Surendettement et crédits bancaires
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Surendettement et crédits bancaires
UNIVERSITE POPULAIRE DU PAYS DES OLONNES Surendettement et crédits bancaires Conférence de Bernard Friot 16 novembre 2011 Le surendettement existe parce qu’il y a du crédit, et c’est la légitimité même du crédit qu’il faut interroger. 1) Les ménages Pendant longtemps, le crédit à la consommation était une opération entre un employé d’une banque et un emprunteur, avec des conditions très précises de remboursement, pour l’achat d’un bien durable : un logement, une voiture. Depuis les années 80 et la décélération des salaires, le crédit consommation s’est développé pour soutenir la demande. Il se fait dans l’anonymat pour l’achat de biens courants avec les cartes de magasins et les entreprises de crédit (Cetelem, Cofidis, etc), filiales des banques. Ces entreprises prospèrent sur la faiblesse des salaires et, le cas échéant, encouragent des addictions comme l’addiction aux jeux. Elles achètent des listings, très informées sur les habitudes de consommation, pour prospecter et s’adressent en priorité aux propriétaires pour avoir une garantie. Les actionnaires sont gagnants sur deux tableaux : sur les salaires non versés et sur les intérêts usuraires récupérés. La compensation de l’insuffisance des salaires par du crédit est l’origine immédiate de la crise de 2007, avec le surendettement des ménages américains, aggravée par les hypothèques prises sur les maisons. Ce type de crédit est un fléau et devrait être interdit. Seul le crédit lié à l’achat de biens durables est acceptable, puisque la dépense excède les ressources mensuelles courantes. 2) Les entreprises et l’Etat Ce sont les entreprises privées qui ont le montant d’endettement le plus élevé : 7 000 milliards d’Euros, contre 1 600 milliards pour l’Etat (pour un PIB de 2 000 milliards). Financer l’investissement, privé et public, en anticipant la production future, est indispensable. Mais est-ce que cela doit être fait par du crédit, c’est-à-dire par l’appel à des prêteurs qui vont demander un remboursement et un taux d’intérêt ? La dette publique : Traditionnellement, la banque centrale créait de la monnaie correspondant à la valeur qui serait créée par l’investissement public. Depuis 1973, la loi Pompidou (VGE étant ministre des Finances) a interdit le financement des dépenses publiques par la Banque de France. Leur financement ne pouvait dès lors être assuré que de deux manières : soit par la hausse de l’impôt, ce qui n’a pas été le cas puisqu’il a baissé de 4 points, soit par l’emprunt. Là aussi coup double pour les actionnaires : moins d’impôts à payer et bénéfices sur l’argent prêté à l’Etat. Alors que le déficit public était de 10 et 15% du PIB avant 1973, il a explosé depuis et atteint aujourd’hui 80% du PIB, en quasi totalité à cause des intérêts. Dans les 1 600 milliards de dettes de l’Etat, la part des intérêts est de 95 %. L’Etat doit contracter de nouveaux emprunts pour payer les intérêts. Et c’est sans fin alors même que le budget, hors remboursement de la dette, est excédentaire. André-Jacques Holbecq et Philippe Derudder, dans « La dette publique, une affaire rentable (Editions Yves Michel, 2008) » montrent que de 1980 à 2006 les soldes budgétaires cumulés donnent un excédent de près de 230 milliards d’euros en 2006 ! Mais l’Etat a dû pendant cette période payer près de 1 150 milliards d’intérêts ! Si bien que la dette est passée (toujours en euros en 2006) de 225 à 1 142 milliards. Cette dette est illégitime : son annulation est naturelle, car les prêteurs ont déjà été plus que remboursés. Il n’y a pas de raison pour que les banques centrales ne créent pas de la monnaie pour financer l’investissement public. Cette création monétaire n’est pas inflationniste si elle correspond à une valeur économique nouvelle. On ne peut parler de « planche à billets » que s’il n’y a pas de valeur créée. 3) Propriété d’usage, propriété lucrative, crédit Lorsqu’un ménage épargne sur un livret à 2 ou 3 % en vue d’un achat de biens durables dont il fera usage (logement, voiture), il s’agit d’une épargne d’usage. Elle ne rapporte rien, le taux d’intérêt sert uniquement à maintenir le pouvoir d’achat du dépôt. Et la propriété d’usage ainsi constituée ne rapporte rien non plus : la maison sert à se loger. La propriété d’usage est un droit humain fondamental qui ne ponctionne aucune valeur sur le travail d’autrui. Il en est de même lorsqu’un travailleur indépendant achète du matériel que son propre travail mettra en œuvre : son revenu sera tiré de son seul travail. Son patrimoine est une propriété d’usage, qui lui permet de travailler. L’autre chose est l’épargne lucrative dont les détenteurs attendent des rendements supérieurs à la hausse annuelle du PIB, jusqu’à des taux de l’ordre de 15 %. Ce gain supérieur à la hausse du PIB représente nécessairement une ponction sur la valeur économique créée par le travail d’autrui. De même, la propriété lucrative est un patrimoine qui