L`intégration des énergies renouvelables dans le système électrique

Transcription

L`intégration des énergies renouvelables dans le système électrique
L’intégration des énergies renouvelables dans le système
électrique français : quels enjeux d’optimisation ?
Synthèse analytique du séminaire d’experts du 4 juin 2015
La décarbonation du système électrique européen repose sur des transformations technologiques
majeures, en particulier sur les énergies renouvelables (ENR) variables comme les énergies éolienne
ou solaire. Cette transition vers un système comportant une part croissante d’électricité
renouvelable soulève de nouveaux enjeux d’intégration, tant sur le plan technique (équilibre offredemande à court terme, flexibilité du système), qu’économique et réglementaire (sécurité
d’approvisionnement à long terme, architecture du marché électrique, efficacité-coût et mécanismes
de rémunération).
Alors que l’Europe s’oriente vers un mix électrique comportant une part renouvelable d’environ 50 %
en 20301, l’intégration des ENR est ainsi au centre des préoccupations actuelles. Au-delà des lignes
directrices sur les aides d’État incitant les États membres à adopter des mécanismes de soutien
favorisant leur intégration progressive au marché, la Commission européenne a également annoncé
qu’elle proposerait dès 2016 un projet de réforme de l’architecture du marché électrique européen.
En France, la loi relative à la transition énergétique et la croissance verte fixe un objectif de 32 %
d’ENR dans la consommation finale d’énergie d’ici 2030 et de 40 % pour la consommation finale
d’électricité. Dans ce cadre, la part des ENR variables, qui représentent aujourd’hui moins de 6 % de
la production d’électricité, devrait ainsi atteindre près de 25 % d’ici 2030.
Si l’intégration technico-économique des ENR est un enjeu clé de la transition, il ne doit pas masquer
la multiplicité des dimensions d’un système en transition, à l’aune de laquelle les politiques de mise
en œuvre devraient être évaluées. Au-delà de la question de l’intégration au marché, ces dimensions
comprennent notamment l’efficacité dans l’atteinte des objectifs fixés, la maîtrise des coûts, la
gouvernance du système (à l’intersection entre l’intervention publique et les logiques du marché), et
l’émergence progressive de nouveaux acteurs décentralisés.
1
Selon le scénario de l’étude d’impact publiée par la Commission européenne intégrant les objectifs adoptés
par le Conseil européen (-40 % GES ; 27 % ENR ; 27 % efficacité énergétique), EC (2014) : SWD (2014) 255 final :
p. 39.
1
Ce séminaire avait pour objectif de traiter deux questions majeures liées à l’intégration des énergies
renouvelable. Une première session a cherché à identifier les grands enjeux liés à l’intégration des
ENR variables d’ici 2030, en s’intéressant notamment à l’évaluation des besoins de flexibilité et des
paramètres pouvant moduler ceux-ci à la hausse ou à la baisse, autour de cinq aspects :
développement des réseaux, modification de l’exploitation du parc thermique, bénéfices de
l’intégration à l’échelle européenne et régionale, potentiels de stockage et évolution de la demande
électrique. La seconde session a approfondi la question du potentiel d’optimisation de l’intégration à
plus court terme, à l’aune des évolutions réglementaires sur les mécanismes de soutien aux ENR.
