At the Gorge of Lu, the great waterfall plunges for thousands of feet

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At the Gorge of Lu, the great waterfall plunges for thousands of feet
Compte rendu du Comité des Prix Prince Claus 2016
Mai 2016
Les Prix Prince Claus
Les Prix Prince Claus récompensent des réalisations exceptionnelles dans le domaine de la culture et du
développement. Ces Prix sont attribués chaque année à des personnes individuelles, des groupes et des
organismes dont les actions culturelles ont un effet positif sur le développement de leurs sociétés.
Pour la Fondation Prince Claus, la culture est un besoin fondamental. Répondant à ce principe
directeur, les Prix Prince Claus attirent l’attention sur d’importantes réalisations dans des régions où les
possibilités d’expression culturelle, de production créatrice et de préservation du patrimoine culturel
sont limitées.
Procédure
La Fondation Prince Claus invite des experts culturels de son réseau international à nominer des
candidats pour les Prix. Le bureau de la fondation se charge des recherches et recueille des seconds avis
sur toutes ces nominations.
Le Comité international des Prix Prince Claus se réunit deux fois par an pour étudier les
informations concernant les candidats nominés et par la suite présenter ses recommandations au conseil
d’administration de la Fondation Prince Claus.
Chaque année en décembre, le Grand Prix Prince Claus est remis au lauréat du Grand Prix ainsi
qu’aux autres lauréats au cours d’une cérémonie qui a lieu au Palais royal d’Amsterdam en présence de
membres de la famille royale des Pays-Bas et d’un public international.
Les Prix Prince Claus sont également remis aux lauréats par les ambassadeurs des Pays-Bas au
cours d’une cérémonie dans leurs pays respectifs.
Comité des Prix Prince Claus 2016
Emile Fallaux (président), cinéaste et journaliste, Amsterdam, Pays-Bas
Cheikha Hoor Al Qasimi, curateur et artiste visuel, Sharjah, Emirat de Sharjah
Dinh Q Lê, artiste visuel, Hô-Chi-Minh-Ville, Vietnam
Neo Muyanga, auteur-compositeur-interprète, Le Cap, Afrique du Sud
Manuel de Rivero, architecte et urbaniste, Lima, Pérou
Suely Rolnik, critique d’art et psychanalyste, São Paulo, Brésil
Fariba Derakhshani est coordinatrice du programme des Prix et secrétaire du Comité des Prix.
Formule spéciale pour les Prix à l’occasion du 20e anniversaire de la fondation
Traditionnellement, la Fondation Prince Claus décerne un Grand Prix et dix Prix Prince Claus. En 2016,
pour la célébration de son 20e anniversaire, la Fondation Prince Claus a opté pour une autre approche :
un nombre restreint de lauréats de façon à optimiser l’impact de leur créativité. La fondation décerne
donc cette année un Grand Prix et cinq Prix supplémentaires. Les lauréats de ces cinq Prix recevront un
Prix Prince Claus en reconnaissance de l’excellence de leur contribution à la culture et au
développement, et la possibilité sera donnée à chacun d’eux de soutenir un projet qui, à leur avis,
renforcera et aura une influence positive sur l’extension et le renforcement de la créativité dans leur
environnement.
Données 2016
Pour les Prix Prince Claus 2016, la fondation a invité 350 personnes à proposer des nominations. Au
total, le bureau de la Fondation a reçu et examiné 85 nominations. Le Comité des Prix Prince Claus s’est
réuni les 3 et 4 décembre 2015 et a établi une pré-liste qui a été soumise à une recherche plus poussée
et à des seconds avis d’experts et de conseillers. Lors d’une seconde réunion les 19, 20 et 21 mai 2016,
le Comité des Prix Prince Claus a procédé à une évaluation approfondie des 37 candidats de la pré-liste
et, conformément à la formule adoptée pour le 20e anniversaire de la fondation concernant les Prix, a
sélectionné 6 lauréats pour les Prix Prince Claus 2016. Les recommandations du Comité des Prix ont été
présentées au conseil d’administration de la Fondation Prince Claus en juin 2016.
