TOUT VA BIEN
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TOUT VA BIEN
Eglise Réformée Evangélique du Valais - EREV PAROISSE PROTESTANTE DE SION pasteur François SCHLAEPPI Dimanche 31 juillet 2016 – TOUT VA BIEN ! 1ère lecture : Amos 3 : 9-11 Sur les toits des belles maisons de la ville d’Asdod, sur les toits des belles maisons d’Égypte, criez et dites : Rassemblez-vous sur les hauteurs de Samarie, voyez les nombreux désordres et la violence qui s’y trouvent. Le SEIGNEUR déclare : Certains entassent dans leurs belles maisons tout ce que la violence et le vol leur rapportent. Ces gens-là ne savent pas agir de façon honnête. C’est pourquoi, ville de Samarie, moi, le Seigneur DIEU, je te dis : Tes ennemis entoureront le pays, ils détruiront tes murs de défense, ils pilleront tes belles maisons. 2ème lecture : Amos 5 : 4-7, 11-12 Voici ce que le SEIGNEUR dit au peuple d’Israël : Si vous voulez vivre, c’est moi que vous devez chercher. Mais ne me cherchez pas au temple de Béthel. N’entrez pas au lieu sacré du Guilgal. Ne passez pas à celui de Berchéba. Oui, les gens du Guilgal seront déportés, et Béthel, la maison de Dieu, deviendra maison des faux dieux. Si vous voulez vivre, c’est le SEIGNEUR que vous devez chercher. Sinon, il viendra sur la famille de Joseph comme un feu. Il brûlera tout à Béthel, et personne ne pourra l’éteindre. Hélas ! le droit est devenu une chose amère, la justice est traînée par terre. Vous écrasez le pauvre par l’injustice, vous lui prenez de force une part de sa récolte. Eh bien, à cause de cela, vous n’habiterez pas dans les maisons en pierres taillées que vous avez bâties, vous ne boirez pas le vin des belles vignes que vous avez plantées. Oui, je le sais, vos crimes sont nombreux, vos fautes sont très graves: vous êtes les ennemis des innocents, vous acceptez des cadeaux malhonnêtes. Au tribunal, vous empêchez qu’on rende la justice aux pauvres. 3ème lecture : Amos 9 : 11-15 La ville de David est comme une hutte qui ne tient pas debout. Un jour, moi, le SEIGNEUR, je fermerai ses ouvertures, je relèverai ses pierres, je la reconstruirai comme elle était avant. Alors le peuple d’Israël pourra reprendre les anciennes terres du royaume d’Édom et des autres peuples qui m’ont connu autrefois. Moi, le SEIGNEUR, je le déclare et je le ferai. Le SEIGNEUR déclare encore : Le jour vient où les récoltes seront si abondantes qu’elles dureront jusqu’au moment du labour. De même, la récolte du raisin durera jusqu’au moment où l’on sème le blé. Alors le vin nouveau coulera sur les collines, et elles seront inondées. Je rendrai son ancienne situation à mon peuple Israël. Ils rebâtiront les villes détruites et ils les habiteront de nouveau. Ils planteront des vignes et ils boiront du vin. Ils cultiveront des jardins et ils mangeront leurs produits. Je replanterai mon peuple sur sa terre. On ne les chassera plus de la terre que je leur ai donnée. Voilà ce que j’annonce, moi, le SEIGNEUR votre Dieu. PREDICATION Mes chers, j’ai une bonne nouvelle : tout va bien ! Oui, tout va bien, la situation politique est stable, la situation économique tout autant sinon, mieux encore, en croissance. Tout va bien ! C’est vraiment une bonne nouvelle. En effet, souvenez-vous tout ce que j’ai pu dire au sujet de cette longue période au cours de laquelle les douze petits prophètes ont fait carrière, période globalement difficile, marquée à l’intérieur par une grande instabilité politique et à l’international par des conflits quasi constants et une menace permanente de la part des grandes puissances voisines. Mais là, tout va bien ; à l’époque du prophète Amos les royaumes d’Israël et de Juda dorment sur leurs deux oreilles, et non seulement sur leurs deux oreilles, mais aussi sur des oreillers confortables, mais aussi sur des matelas bien garnis qui permettent de dissimuler de coquets bas de laine. Stabilité, prospérité ! 1 Cette période d’activité des petits prophètes bibliques - Amos est le troisième sur un total de douze cette période d’activité donc a duré un peu plus de deux siècles, du 8 ème au 6ème avant Jésus-Christ. Période effectivement globalement chahutée, avec de nombreuses tensions entre etats, avec de joyeuses rivalités entre les deux royaumes « frères » de Juda et d’Israël, avec, à la clef, la chute du royaume d’Israël en 721 sous les coups de l’Assyrie et la chute de Jérusalem en 587 assiégée par les armées babyloniennes. Deux siècles donc. Si un jette un œil dans notre propre rétroviseur historique, les deux cent dernières années ont aussi été riches - riches si l’on peut dire - de bouleversements, de conflits, de révolutions, de disparitions d’états et d’apparitions d’autres états ; on le sait, les guerres n’ont jamais fait autant de victimes qu’au 20ème siècle et si nos ancêtres de 1816 revenaient, ils auraient bien de la peine à s’y