Recherche bibliographique sur l`évolution des mobilités et
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Recherche bibliographique sur l`évolution des mobilités et
François Ascher Consultant Recherche bibliographique sur l’évolution des mobilités et des temporalités dans les villes américaines PREDIT 2 1996-2000 Recherches stratégiques Groupe programme n°4 Mobilité, développement économique et aménagement (lettre de commande n°98MT05) Juin 1998 PREMIÈRE PARTIE TRANSPORTS ET MOBILITÉS 1 1. DONNEES ET ANALYSES GÉNÉRALES PISARSKI (dir.) (1996) : « Commuting in America II. The Second National Report on Commuting Patterns and Trends » (ENO Transportation Foundation, Inc. 112 p.) Ce rapport fait suite à celui de 1987 qui analysait de façon globale et synthétique les déplacements domicile-travail aux États-Unis, principalement sur la base des résultats du recensement de 1980. Cette fois, ce sont les données du recensement de 1990 qui font l’objet d’une synthèse très systématique, appuyée sur un grand nombre de tableaux très bien faits. Ce document est donc très précieux. Toutefois, on fait faire à son propos deux remarques : tout d’abord, les données ne sont plus très fraîches, et beaucoup d’autres documents et recherches ont présenté et analysé ces résultats. Deuxièmement, la mobilité n’est appréhendée qu’à partir des déplacements domicile-travail, alors qu’aux États-Unis plus encore qu’ailleurs, la part de ceux-ci est devenue minoritaire dans la mobilité totale. Enfin, on peut regretter qu’un certain nombre de données, en particulier celles qui portent sur les heures de déplacement, ne soient pas inscrit dans leur évolution. Cela noté, ce rapport est un document précieux, comme en témoignent les quelques tableaux très clairs qui sont présentés ci-après. Quelques commentaires généraux sur les résultats présentés dans ces tableaux. -La possession d’une voiture au moins par ménage est inégalement répartie, les noirs étant à localisations urbaines identiques, les moins bien équipés. Les hispaniques l’étant aussi, mais seulement lorsqu’ils habitent la ville centrale, ce qui laisse à penser que ces données renvoient en grande partie à une immigration plus récente. -Les miles parcourus pour le travail (directement ou en liaison avec une activité professionnelle) ne représentent plus que 26,4 % du total des miles parcourus, c’est à dire nettement moins que les miles parcourus « pour rencontrer des amis et parents et pour les autres activités récréatives et sociales » qui comptent pour 29,2 %. Les « affaires personnelles, les visites chez les médecins et les dentistes, représentent prés de 22 % des distances parcourues ; les achats, 11,3 % ; les activités civiques, religieuses et éducatives , 6,7 %. La part du « children-chauffeuring » n’est pas isolée en tant que telle (voir nos autres notes de lecture à ce sujet). -L’augmentation globale du n’est pas due à l’augmentation de l’emploi, mais à la diminution de la taille des ménages et à l’augmentation du pourcentage moyen d’actifs par ménages, ainsi qu’à la poursuite de la suburbanisation, voire de l’exurbanisation. 2 -De fait, la population de la plupart des aires métropoles nord-américaines a cru sensiblement entre 1980 et 1990, celle d’Orlando ayant augmenté de prés de 60 %, alors que la régression la plus forte était constatée à Pittsburgh qui a perdu environ 8 % de ses habitants en 10 ans. -Alors que l’indice du coût de la vie passait entre 1970 et 1992 de 1000 à plus de 3500, celui du coût des voitures neuves grimpait seulement à 2.400, celui des voitures d’occasion à 3.600, et l’indice général du coût du transport à 3.300. Les transports sont donc sensiblement moins chers dans les années 1990 que dans les années 1970, même en intégrant le quasi doublement des distances parcourues par chaque ménage. -6 % seulement des commuteurs ont des temps de déplacement domicle-travail (aller simple) supérieur à une heure. Ce sont les temps des suburbains qui sont en moyenne les plus longs. -Le carpool a beaucoup diminué, le transit est pratiquement stabilisé (mais à un niveau très faible, la marche a continué de décroître, et le travail à la maison a sensiblement augmenté. -Les différences régionales sont assez importantes : dans le nord-est, on utilise moins la voiture et plus les transports collectifs. Mais c’est aussi là que le carpool a le plus diminué. Le travail à la maison est à peu près également réparti. -Les transports collectifs sont bien sûr plus utilisé dans les villes centres et par des populations plus pauvres. Toutefois le commuting par train concerne des population suburbaines plutôt aisées. Il s’agit en fait généralement de cadres travaillant dans les downtowns. -Peu de villes ont vu croître l’utilisation des transports collectifs entre 1980 et 1990. New York, qui est la ville des États-Unis où on les utilise le plus, en fait partie, avec plus de 50.000 usagers quotidiens gagnés. Los Angeles, qui est une des grandes villes où on les utilise le moins ( 6 % des commuters) a connu une augmentation de 45.000 usagers quotidiens, grâce au lancement de deux nouvelles lignes de transport collectif plutôt haut-de-gamme. -Les villes centrales ne sont plus impliquées que dans la moitié des déplacements domiciletravail des agglomérations. 35 % des mouvements se font de suburbs à suburbs et près de 8 % entre les suburbs et les zones situées en dehors des aires métropolitaines. 58 pour cent de l’augmentation des flux de commuters est imputable aux déplacent de suburbs à suburbs. Modèles à observer pour identifier les évolutions prévisibles (selon les auteurs de cette étude) 1. L’immigration va-t-elle se poursuivre au même rythme, ou va-t-elle ralentir ? 2. Les immigrants vont-ils adopter le modèle de comportement dominant en matière de déplacement, ou vont-ils développer d’autres comportements ? 3. Un nouvel équilibre entre emplois et habitat va-t-il apparaître dans les suburbs ? 4. Les minorités se joindront-elles au courant général d’équipement automobile des ménages ? 3 5. Les technologies automobiles continueront-elles d’être tirées par les préoccupations environnementales ? -6. Le développement des technologies de communication et le développement du télétravail vont-ils modifier le commuting significativement ? -7 Ces technologies auront-elles une influence sur le temps de commuting et sur les autres facteurs qui l’influencent ? -8. Le vieillissement des commuters entraînera-t-il des changements dans les modalités du commuting ? -9. Jusqu’où ira la croissance périphérique des agglomérations , -10. Le public retrouvera-t-il un intérêt pour les quartiers plus denses avec des modes de vie plus attractifs ? 4 BUREAU OF TRANSPORTATION STUDIES (1997) : « Mobility and Access. Transportation Statistics. Annual report 1997 » (US Department of Transportation, 306p.) Ce rapport est un document de référence important, car non seulement on y trouve toutes les statistiques récentes sur les transports présentés de façon synthétique et analysées dans leur évolution, mais également une série d’études et de questionnements sur des aspects très divers de la mobilité des personnes et des marchandises, en relation notamment avec l’évolution de l’économie et des techniques de l’information. La première partie du rapport décrit « l’état du système de transports » avec des données générales, mais aussi des chapitres spécifiques sur les transports et l’économie, la sécurité, l’énergie et l’environnement, les problèmes de données statistiques. La seconde partie est intitulée « mobilité et accessibilité », avec un effort de définition de ces deux concepts et des chapitres sur les personnes, les marchandises, l’information. La mobilité renvoie au potentiel de déplacement, considéré comme décisif pour permettre aux individus et aux entreprises de participer à la vie économique et sociale et pour permettre le développement de la liberté individuelle et l’ouverture la plus large des choix. L’accessibilité est définie comme « le potentiel d’interaction spatiale avec les diverses opportunités souhaitables sociales et économiques », c’est à dire les possibilités de se livrer aux diverses activités. La mobilité est plus facile à mesurer que l’accessibilité : elle peut être évaluée par les mouvements effectifs de personnes et de biens ; en revanche l’accessibilité doit être appréhendée comme la facilité d’accès à des activités souhaitées, ce qui implique la prise en compte de la localisation de cette activité et le temps nécessaire pour y accéder. Nous ne reprenons pas ici les statistiques générales que nous présentons par ailleurs. Notons simplement que la plupart des évolutions sont proches de celles que l’on constate en France, -avec un déséquilibre encore plus marqué en faveur de l’automobile individuelle (87 % des voyages quotidiens), -une croissance absolue du transport collectif urbain en nombre de miles parcourus, et une légère baisse de sa part relative (entre 1985 et 1995) -des distances parcourues plus longues (47 km/jour en moyenne, mais 52 km/jour pour les habitants des zones suburbaines et 61 km/jour pour les personnes des ménages gagnant plus de 40.000 $ par an, Les hommes font plus de miles que les femmes mais moins de déplacements ; les blancs bougent plus que les noirs ou les hispaniques. De fait, l’une des différences majeures avec la France tient au fait que ce sont les centre-villes qui sont les zones les moins accessibles et que c’est là que résident en majorité les couches les plus pauvres. Le rapport instille aussi sur l’accroissement et le changement de la mobilité des marchandises, avec la part croissante des transports interétatiques au sein des USA, l’augmentation aussi de la part des importations et exportations, les liens avec les modes de production en juste à temps (et la croissance des messageries express). Enfin, le rapport traite longuement des articulations entre les nouvelles technologies de l’information et l’évolution des transports. 5 Notons enfin que le « paratransit » est estimé à 35 millions de voyages par an, ce qui est évidemment encore très faible, mais que son développement coordonné avec les transports collectifs classique est présenté comme souhaitable et susceptible de relancer le transport collectif aux USA. S’agissant de l’économie des transports, on peut noter la croissance de sa part dans le PNB (de 10,5 % en 1991 à 10,7 % en 1995), l’effondrement entre 1959 et 1994 de la part du transport de marchandises par rail (de 38,3 % à 10,9 % en valeur du total des transports, dont la productivité a augmenté plus vite que la moyenne des transports). Pour les consommations énergétiques et la préservation de l’environnement, on note une diminution de la consommation énergétique par mile parcouru en automobile individuelle de prés d’un tiers entre 1970 et 1994, ce qui a permis de ralentir la croissance des consommations pétrolières qui ont toutefois cru d’un tiers dans la même période. Mais la pollution atmosphériques d’origine automobile a sensiblement décru, pour le plomb (qui a pratiquement totalement disparu), pour les composés organiques (moins 50 %) pour le monoxyde de carbone (moins un tiers), pour les particules (moins 10 %). En revanche, les NOX ont cru de 15 %, sensiblement moins toutefois que l’augmentation des miles parcourus). Les nouvelles stratégies pour réduire la pollution portent sur le développement de carburants oxygénés, sur les standards d’émissions pour les véhicules lourds circulant sur les autoroutes, sur de nouveaux tests pour les voitures neuves et de nouvelles procédures de contrôle tant sur les véhicules en circulation. 6 HAN, Xiaoli, FANG, Bingsong (1998) : « Measuring Transportation in the U.S. Economy » (Journal of Transportation and Statistics, January 1998, vol. 1, n° 1, pp. 93 - 102) Article intéressant tant du point de vue méthodologique que des résultats. En particulier : la part de la demande domestique en transports dans la demande domestique globale (GDD) est passée de 10,8 % en 1991 à 11,5% en 1996. En termes de produit, Gross Domestic Product 1991 1996 housing 23,2 24,5 health 13,6 14,5 food 13,2 14,5 transport 10,3 11,0 education 6,9 6,9 other 32,7 30,9 Gross Domestic Product by Major Social Function : 1991 - 1996 Il faut souligner que les données pour les années intermédiaires montrent que ces évolutions sont continues. La part des transports dans la production industrielle a aussi augmenté, passant de 3,1 % du GDP en 1990, à 3,2% en 1994, tandis que les communications passaient de 2,6 à 2,7 %. La ventilation de la production des transports montre la part légèrement faiblissante des camions (de 43 % à 42,7%), la part croissante de l’avion (de 22,3 % à 22,9 %), le léger progrès du transport collectif urbain (de 5,1 à 5,3 %) et le recul de tous les autres modes (rail, pipelines, bateau). En revanche les services liés aux transports ont vu leur part dans le produit transport passer de 10,1 % à 10,9 %. 7 REY, Joel R., POLZIN, Steven E., BRICKA, Stacey G. (1995) : « An assessment of the Potential Saturation in Men’s Travel » ( pp. 1.1 - 1. 63. in Nationwide Personal Transportation Survey, Demographic Special Reports, February 1995) L’analyse de l’évolution des déplacements des hommes, croisés avec de multiples variables, n’a pas démontré l’hypothèse initiale de cette recherche qui portait sur l’apparition progressive d’une saturation de la mobilité des hommes. En effet, celle-ci continue de croître et n’est pas significativement enrayée par le développement de la multimotorisation. En revanche, les distances continuent d’augmenter tandis que le nombre de déplacements ne varie pas significativement pour la plupart des catégories. La mobilité est corrélée positivement avec les revenus, la taille du ménage, le nombre de voitures. Voir les différents tableaux ci-joints. 8 KITAMURA, Ryuichi (1995) : « Time-of-Day Characteristics of Travel : An Analysis of 1990 NPTS Data » (in National Personal Transportation Survey, Special Report on Trip and Vehicle Attribute, February 1995, pp 4.1. - 4.56. : US Department of Transportation - Federal Highway Administration) Le Travel Demand Management (TDM) et les politiques de lutte contre les phénomènes de congestion du trafic, nécessitent une meilleure connaissance des comportements temporels des conducteurs et une compréhension plus fine de leur choix d’horaires de déplacement. Toutefois, les données manquent encore beaucoup en la matière. L’exploitation du NPTS n’est pas sans intérêt. Elle s’appuie sur les heures de départ. Elle fait apparaître un certain nombre de différences par âges, par genre, par emploi. Mais ses résultats sont relativement limités, dans la mesure on ne dispose pas de références antérieures pour mettre en évidence les évolutions. 9 PISARSKI, Alan E. (1995) : The Demography of the US Vehicle Fleet : Observations From the NPTS (in National Personal Transportation Survey, Special Report on Trip and Vehicle Attribute, February 1995, pp 3.1. - 3.44.: US Department of Transportation - Federal Highway Administration) Entre 1969 et 1990 , la population américaine est passée de 197 à 239 millions ( + 20 % ) le nombre de travailleurs de 76 à 118 (+55 %) le nombre de ménages de 63 à 93 (+ 50 %) le nombre de conducteurs de 103 à 163 (+60 %) et le nombre de véhicules de 73 à 165 (+ 125 %) Le nombre de ménages ne disposant pas de voiture a chuté de 1960 à 1990, de 22% à 12 %), ceux ne disposant que d’une voiture sont passés de 57 % à 34 % ; en revanche, les ménages ayant deux voitures sont passés de 19 % à 38 %, et ceux en ayant 3 ou plus, de 4% à 17 %. La flotte est globalement de plus en plus âgée. L’utilisation de voitures plus vieilles a été une des formes de l’augmentation du taux d’équipement des ménages en un ou plusieurs véhicules. Mais les véhicules les plus récents sont aussi ceux qui parcourent le plus de miles par an. 10 GORDON, Peter, RICHARDSON, Harry W. (1995) : « Geographic Factors Explaining Worktrip Length Changes » (in National Personal Transportation Survey, Special Report on Trip and Vehicle Attribute, February 1995, pp 2.1. - 2.43 : US Department of Transportation - Federal Highway Administration) Cet article, très synthétique, mais accompagné d’un très grand nombre de tableaux (détaillés notamment par régions) étudie l’augmentation des distances des déplacements en voiture domicile-travail. Les miles parcourus en automobile ont globalement augmenté de 40 pour cent entre 1983 et 1990, la longueur moyenne des déplacements domicile-travailen voiture a augmenté de 36 pour cent et les miles parcourus ainsi pour le commuting ont augmenté de 50 pour cent (alors que le nombre de déplacements domicile-travail annuel par employé a diminué de 450 à 425). Le nombre des déplacements domicile-travailen automobile a toutefois augmenté de 8,2 pour cent, par augmentation du nombre de travailleurs et par diminution des autres modes de déplacements. Quant à l’augmentation des miles parcourus en voiture pour ces déplacements, elle est principalement due à l’augmentation de 28 pour cent des distances parcourues (de 8,6 miles à 10, 9 miles pour chaque mouvement, soit à plus de 35 kilomètres aller-retour en moyenne en 1990). L’auteur évoque un « spatial mismatch »... 11 SÖÖT, Siim, SEN, Ashish, MARSTON, James, THAKURIAH, Piyushimita (1995) : « Multiworker Household Travel Demand » ( pp. 4.1. - 4. 30. in Nationwide Personal Transportation Survey, Demographic Special Reports, February 1995) La proportion de ménages bi-salariés dépend en partie de la taille du ménage et de la taille de l’agglomération, et est plutôt corrélée négativement avec la densité de la zone habitée et des transports publics. Le nombre de voitures par travailleur est assez stable, les femmes ayant accédé à un emploi disposant généralement d’une voiture dans les mêmes proportions que les hommes. Les ménages bi-salariés effectuent des distances plus grandes que les autres. Les distances domicile-travail sont certes plus longues, mais ce sont surtout les déplacements pour les autres motifs qui sont beaucoup plus longs. Les ménages bisalariés sont passés de 27,3 pour cent du nombre total des ménages en 1983 à 32,1 pour cent en 1990. Par ailleurs, 37 pour cent des familles avaient deux personnes employées ou plus dans le ménage en 1983 ; elles étaient en 1990, 59 pour cent. Le nombre de ménages multi-emplois décroît avec le revenu, sauf pour les couches les plus aisées. 12 1.2.THÉMATIQUES SPÉCIFIQUES 1.2.3. Genres et transports WACHS, Martin, LEVISON, David, MKHTARIAN, Patricia, TAYLOR, Brian (1997) : « The Gender Gap » (ITS, Institute of Transportation Studies, University of California, February 1997, Vol. 20, N° 2) LEVINSON, David : How Patternes Changed from ‘68 to ‘88 Les modèles de comportements dans les déplacements domicile-travil ont beaucoup changé en vingt ans, principalement en raison de l’entrée sur le marché du travail salarié des femmes. Les habitudes de celle-ci sont en effet assez différentes de celles des hommes. De plus, leur entrée sur le marché du travail s’est traduite non seulement par une augmentation des déplacements domicile-travail, mais aussi des autres déplacements. En effet, le travail féminin salarié a augmenté l’utilisation de divers services hors du domicile, notamment pour la garde des enfants, mais aussi pour d’autres prestations. La garde des enfants en dehors du domicile et les repas achetés à l’extérieur (pris au restaurant ou rapporté à la maison) expliquent 25 % de l’augmentation des déplacements par personne sur la période étudiée. Par ailleurs, les femmes ont plus de déplacements liés (linked trips) c’est à dire des pérégrination ou des déplacements multi-motifs (notamment elles déposent plus souvent que les hommes des personnes à un autre lieu en allant ou en revenant du travail ; elles font aussi plus de courses que les hommes sur leur trajet domicile-travail). Elles passent en moyenne 48 minutes par jour pour faire des achats (!) alors qu’elles n’en passaient que 43 vingt ans plus tôt. Elles passent aussi plus de temps à prendre des repas en dehors de leur domicile, à transporter des gens, à rendre des visites à des amis. Les hommes passent certes plus de temps à ces activités, mais l’écart diminue. Commentaire : Modification de la structure des déplacements : probablement moins le week-end et plus en semaine; Contre tendance par rapport au centrage sur la maison : les hommes (et les enfants ?) y passent peut-être plus de temps, mais les femmes qui travaillent font beaucoup plus de choses en dehors de chez elles. De fait, ce sont probablement aussi les femmes, ainsi que les personnes âgées, dont les modèles de comportement changent le plus et qui ont donc le plus d’impact sur le changement social. 13 MOKHTARIAN, Patricia More women than men change behavior to avoid congestion. Les femmes ont plus de comportements d’adaptation que les hommes face à la congestion automobiles des voies qu’elles doivent emprunter pour aller au travail. Mais ces adaptations reflètent surtout que pour elles le travail est moins important que pour les hommes. Aussi s’efforcent-elles de travailler à temps partiel, de trouver un travail qu’elles peuvent faire à la maison, essaient de changer de lieu de travail, voire arrêtent de travailler. Ces résultats, pas vraiment surprenant dans un pays où le travail féminin salarié ne s’est développé que récemment, sont les résultats secondaires d’une vaste étude sur le télétravail réalisée auprès de 600 commuters habitant à San Diego (métapole de San Francisco). TAYLOR, Brian: Beyond the Gender Gap. Il s’agit de l’exploitation d’une recherche faite à partir d’une enquête réalisée auprès de 21 personnes sur leurs déplacements effectués un même jour de la semaine (soit plus de 71.000 déplacements). Cette recherche a été complétée par les résultats d’autres travaux complémentaires sur la mobilité. La différence entre les genres est manifeste, mais elle n’est pas la seule et ne résulte pas seulement de la division du travail au sein du ménage. En effet, si les femmes font plus de « child chauffeuring » et de « grocery shopping » que les hommes, elles le font non seulement bien sûr parce que même quand elles ont un emploi salarié, elles continuent de plus s’occuper des ces tâches, mais aussi parce que , toutes choses égales par ailleurs, elles ont un autre rapport à la mobilité liée « à leurs formes spécifiques de socialisation ». (La recherche s’appuie surtout sur la comparaison entre des ménages uniparentaux hommes et femmes ; mais, est-ce bien homogène du point de vue des autres variables sociologiques ?) L’auteur met aussi en évidence les différences « raciales »(« race gap ») au sein même des différences de genres. Ainsi dans les ménages d’origine asiatique (« Asian/Pacific Islander), les transport des enfants est mieux réparti qu’en moyenne alors qu’il est plus inégal encore chez les ménages d’origine hispanique. Enfin, des différences apparaissent aussi selon les revenus, la répartition du transport des enfants étant mieux répartie dans les ménages les plus aisés. L’auteur conclut à une combinaison de l’influence des divers facteurs. Ce n’est inintéressant, mais on aurait aimé, sur une population aussi nombreuse, une analyse multivariée. ROSENBLOOM, Sandra (1995) : « Travel by Women » » ( pp. 2.1. - 2.57. in Nationwide Personal Transportation Survey, Demographic Special Reports, February 1995) 14 Deux changements majeurs ont affecté les modèles de comportement de déplacement des femmes : l’habitat de plus en plus périurbain et le travail salarié. Un troisième facteur significatif d’évolution est aussi la croissance du nombre de femmes vivant seules et élevant seules un ou plusieurs enfants. Elles se déplacent donc plus, conduisent beaucoup plus. Mais leur mobilité continue de différer sensiblement de celle des hommes. Les femmes entre 16 et 64 ans , à la ville comme à la campagne, ont un plus grand nombre de déplacements quotidiens que les hommes ; mais les distances parcourues sont plus faibles (d’un quart environ en pers.miles dans les villes). Les homes globalement font 60 pour cent de miles de plus que les femmes. Mais les revenus, la possession du permis, l’emploi sont des facteurs plus explicatifs des comportements de mobilité que les genres. Les femmes mariées ayant un emploi sont la catégorie qui se déplace le plus. Les femmes blanches bougent plus que celles des autres groupes ethniques, en particulier que les américaines d’origine hispaniques. Le nombre de femmes ayant leur permis de conduire est encore inférieur à celui des hommes, mais il s’en rapproche de plus en plus. Parmi les 16 - 29 ans, prés de quatre-vingt cinq pour cent des femmes ont le permis de conduire, contre 88 pour cent pour les hommes. A titre indicatif, les 50 59 ans sont titulaires d’un permis respectivement à 88 et 96 pour cent. Les distances parcourues sont corrélées positivement avec les revenus, Les miles parcourus au volant par les femmes ont cru entre 1969 et 1990 de 76 pour cent alors que ceux parcourus par les hommes n’ont augmenté que de 46 pour cent. Sandra Rosenbloom présente aussi dans ce même rapport un article sur la mobilité des personnes âgées (49 pages) Elle met en évidence la croissance de la mobilité des personnes âgées et l’usage croissant des voitures (aucune cohorte n’utilise ce mode à moins de 75 pour cent). Les personnes âgées font, toutes choses égales par ailleurs, 20 pour cent de miles en plus en 1990, comparativement à 1983. L’auteur considère que le développement de la conduite automobile des personnes âgées devrait impliquer diverses mesures de sécurité et de contrôle. Il ne faut pas oublier, insiste-telle sur le fait que c’est le groupe d’âge qui croit le plus fortement dans le pays et que ce processus est appelé à s’amplifier. 15 1.2.2. Enjeux sociaux Les déplacements non motorisés LAVE, Charles, CREPEAU, Richard (1994) : « Travel By Households Without Vehicles » (in National Personal Transportation Survey, Travel Mode Special Report, dec 1994, pp. 1.1 1.43 : US Department of Transportation - Federal Highway Administration) Note F.A. De fait, aux États-Unis, et en dehors des très grandes villes qui ont encore des quartiers centraux un peu habités, même s’ils sont très pauvres, on peut considérer qu’une voiture est aussi nécessaire pour survivre qu’une maison. Analyser des ménages sans voiture a donc pratiquement la même importance qu’analyser des sans-domicile en Europe. Il est donc indispensable pour traiter des problèmes de pauvreté plus complètement, d’analyser les ménages en calculant le nombre de voitures par habitant en âge de conduire. C’est ce qui est fait dans d’autres études dont nous rendons compte par ailleurs. La population sans automobile a diminué considérablement : 20, 6 % des ménages en 1969, 13,5 % en 1983 et 9,2 % en 1990. Les ménages sans véhicules étant plus petits que la moyenne, 6,4 % de la population vit effectivement sans voiture particulière. De fait, si l’on admet que beaucoup de ces ménages, en particulier les très jeunes et les très vieux, ont des parents ou amis proches qui les véhiculent souvent, on peut affirmer que la quasi totalité de la population américaine est motorisée ou a accès aux déplacements automobiles. Il n’en reste pas moins qu’un petit pourcentage, 5 pour cent, n’y a pas accès régulièrement et qu’un certain nombre de familles nombreuses n’ont encore qu’un ou deux véhicules « seulement ». La plupart des ménages sans voiture ne comprend aucun membre ayant un emploi ou en cherchant. Leurs revenus sont nettement inférieurs à la moyenne et ils vivent , généralement seul , mais pratiquement toujours sans enfants, dans les parties centrales des villes. Ils sont généralement et ce sont très souvent des femmes seules. (Il faut noter que la pauvreté explique en partie seulement la non-possession de voiture et que 76 pour cent des ménages en dessous du seuil de pauvreté possèdent au moins un véhicule). Les ménages sans voiture sont plus nombreux sur la côte est (ce qui s’explique en partie par les structures urbaines anciennes qui y perdurent un peu plus). 