repreneur l'année du changement de
dirigeant : 11 %
Pas de changement principal d'actionnariat : 89 %
MPCCOGNCOMPET
Type du repreneur :
Salariés : 0 %
Individuel : 12 %
Investisseur institutionnel : 29 %
Financier : 0 %
Industriel : 59 %
- Tableau 94: données descriptives sur le marché des prises de contrôle -
161
161
161
13.4.1. Influence du marché des prises de contrôle sur la performance de la firme
Comme pour les autres mécanismes, nous nous sommes tout d'abord intéressés à l'influence
du marché des prises de contrôle sur la variation de performance de la firme. La régression a
porté sur les variables MPCDISC, MPCCOGNSTRAT et la variable de contrôle VARPIB.
330
R2 ajusté
F
Sign.
Nb observations
2%
2,063
0,107
161
- Tableau 95 : qualité de la régression testant l'influence du rôle du marché des prises de
contrôle sur la performance –
Le R2 ajusté est extrêmement faible et le niveau test de Fisher indique une mauvaise qualité
de la relation au niveau global. Les résultats sont les mêmes si on introduit
MPCCOGNCOMPET98 au lieu de MPCOGNSTRAT.
VARIABLES et constante
MPCDISC
MPCCOGNSTRAT
VARPIB
Constante
COEFF β
(écart-type)
0,096
(0,082)
0,037
(0,106)
0,070**
(0,033)
0,046
(0,056)
t
Sign.
VIF
1,167
0,245
1,002
0,349
0,728
1,008
2,105
0,037
1,002
0,829
0,065
Les résultats significatifs sont signalés par : *** à 1%, ** à 5%, et * à 10%.
- Tableau 96 : Impact du marché des prises de contrôle sur la performance de la firme -
Le marché des prises de contrôle ne ressort pas comme un facteur explicatif de la variation
de performance de la firme dans notre échantillon. Son rôle disciplinaire n'est pas vérifié : le
caractère opéable de la société ne constitue pas une incitation suffisante pour le dirigeant pour
que sa firme devienne plus performante que les autres. Les firmes qui connaissent un
changement de leur actionnaire principal ne sont pas plus créatrices de valeur que les autres et
la nature du repreneur n'explique pas la performance des firmes, ce qui remet également en
cause l'existence du rôle cognitif de ce mécanisme.
Ces résultats sont à prendre en compte car ils viennent s'ajouter à un corps de littérature
déjà très abondant sur les prises de contrôle, mais qui ne dégage pas de consensus. Les
questions relatives à la capacité de ce mécanisme à augmenter la performance demeurent
nombreuses : son rôle incitatif est-il confirmé ? La création de valeur concerne-t-elle la
98
Opérationnalisation du rôle du marché des prises en contrôle par la nature du repreneur (salariés, individuel,
investisseur institutionnel, financier, industriel) avec quatre variables dichotomiques alors que
MPCCOGNSTRAT est une simple variable binaire prenant la valeur 1 si un nouvel actionnaire principal est
arrivé l'année du changement de dirigeant.
331
société acquéreuse, la société cible ou les deux ? De quelle création de valeur s'agit-il ? Pour
quelle partie prenante ? Quelles en sont les sources ? Certaines conditions sont-elles
nécessaires pour qu'il y ait une hausse de la performance ? Le marché des prises de contrôle
serait créateur de valeur uniquement lorsque la firme acquéreuse et la société cible sont
hétérogènes en termes d'allocation des ressources (Harrison et al., 1991, analyse du marché
américain antre 1970 et 1989), mais ce lien avec la performance n'a pas été validé dans les
études de Stewart et al. (1984), McDonald (1985) ou encore Lubatkin (1987). Healy et al.
(1992) concluaient eux à un accroissement de richesse des actionnaires de la société
acquéreuse et de la société cible d'autant plus marqué que les deux entreprises appartenaient
au même secteur. Martin et McConnell (1991) trouvaient, toujours pour le marché américain,
des taux de rentabilité anormaux positifs aussi bien pour l'acquéreur que pour la cible. Jensen
(1993) évaluait à 41% la plus value moyenne des sociétés cibles entre 1976 et 1990. Agrawal
et Knoeber (1996), qui se sont intéressés au caractère incitatif de ce mécanisme, trouvaient
une relation négative entre l'activité des prises de contrôle et la performance des firmes,
estimée par le Q de Tobin. Pour la France, Caby (1994) ne confirmait pas l'amélioration des
performances suite à une opération de fusion ou d'acquisitions (étude de 140 entreprises entre
1970 et 1990). Bessière (1998), à partir d'une étude d'évènements sur 41 opérations françaises
entre 1991 et 1997, trouvait lui un taux de rentabilité anormal moyen de l'ordre de 24% pour
les sociétés cibles.
Nos travaux viennent conforter la vision selon laquelle le marché des prises en contrôle
aurait en France un rôle réduit dans le système de gouvernance des entreprises. La menace
d'une OPA n'incite pas les équipes dirigeantes à être plus performantes. Lorsqu'il y a eu une
prise de contrôle, les apports cognitifs du repreneur ne sont pas confirmés, les firmes
concernées n'étant pas plus créatrices de valeur que les autres.
Le rôle du marché des prises de contrôle n'a pas d'influence sur la variation de performance
de la firme.
Nous avons tout de même vérifié si, à défaut d'agir seul, le marché des prises de contrôle
avait une influence lorsqu'il était pris en compte conjointement avec le marché des dirigeants.
332
13.4.2. Influence simultanée du marché des prises de contrôle et du marché managérial
sur la performance de la firme
La régression inclut cette fois les variables explicatives liées au rôle du marché managérial,
celles concernant l'intervention du marché des prises de contrôle (MPCDISC et
MPCCOGNSTRAT) et la variable de contrôle VARPIB, afin d'étudier l'existence d'une
éventuelle interaction entre les deux mécanismes.
R2 ajusté
F
Sign.
Nb observations
12,1%
2,476
0,005
141
- Tableau 97 : qualité de la régression testant l'influence simultanée des deux mécanismes sur
la performance –
La qualité de la relation au niveau global est satisfaisante, comme le montre le résultat du
test de Fisher. Le R2 ajusté est toujours relativement faible du fait des autres variables
influençant la variation de performance de la firme.
VARIABLES et constante
RECOMPENSE
SANCTION
COUTSDISC
VARAGE
VARDIPLOME
VARTYPEFORM
VARORIGINE
VARCOMPETGENERIQUES
VARCOMPETSECTEUR
VARCOMPETFIRME
COEFF β
(écart-type)
0,030
(0,110)
0,156***
(0,049)
0,005
(0,004)
-0,004
(0,004)
-0,215**
(0,084)
-0,108
(0,080)
0,098
(0,071)
-0,026
(0,029)
0,014
(0,018)
0,002
(0,003)
t
Sign.
VIF
0,274
0,785
1,779
3,145
0,002
1,100
1,196
0,234
1,432
-1,060
0,291
1,666
-2,569
0,011
1,291
-1,350
0,180
1,294
1,383
0,169
1,506
-0,877
0,382
1,209
0,786
0,433
1,371
0,711
0,478
1,606
333
VARIABLES et constante
VARPIB
MPCDISC
MPCCOGNSTRAT
Constante
COEFF β
(écart-type)
0,063*
(0,038)
0,028
(0,090)
-0,014
(0,139)
-0,014
(0,132)
t
Sign.
VIF
1,660
0,099
1,124
0,313
0,755
1,136
-0,100
0,921
1,606
-0,108
0,914
Les résultats significatifs sont signalés par : *** à 1%, ** à 5%, et * à 10%.
- Tableau 98 : résultats de la régression testant simultanément l'impact du marché managérial
et du marché des prises de contrôle sur la performance de la firme –
Les variables explicatives significatives ne sont pas modifiées par rapport aux régressions
effectuées séparément pour chacun des mécanismes : SANCTION et VARDIPLOME pour le
marché managérial,
VARPIB en variable de contrôle. Ni les valeurs ni le signe des
coefficients bêta des variables liées au rôle du marché managérial n'ont été modifiés en
introduisant les variables représentant le marché des prises de contrôle.
