LA VIDEOSURVEILLANCE COMME

Transcription

LA VIDEOSURVEILLANCE COMME
ETUDES ET RECHERCHES
L’IMPACT
DE LA VIDEOSURVEILLANCE
SUR LA SECURITE
dans les espaces publics et les établissements
privés recevant du public
Dominique PECAUD
Sociologue à l’Institut de l’Homme
et de la Technologie, Nantes
Institut des hautes études de la sécurité intérieure
2
DANS LA MÊME COLLECTION
Jean-Paul GREMY, 1996, Les violences urbaines : comment prévoir et gérer les
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Guy BARON (dir.), 1996, Intelligence économique : objectifs et politiques
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André MIDOL, 1996, La sécurité dans les espaces publics : huit études de cas sur des
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3
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Actes du colloque de cartographie, 2001, Cartographie et analyse spatiale de la délinquance,
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Les délinquances économiques et financières transnationales : manifestation et régulation,
Paris, IHESI, 134 p.
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Le cas des Brigades Régionales d’Enquêtes et de Coordination (BREC) de la Police
Judiciaire, Paris, IHESI, 102 p.
Georgina VAZ-CABRAL, 2001, Les formes contemporaines d’esclavage dans six pays de
l’union européenne, Paris, IHESI, 120 p.
ISSN : 1263-0837
ISBN : 2-11-091881-0
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4
SOMMAIRE
INTRODUCTION ............................................................................... 7
LA VIDEOSURVEILLANCE COMME TECHNIQUE
ET COMME TECHNOLOGIE ......................................................... 9
LE PARADIGME DE LA NEUTRALITE DE LA TECHNIQUE ............................................................... 9
LE PARADIGME DE L'OUTIL COMME ACTEUR SOCIAL ................................................................ 10
PROBLEMATIQUE .........................................................................13
LES DEUX FORMES DE CONTROLE ........................................21
L’INDUCTION DE LA PERFORMANCE TECHNIQUE SUR
LE CONTROLE SOCIAL................................................................25
PERFORMANCE TECHNIQUE ET FORME DE CONTROLE SOCIAL .................................................. 25
PERFORMANCE TECHNIQUE, DEFINITION ET EVOLUTION DES POLITIQUES DE SECURITE ........... 27
PERFORMANCE TECHNIQUE DES OBJETS ET JUSTIFICATION DE LEUR USAGE ............................ 28
INTERDICTION DE L’USAGE D’UN OBJET AU NOM DE SA PERFORMANCE TECHNIQUE ................ 29
PERFORMANCE TECHNIQUE DE L’OBJET ET PRATIQUES SOCIALES DES DELINQUANTS .............. 31
EVOLUTION CONJOINTE DES PERFORMANCES TECHNIQUES ET SOCIALES ................................. 31
L’INDUCTION DES CONDITIONS SOCIALES
SUR LA PERFORMANCE TECHNIQUE ....................................35
LA NATURALISATION DE LA TECHNIQUE REVELATRICE DES CONDITIONS SOCIALES ................... 35
LA FASCINATION POUR LA TECHNIQUE REVELATRICE DES CONDITIONS SOCIALES ................... 35
DECISIONS POLITIQUES ET STRATEGIES MARCHANDES ............................................................ 38
UNE DIALECTIQUE ENTRE EVOLUTION TECHNIQUE
ET EVOLUTION SOCIALE ...........................................................41
LE STATUT DE L’OBJET ..............................................................43
LA VIDEOSURVEILLANCE OBJET DE SURVEILLANCE OU SIGNE DE CONTROLE ?........................ 43
SURVEILLANCE PENSEE ET SURVEILLANCE REELLE .................................................................. 44
LES ELEMENTS DU PROCESSUS DE DECISION ............................................................................ 46
DIMENSION TECHNIQUE ET PSYCHOLOGIQUE DE L’OBJET ........................................................ 47
BANALISATION DE L’OBJET VIDEOSURVEILLANCE................................................................... 49
SECURITE ET SURVEILLANCE ................................................................................................... 50
INDIVIDUS, GROUPES ET OBJETS .............................................................................................. 51
VIDEOSURVEILLANCE, SURETE ET SECURITE ..................53
LA VILLE DE D. ....................................................................................................................... 53
LA VILLE DE F. ........................................................................................................................ 55
SECURITE ET POLITIQUE .......................................................................................................... 57
LA COMPAGNIE DE TRANSPORTS A.......................................................................................... 58
LA COMPAGNIE DE TRANSPORTS B. ......................................................................................... 63
VIDEOSURVEILLANCE, PREVENTION ET SITUATIONS
D'INSECURITE ................................................................................67
LES DEUX FORMES DE PREVENTION ......................................................................................... 67
VIE PRIVEE ET VIE PUBLIQUE ................................................................................................... 69
LES FAUX BESOINS ET LA POST-MODERNITE ............................................................................ 72
DES REPONSES RATIONNELLES EN FINS ET EN MOYENS............................................................ 74
CONCLUSION ..................................................................................79
ANNEXE :
TABLEAU COMPARATIF DES ELEMENTS TECHNIQUES DES INSTALLATIONS ETUDIEES .............. 83
BIBLIOGRAPHIE ............................................................................85
6
INTRODUCTION
L’Institut des Hautes Etudes de Sécurité Intérieure (IHESI) a commandé à l’Institut de
l’Homme et de la Technologie (IHT) une étude portant sur l’impact des dispositifs de
vidéosurveillance en matière de sécurité dans les espaces publics et les établissements privés
recevant du public. Il a souhaité que soient analysés les points suivants :
-
La manière dont les utilisateurs avérés ou potentiels de la vidéosurveillance ou les acteurs
opposés à ce type de dispositif avaient pris des décisions en ce domaine. L’IHESI
cherchait à savoir si ces décisions faisaient suite à une analyse des risques. Y avait-il un
rapport à établir entre les risques à conjurer, révélés à travers le thème de la protection des
personnes et des biens contre l’insécurité, et la mise en œuvre d’un système de
vidéosurveillance pour les prévenir ? Etait-il possible d’établir une quelconque relation
entre l’installation des caméras et la diminution de ces risques ? Cette relation
s’établissait-elle sur la base d’un effet de nombre de caméras, d’un niveau de qualité quant
à l’exploitation globale des images ? Il nous fallait donc nous intéresser aux scénarios
sociaux qui président à toute définition des risques (modes de représentation,
circonstances conjoncturelles et structurelles, fabrication et exploitation des opinions, des
données…) et à l’élaboration de la réponse technique et politique que représente
l’installation de la vidéosurveillance (recherche de solutions, organisation du marché,
formes de la pression sociale…). Nous avons aussi tenté de repérer et de donner une
signification aux scripts sociaux présents dans les dispositifs de vidéosurveillance euxmêmes et dans les objets qui les composaient.
-
La manière dont les différents acteurs concernés utilisaient ce dispositif au regard de la loi
de 1996, notamment à travers une réflexion sur les difficultés rencontrées pour s’y
adapter, voire dans certains cas pour la contourner.
-
L’évaluation, par les utilisateurs qu’ils soient Etablissements Recevant du Public,
« victimes organisées » préoccupées par la défense de leurs intérêts privés ou collectivités
publiques mettant en avant la défense de l’intérêt général, de l’impact de ces techniques de
vidéosurveillance en matière de « retour de sécurité ». Nous avons donc cherché à
reconstituer la nature des pratiques sociales d’évaluation existantes destinées à mesurer les
effets de la vidéosurveillance. Comment et par qui sont repérés les impacts des dispositifs
de vidéosurveillance ? Quels sont les indicateurs dont les responsables se sont dotés ?
Nous avons considéré que cette demande s’inscrivait dans une réflexion portant sur
l’approche des vulnérabilités de nos sociétés, approche que nous développons au sein de
l’Institut de l’Homme et de la Technologie en ce qui concerne notamment les risques
industriels.
D’une manière générale, nous avons souvent constaté dans ce type de situations un double
mouvement :
-
Le maintien d’une manière déjà connue pour résoudre une situation. L’apparition et
l’utilisation d’une technique destinée à accroître la sécurité s’inscrit dans l’évolution de
7
situations plus globales caractérisées par leurs dimensions économiques et sociales. Il n’y
a donc pas à proprement parler dans ce cas d’innovation en matière d’accroissement de la
sécurité, au sens de rupture, quand est adoptée cette technique. Il y a résolution d’un
problème déjà posé. Ce problème n’est jamais strictement technique, mais l’apparition de
nouveaux moyens techniques pourrait laisser croire que les réponses apportées sont
nouvelles et que le problème serait donc lui aussi nouveau.
-
L’apparition d’une technique génère bien souvent de nombreux effets contre-intuitifs. En
effet, les acteurs qui mettent en œuvre à quelque titre que ce soit une nouvelle technique
ont toujours tendance à en sur valoriser a priori son efficacité et donc à restreindre la
compréhension de la situation globale dans laquelle elle apparaît. L’effet immédiat est mis
en avant tandis que les effets contre-intuitifs demeurent ignorés, faute de dispositifs
d’évaluation pertinents. Par exemple, dans le domaine industriel, comment se fait-il que
persistent des accidents de travail alors même qu’ont été installés des systèmes de
protection sophistiqués ?
Ce double mouvement va apparaître à propos des technologies de la surveillance. Michel
Foucault a su, par exemple, mettre en évidence les rapports croisés entre les dispositifs
techniques, juridiques et sociaux et les comportements normés des individus. Prolongeant sa
réflexion, André Vitalis voit aujourd’hui dans la vidéosurveillance le moyen de « moderniser
les dispositifs panoptiques » jusque là réservés aux espaces fermés. Selon lui, « La fonction
générale d’être vu sans jamais voir (…) va être appliquée aux espaces ouverts fréquentés par
des individus de plus en plus mobiles.1 ».
Pour répondre à la commande de l’IHESI, nous avons travaillé à partir de l’observation de
différents terrains :
-
Deux compagnies de transports urbains ayant installé des dispositifs de vidéosurveillance
dans leurs véhicules (Compagnie A. et Compagnie B.),
-
Une compagnie de transports ayant installé des systèmes de vidéosurveillance dans des
installations fixes (Compagnie A.),
-
Trois collectivités territoriales françaises (Mairie de C., Mairie de D., Mairie de E.) et une
municipalité allemande (Mairie de F.),
-
Une compagnie bancaire (Banque G.).
Nous avons rencontré des difficultés pour obtenir des autorisations d’enquête, rencontrer des
interlocuteurs, obtenir des données et surtout pour dépasser les discours habituellement
convenus. C’est aussi pour cette raison que nous avons mis en résonance ces différentes
sources avec un corpus théorique important afin de mieux déceler l’existence de pratiques
avérées nous permettant de répondre aux questions posées par l’IHESI.
1 « Le regard omniprésent de la vidéosurveillance », Le Monde diplomatique, mars 1998.
8
LA VIDEOSURVEILLANCE COMME
TECHNIQUE ET COMME TECHNOLOGIE
La vidéosurveillance peut être définie à partir de deux points de vue distincts et
complémentaires. Ces points de vue correspondent aussi à deux paradigmes qui ont en partie
servi à structurer notre étude.
LE PARADIGME DE LA NEUTRALITE DE LA TECHNIQUE
La vidéosurveillance désigne un ensemble d’éléments techniques ayant pour finalité de
produire des images fixes ou mobiles destinées à surveiller un espace en temps réel (vision
directe) ou en temps différé (vision d’images enregistrées). Cet ensemble se présente comme
un outil dédié à une activité : la surveillance. La plupart des personnes que nous avons
rencontrées aiment à faire remarquer que « Ce n’est qu’un outil ». Cette formule
précautionneuse cherche à attirer notre attention sur la nécessité de mettre en perspective les
capacités techniques de l’outil et l’usage qui en en fait à l’intérieur d’un ensemble plus vaste
d’intentions politiques concernant la sécurité, la tranquillité publique, la qualité de vie, la
citoyenneté. Selon nos interlocuteurs, seule cette mise en perspective permettrait de juger de
l’efficacité et de la vertu de cet outil, ce dernier n’ayant pas à lui seul de qualités permettant
de le juger socialement. Ce premier paradigme suppose donc la possibilité de cliver outil et
usage de l’outil. Mais que serait un outil sans intention pratique et un usage qui ne serait pas
instrumentalisé ? Il repose également sur la hiérarchisation implicite de l’usage des outils
dans un champ d’application donné, ici la sécurité, dans les espaces publics et privés recevant
du public.
Plusieurs témoignages recueillis à la ville de C. offrent une illustration de la pertinence de ce
paradigme dans le domaine de la sécurité. Dans une réunion d’information publique portant
sur la mise en place d’un système de vidéosurveillance dans la commune, l’élu adjoint à la
sécurité déclare : « Notre effort porte sur la prévention. ». La vidéosurveillance est présentée
comme s’inscrivant dans cette finalité. Elle devient un des outils possibles, capable de
répondre à l’objectif de prévention annoncé. Le même élu, quelques mois après cette réunion
précise : « Que les choses soient bien claires, il ne s’agit pas de transformer la commune en
bunker. Ce qui nous intéresse, c’est la dissuasion. C’est mettre un terme à tous ces petits
délits qui pourrissent le quotidien des gens. ». La vidéosurveillance vient « en complément de
l’action que nous menons dans les quartiers depuis de longues années, grâce à l’excellent
travail de nos agents de proximité. », déclare-t-il.
Autant de déclinaisons d’une rhétorique qui cherche à distinguer l’idée politique de la
machinerie chargée de sa mise en œuvre au cas où cette machinerie pourrait renvoyer
spectaculairement ce que contient implicitement cette politique. À cause de ce risque,
l’intention politique qui préside au choix de la vidéosurveillance ne doit donc absolument pas
être confondue avec les soi-disant capacités techniques de cette technologie ; la
vidéosurveillance peut à la rigueur être décrite comme un outil technique qui complète un
9
dispositif politique qu’on ne veut pas réduire à un simple dispositif technique auquel on
prêterait implicitement une mauvaise réputation.
LE PARADIGME DE L’OUTIL COMME ACTEUR SOCIAL
Si la vidéo est présentée comme un outil, elle est aussi une technologie. En effet, les éléments
techniques qui concourent à la production et à l’exploitation des images (caméras, réseaux de
transmission, postes de contrôle, stockages…) mettent en œuvre un processus social plus
large intégrant tous ces éléments techniques, et éventuellement, d’autres innovations
techniques.
Ce processus que nous appellerons dorénavant technologie comporte des éléments techniques
simples (caméras, écrans de visualisation, réseaux de transmission…) ainsi que des éléments
techniques en interactions avec les « interfaces » comme les commandes à distance des
caméras, les transmissions d’images par différents canaux). Il comporte aussi des scénarios
d’utilisation réglementés par des lois, des décrets ou mis en œuvre à travers des procédures
d’établissements. Il s’inscrit dans des modes d’organisation propres à ces établissements. Il
est également constitué d’actions menées par des utilisateurs primaires (ceux qui vont utiliser
les images dans un cadre professionnel à des fins de sécurité) et d’actions menées par des
utilisateurs secondaires qu’elles soient ou orientées par l’existence des éléments techniques
comme la présence de caméras dans des lieux publics. Ces derniers utilisateurs peuvent être
qualifiés de « malgré eux » dans le sens où ils vont apparaître involontairement sur des
images. La lecture de ces images peut, le cas échéant, entraîner une prise de décision ayant
une conséquence directe sur eux, par exemple dans le cas interpellation au cours d’une
enquête de police, ou une conséquence indirecte comme l’interprétation d’un comportement
par des contrôleurs2. C’est ainsi qu’à la banque G., les employés de guichet ont pour consigne
de refuser l’entrée à des personnes qu’elles considèrent comme suspectes. Les critères qui
mènent au jugement de suspicion restent flous. Le responsable de la sécurité estime que
« c’est l’expérience des guichetiers qui compte dans ces cas-là ».
2 Il existe actuellement des individus ou des associations qui militent contre la vidéosurveillance installée dans
les espaces publics.
Cf. par exemple, ce site : http://membres.tripod.fr/cameravideo/. On y lit :
« Depuis quelques temps déjà, on voit de plus en plus de caméras envahir nos rues, les magasins, les
résidences à un tel point qu'il est difficile de ne pas apparaître sur une vidéo en allant quelque part. Depuis
que la loi Pasqua de 1995 est passée, la CNIL n'a plus de regard quant aux dérives éventuelles qui peuvent
résulter de ce foisonnement de systèmes vidéos. Le projet que j'essaye de mettre en route consiste donc à :
1- Localiser le plus grand nombre de caméras de vidéosurveillance dans Paris.
2- Reporter ces endroits sur une carte de Paris qui sera accessible sur ce site.
Les informations qui seront disponibles auront un format comme suit: - Lieu (n°, rue) ; - Hauteur (toit, poteau,
façade, étage) ;- Type (fixe, pivotante, autre).
Lorsque vous êtes à Paris (pour aller au cinéma, pour bosser, etc.) jeter un coup d'œil autour de vous, il y a
sûrement une caméra quelque part. Noter mentalement où elle se trouve et faites m'en part quand vous le
pouvez (…). ».
Cf. aussi les prises de position de la Ligue des Droits de l’Homme, notamment sur l’installation d’un système
de vidéosurveillance à C. « On aurait préféré que les quinze personnes affectées au Centre superviseur urbain
rejoignent la vingtaine de médiateurs dans les quartiers » (extrait de la presse locale, mercredi 11 octobre
2000). Dans ce même organe de presse, la Ligue des Droits de l’Homme locale, par la voix de son président
déclare : « Les caméras de C. sont utilisées pour surveiller l’espace public. Nous craignons que la compagnie
de transports B. généralise son système de caméras embarquées dans tous les bus. Les gens n’ont plus droit à
l’intimité, ce n’est pas normal. La vidéo surveillance est en train de se banaliser. On est passé de l’espace
privé au semi-public, puis on généralise à tout l’espace public ».
10
Ce processus rend compte d’une technologie que l’on peut définir comme un ensemble
insécable de possibilités techniques et intentions politiques. Nous désignerons ici l’outil
comme acteur social. D’une part, l’outil contient des intentions sociales, d’autre part, il
s’inscrit dans une logique d’acteurs dont il est l’un des éléments.
La technologie ne peut donc être confondue avec la seule technique qu’elle englobe. C’est à
un vaste ensemble fonctionnel auquel nous avons à faire : connaissances, pratiques
professionnelles et, de manière plus large, pratiques sociales, expériences, échanges. Cette
première et rustre énumération d’éléments compose la technologie de la vidéosurveillance.
Certains d’entre eux ont une réalité physique (éléments techniques, personnes), d’autres sont
plus immatériels (lois, comportements), d’autres encore sont à compter au nom des échanges
symboliques (images, représentations, interprétations). La technologie de la vidéosurveillance
s’inscrivant en même temps dans une dimension technique et sociale, nous lui attribuerons
alors une finalité et une valeur sociales reposant sur une performance technique.
La manière qu’ont eu nos interlocuteurs d’utiliser implicitement ces deux paradigmes ordonne
autant de prises de position différentes quant au bien-fondé de faire appel ou non à la
vidéosurveillance pour accroître la sécurité. La plupart des témoignages recueillis offre
l’illustration d’une correspondance entre ces deux paradigmes. Ils inscrivent l’usage de la
vidéosurveillance dans le cadre général de l’évolution des technologies du contrôle social. Il
s’agit de voir comment les discours, principalement établis dans le registre de la justification
implicite ou revendiquée, s’articulent avec ce que produisent en terme de faits et d’effets les
dispositifs sur lesquels portent ces discours. « Lorsque je suis filmé, je me sens toujours en
liberté », déclare un habitant de la ville de C. « Si les agresseurs, eux, se savent filmés, peutêtre cela les retiendra-t-il ? » remarque un autre.
Ces deux témoignages illustrent deux dimensions du contrôle dont nous parlerons plus loin.
Pour le premier témoin, la caméra matérialise l’existence d’une surveillance qui s’impose
physiquement au surveillé potentiel. Cette surveillance n’entrave pas sa liberté d’action. Ses
actes ne peuvent faire, selon lui, l’objet de répression, n’étant pas répréhensibles. On peut
donc en déduire que, dans cette perspective, il n’y a de surveillé que s’il existe une
« conscience » de surveillé. Celle-ci s’élaborerait dans la conscience de la transgression
sociale des règles de la vie en société. Pour le second témoin, le surveillé dont parle la
personne est censé prendre conscience de l’existence et du rôle de la caméra. Il est censé avoir
intériorisé les conséquences de la surveillance physique de la caméra comme risque pour lui
en cas de transgression des règles. La conscience de la caméra fait partie d’une conception du
monde qui comporte entre autres l'idée qu'il se fait des conséquences de la surveillance et de
la transgression des règles sociales.
Si pour l’un, la vidéosurveillance n’entrave pas sa liberté du fait que sa propre activité sociale
ne lui semble pas relever de ce que la caméra surveille, pour l’autre, la liberté d’action de
l’agresseur potentiel serait restreinte en raison de l’idée que se fait ce dernier de la
transgression de son acte et de la valeur des conséquences induites. C’est en tous les cas ce
que laisse entendre notre interlocuteur. Or rien dans l’étude que nous avons menée ne nous a
fourni d’arguments permettant de lui donner raison de manière franche car le raisonnement
que tient cette personne nécessite que les « agresseurs » partagent les mêmes manières de
raisonner que les siennes. Ces manières supposent l’existence d’un rapport à la loi de type
calculateur et l’estimation des inconvénients qu’il y aurait à la transgresser. Au contraire,
plusieurs témoignages et le constat de faits avérés ont confirmé que ce n’était pas toujours le
cas. On nous a signalé le déplacement, à la suite d’installations de vidéosurveillance, de
personnes et d’activités supposées liées à la délinquance vers des zones dites « non
11
surveillées » de l’espace communal (mairie de C.). On nous a parlé de l’adaptation des
malfaiteurs aux dispositifs de sécurité bancaire (banque A.), de l’existence d’attitudes
démonstratives face à la caméra (mairie de C.), voire de tentatives de destruction du matériel
de surveillance (mairie de C.)3. Quant au responsable de la tranquillité publique à la ville de
D., il déclare que la vidéosurveillance n’est pas un obstacle pour ceux qui sont « déjà installés
dans la délinquance. » Ceux-là « risquent d’intégrer cette nouveauté dans leurs pratiques
existantes comme ils ont intégré le reste : alarmes de voiture, interphones dans les cages
d’escalier. Il suffit de se procurer une clé, de faire des doubles… »
D’une manière plus générale, nous considérons que technique et société ne peuvent être
dissociées sans courir le risque d’accepter l’idée d’une autonomie de l’activité du champ
technique ainsi que celle du champ social et de son contrôle. Depuis les analyses de
M. Foucault, l’idée d’une césure entre ces deux champs ne nous paraît guère tenable même si
plusieurs personnes rencontrées affirment haut et fort la neutralité de l’activité technique de
surveillance vis-à-vis des modes de relations sociales. Pour notre part, nous avançons l’idée
que la vidéosurveillance est une technologie du contrôle social en général, dont la légitimité
s’exprime socialement à travers des arguments techniques et politiques dédiés à la question de
la sécurité. L’argument du clivage entre champ technique et champ social apparaît comme
une justification idéologique qui permet d’ordonner les modes de raisonnement amenant nos
interlocuteurs à mettre en œuvre et à justifier cette technologie. Cette idée sert ici de clé
d’entrée à notre propos. « [la vidéosurveillance], ce n’est pas Big Brother. Le système est bien
encadré. Il faut sécuriser les rues : nous avons un vrai problème de délinquance dans le
centre. » (Maire de E., mai 2000).
Figure 1 : la correspondance des paradigmes
Outil comme objet technique asocial
Outil comme acteur social
Position relative des acteurs
Voici comment s’organise la plupart des discours recueillis :
a)
D’abord et curieusement, seule une soi-disant neutralité technique de la vidéosurveillance permettrait
d’affirmer et d’évaluer les intentions sociales qui vont permettre ou non de prendre la décision de l’utiliser.
Le clivage entre technique et politique permet de juger des intentions politiques.
b) Mais, en même temps, et de manière implicite, l’affichage des intentions laissent à entendre que l’outil n’est
pas neutre, puisque son usage pourrait avoir des effets politiques indésirables.
c)
La dangerosité sociale de l’outil technique permet d’affirmer parallèlement la vertu des intentions politiques.
d)
Ainsi, seules les intentions politiques permettent de neutraliser un usage condamnable de l’outil !
3 Cf. à ce propos un article de Gérard Chevalier, « Les limites de l’évangélisation civique », Le Monde, 14 juin 1991 qui
notait « la distance qui sépare les intérêts des « jeunes en difficulté » du système de croyances qui guide les politiques
publiques. (…)Vraisemblablement, à l’inverse du lamento ordinaire sur la désagrégation du « tissu social », placent-ils au
premier plan des satisfactions attendues au sein du groupe de leurs pairs. Cette prédominance du groupe ou de la bande,
comme médiation entre l’individu et la société, induit des rapports de forces et des hiérarchies qui conditionnent fortement
les langages et les pratiques corporelles. Intimidation logique du défi et de la mise à l’épreuve, « héroïsme » de centre
commercial, sont autant de traits qui traduisent des intérêts subjectifs incompréhensibles pour les pouvoirs publics. Réussir
tel enchaînement de coups de pieds à la face, vu dans un téléfilm ou pratiqué par un rival, se tailler une réputation de
« petit caïd » local par le racket à la sortie des écoles ou par la « dépouille » dans les transports en commun, se faire une
« situation » dans le trafic d’objets volés ou de drogue, être connu et reconnu après une brève incarcération, rivaliser de
courage face à la police, bref se distinguer, être le plus fort ou le plus rusé ou le plus audacieux. »
12
PROBLEMATIQUE
La vidéosurveillance telle que nous l’avons précédemment définie peut donc procéder d’une
double approche : une approche technique à caractère instrumental qui oriente dans un
premier temps le regard sur l’excellence technique, les rôles de la conception et de l’exécution
tenus par des spécialistes ; une approche sociologique qui met en avant les particularités des
formes de coopération entre différents acteurs concernés par l’utilisation de la
vidéosurveillance.
À partir de cette définition, la problématique générale que nous avions élaborée dans un
premier temps pour conduire cette étude, consistait à affirmer que l’outil, la technologie et le
processus social de la vidéosurveillance perturbaient des manières d’être ensemble dans des
domaines variés comme, par exemple, ceux de l’organisation du travail des personnes qui
l’utilisent directement ou de celles qui travaillent dans un environnement où la
vidéosurveillance est installée. D’autres domaines comme celui des relations entre usagers et
prestataires de services publics ou privés, celui des manières d’occuper l’espace public et d’y
agir, mais aussi celui plus général, des rapports entre le citoyen et l’Etat semblaient également
touchés.
Nous avions posé d’entrée de jeu cette perturbation comme la marque de l’existence d’un fait
social total que l’étude de terrain aurait à confirmer. Nous pensions que le respect d’un espace
ou d’une vie privée, le droit à l’anonymat, le droit d’utilisation de sa propre image, inscrits à
la fois dans des textes de lois et dans des normes convenues étaient vraisemblablement mis en
cause par la mise en place des dispositifs de vidéosurveillance. Le décret de 1996 lui-même
semblait donner corps à cette problématique puisqu’il cherche à protéger les citoyens de
risques de transgression d’aspects normatifs et culturels de leur vie privée en offrant des
garanties en matière d’utilisation de la vidéosurveillance.
La plupart des éléments recueillis au cours de l’enquête de terrain ont mis progressivement en
doute cette problématique. La perturbation que nous avions posée d’abord comme une
évidence n’apparaît pas aussi prégnante que nous le supposions chez les différentes personnes
rencontrées et dans les institutions qu’elles représentent. Nous avons alors avancé plusieurs
explications pour comprendre ce décalage entre ce que nous supposions, ce que nous
observions et ce qui se disait.
Première explication : il existerait une absence assez générale de préoccupations de ce type de
la part des personnes rencontrées (essentiellement des utilisateurs primaires) quelle que soient
la technologie mise en œuvre et sa lisibilité dans l’espace social. Toutefois et de manière un
peu paradoxale, la plupart de ces personnes ont fourni un discours destiné à nous rassurer.
C’est ainsi qu’elles ont cherché à nous apporter la preuve du strict respect de l’usage défini
par la loi dans l’utilisation des techniques de vidéosurveillance. Elles ont cherché aussi à
minimiser l’intensité et l’efficacité de la vidéosurveillance. Plus intéressant encore, une des
personnes rencontrées (utilisateur primaire) a affirmé que s’il y a parfois transgression de la
13
loi, l’intention justifiait cette transgression4. Ces discours correspondent-ils à un discours de
façade masquant soit les usages réels des dispositifs de surveillance, soit l’idée que s’en font
leurs utilisateurs ? Sont-ils au contraire le signe manifeste d’une cohérence existant entre les
capacités techniques de surveillance qu’offre la vidéosurveillance, les attentes des utilisateurs
et les attentes supposées des populations sur lesquelles cette surveillance s’exerce ?
