L`intégration des énergies renouvelables dans le système électrique
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L`intégration des énergies renouvelables dans le système électrique
L’intégration des énergies renouvelables dans le système électrique français : quels enjeux d’optimisation ? Synthèse analytique du séminaire d’experts du 4 juin 2015 La décarbonation du système électrique européen repose sur des transformations technologiques majeures, en particulier sur les énergies renouvelables (ENR) variables comme les énergies éolienne ou solaire. Cette transition vers un système comportant une part croissante d’électricité renouvelable soulève de nouveaux enjeux d’intégration, tant sur le plan technique (équilibre offredemande à court terme, flexibilité du système), qu’économique et réglementaire (sécurité d’approvisionnement à long terme, architecture du marché électrique, efficacité-coût et mécanismes de rémunération). Alors que l’Europe s’oriente vers un mix électrique comportant une part renouvelable d’environ 50 % en 20301, l’intégration des ENR est ainsi au centre des préoccupations actuelles. Au-delà des lignes directrices sur les aides d’État incitant les États membres à adopter des mécanismes de soutien favorisant leur intégration progressive au marché, la Commission européenne a également annoncé qu’elle proposerait dès 2016 un projet de réforme de l’architecture du marché électrique européen. En France, la loi relative à la transition énergétique et la croissance verte fixe un objectif de 32 % d’ENR dans la consommation finale d’énergie d’ici 2030 et de 40 % pour la consommation finale d’électricité. Dans ce cadre, la part des ENR variables, qui représentent aujourd’hui moins de 6 % de la production d’électricité, devrait ainsi atteindre près de 25 % d’ici 2030. Si l’intégration technico-économique des ENR est un enjeu clé de la transition, il ne doit pas masquer la multiplicité des dimensions d’un système en transition, à l’aune de laquelle les politiques de mise en œuvre devraient être évaluées. Au-delà de la question de l’intégration au marché, ces dimensions comprennent notamment l’efficacité dans l’atteinte des objectifs fixés, la maîtrise des coûts, la gouvernance du système (à l’intersection entre l’intervention publique et les logiques du marché), et l’émergence progressive de nouveaux acteurs décentralisés. 1 Selon le scénario de l’étude d’impact publiée par la Commission européenne intégrant les objectifs adoptés par le Conseil européen (-40 % GES ; 27 % ENR ; 27 % efficacité énergétique), EC (2014) : SWD (2014) 255 final : p. 39. 1 Ce séminaire avait pour objectif de traiter deux questions majeures liées à l’intégration des énergies renouvelable. Une première session a cherché à identifier les grands enjeux liés à l’intégration des ENR variables d’ici 2030, en s’intéressant notamment à l’évaluation des besoins de flexibilité et des paramètres pouvant moduler ceux-ci à la hausse ou à la baisse, autour de cinq aspects : développement des réseaux, modification de l’exploitation du parc thermique, bénéfices de l’intégration à l’échelle européenne et régionale, potentiels de stockage et évolution de la demande électrique. La seconde session a approfondi la question du potentiel d’optimisation de l’intégration à plus court terme, à l’aune des évolutions réglementaires sur les mécanismes de soutien aux ENR. 1. LES ENJEUX D’INTÉGRATION DES ÉNERGIES RENOUVELABLES À L’HORIZON 2030 1.1. Le renforcement des réseaux de distribution Lorsque l’on parle d’intégration au réseau, l’attention est souvent portée sur les réseaux haute tension, en raison de leur importance capitale pour le marché électrique européen et des difficultés rencontrées lorsqu’il s’agit de renforcer ces infrastructures (bénéfices globaux mais asymétriques de l’infrastructure, oppositions locales, notamment pour des raisons environnementales). Cependant, avec le développement des énergies renouvelables décentralisées, majoritairement raccordées aux réseaux de basse et moyenne tension, de nouveaux défis émergent2. D’ici 2030, ils devront notamment être capables d’accueillir une grande partie des capacités éoliennes et photovoltaïques