PAS A PAS Publication de la Commission d`éthique de L`Union
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PAS A PAS Publication de la Commission d’éthique de L’Union Romande des Institutions Anthroposophiques URIA Edito L’éthique est une réflexion critique sur l’ensemble du domaine moral ayant pour but d’orienter l’action. Dans quelle mesure l’éthique nous concerne-telle dans notre quotidien ? Dans ce premier numéro, nous vous offrons un texte critique et une analyse de situation, quelques pas dans cette direction. Pour le prochain numéro, nous attendons vos questionnements et commentaires pour nourrir le « Courrier des lecteurs ». L’IDEOLOGIE DES SOLUTIONS… Nous partons du constat que la société moderne manifeste un besoin accru de solutions efficaces et immédiates aux problèmes et difficultés rencontrés dans le quotidien. Pour s’en convaincre, il suffirait de questionner les formateurs d’adultes qui peuvent témoigner des énormes attentes en matière d’outils et de solutions. Notre propos n’est pas ici de discuter la mission d’une formation d’adultes mais d’interpeller « l’idéologie des solutions » qui règne dans nos sociétés contemporaines. Et plus encore le fait que penser dans la modernité se réduit bien souvent à identifier la solution et agir en conséquent. Nous avons ainsi une vision du monde qui se résume à un ensemble de problèmes et de solutions ; mais plus déconcertant, le processus s’inverse et nous avons à faire à un ensemble de solutions et de problèmes. Les solutions sont en fait des réponses clé en main catégorisées, disponibles selon le type de problèmes rencontrés. Les visées concernées par ces solutions touchent aux thèmes privilégiés de la modernité : authenticité, construction de soi, bonheur, bientraitance, etc. Y’a qu’à… Conjointement à ce mécanisme tautologique où la réponse précède la question, l’identité de l’individu moderne s’est considérablement fragilisée. Faute d’être étayé par des instances régulatrices, l’individu est ramené à son impuissance et parallèlement à sa toute-puissance d’ayant-droit. Il cherche à apaiser son rapport au monde par une inflation normative et par une normalisation des comportements, des désirs et des pensées (pensée unique, globalisation, politiquement correct). La pensée clé en main… Les problèmes, quant à eux, émergent de la complexité de l’existence et l’on voudrait que des solutions toutes faites puissent y répondre intelligemment et efficacement. N’est-ce pas un immense leurre ? Est-ce que la vie est à résoudre ? Est-ce que la vie est une succession de problèmes et de solutions sans autres aspects ? Et que faire des problèmes qui ne trouvent pas de solutions ? Ceux qui dérangent, ceux qui reviennent sans cesse, ceux qui sont en fait sans solutions ? L’idéologie des solutions et la pensée clé en main font l’impasse sur la complexité et nient au fond les limites de nos moyens, l’impuissance et la finitude de la condition humaine. Elles occultent la distinction à faire entre les actes qui relèvent de notre pouvoir et de notre liberté et ceux qui échappent à notre puissance d’agir et qui relèvent du déterminisme, du complexe ou de la nécessité. Et si pas de clé en main… De plus, les problèmes qui n’ont pas de solutions « pré-mâchées » ont tendance à être considérés comme des problèmes qui dérangent, qui troublent, car ils viennent menacer l’édifice de certitudes construites par l’idéologie moderne. Ainsi la mutation des populations, l’incivilité, la toxicomanie, l’obésité, l’imaginaire victimaire, la maltraitance, etc., bien qu’étant des problèmes pris au sérieux, restent insensibles aux solutions toutes faites. Et alors… ? Pour commencer, il faudrait peut-être accepter de ne pas vouloir tout maîtriser, enfermer, rendre définitif. De nombreux actes doivent ainsi sans cesse être répétés comme dormir, manger, aimer, ils ne répondent pas définitivement au problème qu’ils tentent de résoudre. Vivre implique la répétition d’actes anodins mais indispensables qui n’en finissent pas une fois pour toute avec la question posée par l’existence. Accepter de répéter des actes presque inlassablement et accepter que d’autres échappent à notre force