Penser le droit de résistance à l`oppression dans les sociétés

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Penser le droit de résistance à l`oppression dans les sociétés
Penser le droit de résistance à l'oppression
dans les sociétés démocratiques contemporaines
Geneviève KOUBI
Professeur de droit public,
Université de Cergy-Pontoise, (CER:FDP), France
L’interrogation que la notion de "résistance à l'oppression" suscite dans la pensée juridique contemporaine, conduit à
une refondation de la théorie de "droit de l'homme" dans son acception principielle. Engagée dans le cadre des
sociétés démocratiques contemporaines, l'étude de la résistance à l'oppression se détache de la recherche d'une
conciliation entre les notions paradoxalement antinomiques que sont l'ordre et la liberté. En effet, située en dehors du
champ d'un équilibre incertain entre les droits et les devoirs des citoyens, la résistance à l'oppression se prête
difficilement à une analyse juridique. Cependant, tandis que le questionnement sur la pertinence d'une notion de
"désobéissance à la loi" introduit un doute sur la qualité juridique et la validité sociale des lois, la notion de résistance
à l'oppression remet en cause le présupposé classique selon lequel le respect des droits de l'homme par les pouvoirs
publics est effectivement garanti dans les Etats démocratiques modernes. Aussi, de nos jours, à la jonction entre la
jouissance des libertés fondamentales et l'obéissance aux lois, la question concerne le droit de résistance à
l'oppression, sa définition, son exercice, sa finalité.
La résistance à l'oppression est de ces concepts révolutionnaires qui ont leur base dans la Déclaration des Droits de
l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789. L'article 2 de la Déclaration range, en effet, la résistance à l'oppression
parmi les droits naturels et imprescriptibles de l'homme dont la conservation doit être assurée par la société politique1.
La résistance à l'oppression est, en vertu du préambule de la Déclaration, de ces droits inaliénables et sacrés qui
marquent la lutte contre le Pouvoir, encadrent l'action des pouvoirs publics et fondent les réclamations des citoyens.
La mention relative à la résistance à l'oppression dans l'article 2 de la Déclaration des Droits confirme l'objectif initial
qui était de mettre fin aux abus, aux privilèges, au despotisme, à la tyrannie, à la corruption du gouvernement, —
c'est-à-dire aux causes des malheurs publics que sont "l’ignorance, l’oubli et le mépris des droits de l’homme"2. Elle
ne peut donc être considérée comme une simple incise destinée à légitimer a posteriori les évènements
révolutionnaires. La résistance à l’oppression n'étant pas une des prémisses absolues de la révolution, la
reconnaissance du droit de résistance à l'oppression n’a nullement pour objet exclusif de justifier les actions
révolutionnaires antérieures à sa proclamation. L'affirmation constante de ce droit de résistance à l’oppression dans
l’ensemble des projets de Déclaration des droits durant l'époque révolutionnaire en France confirme cette lecture.
Ainsi, l'article 33 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 24 juin 1793 entérine sa consolidation :
«la résistance à l'oppression est la conséquence des autres droits de l'homme».
Sans faire le détour d'une réflexion historique à propos des phénomènes révolutionnaires, dans la mesure où la
résistance à l'oppression est attestée dans ces divers textes sous la forme d'un droit, son étude doit être insérée dans la
théorie générale des droits de l’homme. L'idée classique selon laquelle «la résistance à l'oppression n'a pas trouvé sa
place dans le droit»3 doit désormais être battue en brèche. Penser que le droit de résistance à l'oppression ne saurait
être reçu dans l'ordre juridique parce qu'il ne répond pas à la logique sociale des systèmes démocratiques – du fait que
ce droit ne saurait être mis en œuvre sans contredire radicalement la fonction de la loi dans les Etats modernes4 –
revient à priver de sens certains dispositifs qui s'y réfèrent, au moins implicitement comme, par exemple, le devoir,
voire l'obligation, faite aux agents publics, fonctionnaires civils ou militaires, de désobéir à un ordre manifestement
illégal5.
Dans l’esprit des Constituants de la période révolutionnaire, la source de l’oppression ne dérivait pas du seul exercice
du pouvoir exécutif6. Le changement impulsé par l'avènement de la Révolution ne concerne pas seulement le pouvoir
exécutif. Quand l’article 5 de la Déclaration des Droits de 1789 impose des objectifs généraux et pourtant précis à
l’action législative, il assigne des limites à la loi : «la loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la
société». Le législateur n’est donc pas pensé à l’abri des tentations arbitraires. Dans la pensée libérale dominante,
l'exercice du pouvoir législatif, même considéré comme "légal", n'a de validité politique, juridique et sociale que s'il
contribue à la conservation, à la promotion des droits de l'homme. En ce que des lois découle l’activité du pouvoir
exécutif, suivant le principe classique de l’aménagement des pouvoirs, ces dispositions s'arriment aux énoncés de
l'article 16 de la Déclaration selon lequel «toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la
séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de constitution». La combinaison des articles 2 et 16 de la Déclaration
1
art. 2 DDHC 1789 : «Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. ces droits sont la liberté, la
propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression».
2
Selon les dispositions mêmes du préambule de la Déclaration des Droits de 1789.
3
Y. Madiot, Considérations sur les droits et les devoirs de l'homme, éd. Bruylant, Bruxelles, 1998, p. 183.
4
J. Rossetto, "Le droit et devoir d'insurrection", Les déclarations de l'an I, éd. P.U.F., trav. de l'Université de Poitiers, 1995, p. 71-80.
5
v. E. Desmons, Droit et devoir de résistance en droit interne – Contribution à une théorie du droit positif, éd L.G.D.J., Paris, 1999, notamment p. 98 et suivantes.
6
Dans le titre Ier de la Constitution française du 3 septembre 1791, parmi les dispositions fondamentales, il est rappelé que «le Pouvoir législatif ne pourra faire
aucunes lois qui portent atteinte et mettent obstacle à l'exercice des droits naturels et civils… garantis par la Constitution».
-1-
des Droits de l’Homme de 1789 permet ainsi la transition de la "liberté contre l’autorité" vers "l’autorité garante de la
liberté". En consacrant le droit de résistance à l’oppression, l’Assemblée nationale, dès 1789, situait les bornes d’un
impossible retour à "l’arbitraire" ; droit naturel et imprescriptible de l’homme, la résistance à l'oppression apparaît
ainsi comme une adresse implicite à l'endroit des gouvernants : elle oblige de leur part le respect des droits de
l'homme7. Le projet révolutionnaire qui sous-tend le droit de résistance à l'oppression signifie le droit d'être, de vivre,
de demeurer homme et citoyen, cette dimension revient à renforcer l’affirmation d’un "droit à la protection de sa
dignité" qui ne connaît aucune illégitimité. Paradoxalement, la connaissance des droits de l’homme en devenant la
trame de la résistance à l’oppression, il apparaît importun, dans les sociétés démocratiques contemporaines, dans les
Etats de droit, pour les pouvoirs publics de penser le "droit de résistance à l'oppression" dans l'ordre juridique8.
Le rétrécissement de l'analyse de la résistance à l'oppression dans les modes de caractérisation d'une "infraction" est
une des conséquences de cet embarras. De cette difficulté que les pouvoirs publics ressentent en face de la résistance
à l'oppression, se saisissent les juristes pour prétendre ôter à ce droit sa qualité positive et son caractère
potentiellement contestataire. De fait, tout individu qui refuse de se soumettre aux commandements de la loi s'oppose
à une conception de l'ordre politique, social et juridique développée par les institutions de pouvoir. Certaines
approches des dispositions de l'article 7 de la Déclaration des Droits de 1789 insistent ainsi sur l’infraction que
constituerait la désobéissance aux lois9 ; elles contribuent à la déformation de l’esprit du texte. Le confinement de la
résistance dans le champ du droit pénal ne peut être indéfiniment retenu. L'association de l'article 2 et de l'article 7 de
la Déclaration des Droits induit une réfutation de cette analyse : l'article 7 rappelle en premier lieu que «ceux qui
sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires doivent être punis» ; ensuite, usant du
marqueur spécifique qu'est la conjonction de coordination "mais", il évoque le cas d'une réaction négative à des lois
conçues comme garantissant l'exercice des libertés et protégeant la cohésion sociale, c'est alors que «tout citoyen
appelé ou saisi en vertu de la loi doit obéir à l'instant : il se rend coupable par la résistance». La résistance évoquée
dans l'article 7 n'est liée à la notion de résistance à l'oppression émise dans l'article 2 qu'en vertu d'une ferme
condamnation de toute action arbitraire. La résistance à l'oppression n'est donc pas une infraction mais bien l'exercice
d'un droit.
La "raison" de l'action de résistance permet ainsi de discerner l'exercice du droit de résistance à l'oppression de
l'infraction de résistance à la loi. Le motif plus que le but, qui conduit le citoyen à ce passage à l'acte contestataire ou
délictueux est déterminant : d'un côté il traduit une prise de position particulière qui révèle la qualité de citoyen, de
l'autre il retrace une transgression révélant un tempérament de délinquant qui expose l'individu à la sanction pénale.
Dans le cadre d'une résistance à la loi fondée sur le principe de la résistance à l'oppression, il y a "mise en acte" d'un
refus de l'économie générale de cette loi, et par là seulement du système de droit. Dès lors, d'une part la résistance à la
loi n'est pas la désobéissance à la loi et d'autre part la résistance à la loi n'est pas la résistance à l'oppression.