1. LES ENJEUX D’INTÉGRATION DES ÉNERGIES RENOUVELABLES À L’HORIZON
2030
1.1. Le renforcement des réseaux de distribution
Lorsque l’on parle d’intégration au réseau, l’attention est souvent portée sur les réseaux haute
tension, en raison de leur importance capitale pour le marché électrique européen et des difficultés
rencontrées lorsqu’il s’agit de renforcer ces infrastructures (bénéfices globaux mais asymétriques de
l’infrastructure, oppositions locales, notamment pour des raisons environnementales). Cependant,
avec le développement des énergies renouvelables décentralisées, majoritairement raccordées aux
réseaux de basse et moyenne tension, de nouveaux défis émergent2. D’ici 2030, ils devront
notamment être capables d’accueillir une grande partie des capacités éoliennes et photovoltaïques
nécessaires pour atteindre l’objectif français de 40 % d’ENR électriques. Si des travaux de
renforcement du réseau risquent d’être inévitables, des potentiels d’optimisation existent toutefois
et peuvent permettre de limiter le coût d’intégration des ENR au réseau de distribution:
 Il conviendrait notamment d’y intégrer davantage les possibilités d’arbitrage et d’optimisation,
et de définir les signaux économiques pouvant inciter le développement des installations les
plus vertueuses pour le système. À l’instar des installations PV orientées est-ouest ou de celles
acceptant d’écrêter leur puissance maximale, ces installations « vertueuses » permettent de
réduire la variabilité de la production, induisant par conséquent une augmentation de la
capacité d’accueil pour un réseau donné (voir section 2.4. ).
 Pratiquer l’écrêtement de la puissance injectée sur le réseau. Un seuil de 5 % d’écrêtement de
la production des installations ENR pourrait permettre de réduire de 30 % les coûts d’intégration
au réseau de distribution3. Cependant, la réglementation française et en particulier les
mécanismes de soutien ne valorisent pas cette pratique, soulevant la question de la pertinence
et des modalités d’une incitation spécifique pour encourager cette pratique.
 Réseaux intelligents (smartgrids). Une bonne gestion en temps réel de la production et de la
consommation pourrait permettre de lisser les profils de charge. Malgré son potentiel
considérable, le déploiement des réseaux intelligents reste toutefois soumis à de nombreuses
2
À l’échelle de l’EU-28, les coûts liés au renforcement du réseau de distribution pourraient ainsi dépasser d’un
facteur 4 à 8 ceux liés au réseau de transmission : DNV GL (2014). Integration of Renewable Energy in Europe.
Final report.
3
Christophe Gaudin et al. (2012). Evaluation of PV curtailment option to optimize PV integration in distribution
network, CIRED. Voir également la présentation de EWE Netz à la conférence de l’OfaEnR de mars 2014, qui
évoque un doublement de la capacité d’accueil du réseau pour un écrêtement dynamique de 5 % de la
production annuelle.
2
incertitudes. Ainsi, se pose la question de savoir à quelle maille du réseau devrait se situer
l’intelligence et si les équipements actuels (les postes sources en particulier) conviennent à cet
usage.
 Utiliser la planification territoriale pour limiter le coût du renforcement. Donner un signal
spécifique qui incite les ENR à se développer en fonction des capacités d’accueil du réseau
existant (et à venir) pourrait permettre de limiter les besoins de renforcement. Cependant, une
telle optimisation du système, qui donne priorité à l’infrastructure d’accueil, modifierait les
signaux économiques actuels (localisation en fonction du productible, gain possible par les
économies d’échelle sur de grandes installations, etc.), avec le risque de fragiliser le
développement des ENR sur le territoire. Mais avec les baisses importantes de coûts de
production des technologies ENR (LCOE), la localisation des installations en fonction de la
disponibilité de la ressource perd en partie de son importance relative (par rapport aux coûts de
renforcement des réseaux). Dans ce contexte, il apparaît légitime de s’interroger sur les
avantages et risques liés à un renforcement du signal de localisation des ENR en fonction des
capacités d’accueil du réseau existant, à condition que ce processus s’organise de manière
transparente pour tous les acteurs. Des outils de planification pour anticiper les besoins de
renforcement existent déjà : les Schémas régionaux de raccordement au Réseau des énergies
renouvelables (S3RENR). Cependant, le calcul des besoins de renforcement réseau ainsi que des
coûts (et de leur répartition) pourrait encore gagner en transparence.