constitue probablement la fondation d’une attitude qui pourra ensuite se construire sur une évaluation constante et une créativité sans relâche. Concrètement c’est accepter que certains problèmes que nous rencontrons dans le contexte professionnel (souffrance, autodestruction) ne peuvent être définitivement résolus, mais devront être l’objet d’une constante réévaluation et d’une créativité infinie aussi loin que nos ressources le permettront. L’équation ne se pose donc pas en termes de « problèmes = solutions » mais en termes de « processus = créativité ». L’issue se dessine dans la capacité de s’inscrire dans le mouvement de la vie et non de tenter de faire un « un arrêt sur image ». Les anciens stoïciens disaient volontiers « le destin conduit celui qui acquiesce et entraîne celui qui refuse ». Le travail de l’éthique est un travail de questionnement perpétuel qui ne s’arrange pas de solutions immédiates mais de solutions qui peuvent être significatives ici et maintenant et pas à un autre moment. Pas-à-pas… C’est dans cet esprit que nous souhaitons partager nos réflexions à propos de certaines difficultés soumises par des professionnels. Nous n’avons ni la prétention qu’elles soient décisives ni exemplaires, elles sont le fruit d’une réflexion critique telle qu’elle se caractérise dans une démarche en éthique appliquée. Nous espérons que les lecteurs sauront en saisir l’augure et l’opportunité d’un mouvement de pensée plus incertain mais sans doute plus humain. Ressources bibliographiques : Benasayag, Miguel. Connaître et agir, la Découverte, 2006 Ehrenberg, Alain. La fatigue d’être soi, Odile Jacob, 2000 Epictète. De la liberté, folio, 2005 Erner, Guillaume. La société des victimes, la Découverte, 2006 Lasch, Christopher. Le moi assiégé, Climats, 2008 Taylor, Charles. Grandeur et misère de la modernité, Bellarmin, 1992 Les petites violences au quotidien... Jean s’est enfin assis à table. Aline, l’éducatrice qui l’accompagne aujourd’hui, se sent épuisée et d’humeur maussade ; il ne lui a fallu pas moins d’une demi-heure pour parcourir le chemin de la chambre de Jean à la salle à manger, quelques pas en avant, en arrière, en avant, en arrière, immobilisation au milieu du couloir bloquant le passage, cris alentour. Elle a été très attentionnée, et s’est efforcée de comprendre et respecter patiemment le rythme de Jean. Mais c’est toujours la même chose, rien ne progresse et maintenant le repas va se dérouler comme d’habitude dans l’agitation ambiante ! Aline prend l’assiette de Jean, le sert et coupe devant elle soigneusement les aliments en petits morceaux. Combien de temps prendra-t-il aujourd’hui ? Elle se sent comme dans une bulle, à accomplir méthodiquement, consciencieusement et automatiquement les gestes nécessaires. Elle allonge le bras devant Jean pour poser l’assiette devant lui en lui souhaitant bon appétit et vlan ! Il agrippe son bras et la mord violemment et vlan en retour Aline lui tape le bras avec le revers de sa main ! Elle entend un tout petit cri rauque de Jean qui se jette sur son assiette et mange précipitamment comme cela ne lui arrive jamais ! Aline, elle, ne touche pas à son assiette, elle a du mal à réprimer un sanglot. Elle est une éducatrice chevronnée, appréciée de tous et elle réagit ainsi ! Autour personne ne semble avoir remarqué quelque chose d’anormal ! Tous sont habitués aux agressions de Jean, elles ne sont pas si graves. Elles font un peu mal mais il n’y a pas de réel danger et puis il ne fait pas cela à tout le monde, il faut savoir s’y prendre avec lui. Aline pourra difficilement parler de ce qui vient de se passer, puisqu’elle sera disqualifiée... Le lendemain Jean avait un gros bleu sur son bras avec la marque de la grosse bague d’Aline…. ... éclairées par l’éthique Jean s’est enfin assis à table. Aline, l’éducatrice qui l’accompagne aujourd’hui, se sent épuisée et d’humeur maussade ; il ne lui a fallu pas moins d’une demi-heure pour parcourir le chemin de la chambre de Jean à la salle à manger, quelques pas en avant, en arrière, en avant, en arrière, immobilisation au milieu du couloir bloquant le passage, cris alentour. Elle a été très attentionnée, et s’est