Cependant la notion de résistance à l'oppression peut émerger à travers l'action de résistance à la "loi oppressive".
Toutefois, les pouvoirs publics ont quelques difficultés à admettre que la désobéissance ou la résistance, passive ou
active, puissent constituer l'exercice d’un droit. Or si les pouvoirs publics considèrent l'individu passible de sanctions
pénales puisque "coupable de résistance à loi"10, ils ne peuvent raisonnablement ignorer ses motivations et ses
mobiles. Car l'infraction que serait la résistance à la "loi oppressive" ou, dans une certaine mesure, la désobéissance à
la "loi injuste", n'est pas constitutive d'une atteinte à la cohésion de la société civile ; de fait, elle aurait pour fonction
de révéler les incohérences d'un système juridique, les défauts des dispositions législatives ou les dysfonctionnements
dans leur application. Comme les systèmes de droit reflètent des options idéologiques et des choix politiques, les lois
ne répondent pas nécessairement aux exigences des droits de l'homme, aux attentes des citoyens en matière de justice
sociale11. En effet, «aucun texte écrit n’offre de garantie absolue contre l’action arbitraire d’un gouvernement, les
règles juridiques risquent parfois d’être violées. Les législateurs pourraient outrepasser leur pouvoir...»12.
Aussi, lorsque, face aux actes de résistance, de rébellion, individuels, collectifs, sociaux qu’ils soient rejet des ordres
publics, refus d’obéissance aux règlements ou réactions d’insoumission aux obligations juridiques, les pouvoirs
publics engagent des opérations de "répression"13, ces interventions, dans les sociétés démocratiques, ne peuvent que
se justifier par les impératifs de l'intérêt général, de la paix civile, du bonheur commun. Elles sont généralement
inspirées par une idée de "tranquillité" et de "sécurité" qui les inclut dans la problématique d’une confrontation entre
7
Les brèves indications du préambule de la Déclaration de 1789, selon lesquelles seront mieux respectés les actes du pouvoir législatif et ceux du pouvoir exécutif
en tant qu'ils peuvent être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, ainsi que les précisions quant au principe d'égalité devant la loi, à la
généralité et l’impersonnalité de la loi, émises dans l'article 6 (: «[La loi] doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse…»), révèlent la
rigueur de la conscience idéologique des rédacteurs de la Déclaration.
8
Pourtant, au lendemain de la Libération, l'article 21 de la Déclaration des droits de l'homme présentée dans le projet de constitution du 19 avril 1946 — qui ne
devait pas être retenu à la suite des résultats négatifs du référendum du 5 mai 1946 — confirmait la problématique de la résistance à l'oppression : «Quand le
gouvernement viole les libertés et les droits garantis par la Constitution, la résistance sous toutes ses formes est le plus sacré des droits et le plus impérieux des
devoirs».
9
art. 7 DDHC 1789 : «Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu'elle a prescrites. Ceux qui
sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi doit obéir à l'instant:
il se rend coupable par la résistance».
10
Thoreau, exprimant son opposition à un gouvernement esclavagiste, estimait que la peine était à la mesure de l'action : «même si je risque un châtiment, il m’en
coûte moins, à tous points de vue, de désobéir à l’Etat que de lui obéir. Je me sentirai diminué de me voir docile» : H.D. Thoreau, La désobéissance civile, (trad.),
Typo, coll. essai, Québec, 1994, p. 31.
11
Dès lors, il existe, implicitement pour le moins, un «droit de refuser fidélité et obéissance et de résister à un gouvernement dont la tyrannie ou l’inefficacité est
insupportable» : H.D. Thoreau, La désobéissance civile, (1848) (trad.), Typo, coll. essai, Québec, 1994, p. 24.
12
A. Eide, "Le droit de s'opposer aux violations des droits de l'homme. Fondements, conditions et limites. Analyse prospective", Violations des droits de l'homme :
quels recours, quelle résistance?, Unesco, 1983, p. 39.
13
v. G. Koubi, "Du droit de résistance à l'oppression au droit à l'insurrection : un droit de révolution?", Révolte et société, publications de la Sorbonne / Histoire au
présent, 1989, pp. 123.
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le maintien de l’ordre [établi ou à rétablir], c'est-à-dire de l'ordre public, et le respect ou la protection des droits
fondamentaux, c'est-à-dire des libertés reconnues, réglementées, encadrées. Aussi, s’attardant sur la fonction de
l’Etat, ennemi du désordre et artisan du consensus, les juristes en viennent à considérer toute les formes de
désobéissance ou de résistance comme des infractions caractérisées14. Or, en ce qui concerne la résistance à
l'oppression qui est à la source d'un droit de l'homme dont la garantie se trouve ainsi décalée, il faut admettre que le
droit positif est impuissant à la canaliser, du fait même que «sa raison d'être est précisément de s'en affranchir, voire
de se retourner contre lui»15.
Dès lors, la recherche de critères de discernement entre la résistance et la désobéissance ne relève guère de
l'expérience juridique. Les indices d'une distinction ne peuvent être relevés à partir de l'action ou de la mise en œuvre
d'un droit. La "désobéissance à la loi" se définit comme une "désobéissance civile"16; elle traduit un désarroi devant le
bien-fondé de l'autorité, une déstabilisation de la croyance en la légitimité de la loi ; elle répond, généralement, à des
incidences contextuelles ; elle s'exprime par rapport à une loi donnée ou à une disposition précise de cette loi.
L'action de désobéissance civile est une invite pressante à la réforme de cette loi, de cette loi seulement17. La notion
de résistance à l'oppression, elle, soutient une contestation qui ne saurait se limiter à un texte, aussi contestable
puisse-t-il être.
En premier lieu, la raison d'être de la résistance à l'oppression ne trouve pas sa source dans des principes éthiques et
moraux mais dans la théorie des droits de l'homme ; ensuite, elle relève de l'exercice d'un droit ; enfin, son objectif
n'est pas de changer une loi mais de contribuer à éradiquer l'oppression. Et ce combat ne revêt pas une nature
insurrectionnelle : la contestation d'un système juridique ne se traduit pas nécessairement par des actions
révolutionnaires qui détiennent une dimension collective essentielle (A). Cependant, la Déclaration des Droits de
1789 prônant l’individualisme, le droit de résistance paraît de nature et de forme individuelles. Pour que son exercice
puisse être reconnu dans le cadre du droit positif, devrait être organisé son mode d’expression juridique. Le droit de
résistance à l’oppression est alors, le plus souvent, circonscrit dans l'exercice des "facultés de recours" ouvertes aux
citoyens : la résistance à l’oppression s’exprimerait ainsi dans les circuits juridictionnels (B). Cette approche revient,
cependant, à nier sa spécificité substantielle. La formulation de l’article 33 de la Déclaration des Droits du 24 juin
1793 détient une valeur déterminante, primordiale : «le droit de résistance à l’oppression est la conséquence des
autres droits de l’homme» La question du droit de résistance à l'oppression n’a donc pas de raison d’être si doivent
être neutralisés ses fondements révolutionnaires (C). Dès lors, quand le droit s’écarte de son objectif de conciliation,
lorsque la justice est bafouée, l’égalité dénoncée, la liberté écrasée, si l’homme est défait de sa dignité, l’individu,
comme le groupe, n’ont pas d’autres alternatives que de se résigner devant la puissance de l’Etat fort de son droit ou
de revendiquer fermement face à l’Etat devenu oppresseur le respect du droit et des droits. Puisque, désormais, c'est
entre résignation et révolte que se révèle la résistance à l’oppression, l'action et l'engagement dans la lutte sont plus
revendicatifs que réclamatifs. Reposant sur la conscience que l’individu a de ses droits, sur la connaissance que le
peuple a des principes fondamentaux des droits de l’homme, la résistance à l'oppression se distingue
fondamentalement de la désobéissance à la loi en ce qu'elle est bel et bien l'exercice d'un droit (D).
A — La résistance à l’oppression, ni l’insurrection, ni la révolution.
Pour nombre de juristes, la partition individuelle de la résistance à l'oppression, même inscrite dans la nomenclature
des droits de l'homme, est exclue ; l'action du peuple seule semble devoir être retenue18. Cette approche conduit à la
mise en valeur d'un exercice exclusivement collectif de la résistance à l'oppression. Partant du principe que «si elle
reste individuelle, la résistance n'a aucune chance d'aboutir»19, cette suggestion ne signale pas quels en seraient alors
le but, l'objectif, la finalité. Nombreuses sont les objections incidentes qui y décèlent un appel à la révolution, source
de désordres infinis et de dangers pour les institutions démocratiques.
Dans ces propositions, la résistance à l'oppression est présentée comme l'une des prémisses de la révolution.
L’affirmation du droit de résistance à l’oppression s'inscrit effectivement dans un champ exclusivement social et
politique ; sa reconnaissance est considérée d'une part comme une justification a posteriori de toutes actions
révolutionnaires ayant abouti à une transformation du régime politique, et d'autre part comme un moyen de renforcer
la position des nouvelles institutions issues de ces actions : «quand une révolution a réussi et qu'une nouvelle
constitution est fondée, l'illégalité du commencement et de son établissement ne saurait libérer les sujets de
l'obligation de se soumettre comme de bons citoyens au nouvel ordre des choses, et ils ne peuvent refuser d'obéir
14
Mais ils peuvent, parfois, en vertu de prises de positions idéologiques particulières, y déceler une affirmation de la "dissidence"— ce que ni la résistance à
l'oppression, ni la désobéissance à la loi ne sont ; v. N. Chomsky "Responsabilités des intellectuels", (trad. - extrait de Powers and Prospects, Reflections on
Human Nature and the Social Order, Pluto Press, London 1996) in: Responsabilités des intellectuels, Agone éditeur, Marseille 1998, pp. 15.