Ce mécanisme ne semble donc pas influencer le rôle du marché managérial dans le SGE,
contrairement à ce qui était attendu (complémentarité des mécanismes). Bien que décevant, ce
résultat, appuyé sur des tests empiriques, apporte cependant une contribution à la réflexion sur
les interactions entre ces deux mécanismes, car la non significativité des variables remet en
cause pour la France la vision théorique fréquemment proposée dans la littérature, selon
laquelle le marché des prises de contrôle serait un des composants majeurs du marché
managérial (Jensen et Ruback, 1983). Ni son impact sur la sanction ni sa capacité à réduire les
coûts d'enracinement des dirigeants (Shleifer et Vishny, 1988) ne sont confirmés dans notre
étude, les variables SANCTION et COUTSDISC n'étant pas modifiées. Le positionnement
très différent des marchés financiers et du marché des prises de contrôle en France et aux
États-Unis pourrait constituer une explication de nos résultats. Et rappelons que Shleifer et
Vishny, s'ils soulignaient la remise en cause des contrats implicites permise par les OPA,
concluaient aussi que l'effet global sur la performance de ces opérations était complexe à
estimer. A noter également que l'étude empirique de Kini et al. (2004), portant sur 279 prises
de contrôle aux États-Unis entre 1979 et 1998, n'a trouvé qu'un lien faible entre la probabilité
d'éviction du dirigeant suite à une prise de contrôle et la sous-performance de la firme
334
antérieure à l'opération. Le départ du dirigeant s'expliquait davantage dans leur analyse par les
désaccords relatifs au prix d'offre ou à la performance ultérieure attendue.
Le marché des prises de contrôle n'influence pas le rôle joué par le marché des dirigeants, la
complémentarité des deux mécanismes n'est pas confirmée.
Relativement aux voies d'intervention disciplinaires du marché managérial, Martin et
McConnell (1991) avaient validé le lien entre changement de dirigeant et offre publique :
dans leur étude de 253 opérations menées aux États-Unis entre 1958 et 1984, 41,90% des
dirigeants des sociétés concernées par une offre publique avaient été remerciés et ils l'avaient
été plus fréquemment lorsque la firme était moins performante que le secteur avant
l'opération. Mais ils n'ont pas pu confirmer le lien entre le caractère disciplinaire de l'OPA et
le niveau du taux de rentabilité anormal. D'autres études ont abouti à des résultats opposés :
Walsh et Ellwood (1991) ou encore Huson et al. (2001), qui, dans leur examen des
changements de dirigeants des grandes sociétés américaines cotées entre 1971 et 1994,
faisaient ressortir que la probabilité d'un départ forcé pour mauvaises performances ne variait
pas avec l'intensité du marché des prises de contrôle, estimée par le nombre d'articles du Wall
Street Journal faisant référence à ce thème pour chaque société les douze mois précédant le
changement de dirigeant. Pour l'Angleterre, l'étude de 643 opérations entre 1989 et 1996 de
Nuttal (1999) mettait en évidence que la probabilité de faire l'objet d'une OPA était
inversement proportionnelle aux performances antérieures de la firme. Pour la France,
d'autres éléments ont été testés. Grand (1991), à partir de son analyse de 14 OPA hostiles en
1985 et 1986, apportait un éclairage différent en concluant qu'une rotation des dirigeants plus
élevée protégeait les firmes d'une OPA hostile. Paquerot (1996), dans ses travaux sur
l'enracinement, s'était intéressé à l'impact des opérations de croissance externe sur le cumul
des mandats des dirigeants et confirmait une influence positive. Nos travaux apportent de
nouveaux éléments en montrant qu'une augmentation de l'impact positif sur la performance de
la sanction n'est pas observée dans un contexte de menace de prise de contrôle.
Sous la dimension cognitive, le marché des prises de contrôle ne fait pas non plus l'objet
d'un consensus. Leroy et Ramanantsoa (1997) soulignaient le double effet possible du marché
des prises de contrôle : d'un côté sa capacité à être une source d'apprentissage, par son apport
de pratiques et de références différentes, de l'autre l'impact négatif de l'incertitude, du
traumatisme et des conflits qu'il peut générer. Les travaux empiriques concernent
335
principalement l'impact du marché des prises de contrôle sur les décisions stratégiques (en
termes de recherche et développement, d'innovation), mais sans examiner l'impact de ces
changements sur la performance de la firme. Ils sont principalement menés sous forme d'étude
de cas, ce qui permet de mieux comprendre les mécanismes mais rend plus difficile la
généralisation. Certaines études quantitatives se sont intéressées plus spécifiquement à la
relation entre le marché managérial et le marché des prises de contrôle : Agrawal et Knoeber
(1996) par exemple ne trouvaient pas de lien entre l'activité des prises de contrôle, mesurée
par la proportion de firmes du même secteur (2-digit SIC code) ayant fait l'objet d'une
opération durant les sept dernières années, et le capital humain du dirigeant, estimé
sommairement par son ancienneté dans la firme. Nos recherches, qui développent beaucoup
plus les voies d'intervention du marché managérial, aboutissent à la même conclusion.
13.5. Influence du marché des biens et services sur le rôle joué par le marché
managérial
Mécanisme spontané de discipline des dirigeants, le marché des biens et services est
supposé sanctionner rapidement les erreurs d'un dirigeant en entraînant une baisse de
compétitivité de la firme. Il contribue ainsi à réduire la latitude discrétionnaire des dirigeants
et les incite à agir dans l'intérêt des actionnaires. Toute déviation dans le comportement des
dirigeants peut avoir des conséquences (perte de marchés, de clients…) pouvant aller jusqu'au
dépôt de bilan de la firme ou à la révocation du dirigeant, ou les deux.
Afin de prendre en compte l'influence de la concurrence dans le contrôle des dirigeants, la
variable MBSDISC comptabilise le pourcentage d'entreprises exerçant dans le même secteur
d'activité que la firme étudiée. 45% des entreprises de l'échantillon exercent leur activité
principale dans un secteur faiblement concurrentiel, moins de 1% des firmes recensées en
France ayant la même activité qu'elles. A l'opposé 7% d'entre elles sont en forte concurrence,
avec 10% et plus de firmes sur le même secteur. Il s'agit de la division 74 du code NAF99
révision 1 niveau 60, correspondant aux activités de services aux entreprises.
99
NAF : nomenclature d'activités française
336
Variable explicative
Fréquence par seuils
Nb d'obs.
MBSDISC
% de firmes du même secteur :
< à 0,5 % : 30%
de 0,5 à 1 % : 15%
de 1 à 5 % : 40 %
de 5 à 10 % : 8 %
> à 10 % : 7 %
161
- Tableau 99 : données descriptives sur le marché des biens et services -
13.5.1. Influence du marché des biens et services sur la performance de la firme
Elle a été testée par une régression comprenant la variable explicative MBSDISC et la
variable de contrôle VARPIB.
R2 ajusté
F
Sign.
Nb observations
1,9%
2,583
0,079
161
- Tableau 100 : qualité de la régression testant l'influence du marché des biens et services sur
la performance –
Une nouvelle fois la qualité de la régression n'est pas satisfaisante, avec un R2 ajusté et une
qualité de la relation au niveau global très médiocres.
VARIABLES et constante
MBSDISC
VARPIB
Constante
COEFF β
(écart-type)
0,363
(0,493)
0,072**
(0,034)
0,054
(0,056)
t
Sign.
VIF
0,737
0,462
1,000
2,159
0,032
1,000
0,955
0,341
Les résultats significatifs sont signalés par : *** à 1%, ** à 5%, et * à 10%.
- Tableau 101 : résultats de la régression testant l'impact du marché des biens et services sur la
performance de la firme -
Le marché des biens et services n'apparaît pas avoir une influence sur la performance de la
firme dans notre échantillon. Nous ne confirmons pas que son rôle (apport d'information,
réduction du slack managérial…) soit créateur de valeur.
337
Nous ne retrouvons pas les résultats de Nickell (1996) ou encore Berger et Hannan (1998),
qui validaient l'existence d'un lien entre ce mécanisme et la performance. Köke et Renneboog
(2005), dont nous avons déjà cité l'étude dans l'analyse des créanciers prêteurs, s'étaient
intéressés à l'influence de la compétition sur les efforts managériaux et sa conséquence sur la
création de valeur qui pouvait être engendrée notamment par une amélioration de la
productivité. Les auteurs ont confirmé une relation positive forte entre la productivité des
firmes et le niveau de compétition sur le marché des biens et services. Dans leur étude des
firmes cotées suédoises entre 1996 et 1998, Randoy et Jenssen (2004) aboutissaient à une
conclusion intéressante, car elle fait le lien avec deux de nos résultats : l'indépendance du
conseil d'administration réduisait la performance des firmes exerçant sur des marchés très
compétitifs, mais l'augmentait dans les sociétés faiblement soumises à la concurrence. Ceci
peut constituer une explication de l'absence de significativité de nos variables CADISC et
MBSDISC.
Le marché des biens et services n'explique pas la variation de performance entre les firmes.
13.5.2. Influence simultanée du marché des biens et services et du marché managérial
sur la performance de la firme
Nous avons également vérifié si le marché des biens et services intervenait à travers le
marché managérial. Ont été introduites dans la régression les variables explicatives liées au
rôle du marché managérial, la variable MBSDISC et la variable de contrôle VARPIB.