52 % de ceux qui appartiennent à des ménages 0-V (Zéro-Vehicule) n’effectuent aucun déplacement journalier. Le déplacement domicile-travail ne les concerne pas beaucoup puisque moins du tiers d’entre eux n’a aucun membre sur le marché du travail (avec un emploi, ou a la recherche d’un emploi). Les adultes utilisent très peu les transports publics, pas plus qu’ils ne se déplacent dans les voitures d’autres personnes. 16 Le nombre moyen de déplacements quotidiens est de 1,8 (contre 3,2 en moyenne aux ÉtatsUnis). De façon générale, cette population est constituée de beaucoup de vieux et de pas mal d’immigrants. Il faut noter que les immigrants d’origine asiatiques acquièrent véhicule beaucoup plus vite que ceux d’origine noire. Enfin, il faut traiter à part le cas de New York qui compte 15 pour cent du nombre total de ménages sans véhicules, et dont 30 pour cent des ménages non motorisés gagnent plus de 30.000 dollars (moins de huit pour cent en moyenne pour les autres ménages 0-V américains). NIEMEIER, Debbie, RUTHERFORD, Scott (1994) : « Non-Motorized Transportation » ((in National Personal Transportation Survey, Travel Mode Special Report, dec 1994, pp. 3.1 3.25: US Department of Transportation - Federal Highway Administration) L’auteur note que très peu d’études américaines ont porté sur les déplacements non motorisés, à pied ou à bicyclette. Mais les résultats tirés du recensement de 1990 sont d’un intérêt assez limités et surtout ne donnent aucune idées des évolutions. On apprend donc sans surprise que les déplacements non motorisés sont plus fréquents dans les villes denses, sans pour autant que des relations précises entre densité et usage de la bicyclette puissent être mises en évidence. En revanche, pour la marche, la relation est très claire. Les cyclistes sont aussi plus jeunes, plus masculins et moins fréquent chez les cadres et les techniciens. Ils sont plus répandus dans les professions de service. La bibliographie est assez ancienne et d’un intérêt limité. U.S. Department of Transportation (1998) : « Welfare reform and Access to Jobs in Boston » (Report, Bureau of Transportation Statistics, 17 p.) Ce petit rapport, qui est en fait un article très bien documenté, est issu de la loi de juillet 1996 portant réforme du welfare et l’orientant plus particulièrement vers l’aide aux familles avec enfants dépendants. L’expérience de Boston est très intéressante dans cette perspective, puisque la ville s’est efforcée d’aider les personnes en difficulté à se déplacer, en particulier pour accéder au marché du travail. De fait, une grande partie des personnes aidées sont des femmes seules ayant la charge d’enfants. Ces femmes rencontrent des problèmes très difficiles en matière de déplacement et ont des besoins notamment en matière de « pérégrinations » (chaînage des déplacements). Cela 17 explique la croissance de l’équipement automobile et des miles parcourus annuellement par ces catégories. La ville s’efforce de développer comme critère d’aide et d’orientation de sa politique de transport, le principe que personne parmi les personnes pauvres ne devrait être à moins d’un quart de mile d’une ligne de transport collectif. S’il apparaît que les résultats sont assez satisfaisants pour la population cible, il n’en ressort pas moins de 35 % des employés seulement habitent actuellement à moins d’un quart de mile, et moins de 60 % à moins d’un mile. Les auteurs du rapport concluent sur la nécessité de développer de nouveaux moyens de transports et de mobiliser les technologies nouvelles (transport à la demande, déroutage partiel des autobus, express corridors etc.). L’article est intéressant. Il insiste sur le « job accessibility gap », sur l’inadéquation entre le transit et les problèmes d’emploi des catégories défavorisées, et sur la nécessité de développer de nouvelles solutions. Parmi les références utilisées, on peut citer: -JARGOWSKY, P.A. (1997) : « Poverty and Place : Ghettos, Barrrios, and the American City » (New York, NY, Russel Sage Foundation) -ROSENBLOOM, S. (1995) : « Travel by Women. 1990 Nationwide Personnal Transportation Survey » (Journal of Policy Analysis an Management, 12, n° 3 : 556 - 573) 18 Le droit à la mobilité BULLARD, Robert D., JOHNSON, Glenn S. (Eds.) (1997) : « Just transportation. Dismantling Race and Class Barriers to Mobility » (New Society Publishers, 193 p.) Il s’agit d’un ouvrage collectif, de style assez militant, fait principalement à partir d’études de cas, et dirigé par deux universitaires d’Atlanta (ville « du Sud » où l’on a construit récemment un métro, qui est matière à diverses critiques). Le livre est préfacé par un congressman, John Lewis, qui situe l’enjeu contemporain des transports par rapport aux luttes auxquelles il a participé il y a trente ans dans le cadre des « Freedom rides ». La Cour Suprême avait pris à cette époque une décision interdisant les discriminations raciales dans les transports inter-états, et un groupe de jeunes était parti voyager en bus dans le Deep South, pour affirmer les droits des noirs. Selon John Lewis, ce livre montre que cette lutte n’est pas encore achevée et que les noirs, mais aussi beaucoup d’autres minorités et de pauvres souffrent encore d’un accès inégal aux transports. Non que les règlements racistes n’aient pas disparu, mais parce que les plus déshérités dans la société américaine, sont aussi ceux qui peuvent le moins se déplacer (parce qu’ils sont peu motorisés et parce que les transports publics sont systématiquement négligés par l’état fédéral et la plupart des autorités fédérées et locales). Et pourtant, ajoute-t-il, pouvoir se déplacer dans les villes et plus important que jamais, pour accéder au travail, au commerce, aux loisirs. Ainsi, selon lui, l’inégalité en matière de transports continue d’accroître l’écart entre les « haves » et les « haves-nots ». Aussi, conclut-il , il faut maintenant passer de la lutte pour les droits civiques à la lutte contre la discrimination dans les transports. Les études de cas présentées par la suite, mettent en évidence la dégradation des transports publics dans la plupart des grandes villes nord-américaines, et les handicaps dont souffrent de plus en plus les communautés pauvres des villes-centres. De plus, celles-ci ne sont pas seulement victimes d’une mobilité urbaine plus réduite ; elles souffrent aussi plus que les autres des nuisances urbaines et en particulier de celles produites par les automobiles que pourtant elles possèdent en moins grand nombre (qu’il s’agisse de la pollution ou des pénétrantes autoroutières qui éventrent les quartiers pauvres centraux). De nombreuses luttes de ces communautés locales sont décrites dans les divers chapitres. Les politiques budgétaires de l’État fédéral sont aussi très critiquées, puisque seulement vingt pour cent de la taxe sur l’essence est affectée au transport public, le reste allant aux routes. Les politiques de transports collectifs telles qu’elles sont souvent menées, attirent aussi les critiques ; d’une part, parce qu’elles s’intéressent souvent à la mobilité des couches moyennes qui viennent de leurs suburbs travailler dans les emplois qualifiés des downtowns, au lieu d’accorder la priorité à la mobilité des pauvres (ce qui impliqueraient la desserte d’autres quartiers centraux et d’autres suburbs, et peut-être en privilégiant les bus) ; d’autre part, parce que le financement de ces transports collectifs qui profitent aux couches moyennes des suburbs résidentiels (qui viennent aux gares périurbaines en voiture), sont largement financées par les communes dont les populations profitent en fait le moins de ces transports. 19 Beaucoup des contributions présentées dans ce livre s’efforcent de lier les problèmes de transport et ceux de l’environnement. Cela n’est pas toujours facile, dans la mesure où étant donné ce que sont les villes nord-américaines, il faut surtout aider les pauvres à bouger plus pour qu’ils puissent accéder au potentiel métropolitain et en particulier au marché du travail. De plus, les voitures des pauvres (généralement vieilles et souvent de grosses américaines) sont aussi les véhicules les plus polluants. Les auteurs développent ainsi la notion de justice environnementale, c’est à dire d’un environnement équitable, qui ne pénalise les pauvres ni du point de vue des nuisances urbaines, ni de la mobilité. L’ouvrage se termine sur un programme d’action en quatre chapitres principaux : 1/ faire participer plus les populations concernées par les décisions en matière de transport ; 2/ mobiliser des ressources pour identifier et examiner les effets discriminatoires, les impacts disproportionnés par rapport aux objectifs, les répartitions inéquitables des investissements de transport, et leurs implications en termes de droits civiques ; 3/ développer la recherche, produire des données et des avis techniques ; 4/ promouvoir une coopération entre les agences pour la planification des transports, le développement et l’expérimentation de programmes pour des « communautés vivables, saines et soutenables ». Outre quelques textes généraux (notamment sur les liens à opérer entre équité sociale et communautés « vivables » : un texte de Henry Holmes, et un autre de Don Chen), les études de cas portent sur les « Twin Cities » (Minneapolis et Saint-Paul), la Californie du sud, Los Angeles, Atlanta, Macon (Géorgie), Austin, La Nouvelle Orléans et les « Natives Americans ». 20 1.2.3. Stationnement SHOUP, Donald C. (1997) : « Evaluating the effects of cashing out employer-paid parking: Eight Case studies » (Transport Policy, Vol. 4, No. 4, pp. 201 - 216) Donald Shoup, directeur de l’institut des études sur les transports , à l’école des politiques publiques et de la recherche sociale (UCLA, université de Californie à Los Angeles) est l’un des chercheurs qui ont été à l’origine de la réglementation obligeant les employeurs à donner à leurs employés utilisant pour se rendre à leur travail des transports collectifs, le carpool ou la bicyclette, une prime équivalente à ce qu’ils dépensaient pour le stationnement de ceux qui venaient en voiture. Ainsi l’Etat de Californie oblige les employeurs a offrir à leurs salariés l’option de recevoir du « cash » à la place d’un stationnement gratuit. Shoup s’est livré à une évaluation sur 8 entreprises de Los Angeles, 4 ans après la mise en place de cette nouvelle réglementation. Le résultat apparaît comme particulièrement positif : sur 1694 employés par ces huit firmes, le nombre de conducteurs en «solo » a diminué de 70 %, le nombre des carpoolers a augmenté de 64 %, le nombre de ceux qui utilisent les transports collectifs a cru de 50 % et ceux qui marche ou emploient des bicyclette sont 12 % de plus. Shoup a également calculé la diminution de la pollution lié à un usage moins important des voitures individuelles et là aussi le résultat semble très significatif. Les entreprises semblent très contentes de ce nouveau dispositif, malgré la légère augmentation des coûts que cette réglementation a entraînée . elles considèrent en effet que ce système de « cash out » , très simple et très équitable, aide à recruter et à retenir les employés. Ces résultats sont évidemment très intéressants. Mais ils sont toutefois à relativiser. D’une part, parce que les cas choisis sont ceux d’entreprises situées dans des zones très denses pour Los Angeles, voire dans de véritables centres urbains (deux à Downtown, trois à Century City - à côté d’Hollywood- un à Hollywood même, et deux a Santa Monica), où il existe des transports collectifs relativement corrects. D’autre part, le pourcentage de ceux qui utilisent seuls leurs automobiles reste important : 63 % en moyenne. Il était auparavant de 76 % , ce qui est inférieur à la moyenne nationale des États-Unis. Shoup rappelle d’ailleurs qu’aux USA en la matière, tout est au delà des 90 % : 91 % des trajets domicile-travail se font en voiture individuelle, 92 % des voitures n’ont qu’un seul occupant, 95 % de ceux qui vont au travail en voiture y ont un stationnement gratuit. Même si cette évaluation a donc un caractère limité, la conclusion de Donald Shoup est toutefois très intéressante et s’inscrit dans une démarche plus générale de l’auteur pour un changement radical des politiques publiques dans le domaine du stationnement. Il considère en effet qu’il faudrait cesse les aides directes au stationnement et les remplacer par des aides à la personne. Ainsi, selon lui, on cesserait de privilégier sous des formes diverses l’usage individuel de l’automobile et on rétablirait les régulations par le marché. Les cas étudiés 21 montreraient ainsi que le marché stimule favorise moins l’automobile que le fonctionnement actuel. Donald Shoup développe plus généralement cette thèse. Dans un autre article récent (« The High Cost of Free Parking » dans le Journal of Planning Education and Research - Vol 17, No 1, september 1997), il montre que les planificateurs édictent des normes de stationnement en méconnaissance du coût réel du stationnement, que ces normes qui obligent les développeurs à construire beaucoup de places de parking élèvent le coût du logement et tendent à réduire les densités urbaines. Critiquant des réglementations urbaines bureaucratiques, qui au lieu de taxer l’usage de l’automobile taxent le logement, il se prononce pour la suppression de toute norme de stationnement ; en revanche, il propose l’édiction de règles beaucoup plus strictes pour la préservation des espaces publics, pour leur qualité environnementale, pour l’accès des handicapés aux lieux de stationnement etc. Dans d’autres textes, Shoup évoque aussi l’intérêt qu’il pourrait y avoir à rendre tout stationnement sur la voie publique payant, quitte à en affecter les bénéfices à l’amélioration des espaces de voisinage des riverains. MILDNER, Gerards CS, STRATHMAN, James G., BIANCO, Martha J. Parking policies and commuting behavior Transportation Quaterly, vol 51, n° 1, Winter 1997 , pp. 111 - 125 Un certain impact des politiques volontaristes de parking cher et limité sur l’usage du « transit ridership ». Mais analyses pas très poussées. A noter cette présentation statistique : Les 20 principales métapoles US en 1990 : 75 % seuls en voiture 13 % en car pool 8 % en mass transit 4 % autres Maxi carpool : Miami et Buffalo : 25 % et Pittsburgh, 23 % Le moins Denver et Houston 7 %, et San Francisco (8%) Mass transit Le plus développé : New York (16 %), les moins développés : SF 6 %, Los Angeles 3 %, Buffalo et Cincinnati 0 % 22 1.2.4. Le carpooling FERGUSON, Erik (1994) : « Recent Nationwide Declines in Carpooling » ((in National Personal Transportation Survey, Travel Mode Special Report, dec 1994, pp. 2.1 2.49 : US Department of Transportation - Federal Highway Administration) Le carpooling a commence dans les années quarante, avec les restriction sur l’essence et le caoutchouc. Dans l’après-guerre, la préoccupation des pouvoirs publics a son égard a disparu jusqu’à ce que la crise pétrolière des années soixante-dix le remette à l’ordre du jour. Différentes mesures incitatives ont été mises en place, et elles sont depuis quelques années surtout portées par des problématiques de protection environnementale. Outre quelques taxations différentielles qui existent dans quelques états, la mesure la plus répandue est la réservation d’une voie au voitures occupée par plus d’une ou de deux personnes sur les autoroutes aux heures d’affluence. Malgré ces mesures, le carpooling perd de son importance régulièrement depuis les années 1990. De fait, les ressorts économiques sont sans effet et même les possibles gains de temps semblent inopérant. L’auteur de cette étude très complète montre que l’évolution des familles, des villes et des modes de vie des américains rend le carpooling inadapté aux besoins de déplacement. Erik Ferguson, passe ainsi en revue tous les facteurs qui influencent positivement ou négativement le carpooling. Mais plus généralement, il étudie le nombre d’occupants par voiture lors des divers déplacements. Pour les déplacements domicile-travail, qui sont le coeur du potentiel du carpooling, il note que le taux d’occupation des voitures(Average Vehicle Occupancy - AVO) est passé de 1,18 en 1970 à 1,15 en 1980 et à 1,09 en 1990. La petite remontée de 1991 ne semble pas s’être confirmée par la suite (voir à ce sujet Pisarski, autre note de lecture). Le dit Carpooling est passé de 13,8 pour cent en 1985 à 11,1 pour cent en 1991. Les analyses de Ferguson montrent que le carpooling est indépendant du prix de l’essence, plus développés dans les lointaines périphéries et les zones rurales, plus fréquent dans les très grandes entreprises : il est aussi décroissant avec les diplômes, les revenus ; enfin, il est croissant avec la taille des ménages. 23 1.2.5. Les chaînes de déplacements STRATHMAN, James G., DUEKER, Kenneth J. (1995) : « Understanding Trip Chaining » (in National Personal Transportation Survey, Special Report on Trip and Vehicle Attribute, February 1995, pp. 1.1 - 1.27 : US Department of Transportation - Federal Highway Administration) Les auteurs mettent en évidence la complexité d’un très grand nombre de déplacements, souvent comptabilisés simplement comme des déplacements domicile-travail alors qu’ils sont aussi l’occasion de déposer ou d’aller chercher les enfants, de faire une course au passage, quitte à faire un petit détour. Ils insistent aussi sur les variations tout au long de la semaine de beaucoup de ces pérégrinations, certaines étant régulières d’autres pas du tout. Les auteurs distinguent les trip chains liés au travail et celles qui ne le sont pas, et les trip chains simples (une personne qui part de chez elle et y revient) et complexes (qui impliquent plusieurs personnes, mais qui commence et finit au domicile). De façon générale, les déplacements autre que pour le travail représentent 72 pour cent des trip chains, les complexes 46 pour cent. Les femmes font plus de trip chains que les hommes. Les trip chain liés au commuting augmentent avec le revenu, aux heures de pointe. Ils varient sensiblement selon les périodes du cycle de vie. Ils sont plus nombreux dans les grandes villes et en zone rurale, ce qui correspond aussi à la longueur et à la durée moyennes des déplacements. 24 1.2.6. Le télétravail (telecommuting) HENDERSON, Dennis K., MOKHTARIAN, Patricia L. (1996) : « Impacts of Center-based Telecommuting on Travel and Emission : Analysis of the Puget Sound Demonstration Project » (Working Paper, University of California Transportation Center, 45 p.) Il s’agit de la première évaluation quantitative des expériences de centres de télétravail. Elle s’est appuyée sur le « Puget Sound Telecommuting Demonstration Project » développé au début des années 1990 et ses enquêtes réalisées auprès de 140 télétravailleurs (home-based et center-based). Les résultats sont intéressants même si cet échantillon est restreint et peu représentatif. Ainsi, les center-based télétravailleurs ont réduit considérablement la longueur de leurs migrations quotidiennes, passant d’une moyenne de 63,25 miles par jour à 29,31 miles quotidiens. Mais leur nombre de déplacement est resté stable et leurs pratiques de transports ressemblent à celle des commuters classiques. L’étude a également déduit, de façon assez mécanique, l’impact sur les émissions de polluants, car la protection de l’environnement est un des arguments majeurs utilisés pour inciter à la multiplication d’expériences de ce type et éventuellement légitimer des aides publiques. A signaler quelques références bibliographiques récentes sur le center-based telecommuting. BAGLEY, Michael N., MOKHTARIAN, Patricia L. (1997) : « Analyzing the Preference for NonExclusive Forms of Telecommuting : Modeling and Policy Implications » (Transportation, 1997, vol 24, pp. 203 - 226 ) Cet article présente les résultats d’une étude sur trois modèles de préférence individuelle en matière de télétravail (à domicile et à partir de centres de télétravail). Les questions méthodologiques y tiennent une place importante et l’un des résultats majeurs ... est la nécessité de recherches empiriques complémentaires. Toutefois, il apparaît aussi que les personnes interrogées préfèrent sensiblement le télétravail à domicile au télétravail à partir de centres (center-based). Cela pose d’après les auteurs la question de l’existence même d’une niche pour ces centres de télétravail. Toutefois, au delà des préférences individuelles, il y a aussi selon eux, des nécessités qui peuvent conduire les gens a télétravailler à partir de ces centres, qu’il s’agisse des contraintes de place, de l’incompatibilité du travail avec la vie familiale ou des exigences des employeurs. 25 Mokhtarian Patricia L. (1997) : A Synthetic Approach to Estimating the Impacts of Telecommuting on Travel (Urban Design, Telecommunication and Travel Forecasting Conference) Résumé A multiplicative model is proposed as a framework for examining the current state of knowledge in forecasting the demand for telecommuting and the resulting transportation impacts. A running illustrative example (containing a base and a future case) is developed, using plausible values for each factor in the model. The base case suggests that 6.1% of the workforce may be currently telecommuting (at least in California), 1.2 days a week on average, with the result that 1.5% of the workforce may be telecommuting on any given day. It is estimated that the vehicle- miles eliminated by this level of telecommuting constitute at most 1.1% of total household vehicle travel. When the limited knowledge about potential stimulation effects of telecommuting is incorporated, it is estimated that the net reduction falls to at most 0.6% of household travel. Reductions in the future could be smaller as commute distances of telecommuters fall closer to the average and as the stimulation effect grows. In any event it is likely that, due to counteracting forces, the aggregate travel impacts will remain relatively flat well into the future, even if the amount of telecommuting increases considerably. 26 1.3. POLITIQUES PUBLIQUES Brève Un record pour le budget fédéral des transports Au printemps 1998, la Chambre des représentants et le Sénat américains ont voté un budget pour les transports de 217 milliards de dollars (soit à peu près 1.300 milliards de francs) en augmentation de 42 % sur l’année précédente. Le vote de ce budget a été l’occasion de multiples polémiques, certains le trouvant en particulier non conforme à la volonté quasi unanime manifestée par ailleurs par les forces politiques américaines, de parvenir à un équilibre budgétaire fédéral. Des observateurs ont vu là une irresponsabilité des élus qui se sont attribués par le biais de ce budget des fonds pour des infrastructures dans leurs circonscription en pleine année électorale. D’autres, en particulier des organisations écologistes comme les amis de la Terre, ont critiqué des dépenses qui vont favoriser la mobilité automobile et accroître encore plus l’étalement urbain. Mais ces critiques ont été tempérées par le fait que ce budget prévoit aussi des très fortes sommes en faveur des pistes cyclables, du transport public et des voies piétonnes. A noter en particulier pour la Bay Area (San Francisco et la Silicon Valley), le financement de la prolongation du métro jusqu’à l’aéroport de San Francisco et un tramway à Santa Clara. 27 LEWIS, Paul, G.,SPRAGUE, Mary (1997) : « Federal Transportation Policy and the Role of Metropolitan Organizations in California » (Public Policy Institute of California, 163 p.) Il s’agit d’une recherche très intéressante faite par une équipe d’un centre privé et « indépendant »(PPIC) financé pour l’essentiel par Hewlett (de H.P.). Elle analyse les enjeux et les jeux d’acteurs à l’occasion des débats préalables au renouvellement éventuel de l’ISTEA. L’ISTEA (Intermodal Surface Transport Efficiency Act) est une loi de 1991, qui arrivait à expiration en 1997, et qui définissait les règles de répartition des compétences et des fonds en matière de transports, et en particulier les modalités d’affectation de fonds divers (provenant notamment de taxes sur le pétrole) et affectés en particulier à deux programmes : le STP (Surface Transportation Program) et le CMAQ (Congestion Mitigation and Air Quality Improvement Program). L’ISTEA affectait ainsi environ 1,6 milliard de dollars par an à la Californie. Mais en fait, ce dispositif fédéral bénéficiait surtout aux MPO (Metropolitan Planning Organizations), c’est à dire à des organismes d’agglomération regroupant plusieurs comtés et présentait une souplesse pouvant bénéficier à des politiques favorables aux transports collectifs. Or, et c’est cela qui est intéressant par rapport aux débats que nous avons en particulier en France, toutes choses différentes par ailleurs, c’est que des voix se sont faites entendre pour un « turnback », c’est à dire pour un retour à un fédéralisme plus classique, qui diminuerait le rôle de l’état fédéral et renforcerait celui de chacun des états fédérés (« devolution » qui est une forme de subsidiarité en faveur de l’échelon le plus petit). Or l’Etat fédéral soutenait plutôt les projets et politiques des organismes métropolitains, et en particulier leurs efforts pour affecter des moyens plus importants au « transit » c’est à dire aux transports publics. L’Istea avait précisément cet avantage de la fongibilité et de la flexibilité, même si le fonctionnement des transports publics ne pouvait dans de nombreux états être subventionné directement ; et l’Istea s’inscrivait dans la volonté d’affirmer une politique fédérale des transports. Cette compétence fédérale a été critiquée, une partie des sénateurs et représentants, principalement des Républicains, estimant qu’il n’était pas nécessaire d’avoir une politique nationale des transports, l’état fédéral devant s’occuper seulement des questions de sécurité, de réglementation fédérale, et de recherche. Dans les travaux préparatoires au renouvellement de l’Istea, se sont donc manifestées deux diagonales, une alliant les autorités métropolitaines et l’administration fédérale, l’autre les états fédérés et les comtés. Les auteurs de cette recherche montrent que la plupart des comtés sont de moins en moins intéressés par les politiques métropolitaines qui prétendent préserver voire promouvoir des actions à l’échelle des agglomérations et en faveur de transports collectifs, et que la dévolution des budgets des transports aux états fédérés se traduirait par des diminutions sensibles des taxes, donc des subventions pour des actions publiques en matière de transports. 