nécessaires pour atteindre l’objectif français de 40 % d’ENR électriques. Si des travaux de renforcement du réseau risquent d’être inévitables, des potentiels d’optimisation existent toutefois et peuvent permettre de limiter le coût d’intégration des ENR au réseau de distribution: Il conviendrait notamment d’y intégrer davantage les possibilités d’arbitrage et d’optimisation, et de définir les signaux économiques pouvant inciter le développement des installations les plus vertueuses pour le système. À l’instar des installations PV orientées est-ouest ou de celles acceptant d’écrêter leur puissance maximale, ces installations « vertueuses » permettent de réduire la variabilité de la production, induisant par conséquent une augmentation de la capacité d’accueil pour un réseau donné (voir section 2.4. ). Pratiquer l’écrêtement de la puissance injectée sur le réseau. Un seuil de 5 % d’écrêtement de la production des installations ENR pourrait permettre de réduire de 30 % les coûts d’intégration au réseau de distribution3. Cependant, la réglementation française et en particulier les mécanismes de soutien ne valorisent pas cette pratique, soulevant la question de la pertinence et des modalités d’une incitation spécifique pour encourager cette pratique. Réseaux intelligents (smartgrids). Une bonne gestion en temps réel de la production et de la consommation pourrait permettre de lisser les profils de charge. Malgré son potentiel considérable, le déploiement des réseaux intelligents reste toutefois soumis à de nombreuses 2 À l’échelle de l’EU-28, les coûts liés au renforcement du réseau de distribution pourraient ainsi dépasser d’un facteur 4 à 8 ceux liés au réseau de transmission : DNV GL (2014). Integration of Renewable Energy in Europe. Final report. 3 Christophe Gaudin et al. (2012). Evaluation of PV curtailment option to optimize PV integration in distribution network, CIRED. Voir également la présentation de EWE Netz à la conférence de l’OfaEnR de mars 2014, qui évoque un doublement de la capacité d’accueil du réseau pour un écrêtement dynamique de 5 % de la production annuelle. 2 incertitudes. Ainsi, se pose la question de savoir à quelle maille du réseau devrait se situer l’intelligence et si les équipements actuels (les postes sources en particulier) conviennent à cet usage. Utiliser la planification territoriale pour limiter le coût du renforcement. Donner un signal spécifique qui incite les ENR à se développer en fonction des capacités d’accueil du réseau existant (et à venir) pourrait permettre de limiter les besoins de renforcement. Cependant, une telle optimisation du système, qui donne priorité à l’infrastructure d’accueil, modifierait les signaux économiques actuels (localisation en fonction du productible, gain possible par les économies d’échelle sur de grandes installations, etc.), avec le risque de fragiliser le développement des ENR sur le territoire. Mais avec les baisses importantes de coûts de production des technologies ENR (LCOE), la localisation des installations en fonction de la disponibilité de la ressource perd en partie de son importance relative (par rapport aux coûts de renforcement des réseaux). Dans ce contexte, il apparaît légitime de s’interroger sur les avantages et risques liés à un renforcement du signal de localisation des ENR en fonction des capacités d’accueil du réseau existant, à condition que ce processus s’organise de manière transparente pour tous les acteurs. Des outils de planification pour anticiper les besoins de renforcement existent déjà : les Schémas régionaux de raccordement au Réseau des énergies renouvelables (S3RENR). Cependant, le calcul des besoins de renforcement réseau ainsi que des coûts (et de leur répartition) pourrait encore gagner en transparence. 