Transformation et tradition: « Bonne épouse, sage mère

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Transformation et tradition: « Bonne épouse, sage mère
Transformation et tradition: « Bonne épouse, sage
mère » au cœur de l‟après-guerre
ALEXANDRE PAQUET
Résumé
Vers la fin du XIXe siècle, une nouvelle définition de l‟idéal de la femme
japonaise émerge telle que représentée par l‟appellation « bonne épouse, sage
mère ». Le gouvernement japonais fait alors la promotion d‟un rôle de la
femme mettant l‟accent sur la gestion des affaires du ménage et l‟éducation des
enfants. En raison des transformations qui suivent la Deuxième Guerre
mondiale, un nouveau discours de deuil de la « bonne épouse, sage mère »
prend rapidement forme au sein du Japon de l‟après-guerre. Bien qu‟il soit
essentiel de préciser que ce symbole n‟a pas complètement disparu après la
guerre, il est tout de même évident que les repères de l‟identité des femmes
japonaises changent considérablement durant l‟après-guerre. Tout en
considérant cet aspect symbolique, le texte qui suit cherche également à situer
l‟importance des facteurs économiques dans ce processus de transformation.
Abstract
Towards the end of the nineteenth century a new definition of the ideal
Japanese woman emerged, as represented by the term “good wife, wise
mother.” The Japanese government promoted the role of women with a
particular focus on household management and raising children. Resulting
from changes following the Second World War, a new discourse mourning the
“good wife, wise mother” developed quickly in post-war Japon. While it is
essential to note that this symbol did not completely disappeared after the war,
it is evident that Japanese women‟s changed significantly during the post-war
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period. While considering this symbolic aspect, the following paper also seeks
to situate the importance of economic factors in the transformation process.
🍁
Introduction
Takeuchi Yoshimi, intellectuel influent de la période de l‟après-guerre au
Japon, s‟interroge sur le discours du gouvernement japonais qui mettait
l‟accent sur l‟importance de « surpasser la modernité » et en vient à la
conclusion que la modernité orientale est en fait le résultat de la coercition
européenne.1 La modernité s‟inscrit dans une double dynamique. Dans un
premier temps, l‟Europe amène en Orient des moyens de production, des
institutions sociales et une conscience humaine qui permettent la naissance
d‟éléments nouveaux qui n‟auraient jamais existé autrement. Cependant, afin
d‟être l‟Europe, l‟Europe devait envahir l‟Orient. Cette quête d‟identité par
laquelle l‟Europe moderne s‟est forgée en opposition à l‟Autre dans sa
rencontre avec l‟Orient était essentielle au progrès de l‟ère moderne. Il
s‟agissait de son destin inévitable qui accompagnait sa libération.2 Mais
l‟Orient, plus spécifiquement la Chine et le Japon en ce qui concerne l‟analyse
de Takeuchi, a résisté à ces intrusions européennes et c‟est à travers cette
résistance qu‟il s‟est modernisé. En s‟interrogeant sur le discours pendant la
guerre, Takeuchi reconnaît qu‟elle n‟a pas entraîné la fin du moderne.3 Si la
Deuxième Guerre mondiale, par toute sa violence et ses ambiguïtés, n‟a pas
directement mis fin à la modernité pour propulser le Japon dans ce qui est
couramment appelé la postmodernité, on est en droit de se demander dans
quelle mesure celui-ci s‟est retrouvé transformé dans la période de l‟immédiat
après-guerre. Il est peut-être trop souvent présumé que, notamment en raison
1. Yoshimi TAKEUCHI, What is modernity? : writings of Takeuchi Yoshimi (New York:
Columbia University Press, 2005), p. 53.
2. Ibid., p. 55.
3. Harry D. HAROOTUNIAN, « Visible Discourses/Invisible Ideologies », dans
Masao MIYOSHI et Harry D. HAROOTUNIAN (dirs.), Postmodernism and Japan (Durham, NC:
Duke University Press, 1989), p. 72.
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de cette image d‟un pays en pleine croissance économique sans précédent,
l‟après-guerre est automatiquement synonyme de grands changements. Ceci
est d‟autant plus évident en ce qui concerne la situation des femmes japonaises
alors qu‟un discours de deuil pleurant la disparition de l‟idéal de la « bonne
épouse, sage mère » fait surface dans les années suivant la guerre. S‟il est vrai
que l‟après-guerre constitue sans aucun doute une période où les femmes
militent activement pour l‟égalité dans la société en créant et en intégrant des
unions de travailleurs et de femmes au foyer4, il n‟en demeure pas moins que
les questions quant aux véritables transformations du rôle réel et envisagé des
femmes restent en suspens. En somme, la « bonne épouse, sage mère » n‟estelle rien d‟autre qu‟une image du passé ou persiste-t-elle encore dans la
période de l‟après-guerre?
S‟il était imprudent de présumer que la fin de la guerre entraîne des
changements immédiats, il ne serait pas plus avisé de penser que les anciennes
traditions demeurent inchangées. Il apparaît donc sensé d‟adopter une
position plus nuancée qui opte pour la possibilité de nombreux changements
significatifs tout en ne négligeant pas le maintien de traditions depuis
longtemps internalisées. Tenant compte de l‟essor économique du Japon à la
suite du chaos de l‟immédiat après-guerre, il serait possible de croire que les
changements dans l‟ordre économique du pays ont affecté la situation d‟une
façon ou d‟une autre, que ce soit en ce qui a trait à l‟emploi, la consommation
et l‟épargne. C‟est dans cette perspective que l‟essai qui suit cherche dans
l‟historiographie des changements économiques affectant le Japon et plus
particulièrement les femmes. En parcourant cette historiographie de l‟aprèsguerre, il devient clair que les transformations identitaires des femmes sont la
plupart du temps en réponse à des réalités économiques précises. Le présent
essai cherche donc à démontrer que l‟historiographie ayant comme objet
d‟étude les femmes japonaises de l‟après-guerre établit trois grandes lignes
directrices dans l‟analyse des changements qui se produisent durant cette
période. Dans un premier temps, le concept de « bonne épouse, sage mère »
persiste bien qu‟il subisse des transformations importantes. En second lieu, les
4. Vera C. MACKIE, Feminism in modern Japan: citizenship, embodiment, and sexuality
(Cambridge: Cambridge University Press, 2003), p. 135.
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changements affectant le marché du travail et les nouvelles initiatives de
syndicalisation offrent de nouvelles possibilités aux femmes, mais ne
parviennent pas nécessairement à instaurer l‟égalité avec les hommes.
Finalement, le Japon de l‟après-guerre se caractérise par une croissance
significative de la consommation et des taux d‟épargne sans égal, réalités dans
lesquelles les femmes jouent un rôle très important à la fois « moderne » et
« traditionnel ».