Programme et critères
Pour la Fondation Prince Claus la culture est un concept large ouvert à toutes les disciplines
intellectuelles et artistiques.
Les Prix Prince Claus sont décernés à des artistes et des intellectuels en reconnaissance de
l’excellence de leur travail et de l’impact de leurs activités culturelles sur le développement de la société.
Les Prix sont attribués à des personnes individuelles, des groupes et des organismes établis
principalement en Afrique, en Asie, en Amérique latine et dans les Caraïbes.
La qualité du travail est une condition sine qua non pour recevoir un Prix Prince Claus. Cette
qualité est évaluée dans le contexte professionnel et personnel des lauréats, et en fonction des
répercussions positives de leur travail dans les domaines culturels et sociaux. Les Prix Prince Claus
récompensent des qualités artistiques et intellectuelles, la recherche et l’innovation, l’audace et la
ténacité. Ils visent à apporter un encouragement aux leaderships qui sont une source d’inspiration et à
accroître les effets positifs de l’expression culturelle sur la société.
Recommandations pour les Prix Prince Claus 2016
Le Grand Prix Prince Claus 2016
Apichatpong Weerasethakul
Thaïlande
Film / Audiovisuel
Cinéaste et artiste audiovisuel, Apichatpong Weerasethakul (1970, Khon Kaen) nous fait voir une
manière différente d’être au monde à travers des films fascinants, d’une grande force d’émotion et de
très haute qualité esthétique et intellectuelle. Il utilise la lumière, le son et l’image de manière suggestive
pour présenter une vision animiste du monde comme un ensemble vibrant où tout est interconnecté et
suscite une prise de conscience que nous sommes anesthésiés par le paradigme rationaliste et le
consumérisme. Rejetant radicalement les formules dramatiques et les conventions hollywoodiennes,
Weerasethakul donne aux spectateurs l’occasion de vivre l’expérience d’un monde sensible plus profond
et plus large.
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Il traite des questions universelles en s’appuyant sur des faits de la vie quotidienne en Thaïlande.
Grâce à d’étonnantes images et à un découpage du film en séquences non linéaires, il véhicule une vision
complexe avec une grande subtilité. L’œuvre imposante de Weerasethakul – six longs métrages et plus
de trente courts métrages - témoigne d’un sens aigu de la nature, du temps et du lieu. Centrée sur une
expérience concrète de l’histoire et sur l’exploration poétique de situations et de personnages aux
gestes retenus et vibrants d’émotion, elle provoque une prise de conscience chez le spectateur. Oncle
Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures (2010) traite de la vie et de la mort, de la mémoire
corporelle et de la présence du passé dans la vie de tous les jours. Dans les films de Weerasethakul, la
fragilité du corps humain, la maladie et les hôpitaux sont les métaphores récurrentes des déséquilibres
d’une nation, des divisions et de l’autoritarisme. Cemetery of Splendor (2015) explore la peur de la vérité,
l’autocratie et l’escapisme à travers une délicate histoire de rapports humains : l’héroïne optimiste et
patriote découvre progressivement la malveillance qui sévit autour d’elle.
Bien que reconnus et primés à l’étranger, les films et les créations visuelles de Weerasethakul
font l’objet de restrictions en Thaïlande. Le cinéaste travaille hors des circuits de l’industrie commerciale
cinématographique thaïlandaise et refuse de s’autocensurer ou de couper ses films. Il soutient la
production et la réalisation de films expérimentaux et indépendants dans sa compagnie Kick the Machine
Films et a créé le Free Thai Cinema Movement. Lorsque Syndromes and a Century (2006) a fait l’objet d’une
censure gouvernementale, il a d’abord refusé de modifier son film, puis il en a diffusé une version
ostensiblement amputée, remplaçant les extraits supprimés par des séquences complètement noires et
orientant les spectateurs vers un visionnage de ces fragments sur YouTube. Des Thaïlandais convaincus
de l’importance politique et esthétique de l’œuvre de Weerasethakul pour le public local font circuler
ses films clandestinement dans son pays natal.