1.2. Potentiels et besoins de flexibilité à l’échelle européenne
Les besoins de flexibilité s’accroissent avec le taux de pénétration des ENR. Une étude menée par
l’Institut Fraunhofer et le think tank Agora Energiewende sur les besoins de flexibilité en 2030 dans le
système électrique européen met en évidence le potentiel de foisonnement de production des ENR à
l’échelle européenne et l’apport de flexibilité par les échanges transfrontaliers4. Afin d’exploiter au
mieux ce potentiel, le renforcement des réseaux nationaux et transfrontaliers est néanmoins
incontournable. L’étude montre notamment que, sous l’hypothèse de la réalisation de seulement la
moitié des projets prévus par les gestionnaires de réseaux européens (hypothèse réaliste au vue des
évolutions historiques), l’intégration des systèmes électriques européens pourraient diviser par dix
les besoins d’écrêtement de la production renouvelable en 2030 (par rapport à des situations
nationales isolées).
1.3. Potentiel de flexibilité du mix résiduel en France : quelle gestion future du nucléaire ?
Concernant les besoins de flexibilité à l’échelle nationale, l’étude de Fraunhofer IWES et Agora
Energiewende montre que le mix de production français est déjà très flexible, notamment grâce à
son potentiel hydraulique (à condition toutefois que la stratégie de gestion du parc hydraulique
évolue). Le parc nucléaire pourrait également contribuer techniquement à une partie du besoin de
flexibilité du système à l’horizon 2030, notamment en fonctionnant en mode suivi de charge (ce que
font aujourd’hui déjà les réacteurs modernes).
Intégrer 40 % d’électricité renouvelable en France devrait ainsi conduire à réorienter la stratégie
d’exploitation du parc nucléaire, à la fois en ce qui concerne son exploitation de court terme et le
4
Agora Energiewende (2015). The European Power System in 2030: Flexibility Challenges and Integration
Benefits. An Analysis with a Focus on the Pentalateral Energy Forum Region.
3
niveau de capacité installé. Cela soulève néanmoins une interrogation plus structurelle et
économique sur la stratégie de gestion du parc nucléaire existant en lien avec l’objectif de réduction
de la part d’électricité nucléaire d’ici 2030 : quel niveau de capacité nucléaire et à quel horizon ? Quel
niveau d’exploitation en suivi de charge et en fonction de quelles incitations économiques ? Dans ce
contexte, toutes les nouvelles options de flexibilités qui seront développées dans le système
électrique français (en particulier : gestion de la demande, nouveaux usages de l’électricité, y
compris stockage, échanges transfrontaliers) permettront de réduire le conflit entre, d’une part,
l’intégration des énergies renouvelables et, d’autre part, le maintien d’un niveau plus élevé de
fonctionnement du nucléaire en base.
1.4. Le stockage : des solutions multiples, mais un potentiel incertain
Bien que souvent cité comme étant la première source de flexibilité à l’avenir, le potentiel effectif du
stockage d’énergie doit être nuancé. L’analyse menée par Artelys pour l’ADEME aboutit ainsi à deux
conclusions principales : d’une part, la nécessité de comparer, dans chaque cas spécifique, l’usage de
technologies de stockage à d’autres sources de flexibilité (renforcement du réseau, écrêtement,
capacités flexibles, etc.), souvent moins onéreuses. D’autre part, l’importance de considérer la
diversité des solutions de stockage (infra-journalier, hebdomadaire, saisonnier, en énergie, en
puissance) pouvant apporter des solutions différenciées en fonction de la nature et de l’échelle
(locale, poste source, nationale, etc.) des besoins de flexibilité. À plus long terme, l’interaction
possible avec les réseaux de chaleur et gaz pourrait également représenter un potentiel de stockage,
ce qui nécessite de mener en amont une réflexion systémique autour des interactions possibles entre
vecteurs d’énergie.
1.5. L’évolution de la demande, au cœur du système électrique futur
Encore peu présente dans le débat français, la question de la définition d’une trajectoire cible sur
l’évolution quantitative (quel volume de consommation) et qualitative (quels usages, quels impacts
sur les courbes de charge, quel potentiel de pilotage) de la demande électrique reste essentielle. Audelà de l’orientation des politiques de maîtrise des consommations, c’est toute la planification de
l’offre énergétique par le biais de la planification pluriannuelle de l’énergie qui en dépend, à l’instar
de la gestion future du parc nucléaire ou du dimensionnement des politiques de développement des
renouvelables.
