passage choisi - Passage du livre
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Yeux GENCOD : 9782746507791 PASSAGE CHOISI Esthétique Échec ou réussite, ambition en tout cas, Musique essaie de répondre à une question naïve : «Qu'en est-il de ce paradis qui porte le nom commun à toutes les Muses ?» Ce livre ne décrit pas tel compositeur ni telle oeuvre en tel temps, mais cet art soi-même, tel quel, en prenant le risque héroïque, à la lettre insensé, de parler en cette langue de trains d'ondes qui précéda tout langage, de sons qui tonnent sous toutes les langues, de bruits universels avant toute signification. De même, Statues interroge le geste auguste du sculpteur, antérieur à la saisie de tout objet, en un art dual de la musique. Quoique tout différemment, Habiter tente une stratégie pour courir le même risque à propos de l'architecture. Or, de même que j'ai pu considérer quelques pages écrites par Balzac, Verne ou Hugo sans oser poser la question : «Qu'est-ce que la littérature ?», plusieurs essais se dispersent à décrire des toiles signées Carpaccio, Bellini, Poussin ou Turner, sans jamais questionner directement la peinture. Y arriverai-je enfin, ici même ? Pour interpréter les toiles de Turner, je balance depuis des années entre deux thèses contraires. Ou le regard du peintre, changeant, ne voit plus le même monde, et la peinture elle-même se transforme. Ou le monde change lui-même, brume et lumière, parce qu'un petit hiver nucléaire règne sur l'Europe en raison d'une éruption volcanique gigantesque dans l'archipel de la Sonde. Ou l'oeuvre exprime la vision, ou elle montre le vu. En cette hésitation, en cet intermédiaire, en cette contradiction passe le mystère de la représentation. William Turner, Tempête de neige, avalanche et inondation. Une scène dans la partie la plus élevée du Val d'Aoste, Piémont, 1836-1837, The Art Institute of Chicago. * Voir et être vu Voici. Comme un visage, ainsi nommé parce qu'il est vu et voit, un tableau de génie se contemple, certes, et se fait admirer, mais, mieux encore, me semble-t-il, trouant le mur, comme un regard de feu en percerait la face grise, étincelant de lumière et de sens, voit comme un oeil verrait, même quand il ne s'agit pas d'un portrait. Actif, le tableau inonde la pièce de lumière et l'observateur d'intelligence heureuse. Image, peut-être, mais, mieux encore, feu d'un regard ! Devant une toile de Breughel, de Rembrandt, de Van Gogh... m'étreint la double sensation de découvrir et d'être découvert. Non, le peintre ne reproduit pas une image sur une toile - je vais bientôt le dire, lorsque, justement, elle n'est pas active comme un oeil, l'image, faible, ne fournit que peu d'information -, mais il peint ce qui reçoit, stocke, traite, émet de la lumière, plus toute l'information que celle-ci comporte, de sorte que l'oeuvre ainsi produite fonctionne comme un réceptacle de clarté, certes, mais aussi comme émettrice, banque et transformatrice de cet éblouissement. Il me semble qu'elle a les mêmes propriétés qu'un regard actif. Ainsi, le maître me montre autant sa toile que celle-ci me contemple. Comme si, de son feu, son regard traversait l'oeuvre pour la transmuter en vue. Cette image pèche par trop de facilité. Certes, nous regardons ce tableau ; certes, ce visage nous regarde ; certes, le terme visage a les deux sens de voir et d'être vu. Soutenant une intuition plus difficile, ce livre prétend que, d'une certaine manière, les choses elles-mêmes jouissent de la vision et que l'art suprême du peintre consiste à faire voir ces visions qui donnent au monde un pouvoir étrange d'action. Vincent Van Gogh, Autoportrait au feutre gris, 1887-1888, Van Gogh Museum, Amsterdam. INTERVIEW DÉCALÉE 1) Qui êtes-vous ? ! J'ai écrit une soixantaine de livres pour tenter de répondre à cette question. Encore quelques-uns et, avant de mourir, j'aurai, peut-être, le fin mot de cette affaire. Car l'ensemble des livres équivaut à la carte d'identité. Hélas, elle est un peu longue... 2) Quel est le thème central de ce livre ? YEUX essaie d'élargir la vision humaine à celle des autres : par exemple, VOIR quel monde VOIENT les insectes, les oiseaux, les serpents ou les poissons, VOIR quelle lumière reflètent les feuilles des arbres, les vagues de la mer, les saphirs, les émeraudes et les pierres du chemin. Nous ne sommes pas les seuls au monde à être dans le monde et à le voir. Un vrai peintre voit ce monde-là, plus dense, plus complet, riche et actif. Du coup, YEUX est un livre qui tente de définir ce qu'est vraiment la peinture. 3) Si vous deviez mettre en avant une phrase de ce livre, laquelle choisiriez-vous ? ... alors, le peintre s'approcha de son tableau, si près, si près qu'il disparut dans le petit endroit de la toile où, d'ordinaire, l'auteur marque sa signature... 4) Si ce livre était une musique, quelle serait-elle ? J'ai déjà écrit un livre intitulé Musique, pour tenter une réponse à cette question. La voici : lorsqu'elles sont réussies, toutes les oeuvres sont musicales. Car la Musique ainsi se nomme parce qu'elle fédère, rassemble et unit toutes les Muses, donc tous les arts, toutes les sciences, toute la culture. Mon livre serait une Musique, s'il était réussi. À vous d'en juger. 5) Qu'aimeriez-vous partager avec vos lecteurs en priorité ? D'après l'origine latine de ce mot, un auteur est un augmentateur. Il a pour vocation de les augmenter : il écrit pour que croissent leur savoir, leur bonheur de vivre et leur joie. Il cherche à les accoucher. J'aimerais être une bonne sage-femme. 6) Avez-vous des rituels d'écrivain ? (Choix du lieu, de l'horaire, d'une musique de fond) ? Se coucher tôt, se lever tôt, travailler de grand matin. 7) Comment vous vient l'inspiration ? Si je le savais, je le dirais. D'une autre ou du monde, d'ailleurs, en tous cas. L'essentiel n'est pas l'inspiration, mais la transpiration. 8) Comment l'écriture est-elle entrée dans votre vie ? Vous êtes-vous dit enfant ou adolescent «un jour j'écrirai des livres» ? C'est ma vie qui, peu à peu, est entrée en écriture, comme un moine entre en religion, comme un sportif entre en entraînement, comme un voyageur émigré entre dans un pays d'adoption. Je suis gaucher, je suis entré, enfant, dans l'écriture de la main droite. 9) Vous souvenez-vous de vos premiers chocs littéraires (en tant que lecteur) ? L'Odyssée, Dom Quichotte, Moby Dick... 10) Que vous inspire le mot "Consolation" ? Je suis inconsolable de n'écrire jamais le livre parfait. REVUE DE PRESSE Le Figaro du 18 décembre 2014 Le philosophe a l'ambition de regarder le monde les yeux dans les yeux. L'académicien Michel Serres interroge donc les regards. Tous les regards représentés, y compris les mécanismes de la vue. Il les étudie avec l'oeil de l'esprit. EN SAVOIR PLUS SUR CE LIVRE Consultez la fiche complète de ce livre sur PassageDuLivre.com Commandez ce livre sur Fnac.com