Difficultés de langage et de comportement à 3 ans et demi et retard

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Difficultés de langage et de comportement à 3 ans et demi et retard
© 2006. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
Rev Epidemiol Sante Publique, 2006, 54 : 327-339
Difficultés de langage et de comportement à 3 ans et demi et retard en lecture
au cours élémentaire
Language and behavioral difficulties at age 3 and half and reading delay in grade 2
L. WATIER (1), G. DELLATOLAS (1), C. CHEVRIE-MULLER (1, 2)
(1) Inserm U472 – IFR 69 – Épidémiologie et Biostatistique, 16, avenue Paul-Vaillant-Couturier, 94807 Villejuif Cedex.
Email : [email protected] (Tirés à part : L. Watier)
(2) CNRS UMR 8606, Laboratoire d’Études sur l’Acquisition et la Pathologie du Langage, Villejuif.
Background: Early detection of specific language impairment and dyslexia in children is an important public health problem. Longitudinal studies are needed for the distinction of real impairments
from simple transitory delays.
Methods: Teachers filled a 29-item questionnaire on language and behavior for 695 children aged
3.5 years. Four years later (at second grade of primary school) the same children were evaluated for
reading and writing. Statistical analysis focused on the relationships between teacher’s early observations and reading delay 4 years later. Associated factors were age, sex, educational level and bilinguism of the parents, and area of the school.
Results: The delay in written language acquisition (8.5% of the children) was significantly associated with low educational level (but not bilinguism) of the parents and to the area of the school. In
univariate analysis, most of the teacher’s early negative assessments were significantly related to reading/writing delay, with the exception of some behavioral problems. However, when the effect of associated factors was taken into account only a few items, mainly concerning language expression,
remained significantly associated with later reading/writing delay.
Conclusion: These data show a major role of associated factors (educational level of the parents,
area of the school) in reading delay, and help to select specific teacher’s observations for an early
prediction of this delay.
Reading delay. Specific language impairment. Child. Longitudinal. Epidemiology.
Position du problème : Le repérage précoce des troubles du langage oral et écrit de l’enfant, parfois
associés à d’autres troubles du comportement, est considéré comme un problème de santé publique.
Le suivi longitudinal des enfants est nécessaire pour différencier les vrais troubles des simples retards
qui peuvent se combler avec le développement de l’enfant.
Méthodes : Les enseignants de petite section de maternelle ont répondu à 29 questions sur le langage et le comportement de 695 enfants. Des épreuves de lecture et de dictée ont été proposées aux
mêmes enfants en deuxième année de scolarité élémentaire (CE1). L’analyse examine les relations
entre les observations initiales et la présence d’un retard en lecture au CE1, sans tenir compte puis
en tenant compte des facteurs associés : âge, sexe, niveau socioculturel de la famille, bilinguisme, zone
d’implantation de l’école.
Résultats : Le retard dans l’apprentissage du langage écrit au CE1 (8,5 % des enfants) était lié au
niveau socioculturel de la famille, à la zone d’implantation de l’école (d’éducation prioritaire ou
Texte reçu le 26 juillet 2005. Acceptation définitive le 23 février 2006.
328
L. WATIER ET COLLABORATEURS
urbaine sensible) et, en analyse univariée, à la plupart des appréciations précoces des enseignants
concernant le langage et le comportement de l’enfant à 3 ans et demi, à l’exception de certains items
concernant le comportement. Le bilinguisme de la famille et le sexe n’étaient pas des facteurs de
retard. Après prise en compte de l’effet des facteurs associés, seul un petit nombre d’items concernant
essentiellement la production orale restaient liés au retard en langage écrit. L’intervention orthophonique en grande section de maternelle n’était pas liée au retard de langage écrit au CE1 ; très peu
d’enfants des zones d’éducation prioritaire et urbaines sensibles bénéficiaient d’une prise en charge
orthophonique au CE1 (3 % contre 13 % chez les autres enfants), alors que les retards en lecture
étaient plus fréquents dans ces zones.
Conclusion : Après prise en compte de l’effet du niveau socioculturel de la famille et de la zone
d’implantation de l’école, un petit nombre des appréciations négatives des enseignants de la petite
section de maternelle ont une valeur prédictive significative du retard en langage écrit, quatre ans
plus tard.
Troubles spécifiques du langage. Lecture. Enfant. Étude longitudinale. Épidémiologie.
INTRODUCTION
Les troubles d’apprentissage chez l’enfant et,
en particulier, ceux du langage oral et écrit ont été
récemment reconnus comme étant un problème
de santé publique important [1]. Malgré ce constat,
les études épidémiologiques de ces troubles, et en
particulier les études longitudinales, restent insuffisantes en France [1, 2].