Deuxième explication : l’étude de terrain que nous avons menée ne nous aurait pas permis de
rencontrer les « bons » interlocuteurs, c’est-à-dire ceux conformes à notre problématique !
Nous ne retiendrons pas cette hypothèse. En effet, l’étude nous a permis de distinguer deux
types de personnes, celles qui utilisaient des techniques de vidéosurveillance dans un cadre
professionnel, celles qui risquaient de les subir malgré elles dans un cadre professionnel ou
dans un cadre plus général, en tant que citoyen ou que « consommateur ». Dans l’ensemble,
les premières ont manifesté une volonté de respect envers le cadre de la loi et évoqué en
même temps la sous-estimation de l’usage technique de la vidéosurveillance comme garantie
politique. Quant aux secondes, leur inquiétude se cristallise autour de la question du respect
de la loi et de manière plus large, autour de prises de positions philosophiques et politiques
sur les risques sociaux que représente une généralisation des techniques de surveillance. Leur
position politique est globale et constante. La vidéosurveillance n’est qu’un épiphénomène
technique qui exacerbe le problème. Mais il est déjà en partie dépassé. Leur position s’articule
soit sur le respect du droit et sur les risques de débordement de l’usage réglementaire de la
vidéosurveillance (position conjoncturelle), soit sur les choix politiques qui président à
l’installation de tout système de surveillance (position structurelle). Ces deux types de
position nous permettent donc de ne pas retenir l’explication avancée car, pour des prétextes
bien sûr différents liés à leur statut et aux rôles que ce dernier induit, curieusement, les
personnes évoquent en même temps l’existence d’un grand nombre d’individus pour lesquels
la vidéosurveillance ne pose pas de problèmes particuliers..
Une autre explication pourrait être celle qui consiste à penser que la technologie de la
vidéosurveillance est déjà obsolète et que d’autres techniques de surveillance permettent
d’accroître la sophistication de la surveillance et cristallise l’inquiétude. C’est ce que laisse
entendre, par exemple, cette page d’introduction d’un site Internet dénonçant les risques
sociaux du système de surveillance ECHELON :
« Echelon is perhaps the most powerful intelligence gathering organization in the
world. Several credible reports that suggest that this global electronic
communications surveillance system presents an extreme threat to the privacy of
people all over the world. According to these reports, ECHELON attempts to
capture staggering volumes of satellite, microwave, cellular and fiber-optic
traffic, including communications to and from North America. This vast quantity
of voice and data communications are then processed through sophisticated
filtering technologies. This massive surveillance system apparently operates with
little oversight. Moreover, the agencies that purportedly run ECHELON have
provided few details as to the legal guidelines for the project. Because of this,
there is no way of knowing if ECHELON is being used illegally to spy on private
citizens. This site is designed to encourage public discussion of this potential
threat to civil liberties, and to urge the governments of the world to protect our
rights. »
4 Cette assertion rejoint les informations d’un sondage concernant l’utilisation de la torture, sondage faisant apparaître
que l’utilisation de la torture est plus justifiable dans certaines circonstances que dans d’autres, montrant par là
combien la fin peut justifier les moyens et le risque de voir les moyens devenir une fin. (sources : sondage réalisé par
le Groupe CSA TMO, Le Monde, jeudi 19 octobre 2000).
14
À la lumière de ces premiers constats, nous avons alors décidé de revoir notre problématique
et d’appréhender l’état actuel de la demande sociale à travers l’absence apparente de
perturbations causées par l’installation de la vidéosurveillance, à travers le discours de
réassurance tenu par les uns et par les autres, et celui plus politique de la vigilance.
De notre point de vue, l’usage de la vidéosurveillance s’inscrit dans un contexte social ou
prédominent d’une part des idéologies conjointes de l’utilité, de l’efficacité et de
l’immédiateté en matière de sécurité, et d’autre part un discours plus ou moins
autonomisé politiquement à propos des dangers que représenteraient les dispositifs de
surveillance.
Cet usage traduit les influences réciproques entre les processus de naturalisation des effets
sociaux de la technique (la technique devient immédiatement disponible pour l’usage social
recherché) et les formes de régulation sociale qui participent plus traditionnellement à la
sécurité et à la tranquillité (rôle des institutions, pression sociale exercée par les uns sur les
autres).
Deux éléments importants apparus au cours de l’enquête de terrain portent sur la remise en
cause de catégories de pensée que la problématique initiale supposait. Le premier concerne
l’évolution de la distinction politique entre vie privée et vie publique du fait d’une vision
utilitariste de la vie commune et de la sécurité dont le thème envahit le débat politique. Le
second a trait à l’évolution de la distinction entre la liberté du citoyen et l’intention des
dispositifs de protection que peut offrir une quelconque instance chargée de produire un
service à l’usager.
Ces éléments renvoient eux-mêmes à l’influence de deux modèles d’organisation sociale dans
le choix des modes de prévention de la criminalité. Le premier est le modèle sociétal qui va
attribuer à une instance suprême la fonction de sécurité. L’Etat hérite ainsi du monopole de la
violence pour assurer cette fonction. Dans l’approche sociétale, la criminalité correspond à
une faillite de la sécurité et l’instance chargée de la sécurité sera en même temps chargée du
rétablissement de la sécurité via notamment la mise en œuvre de mesures répressives. Le
second est le modèle communautaire qui fait reposer la sécurité sur l’engagement réciproque
de l’ensemble des citoyens quels que soient leur fonction et leur rôle. Cet engagement se
traduit aussi par la prégnance permanente de la pression exercée par les uns sur les autres à
travers les rites, les valeurs et les règles introjectées. La distinction nettement marquée dans le
premier modèle entre prévention et protection, voire répression est ici plus ténue, les notions
de responsabilité et de responsabilisation contribuant à la réduire. Chaque membre de la
communauté s’attribue un ensemble de rôles orientés vers la tranquillité5.
Ainsi, selon la prégnance de l’un ou de l’autre de ces deux modèles dans les pratiques
sociales, les lignes de partage entre vie publique et vie privée, liberté du citoyen et instances
de contrôle ou de surveillance se déplacent. Les éléments recueillis au cours de l’enquête
montrent que plus le modèle sociétal s’impose comme modèle pertinent d’analyse, plus seront
valorisées et contrôlées ces lignes. Par contre le modèle communautaire tend à donner de
l’importance aux circonstances et aux finalités qui déclenchent et légitiment les lignes de
partage franches indispensable à la construction du modèle sociétal.
5 Cf. notamment le dossier consacré à « La cité policée » par Libération, samedi 26 et dimanche 27 mai 2001.
15
Nous avons donc décidé de retenir la problématique suivante : la vidéosurveillance ne
perturbe guère les manières d’être ensemble car elle s’accorde avec l’une des
caractéristiques de ces manières implicitement admises. En effet, elle manifeste
techniquement l’existence d’un jugement social d’efficacité portant sur le rapport
immédiat entre un moyen technique et un mode de comportement. La surveillance du
comportement des individus équivaudrait à une forme de contrôle social. Toutefois, la
vidéosurveillance suppose que ces mêmes individus aient intériorisé la notion de contrôle
et que cette intériorisation rende efficace ce mode de surveillance.
Cette problématique s’illustre notamment à travers les termes du débat portant sur l’intérêt ou
non de la « prévention situationnelle » par rapport à la « prévention sociale », termes relayés
par plusieurs de nos interlocuteurs. À la prévention situationnelle correspond une approche de
la sécurité qui repose sur la prise en compte des conditions d’insécurité et la mise en œuvre de
mesures principalement techniques destinées à faire disparaître ces conditions. A contrario, la
prévention sociale est décrite comme une manière de prendre soin de populations à risques
dont les comportements génèrent des dangers pour des populations conformées aux règles de
droit et aux normes de civilité.
Au-delà des caractéristiques sur lesquelles porte chacune de ces formes de prévention,
situations ou populations, ce sont deux conceptions de l’ordre social qui se dessinent à travers
ces approches différentes. L’une privilégie la pression de l’environnement hic et nunc sur les
dynamiques comportementales (ce serait en quelque sorte « l’occasion qui fait le larron »)
tandis que l’autre s’appuie sur le processus d’intériorisation et de reproduction de normes
sociales comme fondement principal du lien social. La prise en compte des populations à
risques a pour but de favoriser un processus de socialisation interrompu ou en danger de
déviance.
Ces deux approches sont présentées, selon les rencontres que nous avons faites sur le terrain,
comme opposées ou complémentaires. Opposées quand est rappelé l’attachement à la
prévention comme marque d’une position idéologique affirmée (ville de D.). Opposées aussi
quand le problème à résoudre est identifié comme un problème de protection de biens et de
personnes (banque G.). Complémentaires quand une approche pragmatique est annoncée
(ville de F.) et quand la notion de prévention est présentée comme l'affaire d'une communauté
prenant en charge l’insécurité criminelle. Complémentaires quand se mêlent mission de
protection et mission de prévention (compagnie de transports A.) : protection des voyageurs et
du personnel de la compagnie tout au long de leur présence dans les trains ou dans les gares,
prévention pour maintenir la mission de service public de la compagnie.
Cette problématique est proche de celle qui s’est dégagée d’une étude que nous avons menée
sur les modes d’explication des accidents du travail6. On y retrouvait la prédominance actuelle
d’un mode de raisonnement de type instrumental qui privilégie l’importance des solutions
techniques (évolution des mesures de protection) et des comportements normalisés face aux
dangers. L’éradication des conditions d’apparition de l’insécurité aurait de fait amélioré la
sécurité : conception de machines sûres, mise en place de protections collectives… La
sécurité aurait augmenté grâce à l’apprentissage de comportements ad hoc codifiés. Ces
comportements prolongeraient des solutions à apporter face à des situations de dangers qui
perdureraient malgré la mise en place de solutions techniques garantissant l’absence la plus
complète possible d’insécurité. Toutefois cette approche de la sécurité, apparemment
6 D. Pécaud, « L’usage des notions de facteur comportemental et de facteur humain dans l’analyse d’accident du
travail », Revue PREVENIR, n°40, 1er semestre 2001, pp.217-233.
16
homogène du point de vue de sa conception, comporte une défaillance constatée par
expérience : l’apprentissage des comportements ad hoc ne garantit pas leur réalisation à coup
sûr. De là l’obligation d’introduire des notions telles que celles de « facteur humain »,
d’« erreur humaine » pour rendre compte de l’apparition de comportements inattendus
réintroduisant le danger au cœur des situations sécurisées.
Sans s’attarder sur cette étude, nous pouvons toutefois en tirer quelques enseignements utiles
pour la justification de notre problématique. Les visions instrumentales appliquées à la
compréhension de situations sociales tendent à redoubler les problèmes qu’elles souhaitent
traiter. Dans le cas de l’explication des accidents de travail, cela va se traduire par l’obligation
de concevoir des comportements adaptés, une fois mises en place des situations sécurisées.
Nous retrouvons cette dynamique dans le cas de la vidéosurveillance : sécuriser un territoire
peut engendrer « l’effet plumeau »7, c’est-à-dire le déplacement des populations « à risques »
vers d’autres territoires moins surveillés. Cet effet peut alors amener soit à une généralisation
de l’installation de la vidéosurveillance sur un territoire donné, soit à la décision de
discriminer des lieux en matière de sécurité. Au-delà de ce choix possible de discrimination,
peut aussi apparaître la volonté de modifier, y compris de manière autoritaire, les
comportements des individus ou des populations dites « à risques ».
Cette problématique posée, nous avons émis quatre hypothèses que nous avons cherché à
vérifier.
A - L’existence des objets techniques de surveillance, et plus particulièrement celle de la
vidéosurveillance dans des lieux publics est à prendre en considération dans un contexte
général de contrôle social8.
Nous avons cherché à comparer, notamment pour la compagnie de transports A. et pour la
banque C., les intentions et les effets de l’installation d’une vidéosurveillance quand celle-ci
est dédiée à la production économique et quand, en même temps, elle est censée contribuer à
assurer la sécurité des personnes9. Pour nous, il s’agissait de repérer ce qui relevait avant tout
des exigences de la production et, à partir de là, de comprendre la manière dont les salariés
appréciaient ou non la présence de caméras sur leur lieu de travail. Il s’agissait également de
distinguer ce qui relevait du lien entre l’exigence de production et le contrôle social en
général. En d’autres termes, l’exigence technique de la production visée et l’adhésion des
salariés à cette exigence rendent-elle l’installation de vidéosurveillance acceptable à leurs
yeux ? La vidéosurveillance est-elle un élément parmi d’autres qui relève des techniques
visant de manière plus ou moins implicite l’amélioration de la production comme les
7 « Zone quadrillée », Libération, mardi 5 décembre 2000
8 On peut rappeler ici, à titre d’anecdote l’intuition conceptuelle de la Psychogéographie comme « Etude des
effets précis du milieu géographique, consciemment aménagé ou non, agissant directement sur le
comportement affectif des individus. » Internationale situationniste, n°1, juin 1958, p. 13.
9 Cf. article 432-2-1 du code du travail : notion de surveillance proportionnelle au but recherché avec obligation
pour l’employeur d’en avertir les représentants du personnel et les salariés. A rapprocher de la participation de
l’accusé à la recherche de la vérité dont parle Foucault dans : Surveiller et Punir, Editions Gallimard, Paris
1975, p.49, chapitre 2. « Par l’aveu, l’accusé prend place lui-même dans le rituel de production de la vérité
pénale. ». Obligation pour le salarié de porter un badge électronique pour enregistrer les déplacements, les
horaires, les motifs d’absence, les heures supplémentaires, possibilité pour l’employeur d’installer un autocommutateur pour le contrôle des appels téléphoniques, voire un système de télé-surveillance justifié par des
impératifs de sécurité. Dans ce cas, si l’employeur filme à l’insu du salarié il est passible de sanctions pénales
(Art. 226-1 du Nouveau Code Pénal). De même le contrôle des vestiaires est rendu possible pour des impératifs
d’hygiène et de sécurité. Il ne peut s’effectuer qu’en présence du salarié et après que celui-ci en ait été informé.
17
techniques ergonomiques, les techniques préventives collectives et individuelles liées à la
sécurité au travail, les techniques d’organisation des déplacements urbains ou dans des lieux
publics10, des circuits, les techniques ayant pour objet la qualité et son évaluation. Sa
banalisation n’est-elle pas liée à son niveau d’intégration dans le processus de production ?
À l’issue de l’étude, nous considérons que cette hypothèse est en partie vérifiée. La
banalisation de la vidéosurveillance est facilitée dès lors qu’elle apparaît comme une
technique utile au processus de production. Deux autres arguments renforcent ce constat.
D’une part, le périmètre du processus de production a tendance à s’élargir sous le prétexte de
la qualité de service et de la sécurité des personnes. D’autre part, la production d’images se
généralise et envahit notre univers.
En ce qui concerne la compagnie de transports A., d’entrée de jeu sûreté de fonctionnement
et sécurité des personnes sont liées. Dans le cas de la banque G., l’état de concurrence entre
les établissements, donc la possibilité de fragilisation de telle installation vis-à-vis de telle
autre, sert d’argument pour installer un dispositif de vidéosurveillance. Dans les deux cas, les
justifications d’installation prennent naissance à partir de préoccupations techniques
confirmées et admises en grande partie par les salariés des entreprises respectives.
B - Ce n’est pas l’évolution des techniques qui génère directement une hypothétique demande
formulée de (vidéo)surveillance. Par contre, il est toujours demandé de mettre la technique
au service d’une demande sociale diffuse ou argumentée.
L’évolution des techniques exacerbe-t-elle la demande de contrôle social ? Il existe une
croyance latente ou manifeste en l’efficacité de la technique au service du contrôle social, et
plus spécialement aujourd’hui au service de la sécurité publique d’autant plus que la lutte
contre la violence et la criminalité est considérée par environ 25% des Français comme le
problème numéro un de la société contemporaine française11.
Dans le cadre des deux compagnies de transport que nous avons étudiées, il nous est apparu
que la mise en place de vidéosurveillance ne procédait pas des mêmes analyses et des mêmes
pressions sociales. Il est évident que dans le cas de la compagnie A., nous venons de le dire,
sûreté de fonctionnement et sécurité des personnes sont les deux facettes d’une même
préoccupation. Le réseau doit être le plus sûr techniquement car de ce niveau de sûreté dépend
la sécurité des passagers. Mais il ne peut être sûr pour les passagers que si ces passagers euxmêmes ne mettent pas en cause la sûreté technique du réseau. Les passagers deviennent donc
à la fois fins et moyens de la sûreté technique. Dans ce cas, il n’est pas possible de dire, au
moins à l’origine du processus d’installation, que la disponibilité d’une technique influence
directement le souhait de l’utiliser. Pourtant, sur une période de dix ans correspondant à la
mise en œuvre du processus, force est de constater que la demande sociale a fini par rattraper
l’exigence technique.
10 Cf. notamment : P.H. Chombard de LAUWE, et al. (red.), Paris et l’agglomération parisienne, Editions
P.U.F., Paris, 1952.
11 Enquête CECOP, Le Monde, 15/16 août 1999.
18
Par contre, dans le cas de la compagnie B., la décision récente d’installation de
vidéosurveillance (environ un an) ne dépend que d’un sentiment d’insécurité des conducteurs
d’autobus de nuit et d’une demande diffuse de la population prise en compte par une politique
commerciale affichée par la direction. Aucun argument technique n’est mis en avant. Par
contre, l’existence de la technique de vidéosurveillance devient un argument utilisé par les
chauffeurs pour réclamer l’installation de caméras embarquées dans les autobus. Dans ce cas,
on peut dire que l’existence d’une technique donne forme à une revendication qui n’est pas
technique et qui n’est pas présentée dans le registre de la technique.
Toutefois, comme le rappelait à juste titre P. Clastres12 il n’y a pas de « hiérarchisation dans
le champ de la technique, il n’y a pas de technologie supérieure ni inférieure ; on ne peut
mesurer un équipement technologique qu’à sa capacité de satisfaire, en un milieu donné, les
besoins de la société ». Ainsi il n’est pas certain que la vidéosurveillance comme technique
disponible dans le champ de la sûreté de fonctionnement renforce à coup sûr l’exigence de
sécurité. Par contre, la vidéosurveillance se met en place d’autant plus facilement qu’elle
apparaît à l’interface des problèmes de sûreté des installations et des problèmes qui relèvent
de la sécurité des personnes.
C - L’impact social de la vidéosurveillance se saisit à partir d’une morphologie du contrôle
social. Nous avons retenu la typologie proposée par A. Etzioni13 pour définir le contrôle
social. Nous la présentons sous cette forme schématique.
Contrôle externe fort
Contrôle externe faible
Introjection des normes
forte
Introjection des normes
faible
Conformité réglementaire
Régulation de contrôle
Contrainte physique et
psychique
Coopération
Régulation autonome
Anomie
L’induction comportementale et sociale provoquée par l’installation de la vidéosurveillance
peut être analysée à partir de deux sources du contrôle : la contrainte externe et la contrainte
interne. Pour comprendre son efficacité, il convient donc autant d’analyser la nature de
l’introjection des normes et des symboles contenus par l’objet technique que les actions
objectives provoquées par la production des images.
Cette piste de travail s’est révélée fructueuse au cours de l’étude. La majorité des propos
recueillis tendent à minimiser le danger de la vidéosurveillance sur les libertés publiques. Ils
s’accompagnent d’une confiance dans les textes de loi et dans leur application. Ne peut-on
voir, par exemple, dans la croyance de l’impact de la vidéosurveillance le signe de cette
12 Pierre Clastres, La société contre l’Etat, Paris, Editions de Minuit, 1974, p. 163.
13 Amiai Etzioni, Modern organisation, Editions Englewood Cliffs, New Jersey Prentice Hall, 1964.
19
introjection des normes et des symboles ? La banalisation de la vidéosurveillance et des
images qu’elle produit sont autant le fait de l’accoutumance de l’objet technique dans notre
environnement et dans nos usages que le fait qu’il devient indispensable d’être inscrit dans
des rapports de proximité et d’immédiateté. Ces derniers, curieusement, se satisfont aussi de
mémoire et de stockage. L’utilisation de caméscopes dans les pratiques de loisirs se
généralise. Il faut garder en image ce qu’on voit, quitte à ne plus voir qu’à travers l’objectif de
la caméra. Les téléphones portables remettent radicalement en cause les catégories d’espace,
de temps et d’intimité du fait de l’exigence de réactions qu’ils induisent et de perturbations
qu’ils provoquent. On pourrait évoquer aussi l’émission Loft Story14 dont la gnose médiatique
en France relève curieusement beaucoup plus des interrogations identitaires et des jeux de
miroir censés exister entre exhibitionnistes et voyeurs que des droits des citoyens en matière
d’images.
Le déficit d’évaluation de l’impact de la vidéosurveillance quant aux objectifs que son
installation renvoie, de notre point de vue, à l’existence de cette dimension introjectée de la
norme. À titre d’illustration, les pratiques d’évaluation que nous avons recueillies portent
généralement sur l’impact social de l’installation (auprès des salariés ou des usagers), et peu
sur la résolution des problèmes que l’installation se devrait de résoudre.
D - La vidéosurveillance, comme tout objet technique, génère des impacts sur les phénomènes
qu’elle cherche à réduire.
Ces phénomènes sont catégorisés à partir des performances techniques de l’objet ou du
groupe d’objets techniques (ici la vidéosurveillance) mais aussi à partir des usages sociaux
pour lesquels l’objet est conçu. C’est ainsi que l’on aura affaire à deux types de raisonnement.
L’un part de la production d’images qui permettrait soit de surveiller à distance, soit de
mémoriser des événements, l’autre se développe à partir de l’impact possible de la présence
de caméras dans un espace public ou dans un espace privé recevant du public. Dans le premier
raisonnement, les performances techniques sont analysées du point de vue d’une utilisation
mécaniste de l’objet. À partir de l’ingénierie de l’objet technique, sont définis et décrits les
objectifs et les résultats escomptés. Dans le second, les effets escomptés mais aussi les effets
contre-intuitifs engendrés par l'objet sont au cœur des préoccupations des utilisateurs
primaires. L’analyse de l’usage social de l’objet confirmera ou infirmera la réalité sociale
supposée. Des effets inattendus peuvent apparaître, comme l’effet-miroir provoqué par la
caméra.
Dans tous les cas, il existe une réciprocité à envisager entre l’intention définie par l’ingénierie
de l’objet et les effets constatés à partir de l’usage de cet objet. Cette réciprocité est l’objet de
débats au moment où se réalise la prise de décision d’installer ou non un dispositif de
vidéosurveillance.
14 Emission diffusée par la chaîne M6 en 2001.
20
LES DEUX FORMES DE CONTROLE
Le contrôle social comme pression constante des différentes instances chargées de maintenir
l’ordre social observable s’exerce de deux manières. La première relève de la mise en œuvre
d’un dispositif de contraintes pouvant aller de l’instauration de lois et de règles, de consignes,
de procédures jusqu’aux sanctions qui s’appliquent en cas de transgression. Ces contraintes
peuvent revêtir la forme d’influences sociales revendiquées ou diffuses comme celle de
l’expression physique d’une domination s’exerçant par le corps sur le corps15. Elles peuvent
être mises en œuvre par des agents spécialisés représentant des organisations formelles ou
exercées de manière informelle dans le cadre de relations de proximité16. Leur mise en œuvre
équivaut à la mise en scène d’un rapport coercitif entre surveillant et surveillé, via des
techniques de contraintes. La seconde correspond à une intériorisation des normes
garantissant la reproduction d’attitudes conformes.
Dans les deux cas, qu’il soit externe ou interne, le contrôle social s’exerce dans le temps
même de ce qui est en train de se faire. C’est pourquoi nous distinguerons la fonction du
contrôle social renvoyant à l’existence d’une continuité d’actions, des formes que peut
prendre cette fonction. L’une d’entre elles consiste à produire, à travers la vidéosurveillance,
des preuves de l’existence d’une action pouvant entraîner pour son auteur une sanction sociale
effective (sanction pénale, stigmatisation comportementale, sociale, etc.).
L’analyse que M. Foucault17 offre du Panopticon de Bentham permet de comprendre ces deux
formes de contrôle et d’envisager leur évolution historique et leur relation avec la fonction du
pouvoir. L’invention du Panopticon correspond au passage de l’une à l’autre. En effet, la
situation de contrôle, à travers un dispositif de sanctions, permet d’identifier deux rôles
majeurs : le surveillant et le surveillé. Il va donc s’agir de mettre en scène cette co-présence
afin de rendre possible la production d’un ordre social commun aux deux rôles. Le pouvoir est
de ce fait une coproduction.
15 D. Pécaud, « La colonie pénitentiaire ou la mise en scène des rapports entre corps, lois et procédures chez
Kafka », notes pour le séminaire MSH-IHT, La prévention des risques constitue-t-elle un champ
d’enseignement ?, 2 mars 2000.
16 Cf. à ce propos E. Goffman qui distingue l’identité sociale virtuelle correspondant aux attentes normative
des co-acteurs de l’identité sociale réelle correspondant aux caractéristiques objectives et connues d’une
personne. La connaissance d’une identité sociale réelle en décalage avec les attentes d’une identité sociale
virtuelle entraîne le phénomène de stigmatisation. « Tout le temps que l’inconnu est en notre présence, des
signes peuvent se manifester montrant qu’il possède un attribut qui le rend différent des autres membres de
la catégorie de personnes qui lui est ouverte, et aussi moins attrayant, qui à l’extrême fait de lui quelqu’un
d’intégralement mauvais, ou dangereux ou sans caractère. Ainsi diminué à nos yeux, il cesse d’être pour
nous une personne accomplie et ordinaire, et tombe au rang d’individu vicié, amputé. » E. Goffman,
Stigmate – Les usages sociaux des handicaps. Editions de Minuit, Paris, 1975, p. 12.
17 M. Foucault, opus cité, chapitre 3, p. 228-264.
21
L’invention de Bentham consisterait, selon Foucault, à mettre fin à la co-présence permanente
du surveillant et du surveillé pour proposer une forme plus sophistiquée du contrôle social :
mettre en place un type de surveillance où le surveillé pourrait toujours être vu sans savoir
exactement quand il serait, où il ne pourrait jamais pensé pouvoir échapper au regard du
surveillant. Un certain nombre de dispositions architecturales (point de vue circulaire,
alignements, etc.) vont permettre au surveillant de toujours voir le surveillé, sans que celui-ci
puisse le voir. Ainsi, deux modes de surveillance se renforcent : l’élargissement du regard du
surveillant, celui-ci voyant plus en même temps, mais surtout, la possibilité pour le surveillant
de faire croire au surveillé qu’il est toujours surveillé. L’invention de Bentham permet de
dissocier preuve physique de la surveillance (donnée par la présence du surveillant) et
certitude d’être surveillé. Dans ce dernier cas, il suffira de donner la preuve au surveillé qu’il
est toujours surveillé, notamment en intervenant dès lors que des règles seront transgressées
par le surveillé.
Rapidement, la possibilité d’être vu se substitue donc à la présence physique du surveillant.
Le contrôle emprunte alors deux voies : une voie physique, une voie idéologique18 au sens des
représentations de la surveillance. De ce fait, la contrainte du contrôle va donc s’intérioriser.
Le surveillé adopte un comportement conforme aux attentes du surveillant s’il intègre l’idée
d’être (toujours ?) surveillé. Le Panipoticon permet donc de se dispenser de la présence hic et
nunc du surveillant, multipliant ainsi non plus simplement les lieux de surveillance, mais les
temps de surveillance, via l’impression d’être surveillé. C’est donc surtout l’idée que se fait le
surveillé de la présence du surveillant qui va générer l’efficacité du contrôle. L’intervention
contraignante du surveillant sur le corps du surveillé ne sera là que pour rappeler de temps à
autre à ce dernier la réalité de cette contrainte alors même que le surveillé n’a pas la
possibilité de voir en permanence le surveillant. Cette intériorisation de la contrainte renvoie à
cette seconde forme de contrôle social.
L’usage de la vidéosurveillance s’inscrit dans la perspective d’une performance technique au
service de cette dernière forme de contrôle social. Toutefois la vidéosurveillance comme outil
de contrôle social ne s’avérera efficace que si le surveillé est censé avoir intériorisé la
contrainte qu’elle rend possible. Deux limites de la vidéosurveillance sont évoquées par nos
interlocuteurs : une limite en matière de population sensible à cette forme de contrôle ; une
limite en matière d’influence dans un processus général de contrôle.
La première pose la question de savoir quel type de population peut être éventuellement
sensible à ce type de contrôle. Beaucoup de personnes rencontrées pensent que la
vidéosurveillance peut dissuader une population potentiellement capable de passer à l’acte
concernant des délits mineurs, corroborant ainsi l’hypothèse d’une correspondance
relativement stable entre type de délinquance et type de contrôle. « Si j’ai envie de voler une
pomme dans un supermarché, j’hésiterais de le faire, sachant qu’il y a une caméra. Les
autres [délinquants] sont en dehors de ça ! », nous avertit l’un de nos interlocuteurs (mairie
de D.) en se projetant lui-même dans cette situation. Pourtant, rien ne nous dit que ce
raisonnement soit transposable à d’autres personnes.