efforcée de comprendre et respecter patiemment le rythme de Jean. Mais c’est toujours la même chose, rien ne progresse et maintenant le repas va être comme d’habitude dans l’agitation ambiante! (résister plutôt que se résigner ?) Aline prend l’assiette de Jean, le sert et coupe devant elle soigneusement les aliments en petits morceaux. Combien de temps prendra-t-il aujourd’hui ? Elle se sent comme dans une bulle, à accomplir méthodiquement, consciencieusement et automatiquement les gestes nécessaires. Elle allonge le bras devant Jean pour poser l’assiette devant lui en lui souhaitant bon appétit et vlan ! Il agrippe son bras et la mord violemment déshumanisation de Aline par Jean – l’autre devient objet et vlan en retour Aline lui tape le bras avec le revers de sa main ! déshumanisation de Jean par Aline. Elle entend un tout petit cri rauque de Jean qui se précipite sur son assiette et mange précipitamment comme cela ne lui arrive jamais ! Aline, elle, ne touche pas à son assiette, elle a du mal à réprimer un sanglot. Elle est une éducatrice chevronnée, appréciée de tous et elle réagit ainsi ! Ici la question relève de la présence d’autrui dans notre relation au monde ; malgré la situation est-ce que cet autre est encore respecté ? Respectare : regarder en arrière, i.e. prendre autrui en considération dans notre regard même s’il disparaît de notre champ visuel. Ni faire abstention de soi-même ni abstention d’autrui, telle serait la condition d’une restauration des « humanitudes » respectives. Autour personne ne semble avoir remarqué quelque chose d’anormal ! Tous sont habitués aux agressions de Jean, autorisation de la violence de l’autre et de la sienne elles ne sont pas si graves banalisation des actes – relativisme Elles font un peu mal mais il n’y a pas de réel danger et puis il ne fait pas cela à tout le monde, il faut savoir s’y prendre avec lui. Aline pourra difficilement parler de ce qui vient de se passer, puisqu’elle sera disqualifiée... La réflexion éthique prend le contre-pied du moralisme. Oser dire ce que d’autres n’osent pas dire. Car si certains blâment et disqualifient, c’est le plus souvent en fonction de ce qu’ils aimeraient être et non en fonction de ce qu’ils sont. Le lendemain Jean avait un gros bleu sur son bras avec la marque de la grosse bague d’Aline…. L’éthique considère la déshumanisation hors du cadre juridique, c’est-à-dire indépendamment de la conscience que la personne violente a de ses actes. Tout acte de violence destructive, c’est-à-dire qui est injuste et ne contribue pas à faire évoluer ou protéger, est constitutif de trois conditions quel que soit la gravité ou l’intensité de l’acte : 1. Une autorisation de la violence (elle est licite) 2. Une banalisation des actes (tous les actes se valent) 3. Une déshumanisation de la personne violentée (même si c’est très provisoirement comme lors de fessée ou de gifles infligées à un enfant), le mot est fort mais il est explicite, l’autre n’est plus un même que soi puisque il peut être frappé. Il n’est plus humain comme soi, mais un sous-humain, un humain qui peut être violenté, il est donc déshumanisé. Autoriser la violence, de soi ou de l’autre, autoriser les actes et leur gravité, ne plus considérer autrui sont les conditions de la violence destructive. PAS A PAS est une des contributions de la Commission éthique de l’Union Romande des Institutions Anthroposophiques (URIA). Cette commission est à disposition de toute personne concernée d’une façon ou d’une autre par la qualité des rapports humains au sein des institutions partenaires et notamment par les situations de maltraitance et de violence. Contacts Roger Cevey Responsable de la commission 079/242 32 05 [email protected] Didier Emery Secrétaire URIA 021/320 12 05 – 03 [email protected] Claire Morreale 021/971 14 96 [email protected] Marlyse Salcedo 021/612 40 20 [email protected] Pour vos réactions à publier sous la future rubrique « Courrier des lecteurs » de la prochaine parution de Pas à pas, merci de les faire à l’adresse électronique du secrétaire ou à son adresse privée : Didier Emery - « Secrétariat URIA » Chemin de Bellevue 10 / 1023 Crissier [email protected]