L'objectif est de voir si l'impact du marché des dirigeants sur la performance est modifié par la
prise en compte du marché des biens et services.
R2 ajusté
F
Sign.
Nb observations
12,7%
2,699
0,003
141
- Tableau 102 : qualité de la régression testant l'influence simultanée des deux mécanismes
sur la performance –
338
VARIABLES et constante
RECOMPENSE
SANCTION
COUTSDISC
VARAGE
VARDIPLOME
VARTYPEFORM
VARORIGINE
VARCOMPETGENERIQUES
VARCOMPETSECTEUR
VARCOMPETFIRME
VARPIB
MBSDISC
Constante
COEFF β
(écart-type)
0,038
(0,091)
0,155***
(0,049)
0,005
(0,004)
-0,004
(0,004)
-0,213**
(0,083)
-0,103
(0,081)
0,098
(0,071)
-0,028
(0,029)
0,015
(0,018)
0,003
(0,003)
0,062
(0,037)
0,112
(0,503)
-0,025
(0,114)
t
Sign.
VIF
0,425
0,672
1,217
3,141
0,002
1,108
1,184
0,239
1,436
-1,200
0,232
1,525
-2,574
0,011
1,278
-1,271
0,206
1,331
1,394
0,166
1,493
-0,960
0,339
1,188
0,837
0,404
1,332
0,737
0,462
1,593
1,671
0,097
1,096
0,223
0,824
1,131
-0,217
0,828
Les résultats significatifs sont signalés par : *** à 1%, ** à 5%, et * à 10%.
- Tableau 103 : résultats de la régression testant simultanément l'impact du marché managérial
et du marché des biens et services sur la performance de la firme –
L'impact sur la performance des voies d'intervention du marché managérial n'est pas
modifié par la prise en compte du marché des biens et services. Les variables significatives
sont identiques, de même que leurs bêta. L'impact de la sanction notamment ne varie pas avec
le degré de compétitivité du secteur. Une explication pourrait être tirée des réflexions
d'Hermalin (1992), qui s'était attaché à décomposer l'effet de la compétition sur le
comportement des dirigeants en quatre composantes. L'auteur concluait que chacune était de
signe ambigu et qu'il n'y avait pas de relation théorique entre le niveau de concurrence et le
comportement managérial, sauf sous certaines conditions développées dans son modèle.
339
Nos résultats peuvent être rapprochés des conclusions d'autres études empiriques. Pour les
États-Unis, Defond et Park (1999) concluaient à une augmentation de la fréquence du taux de
rotation des dirigeants dans les secteurs plus compétitifs, mais sans la lier à une sanction. Pour
le Canada, Bozec (2005) confirmait le lien entre l'intensité concurrentielle du marché des
biens et services et la performance, estimée par cinq indicateurs. Fee et Hadlock (2000)
parvenaient également à montrer empiriquement que les changements de dirigeants étaient
plus fréquents dans les firmes américaines exerçant sur des marchés compétitifs que celles
appartenant à des marchés monopolistiques, mais ne trouvaient pas de lien avec la sensibilité
du taux de rotation à la performance, ce qui rejoint nos conclusions.
D'après les résultats des deux régressions effectuées, notre hypothèse H15 n'est pas validée.
Le marché des biens et services n'influence pas le rôle joué par le marché managérial dans
le système de gouvernance des entreprises.
Pour effectuer une dernière vérification de l'imbrication des mécanismes, nous avons
effectué une régression les incluant tous. Elle a conforté les résultats précédents, aucune voie
d'intervention du marché managérial n'était modifiée, la sanction était toujours significative
au seuil de 1%, avec un bêta semblable, la variation du niveau de diplôme également, au seuil
de 5%, avec le même coefficient. La seule différence consistait en la perte de significativité de
CACOGN (nombre de firmes avec les lesquels les administrateurs sont en relation), qui
ressortait avec un t de Student de -1,456 (sign. 0,148). Aucune variable correspondant aux
autres mécanismes n'expliquait la variance de la performance de la firme.
L'existence d'interactions entre le marché managérial et les autres mécanismes de
gouvernance n'est pas confirmée dans nos tests.
340
Synthèse
Les tableaux 104a et 104b présentent une synthèse des résultats des tests des hypothèses
portant sur les interactions entre le marché managérial et les autres mécanismes.
Hypothèses
disciplinaires
H11
Objet
Validation
Rôle disciplinaire du conseil
d'administration
complémentaire à celui du
marché managérial
Non validée
Commentaires
Non confirmation de
l'influence positive du
pourcentage
d'indépendants au conseil
d'administration
H12
Rôle disciplinaire du marché
Non validée
Pas d'influence de ce
des prises de contrôle
mécanisme ni sur le rôle
complémentaire à celui du
du marché managérial ni
marché managérial
sur la performance de la
firme
H13
Accentuation de l'intervention
Non validée
Pas d'influence de ce
disciplinaire du marché
mécanisme ni sur le rôle
managérial en présence d'un
du marché managérial ni
actionnaire dominant
sur la performance de la
firme
H14
Rôle disciplinaire des
Non validée
Pas d'influence de ce
créanciers prêteurs
mécanisme ni sur le rôle
complémentaire à celui du
du marché managérial ni
marché managérial
sur la performance de la
firme
H15
Rôle disciplinaire du marché
Non validée
Pas d'influence de ce
des biens et services
mécanisme ni sur le rôle
complémentaire à celui du
du marché managérial ni
marché managérial
sur la performance de la
firme
- Tableau 104a: résultats des tests sur les interactions entre les mécanismes -
341
Hypothèses
cognitives
H16
H17
H18
H19
Objet
Validation
Commentaires
Rôle cognitif du conseil
d'administration
complémentaire à celui du
marché managérial
relativement à la construction
de la vision stratégique de la
firme
Rôle cognitif du marché des
prises de contrôle
complémentaire à celui du
marché managérial
relativement à la construction
de la vision stratégique de la
firme
Rôle cognitif du conseil
d'administration
complémentaire à celui du
marché managérial en matière
d'apport de compétences
Non validée
Pas d'influence sur le
rôle du marché
managérial mais effet
négatif sur la
performance du nombre
de relations des
administrateurs
Pas d'influence de ce
mécanisme ni sur le rôle
du marché managérial ni
sur la performance de la
firme
Rôle cognitif du marché des
prises de contrôle
complémentaire à celui du
marché managérial en matière
d'apport de compétences
Non validée
Non validée
Non validée
Pas d'influence sur le
rôle du marché
managérial mais effet
négatif sur la
performance du nombre
de relations des
administrateurs
Pas d'influence de ce
mécanisme ni sur le rôle
du marché managérial ni
sur la performance de la
firme
- Tableau 104b : résultats des tests sur les interactions entre les mécanismes Nos travaux apportent de nouvelles informations sur les interactions entre les mécanismes.
Celles-ci n'avaient pas été testées en relation avec l'ensemble du rôle du marché managérial. Il
ressort de nos tests que le marché des dirigeants a la même incidence sur la création de valeur
quels que soient les autres mécanismes pris en compte. Nous avons constaté une absence
d'effet sur la performance des créanciers prêteurs, du contrôle par les actionnaires, du marché
des prises de contrôle et du marché des biens et services. Concernant le conseil
d'administration, la part d'indépendants n'apparaît pas jouer de rôle significatif, par contre la
multiplicité des relations des administrateurs a une influence négative sur la performance,
mais faible.
342
Conclusion générale
Partant du constat que certains mécanismes de gouvernance étaient plus étudiés que d'autres
et que la théorie de la gouvernance restait encore à enrichir, nous nous sommes intéressés au
marché du travail des dirigeants, pour essayer de mieux appréhender son rôle au sein du
système de gouvernance et analyser sa contribution à la création de valeur. Les études étaient
en effet partielles sur ce mécanisme. Portant principalement sur les leviers de la sanction et de
la rémunération, elles n'envisageaient pas ses autres voies d'intervention et ne proposaient pas
de vision synthétique de son rôle.
Compte tenu de notre volonté de dresser un tableau le plus complet des possibilités du
marché managérial, nous avons retenu comme cadre théorique la grille de lecture synthétique
proposée par Charreaux (2002), qui nous a permis d'examiner ce mécanisme aussi bien sous
la dimension disciplinaire que sous la dimension cognitive.
Apports théoriques
Segment supérieur du marché du travail, le marché managérial obéit à des règles
particulières, en termes d'accession, de taux de rotation, de récompense. Il est lui-même
organisé en sous-segments, qui peuvent être définis à partir de la distinction entre marché
interne ou marché externe, ou encore relativement à des modes d'accès, comme les réseaux.
