Du-Pop-Art-Ã -David - Les Mardis de l`Art

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Du-Pop-Art-Ã -David - Les Mardis de l`Art
Du Pop Art à David Hockney
This is Tomorrow est une exposition présentée, en 1956, à la Whitechapel Gallery. Elle a été conçue par Theo Crosby,
architecte, critique et éditeur, membre de l’ICA, Institute of Contemporary Arts, fondé en 1946 afin de débattre des Arts
en toute liberté, loin des dogmes toujours vivaces de la Royal Academy. L’ICA avait, en 1948, avait monté une
exposition sur 40 ans d’art moderne, puis une exposition Pollock en 1953. Theo Crosby avait été impressionné par les
discussions passionnées des membres de l’Independent Group sur la civilisation des mass media et avait donc demandé
à ces jeunes artistes, architectes, graphistes, musiciens et théoriciens de former 12 équipes de travail pour exposer leurs
travaux dans le cadre de This is Tomorrow. Le collage de Richard Hamilton, Qu’est-ce qui rend nos foyers d’aujourd’hui
si différents, si sympathiques ?, 1956, Tübingen, Kunsthalle, est l’œuvre qui annonce la naissance publique du Pop Art. Il
est révélateur d’un monde nouveau préoccupé par la vie matérielle, par le confort, par les publicités dans les magazines.
C’est l’image d’un foyer idéal dans lequel une jeune femme passe l’aspirateur (publicité découpée dans la revue
américaine Ladies Home Journal), un homme pratique le culturisme (il s’agit d’Irvin Zabo Koszewski posant pour la revue
Tomorrow’s Man, L’Homme de demain) et une jeune femme nue se repose sur un canapé (il s’agirait de Jo Baer,
habituée dans les années 50 à poser pour les revues érotiques). Au fond, une grande affiche du journal Young Romance,
accentuant le côté superficiel de ce monde-là. L’image est si forte que Richard Hamilton la réactualisa en 1992 pour
témoigner de l’évolution de la société britannique.
John McHale (1922-1978), l’un des membres de l’équipe de Richard Hamilton, a joué un rôle important. Artiste,
historien d’art (formation au Courtauld Institute) et sociologue, il fonde l’Independent Group en 1952 avec Richard
Hamilton, Lawrence Alloway et Eduardo Paolozzi. McHale et ses camarades étaient très intéressés par le travail que
Paolozzi avait réalisé à Paris entre 1947 et 1949. Paolozzi avait collecté et collé des images découpées dans des
journaux, des revues, des photographies venues souvent des Etats-Unis pour créer les premiers collages de tendance Pop.
Paolozzi, après des études au Collège d’art d’Edimbourg en 1944, et un cursus à la Slade School of Fine Arts de 1944 à
1947, s’installe en France où il rencontre Giacometti, Brancusi, Arp, Braque et Léger. Il se familiarise avec le collage et
les papiers collés et commence la série Bunk ! à laquelle il va travailler jusqu’en 1972. Les principaux collages
dénoncent de façon très humoristique les travers de la société occidentale en rapprochant des images chocs, pin up,
sodas, avions, personnages de comics, publicités pour appareils ménagers, J’étais la poupée d’un homme riche, 1947,
C’est un fait psychologique que le plaisir améliore votre caractère, 1948, Dr Pepper, 1948, Donald Duck rencontre
Mondrian, 1967, tous à la Tate Modern et à la Tate Britain.
John McHale s’approprie la technique de Paolozzi et crée des collages, Machine américaine I, Machine américaine II (qui
fit la couverture de la Revue architecturale en mai 1957), 1956, dans des collections particulières, qui font référence aux
magazines de cinéma ou de science-fiction pour les fans, ce qu’on appelle les fanzines, ou directement aux films,
puisque la Machine américaine II n’est autre qu’un avatar de Robby le robot, image iconique du film de science-fiction,
Planète interdite, de Fred Wilcox, sorti en 1954. La même année, McHale et Lawrence Alloway organisent une
exposition intitulée Collages et Objets à l’ICA tandis que Richard Hamilton ouvre une exposition consacrée à L’Homme,
la Machine et le Mouvement, fin 1955, à la Haton Gallery à Newcastle.