15
G. Lebreton, Libertés publiques et droits de l'homme, éd. Masson, Paris, 1999, p. 198.
16
Et rarement en une "désobéissance civique" : la notion de désobéissance civile relève de la traduction littérale du concept de civil disobedience, mais il est inutile
de s'attarder ici sur une distinction entre ces deux formes de désobéissance. En langue française, les adjectifs revêtent des nuances particulières qui donnent
différents sens aux notions et concepts auxquels ils sont attribués. Distinguer entre la résistance à l'oppression et la désobéissance civile dans les Etats modernes,
consisterait alors à revaloriser la notion de désobéissance civique pour rendre compte de certaines des qualités de la résistance à l'oppression en ce qu'elle se trouve
liée à l'exercice de la citoyenneté.
17
La désobéissance civile est parfois comprise comme «l'acte d'infraction conscient et intentionnel, public et collectif d'une norme juridique, utilisant normalement
des moyens pacifiques, faisant appel à des principes éthiques, avec acceptation volontaire des sanctions et poursuivant des fins innovatrices» : M.J. Falcòn y Tella,
"La désobéissance civile", R.I.E.J., 1997-39, p. 28.
18
Cependant, certaines remarques consistent à attribuer à la résistance à l'oppression une orientation particulière destinée à mettre en exergue l'unité nationale
territoriale, en exhortant à la défense de la "patrie"; dans ce cas, la résistance à l'oppression devient la "résistance à l'ennemi". Cette conception ne peut être retenue
dans le champ de la science juridique, ce d'autant plus que nombreux sont les dispositifs constitutionnels ou législatifs des Etats démocratiques qui prévoient la
réquisition des citoyens à ces occasions sans en référer, de quelque manière que ce soit, à la notion de résistance à l'oppression.
19
Y. Madiot, Considérations sur les droits et les devoirs de l'homme, éd. Bruylant, Bruxelles, 1998, p. 182.
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loyalement à l'autorité qui possède maintenant le pouvoir»20. Evitant de donner un contenu et une substance à la
résistance à l'oppression, refusant de distinguer entre le droit à la résistance et un droit à l'insurrection ou un droit à la
révolution, la plupart des juristes contemporains dressent ainsi multiples obstacles à une analyse juridique de la
résistance à l'oppression. L'Etat étant institué, le système politique se trouvant composé sur des bases démocratiques,
au principe initial du consentement au pouvoir est alors substitué l'ordre de la "soumission à la loi". En effet, «contre
le législateur suprême de l'Etat, il n'y a [donc] point d'opposition légale pour le peuple ; car un état juridique n'est
possible que par soumission à sa volonté législatrice universelle ; il n'y a pas non plus un droit de sédition (seditio)
encore moins un droit de rébellion (rebellio), et envers lui comme personne singulière (le monarque), sous prétexte
d'abus de pouvoir (tyrannis) pas le moins du monde un droit d'attenter à sa personne et même à sa vie…»21.
Ces prises de position sont en contradiction avec une "théorie de l’insurrection", aussi incertaine puisse-t-elle être.
L’insurrection en appelle au peuple, mais elle n'engage pas directement l'action sur le terrain de la révolution. Si
«l’insurrection est le seul moyen par lequel s’ouvre une révolution, […] l’insurrection est le fait militaire, la bataille
de rue par laquelle on se rend maître du pouvoir; la révolution est la période durant laquelle se crée l’Etat
[républicain]...»22. Cependant, selon l'article 35 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 24 juin
1793, «quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est pour le peuple et pour chaque portion du
peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs». Le droit à l'insurrection, même s'il en est à la
base, ne peut être conçu comme un droit à la révolution, il consiste en une "mise en demeure" formée envers l'Etat
pour le rétablissement et l'affermissement des droits du peuple, pour ces droits soient effectivement respectés.
L'insurrection est donc un mouvement du peuple — violent parfois en ce qu'il s'oppose au pouvoir, seul titulaire du
droit de faire appel à la force publique. Elle se justifie quand les "droits du peuple" sont violés, à l'occasion par
exemple d'un coup d'Etat, de l'instauration d'une dictature, d'une modification unilatérale de la constitution consistant
à attribuer les pleins pouvoirs aux gouvernants. L'insurrection est un droit imprescriptible et sacré, elle permet au
peuple de manifester directement son désir de changer radicalement le sens des actions de pouvoir, puis à terme,
devant l'échec de la contestation, de transformer le régime politique et de réorganiser les institutions publiques.
L'insurrection est le dernier recours, elle signifie que les fondements de la légitimité des pouvoirs publics, de l'ordre
constitutionnel sont totalement déstabilisés. Le droit à l'insurrection a pour titulaire le peuple, non l'individu ou un
groupe d'individus. Il est une sanction à l'égard des gouvernements qui ont failli à leur mission. Il a pour but de
contester le régime, de contraindre les pouvoirs publics à procéder aux changements qui s'imposent, de le renverser
par la force le cas échéant, de susciter ainsi l'action révolutionnaire. L'exercice du droit à l'insurrection devient pour le
peuple un moyen de sauvegarder ses valeurs, ses cultures.
Certaines traces d'un droit à l'insurrection pourraient être relevées dans des textes fondateurs ou dans les lois
fondamentales. Ainsi, par exemple, dans la Déclaration d'Indépendance américaine de 1776 est solennellement admis
que «toutes les fois qu’une forme de gouvernement devient destructive de but, le peuple a le droit de la changer ou de
l’abolir, et d’établir un nouveau gouvernement, en le fondant sur les principes et en l’organisant en la forme qui
paraîtront les plus propres à lui donner la sûreté et le bonheur». Hormis les affirmations de l'article 35 de la
Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 24 juin 1793, les premières constitutions françaises s'en
remettaient à la vigilance et à la sagesse des citoyens pour que soit assuré leur respect ; ces constitutions prévoyaient
des procédures pour leur révision, elles envisageaient le droit des générations futures à solliciter le changement23. Ces
dispositions pouvaient être pensées comme des moyens d'empêcher l'exercice du droit à l'insurrection mais elles ne
signifiaient pas pour autant la dissolution de ce droit : la résistance du peuple peut être organisée par la constitution
de l'Etat mais elle ne pourrait être envisagée qu'à l'égard du pouvoir exécutif.
Passive ou négative, la résistance traduit alors «un refus du peuple (au parlement) consistant à ne pas toujours
consentir aux exigences que le gouvernement avance sous le prétexte de l'administration de l'Etat»24. Cette forme de
résistance se distingue de la résistance active qui est celle d'une «association délibérée du peuple en vue de forcer le
gouvernement à agir d'une certaine manière et donc de commettre elle-même un acte de pouvoir exécutif»25.
Cependant, ces approches de la résistance à l'oppression en exclut le "droit": «le principe du devoir du peuple de
supporter un abus, même donné comme insupportable, du pouvoir suprême consiste en ce que sa résistance contre la
législation souveraine ne peut jamais être considérée que comme illégale et même comme anéantissant toute la
constitution légale»26. Indépendamment du fait, indéniable, que «les formes de la Doctrine du droit [de Kant] nous
20
E. Kant, Métaphysique des mœurs, 1ère partie, Doctrine du droit, (trad. A. Philonenko), Librairie philosophique J. Vrin, Paris, 1979, p. 205.
E. Kant, Métaphysique des mœurs, 1ère partie, Doctrine du droit, (trad. A. Philonenko), Librairie philosophique J. Vrin, Paris, 1979, p. 201-203. Si dans ce texte
le mot de "résistance" n'apparaît pas, certaines autres traductions le substituent au terme opposition : «Il n'y a pas pour le peuple de droit de résistance au
commandement suprême de l'Etat ; le statut juridique n'est en effet possible que par la soumission à la volonté universellement législatrice ; pas de droit au
soulèvement (seditio) donc, et encore moins à la révolte (rebellio), et le moins qui soit contre celui-ci en tant que personne singulière, sous le prétexte qu'il
abuserait de son pouvoir (tyrannis), pas de droit de s'en prendre à sa personne, voire à sa vie…» : in: A. Tosel, Kant révolutionnaire, Droit et politique, éd. P.U.F,
Paris, 1988, extrait présenté p. 116, (trad. J.P. Lefebvre).
22
E. Lussu,, Théorie de l’insurrection, (trad.), éd. F. Maspéro, 1971, p. 27 (en référence à Blanqui).
23
Le premier article du titre VII de la Constitution du 3 septembre 1791 dispose ainsi que «l'Assemblée nationale constituante déclare que la Nation a le droit
imprescriptible de changer sa Constitution ; et néanmoins, considérant qu'il est plus conforme à l'intérêt national d'user seulement, par les moyens pris dans la
Constitution même, du droit d'en réformer les articles dont l'expérience aurait fait sentir les inconvénients, décrète qu'il y sera procédé par une Assemblée de
révision….».
24
E. Kant, Métaphysique des mœurs, 1ère partie, Doctrine du droit, (trad. A. Philonenko), Librairie philosophique J. Vrin, Paris, 1979, p. 205.
25
E. Kant, (trad. J.P. Lefebvre), in : A. Tosel, Kant révolutionnaire, Droit et politique, éd. P.U.F, Paris, 1988, extrait présenté p. 118.