Le marché interne du travail favorise la continuité de la stratégie de l'entreprise, réduit
l'asymétrie d'information et valorise le capital humain lié à la firme, tandis que le marché
externe apporte une vision neuve, souvent synonyme de rupture. Ces deux composantes du
marché managérial sont liées entre elles, les passages d'un marché à l'autre sont possibles et le
marché externe peut servir de référence au marché interne. Nous avons proposé une synthèse
des modalités d'évaluation d'un dirigeant, fonction fondamentale du marché managérial.
L'évaluation de son capital humain est effectuée à travers des critères comme l'âge, la
formation, qui semble être particulièrement influente, notamment en France, l'expérience, le
capital social, à savoir les relations que le dirigeant peut mobiliser dans son intérêt et dans
celui de l'entreprise, et la transférabilité des compétences est analysée. Le dirigeant est aussi
apprécié en fonction de ses performances dans ses postes précédents. Enfin l'adéquation du
profil du candidat avec les besoins de l'entreprise est étudiée au moment de la sélection. En
343
France, les cabinets de recrutement, les réseaux et la promotion interne interviendraient
chacun pour environ un tiers des renouvellements des dirigeants. La fonction fondamentale
d'évaluation du marché managérial repose sur deux types d'efficience : une efficience
informationnelle, qui traduit la capacité du marché à utiliser toute l'information disponible, et
une efficience allocationnelle, s'il permet d'orienter vers les entreprises les candidats
répondant le mieux à leurs besoins.
Le dirigeant est soumis à cette évaluation tout au long de sa carrière, que l'intervention du
marché managérial soit implicite ou explicite. Nous avons en effet apporté des arguments en
faveur de l'existence d'une influence du marché managérial même dans des circonstances
habituellement considérées comme des barrières fortes à son exercice. Le marché managérial,
lorsqu'il ne joue pas de rôle explicite, est toujours là comme benchmark, ou comme source de
mise en concurrence potentielle, que ce soit pour l'entreprise comme pour le dirigeant. Par
exemple la succession d'un dirigeant par un héritier dans une firme familiale ne nous apparaît
pas constituer une remise en cause de l'intervention du marché managérial. Implicitement, les
actionnaires familiaux ont certainement été influencés dans leur décision par ce que le marché
managérial proposait, que ce soit pour la nomination ou la définition de la rémunération du
dirigeant. Quant à l'héritier, il a probablement accepté le poste après avoir vérifié que son
intérêt était de rester dans l'entreprise et non pas de mener une carrière externe. De même le
recrutement par l'intermédiaire de réseaux, souvent donné en exemple du mauvais
fonctionnement du marché managérial, peut être considéré comme un mode particulier
d'ajustement de l'offre et la demande. En réduisant l'asymétrie d'information, il contribue à
une meilleure estimation des compétences. En organisant une compétition particulière entre
les membres du réseau ou entre réseaux, il relève bien d'une évaluation relative basée sur la
mise en concurrence.
Si l'évaluation des dirigeants est à la base du rôle du marché managérial, d'autres voies
d'intervention potentielles ont été identifiées. Il s'agit, sous la dimension disciplinaire, de la
sanction des dirigeants inefficaces, de la récompense des dirigeants performants et de la
réduction des coûts disciplinaires. Le levier de la sanction s'exerce de manière préventive et
curative : d'une part, une mauvaise performance augmente le risque de révocation du
dirigeant, l'incitant ainsi à agir dans l'intérêt des actionnaires, d'autre part, lorsque le dirigeant
a fait l'objet d'un départ forcé, il subit des coûts personnels et la firme connaît une variation
positive de la performance. La récompense, quant à elle, est considérée comme une meilleure
344
incitation que la menace de sanction pour les dirigeants performants. Des qualités supérieures
permettraient au dirigeant d'être mieux rémunéré, mais augmenteraient également la
performance de la firme. Enfin la réduction des coûts disciplinaires traduit la remise en
question des contrats informels que l'ancien dirigeant avait pu mettre en place. Le recours à un
externe notamment est en effet considéré comme le moyen de faire disparaître les contrats qui
avaient pu être établis tacitement entre le dirigeant et les salariés ou toute autre partie
prenante. Les coûts liés à l'enracinement sont également concernés, le marché managérial
permettant leur réduction en favorisant le changement de dirigeant, le niveau de rentes qu'il
s'attribuait étant devenu une source de convoitise des équipes concurrentes, ou encore en
dissuadant le dirigeant de poursuivre une stratégie d'enracinement, pour ne pas porter
préjudice à sa réputation.
L'approche cognitive a permis d'attribuer au marché managérial deux autres voies
d'intervention potentielles : la contribution à la vision stratégique de la firme, l'apport et le
développement des compétences. L'influence du marché managérial sur les décisions
stratégiques de la firme peut s'effectuer à travers plusieurs leviers. Tout d'abord elle s'appuie
sur le lien entre les caractéristiques du dirigeant, qui ont été évaluées par le marché du travail,
et ses choix stratégiques, relation qui a fait l'objet d'un vaste courant de travaux, convergeant
vers la reconnaissance de son existence. Ensuite, elle suppose que le capital humain
managérial représente une des sources de l'avantage concurrentiel de la firme. Enfin, le
changement de dirigeant, encouragé par l'offre de candidats sur le marché managérial, est
généralement suivi par des réorientations stratégiques, notamment lorsque le successeur est un
externe. De plus, la confrontation des schémas cognitifs du nouveau dirigeant avec ceux des
autres membres de l'équipe dirigeante peut être source d'innovation et d'une amélioration de la
prise de décision. L'autre voie d'intervention cognitive, l'apport et le développement de
compétences, traduit la capacité du marché managérial à échanger et faire acquérir des
connaissances et des compétences. Il s'agit tout d'abord des compétences apportées par le
dirigeant que le marché managérial a contribué à sélectionner, les capacités managériales
étant supposées être génératrices de rentes. Ces compétences ont été évaluées par le marché
du travail, pour leur valeur mais aussi leur adéquation aux besoins de l'entreprise. Ceux-ci
évoluant, le marché managérial, en favorisant la rotation des dirigeants, offre à la firme la
possibilité d'adapter ses compétences. Il contribue également à enrichir les capacités du
dirigeant, en élargissant la base de ses connaissances, en multipliant ses expériences et en
développant son adaptabilité au changement. Il influence aussi l'évolution des compétences
345
des autres parties prenantes de la firme, le nouveau dirigeant servant de référence et
participant au développement de l'apprentissage organisationnel.
Ces cinq voies d'intervention constituent, en plus de la fonction fondamentale d'évaluation,
les différentes facettes du rôle du marché des dirigeants. Leur prise en compte globale apporte
une vision synthétique du marché managérial, et constitue une base pour tester l'influence de
ce mécanisme sur la création de valeur dans la firme. Cependant, pour enrichir notre modèle
explicatif du rôle du marché managérial dans le système de gouvernance des entreprises, nous
avons ajouté deux étapes. Nous nous sommes en effet intéressés aux facteurs de contingence
susceptibles de modifier son rôle, puis, dans une vision systémique du dispositif, nous avons
cherché à appréhender quelle influence les autres mécanismes de gouvernance pouvaient
avoir sur le marché managérial, en termes de substitution ou de complémentarité.
Les facteurs de contingence étudiés sont conformes à notre cadre théorique et appartiennent
à deux familles : ceux liés à la firme et ceux dépendant du dirigeant. Les premiers sont
constitués par la structure de propriété et le secteur d'activité. La structure de propriété
influence le rôle des mécanismes disciplinaires, en conditionnant les besoins d'alignement des
intérêts des dirigeants et des actionnaires. Elle est susceptible de modifier l'impact des trois
voies d'intervention disciplinaires du marché managérial. La vision la plus fréquente est que la
sanction serait plus utilisée dans les firmes contrôlées, puis dans les firmes managériales, les
firmes familiales étant celles y ayant le moins recours. Sous la dimension cognitive, la
contribution à la vision stratégique et l'apport de compétences du marché managérial varierait
selon la structure de propriété. L'implication des actionnaires principaux étant plus forte et
leur expertise relativement aux besoins de la firme étant plus développée, il est supposé que le
rôle cognitif du marché des dirigeants soit renforcé dans les firmes familiales et contrôlées,
limité dans les firmes managériales. Le secteur d'activité apparaît également pouvoir modifier
l'ensemble des voies d'intervention du marché managérial. A l'intérieur d'un même secteur,
l'asymétrie d'information serait réduite, favorisant les leviers de sanction et de récompense. La
base de connaissances communes à un même secteur favoriserait la réduction des conflits
cognitifs, permettrait une meilleure vision des opportunités stratégiques et la transférabilité
d'une partie des compétences renforcerait l'apport du marché managérial.