De même, l’évolution de la demande représente le premier déterminant du niveau et de la nature
des besoins de flexibilité requis. Des travaux récents montrent ainsi qu’une différence de 100 TWh
sur la consommation annuelle et 30 GW de pointe appelée (en lien avec la thermo-sensibilité de la
demande) pourraient séparer les scénarios de demande haute et basse, en fonction du caractère
plus ou moins volontariste des politiques mises en œuvre.
Au-delà des besoins, le développement des usages pilotables pourrait également offrir une source de
flexibilité. Des incertitudes persistent néanmoins sur le potentiel technique d’usages pilotables, ainsi
que sur les cadres réglementaires et modèles économiques nécessaires pour exploiter celui-ci.
4
2. LE POTENTIEL D’OPTIMISATION À PLUS COURT TERME
2.1. Enjeux d’intégration à court terme et évolution des mécanismes de soutien
Alors que les réformes des mécanismes de soutien actuellement à l’œuvre visent généralement le
court terme5, la gouvernance de la transition doit nécessairement s’inscrire dans une perspective de
plus long terme : comment les mesures d’aujourd’hui permettent-elles de préparer l’architecture du
marché de demain ? Plus largement, la question de la gestion de cette transition dans le temps pose
une question sur le phasage et la hiérarchisation des enjeux politiques : si, dans un premier temps, la
priorité était au déploiement de nouvelles capacités renouvelables et à la maturation technologique,
leur place croissante dans le marché impose une réflexion nouvelle sur leur intégration dans le
marché existant. Cependant, les évolutions réglementaires réalisées aujourd’hui devraient aussi
prendre en compte les besoins futurs d’évolution du modèle de marché électrique pour répondre
aux défis nouveaux d’un système plus flexible et décarboné.
De prime abord, si les préconisations contenues dans les lignes directrices aux aides d’État visent
explicitement à favoriser l’intégration au marché, il convient d’approfondir l’analyse sur la possibilité
d’optimiser certains choix politiques en vue d’une meilleure efficacité globale. En effet, si
l’intégration au marché représente indéniablement une priorité face à la croissance rapide des
capacités renouvelables, celle-ci ne pourrait s’opérer au détriment d’autres objectifs, tels que
l’atteinte des objectifs politiques fixés (efficacité) ou encore la maîtrise des coûts à court et plus long
terme (efficience)6. Ainsi, de nouveaux arbitrages s’imposent et impliquent de trouver le meilleur
équilibre entre ces différents objectifs en vue de préparer la transition à plus long terme7. Dans cette
section, trois enjeux spécifiques au croisement de l’évolution des mécanismes de soutien et de
l’intégration systémique des ENR ont ainsi été abordés : la commercialisation directe et la gestion de
l’équilibrage de la production renouvelable variable ; la gestion des prix négatifs ; et le soutien aux
installations ENR plus « vertueuses » pour le système.
2.2. Commercialisation directe et gestion de l’équilibrage
Pour favoriser l’intégration des ENR au marché, la réforme des mécanismes de soutien incite les
producteurs à commercialiser directement leur électricité sur le marché. Ils deviennent ainsi
responsables de leur équilibrage et de leurs revenus (en dehors de la prime administrée qu’ils
obtiennent). Si les revenus sont relativement sécurisés par la prime versée ex-post, des incertitudes
persistent quant au coût que pourrait représenter l’équilibrage à l’échelle de chaque installation,
ainsi qu’à la capacité technique des petits producteurs à gérer l’activité de prévision et de
commercialisation directe.
5
À l’instar des lignes directrices sur les aides d’Etat, qui visent explicitement la période 2014-2020.
L’aspect de l’efficacité-coût peut être subdivisé entre une approche de court terme (efficacité statique) et de
long terme (efficacité dynamique), voire également : Finon, D./Menanteau, P., 2004 : The static and dynamic
efficiency of instruments of promotion of renewables, Energy Studies Review 12(1) 2004.
