Télécharger le document

Transcription

Télécharger le document
1
AUTORITE
et
PEDAGOGIE
François GALICHET
Regroupement national « Politiques éducatives » - CEMEA
Octobre 2002
François GALICHET est professeur de philosophie
à l’IUFM d’Alsace. Il est intervenu lors du
regroupement national CEMEA - Politiques
éducatives qui avait pour thème « Relation
éducative et autorité ».
L’autorité se situe donc quelque part entre l’usage de la
force pure et celui de l’argumentation, dans un espace
qui reste à définir.
I - Permanence de l’autorité dans l’éducation.
A) La réalité actuelle
La prééminence de l’autorité semble s’effacer au
profit
d’une
idéologie
« démocratique »
et
« participative », aussi bien dans l’école que dans
l’entreprise (« management participatif »). Mais dès
qu’il y a blocage, difficulté, l’autorité réapparaît, ou
tente de réapparaître, sous des masques divers, parfois
modernistes (« Permis à points », etc.).
D’où le caractère contradictoire, ambivalent des
exigences pédagogiques de beaucoup d’enseignants ou
d’éducateurs : on désire à la fois l’activité, l’initiative,
la participation des élèves, et l’ordre, le silence, le
calme ; on craint les « débordements ».
MOTS CLES :
* Autorité
* Relation éducative
Le terme « autorité » se caractérise par une très forte
polysémie. Ainsi peut-il renvoyer, selon les
représentations que chacun s’en fait, à
des
significations variées : compétence, savoir-faire,
expérience, charisme personnel, force de caractère,
prestige, etc. Et de fait, ces caractérisations définissent
bien des aspects de l’autorité ; mais elles n’en
indiquent pas le fondement, l’origine.
Le jugement porté sur la notion d’autorité est
également susceptible de variation : aujourd’hui, pour
les jeunes enseignants, elle rassemble toutes les vertus
cardinales du bon professeur. Pour les anarchistes du
19ème siècle ou les libertaires de mai 68 en revanche,
elle incarne une société répressive chargée de tous les
maux.
1
H.Arendt, dans « Qu’est-ce que l’autorité ? » , donne
une définition négative de l’autorité. C’est, écrit-elle,
une variété de pouvoir qui assure l’obéissance :
- sans recourir à la force, à la coercition : car là où la
force est employée, l’autorité stricto sensu a échoué. Il
est donc erroné de présenter l’idée de tolérance zéro,
par exemple, comme une manifestation de
« restauration de l’autorité » : car le propre de
1
l’autorité, c’est justement de n’avoir pas besoin de
sanctionner pour obtenir la soumission à des règles ou
à des normes.
- mais sans recourir non plus à la persuasion, car celleci présuppose l’égalité et opère par argumentation. Là
où l’on a recours à l’argumentation, l’autorité est
nécessairement laissée de côté, car l’autorité
commence justement quand on cesse de discuter (
« C’est comme ça ! »).
H.Arendt, « Qu’est-ce que l’autorité ? », in La crise
de la culture, Folio Essais, 1989.
Cette ambivalence éducative n’est que le reflet d’une
contradiction qui est celle de la société démocratique
moderne , qui à la fois :
- se veut toujours plus égalitaire, qui invite chacun à
être « actif », à prendre des « initiatives », à
« participer », etc.
- mais en même temps qui multiplie les normes, les
règles, les exigences, les évaluations, du fait de la
complexité croissante induite par le développement
technologique. Ce qui conduit à une augmentation des
formes de contrôle social, de surveillance
« préventive », de régulation et de répression.
L’idéologie de la « tolérance zéro » s’inspire de celle
du « zéro défauts » en vogue dans les entreprises.
B) Les sources historiques de l’autorité éducative
1°) Sources religieuses : L’enfant est conçu comme un
être impur ( doctrine du péché originel) qu’il faut
sauver. Cette conception se conjoint avec la
représentation opposée de l’enfant comme être
innocent, pur, candide ( cf la parole du Christ : « Soyez
comme l’un de ces petits enfants… »). Mais leur
contradiction même aboutit à justifier l’autorité, qui
devient nécessaire à la fois pour corriger l’enfant ( le
faire passer de l’impureté à la pureté) et pour le
protéger contre les dangers qui le menacent. Toute
autorité présente simultanément ces deux aspects : elle
se veut à la fois protectrice et formatrice, elle prétend à
2
la fois préserver ( par rapport au dehors) et corriger (
par rapport à l’être propre, l’intériorité du sujet).