Le travail de Weerasethakul ne se limite pas à une seule forme d’art : il réalise également des
installations et des performances. Ainsi l’installation Fireworks (Archives) avec ses flashs qui font vibrer des
fragments de divinités, d’humains et d’animaux hybrides. Installé la nuit dans le temple Sala Keoku, elle
traite de la mémoire politique, des différents états d’être et de la lumière comme un moyen de
comprendre le monde. Sa performance Fever Room a été présentée pour la première fois en Corée du
Sud en 2015 comme « projet en cours » et a séduit le public du Kunstenfestivaldesarts 2016 à Bruxelles.
Le Prix Prince Claus est décerné à Apichatpong Weerasethakul pour la richesse de ses images, le
lyrisme spirituel et la profondeur intellectuelle d’une œuvre provocante ; pour son analyse subtile mais
non moins puissante des réalités thaïlandaises qui va bien au-delà de sa propre société ; pour sa création
d’un langage cinématographique original qui permet de ressentir un vécu animiste, rétablissant une façon
d’être connecté au monde qui se trouve paralysée par ces mécanismes occidentaux qui perturbent la
capacité du corps à évaluer ce qui est bon pour la vie et ce qui ne l’est pas ; pour sa façon de faire de la
création cinématographique quelque chose de beaucoup plus complexe et de grande portée, démontrant
clairement que l’excellence artistique crée une expérience et est inséparable du social et du politique ; et
pour la source d’inspiration qu’il représente pour beaucoup en refusant les compromis et restant fidèle à
sa propre vision et à ses propres principes.
Les autres Prix Prince Claus 2016
Kamal Mouzawak
Liban
Culture et développement
Chef cuisinier et militant pour la sécurité alimentaire, Kamal Mouzawak (1969, Beyrouth) a transformé sa
passion pour la cuisine libanaise et la production durable de denrées alimentaires en un organisme
dynamique au service du bien-être et du développement social.
En se déplaçant à travers le Liban en tant qu’écrivain culinaire et tout en enseignant l’alimentation
macrobiotique, Mouzawak a acquis une compréhension profonde du savoir et des compétences des
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communautés rurales, mais il a constaté également les difficultés rencontrées par les petits exploitants
agricoles, en particulier leur incapacité à trouver des acheteurs. En 2004, il fonde Souk El Tayeb (« Le
marché du bien »), le premier marché fermier de Beyrouth où l’on trouve de délicieux produits locaux,
cultivés de manière éthique et vendus à des prix équitables et abordables. L’ambiance agréable de ce
marché très animé attire des gens de tous âges, issus de tous les secteurs de la société libanaise et quelle
que soit leur appartenance politique, leur classe sociale, leur religion ou leur origine ethnique.
Mouzawak travaille en collaboration étroite avec les agriculteurs pour garantir une production de
haute qualité respectueuse de l’environnement. Il propose des formations pour la préparation, le
stockage, l’emballage et la commercialisation des denrées alimentaires, et des conseils sur l’amélioration
des produits et la certification « produits biologiques ». Il a créé un programme d’échanges entre
agriculteurs pour renforcer les liens entre producteurs et participé à la formation d’un organe
représentatif pour les droits et les intérêts des exploitants agricoles.
En 2009, Mouzawak ouvre Tawlet (« Table »), un restaurant coopératif où chaque jour un membre
différent de la communauté Souk El Tayeb propose des plats authentiques de sa région. Beaucoup des
cuisiniers sont des femmes du monde rural qui ont perpétué les traditions culinaires libanaises en
cuisinant pour leurs familles, transmettant ainsi leur savoir de génération en génération. Tawlet propose
également des cours de cuisine et organise des campagnes santé-environnement. Le restaurant a
désormais des filiales dans la plaine de la Bekaa, dans les montagnes du Chouf et à Batroun.
