Pèlerinage à la Mecque Tirons les leçons de la tragédie de 2015

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Pèlerinage à la Mecque Tirons les leçons de la tragédie de 2015
Pèlerinage à la Mecque
Tirons les leçons de la tragédie de 2015 !
Le drame de Mina, pour notre pays, constitue une véritable tragédie de par son bilan
particulièrement lourd. Le Mali est ainsi, sur la base du dernier décompte des victimes, le premier
pays africain et le second de la planète à avoir enregistré autant de morts avec 299 sur un total de
2236 soit plus de 10% des pèlerins décédés. Ce bilan est loin d’être définitif, il faut donc s’attendre à
ce qu’il s’alourdisse. Depuis l’accession de notre pays à l’indépendance, on ne sait pas s’il y a eu un
seul drame (conflit armé, soulèvement de mars 1991, accidents de la route, épidémies…) qui a
occasionné autant de pertes en vies humaines maliennes d’un seul coup. Les différents conflits armés
qui ont touché notre pays, n’ont pas occasionné autant de morts ! Ce qui fait de la catastrophe de
Mina, l’une des plus graves, si ce n’est la plus grave et la plus profonde, qui ait touché notre pays ces
cinquante-cinq dernières années.
Le constat ainsi fait est indispensable pour situer l’évènement, en mesurer les impacts et surtout
engager les voies et moyens pour qu’il ne se renouvelle plus.
Nous devons impérativement marquer cet évènement du fer rouge pour notre pays, notamment
pour la communauté musulmane et créer les conditions pour qu’à jamais le Mali se souvienne de ses
disparus de Mina, pour la plupart de simples citoyens enterrés dans l’anonymat le plus complet. Les
autorités nationales avec le soutien de la communauté des religieux doivent trouver les voies
adéquates afin de marquer les esprits de manière indélébile par cette tragédie et faire en sorte que
la mémoire nationale la retienne à jamais. Cette date, déjà symbolique (tabaski), devrait constituer,
chaque année, une occasion pour les Maliens de se rappeler de cette catastrophe, de se recueillir,
faire des sacrifices…Les autorités doivent y participer. Peut-être qu’un lieu pourrait être retenu
comme symbole de ce drame. Peut-être que d’autres manifestations pourraient être organisées
(prières, rencontres de réflexions…) pour faire de l’évènement un moment de recueillement et
d’unité dans la dévotion, mais aussi, comme occasion de poser des jalons utiles pour le renforcement
de la foi et de la pratique religieuse, l’amélioration et le renforcement du tissu social, etc.
Après la gestion de la question de l’émotion et de la catharsis nécessaire à réaliser pour ce faire, il
faut questionner notre raison pour que ce drame ne soit pas un de plus, imputé au seul courroux du
tout puissant. La volonté divine doit être évoquée après les analyses objectives, pas avant.
Autrement, aucune action de correction ne sera prise et, un jour, les mêmes causes produiront les
mêmes effets. Il faut donc engager la phase des interrogations et analyses pour que de telles
catastrophes ne surviennent de nouveau, ou en réduire les possibilités. Pour ce faire, le pays
organisateur, l’Arabie Saoudite, qui a annoncé des enquêtes transparentes qui seront suivies de
mesures correctives, y compris des sanctions, doit être prise au mot. Le Mali, en tant que pays
particulièrement touché par le drame, ne doit pas rester en marge de ces processus. Notre
diplomatie, nos autorités consulaires et tous nos réseaux connectés à ce pays doivent être mis à
contribution pour participer effectivement aux investigations, donner les informations à notre
possession, fournir les éclairages nécessaires et obtenir des Saoudiens la prise en compte de notre
participation.