En ce qui concerne les déterminants liés au dirigeant, trois facteurs ont été identifiés : la
stratégie de carrière externe, la proximité de la retraite et l'appui de réseaux. Les perspectives
346
de carrière, en réduisant les conflits d'intérêt entre les dirigeants et les actionnaires, en
augmentant l'incitation à la performance, en influençant les décisions stratégiques du
dirigeant, sont supposées venir renforcer le rôle disciplinaire et cognitif du marché
managérial. La proximité de la retraite pourrait engendrer des effets plus contrastés, la vision
la plus fréquente étant qu'elle réduirait le rôle disciplinaire du marché des dirigeants, la
menace de sanction n'étant plus effective, mais pourrait accroître son rôle cognitif, le dirigeant
ayant cumulé plus d'expériences et de connaissances. Le sens de l'influence des réseaux ne
fait pas non plus l'objet d'un consensus. Généralement considérés comme des freins à
l'intervention disciplinaire du marché managérial, les réseaux peuvent aussi apporter leur
concours en réduisant l'asymétrie d'information, en renforçant la compétition ou encore en
favorisant la sanction d'un des leurs pour ne pas ternir la réputation du groupe. Leur impact
sur le rôle cognitif du marché des dirigeants apparaît lui plutôt positif, le capital social des
dirigeants favorisant la mise en place de partenariats et l'établissement de nouvelles relations
pour l'entreprise.
L'imbrication des mécanismes a fait l'objet de la dernière partie de l'analyse. Elle peut
engendrer des phénomènes de substitution ou de complémentarité. Cinq mécanismes ont été
identifiés comme pouvant interférer avec le rôle disciplinaire du marché managérial : le
conseil d'administration, le contrôle direct par les actionnaires, les créanciers prêteurs, le
marché des prises de contrôle et le marché des biens et services. Deux mécanismes sont
apparus avoir une influence potentielle sur son rôle cognitif : le conseil d'administration et le
marché des prises de contrôle.
L'interdépendance des mécanismes semble jouer dans le sens de la complémentarité sur les
voies disciplinaires du marché managérial. L'efficience du marché des dirigeants relativement
à la sanction comme à la récompense serait liée à celle du conseil d'administration sur ces
leviers. Le marché des prises de contrôle favoriserait le remplacement des équipes moins
performantes, contribuerait à récompenser les dirigeants compétents et remettrait en cause
l'existence de contrats informels, en complémentarité du marché managérial. Les départs
forcés seraient plus nombreux et le recours au marché managérial plus fréquent en présence
d'un actionnaire principal. Les créanciers prêteurs renforceraient le contrôle et pourraient
apporter des informations au marché managérial. Le marché des biens et services, en
accroissant la compétition entre les firmes, réduirait le slack managérial, augmenterait le taux
347
de rotation des dirigeants, améliorerait l'évaluation de performance relative des dirigeants,
facilitant ainsi leur sanction ou leur récompense.
L'effet de l'imbrication des mécanismes sur le rôle cognitif du marché managérial relèverait
moins systématiquement de la complémentarité. Le conseil d'administration, en participant à
la stratégie de l'entreprise, peut être source de conflits cognitifs avec le dirigeant, ou au
contraire contribuer à enrichir la vision de celui-ci. De plus l'implication dans la stratégie
semble varier d'un conseil d'administration à un autre. L'apport de compétences des
administrateurs semble par contre bien constituer une complémentarité avec le rôle du marché
managérial, dans une vision d'accumulation de connaissances. Le marché des prises de
contrôle est souvent associé à des changements stratégiques importants. La complémentarité
ou la substitution avec le rôle joué par le marché des dirigeants dépend alors du caractère
imposé des réorientations décidées le repreneur. Considéré comme vecteur d'acquisition de
compétences, le marché des prises contrôle semble pouvoir intervenir en complémentarité
avec le marché managérial en terme d'apport de compétences, mais pour les mêmes raisons
que pour la vision stratégique, l'existence de conflits cognitifs peut aussi réduire les
possibilités de développement des compétences.
L'ensemble de ces cheminements théoriques ont permis d'aboutir à la finalisation du
modèle explicatif du rôle du marché des dirigeants dans le système de gouvernance des
entreprises, qui est présenté dans la figure 25.
348
FINALISATION DU MODELE
Structure de
propriété
Intervention
implicite
Marché des
dirigeants
Intervention
explicite
Secteur
activité
Rôle comme
mécanisme
de
gouvernance
Réseaux
relationnels
Proximité
de l‟âge de
la retraite
Stratégie
carrière externe
voies
d‟intervention
disciplinaires
Création de la
valeur dans la
firme
voies
d‟intervention
cognitives
Rôle joué par
les autres
mécanismes
- Figure 25 : modèle explicatif final -
Les hypothèses découlant de ce modèle, tant sur les voies d'intervention du marché
managérial que sur les facteurs de contingence et l'imbrication des mécanismes, ont été testées
sur les sociétés françaises cotées ayant changé de dirigeant entre 1996 et 2004. Le cas français
a retenu notre attention car il a fait l'objet de moins d'études empiriques que les pays anglosaxons, mais aussi car il a une image de forte spécificité, notamment du fait de l'existence de
réseaux. Nous nous sommes concentrés sur le changement de dirigeant car il permettait de
mieux isoler l'influence du dirigeant et constituait une période d'information importante,
notamment sur le levier de la sanction. Les données recueillies ont servi à alimenter deux
études. La première, descriptive, portant sur 1007 dirigeants ayant été en poste entre 1996 et
2005, a dressé un tableau du marché managérial français sur une période récente et du profil
des dirigeants des sociétés cotées. La seconde a été le test du modèle, sur un échantillon de
165 dirigeants ayant été nommés entre 1996 et 2004. Nous avons choisi de mener une étude
quantitative pour plusieurs raisons : faciliter le rapprochement avec des travaux antérieurs,
limiter les biais de collecte et d'information (interroger des dirigeants posait en outre le
349
problème de la difficulté d'obtenir des entretiens) et permettre une généralisation au sens
statistique des résultats.
Apports empiriques et implications managériales
L'étude descriptive a fait ressortir une image contrastée du marché managérial français.
Avec un taux de rotation moyen sur la période de 6,9%, une durée moyenne des mandats de
onze ans, il apparaît au premier abord faiblement actif. Mais les changements de dirigeants
sont en augmentation, 10% d'entre eux ont été remplacés en 2005, et le levier de la sanction
semble particulièrement utilisé en France, avec un taux de départs forcés de 18,6% en
moyenne sur la période, culminant à 40% en 2005, ce qui représente un des taux les plus
élevés des pays industrialisés. La moitié d'entre eux étaient dus à de mauvaises performances,
39% à des divergences stratégiques entre le dirigeant et le conseil d'administration ou les
actionnaires, 11% à l'arrivée d'un nouvel actionnaire principal. 56% des départs forcés avaient
été suivis du recrutement d'un dirigeant externe. Le marché managérial français permettrait en
outre d'accéder plus rapidement au poste de dirigeant que le marché américain (après un peu
moins de vingt ans de vie professionnelle, contre vingt-quatre ans aux États-Unis). Les
dirigeants français ont été nommés en moyenne à 44 ans, deux ans plus jeunes que leurs
homologues américains. Si les créateurs (34%) et les dirigeants d'origine interne (39%) sont
les plus représentés, un dirigeant sur cinq a été recruté à l'extérieur. Le recours au marché
externe apparaît plus important en France que dans les autres pays industrialisés et demeure
orienté à la hausse.
L'analyse du profil des dirigeants des sociétés cotées françaises entre 1996 et 2005
confirme la prise en compte des critères évoqués dans la vision théorique de la fonction
d'évaluation du marché managérial. La formation est un critère fort : quatre dirigeants français
sur cinq ont effectué au moins cinq années d'études supérieures, se situant ainsi sensiblement
au même niveau que les américains. Les écoles d'ingénieur constituent la formation la plus
demandée (22%, et même 33% en incluant L'École Polytechnique). Seulement 10% des
dirigeants de notre échantillon sont issus des grands corps. La formation internationale,
faiblement recherchée il y a dix ans, a contribué à la sélection d'un tiers des dirigeants en
2005. La diversité de l'expérience semble un critère demandé : les dirigeants ont occupé en
moyenne 2,4 postes de direction avant d'être nommés, ont connu trois autres fonctions
différentes, ont exercé à l'international pour 36% d'entre eux. Avoir occupé des fonctions dans
350
un ministère n'est pas un parcours obligé, moins d'un dirigeant sur cinq est passé par le service
de l'État. L'expérience sectorielle semble un facteur de sélection, comme aux États-Unis : plus
de la moitié des dirigeants français n'ont connu qu'un secteur d'activité (sur une distinction en
six secteurs), seulement 12% n'avaient pas d'expérience du secteur avant d'être nommés. La
prise en compte du capital humain spécifique à la firme est également importante en France,
67% des dirigeants nommés étaient déjà dans l'entreprise depuis plus d'un an, mais elle est
moins systématique qu'aux États-Unis et surtout l'expérience inter-firmes est aussi recherchée
conjointement : un dirigeant est recruté car il connaît la firme mais aussi parce qu'il a
développé des compétences dans d'autres entreprises. Le profil des dirigeants varie avec la
structure de propriété. Dans les firmes familiales, ils sont plus jeunes, ont un niveau d'études
moins élevé, ont moins de formation et d'expérience internationales, ne sont que 11% à avoir
été recrutés en externe, et accèdent plus rapidement au poste de dirigeant.