1.2. Potentiels et besoins de flexibilité à l’échelle européenne Les besoins de flexibilité s’accroissent avec le taux de pénétration des ENR. Une étude menée par l’Institut Fraunhofer et le think tank Agora Energiewende sur les besoins de flexibilité en 2030 dans le système électrique européen met en évidence le potentiel de foisonnement de production des ENR à l’échelle européenne et l’apport de flexibilité par les échanges transfrontaliers4. Afin d’exploiter au mieux ce potentiel, le renforcement des réseaux nationaux et transfrontaliers est néanmoins incontournable. L’étude montre notamment que, sous l’hypothèse de la réalisation de seulement la moitié des projets prévus par les gestionnaires de réseaux européens (hypothèse réaliste au vue des évolutions historiques), l’intégration des systèmes électriques européens pourraient diviser par dix les besoins d’écrêtement de la production renouvelable en 2030 (par rapport à des situations nationales isolées). 1.3. Potentiel de flexibilité du mix résiduel en France : quelle gestion future du nucléaire ? Concernant les besoins de flexibilité à l’échelle nationale, l’étude de Fraunhofer IWES et Agora Energiewende montre que le mix de production français est déjà très flexible, notamment grâce à son potentiel hydraulique (à condition toutefois que la stratégie de gestion du parc hydraulique évolue). Le parc nucléaire pourrait également contribuer techniquement à une partie du besoin de flexibilité du système à l’horizon 2030, notamment en fonctionnant en mode suivi de charge (ce que font aujourd’hui déjà les réacteurs modernes). Intégrer 40 % d’électricité renouvelable en France devrait ainsi conduire à réorienter la stratégie d’exploitation du parc nucléaire, à la fois en ce qui concerne son exploitation de court terme et le 4 Agora Energiewende (2015). The European Power System in 2030: Flexibility Challenges and Integration Benefits. An Analysis with a Focus on the Pentalateral Energy Forum Region. 3 niveau de capacité installé. Cela soulève néanmoins une interrogation plus structurelle et économique sur la stratégie de gestion du parc nucléaire existant en lien avec l’objectif de réduction de la part d’électricité nucléaire d’ici 2030 : quel niveau de capacité nucléaire et à quel horizon ? Quel niveau d’exploitation en suivi de charge et en fonction de quelles incitations économiques ? Dans ce contexte, toutes les nouvelles options de flexibilités qui seront développées dans le système électrique français (en particulier : gestion de la demande, nouveaux usages de l’électricité, y compris stockage, échanges transfrontaliers) permettront de réduire le conflit entre, d’une part, l’intégration des énergies renouvelables et, d’autre part, le maintien d’un niveau plus élevé de fonctionnement du nucléaire en base. 1.4. Le stockage : des solutions multiples, mais un potentiel incertain Bien que souvent cité comme étant la première source de flexibilité à l’avenir, le potentiel effectif du stockage d’énergie doit être nuancé. L’analyse menée par Artelys pour l’ADEME aboutit ainsi à deux conclusions principales : d’une part, la nécessité de comparer, dans chaque cas spécifique, l’usage de technologies de stockage à d’autres sources de flexibilité (renforcement du réseau, écrêtement, capacités flexibles, etc.), souvent moins onéreuses. D’autre part, l’importance de considérer la diversité des solutions de stockage (infra-journalier, hebdomadaire, saisonnier, en énergie, en puissance) pouvant apporter des solutions différenciées en fonction de la nature et de l’échelle (locale, poste source, nationale, etc.) des besoins de flexibilité. À plus long terme, l’interaction possible avec les réseaux de chaleur et gaz pourrait également représenter un potentiel de stockage, ce qui nécessite de mener en amont une réflexion systémique autour des interactions possibles entre vecteurs d’énergie. 1.5. L’évolution de la demande, au cœur du système électrique futur Encore peu présente dans le débat français, la question de la définition d’une trajectoire cible sur l’évolution quantitative (quel volume de consommation) et qualitative (quels usages, quels impacts sur les courbes de charge, quel potentiel de pilotage) de la demande électrique reste essentielle. Audelà de l’orientation des politiques de maîtrise des consommations, c’est toute la planification de l’offre énergétique par le biais de la planification pluriannuelle de l’énergie qui en dépend, à l’instar de la gestion future du parc nucléaire ou du dimensionnement des politiques de développement des renouvelables. De même, l’évolution de la demande