26
E. Kant, Métaphysique des mœurs, 1ère partie, Doctrine du droit, (trad. A. Philonenko), Librairie philosophique J. Vrin, Paris, 1979, p. 203 ; «La raison qui
assigne au peuple le devoir de supporter un abus, y compris l'abus du pouvoir suprême déclaré insupportable, tient à ceci : c'est que sa résistance contre la
législation suprême ne peut jamais être pensée autrement que contraire à la loi, voir comme quelque chose qui détruit complètement la constitution civile», (trad.
J.P. Lefebvre) in : A. Tosel, Kant révolutionnaire, Droit et politique, éd. P.U.F, Paris, 1988, extrait présenté p. 116,
21
-4-
semble aujourd'hui disconvenir à notre discipline» qu'est la science juridique27, ces quelques remarques tendent à
montrer combien l'exercice du droit de résistance à l'autorité — révélant là la qualité de l'oppression [du pouvoir] —
apparaît irréductiblement "hors la loi". Mais en même temps, parce que les pouvoirs publics outrepassent leurs droits,
parce que certains abus du pouvoir sont insupportables, afin de garantir et de protéger ce droit de résistance à
l'oppression, l'insurrection est nécessaire, indispensable. Car, répondant à une dynamique similaire, la résistance à
l'oppression est une action citoyenne pour le respect et la protection des droits de l'homme.
Rejetant à la lisière du politique la reconnaissance d’un droit à l’insurrection pour le peuple que la Déclaration de
1793 avait consacré dans son article 35, le droit international tend à lui substituer un "droit des peuples à
l’autodétermination" ou plus justement, selon les formulations de l'article premier des deux Pactes internationaux de
1966 (relatif aux droits civils et politiques et relatif aux droits économiques sociaux et culturels) en un "droit des
peuples à disposer d'eux-mêmes". C'est dans le but d'atténuer la charge révolutionnaire symbolique du droit de se
révolter contre la tyrannie qu'il a été ainsi reconnu ; l'objectif était de mettre à distance le caractère virulent, agressif,
violent que suppose l'insurrection. Si le droit à l'insurrection contribue à fonder l'exercice du droit des peuples à
l'autodétermination, il se défait de ses caractéristiques pour se couler dans une version plus ou moins régulée28. Qu'il
s'agisse de situations coloniales, d'occupation étrangère, d'apartheid, de discriminations raciales, l'insurrection est
ainsi promue comme une forme de la résistance à l'oppression29. Lorsqu'un peuple subit des violations systématiques
de ses droits et que ses membres subissent des violations de leurs droits fondamentaux, l'impératif du maintien de la
paix désarme. La notion de droit des peuples à l'autodétermination connaît ainsi de nos jours certaines nuances qui en
atténuent l'objectif fondamentalement émancipateur ; quant à la notion de droit à l'insurrection, elle convoque la
guérilla, des actions militaires et armées — qui contreviennent à une philosophie d'un droit international engagé dans
la recherche de la paix dans le monde. L'utilisation dans ce cadre de la notion de "résistance à l'oppression" n'est alors
qu'un moyen de prévenir les conflits, voire, en conséquence, de minimiser les effets des violations constatées.
En fin de compte, pas plus qu'elle ne répond à la dimension rebelle de l'insurrection, la question de la résistance à
l'oppression ne se résout dans l'ordre du droit international. Elle ne se présente pas en un "droit à l'autodétermination
des peuples". Elle s'inscrit dans le cadre de l'Etat, dans des systèmes de droit interne composés à partir du modèle de
la hiérarchie des normes. En introduisant dans cette organisation une forme d'interprétation des règles de droit en
dehors des instances officielle, autorisées ou habilités pour ce faire, la notion de résistance à l'oppression modifie la
qualité des rapports entre les gouvernants et les gouvernés, responsabilisant les uns et les autres. En ce qu'elle justifie
l'opposition caractérisée et violente aux "régimes qui ont tenté de dégrader et d'asservir la personne humaine"30 —
puisque "la méconnaissance et le mépris des droits de l'homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la
conscience de l'humanité"—, les instruments de la lutte contre la tyrannie que suppose la résistance à l'oppression
revêtent un intérêt crucial dans les sociétés démocratiques contemporaines.
Le droit de résistance à l'oppression n’est ni une modification, ni une restriction d’un droit à l’insurrection ; il n'est
pas non plus l'origine d’un droit à la révolution. De fait, dans le champ d'une science juridique positiviste, il en est
détaché en ce qu’il demeure compris comme étant d'ordre "individuel" même si, dans ces cas, il se trouve être exercé
collectivement. Droit de l’homme et non droit du peuple, la résistance à l’oppression, comme tout autre droit,
s’exerce dès lors, en vertu même de la philosophie des lois, aussi dans les Etats démocratiques. Instrument
fondamental du libéralisme, la résistance à l'oppression «est appel à la vigilance et à la mobilisation des citoyens
pour la défense de leurs droits contre le pouvoir, refus de sacraliser la loi et ouverture du système juridique sur le
monde des valeurs»31. Les systèmes de droit n’excluent donc pas l'exercice d'un droit de résistance à l’oppression ; ils
l’organisent, l’encadrent et le contrôlent32. Mais ce faisant, ils le dénaturent.
B — Le droit de résistance à l'oppression, un droit de recours à la justice?
La résistance à l'oppression se présentant comme un droit individuel du fait de son insertion dans la Déclaration des
Droits de 1789, elle ouvre sur une conception particulière de la "vigilance" sollicitée du citoyen envers des activités
des pouvoirs publics. Elle est alors conçue comme un des indices d'un civisme moderne qui se traduit par une
tentation de contrôle individuel des actes et actions de l’Etat. Le citoyen est, en effet, en droit d’exiger le respect des
principes des droits de l’homme, l'application des lois régulièrement votées par ses représentants répondant aux
objectifs de l’intérêt général, de l’utilité commune, du bonheur commun.
Le droit de résistance à l’oppression ne détenait pas une valeur théorique à l’époque révolutionnaire, son objet était de
protéger contre les actes et les ordres arbitraires les sujets du roi en 1791, les citoyens de la République par la suite.
Mais son exercice n'offre de garanties d’impartialité qu'à la condition que soient mises en place des institutions
juridictionnelles "indépendantes" du pouvoir. Dans cette perspective, l’exercice du droit de résistance à l’oppression
ne peut remettre en cause l’Etat directement dans l'espace politique ; il ne l'interpelle que par rapport à son pouvoir de
27
M. Villey, "préface : La Doctrine du droit dans l'histoire de la science juridique", E. Kant, Métaphysique des mœurs, 1ère partie, Doctrine du droit, (trad. A.
Philonenko), Librairie philosophique J. Vrin, Paris, 1979, p. 26.
28
Tran Van Minh "Sanctions politiques et juridiques des violations des droits de l'homme", Violation des droits de l'homme, quels recours, quelle résistance?
Unesco, 1983, notamment pp. 174-178.
29
Dans la constitution de la République du Portugal du 2 avril 1976, une mention de l'article 7 (.3) retraduit cette interprétation : «Le Portugal reconnaît le droit
des peuples à s'insurger contre toutes les formes d'oppression, notamment contre le colonialisme et l'impérialisme».
30
Formule extraite du Préambule de la Constitution française du 26 octobre 1946, à partir de laquelle le Conseil constitutionnel a dégagé, en 1994, le principe de
valeur constitutionnel qu'est le "principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine" — dont il a été fait depuis plusieurs applications.
31
F. Benoît-Rohmer et P. Wachsmann “La résistance à l’oppression dans la déclaration” Droits, Revue de Théorie Juridique, 1988, n° 8, p. 99.
32
L’article 32 in fine de la Déclaration des Droits présentée en préambule au projet de Constitution girondine du 15 février 1793 traduit le souci qu'avaient les
révolutionnaires d'encadrer l'exercice du droit de résistance à l'oppression : «le mode de résistance aux différents actes d’oppression doit être réglé par la
Constitution».
-5-
réglementation et de régulation sociale. De nos jours, conçu dans l’ordre d'un droit processuel, le droit de résistance à
l'oppression semble acquérir son plein exercice dans le cadre dit du "recours pour excès de pouvoir". Le droit de
résistance à l’oppression apparaît ainsi circonscrit dans la sphère du juridique. Défait de sa qualité révolutionnaire, de
sa connotation politique, de son assimilation à la rébellion, il prend alors sens dans la philosophie juridique libérale.
Le droit de résistance à l'oppression s'insère dans l'ordre des droits fondamentaux et son exercice paraît n’avoir de
portée pratique que s’il se réalise individuellement : la résistance à l’oppression s’exprime dans les circuits
juridictionnels.
L'organisation de son mode d’expression juridique s'inscrit dans les facultés de recours ouvertes aux citoyens. Si la
logique des recours à la justice est multivalente, elle "codifie" le lieu de la revendication. Elle dépossède l'individu ou
le groupe, qualifié "requérant", de la force de sa contestation. Elle en amoindrit la charge en transformant l'exigence
qu'il formule à l'égard des autorités publiques en une "demande" ; elle en atténue la virulence pour abaisser la
revendication au seuil des réclamations. Cette propension à enserrer le droit de résistance à l'oppression dans les voies
de recours à la justice33 a pour objectif d’enfermer la révolte individuelle ou catégorielle dans la fonction des
"requêtes". L’institutionnalisation des conflits dans la sphère des compétences juridictionnelles contribue à la
neutralisation des risques d’extension des mouvements sociaux, de propagation de la colère collective, de
renforcement de la révolte. L’implicite de la saisie juridictionnelle de la résistance est de permettre la localisation des
foyers virtuels de contestation, de préparer le jeu de la déconnexion des réseaux de solidarité, d'envisager une
dynamique de sectorisation des rébellions possibles. En s'accaparant de la fonction de dire le droit, les juges de
l’ordre judiciaire comme de l’ordre administratif assument leur mission de (o)pacification civile et sociale.