II - Genèse du « phénomène autorité » selon
G.Mendel
2°) Sources socio-politiques : Depuis Platon, l’idée se
maintient constamment, jusqu’à notre époque, que
l’autorité éducative (parents, maîtres) préfigure et
prépare l’autorité politique (roi, seigneur, etc.).
L’apprentissage de la soumission à l’école forme un
citoyen adulte respectueux des lois, du pouvoir, des
« autorités ». Il y a donc une continuité entre autorité
pédagogique et autorité politique.
A) Les trois caractères du phénomène autorité
Cette thèse sera reprise par la sociologie moderne.
Ainsi Durkheim voit le fondement de l’autorité du
maître dans la transcendance de la société par rapport
aux individus qui la composent ; Bourdieu, dans La
Reproduction, affirme que la fonction de l’autorité
pédagogique est de créer des « habitus » qui permettent
la perpétuation de la société comme hiérarchie,
stratification en classes.
3°) Sources épistémologiques : en témoignent la
parenté des mots « auteur » et « autorité ». Un
« auteur » est quelqu’un qui tient un discours de vérité
et/ou de sagesse, et qui de ce fait possède une autorité
intellectuelle et/ou morale. Mais inversement, l’autorité
est en elle-même une garantie de vérité ( cf le
« Magister dixit » médiéval ). L’autorité et la vérité se
garantissent donc mutuellement. Ainsi à l’école, le
maître tire son autorité de
son savoir, de sa
compétence. Mais l’enfant n’est pas encore dans la
connaissance, il doit obéir « aveuglément » pour
accéder à la vérité. La foi, la croyance doit donc
précéder le savoir et constitue la condition d’accès au
savoir.
Le philosophe Wittgenstein se demande ce qui se
passerait si l’élève prétendait se débrouiller seul et
décidait de ne pas croire ce que dit le maître, mais de
toujours le vérifier par lui-même. On aurait alors deux
cas extrêmes :
- ou bien l’enfant croit tout ce que dit le maître, et alors
il ne saura jamais rien, car il sera à jamais incapable de
distinguer le vrai du faux, il « gobera » tout ce qu’on
lui dira sans être capable du moindre esprit critique.
- ou bien l’élève veut vérifier tout ce que dit le maître,
et alors il ne pourra rien apprendre non plus, car toutes
les vérifications ne sont pas à sa portée, et chacune
d’elle prendrait un temps qui interdirait l’accès aux
autres savoirs.
L’autorité est donc inhérente à tout apprentissage, elle
est consubstantielle à la démarche éducative, dans la
mesure où celle-ci anticipe des compétences que
l’enfant ne possède pas encore, et dont donc substituer
à une autonomie qui n’est pas encore acquise une
confiance qui ne peut encore se justifier
rationnellement. Or l’autorité, c’est précisément cela :
une confiance « aveugle », une foi qui est incapable de
produire ses raisons, et qui est pourtant l’unique
chemin vers la raison.
1°) Toute autorité s’appuie sur la croyance en une
transcendance – que celle-ci soit religieuse ou laïque.
Cette transcendance fonde la légitimité dont se réclame
l’autorité. Ainsi le monarque de l’Ancien Régime
tirait-il son pouvoir directement de Dieu ( « monarchie
de droit divin ») ; le général de Gaulle prétendait
incarner « une certaine idée de la France », qui lui
conférait à ses yeux une légitimité distincte de la
légalité ; ou encore les révolutionnaires communistes
se réclamaient du sens de l’Histoire, qui justifiait à
leurs yeux l’Etat communiste et la « dictature du
prolétariat ».
2°) Toute autorité repose sur une menace d’usage de
la force – mais en même temps, elle se discrédite, donc
se détruit elle-même si elle met cette menace à
exécution. « L’autorité ne peut se permettre de perdre
la face »1 ; or « elle perd la face si on la force à se
découvrir telle qu’elle est, puisque cette face n’est
qu’un masque ».
3°) Pas d’autorité sans mystère : « L’autorité, comme
l’endive, a besoin d’ombre pour prospérer ». Cf « il n’y
a pas de grand homme pour son valet de chambre ».
L’autorité a une certaine affinité avec les phénomènes
magiques : comme eux, elle se présente comme une
action à distance, sans causalité physique.