28 Cette recherche est très intéressante, et apporte des éléments utiles à la compréhension des jeux et enjeux au sein des grandes agglomérations urbaines, bien au delà de la question de l’ISTEA et des transports. 29 A signaler aussi une autre étude de ce même institut, en partie spécialisé sur la Californie: REED, Deborah, GLENN HABER, Melissa, MAMEESH, Laura (1996) : « The Distribution of Income in California ». Dans cette étude, les auteurs montrent que les inégalités de revenus entre les ménages ont cru encore plus rapidement en Californie qu’en moyenne aux Etats-Unis : « l’indice d’inégalité » est y est ainsi passé de 0,66 en 1967 à 0,73 aux USA et à près de 0,79 en Californie. Cet écart de revenu entre les ménages est très largement du aux revenus du travail, la « médiane » des revenus des hommes ayant par exemple chuté de plus de 20 %. Les revenus les plus faibles ont sensiblement diminué encore et un plus grand nombre de personnes sont donc passés en dessous du seuil de pauvreté. Autrement dit, il y a selon les auteurs « plus de pauvres en 1994 en Californie qu’il y en avait en 1967 ». La Californie pourtant l’un des États les plus riche et les plus en croissance des USA. Mais, il accueille aussi un tiers des immigrants. 30 MASON, J.W. (1998) : « The Buses Don’t Stop Here Anymore. Sick Transit And How to Fix It » (The American Prospect, march-april 1998, pp. 56 - 63) Il s’agit d’un article très détaillé sur la crise des transports collectifs à Chicago, et plus précisément sur la chute de l’utilisation des buses de la CTA (Chicago Transit Authority). Les transports publics à Chicago, comme dans la plupart des villes américaines n’ont été ni modernisés ni même entretenus entre les années 1940 et le début des années 1970. Des investissements significatifs ont été en revanche faits au début des années soixante-dix à Chicago et la décroissance de l’utilisation des transports collectifs avait été alors enrayée. Mais depuis la moitié des années quatre-vingts, la chute a repris. Le phénomène sévit dans la plupart des villes nord-américaines et le transport collectif y est souvent devenu particulièrement faible : un déplacement urbain(« commutant ») sur 20 seulement se fait en transports collectifs ; cette proportion n’atteint un voyage sur cinq que dans seize villes, et un sur trois dans cinq villes. A Chicago, la CTA a perdu depuis 1985, quarante pour cent de ses usagers (215 millions). (En 1984, chaque habitant de Chicago faisait en moyenne annuellement 225 voyages et cela n’avait pratiquement pas changé depuis 1960 ; en 1990 , le nombre est tombé à 200, puis en 1993, à 160° Cette chute de la fréquentation des transports collectifs et la crise de la CTA ont cette fois des causes différentes de celles des crises des années précédentes. Il ne s’agit plus de mauvaise gestion, de coûts non maîtrisés, d’embauches de complaisance trop nombreuses : c’est la stratégie même de la CTA qui est en cause. La CTA, et c’est en fait une politique municipale, s’occupe de moins en moins des populations captives et porte surtout son attention sur les voyageurs solvables. Elle délaisse ainsi les lignes de bus desservant les quartiers pauvres, y réduit les fréquences des passages, espace les arrêts (parfois près de 2,5 km entre deux arrêts de bus, supprime des lignes qu’il considère comme non rentable ; dans le même temps, elle consacre ses investissements aux lignes radiales, qui peuvent amener downtowns les couches moyennes des suburbs, privilégie le rail sur le bus, supprime les services de nuit etc. Cette politique en faveur des centres de travail et de loisirs des couches moyennes se fait au détriment des pauvres. Cette politique d’affaiblissement du réseau s’auto-alimente : moins le réseau est dense, moins il est attractif. Seules se développent les lignes et les modes qui sont en compétition avec la voiture, alors que la priorité des transports collectifs devrait être en faveur de ceux qui n’ont pas de voiture et pour qui la question de la mobilité ne se pose pas en ces termes. Il faut ajouter à cela que les subventions de la ville à la CTA sont inchangées depuis 1973, et que globalement , la ville ne s’intéresse pas beaucoup aux transports collectifs. Comment remédier à cette situation ? C’est la question que se pose J.W. Mason. A court terme, il propose que la ville utilise une partie de ses excédents budgétaires (plus de 70 millions de $) pour relancer les réseaux et l’activité de la CTA. A plus long terme, d’autres solutions doivent être envisagée. Certes, il sera difficile d’inverser l’évolution si la subrubanisation continue de se poursuivre. Mais l’exemple de politiques 31 volontaires dans d’autres villes nord-américaines (et notamment de Toronto et de Boston) montre qu’il y a quand même des possibilités de revitalisation des transports collectifs. Certes, parmi les 20 plus grandes métropoles des États-Unis, 15 ont vu la fréquentation des leurs transports collectifs chuter ces dernières années. Mais à Seattle, un référendum local (à l’initiative de mouvements de résidents) a validé le principe de la construction de 40 miles de lignes de monorail. A Boston, le nombre de voyages en transports collectifs par habitant est stable, grâce à des subventions très importantes (70 % du coût du voyage) et des mesures de politiques urbaines visant à limiter l’étalement urbain. Cela noté, le transport collectif n’est pas spontanément générateur de formes urbaines denses (voir à ce propos les travaux récents de Robert Cervero) ; réciproquement, comme des études récentes l’ont montré sur Los Angeles, des formes urbaines plus regroupées (et en particulier de type « New Urbanism », la nouvelle mode des développeurs dans les suburbs, promue notamment par leur association, l’ « Urban Land Institution ») ne favorisent pas non plus significativement l’usage des transports collectifs. Il faut noter à ce propos que la renaissance des transports collectifs à Los Angeles, se fait un peu sur le modèle de ce que critique J.W. Mason à Chicago, c’est à dire sur des grands axes, avec le projet de d’attirer une partie des usagers des automobiles. Ces transports collectifs, qui allègent deux axes de près de 8 % aux heures de pointe, sont de ce point de vue une réussite intéressante (même si cela ne porte que sur une proportion très faible des commuters, quelques dizaines de milliers chaque jour). Mais, il ne s’agit pas de la renaissance du service public tel que l’entend J.W. Mason. A signaler également : Robert GEDDES : « Metropolis Unbound : The Sprawling American City and the Search for Alternatives » (The American Prospect, November-December 1997) 32 HALL, Peter, SANDS, Brian, STREETER, Walter (1993) : « Managing the Suburban Commute : a Cross-National Comparison of Three Metropolitan Areas » (Working paper, University of California Transportation Center, 64 p.) La comparaison porte sur la Bay Area de San Francisco, la « Rhein-Main Region », et la région Ile-de-France. Ces trois zones connaissent des changements structurels majeurs de mobilités urbaines, en particulier la part croissante des déplacements de suburbs à suburbs.. Seule la région Ile-de-France, selon les auteurs, aurait mis en oeuvre une nouvelle planification des transports et des infrastructures adaptée à ce nouveau contexte. Mais les solutions franciliennes semblent peu applicables dans les deux autres régions, pour des raisons diverses : principalement des densités périurbaines plus faibles que la première couronne francilienne ,et des problèmes institutionnels et de financement public. 33 WACHS, Martin, TAYLOR, Brian D. (1997) : « Can Transportation Strategies Help Meet the Welfare Challenge ? » (Working paper prepared for the Journal of American Planning forum on welfare reform, University of California Transportation Center) Ce texte est particulièrement intéressant. Il admet au départ l’hypothèse de principe des politiques publiques américaines actuelles, qu’il faut diminuer le welfare et que pour cela le moyen le plus sûr est de favoriser l’accès aux emplois. Mais celui ci est pratiquement de plus en plus difficile pour les populations pauvres qui habitent à proximité des emplois qualifiés des centres villes, ce qui leur est de peu de secours, et loin des nouveaux emplois moins qualifiés mais accessibles seulement en voiture. Les auteurs montrent que les solutions traditionnelles sont de moins en moins utilisables : les transports publics sont peu adaptés pour desservir les nouveaux marchés du travail périphériques et, il est très difficile de construire du logement social dans les communautés suburbaines à proximité des nouveaux sites d’activité. De fait, les données réunies dans diverses études, montrent que la dépendance vis à vis des transports publics est un facteur important d’aggravation de la pauvreté. Aider ces populations très pauvres à accéder à l’automobile serait probablement le moyen le plus efficace de leur permettre de trouver un emploi. De fait, ceux qui trouvent un emploi et qui doivent s’y rendre en transports collectifs, s’empressent généralement dès qu’ils en ont les moyens, d’acheter une voiture qui leur économise temps et fatigue. Mais aider les pauvres à acheter une voiture est quelque chose de difficilement admissible aux USA de nos jours, particulièrement dans le contexte des politiques visant à protéger l’environnement et à réduire l’usage des automobiles. De fait, les investissements importants dans le transport collectif , en particulier par rail, sont effectués dans cette perspective de protection environnementale et ne bénéficient pratiquement pas aux populations pauvres non motorisées qui sont en revanche touchées plus gravement encore par la faillite des lignes d’autobus classiques (non rentables et non modernisées). Le welfare avait pour objectif de réduire la pauvreté, mais la réforme actuelle du welfare a pour but de réduire le welfare. Le transport doit être utilisé pour permettre aux pauvres d’accéder aux marchés du travail sur lesquels ils ont une chance de pouvoir trouver un emploi. Références bibliographiques , avec en particulier : ONG, Paul, BLUMENBERG, Evelyn (1997) : « Job Access, Commute, and Travel Burden Among Welfare Recipients » (Urban Studies) 34 TAYLOR, Brian D. , ONG, Paul M. (1995) : « Spatial or Automobile Mismatch ? An Examination of Race, Residence, and Commuting in US Metropolitan Areas » (Urban Studies, 32 [9], pp. 1453 - 1473) CERVERO, Robert, ROOD, Timothy, APPLEYARD, Bruce (1995) : « Job Accessibility as a Performance Indicator : An Analysis of Trends and Their Social Policy Implications in the San Francisco Bay Area » (Working Paper, University of California Transportation Center, 29 p.) L’accessibilité, comme indicateur des possibilités (opportunities) d’atteindre effectivement différents lieux retient de plus en plus l’attention, comme complément aux mesures plus traditionnelles employées dans la planification des transports, notamment les durées moyennes ou les niveaux de service. L’accessibilité apparaît en effet selon les auteurs de cette étude comme un outil plus adapté aux perspectives de la durabilité et de l’équité. Ils font aussi référence aux travaux hollandais (et au classement en trois zones A, B, C). L’étude présentée représente une première tentative méthodologique pour mettre en oeuvre ce concept d’accessibilité dans la Bay Area de San Francisco. Elle fait apparaître assez nettement que la dynamique du marché, qui a dominé la répartition des emplois et des logements, a diminué l’accessibilité du marché du travail pour les populations pauvres de l’est de la Baie et de certains quartiers de San Francisco, qui sont en général « African-American ». Une bibliographie assez importante est jointe à cette étude. 35 THE JOURNAL OF TRANSPORT HISTORY TURVEY, Ralph, « Road and bridge tolls in nineteenth-century » (JTH, third series, volume 17,number 2, september 1996, pp. 150 - 164) Etude très intéressante sur le processus de suppression des péages sur les « turnpikes « et les ponts a Londres au milieu du dix-neuvième siècle; La décision est prise par la cité d’abolir les péages en 1854. Turnpikes : ils étaient pour la plupart radiaux. Le contexte : développement du trafic, évasion des taxes par les collecteurs, concurrence du chemin de fer, incommodité, et pénalisation pour les population pauvres qui avaient a traverser les villes , et surtout la rivière (entre autre pour aller à Battersea Park et traverser pour ce faire le Chelsea Bridge). Il y eut une opposition assez vive des paroisses qui tiraient une partie de leurs ressources de ces péages et qui allaient devoir augmenter leurs autres taxes (notamment sur le charbon). Problèmes aussi de finir le remboursement des emprunts contractes. D’où une municipalisation progressive. HIGGINS, Thomas J. Congestion pricing : Public polling Perspective Transportation Quaterly, vol 51, n° 2, Spring 1997 , pp. 97 - 104 Analyse faite à partir de nombreux sondages et enquêtes en GB et aux USA. -Il vaut mieux , pour obtenir une réponse positive, ne pas mentionner que préciser que cet argent ira aux transports. -considéré comme équitable dans la mesure où ce sont les usagers es routes qui payent, mais comme inéquitable en termes de situation de travail et de revenus. JOHANSSON, Borje, MATTSON, Lars-Goran (1995) : « Road Pricing : Theory, Empirical Assessment and Policy » (Boston, Dordrecht, London, Kluwer Academic Publishers, 239p.) Un ouvrage collectif intéressant, avec des considérations théoriques mais aussi plusieurs études de cas dans différents pays, et des conclusions pas trop partisanes, soulignant que les péages ne sont pas des panacées, mais des outils à inclure dans des dispositifs plus complexes. 36 1.4. URBANISME ET TRANSPORTS McNALLY, Michael G. (1996) : « How Neighborhood Design Affects Travel » (ITS Review, 1995 / Feb. 1996) L’article de McNally est intéressant surtout parce qu’il révèle des problématiques que l’on rencontre actuellement aux États-Unis. Le point de départ de sa réflexion est le « New Urbanism » dont les tenants arguent qu’un urbanisme néo-traditionnel de lotissements planifiés diminue le trafic et les embouteillages automobiles, car cet urbanisme induit moins de rues en cul de sac et moins de feux et de stops que dans les suburbs non planifiés, donc permet une plus grande fluidité ; et que par ailleurs cet urbanisme prévoit moins de gâchis d’espace par des voiries disproportionnées que les plans en grille habituels dans les suburbs californiens notamment. L’auteur qui est professeur au département de Civil Engineering de l’université de Californie à Irvine ( ville caractéristique pour ses « communautés planifiées ») se livre à de multiples calculs et arrive à la conclusion qu’effectivement la circulation est moindre et plus fluide à l’échelle microterritoriale des quartiers, mais que l’impact est nul à une échelle plus grande. Il en conclut que le design néotraditionnel n’est pas une panacée et qu’il doit être utilisé en complément avec d’autres politiques comme les péages, le « traffic-calming », la gestion de la demande et diverses autres mesures de restriction de la mobilité. EWING, Reid (1995) : « Beyond Density, Mode Choice and Single-Purpose Trips » (Transportation Quaterly, Fall 1995, pp. 15 - 24) Dans le cadre du débat sur l’importance des densités dans la diminution des mobilités, Ewing, montre que c’est surtout l’accessibilité, des activités de niveau régional qui détermine les déplacements (nombre et longueur), les densités n’ayant qu’un effet beaucoup plus faible. Pour une revue plus générale de la littérature sur ce type de questions : BERMAN, Michael Aaron (1996) : « The Transportation Effects of Neo-Traditionnal Development » (Journal of Planning Litterature, vol 10, N° 4, May 1996) Voir également l’ouvrage de BERNICK, Michael, CERVERO, Robert (1997) : « Transit Villages in the 21st century » (McGraw-Hill, New York, 387 p.) 37 qui milite en faveur d’un urbanisme concentrant les développements autour de noeuds de transports collectifs. Le livre décrit des expériences récentes aux États Unis, à Plaisant Hill et a Fruitvale dans la baie de San Francisco, à Ballston et à Berthesda (Wahington DC) et dans la Mission Valleu à San Diego ; et dans d’autres paysan,, en Suède, à Singapour et au Japon. 38 Une approche historique intéressante avec CLIFF, Ellis (1996) : « Professional conflict over urban form : the case of urban freeways, 1930 to 1970 » pp. 262 - 279 in Crobin, Mary and Silver Christopher (eds) « Planning the Twentieth - Century American City » ( Baltimore, John Hopkins University Press ) Description de la manière dont les ingénieurs ont conçu les périphériques et les radiales à Chicago et à Détroit, leurs relations avec les planners, les contextes politiques etc. Jusqu’aux années 1960 où des critiques se sont développées et où les habitants ont réagi... Sur l’implication des habitants dans la planification des transports, un numéro spécial du JOURNAL OF ADVANCED TRANSPORTATION, vol. 31, no 2, Summer 1997 : Special Issue sponsored by the Advanced Transit Association : « Citizen Involvment in Transportation Planning « (Guest Editor : KHISTY, C. Jotin) avec des articles sur des expériences dans l’Illinois, en Norvège, au Danemark, à Portland dans l’Orégon, en Finlande, au Royaume Uni et en Floride. BART, URBANISATION et TOWNPLANNING Le BART (sorte de réseau express régional de la Baie de San Francisco) a fait et fait l’objet de multiples observation, en particulier par les chercheurs de l’Institut des Transports de l’Université de Californie à Berkeley. Le bart comporte un tronçon unique à San Francisco, mais se termine dans le sud de la ville sans atteindre l’aéroport (la prolongation est en projet) et encore moins la Silicon Valley ; de l’autre côte de la baie, le Bart a trois ramifications principales, mais ne descend pas assez au sud pour rejoindre San José et la Silicon Valley. Il ressort de façon générale de leurs travaux plusieurs points. Tout d’abord, le Bart est semble-t-il utilisé de plus en plus par des personnels qualifiés habitant dans les suburbs et se rendant dans le centre de San Francisco où continuent de se regrouper les emploi « haut-de-gamme » du secteur tertiaire (banque, finance, assurance, services de haut niveau : F.I.R.E. pour Fiance, Insurance and Real Estate). Le Bart est difficilement utilisable par les populations pauvres du centre d’Oakland pour accéder aux emplois peu qualifiés de la baie. Les utilisateurs du Bart appartiennent de façon croissante à des jeunes ménages plutôt aisés et souvent sans enfant ou avec des enfants très petits. Quelques stations du bart ont attirés des développements immobiliers, mais en nombre relativement restreint. 39 L’impact sur la localisation d ‘activités semble dans l’ensemble très faible et ne se traduit pas par exemple par des hausses de prix immobiliers et fonciers à proximité des stations. De fait, dans de nombreux cas, celles-ci sont plutôt environnées de parkings, par défaut de politique d’urbanisme volontaire, mais aussi parce que les résidents de ces quartiers ne souhaitaient pas leur transformation (ni logement collectif pour des familles modestes, ni activités). Le « Transit Village Act, AB 3152 », qui devait inciter et aider les villes et les comtés à développer plus intensivement les zones desservies par des transports publics lourds (possibilités d’augmenter les impôts dans cette perspective avec subvention d’accompagnement) n’a pas les effets souhaités en grande partie en raison de la forme sous laquelle a finalement été voté cette disposition. Enfin le Bart semble participer de fait à la poursuite et à l’élargissement de la subrubanisation, car il est de plus en plus utilisé en complément de la voiture individuelle. Il permet donc à des suburbains d’habiter de plus en plus loin tout en continuant à travailler dans le centre de San Francisco. Parmi les références on peut citer : CERVERO, Robert (1996) : « Transit-Based Housing in the San Francisco Bay Area : Market Profiles and Rent Premiums » (Transportation Quatrely, Vol 50, N° 3, Summer 1996, pp. 33 49) LANDIS, John, LOTZENHEISER, David (1995) : « Bart Access and Office Building Performance » (Working Paper N° 648, IURD, University of Berkeley, 27 p.) 40 JOURNAL OF ADVANCED TRANSPORTATION SPECIAL ISSUE : Citizen Involvment in Transportation Planning LANGMYHR, Tore, SAGER, Tore Implementing the Improbable Urban Road Pricing Scheme JAT, Vol. 31, N° 2, pp. 139 - 158 L’expérience de la mise sur pied d’une politique de péage urbain à Trondheim est très intéressante, car c’est grâce a un débat très long et très démocratique qu’une telle politique a pu être mise en place dans une ville moyenne ou pourtant les encombrements du trafic n’étaient pas très importants. Intéressant du point de vue de la manière dont a été posée la question du péage de la construction d’une coalition des modalités d’échange des arguments, positifs et négatifs de la viabilité de la procédure démocratique des formes de manipulation qui ont été de fait utilisées et des résultats. Il ne s’agissait pas de diminuer la mobilité, mais au contraire de l’augmenter, de créer en même temps des rocades pour épargner le centre. L’affaire a commencé en 1985. La mise au point du projet, et en particulier de la localisation des péages; a fait l’objet de débats participatifs importants. C’est dans cette période préparatoire que le débat a été de plus en plus marqué par les enjeux environnementaux. Puis il y a eu une phase de renégociation. Conflits et compromis : trois types de préférences. -Les intérêts pour la mobilité : préfèrent résoudre les problèmes de mobilité en augmentant la capacité routière ; -les intérêts pour la réglementation, préfèrent des solutions vertes; -Les préférences pour « la carotte et le bâton » pensent que l’on peut faire un système qui soit à la fois efficient et environnementalement « amical ». Arguments multiples et assez classiques échangés, notamment sur l’avenir du centre qui pour certains risquait d’être menacé par les nouvelles mesures. Finalement le toll ring ouvrit en 1991. Une enquête en 1994 montre que le dispositif est bien accepté. 41 1.5. LE PARATRANSIT (Transports à la demande) BLACK, Allan (1995) : « Urban Mass Transit Transpotation and Planning » (McGraw-Hill, 409 p.). Chapitre 6 : « Paratransit » A mi-chemin entre le transport automobile et le transport collectif. Certains experts pensent que le paratransit remplacera progressivement les transports collectifs classiques partout où les densités sont plus faibles. Concept plus général, même si au début, très lié au transport de personnes handicapées. Dial-a-ride ; dial-a-bus ; demand-responsive transit ; demand-actuated transit. Caractéristiques variées : dépose au lieu exact de destination ou à proximité. 1. Many to one : les passagers sont collectés chez eux mais déposés au même endroit; 2.Many-to-few : passagers transportés en un nombre limité d’endroits ; 3.Many-to-many : destinations multiples dans une même zone. Possibilités aussi de variations selon les moments de la journée : aux heures de pointe, collecte à des points de regroupement par exemple. Possibilité aussi certains jours de parcours vers les supermarchés. Utilisation de véhicules variés, de 5 à 15 places. Le paratransit existe à (Iowa) depuis 1934, à Hicksville (New York) depuis 1961. Intérêt a grandi quand l’UMTA s’y est intéressé au début des années 1960, et que des grandes entreprises ont montré inintérêt pour ce type de dispositif. En 1969, projet de l’UMTA avec le MIT : Car, pour computer-aided routing system. Expérimentation de ce procédé à Haddonfield (New Jersey) et dans un faubourg de Philadelphie en 1973. Puis diverses expériences, notamment à Rochester. L’Orange County Transit District de Californien s’y intéresse à partir des années 1980, avec une flotte de 350 véhicules sur une zone de 350 miles carrés. Mais le résultat n’avait pas été considéré comme fructueux à l’époque. Le système s’est ensuite développé avec des organisations à but non lucratif et avec des aides publiques. Le système pose toutes sortes de problèmes légaux et institutionnels. Il faut qu’il soit public pour pouvoir bénéficier des aides de l’État (Federal transportation Administration grants). Protection spéciale aussi des chauffeurs car ce sont des actions aidé par l’Etat fédéral. 42 Problèmes pour l’affectation de chauffeurs de taxi à ces tâches (avec le DOL, department of labor) Très souvent, le Dial-a-ride utilise des travailleurs non syndiqués, qui ont des salaires plus bas que les conducteurs d’autobus. Taxi Jitney : à l’intersection du taxi et de la ligne d’autobus. Suivent des itinéraires fixes, mais passages non réguliers. Dans quelques villes, ils font des détours pour déposer les gens chez eux. Ont disparu dans la plupart des villes (compréhensible, dédensification et variabilité). Mais 0 Chicago, Miami etc. Ont encore une influence significative. Ridesharing Carpooling : de moins en moins fréquent. Opinion favorable, mais moins de 1,5 % des déplacements. Sauf quand des circonstances très particulières. Raisons multiples et évidentes : contraintes d’horaires et de parcours, dispersion de l’habitat et du travail, pérégrinations, problèmes de personnalités différentes. HOV lines (High Occupation Vehicules) pour les aider. Vanpooling La 3M Company à Saint Paul a développé un système de ce type depuis 1973. Houston, capitale de Vanpool ! certaines compagnies pétrolières ont plus de 100 vans et transportent plus de 5000 personnes par jours. Dans certains états, il faut des chauffeurs avec des permis spéciaux. Problèmes multiples de réglementation diverses, d’assurances, d’indemnisation etc. Souvent le van prend les gens à des lieux de rendez-vous ou de regroupement et pas exactement devant chez eux. Surtout organisé par les entreprises, car il faut une organisation centrale pour que cela puisse bien marcher. Subscription Bus. Sièges garantis et quelquefois avec divers services. Souvent organisé par des entreprises, des organisation communautaires etc. Commuter clubs ! Le bus ne prend en général pas les gens chez eux mais à des points de rendez-vous. 43 CERVERO, Robert (1996) : « Commercial Paratransit in the United States : Services Options, Markets, and Performance » ( The University of California Transportation Center, Working Paper, UCTC N°. 