n’est pas consommé par son détenteur et dont il tire un revenu par ponction sur la valeur créée par autrui. La forme dominante aujourd’hui est la détention d’un portefeuille de titres financiers, qui font l’objet d’une croyance curieuse. On croit généralement qu’un portefeuille est un congélateur de valeurs et qu’apporter des titres c’est apporter une valeur qui vient s’ajouter à la valeur en train d’être produite par le travail. C’est faux : les portefeuilles financiers, ce n’est pas de la valeur, ce sont des droits sur la valeur créée au moment où le détenteur transforme ses titres en monnaie. Le « repreneur », souvent tant supplié, qui prétend « apporter » un million d’euros pour renflouer une entreprise n’apporte absolument rien. Pour payer les machines, les fournisseurs, les salaires, il doit convertir ses titres en monnaie dans une banque. Pour que la banque lui donne la monnaie correspondante, il faut que cette monnaie préexiste : cette monnaie correspond à la valeur dégagée par le travail en cours. Un repreneur « n’apporte » que ce qu’il vient de ponctionner sur le travail d’autrui. De même, le crédit repose sur l’existence de la propriété lucrative : un prêteur ne prête jamais que ce qu’il vient de nous piquer. Pourquoi sommes-nous condamnés à des années d’austérité ? Dans les bulles financières se crée de la monnaie virtuelle ne correspondant à aucune valeur. Pour qu’il y ait valeur, il faut qu’il y ait valeur économique créée par le travail. Mais lorsqu’une bulle éclate, les détenteurs de la propriété lucrative obtiennent que les Etats créent de la monnaie pour leur fournir l’équivalent de ce qui s’était accumulé virtuellement. Et pour que ce ne soit pas de la monnaie de planche à billets, ils obtiennent que les gouvernements imposent l’austérité permettant de ponctionner sur le travail collectif l’équivalent de la monnaie ainsi créée. Les marchés financiers sont de purs parasites. 4) L’alternative : la cotisation à la place du crédit On peut la créer en s’inspirant de ce que nous expérimentons avec succès depuis plus de 50 ans : notre Sécurité sociale qui montre à grande échelle la possibilité de financer du long terme sans aucune épargne (en France, la part des cotisations dans le financement des pensions est de 97 %, mais il en est de même dans l’Europe des 15, où la capitalisation ne représente que 10% du financement des pensions). Il est prouvé que dans les pays où les retraites ne sont pas financées par des fonds de pension, le taux de remplacement est meilleur et le pourcentage de retraités plus élevé. Il en est de même pour la qualité de la santé publique. Il est donc possible, sur le modèle réussi de la cotisation sociale, d’instaurer une cotisation économique, qui irait dans des caisses destinées à financer l’investissement public et privé. Comme cette cotisation serait ponctionnée directement sur le PIB à la place de la propriété lucrative, il n’y aurait plus d’appropriation privée de la valeur à des fins lucratives. Et donc plus de crédit, car les sommes investies ne seraient pas prêtées et n’auraient donc pas à être remboursées. Conclusion Sortir du surendettement des ménages passe par l’interdiction du crédit à la consommation autre que pour l’achat de biens durables et par la hausse des salaires ; il s’agit de rendre aux salariés les 10% de PIB qu’ils ont perdus en 30 ans. Sortir du surendettement des Etats passe par deux mesures simultanées : abolir la dette, déjà surabondamment remboursée, et remplacer le crédit à l’investissement par une cotisation économique qui ponctionnera la valeur ajoutée à la place du profit. Actuellement la croyance dans les marchés est une religion, que nous devons combattre, en diffusant autour de nous la connaissance qui prouve sa nocivité. Un petit test à valeur d'exemple : amusons-nous à remplacer le mot "marché" (dans "les marchés sont rassurés", "la main invisible du marché", etc.) par le mot "Dieu"… De même l’obsession de l’emploi (où la qualification est liée au poste de travail et non à la personne comme dans le grade des fonctionnaires) a un caractère religieux qui s’oppose à une valeur « laïque » : celle d’un droit politique nouveau, aussi neuf que le suffrage universel, le droit à la qualification personnelle et donc à un salaire à vie, lié à la qualification, qui supprimera le marché du travail et donc le chômage. Tous ces points font l’objet du prochain livre de Bernard Friot : L’enjeu du salaire, à paraître en février 2012 aux éditions «La Dispute ». Pour en savoir plus : Bernard Friot est économiste, sociologue et professeur émérite à l’Université Paris-Ouest Nanterre. Il est membre de l’Institut européen du salariat (IES) : Pour accéder à la page perso de Bernard Friot cliquer sur ce lien, réseau de chercheurs travaillant sur le salaire comme outil d’émancipation. Après «Puissances du salariat » (réédité début 2012 en même temps que paraîtra «L’enjeu du salaire») et «Et la cotisation sociale créera l’emploi», il a publié en 2010 «L’enjeu des retraites», éd. La Dispute.