Familles homoparentales
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Familles homoparentales
104 famille&société Coopération N° 23 du 7 juin 2011 Familles homoparentales Là, mais pas légales Le Tribunal fédéral a rejeté le recours d’une femme qui voulait adopter l’enfant de sa compagne. Les familles arc-en-ciel ont la vie dure en Suisse. photo charly rappo/arkive.ch Doris (39 ans) et Barbara (46 ans) sont les deux mamans de Yohann (16 mois) et Yaël (3 ans). Cette famille vit à Genève. joëlle challandes C ertaines familles sont composées de deux mamans. Ou de deux papas, même si c’est plus rare. D’autres comptent un parent homosexuel, bisexuel ou transsexuel. Il s’agit là de quelques exemples de familles appelées arc-enciel. Depuis septembre 2010, l’association faîtière en Suisse Familles arc-enciel s’occupe de leurs intérêts. Pourquoi ont-elles besoin d’être défendues? «Elles existent. Des enfants sont là. Quoi qu’on en pense, il faut les protéger. Il est très difficile d’articuler des chiffres, mais de plus en plus de personnes homosexuelles s’accordent le droit d’être parents. Notre association milite en faveur des mêmes droits pour tous, pour la reconnaissance de toutes les familles dites alternatives», annonce Chatty Ecoffey, coprésidente. Elle connaît bien l’angoisse des personnes qui élèvent des enfants mais qui n’ont juridiquement aucun droit sur eux puisqu’elle en fait partie. En cas de séparation ou de décès du parent biologique, rien ne dit que les partenaires, appelés aussi parents sociaux, pourront continuer à garder des liens avec les enfants qu’ils élèvent. 105 En Suisse, la loi sur le partenariat enregistré entre personnes de même sexe entrée en vigueur en 2007 indique que si l’un des partenaires a des enfants, l’autre doit l’aider à l’entretenir et à l’élever. Mais elle interdit l’adoption et le recours à la procréation assistée. Nombreux sont ceux qui y voient une hypocrisie. Le 5 mai dernier, le Tribunal fédéral a rejeté le recours d’une femme qui voulait adopter l’enfant de sa compagne. L’Organisation suisse des gays PinkCross et l’Organisation suisse des lesbiennes LOS y voient une Elles racontent leur histoire Des parents avant d’être des lesbiennes Barbara et Doris ont reçu deux cadeaux en provenance de la garderie pour la Fête des mères. Elles sont en couple depuis dix ans. Ensemble, elles élèvent chez elles à Genève Yaël et Yohann. C’est Doris qui les a portés. Ses deux grossesses ont été possibles grâce à des dons de sperme et des inséminations artificielles. Elle a toujours eu envie d’avoir des enfants. Avec Barbara, elles ont laissé mûrir ce projet durant plusieurs années avant de prendre la décision de devenir mamans. «Au début, je ne pouvais pas concevoir que mes enfants n’aient pas de père», témoigne Doris. Toutes deux ont prévu de devenir parents avec des amis, mais elles ont abandonné lorsque l’un d’eux n’a plus souhaité participer. Elles ont alors recommencé à réfléchir. Leur envie d’être mères était toujours très présente. A deux, elles ont fini par se convaincre qu’elles avaient le droit de devenir parents, que leurs enfants pourraient se construire aussi bien que dans n’importe quelle autre famille et qu’elles pourraient assumer la différence et accompagner leurs enfants sur ce chemin. Tout se passe très bien jusqu’à maintenant à entendre ces deux mamans, éducatrice et infirmière en psychiatrie, qui travaillent à 70 et 80%. «On est aussi bien accueillies au Tessin, le canton d’où je viens», se réjouit Doris. «Je suis fière de ma famille. On est des parents avant d’être des lesbiennes», témoigne Barbara. Selon la loi suisse, elle n’a aucun droit sur ses enfants. «Je dois me battre pour les adopter. J’espère pouvoir le faire. J’aimerais être sûre qu’ils pourraient