Parmi les autres initiatives de Souk El Tayed, on trouve : des programmes santé-écologie dans les
écoles, une boutique coopérative, des festivals « Food and Feast » à travers le pays qui vantent les
spécialités locales, des projets de formation cuisine avec des réfugiés syriens et palestiniens et un réseau
de restaurants où les cuisiniers s’engagent à préparer un plat traditionnel de chaque région pour montrer
la diversité du Liban.
Le Prix Prince Claus est décerné à Kamal Mouzawak pour la réconciliation et le respect qu’il
inspire entre les différentes communautés, jetant des ponts par-dessus les divisions ethniques, religieuses,
politiques et sociales par le partage d’un besoin humain et le plaisir de la table ; pour la préservation et la
promotion du riche patrimoine culinaire libanais au regard des générations futures ; pour le nouvel élan
et l’encouragement apporté à l’économie alimentaire locale et à l’agriculture biologique au Liban ; pour
sa façon de souligner de l’importance des communautés rurales et de la nécessité de les développer
équitablement ; pour sa mise en évidence du besoin d’alternatives au système d’approvisionnement
alimentaire à grande-échelle qui conduit à une dégradation de l’environnement et de la santé publique, et
engendre des problèmes socioculturels ; et pour sa démonstration que notre façon de nous alimenter au
quotidien peut avoir un impact positif ou négatif sur nos vies, sur les communautés locales et sur
l’environnement.
PeaceNiche | The Second Floor (T2F)
Pakistan
Culture et développement
The Second Floor (2007, Karachi) est un espace multidisciplinaire axé sur le changement social et la
résolution de conflits par le biais du dialogue et de l’engagement culturel. C’est un lieu accueillant où les
gens peuvent se réunir, bavarder et rire, écouter de la musique et de la poésie, discuter politique en
anglais, en ourdou et dans d’autres langues vernaculaires, ou simplement boire un café. Cet endroit
somme toute banal est exceptionnel, une véritable source d’« oxygène social », dans un contexte où
l’espace public se rétrécit de plus en plus et où des lois récentes réduisent la liberté d’expression.
A la fois café, librairie et zone polyvalente, The Second Floor (T2F) réunit la culture de l’élite et la
culture populaire, et ses portes sont ouvertes à tous. Des expositions d’art y sont proposées ainsi que
des conférences scientifiques, des forums sur les droits de l’homme et les nouvelles lois, des rencontres
avec des écrivains, des représentations théâtrales, des séances de cinéma, des soirées ouvertes aux
amateurs et à la comédie stand up. Les spectacles musicaux y sont nombreux : des traditionnels qawwalî
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mehfil et des cours de tablâ aux jam sessions et aux productions de musique électronique expérimentale.
T2F organise également le festival populaire Creative Karachi Festival. Il dirige des programmes relatifs au
bien-être affectif pour les écoles et propose des cours de formation sur la santé mentale. Tout
récemment, il a initié le premier hackathon civique de la ville : les Karachites se sont réunis pour
réfléchir ensemble à des solutions technologiques aux problèmes urbains.
T2F attire un public très divers et établit des passerelles entre les générations et les classes
sociales. Il répond aux préoccupations des minorités et des groupes marginalisés, et est un pôle de
rencontre pour les intellectuels, les travailleurs sociaux et les artistes. Plateforme indépendante pour la
participation, la contestation et la collaboration, il crée chez les jeunes la confiance dont ils ont besoin
pour s’engager dans l’espace public, entreprendre, expérimenter, poser des questions et participer aux
débats actuels. En 2015, T2F accueillait une centaine de visiteurs tous les jours et, à son exemple, des
initiatives similaires ont vu le jour à Islamabad et à Lahore.
