Cinéma AfriKa 2.0 - Institut Français de Madagascar

Transcription

Cinéma AfriKa 2.0 - Institut Français de Madagascar
Cinéma AfriKa 2.0
Nouvelles formes et nouvelles façons de faire du cinéma
Adaptées aux contextes du continent Africain
et de l’Océan Indien
Livre numérique
1
2
Cinéma AfriKa 2.0
Nouvelles formes et nouvelles façons de faire du cinéma
Adaptées aux contextes du continent Africain
et de l’Océan Indien
11, 12 et 13 novembre à Antananarivo, Madagascar
Ebook édité par l’Institut français de Madagascar
février 2016
Cette oeuvre, création, site ou texte est sous licence Creative Commons Attribution Pas d’Utilisation Commerciale - Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International.
Pour accéder à une copie de cette licence, merci de vous rendre à l’adresse suivante
http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/ ou envoyez un courrier à Creative
Commons, 444 Castro Street, Suite 900, Mountain View, California, 94041, USA.
3
4
Cinéma AfriKa 2.0 c’est aussi :
TWITTER
FACEBOOK
SITE
podcasts
Directeur de publication : Denis Bisson
Rédacteur en chef : Colin Dupré
Assistante de production : Prisca Soanirina
Chargé de communication : Sariaka Rabearivony
Médiation : Mino Ralantomanana, Sariaka Rabearivony, Sarah Jany
5
6
Remerciements
Le comité d’organisation de Cinéma AfriKa 2.0 tient tout particulièrement à remercier les professionnels du cinéma en
Afrique, à Madagascar et du monde entier qui ont bien voulu prendre part à ce projet. La réussite de Cinéma AfriKa 2.0
tient en grande partie à leur implication.
Le comité d’organisation souhaite remercier :
Arnold Antonin (Haïti)
Pierre Barrot (France)
Issa Serge Coelo (Tchad)
Thierno Ibrahima Dia (Sénégal)
Abdoulaye Diallo (Burkina Faso)
Beti Ellerson (Etats-Unis)
Véronique Joo’Aisenberg (France)
Lova Nantenaina (Madagascar)
NirinA (Madagascar)
Serge Noukoué (France)
Cheick Oumar Sissoko (Mali)
Claude Forest (France)
Prisca Soanirina (Madagascar)
Sariaka Rabearivony (Madagascar)
Mino Ralantomanana (Madagascar)
Sarah Jany (Madagascar)
Le comité d’organisation tient également à remercier les institutions partenaires :
7
8
Préface
C
inéma AfriKa 2.0 est né d’un constat simple : L’heure n’est plus à la révolution numérique, vieille de déjà
plus d’une décennie.
Le numérique structure l’ensemble des industries cinématographiques mondiales.
En Afrique, le numérique a permis d’accélérer le processus d’émergence de véritable industrie de l’image.
Cinéma AfriKa 2.0 interroge la réalité de ce phénomène à la fois économique, culturel et esthétique. Axé sur
les retours d’expériences des acteurs de la filière.
Cinéma AfriKa 2.0 s’est décliné en un ensemble de rencontres professionnelles, organisées à Antananarivo les
11, 12 et 13 novembre 2015.
Echanges, tables rondes et visioconférences ont permis d’aborder les questions essentielles posées par
l’avènement et l’extension du numérique : production, réalisation, diffusion.
L’évidence est là : le processus de création et de consommation des images animées est désormais quasi
immédiat, interactif et très largement dématérialisé.
Au cours de débats nourris, analyses, présentations d’initiatives et d’innovation ont été partagées par les
participants. Leurs interventions sont accessibles sur la webradio créée pour l’occasion (podcasts) leurs
contributions écrites le sont sur cet ebook, libres de droit et que nous vous invitons à diffuser largement.
Nos plus sincères remerciements à tous les participants et contributeurs. Nous leur donnons rendez-vous
pour la prochaine édition de Cinéma AfriKa 2.0.
Antananarivo, le 26 février 2016.
Denis BISSON
Colin DUPRÉ
9
10
Table des matières
Préface5
Comment faire 50 filmsavec très peu de moyens
dans un pays du quart monde ?7
Genèse et enjeux de la numérisation de la diffusion des films11
Nollywood : derrière la quantité, de plus en plus de qualité 17
DROIT LIBRE TV : Tremplin des droits humains et de la liberté d’expression 23
Le rôle des télévisions dans l’industrie du cinéma en Afrique26
L’aventure de la production du documentaire ADY GASY29
Le Normandie : Première salle de cinéma numérisée en Afrique35
Écrans d’Afrique au féminin au tournant numérique38
Financer la production audiovisuelle dans les pays francophones du Sud 50
Entretien avec Cheick Oumar Sissoko53
11
12
Comment faire 50 films
avec très peu de moyens
dans un pays du quart
monde ?
Par Arnold Antonin
J
’ai commencé à faire du cinéma sur pellicule
dans les années 70 pendant que j’étais en
exil, en Europe d’abord puis en Amérique
du Sud.
En 1985, je me suis lancé au Venezuela dans un
projet « Simon Bolivar en Haïti » avec un budget
de deux millions de dollars que j’avais toutes les
chances d’obtenir de ce pays du Tiers Monde
avec d’énormes réserves de pétrole.
Mais le 7 février 1986, la dictature de la maison
Duvalier a été renversée et le mois suivant j’avais
coupé les amarres avec le Venezuela .Je me
retrouvais en Haïti, mon pays du Quart Monde.
C’est à partir de là que j’allais connaître vraiment
ce que cela signifie que de produire et de réaliser
dans la pénurie.
Commençons par le dernier bout de la chaîne qui
est l’exhibition et la projection en salle.
En 1986 en Haïti, il n’y avait plus que 4 salles de
cinéma dont une au Cap-Haïtien et 3 à Port-auPrince. Au fil du temps, toutes les salles allaient
fermer leurs portes. La dernière l’a fait un mois
avant le terrible tremblement de terre du 12
janvier 2010.
Pourquoi faire donc des films dans un pays où il
n’y a plus de salles de cinéma ?
Posons la question d’une autre façon. Comment
quelqu’un, qui pense en images et en son, avec
des tas d’histoires à raconter, peut-il faire des
films dans ces conditions ?
Revenons donc à ce qui est le premier maillon de
la chaîne, la pré-production et la production.
Le miracle du numérique
Dans mes pays d’exil, pour réaliser un film il
y avait des laboratoires où révéler et tirer mes
copies. À Rome par exemple, je pouvais compter
sur les laboratoires de « Cinecitta » et à Caracas
sur « Bolivar film ». Mais en Haïti, il aurait fallu
expédier les négatifs à Miami ou à New York ; ce
qu’il fallait complètement écarter.
J’ai commencé donc, tout en menant parallèlement
une lutte politique, à faire humblement des
diaporamas. Sur les droits humains, les droits des
femmes et des enfants et sur les grands problèmes
sociaux comme les problèmes agraires en Haïti.
Les diapositifs ne coûtaient pas cher et les
diaporamas étaient bien accueillis. Mais il
fallait trimbaler un projecteur, des carrousels
et improviser des salles de projection. Cette
technologie devenue obsolète par la suite était
cependant des plus intéressantes quoiqu’utilisant
des images fixes.
Quand j’ai réalisé ma première vidéo, même si
je considérais encore avec un certain dédain
le travail de ceux qu’on appelait encore les
vidéastes, j’ai compris que là était l’outil indiqué
pour travailler avec les images en mouvement
dans un pays aussi démuni.
Nous commençâmes à utiliser chez une maison
de production de la place le U-matic (un des
premiers formats vidéo en cassettes à avoir
été commercialisé, ndlr) que nous avons vite
abandonné pour le SVHS puis le Hi8.
On pouvait se passer du laboratoire cependant
les difficultés étaient encore énormes .Le matériel
(modules de montage en particulier) avait un
coût élevé et le montage linéaire imposait une
certaine rigidité quand il fallait intervenir sur
l’ordre des plans. On perdait en qualité dans
toutes ces générations vidéo par lesquelles on
devait passer pour arriver à la copie finale.
La vraie révolution pour moi allait s’opérer avec
le passage au tout numérique et au montage
sur ordinateur avec le Final Cut Pro. Désormais
le manque de moyens matériels ne pouvait plus
nous arrêter vraiment du côté technique.
Il était évident que ce qu’il fallait c’était plus que
13
jamais ce qui est à l’origine de tout film, une idée
et la volonté de communiquer.
Revenons donc au processus normal de ce qu’est
la réalisation d’un film et commençons par la pré
production et la genèse.
Pré production et genèse
En Haïti, il se passe tellement de choses où
se mélangent couleurs, actions, mimiques,
expression théâtrale, grande et petite comédie,
drames et tragédies qu’il suffirait de placer notre
caméra au coin d’une rue pour avoir un film
emmagasiné en peu de temps. Mais ce matériau,
si riche soit-il, ne suffit pas. Il me faut, et c’est une
nécessité chez nous, faire un cinéma créateur de
sens. Il nous faut partir d’une idée. Et chez moi,
les idées naissent la plupart du temps à partir de
contradictions que je vois dans la société et de
l’énergie créative que j’arrive à déceler chez les
antagonistes ; ces acteurs, potentiels vecteurs de
changement qui pourraient briser la dynamique
de l’entropie.
Une fois l’idée conçue, il faut penser à la développer
de façon à réveiller et à maintenir l’intérêt du
spectateur pour ce que nous racontons. Qu’il
s’agisse de documentaires ou de films de fiction,
Il faut donc une dramaturgie. Or nous savons que
« la dramaturgie est une science exacte dont
personne ne connaît les lois ».
Il faut pour chaque projet de film trouver la
manière la plus convaincante de raconter
notre histoire. Il n’y a pas de recette, même la
classique recette aristotélicienne (introduction,
développement, conclusion) doit se réinventer à
tous les coups. Il faut se garder surtout du danger
que représentent les lieux communs.
Avec une bonne idée et un bon canevas construit
sur une recherche sérieuse, on a de quoi se
lancer dans la production proprement dite.
La production
C’est ici que se présente alors l’inéluctable
question de l’équipe de tournage et des ressources
humaines.
Les rares professionnels sont toujours occupés
et coûtent cher, parfois plus que dans un pays
du Premier monde. C’est pourquoi je travaille
généralement avec une équipe restreinte de
trois personnes disposées à faire des miracles :
un directeur de photo (caméraman), un preneur
de son et moi-même pour les documentaires.
Pour les films de fiction, j’ajoute à l’équipe un
électricien, un régisseur et un chauffeur. Quant
aux acteurs à qui je paie religieusement, je leur
précise toujours au moment de négocier les
contrats que nous n’avons pas de cachet, mais
seulement des pilules à offrir.
Ainsi pour les ressources humaines donc il faut
trouver des gens de passion et prêts à s’investir
dans le travail. Des jeunes en général qui
comprennent que ce métier est une vocation ( la
seule chose plus forte que l’amour disait Gabriel
Garcia Marquez) en dépit du culte du glamour
auquel est associé habituellement le cinéma dans
le monde actuel et l’idée que c’est le chemin de
la gloire et de la richesse.
Quant à l’équipement matériel, il suffit d’une
caméra semi-professionnelle.
Nous travaillons actuellement avec une caméra
Sony AVC-HD, une mixette, un microphone, une
perche, deux spots d’éclairage et un réflecteur.
Nous montons avec un iMac.
Nous estimons qu’avec ce matériel nous pouvons
faire face aux exigences actuelles de notre
production et des histoires que nous avons à
raconter. Convaincu que c’est par le particulier
qu’on atteint l’universel, nous ne prenons en
compte aucun ingrédient ni aucun effet de mode
(esthétique ou technologique) qui aurait la vertu
de nous mettre sur le marché du monde industriel
ou de nous permettre de singer Hollywood.
La production et son financement
D’expérience, j’ai compris que s’il fallait faire des
films en suivant les formatages requis par les
grandes organisations de financement des pays
du Nord, on passerait plus de temps dans les
paperasses qu’à filmer. Ceux qui suivent cette voie
finissent par passer des années avant de produire
et de réaliser un film s’ils ne se découragent pas
en cours de route.
J’ai choisi une tout autre voie et je ne prétends
l’imposer à personne :
faire un film et filmer tout ce que j’aie envie de
filmer selon mon urgence de dire et de faire
voir, avec mes faibles moyens et comptant sur la
solidarité de quelques rares mécènes qui croient
en mon travail par ses résultats et finissent
toujours par s’y embarquer. Mais je ne les attends
pas. Je fonce et après je les sollicite.
Dans mon cas, vu le caractère politiquement
engagé de certains de mes films et l’indépendance
que je veux conserver, je compte très peu sur
le soutien des secteurs officiels. Mais j’ai pu
bénéficier, même s’il s’agit de petites sommes, du
14
soutien de plusieurs institutions privées du milieu
des affaires, des milieux associatifs comme la
Fondation Connaissance et Liberté par exemple,
de la coopération française et récemment de la
Suisse ou des représentations des organisations
internationales, en particulier des Nations Unies.
C’est ainsi que, pendant 40 ans environ, j’ai pu
réaliser plus d’une cinquantaine de films.
Un dernier secret : ayez toujours un fonds pour la
réalisation d’un film de fiction de long métrage. Il
sera le carnet d’épargne où vous pourrez toujours
puiser pour les documentaires et les courts
métrages en cas de panne.
Vous avez un grand rêve et c’est ce grand rêve qui
alimentera au besoin l’accomplissement de tous
vos autres petits rêves.
Je travaille actuellement sur cinq projets de
documentaires et une fiction de long métrage.
Je travaille pour la première fois avec deux
producteurs européens qui se chargent des
laborieuses démarches pendant que je travaille
à mes autres films avec mes dispositifs habituels.
Arriverai-je à réaliser mon dernier projet de
fiction de long métrage ?
Je n’en sais rien. Mais je suis sûr de porter à terme
les documentaires. C’est un besoin personnel
que je vis en même temps comme une nécessité
collective, celle de toute ma communauté et de
mon pays. Ils permettront de sauvegarder une
partie de sa mémoire de mon peuple pour éviter
de répéter les mêmes erreurs.
La diffusion
Pour revenir à la distribution et à la diffusion, je
suis arrivé à créer un partenariat indispensable
avec les chaînes de télévision. Vu l’absence de
salle et les méfaits du piratage sur la production
locale, il a fallu négocier avec les télévisions pour
qu’elles incluent dans leur programmation mes
films.
À deux reprises, 13 chaînes de TV ont diffusé
simultanément deux de mes films. J’ai eu droit
à des « Cycles de ciné Arnold Antonin » qui ont
duré des mois à la Télévision et qui ont été repris
à la demande du public.
Les TV ont toujours cru que diffuser le film d’un
réalisateur haïtien était une espèce de faveur
qu’on lui faisait et que c’est celui-ci en fait qui
devrait payer pour la diffusion.
J’ai pu changer les règles du jeu. On a signé des
accords pour le partage à parts égales de l’argent
des publicités diffusées pendant le passage de
mes films.
Et enfin, grande satisfaction, qui devrait pousser
les jeunes à faire des films c’est que dans nos pays
non seulement le public est avide de ses propres
images, mais on arrive encore, avec des films,
à mener des combats qu’on peut gagner. Je n’y
croyais plus. Mais je cite quelques exemples. Des
opinions recueillies de personnes bien placées
m’ont porté à croire que mon film « Le règne
de l’impunité » de 2014 a contribué à ce qu’un
tribunal émette un verdict établissant que l’exdictateur Jean-Claude Duvalier devait être jugé
pour crimes contre l’Humanité. J’en ai fait un
autre : « La sculpture peut-elle sauver Noailles ? »
sur un village d’artistes. Il a contribué à améliorer
les conditions de vie et l’environnement dans
lequel travaillent ces artistes de métal découpé.
Mon film de fiction « Le président a-t-il le Sida
? » a certainement contribué aux résultats de la
campagne pour le changement de comportement
face à ce fléau en Haïti.
Enfin si on arrive à participer aux festivals et
aux rencontres internationaux tant mieux ! On y
crée des amitiés et des réseaux de solidarité qui
peuvent être de grande utilité dans nos projets.
Des Latino-Américains, Burkinabè, Congolais
m’ont aidé d’une façon ou d’une autre dans mon
travail. Il faut défendre du bec et des ongles les
festivals des pays du Sud malgré les courants
contraires. Grâce au Festival itinérant des films
de la Caraïbe, beaucoup de mes films ont été
projetés dans 21 îles et territoires de la Caraïbe.
Voilà, en vrac et dit en toute hâte, comment j’ai
réussi à faire plus de 50 films et à constituer un
« success story » dans les conditions d’extrême
précarité d’Haïti.
15
16
17
©IOM Haïti
Cérémonie de remise de récompense de la classe de
jeunes cinéastes au Centre Pétion-Bolivar d’Arnold
Antonin, 26 avril 2011, Haïti.
18
Genèse et enjeux de la numérisation de
la diffusion des films
par Claude Forest
I
nvention majeure pour ses contemporains
du XIXème siècle, le cinématographe ne
constitua toutefois que l’aboutissement
d’une longue suite de travaux et de
représentations utilisant des mécanismes
optiques et mécaniques. Le dispositif central
du cinéma évolua peu depuis ses origines -un
écran pour projeter des images animées à des
spectateurs venant s’asseoir dans une salle -,
mais du tournage manuel de la manivelle de la
caméra pour impressionner chimiquement des
photogrammes sur une pellicule, à la diffusion
numérique de pixels, son histoire technologique
est jalonnée de perfectionnements qui ont,
quelquefois profondément (film parlant,
couleur…), mais le plus souvent insensiblement
et par petites touches (CinémaScope, son
stéréo, etc.), modifié les éléments constitutifs
du spectacle.
Le remplacement de l’argentique par le
numérique, généralisé depuis deux décennies
au niveau de la postproduction (montage,
effets spéciaux…) avant de se répandre dans
les tournages, a impacté radicalement à partir
de 2009 la diffusion du film en salles au niveau
mondial. Freiné durant plus de dix ans par la
difficulté de trouver un modèle économique
permettant aux exploitants de réaliser les
investissements nécessaires, il a depuis
bouleversé fondamentalement les métiers de
la filière cinématographique, à commencer
par la distribution et l’exploitation, d’abord en
Occident avant de s’imposer dans le reste du
monde. Sans amélioration sensible pour les
spectateurs, cette technologie contemporaine
s’insère après de nombreuses autres évolutions
antérieures dans une filière qui bascule d’un
commerce physique à une logique de service à
la dématérialisation croissante.
19
Progressivement, l’insertion du numérique
a accoutumé l’œil du spectateur à son insu
tandis que ses pratiques vidéos domestiques
se banalisaient. La disparition de la projection
en 35mm au profit d’une diffusion numérisée a
été imposée, durant une période à la brièveté
historiquement inconnue, à une majorité
des acteurs subissant cette marche forcée
vers un progrès qu’on lui présentait comme
inéluctable, avec des questions toujours non
résolues sur la pérennité de son utilisation sur
une large partie de la planète, comme sur les
nouveaux usages qu’elle va susciter en cabine
comme dans la gestion et la programmation
des films.
