La Marseillaise - Les Clionautes
Transcription
La Marseillaise - Les Clionautes
Numéro 13 du 15 janvier 2010 http://www.clionautes.org Tout autant que leurs adversaires républicains, les Espagnols engagés dans les rangs franquistes ont su très tôt investir et instrumentaliser pour les besoins du combat qu’ils menaient l’univers de la chanson et de la composition. Chez ceux à qui l’on prête, de manière bien rapide d’ailleurs, l’étiquette de «nationalistes» , l’écriture, la redécouverte parfois, et l’interprétation de chants populaires relèvent de nécessités essentielles: au-delà des couplets fredonnés entre soi, en maintes occasions, avant ou après la bataille, c’est bien d’une société idéalisée que l’on porte témoignage. Société qui n’est pas celle du milicien anarchiste ou du brigadiste étranger venu se battre par delà les Pyrénées. Pour les milieux carlistes, une société sauvée de ses tentations révolutionnaires, réconciliée avec son passé glorieux autour de l’Eglise et du Trône que la victoire républicaine de 1931 a brisés. Pour les phalangistes de Primo de Rivera, plutôt une société nouvelle, encadrée, disciplinée (à l’image de ce qui existe déjà en Allemagne ou en Italie), résolue à se préserver de la contagion communiste en Europe. Franco saisit le danger constant que des divergences de pareille nature font courir à l’unité et la cohésion de ses forces. Porté à la tête d’un pronunciamiento (pour lequel, d’ailleurs, il n’a dans les premiers temps guère d’enthousiasme), remarquablement servi d’ une série d’opportunités imprévues (la disparition accidentelle des principaux meneurs du mouvement, Molla puis Sanjurjo) le général s’emploie à rallier sous son autorité personnelle des organisations politiques et des courants de pensée qu’il n’est pas évident de concilier. Voir en Franco, comme on le lit souvent, un fasciste absolument convaincu est commettre une erreur d’appréciation. Arrivé d’une famille conservatrice qui le destine au métier des armes, «le Caudillo» (Un titre proprement espagnol que l’on réserve depuis l’époque médiévale aux chefs de guerre valeureux mais en lequel il serait illusoire de vouloir découvrir une version ibérique de ce que peuvent être les fonctions de Führer et de Duce) garde pour les Phalangistes et leurs velléités révolutionnaires beaucoup de méfiance. Il n’est pas plus fervent catholique (du moins pendant ses années de jeunesse) et les sympathies qu’il témoigne à l’endroit de la Monarchie sont du reste très tièdes. Dans le fond, sa réussite politique tient surtout à la mise en oeuvre d’un programme capable de satisfaire les sensibilités contradictoires et multiples du camp nationaliste: lutte contre le communisme ; restauration de l’influence espagnole sur la scène internationale (La défaite de 1898 contre les Etats-Unis et le désastre d’Anoual en 1921 contre Abdelkrim ont profondément humilié la conscience nationale); alliance avec l’Eglise et les autorités catholiques traditionnelles (La lutte contre les Républicains est rapidement envisagée comme une croisade) ; répression des mouvements autonomistes de Catalogne ou du Pays Basque. On l’aura donc compris: il n’est pas plus simple d’appréhender dans leur complexité la personnalité et les positions idéologiques du général Franco que de donner une juste appréciation de ce que furent les intentions profondes du pouvoir franquiste. Interpréter le soulèvement militaire de 1936 comme l’expression armée d’un mouvement exclusivement fasciste conduit nécessairement à de dangereuses simplifications. Les réalités politiques propres au camp «nationaliste» sont infiniment plus compliquées à saisir et c’est autour de Le Labo des Clionautes, n°13 du 15 janvier 2010 1 cette problématique qu’un enseignant peut choisir de construire une leçon consacrée au franquisme. Prévoir une une démarche pédagogique de cette nature met aussi en évidence la multiplicité des aspirations particulières