Lawrence Alloway (1926-1990) est, sans conteste, le porte-parole de l’Independent Group et de l’exposition This is
Tomorrow. On le crédite de l’invention du terme Pop Art, mais McHale l’attribuait à son père lors d’une conversation
avec le musicien Frank Cordell. Critique et historien d’art Lawrence Alloway fut nourri dans son enfance par les comics
et la science-fiction comme ses camarades ; En 1953, il devient le correspondant britannique d’Art News, revue d’art
américaine, et, en 1954, il devient directeur-adjoint de l’ICA, sa position désormais dominante lui permet de diffuser les
travaux du groupe. Avant son départ pour les Etats-Unis, il donne avec McHale une série de conférences sur les
problèmes esthétiques de l’art contemporain.
Le Pop Art britannique a examiné avec une causticité et un humour qui manque parfois au Pop Art américain (mais la
situation politique n’est pas la même) une société qui avait souffert de privations durant la guerre et les années qui ont
suivi et s’engouffrait dans la voie de la consommation de masse, une période euphorique de loisirs, également stimulée
par l’importance économique et sociale des jeunes.
Richard Hamilton (1922-2011) est la figure la plus importante du Pop britannique. Peintre, dessinateur, illustrateur,
photographe, créateur de collages et d’assemblages, Hamilton est un artiste libre qui scrute la société britannique sous un
angle différent mais aussi important que celui de Bacon ou Freud (Pin-up, 1961, New York, The Museum of Modern Art).
Après une formation de dessinateur industriel, il travaille pour l’industrie musicale EMI mais, en 1946, il reprend ses
études à la Royal Academy puis à la Slade School of Fine Arts de 1948 à 1951. Il enseigne au Royal College of Art de
1957 à 1961. Le tournant majeur de sa carrière est l’exposition This is Tomorrow qui le lance véritablement au moment
où l’Independent Group se disloque. Hamilton prend le mot art au sens large du terme et s’intéresse à la musique, à la
littérature, tout ce qui est populaire, Pop Art ne veut rien dire d’autre que Popular Art (Art populaire). Il veut représenter
la middle-class britannique, son mode de vie, ses goûts, journaux, télévision, musique, Pop Music, un mode de vie qui
va contaminer en partie les autres classes sociales. Son travail est donc une investigation de l’imagerie populaire et il y
contribue aussi puisqu’il crée la couverture de l’album blanc des Beatles en 1968. Hamilton a donné une définition du
Pop Art dans une lettre à ses amis Alison et Peter Smithson : « Le Pop Art est : populaire, transitoire, non récupérable,
bon marché, produit industriellement, jeune, spirituel, sexy, truqué, charmeur et aussi big business ».
En 1964-1965, il entreprend une série (Bureau, 1964, Edimbourg, National Galleries of Scotland ; Intérieur I et II, 19641965, les deux à Londres, Tate Modern) d’après une image publicitaire, trouvée par hasard, d’un film de série B sorti en
1948, réalisé par Douglas Sirk, Shockproof, dont il découpe le personnage féminin incarné par l’actrice Patricia Knight,
celui d’une une meurtrière. Il adapte, il suggère un climat inquiétant dans des intérieurs dont les lignes convergent vers
cette femme comme pour l’isoler. Après l’image ambigüe de la femme, Hamilton se tourne vers l’image masculine. Vers
un état définitif de la question du vestiaire masculin et de ses accessoires, 1962, Londres, Tate Modern, évoque la
conquête spatiale américaine lancée par le président Kennedy en 1961, affirmant qu’un américain marcherait sur la Lune
avant la fin de la décennie, défi accompli en juillet 1969. Nouveau costume donc, celui d’astronaute.