Certaines difficultés langagières observées à
l’âge préscolaire sont liées aux performances
scolaires, notamment en lecture, quelques années
après [3-6]. Toutefois, une proportion importante des enfants ayant été identifiés précocement
comme présentant des retards de langage, ont des
chances de voir leurs difficultés disparaître avant
l’âge de 5-6 ans [7]. La distinction entre « vrais »
troubles et simples retards, se rattrapant avec le
développement de l’enfant, n’est possible que
lors de suivis longitudinaux permettant d’observer la persistance ou non des difficultés de langage [2, 8].
Le DSM-IV [9], dans le chapitre « Troubles de
la communication », définit chez l’enfant trois
syndromes : le trouble du langage de type expressif, le trouble du langage de type mixte réceptifexpressif et le trouble phonologique (auparavant
trouble de l’acquisition de l’articulation). Dans le
trouble du langage de type expressif, la perturbation peut se manifester par des symptômes tels
que vocabulaire notablement restreint, erreurs de
temps, difficultés d’évocation des mots, difficultés à construire des phrases d’une longueur ou
d’une complexité appropriées au stade du déve-
loppement. En cas de trouble du langage de type
mixte réceptif-expressif, aux symptômes précédents s’ajoutent des difficultés à comprendre certains mots, certaines phrases ou des catégories
particulières de mots, comme les termes concernant la position dans l’espace. Le trouble phonologique est une incapacité à utiliser les phonèmes
normalement acquis à chaque stade du développement compte tenu de l’âge et de la langue du
sujet : erreurs dans la production des phonèmes,
leur utilisation, leur représentation ou leur organisation, conduisant, par exemple, à des substitutions d’un phonème par un autre, des omissions
de certains phonèmes, comme ceux en position
finale.
Selon le DSM-IV, les critères diagnostiques
permettant de retenir ces troubles spécifiques
sont de trois ordres : a) l’obtention de scores sur
des mesures standardisées en dessous des normes ;
b) l’interférence des difficultés de langage avec
la réussite scolaire ou professionnelle ou avec la
communication sociale ; c) l’absence de troubles
envahissants du développement. Par ailleurs, il
est précisé que « s’il existe un retard mental, un
déficit moteur affectant la parole, un déficit sensoriel ou une carence de l’environnement, les difficultés de langage dépassent celles habituellement
associées à ces conditions ».
Selon une revue de la littérature [8], la médiane
des prévalences des troubles de la parole et du
langage chez l’enfant entre 2 et 7 ans, rapportées
par l’ensemble des études réalisées, est de 5,95 %.
Cette valeur est proche de celle proposée dans un
rapport au Gouvernement français selon lequel
TROUBLES PRÉCOCES DU LANGAGE ET DU COMPORTEMENT ET RETARD EN LECTURE
environ 5 % des enfants présenteraient un trouble
de la parole et du langage, dont moins de 1 % un
trouble sévère [10]. Toutefois, cette prévalence
peut varier selon les études entre 0,6 % et 33 %
[8]. Cette disparité s’explique, en partie, par les
problèmes de définition. En effet, certaines études considèrent uniquement les troubles spécifiques du langage (non associés à un retard cognitif
général) et primaires (non liés à une cause évidente), alors que d’autres s’intéressent aux retards
de langage toutes causes confondues. De plus, les
seuils choisis sur les scores des mesures standardisées pour décider si la performance d’un enfant
est nettement au-dessous de celle attendue, tout
en étant arbitraires, déterminent la prévalence du
« trouble ».
Par ailleurs, un grand nombre d’études montrent
que l’association des troubles du développement
du langage avec des troubles du comportement et
psychiatriques est très fréquente [11, 12]. Des
auteurs français insistent sur le rôle des interactions précoces mère/enfant dans l’élaboration du
langage de l’enfant [13-15]. Du point de vue de
la santé publique, il paraît important de rappeler
que les troubles du langage constatés chez le
jeune enfant ne seraient pas seulement un facteur
de risque de difficultés d’apprentissage de l’écrit,
mais aussi le témoin de troubles responsables de
pathologie psychiatrique après l’adolescence,
comme le suggèrent des études longitudinales [16].
Plusieurs outils en langue française ont été
récemment proposés pour le repérage ou le dépistage précoce des troubles du langage chez l’enfant.
Ces outils peuvent être classés en deux catégories : ceux qui comportent un examen, même très
bref, du langage de l’enfant [17-19] et les questionnaires [20-22]. Un assez grand nombre de
travaux concluent à la pertinence de l’opinion des
parents, des enseignants et des cliniciens dans le
repérage des troubles du langage chez l’enfant
[23-27].
Parmi ces outils, le Questionnaire Langage et
Comportement (QLC) est destiné aux enseignants
de la petite section de maternelle pour repérer les
enfants susceptibles de présenter des troubles du
langage et du comportement. Ce travail étudie la
liaison entre le repérage réalisé en petite section
de maternelle et l’apprentissage du langage écrit
(lecture et dictée) au CE1. Plutôt que de chercher
à définir des troubles « spécifiques » de l’appren-
329
tissage de la lecture, qui ne seraient pas dus à des
carences éducatives, nous examinons l’effet des
difficultés de langage et de comportement repérées précocement par les enseignants sur le retard
d’apprentissage de la lecture, lorsque l’on tient
compte de certains facteurs liés à l’environnement socio-éducatif de l’enfant : niveau d’études
des parents, présence ou absence d’un bilinguisme
au sein de la famille, zone d’implantation de l’école
de l’enfant.