299, 120 p.) Ce document est un vibrant plaidoyer pour le développement du paratransit aux États-Unis, sous forme privée mais en relation avec les autorités locales qui ont des compétences en matière de transports. Il s’efforce de montrer, le plus systématiquement possible, combien le paratransit, c’est à dire le transport collectif à la demande, apporterait une réponse tant aux problèmes de mobilité qu’aux exigences d’ordre environnemental. Il montre que ce type de transport est viable économiquement, sans subventions publiques, et que les principaux obstacles actuels à son développement sont d’ordre réglementaire ou/et lié aux oppositions de divers acteurs (taxis traditionnels et sociétés de transports publics), qui auraient, selon l’auteur, pourtant intérêt au développement de ce système. L’étude s’appuie sur des exemples concrets, nombreux et diversifiés, et comprend une bibliographie très importante. Elle a donné lieu aussi à la publication d’un livre (« Paratransit in America : Jitneys, Vans, and Minibuses » , Praeger Press, Westport CT, 1996). Robert Cervero montre tout d’abord que le paratransit n’est pas nouveau et qu’il existe sous des formes diversifiées, aux USA comme dans un certain nombre de pays en développement. Les usagers du paratransit aux États-Unis sont assez diversifiés : des commuters qui sont passés du car-sharing trop contraignant à ce système plus souple ; des immigrants récents qui avaient l’habitude de ce type de transports collectifs dans les pays dont ils viennent ; des populations pauvres du centre de grandes villes qui n’ont que ce moyen pour aller dans les grands centres commerciaux ; des couches moyennes qui s’en servent soit pour rejoindre les lignes de transports collectifs qui les amènent dans les centres d’affaires des downtowns, soit pour aller ou venir des aéroports (cf le développement considérable des airport-shuttles). Il semble que l’un des usages les plus porteurs soit précisément celui qui permettent de relier un habitant des suburbs ou un habitant non motorisé à un pôle (aéroport, centre commercial, campus universitaire, stade sportif). C’est ce que j’ai appelé dans la trilogie de la mobilité que j’ai essayé de définir, la seconde catégorie dite des « déplacements polarisés » ( in « La République contre la ville »). Les avantages du paratransit sont, selon Cervero, très nombreux et seuls des barrières artificielles et corporatistes empêchent son plein épanouissement. Le paratransit ouvre les choix en matière de mobilité : -accroît les possibilités de déplacement de ceux qui n’en ont pas beaucoup ; -augmente le confort et la qualité de transport de ceux qui se déplacent plus ou moins commodément en voitures individuelles, en transports collectifs ou en combinant les deux ; -réduit les temps de transport, en diminuant les attentes et les ruptures de charge, et en augmentant les fréquences. 44 Le paratransit accroît la mobilité générale, en se substituant aux voitures individuelles, en reportant une partie du trafic sur les voies réservées au co-voiturage et insuffisamment exploitées actuellement (d’autant que le covoiturage est en diminution forte). Le paratransit est favorable à l’environnement, non seulement parce qu’il réduit le nombre des voitures (auquel il se substitue souvent complètement alors que par exemple le Bart, c’est à dire le RER de San Francisco, est utilisé à 70 % par des gens qui se rendent aux stations en voiture individuelle) , mais aussi parce qu’il implique un fonctionnement différent des moteurs (à moteurs chauds) moins polluant. Les petits bus sont aussi généralement moins bruyants que les gros. Le paratransit est plus efficient économiquement que le transport collectif de masse. Il s’appuie sur un service effectué généralement par une personne seule (éventuellement en liaison avec un central). Il limite le coût des dépenses marginales : les demandes supplémentaires peuvent être satisfaites par des offres non surdimensionnées et successives (flexibilité). De fait , il est complémentaire des transports collectifs classiques, qui d’ailleurs se concentrent actuellement dans les villes nord-américaines sur l’amélioration de leurs performances sur des lignes à forts débits. Il permet de gérer les heures de pointe à la marge, et de faire face aux périodes creuses sans contraindre des bus ou des métros à fonctionner presque à vide. Il devrait donc permettre aux collectivités locales de faire des économies importantes de subventions. Le paratransit représente aussi une amélioration potentielle importante pour les habitants des quartiers pauvres qui sont les moins motorisés, et devrait faciliter leur accès tant au marché du travail qu’aux centres commerciaux et aux équipements collectifs. Il permettra de réduire le « spatial mismatch ». De fait, son subventionnement personnalisé pourrait permettre de renforcer la sélectivité des aides publiques. Enfin, le paratransit pourrait être stimulé par le développement des technologies nouvelles de communication (et en retour les stimuler). Le mariage des techniques traditionnelles de « shareride » (en crise) avec les technologies avancées, pourrait s’avérer très performant et permettre le développement d’un porte à porte efficace. Les « smart shuttles » pourraient aussi être utilisées en étroite coordination avec les métros, et permettent ainsi le renouvellement des performances de ces transports collectifs classiques. Cervero traite ensuite des question économiques et des critiques qui sont faites au paratransit, qui serait une concurrence déloyale pour les autres modes de transports, qui risquerait de les éliminer, mais d’abandonner ensuite, après leur disparition toutes les zones et tous les itinéraires les moins rentables. Ce danger n’est pas complètement inexistant, et il faut donc que les autorités locales, non pas s’opposent au paratransit commercial, mais le réglementent et passent avec lui des contrats, et des concessions. 45 Par ailleurs, il est vrai que le paratransit étant souvent illégal et non déclaré, les conditions de travail et de sécurité sont parfois très mauvaises. Raison de plus selon l’auteur, pour l’admettre pour pouvoir le contrôler. Cervero développe pour soutenir le paratransit, un discours très libre concurrence, s’efforçant de montrer qu’il va dans le sens d’une économie de marché. Cette argumentation est en partie tactique, car il s’agit surtout de convaincre de son bien fondé des milieux plutôt opposés à la notion de transport public. 46 L’expérience de Santa Clara L’un des systèmes les plus avancés de paratransit a été mis en place à Santa Clara , dans la Silicone Valley (Bay Area de San Francisco). Elle a été évaluée récemment par une équipe de chercheurs du centre de l’ITS (centre de recherche de L’Institute of Transportation Studies) de l’université de Berkeley (Ted ChiraChavala, aidé de Christoffel Venter et de Geoffrey Gosling). Le système initié par la SCVTA (Santa Clara Valley Transit Authority) est un des plus avancé parmi ceux qui sont développés aux Etats-Unis : il utilise une DGD (digital geographic data base, autrement dit un SIG), un ATSS ( automated trip scheduling system) et depuis peu un AVL (automated vehicle location, une localisation par GPS), mais ce dernier a été introduit après que l’évaluation ait été faite. Le système a été lancé en 1990 à l’occasion de l’ADA (American Disabilities Act, loi fédérale qui oblige les autorités locales à prévoir des mesures de paratransit pour les personnes handicapées, accessibles aux mêmes heures que les autres transports publics existant sur le même territoire). Le SCVTA a sélectionné alors une organisation à but non lucratif, l’OUTREACH, pour explorer les possibilités de développer un système avancé pour le paratransit, et a reçu l’aide du Caltrans (agence de l’État de Californie pour les transports) pour sa mise en place sur un territoire formé de 15 cités (une partie importante du sud le l’agglomération qui occupe la Baie de San Francisco). Le principe du système est d’affecter les clients aux véhicules disponibles les plus proches et, autant que possible, de leur faire partager à plusieurs ces véhicules. Les résultats économiques de ce système ont été rapidement probants, puisque les investissements ont été amortis par les économies réalisées en moins d’une année. L’économie réalisée est de 1.53 $ par voyage-passager, soit 0,27 $ par mile parcouru. Le coût d’un voyage-passager avant l’introduction du système était de 18,13 $ ; il est descendu à 16.60 $ entre 1993 et 1996. Dans le même temps le nombre annuel de passager-miles a augmenté de 50 % et les coûts autre que de transport par passager ont chuté de 32 %. Alors que le nombre de passager miles en van a plus que doublé, son coût de transport a chuté de 24 % ; pour les taxis , le nombre de miles a augmenté de 28 % et les coûts ont chuté de 10 %. L’avis des clients sur le système est aussi très positif, tant sur la ponctualité que sur la facilité de réservation. Les compagnies de taxi ont dans l’ensemble préféré ne pas rentrer dans le système, car les chauffeurs souhaiter garder la possibilité de ne pas faire que du paratransit, et d’avoir la possibilité aussi de prendre des clients classiques. ROUND, Alfred, CERVERO, Robert (1996) : « Future Ride : Adapting New technologies to Paratransit in the United States » (Working Paper, University of California Transportation Center, 44 p.) 47 Matériaux utilisés pour leur plus grand part par Cervero dans son livre. 48 1. 6. TRANSPORTS ET ENVIRONNEMENT Brève Lors des votes sur les propositions et initiatives soumises à référendum le 2 juin 1998 en Californie, la proposition « B » déposée dans le comté d’Alameda (Baie de San Francisco) a été rejetée car elle n’a obtenu que 58,5 % alors qu’il lui en fallait 66,7 pour être retenue. Cette proposition visait à augmenter la « TVA » locale d’un demi pour cent pour financer la construction d’une voie supplémentaire réservée au car-pool sur l’autoroute 680, et la prolongation du BART (sorte de RER de la Baie de San Francisco). L’autoroute 680 est en effet très embouteillée ce qui handicape les migrants quotidiens de ce comté qui travaillent dans la Silicon Valley. Les infrastructures actuelles leur permettent de se rendre vers Oakland et le nord, mais pas vers San José où sont la plupart des nouveaux emplois. Cette proposition a été combattue très vivement par les organisations écologistes locales qui s’opposent à la réalisation d’infrastructures de transport nouvelles et plus particulièrement à toute dépense routière supplémentaire, même destinée au car-pooling. Il semble que les électeurs des zones non directement concernées par ces nouvelles infrastructures et peu enclins à payer des impôts locaux supplémentaires, aient apporté la plupart des voix qui ont permis aux opposants de bloquer cette proposition. Les défenseurs de cette proposition ne désarment pas pour autant et vont formuler en novembre un nouveau projet conçu de telle manière qu’il ne nécessite qu’une majorité simple. Ils arguent que les difficultés dans les transports sont un des facteurs de la hausse des prix de l’immobilier et des prix, et de dégradation de la qualité de la vie ; et que leur prolongation pourrait menacer à terme le développement économique régional. Ils citent en exemple le comté de Santa Clara qui a lui adopté une mesure du type de celle qu’ils ont proposée. CAMPH, Donald H. (1997) : « Dollars and Sense : The Economic Case for Public Transportation in America » (American Public Transit Association ; e-mail [email protected]) Petit texte, élaboré dans le cadre de la campagne pour « un transport efficace des personnes (« Campaign for Efficient Passenger Transportation »), qui s’efforce de démontrer que tout dollar investi dans les bus et les transports ferrés urbains aurait un retour de quatre à cinq dollars ... Dans la foulée, ce texte s’efforce de mettre en pièces dix mythes (négatifs) à propos des transports collectifs et d’illustrer avec des exemples les performances d’investissement dans le « transit » réalisés dans des aires métropolitaines. Auto-free Times. Changing the transportation climate 49 Il ne s’agit pas d’une revue sur l’automobile et le temps libre, mais d’une revue qui se bat pour des temps sans voiture, et un autre climat pour les transports (deux jeux de mots). Le sommaire du n° 13 (winter ‘98) illustre bien le projet et le contenu de ce magazine d’une cinquantaine de pages : -le suicide écologique -critical mass wars -l’autosexualité et l’auto dépendance (addiction) -rapport sur la conférence de Kyoto -le réchauffement de la terre et la menace de la fusion -la conférence « Car free » de Londres -pétrole et futur etc. Il s’agit d’une revue extrêmement virulente, centrée sur la lutte contre l’automobile, au nom de la préservation de l’environnement à toutes les échelles. Adresse de la revue : Fossil Fuel Policy Action Institute Post Office Box 4347 , Ca, Arcata 95518 , USA HOLTZ KAY, Jane (1997) : « Asphalt Nation : How the Automobile Took Over America, and How We Can Take it Back » (Crown Publishers, Random House) Jane Holtz Kay développe tout d’abord dans cet ouvrage une vaste fresque décrivant la manière dont l’automobile s’est emparée des États-Unis, de leurs villes et de leurs paysages. Elle fut tout d’abord non seulement un grand moyen de déplacement et d’autonomie, mais aussi un progrès environnemental, mettant fin à l’envahissement des rues par les crottins des chevaux ! Mais elle a entraîné selon l’auteur des coûts croissants de toutes sortes (pollution, diminution de la mobilité pédestre, inégalités sociales, congestion des grandes artères etc.). L’ouvrage est assez militant ... La politique de l’environnement de l’agence fédérale, mise en question par plusieurs états. The New York Times (10 mai 1998) La politique de l’agence fédérale EPA (Environmental Protection Agency) qui mène une action rigoureuse de lutte contre la pollution et qui a la possibilité de s’opposer à l’implantation d’activités considérées comme polluantes, a été mise en cause par plusieurs états et collectivités locales. Le débat porte sur la question des droits et conditions de vie des minorités et populations pauvres. 50 L’agence jusqu’à présent a suivi les revendications des défenseurs des droits civiques et de l’environnement, qui mettent en cause l’injustice environnementale qui frappe les populations les plus pauvres aux États-Unis. En effet, les quartiers où habitent ces populations sont souvent ceux dont l’environnement est le plus pollué, qu’il s’agisse de l’air, des sols ou du bruit. Ceux qui critiquent cette politique de contrôle rigoureux, arguent qu’elle rend plus difficile la localisation dans ces zones des activités qui sont pourtant nécessaires à la création des emplois dont ont précisément besoin ces populations pauvres et souvent au chômage. Deux exemples actuels illustrent ce débat : l’implantation d’une unité chimique que Shintech voudrait construire dans le corridor industriel qui relie Bâton Rouge et La nouvelle Orléans (en Louisiane) ; et la construction par la Soil Remediation Services d’une usine de traitement des déchets dans un quartier de Chester , Pa., habité principalement par des populations noires. Malgré le renforcement des normes d’émission de polluant, la question des « autorisations de pollution » reste cruciale dans de nombreux secteurs industriels. La conflit entre les intérêts environnementaux et les intérêts économiques se pose ainsi très concrètement, non seulement à un niveau très général, mais à celui des choix qu’ont à faire ceux qui s’efforcent de lutter contre les inégalités et d’améliorer la situation des populations déshéritées. En l’occurrence, la solution renvoie probablement à un renforcement des réglementations antipollution à l’échelle nationale, ce qui aurait déjà pour conséquence de ne pas mettre les quartiers pauvres devant le dilemme : si nous exigeons trop en matière d’environnement, les industries iront ailleurs. Toutefois, un certain risque persiste que des secteurs industriels comme la chimie quittent progressivement le territoire des États-Unis pour des pays moins concernés par l’environnement et la santé de leurs habitants. Y a-t-il un prix à payer en la matière pour créer les emplois dont ont besoin ces populations et ces quartiers ? De nombreuses références aussi sur la mise en oeuvre du Clean Air Act (non recensés ; voir en particulier les articles de la revue Transportation Quaterly) et l’ouvrage de Garret et Wachs qui rend plus particulièrement compte du cas de la Baie de San Francisco. GARRETT, Mark, WACHS, Martin (1996) : « Transportation Planning on Trial : The Clean Air Act and Travel Forecasting » (Thousands Oaks, London and New Delhi, Sage Publications, 232 p.) 51 DEUXIÈME PARTIE QUELQUES ÉVOLUTIONS DE LA SOCIETE AMERICAINE 52 2.1. LES TEMPORALITES DE LA VIE QUOTIDIENNE Brève Les trois huit... sur trois continents À partir de deux articles parus dans « The Economist, January » (10 th 1998) et de quelques informations complémentaires de provenances diverses. Les grandes institutions financières ont été les premières à s’organiser sur le mode des trois huit - trois continents, car il leur fallait être capable de suivre successivement et sans discontinuité dans leurs opérations, les marchés européens, nord-américains et asiatiques. Mais elles ne sont plus les seules à pratiquer ce type d’organisation. Ainsi, British Airways, comme un nombre croissant de grandes entreprises de services, oriente vers ses bureaux américains les coups de téléphone qui lui parviennent trop tard le soir en Europe. Ainsi, BA n’est pas obligé d’employer coûteusement un personnel spécifique pour répondre à ces appels qui ne sont pas encore très nombreux, mais dont le nombre augmente pourtant régulièrement. Des entreprises d’informatique fonctionnent aussi maintenant en trois huit sur trois continents, ce qui permet la réalisation beaucoup plus rapide de certains projets, en particulier l’élaboration de logiciels et leur test. Les équipes de chaque pays sont spécialisées dans des tâches qui peuvent en partie se succéder. Ce type de démarche nécessite de nouvelles formes d’organisation du travail et des procédures extrêmement précises, normalisées et codifiées au sein de l’entreprise. Cela n’est pas toujours facile, ni même possible. Comme le note ainsi un article récent de la revue McKinsey Quaterly (1/1998 ) les coûts de télécommunication sont peut-être négligeables, mais les problèmes organisationnels sont considérables et les difficultés d’ordre culturel apparaissent souvent assez vite : entre les employés d’une même firme d’abord, et avec les consommateurs ensuite. Ainsi, la Citybank, qui fut une des premières à lancer un service téléphonique vingt quatre heures sur vingt quatre, a mis au point un système assez complexe qui oriente les appels selon leur provenance, voire selon les accents, vers les pays où se trouvent des opérateurs parlant les mêmes langues. Toutefois, il faut souligner que les appels reçus par la Citybank entre minuit et six heures du matin sont relativement peu nombreux (trois pour cent aux États-Unis, 2,5 % au Royaume Uni, 1 % en Belgique. Mais de plus en plus de gens téléphonent après le dîner, car ils disposent à ce moment là de temps libre pour régler leurs affaires personnelles. 53 La fin du « neuf à cinq » encourage commerces et services à fonctionner vingt quatre sur vingt quatre. Selon une étude faite par Harriet Presser de l’Université de Maryland, dans une famille avec enfants sur trois aux États-Unis, l’un des conjoints au moins ne travaille plus aux heures « normales » (de neuf à cinq heures). Cette évolution touche aussi l’Europe. En Grande Bretagne, Sainsbury et Tasco, les deux plus grandes chaînes de supermarchés, ont commencé à expérimenter 1997 l’ouverture 24 heures sur 24, comme cela existe depuis assez longtemps déjà aux USA. D’autres secteurs s’engagent aussi dans cette voie et rejoignent les hôpitaux, les fournisseurs d’énergie, la police et quelques autres services ouverts en continu depuis longtemps. Il s’agit principalement d’entreprises de services financiers, ou liées à l’usage des outils de télécommunication, mais aussi des commerces variés ainsi que le secteur des loisirs (les loisirs sont en effet un domaine privilégié pour être organisés, et maintenant achetés, à partir du domicile et en dehors des heures ouvrables traditionnelles). l’E-mail joue probablement un rôle de plus en plus important dans cette évolution. Matrixx, qui est localisé à Cincinnati et qui gère vingt et un centres aux États-Unis et en Europe, a constaté que les e-mails et appels de nuit qui représentaient 5 % du total de leurs appels il y a cinq ans, représentent maintenant environ 15 %. Un autre facteur, plus ou moins inattendu, va selon Terry Wells, un directeur de Sainsbury, pousser les commerces à ouvrir plus longtemps : ce sont les restrictions à leur expansion dues aux réglementations urbaines. Le seul moyen d’augmenter la capacité de vente sera alors d’accroître la durée d’ouverture des magasins et d’accélérer la rotation des stocks. Références -Harriet Presser de l’Université de Maryland : étude sur les nouveaux horaires aux États-Unis . -Daniel Hamermesh de l’Université du Texas à Austin, économiste qui a publié une recherche pour le National Bureau for Economic Research sur l’évolution de 1973 à 1991 des heures de travail. Le travail le week-end a globalement augmenté, mais pas le travail de nuit, qui a légèrement diminué. Mais cette dernière évolution masque selon lui deux mouvements opposés : les travailleurs de nuit sont de plus en plus qualifiés, et la baisse du travail de nuit est due à la diminution des emplois industriels classiques. Peut-être aussi, écrit-il, un certain type de travailleurs se trouve en meilleure position qu’autrefois pour négocier des horaires classiques (mais c’est une hypothèse qui semble ne pas tenir pour cette période où le marché du travail n’était pas si favorable que cela aux salariés en général). -Gert Wagner, du Deutsche Institut für Wirtschaftsforschung de Berlin, a aussi étudié l’évolution des horaires de travail et constaté en Allemagne une augmentation du travail le soir et pendant les week-ends entre 1990 et 1995. -Simon Folkard, de l’Université de Wales à Swansea, qui a étudié les conditions de travail la nuit, leurs conséquences sur les taux d’accident et sur la santé. Voir aussi sur cette même question de la santé, les travaux de « Circadian Information » un consultant de Cambridge, Massachusetts. 54 ROBINSON, John, P. , GODBEY, Geoffrey (1997) : « Time for Life. The Surprising Ways Americans Use Their Time » (The Pennsylvania State University Press, 367 p.) L’ouvrage de Robinson et Godbey, deux spécialistes de longue date des budgets-temps, est un grand ouvrage de synthèse qui s’appuie sur trois enquêtes qui ont été effectuées sur les mêmes base à dis ans d’intervalles (1965, 1975 et 1995) et sur une multitude d’enquêtes plus spécialisées dont certaines sont très récentes (1996). Il s’agit d’un ouvrage de référence sur l’évolution de la vie quotidienne des Américains. Le livre est préfacé par Robert Putman qui souligne l’importance de ce type d’analyse et qui note que les enquêtes comparatives internationales montrent qu’alors que les Américains disposent de plus de « temps libre » que la plupart des habitants des autres pays, ils considèrent plus que les autres être très contraints par le temps, être très souvent pressés et stressés. De fait, Robinson et Godbey montrent que les gains de temps ont surtout concerné ces dernières années les jeunes et les vieux, beaucoup moins les gens d’âge moyen. Mais curieusement, selon Putnam, la croissance générale du temps libre s’accompagne d’une diminution de la vie sociale et civique. La télévision a-t-elle absorbé tous les gains de temps libre ? c’est en grande partie ce que pense Putnam, mais nous le verrons, Robinson et Godbey montrent que les choses sont bien plus compliquées que cela et qu’il n’est pas du tout évident que, comme le développe Putnam, on assiste à une érosion globale du « capital social ». Comment les américains font-ils face aux nouvelles contraintes et occupations de la vie quotidienne, et en particulier au développement du travail féminin salarié ? En dormant moins ? En accroissant leur productivité dans leurs diverses activités ? En négligeant leurs enfants ? Comment évoluent les répartitions des tâches au sein des ménages entre femmes et hommes ? Comment évoluent les différences entre classes sociales ? Voilà quelques unes des questions auxquelles effectivement cet ouvrage apportent un certain nombre de réponses. Chapitre 1 Les usages du temps Ce premier chapitre est consacrée à la réfutation d’un certain nombre de thèses et en particulier de l’affirmation que les salariés nord-américains seraient de plus en plus sous la pression des temps contraints (travail et obligations domestiques) et disposeraient objectivement de moins en moins de temps libre. Ils critiquent ainsi assez systématiquement J. SCHOR (« The Overworked American, 1991, New York, Basic Books) ; et G. CROSS : « A Social History Of Leisure Since 1600 - State College Pa, Venture, 1990 ; et du même auteur « Time is Money : The Making of Consumer Culture », London, Routledge, 1993). Ils contestent entre autres, les thèses selon lesquelles le partage inégal du travail domestique perdurait de façon globalement inchangée (Hochshild, 1989), que les enfants recevraient moins 55 de soin qu’autrefois (Mattox 1990), que les nouvelles technologies permettent de réduire le temps domestique (Bose, 1979) et qu’ils passent de moins en moins de temps à manger et à dormir (Burns, 1993). Pour eux, la transformation principale de la société américaine, et dont découlent la plupart des autres changements identifiés, est le développement du travail féminin salarié : son taux est en effet passé de 34 pour cent pour les femmes entre 18 et 64 ans en 1960, à plus de 60 pour cent en 1990. Il y a bien sûr d’autres changements démographiques et sociaux, mais ils sont souvent second et corrélés à celui-ci (âge du mariage, nombre d’enfants etc.). Les auteurs s’appuient, notamment pour contester les thèses évoquées précédemment, sur de nombreuses précisions méthodologiques. Ils distinguent principalement - et assez classiquement - quatre type d’usages différents du temps : -le travail rémunéré : temps échangé (contracted) -les tâches domestiques et familiales (household/family care), qu’ils considèrent comme du temps alloué (committed) -le temps affecté au soins de la personne (personnal time) -le temps libre. La troisième catégorie est évidemment la plus contestable, les auteurs le reconnaissent d’une certaine manière mais ils évoquent les nécessités biologiques de l’existence, qu’ils mettent sur un même plan: dormir, manger et « grooming ». Ils débattent ensuite des méthodologies et affirment la supériorité de la leur, celle des budgetstemps. Chapitre 2 L’accélération de la vie : « l’approfondissement » du temps (Time-deepening) Le temps devient le bien de consommation le plus précieux et la rareté ultime pour des millions d’Américains. En 1996, une enquête du Wall Street Journal faisait apparaître que 40 pour cent des américains le manque de temps était un problème plus important que le manque d’argent. Le temps est une création sociale. Selon les auteurs, il a d’abord été défini par l’église et le commerce. Puis il a été transformé profondément par l’industrialisation, le management scientifique et « l’industrialisation du temps libre ».Mais ne danse-t-on pas de plus en plus vite pour pouvoir rester sur place, interrogent Robinson et Godbey. Autrement dit, en faisant les choses de plus en plus vite, faisons-nous plus de choses ? Quelle interprétation doit-on faire de cette accélération permanente qui caractérise très largement notre société ? L ’ « approfondissement » du temps. La productivité du travail a augmenté. Mais que peut-on dire de la « productivité » de nos activités de loisirs ? Peut-on chanter, lire, danser plus vite ? Pour Lee Burns, la vitesse est un critère de sélection des pratiques sociales : ainsi, le chat triomphe sur le chien, car il demande moins de temps et est plus compatible avec l’accélération de la vie quotidienne! En fait les gens s’efforcent de faire plusieurs activités en même temps : la télévision n’est ainsi plus un loisir exclusif d’autres activités : elle reste allumée et les jeunes la regardent de plus en 56 plus comme ils écoutent la radio, c’est à dire n poursuivant parallèlement d’autres activités. Cela relativise d’ailleurs les résultats des enquêtes qui montrent l’accroissement de l’écoute de la télévision. 