à chaque composante du camp franquiste. La difficulté essentielle du travail est, une fois encore, de choisir judicieusement les textes que l’on proposera en classe. Les organisations phalangiste et carlistes (dont Franco ordonne la fusion en un parti unique, en 1937- sans d’ailleurs vouloir entendre les murmures de déception qui accompagnent sa décision) produisent pendant la guerre quelques titres populaires dont la mémoire collective espagnole conserve le souvenir: «Falangista soy» (je suis un phalangiste); «Hymno de la bandera gallega de la falange» (Hymne du drapeau galicien de la Phalange); «Cancion del flecha» (Chanson de la Flèche); «Cara al sol» (Face au soleil); «Isabel y Fernando» (Isabelle et Ferdinand). Il n’est évidemment pas possible de mener dans le cadre de cet article l’étude complète et minutieuse de ces chansons. On se contentera donc d’en relever les thèmes politiques essentiels: la restauration d’une Espagne puissante et sûre d’elle-même; l’exaltation de l’amour que l’on offre à sa patrie; l’acceptation du sacrifice librement consenti; l’engagement au service de la Phalange; le retour aux valeurs traditionnelles du catholicisme et de l’Eglise. Autant de thèmes sur lesquels l’enseignant insistera avec profit et que les élèves pourront découvrir à travers la lecture des couplets proposés. La sélection des chants abordés en classe suppose que l’on s’interroge sur les objectifs pédagogiques poursuivis. Les approches sont évidemment multiples: de quels horizons sociaux et politiques arrivent les Nationalistes? Comment envisagent-ils le combat qu’ils conduisent? Quelles images conçoivent-ils-ils de leurs adversaires? Quelles sont leurs projets? Les instructions officielles en collège ou en lycée n’ont pas été faîtes pour que l’on puisse décrire dans toute leur complexité les tendances plurielles du franquisme. Néanmoins, une démarche intéressante consiste à retenir des textes dans lesquels on pourrait repérer, d’une part, les aspects fondamentaux du programme idéologique de Franco et d’autre part une évocation des courants politiques réunis sous l’autorité du caudillo. Le Labo des Clionautes, n°13 du 15 janvier 2010 Le drapeau et les symboles des phalangistes espagnols: les 5 flèches et le joug sur couleur rouge et noire. Les principaux responsables du soulèvement militaire de Juillet 1936 dans les rues de Burgos. De gauche à droite: Cabanellas, Franco et, Emilio Molla. 2 Cet hymne, écrit et interprété à la gloire de la phalange espagnole pendant la guerre civile, permet aux élèves d’appréhender dans toute Je suis un phalangiste,/Phalangiste jusqu'à la mort leur dimension les valeurs, les références, la pensée d’un mouvement ou la victoire/et pour cela je me mets/au service de au cœur duquel les historiens ont crû reconnaître, parfois très l'Espagne avec plaisir./Je me suis engagé aux côtés de la jeunesse/pour la défense de notre foi justement du reste, des comportements et des attitudes empruntés /ma chemise bleue et le blason/ avec le joug et le au fascisme mussolinien. L’enseignant peut guider l’analyse des faisceau /sont la garantie /dans l'Espagne couplets en éclairant quelques uns des symboles phalangistes les plus immortelle qui triomphera/.Quand ma mère a caractéristiques. appris /que j'appartenais aux JONS,/ elle m'a pris La « camisa azul », la chemise azurée que porte chaque membre du dans ses bras et m'a dit/:Mon fils adoré/c'est ainsi parti et que l’on peut associer aux chemises brunes du régime que je te voulais!