Pour rendre cette diffusion numérique
possible, le Digital Cinema Initiatives1 a imposé
ses normes au monde entier, en particulier
au niveau de la transmission (format JPEG
2000) et de la projection, un seuil minimal de
définition de l’image (2K) étant requis, et tous
les paramètres (colorimétrie, cadencement
des images, contraste, etc.) étant normés,
un encodage numérique (digital watermark)
apposé sur toute copie permettant d’identifier
immédiatement le projecteur émetteur en
cas de piratage, obstacle commercial majeur
durant toute la première décennie du XXIàme
siècle. Valorisé par la 3D du film de James
Cameron, Avatar conçu comme un formidable
argument publicitaire et commercial, le
passage au numérique a bouleversé toute la
filière, la distribution et l’exploitation, mais
également les laboratoires (tirages de copies)
qui ont du se reconvertir douloureusement
dans une urgence pas toujours maîtrisée.
Si la numérisation du son s’était lentement
1
Le Digital Cinema Initiatives (DCI) est un groupement créé
en 2002 par sept Majors d’Hollywood (Metro-Goldwyn-Mayer, Paramount Pictures, Sony Pictures Entertainment, The Walt Disney Company, 20th Century Fox, Universal Studios, Warner Bros) afin d’établir
des normes mondiales pour le cinéma numérique.
répandue sans obstacle majeur dans les salles
voici trois décennies et a cohabité depuis lors avec
l’analogique, la pénétration de l’équipement en
projecteurs numériques s’est opérée de manière
exponentielle entre 2009 à 2012, se substituant
totalement à la pellicule en trois ans après une
décennie de tâtonnements. Historiquement
en France, Gaumont fut l’entreprise pionnière
et assura la première projection publique du
cinéma numérique en Europe le 2 février 2000
avec Toy story 2 au Gaumont Aquaboulevard de
Paris. À partir de 2005 en Europe, les groupes
d’exploitants équipent expérimentalement
puis progressivement leurs établissements en
numérique, à commencer par Kinepolis puis CGR.
En France en 2009, des accords de financement
avec un tiers investisseur Ymagis permettent
aux groupes SOREDIC, Cap cinéma et MK2 (≈
240 écrans) de s’équiper entièrement sur deux
ans. EuroPalaces (devenu Les Cinémas Gaumont
Pathé, 690 écrans) équipe la même année
quelques dizaines de ses écrans de manière
autonome financièrement, essentiellement dans
le but de diffuser des films en 3D, puis accélère
le processus l’année suivante après la réaction
de son principal concurrent. En février 2010 en
effet, après avoir perdu des parts de marché
suite à son choix de ne pas s’équiper en 3D pour
la sortie d’Avatar, UGC (428 écrans) annonce son
passage intégral au numérique sur une période
de deux ans.
Un basculement au niveau national s’opère
aussitôt après la décision de l’UGC, les
indépendants se voyant contraints d’accélérer
leur équipement, et à la fin 2011 les deux tiers
des écrans français étaient dotés en projection
numérique, contre moins d’un tiers un an plus
tôt, et 17% fin 2009; les neuf dixièmes le seront à
la fin 2012, la totalité en 2014.
Pour permettre cet équipement coûteux, le
modèle économique mis en place en France
a repris celui importé des États-Unis, une
contribution, les virtual print fee (VPF), étant
reversée aux exploitants par les distributeurs,
seuls bénéficiaires économiques de ce passage
au numérique. Selon des modalités mouvantes
au gré des accords professionnels, le principe
des frais de copies virtuelles consiste à reverser
aux exploitants, durant une période limitée une
partie des économies liées au différentiel de coût
dans le tirage de copies, afin de leur permettre
de financer l’équipement numérique de leurs
salles. Toutefois ces VPF ne s’adressent pas à
toutes les salles mais d’abord à celles dominant
le marché, puisqu’étant proportionnels aux
entrées générées par un film durant les deux
premières semaines suivant sa sortie. Tous les
établissements de continuation, majoritaires en
nombre mais minoritaires en CA, ne peuvent
en profiter que marginalement. Aussi en France
comme en certains autres pays européens2, un
soutien sélectif de l’État a-t-il été mis en place en
2010 en direction de ces salles (le plan CINENUM
de 100 M€ sur trois ans).
Les exemples étrangers, les pressions des
majors, et le basculement brutal de l’UGC puis
l’accélération des autres groupes, ont ainsi
imposé ce format et supprimé tout atermoiement
à la totalité du parc de salles français dès 2013.
Toutefois, la durée de vie de ce matériel fondée
sur la technologie numérique sera plus limitée
que celle du 35mm, les garanties actuelles
des constructeurs comme les accords des
distributeurs ne dépassant pas 8 à 10 ans. Une
grande inconnue se porte alors sur le moment
du renouvellement du parc et sur la capacité
de financement de nombre de salles, alors que
les soutiens publics et les VPF auront disparu.
Le risque d’une escalade technique est présent,
le groupe Kinépolis ayant ainsi annoncé dès
2011 qu’il installait des projecteurs 4K dans
tous ses cinémas (belges, français et espagnols)
et comptait être le premier groupe de cinéma
européen à offrir la meilleure qualité d’image
disponible, d’autres évoquant dès 2012 le 8K3.
Au niveau des métiers, la généralisation de
l’informatique en cabine a modifié les aptitudes
mobilisées et demande de nouvelles compétences.
Son utilisation devient l’outil central de l’opérateur
qui peut ne plus avoir de contact physique avec
le projecteur, mais avec le TMS4, ordinateur
central permettant de programmer et piloter
tous les appareils d’un établissement. Après
avoir perdu le contact physique de la pellicule,
il peut quitter physiquement la cabine, et cette
dernière disparaître comme aux États-Unis dans
plusieurs circuits d’exploitants depuis 2010, et
en France où la première salle de ce type a vu
le jour à Moulins (Cap’cinéma, Allier, 4 écrans)
en octobre 2011. Demeurent la maintenance
et la capacité d’intervention pour résoudre les
différentes pannes qui nécessitent une vigilance
et une rapidité d’exécution accrues, la plupart
des pannes informatiques obéissant à la loi du
tout ou rien (passage ou absence totale du son
2
En Norvège, où le parc est au trois quarts municipalisé, la numérisation totale a été achevée dès fin 2011.
3
2K correspond à une résolution d’image de 2048x1080 pixels, 4K à
une résolution quadruple de la 2K (4096×2160).
4
Acronyme dans le cinéma de Theater Management System (système de gestion des données, clés et paramètres de projection pour le
cinéma numérique).
20
et de l’image).
rayures sur la pellicule mais une projection de
pixels toujours étalée pour les spectateurs, quelle
que soit la date de passage du film. À l’encontre
du fantasme éternellement renouvelé d’une
perfection enfin atteinte qu’apporterait toute «
nouvelle » technologie, les distributeurs de films
et exploitants de salles ont toutefois expérimenté
les inévitables faiblesses de toute innovation
technique, les mêmes qu’avaient déjà subies
d’autres secteurs industriels pour les fichiers
informatiques: nécessité d’une forte ventilation
pour les appareils générant une source de
chaleur élevée ; relative fragilité des disques durs
; exigence des conditions de manipulation et de
conservation (à l’abri des chocs et de la chaleur) ;
non pérennité du DCP (durée de vie de quelques
semaines) ; loi du « tout ou rien » (un seul bit
altéré peut interdire la lecture de tout un fichier)
; risque d’altérations des données sur les fichiers
sources après une moyenne période (5 à 10 ans) ;
incertitude sur les futurs formats et surtout sur le
maintien en service des appareils aptes à les lire
(le problème s’est déjà posé pour la lecture des
bandes magnétiques, des cassettes audio…) ; etc.
Face à ces risques technologiques, de nombreuses
entreprises ont décidé, telle Gaumont en 2011,
pour conserver leur patrimoine, de transférer
tous leurs films tournés en numérique sur
support…35mm, le CNC l’imposant également
deux ans lus tard pour le dépôt légal des films.
Tous les organismes ou sociétés détentrices de
catalogues (Cinémathèque française, Archives
du film, etc.) se posent partout dans le monde
la question du choix du support pour garantir la
pérennité de la conservation des œuvres, comme
des procédures à mettre en œuvre (formats,
espaces, financement des transferts, etc.), la
durée de vie des fichiers numériques étant pour
le moment dix fois plus courte que celle de la
pellicule.
Le passage au numérique a entièrement
modifié de nombreux métiers de la filière, dans
les laboratoires et surtout dans les salles, les
savoir-faire mécaniques disparaissent au profit
de compétences informatiques, puisque pour
chaque salle il n’y a plus de chargement de film
sur l’appareil et que toutes les fonctions des
séances d’une semaine entière sont désormais
informatisées et commandent le projecteur
numérique. La maintenance et la capacité
d’intervention pour résoudre les différentes
pannes, essentiellement d’ordre informatique
(clefs de décryptages non valides, mauvaise
programmation, non reconnaissance provisoire
Pour sécuriser les contenus, les fichiers
numériques des films (DCP) sont inutilisables sans
clef de décryptage, la KDM, dont la création se fait
chaque semaine, pour chaque copie et chaque
établissement sur ordre du distributeur donné
à un prestataire, généralement le laboratoire,
qui l’envoie séparément aux salles par courriel.
Les délais très courts – entre la confirmation de
la diffusion du film le lundi midi et sa première
diffusion le mercredi midi –, l’introduction d’un
interlocuteur supplémentaire différent et non
unifié (les distributeurs collaborent avec de
multiples prestataires) pour générer et envoyer
plusieurs milliers de KDM (Key Delivery Message
– clef de cryptage sans laquelle le fichier est
illisible) chaque semaine, ainsi que la nécessité
pour les salles de réceptionner puis « ingester »
(rentrer en mémoire sur le serveur du projecteur)
correctement cette clef pour chaque film, s’opère
sur des périodes concentrées sur le mardi soir et
le mercredi matin.
La transition au numérique a permis de diminuer
le poids et l’encombrement des copies, et le
principal avantage économique pour les groupes
et la grande exploitation a résidé en la diminution
de la masse salariale par réduction des effectifs,
le travail des opérateurs se trouvant concentré
sur un seul jour, la programmation numérique
des projecteurs permettant de limiter les autres
interventions à la maintenance et à la surveillance.
Aux copies 35mm se sont substitués les disques
durs, et les KDM qui, après accord et ordre donné
par le distributeur, proviennent d’interlocuteurs
différents et posent des problèmes inédits.
L’envoi dématérialisé des contenus (via Internet)
est en croissance mais demeure encore limité, en
raison des temps très longs de transfert (12 à 24
heures pour un film via l’ADSL). La transmission
satellitaire ou par fibre optique s’avère pour
le moment délicate à mettre en œuvre en
raison des nombreuses contraintes afférant
aux réseaux : fort encombrement, tailles des
fichiers, concentration des périodes d’émission
(changement hebdomadaire des programmes),
faible vitesse de débit, nombreuses salles non
équipables (régions isolées, montagnes, etc.).
Présentée comme un saut qualitatif, la
suppression de la pellicule et son remplacement
par des fichiers numérisés généra un argument
sur certaines qualités apparentes du nouveau
support : plus d’usure mécanique, plus de
21
du signal, etc.), nécessitent vigilance et rapidité
d’intervention, alors même que les effectifs,
essentiellement dans la grande exploitation ont
été fortement réduits, et imposent désormais de
la polyvalence (fonctions d’accueil, de comptoir
ou commerciale) durant le temps des projections.
La mise sous dépendance du parc mondial
de salles vis-à-vis d’intérêts d’un groupement
d’entreprises états-uniennes dominant le
marché de l’approvisionnement en films pose
un réel problème économique et stratégique,
induisant une fragilité vis-à-vis d’intérêts qui
pourraient à terme s’avérer changeants et nonconformes à un optimum pour les acteurs des
filières cinématographiques non états-uniennes.
De plus, cette innovation conduit le parc de salles
mondiales à s’équiper au profit d’un fournisseur
de puce électronique en situation de quasimonopole, Texas Instrument5 qui a mis au point en
1987 cette technologie permettant le traitement
numérique de la lumière pour ces projections (dit
DLP – Digital Light Processing). Les exploitants
européens se retrouvent en dépendance
totale vis-à-vis d’un oligopole de constructeurs
de projecteurs numériques spécialisés dans
le cinéma (Christie, NEC et BARCO), comme
d’installateurs en licence exclusive avec ces
constructeurs qui ont rapidement dû revoir leur
métier de base, s’orientant vers une société
de service, notamment par des contrats de
maintenance en hotline devenus obligatoires,
moins gourmant en personnel et raréfiant les
temps de déplacement, la quasi-totalité des
pannes étant d’ordre informatique, et donc
largement solubles à distance par assistance
téléphonique ou télémaintenance.
De l’autonomie relative et de la durabilité
mécanique de leur équipement antérieur –
un projecteur 35mm durait au moins quatre
décennies sans intervention majeure, et les
opérateurs étaient aptes et compétents pour
résoudre toutes les pannes les plus courantes –
l’exploitation cinématographique s’est mise sous
dépendance de standards définis à l’extérieur
de la filière, qui sont par nature non pérennes,
instables, renouvelables au rythme des progrès de
miniaturisation de l’électronique, et soumis aux
aléas des batailles des constructeurs sur de plus
vastes marchés extra-sectoriels. L’obsolescence
accélérée des outils informatiques est connue,
5
Se situant au 4e rang mondial des semi-conducteurs après Intel,
Samsung et Toshiba, il forme un duopole mondial avec Sony pour les
puces équipant les projecteurs numériques de cinéma, mais se trouve en
situation de monopole en France et dans de nombreux pays européens
puisqu’ayant l’exclusivité des licences en puces électroniques des trois
constructeurs de projecteurs équipant le parc, Christie, NEC et BARCO.
mais si le grand public peut s’équiper d’un
ordinateur ou d’un vidéoprojecteur de qualité
pour quelques centaines d’euros, une cabine
numérique en coûte 70.000€ (trois fois plus
qu’en 35mm). Les 165 000 écrans de cinéma
dans le monde (5 480 en France) constituent
un marché étroit sans rapport avec les biens
de consommation grand public qui bénéficient
d’une fabrication de masse et d’un abaissement
des coûts de revient et prix de vente ; cela ne
peut être le cas de ce segment de l’équipement
professionnel qui va rapidement arriver à
maturité sans avoir pu bénéficier d’une baisse de
coûts liée à des économies d’échelle.
Jusqu’à présent aucune des améliorations que la
projection numérique a pu offrir n’a eu d’impact
durable sur le niveau de la fréquentation des
films en salles, pas plus en France qu’aux ÉtatsUnis qui a chuté depuis son introduction perdure,
ait un impact sur le niveau de la demande des
spectateurs, et donc sur l’amortissement des
équipements. Mais tandis qu’une utopie de
l’abondance et de l’accès à tous des titres,
notamment du répertoire, avait pu germer, d’une
part les distributeurs n’ont pas significativement
augmenté le nombre de copies tirées pour les
nouveaux films, continuant à gérer une rareté
relative de l’offre qu’elles maîtrisent, d’autre part
le coût élevé d’une remastérisation en numérique
des œuvres déjà sorties en 35mm limite très
fortement une telle opération pour les titres les
plus anciens, au demeurant de moins en moins
demandés par les spectateurs en salles.
L’engouement initial pour un seul film, au succès
non reproduit depuis, a constitué le prétexte
pour les Majors afin de faire disparaître le
format centenaire de la pellicule, provoquant
des conséquences considérables sur toute la
filière partout dans le monde. La fermeture ou
la reconversion des laboratoires permettant
le tirage des copies en 35mm, essentiellement
situés au Nord, a imposé de facto l’impossibilité
aux autres pays, du Sud essentiellement, de
continuer à diffuser en ce format. Inversement,
la possibilité d’utiliser la diffusion numérique
pour du « hors-film » (retransmissions sportives
ou de concerts, festivals de films amateurs, etc.),
concerne un public pour le moment marginal
mais peut constituer un indéniable élément de
valorisation de l’image de certains établissements.
Par ailleurs le numérique a reproduit la diffusion
d’un cinéma à deux vitesses, avec deux qualités
technologiques très différentes sous le même
vocable. À côté du format 35mm dit « standard
22
», commercial, s’était développé dès l’origine du
cinéma un format « sub-standard », aux visées
souvent non commerciales utilisant le 16mm. De
la même manière aujourd’hui pour le numérique,
à côté d’un format imposé et contrôlé par le
DCI, présentement normé au 2K, et imposé aux
salles commerciales, continue de se développer
un autre format, apparu antécédemment, qui
faute de moyens économiques, de compétences
et savoir-faire technologique, notamment au
niveau de la maintenance, propose une qualité
moindre, non-professionnelle, identique à celle
offerte aux ménages avec des projecteurs de
puissance et luminosité moindres6, adaptés aux
supports domestiques (DVD, Blu-Ray, fichiers
MP4, etc.).
Les coûts d’acquisition et d’entretien, les difficultés
de maintenance qui nécessitent compétence et
savoir-faire immédiatement disponibles, leurs
fragilité d’utilisation et nécessité de maintenir
leur environnement à des températures limitées
(moins de 30°), ou l’incertitude quant à sa
pérennité, sont autant d’obstacles qui ont freiné le
6
La luminosité d’un vidéo projecteur grand public varie entre 200
et 3.000 lumens, cette dernière étant retenue par exemple par le réseau
des CNA (cinéma numérique ambulant) en Afrique de l’Ouest et centrale.
Les projecteurs 2K ou 4k offrent couramment 14.000 à 20.000 lumens, ce
qui leur permet notamment d’éclairer uniformément des écrans de plus
grande largeur.
remplacement du support mécanique 35mm à la
fiabilité pourtant éprouvée. Mais en la disparition
de tirage de copie sous ce format, la totalité
des lieux de projection s’est retrouvée sous la
contrainte d’adopter la projection numérisée des
images, non sans difficulté. L’État français luimême, après l’effort en faveur de son parc de salles
commerciales, peine encore à équiper son réseau
d’Instituts français qui le représente à l’étranger.
Sur les deux centaines de centres présents à
l’étranger, seule une vingtaine d’Instituts avait pu
s’équiper de manière autonome, et un plan de
numérisation de son parc a du être passé avec le
Centre national du cinéma et de l’image animée
en mai 2014, bénéficiant à ce jour à 17 Instituts,
portant fin 2015 à 40 le nombre de lieux équipés
dans le monde, dont 9 en Afrique. Cette faible
proportion donne une idée des difficultés qui se
posent aux autres pays, entreprises et organismes
pour demeurer aux normes fixées par le DCI, le
risque de la généralisation d’un « numérique du
pauvre » pouvant toutefois être contrebalancé
par la souplesse matérielle d’utilisation des
fichiers numérisés, et par les possibilités de
programmation qu’ils offrent.
Il a notamment publié :
Les dernières séances. Cent ans d’exploitation cinématographique, CNRS, 1995.
- Économies contemporaines en Europe, CNRS, 2002.
- L’argent du cinéma, Belin 2001.
- Quel film voir ? Pour une socio économie de la demande, Presses universitaires du Septentrion,
2010.
- L’industrie du cinéma en France. De la pellicule au pixel, La Documentation française, 2013.
-Le Patis. Une salle de cinéma populaire devenue art et essai (1943-1983), Presses universitaires du
Septentrion, 2014.
- Figures des salles obscures (avec Samra Bonvoisin et Hélène Valmary), Nouveau monde éditions,
2015.
Et dirigé les ouvrages :
- Du héros aux super héros. Mutations cinématographiques, Presses Sorbonne nouvelle, coll.
Théorème, vol. 13, 2009.
- L’industrie du cinéma en Afrique, Afrique contemporaine, n°238, 2011.
-La vie des salles de cinéma.
-La vie des salles de cinéma, (Hélène Valmary co-dir.) Presses Sorbonne nouvelle, coll. Théorème, vol.
22, 2014.