Cela permettrait de comprendre le déroulement du processus, d’en saisir tous les aspects, d’être au
courant des résultats et de les interpréter à notre niveau en perspective du futur. Cela permettrait aussi
d’assurer une veille pour que les engagements saoudiens soient suivis d’effet, et que la tentation facile
d’imputer la tragédie uniquement aux pèlerins ne puisse prospérer. Nous devons savoir exiger, en
hommage à nos disparus, que les enquêtes soient diligentées avec objectivité et célérité. Nous devons
ensuite partager avec les populations maliennes les résultats de ces enquêtes et les suites qui leur seront
réservées.
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Il est enfin obligatoire que nous nous regardions nous-mêmes et que nous apprécions quelles ont pu
être nos responsabilités internes dans cette tragédie et, au-delà, comment organiser le pèlerinage à
la Mecque dans les meilleures conditions pour nos compatriotes. Il y avait toutes les nationalités à la
Mecque, tous les pays africains avaient des pèlerins sur place, certains (Nigéria, Maroc, Égypte, …)
beaucoup plus nombreux que les Maliens. Pourtant, nous déplorons plus de pertes que ceux-ci. Cela
ne peut être dû au hasard seulement. Il faut que nous analysions froidement les causes
institutionnelles, organisationnelles et opérationnelles qui ont pu jouer un rôle dans ce drame.
Évitons les invectives, les accusations aussi stériles que fantaisistes qui fleurissent malheureusement
sur nos medias et posons les bonnes questions pour aboutir aux bons résultats.
L’État doit trouver la forme appropriée pour engager les investigations nécessaires sur cette question
précise. Cela peut revenir au Ministère en charge des cultes, appuyé par les instances religieuses.
Cela peut se faire sous forme d’une commission d’enquête parlementaire. Il faudra écouter tous les
acteurs de l’organisation du pèlerinage et travailler de manière sereine pour aboutir à des résultats
probants. Des sanctions peuvent être envisagées mais il s’agira surtout de mieux baliser la future
organisation du pèlerinage. Le Mali ne peut plus et ne doit plus se permettre d’organiser le
pèlerinage de la même manière. Il y a trop d’insuffisances relevées par les acteurs, chaque année et
personne, y compris l’administration elle-même, n’est satisfaite de la manière dont le pèlerinage est
organisé par notre pays. Nous devons donc changer de fusil d’épaule. Pour ce faire, l’État doit
s’orienter vers l’organisation d’états généraux du pèlerinage qui déboucheront sur des propositions
concrètes à très court terme et sur des mesures de rectification afin que le processus engagé pour le
pèlerinage de l’année prochaine soit situé dans un nouveau contexte. Le Ministère en charge du
culte avec la participation des instances religieuses doit organiser cet exercice auquel participeront
tous les acteurs du système et toutes les personnes ressources, dont nos compatriotes basés en
Arabie saoudite, utiles à la prise de mesures appropriées. Le rôle de l’État doit être défini dans le
processus.
L’État doit se désengager des activités marchandes et, dans ce cadre, de la location d’avion,
d’hôtels…pour arborer efficacement la position de régulateur, de contrôleur et de censeur. Il est
difficile d’être juge et partie. Cela diminuerait les fraudes, les détournements et les manœuvres
écœurantes de certains agents publics qui s’enrichissent ainsi sur le dos de pauvres citoyens. Les
acteurs du voyage doivent être plus structurés, il n’est pas évident que la multitude d’agences, dont
certaines ne sont que des rabatteuses de pèlerins pour d’autres, soient un facteur de crédibilité et
d’efficacité. L’identification et la formation des pèlerins, l’appréciation de leurs capacités physiques,
leur encadrement sur les sites de pèlerinage sont aussi à mieux normaliser et surtout à mieux suivre.
Les acteurs du processus sont les mieux placés pour évoquer toutes ces questions et nul doute que
cet exercice pourra déboucher sur un nouveau départ pour l’organisation du pèlerinage au Mali.
C’est le moins que nous devons à nos morts de Mina, puisse leurs âmes reposer en paix !
Moussa MARA
[email protected]
www.moussamara.com
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