MATÉRIEL ET MÉTHODES
POPULATION DE L’ÉTUDE
Les données sont issues d’une étude longitudinale réalisée
de 1987 à 1993 [28]. L’échantillon initial était constitué de
2 059 enfants. Un total de 200 écoles, réparties dans les départements des Hauts-de-Seine, de l’Hérault, de l’Indre, de Paris
(14e et 15e arrondissement) et du Val-de-Marne, ont été choisies de façon à constituer des échantillons contrastés (zones
d’éducation prioritaires, zones sensibles et autres). Lorsque,
dans une école, plus de 10 enfants répondaient au critère d’âge,
un tirage au sort était réalisé pour ne retenir que 10 enfants
[29]. L’analyse porte sur les 695 enfants suivis de la petite
section de maternelle jusqu’au CE1. En raison des difficultés
d’encadrement, les départements de l’Hérault et de l’Indre ont
été exclus du suivi, ce qui a conduit à la perte de 697 enfants
(34 % de l’échantillon initial). De plus, parmi les écoles situées
en Île-de-France, 654 enfants ont été perdus de vue (49 % du
sous-échantillon).
Pour chaque enfant, son âge, son sexe, la ou les langues
parlées dans la famille, le niveau d’études, la profession de
ses parents et l’implantation géographique de son école
étaient connus. Les enfants ont été considérés « bilingues »
lorsque le français n’était pas la langue maternelle d’un ou des
deux parents. Deux niveaux socioculturels ont été définis à
partir de la profession et du niveau d’études des parents. Le
niveau à risque (« bas ») correspond aux professions ouvrières (qualifiées ou spécialisées) et à une scolarité des parents
de niveau primaire avec ou sans CEP ou CAP. Lorsque la profession du père et celle de la mère étaient connues toutes les
deux, le niveau d’études le plus élevé a été retenu. L’implantation géographique de l’école a été regroupée en deux catégories selon les critères de l’INED, en considérant « à risque »
les zones d’éducation prioritaire et urbaines sensibles [29].
L’information sur une prise en charge en orthophonie était
disponible en grande section de maternelle et au CE1.
Au CE1, l’âge moyen est de 7 ans et 5 mois (89 mois) avec
des extrêmes allant de 77 à 104 mois (tableau I). On observe
autant de garçons (48 %) que de filles. Le niveau socioculturel des parents est bas chez 35 % des enfants. La langue
maternelle d’un des deux ou des deux parents n’est pas le
français chez 21 % des enfants. L’école se situe dans une zone
d’éducation prioritaire ou urbaine sensible pour environ le
quart des enfants. En grande section, 6,5 % des enfants ont été
suivis en orthophonie et 10,4 % le sont au CE1.
330
L. WATIER ET COLLABORATEURS
TABLEAU I. — Caractéristiques des élèves suivis jusqu’au CE1
et des élèves non suivis.
Élèves suivis
Élèves
non suivis
Effectif
(%)
Effectif
(%)
p
Sexe masculin
695
(48,1)
1 313
(51,9)
0,10
Niveau
socioculturel bas
638
(35,3)
1 195
(44,8) < 0,0001
Parents non
francophones
636
(21,2)
1 201
(15,4)
0,002
693
(24,2)
1 181
(26,5)
0,28
695
(6,5)
303
Zones
géographiques
sensibles
ou ZEP
Orthophonie en
grande section
de maternelle
(13,2) 0,0005
p : degré de signification du test du χ2.
La comparaison des enfants suivis jusqu’au CE1 et des
enfants non inclus dans le suivi ou perdus de vue montre qu’il
y a autant de filles et de garçons dans les deux groupes et que
l’école fréquentée se situe dans une zone d’éducation prioritaire ou urbaine sensible pour environ le quart des enfants
dans chacun des groupes (tableau I). Par contre, les enfants
suivis sont plus souvent issus de familles dont le niveau socioculturel est moyen ou élevé (64,7 % contre 55,2 %, p < 0,0001), et
de familles dont la langue maternelle d’un ou des deux parents
n’est pas le français (21,2 % contre 15,4 %, p = 0,002). Par
ailleurs, ils sont moins nombreux à avoir eu une prise en
charge en orthophonie en grande section de maternelle,
comparés aux 303 enfants suivis jusqu’à la grande section
de maternelle mais pas jusqu’au CE1 (6,5 % contre 13,2 %,
p = 0,0005).
Questionnaire Langage et Comportement [28]. Les items
ont trait à 7 types d’aptitudes et de comportements : 1) voix
et parole ; 2) langage-compréhension ; 3) langage-expression ;
4) motricité (motricité générale et habileté manuelle) ;
5) mémoire verbale ; 6) comportement dans le jeu et lors des
activités scolaires (activités d’éveil) ; 7) comportement en groupe
et en général.