Projet phare de PeaceNiche, une organisation non lucrative installée à Karachi, T2F a été créé par
feu Sabeen Mahmud. Cette éminente militante pakistanaise des droits de l’homme a été abattue alors
qu’elle venait d’assister à une soirée discussion à T2F sur la situation dans le Baloutchistan. Confrontés à
cette grande perte, les amis et les sympathisants de T2F se sont immédiatement mobilisés et les activités
du centre, désormais dirigé par Marvi Mazhar, continuent à revitaliser le paysage culturel de Karachi.
Le Prix Prince Claus est décerné à T2F pour son courageux maintien de ce qui devrait être des
activités urbaines normales ; pour la promotion de la parole démocratique, de la pensée progressiste et
du débat critique dans une société de plus en plus polarisée ; pour la création d’un havre de tolérance,
accueillant toutes les nuances d’opinion dans un cadre de paix et de laïcité ; pour sa façon de stimuler
l’expression artistique dans les disciplines les plus diverses et d’encourager l’expérimentation qui remet
en cause les conventions locales ; pour l’accompagnement et la plateforme de soutien qu’elle offre aux
générations plus jeunes pour exercer leurs talents et exprimer leurs opinions.
Bahia Shehab
Egypte / Liban
Design
Graphiste, historienne, enseignante et artiste militante, Bahia Shehab (1977, Beyrouth) possède une
formidable connaissance de la culture visuelle arabe dans tous ces domaines. Pour son grand projet en
cours, elle collecte des exemples anciens de calligraphie arabe en vue de réaliser une encyclopédie.
L’objectif de cette fastueuse encyclopédie de calligraphie arabe est de sensibiliser les designers, de les
reconnecter avec leur patrimoine et d’inspirer des innovations.
L’œuvre de 7x3,5m intitulée A Thousand Times No (2010) et basée sur cette recherche montre les
innombrables mutations de deux lettres – lam et alif – depuis 1400 ans. Ces lettres ont été cousues,
modelées, gravées et coulées, sur des vases, des pierres tombales, des manuscrits et des murs, dans des
lieux qui vont de l’Espagne aux frontières de la Chine. Durant le Printemps arabe, cette archéologie du
langage visuel s’est transformée en militantisme pratique. Mettant en avant le rôle du visuel dans les
manifestations, Shehab a tagué et dessiné au pochoir le mot « non » dans les rues du Caire l’associant à
des déclarations telles que « non à la violence » et « non au régime militaire ». Ce n’était pas de simples
slogans puisqu’ils se rapportaient à des cas spécifiques d’abus de pouvoir. Parmi ses autres graffitis,
l’emblématique « soutien-gorge bleu » qui suscita une réaction massive du public faisait référence à
l’affaire d’une jeune femme déshabillée et battue par des policiers égyptiens.
Dans sa pratique de l’art contemporain, Shehab combine l’histoire de l’art musulman avec les
politiques arabes actuelles et un discours féministe : des interventions de rue fondées sur la littérature
arabe à des installations comme Azaan, composée de peintures de minarets provenant de plusieurs
régions du monde musulman et d’un environnement sonore de l’appel à la prière interprété par une
femme. Shehab conçoit et organise également des expositions et des projets d’art communautaire au
Caire.
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Professeur associée au Département des arts de l’Université américaine au Caire (AUC), elle a
élaboré et lancé le programme de design graphique de l’AUC qui propose des cours spécialisés sur la
civilisation arabe, en particulier la calligraphie – une première dans le monde arabe. Engagée dans la
revalorisation de l’éducation artistique en Egypte, Bahia Shehab encourage la création de nouvelles
polices de caractères numériques pour la langue arabe si riche en signes. Elle est aussi un exemple actif
pour ses étudiants car elle développe elle-même de nouvelles polices de caractères qu’elle utilise dans
ses œuvres de rues.