Relevant ainsi des voies de recours juridictionnels, la résistance à l’oppression, —même si, elle ne saurait mettre en
danger les institutions —, a pour but de contribuer à la réalisation de l’Etat de droit. Or, bien que fondé sur la notion
de "justice", établi à partir du concept d’égalité et compris à l’appui de la notion de "sûreté", le droit de résistance ne
peut être appréhendé exclusivement comme le droit dont dispose tout individu à faire appel aux institutions
juridictionnelles (administratives ou judiciaires). Cet appel se réalise, certes, dans le but de faire respecter ses droits et
libertés, mais il ne détient qu'une efficacité limitée pour prétendre solliciter l’attribution de droits ou la protection de
libertés de la part de l'Etat34. Le droit de résistance à l’oppression devient progressivement un droit dont l’exercice est
reconnu dans le cadre du recours pour excès de pouvoir : l’expression particulière d’un «droit à la légalité» pourrait
alors le fonder. Si le droit de résistance à l’oppression devait être admis quand le pouvoir sort de la légalité, l'absence
d'un accès au juge conduirait directement à l'éclosion de conflits insolubles — jusque dans la rue. La voie du recours
au juge, aussi symbolique serait-elle, empêche la violence insurrectionnelle, et de par son caractère "objectif", le
recours pour excès de pouvoir rendrait aux individus la conscience de leurs droits et de leurs intérêts à défaut de
redresser la situation. La référence à la légalité attesterait ainsi du caractère fondamental du droit de résistance à
l’oppression comme un "droit au respect du droit"35.
La fonction classique du recours pour excès de pouvoir permet donc une approche nuancée de la résistance à
l’oppression. Recours ouvert à tous, contre tout acte administratif doté d'un effet juridique, ouvert donc même en
l'absence de texte, il tend à l’annulation des actes unilatéraux [et dans une certaine mesure contractuels, au vu de
l'évolution des jurisprudences dans les Etats libéraux] à raison d’une illégalité dont ils seraient entachés. Le projet
implicite de cette approche de la résistance à l’oppression serait de la réduire en une "cause", un motif pour la
détermination d'un droit à se pourvoir devant le juge, à exercer un recours pour excès de pouvoir devant les tribunaux
de l’ordre administratif. Mais l’insertion de la résistance à l’oppression dans ce cadre ne peut clore l’interrogation sur
la reconnaissance du droit qu'elle traduit dans les sociétés démocratiques contemporaines. Le simple fait de pouvoir
se pourvoir devant ces tribunaux rend compte de la valeur générale d’un tel droit de recours ; toutefois, en ce que
"l'intérêt guide l'action" suivant la notion "d’intérêt pour agir", ne peut se pourvoir en justice pour présenter des
demandes d'annulation d'actes estimés illégaux, des réclamations en matière fiscale que le contribuable, en matière
pénale que le justiciable, en matière administrative que l’administré, en matière politique que l'électeur… De fait, les
procédures qui encadrent l’exercice du recours, enferment la requête dans un champ "égoïste". Le droit de recours
n’est donc qu’un versant édulcoré du droit de résistance à l’oppression. Loin d’être un droit de l’homme au sens
premier du terme, malgré les dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme qui font du droit à un
recours effectif un droit fondamental, la possibilité de former recours pour excès de pouvoir est une faculté propre de
l’administré. Il n'est pas pour autant un "droit au juge" – administratif.
Si le droit de résistance permet l’institution d’un système de droit construit autour du refus de l’arbitraire, il ne rejoint
qu'imparfaitement le rejet de l’illégal. Cette lecture du droit de résistance à l'oppression explique la réticence portée à
l'égard de sa reconnaissance juridique. Si le droit de résistance à l’oppression ne s’exerce que dans le cadre des lois, il
perd de sa fonction originelle. Le cantonner dans des limites définies par la loi équivaut à le dénaturer. Le rappel des
"bornes de la loi" renvoie le débat vers la problématique de l’Etat de droit et signifie un refus permanent de
33
Naguère développée : v. G. Koubi, " Réflexions à propos du droit de résistance à l'oppression", Les Petites Affiches, 1989, n° 1, 2 janvier 1989, p. 10-16.
A ce propos, rappelant que la logique même des droits de l'homme est de l'ordre de la lutte contre le pouvoir, il est nécessaire de signifier que la résistance à
l'oppression ne se conçoit que dans l'espace public. Elle ne peut en aucun cas être rapprochée de la légitime défense. Ainsi, le droit de résistance à l’oppression ne
concerne pas les rapports privés, ceux que les individus entretiennent dans la sphère de leur environnement personnel (civil) ou la relation qu’un individu affecte
dans l’ordre social (pénal). La résistance à l'oppression se choisit toujours un interlocuteur "public", l’Etat ou l’administration.
35
Néanmoins, E. Desmons remarque que «l'obéissance préalable aux actes de l'autorité publique, même si elle entraîne des conséquences dommageables, est
exigée des citoyens, que l'acte soit illégal ou non» : in Droit et devoir de résistance en droit interne – Contribution à une théorie du droit positif, éd. L.G.D.J., 1999,
p. 89 (pp. 89-97: "l'interdiction de principe du droit de résistance pour les citoyens").
34
-6-
l’arbitraire36. Le droit de résistance à l’oppression pourrait donc s’analyser comme une faculté pour tout homme de
relever les "abus" du pouvoir ou de ses agents, et par la suite d’en demander l’extinction par toute voie de droit —
voire même par la violence s’il lui est fait violence lorsque l’action menée à son encontre est dépourvue de fondement
légal.
C — Le droit de résistance à l'oppression, fondement des autres droits de l'homme
Produit d’une histoire, résultat d’une conjoncture, œuvre d’une civilisation, la connaissance des droits de l’homme ne
peut s’abstraire de leur contexte politique — et notamment des mentions insérées dans les Déclarations des Droits de
1789 et 1793. Aussi, si le droit de résistance à l’oppression est à la source des autres droits de l’homme, il est encore
leur garantie. La protection de la liberté, de la propriété, comme de l’égalité, dépendent de la fonction de "contrôle"
que remplit l’exercice du droit de résistance à l’oppression.
La réhabilitation du droit de résistance à l'oppression dans l’ordre des fondements du droit devrait alors s'inscrire dans
un cadre positif. Au niveau des résolutions, doté d'une valeur essentielle bien que symbolique, le préambule de la
Déclaration universelle des Droits de l'Homme du 10 décembre 1948 rappelle en effet «qu'il est essentiel que les
droits de l'homme soient protégés par un régime de droit pour que l'homme ne soit pas contraint en suprême recours
à la révolte contre la tyrannie et l'oppression». S'il n’existe guère de textes, en France tout au moins, qui puissent
rendre effectivement compte de la qualité et de la consistance de ce droit, outre la Déclaration des Droits de l'Homme
et du Citoyen du 26 août 1789, dans certains Etats européens les lois fondamentales s'y réfèrent parfois. Par exemple,
la loi fondamentale allemande prévoit dans le § 4 de son article 20 que «à défaut d'autre recours, tous les Allemands
ont le droit de résister à quiconque entreprendrait de renverser ce régime constitutionnel» ; cette disposition apparaît
plus comme «une clause de défense du régime que [comme] une clause de résistance au régime»37. La vigilance des
citoyens ne se conçoit alors que pour le maintien d'un système politique donné et non pour contester les dérives que
ce système engendrerait. Cette proposition est retraduite explicitement l'article 120.4 de la constitution de la
République de Grèce qui clôt le texte constitutionnel : «L'observation de la Constitution est confiée au patriotisme
des Hellènes qui ont le droit et le devoir de résister par tous les moyens contre toute personne entreprenant son
abolition par la violence» ; ces mentions n'évoquent pas un droit de résistance à l'oppression puisqu'elles invitent à
une défense du texte fondamental sans que puisse être invoquée l'erreur, l'aveuglement ou le fourvoiement des
gouvernants. D'un autre côté, l'article 21 de la constitution du Portugal prévoit de manière plus tangible le droit de
résistance individuelle : «Toute personne a le droit de s'opposer à un ordre qui porte atteinte à ses droits, à ses
libertés ou à ses garanties, ainsi que de repousser par la force toute agression lorsqu'il est impossible de recourir à
l'autorité publique» ; cet article relie curieusement une notion d'ordre qui désignerait un agent éventuellement
dépositaire de l'autorité publique et une notion de légitime défense lors de carence de l'autorité. Seule la première
hypothèse répond aux enjeux intrinsèques d'un droit de résistance à l'oppression. En France, l’article 2 de la
Déclaration des Droits de 1789 reste l'unique référence pouvant être retenue à la base d'une perception juridique de la
résistance à l'oppression38. Toutefois, celle-ci est dépendante de la lecture des derniers articles de la Déclaration des
Droits de 1793, Déclaration qui n'est pourtant pas au nombre des sources du droit relevées par le Conseil
constitutionnel.