57 Chapitre 3 Comment interpréter la « Time Famine » De nos jours, l’intensification du temps pourrait laisser croire aux Américains qu’ils peuvent éviter d’avoir à sacrifier certaines activités à d’autres et qu’ils peuvent tout faire. Ils s’efforcent en tous les cas de s’organiser de telle façon qu’ils puissent avoir le maximum d’activités et en cela l’organisation de leurs loisirs ressemble de plus en plus à celle du travail. L’efficacité devient ainsi un des critères dominants dans l’organisation des loisirs. Les loisirs qui demandent du temps , de la patience, sont progressivement abandonnés. La rapidité comme la concision et la brièveté deviennent des valeurs positives, du fast food à l’article de magazine, du clip vidéo à l’échange verbal. L’aise et l’abondance sont devenus des valeurs plus importantes pour les américains que la tranquillité. L’intensification du temps de travail explique peut-être en partie pourquoi beaucoup de gens déclare dans les enquêtes qu’ils travaillent de plus en plus alors que leurs budgets-temps montrent souvent le contraire. De fait, l’écart entre les usages du temps tels qu’ils sont vécus, et leurs usages effectifs est une question importante sur laquelle les auteurs reviennent dans un chapitre ultérieur. Chapitre 4 Comment mesurer les usages du temps. Connaître précisément comment les gens occupent leur temps est un problème extrêmement compliqué et beaucoup des méthodes utilisées présentent des défauts majeurs. Pour mettre en évidence la fragilité des réponses des personnes à qui on demande ce qu’ils ont fait et combien de temps ils l’ont fait, Chase et Godbey (1963) ont demandé à des membres d’un club de tennis et de natation étudiant combien de fois ils avaient participé à des activités au club. Ils ont confronté les réponses aux données du club, qui sont très précises parce qu’il faut pour jouer se faire à chaque fois enregistré. le résultat est assez impressionnant :les joueurs ont surévalué leurs activités au club de 100 %. De fait, les estimations faites par les individus de leurs activités quotidiennes sont souvent peu utilisables parce que chacun met par exemple un autre sens dans « activité télé » voire « activité travail », arbitre différemment lorsqu’il poursuit deux activités en même temps, entre celle qui est principale et celle qui est secondaire, a des problèmes de mémoire, a des oublis sélectifs, répond en fonction de normes sociales différentes. La tendance est à surévaluer beaucoup des activités. Verbrugge et Gruber-Baldine (1993) arrivent ainsi à des semaines de 187 heures, Hawes (1975) avait obtenu une moyenne de 230 heures par semaine, et certaines études faites par Robertson auprès d’étudiants arrivent même à plus de 250 heures. Les difficultés en la matière sont aussi liées à l’irrégularité de la vie quotidienne qui cadre mal avec les modes d’enquêtes généralement utilisés. Ainsi, si on demande aux gens combien de 58 temps ils passent en moyenne devant leur télé, il vont effectivement donner leur estimation moyenne. Mais il y a des jours où ils ne regardent pas la télé. Il s’agit donc d’une moyenne surévaluée et c’est cette donnée qui sera pourtant utilisée ensuite pour calculer la moyenne de l’échantillon. Il faut donc perfectionner les méthodes, les croiser. L’outil le plus utile reste le carnet de budget-temps, rempli par les gens eux-mêmes tout au long d’une semaine. Cette technique peut être complété par des entretiens tout au long de la semaine, avec vérification et éventuellement des corrections ou des compléments ; Csikszentmihalyi a utilisé un beeper fonctionnant aléatoirement comme alerte pour l’individu suivi. D’autres utilisent des « electronic trackers » notamment pour comptabiliser les heures passées devant la télévision. Des coups de téléphone périodiques ont aussi été utilisés dans certaines études. D’autres ont plutôt fait du suivi quasi anthropologique, en suivant les gens dans -presque - toutes circonstances de la vie quotidienne. Globalement, le « time diary » reste la technique la plus fiable. Mais elle est lourde et assez coûteuse. C’est celle qu’ont utilisée Robertson et Godbey. Chapitre 5 La surestimation de la durée de la « semaine de travail », et l’évolution du travail domestique. Figure 6 59 Figure 7 60 Tableau 2 61 Chapitre 6 Les tendances d’évolution des activités domestiques et des soins familiaux (Housework et Family Care) Pour des raisons diverses, les enquêtes tendent à surestimer le temps de travail. Les changements dans la nature et les modalités du travail font ainsi comptabiliser comme travail du temps passé à autre chose que le travail pendant le travail lui-même (discussions personnelles, lecture du journal, coups de téléphones domestiques etc.). Les analyses de Robertson tendraient à prouver que le temps de travail a plus diminué que ne le font apparaître certaines études. S’agissant des différences entre genres, elles restent très significatives pour tout ce qui concerne les activités domestiques. Toutefois, les hommes ont tendance à y participer plus lorsque les femmes ont un emploi salarié. Celles-ci passent moins de temps au tâches domestiques que celles qui ne travaillent pas, mais elles passent à peu près autant de temps aux courses. La différence se fait sur le ménage et sur les soins apportés aux enfants. [Quand une femme prend un travail salarié, elle réduit le temps consacré aux soins familiaux (family care) d’un tiers, mais elle passe à plus de temps à faire les courses et... à s’occuper des animaux de compagnie]. Le ménage n’est pas moins bien fait, car l’homme aide plus et les technologies nouvelles sont largement mobilisées. Les femmes et plus généralement les parents, ne passent pas non plus moins de temps qu’autrefois à s’occuper des enfants, comme cela est souvent dit. Certes, le temps consacré aux enfants est en moyenne plus faible en 185 qu’en 1965, mais le nombre d’enfants par famille a beaucoup diminué et le temps parental consacré aux enfant a en moyenne plutôt augmenté. En revanche , le temps qui leur est consacré dans les ménages unifamiliaux, plus nombreux, est lui plus faible que la moyenne. Les différences de genre sont accrues par les différences sociales. Car, plus le niveau d’éducation est élevé, plus importante est la part prise par les hommes dans les activités domestiques. En moyenne toutefois, les femmes passent 40 % plus de temps à faire des courses que les hommes. 62 Figure 8 63 Tableau 3 64 Chapitre 7 L’évolution du temps consacré aux soins de la personne et au voyage Par soins de la personne, les auteurs entendent l’hygiène-beauté, le sommeil et les repas. Ajoutés aux voyages, tout cela fait un amalgame assez curieux, mais qui s’explique par l’approche assez classique que les auteurs ont du dit « temps libre ». Ils considèrent qu’il s’agit là de deux activités contraintes et leur conclusion , à la fin de ce chapitre, est d’ailleurs de calculer le temps qu’il reste à la libre disposition des gens (en moyenne une quarantaine d’heures par semaine). Certes, auteurs notent bien que les soins personnels peuvent être aussi considérés comme des loisirs, mais ils insistent sur le fait que l’on constate peu de différences entre hommes et femmes et entre groupes sociaux pour ce qui concerne ces soins comme pour le temps de sommeil. Seules les femmes qui ne travaillent pas passent en moyenne trois heures de plus pour les soins personnels. Les soins du corps et le sommeil sont assez stables. Le temps passés aux repas avait sensiblement diminué entre 1965 et 1975 et il semble s’être stabilisé. Les auteurs notent qu’en France et en Italie, il n’est pas rare que les gens passent « trois heures par jour » à manger ! Aux Etats-Unis, ajoutent-ils, si le repas dépasse dix minutes, on peut considérer qu’il s’agit d’une réunion de famille. S’agissant de l’activité sexuelle, qui est aussi rangée dans ce même chapitre ..., les auteurs font référence à des enquêtes très systématiques avec de multiples recoupements (Michel et al. 1994, « Sex in America » Université de Chicago), qui montrent qu’en moyenne les américains et les américaines ont beaucoup moins de relations sexuelles que le notent la plupart des enquêtes (en moyenne, une fois par semaine). S’agissant du temps passé en déplacement, les résultats donnent des valeurs assez sensiblement plus élevées que les de l’US Department of Transportation, principalement pour le nombre des déplacements quotidiens. Plus on pose de questions, disent les auteurs , plus on apprend que les déplacements ont en fait été plus nombreux qu’il n’est indiqué dans les enquêtes spécialisées sur les transports. Cela noté, le temps de transport semble assez stable, même si sa structure s’est transformée : 30 % pour le domicile-travail, 30 % pour le chauffeuring des enfants et les courses, 30 % pour les activités de temps libre, et le reste pour les repas et autres soins personnels. Le temps total de déplacement ne varie pas beaucoup par genre et csp. Il diminue avec l’âge avec des pointes selon les phases du cycle de vie du ménage. Le temps de transports des femmes qui travaillent s’est rapproché aussi de celui des hommes. 65 Tableau 5 66 Figure 11 67 Chapitre 8 Les tendances d’évolution du temps libre entre 1965 et 1985 Beaucoup d’observateurs ont l’habitude de dire que les Américains ont peu de temps libre. Cela n’est pas évident et selon les statistiques utilisées par Robinson, il apparaît que le temps libre (disponible individuellement) soit passé de 35 heures hebdomadaires en 1965 a40 heures en 1985 (pour les adultes) et qu’il soit a peu près reste stable depuis. Bien sur c’est la télévision qui en occupe la majeure partie et son écoute a augmenté dans les mêmes proportions que le temps libre. Mais Robinson et Godbey notent que ces données sur la télévision sont a manier avec précautions, car l’allumer ne signifie pas nécessairement la regarder en continu et par ailleurs les moyennes sont généralement augmenté par la non prise en compte des jours où elle n’est pas regardée autant que d’habitude (et il y en a généralement un ou deux dans la semaine). Cela noté, la télévision apparaît comme un loisir particulièrement adapté à la vie quotidienne les jours de travail, car c’est une activité immédiatement disponible à domicile, qui peut se pratiquer même par petites tranches. Or, dans la semaine, beaucoup de gens ne disposent pas de tranches de temps suffisamment importantes pour avoir d’autres types d’activités. Le temps libre est réparti inégalement dans la société américaine. Les femmes qui travaillent ont bien évidemment moins que les hommes qui travaillent ou que les femmes qui ne travaillent pas. Mais dans ce domaine aussi, le développement du travail féminin salarié tend à diminuer les différences liées aux genres. Les inégalités sociales classiques se retrouvent aussi, et l’évolution tend à les accentuer : ceux qui ont les revenus et les diplômes les plus élevés sont ceux dont le temps libre a le plus augmenté entre 8965 et 1985. Pour les âges, on a une courbe en U, les « middle-age » cumulant les obligations professionnelles et les obligations parentales maximales au même moment dans leur cycle de vie. 68 Figure 12 69 Tableau 6 70 Tableau 7 71 Tableau 7, 2ème partie 72 Chapitre 9 L’évolution du temps passé devant la télévision et autres médias Tableau 9 73 Tableau 10 74 Tableau 10, 2ème partie 75 Chapitre 10 Ordinateurs à domicile et usages du temps Ce chapitre est évidemment d’un très grand intérêt, car le développement de l’usage des ordinateurs à domicile, et en particulier du web a été beaucoup plus précoce aux Etats-Unis et y est beaucoup, beaucoup plus avancé qu’en France. Quiconque vit et travaille quelques semaines aux USA, en particulier en milieu universitaire, prend conscience en effet que l’ordinateur, l’usage de l’Email et des services sur Internet sont complètement intégrés dans la vie quotidiennes des couches moyennes supérieures et des jeunes (collégiens et étudiants). L’email est devenu le complément indispensable du téléphone ; il permet une sorte de conversation asynchrone, intermédiaire entre la discussion et l’échange épistolaire, et donne un contenu très particulier aux échanges. Par ailleurs, il semble que l’on aille assez vite vers une quasi-fusion entre la télévision et l’ordinateur. Le multimédia progresse en effet rapidement, et à moyen terme une grande partie des émissions télévisées devraient être accessibles par Internet, et sont déjà accessibles en tous les cas sur l’écran de l’ordinateur. La relation entre le téléspectateur et la télé va donc évoluer, devenant à la fois plus singulière et plus ou moins interactive. Les études sur les relations entre l’usage du temps et la présence d’un ordinateur connecté au web ne sont pas encore très nombreuses. Toutefois, Robinson et Godbey ont pu s’appuyer sur une enquête très détaillé , la « TimesMirror Survey », réalisée en 1995, année où 30 % des ménages américains possédaient déjà un ordinateur à la maison. Cette étude montre tout d’abord que l’usage Internet facilite effectivement les contacts entre personnes qui se connaissent, et que cela est plus important que la production de nouveaux contacts. Le second résultat important est que l’usage de l’ordinateur à domicile prend surtout sur le temps télé classique. Il n’ampute pas le temps des contacts en face à face. Il semble toutefois que les usagers de l’Internet téléphonent moins souvent à leurs amis et à leurs parents pour avoir de leurs nouvelles , ce qui tendrait à prouver que Internet prend en partie la place du téléphone, mais stimule les contacts directs ( 56 % des personnes « branchées » ont répondu avoir téléphoné à des mais la veille en 1995, contre 63 % en 1994, année) , mais qu’en revanche, ils semblent aller voir beaucoup plus souvent des amis ou membres de leur famille (69 % contre 57 % l’année précédente ont déclaré être aller visiter des parents ou amis dans la semaine précédente). Toutes ces données sont encore très parcellaires et l’usage de l’Internet est probablement encore trop récent et trop limité socialement pour que l’on puisse tirer de cette enquête beaucoup plus de conclusions. Toutefois, les auteurs soulignent que l’Internet ne se développe pas au détriment des médias classiques, en tous cas dans les groupes sociaux plutôt cultivés dans lesquels il est surtout présent pour l’instant. Ils insistent aussi sur le fait que l’Internet participe au « more-more » c’est à dire que ceux qui communiquaient déjà beaucoup communiquent encore plus, et que l’usage des ordinateurs s’inscrit aussi dans le développement d’une société marquée par ceux 76 qui ont et ceux qui n’ont pas (« the have-have not society »), où ceux qui ont de loisirs les ont tous, et où ceux qui en ont peu, en ont relativement de moins en moins. Tableau 11 77 Tableau 12 78 Chapitre 11 Le capital social et l’usage du reste du temps libre Robinson et Godbey, dans ce chapitre, font référence aux thèses de Robert Putman et en particulier au « déclin du capital social » qui caractériserait l’évolution actuelle de la vie quotidienne, c’est à dire à la diminution de la vie sociale, de « ses réseaux, normes et responsabilités ». (PUTNAM, Robert [1995] : Bowling Alone : America’s Declining Social Capital », Journal of Democracy , 6, January, 65-78 ; et [1995] : « Tuning In, Tuning Out : The Strange Disappearance of Social Capital in America » (se brancher, se débrancher ;; ou être à l’écoute ou non), P.S., December). Les auteurs sont assez modérés dans leur critique, probablement parce que c’est Putnam qui préface leur ouvrage. Mais de fait, les données qu’ils présentent et qu’ils analysent montrent que certes la sociabilité « formelle », c’est à dire celle qui est organisée dans le cadre d’institutions (églises, associations) tend à diminuer, mais que par ailleurs d’autres sociabilités se développent, en particulier les activités sportives, les hobbies et les activités de communication qui engendrent en fait des relations sociales (qui participent à la «fabrique sociale). De plus, les explications souvent apportées pour expliquer la décroissance des activités sociales organisées semblent peu pertinentes : ainsi, ce sont ceux qui ont les plus longues semaines de travail qui passent aussi le plus de temps dans les activités « civiques » et qui regardent le moins la télévision. Les auteurs analysent donc l’évolution de 8 activités de loisirs « non médiatiques » : 4 d’entre elles augmentent : la communication, le sport, les hobbies et l’éducation pour adulte ; 4 régressent : « socializing » (parents et amis), l’activité associative, l’assistance a des événements culturels et sportifs (diminution d’un quart entre les années 60 et les années 80). En revanche, il y a développement assez net de la participation a des activités artistiques, de la visite de musées et d’exposition, du théâtre. Par contre, il y a diminution de l’assistance à des spectacles musicaux. Différents « needleworks » se développent aussi (couture, tricotage, bricolages divers) ainsi que la danse. Enfin tout ce qui est « fitness » connaît un très gros succès ». 79 Tableau 13 Tableau 14 80 Tableau 15 81 Chapitre 12 Contexte pour la prédiction de l’évolution de l’usage du temps Il y a beaucoup de stéréotypes, largement infondés selon les auteurs, sur l’évolution de l’usage du temps, tels que : les gens riches font travailler de plus en plus les pauvres ; les vieux dorment plus que les jeunes ; les américains noirs font plus de sport que les blancs ; le Sud évolue plus lentement que le Nord. Beaucoup de ces idées toutes faites sont largement infondées. C’est en tous les cas ce qui ressort d’une étude globale des corrélations (voir tableau n° 17). Les différences de genres sont bien sût très importantes, mais diminuent, notamment entre femmes et hommes salariés. Les différences de niveau d’éducation sont plus importants que les occupations professionnelles ou les revenus. Le statut marital, la phase du cycle de vie, la présence d’enfants à la maison sont des facteurs très significatifs. En revanche la localisation joue relativement peu, de même que la saisonnalité. Mais les activités diffèrent beaucoup d’un jour à l’autre et surtout à l’approche du week-end qui joue un rôle de plus en plus important. 82 Tableau 17 83 Chapitre 13 Les différences de genres et leur évolution : vers une société androgyne Le changement sociétal le plus important des États-Unis est très certainement, selon les auteurs, le changement dans le rôle des femmes. Selon eux, au delà des différences persistantes qui justifient probablement des analyses et des actions spécifiques, il apparaît que dans un grand nombre de domaines, les différences entre hommes et femmes tendent à se réduire. Les domaines qui y échappent encore et où même les différences parfois s’accroissent sont le shopping, la religion, et l’écoute de la musique. Les activités où les écarts semblent stables sont le soin des enfants et la vie associative. Pour toutes les autres activités, les différences régressent. De plus, il faut noter la rapidité des changements à l’échelle des temporalités des phénomènes sociaux : le rapport entre temps de travail hommes et celui des femmes est passé en 20 ans de 2,5 à 1,7 ; celui de l’éducation permanente de 2,7 à 1,3 ; celui de la participation à des activités sportives de 2,6 à 1,9; celui du temps ménager de 0,18 à 0, 50. D’une certaine manière, on peut se demander, notent les auteurs, si le genre n’est pas en train de devenir une fausse variable comme l’a été l’âge dans les années 1960-1970 : à cette époque en effet, on avait tendance à considérer que le comportement des personnes âgées changeait alors que ce changement était surtout dû au plus haut niveau d’occupation de celles-ci. De même, on peut se demander si de nos jours c’est le comportement des femmes qui change le plus, où si ce n’est pas le fait qu’elle travaillent qui est la variable la plus déterminante. 84 Tableau 18 85 Chapitre 14 Les écarts grandissants de l’usage du temps selon les âges Les différences entre genres et entre groupes sociaux sont un peu atténuées pour les jeunes. Tableau 19 86 Chapitre 15 Les différences selon les statuts professionnels et les races Le débat sur les différences raciales est très important actuellement aux États-Unis, et a des conséquences pratiques, notamment en matière d’ « affirmative action » (discrimination positive). Les premières recherches sociologiques « étudiantes spécifiquement les différences raciales remonte au travail fondateur de Gunnar Myrdal en 1944 (« An American Dilemma »). Près de vingt ans plus tard, en 1963, le même Myrdal écrivait qu’il pensait que dans les dix années suivantes, les différences imputables aux races auraient disparu aux États-Unis. Mais en 1968, le rapport de la National Advisory Commission on Civil Disorders concluait que l’Amérique évoluait vers deux sociétés distinctes, une afro-américaine, l’autre blanche, séparées et inégales. Depuis, les débats sur les convergences et les divergences n’ont cessé de rebondir, les différences au sein de la société américaines semblant croître dans bon nombre de domaines. Les analyses sur l’usage du temps reflètent ces débats. Il est souvent difficile de faire la part du statut (professionnel, qui comprend en partie le niveau d’éducation) et la part de l’appartenance raciale. Mais des études multivariées font apparaître d’une part que les différences les plus significatives, toutes choses par ailleurs, sont dans le domaine de l’écoute de la télévision et de la pratique de la religion (plus développés chez les noirs américains que chez les blancs). Et s ’agissant de l’évolution des différences de pratiques, seul le « grooming » semble évoluer de façon divergente. 87 Tableau 21 88 Chapitre 16 Les perceptions de la pression temporelle Se dépêcher, est d’une certaine manière, affirment Robinson et Godbey, la conséquence de la démocratie. Si les gens sont libres de faire ce qu’ils veulent,, leurs désirs ne peuvent que se multiplier. C’est d’une certaine manière ce qu’affirmait déjà Alexis de Tocqueville, lorsqu’il écrivait que le problème des Américains avec le temps, était moins de savoir comment ils allaient l’employer pour le travail et les loisirs, mais ce qu’ils attendaient finalement du temps lui-même. De fait, l’étude des perceptions du temps est aussi importante que celle de l’usage effectif du temps et a pratiquement autant d’implications pratiques. D’autant, que usage et perception peuvent considérablement diverger. De fait, toutes les études montrent que la sensation de manquer de temps (« feeling rush) a sensiblement augmenté depuis les années 190 : en 1965, 24 pour cent des 18 - 64 ans déclaraient être toujours pressés ; ils étaient 28 pour cent en 1975, 35 en 1985 et trente huit en 1992. Inversement , la proportion de ceux qui déclarent n’être presque jamais pressé a chuté de 27 à dix sept pour cent. Le sentiment de stress est inégalement réparti : les femmes salariées l’éprouvent plus souvent, mais aussi les personnes diplômées et les blancs. Ce sentiment provoque des réponses assez contradictoires à la question ; seriez-vous prêts à échanger du temps de travail contre du temps de loisirs (avec diminution corrélative de votre salaire). Une autre question a aussi été posée : quelle activité amputeriez-vous si vous aviez absolument besoin d’une heure par jour (puis de trois) ? La réponse quasi unanime est : la télévision. C’est cette activité qui apparaît de loin la plus élastique. Quelques statistiques récentes laissent penser que le sentiment d’accroissement du stress n’augmente plus voire régresse un peu ces dernières années. Un plus grand nombre de gens répondent en effet qu’il sont peu dans l’urgence à la maison. Mais ce phénomène est encore trop récent et trop faible pour que l’on puisse en tirer de nouvelles hypothèses. (F.A. : dans quelle mesure la société américaine ne s’habitue-t-elle pas à ses nouveaux modes et rythmes de vie et en particulier au travail féminin salarié ? A-t-elle engendré de nouvelles pratiques ou s’habitue-t-elle aux nouveaux rythmes du quotidien. 