Dossier Rafael Cadenas
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Dossier Rafael Cadenas
Repetirse, repetirse, repetirse, y vivir ¿dónde es? ¿Quién sabe ceder el paso al deslumbramiento como el que se siente incumplido? Ser a lo vivo, amor real. Rafael Cadenas est un poète, essayiste et traducteur vénézuélien né à Barquisimeto en 1930. Il publie son premier recueil de poésie en 1946, Cantos iniciales, à l'age de 16 ans. Ses ouvrages les plus importants sont Los Cuadernos del Destierro publié en 1960, Falsas maniobras en 1966, Intempérie (1977) et Gestiones en 1992. Il a traduit notamment Walt Whitman et Robert Creeley en espagnol. En 1986, il reçoit une bourse Guggenheim qui lui permet de mener des recherches sur Whitman et Emerson à Cambridge. Pendant de nombreuses années, il a été professeur de l'École de Lettres à l’université Central de Venezuela à Caracas où il vit aujourd'hui. En l’an 2000 la maison d'édition mexicaine, el Fondo de Cultura Económica, publie toute son œuvre - Obra entera. Poesía y prosa –. Après en 2007, la maison d’édition espagnole Pre-Textos publie Obra entera. Poesía y prosa (1958-1995). Doctor Honoris Causa de l’Université des Andes (Mérida), de l’université Central de Venezuela (Caracas) et de l’université de Carabobo , Rafael Cadenas s’est vu décerner le Prix national de l’essai (1984), le Prix national de littérature (1985), le Prix International de Poésie J.A. Pérez Bonalde (1992) et en 2009 en Mexique reçoit le Prix FIL de Littérature en Langues Romanes. Son œuvre poétique –traduite en plusieurs langues- est l’une des plus importantes de l’histoire de la littérature vénézuélienne ainsi que des belles-lettres hispanoaméricaines. Fausses manœuvres. Antholologie personnelle. Traduite par Daniel Bourdon Fata Morgana, Montpellier, 2003. Échec Tout ce que j'ai cru victoire n'est que fumée. Échec, langue de fond, piste d'un autre espace plus exigeant, difficile de lire entre tes lignes. Quand tu mettais ta marque sur mon front, jamais je n'aurais imaginé que tu m'apportais un message plus précieux que tous les triomphes. Ta face flamboyante m'a poursuivi et moi je n'ai pas su que c'était pour me sauver. Pour mon bien tu m'as remisé dans les coins, refusé les succès faciles, fermé les issues. C'est moi que tu voulais défendre en m'empêchant de briller. Par pur amour pour moi tu as modelé le vide qui, durant des nuits enfiévrées, m'a fait parler à une absente. Si tu as toujours donné priorité aux autres, si tu t'es arrangé pour qu'une femme me préfère un homme plus décidé, si tu m'as licencié de postes suicidaires, c'était pour me protéger. Tu es toujours intervenu à temps. Qui, ton corps couvert de plaies, de crachats, ton corps odieux m'a reçu dans ma plus simple forme pour me livrer à la transparence du désert. C'est folie de t'avoir maudit, maltraité, de t'avoir blasphémé. Tu n'existes pas. Un orgueil délirant t'a inventé. Je te dois tant ! En me nettoyant avec une éponge rêche, en me lançant sur mon vrai champ de bataille, en me donnant les armes que le triomphe dédaigne, tu m'as levé au dessus de la mêlée. Tu m'as pris par la main et conduit à la seule eau qui puisse me refléter. Grace à toi je ne connais pas l'angoisse de jouer un rôle, de m'accrocher à tout prix à un échelon, de me faire pistonner à la force du poignet, de me battre pour arriver plus haut, de me gonfler jusqu'à éclater. Tu m'as fait humble, silencieux, rebelle. Je ne te chante pas pour ce que tu es, mais pour ce que tu ne m' as pas laissé être. Pour ne m'avoir donné que cette vie-Ià. Pour m' avoir restreint. Tu m'as seulement offert la nudité. Tu m'as élevé à la dure, c'est vrai. Mais toi-même apportais Ie cautère. Et Ie bonheur de ne pas te craindre. Merci de m' enlever de l' epaisseur en l' échangeant contre des caractères gras. Merci à toi de m'avoir privé d'enflures. Merci pour la richesse à laquelle tu m'as contraint. Merci d'avoir construit ma demeure avec de la boue. Merci de m'écarter. Merci. * Il y a quelque temps, j’avais coutume de me diviser en d’innombrables personnages. Sans que cela