Perturbation et continuité
Le concept de « bonne épouse, sage mère » prend forme à la fin du XIXe
siècle et commence véritablement à se manifester comme l‟idéologie de l‟État
au début du siècle suivant. Dans un article intitulé « The Death of “Good
Wife, Wise Mother”? », Kathleen S. Uno, sceptique du discours pleurant la
mort de celle-ci, se questionne quant à la véritable transformation de l‟identité
féminine dans la période de l‟après-guerre. Elle précise que bien qu‟il s‟agisse
de l‟idéologie articulée par l‟État, le concept ne peut parvenir à une
homogénéité complète en raison du simple fait qu‟il ne représente pas
adéquatement l‟expérience de toutes les femmes et qu‟il y a déjà au début du
XXe siècle des voix dissidentes provenant de féministes.5 Néanmoins, Uno
avance que, malgré la diminution de l‟intensité des tentatives ouvertes de l‟État
de dicter la féminité après 1945, la vision transmutée des femmes mettant
l‟accent sur leurs différences par rapport aux hommes en ce qu‟elles sont des
épouses liées au foyer ainsi que des mères continue d‟influencer les politiques
étatiques.6 Dans cet ordre d‟idées, les femmes ont la lourde tâche de
contribuer au bien de la nation par leur labeur en tant que « bonne épouse » et
de « sage mère » dans l‟univers privé du foyer. Si une bonne épouse doit gérer
les affaires du ménage et assurer le bien-être de ses membres adultes, la sage
mère doit quant à elle se dévouer à élever ses enfants afin qu‟ils deviennent
5. Kathleen S. UNO, « The Death of “Good Wife, Wise Mother”? », dans Andrew
GORDON (dirs.), Postwar Japan as history (Berkeley, CA: University of California Press, 1993), p.
294.
6. Ibid., p. 295.
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des sujets impériaux loyaux et obéissants.7 Les responsabilités des femmes
sont perçues comme complémentaires à celles de leur époux, ce qui fait de
leur rôle un aspect fondamental de la société.
Uno propose trois raisons majeures de l‟ascendance de la maternité
durant la période de l‟après-guerre. En premier lieu, les mères deviennent plus
visibles au sein du foyer familial puisqu‟elles ne partagent plus le même toit
que la mère de leur époux. De plus, la diffusion d‟aspirateurs, de machines à
laver, de réfrigérateurs et autres appareils électroménagers réduit le fardeau des
tâches ménagères, ce qui offre plus de temps pour élever les enfants.
Finalement, l‟augmentation des emplois salariés réduit la proportion de
femmes travaillant dans les entreprises familiales.8 Dans ce passage du devoir
de production et reproduction, les femmes ont dorénavant l‟obligation de
gérer les affaires du ménage tout en s‟engageant dans un emploi rémunéré si
nécessaire. En effet, en raison de la pénurie de main- d‟œuvre qui sévit dans
l‟après-guerre9, le gouvernement japonais cherche à attirer sur le marché du
travail les femmes mariées qui se retrouvent avec cette fameuse double
journée de travail. Kathleen S. Uno dresse donc le portrait d‟un rôle
transformé pour les femmes japonaises, mais qui demeure bien ancré au sein
du concept de « bonne épouse, sage mère ». À vrai dire, il semble plutôt que
les nouvelles réalités de l‟après-guerre s‟intègrent au concept plutôt que de le
transformer. Toutefois, il ne fait aucun doute que l‟après-guerre entraîne une
série de changements avec lesquelles les femmes japonaises doivent composer.
Mais avant de progresser, il est à propos d‟effectuer un retour sur l‟émergence
du concept « bonne épouse, sage mère ».
Dans un texte traitant de la mystique de la maternité, Masami Ohinata
explique comment l‟importance de mettre au monde et d‟élever de futurs
soldats donne au rôle des femmes une importance sans précédent au début du
XXe siècle, alors que la famille est perçue en quelque sorte comme le serviteur
7. Ibid., p. 297.
8. Ibid., p. 304.
9. Ibid., p. 305.
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de base de l‟État.10 La responsabilité de développer un pays riche et une armée
forte est transférée de l‟État à la famille et du même coup de la famille à la
mère, ce qui peut mener à un idéalisme démesuré quant à l‟amour de la mère
et sa dévotion envers ses enfants. Si les mères sont importantes dans le
discours de la guerre, Ohinata affirme que l‟accent porté sur la maternité se
poursuit dans la période de l‟après-guerre, alors que la famille devient le centre
des activités de consommation et de reproduction d‟énergie.11 Similaire aux
discours d‟avant-guerre où l‟on implore la nécessité de produire de futurs
soldats, la période de l‟après-guerre nécessite la production de la force de
travail de demain. Les parallèles entre l‟avant- et l‟après-guerre sont
particulièrement instructifs quant au maintien du rôle des femmes dans une
perspective confinée au foyer familial. Toutefois, certains aspects de la réalité
des femmes et de leur rôle subissent tout de même des transformations. Il est
donc essentiel de se pencher sur les raisons derrière ces changements et sur le
contenu du discours entourant la « bonne épouse, sage mère ».
Comme ce fut mentionné précédemment, Kathleen S. Uno affirme
que la visibilité des mères au sein du foyer augmente dans la période de
l‟après-guerre. À ce chapitre, l‟ouvrage Women and family in contemporary Japan de
Susan D. Holloway permet d‟éclaircir certaines réalités qui expliquent cette
nouvelle visibilité des mères. En effet, les ménages d‟avant la Restauration
Meiji de 1868, qui voit la classe des samouraïs jouer un rôle de premier ordre
dans le retour au pouvoir de l‟empereur tout comme dans l‟instauration d‟un
appareil administratif moderne, étaient généralement organisés autour d‟une
famille élargie. Cette dernière incluait non seulement le chef du foyer avec son
épouse et ses enfants, mais également ses parents, d‟autres membres non
mariés de la famille, des serviteurs, des apprentis et parfois même des
maîtresses et leurs enfants.12 Par conséquent, le statut des jeunes mères était
10. Masami OHINATA, « The Mystique of Motherhood: A Key to Understanding
Social Change and Family Problems in Japan », Kumiko FUJIMURA-FANSELOW et Atsuko
KAMEDA (dirs.), Japanese women: new feminist perspectives on the past, present, and future (New York:
Feminist Press at the City University of New York, 1995), p. 200.
11. Ibid., p. 202.
12. Susan D. HOLLOWAY, Women and family in contemporary Japan (New York:
Cambridge University Press, 2010), p. 29.
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inférieur à celui de ses beaux-parents et de son mari en plus de ne pas être
exclusivement responsables du soin des enfants. Ce n‟est qu‟après la
restauration que ce type de ménage est perçu comme indiscipliné par le
gouvernement et que des mesures sont prises afin de transformer le mode de
vie des familles.13 Avec la Restauration de Meiji, Holloway souligne qu‟il y a un
désir de réinventer les ménages en tant qu‟unité familiale officielle. C‟est ainsi
que les réformateurs empruntent des idées occidentales, les adoptent aux
valeurs japonaises et en font la promotion.14 Ce qui finalement consiste à
réduire l‟unité familiale aux éléments centraux de l‟homme, de son épouse et
de ses enfants en excluant tous les autres membres. Il devient donc essentiel
pour les femmes d‟occuper un rôle plus important dans le soin et l‟éducation
des enfants, alors que le foyer devient un environnement éducatif pour ceuxci. C‟est ainsi que le discours dressant le portrait de la femme au foyer comme
gestionnaire du ménage et instructrice morale commence à faire surface dans
les documents gouvernementaux où le terme « bonne épouse, sage mère »
prend forme.15 S‟il en est ainsi de l‟image idéalisée des femmes japonaises,
quand est-il de la réalité durant l‟après-guerre? Certaines auteures semblent
suggérer que suffisamment de femmes se conforment à ces idéaux et
internalisent ce discours de la maternité.