89 Tableau 22 90 Tableau 23 91 Tableau 23 2ème partie 92 Chapitre 17 Quelles sont les appréciations des gens sur leurs activités Ce chapitre est d’un intérêt plus limité que d’autres, car la nature des informations que l’on est susceptible de recueillir prête particulièrement à débat. De plus, comme le notent les auteurs, ils ont disposé de peu de données identiques collectés à des périodes différentes, ce qui rend encore plus difficile d’apprécier les évolutions. Toutefois, on peut noter que la télévision, dont l’écoute a pourtant augmenté, vient très souvent parmi les activités auxquelles les personnes enquêtées déclarent prendre le moins de plaisir. Les femmes déclarent plus souvent préférer le ménage à la télévision, et les hommes la place après la cuisine dans l’échelle des plaisirs ! Les chapitres suivant reprennent de façon synthétique des réflexions méthodologiques et des résultats, présentent des données comparatives (plus ou moins intéressantes, car méthodologiquement ces comparaisons sont très moyennement convainquantes), et esquissent quelques réflexions prospectives. Pour les auteurs, ,il ne fait aucun doute que le temps livre a cru et continuera probablement de croître. Mais, il n’augmente pas aussi vite que les gens le souhaitent. Surtout, les gens sont projetés dans une dynamique où ils sont de plus en plus obligés de choisir. La liberté du temps libre devient l’obligation de choix, dans tous les domaines. Le seul manque à terme, sera de ne plus disposer de l’option de ne pas avoir à choisir. L’enjeu principal pourrait aussi se déplacer vers la capacité que nous aurons de pouvoir ralentir et qui sera peut-être un problème plus important que le manque de temps lui-même. 93 Figure 15 94 SCHOR, Juliet B. (1998) : « The Overspent American. Upscaling, Downshifting, and the New Consumer » (Basic Books, 253 p.) Ce livre porte sur la frénésie de consommation qui touche - semble-t-il de plus en plus -les couches moyennes nord-américaines et leur fait aller au delà de leurs possibilités économiques réelles (overspent). Juliet B. Schor, « professeur d’économie des loisirs » avait précédemment publié « The Overworked American : The unexpected Decline of Leisure »(1992 - Basic Publisher), ouvrage dans lequel elle s’efforçait de mettre en évidence l’augmentation du temps de travail aux EtatsUnis, ses conséquences sur la vie quotidienne et en particulier son impact sur la famille et les relations avec les enfants. Le présent livre s’inscrit comme une suite logique, dans la mesure où elle s’est efforcée d’expliquer pourquoi les américains travaillaient de plus en plus et pourquoi certains d’entre eux commençaient à essayer d’échapper à ce modèle d’overworking et d’over spending, en cherchant les moyens d’un « downshifting », c’est à dire d’un changement de leur vie dans le sens d’une diminution de leurs consommations, et par conséquent aussi de leur travail marchand. Ce livre traite exclusivement des coches moyennes et moyennes-supérieures, c’est à dire des groupes sociaux qui ont un pouvoir d’achat relativement élevé qui leur donne la possibilité notamment d’effectuer des choix de consommation. L’ouvrage est intéressant, même si certaines de ses analyses sont un peu simpliste. L’auteur est une économiste qui essaye de faire de la sociologie. Cela se sent. Ses références sociologiques, anthropologiques, psychologiques sont souvent un peu sommaires. En fait ses hypothèses s’articulent de la façon suivante : -la consommation est largement marquée par des soucis d’identification et de compétition sociale : -autrefois cette compétition était limitée par des appartenances socioprofessionnelles assez clairement identifiables et hiérarchisées, et par des proximités immédiates « keeping up with the Jones », c’est à dire faire aussi bien voire mieux que les voisins ; -de nos jours, ces références ont largement disparu, pour des raisons diverses, et les individus se situent plus par rapport aux images de consommation que leur fournissent les médias, mais aussi le spectacle des magasins eux-mêmes ; -les individus n’ont plus de repères sociaux et perdent la conscience de leurs limites économiques (les journaux qu’ils lisent font de la publicité pour des Mercedes ; alors pourquoi ne pas essayer d’en acheter une !) ; -le système de cartes de crédit leur fait perdre conscience de l’importance de leurs dépenses. Les Américains moyens ont ainsi basculé dans une frénésie de consommation. Leur taux d’épargne s’est effondré en quelques années (3,5 % du revenu ce qui est trois fois moins que les ménages français, allemands, japonais ou italiens, et deux fois moins que les anglais ou les hollandais), tandis que leur endettement croissait dangereusement (18% du revenu disponible). Selon Juliet Schor, c’est cette surconsommation qui est à largement à l’origine de l’allongement de la durée du travail, car les couches moyennes doivent travailler de plus en plus pour pouvoir satisfaire leurs envies d’achat. Car il s’agit bien selon l’auteur au moins autant d’une 95 sorte de boulimie d’achats que de véritable consommation, beaucoup des biens acquis étant peu utilisés. C’est aussi un sentiment de nécessité qui habite ces groupes sociaux qui ont le sentiment qu’il faut maintenant plus de 80.000 $ dollars par an (Environ 500.000 francs) pour vivre correctement. Cette évolution de la consommation ne répond plus à des modélisations simples, ce qui complique la vie des spécialistes du marketing, mais selon une multitude de « grappe »s (plutôt que de groupes sociaux) qui partagent plus ou moins des éléments de « style de vie ». Juliet Schor évoque aussi le « squeeze » de la qualité de la vie : il faut travailler plus pour vivre bien, mais ce faisant on vit plus mal. La dimension ostentatoire de la consommation reste importante, voire s’est renforcée, mais elle n’explique pas tout, note l’auteur, puisque les sous-vêtements produits par les grands couturiers connaissent beaucoup de succès et que beaucoup de consommateurs n’ont pas l’occasion de montrer à d’autres leurs sous-vêtements. Juliet Schor est aussi fascinée par les consommateurs qui achètent des « marques » alors que celles-ci, par exemple dans les produits cosmétiques, ne sont souvent pas de qualité meilleure que d’autres produits beaucoup moins chers, et que personne ne peut voir de l’extérieur une quelconque différence. Juliet Schor pose alors la question de l’identification et de la distinction, mais en termes très sommaires. Elles utilise les résultats des enquêtes et expériences qu’elle a elle-même réalisées, et les résultats d’autres travaux. Elle essaye de savoir à qui chacun se compare (les amis, 28 %, les collègues, 22%, la famille, 12 %, les voisins 2 %, les gens faisant le même genre de travail, 9 %, ayant la même religion, 11 % , les autres 15 %). La démarche n’est pas sans intérêt, mais la méthodologie employée laisse beaucoup à désirer. Elle note aussi le fait que les consommateurs ne se rendent plus compte de leurs dépenses, qu’ils expriment de plus en plus souvent que ce qu’ils achètent, c’est aussi pour leurs enfants, qu’une partie de plus en plus importante des achats se fait sous le motif du cadeau (aux autres comme à soi-même ; elle traite de la spirale de la réciprocité de façon un peu simpliste) . elle identifie aussi quelques corrélations, comme par exemple entre le temps passé devant la télévision, toutes choses égales par ailleurs et l’importance de la consommation (cqfd). Les deux derniers chapitres sont consacrés à ces nouveaux consommateurs qui s’efforcent de rompre avec cette frénésie des achats et du travail. Ceux-ci valorisent tout ce qui est naturel, cherchent les magasins les moins chers, revendent les objets et vêtements dont ils ne se servent plus, achètent d’occasion, s’efforcent autant que possible de réparer plutôt que de renouveler, tricotent leurs pulls etc. Comme le note Juliet Schor, cette nouvelle consommation devient ellemême un mode de distinction. Enfin l’auteur dit ce qu’il faudrait faire pour favoriser ce « downshifting » : contrôler son désir (sic), créer un nouveau symbolisme rendant démodé la recherche de l’ »exclusif » , apprendre à partager, déconstruire le système commercial et éduquer les consommateurs, lutter contre la « Retail Therapy » car dépenser entraîne de la dépendance, décommercialiser les rituels, donner plus de valeur au temps disponible... 96 Quelques références bibliographiques tirées d’une liste très longue : -ACKERMAN, Franck et a.a. (1997) : « The Consumer Society » (Washington, Island Press) -Center for a New American Dream (1997) : « Holiday Spending Poll » (Takoma Park, Md.) -DOUGLAS, Mary, ISHERWOOD, Baron (1996) : « The World of Goods : Towards an Anthropolgy of Consumption » (London , Routledge) -HOLT, Douglas B (1997) : « Postsutructuralist Lifestyles Analaysis : Conceptualizing the Social Patterning of Consumption in Postmodernity » (Journal of Consumer Research 23, March, pp. 326 - 350) -SAMUELSON, Robert (1995) : « The Good Life and Its Discontents : The American Dream in the Age of Entitlment. 1945 - 1995 » (New York, Times Books) -SCHMIDT, Leigh Eric (1995) : « Consumer Rites : The Buying and Selling of American Holidays (Princeton, Princeton Universuty Press) -SCHOR, Juliet B. (1998) : « New Strategies for Everyday Life : The Impact of Globalization on Time and Consumption » ( Time and Society 7 - I-, pp. 119 - 127) -TURROW, Joseph (1997) : Breaking up America : Advertisers and the New Media World » (Chicago, University of Chicago Press) 97 FROW, John (1997) : « Time and Commodity Culture : Essays in Cultural Theory and Postmodernity » (Clarendon Press) Livre assez intéressant, avec beaucoup (trop) de références théorico-bibliographiques, évoquant la question d’un monde désynchronisé et la fin d’une histoire unique : mais à la différence de Fukoyama, pas la fin de l’histoire, mais le développement d’histoires multiples. Un bon chapitre sur le tourisme, sa nature complexe, avec une critique pertinente de Marc Augé et de sa thèse sur les non lieux. Une présentation simple (un peu simpliste même) des mots et notions clefs du modernisme et du postmodernisme. 98 HOCHSHILD, Arlie Russel (1997) : « The Time Bind. When Work Becomes Home and Home Becomes Work » (Metropolitan Books, 316 p.) L’auteur a poursuivi la réflexion engagée dans son précédent livre: (« The Second Schift : Working Parents and the Revolution at Home ») en étudiant dans une grande entreprise américaine comment les salariés, hommes et femmes, étaient de plus en plus dépendants de leur travail, y consacraient de plus en plus de temps et étaient de ce fait conduits à délaisser la vie familiale et en particulier à s ’occuper beaucoup moins de leurs enfants. L’étude a porté sur le suivi pendant une assez longue période d’un groupe d’employés et sur la succession des différentes politiques managériales dans leur entreprise. Au début des années 1990, l’entreprise, confrontée à un turnover trop important, a engagé une politique « family-friendly » visant à aider les salariés hommes et femmes à faire face à leurs obligations familiales, soit en leur procurant des aides (création de crèches par exemple) soit en facilitant les congés spéciaux (maternité et paternité par exemple) et les aménagements d’horaires (plus flexibles et travail à temps partiel). Pourtant ces politiques ont eu peu d’effets sur le temps de travail des salariés qui a continué à augmenter assez sensiblement et a atteint 47 heures en moyenne par semaine. Cette évolution a concerné les femmes autant que les hommes. Les entretiens ont montré que les raisons sont diverses, mais que la peur de perdre son travail et le souhait de se rendre indispensable et très efficace ont été les motivations principales. Cela est particulièrement vrai, semble-t-il pour les hommes. Mais les femmes ont également manifesté, par leur « ardeur » au travail, le souhait d’être des travailleurs à part entière et d’avoir autant que les hommes de véritables carrières professionnelles. Le résultat dans l’ensemble montre que la vie familiale est devenue de plus en plus difficile et que les salariés vivent sous des contraintes croissantes. L’histoire est d’autant plus triste que cette politique family-friendly n’a pas empêché l’entreprise en question de lancer une grande opération de réingéniering et de « downsizing » à l’occasion de laquelle elle a licencié plus de 10 % de ses salariés et notamment quelques-uns de ceux qui avaient été suivis par l’auteur et qui avaient consacré de plus en plus de temps au travail. Arlie Hochshild conclut sur la nécessité de développer un grand mouvement social sur cette question du temps de travail, mais un mouvement qui ne soit pas centré sur les entreprises car, l’enjeu pour elle n’est pas seulement la diminution du temps de travail, mais la nécessaire prise de distance avec le travail, un sorte de désimplication partielle. Elle pense que les mouvements féministe se sont trop centrés sur l’autonomie et l’égalité de la femme et pas assez sur un projet de rapport différent au travail, qui ne sacrifie pas le reste de la vie et en particulier la vie familiale et les enfants. Ce livre, qui est une enquête précise et vivante, est intéressant et très significatif de la situation et des débats actuels aux États-Unis : la durée du travail a tendance à augmenter (environ 44 heures hebdomadaires actuellement, avec une douzaine de jours de vacances en moyenne seulement), le travail féminin est presque l’égal du travail masculin, et la morale familiale continue de peser très fort. 99 NIPPERT-ENG, Christina, E. (1996) : « Home and Work. Negotiating Boundaries through Everyday Life » (The University of Chicago Press, 325 p.) Cet ouvrage à la fois est très stimulant, mais laisse aussi parfois le lecteur sur sa faim. Le thème de cet ouvrage est tout à fait passionnant. Il s’agit d’une étude sur la manière dont les gens qui travaillent établissent ou non des frontières ou/et des relations entre l’univers du travail et celui de la maison. L’auteur développe la notion de « boundary work » c’est à dire de « travail de séparation » ; mais comme la formule le dénote, Christina Nippert-Eng développe plutôt une approche de type psychologique. Toutefois, l’enquête est fondée sur des entretiens avec soixante-dix personnes appartenant à la même entreprise. Mais on sait peu de choses de chacune des personnes interrogées, de leur travail et de leur famille. Le résultat est hybride, un peu psycho-socio, un peu socio, un peu anthropologique. Comme par ailleurs l’auteur n’a jamais interrogé les personnes rencontrées sur l’évolution de leurs pratiques, et qu’aucune donnée plus globale n’est présentée, on reste assez fortement sur sa faim. De plus, la classification est un peu sommaire, entre deux pôles : ceux qui segmentent fortement leur vie entre travail et maison, et ceux qui intègrent les activités-temps-objets liés au travail et à la maison. L’ouvrage n’est toutefois pas inintéressant et donne envie de poursuivre autrement les investigations et réflexions engagées. Dans l’introduction, Christina Nippert-Eng disserte assez longuement d’un point de vue théorique et historique sur les origines et les raisons de la séparation entre travail et maison, et sur le parallélisme avec le découpage homme-femme, public-privé. Elle évoque la représentation instrumentale actuelle du travail, qui est presque exclusivement considéré comme devant procurer les moyens de la vie hors travail, et elle souligne la difficulté à imaginer que des valeurs de l’une des sphères puissent être aussi présentes, voire inversées dans l’autre sphère : et si certains travaillaient d’abord pour le plaisir, la maison et la famille n’étant que les moyens du travail ? Dans le premier chapitre intitulé « les territoires du self : identification de la frontière maisontravail », l’auteur analyse -assez superficiellement, mais de façon intéressante - divers moments et instruments de ce travail de séparation (ou d’intégration). Elle étudie en premier lieu les calendriers et agendas qui reflètent la manière dont les gens séparent ou intègrent leurs diverses sphères d’activités (agendas unique, grand agenda professionnel plus agenda de poche domestique, calendrier mural sur lequel on marque les moments les plus importants etc.). La manière dont les gens assemblent les clefs (en un ou plusieurs porte-clefs) apparaît aussi comme un indice de ce travail de séparation. Les vêtements, spécialisés ou non, dont on change ou non quand on arrive au travail ou quand on rentre chez soi, expriment également le degré de séparation ou d’intégration travail-maison. Les sacs, les portefeuilles et porte-monnaie, les façons de s’alimenter sur le lieu de travail (notamment seul ou en groupe, en emportant de chez soi de quoi manger etc.), les carnets d’adresses, les photographies et les cadeaux, la lecture, les pauses, les vacances, sont autant de pratiques rapidement esquissées et analysées. Le second chapitre est intitulé « l’ingénierie cognitive : la construction de liaison (bridging) entre temps, espace et self ». L’auteur y étudie non plus la construction des frontières, mais leur passage permanent et ritualisé. Elle emprunte d’ailleurs à Van Gennep sa définition des rites de 100 passage et la distinction entre trois temps : la séparation, la transition et l’incorporation. Ce chapitre, sans apporter des éléments totalement nouveaux, est toutefois très intéressant. Christina Nippert-Eng souligne l’importance de la transition, et en particulier donc d’un temps de transport. La distance physique et temporelle est très importante et très différenciée selon que l’on a à faire à des individus « intégrateurs » ou « séparateurs ». L’auteur souligne que le temps de l’aller au travail et celui du retour sont très différents et que cela ne tien pas seulement à la fatigue accumulée pendant une journée de travail : se rendre au travail et se rendre à la maison sont en effet des actes différents. Elle étudie aussi les Hellos et les Good Byes, qui prennent des formes variées (embrassades, mais aussi toutes sortes de « snacks », la tasse de café en arrivant au travail, le verre d’alcool au retour, qui n’ont pas seulement des fonctions chimico-biologiques, les changements de vêtements et les toilettes, qui n’ont pas que des explications fonctionnelles). L’importance que l’auteur accorde à cette notion de « bridging » et aux fonctions de ces temps et activités de liaison ou de séparation, est évidente dans le domaine des transports où elle est trop souvent négligée (dans les analyses comme dans les conceptions et les pratiques des transporteurs). La troisième partie est consacrée à la manière dont les individus intègrent les contraintes du travail et s’en accommodent. Ce chapitre est moins intéressant. Il évoque, mais sans se donner les moyens d’approfondir, les différences entre les diverses catégories de personnels (les techniciens et les chercheurs au sein du laboratoire étudié) et surtout les différences entre les chercheurs américains et les chercheurs européens, les premiers travaillant plus et intégrant plus travail et hors travail. L’auteur note que les conditions de travail aux États-Unis rendent possible pour les chercheurs de travailler 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 ; ce qui n’est pas le cas en Europe ... Le quatrième chapitre traite principalement des contraintes domestiques et de la manière dont elles jouent sur la frontière entre travail et maison. De fait, l’auteur met surtout en évidence l’importance du cycle de vie, et plus particulièrement l’âge des enfants. Ainsi, la frontière entre travail et maison est plus étanche lorsque les enfants sont petits, les parents passant le moins de temps possible au travail. Toutefois, les discussions avec les collègues sur les enfants sont aussi une remise en cause de la l’étanchéité de la séparation travail-maison. Enfin, l’auteur traite aussi de l’impact du cadre physique (l’espace du logement) sur les modalités de séparation et d’intégration de la sphère domestique et de celle du travail. Le cinquième chapitre enfin est une monographie qui permet à l’auteur d’entrer dans un très grand détail d’analyse. En résumé, un livre insatisfaisant par bien des aspects, mais pourtant très stimulant et qui pourrait aider au renouvellement des analyses des mobilités en enrichissant les approches des relations entre la sphère du travail et celle de la maison. Il s’inscrit de fait dans une perspective de renouvellement des approches des déplacements en aidant au passage des problématiques classiques des transports à une problématique de la relation entre les diverses activités sociales, dont le transport et l’un des instruments,, mais aussi l’un des moments. 101 GIBIAN, Peter (ed.) (1997) : « Mass Culture and Everyday Life » (Routledge, 304 p.) Cet ouvrage reprend un certain nombre d’articles publiés au début des années quatre-vingt dans la revue TABLOID - maintenant disparue- et quelques articles plus récents dont certains ont été écrit spécialement pour ce livre. La démarche de ce livre, et plus généralement celle de TABLOID, est très intéressante. Elle s’inscrit à la fois dans une perspective critique par rapport aux idées dominantes dans les années soixante-dix sur la société de masse, soit très optimistes, soit au contraire très critiques. Les auteurs prennent en effet « au sérieux » les nouvelles pratiques de consommation, s’interrogent sur ce qui fait leur succès, sur ce qu’elles véhiculent, révèlent, sur leurs effets aussi, tout en rejetant des approches trop simplistes en termes de « manipulation » et de « pouvoir » issues en particulier de l’école de Francfort, de Foucault (même si leurs références à ces courants de pensées sont très présentes. Georg Simmel, Thorstein Veblen, Walter Benjamin sont souvent cités, de même que Roland Barthes, Jean Baudrillard, Michel de Certeau, Hans Magnus Enzensberger et bien sûr Raymond Williams). La revue TABLOID est aussi très politique. Elle se veut de gauche, mais d’une gauche qui prend en compte les transformations structurelles qui sont intervenues ou se développent dans la société contemporaine. Ce courant de pensée, structurée de façon éphémère autour de cette revue, est aussi très proche évidemment de tout le courant des études culturelles développé notamment autour de ce que l’on a appelé l’école de Birmingham (initiée par les travaux de Richard Hoggart et de Raymond Williams). Les travaux de TABLOID ont donc beaucoup porté sur les pratiques culturelles. Les films et la musique en particulier ont fait l’objet de leurs analyses, la consommation artistique, la radio et la télé, la place des animaux domestiques dans la vie quotidienne (et leur utilisation par les médias), la danse. A noter enfin un article plus volumineux que les autres dans ce livre, écrit par l’ editor Peter Gibian en 1982 sur les centres commerciaux et intitulé « The Art of Being Off-Center. Shopping Center Spaces and the Spectacles of Consumer Culture » (pp. 238- 291). Cet article, même s’il a été révisé pour l’édition de cet ouvrage, date un peu par certaines de ses considérations sur la dernière génération des centres commerciaux. Mais il n’en constitue pas moins une réflexion tout à fait intéressante, dans le droit fil des observations et analyses de Walter Benjamin sur les Passages Parisiens. L’auteur part de l’analyse d’une sculpture de Michael Snow qui trône à l’entrée de l’Eaton Centre, qui est un grand centre commercial de Toronto. Cette sculpture, intitulée « Flight Stop » représente immobile un groupe d’oies sauvages en plein vol. Pour Peter Gibian, cette oeuvre d’art exprime parfaitement l’ère « proto-cinématique » dans laquelle nous sommes entrés et dont les centres commerciaux sont une des expressions les plus achevées actuellement. Ceux-ci sont fondés sur le spectacle du mouvement (de la foule, de l’eau) et sur le mouvement (les escaliers mécaniques, les ascenseurs aux parois vitrées). Peter Gibian resitue cette génération des nouveaux grands centres commerciaux dans une histoire en cinq phases. 102 La première débute dans les années vingt en Californie avec les premiers centres commerciaux fondés sur le stationnement automobile (voir notre autre note de lecture sur les rapports entre commerce et automobiles aux États-Unis et en particulier à Los Angeles) ; -La deuxième étape est celle de ‘invention des centres commerciaux piétonniers, à la fin des années quarante et dans les années cinquante, dans lesquels les voitures sont complètement rangées à l’écart et dans lesquels sont regroupés plusieurs magasins, grands et petits. C’est une étape de centralisation, avec généralement un propriétaire unique du centre. C’est le « turningback », le centre se détournant de la rue et de la voiture, que l’on doit tous deux oublier. -La troisième phase, c’est le « tuurning Inward » : le centre veut se faire ville ou tout au moins village, il se fait aussi marché. Il essaye de créer ou recréer une ambiance urbaine intérieure. Les noms des centres témoignent aux Etats-Unis de cette volonté à faire lieu quasi traditionnel. -La quatrième étape, représente un autre type de changement. Il ne s’agit plus seulement de créer une ambiance favorable aux achats, il faut que se promener dans ces centres deviennent un plaisir en soi. Il ne faut pas oublier, qu’aux États-Unis plus qu’ailleurs, ce sont encore les femmes qui dans les années soixante-dix constituent la clientèle de loin la plus dominante de ces centres, car l’emploi féminin salarié ne s’y est développé que sensiblement plus tard qu’en France et que dans la plupart des pays européens. Le centre n’est plus pensé comme un décor propice aux impulsions d’achats, mais sur le modèle du « carnaval » c’est à dire d’un déguisement ludique du cadre de la consommation. Mais le centre commercial n’est plus seulement inward-turned, mais aussi introverted. Peter Gibian détourne à ce propos la formule de McLuhan en écrivant ; « Les Malls ne sont plus une partie de la communauté, mais la communauté elle-même ». En tous les cas, le centre commercial est conçu comme un « amusement park ». C’est aussi un monde à part : l’air conditionné central y est généralisé et si des ambiances climatiques sont artificiellement créées, elles n’ont rien à voir avec le climat effectif de la région (d’autant qu’il est souvent assez extrême...). -Gibian termine sur une cinquième étape qui est le retour des grands centres commerciaux dans les downtowns, cette fois non plus sur deux étages (précédemment le maximum), mais sur plusieurs étages. En fait, cela correspond bien à une dynamique assez forte aux États-Unis dans les années quatre-vingt de requalification de certaines parties centrales des grandes villes. De fait, cette requalification n’a pris que dans les très grandes villes qui avaient un certain « patrimoine » et une mémoire de centre-ville. Dans les villes moyennes de l’Ouest ou du Middle-West, cette dynamique n’a pas pris. Et ce sont deux autres types de centres commerciaux qui ont vu le jour : les centres étendus avec regroupements multiples (commerce général, commerce alimentaire, cinémas) et système de parkings multiples) et les centres gigantesque, véritables parcs d’attraction (l’exemple le plus significatif est le Mall of America à Minneapolis, qui fait plus de 500.000 mètres carrés). Toutefois, ce qui est intéressant dans l’analyse que Gibian fait de cette dernière phase, est l’importance prise par la dimension touristique, et tout ce que cela entraîne dans la conception architecturale et urbaine de ces centres (en particulier, dans la manière de recréer des ambiances urbaines avec des terrasses de café, le rôle des plantes et de la mise en scène de la nature (d’une sorte de nature...). De fait, et c’est une question que l’on peut se poser à la suite de la lecture de ce texte, la consommation, ou tout au moins les achats, sont-ils encore décisifs dans la conception et le fonctionnement de ces centres. L’enjeu est de faire venir le consommateur. Comme on trouve 103 les mêmes magasins et en gros les mêmes prix avec les mêmes soldeurs et autres outlets, c’est sur d’autres registres qu’il faut jouer. Ce qui peut faire la différence n’est plus la marchandise elle-même, son prix, sa qualité, d’autant que tous ces centres abondent. Ce n’est plus, dans les villes américaines en tous les cas l’accessibilité : tous les centres sont accessibles facilement en voiture en quelques minutes et sont sans problèmes de stationnement (sinon, ils meurent très rapidement). Ce qui fait la différence, c’est tout ce qui n’est pas traditionnellement essentiel au commerce, car l’essentiel traditionnel (l’accessibilité et le rapport qualité-prix) est