Dans un premier travail, portant sur 1 941 questionnaires
de la petite section de maternelle, 5 échelles ont été définies
[29]. La première, intégrant l’ensemble des items, permet
d’apprécier les difficultés globales de l’enfant. Les 4 autres
échelles, intégrant chacune un sous-groupe d’items, permettent d’apprécier les difficultés de l’enfant : 1) en production
orale, 2) en attention et motricité, 3) en comportement, et
4) en compréhension.
À partir de ces 5 échelles, 5 scores tenant compte du nombre de données manquantes ont été définis en multipliant la
somme des appréciations négatives de l’enseignant aux items
considérés par un facteur correctif (inverse du prorata). Ces
scores ont ensuite été dichotomisés. Pour le premier, le seuil
retenu est celui proposé par les auteurs du QLC [28]. Les 4
autres scores ont été dichotomisés en adoptant un seuil limite
tel que le pourcentage d’enfants ayant un score au-dessous de
ce seuil soit le plus proche de 15 %. Ce seuil limite est classiquement retenu dans les études de ce type et pouvait être
approché d’après les distributions discontinues observées des
différents scores. Ainsi, sur l’échantillon suivi jusqu’au CE1,
4,5 % des enfants présentent des difficultés globales, 10,2 %
des difficultés en production orale, 9,6 % des difficultés en
attention et motricité, 14 % en comportement et 11,1 % en
compréhension (tableau II).
MÉTHODE
Les élèves non suivis jusqu’au CE1 ou perdus de vue sont
significativement plus en difficulté globale en petite section
(tableau II). En effet, parmi ces enfants, 7,8 % contre 4,5 %
sont en difficulté globale (p = 0,006). Il en est de même si l’on
considère les difficultés liées à la production orale (16,3 %
contre 10,3 %, p = 0,0004) ou à l’attention et la motricité
(16,9 % contre 9,6 %, p < 0,0001). Par contre, il n’y a pas de
différences sur les difficultés en comportement ou en compréhension.
En petite section de maternelle, l’évaluation des capacités
linguistiques et cognitives de chaque enfant est basée sur les
réponses (oui ou non) des enseignant(e)s aux 29 items du
Au CE1, cinq épreuves d’évaluation du langage écrit ont
été proposées aux enfants. Elles sont constituées d’épreuves
standardisées et étalonnées dans des populations d’enfants
TABLEAU II. — Pourcentages d’enfants suivis jusqu’au CE1 et non suivis repérés en difficulté en petite section.
Élèves suivis
Difficultés globales
Élèves non suivis
Effectif
(%)
Effectif
(%)
p
646
(4,5)
1 298
(7,8)
0,006
633
637
634
634
(10,3)
(9,6)
(13,9)
(11,0)
1 274
1 287
1 274
1 281
(16,3)
(16,9)
(15,1)
(10,4)
0,0004
< 0,0001
NS
NS
Difficultés partielles en :
– production orale
– attention et motricité
– comportement
– compréhension
p : degré de signification du test du χ2.
TROUBLES PRÉCOCES DU LANGAGE ET DU COMPORTEMENT ET RETARD EN LECTURE
normalement scolarisés appartenant aux classes d’âge concernées par l’étude. Ces épreuves consistent en :
1) une dictée de phonèmes, de syllabes simples et complexes, isolées ou insérées dans un texte signifiant [30] : cette
dictée permet de vérifier les capacités de transcription orthographique, en évaluant la transcription graphique du phonème
et de la syllabe (isolée ou au sein du mot) entendus, mais aussi
l’orthographe de mots d’usage courant et le début de la maîtrise des règles grammaticales ;
2) une lecture de mots sans signification (non mots) [31] :
cette épreuve permet de tester la stratégie de lecture par voie
d’assemblage (sans recours au sens) puisqu’il s’agit de mots
qui ne font pas partie du lexique de l’enfant ;
3) une lecture de mots (mots d’orthographe « régulière »)
[31] : il s’agit pour l’enfant de décoder des mots qui, en principe, figurent dans son lexique (mots fréquents) et pour lesquels il peut utiliser la stratégie d’adressage (en ayant recours
au caractère familier et au sens du mot), ou éventuellement la
stratégie d’assemblage ; il est ainsi possible de comparer les
résultats à ceux de l’épreuve précédente et de faire les premières hypothèses sur les processus cognitifs à l’origine d’éventuelles difficultés de lecture ;
4) une lecture de lettres et de syllabes isolées, qui permet
d’évaluer les capacités de base pour la lecture, avec la possibilité pour l’enfant de faire le lien entre la graphie et le phonème et la syllabe (acquisition de la fusion syllabique) [30] ;
5) une lecture silencieuse [32] : cette épreuve permet
d’évaluer la compréhension du texte lu.