Hamilton s’empare ensuite du Swinging London, celui de Carnaby Street, des Pop stars, de la minijupe de Mary Quant,
des coiffures géométriques de Vidal Sassoon. Swingeing London, 1968-1969, Londres, Tate Modern, nous présente Mick
Jagger, le leader des Rolling Stones, et Robert Fraser, marchand d’art, protégeant tant bien que mal leurs visages malgré
leurs menottes, ils viennent de comparaître devant la justice sur l’accusation de consommation de drogues. C’est le
Londres obscur des Sixties, le revers de la médaille. Son pendant a été peint par Peter Blake, Les Beatles 1962-1963,
1968, Chichester, Pallant House Gallery, reprise de la couverture de Time magazine lors de la tournée triomphale du
groupe aux Etats-Unis. Blake est également l’auteur de la couverture de l’album des Beatles, Sgt Pepper’s Lonely Hearts
Club Band.
Dans les années 80, Hamilton se tourne vers un art plus politique avec une série de trois diptyques évoquant les troubles
en Irlande. Le Citoyen, 1981-1983, Londres Tate Modern, présente l’une des personnalités de l’Armée républicaine
irlandais, Hugh Rooney. Dans sa cellule de la prison de Belfast, semblable à celle d’un monastère, le Maze, le jeune
homme participe au Dirty Protest, la Protestation par la saleté, visant à récupérer le statut de prisonnier politique perdu
en 1972. Il trace sur les murs de sa cellule des entrelacs avec ses excréments, évoquant les premiers évangéliaires
irlandais, l’évangéliaire de Kells en particulier. Hamilton va donner le visage de Hugh Rooney au héros légendaire, Finn
Mac Umail dit Finn Mac Cool, chef de Fenian, père d’Ossian, qui dort, dit-on, dans une grotte sous la ville de Dublin
pour veiller sur l’Irlande. Le Citoyen qui est aussi un rappel du roman d’Ulysse, de James Joyce, est complété, en 19881990, par Le Sujet, image d’un loyaliste protestant ou orangiste allant à la parade et L’Etat, 1993, montrant un soldat
britannique patrouillant en Irlande du Nord.
Dernière image du Pop Art, celle de Peter Blake (né en 1932), Autoportrait avec badges, 1961, Londres, Tate Modern,
qui représente la jeunesse Pop mais qui a aussi conscience d’y appartenir. Ses œuvres, pour cette raison, sont plus
intimes, Enfants lisant des journaux de bandes dessinées, 1956, Londres, Royal College of Art ou Les Filles et leurs héros,
1959, Chichester, Pallant House Gallery. Il a été formé à la Graves End Art School de 1948 à 1951 à Dartford, puis
s’engage dans la RAF avant de reprendre ses études à la Royal Academy of Arts. Richard Hamilton, intéressé par son
travail, le soutient à ses débuts. Certains ont pu comparer son autoportrait à un Blue boy moderne. Il travaille aussi sur les
objets et incorpore sa propre collection de jouets et d’images diverses dans sa série des boutiques, La Boutique de jouets,
1962, Londres, Tate Britain. Il est rare de voir un mouvement artistique représenter aussi bien les aspirations d’une
société à un moment donné, le Pop Art britannique a pleinement réussi à « photographier » la société britannique des
années 60.
David Hockney, né en 1937, à Bradford, dans le Yorkshire, a suivi les cours du Bradford College of Art de 1953 à 1957,
mais son Autoportrait (1951, collection de l’artiste), peint à l’âge de 14 ans, témoigne d’une vocation précoce. Les
œuvres produites durant son cursus au Bradford, principalement des paysages, (Moorside Road, Fagley, v.1955-1956 et
Bolton Junction, Eccleshill, 1956, les deux au Bradford Museum) restent dans la veine de l’Euston Road School (William
Coldstream).