Dans un article intitulé « Professional Housewive: The Career of
Urban Middle Class Japanese Women », Suzanne H. Vogel porte un regard sur
les vies et rôles sociaux de quelques femmes typiques de classe moyenne. Bien
que cette approche repose sur des sources plutôt limitées et que l‟auteure en
tire des conclusions peut-être simplistes par moment, ce texte demeure
pertinent notamment par le fait qu‟il est rédigé en 1978. Il s‟agit de l‟époque
tout juste après la période de forte croissance économique du Japon et, par
conséquent, elle se situe temporellement à proximité de l‟après-guerre. Vogel
mentionne, avec statistiques à l‟appui, que la majorité des femmes japonaises
13. Shoko ISHIZAKI, « Principles of Procreation and the Family in Modern Japan:
Factors behind Decisions on family Size », dans Hiroko TOMIDA et Gordon DANIELS
(dirs.), Japanese women: emerging from subservience, 1868–1945 (Folkestone, Kent: Global Oriental,
2005), p. 288.
14. HOLLOWAY, loc. cit., p. 30.
15. Ibid., p. 32.
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désire se marier et en fait leur principale carrière alors qu‟une minorité décide
de poursuivre la double carrière à l‟intérieur et à l‟extérieur du foyer familial.16
Elle précise que la femme doit s‟occuper de toutes les affaires du ménage en
mettant l‟accent sur l‟importance de développer le plus rapidement possible
une stratégie afin de permettre à ses enfants d‟entrer dans les meilleures écoles
possible.17 Elle identifie également certaines ressemblances avec des réalités
qui caractérisent la situation des femmes américaines durant l‟après-guerre
telles que l‟arrivée de nouvelles technologies domestiques réduisant la charge
de travail des femmes et l‟apparition de la famille nucléaire.18 D‟autre part,
Vogel suggère aussi que bien que l‟après-guerre offre de nombreuses nouvelles
opportunités de travailler à l‟extérieur du foyer, le nombre de femmes qui
décident de continuer leur carrière après le mariage pour leur émancipation
personnelle demeure plutôt restreint. L‟article de Vogel semble confirmer que
le rôle des femmes japonaises ne subit pas de grandes transformations après la
Seconde Guerre mondiale et qu‟il est majoritairement accepté par celles-ci.
Merry White poursuit dans cette direction avec un article intitulé
« The Virtue of Japanese Mothers: Cultural Definitions of Women‟s Lives »
qui présente le contexte culturel des femmes japonaises marqué par la
séparation des sphères, qui caractérisent particulièrement les mariages de la
classe moyenne où l‟homme travaille à l‟extérieur du ménage et la femme à
l‟intérieur de celui-ci.19 D‟ordinaire, la femme gère le salaire de son mari et lui
attribue une allocation tout en s‟occupant de la vie quotidienne des enfants, de
l‟achat de vêtements et d‟équipements, du ménage et de la préparation des
repas. White insiste sur le fait que la valeur placée sur le rôle des femmes
japonaises est directement dérivée du consensus national selon lequel la
ressource la plus importante est les enfants. Avec l‟âge, « the „good wife‟ thus
[yields] to the „wise mother‟ dedicated to the care and education of the
16. Suzanne H. VOGEL, « Professional Housewive: The Career of Urban Middle
Class Japanese Women », Japan Interpreter 12 (1978): p. 17.
17. Ibid., p. 26.
18. Ibid., p. 36.
19. Merry WHITE, « The Virtue of Japanese Mothers: Cultural Definitions of
Women‟s Lives », Daedalus 116 (1987): p. 153
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children. »20 La période de l‟après-guerre semble confiner les femmes aux
mêmes rôles que ceux attribués à la « bonne épouse, sage mère » avant la
guerre. Il serait toutefois simpliste de penser que l‟image de la femme ne subit
aucune transformation au cours des années. En effet, le portrait dépeint des
femmes, bien que majoritairement centré sur la maternité, ne peut être réduit à
un concept statique de la fin de la guerre jusqu‟aux années 1980.
À ce chapitre, les représentations des femmes dans les revues ciblant
les femmes elles-mêmes offrent une perspective analytique mettant en
lumières des transformations significatives dans l‟image des femmes de l‟aprèsguerre. Bien que le commencement de la revue pour femme moderne soit
habituellement associé à la période Meiji, il serait mal indiqué de croire que les
femmes japonaises n‟avaient pas accès à des textes les ciblant auparavant, ce
qui suggère une longue tradition de femmes écrivaines.21 Dans un article
portant sur les « Decent Housewives and Sensual White Women –
Representations of Women in Postwar Japanese Magazines », Emiko Ochiai
souligne qu‟il existe un contraste important entre les publications de
l‟immédiat après-guerre et celles qui surviennent au milieu des années 1950. 22
En effet, l‟atmosphère est déjà beaucoup plus détendue à partir de 1955 alors
que l‟intérêt dans les cosmétiques et la mode est revivifié et qu‟il est possible
de trouver une vénération explicite du standard de beauté à l‟occidentale. Elle
note toutefois que, rapidement, l‟image des filles dans une posture de stabilité
en tant que jeunes épouses prend de l‟importance à la veille de la
popularisation de la femme au foyer et de la rapide croissance économique.23
Néanmoins, il est possible d‟observer la pénétration des valeurs occidentales
tandis que plusieurs revues imitent la culture des revues occidentales. Dans ce
même ordre d‟idées, l‟image de la femme subit une transformation majeure
dans les années 1960 en réponse à la culture de la jeunesse qui engendre des
fluctuations partout dans le monde. À ce sujet, l‟auteure précise que « before
20. Ibid., p. 154.
21. Sarah FREDERICK, Turning pages: reading and writing women’s magazines in interwar
Japan, (Honolulu: University of Hawaii Press, 2006), p. 7.
22. Emiko OCHIAI, « Decent Housewives and Sensual White Women –
Representations of Women in Postwar Japanese Magazines », Japan Review 9 (1997), p. 153.
23. Ibid.
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this time, at the very least sex was veiled in discretion, but now it has been
brought to the forefront. »24 Des publicités commencent à combiner un
portrait ambigu où les femmes sont présentées comme des objets sexuels
s‟exposant en toute liberté au regard des hommes même si, en fin de compte,
ce sont les hommes qui prennent l‟initiative. Le regard porté par Ochiai sur les
revues pour femmes de l‟après-guerre apporte des nuances révélatrices à
l‟image traditionnelle de la femme au foyer qui, bien que présente dans les
revues, se transforme considérablement au fil du temps.
L‟historiographie de la « bonne épouse, sage mère » semble indiquer
que malgré quelques perturbations au cours de la période de l‟après-guerre,
l‟image de la femme au foyer persiste à dominer le discours sur les femmes.
Dans cet ordre d‟idées, il existe une continuité inévitable perpétuant les
symboles de l‟avant-guerre. Certains changements s‟opèrent par contre,
notamment en ce qui concerne l‟accent renouvelé, sinon accentué, sur la
maternité qui situe la femme au centre des préoccupations. Bien que
manifestant une évidente continuité, l‟image des femmes n‟est certes pas
statique. Elle s‟inspire de traditions, mais les adapte aux nouvelles réalités de
l‟après-guerre. Le Japon subit toutefois d‟importants changements durant cette
période. L‟analyse du discours sur les femmes n‟est donc pas suffisante pour
offrir une représentation fidèle de la situation réelle des femmes. En se
penchant sur de nombreuses questions d‟ordre économique, des historiens et
historiennes cherchent à démontrer que malgré la continuité d‟un discours, la
réalité autour de celui-ci est en mouvement. La prochaine section aborde donc
cette historiographie qui s‟intéresse à l‟emploi et à la syndicalisation, deux
réalités qui subissent de grands changements dans l‟après-guerre et ultimement
affectent les femmes et leur rôle dans la société japonaise.