représente le premier déterminant du niveau et de la nature des besoins de flexibilité requis. Des travaux récents montrent ainsi qu’une différence de 100 TWh sur la consommation annuelle et 30 GW de pointe appelée (en lien avec la thermo-sensibilité de la demande) pourraient séparer les scénarios de demande haute et basse, en fonction du caractère plus ou moins volontariste des politiques mises en œuvre. Au-delà des besoins, le développement des usages pilotables pourrait également offrir une source de flexibilité. Des incertitudes persistent néanmoins sur le potentiel technique d’usages pilotables, ainsi que sur les cadres réglementaires et modèles économiques nécessaires pour exploiter celui-ci. 4 2. LE POTENTIEL D’OPTIMISATION À PLUS COURT TERME 2.1. Enjeux d’intégration à court terme et évolution des mécanismes de soutien Alors que les réformes des mécanismes de soutien actuellement à l’œuvre visent généralement le court terme5, la gouvernance de la transition doit nécessairement s’inscrire dans une perspective de plus long terme : comment les mesures d’aujourd’hui permettent-elles de préparer l’architecture du marché de demain ? Plus largement, la question de la gestion de cette transition dans le temps pose une question sur le phasage et la hiérarchisation des enjeux politiques : si, dans un premier temps, la priorité était au déploiement de nouvelles capacités renouvelables et à la maturation technologique, leur place croissante dans le marché impose une réflexion nouvelle sur leur intégration dans le marché existant. Cependant, les évolutions réglementaires réalisées aujourd’hui devraient aussi prendre en compte les besoins futurs d’évolution du modèle de marché électrique pour répondre aux défis nouveaux d’un système plus flexible et décarboné. De prime abord, si les préconisations contenues dans les lignes directrices aux aides d’État visent explicitement à favoriser l’intégration au marché, il convient d’approfondir l’analyse sur la possibilité d’optimiser certains choix politiques en vue d’une meilleure efficacité globale. En effet, si l’intégration au marché représente indéniablement une priorité face à la croissance rapide des capacités renouvelables, celle-ci ne pourrait s’opérer au détriment d’autres objectifs, tels que l’atteinte des objectifs politiques fixés (efficacité) ou encore la maîtrise des coûts à court et plus long terme (efficience)6. Ainsi, de nouveaux arbitrages s’imposent et impliquent de trouver le meilleur équilibre entre ces différents objectifs en vue de préparer la transition à plus long terme7. Dans cette section, trois enjeux spécifiques au croisement de l’évolution des mécanismes de soutien et de l’intégration systémique des ENR ont ainsi été abordés : la commercialisation directe et la gestion de l’équilibrage de la production renouvelable variable ; la gestion des prix négatifs ; et le soutien aux installations ENR plus « vertueuses » pour le système. 2.2. Commercialisation directe et gestion de l’équilibrage Pour favoriser l’intégration des ENR au marché, la réforme des mécanismes de soutien incite les producteurs à commercialiser directement leur électricité sur le marché. Ils deviennent ainsi responsables de leur équilibrage et de leurs revenus (en dehors de la prime administrée qu’ils obtiennent). Si les revenus sont relativement sécurisés par la prime versée ex-post, des incertitudes persistent quant au coût que pourrait représenter l’équilibrage à l’échelle de chaque installation, ainsi qu’à la capacité technique des petits producteurs à gérer l’activité de prévision et de commercialisation directe. 5 À l’instar des lignes directrices sur les aides d’Etat, qui visent explicitement la période 2014-2020. L’aspect de l’efficacité-coût peut être subdivisé entre une approche de court terme (efficacité statique) et de long terme (efficacité dynamique), voire également : Finon, D./Menanteau, P., 2004 : The static and dynamic efficiency of instruments of promotion of renewables, Energy Studies Review 12(1) 2004. 7 Par ailleurs, l’arbitrage entre ces priorités soulève une question plus large sur la capacité d’harmonisation à l’échelle européenne : l’exposition des ENR au marché dès 2016 se justifie-t-elle pour tous les États membres, alors même que ceux-ci se trouvent à des stades très différents de cette transition ? 