18 On retrouve, par exemple, l’illustration de ce phénomène d’intériorisation dans l’analyse de P. Bourdieu sur
l’Etat et la difficulté qu’il y a à comprendre objectivement l’Etat en dehors de la manière dont on le
comprend déjà. « Entreprendre de penser l’Etat, c’est s’exposer à reprendre à son compte une pensée d’Etat,
à appliquer à l’Etat des catégories de pensée produites et garanties par l’Etat, donc à méconnaître la vérité
la plus fondamentale de l’Etat. ». P. Bourdieu, Raisons pratiques, Editions du Seuil, Paris, p.101.
22
La seconde est également signalée par les utilisateurs primaires du système de
vidéosurveillance. Tous insistent sur l’idée que l’installation de la vidéosurveillance n’est pas
la seule réponse ni en matière de protection, ni surtout en matière de prévention. Ils affirment
ainsi, de manière plus ou moins implicite, que la valeur d’usage du système est toujours
définie par les situations dans lequel il fonctionne et s’échange. « La vidéosurveillance n’est
pas la panacée universelle. [Mais] nous avons affaire à une délinquance d’hypercentre,
violente et importée, contre laquelle la prévention ne peut pas grand chose. » (élu de la
Mairie de E., mai 2000).
Derrière ces délimitations de l’efficacité de la vidéosurveillance comme technologie de
contrôle se dessine une classification de la délinquance à laquelle correspondrait un type de
réponse technique en matière de contrôle. Apparaît également une théorie de l’efficacité du
contrôle social à partir des différentes formes techniques qu’il peut prendre.
Figure 2 : La vidéosurveillance relève de deux formes de contrôle
Visibilité des agents de contrôle
(contrôleurs)
Le surveillé voit le surveillant qui agit
directement sur le surveillé
(contrainte externe)
Visibilité des éléments de contrôle
(caméras)
Le surveillé voit ce qui permet
au surveillant de le surveiller
Invisibilité des éléments de contrôle
Le surveillé doit se sentir surveillé
(sentiment intériorisé d’être contraint)
Processus d’intériorisation de la contrainte
23
24
L’INDUCTION DE LA PERFORMANCE
TECHNIQUE SUR LE CONTROLE SOCIAL
Nous définissons et clarifions ici un premier mouvement que nous nommerons dorénavant
induction technique. Il désigne l’influence de la performance technique d’un ensemble
technique dans l’élaboration ou la sophistication d’une intention sociale qui lui préexiste en
partie. Celle-ci reste contenue dans des conditions sociales générales existantes alors même
que l’ensemble technique n’existe pas encore en tant que tel. Dit autrement, la performance
technique ne fait que rendre compte et accroître progressivement l’intention sociale qui lui
préexiste. La technologie apparaît alors comme la rencontre d’une performance technique et
d’un état social.
Ce mouvement nous est apparu comme un puissant élément qui structure la demande
d’installation de la vidéosurveillance. Il se situe dans un paradigme général, selon lequel les
progrès techniques s’autogénéreraient et deviendraient légitimes socialement du fait de leur
existence même. Ils devraient ainsi trouver spontanément leurs applications sociales
notamment dans le registre de l’assujettissement des citoyens. Ce mouvement rend compte du
sentiment d’une technique socialement neutre et s’inscrit dans une pensée utilitariste de la
technique.
PERFORMANCE TECHNIQUE ET FORME DE CONTROLE SOCIAL
EXACERBATION ET FORMATION DE LA DEMANDE SOCIALE PAR LA TECHNIQUE
Il s’agit de comprendre ici en quoi les formes techniques de surveillance s’articulent aux
principes de contrôle mis en avant par nos interlocuteurs.
Si, bien sûr, existent des conditions sociales qui précèdent l’invention de la vidéosurveillance
et qui vont induire en partie sa conception et son utilisation, les caractéristiques techniques de
la vidéosurveillance vont toutefois contribuer à donner forme au contrôle recherché, à définir
les types de délinquance ainsi qu’à stigmatiser leurs auteurs. De plus, ces caractéristiques
techniques vont influencer, dans certains cas, les analyses établies par les diagnostics
précédant la mise en place des contrats locaux de sécurité, les préconisations et certaines
réalisations qui les ont suivis.
-
Diagnostic de sécurité et matériel de surveillance
Un de nos interlocuteurs laisse entendre que, dans plusieurs cas, les démarches de diagnostic
proposées et les préconisations faites étaient pensées en même temps, l’auteur du diagnostic
étant le futur vendeur et installateur de matériel.
25
« Quand le CLS est lancé en 97, il y a obligation de faire un diagnostic. En fait l’idée de
diagnostic remonte à plus longtemps, mais là, ça devient une obligation et à cette
période, personne ne nous dit quelle est la doctrine en la matière. On [l’Etat] ne nous dit
pas, voilà, les diagnostics c’est fait de ça, de ça. Le maire, on ne le voit pas, alors il n’a
pas l’impression d’être soutenu. En même temps, il a affaire à l’opinion publique. L’idée
de faire le diagnostic, ça a été un coup extraordinaire de promotion du marché privé de
la sécurité. » (mairie de C.)
-
Zoom et conception du trouble social
La possibilité d’utiliser à distance une caméra munie d’un zoom influence en partie l’idée du
trouble. Telle installation comporte un zoom très puissant. On l’utilisera pour identifier un
individu fauteur de troubles dans un stade de football (mairie de D.) ou pour repérer un
individu suspect dans une rue (mairie de E.). Le rapport entre la technique et l’usage est ici
flagrant. La possibilité d’utiliser une performance technique renforce la manière de « voir »
donc de « comprendre » l’incident. Elle donne corps à une conception du trouble social qui
repose sur l’importance attribuée à l’action et à la responsabilité d’une personne ayant une
forte influence dans la genèse du trouble. On note le lien existant entre la performance
technique d’une installation, la conception de l’apparition d’un trouble social, la forme de la
responsabilité juridique.
-
Zoom et objectif d’identification
On remarque ici comment s’articulent intimement performance technique et possibilité de
contrôle. Le mot « cible » prend alors toute son importance métaphorique :
« Dans le centre ville, elles [les caméras] seront disposées le long des grandes artères
commerçantes (…) Logées dans des globes opaques, elles filmeront le passant sans qu’il
s’en aperçoive. Comme elles pivotent à 360 degrés, elles pourront surveiller les venelles
adjacentes. Depuis leurs écrans, les agents pourront suivre leurs cibles dans presque tous
leurs déplacements. Seules quelques ruelles échapperont à leur surveillance, ce qui
risque d’ailleurs d’attirer vers elles tous les trafics. Les façades d’immeubles, en
revanche seront masquées numériquement mais il restera possible de repérer le client du
sex-shop ou celui du club échangiste. (…) Le zoom permettra un agrandissement
confortable : une multiplication de l’image par 72. De quoi cadrer une photo d’identité à
100 mètres du modèle. »19
-
Images en direct et possibilités d’intervention
La possibilité de transmettre facilement des images, en temps réel ou non, influencera
l’organisation de leurs usages. Un de nos interlocuteurs faisait remarquer qu’un rapide calcul
l’avait amené à comprendre que l’installation d’une caméra destinée à surveiller un espace
public pouvait entraîner indirectement l’embauche d’une quinzaine de personnes afin
d’exploiter les informations qu’elle serait capable de fournir (mairie de C.). Ce calcul illustre
le fait que notre interlocuteur a en tête un schéma d’intervention associé à la performance
technique de l’installation de la vidéosurveillance.
19 Article de presse concernant l’installation de 48 caméras dans le centre-ville de la ville de E.
26
-
Travelling et respect de la vie privée
La possibilité d’adjoindre des « caches » informatiques rendra possible le balayage de façades
d’immeubles en respectant la loi qui interdit de braquer la caméra sur des espaces privés,
même si parfois « ça se dérègle » et qu’il « faudra le signaler ». (mairie de C.)
On pourrait multiplier les exemples. Les possibilités de performance qu’offrent les techniques
existantes, leur disponibilité d’un point de vue économique, rentreront dans une définition des
objectifs de surveillance que se donnera l’utilisateur primaire. Elles participeront à des
conceptions de la surveillance, de l’insécurité, de la protection, de la prévention plus ou moins
élaborées. Dans certains cas, elles permettront aux utilisateurs de préciser leur demande en
matière de protection ou de prévention.
JUSTIFICATION A POSTERIORI DE LA DEMANDE SOCIALE PAR L’OFFRE TECHNIQUE
Si la technique disponible chez les fabricants d’objets techniques ou souhaitée par les
commanditaires donne corps à une demande sociale de surveillance, elle joue aussi le rôle
d’une justification a posteriori de cette demande. C’est comme si on ne comprenait pas
qu’une technique disponible ne soit pas utilisée alors que la demande en matière de sécurité
pourrait y trouver une réponse (banque G.). Ce point de vue équivaut à une justification
instrumentale qu’adopteraient les professionnels de la sécurité. Ils relaieraient, au nom de
leurs propres croyances et intérêts, une supposée demande des clients ou, dit de manière plus
générale, des citoyens. C’est donc comme si la demande sociale trouvait directement son
expression dans la forme de la technique ou dans son évolution.
Dans cette perspective, il n’est pas envisagé l’existence d’une construction sociale conjointe
de la technique et de son usage. Ainsi, à la banque G., le responsable de la sécurité guette
avec impatience toutes les nouveautés techniques pour les mettre en œuvre, minimisant en
même temps les conséquences sociales liées à leur utilisation. A la mairie de C., les
techniciens cherchent à améliorer techniquement le système actuel sans trop se préoccuper de
savoir si cette évolution technique ne risque pas à terme de perturber et le système mis en
place et les règles déontologiques sous-jacentes, l’évolution de la technique ne pouvant, selon
eux, qu’accroître la sécurité. La vidéosurveillance est en place, le pas est franchi, il ne s’agit
plus que d’accroître l’efficacité de l’installation. Le raisonnement tenu tend à justifier
l’évolution technique comme événement autonome qui ne peut que répondre de manière
mécanique à un objectif de sécurité. Autre exemple : un agent chargé de surveiller les écrans
du centre de surveillance de la mairie de C. nous fera remarquer que la demande d’installation
de tel ou tel objet technique destinée à protéger biens ou personnes peut aussi émaner des
habitants de la commune. Les « commerçants exacerbés » par la présence de délinquants
autour des boutiques revendiquent la mise en œuvre de moyens existants. Si ces moyens
existent, il faut les utiliser.
PERFORMANCE TECHNIQUE, DEFINITION ET EVOLUTION
DES POLITIQUES DE SECURITE
Si la forme de contrôle social est en partie dépendante de la performance technique des objets
de contrôle (du Panopticon au zoom), le niveau de performance technique peut aussi servir de
référence à l’ensemble de la politique de sécurité.
27
Cette position est sans doute marginale mais nous l’avons rencontrée au moins une fois, à la
banque G.. Dans ce cas, la politique de sécurité équivaut à résoudre des problèmes assez
simples dans un cadre largement défini à la fois par la résolution d’aspects techniques :
surveillance pour éviter toute intrusion ou attaque, protection matérielle des biens et des
personnes. La banque n’est pas ici préoccupée de prévention mais de protection. C’est ainsi
que les capacités techniques des éléments de protection mis en œuvre définissent largement la
conception de la sécurité. De toutes façons, l’établissement bancaire ne peut raisonner de
manière isolée sous peine de devenir plus vulnérable que ses concurrents. L’homogénéité des
politiques de sécurité et donc, selon le responsable de la sécurité, leur efficacité passent par
l’application des nouvelles techniques de sécurité « au fur et à mesure qu’elles sont sur le
marché ». Il pense qu’à terme les moyens techniques permettront de totalement sécuriser les
opérations bancaires dans la mesure où les « guichets » traditionnels, et, par extension, les
agences bancaires comme lieu de transmission d’espèces convoitées par les malfaiteurs
risquent de disparaître au profit de « murs d’argent », c’est-à-dire d’un ensemble de guichets
entièrement automatiques permettant à l’utilisateur de procéder à l’ensemble des opérations
courantes. « Plus de problèmes de sécurité des personnes pour la banque, de cette manière !».
Quant aux clients, ils seront dans la rue, dans l’espace public et leur sécurité ne dépendra plus
de la banque. « La police pourra surveiller et assurer la sécurité des personnes ».
On voit donc comment interfèrent l’évolution des technologies, la politique de sécurité, la
politique commerciale, le partage des responsabilités en matière de sécurité, la recherche
d’externalisation des coûts de surveillance.
PERFORMANCE TECHNIQUE DES OBJETS ET JUSTIFICATION
DE LEUR USAGE
« Puisque ça existe, autant s’en servir » (banque G.) ; « puisque d’autres en installent, autant
que ce soit nous qui le fassions, ne serait ce que pour montrer que l’usage peut ne pas être
perverti » (mairie de C.). Ces remarques évoquent deux types de justifications de
l’installation de système de vidéosurveillance. La première est celle du progrès qui ferait que
les objets techniques s’imposeraient « naturellement » à nous tous, professionnels de la
sécurité, clients, citoyens, du fait de leur présence et de leur performance. Elle traduit
l’impact immédiat de la technique dans nos modes de vie. Nous venons de l’évoquer plus
haut. La seconde est celle de l’existence d’une moralité personnelle de l’utilisateur qui
garantirait le bon usage des objets techniques. A l’impact immédiat de la technique se
rajouterait une intention raisonnée. Curieusement débarrassés des scripts sociaux qui ont
pourtant concouru à leur conception, les objets techniques apparaissent alors comme des
objets socialement neutres au service d’une intention qui leur permettra d’atteindre une valeur
morale. Au culte du progrès rendant possible l’impact immédiat de la technique répond
l’affirmation de la vertu de ceux qui vont utiliser ces objets.
Cette justification est largement répandue parmi les interlocuteurs rencontrés. La mairie de D.
met en avant son étiquette politique pour refuser toute installation de vidéosurveillance,
affirmant que cette technologie est incompatible avec l’idée qu’elle se fait de la citoyenneté.
Celle de C. utilisera sensiblement les mêmes arguments pour justifier cette installation ! Son
étiquette politique deviendra alors la garantie de l'usage qui sera fait de la vidéosurveillance,
laissant entendre, en creux, que cet usage pourrait aller à l’encontre de ses propres principes
de citoyenneté du fait des potentialités techniques. Le réalisme et le pragmatisme de la
28
démarche peuvent alors être affirmés au nom d’une intention vertueuse ignorant les capacités
techniques du système mis en place20.
Au-delà des raisonnements tenus sur la vidéosurveillance, on retrouve cette forme de
justification basée sur la distinction entre les performances d’un objet (technique) et les
principes de son usage dans beaucoup d’autres domaines, par exemple dans celui des biens de
consommation : le tabac ou l’alcool dont « l’abus nuit à la santé » ; les voitures performantes
en vitesse dont seule une mauvaise utilisation en ferait une source de danger. Dans le domaine
du management, prononcer la fameuse expression « ce n’est qu’un outil, tout dépend de ce
qu’on en fait » sert à dédouaner curieusement l’outil de toute source de danger intrinsèque et à
affirmer en même temps que ce danger peut exister puisqu’elle met en avant l’indispensable
vertu de son utilisateur !
Dans le cas de la vidéosurveillance, cette vertu politique de l’utilisateur est présentée comme
ce qui va permettre d’éviter un usage social « abusif » de l’objet technique, voire d’empêcher
son détournement implicite. L’objet technique s’impose presque comme un défi à relever
(mairie de C.) sur fond de connaissance d’une mauvaise utilisation probable et supposée,
voire, dans ce cas particulier, comme une stratégie délibérée pour détourner une mauvaise
intention prêtée à d’autres utilisateurs de l’objet technique.
Apparaît ici un mode de raisonnement ambigu amalgamant l’absence d’intentionnalité de
l’outil technique, sa neutralité sociale mais aussi le danger potentiel qu’il représente au cas où
son utilisateur ne serait pas vertueux politiquement. A la mairie de C., se rajoute à ce
raisonnement une autre manière de penser : l’adoption et l’utilisation de l’objet technique
deviennent une mise à l’épreuve de la vertu politique. Elles mènent d’une part à réaffirmer la
nature de l’attitude vertueuse, à l’évaluer en permanence, et, d’autre part, à neutraliser, par
l’exemplarité, toute tentative de détournement de l’usage vertueux de cet objet.
INTERDICTION DE L’USAGE D’UN OBJET AU NOM DE
SA PERFORMANCE TECHNIQUE
A la mairie de F. (Allemagne), le maire rejette vigoureusement tout usage de la
vidéosurveillance du fait même que l’intention sociale « ne peut que rappeler le 3e Reich ».
Cette intention prêtée à l’usage d’un objet technique appelle deux remarques.
- La sensibilité aux objets techniques
Chacun peut avoir vis-à-vis d’objets techniques, apparemment neutres, une vision très
contrastée. Elle dépendra de sa propre expérience, de son propre système de valeurs, de ses
références personnelles, de celles de son groupe d’appartenance ou de référence, de l’histoire
de sa communauté ou de l’histoire de son pays. Il s’agit de « savoir comment les objets sont
vécus, à quels besoins autres que fonctionnels ils répondent, quelles structures mentales
s’enchevêtrent avec les structures fonctionnelles et y contredisent, sur quel système culturel,
infra- ou transculturel, est fondée leur quotidienneté vécue. »21 Cette sensibilité montre que
20 Cette forme de rhétorique n’est pas sans rappeler la distinction opérée par Montesquieu entre « la nature du
gouvernement » et « son principe ». « Il y a cette différence entre la nature du gouvernement et son principe,
que sa nature est ce qui le fait être tel, et son principe ce qui le fait agir. L’une est sa structure particulière,
et l’autre les passions humaines qui le font mouvoir » (De l’esprit des lois, livre III, § 1). « La corruption de
chaque gouvernement commence presque toujours par celle des principes » (idem, livre VII, § 1).
21 Jean Baudrillard, Le système des objets. Editions Gallimard, Paris, 1968, p. 9.
29
l’impact de la vidéosurveillance ne peut se comprendre qu’à travers une vision globale portant
sur l’objet lui-même (ses caractéristiques techniques et les problèmes qu’il peut résoudre, ce
que Jean Baudrillard appelle le « plan technologique »22 de l’objet), l’usage qui en est fait
(usage prescrit et usage détourné), le contexte dans lequel il s’inscrit (sa réception)23.
Ainsi le propos tenu par le maire de la ville de D. en 1997, « La sécurité est un droit
républicain, sa demande est totalement légitime. Ce n’est pas un problème droite-gauche »,
accompagne-t-il, au moment où il est tenu, une modification de la politique définie par le
conseil communal de prévention de la délinquance. Prônant jusqu’alors les vertus d’une
politique de prévention reposant principalement sur l’animation socioculturelle et sportive, le
maire admet la nécessité pour les citoyens d’une meilleure lisibilité des actions en faveur de la
sécurité. « Si nous n’assurons pas la sécurité de proximité, la perte de confiance fait le lit du
découragement civique et des thèses extrémistes. Alors que si nous sommes crédibles sur le
terrain les gens sont prêts à se mobiliser. ». Cette sécurité de proximité se réalisera alors à
travers le développement de médiations et ne fera pas appel (tout au moins jusqu’à
aujourd’hui) à l’installation d’un système municipal de vidéosurveillance24.
Cette position fait écho, mais pour des raisons différentes, à celle du maire allemand de F..
Rappelons que ce dernier, d’un côté, prône les valeurs démocratiques du respect de la liberté
du citoyen et, en même temps, montre l’intérêt que représente l’utilisation d’un « atlas de la
criminalité » capable de rendre compte avec une grande précision de la géographie des
différents délits et de l’évolution de leur fréquence et de leur gravité.
Ces deux exemples montrent bien qu’à partir d’une conception assez proche de la citoyenneté
et de la démocratie, des options différentes peuvent être prises en matière de sécurité et
d’utilisation d’objets destinés à la servir. Il y a bien pour les deux maires refus d’installer un
système technique de vidéosurveillance, mais les raisons invoquées diffèrent : référence au
passé pour l’un, mise en avant des valeurs de médiation pour l’autre. Ces deux arguments ne
sont pas exclusifs. Le maire de F. valorisera l’intérêt de la médiation à un autre moment de
son discours, mais, pour les deux, le rejet de la vidéosurveillance est dicté par ces arguments
sensibles qui tranchent avec l’aspect « inessentiel » de l’objet qui s’inscrit dans « le domaine
psychologique ou sociologique des besoins et des pratiques »25.
D’autres arguments viendront nuancer les premiers principes fortement revendiqués. L’un
souhaitera donner à voir à ses administrés la réalité d’une sécurité active, pensant qu’elle
facilitera la mobilisation des citoyens contre l’excès de répression. L’autre présentera avec
fierté l’atlas de la criminalité pour renforcer auprès de la population le sentiment d’une action
réaliste de sécurité menée grâce à des moyens d’information fiables.
- la valorisation de la capacité prêtée à un objet technique
Il est en effet objectivement évident que la performance technique d’un système de
vidéosurveillance ne peut suffire à établir ou à un maintenir un régime tel que celui du 3e
Reich ! On voit donc, à travers l’exemple précédent, comment tel aspect (réel ou symbolique)
22 Idem.
23 Cf. Marcel Mauss, Manuel d’ethnographie, Editions Payot, 1967, p. 34.
24 On note toutefois à D., fin 2000, 269 systèmes de vidéosurveillance soumis à autorisation préfectorale, la
plupart installés dans ou aux abords des établissements recevant du public. Seules une quarantaine de
caméras (sans enregistrement d’images) sont utilisées par la compagnie de transports urbains locale pour
contrôler et réguler le trafic des bus.
25 Jean Baudrillard, op. cité, p.10.
30
de l’objet technique, mis en avant par le discours, révèle l’importance des modes de
régulation que recèle, au-delà des catégories de pensée habituellement admises, un fait social.
Cette survalorisation symbolique de l’objet correspond à la figure inversée de la naturalisation
de l’objet technique traduite à travers une soi-disant neutralité fonctionnelle, une « autonomie
interne »26. Dans un cas on attribue à l’objet technique une puissance sociale excessive, dans
l’autre, on ne lui en attribue aucune, au nom de sa fonctionnalité technique évidente.
Nous avons constaté l’existence d’une corrélation forte entre le processus de naturalisation de
l’objet technique et l’état social dans lequel se situait cet objet. D’une part, plus l’objet
technique est pensé « naturellement », plus les préoccupations des commanditaires relevaient
d’une volonté de protection immédiate des biens et des personnes. D’autre part, plus l’objet
technique était pensé comme élément d’une construction sociale, plus ces préoccupations
relevaient d’une volonté de prévention via des formes de régulation sociale jugées
politiquement vertueuses.
PERFORMANCE TECHNIQUE DE L’OBJET ET PRATIQUES
SOCIALES DES DELINQUANTS
L’innovation technique que représente la vidéosurveillance peut aussi entraîner des
modifications dans les pratiques sociales de délinquants qui s’adapteront plus ou moins
rapidement à la mise en place d’éléments techniques de protection. Un de nos interlocuteurs
(mairie de D.) cherche à nous le faire constater quand il prend l’exemple de l’installation de
« digicodes » à l’entrée des immeubles HLM. Pour lui, l’installation ne provoque qu’un temps
d’arrêt provisoire des intrusions malveillantes, temps nécessaire à l’adaptation de la nouvelle
situation ainsi créée.
A la banque G., on constate que seule l’évolution constante des techniques de protection
permet de garder un avantage technique vis-à-vis des malfaiteurs qui ne cessent de trouver des
réponses aux problèmes que les responsables de la sécurité leur posent.
EVOLUTION CONJOINTE DES PERFORMANCES
TECHNIQUES ET SOCIALES
Des utilisateurs de la vidéosurveillance peuvent aussi souhaiter une évolution des
performances techniques des éléments qui la composent. Ils peuvent également appeler de
leurs vœux une mutation technique plus fondamentale de l’ensemble afin de développer les
performances du contrôle.
Nous avons observé l’expression de cette demande quand un responsable de la sécurité
bancaire évoquait la possible apparition d’évolutions techniques permettant à terme de « se
dispenser d’installations de câbles particulièrement onéreuses », de « piloter des caméras à
partir de puces électroniques », de « contrôler tout un centre de télésurveillance à partir d’un
simple téléphone portable », autant d’évolutions qui « permettraient de généraliser
l’utilisation de la vidéosurveillance, notamment pour les levées de doutes en cas de
problèmes ». Ces propos révèlent une intention sociale de contrôle exacerbée par le rêve
26 idem, p. 91.
31
d’une technique toute puissante. Ils illustrent, d’une autre manière, la question de la
naturalisation de l’objet technique comme préalable à son usage et à sa diffusion.
Les objets techniques ne sont toujours que les éléments d’un système social qui les englobent.
Il est indispensable de définir la manière de décrire ce système pour comprendre l’impact des
objets techniques sur la production de la sécurité. Nous venons d’en dénombrer et analyser
quelques éléments :
-
Forme de symbolisation et/ou d’incorporation des modes de contrôle social,
-
Pratiques objectives de surveillance,
-
Degré de sophistication des objets techniques de surveillance,
-
Etat de la demande sociale en matière de sécurité des biens et des personnes,
-
Etat des croyances,
-
Stratégies politiques,
-
Circonstances historiques,
-
Nécessités conjoncturelles,
-
Influences et pressions sociales.
Ce sont autant d’éléments que nous pouvons utiliser pour comprendre les processus de
décision concernant l’installation ou le refus d’installation d’un système de
vidéosurveillance. Il est vraisemblable que ces mêmes éléments seront utiles à la
compréhension des usages qui seront fait de ce système.
32
Figure 3 : Extrait de l’atlas de la criminalité de la ville de F.
Crimes et délits recensés dans la Rue principale (Hauptstrasse) en 1999
Karlstor
2
9 6 4 3
Marstallstr.
Marktplatz
DHC
Universitätsplatz
Bismarckplatz
Cas recensés par bloc
de constructions
Kaufhof
de 1 à 10 cas
de 11 à 25 cas
de 26 à 50 cas
de 51 à 100 cas
plus de 100 cas
n = 1.314 cas
N.B. : Selon ses utilisateurs, cet atlas donne une image renouvelée de la sécurité « réelle » dans la commune. Il
indique là où se multiplient les délits jusque par « îlots de maisons », l’évolution de leur fréquence, contribuant
ainsi à renforcer le sentiment de sécurité des citoyens, ceux-ci y ayant accès. Il est, dans cette ville, selon le
maire de F., un des vecteurs de la participation des citoyens à leur sécurité. Rappelons qu’aucun système de
vidéosurveillance n’était actuellement présent sur ce territoire au moment de l’étude.
33
34
L’INDUCTION DES CONDITIONS SOCIALES
SUR LA PERFORMANCE TECHNIQUE
Si la vidéosurveillance comme ensemble technique appliqué à la sécurité participe à
l’évolution des pratiques sociales qu’elle est censée réguler, des conditions sociales peuvent
aussi sinon engendrer directement des inventions techniques, tout au moins légitimer la mise
en place et accroître l’amélioration de ces ensembles techniques. Celles-ci vont des plus
générales aux plus particulières.
LA NATURALISATION DE LA TECHNIQUE REVELATRICE DES
CONDITIONS SOCIALES
L’utilisation de la vidéosurveillance s’inscrit dans un processus social qui se développe à
partir d’une part, de l’ensemble des conditions sociales qui permettent en partie cette
utilisation et, d’autre part, de l’ensemble des réactions que suscite son utilisation.
Le discours sur l’utilité de la vidéosurveillance, les pratiques sociales liées à l’usage de cet
ensemble technique vont engendrer des justifications, des modes de raisonnement comme
autant d’idéologies tendant à naturaliser, au-delà de son existence même, son installation et
son utilisation. La vidéosurveillance apparaîtra à terme comme allant de soi, au même titre
que d’autres formes de surveillance.
A travers les témoignages recueillis, il apparaît que ce qui résiste à la naturalisation de la
technique de la vidéosurveillance et à celle de son usage est moins l’idée de la surveillance,
largement banalisée par la demande de sécurité, que celle de l’utilisation des images
nécessaires à l’acte de surveiller.
LA FASCINATION POUR LA TECHNIQUE REVELATRICE DES
CONDITIONS SOCIALES
L’installation et surtout l’usage de la vidéosurveillance développent des discours qui justifient
la mise en place de la technique au nom de sa seule performance technique. Ces discours
traduisent une tendance générale à présenter la technique et son évolution de manière
autonome vis-à-vis des enjeux sociaux plus implicites.