Si la Déclaration des Droits du 24 juin 1793 ne retient pas dans son article 2 relatif aux droits naturels et
imprescriptibles de l'homme, la résistance à l’oppression, cette omission est volontaire ; elle n’a pas pour objet de
déqualifier la résistance. Au contraire, la résistance est consacrée par l’article 33 qui la présente comme la
conséquence des autres droits de l’homme. En tant que le législateur peut se croire dégagé des attributions qui lui
incombent, — de même que le gouvernement —, et notamment de celle de garantir la jouissance des droits, infère
une interrogation sur la notion de "soumission" à la loi : la soumission aux lois n'est pas synonyme de l'obéissance
aux lois. Une différence méthodique doit être relevée entre ces deux termes ; la soumission suppose un "contrat de
dépendance" entre les sujets et le souverain39 ; elle empêche toute réflexion sur le contenu des dispositions législatives
(ou réglementaires) ; elle se traduit par des attitudes dociles qui conduisent à l'assujettissement ou à la servitude.
L'obéissance, plus émancipatrice, suppose l'acceptation d'une certaine discipline ; jamais acquise par avance, réfléchie
et consciente, elle peut être le produit d'une attention portée à la finalité de la loi ou du règlement. Ainsi ce n'est que
lorsque le principe de la soumission aux lois connaît de substantielles remises en cause et non lorsque la fonction de
l'obéissance subit de fortes perturbations, que la notion de résistance doit être prise comme objet d'étude en droit40. La
notion "d’oppression" est, dès lors, un des éléments clefs de la définition d’un droit de résistance : l’oppression se
36
Ce qui est, d’ailleurs, confirmé par les dispositions de l’article 7 de la Déclaration des Droits de 1789 : « ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font
exécuter des ordres arbitraires doivent être punis... », ce qui est encore renforcé par les données de l’article 12 qui précisent que l’institution d’une force publique
est nécessaire à la garantie des droits de l’homme et se réalise pour «l’avantage de tous ».
37
Tran Van Minh "Sanctions politiques et juridiques des violations des droits de l'homme", Violation des droits de l'homme, quels recours, quelle résistance?
Unesco, 1983, p. 170.
38
Ce, d'autant plus que cet article a fait l'objet en son ensemble d'une validation authentique, d'une reconnaissance constitutionnelle par le Conseil constitutionnel :
DC n° 132 du 16 janvier 1982, J.O.R.F. 17 janvier 1982, p. 299. Si l’article 6 de la Déclaration de 1789 rappelle que «tous les citoyens ont le droit de concourir
personnellement ou par leurs représentants à la formation de la loi», son objectif n'est pas de conduire à la disqualification de la contestation du fait de la
participation des citoyens à la vie politique, il se révèle plus subtil en ce que cette participation fonde la croyance en le bien-fondé de l'autorité de la loi, en ce que
l'obéissance plus que la soumission aux lois se réalise dans la mesure où ces lois seraient effectivement l’expression de la volonté générale.
39
v. M. Pagès, Le phénomène révolutionnaire : une régression créatrice, éd. Desclée de Brower, coll. Provocation, Paris, 1999.
40
Car l'obéissance aux lois ne connaît comme revers que la désobéissance.
-7-
caractérise essentiellement par la "violation des droits de l'homme"41. De ces paramètres doivent être distingués les
formes de l’action de résistance.
• L'oppression
La question de la "violation des droits de l'homme" invite à une recherche de définition de l'oppression. Cependant, si
la notion de droits de l'homme connaît de multiples remises en cause, le caractère universel de ces droits ne paraît pas
devoir être contesté42. Dans les "sociétés bien ordonnées", «les droits de l'homme sont distincts des garanties
constitutionnelles (…) ils constituent une classe particulière de droits dont l'application est universelle et dont
l'intention générale ne donne guère prise à la controverse»43. Néanmoins, en ce que ce sont les lectures et les
interprétations d’une théorie qui diffèrent selon les Etats et non le principe même du respect des droits de l'homme,
«ce processus, qu'on pourrait dire d'universalisation, ne tend pas à la diffusion d'un modèle unique, à partir d'un
point unique, mais plutôt à l'émergence en divers points d'une même volonté de reconnaître des droits communs à
tous les êtres humains. En ce sens, l'universalité [des droits de l'homme] implique bien un partage du sens et même
un enrichissement du sens par l'échange entre les cultures…»44. En retenant ces données, et en admettant que la
notion de droits de l'homme puisse être composée à partir d'un seuil commun minimal, l'oppression se caractériserait
essentiellement par l'atteinte à un droit essentiel, fondamental, intangible ou par la "gravité" de l'atteinte portée à ces
droits. Ces nuances ne signalent pas directement la source de l'oppression. Alors que la théorie de la non-obéissance
de J. Rawls semble n'avoir de sens que dans les "régimes hors la loi", c'est-à-dire les régimes dont l'«ordre juridique
est le fondement d'un système de coercition et de terreur»45, dans les sociétés démocratiques contemporaines, la
question de la violation des droits renvoie à l'étude des processus décisionnels et notamment aux méthodes
d'élaboration des lois. L'oppression peut donc avoir sa source dans la loi.
Alors que la problématique révolutionnaire s'intensifiait en France, le projet de Déclaration des droits naturels, civils
et politiques de l'homme présenté par Condorcet le 15 février 1793 comportait un article 32 qui proposait de définir
l'oppression46: «Il y a oppression lorsqu'une loi viole les droits naturels, civils et politiques qu'elle doit garantir ; — Il
y a oppression lorsque la loi est violée par les fonctionnaires publics dans son application à des faits individuels ; —
Il y a oppression lorsque des actes arbitraires violent les droits des citoyens contre l'expression de la loi ; — Dans
tout gouvernement libre, le mode de résistance à ces différents actes d'oppression doit être réglé par la constitution»
47
. La notion d'oppression invitait à prendre en considération autant la violation du droit que la violence de l'atteinte
portée à un droit ou à une liberté, de la part de l'Etat, de la part des institutions de pouvoir, de la part des pouvoirs
publics ou de leurs agents. S'il peut s'agir d'une violence symbolique, abstraite générée par les phénomènes de
soumission et de domination, cette "violence", quelles que soient ses formes, a pour effet d'éteindre toute opposition,
de freiner toute contestation. Elle est l'expression d'une force qui induit la résignation, qui contraint à la
subordination. Elle cherche ainsi à établir une systématicité, une automaticité de l'obéissance. Cette puissance, cette
pression s'évertue à détruire toute velléité de contestation, toute fonction d'opposition.
La violation des droits de l'homme ne se résume donc pas dans une restriction apportée à la jouissance des droits et à
l'exercice des libertés publiques. Elle ne se révèle pas dans à une atteinte portée à un droit fondamental notamment
lorsque celle-ci est "justifiée" par les nécessités d'une société démocratique. Ainsi, dans l'ordre du droit européen
comme dans l'ordre des droits internes, ne sauraient être constitutives d'une atteinte caractérisée aux droits de
l'homme, les mesures législatives qui, pour reprendre les expressions des articles 8, 9. 10, 11 de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, «dans une société démocratique,
[sont] nécessaires à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale, à la sûreté publique, au bien-être économique du
pays, à la défense ou à la protection de l'ordre et à la prévention du crime ou des infractions pénales, à la protection
de la santé ou de la morale publiques, à la protection de la réputation d'autrui, à la protection des droits et libertés
d'autrui». Du fait de ces assertions, le présupposé de la "légitimité" de l'atteinte à un droit de l'homme quand la
mesure qui la provoque est d'ordre législatif est renforcé. Dans ces modèles, il apparaît alors possible de penser
"l'oppression comme une nécessité de la vie sociale"48. Aussi, si aux mouvements de révolte, la réponse est la
répression armée, policière ou pénale, celle-ci se trouve être justifiée en droit puisque est reconnu, admis, accepté
"l'emploi des forces armées, de la police ou de l'administration de l'Etat" à l'encontre des personnes et des groupes qui
s'opposeraient à l'application de ces mesures. De fait, la source de la violence qui révèle l'oppression n'est pas dans
l'action de répression. Elle lui est antérieure. Ses traces se retrouvent dans les motifs de la révolte, dans la raison de la
résistance, et plus spécifiquement, elles sont décelables dans les intentions, les représentations et les conceptions de
l'atteinte portée aux droits de l'homme, — et aux droits du peuple — par les gouvernants.
Dans la mesure où la question de la résistance à l'oppression est soulevée « lorsqu'une loi viole les droits naturels,
civils et politiques qu'elle doit garantir»,, les hypothèses de l'édiction de lois liberticides, de la promulgation de lois
41
En ce sens, les dispositions de l'article 21 de la Déclaration des droits de l'homme dans le projet de constitution du 19 avril 1946 sont encore d'actualité : «Quand
le gouvernement viole les libertés et les droits garantis par la Constitution, la résistance sous toutes ses formes est le plus sacré des droits et le plus impérieux des
devoirs». Toutefois, le fait de cette mention n'ait pas été réitérée à l'occasion de la rédaction de la Constitution du 26 octobre 1946 et surtout de son préambule —
qui est aujourd'hui incorporé dans les références constitutionnelles au vu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel —, laisse en suspends la question cruciale
de la Résistance, v. G. Koubi "Eclipse de la Résistance… ou occultation de la résistance à l'oppression?" in: CURAPP, Le préambule de la constitution de 1946 –
Antinomies juridiques et contradictions politiques, éd. P.U.F., Paris, 1996, pp. 83.