6 5 Une récente analyse estime le coût de l’imprévisibilité8 de la production d’électricité renouvelable française actuellement gérée par l’acheteur obligé à 0,4€/MWh en 20149. Ces chiffres relativement faibles montrent que le potentiel d’optimisation des coûts d’équilibrage est très limité, et que le passage à la commercialisation directe ne se justifie pas dans une perspective de réduction des coûts à court terme. Plusieurs variables d’optimisation peuvent néanmoins agir sur ces coûts et limiter les incertitudes : réduire la durée des produits sur les marchés infra-journaliers (par exemple aujourd’hui 15 minutes en Allemagne et 30 minutes pour la France) et réduire les temps de fermeture des échanges (gate-closure time) pour se rapprocher du temps réel ; maximiser la taille des portefeuilles des agrégateurs pour bénéficier des effets de foisonnement ; améliorer les modèles de prévision ; renforcer le couplage des marchés en Europe, qui a déjà permis de diminuer les coûts d’équilibrage depuis 2008. Plus largement, évaluer la commercialisation directe à l’aune du critère d’optimisation soulève une question centrale sur le sens de cette évolution à court et plus long terme. En effet, à court terme, les bénéfices économiques restent incertains, et il faudra au contraire assumer le coût de l’apprentissage de la commercialisation directe et de l’émergence de nouveaux modèles économiques autour des agrégateurs. À plus long terme, une telle approche peut néanmoins être pertinente pour progressivement faire porter aux producteurs renouvelables les mêmes responsabilités d’équilibre, condition essentielle pour gérer un système avec une part renouvelable majoritaire. De plus, l’expérience montre que cette évolution réglementaire a déjà généré des innovations, à l’instar de l’amélioration des outils de prévision et les nouveaux produits sur les marchés courts termes, qui ont profondément amélioré la gestion de l’imprévisibilité de la production renouvelable. Enfin, cette évolution pose également une question de gouvernance plus structurelle : si l’on considère que seul un agrégateur de taille importante peut capter les bénéfices liés au foisonnement et aux économies d’échelle, quelle pertinence y aurait-il pour un modèle de commercialisation directe à l’échelle de chaque producteur ? 2.3. Gestion des prix négatifs Si on estime désormais que c’est bien le manque de flexibilité du système et non la production renouvelable dite « fatale » qui est à l’origine des prix négatifs, il est généralement admis que les mécanismes de soutien actuels peuvent conduire à renforcer ce phénomène, en incitant à produire à tout moment. Afin d’améliorer la réactivité aux signaux du marché, la réforme actuelle prévoit ainsi l’arrêt de la prime pendant les périodes de prix négatifs. Cependant, cette approche soulève deux problématiques. 8 Le coût de l’imprévisibilité correspond à la différence entre la valorisation (théorique) de l’énergie avec prévision parfaite en J-1 et la valorisation réelle après rééquilibrage en IJ et règlement des écarts. Ce n’est donc pas simplement la facture des écarts du gestionnaire de réseau. 9 Ce chiffrage tient compte de l’effet de foisonnement entre les installations renouvelables gérées par EDF en tant qu’acheteur obligé, mais isole l’impact de la flexibilité du mix de production, qui permet à l’opérateur de s’équilibrer en interne, plutôt que de recourir au marché. Chiffres issus de la présentation d’EDF OA à la consultation organisée par la DGEC : http://extranet.complementremuneration.dgec.developpementdurable.gouv.fr/. 