35
Premier exemple : la décision que prend la banque G. de construire des « murs d’argent »
pour sécuriser les situations dans lesquelles l’argent est échangé. Cette décision semble a
priori rationnelle pour celui qui l’évoque. S’il n’y a plus de guichets, il y aura moins de holdup dans la mesure où les « braqueurs » prennent souvent pour cible les guichets, rendus
fragiles du fait de l’échange matériel d’espèces entre deux personnes. Ce raisonnement tire sa
légitimité du fait que son auteur tient un discours d’essence technique (et/ou instrumentale) et
que ce discours lui apparaît socialement juste (il s’agit de protéger les guichetiers et les
clients), économiquement rationnel (les machines n’ont pas d’horaires de travail, les
guichetiers pourront voir leurs tâches évoluer dans des fonctions plus gratifiantes, etc.. Or
qu’en est-il, par exemple, du nouveau risque, « externalisé » par l’entreprise grâce à une
solution technique, entraîné par le fait que les clients de la banque effectueront des opérations
bancaires dans la rue ?
Deuxième exemple : les techniciens qui maintiennent l’installation de vidéosurveillance vont
chercher à améliorer sa performance (mairie de C.). Cette amélioration incessante légitimée
techniquement par les fonctionnaires territoriaux qui ont en charge la maintenance de
l’installation ne semble pas enfreindre ce que la loi permet. Mais qu’en sera-t-il demain si la
pensée et l’action techniques se développaient de manière autonome et que le système se
sophistiquait techniquement, faisant perdre de vue ses conséquences sociales ? La fascination
pour la technique, et, au-delà, pour le développement sans entrave de cette sophistication
technique peut mener à un oubli, même provisoire, des contraintes sociales identifiées dont la
définition a précédé l’installation du système de surveillance.
Dernier exemple : l’« atlas de la criminalité » de la mairie allemande de F., destiné à
« donner une image de la sécurité réelle dans la commune. » emprunte aux techniques de la
cartographie informatisée. Il permet de voir où et quand se multiplient les délits, par zones,
îlots de maison, rues. Lors d’une présentation de cet atlas à un public de fonctionnaires
territoriaux français, les personnes présentes, toutes impliquées professionnellement dans les
problèmes de sécurité, semblaient s’approprier cette technique comme quelque chose allant de
soi. Les questions qu’elles posèrent étaient presque toutes d’ordre technique. Les valeurs, les
principes de fonctionnement de la police, l’état d’esprit des citoyens ne faisaient pas partie de
leurs préoccupations. L’intérêt fonctionnel de cet atlas allait de soi, en dehors de toute forme
de compréhension du fait social auquel il renvoyait et dont il restait à préciser les contours et
la consistance.
Ces exemples dressent, à notre avis, un état des lieux dans lequel la technique apparaît comme
un champ largement pensé de manière autonome et dont la performance justifie l’usage. C’est
sans doute l’une des explications de la relative indifférence du public dont rendent compte les
interlocuteurs que nous avons rencontrés vis-à-vis de l’installation de la vidéosurveillance
dans les espaces publics.
36
Figure 4 : Naturalisation des effets de la technique
Espace
disjoint
Champ
technique
Champ
social
Appropriation de la technique
comme objet « neutre » capable
de réguler le champ social
Autonomie
Naturalité de la technique
-
Il existerait une « logique » technique autonome
La technique produirait des effets immédiats sur les attitudes sociales
Le système technique fournirait ses propres significations (pas de distinction entre signe et symbole)
Il existerait une « logique » sociale autonome capable d’être perturbée directement par les systèmes
techniques
Les significations fournies par le système technique produiraient des effets immédiats de régulation sociale
Figure 5 : L’idéal social de l’usage de la technique
Espace
conjoint
Dérive naturaliste
« puisque ça existe… »
Champ
technique
Champ
social
Dérive
technocratique
Idéal social de l’usage de la technique
-
Le système technique ne se réduit pas au système social et réciproquement
L’idéal social de la technique est le résultat d’une co-construction entre acteurs concernés
Il existe des principes d’évaluation sociale de la technique (éthique, déontologie, délibérations)
La maîtrise sociale de la technique garantit socialement des usages propres de la technique
Il existe deux risques : dérive naturaliste de la technique, dérive technocratique par technicisation des
modes de régulation sociale
37
DECISIONS POLITIQUES ET STRATEGIES MARCHANDES
DE L’APPROCHE MECANISTE DE LA SURVEILLANCE A L’APPROCHE POLITIQUE
DU CONTROLE SOCIAL
L’utilisation de la vidéosurveillance cherche-t-elle à améliorer la sécurité ou la tranquillité
civile indispensables à des formes de relations sociales jugées conformes aux lois de la
République ? Si tel est le cas, la description de son utilisation fera avant tout valoir le respect
strict du cadre de la loi (ex : Mairie de C., compagnie de transports B.). Ceux qui ont décidé
de mettre en œuvre cette technologie s’appliqueront à démontrer que l’adoption de cet
« outil » ne risque pas de remettre en cause les libertés publiques.
Ils utiliseront deux séries d’arguments. Premièrement, il sera fait appel au strict respect du
cadre législatif qui définit les modes d’usages de la technologie et qui instrumentalise ce
respect. Il suffit d’appliquer les dispositions de la loi et de veiller aux dérives éventuelles.
Celles-ci sont quasiment impossibles, le dispositif technique et le contrôle régulier des
installations devant les empêcher. Deuxièmement, sera rappelée la nécessité de lutter contre
les formes de délinquance ou d’« incivilité » susceptibles, elles, de remettre en cause l’ordre
social établi.
Ces arguments sont évoqués de manière abrupte ou discrète selon les rencontres que nous
avons faites au cours de l’enquête. En tous les cas, leur réception nous a fait comprendre que
cette question constituait une sorte d’impasse pour notre recherche. Nous ne pouvions
persévérer dans cette voie de compréhension trop mécaniste, dans laquelle notre
questionnement n’apparaissait que devoir renforcer des justifications prêtes à être servies par
nos interlocuteurs. Il fallait donc, nous a-t-il semblé, rechercher dans la décision d’installer
une vidéosurveillance, le signe tangible d’une évolution de techniques de surveillance qui
composent généralement le contrôle social. Une nouvelle question surgissait donc.
L’attrait pour la vidéosurveillance ne reflète-t-il pas l’évolution des techniques de
surveillance dans le cadre d’un contrôle social dont les formes ont évolué ? Cette nouvelle
perspective permet de mieux comprendre en quoi le débat sur la vidéosurveillance occulte en
partie le débat sur les formes politique du contrôle social. Débattre du bien-fondé de la
vidéosurveillance revient à porter le regard sur les formes techniques du contrôle au détriment
d’une interrogation sur la légitimité politique de ce contrôle et de ses formes. À l’issue des
travaux menés, nous pouvons nous risquer à établir une typologie de ces formes du débat.
Trois types peuvent être dégagés :
A - Parmi les interlocuteurs rencontrés, il y a ceux qui voient la vidéosurveillance comme une
simple réponse technique à un problème technique de sécurité. Ils ne cherchent pas à attribuer
un intérêt particulier aux enjeux politiques liés à ce mode de surveillance. Ceux-là n’ont pas
lieu d’être pour au moins deux raisons. La première concerne le respect de la loi se substituant
à toute autre forme de réflexion. A noter que dans un cas, il nous a semblé que le respect de la
loi pouvait être en partie oublié en raison même d’un souci d’efficacité en matière de
sécurité ! La seconde porte sur les fonctions occupées par nos interlocuteurs qui
« appliquent » les directives de leurs employeurs, l’un se gardant le droit de partir au cas où il
constaterait une dérive. La seule sensibilité « politique » que nous avons enregistrée dans ces
38
cas de figure concernait l’intérêt commercial que pouvait représenter la vidéosurveillance : prise
en compte de la sécurité des clients, des employés, mise à un niveau de sécurité équivalent à
celui de la concurrence.
B – Il existe des positions de type réformiste pour lesquelles leurs auteurs cherchent à
concilier différentes formes et technologies de contrôle social.
C – D’autres d’interlocuteurs rejettent tout projet d’installation de vidéosurveillance au nom
de principes politiques incarnés notamment dans des politiques de prévention de la
délinquance. Pour eux, la vidéosurveillance comme technique de contrôle renvoie à une forme
de contrôle social radicalement incompatible avec des principes politiques affirmés en matière
de libertés publiques et déclinés en actions de prévention. Le rejet de la vidéosurveillance se
fait alors à deux niveaux. Au plan stratégique, la politique de prévention mise en place semble
incompatible avec l’installation d’une vidéosurveillance qui incarnerait le choix de la
« prévention situationnelle » (mairie de D.). Au plan tactique, la mise en place de caméras est
présentée comme risquant de déclencher des réactions de violence de la part d’une population
dite « à risques ». D’une certaine manière, la position de ces interlocuteurs apparaît plus
jusqu’au-boutiste que celle que régit la loi elle-même qui est là aussi pour offrir des garanties
suffisantes au regard du respect de ces libertés publiques.
Cette typologie aide à mieux comprendre comment les décisions politiques concernant
l’installation ou non de système de vidéosurveillance seront diversement influencées par les
stratégies commerciales développées de la part des concepteurs et installateurs.
Quand la vidéosurveillance est conçue par le futur utilisateur comme moyen simple moyen
technique dont l’usage est encadré par une loi garantissant le respect des libertés publiques,
les arguments commerciaux porteront sur la capacité de l’objet à transformer la nature des
relations sociales et chercheront alors à montrer les effets bénéfiques de la surveillance par
vidéo sur l’évolution de la sécurité publique.
Quand, au contraire, la vidéosurveillance est proposée à d'éventuels acheteurs qui la rejettent
d’entrée pour des raisons politiques, les arguments porteront à la fois sur la relativité de l’outil
(le fameux « ce n’est qu’un outil ! ») et donc sur sa neutralité politique. Par contre, le vendeur
fera valoir l’importance des principes politiques affichés par les éventuels acheteurs et les
garanties qu’offre la loi. Ainsi, et de manière apparemment paradoxale, on s’aperçoit que des
décideurs (mairie de C.) peuvent être sensibles à ce type d’arguments, dans la mesure où
l’installation de la vidéosurveillance devient un défi supplémentaire pour maintenir et
développer des formes de contrôle social préventif basées sur la prise en charge des
populations « à risques ».
39
Figure 6 : Répartition des arguments utilisés selon l’existence ou non d’une vidéosurveillance
Arguments utilisés
Mise en place d’une politique de sécurité
Garantie des libertés publiques
Lisibilité des actions menées
Utilisation de moyens existants
Positions prises
Rejet
Adoption
de la vidéosurveillance
de la vidéosurveillance
xxxxx
xxxxx
xxxx
xxxxx
x
xxxxx
x
xxx
NB : le nombre de x utilisés correspond grosso modo au « poids » cumulé des arguments utilisés par les interlocuteurs
rencontrés, qu’ils aient mis en place ou non une vidéosurveillance.
UN RAISONNEMENT DIALECTIQUE ENTRE TECHNIQUE ET POLITIQUE
Là où la vidéosurveillance était installée, nous avons recueilli l’expression d’une volonté de
transformer par une technique, celle de la vidéosurveillance, la quantité et la qualité de la
sécurité ou de la tranquillité. Le projet de surveillance est alors présenté comme un moyen
technique introduit dans une situation dont la nature politique et sociale ne changera pas si des
précautions sont prises. Le risque existe, mais il est minimisé du fait de la capacité que les
décideurs se donnent à le maîtriser. « Je terminerai en citant Bernard Splitz, Maître des
requêtes au Conseil d’Etat, « la vidéosurveillance est, en somme un excellent test de notre
capacité collective à nous protéger de nous-mêmes. Sachons anticiper son développement par
le jeu combiné de la réglementation, du contrôle et de l’évaluation. Bref, surveillons la
vidéosurveillance »27.
Toutefois, au delà des arguments, cette volonté affichée ne peut toutefois dédouaner son
auteur de participer à la construction de formes de contrôle social qui ne se réduisent pas aux
simples aspects techniques, comme, par exemple, la production d’images destinées à la
surveillance. « Aucune technique n’est neutre en particulier si les libertés individuelles sont
en jeu. Ayons bien conscience, avant toute considération, que la mise en œuvre de la
vidéosurveillance marque l’insuffisance des mesures de prévention en matière de sécurité.
L’information, l’éducation et l’encadrement humain ne suffisent plus. Notre société est donc
bien malade. D’ailleurs rien ne remplacera, dans ce domaine, la lutte efficace, résolue et de
longue haleine contre le chômage et la misère, même s’il ne faut pas simplifier ou réduire les
problèmes de sécurité au seul problème social »28.
Ici, l’ambiguïté est parfaitement mise en évidence : face à l’importance des conséquences
politiques possibles dues à la technique utilisée, croire en l’existence de neutralité en matière
d’usage devient un leurre. Mais en même temps, si cette absence de neutralité est un risque,
elle devient un défi que sont prêts à relever les décideurs car la vidéosurveillance peut
représenter un nouveau moyen pour garantir et accroître la sécurité ou la tranquillité publique,
les autres ne suffisant plus.
27 Conseil Municipal de F., 1999, « Elaboration d’un audit de vidéosurveillance, Etudes pour l’équipement des
secteurs prioritaires en système vidéo (Direction Sécurité et prévention – Cellule de coordination du Contrat
Local de Sécurité) ». Extrait de l’exposé du rapporteur.
28 Idem. Extrait de l’exposé d’un conseiller municipal.
40
UNE DIALECTIQUE ENTRE EVOLUTION
TECHNIQUE ET EVOLUTION SOCIALE
Les deux formes d’induction que nous avons précédemment explorées (induction de la
performance technique sur le contrôle social ; induction des conditions sociales sur la
performance technique) reposent sur une conviction partagée par l’ensemble de nos
interlocuteurs : la production des objets techniques et les effets qu’ils produisent s’inscrivent
toujours dans la dimension sociale de l’échange. Cet échange se produit entre concepteurs,
producteurs et utilisateurs. Cette conviction est directement exprimée ou implicitement
suggérée. La présence de caméras dans des quartiers socialement « sensibles » ne risque-t-elle
pas d’être interprétée comme une provocation, rompant un statu-quo fragile mais existant
entre les fauteurs de troubles et les représentants des institutions ? L’invention de nouvelles
technologies ne permet-elle pas de prendre de vitesse des délinquants avérés ou potentiels et
ainsi assurer, pour un temps, un niveau de sécurité satisfaisant ?
Nous avons constaté que la définition de la technique pouvait être intégrée par quelques-uns
de nos interlocuteurs comme un élément du processus de décision en matière de surveillance,
l’appréciation de son niveau de performance pouvant faire pencher la décision d’installation
d’un dispositif de vidéosurveillance d’un côté ou de l’autre. Soit ce niveau permet de garantir
les libertés publiques en offrant, par exemple, la possibilité de masquer des zones d’habitation
privée. Soit il permet d’identifier des éléments susceptibles d’intéresser la police, comme la
lecture des numéros de plaque d’immatriculation rendue possible grâce à des commandes à
distance permettant de diriger la caméra vers tel ou tel endroit. Dans tous les cas, nous avons
décelé un lien permanent entre l’usage et la valorisation des objets techniques et des stratégies
développées pour maintenir et faire évoluer leur performance. Quand la technique de la
vidéosurveillance est en place, tout retour en arrière ne semble plus envisageable.
Nous avons également remarqué que la technique pouvait aussi être simplement perçue
comme aide à la mise en place d’un dispositif de surveillance pensé par ailleurs, qu’elle
s’intégrait comme un élément parmi d’autres au cours d’un processus global de réflexion.
Enfin, nous avons perçu que plus la personne que nous interrogions tenait un discours
favorable à la technique de la vidéosurveillance, plus elle tenait un discours sans nuance sur la
sécurité et conjointement manifestait peu d’intérêt pour la prévention. C’est comme si la
sécurité se substituait à la prévention. C’est comme si, dit de manière plus abrupte, la sécurité
était la prévention. A contrario, plus un discours militant pour la prévention était tenu par
notre interlocuteur, plus ce dernier minimisait ou relativisait le rôle de la technique de
surveillance.
41
Pourtant, à partir de ces différents cas, nous avons constaté qu’il existait un risque
d’incompréhension dans l’appréhension des impacts des technologies sur les modes de
contrôle dès lors qu’on cherchait à rendre autonome le champ de la technique et celui du
contrôle social et à faire de la technique soit un simple élément perturbateur du système
social, soit une des causes essentielles de la transformation de ce système. Nos investigations
ont montré qu’une définition de la vidéosurveillance comme ensemble d’objets techniques
disponible pour assurer une fonction de sécurité ou répondre à une demande sociale réelle ou
supposée était plutôt le fait d’acteurs cherchant à faire valoir l’importance de leur propre rôle
dans la mise en place d’une politique de sécurité. Par contre dès que ces acteurs s’affichaient
comme adeptes d’une philosophie de prévention, la fascination pour une technique de
surveillance comme celle de la vidéosurveillance était moindre.
D’une manière plus générale, il nous semble, que la technique s’inscrit de manière quasi
autonome dans des mesures de protection, alors qu’en matière de prévention s’élabore une
technologie générale de cette dernière dont les éléments purement techniques ne sont pas
particulièrement distingués. Nous ne souhaitons pas nous faire ici l’écho d’un quelconque et
strict déterminisme attaché à la technique. Nous souhaitons plutôt soumettre, dans le cas de la
vidéosurveillance un paradigme qui n’est pas sans rappeler le « paradigme de Sauve » que H.
Mendras définissait de la manière suivante : « Pour pénétrer, une innovation technique doit
s’ajouter au système technique et social ; dans un deuxième temps, en s’intégrant au système
technique et social, elle le transforme et induit ainsi un changement social »29. Toutefois, nous
souhaitons pour renouveler ce paradigme y adjoindre les deux points suivants. Le premier est
un constat indiscutable. Toutes les formes de sociétés sécrètent des technologies. Il n’y a pas
de société sans technologie. Nous insistons alors sur l’idée que l’innovation technique et
technologique que constitue la vidéosurveillance n’est pas simplement importée dans un type
de société quelconque mais qu’il existe bien une sécrétion technique et technologique issue de
toute forme de société existante. Nous rejoignons ici les perspectives ouvertes par Michel
Foucault dans notamment Surveiller et punir30. Il nous importe alors de repérer ce qui
ressurgit mais qui était déjà là quand un établissement décide d’installer un système de
vidéosurveillance. Cela reprend bien les éléments du statut de l’objet que nous allons aborder
plus loin.
Le second point porte sur la capacité qu’ont les technologies à sécréter des formes sociales de
la vie en commun. Nous reprenons à notre compte une des cinq caractéristiques de la société
industrielle définie par Daniel Bell, c’est-à-dire le fait que le contrôle de la technologie et de
sa connaissance devient le champ même de l’expression du pouvoir politique31. Prolongeant
cette intuition, nous voyons dans l’évolution technique et technologique de la
vidéosurveillance, un changement des lieux et des formes d’expression de ce pouvoir
politique. Ce changement émane en partie de nouvelles possibilités techniques de
transmission des images censés traiter du contrôle social : rapidité de la transmission,
diffusion simultanée des images en différents endroits. Dans ce cas, nous avons à nous
intéresser aux jeux d’acteurs et à la structuration du champ social de la sécurité.
Le premier de ces acteurs est l’objet technique lui-même.
29 Henri Mendras, Michel Forsé, Le changement social. Tendances et paradigmes. Editions Armand Colin,
Paris, 1983, p. 264. L’étude dont ce paradigme est issu porte sur la transformation du système agricole
méditerranéen traditionnel en vigueur au XVIII siècle par l’introduction de la culture du mûrier et par
l’élevage du vers à soie. Cf. Henri Mendras, Sociétés paysannes. Editions Armand Colin, Paris, 1976.
30 Op. cité.
31 Cf. Daniel Bell, Vers la société post-industrielle. Editions Laffont, Paris, 1976.
42
LE STATUT DE L’OBJET
LA VIDEOSURVEILLANCE OBJET DE SURVEILLANCE
OU SIGNE DE CONTROLE ?
Le terme de vidéosurveillance relève d’une ambiguïté liée à la nature même de sa
construction sémantique. Que transforme la vidéosurveillance, sur quoi porte-t-elle
intentionnellement ? En effet, le terme donne-t-il de l’importance à un moyen, la vidéo, au
service d’une finalité, la surveillance, l’effet recherché étant la sécurité ou la tranquillité des
citoyens ? Dans ce cas, la vidéo devient une simple et neutre particularité technique d’une
surveillance dont les finalités sont connues et admises. Au contraire, le terme de
vidéosurveillance désigne-t-il plus profondément une évolution sociale du contrôle social ?
Dans ce cas, le terme ne peut plus être dissocié : d’un côté la vidéo, de l’autre la surveillance.
Il ne renvoie plus à une simple technique de l’image mais à un nouveau mode de contrôle
social. L’utilisation de l’image au cœur de la surveillance confirmerait l’apparition de l’ère de
la stigmatisation comportementale des citoyens. La vidéosurveillance ne devient acceptable
comme mode de surveillance que si est admise l’idée d’une apparence conforme que l’image
va donner à lire au surveillant.
En effet, le terme de vidéosurveillance peut suggérer qu’il rassemble le moyen technique, ici
la vidéo, et l’objet de l’usage, la surveillance : « (…) Parmi ces mesures [du C.L.S.], certaines
visent la sécurisation des espaces publics, par la réalisation d’installation de
vidéosurveillance et d’alarme notamment dans les quartiers ayant une fonction de centralité,
ainsi que sur des secteurs jugés prioritaires. (…) compte-tenu de l’augmentation significative
des actes de délinquance en Centre ville et de l’accroissement du sentiment d’insécurité dans
certains secteurs de (…), il est nécessaire de réaliser une étude visant l’élaboration d’un
cahier des charges d’équipements vidéosurveillance. »32. Mais l’usage qui en est fait cherche
parfois à les distinguer : « (…) mais ces réponses sont limitées compte-tenu de deux faits
nouveaux. Le premier, c’est la baisse du contrôle social. On appelle contrôle social la
faculté qu’a un groupement, une population dans un quartier donné, à maîtriser, par des
réflexes simples, les tentations de délit. Ce contrôle social, par peur et par intimidation, ce
qui est compréhensible, a baissé. Deuxième limite : on assiste à la résurgence d’un
banditisme, soit sous forme de réseaux intégrés à certains quartiers, soit que ce banditisme
provienne d’espaces extérieurs à l’échelle de la Région (…). Dans ce contexte et pour pallier
le désarroi devant les hold-up répétés, les voitures béliers, nous sommes amenés à mettre en
œuvre la vidéosurveillance. »33.
On comprend le raisonnement : le contrôle social est décrit ici dans une perspective
fonctionnaliste comme une forme de régulation sociale provenant de la pression exercée par
les uns sur les autres. Cette pression se définit dans le cadre d’une communauté de proximité,
32 Conseil Municipal de E., 1999.
33 Idem
43
le quartier décrit à la fois comme espace géographique et comme population homogène, y
compris du point de vue de l’apparence physique et comportementale des membres qui la
composent. Cette communauté supposée est-elle l’émanation d’une communauté plus
élargie ? Nous n’avons pas de réponse. Par contre, mettre en avant l’état dégradé d’une
communauté de quartier dont rien ne nous dit qu’elle ait un jour existé s’inscrit dans la
perspective de la recherche d’un espace sécuritaire cher à la « prévention situationnelle ». La
notion de « quartier » définit l’espace contrôlé ou censé l’être par une « population » agissant
au nom d’une solidarité. Comme le déclare Paul Landauer, « la résidentialisation porte en
elle l’idée qu’il faut sortir l’ennemi de l’intérieur »34.
Selon J. Baudrillard35, tout objet transforme quelque chose. Cette transformation porte sur le
contexte d’usage exclusif ou social de l’objet. Il est évident que pour ce qui est de la
vidéosurveillance envisagée comme objet, la transformation visée est celle des conditions
sociales immédiates de la vie commune dont relèvent des termes comme ceux de sécurité et
de tranquillité.
SURVEILLANCE PENSEE ET SURVEILLANCE REELLE
Cherchant à caractériser cette affirmation de J. Baudrillard, nous avons constaté que le
« contexte d’usage exclusif ou social » que transformait l’objet « vidéosurveillance » lorsque
celui-ci était mis en place ou lorsque cette mise en place était envisagée, était avant tout celui
de la surveillance pensée. L’existence de la surveillance à laquelle renvoie l’objet qui permet
et de surveiller et de montrer qu’il existe une surveillance effective transforme des aspects
pensés de la relation sociale. Les arguments utilisés par nos interlocuteurs le précisent.
D’abord, la présence des caméras devrait entraîner la diminution des petits délits d’incivilité
(compagnie de transports B.). Ensuite, ce n’est pas la peine d’en installer car elles
n’empêchent que les « voleurs de pommes » de passer à l’acte et la politique de prévention
vise d’autres domaines de délinquance, ville de D.). Autre argument : la présence de la
caméra rassure les conducteurs d’autobus (compagnie de transports B.). Enfin, elle permet de
réduire le sentiment d’isolement (compagnie de transports A.).
À chaque fois, c’est donc comme si la seule présence d’un objet suffisait à modifier la forme
des relations sociales et que cette transformation se faisait par intériorisation de la surveillance
à laquelle renvoie l’objet visible qu’est la caméra.
La surveillance réelle et les effets qu’elle produisait apparaissait, aux yeux de nos
interlocuteurs plus secondaires que la surveillance pensée (à la fois par les délinquants
potentiels et par les populations protégées ou « à protéger »). La dimension symbolique de la
surveillance l’emporte sur la mesure objective de son efficacité.
La majorité des points de vue recueillis porte sur les conditions de la vie en commun, la vie
sociale exprimée selon les cas par les notions de sécurité et de tranquillité, quelle que soit la
technologie de surveillance mise en place. Ce qui est majoritairement admis par les
utilisateurs primaires et peut être secondaires, mais là, nos investigations restent très
partielles, c’est l’usage de la surveillance alors que le débat, quand il a lieu, portera plutôt sur
les conditions techniques de la surveillance et sur les menaces que peut représenter cette
technique sur les garanties en matière de liberté publique.
34 Journal Libération, samedi 26 et dimanche 27 mai 2001, p. 34.
35 Jean Baudrillard, opus cité, p.7-18.
44
Il existe donc à notre avis tout un volet de réflexion sur l’évolution de l’acceptabilité des
formes sociales de la surveillance en général qui demeure en partie occulté, notamment du fait
de la mise en scène des débats publics sur la vidéosurveillance (mairie de E., mairie de C.).
Ces débats prennent une ampleur manifeste à partir du moment où le projet d’installation
engendre une mobilisation publique de ses partisans et de ses détracteurs. En prolongeant les
réflexions de J. Baudrillard à propos du Système des objets, on peut avancer l’idée que la
vidéosurveillance transforme concerne aussi bien les conditions techniques de surveillance
(Cf. plus haut les réflexions sur le Panopticon) que l’acceptabilité d’une surveillance portant
sur l’image du conformisme social. Ce qui est en jeu, - mais le jeu n’est-il pas déjà joué au
delà du temps sporadique des débats, c’est, comme le sondage ci-dessous le montre, la
manière dont s’articulent sans rapport causal manifeste sentiment d’insécurité ou de
sécurité et acceptation de la surveillance par utilisation d’images.
Cette articulation est à rechercher dans les manières de penser la vie sociale dont rend mal
compte le simple débat sur le danger éventuel que représente la vidéosurveillance en matière
de libertés publiques. Si, dans l’ensemble des objets, la vidéosurveillance peut être classée
selon sa fonction technique reliée à sa forme, à sa structure technique, elle doit l’être aussi
selon les « structures mentales » avec lesquelles cette structure technique rentre en résonance.
Il s’agit bien de comprendre « comment les objets sont vécus, à quels besoins autres que
fonctionnels ils répondent, quelles structures mentales s’enchevêtrent et se contredisent, sur
quel système culturel, infra et transculturel, est fondée une quotidienneté vécue »36. Il s’agit
aussi de définir et de comprendre « les processus par lesquels les gens entrent en relation
avec eux et de la systématique des conduites et des relations humaines qui en résulte »37.
À partir de ce point de vue, peut être complétée la compréhension des articulations implicites
existantes entre décisions politiques et stratégies marchandes. Si l’on admet la pertinence des
informations que nous livre le sondage ci-dessous, on peut dire que les objets de la
vidéosurveillance et leur transaction sociale s’inscrivent dans un contexte culturel qui admet
la surveillance, et plus précisément la surveillance par production et analyse d’images, comme
nécessaire, que cette opinion soit ou non forgée par un sentiment d’insécurité. La question
politique de la surveillance par l’image ne se pose plus comme question préalable à résoudre.
Il nous a semblé que les interlocuteurs rencontrés pouvaient d’abord être distingués par la
manière dont ils se posaient la question de la surveillance et de l’ordre public en général avant
de l’être par la manière dont ils évaluaient à la fois de manière politique et fonctionnelle la
question de la vidéosurveillance.
36 Idem, p. 9.
37 Idem.
45
Figure 7 : Sondage réalisé par et pour la Compagnie de transports B.