23
24
25
DCP BRASIL© Leo LaraUniverso Produção
26
Nollywood : derrière la quantité,
de plus en plus de qualité
Par Pierre BARROT
L
a première chose qu’il faut comprendre à
propos de Nollywood, c’est qu’à l’origine, il
n’y a aucun lien ni positif ni négatif avec le
cinéma nigérian, lequel cinéma n’a existé
que pendant une vingtaine d’années, du début
des années 70 au début des années 90, avant
de disparaître en même temps que les salles,
transformées en lieux de culte ou en entrepôts.
Nollywood n’est pour rien dans la mort du
cinéma au Nigeria et les cinéastes nigérians ne
sont pour rien non plus dans l’apparition de
Nollywood qui a été inventé par des gens de
télévision à une époque où ils ne trouvaient
plus de débouchés pour leurs programmes, ce
qui les a amenés à inventer ce nouveau système
de production et de diffusion en vidéo.
Officiellement, l’histoire est la suivante : il était
une fois un commerçant ibo ayant importé un
gros stock de cassettes VHS. C’était en 1992.
L’homme se dit qu’il gagnerait plus d’argent en
enregistrant un film sur ces supports plutôt qu’en
vendant des cassettes vierges. C’est ainsi que fut
produit le film « Living in bondage » qui connut
un énorme succès avec 200 000 copies vendues.
Voilà le mythe fondateur de Nollywood. Cette
histoire a autant de chances d’être vraie que
celle d’Adam et Eve. Ce qui compte, c’est que
des centaines de professionnels Nigérians y ont
cru, au point de se jeter frénétiquement dans
la production de films et de donner naissance
au phénomène Nollywood – on serait presque
tenté de dire « le monstre » Nollywood.
23 ans après sa naissance en 1992, le monstre en
question a probablement dépassé le seuil des 25
000 films produits, malgré le piratage, malgré la
charia dans les Etats du Nord, malgré la chute du
prix du baril de pétrole et malgré Boko Haram. Le
niveau actuel de la production - 2000 films par
an - correspond vraisemblablement au record
du monde, du moins si l’on fait abstraction des
films pornographiques. Pourquoi mentionner
les films pornographiques ? Parce que, comme
ces films-là, 95 % des productions de Nollywood
sont vite faites, mal faites, et surtout, faites dans
le but de gagner un maximum d’argent avec le
minimum d’investissement. On dit que l’acteur
Rocco Siffredi a joué dans plus de 600 films
pornographiques. Il y a probablement au Nigeria
des comédiens qui ont tourné encore plus que
lui mais sans jamais exhiber leur anatomie car
leur pays, éminemment religieux et puritain, ne
produit aucun film pornographique.
Il n’en reste pas moins que Nollywood, comme
l’industrie du film pornographique produit très
vite, à des prix très bas et beaucoup trop, ce qui
lui vaut une réputation désastreuse. Aucune
industrie cinématographique au monde ne
compte autant de détracteurs. Les ennemis de
Nollywood sont très nombreux, y compris au
Nigeria. Les quelques cinéastes qu’a connus ce
pays y voient généralement une honte nationale.
C’est le cas notamment d’Ola Balogun, dont les
films en 35 mm ont connu un succès international
dans les années 70 et 80. Il n’a pas de mots assez
durs pour dénoncer l’extrême médiocrité des
films nigérians.
Pourtant, Nollywood mérite qu’on s’y intéresse,
pour trois raisons au moins. D’abord parce
qu’il y a là un modèle économique unique
au monde, qui, pendant très longtemps, a
reposé exclusivement sur la diffusion « directvidéo ». Ensuite, parce que ce secteur tire ses
recettes uniquement du marché et ne dépend
d’aucune source de financement extérieure,
contrairement au cinéma d’Afrique francophone,
qui n’existerait pas sans les aides européennes.
Enfin, à cause de l’énorme impact de cette
production vidéo nigériane sur le public.
27
considère que moins d’un tiers de ce chiffre
représente le coût de production des films (hors
dépenses de duplication et de commercialisation),
on aboutit à un coût de production moyen par
film de 50 000 euros. Et on se rend compte que
l’ensemble de la production annuelle du Nigeria
dispose alors d’un budget équivalent à celui d’un
seul film de Hollywood. Autrement dit, en cette
année 2009, un film « nollywoodien » moyen ne
coûtait pas plus que trois à quatre secondes d’un
film américain.
Ce qui était vrai en 2009 ne l’est peut-être
plus aujourd’hui. D’une part, parce que le
développement des salles de cinéma a conduit à
la production, chaque année, de quelques films
à gros budget (Half of a Yellow Sun, October
1st, par exemple). D’autre part, parce que le
développement des ventes sur internet a dopé
le chiffre d’affaires de Nollywood. Mais il reste
très difficile d’avancer des chiffres crédibles. Lors
de la réévaluation du PIB du Nigeria en 2014, il a
été dit que les industries du film et de la musique
représentaient 1,4 % de ce PIB, soit 6 milliards
d’euros. Même si la musique, au Nigeria, a pris
une place très importante et en admettant que
ce secteur aligne un chiffre d’affaires équivalent à
celui de Nollywood, on aboutirait à la conclusion
que l’industrie du film brasse plus d’argent
au Nigeria qu’en France. C’est totalement
impossible, ne serait-ce que parce que le Nigeria
compte seulement une centaine d’écrans, contre
5000 en France.
Nollywood en chiffres
« Il est plus facile d’extraire de l’eau d’un caillou
que d’obtenir des chiffres fiables sur la production
vidéo nigériane », prévient le journaliste Tunde
Oladunjoye. On est tenté de le croire quand on
sait ce que valent les statistiques au Nigeria. On
a connu un recensement de la population où on
s’attendait à 115 millions d’habitants et où on
n’en a trouvé que 79 millions. On a vu un autre
recensement où Kano, qui n’est rien d’autre qu’un
gros village obtenait plus d’habitants que Lagos,
qui est l’une des mégapoles les plus peuplées de
la planète. Tout récemment, en 2014, le PIB du
Nigeria a fait l’objet d’un changement du mode
de calcul et, du jour au lendemain, on a assisté
à une augmentation de 89 %, ce qui a permis au
pays de devenir la première économie d’Afrique
en dépassant l’Afrique du Sud, l’année même où le
prix du baril de pétrole chutait spectaculairement…
Bref, il faut se méfier des chiffres au Nigeria, et a
fortiori quand il s’agit de Nollywood, un secteur
d’activité fondé exclusivement sur la fiction !
Combien de films ?
Malgré cette mise en garde, on dispose tout de
même d’indications relativement crédibles sur le
nombre de films produits au Nigeria, grâce à la
commission de censure fédérale. Le premier filmvidéo nigérian, le fameux « Living in bondage »,
déjà évoqué, a été mis sur le marché en 1992. Trois
ans plus tard, la commission de censure recensait
déjà 177 films sortis dans l’année. La production
a ensuite connu une croissance exponentielle. Le
cap des 1000 films par an a été franchi en 2004.
En 2008, on en était à 1770 films. Depuis, malgré
l’apparition d’une rubrique « statistiques » sur le
site de la commission de censure, laquelle reste
désespérément vide, on est obligé de s’en tenir
à des approximations. Selon Roberts Orya, de
la banque d’import-export Nexim Bank, on est,
depuis cette époque, autour de 2000 films sortis
chaque année1.
Quelle diffusion pour ces films ?
Il est tout aussi difficile de mesurer la diffusion
des films. En 2004, le ministre de l’information
estimait la vente moyenne d’un film à 16 000
copies vidéo. Mais la même année, le producteur
Francis Onwochei, lors d’une intervention au
festival de Berlin, parlait de 50 000 copies. A
cette époque, le plus grand succès jamais observé
sur le marché était celui du film « Osuofia in
London », sorti en 2003 et dont les ventes étaient
estimées à 800 000 exemplaires vidéos par son
producteur, Kingsley Ogoro. Rapporté à une
population nigériane de 130 millions d’habitants
à l’époque, ce chiffre pouvait paraître faible,
d’autant que les ventes en vidéo sur le marché
national représentaient pratiquement la seule
source de revenu des producteurs.
Depuis, on peut dire sans risque de se tromper que
le marché s’est élargi. Des dizaines de chaînes de
télévision diffusent les films nigérians (y compris
Combien ça coûte ?
En 2009, le chiffre d’affaires total de Nollywood
était estimé à 300 millions d’euros2. Si l’on
1
Quotidien nigérian « The Nation » (30 août 2015) : http://thenationonlineng.net/whither-the-200million-entertainment-fund/
2
« L’industrie du rêve au Nigeria », chapitre d’un rapport du Sénat
français, 2009.
28
en français, comme la chaîne Nollywood TV), les
ventes sur internet, principalement auprès de la
diaspora en Europe et en Amérique ont explosé
et le visionnage des films sur YouTube et sur
d’autres plateformes comme Iroko TV génère
d’énormes recettes publicitaires. A ces canaux
de diffusion s’est ajouté récemment Netflix qui,
dit-on, a pu payer jusqu’à 100 000 dollars pour
le film October 1st. Enfin, la relance du cinéma
au Nigeria procure un marché non négligeable à
une petite partie des films, ceux dont la qualité
technique et artistique autorise une projection
sur grand écran. Dès 2010, le film Ijé pouvait
engranger 210 000 euros de recettes, à une
époque où il y avait moins de cinquante écrans
sur tout le pays. Depuis, le nombre d’écrans a
doublé – on en compte une centaine aujourd’hui,
ce qui reste très faible pour un pays qui en avait
plus de 5000 dans les années 80 ! Mais le parc
de salles progresse rapidement. Des dizaines
de nouvelles salles ouvrent chaque année et la
part de marché des films nigérians sur ce réseau
de salles progresse régulièrement. En 2009, les
films nigérians représentaient seulement 7 % des
sorties en salles. En 2011, la proportion avait déjà
atteint 29 %.
de Nollywood a été totalement orienté vers la
vente de supports vidéo (surtout VCD – Video
Compact Discs - et plus rarement VHS ou DVD),
Nollywood ne concevait ses films ni pour le
grand écran ni pour la télévision. Les producteurs
se contentaient donc de standards de qualité
technique très bas (prise de son défaillante,
mixage quasi-inexistant, images chahutées, mal
éclairées, jamais étalonnées).
Les normes « broadcast » des télévisions étaient
ignorées et les exigences propres au cinéma
même pas envisagées. Les défauts techniques
étaient tels qu’il était pratiquement impossible
de montrer des films nigérians, fussent-ils parmi
les plus intéressants, dans des festivals. Quant
aux télévisions qui voulaient diffuser ces films,
elles avaient le plus grand mal à obtenir des «
masters » acceptables (parfois, il n’y avait même
plus de master, la cassette ayant été recyclée
après la sortie vidéo !).
A cette absence de culture de la qualité technique
qui reste présente dans l’ADN de Nollywood,
s’ajoutent, encore aujourd’hui, des contraintes
économiques ou commerciales pesantes. D’un
côté, une concurrence frénétique qui se traduit
par des prix de vente des VCD très bas ; d’un autre
côté, un star-system organisé par les distributeurs
qui fait flamber les cachets des acteurs vedettes.
Pour s’en sortir ou pour maximiser leurs profits,
distributeurs et producteurs imposent des
plannings de tournage démentiels : rarement
plus de dix jours pour un film d’une heure trente
et parfois même moins d’une semaine ! A ces
contraintes, désastreuses en termes de qualité,
s’ajoutent les effets du formatage commercial. On
n’hésite pas à délayer une histoire prometteuse
en la découpant en deux ou trois parties pour
augmenter les gains. Les ingrédients réputés
payants (violence, vociférations, sorcellerie) sont
exploités ad nauseam. Quant aux considérations
esthétiques, elles sont le plus souvent ignorées,
le public étant présumé insensible à tout ce qui
ne concerne pas directement l’histoire et les
personnages.
Combien d’emplois créés ?
Bien que, là encore, il soit difficile d’avoir des
chiffres fiables, on estime que l’« industrie du
film » a créé des centaines de milliers d’emplois
au Nigeria, la plupart de ces emplois se situant
dans le secteur de la distribution (innombrables
colleurs d’affiches, vendeurs de rue et exploitants
de boutiques vidéo). Mais Nollywood a aussi
l’avantage de faire vivre de nombreux techniciens
et des centaines de comédiens, dont certains
sont devenus des têtes d’affiche qui amassent de
petites fortunes (il y a une dizaine d’années, le
record était détenu par Genevieve Nnaji, avec des
cachets allant jusqu’à 17500 euros par film pour
moins de deux semaines de tournage ; ce chiffre
a probablement été dépassé depuis). Les stars
nigérianes déchaînent les foules, dans leur pays
mais aussi à l’extérieur. Enfin, le Nigeria est, en
Afrique subsaharienne, le seul pays (hors Afrique
du sud) où l’on trouve des dizaines de scénaristes
professionnels, certains étant très talentueux.
Nollywood est, pour l’essentiel, sous la
domination des « marketers » (distributeurs)
qui ne s’embarrassent pas de subtilités
techniques ou esthétiques et qui recherchent
essentiellement un profit facile et rapide. Pour
cela on ne recule devant aucun plagiat, aucune
démagogie, aucune extrémité. Malgré une
Un système tiré vers le bas par les lois
du marché
Pendant plus de quinze ans, le modèle économique
29
30
Commission de censure souvent tatillonne en
matière de nudité et de crudité du langage, la
plus extrême violence s’épanouit dans la vidéo
nigériane : meurtres à gogo, suicides à volonté,
banalisation de l’infanticide. Ces outrances sont
la conséquence d’une logique mercantile mais
elles sont également liées au mode de diffusion
: contrairement à un téléspectateur, qui n’a pas
de prise sur les programmes qu’on lui propose,
le consommateur de vidéos est libre de choisir
ses films et il est censé décider à qui il va les
montrer. Pour cette raison, les producteurs de
vidéos nigérianes ont développé une attitude
d’irresponsabilité à l’égard du contenu de leurs
films. Ils n’hésitent pas à montrer les pires
horreurs et si des enfants sont exposés à de telles
histoires, ils s’en lavent les mains, n’hésitant pas
à rejeter la responsabilité sur les parents qui
n’auraient pas dû laisser de tels films sous les
yeux de leur progéniture.
politique ou économique, la production vidéo
nigériane est – en grande partie - le miroir d’une
société en ébullition. Elle peut évidemment être
instrumentalisée (notamment par des églises
– évangéliques en particulier) mais elle ne l’est
jamais que partiellement car Nollywood n’est pas
une entité homogène que l’on pourrait aisément
manoeuvrer ; c’est une myriade de micro-sociétés
incontrôlables dont le fonctionnement semble
anarchique. Il n’existe au Nigeria, aucun grand
studio, aucun producteur hégémonique, rien qui
puisse faire penser – toutes proportions gardées
– aux « Major companies » de Hollywood ou aux
grands studios qui produisent les télénovelas
latino-américaines. Il n’y a au Nigeria que de petits
artisans luttant avec d’autant plus d’énergie que
leur survie n’est jamais assurée.
Le résultat est sans appel : Nollywood envahit
progressivement tous les marchés d’Afrique subsaharienne. Les pays anglophones, à commencer
par le Ghana, ont été les premiers touchés. On a pu
observer ensuite une arrivée massive des VCD et
VHS nigérians sur les marchés des pays d’Afrique
francophone, le plus souvent par piratage. Au
début des années 2000, avant le déclenchement
de la rébellion en Côte d’Ivoire, un vendeur de
cassettes d’Abidjan confiait à un journaliste
nigéria qu’il avait vendu respectivement 8000 et
10 000 exemplaires des films nigérians « Blood
money » et « Iyawo Alhadji », manifestement
piratés. Par la suite, les télévisions privées
d’Afrique francophone ont commencé à diffuser
des films de Nollywood en version originale,
au mieux avec une simple voix off. Depuis, une
étape supplémentaire a été franchie : des pirates
se chargent de doubler les films en français et
leur permettent ainsi de déferler sur toutes
les boutiques et toutes les télévisions encore
indemnes.
Un succès populaire qui impose le
respect
On l’a vu, Nollywood ne manque pas de tares.
Pourtant son expansion non seulement au
Nigeria, mais dans toute l’Afrique noire se poursuit
inexorablement pour une raison simple : ces films
sont plébiscités par le public. C’est donc qu’ils
ont des atouts. Tout d’abord, même mauvais, ils
sont rarement ennuyeux. Nollywood privilégie
systématiquement l’efficacité des scénarios et
a su développer des histoires à forte intensité
dramatique. L’une des raisons est l’exceptionnelle
liberté dont jouit cette « industrie ». Si elle est
soumise à d’énormes contraintes commerciales,
elle échappe cependant à beaucoup d’autres
contraintes qui pèsent sur les programmes de
télévision. Pas besoin pour une production
Nollywood d’aborder de façon « consensuelle »
un sujet « fédérateur » sous prétexte d’audimat
ou d’unité nationale. Pour creuser son trou dans
un marché gigantesque mais pris d’assaut par
des centaines d’opérateurs, il ne faut surtout pas
rassurer comme le font beaucoup de télévisions
africaines, il faut choquer, surprendre, provoquer,
stupéfier. Les scénaristes nigérians y parviennent
d’autant mieux qu’ils échappent aussi à la pression
des annonceurs. Contrairement aux programmes
de télévision, les films-vidéos abordent la plupart
des sujets qui fâchent : corruption, violence,
fanatisme religieux, fléaux sociaux. Au lieu d’être
un outil de propagande projetant du haut vers
le bas les slogans anesthésiants du pouvoir
Quel que soit le dédain que peuvent inspirer la
plupart de ces films, force est de reconnaître que
le public y adhère. Et s’il faut 1500 films jetables
pour faire 50 films honnêtes et cinq chefsd’oeuvres, qui s’en plaindra ? Certainement pas
les centaines de milliers de personnes à qui ce
secteur procure un emploi.
Certes, il ne faut pas attendre d’une production
comme celle de Nollywood ce qu’on attend des
oeuvres cinématographiques. La dimension
artistique est presque toujours absente de la
31
vidéo nigériane. On associe généralement le
cinéma aux notions de culture, de mémoire,
de patrimoine. Les films de Nolllywood, pour
la plupart, n’ont aucune préoccupation de ce
genre. Mais le cinéma lui-même a-t-il joué ce
rôle dans un pays comme le Nigeria ? Force
est de reconnaître que non. Le seul cinéaste
nigérian qui ne soit pas tombé dans l’oubli – Ola
Balogoun – subit le même sort que beaucoup de
ses homologues africains. Il a cessé de tourner
depuis longtemps et il est devenu pratiquement
impossible de voir ses films au Nigeria. Dans le
même temps, certains titres marquants de la «
home video » sont constamment réédités depuis
douze ou quinze ans et constituent un véritable
patrimoine.
Si, pour autant, la vidéo ne remplace pas le
cinéma, l’existence de ce secteur en effervescence
permanente permet aux apprentis-réalisateurs de
l’école de cinéma de Jos de faire leurs premières
armes à moindre coût, avec des techniciens et
des comédiens aguerris. « Nollywood » a aussi
permis à d’authentiques cinéastes comme Tunde
Kelani, Tade Ogidan ou Izu Ojukwu de faire une
carrière en vidéo à une époque où il leur aurait
été impossible d’accéder aux budgets nécessaires
pour tourner en pellicule.