B) Les composantes psycho-affectives de l’autorité
La dépendance complète du nourrisson vis-à-vis de ses
parents, et notamment de sa mère, engendre
nécessairement une agressivité liée aux frustrations
inévitables. Or cette agressivité engendre un sentiment
de culpabilité, puisque les pulsions agressives visent un
être qui est en même temps objet d’amour. D’où une
angoisse d’abandon, un « sentiment abandonnique » :
peur de la perte d’amour des parents en raison même de
l’agressivité envers eux. « Ce qu’on nomme la
culpabilité humaine n’est que la peur du sujet de perdre
l’amour de l’objet ( au stade précoce : la mère), soit
parce qu’il aurait été détruit ( imaginairement ou non),
soit parce que, attaqué, il se vengerait en se détournant
du sujet, le laissant alors seul et sans recours ».
Mais une fois installée, l’autorité renforce les pulsions
agressives, puisqu’elle constitue une contrainte
supplémentaire
aggravant le pouvoir exercé sur
l’enfant. Il y a donc un cercle de l’autorité : l’autorité
provoque la frustration et l’agressivité, et celles-ci
renforcent l’angoisse d’abandon, donc l’autorité.
D’où la conclusion : « Le phénomène autorité n’est que
la séquelle mentale de l’inégalité de force de l’enfant
1
Cette citation, comme les suivantes , sont extraites de
G.Mendel, Pour décoloniser l’enfant ( Première partie)
Payot ,1971.
3
par rapport à l’adulte, inégalité exploitée et pérennisée
par l’adulte à l’aide d’un conditionnement fondé sur la
menace d’un retrait d’amour en cas de nonsoumission ».
C) Les deux formes de l’autorité
G.Mendel distingue deux stades, deux étapes dans la
formation de l’autorité :
1°) Pour le très jeune enfant,
« c’est l’image
maternelle en laquelle s’incarne l’autorité. Cette image
maternelle est « archaïque », ce qui signifie qu’elle
développe une image de l’autorité sur le modèle de la
dépendance du nourrisson vis-à-vis de sa mère :
relation symbiotique, représentation d’une toutepuissance arbitraire et absolue, à la fois bénéfique et
maléfique.
2°) A partir du stade oedipien où le rapport au père
devient prédominant, c’est une autre image de
l’autorité qui va apparaître : celle d’une autorité qui
s’exerce dans et par la Loi, c’est-à-dire une puissance
non plus arbitraire, mais rationnelle et limitée par des
règles qu’elle impose mais qui précisent et définissent
son pouvoir.
En schématisant, on pourrait dire que « si la mère
archaïque est l’Autorité, le père, lui, tel qu’il est vécu
par l’enfant,(…) a de l’autorité ». En d’autres termes,
la mère incarne magiquement la toute-puissance, alors
que le père est ressenti comme « possédant des
pouvoirs », donnant ainsi une image plus structurée de
l’autorité.
2°) Ou bien la régression à une autorité maternelle de
type archaïque , la société apparaissant à la fois
comme une bonne et une mauvaise mère dont
simultanément on attend tout et qu’on conteste
globalement. Beaucoup de gens aujourd’hui offrent
l’exemple d’une telle régression : d’une part la société
doit tout donner, il n’y a que des « droits à » ( à la
sécurité, aux prestations sociales, à la retraite à 50 ans,
à la garantie contre tous les malheurs de l’existence,
etc.) ; mais en même temps, la société est la cause de
tous les maux, tout est de la faute au « système » ou
aux politiciens « tous pourris » et incompétents. Le
résultat de cette relation ambivalente est un sentiment
de frustration impuissante : de toutes façons « on n’y
peut rien, c’est comme ça, on ne peut rien changer » sentiment qui est exactement celui du nourrisson
envers sa mère. Et pareillement, beaucoup
d’adolescents, voire d’adultes, entretiennent un rapport
fusionnel, symbiotique, au groupe dont ils font partie (
la « bande » des copains ), alors que l’autorité
paternelle oedipienne, l’identification au père et
l’intervention de la Loi comme médiatrice entre
l’autorité et l’individu permettent à celui-ci de se
constituer en sujet responsable et autonome face à
l’autorité.
