L`imaginaire du complot - Reflexions

Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège
L'imaginaire du complot
27/01/09
Le complot a nourri de tous temps l'imaginaire des peuples. Cette clé explicative de la complexité
du monde, on la croyait cependant aujourd'hui révolue, reliquat d'un passé hanté par
l'irrationnel. En fait, nos démocraties modernes n'en sont pas préservées. Ce mythe a la vie
dure qui imagine une entente entre des personnes ourdissant un «projet concerté secrètement contre
la vie, la sûreté de quelqu'un, contre une institution» (Le Petit Robert). Peu de travaux ont
jusqu'ici placé l'analyse de ce phénomène sous l'angle unique et spécifique de la théorie
du complot et de l'imaginaire favorisant son usage dans le discours politique. Un champ relativement
neuf s'ouvrait ainsi à Jérôme Jamin, chercheur au Centre d'études de l'ethnicité et
des migrations (Cedem) de l'ULg.
Populisme et extrême droite sont souvent considérés, dans le langage
courant et notamment celui des médias, comme étant proches l'un de l'autre. En dépit de
leurs différences - le premier s'opposant avant tout aux élites et la seconde faisant preuve d'un
nationalisme virulent nourri de racisme et d'antisémitisme -, un ingrédient secret les anime et les relie.
Ce ciment, véritable élément fédérateur, est constitué par l'idée ou l'obsession du complot.
Telle est l'hypothèse posée par Jérôme Jamin et vérifiée dans son travail, grâce à l'examen
approfondi de ces deux expressions politiques.
Pour démontrer qu'il s'agit bien là d'un élément fondateur, il procède en trois étapes. En
premier lieu, il fait une construction idéaltypique de l'imaginaire conspirationniste, lequel renvoie à
un nombre considérable d'idées, de croyances, de symboles, de valeurs et d'images. Il renvoie
également à une épistémologie spécifique et à un ensemble de raisonnements particuliers pour expliquer la
politique et l'histoire. L'imaginaire du complot renvoie également à certains contenus génériques: le complot
des Illuminés de Bavière et/ou des francs-maçons, le complot juif -le Protocoles des Sages de Sion et ses variantes (judéo-maçonnique, judéo-bolchevique et américano-sioniste), le complot mondialiste, le
complot «américano-sioniste», etc. Quant à la formulation idéaltypique elle-même, elle consiste en une
tentative de description la plus complète possible d'un phénomène, en sachant pertinemment bien
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qu'on ne trouvera pas un exemple dans le réel qui corresponde totalement à cette description. Des
correspondances ou rapprochements peuvent être établis entre des terrains différents - en l'occurrence ici
des discours - et la formulation idéaltypique.
JAMIN J., L'imaginaire du complot. Discours d'extrême droite en France et aux Etats-Unis,
Amsterdam, Presses universitaires d'Amsterdam, 2009
Dans un deuxième temps, dans une perspective théorique, Jérôme Jamin confronte son tableau idéal à la
littérature consacrée au populisme et à l'extrême droite. A cette fin, il interroge les textes afin d'établir dans
quelle mesure ceux-ci évoquent le complot et la théorie du complot? A bien des égards, ces auteurs - parmi
lesquels Cas Mudde, Alain Bihr, Nonna Mayer, Pascal Perrineau et Pierre-André Taguieff - évoquent cette
notion bien évidemment mais ne le considèrent pas comme étant en son épicentre, même si certains points
mis en exergue dans les discours politiques confirment l'hypothèse de départ.
La troisième étape de la démarche du chercheur s'emploie, dans une approche inductive
et empirique, à confronter l'imaginaire du complot au terrain et donc à ce qui se dit chez les
leaders populistes et d'extrême droite. Chez ces porte-parole, les propos se rapprochent-ils ou
s'écartent-ils du tableau «idéal» du conspirationnisme? Deux d'entre eux, en fait, ont été
retenus à cette intention: Patrick Joseph Buchanan, né en 1938 à Washington, et Jean-Marie Le Pen,
originaire de la Trinité-sur-Mer dans le département du Morbihan où il voit le jour en 1928.
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Si Jean-Marie Le Pen est connu en France et chez nous,
rappelons ici que Pat Buchanan est une des principales figures du conservatisme radical aux Etats-Unis.
Plusieurs fois candidats à la Maison blanche, auteur de nombreux ouvrages et d'articles, Pat Buchanan
exerce une influence indéniable sur le conservatisme (notamment au niveau des oppositions entre néoconservateurs et paléo-conservateurs) mais aussi d'une manière générale sur le "political mainstream".
Il représente à lui seul une frange importante des individus qui soutiennent les idées véhiculées par les
groupes et partis populistes et/ou d'extrême droite aux Etats-Unis et dans ce contexte, la comparaison avec
Jean-Marie Le Pen s'est avérée très utile. Pour bien comparer, il faut que deux objets soient suffisamment
proches pour pouvoir être comparés et suffisamment éloignés pour mériter une comparaison - comparer
deux choses identiques étant sans intérêt. Dans son étude, Jérôme Jamin montre scrupuleusement
comment les contextes américains et français sont à la fois proches et différents sur le plan institutionnel,
politique et culturel et qu'à ce titre, la comparaison est utile et efficace. Basée sur plus de 14 ouvrages et de
35 discours produits par Jean-Marie Le Pen et Pat Buchanan entre 1984 et 2006 en France et aux EtatsUnis, l'étude empirique affiche l'importance cruciale de l'imaginaire et de la théorie du complot dans les
discours populistes et/ou d'extrême droite en France et aux Etats-Unis.
Pour chacun de ces leaders, voici deux déclarations caractéristiques de leur positionnement idéologique.
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"Il est faux d'affirmer que toutes les croyances et cultures puissent être assimilées de façon égale
dans une nation industrialisée issue de l'Angleterre, du christianisme et de la civilisation occidentale.
La race, la croyance religieuse, l'ethnicité et l'histoire laissent des empreintes génétiques
qu'aucune nation basée sur une idéologie particulière ne peut effacer (…) La race importe,
l'appartenance ethnique importe, l'histoire importe, la croyance religieuse importe, la nationalité
importe. Il faut tenir compte de ces facteurs, même s'ils ne sont pas les seuls à intervenir. Même
si l'idéologie multiculturaliste est généralement acceptée, les enseignements de l'histoire
vont dans le sens contraire. Voilà pourquoi les Européens ne veulent des Turcs dans l'Union
européenne. Pourquoi les Serbes n'accepteront jamais la perte du Kosovo au profit des Albanais."
(Etat d'Urgence, 2006)
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"Cependant, l'Amérique et l'Occident sont confrontés à quatre dangers clairs et immédiats :
le premier consiste en la disparition d'une population, le deuxième résulte de l'immigration en
masse de populations de couleurs, croyances et cultures différentes, laquelle change à tout jamais le visage
même de l'Occident. Le troisième danger est la dominance de plus en plus marquée en Occident
d'une culture anti-occidentale, profondément hostile aux religions, traditions et valeurs qu'il
défend, et qui déjà le déchire. Le dernier est la dissolution des nations et le passage des élites dirigeants
vers un gouvernement mondial dont la montée entraîne inéluctablement la fin des nations." (La mort de
l'Occident, 2001)
En définitive, à l'appui des trois étapes de sa recherche doctorale et à la lumière de quantité de déclarations
du type de celles citées ci-dessus, Jérôme Jamin montre que la théorie du complot fonctionne comme une
catégorie primordiale de l'explication politique dans les discours populistes et d'extrême droite occidentaux.
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