Ces différentes épreuves explorent des processus nécessaires pour la perception, la compréhension et la production
du langage écrit. Pour définir l’« échec global » à ces épreuves, les distributions des 5 scores ont été dichotomisées en
adoptant un seuil limite tel que le pourcentage d’enfants
ayant un score au-dessous de ce seuil soit le plus proche de
15 %. Un point a ensuite été attribué pour chaque échec, la
somme conduisant à un score variant de 0 (enfants sans
échec aux 5 épreuves) à 5 (enfants en échec aux 5 épreuves).
Lorsque l’enfant était en échec à au moins 4 épreuves, il a
été considéré comme ayant un retard global de langage écrit
au CE1. Ainsi, 8,5 % des enfants sont considérés comme
présentant un retard de langage écrit. Ce pourcentage élevé
d’enfants échouant à au moins 4 épreuves sur 5 résulte de ce
que les 5 épreuves sont fortement liées entre elles (ce pourcentage serait d’environ 2/1 000 si les épreuves étaient indépendantes).
Des analyses univariées et multivariées, centrées sur la
relation entre un retard de langage écrit au CE1 et la présence
de difficultés en petite section, ont été réalisées. Le test du χ2
a été utilisé pour tester des différences dans les pourcentages.
Les paramètres des modèles logistiques ont été estimés par la
procédure « PROC LOGISTIC » de SAS® (SAS, Institute Inc.
Cary, NC, USA).
RÉSULTATS
La comparaison des pourcentages d’appréciations négatives aux 29 items du questionnaire de
la petite section, selon la présence ou non d’un
retard au CE1, montre que la majorité des items
331
de la petite section de maternelle est liée à la présence d’un retard en langage écrit 4 ans plus tard
(tableau III). On observe des différences particulièrement importantes pour certains items concernant le langage : comprend ’’pourquoi ?’’ », utilise
des subordonnées, vocabulaire normal ou riche,
etc. On notera une différence très importante pour
l’item « voix chuchotée ». Les 8 items de la
petite section non associés à la présence d’un
retard de langage écrit au CE1 correspondent à
des items concernant la motricité et le comportement, à l’item « parler bébé » et à l’item « désigne son ventre ».
Des analyses univariées ont permis de tester si
la présence d’un retard de langage écrit au CE1
différait selon les facteurs recueillis, à savoir
l’âge, le sexe, la zone d’implantation géographique de l’école fréquentée, le niveau socioculturel
de la famille, la présence d’un bilinguisme dans
la famille et la prise en charge en orthophonie en
grande section de maternelle (tableau IV). La présence d’un retard de langage écrit au CE1 n’est
pas liée au sexe, ni à la présence d’un bilinguisme
au sein de la famille, alors que ces facteurs étaient
liés aux difficultés de langage et de comportement en petite section [29]. Par contre, le retard
en lecture au CE1 est plus fréquent lorsque le
milieu socioculturel de la famille est bas et lorsque l’école fréquentée se trouve en zone d’éducation prioritaire ou urbaine sensible. De plus, les
enfants présentant un retard de langage écrit au
CE1 ont un âge significativement plus élevé que
ceux qui n’en présentent pas. Les interventions
thérapeutiques réalisées en grande section de
maternelle ne sont pas liées à la présence d’un
retard dans le langage écrit au CE1. Par la suite,
le sexe, la présence d’un bilinguisme et l’intervention thérapeutique en grande section ne seront
pas inclus dans les modèles multivariés.
La présence de difficultés globales en petite
section est liée à la présence d’un retard de langage écrit au CE1 (tableau V). Parmi les quatre
composantes du QLC, seule la présence de difficultés dans le comportement n’influe pas sur le
retard de langage écrit au CE1. Une association
particulièrement importante est observée entre les
difficultés en production orale en petite section et
la présence d’un retard au CE1. Toutefois, même
pour les difficultés en production orale, la sensibilité du questionnaire de petite section à lui seul
332
L. WATIER ET COLLABORATEURS
TABLEAU III. — Comparaison du pourcentage d’appréciations négatives aux 29 items du questionnaire de petite section entre
les enfants présentant un retard ou non au CE1.
Items du QLC
N
% d’appréciations négatives
au QLC
Avec retard
Sans retard
en CE1
en CE1
OR*
p
1. Voix et parole
Parler bébé
Voix chuchotée ou très faible
615
636
13,7
26,8
10,1
6,9
1,42
4,94
5,82†
NS
< 0,0001
< 0,0001
2. Langage – compréhension
Comprend “Sur”
635
11,3
4,0
630
584
621
618
591
29,1
23,6
14,6
26,4
25,5
13,4
11,4
5,7
11,9
5,5
637
5,5
2,4
3,10
4,07†
2,65
2,38
2,84
2,67
5,87
4,23†
2,34
0,01
0,03
0,001
0,01
0,01
0,003
< 0,0001
0,003
NS
626
611
22,6
19,2
10,0
7,9
603
627
565
21,6
11,1
47,1
7,8
4,0
19,1
637
38,9
16,6
2,65
2,79
3,26†
3,26
2,99
3,77
2,66†
3,19
0,005
0,006
0,02
0,001
0,02
< 0,0001
0,02
< 0,0001
635
627
10,7
16,7
6,0
5,6
1,87
3,38
2,83†
1,68
2,28
NS
0,002
0,05
NS
0,04
Comprend “Sous”
Comprend “Le plus long”
Qu’est-ce que ? (+verbe d’action)
Combien ?