Enquête réalisée en juillet 2000 auprès de 420 personnes dont 59% sont des utilisateurs intensifs des autobus de
nuit (2 à 3 fois par semaine).
-
-
60 % se déclarent n’être « jamais inquiets » lorsqu’ils prennent les autobus de nuit
30 % se déclarent être « assez rarement inquiets »
36 % ont entendu parler de la vidéosurveillance
74% pensent qu’elle est nécessaire
52 % se déclarent rassurés par ce dispositif (dont 59% de femmes)
92 % des femmes interrogées se déclarent favorables à l’installation de la vidéosurveillance dans les
autobus de nuit
82 % des hommes interrogés se déclarent favorables à l’installation de la vidéosurveillance dans les
autobus de nuit38
LES ELEMENTS DU PROCESSUS DE DECISION
Il est dès lors possible de proposer une réponse à la question que pose l’IHESI sur les
processus de décision concernant l’installation de la vidéosurveillance.
-
Quand la question d’installer une vidéosurveillance se pose, le débat politique
(public) va porter sur le respect ou l’atteinte des libertés publiques. Qui met le
plus à mal ces libertés : les fauteurs de troubles ou les dispositifs de surveillance
eux-mêmes ?
-
Ce débat va avoir tendance à occulter un débat plus technique sur le rôle de la
prévention et le choix de ses formes. Faut-il tenir compte des populations ou des
situations ?
-
S’il n’y a pas obligatoirement de lien mécanique entre sentiment d’insécurité et
souhait de voir des moyens de sécurité mis en œuvre, la preuve de l’existence de
ce lien est au cœur des arguments utilisés pour mettre en place un système de
vidéosurveillance.
-
Il existe une croyance portant sur l’existence d’un âge d’or de la sécurité reposant
sur le rôle perdu d’une communauté régulée à partir de la pression exercée par les
uns sur les autres.
-
L’objet technique que représente la vidéosurveillance rentre en résonance avec les
« structures mentales » de ses futurs utilisateurs (primaires ou secondaires) de
plusieurs manières :
- Il correspond à un nouveau moyen venant se substituer à des moyens
disparus ;
- Il est dans l’air du temps et ne peut qu’être utilisé (d’autant que d’autres
l’utilisent) ;
- Nous serions rentrés dans l’ère de l’image et dans son usage universel
accepté ;
38 Ce sondage fait ressortir que la quasi totalité des personnes interrogées ne manifeste pas ou peu d’inquiétude
quand elles utilisent un transport en commun de nuit et que quasiment la même proportion est favorable à
l’installation de la vidéosurveillance. Le rapprochement de ces deux chiffres conduit à penser qu’il n’y a pas
dans ce cas de rapport mécanique à établir entre le sentiment d’inquiétude et le souhait de prendre des
mesures de sécurité.
46
-
Ces « structures mentales » admettent aussi le bien fondé d’un type de régulation
de la vie en société reposant sur le conformisme de l’apparence physique et
comportementale ;
-
Si le paraître est un signe de distinction, il est aussi un mode de contrôle ;
-
Cette dernière manière de penser s’oppose à la préoccupation concernant le
respect des libertés publiques qui portent plutôt sur le droit à l’image, la
préservation de l’anonymat, la liberté d’action, la séparation des pouvoirs, etc ;
-
Le processus de décision renvoie plus à la manière de concevoir la surveillance, et
au delà la sécurité et la tranquillité qu’à la forme technique de cette surveillance ;
-
La négociation marchande qui précède l’installation du système de
vidéosurveillance porte sur deux registres : la nécessité de la surveillance et
l’inquiétude vis-à-vis des effets pervers de la technologie.
DIMENSION TECHNIQUE ET PSYCHOLOGIQUE DE L’OBJET
Pour affiner la compréhension de ces processus de décisions et celle des effets de ces
décisions, il semble nécessaire de s’intéresser à la fois aux « processus par lesquels les gens
entrent en relation avec eux [les objets »] »39 et à la « systématique des conduites et des
relations humaines qui en résultent »40
Selon Baudrillard, il existe un système plus ou moins cohérent de significations que les objets
instaureraient du fait même de leur présence et leur usage. Ce système de significations
reposerait sur un plan « plus rigoureusement structuré »41 que lui, le plan technologique.
Baudrillard suggère l’idée selon laquelle le plan technologique est une abstraction. Restant
inconscient pour les usagers des objets, pour ceux qui les manipulent, il appartient pourtant
aux cadres de la pensée dans lesquels seront produites les significations.
Le plan technologique peut donc être considéré ici comme essentiel. Le discours du
responsable de la sécurité de la banque G. le suggère. Dans une moindre mesure, le personnel
rencontré à la mairie de C. aussi. L’avancée des techniques appliquées à la sécurité alimente
fondamentalement les technologies de la sécurité. Du progrès technique constaté ou souhaité,
on passe naturellement à la conception technologique de la sécurité, c’est-à-dire à un vaste
ensemble composé d’objets, d’usages, de règles, etc.. Ce passage de la technique à la
technologie présent dans le discours renvoie au plan de la transformation « structurelle » et
« objective » de l’environnement. Pour le responsable de la banque, « il faut utiliser ce qui
existe ». Pour le responsable de la mairie, l’utilisation de la vidéosurveillance peut aussi
constituer un défi à relever : montrer qu’on peut installer ce système de surveillance et militer
en même temps en faveur de la prévention sociale des populations. Dans les deux cas, la
conduite est dépendante de l’existence technique de l’objet. L’objet technique à la fois
contient et suggère des scripts sociaux qui sont ceux des technologies du pouvoir.
L’abstraction de cette dimension gouverne les transformations radicales de l’environnement.
39 J. Baudrillard, opus cité, p. 9.
40 Idem.
41 Idem.
47
Par opposition ou par complémentarité, le plan psychologique ou sociologique des besoins et
des pratiques est qualifié par Baudrillard d ’« inessentiel »42. Il concerne les interprétations,
les justifications…43 C’est le système « parlé » des objets, c’est-à-dire un « système de
significations plus ou moins cohérent qu’ils instaurent ». 44
La distinction entre ces deux plans ramène à une hypothèse en partie vérifiée sur le terrain. La
vidéosurveillance répondrait à une volonté d’accroître la sécurité. Pour ces raisons, elle
serait utilisable. Tel est le discours convenu dont nous pouvons dire qu’il prend sa source
dans l’existence technique des objets qui composent la vidéosurveillance. Cette volonté
correspondrait à l’expression d’une finalité collective rattachée à une vision partagée
concernant la manière d’être ensemble dans un contexte de « tranquillité ». Les objets
techniques disponibles sont alors présentés comme un des moyens pour y parvenir. Nous
avons détecté deux argumentations différentes destinées à valoriser ou à rejeter ce moyen.
La première (mairie de C., mairie de F.) cherche à focaliser l’attention sur la qualité sociale et
morale du moyen technique. Elle met en avant un imaginaire culturel négatif attaché à ce
moyen : totalitarisme, contrôle incontrôlable, risque de débordement. Mais, en même temps,
elle insiste en creux sur l’obligation de sécurité publique, la remise en cause de cette sécurité
conduisant aussi aux dangers attachés à ce moyen. Une fois posée cette argumentation, il est
proposé de définir une typologie de moyens différents sans faire varier la finalité. Sont
évoqués des modes de contrôle externe, comme la présence accrue de personnes chargées de
maintenir la tranquillité, (mairie de C., de F., compagnies de transports A., B.), des modes
d’intervention à visée éducative (les médiations), ou encore de modes éducatifs plus intégrés
(la prévention prenant la forme d’interventions sociales et éducatives auprès de populations
« à risques »).
L’usage des notions de tranquillité et de sécurité, mais aussi la manière dont elles sont
distinguées sont centraux dans la construction de ce type d’argumentation. Il en est de même
pour l’usage de la notion de surveillance qui, sur le plan de la pensée, est rattaché à ces deux
notions. En effet, il nous a semblé que la notion de tranquillité visait plus un univers
comportemental, l’état de tranquillité étant atteint par l’existence et le respect de normes,
qu’un univers régi par la loi, car l’application de la loi ne fait pas disparaître le domaine des
« incivilités ». D’ailleurs, à chaque fois que le respect de la loi était évoqué ou que le maintien
de la sécurité des biens et des personnes était mis en avant, il nous a semblé que l’utilisation
de la vidéosurveillance engendrait beaucoup moins d’hésitation que lorsqu’il s’agissait de
réfléchir aux moyens de maintenir la tranquillité.
La seconde argumentation met en avant le maintien ou le retour de la tranquillité ou bien
encore la garantie de la sécurité comme un objectif impératif. A partir de là, « tous les moyens
sont bons ». Ces derniers sont strictement présentés sous leur finalité utilitaire. Les dangers
qu’ils pourraient représenter pour les valeurs démocratiques sont minimisés du fait de la haute
valeur politique et morale attribuée à l’objectif recherché.
42 Idem, p. 10.
43On remarquera comment, curieusement, cette distinction recouvre un point de méthode sociologique.
L’enquête de terrain a permis de recueillir des propos souvent « convenus » qui auraient pu apparaître
désespérants aux regard de notre quête compréhensive. Cet obstacle est partiellement levé à partir du moment
où nous considérons que ces discours expriment avant tout l’existence d’une authenticité de la convenance
qui permet alors de concevoir la nature du plan technologique de la vidéosurveillance.
44 J. Baudrillard, op. cité, p. 10.
48
La première argumentation illustre parfaitement la distinction proposée par Baudrillard. Elle
se nourrit de débats portant sur des interprétations (ville de F.), sur des justifications (ville de
C.), distrayant en quelque sorte leurs auteurs comme leurs auditeurs de l’a priori qui les font
naître : la nécessité de la tranquillité et surtout, l’instrumentalisation qui la rend possible. Plus
que le fantasme de Big Brother, c’est celui de la présence et de la conformité de l’autre qui est
en jeu. Cette affaire est admise. La crainte de Big Brother ne recouvre que la crainte que soit
captée par des « professionnels » le problème de la tranquillité. La caméra comme objet, et, de
manière plus sophistiquée, la vidéosurveillance comme ensemble d’objets imposent l’idée de
la nécessité d’une proximité et d’une immédiateté de l’autre même quand il n’est pas sous le
regard de l’un. Cette dimension technologique de l’objet (le « plan technologique » de l’objet
décrit par Baudrillard) va alors ouvrir le champ des interprétations politiques concernant la
manière de rendre compte de ce plan.
La seconde s’inscrit immédiatement dans le registre d’une technique capable de transformer
immédiatement les aspects structurels de l’environnement (par opposition aux usages de
régulation). Elle illustre la manière dont les technologies du pouvoir et les scripts sociaux
peuvent se recouvrir et se confondre. C’est l’illusion d’une naturalisation de la technique et de
son efficacité qui est ainsi proposée.
Figure 8 : répartition des moyens selon les objectifs de sécurité et de tranquillité
Respect de la loi
Garantie de la sécurité (physique)
Maintien de la tranquillité
Moyens techniques permettant
d’atteindre ces finalités
Moyens sociaux permettant
d’atteindre cette finalité
BANALISATION DE L’OBJET « VIDEOSURVEILLANCE »
L’objet « vidéosurveillance » fait partie d’un ensemble d’objets qui accompagnent nos
manières d’agir. Le fait de considérer qu’il appartient à une classe d’objets de surveillance
aux fonctions spécialisées et restreintes n’apparaît pas clairement dans notre recherche.
Quelques conversations spontanées menées avec des interlocuteurs que l’on peut qualifier
d’utilisateurs secondaires laissent apparaître une relative indifférence quant à la présence de
caméras dans l’espace public : on ne les repère pas, on ne sait pas à quoi elles servent, on ne
sait pas s’il y en a plus qu’avant, on ne sait pas ce qu’il y a derrière (dispositif).
49
SECURITE ET SURVEILLANCE
Nos interlocuteurs spécialisés présentent l’objet « vidéosurveillance » comme l’un des objets
destinés à assurer la sécurité des biens et surtout des personnes. D’ailleurs, ils associent
volontiers les personnes travaillant avec ou sur ces biens et le public qui utilise ces biens dans
une même finalité, leur sécurité. Cette association est la marque d’une volonté d’affirmer
l’objectif de sécurité et non pas celui de surveillance. La surveillance en général, la
vidéosurveillance en particulier, sont alors présentées comme étant au service de la sécurité,
au même titre que d’autres objets ou d’autres actions (la fameuse « chaîne de la sécurité »).
C’est un moyen au service d’une fin.
Cette distinction entre fin et moyen permet de définir une finalité noble et partagée, la sécurité
et un moyen pouvant être moralement ou politiquement suspect ou discutable, la surveillance.
La sécurité renvoie à l’exigence d’une des conditions nécessaires pour être ensemble. Dans le
discours de nos interlocuteurs, elle s’apparente à une valeur a priori partagée par tous, et
notamment par tous ceux qui « n’ont rien à se reprocher », sous entendu ceux qui ne peuvent
donc pas être gênés par des mesures de surveillance. La surveillance revêt alors l’apparence
d’une simple fonction qui nécessite la distinction entre deux rôles : le surveillant et le
surveillé. Cette distinction inégalitaire socialement et discutable politiquement est
apparemment atténuée si elle ne se confond pas avec sa finalité qui est la sécurité.
Nous sommes dans le registre général de la fin qui justifie les moyens mais des nuances
émises par nos interlocuteurs méritent d’être relevées pour atténuer ce raisonnement présenté
de manière trop radicale. La première consiste à faire remarquer qu’il ne faut pas croire que la
vidéosurveillance soit la panacée universelle en matière de sécurité. C’est en tout cas ce que
l’on nous a dit et laissé croire. Bien d’autres moyens sont glorifiés, comme dans le cas de la
surveillance interne d’un établissement, la conception des installations générales,
l’organisation du travail, le comportement des employés. Ces trois moyens sont autant
d’étapes d’une intériorisation progressive de la contrainte sociale liée à l’obtention de la
sécurité. À la conception des installations et à l’organisation du travail qui suppose que soit
défini l’ensemble des besoins à partir, par exemple, d’une analyse fonctionnelle, répondent,
dans le registre de l’autocontrainte, des comportements ad hoc, adaptés aux situations que
rencontrent les employés. Tel agent ne devra pas permettre à telle personne de pénétrer dans
une agence bancaire sous prétexte que cette personne lui semble suspecte.
Une deuxième nuance suggère que la vidéosurveillance serait sous-utilisée car elle n’est pas
strictement nécessaire à la sécurité. C’est la vision complémentaire de ce qui précède.
Plusieurs arguments plaident dans ce sens. La loi fournit un cadre restrictif par rapport aux
possibilités de la technologie. Si tous les interlocuteurs le signalent, aucun ne le déplore.
Ensuite, quand nous avons pu le vérifier, nous avons remarqué que la décision d’installation
de la vidéosurveillance ne relevait pas d’une simple rationalité technique. La pression
supposée du public ou réelle de groupes professionnels, la demande syndicale en matière
d’amélioration des conditions de travail traduite en terme d’efforts à réaliser de la part de la
direction en matière de sécurité des salariés sont autant d’éléments qui favorisent la prise
décision en faveur de l’installation. C’est donc plutôt à une forme de rationalité sociale à
laquelle nous avons affaire dans la prise de décision. Elle relève de calculs particuliers : prise
en compte d’une demande exacerbée de sécurité par quelques acteurs organisés pour définir
leur exigence, « achat » de la paix sociale, l’installation de la vidéosurveillance devant être lue
comme signe d’une prise en compte de revendications, influence de « vendeurs de sécurité »,
offrant un double service : analyse sociale et offre commerciale.
50
INDIVIDUS, GROUPES ET OBJETS
Les discours recueillis mettent en avant l’intérêt que portent les responsables de la sécurité au
citoyen qui est aussi parfois considéré comme un « client ». Au delà de l’intérêt général du
citoyen ou de la définition des besoins du client, des intérêts particuliers et contradictoires
sont soulevés. L’existence de ces intérêts vient naturellement justifier l’installation de
vidéosurveillance. Ainsi tel moyen de transport traversant un vaste territoire est utilisé par des
populations hétérogènes : classes moyennes ou supérieures habitant des banlieues
« résidentielles », jeunes banlieusards résidant dans des « quartiers difficiles », touristes se
rendant dans un parc d’attraction. L’analyse des risques que représente potentiellement cette
hétérogénéité rassemblée dans un même espace-temps amènera la compagnie de transports A.
à installer des dispositifs de vidéosurveillance dans certaines gares. Il s’agira de protéger telle
population, de dissuader telle autre, l’objectif fixé étant d’assurer la sécurité à tous, y compris
aux employés de la compagnie. Dans ce cas, l’analyse qui préside à l’installation de la
vidéosurveillance relève au moins de deux principes : la reconnaissance explicite de groupes
homogènes aux intérêts divergents (les « publics ») ; la nécessité d’assurer un service public
homogène, notamment en matière de sécurité.
L’objet « vidéosurveillance » répondra alors à plusieurs fonctions apparemment évidentes. Il
s’agira, par exemple de rassurer les « clients » de la compagnie de transports, de décourager
les délinquants potentiels, de protéger les biens et les personnes, de faciliter les actions de
police en cas d’actes répréhensibles. La vidéosurveillance n’apparaît pas seulement comme
une réponse technique partielle pour répondre au problème de la sécurité des passagers. Son
installation et sa mise en scène expriment son appartenance à une situation sociale globale de
fait qui va se révéler par l’hypothèse de l’existence d’une lutte protéiforme entre des groupes
sociaux à l’existence avérée ou supposée. Comme le proposait déjà Herbert Marcuse, c’est
donc bien à « un système de production et de distribution spécifique »45 qu’appartient la
vidéosurveillance. Ici, il nous est proposé de comprendre comment la vidéosurveillance
pourrait réguler les actes de chacun, quelle que soit son appartenance sociale dans un espace
de transports. Là, il nous est implicitement suggéré l’existence d’un système social de luttes,
rendu visible par des incidents, des agressions, voire par l’expression de peurs dont doit tenir
compte la compagnie de transports A.. Coexistent dans un espace restreint (le train, la gare)
des groupes habituellement ségrégués, vivant ordinairement dans des espaces spécialisés et
qui vont devoir cohabiter dans les circonstances particulières de leur déplacement.
L’existence de ce système admis par une majorité d’acteurs, il est aussi admis que
l’objet « vidéosurveillance » pourrait pour une part le réguler. Ainsi, se confirme donc que
« la puissance de la machine est essentiellement la puissance de l’homme accumulée et
projetée »46.
A contrario, le discours tenu par le responsable du service « prévention, tranquillité
publique » de la ville de D. laisse implicitement entendre la nécessité de maintenir une vision
homogène de la population et de ne pas reconnaître a priori l’existence de groupes sociaux
aux intérêts contradictoires dont il s’agirait de satisfaire les besoins supposés. Il s’agit plutôt
de considérer et de prendre en compte la réalité des interactions existantes entre des personnes
vivant sur un même espace public, et de définir les effets contre-intuitifs que pourrait
engendrer l’installation d’une vidéosurveillance. Comment un ensemble d’objets visibles,
comme ceux qui composent la vidéosurveillance, serait-il perçu par ces différentes
45 Herbert Marcuse (1964), L’homme unidimensionnel, éditions de Minuit, Paris, 1968, p. 29.
46 Idem.
51
personnes ? Seront-ils interprétés comme des messages d’agression ? Engendreront-ils un
excès de confiance ?
Le rapprochement de ces deux points de vue définit une perspective, celle de la
compréhension de l’activité humaine à partir d’une théorie des besoins. Il semble bien que
l’adoption ou non de ce mode de compréhension contribue à définir des prises de position
différentes quant à l’installation de vidéosurveillance. Dans le premier cas, l’installation de la
vidéosurveillance est légitimée par une approche utilitariste qu’incarne par exemple la
compagnie de transport A.. Les besoins de différents groupes identifiés seraient pris en
compte à travers l’usage d’objets techniques, par une machinerie de surveillance. Ce serait
donc bien la nature de la société et non pas l’idée qu’on s’en ferait qui rendrait légitime
l’installation de cette machinerie. Cette légitimation au nom de la nature est construite sur la
base de la croyance en des besoins. L’acceptation de l’existence de besoins pour des groupes
mène à concevoir un dispositif technique destiné à protéger ou à surveiller ces groupes. La
surveillance et la protection de ces groupes ou de leurs membres suppose donc qu’ils soient
préalablement identifiés. L’acception des besoins entraînerait l’acceptation de l’utilité de la
machinerie chargée de les prendre en compte. Implicitement, elle entraînerait aussi
l’acceptation des conséquences qu’induit l’utilisation de la machinerie, c’est-à-dire le
maintien en ordre et la stigmatisation de groupes ségrégués en compétition les uns par rapport
aux autres sur un même territoire. Dans le second cas, la vidéosurveillance est perçue comme
un acteur s’intégrant dans un jeu d’interactions de proximité. Son introduction dans un espace
donné transformerait les caractéristiques de ce domaine. Elle serait alors interprétée par
chaque personne en fonction de la compréhension de la situation dans laquelle elle se trouve.
Cet effet ne pourrait être ignoré par les responsables de la « tranquillité » publique.
Deux modèles se dégagent donc. Le premier mécanique et normatif pose l’existence a priori
de besoins attachés à des groupes supposés homogènes, alors même que la définition de ces
besoins ne reflète que l’existence du dispositif social dans lequel agissent les auteurs de ces
définitions. Seule, la croyance en ces besoins et en la nécessité de leur satisfaction rend
acceptable ou utile la présence d’une vidéosurveillance qui devient une réponse possible. Le
second à la fois constructiviste et interactionniste pose d’abord la question de la dynamique
des interprétations des acteurs au cœur de l’action sociale. La décision de l’installation de la
vidéosurveillance n’est pas dans ce cas déductible de besoins mais de l’analyse de ses effets
possibles par rapport aux jeux des interactions. Sa présence révèlera et engendrera des
stratégies poursuivies par des acteurs qui développent des analyses rationnelles sur la situation
dans laquelle ils se trouvent à partir de la place qu’ils occupent.
52
VIDEOSURVEILLANCE,
SURETE ET SECURITE
Nous souhaitons d’abord présenter l’exemple de deux communes dans lesquelles est rejeté
pour l’instant tout projet de vidéosurveillance. L’un est français, l’autre allemand. Une
comparaison des deux peut nous permettre de circonscrire le périmètre du champ de la
sécurité, de sa représentation et des liens qu’établissent les responsables entre sécurité et vie
sociale. Nous présenterons ensuite l’exemple de deux compagnies de transports qui ont
installé ce type de dispositif.
LA VILLE DE D.
Pourquoi la ville de D. (France) ne souhaite pas installer de système de vidéosurveillance ?
Cette question se pose dans un contexte d’enjeux politiques forts concernant les
représentations du lien social. Le discours municipal s’appuie depuis de nombreuses années
sur la mise en avant de valeurs portant sur l’intérêt des solidarités de proximité. La prévention
est évoquée comme une des pratiques au service de cette politique même si progressivement,
la nécessité de la sécurisation, voire de l’action policière est sensiblement valorisée par ce
même discours.
La politique de prévention se décline à travers un CLS cherchant à impliquer l’ensemble des
acteurs sensibilisés à la question de la délinquance urbaine. Si la thèse officielle affirme qu’il
n’y a pas d’installation municipale de vidéosurveillance à D., cela ne veut pas dire qu’il n’y a
pas de vidéosurveillance sur le territoire municipal : vidéosurveillance embarquée dans les
autobus de nuit, réseau de caméras destiné à réguler la circulation des automobiles, réseau
spécialisé pour surveiller les autobus, possibilité offerte aux utilisateurs de l’Internet de
visualiser par le biais d’une webcam avec zoom sur une place de la ville, etc.
Le chargé de mission de la tranquillité publique rappelle la position officielle de l’équipe
municipale. La technologie de la vidéosurveillance constitue un risque d’atteinte à la liberté
des citoyens, même si chacun admet que la loi offre des garanties en la matière. Il tient à
confirmer qu’il adhère totalement à cette vision et serait « très embêté au cas où les élus lui
demanderaient de mettre en place une telle installation ». Selon lui, décider d’installer une
vidéosurveillance relèverait d’un changement important de cap politique. Jusqu’à présent,
l’action municipale en matière de prévention de la délinquance urbaine consiste à favoriser les
actions qui développent les relations de terrain et les médiations de proximité. La municipalité
en place cherche à animer et développer le tissu associatif. Or, selon notre interlocuteur,
installer une vidéosurveillance, « c’est sécuriser avant tout un espace, un territoire au
détriment d’une prise en charge relationnelle de la population. »
53
Cette distinction entre la sécurisation d’un territoire et la prise en charge d’une population
recoupe la distinction entre « prévention situationnelle » et « prévention sociale », distinction
conceptuelle acquise par notre interlocuteur au cours d’une formation. Selon lui, la
« prévention situationnelle » consiste à anticiper sur la question de la sécurité en mettant en
place des solutions techniques censées réduire les risques de criminalité. Il constate, non sans
interrogation et crainte, qu’elle est en œuvre à bas bruit à D. : installations d’interphones à
l’entrée des immeubles, de portes résistantes à l’incendie. Cette stratégie s’opposerait aux
stratégies de prévention sociale qu’il qualifie d’« innovation sociale »47. Dans le cadre des
Contrats Locaux de Sécurité, la ville de D. a, par exemple, cherché à animer des réseaux
d’acteurs publics travaillant dans des espaces urbains communs. Elle a infléchi les politiques
publiques vers la prise en compte des aspects sociaux, par exemple en mettant en place des
« correspondants de nuits », et recherché « des réponses ajustées à des populations plutôt que
des réponses massives. »
Il semble à notre interlocuteur que les réponses d’ordre technique correspondent de facto à
l’abandon d’une politique sociale. Si plusieurs approches lui apparaissent intellectuellement
compatibles, il estime toutefois qu’à terme, elles s’opposent politiquement. De toutes façons,
il demeure circonspect quant à l’efficacité des techniques de sécurisation dans la mesure où
elles génèrent leurs propres effets pervers. Mettre en place des interphones dans les cages
d’escalier peut provisoirement ramener la tranquillité, mais cette installation ne suffira pas à
éradiquer les problèmes. Rapidement, une surenchère s’installe. Les délinquants vont intégrer
et dépasser cette nouvelle donne de la sécurité. Une fois mises au point de nouvelles
techniques d’infraction, surenchère oblige, ils réinvestiront les cages d’escaliers et
reprendront leurs différentes activités. À quoi alors a servi l’installation des interphones ? « À
réassurer provisoirement les habitants, à leur donner l’impression que la ville s’occupe
d’eux, mais, aujourd’hui, les plaintes remontent de nouveau. Il aurait mieux valu que cet
argent serve à embaucher des correspondants de nuits, des médiateurs… ». La
vidéosurveillance comme toutes les techniques de ce type n’est donc pas un obstacle pour
ceux qui sont déjà installés dans la délinquance. « Les délinquants intègrent ces éléments dans
leurs pratiques de délinquance comme ils ont intégré le reste, par exemple, les alarmes de
voitures, … ».
Prévention situationnelle et prise en compte des problèmes sociaux correspondent à des choix
politiquement marqués. La prévention situationnelle, « c’est penser du hard, plutôt que penser
du soft. Cela constitue une des limites de la politique de la ville. ». Parmi le « hard », on trouvera la
transformation des aménagements urbains en général, « autant d’investissements qui ne vont
pas dans la prise en compte des besoins de prévention ». À D., « un effort important a été
réalisé pour aménager l’espace urbain, le rendre agréable : mettre des fleurs, des statues,
améliorer l’esthétique des quartiers. ».
Il s’agit de distinguer l’aménagement urbain et le sentiment pour les habitants de « se sentir
bien » qui correspond à « un sentiment personnel, intérieur ou intériorisé ». Ce sentiment se
47 Remarquons ici que ce qui est qualifié d’innovation sociale fait allusion à la mise en place de moyens
relevant de la prévention sociale. Il s’agit de prendre soin de populations « à risques » en mettant en place
différentes médiations sociales. Dans ce cadre, la mise en place de moyens relevant de la prévention
situationnelle apparaît comme une action mobilisant des moyens financiers qui échappent aux acteurs de la
prévention sociale. Apparaissent également des querelles d’images, les acteurs de la prévention sociale ayant
le sentiment que les élus auraient tendance à choisir des solutions spectaculaires utiles à leurs stratégies
électorales au détriment d’actions d’accompagnement social définies comme « un travail de fond » peu
spectaculaire en terme et de résultats à faire valoir.
54
construirait à partir d’un sentiment de sécurité, le fait « d’être pris en compte ». Or, selon lui,
« la municipalité a mis beaucoup d’énergie et d’argent dans la construction de l’espace
urbain et n’a pas fait suffisamment d’effort sur le reste. Mettre une statue sur la place d’un
quartier, c’est autant de ressources qui pourraient être utilisées notamment pour la mise en
place de correspondants de nuit ». Dans ce cadre, la vidéosurveillance peut devenir « un
moyen pour rassurer les citoyens, leur donner l’impression que l’on s’occupe de leur
sécurité. ». D’où la crainte de voir un jour la vidéosurveillance arriver à D. par ce biais.