leur occasionne la moindre gêne, j’ai été tour à tour voyageur, équilibriste, saint. Pour plaire aux autres et à moi-même, j’ai conservé une image double. J’ai été ici et en d’autres lieux. J’ai élevé des spectres maladifs. Chaque fois que j’avais un moment de repos, les images de mes métamorphoses m’assaillaient, m’acculaient à l’isolement. La multiplicité se lançait contre moi. Et je la conjurais. C’était le défilé des habitants séparés, les ombres de nulle part. En fin de compte il s’avéra que les choses n’étaient pas ce que j’avais cru. Parmi les fantômes, m’a surtout fait défaut celui qui chemine à mon insu. Peut-être le secret de la sérénité est-il là, entre les lignes, comme une splendeur innommée. Mon orgueil sans fondement céderait alors le pas à une grande paix, une joie sobre, une justesse immédiate. Jusqu’alors. * MON PETIT GYMNASE Il consiste en un coussinet sur lequel je frappe avec un accompagnement musical. Un sac de sable où je décharge tout le poids de la rue. Une natte où je me contorsionne pour obtenir l’oublie. Un trou triangulaire où je me cache pour ne pas voir. Une corde dont je me châtie pour toutes les prudences du jour. Un engin en forme de O où je me plie en deux pour esquiver les reproches de ma conscience. Une barre fixe où je me ris de mes intentions. Une planche où je cogne inutilement –je pourrais mieux viser. Un petit extenseur idiot qui m’étire pour chaque fruit que je n’ai pas pris, chaque action que je n’ai pas faite, chaque parole que je n’ai pas osé dire. Une lanière qui m’abîme le bras droit pour chacun de mes oublies, de mes revirements, pour chaque indécision. L’équipement courant du sportif ordinaire s’ajoute à tout cela. Les exercices s’effectuent dans l’obscurité. le public n’est pas admis (ma honte ne me le permet pas, et d’ailleurs le sourd mécontentement étoufferait celui qui oserait entrer) De toutes façons je ne suis qu’un débutant. Je n’ai pas encore réussi à toucher les genoux avec le front, m’arquer en arrière jusqu’à toucher le sol m’est encore impossible et je ne sais pas non plus me dresser sur les mains. Parfois mon excessive lourdeur me rend ridicule. (j’ai le souvenir de postures lamentables, et cela me fait mal). Malgré mes efforts je suis toujours charnel, rude, indiscipliné. Dans le fond, ces exercices tendent à faire de moi un homme rationnel, qui vive avec précision et se joue des labyrinthes. En secret, ils poursuivent ma transformation en Homme Numéro Tant. J’espère seulement au fond de moi qu’un jour, grâce à eux, je cesserai d’être absurde. LOS CUADERNOS DEL DESTIERRO 6 J’ai fui. Je proclame ma fuite, mes héros généreux, mais je suis encore là. En réalité personne ne peut fuir. Toi et moi sommes condamnés à glorifier de vieilles blessures et à restituer aux vagues (flots) notre cadavre quotidien. En vérité nous demeurons. Personne ne peut s’échapper. Tous se brûlent au feu de leurs perplexités et de leurs incohérences. Il faut accepter le fer rouge de la naissance comme la rive d’où nous ne sommes pas partis (d’où nous ne partons pas ?). (Il nous faut rester) Nous devons rester à l’intérieur de (dans) ce cercle qui s’ouvre le matin et se ferme la nuit en dévorant nos miroirs de ses gueules volcaniques. Et il ne suffit pas d’atteindre le fleuve, de dire « Rends-moi la hache d’or avec laquelle ma gouvernante m’a offert les jours de pourpre » et d’attendre sur les rives louangées, ni de prodiguer nos inspirations au brouillard ni d’enfermer dans un coffre, comme on refermerait une paupière, ou un jour, les rapts inavouables, avec l’assentiment de la nuit. Impossible de fuir. Nous sommes les prisonniers au regard provocant ou amoureux, enchaînés dans des jours couleur de soûlerie par notre incapacité à nommer. La mort est une nébuleuse d’où nous revenons pour surveiller (pour veiller sur) nos possessions. Le rêve n’existe pas. Il y a seulement ce trou que nous laissons en bougeant pour qu’en le rétrécissant ou en l’élargissant un autre prenne place. Et pourtant, nous parlons. (Sueño : le rêve, ici - avant avant-dernière ligne - ou le sommeil ?)