7
Par ailleurs, l’arbitrage entre ces priorités soulève une question plus large sur la capacité d’harmonisation à
l’échelle européenne : l’exposition des ENR au marché dès 2016 se justifie-t-elle pour tous les États membres,
alors même que ceux-ci se trouvent à des stades très différents de cette transition ?
6
5
Une récente analyse estime le coût de l’imprévisibilité8 de la production d’électricité renouvelable
française actuellement gérée par l’acheteur obligé à 0,4€/MWh en 20149. Ces chiffres relativement
faibles montrent que le potentiel d’optimisation des coûts d’équilibrage est très limité, et que le
passage à la commercialisation directe ne se justifie pas dans une perspective de réduction des coûts
à court terme. Plusieurs variables d’optimisation peuvent néanmoins agir sur ces coûts et limiter les
incertitudes :




réduire la durée des produits sur les marchés infra-journaliers (par exemple aujourd’hui
15 minutes en Allemagne et 30 minutes pour la France) et réduire les temps de fermeture des
échanges (gate-closure time) pour se rapprocher du temps réel ;
maximiser la taille des portefeuilles des agrégateurs pour bénéficier des effets de foisonnement ;
améliorer les modèles de prévision ;
renforcer le couplage des marchés en Europe, qui a déjà permis de diminuer les coûts
d’équilibrage depuis 2008.
Plus largement, évaluer la commercialisation directe à l’aune du critère d’optimisation soulève une
question centrale sur le sens de cette évolution à court et plus long terme. En effet, à court terme,
les bénéfices économiques restent incertains, et il faudra au contraire assumer le coût de
l’apprentissage de la commercialisation directe et de l’émergence de nouveaux modèles
économiques autour des agrégateurs. À plus long terme, une telle approche peut néanmoins être
pertinente pour progressivement faire porter aux producteurs renouvelables les mêmes
responsabilités d’équilibre, condition essentielle pour gérer un système avec une part renouvelable
majoritaire. De plus, l’expérience montre que cette évolution réglementaire a déjà généré des
innovations, à l’instar de l’amélioration des outils de prévision et les nouveaux produits sur les
marchés courts termes, qui ont profondément amélioré la gestion de l’imprévisibilité de la
production renouvelable.
Enfin, cette évolution pose également une question de gouvernance plus structurelle : si l’on
considère que seul un agrégateur de taille importante peut capter les bénéfices liés au foisonnement
et aux économies d’échelle, quelle pertinence y aurait-il pour un modèle de commercialisation
directe à l’échelle de chaque producteur ?
2.3. Gestion des prix négatifs
Si on estime désormais que c’est bien le manque de flexibilité du système et non la production
renouvelable dite « fatale » qui est à l’origine des prix négatifs, il est généralement admis que les
mécanismes de soutien actuels peuvent conduire à renforcer ce phénomène, en incitant à produire à
tout moment. Afin d’améliorer la réactivité aux signaux du marché, la réforme actuelle prévoit ainsi
l’arrêt de la prime pendant les périodes de prix négatifs. Cependant, cette approche soulève deux
problématiques.
8
Le coût de l’imprévisibilité correspond à la différence entre la valorisation (théorique) de l’énergie avec
prévision parfaite en J-1 et la valorisation réelle après rééquilibrage en IJ et règlement des écarts. Ce n’est donc
pas simplement la facture des écarts du gestionnaire de réseau.
9
Ce chiffrage tient compte de l’effet de foisonnement entre les installations renouvelables gérées par EDF en
tant qu’acheteur obligé, mais isole l’impact de la flexibilité du mix de production, qui permet à l’opérateur de
s’équilibrer en interne, plutôt que de recourir au marché. Chiffres issus de la présentation d’EDF OA à la
consultation organisée par la DGEC : http://extranet.complementremuneration.dgec.developpementdurable.gouv.fr/.