Le Prix Prince Claus est décerné à Bahia Shehab pour sa façon de transformer son exceptionnelle
recherche sur la calligraphie arabe en matériel pour un activisme social et politique, de créer des œuvres
d’art contemporain et d’en faire un usage commercial ; pour sa diffusion de la culture visuelle arabe du
passé et sa démonstration de l’immense potentiel qu’elle représente pour les designers d’aujourd’hui ;
pour son enseignement, son accompagnement et pour l’exemple féminin transnational qu’elle représente
pour les générations plus jeunes ; pour sa façon d’établir des passerelles entre l’histoire et la modernité,
l’université et le monde commercial, les rues et les galeries, l’Orient et l’Occident, l’art et la révolution.
La Silla Vacía
Colombie
Media / Journalisme
La Silla Vacía (LSV) – La Chaise Vide (2009, Bogota) est un portail interactif en ligne qui a acquis une
grande réputation de fiabilité et maintient des normes journalistiques d’un très haut niveau. LSV
s’intéresse tout particulièrement aux informations et aux récits concernant la façon dont le pouvoir
s’exerce en Colombie, ainsi qu’aux stratégies et aux intérêts qui sous-tendent les grandes prises de
décision dans le pays.
Fondé par Juanita León (directrice) et géré par une petite équipe, LSV est une expression
réellement indépendante dans un contexte où la majorité des médias traditionnels se trouve entre les
mains d’entreprises privées travaillant avec des agendas politiques ou économiques. Ces dernières
années, les médias classiques ont joué un rôle actif dans l’élaboration de coups d’Etat dans de nombreux
pays d’Amérique latine. Les initiatives de presse qui ne s’alignent pas sur cet agenda ont donc un rôle de
plus en plus important à jouer. Ni presse activiste « alternative » ni élément de l’establishment, LSV
utilise un matériel strictement basé sur des données de recherche et sur des faits provenant de multiples
sources. Son analyse rigoureuse offre un débat raisonné sur des questions que d’autres sont peu enclins
à aborder, tel que le lien entre les politiques, les groupes paramilitaires et les scandales de corruption.
LCV expérimente constamment de nouvelles stratégies numériques pour mobiliser le public. Elle
excelle dans l’innovation journalistique, engageant souvent des artistes, des musiciens et des designers, et
utilisant des cartes, des graphiques et des récits visuels pour transmettre les informations de manière
claire et intéressante. LCV permet aux utilisateurs d’interviewer des politiques en temps réel sans
l’intermédiaire de journalistes, accueille des conférences vidéo interactives et propose une rubrique où
les leaders d’opinion répondent à « la question de la semaine » directement en ligne. Faisant usage de
Facebook pour solliciter de nouvelles sources, lancer des forums et partager des débats, LSV édifie des
bases de données accessibles sur des sujets spécifiques, couvre des événements en direct via Twitter et
U-stream, et gagne une crédibilité supplémentaire par la publication d’informations brutes et de matériel
en vertu de la loi sur l’accès à l’information (Freedom of Information Act) de façon à ce que les
utilisateurs puissent se faire eux-mêmes leur opinion.
LSV dirige également des projets pluridimensionnels à long terme qui assurent la visibilité des
grandes questions sociales, ainsi Proyecto Rosa qui publie les récits de victimes d’expulsions forcées de
terres agricoles. LSV couvre avec une attention tout particulière l’actualité régionale et propose des
formations et des séminaires sur le journalisme d’investigation en Amérique latine et centrale. Avec une
moyenne de 400 000 visiteurs uniques et de 1.200.000 pages consultées par mois, LSV est un modèle
pour les médias numériques dans la région. Elle est d’ailleurs fréquemment citée par les autres médias et
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des chroniqueurs très respectés.
