Naissance de la notion de « socio-culturel
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Naissance de la notion de « socio-culturel
FCSF- JPAG 2009 Documents Naissance de la notion de « socio-culturel » Henri Théry « Cette locution nouvelle [celle de complexes socio-culturels] traduit les liens étroits qui unissent certains aspects du développement : le développement social qui tend à répartir plus équitablement le bien-être et à améliorer les rapports humains et le développement culturel qui permet à l’homme de mieux maîtriser les œuvres de civilisation et de mieux se situer dans l’univers. Les deux formes de développement tendant à promouvoir aussi bien l’homme personnel que l’homme collectif. Les mots ont une histoire, souvent fort éclairante sur l’évolution des sociétés, car ils en sont le reflet et, parfois le moteur. Du siècle des lumières à nos jours, les deux termes "social" et "culturel" ont connu des fortunes et des sens divers. En réaction contre une société figée, les courants de la pensée individualiste ont atomisé le social, le réduisant, tout au plus, à une mécanique abstraite des rapports interindividuels. C'est à travers ces ruines du "social" que s'est édifiée la société capitaliste et industrielle qui eut beaucoup de peine à tolérer un social de bienfaisance et de dépannage, un social correctif, à l'extrême limite préventif. Mais peu à peu, renaissant de ses cendres, le "social", avec les grands courants socialistes notamment, réapparut avec sa dynamique et sa consistance propres. Il s'agissait alors d'un social constructif et promotionnel : était sociale toute démarche qui visait à construire la société et à promouvoir son développement. Le progrès social ne consistait plus seulement à soigner ou réparer, mais à rapprocher les hommes dans une meilleur répartition de la responsabilité et de la richesse, à susciter une société plus dynamique et plus fraternelle, à supprimer les aliénations et les opacités qui empêchent l'homme collectif et l'homme individuel de se joindre en profondeur. Aujourd'hui coexistent encore ces deux acceptions du mot "social", découvrant ainsi une sorte de dialectique de l'action réparatrice et de l'action constructive, elle-même sous-tendue par une dialectique de la promotion individuelle et de la promotion collective, plus exactement une dialectique de la personne et de la communauté. L'histoire du terme "culturel" serait aussi fort intéressante. D'une optique centrée sur le seul individu où la culture était considérée comme un attribut de ce dernier, plus souvent même comme l'ensemble de ses acquisitions intellectuelles et artistiques, on passa peu à peu à une optique plus sociale où la culture devient l'ensemble des manières de penser, de sentir et d'agir propres à une société. De la "culture cultivée", selon l'expression d'Edgar Morin, à la "culture de masse", les deux siècles écoulés ont vu défiler plusieurs notions de la culture. Une analyse rigoureuse de ces notions nous montrerait probablement qu'il est désormais impossible d'enfermer le développement culturel dans les normes des "humanités classiques" et dans la seule perspective de la promotion des individus. Peut-être retrouverions-nous alors cette même dialectique du personnel et du social, la culture apparaissant de plus en plus comme l'ensemble des processus qui permettent à des individus d'une part, à une société d'autre part, de maîtriser et d'intérioriser l'univers dans lequel ils vivent et, ce faisant, de se joindre par le dedans, c'est-à-dire de réaliser entre eux une intériorisation réciproque mais toujours partielle. Dès lors, les deux dynamiques du "culturel" et du "social" tendraient à les rapprocher et même à leur donner des contenus semblables. Telle est peut-être la raison pour laquelle le terme de socioculturel commence aujourd'hui à entrer dans le vocabulaire courant…" Extraits de l’ouvrage de Henri Théry et de M. Garrigou-Lagrange, Equiper et animer la vie sociale, Editions du Centurion, 1966, pp.28-30. N.B. de Jacques Eloy : le titre donné à ce texte n’est pas formulé par les auteurs mais correspond bien à son contenu.