6
D’une part, elle risque de fragiliser le modèle de financement des projets ENR : l’incertitude
supplémentaire sur les revenus des producteurs créée par un tel mode de gestion pourrait se
traduire par une augmentation de la perception des risques et donc du coût du financement pour
l’ensemble des projets ENR. Alors que les prix négatifs restent un phénomène relativement rare à ce
stade, cela pose donc la question de savoir si le gain généré par la baisse relative des périodes de prix
négatifs peut compenser le surcoût général de la production renouvelable en cas d’une
augmentation de la prime de risque.
D’autre part, cette approche présente un enjeu difficile en termes de répartition des coûts et des
bénéfices : si l’arrêt des installations renouvelables en période de prix négatifs bénéficie à l’ensemble
des acteurs, le coût reviendrait aux installations renouvelables, soulevant la question d’une
rémunération éventuelle de ce « service » de flexibilité. Par ailleurs, tenant compte des objectifs de
décarbonation du mix électrique européen, la perspective de contraindre la production renouvelable
au profit de centrales thermiques peu flexibles peut soulever des interrogations.
Enfin, considérant que les périodes de prix négatifs ou nuls pourraient croitre significativement en
lien avec le taux de pénétration des ENR, ces dispositions ne peuvent répondre à l’enjeu plus
structurel de l’évolution de l’architecture du marché à plus long terme. En effet, elles ne traitent pas
la question fondamentale de l’inadéquation entre un marché fondé sur le principe du coût marginal à
court terme et le passage à un système fondé sur des technologies avec un coût marginal quasi nul.
2.4. Développement des technologies qui facilitent l’intégration
Certaines technologies permettent de réduire les besoins de flexibilité grâce à leur profil de
production moins variable ; c’est le cas de des éoliennes « surtoilées ». Ce profil de production peut
notamment permettre de réduire les besoins en flexibilité et de renforcement du réseau. Cependant,
pour une puissance donnée, cette nouvelle génération d’éoliennes nécessite un investissement de
départ (CAPEX) plus important que les éoliennes classiques.
Alors que leur coût de production au kWh est comparable à celui des éoliennes classiques, la
structure actuelle des mécanismes de soutien, dégressifs à partir d’un certain volume de production
afin de limiter la rente de certains parcs très rentables, pénalise les éoliennes de nouvelle génération.
Le développement de ces installations « vertueuses » pour le système pose donc deux questions
stratégiques. D’une part, il s’agit de l’évaluation de leur potentiel technico-économique à réduire
significativement les besoins de flexibilité à plus long terme, en fonction du bilan coût-bénéfice entre
leur surcoût relatif (par rapport à des installations classiques) et les bénéfices qu’elles pourraient
apporter à l’échelle du système. D’autre part, si cette évaluation leur est favorable, cela pose la
question des signaux d’incitation : comment rendre les mécanismes existants moins sélectifs ? Y-a-t-il
un compromis à trouver entre limiter la rente de certains parcs d’éoliennes classiques et donner des
incitations suffisantes aux éoliennes de nouvelles génération ? Comment peut-on adapter la formule
du mécanisme de soutien actuellement prévue (marché + prime) pour mieux tenir compte de ces
caractéristiques spécifiques ?
Si l’éolien surtoilé pourrait s’imposer économiquement, à condition de développer des mécanismes
de soutien adaptés10, la question se pose différemment pour d’autres pratiques pouvant améliorer
10
En effet, en fonction de la réduction des coûts atteignable sur les coûts d’investissement, l’éolien surtoilé
pourrait dans tous les cas devenir plus compétitif que l’éolien conventionnel puisqu’il bénéficie d’un facteur de
charge annuel plus important.
7
l’intégration au système. Ainsi, l’écrêtement de la puissance maximale des installations
photovoltaïques (afin de minimiser le renforcement des réseaux et la variabilité de la production) ou
encore le recours à des installations orientées est-ouest (avec un profil de production journalier plus
régulier) pourraient générer des bénéfices systémiques, mais créent une perte directe pour le
producteur (baisse de la production annuelle). Pour ces pratiques, la même question qu’évoquée
précédemment se pose : quel gain systémique peut-on associer au développement de ces
installations plus vertueuses ? Et justifie-t-il un ajustement des mécanismes de soutien pour
compenser la perte de productible ?