Cette remarque en rejoint une autre, plus générale. L’installation de la vidéosurveillance
comme toutes les mesures du type de la « prévention situationnelle » entre dans les coûts
d’investissement alors que l’action sociale relève des coûts de fonctionnement. Cette
distinction budgétaire oriente aussi les modes de pensée de la prévention.
L’incompatibilité entre « prévention situationnelle » et prévention sociale va aussi se
développer à travers des analyses sociales « réalistes » de type interactionniste et utilitariste.
Notre interlocuteur considère que la mise en place de la vidéosurveillance dans des quartiers
« difficiles » engendrerait des rapports de forces qui nécessiteraient d’être suivis d’effets pour
être efficaces. Pour lui, la présence physique de caméras apparaîtrait comme un signe de
l’établissement d’un nouveau rapport de force. « Qu’est-ce qu’on est en train de dire, de
montrer, de déclarer ? ». Et surtout : « A-t-on les moyens de répondre à ce nouveau rapport
de forces pour atteindre la tranquillité publique ? ».
Si la vidéosurveillance facilite éventuellement l’acte d’interpellation, reste posé le problème
du traitement de cet acte.
Notre interlocuteur va développer une série d’arguments caractérisant les populations « à
risques ». Si, selon lui, la vidéosurveillance peut être éventuellement un obstacle à des
passages à l’acte, encore faut-il que ce qu’elle représente (la possibilité d’être reconnu,
identifié et poursuivi) ait un sens pour ceux qui passent à l’acte. Elle ne peut donc pas toucher
tous les types de délinquance. À propos de la vidéosurveillance dans un supermarché, il
déclare : « J’hésiterais à voler une pomme, faire une petite connerie si je me sens surveillé. Il
y a des formes de délinquance pour lesquelles la vidéosurveillance ne peut pas avoir
d’impact : soit parce que l’acte est vraiment mineur, soit parce que l’acte intégrera la
présence de la caméra comme un des éléments de la situation à prendre en compte pour le
réaliser. ».
Reste qu’en matière de sécurité, il semble difficile d’avoir des politiques globales. « On met
des portes, puis des correspondants de nuit, aussi en fonction de la pression du moment. ».
Cette absence de constance rend difficile l’évaluation des décisions prises. « Il n’y a pas de
stratégie globale et cohérente en en amont et en aval. On évalue donc plus ce qui est
technique, physique que le reste ! ».
LA VILLE DE F.
Pourquoi la ville de F. (Allemagne) ne souhaite-t-elle pas installer de système de
vidéosurveillance ? La prévention de la criminalité est vécue ici comme un processus et non
comme un projet. Cette distinction est importante. Elle renvoie à une vision pragmatique et
démocratique de la vie sociale dans laquelle l’ensemble de la population doit être mobilisée48.
48 Par opposition, à D. (France) et à E. (France), le débat sur la vidéosurveillance est structuré à partir de deux
positions : le rôle de l’Etat, le rôle des communautés de proximité.
55
Il n’existe pas de clivage entre les différentes institutions capables de prévenir de la
criminalité : police, mairie mais aussi écoles, églises. Les citoyens sont incités, via la mise en
place d’actions par la Direction de la Police, à développer des comportements permettant de
développer la prévention. Par exemple, la mise en place du Eigentums Identifizierung System
(Système d’Identification Propriété), c’est-à-dire du marquage individuel des objets de valeur
est proposé à la population afin d’accroître la prévention vis-à-vis des vols. La création de
séminaires d’auto-affirmation sont offertes aux femmes comme modes de prévention face à
l’agression. Des pièces de théâtre pour les enfants abordent, à travers des scénarios ludiques,
l’importance du rôle de la communauté, de l’élaboration de règles communes, de la résolution
de conflits sans violence, etc..
Le maire de F. a pris connaissance de l’existence d’un système de vidéosurveillance installé
en Grande-Bretagne et estime que celui-ci peut représenter un grave danger pour les libertés
individuelles : « On peut voir une personne prendre son petit déjeuner en pointant la caméra
sur une façade d’immeuble ! » ; « On peut savoir quelle personne rentre dans tel magasin, et
si c’est un magasin de luxe, vérifier ses revenus et le niveau de prestations sociales qu’elle
reçoit ! ».
Même si nous n’avons pas vérifié cette information, ce qui nous intéresse ici c’est la mise en
avant de ce type d’argument pour insister sur le danger que représente le système pour les
libertés individuelles49. L’argument majeur utilisé est fourni par l’histoire moderne de
l’Allemagne. Le traumatisme engendré par le régime nazi et ses conséquences est rappelé
avec insistance. L’atteinte vis-à-vis des libertés individuelles et les dangers d’un état
généralisé de surveillance sans garanties légales pour la population sont des arguments
suffisants pour l’instant pour rejeter tout projet d’installation de vidéosurveillance. Autre
argument avancé : l’impact de la vidéosurveillance n’est pas mesuré. Le maire prend
l’exemple d’une ville française jumelée avec la ville de F. pour avancer cet argument.
L’intérêt éventuel d’une réflexion sur la vidéo surveillance réside dans l’idée que le citoyen
pourrait se sentir en sécurité grâce à la présence d’une caméra. Mais, en même temps, cet
argument se retourne vite du fait de l’incertitude quant aux possibilités d’intervention en cas
d’agressions ou de difficultés. À tout prendre, le maire, se mettant à la place de ses
administrés, préférerait rencontrer « deux ou trois îlotiers plutôt que des caméras dont il ne
sait pas si elles permettront de déclencher des interventions. ».
Le discours du maire est nuancé par celui du directeur de la police criminelle, élément central
de la prévention à la ville de F.. Celui-ci reconnaît l’intérêt de la vidéosurveillance
« annoncée » si des points « vraiment névralgiques » sont identifiés sur un territoire
(exemple : trafic de drogue dans la rue)50. Dans tous les cas, la vidéosurveillance ne peut être
qu’un complément d’un dispositif de prévention, notamment pour développer et maintenir
« le sentiment de sécurité » qui demeure selon lui le levier principal de la prévention. C’est
pour cela que la ville réalise des sondages et des enquêtes pour mesurer ce sentiment.
L’ensemble des actions de prévention a pour objectif de renforcer ce sentiment.
49 On retrouve, ce type d’argument tenu par les responsables de la sécurité de la mairie de C.. Ici, les caméras
interdisent toute surveillance des espaces privés. Cet argument est utilisé pour faire valoir la conformité de
l’installation aux obligations de la loi et minimiser ainsi les risques de dérapage en matière d’utilisation. Par
ailleurs, ce même responsable déclare qu’il est aisé d’obtenir un grand nombre de renseignements sur une
personne. Il cite les demandes de renseignements nécessaires par exemple pour inscrire un enfant dans un
centre aéré municipal. A partir de là il dissocie l’obtention de renseignements de la finalité recherchée.
50 On retrouve cet argument dans les délibérations du conseil municipal de E. concernant le projet d’installation
de vidéosurveillance dans le centre ville.
56
Dans tous les cas aussi, l’installation de la vidéosurveillance ne peut être décidé que s’il existe
des moyens d’intervention efficaces « derrière ». « Il faut des personnes derrière ces
caméras. »
Pour les deux, la prévention de la criminalité passe par la capacité qu’une communauté a à
s’approprier le problème de la sécurité. Cette capacité est renforcée par la transparence des
mesures prises : diffusion d’informations (y compris d’éléments de l’atlas de la criminalité via
l’Internet), mise en œuvre de discussions dans de nombreux lieux, échanges d’informations et
de services entre des institutions diverses (mairie, police, écoles, université, églises, …)51.
SECURITE ET POLITIQUE
Il convient, à la suite de ces deux exemples de villes n’ayant pas souhaité installer de
vidéosurveillance, de rappeler les cadres sociaux politiques et historiques dans lesquels
s’enracinent les options prises :
-
Le cadre français à travers le cas de la ville de D.
La vision de l’Etat et des valeurs républicaines en France apparaît comme un des fondements
de la conception de la vie sociale. Cette vision est suggérée à travers la position prise par la
ville de D. en matière de sécurité. D’une part, être ensemble suppose l’existence de valeurs
partagées dont l’introjection est du ressort des institutions : la famille, l’école, mais aussi la
commune, et, à partir d’elle, les services de prévention. Dans cette vision, la criminalité est
toujours considérée comme une faillite de la socialisation, une faillite du « projet » éducatif et
social républicain. Les actions de prévention sont pensées à partir du constat de cette faille. Il
s’agit de rétablir un processus de socialisation en panne par l’apprentissage de valeurs
universelles reconnues. La protection n’est alors qu’un volet inerte, peu valorisé dans ce type
de projet. Par contre, l’action policière n’est pas conçue comme une action totalement
incompatible avec la prévention, dans la mesure où elle vise aussi le rétablissement, via
l’exercice de la violence légale, des valeurs de l’Etat républicain. En effet, s’il existe un risque
de césure entre les citoyens et la vision qu’ils ont des institutions, notamment celles chargées
de la sécurité publique, césure dont la résorption relève des actions de prévention, il n’y a pas
d’incompatibilité insurmontable entre l’idéal républicain et l’exercice de la force par les
représentants légaux de l’ordre. Les services municipaux de prévention vont rechercher la
collaboration avec les forces de police, la justice, avec le souci de coordonner visions et rôles
de chacun. Le tissu associatif, les institutions éducatives vont être également sollicitées. Par
contre toute politique de protection ne ferait que souligner l’existence de communautés aux
intérêts propres. Or cette vision communautariste s’oppose en partie à l’idéal de la
République.
51 Cette orientation est appelée de ses vœux par le responsable de l’Action territoriale et de la Tranquillité
Publique de la ville de D.. Il ressort de l’entretien le constat d’une difficulté récurrente concernant la
diffusion et le partage des informations concernant les questions de sécurité. Cette absence d’informations
entraîne, selon le responsable plusieurs phénomènes : la montée en épingle par la presse d’informations plus
ou moins vraies mais spectaculaires ; la réactivité immédiate de la population vis-à-vis de ces informations
médiatisées ; l’ignorance d’informations détenues par les habitants qui pourraient être utiles aux institutions
chargées de la sécurité, etc.
57
-
Le cadre allemand à travers le cas de la ville de F.
L’idéal démocratique est revendiqué à travers deux demandes : le respect des libertés
individuelles, le renforcement des processus d’intégration qui se jouent à travers les relations
de proximité. Il s’agit donc de concilier à importance égale un modèle social démocratique et
un modèle social communautaire. Les rôles intégratifs des communautés sont valorisés au
détriment de leurs intérêts contradictoires possibles et que pourraient favoriser les démarches
de protection. Une pratique de la coopération entre tous les acteurs maintient le cap de la
prévention dont la finalité est attachée au respect de la démocratie.
LA COMPAGNIE DE TRANSPORTS A.
La compagnie de transports A. commence d’abord par s’intéresser aux possibilités qu’offre la
télésurveillance pour améliorer le fonctionnement de l’installation technique de son réseau.
Cette réflexion est menée naturellement par les responsables techniques de la compagnie. Elle
se fait sur la base d’une philosophie de sûreté de fonctionnement générale.
Des détecteurs d’incidents sont mis en place. Leur sensibilité est réglée afin qu’ils puissent se
déclencher pour signaler des dysfonctionnements dans des domaines comme le maniement
anormal des portillons donnant accès aux voies, la chute d’objets ou de personnes sur ces
voies, le niveau sonore dans les gares. Les comportements des usagers sont aussi pris en
compte à travers des bruits comme ceux produits par une course, des cris, des rires.
Dans cette première démarche, il est possible de déceler deux intentions plus ou moins
implicites : améliorer la sûreté de fonctionnement de l’installation en systématisant les alertes
et leur traitement ; décider en creux d’un niveau de fonctionnement normal en identifiant et en
qualifiant des indicateurs pertinents susceptibles de rendre compte d’écarts de fonctionnement
dangereux pour la sécurité du système technique.
La question du réglage de la sensibilité des détecteurs est intéressante à prendre en compte
dans la mesure où on s’aperçoit qu’elle oblige la compagnie à établir des normes, à décider de
ce qui est normal et de ce qui ne l’est pas. Étant donnée la nature de la technologie mise en
œuvre, il est nécessaire de décider a priori de cette normalité, aucune interprétation n’étant
techniquement possible52. Or ces normes renvoient plutôt à la sphère technique, puisqu’elles
concernent la sûreté de fonctionnement du système technique même si cette sûreté est
synonyme pour une part de sécurité pour les usagers.
Mais rapidement le fonctionnement du système s’avère contre-intuitif. Les alarmes se
multiplient sans qu’il soit possible de comprendre les caractéristiques exactes de la situation
qui ont provoqué leur déclenchement. Le constat est fait que les fausses alertes sont légions.
À une période donnée, sept à huit cents alertes se déclenchent chaque matin entre 5h 30 et 8 h.
Elles ont toutes comme origine des « bruits ». Beaucoup correspondent aux causes prévues
pour déclencher l’alerte, mais beaucoup aussi sont en décalage. Tel bruit déclenchera une
alarme dont le degré de sensibilité est réglé pour détecter le cri d’un usager en danger. On
52 Il est également intéressant de constater que dans le cas de la banque G., les signaux de télé-alarme, même
s’ils renvoient à la réalisation de protocoles obligatoires, finissent, « grâce à l’expérience », par faire l’objet
d’interprétations. L’expérience amène à distinguer les vraies alarmes des fausses. Les « fausses » sont
désignées ainsi du fait d’autres déclenchements qui les ont précédées, de leur fréquence, de leur répétition.
Les vraies font aussi l’objet d’interprétations, par exemple, en fonction du moment où elles apparaissent.
58
s’aperçoit alors que des cris peuvent être poussés par une personne sans qu’elle soit en
danger comme par exemple lorsqu’elle exprime bruyamment sa joie.
L’échec relatif de la mise en place de la télésurveillance renvoie à :
-
La difficulté à séparer a priori système de surveillance technique et système de
surveillance socio-technique, sûreté de fonctionnement et surveillance des
utilisateurs dont les comportements peuvent causer des perturbations du système
technique préjudiciables à leur propre sécurité ;
-
La nature du processus de décision et des acteurs impliqués dans ce processus.
Dans le cas de l’installation de la télésurveillance, la décision relève de la sphère
technique des décideurs. Le poids de l’analyse technique est donc fondamental
dans le choix des objets techniques et dans la constitution des modes d’évaluation
de leurs effets. La sûreté de fonctionnement est synonyme de sécurité des
passagers ;
-
La difficulté à définir a priori des niveaux d’alerte quand se mêlent, dans une
même situation, logiques techniques et logiques sociales. La normalité technique
ne renvoie pas à la même logique que celle qui préside à la normalité sociale. Par
exemple, les limites techniques des capteurs du point de vue de leur capacité à
repérer des bruits de différente nature révèlent l’existence d’un système de
fonctionnement composé d’interactions entre les sources sonores dues à
l’installation technique et des sources sonores dues à la présence des usagers dans
les espaces techniques. L’existence du bruit n’est pas synonyme de danger, mais le
niveau technique de l’objet qui le détecte et l’analyse qui en est faite n’offre pas la
possibilité, à niveau égal, de décider de la dangerosité de la situation dans laquelle
le bruit est apparu ;
-
Le lien entre l’exigence procédurale et réglementaire (toute alarme entraîne
automatiquement une vérification par l’analyse de la situation qui l’a déclenchée)
rajoute à la rigidité du système induite par son niveau technique. Il est évident
qu’une forme d’adaptation à cette rigidité voit le jour. L’attention prêtée aux
alarmes peut décroître du fait que l’expérience montre qu’elles sont injustifiées ou
encore que les moyens d’y répondre sont insuffisants.
Progressivement ce système se complexifie avec l’installation de caméras pouvant produire
des images à l’attention d’un centre de surveillance, mais l’intention initiale demeure. Il s’agit
encore de détecter plus facilement (notamment par une surveillance à distance qui évite le
déplacement d’une personne sur le lieu) et plus rapidement les incidents susceptibles de
perturber le fonctionnement de l’exploitation. Il est vrai que dans le cas de cette compagnie,
les incidents techniques peuvent avoir des conséquences lourdes sur la sécurité des passagers.
A l’inverse, les comportements des voyageurs peuvent rapidement avoir des conséquences
importantes sur le fonctionnement technique du réseau.
Deux dimensions émergent de l’analyse de ce dispositif technique en voie de constitution. La
première est celle de la dimension de l’instrumentation technique de la sûreté puis
progressivement de la sécurité. Tant que le contrôle technique s’applique au domaine
technique, nous pouvons considérer que son influence sociale est relativement réduite. Nous
sommes dans la mécanisation, l’autonomisation du contrôle, au sein d’une boucle de
59
régulation existante entre production et contrôle. La seconde est la dimension de la
naturalisation du contrôle social à partir de l’utilisation d’éléments techniques dans le champ
de la régulation sociale. Le réglage des capteurs procède de cette tentative de naturalisation
dans la mesure où on va chercher à percevoir des bruits définis comme indicateurs de danger.
Les bruits sont réduits à des niveaux sonores, l’interprétation à des niveaux d’intensité. Les
effets contre-intuitifs du contrôle technique mis en place prennent leur origine dans la passage
du constat d’un bruit à son interprétation.
L’apparition de l’image tend à affiner le niveau d’interprétation des alertes, à corriger les
effets contre-intuitifs de la télésurveillance.
Quatre tendances se dégagent de l’introduction de l’image dans la surveillance de
l’installation technique :
-
La crainte puis le goût pour l’image de la part du personnel. Après un moment de
crainte, la demande de généralisation du dispositif de vidéosurveillance émerge.
Des mesures sont prises, après des négociations avec le personnel, pour garantir au
maximum les espaces de liberté des employés de la compagnie. Aucune caméra
n’est braquée sur les locaux dans lesquels ils se tiennent régulièrement. On assiste
à la banalisation progressive du contrôle par l’image, les nouveaux embauchés
étant décrits par le responsable rencontré comme n’ayant pas de réticence
particulière vis-à-vis de la vidéosurveillance ;
-
L’affinement de l’interprétation, l’accroissement des possibilités de régulation.
L’image n’est utilisée systématiquement mais seulement dans le cas où
l’interprétation de la situation inhabituelle le nécessite. L’interprétation de l’image
conduit ou non à une intervention directe. En cas d’intervention, il est possible
d’utiliser les caméras pour contrôler l’évolution de la situation ;
-
L’accroissement de la confusion entre surveillance technique (sûreté de
fonctionnement) et surveillance sociale (sécurité) ;
-
L’instrumentalisation de la surveillance sociale sous prétexte de la sûreté
technique.
Aujourd’hui l’installation est complète et sophistiquée. Elle comprend de nombreuses
caméras reliées à des postes locaux et à un poste de commande central. Là, les opérateurs
travaillent sur des incidents qui leur sont signalés en utilisant un système de communication
téléphonique. Ils ouvrent quand ils le jugent utiles les écrans de contrôle pour obtenir et
utiliser les images. Grâce à la manière dont sont installées les caméras, ils peuvent suivre le
déplacement de personnes suspectes. D’une manière générale, « L’image ne vient qu’après
l’incident. » Le discours qui domine la présentation du dispositif est celui du rejet de la
fascination technique au profit de l’intérêt porté à l’importance des modes de régulation, car
« le problème, c’est l’exploitation [des images]. La vidéosurveillance doit être associée à
l’intervention. Il ne s’agit pas seulement de surveiller mais d’opérer. Ce n’est pas la peine de
mettre des caméras partout. Cela doit répondre à un système précis. Il faut des gens derrière.
On se concentre sur les zones où circulent des gens avec de l’argent et celles où les
populations sont mélangées. ». Selon un responsable, « Il n’y a pas de rapport direct entre la
technique et la sécurité. Si on demande à un fournisseur de matériel de traiter la question de
la sécurité, il vous vendra du matériel. ».
60
Il s’agit donc de distinguer la technique comme réponse à la sécurité de la prise en charge
sociale de la sécurité. Le dispositif de vidéosurveillance appartient à un ensemble décrit làaussi comme une « chaîne de sécurité » partant des conceptions architecturales jusqu’aux
comportements du personnel exploitant.
Trois niveaux sont distingués :
- La prévention reste l’affaire des « exploitants » (conducteurs et agents des stations) ;
- La sûreté de fonctionnement concerne l’ensemble des techniciens ;
- La sécurité des personnes est prise en charge in fine par la police qui a également
accès aux images disponibles.
Toutefois, une évolution de la nature des incidents est ressentie. Les incidents ayant pour
origine le comportement des voyageurs se substitueraient aux incidents « purement »
techniques. Nous n’avons pas pu vérifier objectivement cette évolution, mais l’impression
existe, provoquant l’idée d’une dégradation des conditions de travail et, par voie de
conséquence, une évolution des missions et des métiers.
La compagnie se définit comme une « entreprise citoyenne » qui se doit d’offrir un niveau de
sécurité à ses clients d’autant plus que sa mission l’amène à remplir une mission publique et
couvrir un vaste territoire aux conditions sociales parfois difficiles. L’activité de transports
induit la confrontation dans des espaces restreints de personnes aux revenus économiques et
aux mœurs différents.
La vidéosurveillance est présentée comme un outil d’exploitation relativement banalisé du fait
de :
- La culture des agents et des clients. On serait dans une « culture de l’image. Les
jeunes qui rentrent aujourd’hui [à la compagnie] ne posent plus de questions. Les
caméras, les images, ça va de soi. » ;
-
L’habitude. Le personnel a l’habitude de voir les caméras et « a compris leur
utilité. Aujourd’hui, ils ont tendance à réclamer de nouvelles installations. Ils se
sentent moins isolés dans leur travail. » ;
-
L’utilisation que les employés vont en faire au moment de la fermeture des lieux.
Chaque soir, avant de fermer les accès, ils utilisent les caméras pour vérifier la
présence ou non de personnes suspectes. « Ils assurent leur propre sécurité en se
servant des caméras », confirme un responsable ;
-
La garantie de la « vie privée au travail ». Les caméras sont installées dans les
zones publiques et ne pénètrent pas dans les bureaux, les guichets. Quand elles
sont mises en œuvre au poste central de contrôle, les agents le savent car un voyant
s’allume. De plus, la division entre un poste central de contrôle réservé à la
compagnie et un réservé à la police est présenté comme la preuve qu’il n’y a pas de
confusion entre les intérêts de la compagnie centrés sur la sûreté d’exploitation et
les missions de la police orientées vers la sécurité des personnes ;
-
L’intérêt porté par les syndicats de salariés de la compagnie qui, à la fois,
revendiquent de meilleures conditions de travail, y compris dans le domaine de la
sécurité, notamment dès que les salariés doivent manipuler de l’argent, et restent
vigilants vis-à-vis des atteintes éventuelles à la vie privée des salariés.
61
Dans cette compagnie, la sécurité est donc définie à la fois comme une condition
d’exploitation et comme une norme sociale. Condition d’exploitation dans la mesure où les
comportements humains peuvent perturber le système d’exploitation ; norme sociale dans la
mesure où les représentations qu’ont les personnes et les groupes de la sécurité peuvent
engendrer des comportements susceptibles de perturber le système d’exploitation. Si les
salariés de la compagnie ont globalement admis la présence des caméras sur leur lieu de
travail, leur sensibilité à l’insécurité est perçue par les dirigeants comme une réelle difficulté
d’exploitation. « Le machiniste arrête son travail parce qu’il reçoit de la fumée de
cigarette ! » ironise un responsable.
Ainsi se pose la question de l’évaluation du dispositif de vidéosurveillance. Nous avons noté :
-
La sensibilité des salariés aux « actes d’incivilité » se développe parallèlement à
l’évolution des moyens de contrôle ;
-
Le fait que les auteurs de ces actes ne sont pas obligatoirement sensibles aux
dispositifs de vidéosurveillance ;
-
La distinction entre deux postes centraux de contrôle permet à la compagnie et à la
police d’utiliser les mêmes images à des fins différentes. Si cette distinction met en
scène officiellement une séparation entre sûreté (de fonctionnement) et sécurité
(des biens et des personnes), elle devient confuse dès qu’il s’agit de tenir compte
du traitement d’incidents qui relèvent autant de l’appréciation des conditions de la
vie sociale que d’une définition stricte d’infractions répréhensibles. Autant cette
distinction ne semble pas poser de problème pour « les événements importants liés à
la sécurité »53, autant elle devient confuse du point de vue de la demande sociale en
matière de sécurité.
Un renversement de perspective peut donc être opéré. Il existe une frange de comportements
et d’actes appelés aujourd’hui communément « incivilités » qui ne relèvent pas stricto sensu
d’un dispositif de sanctions établi de manière légale. Ces comportements et actes seraient
générateurs d’insécurité. Il s’agit alors de voir dans ce cas la sécurité et l’insécurité autant
comme des normes de société que comme des catégories caractérisant à des faits identifiés.
Ainsi, le dispositif de vidéosurveillance mis en place par la compagnie devient une sorte
de caisse de résonance de l’expression de la dimension normative de l’insécurité.
En effet, il est demandé aux exploitants de maintenir un niveau de sûreté du système
d’exploitation. Cette demande renvoie à leur mission et à leur savoir-faire. Elle désigne et
sollicite leur champ de compétences. Nous avons dit par ailleurs que, dans cette compagnie, la
distinction entre dispositif technique et vie sociale était difficile à opérer franchement, les
usagers étant à la fois « objets » de sécurité et acteurs potentiels d’insécurité pour le dispositif
technique et pour les autres usagers. Or, le maintien de ce niveau de sûreté qui garantit pour
une part la sécurité de ses utilisateurs passe par la désignation d’incidents, de
« dysfonctionnements ». La question d’aujourd’hui est : quand et comment un incident
sera-t-il considéré comme suffisamment significatif pour être pris en compte ? Quand un
événement ressenti devient-il significatif au regard de deux cadres de référence : le système
d’exploitation technique, le système normatif et son appareillage répressif ?
53 Document interne de la compagnie.
62
Si la sensibilité de l’exploitant de terrain vis-à-vis de la sûreté est trop vive, il peut lui être
reproché par sa hiérarchie de perturber le fonctionnement de l’exploitation. Si, au contraire,
elle n’est pas assez exacerbée, il pourra lui être reproché la même chose, y compris dans un
cadre d’analyse juridico-professionnel.
Nous sommes bien ici dans un mode de « fabrique » de la norme sociale. Elle se constitue par
essai-erreur dans un contexte de luttes d’intérêts. Comme le fait remarquer un responsable de
la conception du dispositif de vidéosurveillance, « il y a incident et incident », exprimant à
travers cette expression lapidaire le champ d’expérimentation et de validation de la norme à
venir.
Le renversement à opérer touche aussi la question de l’individualisme qui est posée comme
explication de comportements émergents capables de mettre à mal la qualité du dispositif
technique. Il nous semble que la sensibilité de l’individu, qu’il soit ici exploitant ou usager, à
l’insécurité qui se manifestera par une interprétation personnelle de l’incivilité, n’est pas
l’expression d’une quelconque forme d’anomie. Elle renvoie au contraire à la nature des
normes sociales incorporées qui vont permettre ou non l’émergence de revendications
individualistes, notamment dans la tension interne entre émotion et conformisme.
Figure 9 : le phénomène de naturalisation des rapports sociaux
Instrumentation
technique
du contrôle
Régulation
sociale
LA COMPAGNIE DE TRANSPORTS B.
À l’occasion de l’installation d’un système de vidéosurveillance dans des autobus assurant le
service de nuit, le directeur de la compagnie de transports en commun B. mettait en avant
l’existence d’un double langage tenu par les usagers : « On demande à être sécurisés et moins
observés ».
Cette double demande illustre un type de rapport au réel qu’apporte une production
détemporalisée des images. L’utilisation de la mémoire des événements que permet le
stockage d’images se substitue à leur traitement immédiat. L’établissement de la preuve
factuelle et son utilisation comme mode de régulation des événements ou des situations se fait
au détriment de l’accord spontané des acteurs présents dans ces événements ou situations.
La demande met également en exergue l’établissement d’une liaison culturelle entre
surveillance et sécurité. La présence de la vidéosurveillance incarne aux yeux du public
l’évidence de cette liaison, alors qu’existent depuis toujours d’autres formes de sécurité moins
spectaculaires. En effet, les formes de régulation sociale comme les obligations et les règles,
les conduites normées, les étiquettes et les mœurs, mais aussi comme les conditions de
63
négociation de proximité, les médiations, peuvent être considérées comme autant de
modalités contribuant à la sécurité. C’est en tous cas ce que laissent entendre les responsables
de la compagnie B. pour justifier la décision de l’installation de caméras embarquées dans les
autobus de nuit.