Pour tester l'incidence du rôle du marché managérial sur la création de valeur, nous avons
retenu comme mesure de performance la méthode utilisée par Fernandez et Villanueva (2005)
pour calculer la valeur créée pour les actionnaires. C'est la variation moyenne sur deux ans de
cette mesure avant et après le changement de dirigeant qui a été prise en compte.
Si la qualité au niveau global de la relation étudiée entre la performance et les voies
d'intervention du marché managérial est bonne, permettant de conclure sur le rôle joué par le
marché des dirigeants, la faiblesse du coefficient de détermination nous a conduits à
relativiser la place du dirigeant dans la firme et son influence sur la création de valeur. Si son
impact sur la performance n'est pas remis en cause, il demeure modeste et ne confirme pas la
vision de certains courants théoriques attribuant une place centrale au dirigeant.
Le rôle du marché managérial apparaît bien avoir une influence significative sur la création
de valeur dans la firme, à travers trois des voies d'intervention que nous avons identifiées,
deux disciplinaires et une cognitive. Il contribue tout d'abord positivement à la performance à
travers le levier de la sanction et son impact semble être de plus en plus significatif, si l'on
compare nos résultats aux études antérieures du marché français (Dherment-Férère, 1996).
Nos travaux confirment l'existence d'un lien entre le départ forcé d'un dirigeant et le retour à
de meilleures performances, qui fait globalement l'objet d'un consensus aussi bien pour les
pays anglo-saxons que pour la France. Le marché managérial intervient également à travers la
réduction des coûts disciplinaires, la remise en cause de l'enracinement étant créatrice de
351
valeur. Des études antérieures pour la France (Paquerot, 1996, Pigé, 1998) avaient conclu à un
effet négatif de l'enracinement du dirigeant sur la performance. Nous avons apporté un
éclairage complémentaire en montrant que la suppression de l'enracinement engendrait de la
création de valeur dans la firme.
Sous la dimension cognitive, les réorientations stratégiques consécutives au remplacement
d'un dirigeant d'origine interne par un candidat recruté à l'extérieur ont un impact positif sur la
variation de performance de la firme. Nos résultats sont plus marqués que ceux de DhermentFérère (1998), ce qui laisserait supposer que la relation se soit renforcée entre les deux
périodes étudiées, et permettent de conforter pour la France les conclusions obtenues pour les
États-Unis (Shen et Cannella, 2002, Helfat et Bailey, 2005) ou au niveau mondial (Péladeau
et al., 2005). Ce résultat est à rapprocher de l'effet positif de la sanction, car 56% des
dirigeants ayant fait l'objet d'un départ forcé ont été remplacés par un candidat externe. Nos
travaux ont également mis en évidence que la formation avait une incidence, à travers la
variation de niveau de diplôme entre l'ancien et le nouveau dirigeant : lorsqu'il y a un écart,
qu'il soit à la hausse ou à la baisse, l'effet sur la performance de la firme est négatif. Ce
résultat accrédite l'idée selon laquelle le niveau de formation et la vision stratégique
développée seraient liés. Il apporte un nouvel éclairage, les études précédentes s'étant
concentrées sur le lien entre la formation et la performance, sans d'ailleurs dégager de
consensus (absence d'influence pour le marché français, Pigé, 1993, supériorité des MBA,
Bertrand et Schoar, 2003), alors que nous avons analysé l'impact du changement de formation
entre deux dirigeants. L'incidence négative de celui-ci justifie le choix d'une entreprise de
recruter un dirigeant issu de la même formation que son prédécesseur. Par contre elle remet en
question la vision selon laquelle un niveau d'études plus élevé traduirait des capacités
supérieures, car la variation ressort avec un impact négatif sur la performance qu'elle soit à la
baisse comme à la hausse.
Ni l'âge, ni l'écart de compétences génériques, sectorielles ou liées à la firme, n'apparaissent
avoir d'incidence sur la création de valeur. Peu d'études empiriques ont été menées sur le lien
entre les différents types de compétences et la performance de la firme. Datta et Rajagopalan
(1998) avaient déjà mis en évidence que les compétences sectorielles du dirigeant
n'expliquaient pas la performance de la firme. Nos résultats confirment l'absence de cette
relation, ce qui conduit à s'interroger sur le bien-fondé des critères de sélection identifiés dans
la partie descriptive. La non significativité des compétences spécifiques à la firme tendrait par
352
contre à souligner une meilleure efficience de la sélection en France, les dirigeants recrutés
ayant moins d'ancienneté dans la firme que leurs homologues américains, et l'expérience
inter-firmes étant également valorisée.
L'introduction des déterminants dans les tests du modèle a mis en évidence l'incidence de la
structure de propriété. Nos travaux ont déjà permis, dans un premier temps, de confirmer pour
la France sur une période récente que les entreprises familiales étaient plus performantes, en
cohérence avec les résultats de Sraer et Thesmar (2007), ou encore pour le marché américain
de Anderson et Reeb (2003) et Villalonga et Amit (2006). Ils confortent ainsi la vision des
firmes familiales, dont la force résiderait dans la recherche de pérennité, dans l'optique long
terme des dirigeants, dans la loyauté du personnel…
Relativement au rôle du marché
managérial, son intervention disciplinaire est plus significative dans les firmes contrôlées que
dans les firmes familiales, où la sanction n'est pas influente, conformément à nos hypothèses.
Là encore nous retrouvons un résultat déjà constaté pour la France, mais sur une période plus
ancienne (Pigé, 1993), et pour les pays anglo-saxons (Parrino, 1997, Denis et al., 1997,
Schulze et al., 2001). Sous la dimension cognitive, c'est au contraire dans les firmes familiales
que le rôle du marché managérial est plus prononcé. Alors qu'une seule des voies
d'intervention est significative pour les firmes contrôlées, la variation d'origine, la variation du
niveau de diplôme, la variation de la nature de la formation influencent toutes les trois la
création de valeur dans les firmes familiales, la première positivement et les deux autres
négativement. Nos résultats confortent pour la France les conclusions des études américaines
(Anderson et Reeb, 2003, Villalonga et Amit, 2006) : les entreprises familiales progressent en
performance lorsqu'elles décident de rompre avec la tradition et de recruter un dirigeant
d'origine externe. Ils sont novateurs en ce qui concerne la formation. Nous avons mis en
évidence que dans les firmes familiales, la performance était positivement liée à la proximité
des profils en termes de formation du nouveau dirigeant et de son prédécesseur. Comme nous
avons souligné dans la partie descriptive que les créateurs et les héritiers avaient souvent un
niveau d'études plus faible que la moyenne des dirigeants, ceci tendrait à montrer que le choix
d'un successeur d'origine externe, pour apporter les meilleurs résultats, ne devrait pas être
fondé sur la recherche d'un niveau de formation plus élevé. Il est intéressant de souligner que
la prise en compte de la dimension cognitive a permis de remettre en cause la vision
habituelle selon laquelle le marché managérial n'interviendrait pas dans les firmes familiales.
Dans les firmes contrôlées, ce sont les variations de compétences génériques qui influencent
la performance, mais négativement, contrairement à ce qui était attendu. L'augmentation de ce
353
type de compétences a une incidence négative sur la création de valeur. Il ressortait pourtant
comme un critère de sélection dans la partie descriptive.
L'influence des autres déterminants sur le rôle du marché managérial n'a par contre pas été
confirmée. Ni le secteur d'activité, ni la stratégie de carrière externe du dirigeant, ni la
proximité de la retraite n'apparaissent modifier son intervention dans le système de
gouvernance. Il en va de même pour les réseaux, aucun des trois réseaux étudiés : grandes
écoles, ministères, grands corps, n'a d'impact significatif. Cette absence de relation constitue
un résultat intéressant, car elle remet en cause l'idée très répandue selon laquelle les réseaux
se substitueraient au marché managérial en France. Il n'y a pas d'écart de performance entre
les firmes choisissant de recruter un membre de ces grands réseaux et les autres firmes. Le
rôle du marché managérial relatif à la sanction est créateur de valeur que le successeur nommé
vienne d'un réseau ou non, ce qui tendrait à montrer que le caractère incitatif est le même dans
les deux cas. Les voies d'intervention du marché managérial ne sont pas modifiées par la
présence de réseaux. Nos travaux viennent alimenter le débat sur cette question, les résultats
des études françaises n'étant pas convergents (moindre performance des dirigeants issus des
grands réseaux pour Kramarz et Thesmar, 2006, performance supérieure pour Yeo et al.,
2003, pas de relation pour Carminatti-Marchand et Paquerot, 2003).