Nouvelles opportunités et nouvelles difficultés
Avec la Restauration de Meiji, le Japon entame une période d‟industrialisation
en cherchant à rejoindre les puissances occidentales en tant que puissance
24. Ibid., p. 156.
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internationale. La défaite de 1945 vient toutefois porter un dur coup à
l‟ensemble du pays et dans toutes les sphères d‟activité. Malgré les ravages
causés par la guerre, l‟économie du Japon émerge du chaos pour rejoindre et
même surpasser les niveaux d‟avant-guerre en l‟espace de dix ans.25 Il est peu
probable que dans un tel contexte, les réalités des femmes japonaises
demeurent les mêmes qu‟avant la guerre. Le facteur économique joue un rôle
trop important dans la vie de tous les Japonais de l‟époque pour supposer qu‟il
n‟y ait pas de changements importants qui surviennent en réaction à la
croissance économique. À ce titre, il apparaît essentiel de se questionner quant
à la situation des femmes en ce qui a trait au marché du travail, aux nouvelles
opportunités d‟emploi et à la syndicalisation qui forment des facteurs
inséparables dans les transformations qui affectent les femmes durant l‟aprèsguerre.
Dans son ouvrage intitulé Japanese consumer behavior, John Linwood
McCreery soulève l‟importance des femmes rurales en tant que source de
main-d‟œuvre dans les usines durant l‟industrialisation de la période Meiji. Il
affirme que ce n‟est pas avant les années 1920 et l‟essor du consumérisme
japonais que les emplois dans le domaine des services émergent, un type
d‟emplois dans lequel se retrouvera un grand nombre de femmes dans les
années à venir.26 Il mentionne également que la montée du militantisme avant
la guerre mène à la suppression du féminisme par les autorités japonaises, ce
qui entraîne un renouveau de l‟accent sur la proposition que la place des
femmes est véritablement au foyer. L‟idéologie de l‟État des sphères séparées
et du rôle plus autoritaire des femmes au sein de la famille prend ainsi forme
avant la Deuxième Guerre mondiale. Cependant, McCreery souligne que la
croissance économique rapide des années 1960 engendre une pénurie de maind‟œuvre, notamment en raison de l‟allongement des études. Les femmes dans
leur ensemble, mais particulièrement les femmes au foyer, deviennent la cible
25. Isamu MIYAZAKI, The Japanese Economy: What Makes it Ttick (Tokyo: Simul
Press, 1990), p. 14.
26. John Linwood MCCREERY, Japanese Consumer Behavior: From Worker Bees to Wary
Shoppers: An Anthropologist Reads Research by the Hakuhodo Institute of Life and Living (Honolulu:
University of Hawaii Press, 2000), p. 92.
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du gouvernement en tant que main- d‟œuvre potentielle.27 Celles-ci ne sont
toutefois généralement pas employées en tant que travailleuses à temps
complet et dans une perspective à long terme, si bien qu‟on s‟attend à ce
qu‟elles se retirent éventuellement pour s‟occuper de leurs enfants. En cas de
retour sur le marché du travail, il devient impossible pour elles d‟envisager une
carrière alors qu‟elles risquent de se retrouver dans des emplois à temps partiel
peu payant. Ce premier aperçu de la situation des femmes sur le marché du
travail laisse entrevoir de nouvelles possibilités qui cependant s‟avèrent plutôt
décevantes pour elles. En raison de l‟attention limitée de l‟auteur à la situation
propre des femmes, il est nécessaire de consulter des écrits attribuant une
place prioritaire à la réalité des femmes sur le marché du travail.
Le texte de Yoko Kawashima intitulé « Female Workers: An
Overview of Past and Current Trends » semble un endroit propice où débuter
ce tour d‟horizon de l‟historiographie portant sur les femmes en matière
d‟emploi. Elle débute elle aussi en mentionnant la période Meiji pendant
laquelle commence un lent développement des emplois rémunérés se
concentrant principalement dans le domaine de l‟agriculture, où la
participation des femmes est forte alors que les fermes familiales sont
grandement dépendantes de leur labeur.28 Le secteur tertiaire voit le jour
surtout dans les années 1920 et deviendra le secteur de prédilections des
femmes. Mais la guerre engendre des changements importants et les femmes,
comme leurs homologues occidentales, entrent dans des domaines
antérieurement réservés aux hommes. Le Japon de l‟après-guerre entre ensuite
dans une période de forte croissance économique caractérisée par une pénurie
de main- d‟œuvre.29 Comme mentionné précédemment, les femmes, et
particulièrement les femmes au foyer, sont ciblées par de nombreuses
politiques gouvernementales afin de combler ce manque de main-d‟œuvre.
Kawashima identifie quatre changements majeurs qui s‟opèrent durant cette
période. Premièrement, l‟allongement des études entraîne la réduction de la
27. Ibid., p. 93.
28. Yoko KAWASHIMA, « Female Workers: An Overview of Past and Current
Trends », dans Kumiko FUJIMURA-FANSELOW et Atsuko KAMEDA (dirs.), loc. cit., p. 272.
29. Ibid., pp. 274–275.
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participation des femmes de moins de 20 ans sur le marché du travail.
Deuxièmement, les taux d‟emploi pour les femmes âgées de 20 à 24 ans
augmentent de façon significative. Troisièmement, ces mêmes taux pour les
femmes en âge de se marier et d‟avoir des enfants diminuent. Finalement, les
taux augmentent à nouveau pour les femmes de plus de 35 ans.30 En somme,
la pénurie encourage l‟emploi de travailleuses plus âgées, affectant ainsi
directement les femmes mariées dans la trentaine, mais les confine d‟ordre
général à des emplois à temps partiel. L‟article de Kawashima semble montrer
la mutation d‟une main-d‟œuvre jeune célibataire qui travaille pour une courte
période vers une main-d‟œuvre plus âgée qui reste en poste pour plus
longtemps.
Kazuko Tanaka continue dans ce même ordre d‟idées en soulignant
que l‟économie japonaise passe d‟une économie centrée sur l‟agriculture à une
économie qui se tourne drastiquement vers les manufactures et les industries
reliées aux services après la guerre.31 Elle précise que les femmes perdent des
emplois dans l‟agriculture plus qu‟elles n‟en gagnent dans les autres secteurs.
Malgré tout, le pourcentage de femmes occupant des emplois salariés
augmente durant cette période avec l‟expansion des opportunités d‟emploi à
l‟extérieur du foyer surtout pour les femmes mariées. Un nouvel élément
soulevé dans « Work, Education and the Family » concerne le lien entre l‟accès
à l‟éducation et les possibilités d‟emploi qui augmentent tous deux durant
l‟après-guerre.32 Les femmes ont par contre un accès limité aux « bons »
emplois qui offrent stabilité et possibilités de promotion. Tanaka mentionne
que même si les opportunités d‟emploi sont plus nombreuses, les femmes se
retrouvent trop souvent dans des emplois « low-paid, low-status and
unstable. »33 En ce qui a trait aux diplômées universitaires, elles se divisent en
deux groupes : celles qui poursuivent une carrière et celles qui deviennent des
femmes au foyer à temps plein. D‟autre part, lorsqu‟une femme se retire pour
donner naissance à ses enfants, il est rare qu‟elle ait l‟opportunité de retourner
30. Ibid., p. 276.
31. Kazuko TANAKA, « Work, Education and the Family », dans Kumiko
FUJIMURA-FANSELOW et Atsuko KAMEDA (dirs.), loc. cit., p. 296.