La vidéosurveillance devrait alors fournir des informations visuelles dont le traitement et
l’exploitation obligatoirement différés vont viser au moins quatre résultats :
-
Le rétablissement de l’ordre public, les images étant utilisées par la police pour
confondre les fauteurs de trouble ;
-
L’absence, la réduction ou la stabilisation des infractions, par l’effet dissuasif
recherché grâce à la présence des caméras dans les autobus ;
-
La sécurisation des conducteurs, l’installation de la vidéosurveillance apportant la
preuve que la direction prend en compte leurs revendications en matière
d’amélioration des conditions de travail ;
-
La sécurisation des passagers et l’amélioration de l’image de la compagnie,
l’accent commercial étant mis sur la sécurité. Le dernier point est, selon la
direction, une condition de développement des transports publics.
Du fait de ces quatre résultats escomptés, la vidéosurveillance peut être aussi considérée, dans
le cas de la compagnie de transports B. comme une technologie de surveillance également
adaptée à ces « incivilités » évoquées notamment par Michel Marcus54 et qui nécessitent,
selon lui, de « nouvelles catégories d’interventions ».
Le système de vidéosurveillance installé dans les autobus assurant le trafic de nuit, permet de
fournir des images qui sont automatiquement détruites au bout de vingt-quatre heures sauf
demande explicite des services de police. Au moment où nous avons réalisé notre enquête de
terrain, six bus étaient équipés depuis quatre mois et aucune bande n’avait été visionnée du
fait de l’absence d’incidents signalés.
La décision de l’installation est le résultat de différentes étapes.
-
À partir de 1996, la compagnie constate l’augmentation des agressions physiques
de conducteurs, notamment par le biais de crachats, d’insultes dont ils font l’objet,
mais aussi de la dégradation du matériel (« caillassage », vitres brisées, bombages,
sièges abîmés, comportement des « S.D.F. qui montent en état d’ébriété dans les
autobus avec des chiens »). À ce moment là, la direction a le souhait de ne pas
apporter une simple « réponse technique » à ces phénomènes. Elle privilégie donc
la présence de personnes sur le terrain : accompagnement des clients et des
conducteurs sur des « lignes à problèmes ».
-
À partir de fin 1998, début 1999, sous la pression de l’Etat (mise en place des
CLS), la compagnie recrute des « emplois-jeunes »55. Ceux-ci, formés par des
conducteurs en poste vont travailler environ pour moitié de leur temps dans le
54 Entretien avec Michel Marcus, Délégué général du Forum Européen pour la sécurité Urbaine, La lettre de
REFLEX, n°17, décembre 1997.
55 On remarquera l’usage de l’expression « emploi-jeune » pour désigner des personnes alors qu’elle est censée
d’abord désigner un statut professionnel.
64
domaine de la prévention (présence et médiation dans les autobus des lignes dites
« difficiles ») et pour l’autre moitié dans le domaine de l’accueil et des
renseignements dans les « grosses stations » ainsi que dans l’accompagnement des
bus scolaires. Le travail de ces nouveaux recrutés consiste à assurer une présence
et, selon les cas, à entrer en contact avec les « jeunes », un quart d’entre eux
« faisant partie de ces quartiers »56.
Cette activité est jugée importante bien qu’ « on est toujours sur le fil du rasoir
dans ce domaine de prévention : on ne voit rien ou l’on voit trop. »
-
Aujourd’hui, l’Etat incite les réseaux de transports publics à s’équiper de matériel
de vidéosurveillance en offrant des subventions pour favoriser l’installation des
premiers équipements. Cette offre a d’autant plus contribué à la prise de décision
en faveur de l’installation de caméras dans les autobus de nuit qu’elle a été faite au
moment où la direction de la compagnie B. subissait une pression syndicale forte à
propos des problèmes de sécurité rencontré par les employés. L’installation des
caméras a fait l’objet de tractations avec les organisations syndicales. La
contrepartie demandée pour l’installation a été l’absence de revendication en
matière de personnel supplémentaire comme réponse à la montée de la violence
dans les transports en commun et le renoncement de voir installer des cabines antiagressions57. Il s’agit, pour la direction de maintenir une image de sécurité à
l’intérieur des autobus et non de susciter le sentiment d’insécurité par la présence
trop ostentatoire de signes suggérant la dangerosité des lieux et des situations.
Selon elle, la présence de cabines anti-agressions renforce le sentiment d’insécurité
et dégrade la qualité de l’accueil du public dans les autobus.
La direction estime que la situation actuelle en matière d’insécurité n’est pas dégradée. « Il y a
un vieux fond, mais pas de crise. ». Elle estime que les incidents signalés ont baissé de dix à
douze pour cent depuis l’arrivée des « emplois-jeunes ». En 2000, ils sont repartis à la hausse,
mais, selon elle, de manière différenciée. Les « perturbations de premier niveau » (agression
des chauffeurs, du personnel) restent stables ou diminuent alors que les « perturbations de
second niveau » (ouverture des portes pendant le trajet, présence de chiens dans les autobus,
etc.) augmentent.
Les décisions de la direction de la compagnie B. illustrent la tentation de se prémunir des
raisonnements mécanistes et technicistes en matière de prévention. Pour elle, il n’est pas
question de privilégier l’idée de l’innovation technique comme base de résolution des
problèmes de sécurité. Il serait abusif de croire que l’installation de la vidéosurveillance dans
des autobus supprimerait de manière radicale les perturbations. Elle envisage la possibilité
d’effets contre-intuitifs possibles. Le matériel de surveillance ne peut-il pas devenir un objet
de convoitise, même s’il est protégé, d’autant plus qu’il est protégé ? Cette protection ne
rend-elle pas compte de la valeur marchande que ce matériel peut représenter ? De plus sa
présence ne pousse-t-elle pas à des défis ? Sa présence ne conforte-t-elle pas les passagers à
ne pas intervenir en cas d'agression, puisqu’il existerait un système ad hoc de surveillance ?
Les cabines anti-agressions ne donneraient-elles pas à penser que les lieux dans lesquels elles
se trouvent sont particulièrement dangereux ? La présence trop visible de personnel de
56 On remarquera aussi combien ce discours repose sur une catégorisation implicite des comportements, une
stigmatisation des populations.
57 A noter que lors des premiers mouvements de grève en faveur de la retraite des conducteurs à cinquante ans,
les conducteurs de la compagnie B. se sont peu mobilisés.
65
sécurité en trop grand nombre n’entraînerait-elle pas la même impression et ne perturberaitelle l’image positive que la direction cherche à donner aux services qu’elle offre ? Ces
questions appellent des réponses qui ne peuvent être élaborées, selon la direction, qu’à partir
d’une vision globale du problème posé, d’où son goût pour la négociation qui peut, selon elle,
construire cette vision.
L’usage de la vidéosurveillance semble ici inscrite de manière complexe dans des situations
caractérisées à la fois par la pression de l’Etat, celle des salariés, des usagers en matière de
sécurité. Elle est présentée comme une des réponses apportées au déficit de médiation de
proximité qui serait à l’origine de l’insécurité. Ainsi la vidéosurveillance, du fait de sa
présence peut jouer un rôle indirect de médiation, la transaction s’effectuant entre la caméra et
le surveillé. Mais elle peut aussi désorienter notre rapport au réel en se substituant aux
phénomènes spontanés de médiation de proximité. L’observé ne finira-t-il par réagir qu’en
fonction des signes que lui renvoie un dispositif technique de sécurité ? On remarquera par
exemple, dans l’expérience relatée par la compagnie de transports B., que, à cause de ce
risque, les éléments de médiation directe ne sont pas négligés malgré l’installation d’un
dispositif de vidéosurveillance. Ainsi conjointement à l’installation des caméras, ont été
recrutés des « agents de prévention » dont l’action semble, selon le directeur, « susciter un
certain apaisement sur les services de nuit ».
66
VIDEOSURVEILLANCE, PREVENTION
ET SITUATIONS D’INSECURITE
LES DEUX FORMES DE PREVENTION
Les termes du débat à propos de l’opportunité de la prévention situationnelle en France nous
semble caractéristique de la manière de concevoir la sécurité dans la société française
aujourd’hui. Celle-ci est tiraillée entre deux conceptions qui s’opposent. Nous les avons
trouvé évoquées par les personnes rencontrées au cours de l’enquête de terrain. Rappelons-en
ici les termes.
La prévention sociale, d’inspiration déterministe et positiviste va porter sur la transformation
des conditions d’apparition de la criminalité. Elle va s’appuyer sur des données cherchant à
établir des causes sociales de la criminalité. Toutefois elle peut aussi dériver vers un
eugénisme social plus ou moins larvé en passant progressivement de la recherche et de la
prise en compte des conditions sociales d’apparition de la sécurité à la définition et à la prise
en charge de « publics à risques » du fait du poids de la détermination sociale définie. Sa
finalité sera donc double : éradication ou réforme des conditions socio-économiques jugées
comme responsable de la criminalité ; prise en charge à visée normative des populations « à
risques ». Cette approche reste largement inspirée des principes républicains qui fondent la
légitimité d’une communauté de citoyens voués à un destin commun.
Par opposition, la prévention situationnelle, inspirée notamment par les travaux de l’école de
Chicago (écologie urbaine) va s’intéresser à la diminution des occasions de commettre un
crime. Ces occasions sont déduites de l’analyse de situations spatiales précises. Chacune va
être évaluée en terme de coûts et de gains supposés pour un criminel également supposé. Une
grande importance va être donnée à la protection de victimes potentielles. La
vidéosurveillance pourra constituer un de ces éléments de protection. Quand une situation
sera ainsi l’objet de protection, des déplacements des lieux de délinquance pourront
apparaître. Cette approche est plutôt d’inspiration libérale. Elle laisse place au calcul de
l’intérêt et au principe de l’autorégulation.
Aujourd’hui, ces deux approches s’affrontent. On voit que la prévention sociale repose sur
une vision sociale organiciste alors que la prévention situationnelle participe plus d’une vision
ségrégative qui conçoit l’existence de territoires habités protégés. Les commanditaires réels et
potentiels de vidéosurveillance développent des arguments qui tiennent compte de ces deux
manières de penser. Certains interlocuteurs laisseront entendre que ces deux approches sont
incompatibles ne serait-ce que par l’obligation de choix budgétaires auxquelles les
commanditaires sont confrontés pour les mettre en œuvre.
67
Nous avons constaté que plus l’activité du commanditaire était de nature commerciale, plus la
prévention situationnelle avait droit de citer. Protection des biens et des personnes
représentent des objectifs précis, inscrits dans le développement économique et commercial
de l’entreprise.
Premier exemple : le responsable de la sécurité de la banque G. évoque le projet du « mur
d’argent ». Le client est confronté à une machine qui couvre l’ensemble des services de
guichet. Plus d’agence, plus d’employés, donc plus de risques de hold-up impliquant des
violences sur les employés. Par contre, il évoque la possibilité d’installer une
vidéosurveillance pour surveiller ce mur, mais cela ne sera plus sous la responsabilité de la
banque. Il « externalise » le risque d’agression dans l’espace public sous la responsabilité de
la police. Autre exemple : les entreprises de transport A. et B. conservent une tradition de
« service public » et tentent de concilier prévention et protection (agents de médiation et
vidéosurveillance). La protection mais encore plus la prévention ont, bien sûr, un rôle à jouer
pour attirer ou maintenir la clientèle.
Il nous semble donc que c’est dans un changement de perspective des catégories de pensée
elles-mêmes que doit être posée la problématique de l’impact de la vidéosurveillance sur la
sécurité dans les espaces publics et privés recevant du public et non dans une approche
strictement causale. Il ne s’agit pas de considérer simplement que la sécurité dépendrait de la
qualité technique de solutions adoptées. Nous avons constaté que ces catégories restaient
ancrées dans des contextes plus complexes.
De ces contextes, nous avons retenu :
-
La nature de la demande sociale et la manière dont elle est relayée (media, rôle des
associations, exigences des assurances, etc.) ;
-
La manière dont les dirigeants la traitent, notamment, pour les élus, en fonction de
leurs conceptions politiques, et, pour les dirigeants, de leurs stratégies
commerciales et de développement ;
-
La manière dont ceux qui décident de transgresser la tranquillité publique vont
considérer l’impact de la vidéosurveillance sur leurs desseins. Cette évaluation est
en grande partie liée à l’intériorisation des normes sociales ;
-
La division du travail social et l’impact de professions sur la prévention : police,
justice, services sociaux.
Les trois questions principales posées par l’IHESI (modes de prise de décision, utilisation du
dispositif au regard de la loi, évaluation de l’impact du dispositif) doivent donc être entendues
en tenant compte de l’évolution de ces manières de penser. Celles-là s’inscrivent dans la
perspective d’une sociogenèse des rapports entre l’Etat et les citoyens, et d’un point de vue
holiste, dans celle d’une « modification de la sensibilité et du comportement humains dans un
sens bien déterminé »58. Ce « sens bien déterminé » n’est pas le résultat d’un plan rationnel
mais celui d’un « ordre spécifique », d’un « processus »59.
58 Norbert Elias (1969), La dynamique de l’Occident, éditions Calmann-Levy, Paris, 1975, p. 181.
59 Idem.
68
La distinction entre prévention situationnelle et prévention sociale recouvre la distinction
générale entre protection et prévention. Nous avons déjà retrouvé cette distinction dans le
monde industriel en matière de risques professionnels. Par exemple, le médecin du travail va
traditionnellement prendre soin des populations à risques et l’hygiéniste va chercher, pour sa
part, à réduire les situations à risques. Par analogie, il nous semble bien que des voies de
progrès sont à explorer en considérant conjointement les conditions matérielles et les
conditions sociales de la prévention : réduire les risques d’insécurité sans les déplacer,
prendre en compte les populations « à risques ».
Figure 10 : tableau comparé entre prévention situationnelle et prévention sociale
Prévention situationnelle
Prévention sociale
Philosophie générale
Protection
Prévention
Cible
Situations matérielles
Territoires
Publics, groupes
Méthode générale
Transformations des espaces
Transformation des conditions
socio-économiques
Effets recherchés
Disparition des risques
Transformation des
comportements
Transformation des mœurs
Effets pervers
Déplacement des risques
Ghettos
Populations stigmatisées
Acteurs de la mise en œuvre
Milieu marchand
Service public
Modalités
Contrats marchands
Éducations normatives
VIE PRIVEE ET VIE PUBLIQUE
Dans la tradition démocratique, les systèmes de surveillance vont être analysés en fonction du
respect de la liberté qu’ils offrent aux citoyens. Celui qui surveille a-t-il pour mission et pour
mandat de le faire ? De qui tient-il ce mandat ? Est-il lui-même contrôlé ? S’inscrit-il dans un
cercle vertueux où le citoyen confie sa sécurité à une instance qui émane de lui ? La
surveillance exercée porte-t-elle atteinte à la liberté du citoyen ? L’Etat définit à travers des
lois les rôles et les limites de cette activité. La légitimité de l’action de surveillance est
garantie par la définition et la force des institutions.
Comme tout système de surveillance, la vidéosurveillance suppose l’existence d’instances qui
légitiment et contrôlent son utilisation. Pourtant les études de terrain montrent que l’existence
de textes de droit définissant son usage banalise au contraire son installation. C’est comme si
l’existence de ces textes aplanissait la question du rapport entre ce type de surveillance et les
droits du citoyen. Seuls des discours militants comme ceux tenus par la Ligue des Droits de
l’Homme relayent cette question.
Les utilisateurs fournissent d’autres arguments quant à la légitimité des dispositifs de
vidéosurveillance : la loi, rien que la loi ; il existe une manière d’utiliser la vidéosurveillance
qui se veut en deçà de ce que la loi autorise (exemple : travailler « en écrans fermés »pour la
compagnie de transports A.) ; on peut installer la vidéosurveillance, mais minimiser son utilité
(pour la mairie de C.).
69
Au delà de l’utilisation et de l’acceptation du cadre juridique et institutionnel par les
utilisateurs, les études de terrain nous ont également informé sur les raisons d’une
banalisation de ce type d’installation. Nous pensions au départ de notre réflexion que la
vidéosurveillance serait perçue comme une menace pour la vie privée. Les différents
témoignages recueillis montrent que ce n’est pas l’installation de la vidéosurveillance qui
exacerbe la distribution entre vie privée et vie publique. C’est bien à une transformation de
ces notions à laquelle nous assistons.
D’où vient la distinction entre vie privée et vie publique ? En quoi cette distinction est-elle
mise à mal par la crise du Sujet ? Alors que M. Foucault installait le Sujet au cœur des enjeux
de socialisation et qu’il voyait dans l’intégration du contrôle et dans la manipulation des
pouvoirs des menaces pouvant mener à sa disparition, A. Touraine évoque une crise du Sujet
en terme « d’éclatement et de décomposition »60. du fait d’une confusion des normes qui
contiennent son identité. Ces deux propositions permettent de mieux comprendre ce que
révèle les arguments concernant l’installation de la vidéosurveillance.
Rappelons-en les enjeux :
- Le pouvoir de la norme, l’introjection de l’ordre social
Un argument tenu par un interlocuteur rencontré consiste à dire que l’installation de la
vidéosurveillance offre l’occasion d’une nouvelle possibilité d’affrontement à un type de
délinquance qui se développe hors norme et hors des institutions. « Comment vont-ils prendre
cela ? Que vont-ils penser du jeu que nous voulons jouer ? ». En mettant en place un système
de vidéosurveillance, le risque d’escalade de la violence lui semble évident, « surtout si nous
n’avons pas les moyens d’exploiter les informations » (sous entendu, si la surveillance n’est
pas couplée à un intervention policière). La même personne évoque, dans le même registre de
pensée, qu’il faut mieux développer l’action sociale auprès de cette population délinquante
afin de favoriser les liens de médiation.
Cette argumentation s’inscrit dans une perspective selon laquelle l’ordre social est fondé par
introjection de la norme. L’action sociale correspond à une rationalisation et à une
instrumentation de la norme. Elle vise la normalisation, via la mise en œuvre d’un processus61
éducatif. Par opposition, la contrainte et la répression ne sont utilisées qu’en dernier recours,
quand d’autres formes de normalisation n’ont pas abouti. Il est remarquable de constater que
les témoignages recueillis et que les observations faites révèlent un effort constant pour ne pas
en arriver là. Cohortes de médiateurs sous contrats emploi-jeunes, brigades de sécurité
relativisent à la fois la tentation panoptique qu’offre la vidéosurveillance et l’intervention par
contrainte de corps de la part de la police.
La vidéosurveillance apparaît comme une machinerie qui rend compte de l’exercice d’un
pouvoir exercé sur le corps. L’image du corps agissant est captée et analysée. À une question
posée au responsable de la sécurité de la banque G. : « Qu’est ce qu’une personne
suspecte ? », la réponse fut : » C’est une personne que l’employé juge suspecte. Il a alors le
devoir ne pas lui ouvrir la porte de l’agence. S’il ouvre, il prend la responsabilité de ce qui
peut se passer. Généralement, il ne se trompe pas. ».
60 Alain Touraine, Pourrons-nous vivre ensemble ? Editions Fayard, Paris, 1997, p. 90.
61 Norbert Elias, op. cité, p. 181.
70
Ce pouvoir est bâti autour du souhait de fonder un comportement « normal »62. Par là, la
vidéosurveillance représente éventuellement un danger pour le sujet observé, notamment pour
son intimité que définit la notion de vie privée. On voit en même temps que la vie en commun
suppose l’existence de normes introjectées en chacun de nous. Elle suppose l’existence d’un
Sujet construit publiquement. L’acceptation d’une surveillance renvoie donc à l’acceptation
d’être ensemble. Elle apparaît « faute de mieux », c’est-à-dire faute d’une normalisation
absolue qui évacuerait la préoccupation même de cette acceptation. Dans cet perspective, la
distinction entre vie privée et vie publique recouvre une autre distinction existante entre un
espace privé où la morale ferait plutôt office de norme et un espace public où la loi officierait.
Cette distinction est toutefois à nuancer. Il existe des lois qui portent sur l’espace privé et
l’expression d’une morale dans l’espace public, mais si nous retenons toutefois la distinction,
c’est pour comprendre en quoi la vidéosurveillance peut à la fois être refusée et admise. Dans
les deux cas, doit être conservée l’hypothèse d’une universalité de l’introjection de la norme
comme garantie de la vie en commun. Aux deux extrêmes de socialisation que représentent
l’anomie et le système social totalitaire, la vidéosurveillance devient alors acceptable pour les
« gens qui n’ont rien à se reprocher ». Elle est source de violence, déclaration de guerre pour
ceux qui ne sont pas dans la norme. Entre les deux, est posé le danger de toute machinerie de
surveillance pour l’intégrité du Sujet et pour la capacité que cette intégrité lui offre pour
établir des relations avec les autres.
- L’éclatement présumé du sujet
Dans cette perspective, le sujet s’inscrit dans l’immédiateté de rapports sociaux de proximité
exigeant des rôles adaptés et éventuellement contradictoires, la croyance en une régulation des
relations sociales en direct sous forme de contrats purs, sans instance de médiation à long
terme . F. Dubet63 évoque la remise en cause des conceptions de « l’individu de la sociologie
classique, celui de Parsons, de Durkheim, ou d’Elias [qui] n’existe que par son
« incorporation » du système des valeurs et des normes qui structurent sa personnalité et lui
permettent d’ailleurs de se vivre comme un individu autonome ».
La première proposition amenait à poser le problème de la montée de l’individualisme égoïste
dans la société moderne. Nous ne nous y attarderons pas, n’étant pas centrale dans notre
approche. Retenons toutefois, comme le fait d’ailleurs F. Dubet, la critique que développe H.
Marcuse à propos de cette forme d’individualisme émergeant dans une société de
consommation quand il décrit l’homme unidimensionnel « chez lequel la faible répression des
pulsions engendre la soumission aux industries culturelles et, par contrecoup, l’absence de
sublimation et d’indignation »64. La seconde proposition est celle de « l’expérience sociale »
que F. Dubet définit pour échapper à la fois à une approche de l’action sociale qui ne serait
déduite que d’une « version subjective du système » et à une approche « hyper-socialisée » de
cette même action65 selon laquelle l’individu, pour reprendre l’expression de Garfinkel66, ne
serait qu’un « idiot culturel ».
Pour F. Dubet, « l’action sociale n’a pas d’unité, n’est pas réductible à un programme
unique ». Insistons sur la notion de programme. F. Ewald reprend les travaux de
62 Cf. Le problème de l’interprétation des comportements par des capteurs dans la compagnie de transports A..
63 François Dubet, Sociologie de l’expérience, Editions du Seuil, Paris, 1994, p. 69 sq.
64 Idem, p. 71.
65 Idem, p. 93.
66 H. Garfinkel, Studies in Ethnomethodologies, Editions Prentice Hall, New Prentice Hall, New York, 1967.
71
M. Foucault67 pour distinguer la « rationalité de programme » de la « rationalité de
diagramme » à propos de la rationalité politique. Il rappelle que la « rationalité de
programme » s’étudie « du point de vue des pratiques qu’elle commande ou interdit, de la
matière dont elle problématise ses objets, de la forme de ces pratiques et du calcul dont elles
procèdent » alors que la « rationalité de diagramme » va être décrite, à partir des pratiques
existantes, comme « le plan schématique de leur disposition, le rêve de leur fonctionnement
adapté». C’est un « ensemble de stratégies, un réseau mobile, un ensemble de rouages et de
foyers, d’actes minuscules, fragmentés, divers, épars, aux lignes de forces changeantes » qui
fonctionne « dans le savoir, les gestes du corps, (…) en bref, partout »68.
La discontinuité du Sujet que F. Dubet analyse en terme de crise d’identité du fait de
l’introjection de rôles attendus contradictoires n’est pas obligatoirement une discontinuité de
l’ordre social et du processus d’assujettissement. La vidéosurveillance peut alors être vue
comme un élément d’une « machine abstraite »69 sociale fonctionnant en harmonie avec
d’autres éléments. nous retrouvons cet idée dans la fameuse « chaîne de la sécurité » évoquée
par plusieurs interlocuteurs comme exemple d’une machinerie de surveillance plus vaste, au
fonctionnement autorégulé grâce notamment à l’introjection des attentes vis-à-vis de cette
machinerie.
C’est ainsi que chaque Sujet, discontinu ou non, utilisera la vidéosurveillance à partir de la
signification que cette machinerie lui impose. La vidéosurveillance apparaîtra sans intention
particulière dès lors que le Sujet aura le sentiment que ce qu’il fait ne relève pas d’un risque
de transgression de la norme. Pour d’autres, elle équivaudra à une déclaration de guerre. De
toutes façons, sa réception sera individualisée dans la mesure où, comme est reçu
individuellement la violence, elle relèvera l’importance contemporaine relevée par
A. Touraine du Sujet dans son rapport aux institutions. « Nous quittons un monde où la
violence était fortement institutionnalisée pour entrer dans un monde où elle est
individualisée. La société classique, sociocentrique, a contenu la violence par le renforcement
des contraintes institutionnalisées et intériorisées… »70, rajoute-t-il. La violence d’aujourd’hui
ne serait plus « celle qui pèse sur l’ordre social, mais celle qui atteint l’individu comme
Sujet »71.
À quelles conditions l’ordre démocratique d’essence libérale mais aussi le souci républicain
définissent-ils cette distinction entre ordre social et Sujet ? En quoi cette distinction est-elle
structurante pour les sociétés en matière de sécurité ? Nous avons trouvé quelques réponses à
ces questions. Par exemple, à la compagnie de transports A., la vidéosurveillance respecte
l’intimité des postes de travail. La production d’image n’est déclenchée qu’en cas d’incident.
Il existe aussi une salle de contrôle réservée à la compagnie et une autre réservée à la police.
LES FAUX BESOINS ET LA POST-MODERNITE
Le clivage entre vie privée et vie publique du point de vue de l’organisation politique de la
cité pose la question de la manière dont les individus peuvent ou non « se dissocier vraiment
67 Michel Foucault, opus cité, notamment, p. 228 sq.
68 Jacqueline Russ, Les théories du pouvoir, Editions Librairie Générale Française, Paris, 1994, p.178.
69 F. Ewald, op. cité, p.17. Expression en référence à G. Deleuze.
70 Idem, p.320.
71 Idem.
72
de l’ordre établi des affaires. Il y avait une dimension privée et politique où cette dissociation
pouvait se développer et devenir une vraie opposition… »72.
La signification que l’on attribuera à la vidéosurveillance peut effectivement varier en
fonction de la réalité de ce clivage. Concevoir une vie privée et une vie publique suppose que
l’on ait défini les conditions d’être ensemble. Or, il semble bien que ces notions varient selon
les populations surveillées. Les unes auront une conscience vive de l’importance du clivage et
de sa nécessité pour maintenir les vertus démocratiques du lien social. D’autres, inscrites dans
des rôles sociaux plus indéfinis auront l’expérience d’un continuum spatial entre espace privé
et espace publique qui atténuera d’autant le clivage entre vie privée et vie publique.
Si l’on suit les analyses de P.W. Brigman73 cité par H. Marcuse74 à propos des nouvelles
formes de contrôle, les concepts de vie privée et de vie publique n’apparaîtraient qu’en
fonction d’ « opérations » concrètes qui les feraient surgir. Ces opérations pourraient être
l’ensemble des pratiques utilitaires de la vie sociale.
En d’autres termes, il y aurait un risque à considérer l’a priori des catégories de pensée que
sont entre autres la vie privée et la vie publique et de leur rôle dans la manière de considérer
les pratiques sociales. C’est bien plutôt les pratiques sociales qui semblent forger ces manières
de penser. Seule cette hypothèse permet de comprendre la variation de l’impact de la
vidéosurveillance sur les acteurs sociaux. Par exemple, l’état relatif d’indifférence prêté aux
utilisateurs secondaires de la vidéosurveillance rend compte de l’existence de pratiques
sociales individualistes qui orientent l’analyse de l’impact de la vidéosurveillance en fonction
de son utilité. La vidéosurveillance serait alors utile pour ma propre sécurité. Elle ne serait pas
dangereuse pour ma propre liberté puisque les actions que j’entreprends ne sont pas en soi
répréhensibles. Tel est l’archétype de ces opérations concrètes qui vont forger les concepts de
vie privée, de vie publique, et du sentiment d’atteinte à la liberté.
Cette construction du concept de liberté va être relayée par la production d’un discours sur les
usages d’utilisation de la vidéosurveillance. La vidéosurveillance va être présentée comme
réponse à un besoin construit au nom d’un (faux) intérêt général, celui de la sécurité des
citoyens, alors même que ce besoin de sécurité ne correspond pas à des conduites utilitaristes
dictées par les rapports économiques dans lesquels s’inscrivent socialement les individus.