6 D’une part, elle risque de fragiliser le modèle de financement des projets ENR : l’incertitude supplémentaire sur les revenus des producteurs créée par un tel mode de gestion pourrait se traduire par une augmentation de la perception des risques et donc du coût du financement pour l’ensemble des projets ENR. Alors que les prix négatifs restent un phénomène relativement rare à ce stade, cela pose donc la question de savoir si le gain généré par la baisse relative des périodes de prix négatifs peut compenser le surcoût général de la production renouvelable en cas d’une augmentation de la prime de risque. D’autre part, cette approche présente un enjeu difficile en termes de répartition des coûts et des bénéfices : si l’arrêt des installations renouvelables en période de prix négatifs bénéficie à l’ensemble des acteurs, le coût reviendrait aux installations renouvelables, soulevant la question d’une rémunération éventuelle de ce « service » de flexibilité. Par ailleurs, tenant compte des objectifs de décarbonation du mix électrique européen, la perspective de contraindre la production renouvelable au profit de centrales thermiques peu flexibles peut soulever des interrogations. Enfin, considérant que les périodes de prix négatifs ou nuls pourraient croitre significativement en lien avec le taux de pénétration des ENR, ces dispositions ne peuvent répondre à l’enjeu plus structurel de l’évolution de l’architecture du marché à plus long terme. En effet, elles ne traitent pas la question fondamentale de l’inadéquation entre un marché fondé sur le principe du coût marginal à court terme et le passage à un système fondé sur des technologies avec un coût marginal quasi nul. 2.4. Développement des technologies qui facilitent l’intégration Certaines technologies permettent de réduire les besoins de flexibilité grâce à leur profil de production moins variable ; c’est le cas de des éoliennes « surtoilées ». Ce profil de production peut notamment permettre de réduire les besoins en flexibilité et de renforcement du réseau. Cependant, pour une puissance donnée, cette nouvelle génération d’éoliennes nécessite un investissement de départ (CAPEX) plus important que les éoliennes classiques. Alors que leur coût de production au kWh est comparable à celui des éoliennes classiques, la structure actuelle des mécanismes de soutien, dégressifs à partir d’un certain volume de production afin de limiter la rente de certains parcs très rentables, pénalise les éoliennes de nouvelle génération. Le développement de ces installations « vertueuses » pour le système pose donc deux questions stratégiques. D’une part, il s’agit de l’évaluation de leur potentiel technico-économique à réduire significativement les besoins de flexibilité à plus long terme, en fonction du bilan coût-bénéfice entre leur surcoût relatif (par rapport à des installations classiques) et les bénéfices qu’elles pourraient apporter à l’échelle du système. D’autre part, si cette évaluation leur est favorable, cela pose la question des signaux d’incitation : comment rendre les mécanismes existants moins sélectifs ? Y-a-t-il un compromis à trouver entre limiter la rente de certains parcs d’éoliennes classiques et donner des incitations suffisantes aux éoliennes de nouvelles génération ? Comment peut-on adapter la formule du mécanisme de soutien actuellement prévue (marché + prime) pour mieux tenir compte de ces caractéristiques spécifiques ? Si l’éolien surtoilé pourrait s’imposer économiquement, à condition de développer des mécanismes de soutien adaptés10, la question se pose différemment pour d’autres pratiques pouvant améliorer 10 En effet, en fonction de la réduction des coûts atteignable sur les coûts d’investissement, l’éolien surtoilé pourrait dans tous les cas devenir plus compétitif que l’éolien conventionnel puisqu’il bénéficie d’un facteur de charge annuel plus important. 7 l’intégration au système. Ainsi, l’écrêtement de la puissance maximale des installations photovoltaïques (afin de minimiser le renforcement des réseaux et la variabilité de la production) ou encore le recours à des installations orientées est-ouest (avec un profil de production journalier plus régulier) pourraient générer des bénéfices systémiques, mais créent une perte directe pour le producteur (baisse de la production annuelle). Pour ces pratiques, la même question qu’évoquée précédemment se pose : quel gain systémique peut-on associer au développement de ces installations plus vertueuses ? Et justifie-t-il un ajustement des mécanismes de soutien pour compenser la perte de productible ? 