Pourquoi ?
Désigne “ventre”
3. Langage – expression
Dit ses nom et prénom
Répond à “Quel âge as-tu ?”
Utilise le “Je”
Phrases de 2 à 3 mots (+ verbe)
Utilise des subordonnées
Vocabulaire normal ou riche
4. Motricité
Bonne motricité globale
Bonne habileté manuelle
Découpe avec des ciseaux
607
15,1
9,6
Utilise la colle de façon adaptée
618
14,8
7,1
5. Mémoire verbale
Retient facilement les comptines
536
22,9
10,4
2,56
0,02
6. Comportement dans le jeu et lors des activités d’éveil
Verbalise ses actions
579
50,0
29,9
2,34
0,003
Introduit la fiction
495
40,0
20,7
2,56
0,003
Exécute tout son travail
599
21,2
13,9
1,66
NS
Soutient son attention
604
17,0
8,2
2,30
0,03
Activités normalement diversifiées
627
18,5
9,8
2,10
0,05
7. Comportement en groupe et en général
Aime entendre des histoires
611
9,4
6,3
1,56
NS
Obéit à “Chacun son tour”
611
24,5
13,6
2,06
0,03
Suit les « règles de vie » en classe
625
23,6
14,0
1,90
NS
Problèmes de comportement
594
17,4
11,5
1,62
NS
* Odds Ratio bruts – † Odds Ratio significativement différent de 1 après ajustement sur l’âge, le sexe, le niveau socioculturel
de la famille, la présence ou l’absence d’un bilinguisme dans la famille et la situation géographique de l’école fréquentée.
333
TROUBLES PRÉCOCES DU LANGAGE ET DU COMPORTEMENT ET RETARD EN LECTURE
TABLEAU IV. — Associations brutes entre le retard au CE1 et les caractéristiques des enfants.
Effectifa
OR
IC 95 %
p
Âge (en mois)
45/505
1,14
(1,05 – 1,24)
0,003
Sexeb
59/634
0,82
(0,48 – 1,40)
NS
55/637
4,72
(2,60 – 8,58)
< 0,0001
Niveau socioculturel
Bilinguisme
c
d
55/580
1,44
(0,77 – 2,69)
NS
Zone géographique de l’écolee
59/632
4,32
(2,50 – 7,46)
< 0,0001
Orthophonie en GS de maternellef
59/635
1,08
(0,37 – 3,14)
NS
OR : Odds ratios ; IC 95 % : intervalle de confiance à 95 %. a Nombre d’enfants ayant un retard de langage écrit au CE1/nombre
d’enfants sans retard de langage écrit au CE1. b Garçons par rapport aux filles. c Niveau socioculturel bas par rapport à moyen
ou élevé. d Au moins un des parents non francophone par rapport aux deux parents francophones. e École située en zones
d’éducation prioritaire ou urbaine sensible par rapport à autres zones. f Enfants suivis en orthophonie par rapport aux enfants
non suivis en orthophonie en grande section de maternelle.
TABLEAU V. — Associations brutes, indices de sensibilité et de spécificité, valeurs prédictives positive et négative entre le retard
au CE1 et les différentes difficultés de la petite section de maternelle.
Difficultés globales
OR
IC 95 %
Se
Sp
VPP
VPN
5,68
(2,31-13,98)
14,3
96,4
27,6
92,2
4,92
2,55
1,39
2,64
(2,37-10,23)
(1,15-5,67)
(0,62-3,13)
(1,18-5,89]
30,4
18,2
21,8
20,4
91,8
91,2
86,9
89,8
26,6
16,4
13,6
15,7
93,1
92,2
92,1
92,4
Difficultés en
– production orale
– attention-motricité
– comportement
– compréhension
OR : Odds ratios ; IC 95 % : intervalle de confiance à 95 % ; Se : sensibilité ; Sp : spécificité. VPP : valeur prédictive positive ;
VPN : valeur prédictive négative.
(sans tenir compte des facteurs associés, notamment du niveau socioculturel des parents et de la
zone de l’école) reste faible : seulement 30 % des
enfants avec retard en langage écrit au CE1 sont
repérés par la présence de difficultés en production orale en petite section.
La sensibilité peut être améliorée, au détriment
de la spécificité, si les seuils utilisés pour classer
les enfants en petite section sont moins sélectifs.
Par exemple, pour la production orale, si l’on considère qu’un enfant est en difficulté s’il obtient plus
de 3 (au lieu de plus de 4) appréciations négatives
sur les 7 considérées, la sensibilité passe à environ
46 %. Ce seuil déclarera environ 21 % des enfants
comme présentant des difficultés en production
orale en petite section, au lieu des 14 % initiaux.