Plusieurs hypothèses avaient été envisagées au début de notre travail. Nous y apportons des
réponses :
-
La relative indifférence des utilisateurs secondaires mise en avant de la part des
exploitants de la vidéosurveillance ne correspondait-elle pas à une volonté de
banaliser l’installation de cette technologie afin surtout d’en banaliser les usages
sociaux ? Aujourd’hui, nous pensons que cette analyse de la part des utilisateurs
est plus le reflet de leur propre vision du monde, de leur propre place dans ce
monde que le résultat d’une quelconque stratégie cherchant à banaliser un usage
qui pourrait être mal perçu ;
72 Herbert Marcuse, (1964), opus cité, Editions de minuit, Paris, 1968, page 40.
73 P. W. Brigman, The Logic of Modern Physics, Editions Macmillan, New York, 1928, P. 5. « En général, un
concept ne veut rien dire de plus qu’un ensemble d’opérations ; le concept est synonyme de l’ensemble de ses
opérations correspondantes. »
74 Herbert Marcuse, op. cité, p. 37-38.
73
-
N’existe-t-il pas une perte de la vitalité de la défense des droits et des libertés telle
qu’elle apparaît lors des premiers stades de la société industrielle au profit
d’attentes plus liées aux conditions de consommation dans les démocraties
contemporaines. En gros, nous constatons aujourd’hui les effets sociaux du
passage de la liberté d’entreprendre à la liberté de consommer, la vidéosurveillance
garantissant avant tout les pratiques de consommation pour des « humains
considérés ici comme des consommateurs » qui s’engagent dans « un processus
sans fin de distinction culturelle »75 ;
-
S’agit-il au contraire pour les utilisateurs primaires de considérer que l’installation
de cette technologie qu’est la vidéosurveillance ne pose pas problème du point de
vue des libertés publiques, qu’elle répond même à une demande sociale ? Notre
étude a montré que l’accroissement du domaine de la rationalité technologique
avait pour conséquence la production d’une justification technico-sociale des outils
du contrôle.
DES REPONSES RATIONNELLES EN FINS ET EN MOYENS
La finalité poursuivie par l’installation de la vidéosurveillance n’est pas unique : la
vidéosurveillance est présentée comme un moyen capable d’assurer la sûreté des biens et la
sécurité des personnes. Nous avons perçu que ceux qui en sont les concepteurs et les
exploitants prenaient systématiquement la peine d’affirmer qu’elle n’était pas le seul moyen et
que le dispositif s’inscrivait dans une stratégie plus globale de sûreté et de sécurité. En effet,
nous avons constaté que la décision d’installer un dispositif de vidéosurveillance procédait la
plupart du temps également d’une réflexion sur les conditions de travail ou sur les conditions
plus générales de la vie sociale76. Une nouvelle finalité apparaît. La vidéosurveillance devient
un élément de négociation interne concernant les problèmes de risques d’agression encourus
par le personnel77 et un élément de médiation externe vis-à-vis du public (usagers ou clients).
Une même finalité peut en cacher d’autres. Prenons l’exemple de la compagnie de
transports A.. La vidéosurveillance devait établir et maintenir un contrôle technique dont le
but affiché restait la mise en place et le maintien des conditions techniques et commerciales
d’exploitation. Or, à un moment donné, la sûreté de fonctionnement de l’installation passe par
le contrôle de l’activité sociale des usagers. Sûreté technique et sécurité publique deviendront
deux champs d’activité dans lesquels seront définis les rapports entre l’installation et la
clientèle, le public. Par exemple, la compagnie de transports A. installera une caméra pour
surveiller un escalier mécanique. Une vérification visuelle à distance permettra de s’assurer
qu’il n’y a pas de danger à le remettre en marche, s’il a été inopinément mis à l’arrêt. Soit !
Trois avantages immédiats se dessinent : éviter un déplacement pour l’opérateur, réduire la
durée de l’incident, mais aussi surveiller le comportement des usagers. On voit que la finalité
d’excellence technique finit par se mêler intimement à la finalité de sécurité et à celle de la
qualité de service.
Toutefois, ces différentes formes de rationalité qui renvoient à différentes finalités ne se
juxtaposent pas simplement. Elles se renforcent en se mêlant. Surveiller suppose toujours
75 Nicolas Dodier, Des hommes et des machines, Editions Métailié, Paris, 1995, p. 17.
76 Compagnie de transports A., compagnie de transports B.. A la banque G., ce n’est pas le cas.
77 C’est le cas de la compagnie de transports B., et, de manière moins nette, de la compagnie de transports A..
74
l’existence d’un référentiel normatif qui oriente les principes et les pratiques de la
surveillance78. Confort et sécurité des passagers ou des usagers, fonctionnement technique au
meilleur niveau des installations seront, selon les cas, revendiqués comme objectifs
prioritaires. Les normes sur lesquelles s’appuiera le dispositif de surveillance comme
technique d’alerte et élément de prise de décision, seront déduites soit d’exigences techniques,
soit d’exigences sociales liées à la sécurité civile et à la qualité du service.
- Une réponse rationnelle en moyen
Aux dires de nos interlocuteurs, le dispositif de vidéosurveillance permettrait, grâce à
l’enregistrement et l’exploitation sous des formes variées d’images et éventuellement de sons,
de surveiller à distance un espace ouvert ou fermé où sont présents ces biens et où agissent
ces personnes. L’usage de techniques comme celle de la vidéosurveillance est présenté
comme devant améliorer uniquement l’acte de surveillance79. Cet acte est lui-même entendu et
le plus souvent revendiqué comme un acte socialement neutre.
Dans cette perspective, les arguments utilisées sont :
-
La vidéosurveillance peut se substituer à la surveillance directe. Elle permet de
surveiller des espaces dans lesquels les hommes ne sont pas présents pour le faire ;
-
Elle offre alors la possibilité d’un service permanent de surveillance comportant
deux avantages apparents : dissociation de l’observateur et du résultat de
l’observation, mémorisation sous forme d’images des situations observées ;
-
Elle améliore la prise de décision ;
-
Sa présence est dissuasive envers les personnes mal-intentionnées.
- Surveiller et protéger
Le fait d’associer naturellement surveillance et protection exige, quels que soient les modes
de prise de décision qui en émanent, et quelles que soient les précautions juridiques qui
puissent être prises, de continuer à supposer que « qui a droit à la fin a droit aux moyens »80.
C’est bien dans cette perspective de l’instrumentation de la fin via l’instrumentalisation des
moyens que nous avons cherché à comprendre la question de l’impact des dispositifs de
vidéosurveillance sur la sécurité des biens et surtout des personnes.
Un type de présentation du problème de la vidéosurveillance comme moyen d’établir ou de
garantir la sécurité des biens et des personnes nous a laissé penser qu’il serait possible
d’autonomiser deux phénomènes : le développement inéluctable des techniques, d’une part,
78 Cf. par exemple comment une technologie de vidéosurveillance reposant sur des capteurs pour déclencher les
caméras peut s’avérer impuissante pour distinguer une « situation trouble » d’une « situation normale » dès
que la situation à surveiller, donc à analyser, devient complexe. Sources : Dominique Boullier, « La
vidéosurveillance à la RATP : un maillon controversé de la chaîne de production de sécurité », Cahiers de la
sécurité intérieure, 1995, n°21, p. 93.
79 Ce truisme ignore des problèmes comme ceux de l’intentionnalité dans la production de significations, de la
manière dont l’individu construit la signification qui va lui permettre d’agir. Cf. par exemple, Dominique
Boullier, op. cité.
80 Thomas Hobbes, Le citoyen, I, II, 18, éditions GF-Flammarion, Paris, 1982.
75
l’atteinte possible des libertés publiques d’autre part81. Or, la vision générale d’une
instrumentation de la fin nous a permis de sortir de ce qui nous semblait être d’entrée de jeu
une impasse pour répondre à la commande qui nous avait été passée. Il nous a semblé et il
nous semble toujours nécessaire de comprendre l’émergence et la mise en œuvre des
techniques en général, des technologies de la surveillance en particulier, à l’intérieur d’un
cadre plus général, celui de la surveillance comme fait social. En d’autres termes, la
vidéosurveillance comme dispositif de surveillance n’est pas un phénomène technique pur
dont seule la qualité de la performance expliquerait la décision de la mettre en œuvre. Ensuite,
l’atteinte des libertés publiques comme problème posé renvoie nécessairement à des
conceptions plus larges concernant les manières d’être ensemble dans une société donnée.
L’installation d’un dispositif de vidéosurveillance s’inscrit bien dans une évolution à la fois
politique et technologique des fins que l’homme se donne pour vivre ensemble et des moyens
qu’il s’autorise à mettre légalement en œuvre pour assurer sa sécurité. La lointaine
proposition de Thomas Hobbes d’une distinction entre un droit naturel (« jus naturale ») qu’il
décrit comme le désir pour chacun de préserver sa vie et, par extension, ses biens82 et la loi
naturelle que sa raison lui imposera pour atteindre cette finalité permet de poser le problème
de la vidéosurveillance dans cette dimension de fait social. Comment un droit naturel, défini
par Hobbes comme droit fondamental de conservation de soi-même, « de sa propre
nature »83, va-t-il se transformer en loi naturelle, justifiant ainsi pour l’homme l’acceptation
de la réduction de fait de son droit naturel ?
Thomas Hobbes s’appuie sur un socle anthropologique qui peut nous aider à structurer notre
réflexion. L’homme qu’il caractérise à partir d’un droit naturel qui l’amènerait à envisager
une extension du champ de « sa propre nature » pour préserver sa vie finit par concevoir et
admettre une loi naturelle qui, paradoxalement, réduira ce droit. C’est l’expérience du danger
que représente pour sa vie l’extension du champ de sa propre nature qui l’amène, pour
protéger cette vie, à définir et à respecter une loi naturelle. La conception d’une loi naturelle
de protection n’est pas un renoncement du droit naturel. Elle est une extension politique de ce
droit84.
À partir de ce socle, peuvent se décliner deux grands paradigmes :
-
Le paradigme du bien social commun qui présuppose au minimum l’existence
conjointe de la rex publica comme valeur fondamentale de la société mais aussi
comme instance de régulation de cette société. La rex publica comme expression
du caractère fraternel de l’humanité aura tendance, à l’ère moderne, à préexister à
81 Dominique Boullier, op. cité, p. 88
82 Thomas Hobbes, Léviathan, chapitre XIV, éditions Sirey, 1971.
83 Idem.
84 Cf. par exemple, la nature des débats lors de la séance du Conseil Municipal de E., 1999, concernant
l’élaboration d’un audit de vidéosurveillance que reflète cette intervention :
« Notre collègue (…) a eu l’occasion de dire que cette vidéosurveillance, dont on pourrait craindre, parfois,
qu’elle puisse conduire au pire, se fait dans des conditions d’encadrement légal, qui, effectivement,
permettent de la maintenir dans une tradition républicaine (…).
C’est parce que nous souhaitons mener une politique d’intégration généreuse que nous savons que les forces
démocratiques ont l’impératif de pouvoir assurer la sécurité et l’ordre public.
Pour nous ce sont les deux volets d’une même politique, d’une part politique de sécurité publique, d’autre
part politique d’intégration généreuse de manière à ce que les difficultés que connaissent aujourd’hui nos
grandes agglomérations soient surmontées demain et qu’il existe la possibilité de continuer une tradition de
concorde publique et une tradition républicaine de sécurité dans nos grandes agglomérations. ».
76
toute dynamique de socialisation (exemple : le droit du sol). Les instances de
régulation seront extensives de la rex publica ;
-
Le paradigme de l’intérêt particulier et de la liberté de l’atteindre se dispensera de
tout préalable autre que celui de l’existence du droit naturel. Seule l’utilisation du
droit naturel rend admissible la loi naturelle dont l’incarnation pourra être une
institution de contrôle, cette institution n’étant légitime que pour permettre la
réalisation du droit naturel. Elle devra respecter strictement l’expression du droit
naturel.
Dans cette dernière perspective, un dispositif de vidéosurveillance sera soit immédiatement
défini et accepté comme un dispositif « naturel » (il va de soi puisqu’il permet à l’individu ou
au groupe d’individus qui se protègent l’expression de leur droit naturel) soit menaçant pour
ceux qui se sentent surveillés, puisque capables de mettre à mal l’expression de leur droit
naturel.
Le dispositif de surveillance qu’est la vidéosurveillance s’inscrit dans un fait social que nous
caractériserons à partir d’un ensemble d’interactions existantes entre technique, organisation
et société. Les interactions entre technique et société établissent le champ de ce que Bruno
Latour appelle « l’intelligence sociale des techniques »85. Les interactions entre organisation
et société, quant à elles, permettent de comprendre à la fois l’instrumentation des rapports
sociaux et la cristallisation de ces rapports dans les justifications organisationnelles. Enfin,
l’influence de la technique sur l’organisation (l’espérance d’une meilleure organisation par la
technique) et, pour une moindre mesure, celle de l’organisation sur la technique
(l’organisation mettant en place une technique « à son service ») représentent le dernier volet
de ce fait social que nous avons tenté d’établir.
Les avantages de la vidéosurveillance apparaissent alors multiples. Ils vont des plus concrets
aux plus symboliques : surveiller simultanément plusieurs sites, surveiller en continu, diffuser
l’idée de surveillance, conserver une trace de ce qui a été surveillé, exploiter cette trace selon
certaines conditions. Son domaine d’application est large et extensif. Il s’étend des situations
de production industrielles jusqu’aux situations de la vie ordinaire. On trouvera la
vidéosurveillance au cœur d’un site industriel dans lequel il serait dangereux pour l’homme
d’être physiquement présent. Elle sera mise à la disposition d’une personne âgée à domicile
ou d’un malade dans une chambre d’hôpital pour assurer sa sécurité. Elle permettra de
surveiller les allées et venues dans une agence bancaire mais aussi les passagers d’une ligne
d’autobus estimée « à risque ». Elle donnera des indications sur le trafic automobile afin de le
réguler, mais aussi permettra de surveiller les mouvements de foule, la manière de conduire
des conducteurs. Par le biais de satellite elle détectera les flux migratoires. La
vidéosurveillance s’appliquera donc aussi bien à des risques techniques qu’à des risques
sociaux. L’ensemble de ces applications engendre progressivement une banalisation de son
usage et impose en même temps une manière autonome de concevoir cet usage.
Toutefois la perception de l’intérêt de ce type d’installation sera structurée par diverses
exigences qui précisent les facettes de l’action rationnelle. D’un point de vue juridique,
l’installation devra respecter des cadres légaux, comme celui, en France de la loi de 199586.
85 Latour B. (dir.), De la préhistoire aux missiles balistiques : l’intelligence sociale des techniques, Paris,
éditions La Découverte, 1994.
86 En France, une loi du 21 janvier 1995 relative à la sécurité définit les règles d’application de la
vidéosurveillance. Ces règles sont précisées par un décret du 17 octobre 1996 et par une circulaire adressée
aux préfets. La vidéosurveillance est pour une part destinée à la « prévention des atteintes à la sécurité des
77
D’un point de vue technique, elle dépendra des contextes et de performances techniques
comme les principes et les éléments de l’installation, la localisation d’objets techniques
chargés de surveiller des lieux et/ou des personnes, la transmission des images,
éventuellement leur traitement automatique87. Elle dépendra aussi des aspects d’organisation
de la décision et de l’action à partir de l’utilisation des informations produites. D’un point de
vue social, elle s’articulera avec les usages de ce qu’elle produit. Sa réalisation et le type
d’exploitation de ce qu’elle produit dépendra des justifications qu’auront les acteurs
concernés sur la manière de concilier liberté et contraintes nécessaires à la sécurité88.
C’est bien la multiplicité des points de vue possibles, des manières théoriques de penser
l’intérêt rationnel de ce type de dispositif qui met dans l’embarras le décideur confronté à la
décision d’installation et d’utilisation. Sa rationalité immédiate n’apparaît pas d’une richesse
infinie puisqu’elle équivaut en partie à l’ensemble des significations de l’action dues à sa
construction et à sa place sociale (habitus), le reste étant affaire d’influences et de consensus
liés aux conjonctures.
Enfin, la vidéosurveillance visera aussi bien la prévention que l’action corrective, la
régulation que la répression. Ses qualités techniques sophistiqueront le rêve de toutes les
sociétés autoritaires : permettre au surveillant de voir sans être vu, installer le surveillé dans la
situation d’être vu sans voir.
Son expansion est rapide. Paul Virillio89 s’interroge de manière prospective sur les effets de
sa généralisation. Prédisant un « krach des images », il pense qu’elle remet en cause deux
notions : celle de « l’espace réel » dans lequel était contenu traditionnellement l’ensemble des
processus de régulation sociale ; celle de « media » dont l’usage consiste bien à procurer une
médiation entre un réel immédiat exprimé par l’image que produit par exemple la life camera
et la signification de l’information contenue dans l’image.
Conséquence que pointe Paul Virillio : la généralisation de la « la perspective du temps réel »
caractérisée par « une désorientation de notre rapport au réel », et, pourrions-nous rajouter,
un affaiblissement des processus de régulation de proximité qui donne habituellement corps à
l’espace social et à l’ensemble des situations qu’il offre comme autant de possibilité, de
tissage du lien social.
biens et des personnes ». Sont précisées l’utilisation et le temps de conservation des enregistrements, les
modalités d’information au public de l’existence du dispositif, etc..
87 Cf. par exemple l’émergence de « systèmes intelligents de vidéosurveillance » comme Télescope Orion.
88 Cf. F. Ocqueteau, « Technologies de sécurité et modalités publiques et privées de production de l’ordre :
l’exemple français ».
89 « Œil pour œil, ou le krach des images », Le Monde diplomatique, mars 1998, pages 26 et 27.
78
CONCLUSION
Au delà des réponses que nous avons cherché à apporter à l’IHESI, de manière inattendue,
cette étude nous a également permis de trouver des réponses à des questions que nous nous
posions jusqu’à présent plutôt dans le domaine des risques industriels. D’autre part elle nous a
permis de prolonger, avec beaucoup de modestie, les travaux incontournables de M. Foucault
sur les conditions du maintien de l’ordre social et de manière plus générale sur l’évolution des
conditions de la régulation sociale.
L’IHESI avait posé trois grandes questions. Nous y avons apporté des réponses de différente
nature.
A - A la première qui avait trait aux processus de décision menant ou non à adopter un
dispositif de vidéosurveillance, nous avons élaboré différentes réponses éclairées par :
-
L’évolution conjointe du contrôle social et des formes d’organisation du champ social
et des institutions politiques : rôle de l’Etat non seulement dans le strict maintien de la
sécurité civile mais aussi dans celui, plus large de la fabrication des citoyens, rôle des
instances de socialisation du Sujet que sont la famille et les instances de proximité. À
propos de l’émission Loft Story, Serge Tisseron rappelait récemment que « Dans les
années 1980, de nombreux psychanalystes ont annoncé la forte diminution des
pathologies névrotiques traditionnelles, dominées par l’ambivalence des sentiments à
l’égard des figures parentales, au profit des pathologies du narcissisme, centrées sur
la fragilisation des repères de groupe et la culture de plus en plus impérieuse de
l’image de soi. Mais il semble que ces nouvelles affections soient elles-mêmes en train
d’être supplantées par d’autres, organisées autour de l’angoisse de séparation. »90.
Si nous considérons, comme le proposait déjà N. Elias,91 que la fabrication de
l’individu doit être considérée dans le cadre d’un processus total et non comme
l’adaptation restreinte d’une entité substantielle que serait l’individu à une forme
sociale existante, l’attention prêtée par Jean-Claude Kaufmann92 à la disparition
progressive ou brutale de ce qu’il nomme le « holisme fondateur » est importante.
L’usage de la vidéosurveillance comme forme de contrôle social peut renvoyer à
l’expression de ce processus total de fabrication de l’individu. J. Lacan évoquait déjà,
dans une conférence de 1974, combien l’émergence de « gadgets techniques »
90 Le Monde, vendredi 4 mai 2001.
91 Cf. N. Elias (1969), La civilisation des mœurs, Editions Calmann-Levy, Paris, 1973 ; La dynamique de
l’Occident. Editions Calmann-Levy, Paris, 1975 ; (1987), La société des individus. Editions Fayard, Paris,
1991.
92 Jean-Claude Kaufmann, Ego, Pour une sociologie de l’individu. Editions Nathan, Paris, 2001.
79
multiples écartait d’autant à la fois la question fondamentale de l’altérité dans la
construction de notre identité que celle de l’ajustement social à l’autre. C’est comme si
ces « gadgets » nous permettaient de faire l’économie du rapport à l’autre
fondamentalement générateur selon lui d’angoisse. L’hypothèse de J. Lacan doit être
réorientée au regard de l’apport de la sociologie. En effet, la vidéosurveillance
apparaît, au regard de notre étude, comme un des éléments visibles d’un contrôle
social qui prend la forme d’usages de surveillance. Il s’agit de plus en plus de (se)
surveiller dans l’immédiateté et non plus seulement d’élargir le champ spatial de la
surveillance aux spécialistes de la surveillance. Et, aujourd’hui, ce contrôle ne se
recomposerait-il pas, à partir de technologies comme celle de la vidéosurveillance,
mais aussi à partir de celles du téléphone portable, de l’Internet, dans une pratique
sociale de l’immédiateté ? L’immédiateté de la surveillance semble se substituer à la
surveillance de proximité telle qu’elle est présente dans les sociétés traditionnelles.
Toutefois, le passage de la proximité à l’immédiateté est à considérer sans doute
comme le signe d’un nouvel holisme.
-
La dynamique entre le progrès technique et l’innovation sociale, l’évolution des
technologies imposant le règne de l’immédiateté.
B - la deuxième question portait sur le respect des lois d’utilisation de ce dispositif. L’étude
n’a pas apporté de réponses objectives franches. Il est évident que nous avons recueilli des
témoignages allant dans le sens du respect de la loi et que les situations que nous avons
observées (exemples : fonctionnement du P. C. de la compagnie de transports A.,
fonctionnement du centre de surveillance de la mairie de C.) ne pouvaient aller que dans le
sens de réponses ou de démonstrations conformes. Toutefois en ce qui concerne l’observation
du travail des surveillants de la ville C. et le témoignage du responsable de la sécurité de la
banque G., il nous apparaît que si le cadre de la loi est rappelé et le dispositif légal
vraisemblablement ad hoc, nous avons senti chez les acteurs le désir d’aller plus loin en
matière de surveillance. Une transgression possible du cadre légal serait même envisageable si
cela devait être pour la « bonne cause ».
C - la dernière concernait les modalités d’évaluation des effets du dispositif. Là, et de manière
générale, nous n’avons pas trouvé de modes d’évaluation objectifs de l’impact de la
vidéosurveillance. Par contre, l’impact sur un « sentiment d’insécurité » est mis en avant. Il
concerne soit les habitants, les usagers (donc les utilisateurs primaires), soit les salariés
concernés par l’installation. Le traitement de ce sentiment apparaît aussi important aux yeux
de nos interlocuteurs que celui de la sécurité elle-même. De manière globale, l’impact de ce
dispositif, qu’il soit considéré comme positif ou négatif, se trouve au cœur des débats qui
précèdent ou qui suivent l’installation du dispositif de vidéosurveillance. Ces modes
d’évaluation renforcent, à notre avis, l’intérêt à considérer l’installation de la
vidéosurveillance comme l’expression d’un fait social, celui du contrôle social. Reste à savoir
comment un système de protection peut devenir un système de prévention ?
Dans le cadre de cette conclusion, nous souhaitons répondre à plusieurs autres questions.
-
80
La question du présupposé de la rationalité instrumentale et de la valeur attribuée aux
effets explicites des techniques et des outils. Si les objets techniques produisent
immanquablement les effets qu’on attend d’eux, ils en génèrent aussi d’autres. Nous
avons rencontré présente cette réflexion surtout chez les adversaires de la
vidéosurveillance, alors que ceux qui avait adopté ce type de dispositif étaient condamnés
à minimiser d’éventuels effets contre-intuitifs.
-
Question annexe : Comment chacun peut-il être convaincu de l’intérêt de l’approche
techniciste de la prévention ? Cette question renvoie notamment à la nature des
informations collectées, à leur traitement, à l’impact des arguments utilisés par les uns et
par les autres pour imposer et implanter ces techniques, aux caractéristiques de la division
du travail. Tout comme dans l’approche des risques que nous avons menée en milieu
industriel, nous nous sommes rendu compte que généralement plus la croyance dans le
bien-fondé des approches technicistes était manifestée, moins le dispositif d’évaluation
était sophistiqué. Dans le cas de la vidéosurveillance, nous avons été surpris de l’intérêt
porté non pas aux effets réels de la vidéosurveillance mais aux effets de satisfaction des
populations (salariés ou usagers). Seule la banque G. affiche un gain de sécurité, mais elle
situe la vidéosurveillance dans un ensemble plus vaste de protection, la « chaîne de
sécurité ».
-
La question du présupposé des modèles mécanistes et déterministes pour comprendre les
phénomènes de régulation sociale qui manquent de manière importante la question de
l’acteur, et plus particulièrement celle des rapports entre la technique et les pouvoirs93.
Celle-ci ne nous a pas paru particulièrement prégnante dans la manière dont les personnes
que nous avons rencontrées posaient le problème de la sécurité. S’il existe toutefois un
présupposé pour reconnaître le bien-fondé des modèles mécanistes et déterministes afin de
mettre en œuvre des actions de prévention, il faut en chercher la trace dans des prises de
position plus subtiles qu’affichent nos interlocuteurs. Certains insisteront sur la nécessité
ou l’intérêt d’intégrer la vidéosurveillance dans un dispositif plus général dédié à la
protection des biens et des personnes. D’autres voudront élargir le champ de la sûreté de
fonctionnement à celui de la protection des personnes. D’autres encore chercheront à
associer prévention et protection, la protection étant censée devenir un élément de
prévention.
La décision d’installer un dispositif de vidéosurveillance et la mise en œuvre de son
installation ne renvoient pas simplement à une simple réponse technique vis-à-vis d’une
demande sociale de contrôle des citoyens destiné à accroître la sécurité civile. Elle sont
aussi à considérer comme des manifestations d’un contrôle social qui passe par un
processus général d’assujettissement physique, économique et politique des individus qui
échappe en partie à la conscience de tous. Le « Souriez, vous êtes filmé ! » est
l’aboutissement de tout ce processus qui amène à accepter cette proposition. Il ne s’agit
pas que de filmer, encore faut-il inscrire le sujet filmé dans l’acceptation de ce processus.
Comme l’affirme M. Foucault, « le corps ne devient force utile que s’il est à la fois corps
productif et corps assujetti »94.
De notre point de vue, l’ensemble des transactions établies à partir de la vidéosurveillance
(utilisation, législation…) sont marquées du sceau de l’influence de ce type de contrôle social.
Plusieurs éléments font comprendre que la vidéosurveillance ne peut être comprise que
93 Nous parlons de « pouvoirs » au pluriel pour rappeler qu’il s’agit des pouvoirs comme modes d’actions
socialement diffus (Michel Foucault oppose généralement le pouvoir décrit par l’organigramme des pouvoirs
en œuvre dans une société conçue en diagramme). Ces modes sont psychologiquement et socialement
intériorisés par les acteurs dans des situations sociales données.
94 Michel Foucault, opus cité.
81
comme un simple objet technique renvoyant à situations sociales dans lesquelles se poserait
une question aiguë et directe de contrôle social. Par exemple, une réflexion doit être menée
pour définir l’existence d’une conjonction entre les effets réels et les effets supposés
engendrés par les techniques de vidéosurveillance ? De plus, la justification des demandes
d’implantation et d’utilisation (demande directe ou demande sociale indirecte émanant des
usagers), les stratégies commerciales développées de la part des vendeurs de matériel de
vidéosurveillance montrent toute une économie des représentations de la sécurité mises en
œuvre par les acteurs concernés. La vidéosurveillance nous semble plus représenter un des
signes avancés d’un contrôle social en devenir. Elle n’est pas un symptôme qui émergerait
dans une situation de rupture avec des formes antérieures de contrôle. Elle représente
beaucoup plus la manifestation d’un processus global d’assujettissement en cours dont il
convient de circonscrire l’existence à travers la teneur des croyances, la justification des
modalités implicites et explicites de prise de décision, l’usage à des fins politiques et
commerciales de données quantitatives et qualitatives caractérisant les situations à risque pour
mieux comprendre ces situations et les processus de leur désignation comme situations à
risque.
Pour dépasser la simple collecte compréhensive, il conviendra de proposer un début de
modélisation de ces situations afin d’en faire un objet de débat et de délibération.
82
ANNEXE :
TABLEAU COMPARATIF DES ELEMENTS TECHNIQUES DES INSTALLATIONS ETUDIEES
(À mettre en parallèle avec les politiques menées et les contraintes définies)
Production d’image
Compagnie de transports
A.
Compagnie de transports
B.
Mairie C.
Banque G.
Oui
Oui
Oui
Oui
Oui
Oui
Oui
Non
Non pour celles qui
régulent le trafic, non
pour les caméras
embarquées
Oui pour la régulation,
non pour les caméras
embarquées
(enregistrement dans un
disque dur protégé par un
code)
Enregistrement
d’image
Oui
Vision d’image
temps réel
Oui
Vison d’image
temps différé
Oui
Non pour les premières,
possibilités pour les
secondes
Possible
Oui
Sauvegarde des images
Oui
Non pour les premières,
oui pour
les secondes
Oui
Oui
Formation du personnel
?
?
Oui CAP « agent de
médiation, option vidéo et
télé surveillance
?
83
84
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