3. CONCLUSION ET PROCHAINES ÉTAPES
S’intéressant aux multiples facettes de l’intégration des énergies renouvelables dans le système
électrique existant, ce séminaire a permis de mettre en lumière la diversité d’enjeux, mais aussi de
solutions potentielles, qui s’y recoupent. Si l’intégration au marché représente actuellement la
première priorité, elle ne peut être considérée comme la seule. Au contraire, l’analyse des facteurs
pouvant influencer les besoins et apports de flexibilité met en lumière la nécessité de développer
une analyse systémique, prenant en compte les interactions avec les autres volets de la transition
énergétique : évolutions du côté de la demande, des interactions entre vecteurs énergétiques et
optimisation des infrastructures.
En premier lieu, cela appelle à un approfondissement de la réflexion sur les trajectoires de long
terme : quel rôle futur pour l’électricité dans le système énergétique ? Comment définir une
trajectoire cible sur la demande électrique ? Et quelles options pour développer les nouveaux usages
en phase avec les caractéristiques d’un système de production intégrant une forte composante
renouvelable et variable ?
De même, le lien entre l’analyse du court et du long terme apparaît très clairement dans la
réflexion sur l’évolution de l’architecture du marché : alors que le focus réside actuellement sur
l’adaptation des nouvelles technologies et de leurs mécanismes de rémunération au marché existant,
la trajectoire de long terme requiert une vision différenciée sur le fonctionnement du marché luimême : comment construire les modèles économiques pour la flexibilité, en intégrant notamment
les outils de pilotage de la demande au marché ? Comment les évolutions réglementaires actuelles
nous permettent-elles de préparer ce marché du futur et de concilier des technologies avec des
profils économiques (ratio CAPEX/OPEX) fondamentalement différents ? Et sur quelle base
développer les incitations économiques permettant de favoriser dès aujourd’hui les pratiques et
technologies potentiellement plus vertueuses pour le système, à l’image de l’écrêtement PV ou de
l’éolien surtoilé ?
Concernant le cas concret de la France, l’analyse, bien que non exhaustive, a permis de fournir
quelques éléments de cadrage importants. L’analyse des besoins de flexibilité à l’horizon 2030
montre que la France part d’une bonne base pour favoriser l’intégration d’une part croissante
d’électricité renouvelable. Au-delà du potentiel hydroélectrique, les interconnexions avec ses voisins
européens peuvent fournir une flexibilité importante, à condition de renforcer la coopération à
l’échelle régionale du Forum Pentalatéral11.
11
Composé de l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la France, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Suisse (en
qualité d’observateur)
8
En parallèle, l’enjeu de l’intégration soulève des questions structurelles autour de deux aspects : en
premier lieu, la capacité à définir une trajectoire cible et les politiques de mise en œuvre pour
maîtriser la demande d’électricité, autour de trois dimensions : le pilotage des usages, les
économies d’électricité, et l’électrification. En second lieu, l’enjeu de la gestion future et le
dimensionnement du parc nucléaire existant (quelle part du nucléaire peut être mobilisée pour
opérer en suivi de charge) fait partie des choix stratégiques qu’il faudra informer par le biais de
planifications de long terme intégrées.
Enfin, à travers l’important chantier de la réforme des mécanismes de soutien aux ENR, la France
dispose actuellement d’une fenêtre d’opportunité pour définir une stratégie d’intégration sur le
moyen terme. Sur ce point, deux aspects stratégiques ont été soulevés dans la discussion. D’une
part, l’importance de considérer les arbitrages possibles sur le plan économique : si l’intégration
représente une priorité, elle ne doit s’opérer au détriment des enjeux d’efficacité (atteinte des
objectifs de déploiement) et éviter d’accroître le risque financier des projets. D’autre part, il s’agit de
saisir dès à présent cette opportunité pour réellement optimiser l’intégration, notamment en
définissant les incitations spécifiques pour les installations et pratiques les plus vertueuses pour le
système électrique.
9