/Phalangiste courageux/avec ce patrimoine/ la Justice, le Pain, la Patrie/et une hitlérien. Espagne grande et libre/ dont rêvait Jose La « bandera », le drapeau frappé de l’insigne du mouvement sur Antonio/.Quand je suis dans les tranchées,/prêt à fond noir et rouge (Ces couleurs tiennent une place essentielle de mourir,/ si je meurs je le regrette seulement/ pour l’imaginaire franquiste): les 5 flèches (symbole d’une unité retrouvée) ma petite mère chérie/car je ne te reverrai et le joug (élément de puissance et de grandeur). pas/.Mais je sais que s'ils me tuent,/de la terre Le chef charismatique, évoqué par son seul prénom José Antonio. dans laquelle je mourrai/se lèvera comme un épi rouge et noir/ dans la poudre et la sang, mon (José Antonio Primo de Rivera est le fondateur de la phalange (1933) dont il fait une organisation paramilitaire, anti-communiste et qu’il drapeau. rebaptise en 1934 les JONS (Juntas de Offensiva NacionalSindicalista). Les violences phalangistes (expéditions punitives menées contre les anarchistes ou les syndicalistes) pendant les années précédant la guerre civile pèsent sur la vie politique espagnole. Primo de Rivera, emprisonné en Juin 1936, accorde son soutien aux militaires insurgés. Il est finalement exécuté par les Républicains en Novembre. Le parti développe autour de son souvenir le mythe d’un martyr de la cause nationaliste). «Falangista Soy» (Je suis un phalangiste) Le texte envisage le règne des Rois Catholiques comme une période glorieuse à partir de laquelle le franquisme bâtit ses propres références. Toutefois, l’utilisation du document nécessite que l’enseignant explique aux élèves en quoi Ferdinand et Isabelle tiennent une place incontournable de l’histoire ibérique. Le rappel d’une courte biographie apporte un éclairage utile des royaumes castillan et aragonais à la fin du Moyen Age et met en évidence les caractères essentiels de ce XV° siècle espagnol que la propagande officielle réinterprète pour ses besoins politiques. «Isabel y Fernando». (Isabelle et Ferdinand) Debout, camarades, et toujours devant/ chantons l'hymne de la jeunesse/ l'hymne qui chante la Grande Espagne/ qui secoue le joug de la servitude./L'esprit d'Isabelle et de Ferdinand règne/ nous mourrons en embrassant la bannière sacrée./ Notre Espagne glorieuse/ doit être à nouveau/ la nation puissante/ qui ne cessa jamais de vaincre./Le soleil de Justice d'une ére nouvelle et radieuse/ se lève sur notre pays./Déjà, flotte dans les airs le drapeau immaculé/ qui doit être le signe de la Rédemption. Ferdinand d’Aragon et Isabelle de Castille sont deux personnages centraux de l’imaginaire nationaliste. Le régime franquiste en gomme progressivement la dimension historique pour ne retenir des deux personnages qu’un aspect plus mythique et symbolique. Les deux souverains sont perçus comme les artisans de l’unité politique et religieuse de la péninsule. Unité politique d’abord puisque le mariage de 1469 associe l’Aragon et la Castille pour un destin commun. (En 1492, la disparition du dernier royaume musulman de Grenade vient compléter et achever le projet). Unité religieuse ensuite lorsque le pouvoir monarchique organise en 1492 l’expulsion massive des Juifs hors du territoire et impose avec l’inquisition le christianisme comme seule religion autorisée. Les dernières années du XV° siècle sont aussi vues comme un temps de conquêtes : Christophe Colomb aborde les rivages américains et indique les routes que les Conquistadores de la génération suivante emprunteront. Des explorations accomplies sous l’œil bienveillant d’Isabelle devaient naître un immense empire dont l’Espagne tirerait pour trois siècles sa gloire et sa puissance. Cet épisode historique fournit au camp nationaliste les éléments essentiels de son idéologie: la restauration d’une Eglise puissante capable de cimenter la société espagnole sur ses valeurs (Phalangistes et carlistes se retrouvent d’ailleurs, au-delà de leurs divergences, autour du vieil idéal médiéval de croisade que Franco instrumentalise. Une croisade menée contre les «Rouges»); l’exaltation d’une Espagne Une (Le franquisme combat aussi les aspirations basques et catalanes à conserver leur autonomie traditionnelle), d’une Espagne Grande (La perte des colonies américaines au XIX° siècle humilie profondément le pays. Le soulèvement