rester avec moi s’il arrivait quelque chose à Doris.» famille&société 107 Coopération N° 23 du 7 juin 2011 s i r a P h 4 5 2 s e d 1 e Gagn urs séjo * S SM & WIN photo GEtty images La vie n’est pas toute rose pour les familles arc-en-ciel de Suisse. Une association faîtière les défend depuis septembre dernier. discrimination. Elles estiment que la loi contredit le principe de bien-être de l’enfant. Une manifestation organisée par Familles arcen-ciel a eu lieu le 7 mai à Berne en faveur de la levée de l’interdiction d’adopter pour les personnes partenariées. Deux motions en ce sens ont été déposées et attendent une réponse du Conseil national. Les organisations homosexuelles attendent le débat avec impatience. En quoi deux papas ou deux mamans auraientils autant de légitimité à élever des enfants qu’un papa et une maman? «Procréer et élever des enfants sont deux dimensions distinctes. Si l’on accepte de définir davantage la parenté sur un engagement plutôt que sur l’union sexuelle procréatrice, alors ce qui importe c’est qui souhaite engager sa responsabilité, prendre soin des enfants plutôt que qui les fait», répond la Française Martine Gross, ingénieure de recherche en sciences sociales et auteure de L’homoparentalité (Que sais-je?, PUF). La coparentalité est un autre exemple de famille arc-en-ciel. Pascal Pellegrino élève sa fille de 4 ans et demi en coparentalité. Cet ancien journaliste, qui a écrit Papa gay (Ed. Favre) sur son expérience, a voulu que sa fille ait une maman et un papa. Concrètement, la fillette vit sous deux toits. Elle possède un foyer princi- pal chez sa maman et un foyer secondaire chez son papa. «Sa mère et moi aimons notre enfant comme tous les parents. Notre sexualité n’a rien à voir avec la façon dont nous l’élevons.» Lui n’a pas envisagé l’adoption. Il respecte les personnes qui font ce choix et regrette que la loi suisse ne leur fasse pas confiance en leur interdisant d’élever des enfants. Forum online Votre opinion sur les familles arc-en-ciel? www.cooperationonline.ch/arcenciel Exprime ta beauté Homoparentalité Quelques situations légales Ni la Suisse ni la France n’admettent l’adoption par des couples homosexuels, ni l’exercice partagé de l’autorité parentale. Le Danemark, l’Allemagne ou la Belgique autorisent les homosexuels à adopter les enfants de leur partenaire. Les Pays-Bas ont joué les précurseurs en Europe. L’autorité parentale partagée aux personnes de même sexe y est accordée depuis 1998. Depuis 2001, les couples homosexuels ont la possibilité d’y adopter des enfants, pour autant que ces derniers soient Néerlandais. L’adoption par des couples homosexuels est aussi acceptée en Suède et en Espagne. «Des cas d’une extrême banalité» La famille, sujet d’étude du psychiatre. Coopération. Robert Neuburger, que signifie à vos yeux de psychiatre une famille avec deux mamans ou deux papas? Robert Neuburger. Ce cas de figure n’a rien d’exceptionnel. Beaucoup de familles présentent un autre modèle que papa, maman et les enfants. On observe par exemple une augmentation des familles matrifocales. Elles réunissent la mère et la grandmère sous le même toit mais pas le père. Selon mon expérience en thérapie, les familles homoparentales sont d’une extrême banalité, des cas hypernormaux. Je vois un parallèle avec les familles recomposées. S’il y a problème, il vient de l’extérieur. Que pensez-vous de la coparentalité, qui consiste à faire des enfants sans être un couple et à se partager leur éducation? Il n’y a pas un modèle familial meilleur qu’un autre. Je dirais que le milieu est surtout important. La coparentalité peut être une solution. Il y a toujours eu des expérimentations, ce n’est pas nouveau. Souvenonsnous des communautés qui s’étaient formées dans les années 1970.