Enfin nous avons étudié l'impact de l'imbrication des mécanismes. Nos tests n'ont pas
permis de confirmer l'existence d'effets de complémentarité ou de substitution entre le rôle
joué par le marché managérial et celui exercé par les autres mécanismes analysés : le conseil
d'administration, le contrôle direct par les actionnaires, les créanciers prêteurs, le marché des
prises de contrôle et le marché des biens et services. Aucune influence n'a été observée, ni sur
les voies d'intervention disciplinaires, ni sur les voies cognitives. Nous n'avons pas trouvé par
exemple de lien entre la sanction et le pourcentage d'indépendants au conseil d'administration
ou encore le marché des prises de contrôle. Il faut souligner que cette relation ne fait pas
l'objet d'un consensus, en France comme dans les pays anglo-saxons.
Alors que l'influence du rôle du marché managérial sur la création de valeur a été confirmée
dans nos tests, nous n'avons pas trouvé d'impact significatif sur la performance de
l'intervention du contrôle direct par les actionnaires, des créanciers prêteurs, du marché des
prises de contrôle et du marché des biens et services. En ce qui concerne le conseil
d'administration, le pourcentage d'indépendants,
objet de nombreuses études mais qui
354
n'aboutissent pas une vision commune, n'a pas d'influence sur la performance des firmes dans
notre échantillon. Le nombre de firmes avec lesquelles les administrateurs sont en relation est
par contre significatif, mais avec un impact négatif sur la création de valeur, contrairement à
ce qui était attendu. Nos travaux confortent donc la vision disciplinaire plutôt que l'approche
cognitive relativement au nombre de mandats : un cumul trop important de mandats ne
permettrait pas aux administrateurs de se consacrer suffisamment à la surveillance et aux
contrôle des dirigeants. Cependant l'influence de cette variable étant très faible, la question
demeure de la possibilité d'effets contraires s'annihilant, et donc d'un impact positif éventuel
de la multiplication des relations sous la dimension cognitive, car elle traduit un apport de
connaissances et de réseaux plus important.
Limites et ouvertures
Un certain nombre d'idées n'ont pas été exploitées dans ce travail doctoral et constituent des
points d'approfondissement susceptibles d'apporter des éclairages complémentaires sur le rôle
du marché des dirigeants.
En matière d'opérationnalisation, nous avions souhaité prendre en compte la rémunération
des dirigeants pour la variable liée à la récompense. La difficulté de trouver l'information
avant la loi NRE de 2001 ne nous a pas permis de le faire. Il serait intéressant de vérifier sur
une période récente le caractère incitatif de cette voie d'intervention, que nous n'avons pu
établir avec notre opérationnalisation simplifiée. De même, l'absence d'influence de la plupart
des autres mécanismes sur le marché managérial et sur la performance est peut-être due à la
prise en compte trop réduite de variables pour chacun d'eux. Nous n'avons en effet utilisé
qu'une variable pour représenter le rôle disciplinaire d'un mécanisme et une pour son rôle
cognitif. Compte tenu de la complexité de l'influence des différents mécanismes, la prise en
compte d'autres éléments aurait peut-être permis d'établir un lien. Toujours relativement à la
vision systémique, nous avions soulevé le problème de la dimension temporelle. Celle-ci n'a
pas été étudiée dans nos travaux, or elle pourrait également constituer une piste pour déceler
des relations.
Nous avons choisi de mener une étude quantitative, pour les raisons qui ont été développées
précédemment. Ces travaux de recherche pourraient être approfondis en effectuant une étude
de cas, reposant à la fois sur la collecte de données publiques et l'interview des dirigeants de
355
la société concernée. Cette analyse complémentaire apporterait plusieurs éléments pour une
meilleure interprétation du rôle du marché managérial. D'une part, elle permettrait de mieux
comprendre comment s'effectuent les interventions que nous avons validées empiriquement,
par exemple, relativement à la sanction, d'identifier quelles actions et décisions ont été
choisies par le dirigeant sous l'influence du départ forcé de son prédécesseur et ont eu une
incidence positive sur la création de valeur. D'autre part, elle contribuerait à trouver des
explications à l'absence de significativité de certaines voies d'intervention, notamment de
revenir sur le lien non confirmé entre les différents types de compétences et la performance,
en permettant peut-être de mieux identifier l'impact de ces compétences sur la création de
valeur.
Nous avons développé dans la partie théorique des réflexions sur le caractère implicite ou
explicite du rôle du marché des dirigeants. La mise en évidence de ces deux dimensions n'a
été que partielle dans notre étude empirique. D'autres travaux statistiques pourraient permettre
d'aller plus loin, en s'intéressant par exemple à la notion de viviers de concurrence.
Concernant la généralisation de nos résultats, l'étude ayant porté sur les sociétés cotées, il
pourrait être envisagé de mener une enquête, par questionnaire, pour savoir dans quelle
mesure le modèle explicatif du rôle du marché managérial que nous avons proposé pourrait
être appliqué aux dirigeants de petites et moyennes entreprises.
Enfin des rapprochements pourraient être effectués avec des problématiques proches de la
nôtre. Nos développements théoriques notamment pourraient contribuer à alimenter la
réflexion sur un autre marché, celui des administrateurs, certainement proche du marché
managérial sur de nombreux points, les deux populations étant imbriquées. Il serait intéressant
de voir ce qui serait modifié dans notre modèle par l'étude des présidents de conseil
d'administration, non directeurs généraux, et d'autres administrateurs.
356
Annexes
Annexe 1 : définition de l'indépendance retenue pour les membres du conseil
d'administration (extraite du document diffusé par le MEDEF et l'AFEP en octobre 2003).
357
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384
Index des tableaux
Tableau 1 : Comparaison internationale des conseils d'administrations en 2003
Tableau 2 : taux de rotation des dirigeants entre 1996 et 2005, par pays
Tableau 3 : synthèse des études empiriques portant sur les départs forcés des dirigeants
Tableau 4 : comparaison internationale de l'actionnariat des sociétés cotées en 2003 - Rapport
de la commission internationale de l'IFA, 2005, p. 85
Tableau 5 : synthèse de l'influence attendue des déterminants
Tableau 6 : synthèse des effets de complémentarité ou de substitution attendus entre le marché
managérial et les autres mécanismes
Tableau 7 : récapitulatif des hypothèses théoriques relatives au rôle du marché managérial
Tableau 8 : récapitulatif des hypothèses relatives aux déterminants
Tableau 9 : récapitulatif des hypothèses relatives aux interactions avec les autres
Tableau 10 : détail des informations collectées dans la base initiale
Tableau 11 : opérationnalisation des variables explicatives
Tableau 12 : opérationnalisation des variables de contingence
Tableau 13 : opérationnalisation des variables représentant les autres mécanismes de
gouvernance
Tableau 14 : description des 637 sociétés françaises cotées constituant l'échantillon
Tableau 15: Répartition des firmes de l'échantillon selon la structure de propriété
Tableau 16 : caractéristiques des échantillons des études des dirigeants français prises en
comparaison
Tableau 17 : caractéristiques des échantillons des études internationales prises en
comparaison
Tableau 18 : taux de rotation annuelle des dirigeants des plus grandes capitalisations
boursières, Péladeau et al. (2005), p. 2
Tableau 19 : origine des dirigeants selon la structure de propriété
Tableau 20 : nombre moyen de postes effectués avant de devenir dirigeant selon l'origine
Tableau 21 : nombre moyen de postes effectués en fonction de la structure de propriété
Tableau 22 : répartition des mandats terminés entre 1996 et 2005 par tranches de durée
Tableau 23 : durée moyenne des mandats en fonction de l'origine
Tableau 24 : taux de départs forcés et motifs de départ
Tableau 25 : répartition par tranches d'âge des dirigeants à leur nomination
Tableau 26 : âge à la nomination des dirigeants : répartition en fonction de l'origine
Tableau 27 : âge à la nomination des dirigeants d'origine interne selon la structure de
propriété
Tableau 28 : tests de différence de moyenne sur l'âge à la nomination des dirigeants d'origine
interne selon la structure de propriété
Tableau 29 : niveau de formation des dirigeants à la tête des sociétés cotées françaises entre
1996 et 2005
Tableau 30 : niveau de formation des dirigeants selon leur origine
Tableau 31 : niveau de formation des dirigeants selon la structure de propriété
Tableau 32 : détail des formations supérieures des dirigeants
Tableau 33 : dirigeants issus des grands Corps selon la structure de propriété
Tableau 34 : formation internationale des dirigeants nommés entre 1996 et 2005