Ceci montre que la sensibilité ne peut être augmentée qu’en choisissant des seuils très peu sélectifs.
Après ajustement sur l’âge, le niveau socioculturel de la famille et la situation géographique de
l’école, un très petit nombre d’items du questionnaire de petite section reste significativement lié
au retard au CE1 : « comprend “pourquoi ?” »,
« utilise des subordonnées », « bonne habileté
manuelle » et, avec un OR ajusté particulièrement
élevé (OR = 5,82, p < 0,0001), « voix chuchotée
ou très faible » (tableau III).
De la même manière, après ajustement, les difficultés partielles en petite section associées à
l’attention et la motricité, au comportement et à
la compréhension ne sont plus liées à un retard de
langage écrit au CE1 (résultats non fournis). La
présence de difficultés globales et de difficultés
en production orale en petite section de maternelle reste associée à la présence d’un retard de
langage écrit au CE1 (tableau VI).
334
L. WATIER ET COLLABORATEURS
TABLEAU VI. — Odds ratios ajustés estimés par régression logistique associés aux facteurs étudiés selon la présence d’un
retard de langage écrit au CE1.
OR
IC 95 %
OR
IC 95 %
3,54
—
(1,23-10,16)
—
—
3,70
—
(1,58-8,67)
1,08
4,65
2,69
(0,99-1,19)
(2,15-10,05)
(1,32-5,48)
1,07
4,36
2,89
(0,98-1,18)
(2,00-9,48)
(1,40-5,96)
Difficultés en petite section de maternelle
– globales
– en production orale
Facteurs associés
– âge (en mois)
– niveau socioculturela
– zone géographique de l’écoleb
OR : Odds ratios ; IC 95 % : intervalle de confiance à 95 %. a Niveau socioculturel bas par rapport à moyen ou élevé. b École
située en zones d’éducation prioritaire ou urbaine sensible par rapport à autres zones.
Ainsi, le fait d’avoir des difficultés globales ou
en production orale en petite section, d’être issu
d’un milieu socioculturel bas et d’être scolarisé
dans une école située en zone d’éducation prioritaire ou urbaine sensible augmente le risque d’avoir
un retard de langage écrit au CE1.
Si l’on considère le modèle incluant la présence
de difficultés en production orale, le pourcentage
d’enfants avec retard de langage écrit au CE1
selon le ou les facteurs de risque présent(s) a été
estimé. Chez les enfants ne présentant pas de difficultés orales, non scolarisées en zone d’éducation prioritaire ou urbaines sensibles et issus de
familles de niveau socioculturel moyen ou élevé,
2,1 % des enfants seulement ont un retard dans le
langage écrit au CE1. Ce pourcentage atteint 21,3 %
si les enfants sont scolarisées en zone d’éducation
prioritaire ou urbaines sensibles et sont issus de
familles dont le niveau socioculturel est bas. Si
on introduit en plus la présence de difficultés
orales en petite section de maternelle, les pourcentages d’enfants avec retard au CE1 sont respectivement 7,4 % (au lieu de 2,1 %) et 50 % (au
lieu de 22,3 %).
L’information sur la prise en charge en orthophonie au CE1 a été obtenue pour 438 enfants :
en présence d’un retard en langage écrit, 18 %
étaient suivis en orthophonie, contre 10 % en
l’absence de ce retard (p = 0,13). Après prise en
compte d’un retard de langage écrit au CE1, le
suivi en orthophonie au CE1 dépendait de la zone
d’implantation de l’école (p = 0,0024) ; par contre,
il ne dépendait pas du niveau socioculturel. La
prise en charge en orthophonie était nettement
plus rare chez les enfants en zone d’éducation
prioritaire ou urbaine sensible que chez les autres
(2,8 % contre 13,1 %,), alors que les retards en
langage écrit étaient nettement plus fréquents
chez les premiers que chez les derniers. Sur les
22 enfants en zone d’éducation prioritaire ou urbaine
sensible et avec retard, 1 seul (4,5 %) bénéficiait
de l’orthophonie alors que sur les 17 autres enfants
avec retard, 6 (35,3 %) avaient une prise en charge
en orthophonie.
DISCUSSION
Nos résultats montrent que certaines difficultés
de langage signalées par les enseignants de la
petite section de maternelle, sont liées à un retard
dans l’apprentissage du langage écrit en 2e année
de la scolarité primaire, même après prise en
compte de l’effet de certains facteurs environnementaux, et notamment du niveau socioculturel
de la famille. Ce résultat est en accord avec ceux
d’autres travaux sur les facteurs prédictifs de
l’apprentissage de la lecture rapportés dans la littérature [33, 34]. Les difficultés de langage signalées par les enseignants en petite section étaient
plus fréquentes et la proportion d’enfants issus de
familles de niveau socioculturel bas plus élevée
chez les enfants non suivis que chez les enfants
suivis. Ces différences laissent penser que certains facteurs de risque de retard en langage écrit
au CE1 pourraient être sous-estimés dans la présente étude.