ce qui est le plus complètement partagé. Dans ce marché de plus en plus parfait, les registres de la concurrence se sont déplacés : la mise ne scène, l’accueil des commerçants, les librairies (Barnes et Noble, Border) où l’on peut lire tranquillement sans acheter etc. 104 WOLFE, Alan (1998) : « One Nation After All. What Middle-Class Americans Really Think About God/Country/Family/Racism/Welfare/Immigration/Homosexuality / The Right / The Left / And Each Other. (Viking Penguin,359 p.) Le titre du livre, très long et très aguicheur, donne déjà une idée du projet et du contenu de cet ouvrage qui a engendré des débats importants dès sa publication. Alan Wolfe est professeur de sociologie à l’université de Boston. Il a publié de nombreux ouvrages et collabore à plusieurs quotidiens américains. J’ai lu avec d’autant plus d’attention ce livre, que les travaux sociologiques nord-américains sur les couches moyennes sont très peu nombreux actuellement, alors que dominent les études sur les femmes (en particulier seules), les gays, les noirs, les hispano-américains, les personnes handicapées, les personnes âgées, les populations des downtowns. De fait, et nous reviendrons ultérieurement sur ce point, la notion de classe moyenne est bien contestable, et la famille « classique » américaine sensée la composer (un couple marié avec deux enfants) ne représente plus qu’une minorité de la population. Partant du constat que la référence à une classe moyenne est un élément très important de la vie américaine et de ses idéologies politiques, notamment dans l’après-guerre, et que de toutes parts on évoque la disparition ou la crise des couches moyennes et de leurs système global de références, Wolfe s’est lancé dans une grande enquête auprès de centaines de ménages habitant des suburbs « moyens » un peu partout en Amérique. Il s’est efforcé de savoir ce qu’il en était de l’état d’esprit, des « mentalités » écrit-il même de ceux que l’on considèrent généralement comme des membres de la classe moyenne. Certes, cette notion de classe moyenne est contestable, note Wolfe, et il est difficile , même si on en accepte le principe, d’en définir les bornes. Mais, par rapport au propos qui est le sien, il suffit selon lui de considérer qu’appartiennent à la classe moyenne ceux qui déclarent y appartenir, soit à peu près de 90 % de la population américaine ! La question théorique étant ainsi « réglée », le principe du livre de Wolfe, très efficace par ailleurs, est de jouer sur deux registres, qui lui permettent de conclure en toutes occasions, d’abord que la classe moyenne existe encore et partage beaucoup de valeurs, ensuite que cette classe moyenne n’est pas aussi réactionnaire que le disent tant les idéologues libéraux que les républicains les plus conservateurs, mais qu’elle est néanmoins critique ou inquiète face à des dérives de la société américaines. Wolfe nous décrit en fait une classe moyenne très moyenne dans ses opinions, loin des extrêmismes, plutôt tolérante, ne souhaitant pas encourager certaines évolutions (des moeurs notamment) mais n’étant pas prête non plus à s’y opposer par tous les moyens. C’est évidemment une vision très optimiste de la société américaine qui nous est proposée là, qui entend démontrer que la Nation américaine reste forte, cohérente et capable de digérer les diverses couches d’immigration comme de traverser les crises. Surtout, Wolfe conteste le « retrait sur leur vie privée » ( middle-class private withdrawal ) des membres de ces couches moyennes, leur égoïsme que l’on considère à tort comme croissant. La gauche, en s’accrochant au Welfare se trompe, car ce qui est en jeu ne serait pas l’aide aux plus pauvres - qui serait admise globalement par les couches moyennes - mais l’entretien d’un 105 groupe permanent de pauvres par un système déresponsabilisant. La droite se tromperait aussi, en croyant que les couches moyennes se désintéressent des pauvres et qu’elles voudraient leur refuser tout concours, car les idéaux traditionnels de l’Amérique moyenne et profonde sont toujours vivants : la responsabilité personnelle, la réciprocité, la générosité. Le projet politique d’Alan Wolfe est donc assez clair et on pourrait le qualifier de conservatisme tolérant. Toutefois, au delà de ses a priori évidents et souvent très encombrants, ce livre n’est pas sans intérêt, et les tableaux qui présentent les résultats de l’enquête sont souvent très intéressants. D’ailleurs, ils assez souvent à l’encontre de la thèse défendue par l’auteur ! La plupart de ces tableaux présentent les réponses à des questions selon que les personnes enquêtées sont fortement d’accord, d’accord, pas d’accord, en total désaccord. Or, il apparaît que le plus souvent les réponses se répartissent très majoritairement sur trois opinions. Par exemple à l’affirmation « l’Amérique est devenue trop athée et a besoin d’un retour à une croyance religieuse plus forte », 15 % approuvent fortement, 35 % approuvent, 30% désapprouvent, et 7% désapprouvent fortement (le reste n’ayant pas d’opinion). La thèse « one nation after all » tient donc mal devant de tels résultats. Mais l’auteur, utilisant fréquemment ce procédé rhétorique, affirme qu’au contraire, il n’y a pas une opinion très tranchée des couches moyennes sur ce point et en profite pour renvoyer les libéraux et la gauche dos à dos. D’autres tableaux permettent des réponses moins tirées par les cheveux. Il apparaît ainsi que le rapport à la religion des américains a changé, et que l’important pour eux est plus que les gens soient croyants et pratiquent une religion, plutôt que de défendre les couleurs d’une religion en particulier. De fait, Wolfe montre que le choix religieux est pratiquement rentré dans le marché : les gens choisissent de plus en plus la religion qui leur convient le mieux (type de croyance, type d’obligations rituelles, type de relations sociales etc.), et de moins en moins la religion qu’ils ont « héritée » de leurs parents. L’auteur accorde une place importante à la critique de la thèse de la « culture war » qui opposerait une Amérique conservatrice et unifiante à une Amérique multiculturelle et diversificatrice. De fait, il apporte des éléments intéressants, qui tendent à montrer qu’il n’y a pas d’un côté un conservatisme conformiste et de l’autre un libéralisme innovateur, mais une diversification des positions de chacun et la disparition des grands blocs idéologiques. Ainsi, telle femme tiendra des propos plutôt modernistes sur le travail féminin salarié, des propos centristes sur la religion, des propos conservateurs sur la « moralité sexuelle ». Tel homme pourra être à la fois très religieux et très en faveur du maintien du welfare. En multipliant les illustrations concrètes à partir d’individus rencontrés au cours de son enquête, Wolfe illustre de façon assez convainquante, la complexité croissante des opinions ( et aussi, mais plus ou moins volontairement cette fois, la difficulté des classifications sociologiques... ). Sa classification des opinions sur la famille mérite toutefois qu’on s’y arrête quelque peu. La thèse de Wolfe est que la famille évolue, pour toutes sortes de raisons, et que les américains ont bien conscience que ces évolutions sont pour la plupart inévitables, qu’ils le déplorent ou l’apprécient. Il « trouve » donc comme opinions sur la famille, 22 % de « traditionnels », 2 % de post-modernes, 19 % de réalistes et 45 % d’ambivalents ! Wolfe s’attache aussi à une question qui a actuellement une très grande importance dans la société américaine, celle du travail féminin salarié. Qu’il soit vécu comme une obligation économique ou comme un choix de vie, il engendre selon Wolfe un sentiment de culpabilité vis à vis des enfants. C’est ce qu’il appelle le « moral squeeze » : ou bien la femme ne travaille pas 106 et les revenus du ménage sont plus faibles, donc les enfants en pâtissent ; ou bien la femme travaille, les revenus du ménage sont plus élevés, mais les enfants sont un peu délaissés. (Comme on le voit, cette sociologie de la classe moyenne est souvent elle-même très moyenne ...) Wolfe traite aussi longuement de la question des suburbs et de l’image égoïste qui se dégagent de leurs habitants. Wolfe montre tout d’abord que pour un grand nombre de personnes qu’il a interrogées, et en particulier pour les blancs (caucasiens), il n’y a pas eu de choix d’habiter dans les suburbs : il n’y avait pas d’autre localisation résidentielle envisageable, et pour les jeunes ménages il s’agissait de la reproduction de leur propre modèle familial. Ensuite, comme beaucoup d’auteurs, il montre que la question de l’école est centrale pour ces couches et que dans le contexte nord-américain, elle exclut pour l’instant tout intérêt de ces couches pour l’inner city. Il souligne aussi le recul des idéologies racistes explicites, mais laisse entrevoir l’ambiguïté des réponses puisqu’une bonne partie de la population (notamment blanche) ne souhaite pas que son quartier soit plus diversifié racialement. L’auteur traite ensuite du patriotisme, qu’il considère non pas en crise, mais arrivé dans une période de maturité et de reconnaissance quasi unanime qu’il n’y pas de meilleur endroit pour vivre que les États-Unis (58 % « strongly agree », 35 % « agree » et seulement 2,5 % ne sont pas d’accord). Une majorité de la classe moyenne pense que les américains sont devenus plus égoïstes qu’autrefois. Enfin, ceux qui considèrent que le travail et le respect des règles permettent de progresser socialement sont à peine plus nombreux que ceux qui pensent le contraire. Pour conclure, un livre engagé à produire de l’optimisme pour une société américaine par ailleurs inquiète de l’écart grandissant entre les « have » et les « have not », entre les suburbs et les downtowns, et une Amérique pas encore convaincue que l’amélioration de la sécurité dans les villes (réelle et due pour l’essentiel à de nouvelles politiques locales) est une tendance forte et durable ; un livre plus polémique que scientifique (on aurait quand même aimé que l’auteur tente un peu d’analyse multi-variée) ; mais un livre intéressant toutefois, par ses résultats comme par certains de ses questionnements. J’ai eu le sentiment après l’avoir lu, non pas que l’Amérique était « une » et centrée autour de sa classe moyenne, mais qu’elle n’était plus diversifiée que jamais et que c’est cette diversité qui faisait peut-être l’unité à la recherche de laquelle était l’auteur. Autre livre, très optimiste sur l’évolution de la société nord-américaine : FARLEY, Reynolds (1996) : « The New American Reality : Who We Are, How We Got, Where We Are Going » (New York, Russel Sage Foundation, 385 p.) Pour cet auteur, tout va très bien aux USA, ou tout au moins tout s’améliore. Contrairement à ce qu’affirment de nombreux journalistes et des universitaires comme Katherine Newman ou William Julius Wilson... Pour appuyer sa thèse, il multiplie les données et l’analyse de tableaux statistiques. 107 LOGAN, John R., SPITZE, Glenna D. (1996) : « Family Ties : Enduring Relations between Parents and Their Grown Children » (Philadelphia, PA, Temple University Press, 265 p.) Un ouvrage très intéressant sur l’évolution de la famille nord américaine dont les liens, loin de s’amoindrir, tendent selon les auteurs a se resserrer et à se maintenir dans la durée. Les aides intergénérationnelles sont de plus en plus fortes et de plus en plus durables ; et au moins jusqu’à l’âge de 75 ans, l’aide apportée par les parents aux enfants est plus importante que la réciproque (sous des formes directes ou monétaires). Les auteurs soulignent aussi que ces aides intergénérationelles sont très peu affectés par les différences de genre comme par les différences de races, ce qui tranche avec la littérature qui domine actuellement aux États-Unis. HENDERSCHOTT, Anne B. (1995) : « Moving for Work : The Sociology of Relocation in the 1990s » (Lanham, MD, University Press of America, 200 p.) Le livre traite de façon détaillée, et à partir de matériaux et enquêtes divers, de la question du déménagement et d’une éventuelle nouvelle localisation résidentielle, lorsque l’employeur propose à son employé un poste dans une autre ville. Cette question, qui autrefois aux États Unis ne posait pas beaucoup de problèmes, prend de plus en plus d’importance avec le développement du travail féminin salarié, l’attachement des habitants à un cadre de vie spécifique, et les exigences de plus en plus fortes et diversifiées de chacun des membres d’une famille, y compris des enfants. Anne Henderschott étudie ainsi les négociations entre salarié et employeur, mais aussi à l’intérieur même de la famille. De façon générale, les femmes sont les plus défavorisées face à cette question : en tant qu’employée, elles sont souvent victimes de discriminations de la part de l’employeur qui sait qu’elles ont une mobilité résidentielle a priori plus faible que les hommes ; en tant qu’épouses, elles sont obligées de suivre leur mari et perdent ainsi fréquemment leur emploi. Mais il semblerait que les choses s’améliorent progressivement pour elles et que leurs points de vue jouent un rôle croissant dans les décisions du couple. THRIFT, Nigel (1996) : « Spatial Formations » (Sage Publications, 367 p.) Il s’agit de la republication en un seul volume de sept texte de Thrift écrit depuis 1983 ainsi que d’un chapitre inédit écrit pour ce livre. L’intérêt de ce livre est de montrer l’importance que Thrift a accordé au lien entre espace et temps et à la nature sociale de ce lien. 108 109 Brève Le débat en ce printemps 1998 à l’université de Berkeley, haut lieu de la contestation des jeunes américains dans les années 1960-1970, porte sur la question de l’abandon par l’université de toute mesure d’ « affirmative action » visant à abaisser les exigences universitaires pour l’admission des étudiants des « minorités ethniques », ceci dans le but de corriger les inégalités sociales qui handicapent ces groupes. Le résultat est que le nombre d’étudiants « indiens-américains » admis est tombé de 69 en 1997 à 27 cette année (sur plus de 8000 étudiants en première année), que le nombre ‘ « afroaméricains » a chuté des deux tiers (191 en 1998) et que les « chicanos » ont diminué de 58 % (434). Ces trois groupes faisaient l’objet de mesures de discrimination positive. Les autorités universitaires affirment que la chute des minorités n’est pas seulement imputable à la nouvelle politique dite de neutralité ethnique, puisque le nombre des « latino » a également diminué de 25 % (166) et celui des « blancs autres que hispaniques » a diminué de 2 % (est passé de 2.725 à 2.674). Le seul groupe en augmentation est celui des « asiatiques » qui a augmenté de deux pour cent et qui conforte sa première position avec 2.998 étudiants. Avec près de 40 % des étudiants ce groupe est donc nettement surreprésenté, même si la population d’origine asiatique croit très fortement en Californie. Mais la population d’origine hispanique augmente aussi et ses effectifs universitaires diminuent. 110 A signaler, en marge de ces approches de la société américaine, l’ouvrage critique et théorique important de SLATER, Don (1996) : « Consumer Culture and Modernity » (Oxford, Blackwell, 230 p.) dans lequel l’auteur montre l’importance de la consommation (voire son antériorité sur la production) dans la généralisation de la société industrielle, et les ambiguïtés des approches en termes de « modernité tardive » comme de « postmodernité », dans lesquelles on n’arrive plus à très bien distinguer entre ce qui est développement ultime de la liberté individuelle et anomie totale. Enfin, s’agissant de la vie quotidienne, on ne peut faire l’impasse sur la multiplication des travaux sur la nourriture. Ceux-ci sont d’ailleurs plus le fait d’anglais que d’américains, et ils s’inscrivent dans une tradition d’études culturelles qui a fait ses preuves depuis une trentaine d’années. Mais ce qui est surtout intéressant, c’est la contribution que ces travaux apportent à des débats plus généraux, qu’il s’agissent de la question de l’élargissement des choix des consommateurs et de la complexité « post-moderne » qui en résulterait, ou du débat sur les rapports entre global et local. Sur la première thématique, on peut citer plus particulièrement : BEARDWORTH, Alan, KEIL, Teresa (1997) : « Sociology on the Menu. An Invitation to the Study of Food and Society » (London, Routledge, 259 p.) et WARDE, Alan (1997) : « Consumption, Food and Taste. Culinary Antinomies and Commodity Culture » (London, Sage, 204 p.) Sur les rapports entre globalisation et local, voir le très intéressant livre de deux géographes anglais : BELL, David, VALENTINE, Gill (1997) : « Consuming Geographies. We are what we eat » (London and New York, Routledge, 236 p.) Voir aussi : KEMMER, Debbie, ANDERSON, A.S., MARSHALL, D.W. (1998) : « Living together and eating together : changes in food choices and eatings habits during the transition from single to married/cohabiting » (The Sociological Review, 1998, 1, pp. 49 - 71) qui souligne que les chercheurs anglais qui travaillent sur les liens sociaux et l’évolution des familles prennent la mesure du rôle des repas et de l’alimentation. 111 2.1. LA VIE QUOTIDIENNE ET LES NOUVELLES TECHNOLOGIES DE COMMUNICATION Brève « Office overload » Selon une étude de Pitney Bowes Inc. faite auprès de 1000 salariés de grandes entreprises, les employés de bureau recevraient et enverraient une moyenne de 190 messages par jour de travail, sous 12 formes différentes. Ceux-ci se répartiraient de la façon suivante : -30 E-mails et 18 Interoffice mail (messagerie interne) -18 lettres postales -11 « Post-it » -4 paquets -3 courriers express -52 appels téléphoniques -22 messages téléphoniques -10 coups de téléphones infructueux ou erronés -15 fax -4 messages sur pager -3 appels sur téléphone cellulaire. En 1997, la même enquête n’avait donné « que » 178 messages. L’étude montre également les difficultés d’organisation croissante du travail, 40 % des personnels étant interrompus six fois ou plus chaque heure, et le stress qui en résulte fréquemment. MITCHELL, William J. (1995) : « City of Bits. Space, Place and the Infobahan » (MIT Press, 225 p.) L’auteur dirige l’école d’architecture du MIT. Il utilise depuis longtemps l’informatique et était à Berkeley lors de la mise ne place des tous premiers réseaux Arpanet en 1969. La démarche de ce livre est de montrer que peu à peu l’espace des télécommunications, sinon remplace l’espace géographique, tout au moins se constitue de façon spécifique et devrait peu à peu modifier les conceptions du cadre bâti et les pratiques qui y prennent place. Il jour, souvent de façon ambiguë sur les métaphores urbaines et spatiales. L’ouvrage est structuré sur une série de « couples » -spatial/antispatial : le Net nie la géométrie ; L’adresse n’est plus localisée géographiquement ; c’est un code ; -corporel/incorporel ; 112 -focalisé / fragmenté ; - synchrone / asynchrone : la ville était autrefois fondé sur la synchronie et sur l’événement. Sur le Net, il n’y a plus de moment unique pour l’événement ; -bande étroite / bande large : la notion d’accessibilité est redéfinie complètement par le Web ; la tyrannie de la largeur de la bande remplace celle de la distance ; l’important c’est le débit de bits possibles ; -contigu / connecté : nouveaux compartimentages et découpages, protections et inaccessibilités ; Nouveaux rapports entre public et privé. Bit city - l’homme vitruvien / le Lawnmower Man ; - système nerveux / bodynet (couplet à la Virilio sur les prothèses , les sensations simulées etc. ; -yeux : télévision : l’écran devient l’instrument du regard ; -oreilles / téléphonie (la première phrase téléphonée par M. Bell : « Mr. Watson , comme here , I want to see you ») ; -muscles / actuatirs -mains /télémanipulations ; -cerveau / intelligence artificielle ; Etre là ; les nouvelles architectures ... -façade / interface -bookstores / bitstores -bibliothèques / serveurs -galeries / Musées virtuels -théatres / infrastructures de loisirs -écoles / campus virtuels -hôpital / télémédecine -prisons / contôle électronique -banques / ATM -magasins / commerce électronique - travail / télétravail - at home / @Home - décomposition / recombinaison Des lieux programmables Soft Cities -immobilier / Cyberspace -ouest sauvage / la frontière électronique -lois humaines / codes condtionnels -face à face / interface -on the spot : on the net -réseaux de rues : www 113 -voisinages / MUDs (Multi-User Dungeons : groupe ayant leur propres règles de relations) -enclosure /encryption (barrières/cryptages) -espace public / accès public -être là / se connecter -habitudes communautaires / normes de réseau (community customs / network norms) Bit Biz -Economics 101 : Economic 0 et 1 -biens tangibles : propriété intellectuelle (facturation non plus à l’information mais à la durée de la connexion) ; nouvelles stratégies économiques de l’infobahn ; rareté n’est plus facteur de valeur ; -déplacements matériels / processing bits -transactions physiques : échanges électroniques -billets de banques : monnaie électronique -juridictions : limites logiques -territoire / topologie -politiques électorales / consultations électroniques (electronic polls) -surveillance : panoptique électronique L’économie politique du cyberspace. Getting to the Good Bits 1956 : the commuter city 1994 : téléprésence Ouvrage où l’on trouve certes tous les poncifs actuels sur les technologies nouvelles, mais quand même assez stimulant , peut-être parce que s’appuyant sur une réelle pratique et longue pratique du Net. 114 Autre ouvrage très optimiste sur l’usage des nouvelles technologies de communications et le développement de nouveaux liens sociaux : RHEINGOLD, Harold (1993) : « The Virtual Community : Homesteading on the Electronic Frontier » (Reading, MA, Addison-Wesley , 325 p.) A l’inverse, grand pessimisme « virilien » pour SLOUKA, Mark (1995) : « War of the Worlds : Cyberspace and the High-Tech Assault on Reality » (New York, Basic Books, 185 p.) 115 ATKINSON, Robert D. (1997) : « The Digital Technology Revolution and the Future of U.S. Cities » (Journal of Urban Technology, vol 4, n° 1, pp. 81 - 98 ) NTIC tendent à favoriser l’étalement urbain, la sous-utilisation des infrastrucutres. Elles participent à de nouveaux critères de localisation des habitats comme des activités, qui tendent à favoriser lexclusion de certains groupes. et plus généralement la ghettoïsation des résidents Mismatch croissant entre la localisation de la nouvelle économie (dans les suburbs et dans les métros postindustrielles) et la force de travail qualifiée dont elles ont besoin, et par ailleurs la croissance de la population peu qualifiée dans les coeurs urbains Technologie de l’information et modèles spatiaux : reprend la thèse classique que la minimisation de la distance est moins importante (en fait, il faudrait dire qu’elle est moins importante pour certaines choses et plus importantes pour d’autres). Il y a selon lui 4 principaux types de « business functions » -front office (customer interaction) autrefois, c’était le champ du marché local. maintenant de plus en plus automatisée ou faites électroniquement, ce qui permet en fait de les centraliser (exemple du télémarketing) de plus en plus souvent aussi accessible depuis la maison passage progressive d’un commerce et de services de proximité avec face à face à des services délocalisés ; perte du voisinage -routine back office (no direct customer interaction) autrefois dans le CBD, maintenant digitalisation et délocalisation -goods production and distribution l’impact des IT sur la logistique et larger distribution facilities tend to be located outside the core of large metros in areas of lower land and labor costs. ex. The Limited, qui est un major de la distribution (apparel retailer) approvisionne ses 3500 magasins des USA à partie d’un seul « massive distribution center, prés de son siège social de Colombus dans l’Ohio. idem pour le rail freight : ex de Burlington Northern’s et de son centre d’opérations à Fort Worth au Texas; -complex back office Il y a de plus en plus de fonctions complexes qui nécessitent du face à face (comptabilité, droit, RD, consulting) donc de plus en plus de mouvements Consolidation ou dispersion ? The impact of new technologies sur les économies rurales, urbaines et suburbaines. Le lien entre les firmes, leurs fournisseurs, leurs clients, leurs concurrents sont demoins en moins spatiaux. (?) Inter-Metropolitan Differences 116 Dans la mesure où les technologies de l’information autorisent plus de liberté dans les localisations, le développement pourrait devenir encore plus inégal. (FA : les inégalités sociales de plus en plus importantes vis à vis des contraintes physiques...) Intra-Metropolitan Differences : Central-City Prospects Après la relative renaissance des central cities aux USA dans les années 1980, on a le sentiment à nouveau qu’elles vont mal. The New Metropolitan-Wide Economy. Parler du centre (core) au 21 ème siècle est devenu dépassé. Le « core » n’est plus que l’une des « edge-cities » à l’intérieur de la métropole. Weakened Central-City and Inner-Suburb Economics. Décentralisation possible pcq transports moins importants, terrains moins cher et besoin d’espace croissant (notamment pour toutes les activités liées à la production et aux transports (cross-docking) Specisalization of Core Economics. Pour les tâches les plus hautement qualifiées ; fonctions de commandement et de contrôle. Intra-Metropolitan Differences : Outer-Suburban and Exurban Prospects la décentralisation des activités routinières, d’une partie des activités non routinières et de l’habitat va continuer. Exurban locations. Conclusion : Building An Urban Technology Initiative. 117 GRAHAM, Stephen, AURIGI Alessandro (1997) : « Virtual Cities, social polarization, and the crisis in urban public space » (Journal of Urban Technology, vol 4, n° 1, pp. 19 - 52) La crise du « urban public realm « la cité de la peur le paradigme du shopping malll érosion du domaine public : le domaine public privé la « thématisation » de l’espace public Les divisions du cyberespace et les nouvelles géographies sociales urbaines énormes inégalités dans l’accès à l’espace public électronique et à aux espaces électroniques privés La désinsertion des élites transnationales Passive consumers markets Off-line Spaces : space-bound, excluded groups La promesse du virtuel : les cités virtuelles comme instruments de revitalisation urbaine La montée de la cité virtuelle la ville (la cité) comme métaphore pour la ville électronique L’évaluation du potentiel des cités virtuelles : vers une typologie Digital city marketing (Bristol on line) La cité virtuelle comme espace public électronique : Amsterdam (De Digitale Stad) et Bologne (Iperbole) : une multitude de services publics. 