32. Ibid., p. 304.
33. Ibid., p. 305.
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sur le marché du travail. Il ne fait aucun doute que la division rigide de la force
de travail rend la conciliation carrière et famille difficile. C‟est donc dire que
les nombreuses opportunités d‟emploi qui semblent à première vue ouvrir de
nouvelles portes pour les femmes japonaises n‟offrent pas en réalité d‟avenues
particulièrement intéressantes. Bien qu‟un certain pessimisme semble à
première vue caractériser cette période, il est tout de même possible
d‟observer certains changements significatifs, comme la possibilité de
poursuivre une carrière, une réalité qui prend une ampleur sans précédent
après la guerre. Bien que la situation des femmes de carrière soit loin d‟être
aussi avantageuse que celle des hommes dans la même posture, cette nouvelle
réalité de l‟après-guerre nécessite d‟être considérée avec une attention
particulière.
L‟historiographie des femmes japonaises poursuivant des carrières
durant la période de l‟après-guerre est de façon surprenante plutôt minime.
Takie Sugiyama Lebra aborde toutefois la question dans quelques-uns de ces
essais. Dans « Japanese Women in Male-dominant Careers: Cultural Barriers
and Accommodations for Sex-role Transcendence », Lebra affirme qu‟il y a au
Japon une idéologie qui supporte la domination masculine et la division du
travail créant du coup de sérieuses barrières pour les femmes en matière
d‟opportunités de carrière.34 Il est important de préciser que par carrière,
Lebra entend un métier qui implique un engagement à temps plein, une
formation de grande portée, le développement et l‟accumulation d‟expertise et
la dépendance de l‟emploi en question comme source de revenus principale.
Poursuivant sur la question des femmes de carrière dans un article
intitulé « Gender and Culture in the Japanese Political Economy: Selfportrayals of Prominent Businesswomen », Lebra met l‟accent sur l‟ambiguïté
du rôle de ces femmes. Elle différencie l‟égalité entre les sexes sur une base
compétitive et celle d‟ordre complémentaire en affirmant que les deux
représentent des opportunités bien différentes pour les femmes de se faire
valoir dans leur milieu de travail. Premièrement, les femmes qui parviennent à
entrer pleinement dans les carrières traditionnellement masculines réussissent
34. Takie Sugiyama LEBRA, Identity, gender, and status in Japan: collected papers of Takie
Lebra (Folkestone, Kent: Global Oriental, 2007), p. 177.
44
Strata
Alexandre Paquet
à atteindre une égalité compétitive. Cependant, il ne s‟agit pas de la seule
possibilité de se démarquer selon Lebra. Pour justifier cette affirmation, Lebra
cite l‟exemple de femmes qui jouirent de l‟ambiguïté de leur rôle leur
permettant dans certains cas d‟obtenir un accès plus facile à la haute fonction
publique parce qu‟elles ne sont pas contraintes aux réseaux habituels que les
hommes ne peuvent contourner.35 Finalement, Lebra n‟oublie pas de
mentionner que les femmes ne sont habituellement pas perçues comme des
menaces par leurs collègues masculins, ce qui leur permet également de se
faufiler dans les rouages du système. Comme les femmes dans les emplois à
temps partiel, celles qui poursuivent des carrières bénéficient à la fois de
nouvelles possibilités tout en étant confrontées à de nouvelles difficultés
directement associées aux nouvelles réalités de l‟après-guerre.
L‟historiographie présentée jusqu‟à maintenant pourrait laisser croire que les
femmes japonaises sont purement les victimes de situations injustes, mais
plutôt que de rester passives, elles se lèvent contre ces iniquités. En effet, la
période de l‟après-guerre en est également une de résistance et de luttes
auxquelles les femmes prennent part activement en s‟engageant dans
différentes unions de travailleurs qui prennent forme durant l‟après-guerre.
Andrew Gordon contribue à l‟historiographie des mouvements de
résistance et de syndicalisation au Japon, notamment avec son ouvrage intitulé
The wages of affluence: labor and management in postwar Japan dans lequel il affirme
qu‟aucune compagnie n‟est en mesure de maintenir l‟hégémonie des employés
dans l‟isolation alors que le Japon traverse une période de paix sociale et de
croissance économique rapide.36 En somme, comme dans le reste du monde
capitaliste, de nouvelles technologies changent l‟expérience de travail, mais
plus important encore, l‟abondance de biens de consommation transforme les
comportements et les aspirations dans le foyer et la communauté. Dans les
années 1960 et 1970, la conjoncture d‟aspirations grandissantes, de frustration
économique et d‟aliénation sociale fait en sorte que les gens en marge de la
société, particulièrement les femmes et les minorités ethniques, joignent les
35. Ibid., p. 197.
36. Andrew GORDON, The wages of affluence: labor and management in postwar Japan
(Cambridge, MA: Harvard University Press, 1998), p. 174.
45
Strata
Alexandre Paquet
unions de travailleurs en masse comme jamais auparavant.37 Il y a explosion de
l‟activisme dans les lieux de travail et du militantisme. Accordant une attention
plus prononcée à la participation active des femmes dans ces milieux de
travailleurs dans A modern history of Japan: from Tokugawa times to the present,
Gordon mentionne les succès notoires de celles-ci dans les années 1950 alors
que les unions menées par les hommes éprouvent quant à elles des difficultés.
En 1954, il précise que 1 500 femmes organisent une grève pour la
reconnaissance de leur syndicat, la fin des règles restrictives des résidences et
des inspections de lettres et de biens personnels ainsi que pour le droit de
travailler après le mariage.38 De plus, des succès comparables surviennent pour
les infirmières et les travailleuses des hôpitaux en 1960 et 1961 alors que les
femmes réussissent à obtenir de meilleurs salaires, des libertés de base tout
comme le droit de continuer à travailler après le mariage. Elles transforment
ainsi l‟emploi d‟infirmière en carrière plutôt que simple emploi à temps partiel
se terminant avec le mariage.39 Les femmes ne sont par conséquent en aucun
cas passives devant les injustices qui persistent dans les milieux de travail. Bien
au contraire, elles prennent part aux mouvements de travailleuses en grand
nombre et contribuent à de nombreux changements significatifs durant la
période de l‟après-guerre.
Poursuivant dans cette même direction, Christopher Gerteis explore
les luttes des femmes dans les unions de travailleurs dans Gender struggles: wageearning women and male-dominated unions in postwar Japan. À l‟intérieur même de
celles-ci, des tensions existent entre hommes et femmes alors qu‟il est difficile
d‟en arriver à un consensus des rôles devant être attribués aux femmes. 40
Néanmoins, déjà dans les années 1950, elles demandent aux femmes
d‟organiser des associations familiales. Au fil du temps, le message se
transforme et l‟idée qu‟il est nécessaire de placer plus de ressources derrière la
lutte des femmes pour obtenir de meilleurs salaires et conditions de travail
37. Ibid.
38. Andrew GORDON, A modern history of Japan: from Tokugawa times to the present
(New York: Oxford University Press, 2009), p. 273.