III - Les figures de l’autorité
Olivier Reboul1 distingue diverses formes d’autorité,
s’incarnant dans des « figures » qui renvoient à des
fondements différents. Le tableau suivant résumerait
son analyse :
D) La crise actuelle de l’autorité
Aujourd’hui, cette autorité paternelle, qui s’est incarnée
dans le concept de la loi, la prééminence de codes
symboliques garantis par des instances « légitimes »,
tend à s’affaiblir. Le développement et la sophistication
des techniques tendent à substituer le principe
d’efficacité au principe de légitimité et à inventer des
formes de contrôle social purement policières
(surveillance, etc.) qui rendent inutile l’autorité
traditionnelle. Par ailleurs, l’hédonisme de la « société
de consommation » et l’individualisme exacerbé par le
néo-libéralisme qui triomphe actuellement tendent à
ruiner par un autre biais cette même autorité
traditionnelle.
Dès lors, il n’y a que trois possibilités :
1°) Ou bien le triomphe de la technocratie conduit à
remplacer progressivement l’autorité par la force pure :
surveillance policière, conditionnement direct par les
media, techniques de manipulations, psychopharmacologie, voire toxicomanie au service de l’ordre
social. On aboutirait, au terme de ce processus, à ce
que G.Mendel appelle un « nouveau fascisme » - un
fascisme « soft » dont on voit déjà bien des
prémisses…
1
FIGURES
FONDEMENTS
FONCTIONS
Contrat
Consentement
mutuel, accord
après débat
Structuration
Arbitre
Position
institutionnelle
Régulation
Expert
Savoir,
compétence
Information,
Apprentissage
Modèle
Prestige,
admiration
Identification
Leader
Ascendant
psychologique
Soumission
Roi-Père
Charisme
Id°
Tyran
Force, violence
Id°
In O.Reboul, Philosophie de l’éducation, PUF, Que
sais-je ? , 1988.
4
On le voit, les « figures » ainsi distinguées
s’échelonnent d’un type d’autorité « paternelle et
« oedipienne » ( le contrat, l’arbitre, l’expert, voire le
modèle) à un type d’autorité « maternelle » de plus en
plus archaïque ( le leader, le roi-père, le tyran).
On pourrait avancer la thèse que chacune de ces figures
correspond à un style d’enseignement possible dans la
classe ou le groupe. Le problème alors n’est pas de
choisir entre eux, mais plutôt de les articuler en
fonction de sa propre personnalité d’enseignant ou
d’éducateur, du public qu’on a en face de soi ( il n’est
pas toujours possible de se placer en situation de
« contrat »), des circonstances et objectifs spécifiques à
chaque type d’apprentissage. Il va de soi que les
figures du « roi-père » et du « tyran », dans cette
optique, renvoient à des manifestations plutôt antiéducatives d’autorité, et constituent des formes
aberrantes ou pathologiques de la relation pédagogique,
même si malheureusement elles sont loin d’être
exceptionnelles…
Il conviendrait en somme de distinguer, en éducation
scolaire aussi bien qu’extrascolaire, trois champs, trois
domaines :
1°) Un premier domaine où l’autorité de l’enseignant
est inconditionnelle et incontestable, parce qu’elle
concerne des contenus ou des objets où il y a une
transmission à effectuer, où le maître détient des
savoirs et des savoir-faire que l’élève ne possède pas, et
où il n’a pas les moyens de discuter, critiquer, vérifier
par soi-même la validité de ce qu’on lui enseigne ( cf
supra). Ce serait principalement le domaine des
apprentissages classiques. Le fait que l’autorité du
maître soit ici prééminente ne signifie pas qu’elle ne
puisse et ne doive être, parfois, déléguée – mais
toujours selon la décision et sous le contrôle de
l’enseignant.
2°) Un second domaine où l’autorité de l’enseignant
est relative et limitée : c’est notamment le domaine des
projets, des activités « pragmatiques »
et/ou
productives ( réaliser ensemble une œuvre, accomplir
une action collective, etc.). Ici, une délibération
« démocratique » est non seulement possible, mais
nécessaire. Toutefois, l’enseignant garde l’autorité de
l’expert, qui peut indiquer la « faisabilité » de tel ou tel
projet, imposer des limites pour des raisons de sécurité,
de conformité aux règles et aux lois de la société, etc.
3°) Enfin, un troisième domaine où il y a égalité
absolue, radicale, de l’enseignant ou de l’éducateur et
de ses élèves : c’est en particulier le domaine de la
parole « expressive » ( Quoi de neuf ? , Heure de vie de
classe ), où l’enseignant peut intervenir, mais sans que
sa parole ait plus ou moins de valeur que celle de
n’importe quel de ses élèves. C’est aussi le domaine de
la parole argumentative, du débat philosophique ou
éthique, c’est-à-dire d’une réflexion en commun à
partir d’une « condition d’ignorance » qui interdit toute
hiérarchie : sur la mort, sur ce que c’est que la justice,
l’amitié, le bonheur, nul ne peut se prévaloir d’en
savoir plus que les autres…
Ici encore, l’important n’est pas de privilégier tel ou tel
de ces domaines, mais au contraire de les distinguer
soigneusement, et de veiller à ce que chacun d’eux soit
effectivement présent dans le temps scolaire ( ou
extrascolaire), car leur articulation conditionne la
formation, chez les élèves, d’une image plurielle,
diversifiée et équilibrée de la notion d’autorité.