Les leçons de l’expérience nigériane
Après les Ghanéens dès les années 80, les
Nigérians ont démontré qu’il existait un public,
un marché et une rentabilité possible pour des
films « made in Africa ». Les Nigérians ont réussi
à mettre en place un secteur de production qui
a longtemps reposé sur un seul mode de diffusion :
la vidéo. C’est à la fois une performance et un
piège car l’absence de diversification des sources
de financement entraîne la saturation du marché
et oblige à produire avec des budgets dérisoires.
Avec le temps, les films sont devenus un élément
d’identité et de fierté nationale au Nigeria. Ce
pays, discrédité par la gabegie de l’argent du
pétrole, la corruption, la fraude, le banditisme, les
conflits inter-ethniques et l’intégrisme religieux,
réussit pourtant à fasciner dans toute l’Afrique
sub-saharienne et au-delà grâce à sa production
de films. Bien que l’Etat n’y soit pas pour grand
chose, Nollywood est devenu un tel motif d’orgueil
national que les institutions publiques nigérianes
essaient aujourd’hui d’exploiter, de soutenir ou
de défendre ce phénomène. Même les tenants
de la charia, qui s’impose dans le nord du pays,
sont tenus de composer avec les producteurs. En
2008, ils ont dû lever la mesure d’interdiction des
tournages qui avait été prise après la diffusion sur
Internet des ébats d’une star de la vidéo haoussa.
Quelles que soient leurs tares, les films nigérians
ne peuvent plus être traités avec mépris car ce
mépris risquerait de s’appliquer à l’immense
public qu’ils ont su drainer. Au-delà de l’enjeu
social et économique qu’il représente, un secteur
de production comme celui-là a une importance
indéniable en termes de culture populaire. Sur
ce terrain-là, il est bon de méditer une réflexion
de l’écrivain Umberto Eco écrite à propos des
programmes de télévision mais qui pourrait tout
aussi bien s’appliquer aux films nigérians : « La
télévision abrutit les gens cultivés mais elle cultive
les gens qui mènent une vie abrutissante » .
Bibliographie :
- Pierre Barrot, Tunde Oladunjoye et al. « Nollywood, the video phénomenon in Nigeria », James Currey, Oxford ;
Indiana University Press, Bloomington, Heineman, Ibadan, 2008. - Pierre Barrot, Tunde Oladunjoye et al. «Nollywood, le phénomène vidéo au Nigeria », Paris, L’Harmattan, 2005.
- Pieter Hugo, Chris Abani, Stacy Hardy « Nollywood », Prestel Pub, 2009.
- Jonathan Haynes « Political critique in Nigerian Video Films », in African Affairs, vol 105, October 2006.
- Nollywood Boulevard : reportage de Ludovic Carème (photos) et Jean-Christophe Servant (texte), 2005.
On peut consulter également :
- la page Wikipedia Nollywood
- un rapport du Sénat français sur l’ « industrie du rêve au Nigéria ».
Des films à visionner :
- Deux grands classiques : Osuofia in London et Dangerous twins
- Deux documentaires français sur Nollywood :
Nollywood
made
in
Nigeria,
de
Léa
Jamet
(2007),
- Nollywood, le Nigeria fait son cinéma, de Julien Hamelin (2008), production Sunset.
32
production
Seafilms
DROIT LIBRE TV :
Tremplin des droits humains
et de la liberté d’expression
par Abdoulaye Diallo
L
es nouvelles technologies de l’information
et de la communication offrent de grandes
opportunités et aussi de considérables
plateformes d’expression à la jeunesse
africaine. Internet avec le Web 2.0 est devenu
un outil interactif d’information et d’échanges.
Chaque internaute a ainsi la possibilité de
prendre part et de réagir sur le contenu proposé.
C’est dans ce sens que naissent un peu partout
les webtélés, très prisées par la jeunesse en
quête des nouveautés sur le net.
L’association Semfilms qui depuis sa création
œuvre pour la promotion des droits humains
et la liberté d’expression a voulu saisir cette
opportunité qu’offre le web pour atteindre sa
cible privilégiée : la jeunesse. C’est dans ce sens
que la webtélé Droit Libre TV a été mise en ligne
en novembre 2011.
Même en Afrique, l’Internet se vulgarise à grands
pas et ce qui était un outil d’élite il y a quelques
années, devient un media supplémentaire à part
entière à côté des medias traditionnels comme
la télé et la radio.
Loin d’être une chaîne de télé traditionnelle ou
un simple site web, Droit Libre TV est une télé
qui diffuse ses productions uniquement sur le
web. Les téléspectateurs suivent librement les
reportages et autres émissions sur l’écran de
leurs ordinateurs. Axé sur les droits humains et
la liberté d’expression, Droit Libre TV travaille
sur une diversité de thèmes qui ont tous un
lien avec les droits humains : dénoncer des
violations, faire la promotion des droits humains,
de la femme et de la jeune fille, des minorités et
des faibles ; le tout dans un ton direct et libre
d’expression, sans tabous ni parti pris.
Chaîne de jeunes avec un personnel jeune, un
style jeune et axé surtout sur un public jeune,
Droit Libre TV est pilotée à partir du Burkina Faso
mais alimentée avec des images de la sous-région
ouest africaine. A ses débuts, la priorité avait été
donnée à quatre pays à savoir le Sénégal, le Mali,
la Côte- d’Ivoire et le Burkina Faso. Aujourd’hui,
les quatre autres pays francophones d’Afrique de
l’ouest sont couverts et disposent chacun d’un
correspondant permanent. Il s’agit du Bénin, de
la Guinée Conakry, du Niger et du Togo. Droit
Libre TV c’est en fait une télé sans frontières où
tout internaute connecté peut y avoir accès.
Depuis son lancement le 18 novembre 2011,
Droit Libre TV a parcouru le Burkina Faso d’est
à l’ouest et du nord au sud pour réaliser des
reportages sur des sujets touchant presque tous
les domaines de la vie, donner la parole à ceux
ou celles qui n’en ont pas l’occasion, montrer
les œuvres de ces gens qui construisent «leurs
pyramides» dans l’anonymat. Nombre de ces
reportages ont suscité de l’intérêt et permis
des actions salvatrices. C’est le cas du reportage
sur l’école sous paillote du village de Tibou au
nord du pays : ce reportage vu sur notre site
télévisuel a suscité de l’action à travers des
dons en fournitures scolaires et la construction
de trois salles de classe au profit des élèves de
ladite école. Un autre exemple de reportage qui
a eu un écho en action immédiate est celui d’un
étudiant en quête de travail dans la fonction
publique. La publication de ce reportage a
suscité une action qui a permis à l’étudiant de
poursuivre ses études aux Etats- Unis.
A ce jour, Droit Libre TV dispose d’une banque
de plus de 500 vidéos reportages, des citations
de personnalités qui ont contribué à l’effectivité
33
des droits de
l’Homme, des
entretiens,
des clips vidéo
d’artistes
e n g a g é s ,
des
films
documentaires,
des magazines,
etc. Grâce à
une dynamique
équipe de reporters et de monteurs basés au
Burkina Faso et des correspondants à Abidjan,
à Bamako, à Dakar, Conakry, Lomé, Cotonou et
Niamey, Droit Libre TV a réussi en quatre ans
de fonctionnement à conquérir de nombreux
internautes à travers le monde avec en moyenne
100.000 visites par mois. Elle a déjà franchi la
barre des quatre millions de visites ! Pour une
prévision de départ qui était de 50 000 visites par
an, il n’est point un manque de modestie que de
parler de succès éclatant !
Droit Libre TV, ce n’est pas aussi uniquement que
des reportages vidéo sur internet ! Pour nous,
l’avènement d’un monde où les êtres humains
seront libres de parler et de croire, libérés de
la terreur et de la misère, et vivant dans la paix
n’est possible que si les générations actuelles
sont éduquées au respect et à la protection des
droits de l’Homme. Il n’est point de doute que
l’éducation aux droits de l’homme favorise les
valeurs, les croyances et les modes de pensée qui
incitent tous les individus à faire respecter leurs
propres droits et ceux des autres. Elle contribue
de manière essentielle à prévenir à long terme
les atteintes aux droits de l’homme et à réaliser
une société juste dans laquelle tous les droits de
l’homme ont une valeur et sont respectés. C’est
dans ce sens que DLTV a édité en 2012, le premier
coffret DVD d’une série consacrée à la diffusion
des Droits de l’Homme, à leur respect et à leur
protection par la jeunesse des lycées et collèges
du Burkina Faso. Ce coffret comprend dix modules
axés sur dix articles de la Déclaration universelle
des droits de l’Homme. Chaque module comprend
une vidéo suivie d’une discussion avec les élèves
pour leur permettre de poser des questions pour
approfondir la compréhension. Aussi, consciente
du fait qu’une grande majorité des populations
n’ont pas accès à l’internet, encore moins à celui
du haut débit pour lire des vidéos, des coffrets
DVD ont été édités et distribués gratuitement.
Dans les lycées et collèges du Burkina Faso, des
projections des reportages sont organisées au
profit des élèves dans le but de leur éducation
aux droits humains.
Grâce au partenariat avec les télévisions Canal 3
et Burkina Info, presque tous les reportages de
Droit Libre TV sont diffusés sur ces télévisions. Les
vidéos de Droit Libre TV sont aussi reprises par
de nombreux autres sites web à travers l’Afrique.
Sa seule ambition, « Libérer l’Homme et la parole
» ; éduquer les jeunes générations à la défense et
à la promotion des droits humains et de la liberté
d’expression.
Droit Libre TV, la mémoire des combats
En l’espace de quatre ans, la première webtélé
sur les droits humains en Afrique francophone est
devenue une bibliothèque d’images, témoin des
luttes et des combats du peuple burkinabè. Dès
l’entame par exemple des manifestations contre
la modification de la Constitution burkinabè, Droit
Libre TV a filmé de bout en bout. Cet engagement
a conduit à la production d’un film documentaire
intitulé « Une révolution africaine : les dix jours
qui ont fait chuter Blaise Compaoré ». Un film à
valeur de livre d’histoire et de cours d’éducation
aux droits humains, bien apprécié par le public
et réclamé par de nombreux festivals à travers le
monde.
Droit Libre TV est vue par de nombreux acteurs
comme un véritable tremplin aux droits humains.
Travail reconnu et salué, comme ce poème d’un
jeune artiste slammeur burkinabè, à l’occasion
du 3ème anniversaire de la mise en ligne de Droit
Libre TV
« Droit Libre TV
Droits de l’Homme partout
Rêvez- en jusqu’au bout
Orfèvres en la matière
Indignés des dignitaires
Trois années de lutte
Loin est encore le but
Inspirant d’autres médias
Baladez vos caméras
Révélez les faits ignobles
Et que votre métier si noble
Terrasse tous les baillons
Voilant nos expressions.
Si le poète est la bouche des malheurs qui n’ont
point de bouche
Soyez encore et encore la bouche du poète
muselé. »
© Hamidou VALIAN, artiste slammeur.
34
35
©Droit Libre TV
36
Le rôle des télévisions
dans l’industrie du cinéma
en Afrique
(production/diffusion)
Par Serge Noukoué
C
ette thématique sur laquelle je suis
convié à écrire est bien évidemment
intéressante, mais à mon sens elle le
sera davantage d’ici cinq à dix années.
Lorsqu’on observe avec attention les paysages
audiovisuels africains (cela vaut surtout pour
l’Afrique francophone), on se rend compte à quel
point ceux-ci sont en mutation, mais force est
de constater que jusqu’à maintenant la relation
entre cinéma et télévision a été une relation
très déséquilibrée qui n’a pas permis l’éclosion
d’une production audiovisuelle viable.
De manière générale, avec 86400 secondes
par jour, les chaînes de télévision ont un
besoin énorme de contenu afin de pouvoir
remplir leurs grilles de programme. C’est une
évidence et si historiquement on a pu penser
(en Occident notamment) que la télévision et
le cinéma pourraient être concurrents, ça fait
bien longtemps que ce concept a laissé place
à une complémentarité des deux et même
une relation de partenariat. C’est ainsi que les
chaînes de télévision se sont mises à participer
au financement des films avec en contrepartie
la possibilité de diffuser les films à l’antenne.
Cette relation qu’on a parfois qualifiée de
cercle vertueux ou en tout cas de partenariat
«gagnant-gagnant» a été prise par l’autre bout
en Afrique avec les chaînes qui demandaient a
être payées pour passer les films. Si la pratique
a pu être jugée scandaleuse, elle relève en fait
d’une réalité simple: Le pouvoir est du côté du
diffuseur. C’est pour ça que ce système tant
décrié a fonctionné et dans certains endroits
continue de fonctionner encore aujourd’hui.
Toujours dans cette logique, la deuxième
option consistait à réaliser ce que l’on appelle
du bartering. Du troc en fait. Cela permet au
producteur de ne pas sortir d’argent pour
être diffusé, mais la chaîne aussi n’en sort pas
puisque les recettes publicitaires générées par
le programme sont partagées ensuite entre le
diffuseur et le producteur. Là aussi, «gagnantgagnant» d’une certaine manière…
La co-production ainsi que l’acquisition pure
et simple de films de cinéma par les chaînes
de télévision sont restées pendant de longues
années une sorte d’exception en Afrique et
notamment en Afrique francophone. Cela était
dû, en partie, à un manque de vision de la part des
chaînes de télévision (notamment publiques)
dont la programmation était essentiellement
axée sur la politique ou sur le divertissement
en plateau… Le cinéma et la fiction de manière
générale étaient en quelque sorte la cinquième
roue du carrosse. De plus, le manque de moyens
de ces chaînes faisait qu’il était beaucoup plus
facile de se tourner vers des solutions venues
d’ailleurs. Un producteur camerounais me
racontait un jour cette anecdote : “Lors d’une
réunion avec une chaîne locale, j’explique
mon budget de production, c’est alors que le
Directeur de la chaîne s’écrie : “Mais avec cette
somme j’achète une telenovela de plus de 100
épisodes qui me remplie ma grille jusqu’à la fin
de l’année !”
Cet exemple illustre la vision unidimensionnelle
qui prévaut dans bien des cas.
Une chaîne du service public est normalement
soumise à un cahier des charges avec
des responsabilités importantes. Il s’agit
généralement de contribuer à la fondation de
la nation, de mettre en avant le talent local…
37
Autant d’éléments qui auraient pu et dû justifier
qu’il fasse des efforts pour appuyer l’initiative
de son compatriote. Au lieu de cela, il paiera un
contenu qui vient du Brésil, du Mexique, d’Inde
ou d’ailleurs sous prétexte qu’il est moins cher.
Il n’en faut pas plus pour tuer la production
locale. Le problème d’ailleurs va bien au-delà
de ça. Il est sociétal. On se retrouve avec des
populations qui sont habituées à regarder des
images venant d’ailleurs, des images conçues
pour ailleurs. Il en découle donc acculturation,
perte d’identité, perte de repères… C’est donc
la culture et les traditions du pays en question
qui se retrouvent victimes de ce qu’on peut
appeler le “Dumping audiovisuel” pratiqué
par des distributeurs qui ayant déjà réalisé les
profits attendus sur les marches domestiques
et annexes peuvent maintenant se permettre
d’écouler leur marchandise à des prix défiant
toute concurrence. De ce côté, l’audiovisuel
n’est guère différent de l’agriculture ou d’autres
secteurs de l’économie…
Aujourd’hui, on ne peut pas nier la hausse de
l’intérêt pour le contenu local. C’est ainsi que
nous sommes en train d’assister à une minirévolution qui permet de rabattre les cartes
dans le secteur. Le Nigeria a fait partie des pays
précurseurs dans ce domaine avec la naissance
de l’industrie qu’on appelle aujourd’hui
Nollywood et qui a tout simplement permis au
contenu local de résister au contenu importé et
même de s’imposer. Aujourd’hui on ne compte
plus les chaînes de télévision sur lesquelles il
est possible de regarder des films Nollywood,
certaines chaînes sont même entièrement
dédiées à cette industrie. Ce phénomène a
commencé au milieu des années 2000 avec
le lancement des chaînes Africa Magic par le
groupe sud-africain Multichoice.
Aujourd’hui, l’Afrique francophone est en pleine
mutation, beaucoup de nouveaux acteurs sont
arrivés, on pense par exemple à la chaîne A+
qui entend jouer en Afrique francophone le rôle
que joue en Afrique anglophone Africa Magic,
mais aussi des chaînes plus traditionnelles qui
ont modernisé leurs modes de fonctionnement
et élevé leur ambition, une chaîne comme la
RTI en est le parfait exemple. Le retard se
comble petit à petit avec l’Afrique anglophone,
la structuration de l’industrie prend forme, de
plus en plus de producteurs, de réalisateurs,
d’auteurs bénéficient de formations de qualité.
Tout ceci contribue à une effervescence positive
dans la production TV et cinéma et les chaînes
commencent à jouer leur rôle en appuyant les
projets.
Peut-on parler pour autant d’âge d’or de la
production en Afrique ? Peut-être pas encore,
car les moyens continuent de manquer
cruellement et la bonne volonté des diffuseurs
ou des bailleurs ne suffit pas pour le moment
à permettre aux producteurs de travailler dans
le confort. Dans quelques années cependant,
il n’est pas impossible que ces problèmes
structurels soient enfin réglés une fois pour
toutes. En attendant, les producteurs devront
continuer de rivaliser d’imagination pour
boucler leurs budgets, mais cette difficulté de
financement est loin d’être uniquement une
réalité africaine…
Globalement, il y a un écart important entre
la politique des chaînes d’Afrique anglophone
et celles d’Afrique francophone. Les premières
sont plus professionnelles, plus habituées
au fonctionnement international du marché
des acquisitions, du pré-achat et de la coproduction. L’arrivée d’un événement comme
le DISCOP (il s’agit d’un marché de l’audiovisuel
où producteurs, vendeurs et acheteurs de
contenus se rencontrent) en Afrique en 2009
a permis, entre autres, une véritable élévation
du professionnalisme du secteur.
38
39
De gauche à droite :
Andry Rakotoarivony, Lova Nantenaina, Colin Dupré, Luck Razanajaona
©Institut français de Madagascar
40
L’aventure de la production du
documentaire ADY GASY
par Lova Nantenaina
On peut penser qu’à l’heure du numérique
le documentaire, devient un genre
cinématographique à la portée de tous, et
des Africains et Malgaches en particulier. On
a tant d’histoires vraies à raconter et notre
spontanéité devant la caméra est un véritable
atout.
Il est bien loin le temps où Jean Rouch devait
changer sa bobine de film et enregistrer le son
séparément en rêvant d’une petite caméra
comme on en trouve maintenant assez
facilement.
Pourtant, le cinéma documentaire ne se
développe pas si bien que ça en Afrique et
est encore assez marginal dans les grands
festivals… produire un film qui soit susceptible
de trouver sa place sur la scène internationale
reste un défi. Sans une ténacité et certains
atouts, c’est impossible comme je vais
essayer de le faire entrevoir à travers une
petite narration de l’aventure, pour le moins
éprouvante, de la production de mon premier
long-métrage documentaire, Ady Gasy.
• Au commencement, une phrase, une idée,
un désir de film…
J’ai commencé à travailler sur mon film qui
s’intitule Ady Gasy, en 2010, quand un autre
film que j’ai prévu de tourner sur les enfants
est tombé à l’eau pour cause de faillite de la
production française qui a porté le projet en
2008. Il fallait donc rebondir mais je ne savais
pas quel sujet traiter et surtout comment le
traiter de façon originale. En arrivant au pays,
sans un projet écrit, je me suis alors rappelé
une citation de Serge Latouche qui disait :
« qu’il y a peut-être, de la part de ceux que
nous avons situés au plus bas dans l’échelle
du mépris, quelque chose à entendre ». J’ai
voulu porter sur Tana le même regard que lui
sur Dakar, et au lieu de voir en permanence la
réalité socio-économique du pays comme une
catastrophe, j’ai choisi d’en révéler ses forces.