118 2.3. NOUVELLES ECONOMIE TECHNOLOGIES, 119 TERRITOIRES URBAINS ET La qualité et le coût de la vie dans la Silicon Valley A partir de divers articles dans la presse locale La qualité et le coût de la vie dans la Silicon Valley sont l’objet de préoccupations croissantes de la part des responsables politiques et économiques de la Silicon Valley et plus généralement de l’ensemble de la Bay Area de San Francisco. Le boom économique que connaît la région n’a en effet pas été accompagné par des politiques urbaines à la mesure du développement local. Il en résulte de multiples problèmes liés à la saturation des infrastructures de transport et de nombreux équipements collectifs et à l’insuffisance de la construction neuve au sein des zones déjà urbanisées. La région connaît ainsi une très forte hausse des prix de l’immobilier qui empêche les couches moyennes, disposant pourtant de revenus conséquents, de trouver des logement non pas à côté de leur travail, mais à quelques dizaines de miles. La suburbanisation s’accentue donc considérablement. Dans le même temps, on assiste à des processus de gentrification, en particulier à San Francisco, les professionnels des services de haut niveau travaillant dans le downtown cherchant à se loger à proximité de leur lieu de travail et des grands équipements culturels. L’usage des transports publics et en particulier du R.E.R. (le BART) évolue également : il devient de plus en plus le moyen de transport des couches moyennes suburbanisées mais travaillant dans les services du centre-ville. Celles-ci utilisent leur voiture puis le transport collectif. Le BART, parce qu’il n’a pas été conçu avec une politique d’urbanisme d’accompagnement devient ainsi un élément favorisant la suburbanisation et employé de moins en moins par les populations captives pauvres et théoriquement captives des transports collectifs. La dégradation de la qualité et du coût de la vie commencent à poser des problèmes sérieux aux entreprises, d’autant que par ailleurs le marché du travail est très tendu et qu’elles manquent de main d’oeuvre qualifiée. Non seulement les salaires ont tendance à monter, mais il devient impossible de recruter dans certains domaines professionnels très recherchés. Un certain nombre d’entreprises s’orientent donc vers la création de « satellites » non seulement dans d’autres villes de Californie, mais dans d’autres états. Sun Microsystems vient d’ouvrir un nouveau campus de 1900 salariés dans la banlieue de Bronfield (dans le Colorado, pas loin de Denver) et va en ouvrir un autre de 2000 emplois à Burlington dans le Massachusetts. Dans les deux cas, les régions offrent des conditions de vie plutôt bonnes, un coût de la vie nettement moins élevé et des universités et un marché du travail susceptible d’approvisionner correctement des entreprises de technologies avancées. La Silicon Valley a en effet de plus en plus de mal à attirer ses employés. Ainsi, quelqu’un venant du Texas, ne pourra acheter pour le prix de son ancienne maison qu’une maison beaucoup plus petite et probablement très éloignée de son lieu de travail. Même un salaire sensiblement plus élevé ne pourra compenser les différences. Sun étudie aussi d’autres concepts pour limiter l’éclatement géographique trop important de ses unités, en particulier « l’hotelling » qui consisterait à implanter dans les périphéries de la Bay Area des bureaux bien équipés et bien reliés aux unités centrales. Les employés qui habitent les zones de ces « hôtels » pourraient y travailler une partie de la semaine, et ne se 120 rendre dans les unités centrales que lorsque cela est absolument nécessaire. En fait, les entreprises sont à la recherche des différents compromis possibles entre les possibilités qu’offrent le télétravail et la nécessité du face à face. De fait, la concurrence interurbaine devient très vive. Ainsi, l’état du Minnesota ne se contente plus d’essayer d’attirer des entreprises, mais lance des campagnes directes auprès des travailleurs qualifiés pour qu’ils viennent s’installer dans cet état, proposant des aides diverses pour l’accès à l’emploi et au marché du logement. Le San Jose Mercury News, journal local de la Silicon Valley s’en inquiète, notant que le seul handicap du Minnesota est le climat. Le petit tableau qu’il a établi (ci-dessous) est assez illustratif à la fois de l’importance qu’a pu avoir une certaine image climatique de la Californie (et la problématique du Sun Belt) et des inquiétudes sur la crise de ce facteur d’attraction. Temp. Norm. janvier Temp. Norm. juillet Précipitations annuelles Crimes pour 100.000 hbts Ratio écolier/enseignant Non couverture assurance maladie Habitants par mile carré Revenu par habitant (1996) Pourcentage de pauvreté Californie 42° F 72 ° F 19,7 ‘’ 5,208 24 20,1 Minnesota 3°F 84 ° F. 28,32 ‘’ 4,463 17,8 10,2 191 25.144 $ 16,8 % 55 25.580 $ 9,5 % Autrement dit, si l’on fait abstraction du temps, il n’y aurait que des avantages à venir habiter et travailler dans le Minnesota. Le coût de la vie dans différentes villes en 1998 Pour accéder à un mode de vie identique à celui qu’on les habitants de San José (« capitale » de la Silicon Valley) qui gagnent 100.000 dollars par an, il faut à Austin 65.000 $, 95.000 à Boston, 67.000 à Denver, 60.000 à Jackson, 72.000 à Portland, 72.000 0 Rochester. Réflexions à la suite d’un entretien avec François BAR, professeur au département « communications » de l’université de Stanford (Palo Alto) ([email protected]) -Le découplage de la possession des réseaux et du contrôle de leur usage ; overlay : les configurations virtuelles sont là où se passe le contrôle. -Autrefois, des technologies et réseaux multiples : 121 communication asynchrone synchrone interpersonnelle lettre téléphone de masse journal , disque radio, télé Maintenant, réseau unique. D’où des conflits, en particulier parce que les régulations étatiques étaient différentes selon les media (premier amendement pour les journaux, interdiction d’intervenir sur le contenu pour les compagnies de téléphone, contrôle total sur le contenu pour la télévision). -Passage de technologies spatiales (par circuits) à des technologies temporelles (par paquets) -Les nouvelles formes de segmentation des prix font du temps, la variable décisive. Dans les télécommunications, mais aussi dans les transports aériens, le prix ne dépend plus des quantités et des distances pour les premières, des distances pour les seconds. Ainsi, les compagnies aériennes fixent-elles de plus en plus les prix des vols intérieurs aux États-Unis en fonction seulement de l’heure à laquelle on souhaite voler et du moment où l’on achète son billet. Les compagnies considèrent effectivement que leurs coûts totaux sont largement fixes quelque soient les quantités, et que la variable décisive est le prix que le passager accepte de payer et qui dépend largement de ses possibilités d’utiliser une autre compagnie, d’avancer ou de retarder son voyage etc. Il est probable que cette évolution marquera à l’avenir beaucoup de services et en particulier ceux qui utilisent des réseaux. -Crise des internet-cafés (cf l’article du New York Time), mais mode du coviewing sous deux formes : les jeunes se retrouvent pour regarder ensemble quelque chose a la télévision ou pour faire ensemble quelque chose sur le net ; on regarde la télé chacun de son côté, mais on se parle au téléphone, voire on fait une téléconférence ! Cf le succès récent remporté auprès des jeunes par l’offre promotionnelle de téléconférences gratuites faite par la compagnie Bell. -Rôle des enfants dans la diffusion de l’internet auprès des parents. Ce sont eux qui apprennent aux parents à s’en servir. De façon générale, importance croissante de l’internet pour les relations familiales. -Nouveaux modes d’usage des ordinateurs et d’internet : on transfère sur sa messagerie électronique l’ensemble de ses données, et on peut ainsi les interroger de partout avec n’importe quel ordinateur. Mais l’arrivée des nouvelles puces, qui permettront de stocker l’équivalent des disques durs actuels et des fonctions d’un PC dans une seule carte à mémoire, modifieront encore les pratiques. Celles-ci sont en effet loin d’être stabilisées : les dynamiques centralisatrices alternent avec les évolutions décentralisent ; les parties nomades se sédentarisent tandis que les parties fixes se déplacent ; les périphériques deviennent les unités centrales, le soft et le hard permutent... 122 123 SAXENIAN, Annalee (1994) : « Regional Advantage : Culture and Competition in Silicon Valley and Route 128 » (Harvard University Press, Cambridge, Mass.) L’ouvrage étudie le défaite - relative - de la route 128 à Boston dans sa compétition avec la Silicon Valley dans le champ des nouvelles technologies de l’informatique et de la communication. Elle met en évidence un faisceau de facteurs, qui tiennent aux entreprises, à leur histoire, à leurs marchés, à leurs connexions, au contexte politico-culturel local etc. Mais elle montre surtout que le modèle spatio-fonctionnel des grandes entreprises de la route 128 s’est montré beaucoup moins créatif, performant, que celui de la Silicon Valley, car il était fondé sur de grandes structures fonctionnant de façon assez fermée, au sein de grands bâtiments, alors que celui de la Silicon Valley était très ouvert, fondé sur les rencontres multiples et plus ou moins prévues. Détail tout à fait significatif, dans la Silicon Valley, les cadres prenaient leurs lunchs très souvent à l’extérieur de leur entreprise et avaient des rencontres multiples de partenaires potentiels. La société bostonienne était à tout point de vue plus fermée. Cette différence culturelle ... et architectural s’avère avoir joué un rôle dans une période où les industriels de ce secteur devaient multiplier les changements, et les connexions nouvelles. Cela noté, on peut se demander si la Silicon Valley fonctionne toujours sur ce mode ou si elle n’est pas entrain de se figer un peu à la manière de la Silicon Valley. Puisque Annalee prenait l’exemple des repas, un article récent dans le journal local (Mercurey) rapportait que la qualité des « cantines » devenait un élément significatif dans la concurrence que se livrent les entreprises pour la main d’oeuvre et qu’elles s’orientent de plus en plus vers de la restauration relativement haut-de-gamme. Certes, cela ne concerne peut-être pas prioritairement les personnels les plus qualifiés, mais c’est éventuellement un élément à prendre en compte dans le cycle de vie des entreprises et d’une région. 124 SASSEN, Saskia (1997) : « Electronic Space and Power » Journal of Urban Technology, vol 4, n° 1, pp. 1-17 L’espace électronique ne se développe pas seulement pour transmettre de l’information, mais comme un nouveau théâtre pour l’accumulation du capital et les opérations du capital global. C’est une autre manière de dire que l’espace électronique est « inséré » dans une dynamique plus large d’organisation de la société, particulièrement de l’économie. Nouvelles centralités, nouveaux type de pouvoirs et de partage de pouvoirs, nouvelles segmentations. 125 ZIJDERVELD, Anton C. (1998) : « A Theory of Urbanity. The Economic and Civic Culture of Cities » (Transaction Publishers, 197 p.) La notion d’urbanité telle qu’elle est développée par l’auteur, est pratiquement synonyme de culture urbaine. Elle intègre la notion de culture économique développée par Peter L. Berger et celle d culture civique développée par Almond et Verba. Pour l’auteur, l’enjeu de l’urbanité est plus important que jamais et ce n’est pas une question obsolète, au contraire, à l’ère des technologies nouvelles et des villes sans frontières. Zijderveld se place dans une perspective « late modern » critique tant vis à vis des postmodernes que de ceux qui annoncent la fin des villes. Il évoque la question de « l’américanisation » qui lui semble généralement mal posée et être en fait plutôt une question de « modernisation ». L’ouvrage comprend une longue partie théorique et historique, dans laquelle l’auteur essaie de mettre en évidence ce qu’est l’urbanité et quels en ont été les différentes formes et stades au cours des siècles. En fait, ce qu’il met surtout en évidence, c’est ce que l’on pourrait appeler l’identité d’une ville, ou plus précisément les représentations collectives et communes qui sont attachées à une ville et qui font qu’elle est plus qu’une addition d’éléments vivants et bâtis. Une ville, ce sont aussi « des manières d’agir, de penser et de sentir » formule qu’il reprend de Durkheim. Ce sens identitaire est aussi la base de modi operandi, et c’est en cela que l’urbanité a une efficacité multiples, civique et économique. L’auteur s’interroge longuement sur les rapports entre urbanisation et modernisation. Il souligne que l’un des traits de la modernité, est qu’elle tend à faire disparaître de multiples institutions ou à les vider d’une bonne partie de leurs fonctions (église, université, état, corporation etc.) et de laisser pour ainsi dire la ville seule. Avec les réseaux qui se développe, en particulier liés aux nouvelles technologies de communication, ce sont aussi les médiations indispensables à la ville qui tendant à disparaître, polarisant dramatiquement la société entre privé et public, entre l’individu et la ville. Les habitants des villes sont ainsi face aux mégastructures de la ville et de l’économie, et donc encore plus démunis de moyens de contrôle et d’action. Dans ce contexte de généralisation progressive et de neutralisation, émerge une urbanité abstraite. Cela modernise une tradition antimoderne qui a toujours été aussi anti-urbaine. Le phénomène n’est pas nouveau. Déjà, Francis Bacon, dans un texte de 1625, réutilisait dans cet perspective l’adage romain « Magna Civitas, Magna Solitudo » . L’auteur note toutefois l’émergence chez les planificateurs urbains d’un courant anti-urbains et qui se prétend pourtant progressiste, rationnel, techniciste, et d’une certaine manière néopositiviste. Cela noté, il admet que l’enjeu est bien le risque de villes sans urbanité, de villes qui dégénérerait en simples lieux de consommation. 126 LOUKAITOU-SIDERIS, Anastasia (1997) : Inner-City Commercial Strips : Evolution, Decay Retrofit ? (Town Planning Review, 1997, Vol. 68, N° 1, pp 1 - 29) Les axes commerçants (commercial strips) sont les grandes rues desservant le centre-ville qui se sont développées à la fin du XIXème siècle et dans la première moitié du XX ème. Issues plus ou moins des main streets, les commercial street ont bénéficié du développement des transports collectifs dans un premier temps, puis de l’automobile. Mais depuis l’après guerre, elles connaissent une crise de plus en plus forte. D’un côté, se sont développés des centres commerciaux périphériques ; de l’autre, les politiques publiques se sont efforcées de revitaliser les downtowns, les friches portuaires etc. Mais on s’est très peu intéressé à la requalification de ces anciens corridors, qui gardent pourtant certaines fonctions du point de vue des transports. On a éventuellement traité de leur architecture et de leur esthétique, mais on ne les pas abordé comme des réalités socio-économiques. L’auteur analyse ainsi trois de ces strips à Los Angeles et fait des propositions d’intervention. Ce travail est d’autant plus intéressant que dans plusieurs endroits de Los Angeles, des interventions de ce type ont connu un réel succès. Ainsi, la troisième rue à Santa Monica a été transformée en rue piétonne sur environ un kilomètre. Des aménagements de grande qualité y ont été réalisés, avec un mobilier urbain abondant. Plusieurs lignes d’autobus coupent la rue, tandis qu’à l’une des extrémités, un immense parking sur huit niveaux (lié au centre commercial dessiné par Franck Gherry en 1980) peut accueillir des milliers de visiteurs. Plusieurs complexes de salles de cinémas bordent la rue piétonne (plusieurs salles sont en construction) ; les restaurants et cafés sont nombreux, avec des terrasses très adaptées au climat très doux de Santa Monica ; les magasins, souvent luxueux, disposent d’énormes vitrines. Et de fait, la troisième rue a retrouvé une très grand activité, tous les jours de la semaine et jusqu’à assez tard le soir. Au moment où en Europe, on s’inquiète sur la diffusion du modèle nord-américain, Los Angeles, la Mecque de ce modèle, reconstitue des centre-villes à l ’européenne (à Santa Monica, mais aussi à Hollywood, à Pasadena etc.). 127 2.4. GROUPES ET RAPPORTS SOCIAUX BUTLER, Tim (1997) : « Gentrification and the Middle Classes » (Alderhot, Ashgate, 172p.) L’une des particularités de l’approche de Tim Butler, est qu’à la différence de la plupart des travaux sur cette question de la gentrification , il n’étudie pas seulement la décision des « jeunes professionnels » qui emménagement dans ces quarteirs centraux, mais aussi ce qui se passe après, quels sont ceux qui restent etc. Cette recherche s’est appuyée sur deux cent cinquante entretiens dans le quartier londonien de Hackney. Elle montre le processus complexe qu’est une gentrification et comment se combine l’image d’un lieu et des choix résidentiels fondés sur des facteurs multiples : la recherche d’une maison plus grande parce que dans un quartier dégradé, le souhait d’une localisation centrale à proximité de personnes et d’activités diverses, la « spéculation » sur l’augmentation des prix de l’immobilier dans le quartier. Le grand problème reste celui de l’école. Les arrivants compensent la mauvaise réputation des écoles du quartier, soit en mettant leurs enfants dans des écoles privées, soit en travaillant beaucoup avec eux. Mais beaucoup de ménages arrivent soit sans enfants, soit avec des enfants déjà assez grands pour qu’ils puissent se déplacer seuls et aller dans des écoles en dehors du quartier. MARCUSE, Peter (1997) : « The enclave, the citadel, and the ghetto. What has changed in the Post-Fordist U.S. City » (Urban Affairs Review, Vol. 33, N° 2, November 1997, pp 228 - 264) Le ghetto noir est différent aujourd’hui de ce qu’il était autrefois: c’est un « outcast ghetto » car il regroupe des populations qui sont exclues des grands courants économiques, sociaux et de la vie politique de la cité. Les « enclaves » culturelles et d’immigration de beaucoup de villes diffèrent fondamentalement des ghettos classiques et de son « outcast form » actuelle. Les « citadelles » établies par des groupes à hauts revenus, diffèrent des enclaves. Les distinctions entre ces différentes formes ethniques et sociales de concentration spatiale sont cruciales pour les politiques publiques. (critique la notion d’hyperghetto développée par Wacquant) 128 HOWE, Elizabeth (1994) : « Acting Ethics in City Planning » (Rutgers, State University ofNew Jersey, 395 p) Publications nombreuses sur ce thème. Le livre commence par deux anecdotes de « planners » qui essaient de convaincre leurs décideurs locaux (decision makers) de ne pas construire seulement des maisons individuelles, mais aussi des appartements. Dans les deux cas, les élus s’y opposent, considérant qu’ils ont à satisfaire les intérêts et les demandes de leurs électeurs, ceux-ci ne voulant pas des populations qui habitent dans de l’habitat collectif. L’un des planner essaie pourtant de convaincre « ses » élus et leur explique qu’un peu de variété de population ne nuira pas à la qualité de la vie de la communauté locale, au contraire : il explique ainsi que l’habitat multifamilial est très utile pour loger des personnes âgées, des célibataires et... des gens à revenus faibles. Le second planner, fait le l’action locale, pour convaincre d’abord les résidents qu’ils faut qu’ils acceptent de l’ « affordable housing » dans leur quartier ; de fait, il s’agit dans ce deuxième cas d’une zone en développement rapide et il y a un espoir que les habitants prennent conscience de leur intérêt collectif à loger dans leur communauté des gens plus divers. Ce second planner essaie de former une « coalition » pour porter ce projet d’habitat économique. (Il faut noter l’importance de cette notion de coalition, non seulement dans la sociologie urbaine, mais très concrètement, dans le domaine de l’action collective et de la vie publique locale aux USA). Ce double exemple est en effet très significatif des problèmes «d’éthique » tels que se les posent les urbanistes aux États-Unis actuellement. Cette profession (environ 30.000 personnes, dont beaucoup de civil servants locaux , c’est à dire une sorte de fonctionnaire territorial) est en effet confrontée assez « dramatiquement » à l’exacerbation de la ségrégation sociale dans ce pays actuellement. L’idéologie communautaire, du débat, du consensus, qui était assez fréquente encore récemment (renouvelée avec des références à Habermas notamment) ne peut plus masquer les logiques d’intérêt strictement local qui dominent et que la décentralisation de la période Reagan a largement renforcées. Ce problème ne concerne d’ailleurs pas seulement les planners de gauche (liberal) , mais aussi des conservateurs (républicains) dont les images d’Epinal de la société américaine sans barrières sociales infranchissables ne sont plus crédibles (cf. un article récent dans une revue ultraconservatrice sur les « broken cities ». Aux États-Unis aussi, la thèse de la « fracture sociale » fait des ravages). Le livre lui-même ne traite en fait pas seulement de ces problèmes et de l’éthique, ou tout au moins resitue les interrogations en la matière dans la pratique quotidienne des urbanistes. Il est le fruit d’entretiens avec 96 planners et donne une image assez intéressante, mais probablement un peu biaisée par la méthodologie employée, de ce qu’est l’urbanisme au quotidien aux ÉtatsUnis. Au coeur de cet ouvrage, il y a plus généralement aussi la question du rapport entre les experts et la décision politique. Deux courants peuvent être distingués à ce propos : d’une part, ceux qui pensent que l’expertise doit être indépendante et qu’en quelque sorte, il y a de bonnes réponses « techniques » aux différents problèmes urbains ; d’autre part, ceux qui pensent que 129 l’expert est au service d’un décideur, et que son rôle est de maximiser la satisfaction des intérêts de celui-ci. Les conceptions éthiques sont donc différentes dans les deux cas : dans le premier, l’expert doit défendre son indépendance ; dans le second, il doit privilégier l’honnêteté vis à vis du décideur et la clarté de son positionnement dans le jeu des acteurs. La question de l’éthique se pose probablement aux États-Unis d’une manière assez différente de ce que nous connaissons en France. Le protestantisme, la culture politique nord-américaine, l’individualisme très fort avec ce qu’il comporte d’égoïsme mais aussi de responsabilisation personnelle, le statut des civil servant etc. Donnent à cette question une importance et des spéicificités particulières aux États-Unis. Toutefois, les mêmes causes (la tendance des élus locaux à privilégier les intérêts des habitants déjà présents et le renforcement de leurs pouvoirs) pourrait donner plus d’actualité à cette question dans les années à venir en France. Déjà quelques organisations professionnelles s’y intéressent un peu. Ci-joint en annexe la liste de « principes (ou enjeux) éthiques » utilisés par les planners. Honnêteté conflits d’intérêt corruption faveurs politiques violation de la loi, de règlements, de contrats acceptation de petits cadeaux et de repas Fonctions « justes » Duties of Justice Donner des conseils professionnels indépendants liberté du jugement technique vis à vis des pressions politiques honnêteté (fiabilité, véracité on peut croire : truthfulness) qualité du travail liberté de parole Responsabilité vis à vis du « Public » sens de la justice (fairness) capacité à évoluer (Procedural openess) Sens de la responsabilité (accountability) loyauté discrétion (keeping confidence) ? Le service des intérêts publics équité (equity) la négociation (process) l’environnement naturel le transport le design urbain 130 KIRP, David, L., DWYER, John, P., ROSENTHAL, Larry, A. (1997) : « Our Town. Race, Housing and the Soul of Suburbia » (Rutgers University Press, 267 p.) Ce livre reprend et analyse l’histoire des luttes contre la ségrégation sociale dans les suburbs à partir des événements qui se sont déroulés depuis 1970 à Mount Laurel. Mount Laurel était une communauté de 10.000 habitants dans la banlieue de Camden, une ville du sud du New Jersey, de 120.000 habitants, alors en expansion rapide. L’histoire commence lorsque des habitants noirs veulent construire des logements économiques pour leurs familles. Le maire de Mount Laurel s’y oppose, se servant d’un zonage tel qu’il est impossible de fait d’y réalise des logements économiques. L’argumentation du maire est alors que si des habitants ne sont pas assez riches pour habiter à Mount Laurel (y venir, mais aussi y rester), ils n’ont qu’à aller ailleurs. C’est ce zoning et cette argumentation qui seront attaqués en justice par les habitants appuyés par les autorités de la ville de Camden. Ils obtiendront un jugement favorable de la cour suprême en 1975, qui affirmera l’obligation constitutionnelle pour l’état de procurer des occasions réalistes permettant de construire des logements accessibles à des populations pauvres. Toutefois, les autorités locales continuèrent de s’opposer de façons multiples à la mixité sociale et à la construction de logements sur de petits lots ou de logements collectifs. Ce livre est assez intéressant car il traite en profondeur d’un problème majeur de l’urbanisme nord-américain actuel, et qui n’est pas sans rapport avec les préoccupations qui étaient déjà à l’origine en France de la LOV. Il montre que les mécanismes juridiques sont souvent très insuffisants pour imposer à un groupe social une type de développement local (et social) qu’il rejette. 131 2.5. LA SUBURBANISATION ADAMS, Charles F. et a.a. (1996) : « Flight form blight and metropolitan suburbanization revisited" ( Urban Affairs Review 31 [4], March 1996, pp. 529 - 543 ) L’article rend compte d’une recherche sur les origines des habitants qui ont peuplé les suburbs des États Unis entre 1980 et 1990. Elle met en évidence que la majorité de cette population suburbaine ne vient généralement pas de la ville centre de cette même zone mais d’autres zones urbaines, particulièrement dans le Sud et dans l’Ouest. Les régressions montrent aussi que quand les villes sont « fortes », les habitants du Nord-Est et du Centre Nord ont tendance à migrer vers les suburbs de la ville où ils habitent, tandis que les habitants des autres régions migrent vers les suburbs du Sud et de l’Ouest ; mais quand les villes sont « faibles » les gens ont plutôt tendance à changer de zone urbaine. La conclusion de cette étude insiste sur l’attention qu’il faut porter à l’évolution des villes centres qui sont la clef non seulement de la suburbanisation, mais aussi du développement régional : leur redynamisation permet non seulement de freiner la suburbanisation, mais aussi de maintenir la dynamique métropolitaine locale. BEAUREGARD, Robert A. (1995) ; « Edge cities : peripheralizing the center » ( Urban Geography, 16 - 8 , Nov-dec 1995, pp. 708 - 721 ) Les edge cities ne sont pas une réponse adéquate aux problèmes sociaux et urbains des villes américaines qu’elles ne font que fragiliser encore plus. 132