Le Prix Prince Claus est décerné à LSV pour sa formidable contribution à la citoyenneté et à la
démocratie en Colombie ; pour son intégrité qui crée la confiance, et la transformation qu’elle opère
dans la culture journalistique locale en proposant une approche analytique rigoureuse dans un contexte
d’une grande complexité ; pour son observation attentive des structures du pouvoir en Colombie et
l’aide apportée à la population pour déconstruire la désinformation et les jeux de pouvoir diffusés par les
médias classiques ; et pour sa façon d’encourager la participation des citoyens au débat national en
donnant la parole à chacun et en bâtissant une société civile bien informée.
Vo Trong Nghia
Vietnam
Architecture
Vo Trong Nghia (1976, Quang Binh Province) est un architecte dont les projets écologiques du XXIe
siècle transforment les zones urbaines et les mentalités au Vietnam. Travaillant avec une équipe
d’innovateurs - architectes, ingénieurs et artisans - dans le cabinet Vo Trong Nghia Architects (fondé en
2006), il met en œuvre des solutions pour contrecarrer le paradigme néolibéral qui transforme les villes
en déserts de béton.
Le fondement des projets de Vo, qui vont de structures grand public et d’équipements
universitaires à des restaurants et des habitations, réside en l’utilisation d’éléments naturels pour créer
des bâtiments fonctionnels qui s’enracinent dans la culture locale et conviennent aux climats tropicaux. A
l’école de Binh Duong, les façades en lamelles et écrans perforés laissent la lumière naturelle entrer et
l’air circuler librement ce qui permet d’éviter la climatisation électrique, coûteuse et dommageable pour
l’environnement. Pour pallier à la perte de jardins provoquée par l’urbanisation rapide, à l’école Farming
Kindergarten, les enfants font pousser des fleurs et des légumes sur le toit qui descend en pente jusqu’aux
pelouses des terrains de jeu, l’énergie solaire chauffe l’eau et les eaux usées sont recyclées pour irriguer
les plantes et alimenter les chasses d’eau des toilettes.
Pour l’habitation Stacking Green, construite sur une parcelle de ces typiques maisons-tubes de 20
mètres de profondeur et de seulement 4 mètres de largeur - d’où habituellement des intérieurs sombres
et humides durant la mousson – Vo s’est laissé influencer par la tradition locale de cultiver des plantes en
pots sur toutes les surfaces disponibles. La maison possède une toiture végétalisée et des façades avant
et arrière constituées de jardinières superposées qui offrent un éclairage naturel, une ventilation
transversale, un filtrage des rayons du soleil et la préservation de la vie privée, tout en réduisant les
nuisances sonores et en purifiant l’air. Des solutions similaires ont été appliquées pour de grands
immeubles, avec un jardin terrasse sur le toit reliant les tours flanquées de balcons en bambous sur la
façade avant. House for Trees est à l’inverse une habitation conçue comme une série de pots de fleurs
géants plantés d’arbres qui au fil des ans se transforment en une voûte végétale.
Vo défend avec force l’exigence impérative de 50 pour cent de toits « verts » pour les nouveaux
aménagements. Dans ses interventions télévisées, ses séminaires et diverses manifestations, il engage le
débat sur tous les aspects de l’espace bâti. Actuellement Vo travaille sur un prototype de logements à
bas coûts et sur un master plan urbain pour Hô-Chi-Minh-Ville.
Le Prix Prince Claus est décerné à Vo Trong Nghia pour son extraordinaire architecture qui
respecte l’environnement et redynamise le paysage urbain du Vietnam ; pour la création d’un programme
« vert » de pratiques rationnelles en matière d’espace, spécifique pour le Vietnam, qui concilie culture et
nature et a un effet positif pour la vie de la collectivité ; pour sa façon de proposer des alternatives
architecturales viables et durables qui démontrent aux résidents, aux officiels et aux développeurs qu’un
tel changement est possible ; pour la façon dont il sensibilise et influence l’opinion publique sur le besoin
d’améliorer les conditions de vie de millions de citadins ; et pour la promotion de l’architecture comme
forme d’activisme pour le changement social et la propagation d’un avenir plus vert.
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