Je considère que ses faiblesses sont déjà
largement documentées par les économistes
internationaux et ceux qui débarquent et
filment nos réalités.
Au commencement, il y avait donc cette phrase
comme déclencheur de mon envie de film : «
s’il y a une grosse crise mondiale, les Africains
et les Malgaches s’en sortiront un peu mieux
que les autres car ils ont acquis une expérience
formidable dans la galère qu’ils ont enduré
depuis des lustres ».
• Une première écriture succincte, un premier
titre : « L’après-monde »
2010 - Je suis parti à Tana pour presque deux
mois avec une caméra Z1 et une handycam,
toutes les deux faisaient du HDV. J’ai d’abord
été attiré par un docu-fiction pour construire
mon histoire. Il était question de demander
aux gens que je filmais, d’imaginer qu’un
jour il y aurait une grosse crise mondiale
et qu’ils deviendraient alors les spécialistes
41
qu’on consulte pour avoir leur expertise. Leur
longue expérience de la débrouille bien avant
l’avènement de cette terrible crise serait valorisée
car les anciens pays développés se retrouveraient
totalement démunis face à cette nouvelle situation
à laquelle ils n’étaient pas préparés.
J’ai casté un orateur pour faire le lien entre tous
les portraits des gens qui recyclent et qui ont des
idées novatrices pour conjurer les difficultés en
situation de crise. Malheureusement, je n’étais
pas convaincu de la prestation de l’orateur, dû à
mon choix de le filmer de façon frontale. Quant
aux familles filmées sur le terrain, celles que
j’ai sélectionnées pour incarner les solutions du
futur, elles n’arrivaient pas à se projeter et avaient
du mal à se dire qu’ils pourraient devenir des
exemples de réussites et des modèles pour les «
vazaha » (« toubab » à Madagascar). J’étais donc
dans une impasse même si j’ai tourné pendant
mon repérage.
• « L’Heure du Zébu », un projet de docu-fiction
qui ne verra jamais le jour
2011 – Pour contourner l’obstacle, j’ai voulu
caster un autre orateur et nous avons imaginé
une fête et un nouveau scénario pour éviter que
l’orateur s’exprime de manière trop statique face
à la caméra.
Il s’agissait d’une fête villageoise en 2047 : un village
isolé célèbre une journée de commémorative de la
vraie indépendance Malagasy. Un ministre rentre
chez lui pour cette célébration et il est accueilli
par les villageois qui organisent une fête en son
honneur.
Comme l’histoire se situe dans le futur, il fallait
habiller tout le village mais pas avec des friperies
de l’Occident, je voulais qu’ils s’habillent de façon
simple et « traditionnelle ».
En autoproduction, on a cousu et habillé tout un
village avec des tissus en soie. C’était horriblement
cher mais heureusement, des amis m’ont prêté
aussi des tissus en soi pour l’occasion afin d’amortir
un peu les dépenses. Un ministre de la sagesse
traditionnelle débarque donc dans son village et
il est accueilli par son meilleur ami qui n’est autre
que le chef du village. Il y a une cérémonie. Des
palabres s’enchaînent pour expliquer aux jeunes
qui est ce ministre et surtout pourquoi les adultes
de 2047 ont choisi la « sobriété heureuse » dans
leur mode de vie. Les allocutions se focalisent
donc sur ce sujet et évoquent tous les problèmes
environnementaux des villes, voraces en énergie,
le gaspillage et l’égoïsme érigé comme valeur
dans ces milieux urbains jusqu’à la grande crise
qui a fait réfléchir les adultes.
Il a fallu retrouver les valeurs anciennes malgaches
d’humanisme et de sobriété des anciens et ceci
coïncidait avec les valeurs occidentales en vogue à
l’époque du développement durable, de solidarité
internationale et du respect de la nature.
Quand les orateurs de cette fête parlent du
temps ancien, le film ouvre sur des portraits
documentaires de nos jours afin d’expliquer ce
choix des adultes. J’ai tourné pour ces séquences
là un nationaliste malgache de 1947 pour
expliquer pourquoi ils ont pris les armes et lutté
contre la colonisation. En contre-point, j’ai filmé
un jeune qui s’entraîne pour partir en France et
devenir légionnaire mais aussi une fille qui est
partie au Liban pour devenir femme de ménage.
Et j’avais déjà beaucoup de portraits de familles
qui recyclent les déchets de la ville tournés en
2010. Le fil rouge de toutes ces séquences c’était
le discours des orateurs de 2047 qui expliquait le
désarroi des jeunes des années 2010 en perte de
repères et en manque d’espoir pour avancer dans
la vie, ces jeunes qui allaient jusqu’à oublier les
luttes anciennes des grands parents pour arracher
l’indépendance.
Le titre provisoire de l’époque était « L’heure du
Zébu » ou à l’heure malagasy parce dans l’ancien
temps nos ancêtres avaient comme repère
temporel les activités journalières liés aux tâches
quotidiennes. Exemple : à l’heure où l’on sort le
zébu.
Malheureusement, la partie fiction tournée dans
un village à la campagne n’était pas satisfaisante :
par manque d’expérience, comme bon nombre de
réalisateurs malgaches, nous avions sous-estimé
l’importance du son et la nécessité de bonnes
bonnettes anti-vent. Comme j’étais le seul dans
l’équipe qui avait fait une école de cinéma, ce fût
difficile de faire les choses dans les règles de l’art.
Un des orateurs principaux du film jouait de façon
trop théâtrale et ne maîtrisait pas son texte. Et les
nombreuses prises ont eu raison de la fraicheur
des villageois qui ont bien voulu jouer dans le film
en tant que figurants.
42
• Un premier work-in-progress, une nouvelle
écriture : « Avec presque rien »
Fin 2011 - De retour en France, j’ai essayé d’écrire
ce film « L’heure du zébu » et un dossier de
production pour chercher des financements dans
le cadre d’une association, créée précédemment
en Midi-Pyrénées. J’ai obtenu une aide au
développement de la Région mais les autres
demandes d’aide n’ont pas marché. J’ai alors
envisagé 2 films différents et j’ai décidé de voir si
je ne pouvais pas monter un film avec les images
que j’avais ramenées en 2010, et nait ainsi un
work-in-progress de 52 min que j’ai appelé
« Avec presque rien », une parole d’un de mes
personnages du réel.
Avril 2012 - C’est avec ce travail que je suis arrivé à
la résidence d’écriture de Tamatave dans le cadre
du programme DOC OI pour écrire ce film avec
Sophie Salbot comme tutrice, une productrice
française expérimentée. Cette résidence était
organisée par Ardèche Images / Doc Monde, la
coopération décentralisée de Rhône-Alpes et la
région de Tamatave.
J’ai pu mettre à plat l’histoire de tous ces gens qui
trouvent des solutions novatrices dans la galère.
L’idée d’organiser une résidence d’artiste comme
fil rouge a été consolidée lors de cette phase de
réécriture. Ce fil rouge remplaçait plus ou moins
celui de la fête villageoise de 2047 dont j’ai dû
faire le deuil.
• Après l’écriture, le temps de la recherche de
financements puis du tournage
Mai / Sept. 2012 – Eva LOVA-BELY, qui terminait sa
formation en production, a finalisé le dossier et
déposé de nouvelles demandes de financement
à la Région Midi-Pyrénées, au CNC et à Brouillon
d’un rêve, une bourse à l’écriture que les auteurs
de films documentaires peuvent solliciter même
s’ils sont étrangers. Cette bourse à l’écriture, c’est
l’aide qu’on a obtenu en premier et qui a permis
de lancer le tournage.
Nov. 2012 – Pour le tournage, j’ai invité une
oratrice et ses deux frères dont j’ai entendu
parler sur No Comment (un magazine culturel)
et Jao qui avait travaillé avec moi sur la musique
du film depuis 2010. Jao est le leader du groupe
Piarakandro, un groupe du Sud. On s’est rendu
à Antsirabe puisque Vahömbey, un homme de
culture à Madagascar, a accepté d’accueillir les
résidents du film dans le cadre de son association,
Bezoro Ingénierie Culturelle. On a tourné une
semaine de résidence d’artiste sur le thème du
film avec Bemaso comme 2° cadreur et Fifaliana
Nantenaina et Mamy Rakotonirina comme
preneurs de son. On avait alors un Canon 7D et
un Canon 5D et une prise de son séparée sans
mixette mais avec deux perches et des micros
unidirectionnels.
• Projet d’un long-métrage donc nouvelle
recherche de financements
2013 – De retour à Tana, j’ai monté un long extrait
de la fin du film pour postuler à une demande
d’aide à la post-production à la fondation IDFA
Bertha Fund.
La fondation n’a soutenu que 16 films sur 300
reçus de tous les pays en développement de par
le monde dont le nôtre... Imaginez le courage
que cela nous a donné pour continuer l’aventure.
J’ai monté moi-même le film avec l’appui d’Alain
Rakotoarisoa comme assistant-monteur. Je
vous passe les détails techniques des galères du
montage en numérique avec 2 formats différents
(HDV et HD) et avec un son à resynchroniser
comme dans l’ancien temps.
• Se confronter au niveau international sans se
décourager
On est arrivé à un nouveau work-in-progress
d’environ 90 minutes mais le film ne tenait
pas encore vraiment et on nous a conseillé
d’embaucher une monteuse professionnelle. On a
compris la nécessité de replonger dans le montage
lors de la séance de projection professionnelle à
la Mostra dans le cadre du Workshop « Final Cut
in Venice ». Comme le projet de film a obtenu
des prix pour améliorer la post-production, on
s’est dit qu’il ne fallait pas utiliser ces prix sur un
montage qu’on nous disait « non abouti ». Entre
Avril et Septembre 2013, on avait montré notre
travail à de nombreux professionnels qui nous
avaient fait part de leurs remarques. Quand on
vit à Madagascar et qu’on fait un film avec une
petite équipe locale, être prêt à entendre les
retours constructifs de professionnels extérieurs
est douloureux mais indispensable.
• Comme pour une maison, ce sont les finitions
les plus difficiles
On a donc retenu l’idée de l’embauche d’une
monteuse mais on n’avait pas les moyens de
se payer ce service. On a lancé une campagne
de financement participatif sur la plateforme
Touscoprod.com Un mois de travail en
communication fût nécessaire pour atteindre
43
l’objectif de 2000 Euros afin de
pouvoir payer 8 jours de montage.
On nous a conseillé une monteuse
qui a de la bouteille. Il n’était pas
envisageable d’embaucher une
monteuse malgache d’autant
plus que le système de points avec
le CNC français oblige souvent à
faire travailler des Français.
Nous avons décidé de faire
une coproduction avec Laterit
Productions pour les finitions
d’Ady Gasy, car ils sont reconnus
par le CNC comme producteur et
distributeur de longs-métrages.
Endemika Films a obtenu une
dernière aide de la coopération
Suisse Vision Sud-Est et on a pu boucler tant bien
que mal les dernières dépenses de la finition
du film, et notamment la réalisation d’un soustitrage français et anglais qui respecte les normes
internationales.
• La distribution :
Mars 2014- On a fait la première mondiale au
festival de Fribourg
qui
proposait
un
programme
«
Fenêtre
sur
Madagascar
»,
Ady Gasy y était
vivement sollicité
par le directeur du
festival.
Après cela le film
a fait son chemin mais les évènements les plus
marquants sont :
- une sélection aux trois plus grands festivals
de documentaires sur 3 continents : Hot Docs à
Toronto, IDFA à Amsterdam et DMZ doc en Corée
du Sud.
- Des prix : Le prix Fenét Océan Indien au FIFAI
de La Réunion, le prix Eden du Documentaire du
festival Lumières d’Afrique à Besançon et d’autres
prix dans des festivals africains.
©Endemika Films
publiques dans le cadre associatif dont celles
de l’Alliance Française d’Antananarivo à la fin du
mois de novembre 2015.
• L’Etat Malgache
A chaque fois que je présente le film à l’étranger, je
suis vu et perçu comme un réalisateur malgache
même si le film est une coproduction malgachofrançaise. Pourtant
au pays quand j’ai
sollicité un appui
dès le début de la
production de ce
film, on m’a rétorqué
qu’il n’y a pas de
fonds alloués pour
le cinéma. La plupart
du temps, certains
responsables étatiques raisonnent de cette
manière : « si on ne demande pas de taxes et si
on ne met pas en place une politique coercitive,
c’est déjà un appui qui mérite reconnaissance ».
Le non déploiement du pouvoir de nuisance aux
initiatives est donc considéré ici déjà comme une
forme d’aide. Pourtant, il y a des mesures à prendre
qui favoriseraient le climat d’investissement des
boites de productions locales comme :
- assainir les pratiques des télévisions qui piratent
au vu et au su de tous
- Favoriser le sous-titrage des programmes qui ne
sont pas en langue malgache.
- Détaxer les nouvelles boites de production qui
investissent dans le cinéma
- Favoriser les tournages internationaux en
imposant l’embauche de vrais professionnels et
non des agents de l’Etat
- Mettre en place un accord bilatéral avec le CNC
français pour favoriser les coproductions franco-
«Pourtant au pays, quand j’ai
sollicité un appui dès le début de
la production de ce film, on m’a
rétorqué qu’il n’y a pas de fonds
alloués pour le cinéma»
2015 – Le 08 Avril Sortie Nationale en France
et avant-première à Madagascar. A ce jour, Ady
Gasy enregistre 10 000 entrées en salles en
France grâce au travail de notre distributeur et
co-producteur Laterit Productions et l’appui
de plusieurs associations cinéphiles et de la
diaspora malgache. Dans notre cas, la distribution
est passée aussi par le réseau de militants. A
Madagascar, il y eût des projections privées et
44
malgaches
• Créer une assurance pour le matériel de
tournage des boites de productions…
personnelle, soit un producteur international. Et
ne parlons même pas de la difficulté de vivre de
ce métier, pour la plupart, la recherche de petits
contrats ne laisse pas le temps de se consacrer
à ce long processus de création que demande le
cinéma.
Enfin, le fait de ne pas avoir de fonds d’aide au
cinéma nous rend totalement dépendant des
financements extérieurs. J’ai l’impression que
trouver sa place à l’international, même à l’ère du
numérique, relève du miracle pour ceux qui n’ont
pas la possibilité, soit d’avoir la double nationalité,
soit de vivre à l’extérieur, soit d’avoir une richesse
45
46
©Endemika Films
Le Normandie
Première salle de cinéma
numérisée en Afrique
Entretien avec Issa Serge Coelo
1. Issa Serge Coelo, vous êtes cinéaste tchadien, également producteur, qu’est-ce qui
vous a amené vers l’exploitation de salle de cinéma ?
J’ai toujours aimé l’ensemble de la chaine professionnelle du cinéma : technique, artistique
et production. L’exploitation et la distribution a toujours été un peu nébuleux. C’est suite à
l’appel du ministre de la culture de l’époque que j’ai accepté de plonger dans cet univers passionnant au passage.
2. Avec l’apparition des nouvelles plateformes et du numérique, les pratiques de
consommation cinématographiques ont changé. Qu’en est-il dans votre pays ?
Le Tchad et sa jeunesse ont été privés de salle de cinéma durant 30 années. Une génération
entière consomme les films à la télévision, en dvd ou en téléchargement. Le Normandie a
ré-ouvert ses portes depuis 4 années et nous ressentons la lenteur du retour vers la salle de
cinéma à cause de ces réalités. Je ne m’en plains pas trop car il faut du temps pour ça et pour
moi la salle de cinéma a de l’avenir. Avec la 3D, les jeunes savent qu’ils ne peuvent trouver de
copie en ville, alors ils viennent chez nous.
3.Selon vous, quelle est la place d’une salle de cinéma aujourd’hui au Tchad ? Peut-on
extrapoler votre réponse à la plupart des pays du continent ?
Sa place est essentielle et disons le « normale ». Nous avons milité pour qu’une capitale
comme N’Djamena puisse avoir une salle et nous l’avons obtenue. Il est évident que notre
exemple est en train de faire des émules : Abidjan, Dakar, Bamako sont en numérique et les
salles sont aux normes actuelles.
47
4. La diffusion en salle est-elle toujours un besoin vital pour le cinéma ?
Bien sûr car le film de cinéma est d’abord un produit pour le grand écran avant d’être orienté vers
les écrans autres, mais je crois qu’à l’avenir, les séries à succès devraient aussi passer par nous avant
leur diffusion en télé. Le grand écran doit aussi se repositionner sur la consommation d’images des
nouvelles générations. Je sais que les lois au USA et en Europe interdisent aux films de télé d’être
diffusés en salle mais cela est à mon avis obsolète.
5. Le fait d’être avant tout cinéaste
vous a-t-il influencé dans votre manière
d’envisager le métier d’exploitant ?
Oui bien entendu j’ai un carnet d’adresse
important dû à mon travail en réalisation et
production. Je reste toujours un réalisateur
dans l’âme mais j’apprends beaucoup dans
cette branche de notre profession car le
rapport au public est permanent. On milite
encore plus pour le cinéma car de vivre
avec une salle décuple le plaisir et exalte les
méninges.
6. Aujourd’hui, être exploitant de salle de cinéma au Tchad qu’est-ce que cela signifie concrètement
d’un point de vue économique ? Peut-on faire vivre une salle de cinéma uniquement avec une
programmation de films ?
Être exploitant d’une salle comme le Normandie requiert toute votre énergie. On travaille beaucoup
pour la maintenir en vie car chez nous la publicité ou le sponsoring sont rares. Nous sommes obligés
de développer des stratégies avec les scolaires, des projections privées, des ciné-clubs, des festivals
et autres. Sans cela nous n’arriverions pas ne serait ce qu’à payer les royalties aux distributeurs. Nous
sommes dans une phase d’investissement dans du matériel de spectacle car la salle s’y prête et nous
avons démarré avec des one man show, des concerts et sans doute un peu de théâtre.
7. Quelle est la programmation type dans votre salle (origine des films, support des films,
manifestations autres que projections cinéma) ?
Notre programmation est uniquement hollywoodienne, des studios américains. Nous diffusons, de
temps en temps, des films tchadiens, africains, arabes et européens lors des festivals. On les projette
en DCP ou en Blu-Ray sur un projecteur 2K.
8. Quels sont vos publics types ? Pour quels genres de programmes ?
Notre public était au départ composé d’hommes célibataires, puis de jeunes cadres, puis de couples
et parfois de famille. Ils sont pour la plupart jeunes (-25 ans) pour les films mais plus adultes pour les
spectacles. Nous avons une projection pour les enfants le samedi matin.
9. D’un point de vue technique, quel est l’apport du numérique dans votre travail ?
Je n’ai pas connu l’exploitation en 35mm donc je ne peux vraiment en parler. Mais le numérique a
beaucoup de facettes qui simplifient le travail : nous pourrions par exemple nous passer de l’envoi
des DCP par DHL : si la connexion internet au Tchad était excellente, nous pourrions directement
télécharger le film sur le serveur du Studio comme le fait déjà Magic Cinéma à Bamako. Nous nous
exposons beaucoup sur FaceBook aussi pour la promo et notre page est la plus suivie au Tchad.
(cinéma le Normandie Tchad).
10. Continuez-vous à projeter des films en 35 mm ?
Non plus du tout. Le projecteur est sous sa cape et on le nettoie de temps en temps au cas où.