3. CONCLUSION ET PROCHAINES ÉTAPES S’intéressant aux multiples facettes de l’intégration des énergies renouvelables dans le système électrique existant, ce séminaire a permis de mettre en lumière la diversité d’enjeux, mais aussi de solutions potentielles, qui s’y recoupent. Si l’intégration au marché représente actuellement la première priorité, elle ne peut être considérée comme la seule. Au contraire, l’analyse des facteurs pouvant influencer les besoins et apports de flexibilité met en lumière la nécessité de développer une analyse systémique, prenant en compte les interactions avec les autres volets de la transition énergétique : évolutions du côté de la demande, des interactions entre vecteurs énergétiques et optimisation des infrastructures. En premier lieu, cela appelle à un approfondissement de la réflexion sur les trajectoires de long terme : quel rôle futur pour l’électricité dans le système énergétique ? Comment définir une trajectoire cible sur la demande électrique ? Et quelles options pour développer les nouveaux usages en phase avec les caractéristiques d’un système de production intégrant une forte composante renouvelable et variable ? De même, le lien entre l’analyse du court et du long terme apparaît très clairement dans la réflexion sur l’évolution de l’architecture du marché : alors que le focus réside actuellement sur l’adaptation des nouvelles technologies et de leurs mécanismes de rémunération au marché existant, la trajectoire de long terme requiert une vision différenciée sur le fonctionnement du marché luimême : comment construire les modèles économiques pour la flexibilité, en intégrant notamment les outils de pilotage de la demande au marché ? Comment les évolutions réglementaires actuelles nous permettent-elles de préparer ce marché du futur et de concilier des technologies avec des profils économiques (ratio CAPEX/OPEX) fondamentalement différents ? Et sur quelle base développer les incitations économiques permettant de favoriser dès aujourd’hui les pratiques et technologies potentiellement plus vertueuses pour le système, à l’image de l’écrêtement PV ou de l’éolien surtoilé ? Concernant le cas concret de la France, l’analyse, bien que non exhaustive, a permis de fournir quelques éléments de cadrage importants. L’analyse des besoins de flexibilité à l’horizon 2030 montre que la France part d’une bonne base pour favoriser l’intégration d’une part croissante d’électricité renouvelable. Au-delà du potentiel hydroélectrique, les interconnexions avec ses voisins européens peuvent fournir une flexibilité importante, à condition de renforcer la coopération à l’échelle régionale du Forum Pentalatéral11. 11 Composé de l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la France, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Suisse (en qualité d’observateur) 8 En parallèle, l’enjeu de l’intégration soulève des questions structurelles autour de deux aspects : en premier lieu, la capacité à définir une trajectoire cible et les politiques de mise en œuvre pour maîtriser la demande d’électricité, autour de trois dimensions : le pilotage des usages, les économies d’électricité, et l’électrification. En second lieu, l’enjeu de la gestion future et le dimensionnement du parc nucléaire existant (quelle part du nucléaire peut être mobilisée pour opérer en suivi de charge) fait partie des choix stratégiques qu’il faudra informer par le biais de planifications de long terme intégrées. Enfin, à travers l’important chantier de la réforme des mécanismes de soutien aux ENR, la France dispose actuellement d’une fenêtre d’opportunité pour définir une stratégie d’intégration sur le moyen terme. Sur ce point, deux aspects stratégiques ont été soulevés dans la discussion. D’une part, l’importance de considérer les arbitrages possibles sur le plan économique : si l’intégration représente une priorité, elle ne doit s’opérer au détriment des enjeux d’efficacité (atteinte des objectifs de déploiement) et éviter d’accroître le risque financier des projets. D’autre part, il s’agit de saisir dès à présent cette opportunité pour réellement optimiser l’intégration, notamment en définissant les incitations spécifiques pour les installations et pratiques les plus vertueuses pour le système électrique. 9