39. Ibid.
40. Christopher GERTEIS, Gender Struggles: Wage-Earning Women and Male-Dominated
Unions in Postwar Japan (Cambridge, MA: Harvard University Asia Center, 2009), p. 125.
46
Strata
Alexandre Paquet
prend de l‟importance.41 L‟un des problèmes auxquels sont confrontées les
femmes membres de ces groupes est que les hommes à la tête de ceux-ci ont
internalisé les identités sociales et politiques qui privent les femmes de certains
droits. Gerteis identifie à cet égard plus particulièrement l‟idéal du rôle
maternel des femmes qui obscurcit leur rôle en tant que travailleuses
rémunérées et membres des unions.42 Il y a également des femmes qui
s‟organisent en tant que femmes au foyer, ce qui est parfois problématique
pour les femmes qui luttent pour l‟égalité dans les milieux de travail. Il n‟en
demeure pas moins que les femmes luttent activement pour davantage
d‟égalité durant l‟après-guerre, parvenant parfois à obtenir des succès notoires
et se butant à des murs difficiles à briser en d‟autres occasions.
L‟historiographie traitant des femmes japonaises sur le marché du
travail présente donc un portrait mitigé où de nouvelles possibilités
engendrent de nouveaux problèmes, où succès rencontrent échecs, tandis que
leurs espoirs confrontent une réalité complexe où rien n‟est facile pour elles.
Les femmes ne demeurent en aucun cas passives face à ces difficultés, bien au
contraire, elles se lèvent en masse pour les affronter et ainsi modeler l‟aprèsguerre japonais. La vie économique ne se limite cependant pas seulement au
marché du travail. Comme certains auteurs l‟ont déjà laissé entendre, le Japon
entre dans une période de son histoire caractérisée par la montée du
consumérisme. Afin de conclure le parcours historiographique des
changements de l‟après-guerre japonais, il semble à propos de porter une
attention particulière à la consommation et l‟épargne, deux éléments
fondamentaux des transformations de la société nipponne durant cette
période. Comme le discours de la « bonne épouse, sage mère » et la réalité du
marché du travail, la consommation et l‟épargne sont deux facteurs où le genre
vient inévitablement jouer un rôle primordial. Il est donc essentiel d‟en
extirper les principaux éléments.
41. Ibid., p. 141.
42. Ibid., p. 199.
47
Strata
Alexandre Paquet
Consommation et épargne à la hausse
Dans les années 1950 et 1960, le modèle occidental suivi par le Japon devait
mettre l‟accent sur le processus démocratique des démarches
gouvernementales afin de « purger » les éléments fascistes des décennies
précédentes. Signalant l‟effacement de la promesse de la démocratie sociale, H.
D. Harootunian avance l‟idée que les modernistes japonais élaborent une
théorie envisageant la société japonaise et sa structure sociale selon le modèle
d‟une entreprise qui serait déviée d‟une représentation du système de
ménage.43 Cette métaphore soulève des questions intéressantes quant à
l‟approche du gouvernement japonais durant la période de l‟après-guerre. Si le
Japon est représenté comme une entreprise, il est difficile d‟ignorer la question
de la consommation et par le fait même de l‟épargne. Considérant la proximité
de l‟occupation américaine, il est possible de croire que le nouveau géant de
l‟après-guerre exerce une influence considérable sur le Japon.
Cette relation complexe avec les États-Unis constitue le point de
départ de Shunya Yoshimi dans un article intitulé « Consuming America,
Producing Jappan » dans lequel il identifie deux images convergentes de
l‟Amérique : la première est l‟objet de la consommation qui se manifeste dans
les biens matériels et les médias et, la deuxième, la violence associée aux
installations militaires.44 Toutefois, la politique américaine change, dans le
contexte de la Guerre froide, et passe d‟une politique axée sur la
démocratisation et la décentralisation des pouvoirs vers une politique qui
cherche à faire du Japon un membre de tête du bloc occidental en Asie, ayant
pour effet de créer une distance entre l‟expérience et la mémoire du contact
initial avec les États-Unis. L‟image plus intériorisée des États-Unis qui s‟inscrit
dans la conscience du peuple japonais se caractérise alors par un accent
43. Harry D. HAROOTUNIAN, « America‟s Japan / Japan‟s Japan », dans Masao
MIYOSHI et Harry D. HAROOTUNIAN (dirs.), Japan in the world (Durham, NC: Duke
University Press, 1993), pp. 212–213.
44. Shunya YOSHIMI, « Consuming America, Producing Japan », dans Sheldon
GARON et Patricia L. MACLACHLAN (dirs.), The ambivalent consumer: questioning consumption in
East Asia and the West (Ithaca, NY: Cornell University Press, 2006), p. 72.
48
Strata
Alexandre Paquet
prononcé sur le consumérisme.45 Dans les termes de Yoshimi : « America was
no longer the ever-present and all-powerful „Other‟ but instead an object of
everyday consumption and a symbol of wealth located far away. »46 À cet
égard, Yoshimi souligne l‟importance de l‟électrification alors que s‟opère une
reconstruction « genrée » de la liberté dans les foyers autour des « trois trésors
sacrés » : voiture, air conditionné et télévision couleur.47 La période de l‟aprèsguerre voit hors de tout doute une amélioration considérable de la
disponibilité d‟électroménagers au Japon.48 Il n‟est donc pas surprenant
d‟observer de nouvelles stratégies publicitaires prendre forme pour faire la
promotion de ces nouveaux produits. À ce chapitre, Yoshimi porte son regard
sur les publicités de Matsushita Electric qui modifie son approche à la
publicité. Alors que l‟avant-guerre présentait des jeunes femmes modernes,
l‟après-guerre, bien que reflétant une certaine continuité, propose des images
où la femme au foyer devient de plus en plus centrale.49 La stratégie
d‟électrification va de pair avec l‟adoption de l‟« American way of life » tandis
que l‟image des électroménagers se transforme d‟agent de rationalisation vers
le bon partenaire de la femme au foyer. Ce faisant, les publicités suggèrent que
l‟introduction d‟appareils électroménagers est la même chose que la
démocratisation.50 Yoshimi souligne également l‟émergence d‟un nouveau
discours technonationaliste au cours des années 1960 proclamant la
supériorité du Japon dans le monde en matière de technologie bien que le
reste du monde ne fasse pas encore cette association.51 La consommation et le
discours qui lui est associé subissent des changements considérables au cours
de l‟après-guerre.
Dans un article intitulé « Household Debt and Consumer Education
in Postwar Japan », Takao Nishimura rappelle que malgré ces nombreux
45. Ibid., p. 75.
46. Ibid.
47. Ibid., p. 76.
48. Hirohisa KOHAMA, Industrial development in postwar Japan (Londres: Routledge,
2007), p. 95.
