Et si les rêves n`étaient pas qu`écume?

Transcription

Et si les rêves n`étaient pas qu`écume?
Et si les rêves
n’étaient pas
qu’écume?
S’élever dans les airs comme un oiseau,
perdre ses dents en parlant – dans les
rêves tout peut arriver, le meilleur
comme le pire. Qui ne s’est jamais
réveillé hagard au milieu de la nuit en
s’interrogeant sur le sens à donner au
rêve dont elle ou il sort? Nos ancêtres
avaient coutume de voir dans les rêves
des messages que leur destinaient des
forces supérieures. L’homme moderne
pencherait plutôt pour des signes que
lui adresse son subconscient. C’est ce
que pensait aussi Sigmund Freud, le
père de la psychanalyse, qui parlait
à leur sujet de désirs ou de pulsions
subconscientes entrant dans le champ
de la conscience.
Les interprétations freudiennes furent
longtemps ignorées de la recherche sur
le cerveau. Pour elle, on ne rêvait que
pendant la phase REM, phase de sommeil caractérisée par des mouvements
oculaires rapides (Rapid Eye Movement) et un véritable feu d’artifice
d’activité neuronale. Les neurologues
ne voulaient y voir qu’un processus
purement biologique, un orage de
décharges nerveuses sans autre signification.
Le moteur du rêve
C’est au neuroscientifique sud-africain Mark Solms que revient le mérite d’avoir découvert que l’on rêve
aussi en dehors des phases de sommeil REM – ou que l’on ne rêve pas.
Restait à savoir pourquoi. Nombreux
étaient parmi ses patients ceux qui
Les rêveurs lucides sont les
metteurs en scène de leurs rêves:
ils en déterminent eux-mêmes
l’action et le contenu.
Photo: iStockphoto
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le Cerveau 2/2015
disaient ne jamais rêver. Intrigué, il
découvrit que tous ceux-là souffraient
d’un traumatisme d’une région du
cerveau antérieur considérée comme
le centre de la récompense, qu’active
l’envie de quelque chose, par exemple
de manger, boire ou être reconnu. Il se
dit que ce centre devait être le moteur
de nos rêves, que devait exister un lien
entre nos rêves et nos désirs, et que
Freud avait vu juste. Encore fallait-il
en apporter la preuve. Il eut recours
pour cela à l’imagerie médicale et
laissa s’endormir des patients dans
un appareil d’imagerie par résonance
magnétique. Il vit alors que pendant
qu’on rêve tous les circuits émotionnels sont actifs, à commencer par le
système dopaminergique, dont les
neurotransmetteurs incitent à chercher des gratifications.
Gardien du sommeil
Ce que l’on ne sait toujours pas exactement, en revanche, est le pourquoi
des rêves. Se basant sur les recherches
qu’il a effectuées, Mark Solms est persuadé que Freud avait compris l’une
des fonctions des rêves, à savoir,
comme il l’écrivait lui-même en 1900,
qu’ils servent le désir de continuer à
dormir au lieu de s’éveiller et qu’ils
sont le gardien du sommeil, et non ce
qui le perturbe. Ce que pensait également Solms, qui avait constaté que
ceux de ses patients qui ne rêvaient
pas se réveillaient plus souvent que
ceux qui rêvaient. Si les travaux de
Solms ont confirmé un certain nombre
Les rêves ne fascinent pas que les
neurologues, les artistes aussi
s’y intéressent. A preuve la peinture de
Salvador Dalí Rêve causé par le
vol d’une abeille autour d’une grenade,
une seconde avant l’éveil.
Photo: Wikipedia (www.museothyssen.org)
d’hypothèses relatives aux rêves, ils en
ont également invalidé. Ainsi semblerait-il que l’on n’ait besoin de rêves ni
pour traiter ou dénouer certains problèmes ni pour soutenir la mémoire.
Les patients de Solms qui ne rêvaient
pas n’avaient aucune difficulté à retenir ce dont on parlait avec eux.
Nombreux sont les indices selon lesquels le cerveau profiterait des rêves
pour «s’entraîner» aux choses de la
vie réelle. C’est en tout cas ce qu’ont
montré des études réalisées chez des
personnes qui ont conscience de rêver, qui dirigent leurs rêves et en sont
pour ainsi dire les metteurs en scène.
On sait que des sportifs ont exercé
pendant ces rêves dits «lucides» leurs
gestes techniques, et que leurs performances en ont été améliorées. Il s’agit
toutefois là de recherches qui n’en sont
encore qu’à leurs tout premiers stades.
après une nuit agitée, soit qu’on ait
peur de ne pas entendre sonner le
réveil alors qu’on a un rendez-vous
important le lendemain matin, soit
qu’on ait été réveillé plusieurs fois
par le bruit d’un voisin. Ce genre de
perturbation paraît même pouvoir
provoquer des rêves.
Le fait que les gens qui se souviennent
distinctement de leurs rêves dorment
moins bien que les autres a été confirmé par des chercheurs français qui ont
comparé leur cerveau avec celui de
gens qui ont de leurs rêves un souvenir fugace. Le cerveau des gens qui se
rappellent bien ce dont ils rêvent a une
plus grande réactivité aux bruits ambiants, si bien qu’il lui est sans doute
plus facile de profiter d’un moment de
veille pour stocker les rêves.
Pour se souvenir d’un rêve, il est recommandé de rester allongé sur le dos
et de se rejouer mentalement le déroulement de celui que l’on vient de faire.
Cela dit, il ne fait pas de mal d’oublier
ses rêves. Et si on en oublie tant, c’est
sans doute pour que l’on n’en vienne
pas à confondre rêve et réalité. Les
rêves ne communiquent rien de réel, et
il est donc inutile d’en garder le souvenir. A retenir trop de choses qui n’ont
pas eu lieu, on risquerait de perturber
son sens des réalités.
Mark Solms estime que le rêve est
un moyen, et non des moindres, de
se connaître soi-même. Dans une
interview au magazine allemand
Spiegel, il a déclaré: «Nos rêves nous
en disent long sur notre âme, parce
qu’ils échappent au contrôle rationnel que notre conscient exerce à l’état
de veille et que se dévoile alors sa
partie instinctive, émotionnelle. (...)
Le rêve est comme une porte ouverte
sur notre personnalité émotionnelle
élémentaire.»
Il est utile d’oublier
Pourquoi se souvient-on de certains
rêves, et d’autres pas? Les travaux de
Mark Solms fournissent, là encore,
des réponses intéressantes. Il semblerait qu’on se rappelle mieux ses rêves
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Conseil de lecture:
Mark Solms et Oliver Turnbull: Le cerveau et le monde
interne, psychologie/psychanalyse. Presses universitaires
de France, puf 2015