Conclusion
On peut en fin de compte distinguer, avec G.Mendel, la
fermeté de l’autorité. La fermeté met en jeu soi-même,
alors que l’autorité cherche d’abord à agir sur l’autre.
Etre ferme face à l’autre, c’est mettre à nu sa
personnalité, se dévoiler dans ses choix de valeurs les
plus intimes, et les affirmer face à autrui de manière
explicite et sans faiblesse. Ce faisant, on oblige cet
autre à prendre position par rapport à eux. Il est
probable que face à des parents ( ou des enseignants)
fermes, la balance penchera dans le sens de
l’identification, et que cette attitude suscitera un
sentiment d’admiration devant la solidité d’une attitude
perçue comme le reflet d’une force intérieure, le
souhait d’acquérir cette force en s’identifiant à celui
qui en est le porteur.
L’autorité, au contraire, cherche à culpabiliser l’autre, à
l’infantiliser, à maintenir et pérenniser le rapport de
dépendance. « La fermeté est tout entière comprise
dans ce qu’elle manifeste et montre, alors que l’autorité
plonge ses racines beaucoup plus profond et hors la
vue »1, à savoir dans les « sentiments abandonniques »
qui habitent tout homme.
Alain ne dit pas autre chose, lorsqu’il défend l’idée
qu’il faut « maintenir l’ordre comme on balaie ». Ce
qui signifie : comme une chose « naturelle », à partir de
laquelle les échanges, les apprentissages, les relations
d’amitié ou d’estime sont possibles, mais qui ne doit
pas donner lieu à une « survalorisation » génératrice de
culpabilisation et de frustrations.
Reste à
savoir si l’idée d’une autorité
« démocratique », fondée sur des rapports contractuels
dont il s’agit d’assurer le respect, possède un sens.
Comme le remarque Tocqueville, le concept même de
démocratie semble antinomique de celui d’autorité,
puisqu’il implique l’égalité absolue des hommes qui
composent la société. Dans la démocratie athénienne,
on le sait, tout citoyen pouvait assurer des fonctions
qu’aujourd’hui on dirait « d’autorité » ( archonte, c’està-dire ministre), et ce par tirage au sort, donc sans
aucune considération de compétence ou de dignité
particulière. Les citoyens obéissaient à celui qui était
pourtant strictement leur égal, non parce qu’il était
investi de l’autorité de l’Etat ( la notion même d’état
était inconnue des grecs, c’est une création des
romains) , mais parce que l’acte de gouverner , comme
1
G.Mendel, Une histoire de l’autorité, La Découverte,
2002.
5
le dit Aristote, était pour eux tout aussi caractéristique
de la citoyenneté que l’acte d’être gouverné, c’est à
dire d’obéir.
Il s’agit probablement là d’un idéal impossible à
réaliser dans les sociétés modernes de très grande taille,
où le principe démocratique abstrait du contrat doit
trouver des représentations concrètes dans l’autorité
d’hommes incarnant la légitimité ( De Gaulle en est un
exemple parmi d’autres). Il en va de même dans
l’éducation et l’enseignement : la relation contractuelle
n’est jamais donnée d’emblée, et les pratiquants de la
pédagogie institutionnelle savent bien qu’il faut
d’abord assurer l’ordre, parce que du désordre jamais
rien n’est sorti que les formes les plus archaïques et les
plus despotiques de l’autorité. Mais il ne faut jamais
perdre de vue que l’autorité ne peut jamais être qu’un
commencement, une condition de l’évolution vers
l’instauration progressive de la démocratie dans la
classe et dans les apprentissages – et jamais une fin en
soi.
L’utilisation de ce texte est autorisée à des fins de formation
aux conditions que le nom de l’auteur
et l’origine du document soient précisés
Si vous constatez des erreurs, vous pouvez l’indiquer
en écrivant à [email protected]
Les corrections seront effectuées.
Texte actualisé le 17 / 10 / 02