11. Quel est le rôle de l’Etat, au Tchad, en matière de développement du cinéma ?
L’Etat a investi pour la rénovation et l’équipement de la salle. Il nous a octroyé une subvention de
démarrage mais depuis 4 années nous n’avons plus aucune aide. Il est question d’autres projets
48
(une école de cinéma, un fond de production) qui ont obtenu le feu vert du pouvoir et nous sommes
positifs sur l’avenir.
12. Votre salle est un cas assez unique en Afrique il me semble. Certains pays ré-ouvrent des
salles actuellement, mais la tendance est plutôt à l’absence totale de salle de cinéma. C’est le
cas pour le moment à Madagascar par exemple. Comment voyez-vous l’avenir de la diffusion
cinématographique en Afrique ?
Regardez les dépêches de Jeune Afrique : Bolloré en personne va ouvrir une salle à Dakar. A Abidjan
lors d’une rencontre, Pathé-Gaumont prospectent actuellement pour ouvrir des multiplexes dans les
grandes capitales. Je pense que les hommes d’affaires malgaches devraient faire une joint-venture
avec l’état et les banques pour ouvrir des salles. Je suis très optimiste quant au retour de la salle de
cinéma en Afrique.
49
50
Écrans d’Afrique au féminin
au tournant numérique
par Beti Ellerson
Résumé
L’avènement des médias sociaux et des technologies numériques proclame une nouvelle
ère dans la production, la réception, la diffusion, la critique et la pédagogie. Lorsque les
femmes africaines adoptent de plus en plus les nouveaux médias comme un outil d’échange
et de communication visuelle, on constate un impact très remarquable sur leur visibilité
et leur travail. L’émergence d’une communauté virtuelle depuis l’entrée dans le 21ème
siècle, surtout en cette seconde décennie, change la donne. En tant qu’un réseau d’acteurs
interconnectés-collègues, amies, fans, fidèles, membres du groupe-naviguant dans un
espace virtuel collectif, les possibilités sont énormes. Cet essai a pour objectif d’analyser ces
mouvements et ces tendances en examinant l’évolution des femmes africaines dans leurs
pratiques culturelles de l’écran et leur engagement avec les outils et les stratégies de la
technologie des nouveaux médias.
Introduction
Q
uand j’ai conceptualisé le projet
“Écrans d’Afrique au féminin” ,
j’envisageais une «collectivité
imaginée» des âmes sœurs, une «
sororité », où l’écran est le point ultime de
convergence. C’est là où leurs images sont lues
- que ce soit sur un écran de cinéma, téléviseur,
moniteur vidéo, écran d’ordinateur, une
tablette ou un téléphone portable : comme
réalisatrice, productrice, organisatrice de
festivals de films, comédienne, critique ou
spectatrice, cet espace, l’écran, est le lieu
ultime à partir duquel l’image en mouvement
est perçue, interprétée et comprise.
Avec le développement phénoménal de la
culture de l’écran au tournant numérique,
je retourne à l’écran « comme un cadre
conceptuel pour intégrer ses techniques,
dispositifs et technologies en expansion
constante, donc, le concept de «femmes
africaines de l’écran », comme le principe
organisateur. Cet article examine l’impact
de ce phénomène sur les femmes
51
africaines de l’écran— comment leur regard
cinématographique a évolué, développé et
transformé avec l’évolution des nouvelles
technologies telles que l’Internet et, en
particulier, l’émergence des médias sociaux.
La notion de cinéma comme un film projeté
sur un grand écran, vu par un large public
dans des salles de cinéma n’a jamais été le
cadre dans lequel les femmes africaines
ont navigué en tant qu’auteures du visuel
et ne correspond plus à la réalité à l’ère des
nouveaux médias, la vidéo à la demande, le
streaming vidéo et la transmedialité (ndlr :
La transmédialité, ou narration transmédia,
est une méthode de développement
d’œuvres de fiction ou documentaires et
de produits de divertissement nouvelle qui
se caractérise par l’utilisation combinée
de plusieurs médias pour développer des
univers narratifs, des franchises, chaque
média employé développant un contenu
différent. De plus chaque contenu peut être
appréhendé de manière indépendante, en
général, et sont tous des points d’entrée
dans l’univers transmédiatique de l’œuvre.
De par la diversité des contenus et la profondeur
narrative de l’univers que cela engendre, la
narration transmédia est singulière par rapport
aux modes de narration classique). Ainsi, les
femmes africaines se sont bien positionnées
pour tirer pleinement avantage de la culture de
l’écran mondial qui a émergé depuis l’entrée dans
le 21ème siècle, et avec elle la transformation
technologique, sociale et culturelle, et l’évolution
que cela apporterait.
L’avènement et la prolifération de l’Internet ont
joué un rôle important dans la réalisation et la
concrétisation de nombreux concepts et idées
qui ont été partie intégrante du discours sur
les femmes africaines dans le cinéma depuis
l’émergence d’un mouvement des femmes
africaines dans le cinéma dans les années 1990.
Mon propre travail, qui tourne autour du «
Centre pour l’étude et la recherche des femmes
africaines dans le cinéma », est un exemple de
ces réussites. Sa mission déclare :
Lorsque l’environnement virtuel devient un
moyen essentiel pour la diffusion des idées, pour
influencer les attitudes et l’instruction et mieux
comprendre les gens et les cultures, le Centre se
positionne comme un acteur important dans la
formulation de paradigmes et le développement
de discours en ce qui concerne les femmes
africaines et la culture de l’écran. Tandis que la
technologie avance dans le XXIe siècle, le Centre
jouera un rôle encore plus important comme
précurseur dans les approches innovatrices de
réseautage et la recherche de pointe.
Un environnement virtuel avec un site comme
point de convergence, le Centre intègre les
plates-formes de medias sociaux : Blog, Twitter,
Facebook, Pinterest, Academic.edu et les chaînes
sur YouTube, Vimeo et Dailymotion.
Mon accent sur les femmes africaines de l’écran et
leur engagement avec les médias sociaux comme
un outil pour faire avancer leurs intérêts en tant
que praticiennes et intervenantes considère
le rôle que jouent les communautés en ligne
dans les nombreux processus de la narration
visuelle et dans la mesure où il a transformé
leur imaginaire. Mes recherches sur les femmes
africaines dans les divers domaines de la culture
de l’écran examinent les modes dans lesquels
elles ont évoluées en tant que productrices et
lectrices culturelles, remontant à l’âge du film
celluloïd lorsque l’écran était juste un drap blanc
, à l’ère de la tablette et du téléphone portable
où l’image apparaît et est manipulée en touchant
l’écran.
Ainsi, mes recherches considèrent les questions
telles que : dans quelle mesure les nouvelles
technologies ont-elles contribué à la visibilité
des femmes africaines en tant que praticiennes,
à l’accessibilité de leur travail et à leur capacité
à atteindre un niveau de réseautage afin de
rester connectées et de perfectionner leur
art ? Comment ont-elles été habilitées par
ces nouveaux systèmes de communication ?
Lorsque ces structures prennent place, comment
améliorent-elles les efforts pour collaborer et
pour construire des réseaux ? Les Millennials,
qui sont nés et ont grandi avec ces nouvelles
technologies, comment naviguent-ils ces outils
en relation avec les pionniers qui ont émergé
dans les années 1960 et 1970 bien éloignés de ces
nouveaux médias ? Lorsque le cinéma celluloïd
et analogique étaient la norme ? Lorsque la salle
de cinéma ou le téléviseur était le seul point de
mire ? Lorsque l’interaction avec ces appareils
visuels était un processus à sens unique entre le
spectateur et l’image ? Comment maintenant,
les deux, les avants et les après numérique,
se fusionnent, se négocient, se comprennent
mutuellement ?
Le Blog sur les femmes africaines dans le cinéma sert
comme un bulletin d’information globale virtuel
avec des postes réguliers composés d’entretiens,
d’analyses, d’essais critiques, d’annonces sur des
expositions, festivals et conférences et exposés
sur des colloques, des renseignements sur les
collectes de fonds (crowdsourcing) et d’autres
informations sur les possibilités de financement,
les pétitions en ligne, des bandes-annonces et
des événements actuels.
Le Centre numérique avec son réseau de
médias sociaux est inspiré par et se base sur les
propositions et les demandes venants du réseau
professionnel des femmes africaines de l’image
qui se formait dans les années 1990. Au FESPACO
en 1991 une partie de la plateforme du festival a
été organisée sous le titre « Les femmes, Cinéma,
Télévision et Vidéo en Afrique. » Les événements
de cette réunion mettent en mouvement les
bases de ce qui deviendrait le réseau de médias
visuels, l’Union panafricaine des Femmes de
l’image (UPAFI).
52
Lors d’entretiens que j’ai menés avec les femmes
africaines dans les divers domaines du cinéma
à la fin des années 1990 au cours desquelles
nous avons discuté de la formation du réseau
professionnel, elles ont parlé des problèmes
liés à l’organisation ainsi que l’énormité du
défi en matière de communication, du suivi et
réseautage en dehors des limites de festivals et
de conférences, lorsque les femmes retournent
dans leurs pays respectifs. Elles sont dispersées
à travers le monde, peut-être pour assister à une
conférence, tourner un film, travailler dans la
salle de montage, prendre rendez-vous avec un
bailleur de fonds potentiel, ou tout simplement
assumer le rôle de mère, conjointe, partenaire,
amie. Par conséquent, il devient une tâche
considérable pour établir des connexions et
maintenir des contacts de suivi.
En outre, elles ont soulevé les problèmes qui
surviennent en tentant de s’organiser au sein
d’une telle envergure, notamment les barrières
linguistiques et les voyages. Même de se réunir
au niveau régional est une tâche redoutable.
Certains des obstacles étaient liés à l’attribution
des ressources financières limitées pour faire des
films, le maintien d’un ménage, et de garder le
contact avec les autres femmes dans la région.
Souvent, il en résulte que ce dernier n’est pas
considéré comme prioritaire.
Au cours de ces réunions et d’études couvrant
environ 25 ans, il existe une multitude de
stratégies que les femmes africaines dans le
cinéma ont proposé :
·
Développement d’un réseau autonome à
l’échelle continentale basé en Afrique
·
Autonomisation des femmes en utilisant
une variété d’approches
·
S’organiser autour de questions qui sont
pertinentes aux besoins spécifiques des femmes
africaines
·
Développer un réseautage à l’échelle
continentale et avec d’autres partenaires
concernés
·
« Rapprochement » en développant des
activités ou des programmes d’accéder à plus
de femmes potentiellement intéressées par les
médias visuels et des zones parallèles
·
Le mentorat comme outil de développement
professionnel pour les femmes
·
Modèle à émuler, utilisant la visibilité des
femmes qui réussissent et des représentations
visuelles de femmes inspirant succès à travers
l’image
·
Partage de l’information, des idées, des
conseils, par l’intermédiaire d’atelier de travail,
le bénévolat, les blogs,
·
Informer : diffusion d’informations à travers
différentes formes d’expression
·
Collecte et diffusion d’informations à travers
la recherche, bases de données, l’Internet
·
Procurer l’accès aux réseaux d’information
à travers des lieux de ressources,
·
Archivage: stockage des informations pour
la recherche et la consultation
·
Illustrer les achèvements et les expériences
des femmes à travers des festivals de cinéma,
ciné-clubs et des projections de films suivies de
débats
·
Sensibilisation à travers le cinéma
·
Soutien: développement, encourageant,
cultivant, promouvant des compétences
·
Orientation dans le cinéma par le
recrutement réfléchi
·
Parrainage à travers la collecte de fonds et
la présentation des demandes de subvention
·
Développement professionnel: Stimuler une
culture de la promotion de perfectionnement
professionnel pour des femmes de l’image
par le biais des classes de maître, des ateliers
de perfectionnement et des conférencièresmotivatrices
·
La recherche: études de la critique et de
l’analyse de la culture d’écran
·
Formation: la formation professionnelle
dans tous les aspects de l’image en mouvement
et les nouveaux médias
·
Le Plaidoyer et l’activisme : en utilisant
le cinéma et la culture de l’écran comme un
instrument de changement social
La vaste portée de l’Internet et des médias sociaux
via les technologies numériques-Facebook,
Twitter, crowdfunding, partage de vidéos, la
messagerie instantanée, les blogs, chat vidéo
- a été transformatrice en matière d’accès des
femmes africaines à l’information, la capacité
de réseauter, de naviguer à travers les langues
et surtout d’être des agents de la production de
connaissances en ce qui concerne les réalités
africaines. Par conséquent, les outils des nouvelles
technologies sont particulièrement propices à
la mise en œuvre des stratégies énumérées cidessus.
53
Partage de vidéos, la vidéo en continu et la vidéo
sur demande
Le manque de possibilités de distribution et
de diffusion pour les films africains est l’une
des préoccupations les plus souvent exprimées
après le manque d’infrastructures et le coût de
production.
Pour les femmes, ces questions sont exacerbées
par l’insuffisance des réseaux solides, et,
malheureusement, l’absence d’un véritable
intérêt pour leur travail et les thèmes de leurs
films par des distributeurs ou par une plus grande
audience. Dans le cas des distributeurs qui se sont
engagés à présenter la diversité des voix, Debra
Zimmerman, la directrice de l’emblématique
Women Make Movies basée à New York avait
ceci à dire dans un entretien avec le Centre for
Social Media :
... Nous sommes beaucoup plus intéressés à
voir des films réalisés par des Africaines sur
les questions africaines. Mais la vérité est
que, parfois, les films qu’elles font ne sont pas
vraiment faciles à commercialiser pour un public
américain, car elles parlent d’une position de
l’intérieur. Et il est plus facile pour les Américains
d’entendre une voix américaine parler de ce qui
se passe en Afrique que celle une voix africaine.
Généralement c’est à ces instances que nous
disons « oui, nous allons le prendre », même
si nous savons que notre tâche va être difficile.
Puisque nous pensons que les femmes doivent
raconter leurs propres histoires, nous croyons
que les Africains doivent raconter leurs propres
histoires....
De plus en plus, avec l’émergence des services
d’hébergement vidéo tels que YouTube,
Vimeo, Dailymotion, entre autres, les femmes
africaines d’image peuvent diffuser leurs propres
histoires, ou au moins transmettre le message
que leurs histoires existent. Grâce à ces platesformes, gratuites et facilement accessibles, qui
permettent aux utilisatrices de générer leur
propre contenu, les auteures africaines sont en
mesure de télécharger leurs bandes-annonces,
des extraits de leurs œuvres ou de films entiers.
Le partage de vidéos est un outil important pour
la promotion de films à travers des bandesannonces, les annonces pour des événements,
et des bio-docs. En outre, les films sont de plus
en plus accessibles dans leur intégralité sur les
plateformes de vidéo à la demande et sites de
streaming. Pour la belgo-congolaise Monique
Mbeka Phoba, la plateforme de partage de vidéos
a joué un rôle essentiel dans la production et la
promotion de son film Entre la coupe et l’élection.
Elle avait ceci à dire sur le sujet:
Ce suivi virtuel a débouché sur un film co-réalisé
par moi-même et Guy Kabeya, sur la première
équipe de football d’Afrique Noire à avoir été à
une Coupe du Monde de football en 1974. Nous
avons placé une bande-annonce sur internet
et j’ai eu plusieurs manifestations d’intérêt, par
toutes sortes de personnes intéressées par un tel
film, à la veille de la Coupe du Monde en Afrique
du Sud. C’est dire si s’appuyer sur internet est
important aujourd’hui au niveau de la réalisation,
de la production et de la promotion. Cela n’était
pas le cas, il y a quelques années. Et c’est par le «
video-sharing » de cette bande-annonce que les
gens sont avertis de l’existence du film, un autre
outil de promotion très intéressant.
Le Dailymotion héberge une diversité d’œuvres
par les réalisatrices africaines francophones, bien
que ces dernières utilisent également YouTube
et Vimeo. En plus du contenu généré par les
utilisateurs sur le site Dailymotion, les entretiens,
les telenovelas, les reportages sur les événements,
ainsi que la série de bio-documentaire (comme
Africa24 et TV5 Monde+ Afrique) comprennent
aussi des femmes d’Afrique francophone. Par
exemple, le reportage sur l’hommage aux
femmes cinéastes africaines au FIFF 2010
(Festival International de Films de Femmes) est
accessible sur Dailymotion, ainsi que le reportage
sur TV5 Monde du colloque à Paris en 2012, Les
réalisatrices africaines 40 ans de cinéma et des
femmes présidentes aux commandes des cinq
jurys officiels du Fespaco 2013.
De ces trois services d’hébergement vidéo
discutés ci-dessus, YouTube, avec une portée
mondiale phénoménale, a de loin, la plus grande
base d’utilisateurs parmi les femmes africaines,
et le plus grand nombre de vidéos accessibles.
La portée du Canal AWC du Centre sur YouTube
démontre l’étendue de ses possibilités. La
fonction du playlist (liste de lecture), un outil pour
organiser les vidéos disponibles sur la plateforme
YouTube, est un élément clé du Canal AWC. Par
conséquent, la playlist thématique du Canal AWC
sert de répertoire de liens vers des films faits par
ou sur les femmes africaines.
54
La playlist est une ressource très utile pour la
recherche, puisque toute recherche d’œuvres
par et sur les femmes africaines sur YouTube
figurant sur le Canal AWC, mettra également en
vedette la playlist AWC, familiarisant ainsi plus de
téléspectateurs potentiels avec les œuvres des
femmes africaines. En outre, quand une vidéo
sélectionnée est en cours de lecture, affichés
sur la colonne de droite du site YouTube sont
les onglets, les captures miniatures des vidéos
associées.
Bien que la majorité des vidéos sur cette liste ne
sont que vaguement liées, voire pas du tout, la
fonction est une source efficace pour le Canal
AWC afin de découvrir d’autres œuvres par ou
sur des femmes africaines.
Pinterest
Alors que la plateforme de médias sociaux
Pinterest n’a pas attiré beaucoup de femmes
africaines de l’écran, sa fonction peut se révéler
être un outil efficace en raison de son format
visuellement accrocheur.
Le site est conçu comme une série de tableaux
d’affichage sur lesquels le contenu est «épinglé».
Les tableaux thématiques du AWC Pinterest
offrent aux adeptes et d’autres publics intéressés
une présentation visuelle de thèmes pertinents.
Bien que similaire au format de grille de la playlist
YouTube, en plus, le site offre un environnement
transmediale à fin de parcourir les tableaux liés
à des livres, des articles, des interviews écrites
et filmées, des sites, des blogs, des photos et
d’autres sources. En outre, on peut «épingler»
le contenu de tableaux d’autres utilisateurs de
Pinterest. Et par conséquent élargir le cercle de
parties intéressées.
En plus de sites de partage vidéo, de nombreuses
femmes africaines cinéastes intègrent des
extraits de films et des courts métrages entiers
dans leurs propres sites. Dans de nombreux cas,
le contenu des sites est considérable, détaillant
des projets futurs, et révélant leur philosophie
comme artistes. Pour mettre en évidence
quelques-uns parmi une liste impressionnante :
Angèle Diabang, Nadia el Fani, Françoise Ellong,
Izza Génini, Wanuri Kahui, Sam Kessie, Salem
Mekuria, Branwen Okpako.
Festivals de Films
Les sites de festival de films sont des sources
utiles pour la visualisation des bandes-annonces
ou des extraits utilisés comme une stratégie de
promotion pour les films qui font partie du festival
en cours ou qui ont été projetés dans les anciennes
éditions. Le Festival du film africain de New York,
fondé et organisé par la Sierra-Léonienne Mahen
Bonetti, est un excellent exemple des ressources
inestimables qui sont accessibles via l’Internet et
qui peuvent bénéficier aux producteurs culturels
africains.
