Contrats et force majeure

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Contrats et force majeure
Jurisprudence
Contrats et force majeure
]]Quelles responsabilités en cas d’annulation de spectacle
Cour d’appel de Caen, 2e chambre, 16 janvier 2014, n°12-03203
L’organisateur engage sa responsabilité vis-à-vis
du producteur de spectacles lorsqu’il annule
les représentations qui avaient été convenues.
Il ne peut s’en exonérer que s’il démontre que cette
annulation résulte d’un cas de force majeure.
Cela n’est pas le cas lorsque l’organisateur fonde
son annulation sur le contexte social et politique
du pays.
Une annulation qui ne réunit pas
les conditions de la force majeure
Dans cette affaire, la société de production de spectacles
et l’association organisatrice signent un contrat de cession
de droits de représentation le 22 septembre 2010 afin de programmer un concert le 5 novembre 2010.
Par lettre recommandée datée du 27 octobre 2010, l’association informe le producteur du spectacle qu’elle annule la
représentation en raison du contexte politique et social et de
la pénurie de carburant et lui demande la reprogrammation
de l’artiste au cours de la saison 2011-2012. La société l’assigne
alors devant le Tribunal de commerce pour lui réclamer le
paiement de l’indemnité prévue par le contrat en cas d’annulation du spectacle du fait de l’organisateur.
Devant les juges, l’organisateur prétend qu’il ne pouvait
qu’annuler le concert et que sa décision était légitime et justifiée par un cas de force majeure.
Mais la Cour d’appel confirme la décision des premiers juges,
estimant que les conditions de la force majeure n’étaient pas
réunies : « la pénurie de carburant et les risques de blocage
des axes routiers et des gares, dont la survenance effective
n’est au demeurant pas prouvée, n’auraient pu avoir pour
effet que de rendre l’organisation du spectacle moins profitable, mais non d’empêcher sa tenue ».
Or, pour pouvoir être exonéré de sa responsabilité contractuelle en raison d’un cas de force majeure, le cocontractant
doit établir qu’il est dans l’impossibilité absolue d’exécuter le
contrat.
Définition de la force majeure
Selon la jurisprudence, la force majeure est un événement qui
se caractérise par trois éléments : son extériorité, son imprévisibilité et son irrésistibilité1. Il s’agit de conditions cumulatives.
En matière de responsabilité contractuelle, l’événement doit
ainsi être imprévisible lors de la conclusion du contrat. Pour la
Cour de cassation, seuls les événements rendus plausibles par
les circonstances doivent être considérés comme prévisibles
et non tous les faits théoriquement concevables2.
Les juges ont ainsi rejeté la force majeure pour l’annulation
d’une manifestation en raison d’une sécurité incertaine,
intervenant bien avant la date prévue pour son commencement. La commune, qui avait fait appel à une société pour
l’organisation d’un carnaval, avait annulé la manifestation
quatre mois auparavant, mettant en avant les « nombreuses
incertitudes » tenant notamment à la sécurité en raison de la
guerre du Golfe. Or, à cette date « aucun élément ne justifiait que la sécurité de cette [manifestation] ne pourrait être
assurée »3.
Enfin l’extériorité suppose qu’il s’agit d’un événement d’origine
externe, étranger à l’activité des cocontractants, ne résultant
pas d’une défaillance de leur part, ou du matériel ou du personnel qu’ils emploient.
La force majeure et le contrat de travail
La force majeure peut aussi permettre à un employeur de
s’exonérer de tout ou partie de ses obligations lors de la rupture du contrat de travail. Il doit alors s’agir d’un événement
extérieur irrésistible ayant pour effet de rendre impossible la
poursuite dudit contrat.
Tel n’est pas le cas du décès de l’acteur principal d’une série
télévisée dès lors que la production de cette série peut être
poursuivie avec un autre comédien4. Ce décès ne constitue
pas un motif valable pour rompre les CDD du reste de l’équipe.
En revanche, la force majeure a été reconnue dans le cas
d’un festival qui avait été annulé en 2003 en raison d’une
action menée par le mouvement des intermittents du spectacle5.
Des salariés engagés en CDD par ce festival lui réclamaient
le paiement de dommages et intérêts car la seconde partie
de leur contrat n’ayant pas été exécutée, ils n’avaient pas
été rémunérés. En l’occurrence, les juges ont considéré que les
critères de la force majeure étaient remplis :
• extériorité : les manifestants n’étaient pas des intermittents
recrutés pour l’occasion mais des intermittents extérieurs au
festival. Ce mouvement des intermittents n’était pas dirigé
contre le festival mais contre un projet de réforme gouvernementale, dont la maîtrise échappait à l’organisateur
du festival qui n’avait aucune possibilité de satisfaire leurs
revendications ;
• irrésistibilité : les manifestants avaient empêché les salariés
du festival d’accéder à leur lieu de travail. Ce blocage, qui
était attesté par deux constats d’huissier, avait conduit à
l’annulation du festival.
1 Cour
de cassation, assemblée plénière, 14 avril 2006, n°537 P et 538 P
2Rapport annuel de la Cour de cassation 2006 - Quatrième partie - Responsabilité
civile
Cour de cassation, première chambre civile, 14 janvier 1997, n°95-11145
4 Cour de cassation, chambre sociale, 12 février 2003, n°99-42985
5 Cour de cassation, chambre sociale, 31 octobre 2006, n°04-47014
3
Concernant le caractère irrésistible, il doit s’agir d’une difficulté
insurmontable ; aucune solution de substitution, même plus
onéreuse, ne pouvant être trouvée. La poursuite du contrat
doit être rendue impossible.
10
Septembre 2013 • © CAGEC GESTION SARL • La lettre de l’entreprise culturelle N°243