Une fois arrivé à Londres, il entre au Royal College of Art de 1959 à 1962 et change de style en découvrant les travaux
de The Independent Group, Eduardo Paolozzi, John McHale et Richard Hamilton. Les œuvres de 1961 et 1962
s’inspirent des premiers travaux pop sans en adopter les techniques (collages et assemblages), mais l’intérêt pour ceux qui
l’entourent (Bertha alias Bernie, 1961, Royal College of Art), les loisirs nouveaux (I’m in the mood for love, 1961, Royal
College of Art, sujet tiré du cinéma d’horreur britannique, Terence Fisher, La Nuit du loup-garou, 1961, produit par la
Hammer Film Production)ou pour les objets du quotidien (Composition-Thrust, 1962, Royal College of Art, ou Thé
illusionniste, 1961, Londres, Tate Britain) apparaissent dans son œuvre. Thé illusionniste, montrant une boîte de Ty-Phoo
Tea, le thé préféré de sa mère, est présenté à l’exposition des Young Contemporaries Artists, en février 1962. Il s’agit
d’une présentation de travaux d’étudiants du Royal College of Art reprise par la Whitechapel Gallery, qui est la
démonstration de force du Pop Art grâce à ses œuvres et à celles de Peter Blake. Dans un entretien donné à l’artiste
américain Larry Rivers et publié dans la revue, Art et Littérature, n°5, été 1965, Hockney confie qu’il essayait de
démontrer qu’il était capable de travailler à la manière de Picasso.
Au début des années soixante, Hockney est devenu un véritable phénomène, une véritable pop star, attaché à sa liberté,
anticonformiste dans sa vie comme dans son art. Il confia, en 1974, à Pierre Restany, au moment de l’exposition qui lui
était consacrée aux Arts décoratifs, qu’il pensait avoir été aidé ou porté par la vague pop, bien qu’il ait eu le sentiment
très tôt d’être à la périphérie du mouvement : « Il est bien certain que beaucoup d’artistes s’y inséraient intégralement et
ont été littéralement portés par le courant. Ce fut sans doute aussi mon cas, pour une période assez brève, je crois,
jusqu’au milieu des années 60. Je me suis alors détaché du pop ; il était devenu évident que le courant n’était pas
homogène et qu’il y avait d’énormes différences entre les artistes pop ».
De 1964 à 1968, David Hockney séjourne aux États-Unis, il est fasciné par la ville de Los Angeles, qu’il voit comme la
plus méditerranéenne des villes américaines, sans parler du fait qu’il la trouve sexy. Piscine à Hollywood, 1964,
collection particulière, ouvre la série consacrée au décor californien, animé ou non de personnages, ses compagnons ou
ses amis, dans lequel il étudie les différents aspects de l’eau et de la lumière, autour d’une piscine ou en intérieur. Le
Portrait de Nick Wilder, 1966, Fukuoka City Bank, galeriste, est typique des œuvres californiennes, Hockney disait qu’il
aimait Hollywood parce que tout y était artificiel, ajoutant qu’il était plus facile de peindre dans cette ambiance. L’aspect
artificiel d’une micro société sans pitié, celle de l’art, du cinéma et du show-business, le stimule en lui permettant de
reprendre à son compte le grand genre de la peinture anglaise, le portrait, en le revivifiant tout en étant conscient de ce
qu’il doit à la tradition. Stephen Spender, critique d’art britannique, a souligné le fait que David Hockney n’était pas
concerné, à cette date, par l’invention d’une œuvre neuve et sans précédent à l’aide d’une technique inhabituelle que
personne n’aurait jamais utilisée avant lui. En revanche l’intéressait l’appropriation de sources classiques dont il donnait
une vision à la fois innocente et sophistiquée. Peter sortant de la piscine de Nick, 1966, Liverpool, Walker Art Gallery,
est un bon exemple de la transformation de la réalité voulue par l’artiste ; la scène est la juxtaposition de deux images,
l’une la piscine de Nick, observée à plusieurs reprises, et l’autre, un collage pictural, permis grâce à la reprise d’un
polaroid de Peter Schlesinger, son compagnon de l’époque, posant nu près de sa voiture. C’est un des premiers exemples
de l’utilisation de la photographie dans l’œuvre de David Hockney, qu’il utilise toutefois avec prudence, tant il est
conscient du danger de glaciation de l’image qu’il reproche à l’Hyperréalisme.