42
Dans la présente étude, la problématique s'inscrit dans le cadre des Etats "démocratiques" modernes et non dans les Etats autoritaires..
43
J. Rawls, Le droit des gens, (trad.) éd. Esprit, Paris, 1996, p. 93.
44
M. Delmas-Marty, Trois défis pour un droit mondial, éd. Seuil, Paris, 1998, p. 25.
45
J. Rawls, Le droit des gens, (trad.) éd. Esprit, Paris, 1996, p. 96 (donnant l'exemple le plus "démoniaque" du régime nazi).
46
La Déclaration girondine qui suivit n'en avait retenu que quelques éléments.
47
v. M. Morabito, "La résistance à l'oppression en 1793", Rev. hist. droit, 72 (2), avril- juin 1994, pp. 235.
48
v. toutefois, S. Weil, Réflexions sur les causes de la liberté et de l'oppression sociale, éd. Gallimard, coll. essais, Paris, 1955.
-8-
oppressives ne sont pas absurdes, aberrantes, insensées ou saugrenues, même dans des régimes dits démocratiques.
La notion de "loi oppressive", souvent présentée comme "une loi injuste", peut ainsi être discernée à partir du
moment où «une loi [est] manifestement dirigée contre un individu ou une catégorie d’individus même si elle [revêt]
une apparence de généralité»49. Si pour nombre de juristes, l'apparition de telles lois dans des régimes démocratiques
et dans des Etats de droit ne saurait se concevoir, ce n'est qu'en vertu d'une confiance absolue en les institutions de
pouvoir. En effet, si les Cours constitutionnelles devraient en empêcher la promulgation comme l'application, elles
sont, comme toutes juridictions, partie prenante au processus législatif. Relevant de la sphère des institutions de
pouvoir, dans la mesure où elles ne peuvent en général se saisir elles-mêmes pour l’examen de la conformité d’un
texte législatif à la constitution, le cas échéant elles contribuent, délibérément ou inconsciemment, au maintien d'une
loi oppressive, fondamentalement attentatoire aux droits de l'homme — et de ce fait à la dignité de la personne
humaine — dans l'ordre juridique… Et pour contrecarrer les effets de telles lois, ne peuvent être envisagées que des
actions de résistance.
• l'action de résistance à l'oppression
Proche de l’insurrection si elle révèle une colère collective accompagnée de mouvements sporadiques de révolte ou
d’émeute, la résistance à l'oppression n'est pas acte de désobéissance ; elle est acte d’insoumission et
d'insubordination. Elle exige radicalement des pouvoirs publics qu'ils s'engagent à "redresser le droit".
Selon l'article 34 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 24 juin 1793 «il y a oppression contre le
corps social lorsqu'un seul de ses membres est opprimé. Il y a oppression contre chaque membre lorsque le corps
social est opprimé». Si le "peuple" n'est pas convoqué dans cette perspective50, chaque membre et le corps social en
son entier sont concernés par toute forme de violation des droits de l'homme : si la résistance à l’oppression peut se
révéler individuelle, elle engage l'action dans la conscience collective. Si, dans le cadre de la science juridique, il
semble aussi difficile d'exclure que d'inclure le droit de résistance à l'oppression de la sphère du droit positif des Etats
démocratiques, ce n'est qu'en vertu du fait que la reconnaissance juridique du droit de résistance à l'oppression
conduit à son dépérissement. Dès lors, l'argument de la reconnaissance juridique de la résistance à l'oppression n'est
pas décisif puisque «de tels droits ne seront qu'une des clauses de prudence pour un Etat conscient de l'impossibilité
de faire marcher tout un peuple à l'arbitraire, et conscient aussi du fait qu'il doit pouvoir compter sur un minimum
d'adhésion pour faire face à une situation de crise»51.
Pourtant, l’opposition collective à la loi que serait la désobéissance civile doit être comprise comme un "signal
d’alarme" qui protège l'Etat tandis que la résistance à l'oppression, en signifiant l’existence d’un conflit irréductible
entre les pouvoirs publics et la société civile, traduit la défiance et la suspicion envers les institutions publiques. La
résistance à l'oppression est effectivement l'expression d'un rejet complet, d'un refus entier des modes de production
du droit dans l'Etat.
L’exercice collectif du droit de résistance à l’oppression se distingue alors de la désobéissance et de l'insurrection en
ce qu'il ne se préoccupe guère de la question de "l'ordre public". Passive lorsqu'elle conduit à démontrer
l'imperfection des lois, de la loi52 ou active, pacifique ou violente dans son exercice collectif, la résistance à
l'oppression crée inéluctablement des troubles à l'ordre public, juridique, politique. Mais le but premier de son
exercice n'est pas de déstabiliser irrémédiablement le pouvoir, il est d'obliger l'Etat à demeurer fidèle aux principes
qui lui ont donné sa forme53. Son objectif est de provoquer une rupture dans l’ordre du discours politique et non
directement des formes institutionnelles du régime. La résistance à l'oppression n'a donc pas en soi de visées
révolutionnaires : les motifs de l'action sont essentiellement de rappeler aux pouvoirs publics les fondements de leur
légitimité. La résistance à l'oppression ne se définit donc pas dans les jeux séditieux, ni dans les mouvements
collectifs insurrectionnels ; elle ne peut mettre en péril les institutions publiques. Elle est un droit d'opposition à des
règles de droit, conventions, lois ou règlements, qui portent atteinte à des libertés toujours vulnérables quand leur
protection dérive du pouvoir, toujours fragiles lorsqu'elles procèdent du pouvoir.
Dans les sociétés démocratiques, le droit de résistance à l'oppression devient un mode d'exercice de la citoyenneté
fondamental : il exprime le refus des dérives d'un régime politique vers l'autoritarisme, il manifeste une objection
absolue à des lois oppressives. C'est à propos de telles lois que Thoreau s'interrogeait : «Nous bornerons-nous à les
respecter? Continuerons-nous d’y obéir en essayant de les amender? Ou les transgresserons-nous tout de suite?»54.
De ces questions ressort une interrogation sur le comportement à adopter en pareil cas : si obéir aveuglément est
entériner le principe de soumission recherché par l'Etat, obéir en sollicitant la modification est simplement énoncer
une contestation de principe. Désobéir est inviter les pouvoirs publics à procéder à une réforme tandis que résister est
remettre en cause la validité même d'un régime politique qui permet l'élaboration de telles lois. Car ces lois
appartiennent à l'ordonnancement juridique de l'Etat. S'il y a des lois injustes, s'il existe des lois oppressives, si
«même une société qui est en principe juste peut produire des lois ou des politiques injustes [-] un homme a des
4949
F. Luchaire, La protection constitutionnelle des droits et libertés, éd. Economica, Paris, 1987, p. 466.
Il l'est dans l'article suivant, l'article 35, qui prône l'insurrection : «Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est ,pour le peuple et pour
chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs».
51
J. Robelin, La petite fabrique du droit, éd. Kimé, Paris, 1994, p. 122.
52
Par exemple, comme le fit Gandhi en son temps, plutôt que désobéir demander l'application de la loi dans toute sa rigueur.
53
De ce fait, nécessairement de moindre ampleur est le droit de résistance à l’oppression individuel car il «ne présente aucun danger quant à la stabilité du
gouvernement, il ne risque pas de troubler l’Etat à l’improviste, car il est rendu inefficace par la faiblesse de l’individu et la puissance de l’Etat» [: L. Arinella "La
notion de résistance à I’Etat — le point de vue de Locke", Diogène, n° 35, 1961, p. 124]. Son objet, similaire en cela à la désobéissance civile, est de revendiquer
une amélioration des règles juridiques, une application sereine des principes fondamentaux.
54
H.D. Thoreau, La désobéissance civile, (trad.), Typo, coll. essai, Québec, 1994, p. 30.
50
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devoirs autres que ses devoirs envers l'Etat…»55. Le citoyen est ainsi tenu de résister aux lois qui oppriment, aux lois
qui portent atteinte aux droits de l'homme.
Alors que la désobéissance est une action symbolique appartenant aux modèles de conduite et de comportements
sociaux, la résistance à l'oppression est un droit. Elle est aussi un devoir attaché à la qualité de citoyen dans les Etats
de droit contemporains.
D — La résistance à l'oppression et la désobéissance civile
La confusion entretenue par les pouvoirs publics entre la désobéissance à la loi, la résistance à la loi oppressive et
l'infraction pénale est particulièrement révélatrice de la difficulté de penser le droit de résistance à l'oppression dans
les sociétés contemporaines. Les Etats démocratiques font généralement valoir le caractère légal et légitime des
processus décisionnels législatifs et réglementaires. Pourtant, certaines des mesures que leurs organes envisagent ou
édictent suscitent des mouvements de réaction dans la société civile ; pétitions, manifestations et contestations
diverses révèlent alors l'existence de hiatus quant à la réception sociale des dispositions prévues ou nouvelles.
Les motivations des acteurs de la société civile permettent, en un premier temps, de discerner entre les objectifs des
uns et des autres, de dessiner une distinction entre la situation des délinquants, des désobéissants et des résistants.
Les premiers agissent pour eux-mêmes, en dissimulant leur acte, dans leurs propres intérêts ; les seconds lancent
publiquement un défi aux autorités en s’instituant eux-mêmes porteurs d’un droit56, les derniers affrontent
délibérément l’autorité de l’Etat pour réclamer le respect des droits.
