à quoi sert une œuvre d`art

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à quoi sert une œuvre d`art
« À QUOI SERT UNE ŒUVRE D’ART ? »
Par Norbert Godon, conférencier au Centre Pompidou et artiste
Lors de la première séance d’immersion dans le Musée nous avons constaté que les élèves
s’interrogeaient sur l’utilité des objets auxquels ils étaient confrontés. Avant de nous plonger dans
l’étude de l’œuvre dont nous allions explorer les moindres détails lors des séances à venir, il nous a
semblé nécessaire de répondre à leurs questions de la manière la plus concrète possible en partant
de leur position : considérer leur naïveté comme l’occasion d’une mise à distance et tenter de définir
l’intérêt de pratiques artistiques souvent présentées comme allant de soi. Nous avons alors pris le
parti de définir l’objet d’art contemporain à travers quelques-unes de ses fonctions sociales plutôt que
de nier toute fonctionnalité à celui-ci afin d’amener les élèves à s’interroger sur la notion d’utilité
même.
Pour répondre à la traditionnelle question « À quoi ça sert ? », nous leur avons tout d’abord proposé
de considérer le musée d’art comme un lieu investi d’un caractère sacré, leur expliquant que certains
artistes allaient jusqu’à envisager l’art comme une forme de religion au sens étymologique. Ils
venaient d’entrer dans un lieu dévolu à la seule contemplation, à l’étonnement et à une certaine
forme de réflexion impliquant l’acte de percevoir, « de penser avec les sens et de sentir avec
l’esprit ». Le fait de poser en amont la dimension sacrée de l’objet d’art nous permettait de répondre
par la même occasion à cette autre question classique : « Pourquoi ça coûte si cher ? » Cette
introduction terminée, nous leur avons donc proposé d’utiliser les objets exposés selon le protocole
que nous venions d’établir : en essayant de faire émerger le sens de l’expérience perceptive qu’ils
représentent, en partant de l’effet qu’ils peuvent produire sur eux à l’instant de la perception, et ce, en
essayant de mettre momentanément tout jugement de valeur de côté.
Pour l’un de ces préambules, nous nous étions arrêtés sur Le Pot doré de Jean-Pierre Raynaud qui
avait d’emblée attiré l’attention des élèves. Nous avons vu que cet objet, installé à l’entrée du Musée,
n’avait pas de fonction usuelle apparente mais faisait directement référence à un objet qui en avait
une. Sorte d’affirmation redoublée du caractère inutile de l’objet d’art. Au terme de nombreuses
questions, il leur est ainsi apparu que l’œuvre produisait un effet paradoxal : la banalité de la
référence au pot s’opposant au caractère monumental de l’ensemble, à la valeur symbolique de l’or,
ainsi qu’à la perfection géométrique de la forme circulaire. Nous en avons déduit que cette œuvre
pouvait être perçue comme un symbole, au sens littéral. Symbole de la quête de perfection formelle
que poursuivent certains artistes, symbole d’une quête spirituelle ancrée dans la vie de tous les jours,
ou, plus ironiquement, symbole du rapport sacralisé à l’art et au musée même. Nous avons alors
évoqué la question de la mythification de l’artiste, du caractère irrationnel des valeurs accordées aux
objets dans le champ culturel, comme une image de cette part d’irrationnel que l’on retrouve en
même proportion à l’échelle de tout le champ social. Les élèves comprennent que la valeur d’un objet
peut être uniquement déterminée par ce qu’on en raconte, ce qui en laisse quelques-uns perplexes.
Ces questions seront de nouveau abordées par la suite.

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