En outre, le succès de Mahen Bonetti souligne
la présence de plus en plus visible des femmes
africaines comme organisatrices de festival
de film, ce qui démontre le rôle de plaidoyer
qu’elles prennent pour créer les infrastructures
nécessaires pour la promotion de la production
culturelle africaine.
Comme l’historique rencontre des femmes
professionnelles au Fespaco a révélé, le festival
joue un rôle important dans la promotion,
l’exposition, le marketing, et la formation, et sert
comme un lieu autour duquel les femmes peuvent
s’unir à l’échelle continentale et mondiale.
Puisque c’est en même temps un lieu de rencontre
pour présenter ses projets, travailler en ateliers
et partager des idées, il est souvent considéré
comme un espace central où les femmes
africaines peuvent réseauter et échanger sur le
continent et au-delà.
Ces festivals de films et lieux de rencontres,
soit comme des espaces axés sur les femmes
ou lieux culturels créés par des femmes, ont
des mécanismes mis en place pour les genres
d’activités nécessaires à l’organisation, l’analyse
et l’archivage des informations. Puisque les
événements, réunions et activités sont souvent
enregistrées et filmées, des biographies, des
déclarations et des filmographies d’artistes
amassés, des bulletins d’information, des
catalogues, des annuaires publiés ils demeurent
des
composantes
fondamentales
pour
l’acquisition de ressources et de collectes de
données.
Ces initiatives démontrent l’effort inestimable
pour globaliser les expériences des femmes
55
africaines dans le cinéma et leur potentiel en
tant que stratégies de collecte d’informations,
pour l’ouverture des voies d’accès aux réseaux
d’information et pour la création de sources
d’archives pour la recherche et la consultation.
de fonds) très réussie pour financer la série audelà du sixième épisode; avec l’appui d’un public
et une base de soutiens importants qu’elle avait
déjà construits avec une moyenne de 60.000
spectateurs. Le caractère insolent de ABG joué
par Issa Rae elle-même, et l’approche moqueuse
à la réalisation de la série, ont suscité beaucoup
de curiosité, d’admiration et par conséquent,
le soutien. À l’époque, étudiante à l’Université
de Stanford (USA), elle écrit le scénario, réunit
des amis pour participer comme membres de
l’équipe, emprunte une caméra de la bibliothèque
de l’université, tourne, monte et poste le film sur
Facebook, et puis regarde dans la stupéfaction la
réponse.
TAZAMA (Congo-Brazzaville), Udada Festival
International de Film (Kenya) et IIFF International
Images Film Festival for Women (Zimbabwe)
sont trois exemples d’institutions axées sur les
femmes africaines qui promeuvent, mettent en
exergue et donnent une plateforme pour leurs
événements par le biais des réseaux sociaux.
La popularité croissante de la série web
Le succès de série web Awkward Black Girl (Une
fille noire maladroite) de la sénégalo-américaine
Issa Rae souligne le potentiel de cette plateforme
pour les populations sous-représentées, en
particulier les femmes afro-descendantes, d’avoir
leurs images vues et soutenues par un large public,
en sachant qu’il y a une audience qui s’intéresse
aux expériences qu’elles présentent. Inspirée par
Issa Rae, la ghanéenne Nicole Amarteifio suit
son exemple avec la série web An African City
(Une ville africaine). Les deux qui sont basées
aux États-Unis bénéficient d’un public avide
parmi la population importante de personnes
afro-descendantes aux États-Unis. En outre, les
personnages de la série web - la majorité d’entre
elles est basée aux États-Unis - attirent un public
africain continental enthousiaste, sensible aux
histoires de « retour aux sources » de ces cinq
jeunes femmes qui, après avoir vécu à l’étranger,
rentrent « au pays » au Ghana.
Sur le continent, il n’y a pas pénurie de web série
avec un succès comparable chez les téléspectateurs
à la fois en Afrique et dans la diaspora mondiale. La
série web francophone « Ina » par Valérie Kaboré
(Burkina Faso), « Monia et Rama » de Apolline
Traoré (Burkina Faso), « Ma Famille » par Akissa
Delta (Côte d’Ivoire), « Un Mari pour deux sœurs
» de Marie-Louise Asseu (Côte d’Ivoire ), et « Nafi
» par Eugénie Ouattara (Côte d’Ivoire), sont des
exemples de la prolifération de ce genre dont la
popularité croissante est due en grande partie à
son accessibilité sur les plateformes de partage
vidéos telles que YouTube et Dailymotion ainsi
que les sites de télévision sur Internet.
Les pratiques de collecte de fonds
La collecte de fonds, le parrainage et des
partenariats ont toujours été fondamentaux
pour le financement des films et des projets
indépendants. Par conséquent, la collecte de
fonds en ligne, annoncée comme une percée
dans les pratiques de financement de films, offre
une occasion unique pour une communauté en
ligne de parties intéressées pour participer au
financement et la promotion d’un projet. Bien
que les stratégies de collecte de fonds collectifs
ont toujours existé, la collecte de fonds en ligne
est beaucoup moins cher et avec peu de maind’œuvre et donc plus propice aux besoins des
groupes sous-représentés qui ont moins d’options
de financement et qui attirent généralement
moins d’intérêt pour leurs projets.
Issa Rae avait ceci à dire à propos de YouTube, la
plateforme de partage de vidéos sur lequel elle a
piloté sa série web :
« S’il n’y avait pas YouTube, je serais extrêmement
pessimiste ... YouTube a révolutionné la création
de contenus. S’il n’y avait pas YouTube, je serais
encore dans les studios en tentant de convaincre
les producteurs que les filles noires maladroites
existent vraiment ... S’il n’y avait pas les médias
sociaux, je ne sais pas si les femmes noires
seraient même un petit point entièrement formé
sur le radar ... »
La collecte de fonds en ligne « c’est la fin du déficit
de financement pour les femmes », affirme
Ruth Simmons dans un article du Wall Street
La production de Awkward Black Girl (ABG) a
suivi une campagne de crowdfunding (collecte
56
57
Journal . Le WSJ note aussi que selon les avocats
du crowdfunding, il « démocratise l’accès au
capital ». Quel est alors le bilan pour les femmes
africaines qui utilisent cette stratégie ? Plusieurs
ont réussi à recueillir les fonds nécessaires pour
terminer leurs films, et bien que d’autres n’ont
pas pu atteindre l’objectif prévu, elles ont été en
mesure d’amasser le soutien et l’enthousiasme
et d’établir une communauté en ligne de
partenaires financiers potentiels pour leur
prochain projet. En outre, la description détaillée
précisant les objectifs de la campagne de collecte
de fonds fournit un moyen pour les lecteurs de se
familiariser avec le projet proposé. Puis, il peut
être utilisé comme un baromètre pour évaluer
l’engagement du public. Le non-succès pour
atteindre l’objectif projeté n’est pas toujours un
indicateur de manque d’intérêt par les partisans
potentiels ; il peut être le signe de déficiences dans
la présentation du projet, des objectifs irréalistes
ou le manque d’élan et d’énergie durable pour
garder l’idée du projet en vie. Il a été dit qu’une
campagne de crowdfunding est un effort à temps
complet nécessitant de fréquentes connexions
transmedials; par conséquent, la nécessité de
maintenir une présence continue sur Facebook,
Twitter et d’autres réseaux pour assurer la
circulation continue de l’information.
famille, sympathisants et passionnés de l’écriture
des femmes africaines, de sorte que nous
pouvons monter et compléter le film. Nous avons
eu une réponse étonnante à notre campagne ...
Les amis nous pointent dans la bonne direction;
ils circulent les informations concernant le film;
et le plus important de tous, ils nous remplissent
d’enthousiasme pour terminer ce que nous avons
Pendant les campagnes réussies de Sœur Oyo
de Monique Mbeka Phoba et The Art of Ama Ata
Aidoo de Yaba Badoe pour n’en citer que deux,
les stratégies qui ont menés à leur succès étaient
le travail de proximité, la communication, et le
suivi. Les tweets sur Tweeter et les commentaires
sur Facebook tournaient au milieu de dialogue
constant avec les fans, les amis et les amis des
amis. Donc, entretenant l’élan, donnant des
mises à jour sur l’objectif de financement, et
demandant un soutient accru.
décidé de le faire…
En suivant la page Facebook du film Soeur Oyo
de Monique Mbeka Phoba pendant la durée
de la production, on a été placé en plein milieu
du processus quotidien, sentant la passion et
l’enthousiasme de toute l’équipe. La campagne
de collecte de fonds KissKissBankBank était
également intense, les derniers jours étaient
remplis d’excitation et de suspens pendant que
Monique et ses partisans recherchaient des
supporteurs dans le but d’atteindre l’objectif
visé. Elle avait ceci à dire sur le rôle des médias
sociaux dans la production de Soeur Oyo :
Yaba Badoe, qui avait terminé la phase de
tournage de son projet et recherchait des fonds
pour les frais de postproduction, avait ceci à dire :
«... Une amie proche, Margo Okazawa-Rey, a
suggéré qu’au lieu d’attendre pour le financement
des organes intermédiaires dans l’allocation
des subventions, qui ont tendance à avoir leurs
propres intérêts sur le genre de films qu’ils
veulent, nous devrions essayer le crowdsourcing
pour collecter des fonds... Margo a accepté de
diriger notre campagne Indiegogo. Nous visons
à amasser 45 000 $ à partir d’un réseau d’amis,
Complètement écrasée par ces différents défis, je
me suis donc fait aider par les gens sur Facebook
: c’est pratiquement une coproduction Facebook,
ce film. J’ai vraiment exprimé toute ma détresse,
58
à certains moments… Et il y a des gens qui vous
tournent le dos, refusent de vous aider quand
vous leur parlez face à face. Mais, qui le font,
quand ils vous ont lu sur Facebook…j’ai obtenu
des superbes photos de familles…sur Facebook,
j’ai découvert aussi la petite fille qui a doublé
le chant de l’actrice principale… Aude Hitier,
rencontrée sur FB, une française, est l’auteur de
cette magnifique affiche, sur base des images
du film… Et grâce à Facebook, aussi, j’ai eu un
démarrage fulgurant de mon crowdfunding : 41%
de la somme que je demandais en même pas 2
semaines : c’est hallucinant.
Bien que les projets de Monique Mbeka Phoba
et Yaba Badoe étaient très intéressants, d’autres
projets qui n’ont pas atteint leur objectif n’étaient
pas moins captivants. Bien que n’ayant pas fait
d’analyse approfondie des raisons, cela venait
peut-être du fait que la campagne n’avait pas eu
l’influence nécessaire. Dans l’article « Looking at
the participation by and opportunities for women
in Crowdfunding » (Regard sur la participation
et les opportunités pour les femmes dans le
crowdfunding), Amy Dunn Muscoco décrit trois
éléments qui mènent à un crowdfunding réussite
par les femmes : les compétences des médias
sociaux, le travail d’équipe et le réseautage. La
deuxième et la troisième ont été les objectifs
continus durant les rencontres des femmes
africaines dans le cinéma, et pour le futur, avec
l’ubiquité des plateformes de médias sociaux,
le premier prendra un rôle proéminent et, par
conséquent, renforcera les autres.
Sur le continent : les expériences des femmes
africaines avec l’évolution des technologies
En réfléchissant sur l’accès des femmes africaines
à la technologie et aux infrastructures pour leur
permettre de travailler plus efficacement, l’anglonigériane Ngozi Onwurah basée en Angleterre
disait dans un entretien en 1997 qu’il existe
des disparités importantes dans les budgets,
les infrastructures et les technologies entre les
femmes africaines vivant sur le continent et
celles qui sont installées en occident, et que les
distinctions ne sont pas suffisamment faites dans
le plus large discours qui les identifie en tant que
groupe.
Deux décennies plus tard, on peut se demander
dans quelle mesure le terrain de jeu a été nivelé
avec l’émergence des technologies numériques
censées combler le fossé entre « les nantis et les
démunis », en raison de modes de production
moins coûteux et plus conviviaux, la relative
commodité de la communication, et la facilité de
l’échange mondial ?
Bien qu’il y ait inévitablement eu une influence
sur les productions avec les nouveaux médias, les
femmes sur le continent ont toujours cherché des
stratégies pour combler le fossé technologique.
Burkinabé Franceline Oubda insistait sur les
avantages financiers en utilisant les alternatives
au film celluloïd, notamment la vidéo, ce qui
met en évidence le fait que les femmes cinéastes
sont toujours prêtes à expérimenter avec tous
les outils qui leur permettent de raconter leur
histoire. Elle avait ceci à dire dans un entretien
publié en 1997:
... La vidéo est beaucoup moins chère, elle est
pratique, et nous sommes en mesure de montrer
beaucoup plus de notre travail au public ... Vous
voyez les cinéastes qui depuis le début de leur
carrière n’ont jamais été en mesure de terminer
leurs films, alors que, au cours de ce même temps,
ceux d’entre nous qui utilisent la vidéo font un
montant maximum de films ... Je pense que nous
devrions nous tourner vers les moyens qui sont
plus accessibles...
En outre, mis en évidence par le nom « Média
2000 », la société de production fondée par
Burkinabè Valérie Kaboré au milieu des années
1990, montre qu’elle avait une vision axée
sur l’avenir en préparation pour le nouveau
millénaire, en fournissant les outils de nouvelles
technologiques d’époque, pour les productions
locales.
Depuis le nouveau millénaire, les institutions
culturelles équipées d’infrastructures de
formation ont proliféré sur le continent et les
femmes participent en nombre record. Souvent,
encadrées par leurs aînées pionnières, les femmes
des générations X et millénaires- à l’aise avec
les nouvelles technologies, liées à la diaspora
africaine mondiale et le réseau numérique
mondial, jouent un rôle essentiel dans les
initiatives locales, régionales et continentales.
Au Sénégal, le Media Centre de Dakar et
le programme de Master II de Réalisation
Documentaire de Création à l’Université Gaston
Berger de Saint-Louis et l’Institut Imagine au
Burkina Faso, pour explorer quelques exemples,
59
attirent des femmes qui après avoir terminé leur
formation, sont retournées dans leurs sociétés
pour collaborer à des initiatives qui sont possibles
en raison des nouvelles technologies.
La Sénégalaise Angèle Diabang qui a étudié
au Media Centre de Dakar, a créé Karoninka
Productions en 2006 et en tant que cinéaste et
productrice est très engagée dans de nombreuses
initiatives locales et au-delà.
La Burkinabè Laurentine Bayala, en première
ligne des développements des nouveaux médias
au Burkina Faso, est diplômée de l’Université
Gaston Berger. Elle a été invitée à prendre la
parole lors du deuxième forum de InnovAfrica en
décembre 2010, est une contributrice au Portail
pour le développement au Burkina, Development
Gateway, une blogeuse passionnée au NetLog et
est à la tête de la dynamique TV Wagues, parmi
beaucoup d’autres activités, notamment, de la
recherche et de l’organisation.
La Sénégalaise Fatou Kandé Senghor, qui vit
et travaille à Dakar, est fondatrice du Waru
Studios, un laboratoire expérimental pour
la recherche artistique interdisciplinaire; en
utilisant les nouvelles technologies, il fonctionne
à l’intersection de l’art, la science, l’écologie et
la politique. Sénégalo-Martiniquaise Maria Kâ
qui a été formée en France et aux États-Unis, est
la force motrice de Picture Box, une société de
production basée à Dakar. La Burkinabè Apolline
Traoré, qui a été également formée aux États-Unis,
depuis son retour a apporté ses compétences au
Burkina Faso et est activement engagée dans sa
culture cinématographique dynamique.
L’Institut Imagine basé à Ouagadougou et fondé
par le célèbre cinéaste burkinabé Gaston Kaboré,
a émergé comme un lieu important pour la
formation du film et de la production. Les jeunes
femmes de tout le continent sont sélectionnées
pour participer à des ateliers intensifs. Par
exemple, Yetnayet Bahru de l’Éthiopie, ayant déjà
fait le film populaire Aldewolem, s’y est inscrite
pour une formation de perfectionnement. La
fondatrice et organisatrice du festival du film
Adaobi Obiegbosi du Nigeria, qui s’est inscrite à
l’Institut, avait un désir de créer une plateforme
continentale pour les étudiants africains du
cinéma à fin de partager leur travail et leurs idées.
Cette aspiration a inspiré la création du African
Student Film Festival Festival (ASFF) en 2012.
Afrique, la diaspora et la génération millénaire
mondiale
Alors que la désignation « millennials » est
apparue aux États-Unis pour décrire la génération
du nouveau millénaire, née entre 1981-1997, elle
s’est élargie dans la littérature et les discours pour
embrasser une génération de gens à l’échelle
internationale, née au cours de l’âge de l’Internet.
Pour les millennials africains, la progression
de la mondialisation et la facilité d’échange
entre la diaspora internationale ont joué un
rôle fondamental pour l’identité de ce groupe.
Par conséquent, de réunir cette génération de
millennials africains de l’ère numérique dans ce
cadre plus large donne un aperçu de la mesure
dans laquelle les nouvelles technologies ont
influencé la culture de l’écran des femmes
africaines. Les millennials, entre 18 et 34 ans
constituent un groupe né lors de l’émergence
de l’Internet, touché par l’omniprésence des
technologies numériques, et le flux, les échanges
et les influences des diasporas africaines
mondiales.
Alors que le transnationalisme a toujours été une
réalité pour de nombreuses femmes africaines
dans le cinéma, le flux de langues, d’idées et
d’informations facilitées par les réseaux et les
communautés en ligne sont une caractéristique
distinctive de cette génération d’auteures. Qui
ne travaille plus dans l’isolement, et ne sont
pas entravées par les obstacles de la distance
et les difficultés de communication, ce qui était
l’épreuve de la génération pionnière. Pour cette
« génération de partage », la multitude de
plateformes de nouveaux médias permet une
connectivité spontanée et continue à travers
le monde. Les conversations « face-à-face » via
Skype, le dialogue instantané avec les amis, les
fans et les groupes de Facebook, et les tweets
à la minute de Twitter permettent la mise en
réseau directe après s’être rencontrées lors d’un
festival de conférence ou de film, plutôt qu’après
de longs intervalles d’avoir à se reconnecter
au prochain évènement, peut-être deux, trois,
quatre ans plus tard.
Bien que les générations se confondent en
termes de connectivité, les études indiquent que
les millennials sont beaucoup plus connectés que
les générations avant elles. En outre, les appareils
numériques sont actuellement destinés aux
60
jeunes tandis que les caméras par exemple, des «
anciens médias » étaient considérées comme un
appareil pour les adultes et plus particulièrement
comme un outil professionnel, l’idée de faire
un film n’était pas dans le domaine d’activité
des adolescents. Alors que de présenter une
caméra numérique comme un dispositif pour
autonomiser les filles à raconter leurs histoires
et celles de leur communauté coïncide avec la
culture de « faites-le vous-même » (DIY) — dont
les modes de production sont à bas coût, facile
à utiliser—et avec l’interconnectivité du village
global.
Par exemple, le projet «La Coupe du monde dans
mon village », une initiative de l’UNICEF menant à
la Coupe du Monde 2010 en Afrique du Sud, était
une inspiration pour Aishah Umuhoza, une jeune
participante dans le projet du film One Minute Jr.
qui a eu lieu dans le district de Rubavu de Rwanda.