L’Homme dans sa douche, 1964, Londres, Tate Britain, est moins la représentation d’un nu masculin que l’étude du jet
d’eau coulant le long du corps provoquant des éclaboussures que l’on retrouve dans l’œuvre la plus fameuse de l’artiste
sur ce sujet, A Bigger Splash, Londres, Tate Britain, peinte entre avril et juin 1967, alors qu’il enseigne à Berkeley,
Université de Californie. L’œuvre est également caractéristique de ces toiles qui ressemblent à des publicités pour des
villas de rêve, comme Portrait d’un artiste, 1971, collection particulière, présentant Peter Schlesinger regardant nager
John Saint Clair, jeune photographe américain. L’œuvre est à relier à la rupture intervenue entre Hockney et Schlesinger
évoquée dans le film de Jack Hazan intitulé également A Bigger Splash.
À la fin des années 60, Hockney entreprend une série de doubles portraits (Collectionneurs américains, Fred et Marcia
Weisman, 1968, Chicago, Art Institute ; Christopher Isherwood et Don Bachardy, 1968, collection particulière) de
collectionneurs ou d’amis- le romancier Isherwood, auteur d’Adieu Berlin, avait rencontré Bachardy, artiste, en 1953 à
Santa Monica)- ou de figures importantes du Swinging London, tels Mr et Mrs Clark avec Percy, 1970-1971, Londres,
Tate Britain. Il s’agit de Celia Birtwell, créatrice de motifs pour textiles, et de son mari Ossie Clark, styliste de mode,
propriétaire du magasin de mode Quorum, le plus connu de Londres avec Biba, dans les années 60. Les Clark avaient
rencontré Hockney en 1961 à Manchester, il fut témoin à leur mariage en 1969. Le plus touchant des doubles portraits
de David Hockney est celui consacré à ses parents, en 1977, où l’on voit Kenneth Hockney plongé dans la lecture d’un
ouvrage d’Aaron Scharf sur les rapports entre l’art et la photographie, tandis que son épouse, Laura, regarde son fils avec
fierté.
La présence d’une carte postale reproduisant Le Baptême du Christ de Piero della Francesca ramène le spectateur aux
rapports de David Hockney avec la tradition. Contrejour dans le style français, 1974, Budapest, Ludwig Museum, évoque
le Néo-impressionnisme et les lithographies réalisées entre 1984 et 1985, représentant Celia Birtwell et de Gregory Evan,
sont manifestement inspirées par le Picasso des années trente. Le cubisme, qui est marqué par la multiplicité des points
de vue héritée de Cézanne, se retrouve dans les intérieurs de l’artiste, La Desserte de l’atelier, 1985, collection
particulière, subit la même fragmentation de la forme, tandis que le motif de l’atelier est nettement picassien, la présence
du catalogue de l’œuvre de Picasso réalisé par Christian Zervos sur la table dans Grand intérieur, Los Angeles, 1988,
New York, The Metropolitan Museum of Art, nous le prouve.
Si le paysage intervient dans son œuvre dans les œuvres réalisées en Californie, Double étude pour une vue du Grand
Canyon, 1988, Londres, Royal Academy, c’est en Angleterre, cependant, qu’il se déploie. Hockney revient dans son
Yorkshire natal au début des années 90. « Je crois que c’est le critique américain Clement Greenberg qui a dit qu’il était
désormais impossible de représenter un paysage. Lorsque quelqu’un dit ce genre de choses, je suis toujours suffisamment
pervers pour penser : « Eh bien, moi, je suis sûr que ce n’est pas impossible ! » J’y ai réfléchi, puis j’ai décidé qu’il ne
pouvait pas avoir raison, car chaque génération a sa propre façon de regarder le monde extérieur. Bien sûr que l’on peut
toujours peindre des paysages…le sujet n’est pas épuisé ».