militaire nait surtout d’une terrible frustration consécutive aux défaites de 1898 et de 1921). En pratique Il paraît illusoire de vouloir aborder en classe de 3eme l’ensemble des tendances politiques rassemblées derrière Franco. La complexité du sujet ne permet pas, dans le cadre des programmes officiels, de conduire un travail de cette Le Labo des Clionautes, n°13 du 15 janvier 2010 3 nature. En revanche, l’enseignant peut proposer aux élèves de s’intéresser en particulier aux organisations phalangistes (sans oublier de préciser que le mouvement de Primo de Rivera ne fournit pas à lui seul les troupes militaires engagées contre les Républicains). L’élaboration d’un questionnaire (ou d’un dossier si l’on est plus ambitieux) à partir des textes remplit deux objectifs pédagogiques : Amener la classe à dresser un portrait des phalangistes espagnols. Relever dans l’organisation du parti des éléments évoquant certains des aspects du nazisme allemand ou du fascisme italien. 1°) Selon le chant «Falangista Soy», quel prénom porte le chef des Phalangistes espagnols? A l’aide d’un dictionnaire, indique ses dates, précise en quelle année il a fondé son parti et explique pourquoi les Phalangistes en font un martyr de la guerre civile. 2°) A l’aide du même texte, donne un renseignement sur la tenue de chaque phalangiste espagnol. 3°) Dans le même texte, relève tous les mots évoquant le symbole porté sur les drapeaux phalangistes (On met à la disposition des élèves une représentation de ce symbole: le joug surmonté des 5 flèches sur fond noir et rouge). 4°) Souligne dans le texte les expressions montrant de quelle manière les phalangistes imaginent l’Espagne pour laquelle ils combattent. A quoi vois-tu qu’ils sont déterminés à poursuivre la guerre jusqu’à la victoire? Le questionnaire peut aboutir à la conception d’une courte synthèse présentant dans ses aspects principaux la phalange espagnole. En classe de première, l’enseignant peut orienter la classe sur d’autres pistes d’étude. Quelques questions peuvent amener les lycéens à saisir l’Espagne telle que les Phalangistes et les Carlistes l’ont idéalisée dans leurs chants. 1°) A l’aide d’un dictionnaire, dressez une courte biographie des Rois Catholiques. A partir des informations retenues, expliquez pourquoi les deux souverains médiévaux sont devenus une référence incontournable du franquisme. 2°) Dans les textes, relevez des éléments laissant paraître la nature fasciste de la phalange espagnole. Relevez aussi d’autres éléments évoquant l’exacerbation du sentiment national chez les phalangistes. 3°) Relevez à l’aide d’un dictionnaire quelques informations sur le mouvement carliste en Espagne. Quels buts politiques les carlistes cherchent-ils à atteindre? Selon ce que vous savez du fascisme mussolinien et du nazisme allemand, pensez- vous que les Carlistes poursuivent un but identique? 4°) A l’aide des textes proposés et de vos réponses, rédigez une synthèse présentant le camp nationaliste pendant la guerre civile. Thèmes à développer: présentation des différentes tendances politiques réunies sous les couleurs franquistes; évocation de l’imaginaire, des références phalangiste et carliste. Lire Sur le Web L'Histoire, l'Espagne, « La tragédie espagnole », pages 70 à 76, AvrilJuin 2006. www.la-guerre-d-espagne.net est un site dédié à la guerre d'Espagne. http://www.herodote.net/histoire/synthese.php ?ID=57&ID_dossier=67 sur le site Hérodote. L'Histoire, l'Espagne, « franco, portrait d'un dictateur » pages 78 à 83, Avril- Juin 2006. L’auteur Sébastien Barbaud enseigne au Collège Robert Doisneau de Gonesse (Val d’Oise). Le Labo des Clionautes, n°13 du 15 janvier 2010 Au sommaire du prochain numéro : Le_Labo, revue bimestrielle des Clionautes La Marseillaise Directrice de publication : Caroline JouneauSion Rédacteur en chef : Jean-Pierre Meyniac Adhérer à l’association : http://www.clionautes.org/spip.php?article493 4