«J’aimerais être une cadreuse professionnelle, je
vais retourner à ma communauté et enseigner à
mes collègues comment faire des films», dit elle.
Le projet comprenait un atelier intensif de cinq
jours au cours duquel les élèves ont appris à écrire
un scénario, tourner, réaliser, et monter un film
d’une minute ainsi que jouer dans la production.
Comme on le voit dans les paroles passionnées de
Aishah Umuhoza, plusieurs filles ont accueilli avec
enthousiasme le projet de formation aux médias.
Publiée sur le canal YouTube de unicefworldcup
est une sélection de films d’une minute produits
au cours de l’atelier de cinéma, parmi lesquels
les projets achevés de deux des filles qui ont
participé : Dancille Nyiranteziryayo avec le film «
Un meilleur avenir » et « La sensibilisation » de
Mamy Manirakiza.
Par conséquent, de telles initiatives permettent
aux jeunes d’acquérir les compétences
nécessaires pour documenter les questions
importantes auxquelles ils sont confrontés dans
leurs communautés et de les partager avec la
communauté internationale. Ainsi, grâce à de
nouvelles plates-formes de médias, la jeunesse
de l’Afrique contribue activement à l’échange
mondial d’idées et de connaissances d’une
manière sans précédent.
Monique Mbeka Phoba, qui a commencé sa
carrière de cinéaste dans les années 1990
avec une petite caméra Hi8, embrasse avec
enthousiasme les nouvelles technologies
attestant leur rôle indispensable dans son projet
récent. Au cours d’une coproduction, la plupart
des communications ont eu lieu entre elle en
Belgique et le coproducteur, l’équipe et les acteurs
basés au Congo grâce aux nouveaux médias. Elle
avait ceci à dire:
Beaucoup de choses ont évolué au niveau
technologique et cela influence bien évidemment
la pratique de nos métiers. Par exemple, pour
mon dernier projet de film que j’ai coproduit
avec une équipe de jeunes étudiants en théâtre
de Kinshasa, je peux dire que nous nous sommes
servis à fond de cet environnement virtualisé
qui est le nôtre aujourd’hui. J’avais rencontré ce
groupe de jeunes qui souhaitaient faire des films,
alors qu’il n’existe pas d’école de cinéma en RDC.
Je leur ai proposé d’être mêlé au tournage d’un
film, dont le sujet avait été proposé par l’un
d’entre eux et, ce faisant, d’apprendre à faire
des films, en s’occupant de cette production. La
personne qui les a encadrés, Guy Kabeya Muya,
a été le coréalisateur du film avec moi. Ils se
sont servis de petites caméras numériques, nous
communiquions par Internet et SMS, de sorte que
je suivais au jour le jour le tournage et pouvais
l’influencer dans un sens ou dans un autre.
En outre, les expériences de Monique Mbeka
Phoba démontrent que les pratiques de
coproduction et de collaboration sont de plus
en plus fréquentes entre les Africains sur le
continent et ceux dans la diaspora mondiale, ainsi
que l’échange et le partage entre les générations
engendrées par les nouvelles technologies.
Un continuum : partager des connaissances,
donner la parole
Africa Feminist affirme que « l’avènement
et le développement de l’Internet ont élargi
les frontières de l’activisme féministe. » Son
propre engagement comme un journal en ligne
sert de modèle de ce qu’il décrit comme des «
engagements numériques audacieux affichés
par les mouvements de femmes partout dans
le monde. » Le numéro 18 de 2013 «e-espaces:
e-politique», reflète beaucoup de mes
observations et conclusions concernant l’impact
des nouvelles technologies sur les femmes
africaines de l’écran. Ses concepts et les analyses
ont été utiles pour mon pronostic pour les femmes
africaines de l’écran à l’avenir.
61
Les e-listes de diffusion et forums de discussions
de Yahoo de la fin des années 1990 à mi 2000
ont été élargis sur, voire remplacé par, Facebook
et Twitter. Bien que les cartes de visite et les
portfolios continuent à être utiles, les sites Web,
les blogs et le partage de vidéos en ligne servent
pour se réseauter, interfacer et se présenter avec
les professionnels. La télécopie et le courrier
électronique sont complétés par les moyens de se
contacter disponibles sur Facebook, LinkedIn ou
Twitter. L’utilisation de Skype, les vidéoconférences
et d’autres dispositifs de visiocommunication
sont des alternatives aux communications lentes
et coûteuses. En plus de la communication
sociale et des affaires, le téléphone portable, en
raison d’accessibilité et du bas coût, est devenu
l’appareil numérique le plus utilisé pour accéder à
Internet et se connecter avec les médias sociaux.
Par conséquent, son omniprésence en Afrique a
également changé la donne.
L’ère du numérique est en effet un tournant.
L’ubiquité des technologies numériques a
révolutionné la capacité des femmes africaines
pour négocier leur espace au sein des cultures
de l’écran, il a étendu la portée de leur réseau et
redéfini leurs relations avec la production et le
partage des connaissances en ce qui concerne les
expériences des femmes, les réalités africaines et
les enjeux mondiaux.
62
Financer la production audiovisuelle
dans les pays francophones du Sud :
Le Fonds Image de la Francophonie
et les systèmes d’aide des Etats
par Pierre Barrot
D
epuis le début de cette année 2015,
le fonds d’aide de l’Organisation
Internationale de la Francophonie a
changé de nom. Il s’appelle désormais
Fonds Image de la Francophonie. Ce fonds
était doté d’environ 2 millions d’euros par an
jusqu’au début des années 2000. Aujourd’hui,
le montant disponible n’est plus que de 900
000 euros, répartis à parts égales entre cinéma
et production audiovisuelle. Cette réduction
des moyens disponibles a coïncidé avec une
modernisation du fonctionnement du fonds.
Depuis 2012, le dépôt des dossiers se fait sur
un site internet, le site Imagesfrancophones.
org. L’abandon des dossiers papier dont la
duplication et l’envoi étaient longs et coûteux
pour les producteurs, s’est traduit par une
démocratisation du fonds. Il y a maintenant
davantage de dossiers déposés (environ 220
chaque année, dont 87 pour le cinéma et 132
pour l’audiovisuel en 2015) mais, comme le
montant disponible a été réduit, le nombre de
projets aidés a diminué, lui aussi.
En 2010, 41 projets ont été aidés par la
commission audiovisuelle, soit environ un
projet sur deux. En 2015, on en est à 26
projets aidés, soit un sur cinq. La commission
cinéma est devenue presque aussi sélective :
20 projets aidés en 2015, soit 23 %.
Cultures+ (ACP/Union européenne).
Si le nombre de dossiers reçus venait
à augmenter encore, l’OIF n’aurait pas
d’autre solution que de faire intervenir des
lecteurs pour trier les dossiers en amont des
commissions. Jusqu’ici, il n’est arrivé une
seule fois qu’un tri soit fait par deux membres
de la commission, en amont d’une réunion de
sélection tenue en 2014. Dans tous les autres
cas, les sept membres de la commission lisent
la totalité des dossiers recevables et toutes les
décisions sont prises en séance plénières.
Ce fonctionnement collectif a un gros avantage
: il n’y a pas de biais liés aux préférences ou au
profil de tel ou tel expert ou lecteur. Les biais
pourraient être de plusieurs types :
- liés à l’origine géographique des personnes
(une personne de tel pays ou tel continent
aura, en général, tendance à privilégier sa
zone d’origine mais parfois, c’est le contraire,
il arrive qu’un professionnel de tel pays soit
moins indulgent avec ses compatriotes parce
qu’il les connaît bien et n’est pas dupe de
certaines de leurs déclarations)
- liés à la spécialité professionnelle (un
diffuseur n’a pas la même approche qu’un
producteur ou qu’un réalisateur) ;
- liés au genre de prédilection
(documentaire, fiction ou animation). Le fait
de prendre toutes les décisions en séance
Le fonds de l’OIF est le seul système d’aide plénière permet d’équilibrer les approches des
public international où toutes les décisions sont uns et des autres. A condition qu’il y ait une
prises par des commissions de professionnels. grande diversité à l’intérieur de la commission.
Il n’y a pas de filtrage des dossiers par des
lecteurs comme cela se faisait pour le Fonds
Image Afrique ou comme cela se fait à l’Aide
aux cinémas du monde ou au programme ACP
63
Pour l’audiovisuel, la répartition est la suivante :
- deux représentant(e)s de diffuseurs du Nord
-deux
représentant(e)s
de
diffuseurs du Sud
-un(e)
représentant(e)
des
producteurs (du Sud)
-un(e) représentant(e) du CIRTEF
-le représentant de l’OIF.
Au-delà de cet équilibre professionnel, la
désignation des membres de la commission
et faite de façon à obtenir un maximum de
diversité géographique. En 2013, la commission
audiovisuelle comptait sept nationalités
différentes pour sept membres. Actuellement, on
en est à six nationalités.
On attend de la commission qu’elle prenne des
décisions impartiales prenant en compte à la fois
la qualité et l’efficacité des projets aidés (faisabilité
et potentiel de diffusion).
La question de la faisabilité est difficile. L’aide
apportée par l’OIF étant un cofinancement, qui
ne dépasse pas 10 % du budget, dans certains
cas, il faut parfois beaucoup de temps pour
que les producteurs parviennent à obtenir
les financements complémentaires qui leur
permettent de démarrer la production. C’est
pourquoi la durée de validité des contrats du
Fonds Image de la Francophonie est généralement
de trois ans. Mais certains projets mettent plus
de temps à aboutir. Sur la première commission
audiovisuelle de 2012, 16 projets aidés sont
achevés et cinq ne le sont pas encore. Sur 30
projets aidés en 2011, 6 restent encore à achever.
Il arrive régulièrement que l’OIF prolonge la durée
d’un contrat d’aide pour faire face aux aléas d’une
production. Sur les projets aidés en 2010, un
a été abandonné sans qu’il y ait eu le moindre
versement. Seuls deux projets (sur 41) sont encore
en panne alors que les producteurs ont touché la
première tranche de l’aide à la production.
Si la diminution du budget du fonds Image de
la Francophonie a été importante ces dernières
années, l’OIF s’est efforcée de faire en sorte que
cela n’affecte pas la qualité des projets. D’une
part, le fonds continue à attirer beaucoup de
projets, ce qui le rend beaucoup plus sélectif. Les
projets aidés sont donc « triés sur le volet », ce
qui n’était pas toujours le cas auparavant. D’autre
part, la diminution du nombre de projets aidés a
permis de limiter la baisse du montant attribué
à chaque projet. Entre 2010 et 2015, le fonds a
été amputé de 39 % mais le montant moyen des
aides attribuées n’a diminué que de 22 %. Si l’on
considère uniquement les aides à la production
ou à la finition, la réduction n’a été que de 19 %.
Malgré ces indications, l’OIF est consciente de
l’affaiblissement de ses moyens d’intervention.
Depuis 2011, elle a donc multiplié les initiatives
pour que des sources de financement alternatives
se développent au profit de la production
audiovisuelle du Sud. Ces initiatives sont de trois
types :
- les préachats des télévisions : l’OIF a signé
en 2012 des accords avec deux diffuseurs (TV5
Monde et France 3 Via Stella) qui se sont engagés
à préacheter des programmes soutenus par le
Fonds Image de la Francophonie. L’accord avec TV5
Monde a été particulièrement efficace puisqu’il
a amené la chaîne à multiplier ses préachats de
séries africaines. Il est vrai que, peu de temps
après, Canal France International, de son côté, a
cessé de préacheter des programmes et ce retrait
n’a pas été totalement compensé par le lancement
de la chaîne A+, du groupe Canal+ ;
- l’OIF est intervenue également pour
aider les producteurs francophones à accéder
aux financements européens alloués par le
programme ACP Cultures+. Cette aide consiste à
mettre à disposition des consultants qui donnent
des conseils et assurent un « coaching » pendant la
période de dépôt de dossiers. Ce soutien, apporté
en 2011 et en 2012, a été efficace pour les projets
cinéma mais n’a pas permis le financement de
productions audiovisuelles ;
- enfin, l’OIF a accompagné de façon très
efficace le développement des ventes de
programmes et la structuration d’entreprises
de distribution. Entre fin 2011 et fin 2014, l’OIF
a investi 149 000 euros dans l’appui aux ventes
internationales de programmes. Ces aides ont
permis aux entreprises bénéficiaires de réaliser
635 000 euros de ventes, uniquement pour
des documentaires et des fictions d’Afrique
subsaharienne et de l’Océan Indien. Ces aides
ont été décisives notamment pour la création
de la société DIFFA, spécialisée dans la vente de
contenus africains. Cette société a été la première
à obtenir une vente de série africaine en zone
anglophone (série malienne « Les rois de Ségou
», achetée par la chaîne sud-africaine « Africa
Magic »), ce qui lui a valu, un an plus tard d’être
rachetée par le groupe français Lagardère qui a
investi notamment dans la création d’un bureau
permanent à Abidjan. En 2015, l’OIF a accordé de
nouvelles aides à la vente, ciblées, cette fois sur
le doublage des séries de fiction. Ces aides ont
permis, au bout de quelques mois seulement,
de déclencher une première vente, toujours à la
64
chaîne sud-africaine Africa Magic (série « Sœurs
ennemies », vendue par la branche distribution
de la télévision ivoirienne) ;
Enfin, l’OIF s’investit aujourd’hui sur un autre
terrain : celui de l’appui aux structures nationales
de financement de programmes. Une réunion des
fonds d’aide nationaux aura lieu le 25 novembre
2015 à Bamako, avec les participants suivants :
- Union économique et monétaire ouestafricaine ;
- Fopica, fonds d’aide sénégalais ;
- Fonsic, fonds d’aide cinéma de Côte d’Ivoire,
appelé à financer également des programmes de
télévision ;
- FAPA, fonds d’aide du Bénin, créé dès 2007 ;
- IGIS (Institut gabonais de l’image et du Son) ;
- CNCM (Centre National de la Cinématographie
du Mali) qui a notamment soutenu la série « Les
concessions » ;
- Direction du cinéma et de l’audiovisuel du
Burkina Faso.
télévision) ont été aidés, dont 5 à hauteur de 100
000 euros ou plus.
Le Fonsic de Côte d’Ivoire, lors de sa première
attribution d’aides, a soutenu trois films : « Run
», « Sans regrets » et « Braquage à l’Africaine ».
Ces trois films ont été achevés et ont permis de
relancer le cinéma ivoirien.
Enfin, on peut noter que le Fonds d’Appui à la
Production Audiovisuelle (FAPA) du Bénin a été le
seul à lancer un appel à projets pour des scénarios
de séries TV. Cette initiative a permis notamment
au romancier béninois Florent Couao-Zotti de
s’investir dans l’écriture d’une série (Waxala &
Akoba, diffusé notamment sur la chaîne A+).
L’apparition de ces fonds ou leur investissement
dans la production audiovisuelle et pas seulement
dans le cinéma est un phénomène relativement
nouveau. L’enjeu des années à venir est la
structuration de ces fonds, afin de garantir leur
permanence et leur impartialité.
Ces fonds d’aide disposent, dans certains cas, de
montants très importants : le FOPICA sénégalais,
par exemple, a attribué en 2015 l’équivalent de
1 371 000 euros. 31 projets (à la fois cinéma et
65
Entretien avec
Cheick Oumar Sissoko
Secrétaire Général de la Fédération
Panafricaine des Cinéastes
1. Qu’apporte le numérique d’un point de vue pratique pour la réalisation d’un film, selon
vous ?
Je dirai avant tout que cela offre une commodité technique de travail avec du matériel plus
souple, mois contraignant. Par exemple, cela permet une légèreté de l’équipe technique qui
est beaucoup réduite qu’auparavant.
Grâce à ces outils numériques, le visionnage des rushes est rendu possible en temps réel durant
le tournage et le jour-même sur la table de montage ou en grande projection pour faire une
vérification de la qualité de l’image, du jeu des acteurs et du son. Finalement, le montage peut
commencer aussitôt.
2. D’un point de vue budgétaire, le numérique a-t-il réellement diminué les coûts comme
ce fut annoncé ?
Oui, le numérique a diminué les couts de production. Pour des raisons simples. Concrètement,
cela réduit le budget de location de matériel de tournage, leur contrôle technique également.
La réduction de l’équipe technique permet aussi la diminution des couts, évidemment. Les
pellicules 16mm et 35mm sont remplacées par une carte par camera utilisée et les essais de
camera et de pellicules ne sont plus nécessaires.
Par exemple, sur mon dernier film, avec une seule et même carte sur la camera SONY F55,
j’ai fait 50 heures de rushes. En pellicules cela m’aurait fait 750 boites de film 35mm de 120
mètres, pour un cout d’environ 110 000 euros ! A cela il faut ajouter les travaux en laboratoires
comme le développement des 750 boites et le tirage des plans choisis, le repiquage du son, les
copies, le cout de leur transport, etc. Vous imaginez les économies ? C’est énorme !
3. Comment expliquer que le Fespaco, plus grand festival de cinéma du continent, ait mis
une décennie avant d’autoriser en compétition les films en numérique ?
La compétition existait pour les séries TV…
Mais le règlement n’autorisait que les films en 16mm et 35mm. Les films étaient faits en
numérique et le kinescopage faisait le reste. De nulle part la demande n’était venue. Et puis
cela a un cout que le FESPACO ne pouvait supporter.
Il a fallu l’élimination de films attendus lors l’édition 2013 pour prendre conscience du problème.
4. La question du piratage est devenu centrale avec l’avènement du numérique et les
facilités offertes par les nouvelles technologies. Y a-t-il un remède ? Est-ce du ressort des
Etats ou bien de la profession ?
Le piratage est puni par la loi. Autant il doit être le souci du producteur et du distributeur
66
autant il est du ressort de l’état, qui doit prendre les dispositions juridiques législatives et pénales
pour minimiser ce fléau. Il appartient à la corporation bien organisée de veiller à ce que les lois
édictées soient suffisamment claires, fortes et bien appliquées.
5. D’ailleurs, quel est le rôle des Etats dans la numérisation des industries cinématographiques
sur le continent ?
Le rôle des Etats c’est surtout la mise en place de législations qui facilitent :
-le transfert des technologies
-la création des industries culturelles
-la création de fonds; national, régional autour des institutions économiques régionales, et
panafricaines comme la formule l’Union Africaine dans sa décision 69/iii prise au sommet de
Maputo en 2003, sur un dossier de la FEPACI et introduit par le President Kerekou qui vient de
nous quitter.
6. Quelle est la politique de la Fépaci face à la numérisation du cinéma depuis plus d’une
décennie ?
La réponse vient naturellement du colloque tenue en février 2015 au FESPACO colloque FESPACO/
FEPACI
« Depuis les années 2000 la technologie numérique a incontestablement bouleversé la pratique
cinématographique et audiovisuelle en Afrique, au niveau de la production et de la réalisation,
des outils vidéo (magnétiques et numériques), en réduisant les couts de production, en rendant
accessible au plus grand nombre les outils de production et de postproduction. Comme l’atteste
le nombre croissant de films inscrits aux différentes éditions du FESPACO : 750 films en 2013
contre 464 en 2011, pour respectivement 69 pays contre 49 pays représentés ».
Il fallait donc traiter de la problématique du numérique et des enjeux pour le cinéma et
l’audiovisuel du continent et de la diaspora. Des colloques ont ainsi été organisés aux différentes
éditions du FESPACO :
- 1999 : 16ème édition : cinéma et circuits de diffusion en Afrique
- 2001 : 17ème édition : cinéma et nouvelles technologies
67
68

Documents pareils