49. Shunya YOSHIMI, loc. cit., p. 78.
50. Ibid., p. 79.
51. Ibid., pp. 80–82.
49
Strata
Alexandre Paquet
changements, la tradition vient toujours jouer un rôle important dans les
comportements des Japonais durant cette période. Il identifie un penchant
traditionnel pour l‟épargne, faisant du même coup de l‟endettement quelque
chose de particulièrement honteux pour le peuple japonais. Dans le contexte
de consommation accrue, le gouvernement japonais attribue de nouvelles
dimensions aux tendances de sacrifice et d‟épargne en les associant au bien de
la nation, et ce, au même moment où plusieurs embarquent dans une montée
de consommation sans précédent avec l‟émergence des grands magasins qui
transforment les habitudes de consommation.52 Dans l‟immédiat après-guerre
cependant, Nishimura note trois priorités du gouvernement japonais : restituer
la confiance dans le yen, empêcher l‟inflation et stabiliser les prix à la
consommation.53 En effet, le gouvernement japonais se voit obligé
d‟implanter un système d‟ajustement des salaires et des prix afin de stabiliser le
chaos économique de la fin des années 1940.54 Dans les années 1950,
Nishimura souligne que la longue tradition d‟intervention de l‟État dans les
décisions privées des consommateurs change graduellement pour passer d‟une
intervention directe à la propagation d‟information permettant la survie de
consommateurs plus indépendants dans un marché financier complexe.55
Apparaît par la suite la notion de consommateur averti offrant la possibilité
« d‟empowerment ». Sous la surveillance constante de l‟État, le Japon s‟ouvre
sur la société de consommation non sans difficulté, mais tout de même avec
une aisance surprenante considérant les récents ravages de la guerre ayant
affecté le pays. Peu des éléments présentés jusqu‟à maintenant concernent
directement ou spécifiquement les femmes toutefois. Il est donc primordial de
poursuivre ce parcours dans le monde de la consommation de l‟après-guerre
afin de saisir non seulement les détails des transformations dans les habitudes
de consommation et d‟épargne, mais plus particulièrement de comprendre
52 Takao NISHIMURA, « Household Debt and Consumer Education in Postwar
Japan », dans Sheldon GARON et Patricia L. MACLACHLAN (dirs.), loc. cit., p. 262.
53. Ibid., p. 271.
54 Tatsuro UCHINO, Japan's postwar economy: an insider's view of its history and its future
(Tokyo: Kodansha International, 1983), pp. 41–42.
55 Takao NISHIMURA, loc. cit., p. 271.
50
Strata
Alexandre Paquet
comment ces éléments s‟intègrent aux enjeux qui concernent les femmes
japonaises.
Bien que le peuple japonais parle souvent de caractéristiques uniques
lorsqu‟il est question d‟épargne, Charles Yuji Horioka préfère plutôt s‟en
remettre à la réalité des hauts taux de croissance du revenu qui surviennent
durant la période de forte croissance économique pour expliquer les hauts
taux d‟épargne des Japonais. Il affirme que lorsque le revenu augmente
rapidement et soudainement, les ménages n‟arrivent pas toujours à ajuster
leurs standards de vie et leur niveau de consommation, ce qui a pour résultat
d‟engendrer une hausse du niveau d‟épargne.56 L‟un des plus grands
changements dans la consommation présenté dans « Are the Japanese Unique?
An Analysis of Consumption and Saving Behavior in Japan » concerne le
coefficient Engel reflétant la partie du budget attribuée à la nourriture et aux
breuvages non alcoolisés qui est très élevé à 70 % tout juste après la guerre,
mais qui chute à 28 % en 1975.57 Horioka enrichit son analyse de la
consommation au Japon dans un texte intitulé « Consuming and Saving » en
explorant l‟émergence de la société de consommation et des hauts taux
d‟épargne comme phénomènes de l‟après-guerre japonais. Il poursuit dans le
même ordre d‟idées en ce qui a trait au coefficient Engel en soulignant que si
la part de budget attribuée aux nécessités est en baisse constante après la
guerre, celle attribuée aux biens de luxe et aux services augmente quant à elle
considérablement.58 S‟il est vrai qu‟il est possible d‟observer une
américanisation des habitudes de consommation, ce phénomène n‟est pas sans
lien avec la consommation croissante de biens de luxe, ceux-ci étant souvent
associés aux biens importés.59 Dans un autre ordre d‟idées, Horioka souligne
que l‟épargne des ménages atteint des niveaux sans précédents historiques. La
croissance économique rapide entraîne de l‟épargne si les ménages pensent
56. Charles Yuji HORIOKA, « Are the Japanese Unique? An Analysis of
Consumption and Saving Behavior in Japan », dans Sheldon GARON et Patricia L.
MACLACHLAN (dirs.), loc. cit., p. 119.
57. Ibid., p. 129.
58. Charles Yuji HORIOKA, « Consuming and Saving », dans Andrew GORDON,
loc. cit., p. 265.
59. Ibid., p. 273.
51
Strata
Alexandre Paquet
que cette situation est temporaire ou s‟ils ne sont pas en mesure d‟ajuster leurs
habitudes de consommation proportionnellement à leur revenu.60
Horioka identifie également certaines tendances qui s‟appliquent
spécifiquement aux jeunes femmes japonaises de l‟après-guerre. Il semble
observer que les femmes sont plus orientées vers la consommation que les
hommes, étant deux fois plus susceptibles de voyager à l‟étranger pour le
plaisir et affichant moins de scrupules à l‟idée de dépenser de l‟argent sur des
loisirs.61 Selon les statistiques compilées par Horioka, les jeunes femmes
dépensent également plus pour des vêtements et autres accessoires, tout
comme pour des biens de luxe. Cette tendance concerne d‟abord et avant tout
les femmes de la plus jeune génération, les femmes plus âgées considérant la
consommation sous une perspective plus négative. Simultanément, les femmes
parviennent à épargner une proportion considérable de leur revenu,
notamment en raison du fait qu‟elles demeurent habituellement chez leurs
parents, mais également parce qu‟elles envisagent déjà le mariage.62 Après le
mariage cependant, les habitudes de consommation des femmes se
transforment considérablement alors que les femmes prennent, d‟ordre
général, contrôle du budget familial. Elles épargnent autant que possible,
sacrifiant leurs besoins personnels au bénéfice de leur époux et de leurs
enfants. Les taux d‟épargne demeurent sensiblement les mêmes que les
femmes soient mariées ou non, cependant, les motifs ne sont pas les mêmes.63
Cette réalité n‟est pas sans rappeler le discours de la « bonne épouse, sage
mère » qui agit en tant que gestionnaire des affaires du ménage tout en
s‟assurant d‟élever ses enfants au meilleur de ses capacités. Les deux articles de
Horioka soulèvent la question de l‟épargne conjointement à la consommation
en mettant l‟accent sur le rôle important des femmes en matière d‟épargne.
Afin d‟obtenir un portrait un peu plus complet de cette réalité, il convient de
s‟intéresser spécifiquement à la question de l‟épargne que l‟historiographie
60. Ibid., p. 286.
61. Ibid., p. 288.
62. Ibid.
63. Ibid., p. 289.
52
Strata
Alexandre Paquet
semble associer plus directement aux femmes de l‟après-guerre que la
consommation, bien que les deux réalités soient fortement liées.