retrouver dans notre monde d’aujourd’hui. Et quand on pense à la géographie politique que nous avons apprise à l’école, il n’en reste plus grand’chose dans la réalité actuelle… Mais, et j’insiste sur ce mais, une période également de stabilité et de prospérité, ce qu’on a appelé les Trente Glorieuses, ces années d’après-guerre où la croissance semblait ne jamais pouvoir s’arrêter. Ce sont les années qui vont de 1946 à 1975, les années du baby-boom, les années de la consommation, c’est l’Expo Nationale de 64, c’est le premier tronçon d’autoroute… L’autoroute de la prospérité et du bonheur matériel semblait promise à un avenir sans déclin. Eh bien, au temps d’Amos, il en va de même. La richesse augmente, le royaume d’Israël s’agrandit par reconquête de territoires préalablement perdus, le roi reste sur le trône durant une quarantaine d’années ce qui représente une jolie performance lorsqu’on sait que durant les 25 ans d’activités du prophète Osée pas moins de sept souverains se sont succédés à la tête du pays. Oui, bonne nouvelle : tout va bien ! Alors, pourquoi dans ces conditions y a-t-il nécessité d’un prophète ? Parce qu’un prophète n’est pas très utile quand tout va bien, parce que le prophète, c’est un personnage pour les temps de crise ; aucun prophète ne se lèvera pour dire Tout va bien, hormis les faux prophètes, ceux qui ont pour fonction officielle de manier la brosse à reluire. Amos, disons-le d’emblée, n’est pas un prophète « professionnel » ; il n’est issu ni d’une école de prophètes, ni d’une lignée de prophètes. Avec un vocabulaire plus contemporain, on dirait qu’Amos est un laïc. Un laïc qui, de fait, a une profession : établi près de Bethléem, il est éleveur de bovins et à côté de cela il cultive des sycomores dont les fruits servent justement à nourrir le bétail. Certainement Amos bénéficie-t-il de la prospérité générale ; il doit avoir son aisance matérielle. Tout cela pour dire que le prophète, celui-ci en tous cas, est un homme « normal », un homme issu de la « société civile », si tant est que l’expression ait du sens à l’époque. Voilà donc qu’à un moment donné de sa vie Amos va devenir en quelque sorte prédicateur. Mais un prédicateur qu’on pourrait qualifier d’œcuménique - vous voyez, c’est très moderne tout cela - dans la mesure où ce ressortissant du royaume de Juda, le royaume du Sud, va partir prêcher dans le royaume d’Israël, le royaume du Nord. En faisant un parallèle avec l’actuelle division des chrétiens, on pourrait comparer Amos à un prédicateur que Dieu enverrait d’une tradition confessionnelle dans l’autre. Sa venue dans le royaume du Nord est signe d’unité : Israël, tout divis qu’il soit sur les plans tant politique que religieux, reste un seul et même peuple aux yeux du Seigneur qui l’a élu et qui va lui en redemander compte. D’ailleurs, cela n’ira pas sans poser quelques difficultés. Le prêtre officiel de Bethel, principal sanctuaire du Nord où Amos prendra souvent la parole, ne manquera pas de lui faire remarquer qu’il n’est pas du pays et cela aboutira à un « prophète go home ! » sans appel. Si nul n’est prophète dans son pays, il est tout aussi difficile de l’être dans le pays voisin. Mais la question est restée sans réponse : pourquoi un prophète alors que tout va bien ? Tout simplement parce que cette stabilité politique et cette prospérité économique ne sont pas tant que ça 2 synonymes de tout va bien. Il faut se méfier des apparences, il faut gratter un peu la couche superficielle d’argent ou d’or pour voir ce qu’il y a en-dessous. Si nous pensons aux Trente Glorieuses dont nous sommes la plupart issus, c’est vrai, la majorité des gens ont profité de la prospérité : les logements sont devenus plus confortables, les équipements ménagers ont simplifié les tâches d’entretien et le travail en cuisine, la voiture est devenue synonyme de liberté et la télévision est entrée dans presque tous les foyers, même si elle a divisé le cercle de famille en demi-cercle pour reprendre la sentence de l’un de nos vieux enseignants quelque peu moraliste. Il n’empêche, la prospérité n’a pas pour autant été sans problèmes. On a quand même fini par savoir ce qu’il en était de la vie dans les baraquements des ouvriers saisonniers, à l’époque essentiellement des italiens qu’on renvoyait au pays trois mois par année, mais qui entre-temps étaient coupés de leurs familles. Et puis la stabilité politique de notre Europe occidentale a été possible grâce à l’exportation de conflits sanglants dans les pays en voie de développement. Et au moment où l’occidental prenait gentiment du poids, les crises alimentaires ravageaient l’Inde, l’Afrique, souvenez-vous du Biafra… Tout va bien, mais… A l’époque d’Amos, c’est du pareil au même, sinon pire. Prospérité oui, mais injustice, mais inégalités. La fortune des uns s’édifie au détriment des autres ; un siècle plus tôt, le roi Achab s’était attaqué, en la personne de Naboth, à l’institution inaliénable selon laquelle chaque famille israélite devait pouvoir disposer de sa maison et de son champ, sur une terre qui ne pouvait être vendue, parce qu’elle n’appartenait qu’à Dieu. L’esprit mercantile cananéen vient concurrencer sérieusement la tradition égalitaire d’Israël ; l’affairisme gagne l’ensemble des classes dirigeantes. Les paysans pour payer leurs dettes doivent se défaire de leur patrimoine ; devenus simples métayers, puis acculés à la faillite par de nouvelles dettes, ils en viennent à vendre leurs propres enfants, puis à se vendre eux-mêmes comme esclaves. Amos va dénoncer vigoureusement cette pratique ; en cette période de prospérité économique, son message retentit comme un coup de tonnerre dans un ciel bleu. Afin d’amener ses auditeurs à prendre conscience de la situation, Amos les renvoie à eux-mêmes, ou plutôt à ce que Dieu a fait pour eux. Il fait ainsi allusion à l’histoire sainte, à ce récit des interventions de Dieu dans la vie passée de son peuple, interventions telles la destruction de Sodome et Gomorrhe, la sortie d’Egypte, la marche au désert, la conquête de la Terre Promise, la mission des premiers prophètes. Ces interventions de Dieu, qui font partie intégrante de la tradition spirituelle d’Israël, se sont prolongées jusque dans un passé récent par de sérieux avertissements, sécheresses, maladies, … ; tout cela aurait dû amener le peuple qui se réclame de Dieu à prendre conscience de sa trahison, mais rien n’y fit. Mais le point sur lequel Amos insiste le plus, c’est l’équité et la justice, c’est le droit, c’est-à-dire l’ensemble des règles qui permettent la vie en communauté. En Israël, le droit est considéré comme institué par Dieu lui-même, qui garantit ainsi l’existence des plus faibles, des plus menacés. Quand le droit est respecté, alors règne la justice, c’est-à-dire l’ordre que Dieu veut voir instauré au sein de son peuple, ordre qui inclut justice au tribunal et justice sociale. S’appuyant sur ces diverses marques de l’autorité qu’Israël devait reconnaître à son Dieu, Amos tourne son regard vers le présent et vers l’avenir. Vers le présent d’abord, pour critiquer vigoureusement le désordre qui sévit en Israël en matières économique, sociale et religieuse, les trois étant intimement liées. Amos apparaît ainsi comme un champion des « droits de l’homme », si l’on entend par là les droits que Dieu revendique pour les humains, droits qu’il a lui-même conçus et formulés. C’est pourquoi l’avenir, tel que le voit et le décrit Amos, est chargé de lourdes menaces pour tous, mais plus particulièrement pour le peuple qui se réclame du Dieu vivant. Parmi ces menaces, la plus inattendue et la plus redoutable est celle du jour du Seigneur. Sous cette expression les 3 contemporains d’Amos attendaient, de la part de Dieu, une manifestation soudaine de puissance qui leur assurerait revanche et triomphe sur leurs ennemis. Mais Amos annonce au contraire que ce jour sera semblable à une nuit sombre ; loin d’apporter la victoire définitive, le jour du Seigneur sera prélude au jugement. * La stabilité politique et la prospérité économique peuvent cacher de graves dysfonctionnements, des dysfonctionnements qui prennent racine dans l’abandon d’une juste et saine référence à la Parole de Dieu. Dire que tout va bien, alors que Dieu n’est plus la boussole qui permet de conduire le pays ; dire que tout va bien, alors que la prospérité n’est plus mesurée à l’aune des bienfaits de la Providence mais qu’elle repose sur l’injustice et l’inégalité ; dire que tout va bien dans ces conditions, ce n’est rien moins que se tromper soi-même. * Le livre du prophète Amos, par-delà le jugement annoncé, se termine par une déclaration ouvrant une perspective de restauration. Nous l’avons entendu en troisième lecture, la dynastie de David sera rétablie. Bien entendu, nous voyons se dessiner là l’annonce de la venue du Messie, l’annonce de la venue du Christ. Dans le livre des Actes des Apôtres (Ac 15 :16-18), Jacques citera cette prophétie pour en souligner la portée élargie à toutes les nations et montrer ainsi que le projet de Dieu dépasse les limites d’Israël et vient nous toucher ici aujourd’hui. Dieu n’abandonne pas sa promesse - et en ce sens, nous pouvons dire tout va bien. Mais si cette promesse de Dieu, promesse de restauration, vient jusqu’à nous, elle s’assortit pour nous également d’une belle responsabilité : nous devons nous aussi, dans la prospérité qui est la nôtre, veiller à ce que la justice selon l’Evangile ne soit pas bafouée, nous devons nous aussi nous faire les champions des droits de l’homme, entendons par là le droit que tout être humain a à être reconnu comme un enfant de Dieu. Ainsi, oui, pourrons-nous dire que tout va bien. Amen. 4