Tableau 35 : formation internationale des dirigeants selon la structure de propriété de la firme
qu'ils dirigent
Tableau 36 : formation internationale des dirigeants selon la taille de la firme qu'ils dirigent
Tableau 37 : comparaison des parcours des grands corps et des autres dirigeants
Tableau 38: comparaison des caractéristiques des sociétés dirigées
385
Tableau 39 : expérience professionnelle à l'international des dirigeants
Tableau 40 : expérience internationale des dirigeants selon la structure de propriété
Tableau 41 : expérience internationale des dirigeants selon la taille de la firme
Tableau 42 : nombre de secteurs dans lesquels le dirigeant a exercé, selon l'origine
Tableau 43 : principales caractéristiques des dirigeants de l'échantillon test
Tableau 44 : caractéristiques principales des 165 firmes de l'échantillon
Tableau 45 : répartition de la variable à expliquer
Tableau 46 : données descriptives sur les variables disciplinaires
Tableau 47: données descriptives sur les variables cognitives
Tableau 48 : qualité de la régression intégrant les variables disciplinaires
Tableau 49 : résultats de la régression intégrant les variables disciplinaires
Tableau 50 : qualité de la régression intégrant les variables cognitives
Tableau 51 : résultats de la régression intégrant les variables cognitives
Tableau 52 : qualité de la régression testant l'ensemble du rôle du marché managérial
Tableau 53 : résultats de la régression testant l'ensemble du rôle du marché managérial
Tableau 54 : évolution de la significativité de la variable COUSTDISC
Tableau 55 : synthèse des résultats des tests des hypothèses relatives à l'influence des voies
d'intervention du marché managérial sur la performance de la firme
Tableau 56 : rapprochement des résultats avec d'autres études empiriques
Tableau 57 : qualité de la régression testant l'influence de la structure de propriété
Tableau 58 : résultats de la régression testant l'impact de la structure de propriété dans la
relation étudiée
Tableau 59 : qualité de la régression testant séparément l'influence des différentes structures
de propriété
Tableau 60 : résultats de la régression en fonction de la structure de propriété
Tableau 61 : répartition de l'échantillon selon le secteur d'activité
Tableau 62 : qualité de la régression testant l'influence du secteur d'activité
Tableau 63 : résultats de la régression testant l'impact du secteur d'activité sur la relation
étudiée
Tableau 64 : qualité de la régression testant l'influence de la stratégie de carrière externe du
nouveau dirigeant
Tableau 65 : résultats de la régression testant l'impact de la stratégie de carrière externe du
nouveau dirigeant dans la relation étudiée
Tableau 66 : qualité de la régression testant l'influence de la proximité de la retraite du
nouveau dirigeant
Tableau 67 : résultats de la régression testant l'impact de la proximité de la retraite du
nouveau dirigeant dans la relation étudiée
Tableau 68 : qualité de la régression testant l'influence des réseaux ministériels du nouveau
dirigeant
Tableau 69 : résultats de la régression testant l'impact des réseaux ministères dans la relation
étudiée
Tableau 70 : qualité de la régression testant l'influence des réseaux ministériels du nouveau
dirigeant
Tableau 71 : résultats de la régression testant l'impact des réseaux des plus grandes écoles
dans la relation étudiée
Tableau 72 : qualité de la régression testant l'influence des réseaux grands corps du nouveau
dirigeant dans la relation étudiée
Tableau 73 : résultats de la régression testant l'impact des réseaux grands corps dans la
relation étudiée
Tableau 74 : synthèse des résultats relatifs à l'introduction des déterminants
386
Tableau 75 : données descriptives sur les conseils d'administration de l'échantillon
Tableau 76 : qualité de la régression testant l'influence du rôle du conseil d'administration sur
la performance
Tableau 77 : résultats de la régression testant l'impact du rôle du conseil d'administration sur
la performance de la firme
Tableau 78 : qualité de la régression testant l'influence simultanée des deux mécanismes sur la
performance
Tableau 79 : résultats de la régression testant simultanément l'impact du marché managérial et
du conseil d'administration sur la performance de la firme
Tableau 80 : moyennes des sous-groupes sur les variables et variance des variables
Tableau 81 : vérification de l'existence de différences de moyenne relativement à la sanction
Tableau 82 : moyennes des sous-groupes sur les variables et variance des variables
Tableau 83 : vérification de l'existence de différences de moyenne relativement à
VARDIPLOME
Tableau 84: données descriptives sur le contrôle par les actionnaires
Tableau 85 : qualité de la régression testant l'influence du contrôle par les actionnaires sur la
performance
Tableau 86 : résultats de la régression testant l'impact du contrôle direct par les actionnaires
sur la performance de la firme
Tableau 87 : qualité de la régression testant l'influence simultanée des deux mécanismes sur la
performance
Tableau 88 : résultats de la régression testant simultanément l'impact du marché managérial et
du contrôle par les actionnaires sur la performance de la firme
Tableau 89 : données descriptives sur la variable CREANCIERS
Tableau 90 : qualité de la régression testant l'influence des créanciers prêteurs sur la
performance
Tableau 91 : résultats de la régression testant l'impact des créanciers prêteurs sur la
performance de la firme
Tableau 92 : qualité de la régression testant l'influence simultanée des deux mécanismes sur la
performance
Tableau 93 : résultats de la régression testant simultanément l'impact du marché managérial et
des créanciers prêteurs sur la performance de la firme
Tableau 94: données descriptives sur le marché des prises de contrôle
Tableau 95 : qualité de la régression testant l'influence du rôle du marché des prises de
contrôle sur la performance
Tableau 96 : impact du rôle du marché des prises de contrôle sur la performance de la firme
Tableau 97 : qualité de la régression testant l'influence simultanée des deux mécanismes sur la
performance
Tableau 98 : résultats de la régression testant simultanément l'impact du marché managérial et
du marché des prises de contrôle sur la performance de la firme
Tableau 99 : données descriptives sur le marché des biens et services
Tableau 100 : qualité de la régression testant l'influence du marché des biens et services sur la
performance
Tableau 101 : résultats de la régression testant l'impact du marché des biens et services sur la
performance de la firme
Tableau 102 : qualité de la régression testant l'influence simultanée des deux mécanismes sur
la performance
Tableau 103 : résultats de la régression testant simultanément l'impact du marché managérial
et du marché des biens et services sur la performance de la firme
Tableau 104 : résultats des tests sur les interactions entre les mécanismes
387
Index des figures
Figure 1 : composition des conseils d'administration des sociétés du CAC40
Figure 2 : taux de renouvellement des dirigeants par secteur d'activité
Figure 3 : taux de départ des dirigeants par pays, en fonction de la raison du départ
Figure 4 : synthèse des voies d‟intervention du marché managérial, mécanisme de
gouvernance des entreprises
Figure 5 : conceptualisation du rôle du marché managérial
Figure 6 : introduction des facteurs de contingence dans le modèle explicatif
Figure 7 : prise en compte des interactions avec les autres mécanismes dans le modèle
explicatif
Figure 8 : modèle explicatif final
Figure 9 : Modélisation du rôle du marché managérial
Figure 10 : introduction des facteurs de contingence dans le modèle
Figure 11 : prise en compte des interactions avec les autres mécanismes
Figure 12 : répartition par tranche de chiffre d'affaires des sociétés de l'échantillon
Figure 13 : répartition par tranche d'effectif des sociétés de l'échantillon
Figure 14 : taux de rotation annuel des dirigeants français sur la période 1996 à 2005
Figure 15 : origine des dirigeants français sur la période 1996 à 2005
Figure 16 : évolution de l'origine des dirigeants français sur la période 1996 à 2005
Figure 17 : part d'externes dans l'étude mondiale de Péladeau et al. (2005, p. 6)
Figure 18 : modalités d'accession à un poste de dirigeant – Étude aux États-Unis de Cappelli
et Hamori (2005, p. 28)
Figure 19 : représentation graphique du taux de départs forcés et des motifs de départ
Figure 20 : motifs de départ des dirigeants au niveau mondial, Péladeau et al. (2005, p.2)
Figure 21 : Nombre de secteurs dans lesquels les dirigeants ont exercé
Figure 22 : Nombre de groupes fréquentés par les dirigeants au cours de leur carrière
Figure 23 : ancienneté dans le groupe des dirigeants ayant une expérience de la firme
Figure 24 : ancienneté dans le groupe des dirigeants ayant une expérience de la firme selon la
structure de propriété
Figure 25 : modèle explicatif final
Index des annexes
Annexe 1 : définition de l'indépendance retenue pour les membres du conseil d'administration.
388