Dans un article intitulé « The Transnational Promotion of Saving
Asia: “Asian Values” or “Japanese Model”? », Sheldon Garon porte son
attention sur les discours sur la consommation durant la période de l‟aprèsguerre en avançant que ceux-ci « have been bound up no so much with
messages of frugality but more positively, with the imperative to manage
spending personal spending so as to augment household and national
savings. ».64 D‟ailleurs, il précise que les officiers de l‟après-guerre ont agi
conjointement avec les revues de femmes afin d‟inciter la nation à restaurer un
équilibre en consommation et épargne. Garon remonte à l‟ère Tokugawa afin
de trouver les origines des tendances d‟épargne du Japon, mais précise que les
institutions d‟épargne qui caractérisent la période de l‟après-guerre s‟inspirent
d‟innovations européennes.65 Parmi celles-ci, c‟est probablement les banques
d‟épargne postale qui émergent en tant que source principale pour financer les
forces armées ainsi que les projets de développement. Cette initiative permet
aux fonctionnaires de persuader les ménages de réduire leur consommation et
de déposer leurs épargnes dans une banque d‟épargne postale contrôlée par
l‟État, non seulement pour des raisons de vertus morales, mais également
comme moyen de contribuer au pouvoir national.66
De plus, Garon met l‟accent sur l‟importance des associations de
femmes et des revues pour femmes au foyer qui travaillent aux côtés du
gouvernement japonais pour des campagnes d‟épargne pour financer le
rétablissement et la croissance économique en procurant aux ménages des
conseils sur la planification familiale.67 Si ces initiatives encouragent l‟épargne,
il ne faudrait pas croire qu‟elles découragent la consommation, bien au
contraire. Elles reposent sur la conviction qu‟avec la hausse du taux de revenu,
les ménages sont capables d‟épargner et de consommer davantage. La
64. Sheldon GARON, « The Transnational Promotion of Saving Asia: “Asian
Values” or “Japanese Model”? », dans Sheldon GARON et Patricia L. MACLACHLAN (dirs.),
loc. cit., p. 164.
65. Ibid., p. 166.
66. Ibid.
67. Ibid., p. 167.
53
Strata
Alexandre Paquet
consommation promue par l‟État se distingue toutefois considérablement du
style américain précise Garon. En effet, les consommateurs japonais ont les
moyens de se procurer des biens durables et dispendieux en raison de coupes
budgétaires sur d‟autres dépenses. De plus, l‟État décourage certains types de
consommation et proclame la nécessité d‟être un consommateur rationnel.68
Dans ce même ordre d‟idées, la consommation de biens de luxe, souvent
associés aux biens importés, est généralement découragée au bénéfice d‟une
approche favorisant l‟épargne et les investissements dans les industries
japonaises. Il est important de noter que ce discours apparaît originalement
dans les revues pour femmes au foyer, ce qui rappelle encore une fois le rôle
central des femmes en matière d‟épargne durant l‟après-guerre japonais.
Ce qui semble caractériser l‟historiographie présentée ci-dessus est
non seulement une simple hausse des taux de consommation et d‟épargne au
Japon durant la période de l‟après-guerre, mais une véritable transformation
des habitudes de vie de la société nipponne. Étrangement, ces nouvelles
tendances dressent le portrait d‟une dynamique à deux tranchants pour les
femmes japonaises. Dans un premier temps, l‟essor de la société de
consommation révèle des habitudes qui différencient considérablement la
jeune génération de la plus vieille alors que les jeunes femmes de l‟après-guerre
prennent part activement à cette nouvelle réalité et adaptent leur
consommation en conséquence. Cependant, les hauts taux d‟épargne et, plus
significativement, les motifs derrière ceux-ci pour les femmes suggèrent
qu‟elles se conforment encore et toujours aux stéréotypes idéalisés de la
« bonne épouse, sage mère », sacrifiant leur bien-être personnel pour celui de
la famille. Il n‟y donc pas de réponses simples quant aux changements sociaux
et économiques qui touchent les femmes après la Seconde Guerre mondiale.
Conclusion
L‟historiographie traitant des changements affectant les femmes japonaises
durant la période de l‟après-guerre démontre que celles-ci se retrouvent à la
68. Ibid., p. 168.
54
Strata
Alexandre Paquet
fois devant de nouvelles réalités typiques de l‟après-guerre qui, à première vue,
semble émancipatrices, mais qui trop souvent ne leur permettent pas d‟aller
jusqu‟au bout de ces possibilités. Premièrement, le discours de la « bonne
épouse, sage mère » persiste davantage qu‟il ne disparaît alors que les nouvelles
réalités de l‟après-guerre semblent être adaptées aux discours plutôt que de
transformer l‟identité féminine. Deuxièmement, le marché du travail dans
cette période de forte croissance économique offre de nouvelles possibilités
aux femmes en matière d‟emploi, mais ne leur permet pas encore d‟atteindre
un pied d‟égalité avec les hommes sans pour autant être passives. Bien au
contraire, les femmes s‟organisent au sein d‟unions de travailleuses pour lutter
contre les injustices qui perdurent. Finalement, les femmes occupent un rôle
de premier ordre dans la hausse des taux de consommation et d‟épargne qui se
caractérisent par un visage double où leur association à la nouvelle société de
consommation apparaît tout à fait moderne, ou peut-être plutôt postmoderne,
alors que leur rôle en ce qui concerne l‟épargne dresse un portrait beaucoup
plus traditionnel.
L‟après-guerre au Japon apparaît donc comme une période de
changements, mais avec de nombreuses réserves. Si l‟économie s‟articule
autour d‟une croissance économique sans précédent, la société elle-même ne
s‟apprête pas à changer aussi rapidement comme en fait foi le renouveau du
discours sur la maternité durant cette période. Comme le précise si
adéquatement Ueno Chizuko: « no person is born a mother. . . it is a role that
is learned and then internalized in the process of socialization. »69 D‟ailleurs,
les caractéristiques de la maternité ne sont pas déterminées, ni contrôlées par
l‟anatomie ou l‟instinct. Elles varient selon le temps et l‟espace au sein des
expériences de chaque femme. En ce sens, le Japon de l‟après-guerre ne fait
pas exception. Le rôle des femmes au sein de l‟après-guerre est adapté,
renouvelé, transformé de tous les côtés, influencé parfois par des concepts
entièrement nouveaux et tout à fait traditionnels par moment. Il est donc
impossible de parler d‟absolu, il faut plutôt s‟intéresser aux innombrables
69. Chizuko UENO, « Collapse of „Japanese Mothers‟ », dans Richard F.
CALICHMAN (dirs.), Contemporary Japanese thought (New York: Columbia University Press,
2005), p. 246.
55
Strata
Alexandre Paquet
nuances qui marquent le parcours des femmes japonaises. L‟émancipation ne
fait après tout que commencer.
Alexandre Paquet termine présentement sa première année de maîtrise en
histoire à l‟Université d‟Ottawa, où il a également complété ses études de
premier cycle en histoire avec une mineure en études des femmes. Pour sa thèse
de maîtrise, il s‟intéresse aux transformations du discours féministe japonais
dans un contexte spécifique et mondial. Plus spécifiquement, il cherche à
démontrer que ce discours s‟inspire des cadres analytiques de la nouvelle gauche
dans son approche déconstructiviste de la modernité, du genre et du
capitalisme.
Alexandre Paquet is completing the first year of his master‟s in History at the
University of Ottawa, where he also completed his undergraduate degree in
history with a minor in women‟s studies. For his MA thesis, he is interested in
the transformation of Japanese feminist discourse in a global and specific
context. More specifically, he seeks to demonstrate that this discourse draws on
analytical frameworks of the New Left in its deconstructive approach of
modernity, gender, and capitalism.
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