Lorsqu'il signalait la nécessité de procéder à des réformes immédiates, voulant inciter les gouvernants à améliorer les
lois, cherchant à susciter la révision des objectifs qu'elles portaient, Thoreau remarquait que l'«on considère la
résistance comme un remède pire que le mal»57. En appelant au refus d'une politique donnée, il exprimait son
"désaccord fondamental" avec un gouvernement admettant l'esclavage. Ne pouvant se résoudre à contribuer au
maintien d'une telle politique, il pouvait appeler à la "désobéissance" lorsque les droits d'autrui se trouvaient ignorés,
méprisés, oubliés : «si une loi, de par sa nature même, vous oblige à commettre des injustices envers autrui, alors, je
vous le dis, enfreignez la»58. En tout état de cause, seul à agir à l'encontre la loi en refusant de payer l’impôt électoral,
il se référait à sa propre conscience59. Or, l’objection de conscience n’induit pas la désobéissance à la loi, même si elle
l'annonce et la précède60.
La désobéissance à la loi n'est pas une forme dérivée de l'objection de conscience, elle reflète une connaissance de la
force collective d'une idée à propos du caractère injuste d'une loi, de la nature arbitraire d'une disposition légale. S'il
n’existe pas d'unanimité sur ce qui est juste ou injuste, ce qui est le droit et ce qui ne l’est pas, c’est pourtant bien en
vertu d’une conception sociale de la justice que la désobéissance à la loi se révèle. Son but est de susciter une
révision, une refonte de la loi considérée. La désobéissance est «un acte public non violent, décidé en conscience,
mais politique, contraire à la loi et accompli le plus souvent pour amener un changement dans la loi ou bien dans la
politique du gouvernement»61. De son côté, la résistance ne se limite pas à solliciter un changement dans la loi ou
dans la politique du gouvernement à propos d’un point donné. Si elle comporte certains aspects de la désobéissance
civile, elle indique une radicalité nouvelle dans l'action, elle n'exprime pas une demande de réforme ou de révision,
elle manifeste le refus de s'incliner devant la puissance de l'Etat. Elle exige la "transformation du système de droit"
non seulement pour que cesse l'atteinte portée aux droits de l'homme visée par l'action de désobéissance mais encore
pour que de telles atteintes ne puissent désormais se fonder sur des textes juridiques "validés" par l'ordonnancement
des règles de droit.
Dès lors, il n'y a pas de résistance à l'oppression sans que soient démontrés l'oppression et les risques d'oppression,
sans que soient signifiés la source de l'oppression (la loi dans les systèmes démocratiques ou l'action des gouvernants
dans d'autres sociétés) et les dysfonctionnements qui ont permis son avènement. Alors que la désobéissance civile
consiste à exposer des développements de nature morale à partir d'une situation politique donnée ne faisant pas l'objet
de la contestation, la résistance à l'oppression est toujours porteuse d'un projet politique, d'une pensée sur le droit et
les formes de production de la règle de droit, d'une idée nouvelle : «tout progrès commence par une abolition, toute
réforme s'appuie sur la dénonciation d'un abus, toute idée nouvelle repose sur l'insuffisance démontrée de
l'ancienne»62. L'exercice du droit de résistance à l'oppression doit donc être toujours, à chaque fois, "explicité",
justifié non par la nécessaire réforme de la loi qui semble l'avoir suscité dans un temps donné, mais par
l'indispensable refonte du système politique qui, produisant cette loi entre autres, a démontré son incapacité à garantir
les droits de l'homme. La résistance à l'oppression traduit une exigence précise : elle requiert la correction des
logiques juridiques qui ont permis que soit envisagée ou portée cette atteinte aux droits fondamentaux de l'homme —
et du corps social, du peuple. Ni action menée en conscience, ni réclamation de justice, la résistance à l'oppression est
de "droit" ; elle ne s'enferme pas dans les processus d'émancipation des populations, ni dans les procédures d'un
55
R. Dworkin, Prendre les droits au sérieux, (trad.) éd. P.U.F., Paris, 1995, p.282?
D. Lochak, “Désobéir à la loi”, Mélanges J. Mourgeon, Pouvoir et liberté, éd. Bruylant, Bruxelles, 1998, pp. 191-208.
H.D. Thoreau, La désobéissance civile, (trad.), Typo, coll. essai, Québec, 1994, p. 30.
58
H.D. Thoreau, La désobéissance civile, (trad.), Typo, coll. essai, Québec, 1994, p. 31.
59
Suivant une argumentation identique, apprenant le détail du financement public des partis politiques, retenant que la contribution par foyer fiscal pour le Front
National s'élevait à 1,78 FF, une citoyenne française a décidé de les défalquer du versement de ses impôts, v. Le Monde, 8 juin 1999.
60
Les objecteurs de conscience agissent en vertu de leur propre conscience morale, à raison de leurs propres convictions, suivant leurs propres interprétations des
différentes lois auxquelles ils se réfèrent. D. Lochak remarque à juste titre que l’un des modèles de "désobéissance civile" proposés par R. Dworkin (in: Prendre les
droits au sérieux, (trad.), éd. P.U.F. 1997, pp. 279-326) qui met en valeur la «conscience morale de celui qui pense qu’il commettrait une faute morale grave s’il
obéissait à la loi» s’apparente, en fait, à l’objection de conscience : “Désobéir à la loi”, Mélanges J. Mourgeon, Pouvoir et liberté, éd. Bruylant, Bruxelles, 1998, p.
194
61
J. Rawls, Théorie de la justice, (trad.) éd. Seuil, Paris, 1987, p. 405
62
J.B. Proudhon, "Idées générales de la Révolution au XIX° siècle" (1851), Justice et liberté, … textes choisis par J. Muglioni, éd. P.U.F., collection Les grands
textes, Paris, 1962, p. 5.
56
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système juridictionnel. L'arbitraire prescrit en effet que soit exercé le droit de résistance à l'oppression qui est la
conséquence des autres droits de l'homme - au cas contraire, nul ne peut être contraint de s'inscrire dans le "droit
positif" ainsi créé63.
La désobéissance à la loi répond à une autre logique. Désobéir revient à enfreindre la loi et à s'exposer à des
poursuites, à risquer des sanctions pénales ou administratives. Conscient que la notion de justice est toujours porteuse
d'un idéal, l'Etat peut parfois admettre que soient lancées des actions de désobéissance civile, mais il ne peut
l'autoriser «que lorsque ses intérêts vitaux ne sont pas en jeu, et c'est lui qui les définit»64, — ce qui explique d'ailleurs
la légalisation de l'objection de conscience. La dimension de la résistance à l’oppression n’est pas totalement
dépourvue de liens avec celle de la désobéissance civile, l’une et l’autre sont inscrites dans le politique, l’une et
l’autre s'impliquent dans la sphère juridique, l'une et l'autre comportent une forme d’appel au public pour lutter contre
l'injustice. Ce qui les distingue foncièrement est que la résistance à l’oppression est un "droit", un droit de
contestation d’ordre général alors que la désobéissance à la loi n’est pas un droit et, de plus, elle revient à conserver
son appui au régime politique. Résister à des lois oppressives consiste certes à désobéir, mais surtout à militer
activement, inlassablement, au risque de sa liberté voire de sa vie, pour que soit enfin réalisée une modification
profonde de la logique juridique — ou plus exactement de la logique politique qui a permis la formation, la
promulgation de lois contraires à la théorie des droits de l'homme, à la philosophie des droits de la personne humaine,
au respect des droits et des libertés fondamentales. Résister n'est pas seulement désobéir à la loi puisque désobéir à la
loi est encore accorder foi dans la loi, ce n'est pas seulement s'engager pour la révision de la loi, c'est en empêcher
l'adoption, la promulgation et l'application, c'est contester et détourner systématiquement l'effet de ces lois, c'est agir
contre la loi et le droit, c'est refuser le droit de l'Etat65. La résistance à l’oppression invite donc à une transformation
du système, à une mutation des méthodes de production du droit tandis que la désobéissance demande des nuances,
des corrections, des modifications de la loi contre laquelle elle se réalise. Le paradoxe du droit de résistance à
l'oppression est ainsi entièrement contenu dans cette confrontation entre l'exercice d'un droit et le système de droit.
Dans cette perspective, la résistance à l'oppression est un droit de l'homme qui s’exerce contre le système de droit, —
système qui, au lieu de permettre l'élaboration de lois garantissant les droits et protégeant les libertés, contribue à
l'édiction de normes leur portant une atteinte caractérisée. Expression d’un droit au respect du droit énoncé par les
individus à l’endroit des pouvoirs publics, le droit de résistance à l’oppression s'avère effectivement être la
conséquence des autres droits de l’homme. Il en est en est le fondement en ce qu'il engage les gouvernements dans la
voie des révisions radicales…. C'est ainsi que le droit de résistance à l’oppression est un droit de l'homme. Il est un
droit "hors-la loi" certes, il est un "droit hors le droit". La résistance à l'oppression a donc sa place en droit justement
pour que soit assurée la cohérence du droit.
63
Art. 33 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 24 juin 1793.
J. Robelin, La petite fabrique du droit, éd. Kimé, Paris, 1994, p. 138-139.
Spencer estimait d'ailleurs que «comme corollaire à la proposition que toutes les institutions doivent être subordonnées à la loi d'égale liberté, nous devons
nécessairement admettre le droit du citoyen d'adopter volontairement la condition de hors la loi» : H. Spencer, Le droit d'ignorer l'Etat, (1850) (trad.), éd. Les
belles lettres, coll. Iconoclastes, 1993, p. 15.
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