Installé près de Bridlington, il s’y dit être intéressé par la lumière du jour dans le Yorkshire. « Chaque jour est totalement
différent du précédent. En apparence, Bridlington et la campagne qui l’entoure ont peu changé au cours de ces cinquante
dernières années. Cependant, quand on y habite, on voit bien la permanence des évolutions. La lumière est différente, le
sol n’a pas la même couleur ». L’un de ses motifs favoris est le Tunnel (Le Tunnel enneigé, mars 2006, Bilbao,
Guggenheim Museum), un chemin s’éloignant de la route principale, dont les arbres de chaque côté se rejoignent et
emmêlent leurs branchages pour former une voûte naturelle. Hockney compare cette région et l’influence qu’elle
possède sur sa peinture à l’East Bergholt de Constable, source constante d’inspiration pour le grand paysagiste anglais du
18ème siècle. Hockney tente de capturer le caractère de la nature au fil des saisons en témoignant de sa pérennité et non
de sa fugacité comme Claude Monet ; David Hockney nous dit que si l’aspect de la nature change, sa structure est la
même. « Ce lieu ressemble à un tunnel de feuillage…Je l’ai peint plusieurs fois. Le tableau que j’ai peint en juillet reflète
l’abondance de la végétation. Ce n’est qu’après l’avoir vu l’hiver que l’on peut comprendre la richesse de l’été ».
Il entreprend des paysages de grandes dimensions, presque 2m sur 3m, 65 (Woldgate Woods, 2006, collection de l’artiste)
et les Grands arbres près de Warter ou Peinture sur le motif pour le Nouvel âge photographique, 2007, Londres, Tate
Britain, mesurant 4,49 m sur 12,25 m, sont formés de 50 panneaux. Il a travaillé sur le motif, panneau après panneau, les
photographiant et les mettant sur ordinateur afin de surveiller le bon avancement de la composition. L’œuvre a été
exposée à la Royal Academy en 2007, à côté de sa version photographique. L’arbre devient le motif principal, Hockney
estime qu’il n’existe aucun arbre ressemblant à un autre, qu’un arbre est comme un être humain.
La nature au printemps, évoquée ici ou dans Floraison, 2008, collection particulière, est un des moments qu’il préfère. Il
parle « d’érection de la nature ». Le printemps est « un thème d’une grande richesse et je pouvais l’aborder en toute
confiance : j’avais devant moi l’infinie variété de la nature…Van Gogh partageait ce même sentiment : n’a-t-il pas dit un
jour qu’il n’avait plus confiance en ses pères et que désormais il avait trouvé un autre chemin, celui de l’infinité de la
nature ? C’est sans fin, plus on l’explore et plus on, découvre ».
Sa volonté de travailler rapidement sur le motif l’amène à travailler sur iphone ou ipad, un medium fantastique, selon
Hockney, qu’il reprend parfois sur la toile. Toutefois, il sait que rien ne remplace le dessin : « Après avoir dessiné les
herbes, j’ai commencé à les voir réellement. Si je m’étais contenté de les photographier, je ne les aurais pas regardées
aussi attentivement et elles m’auraient moins intéressé ».
Hockney poursuit l’étude de la nature dans les années 2000 en la filmant, en particulier quand elle entre dans une phase
paroxystique. Assisté par Jonathan Wilkinson, spécialiste des techniques de l’information et de la communication,
Hockney place 9 caméras haute définition qui filment et il peut contrôler les images sur un écran d’ordinateur divisé en 9.
Le résultat est une mosaïque d’images animées et chaque écran fait apparaître des détails précis. Le fait que chaque
caméra ne filme pas sous le même angle le chemin de Woldgate, quelle que soit la saison, produit un léger décalage
entre chaque écran, c’est donc à une composition fragmentée que nous avons affaire, mais mouvante, donnant
l’impression d’avancer sur le chemin lentement, regardant vers le ciel, vers les arbres ou les haies. « On voit chaque
arbre s’approcher individuellement, puis disparaître avec grâce, côté cour ou côté jardin ». L’objectif, pour le peintre, est
non seulement de dessiner dans l’espace avec une caméra mais aussi dans le temps, réussissant l’alliance de la tradition
et de la modernité.