Il est important de rappeler que la nature des
épreuves proposées au CE1 (dictée, lecture à
voix haute, compréhension de consignes écrites)
fait que le « retard global » est un retard dans
TROUBLES PRÉCOCES DU LANGAGE ET DU COMPORTEMENT ET RETARD EN LECTURE
l’apprentissage du langage écrit et non pas un
retard sur l’ensemble des matières enseignées au
CE1.
La comparaison du rôle des facteurs associés
sur la présence des difficultés considérées en
petite section d’une part, au CE1 d’autre part,
montre que seul le niveau socioculturel de la
famille joue un rôle important aux deux niveaux
[29]. La zone d’implantation de l’école a un effet
sur le retard en langage écrit au CE1 alors qu’en
petite section son effet n’est significatif que
lorsque le niveau socioculturel de la famille est
moyen ou élevé. A l’inverse, le sexe de l’enfant
et le bilinguisme jouent un rôle important dans
les appréciations des enseignants de petite section
mais n’ont pas d’effet propre au CE1. Les enfants
issus de familles bilingues, ainsi que les garçons,
rattraperaient leurs difficultés signalées par les
enseignants en petite section. Des études récentes
montrent l’absence d’effet négatif du bilinguisme
sur l’apprentissage de la lecture [35, 36]. Aucune
interaction entre les facteurs associés n’est significative au CE1.
Malgré la « co-morbidité » entre hyperactivité,
d’une part, et troubles spécifiques du langage
écrit ou dyslexie (i.e., difficulté pour apprendre à
lire), d’autre part, signalée dans la littérature [1,
2, 37, 38], les résultats suggèrent que les troubles
du comportement en classe de petite section de
maternelle signalés par les enseignants : a) doivent
être considérés à part et non pas intégrés aux difficultés de langage ; b) ne sont pas associés à un
retard dans l’apprentissage de lecture quatre ans
plus tard. En effet, même en analyse univariée, les
enfants de 3 ans et demi qui n’obéissent pas à
« chacun son tour », ne suivent pas les règles de
vie en classe et manifestent des problèmes de
comportement « en général », ne paraissent pas
être significativement plus à risque d’un retard en
lecture et en dictée au CE1.
La signification de l’item de petite section « voix
chuchotée ou très faible », qui est parmi les 4 items
les plus liés au retard au CE1, avec (ne pas)
comprendre “pourquoi ?”, (ne pas) utiliser les
subordonnées et (ne pas) avoir un vocabulaire
normal ou riche, mériterait d’être éclaircie. En
effet les enseignants pourraient répondre positivement à cet item, aussi bien quand l’enfant ne
335
parle pratiquement pas que quand l’enfant est, par
exemple, terrorisé ou très mal adapté à l’école.
In fine, si l’objectif est de repérer à partir du
QLC les enfants de 3 ans et demi à risque d’un
retard dans l’apprentissage du langage écrit au
CE1, on se contenterait d’utiliser 7 ou 8 items de
ce questionnaire : ceux qui entrent dans la composition de l’aptitude « production orale », auxquels
on ajouterait « comprend “pourquoi ?” ». Toutefois, le seul QLC a une sensibilité faible par rapport à la présence ou l’absence d’un retard en
lecture 4 ans plus tard, qui ne peut être améliorée
qu’avec la prise en compte des facteurs environnementaux, ainsi que par d’autres informations,
notamment celles fournies par les parents. Ces
derniers pourraient donner deux types d’informations différents : d’une part, en répondant à un
questionnaire sur le langage de leur enfant [22] ;
d’autre part, en répondant à un questionnaire sur
leurs antécédents personnels de difficultés de langage oral ou d’apprentissage du langage écrit
dans leur enfance [39]. En ce qui concerne ce dernier point, plusieurs travaux récents montrent, en
effet, le rôle important des facteurs familiaux et
génétiques dans les troubles spécifiques du langage et la dyslexie [40-43].
CONCLUSION
Une évaluation très simple du langage de l’enfant
de 3 ans et demi par les enseignants s’avère fortement liée au retard en langage écrit, chez les
mêmes enfants, 4 ans plus tard. Toutefois, le
pourcentage d’enfants qui présenteront un retard
dans l’apprentissage de l’écrit en deuxième année
de scolarité élémentaire est nettement plus faible
chez les enfants de milieux non défavorisés avec
difficultés de langage signalées à 3 ans et demi,
que chez les enfants de milieux défavorisés sans
difficultés de langage signalées à 3 ans et demi.
Par ailleurs, à l’époque où cette étude a eu lieu,
les interventions thérapeutiques pour retard de
langage de l’enfant étaient trop rares dans les
zones défavorisées.
REMERCIEMENTS : Cette étude a été soutenue par des financements de l’Inserm, de la Mutuelle Générale de l’Éducation
Nationale, et des Ministères de l’Education Nationale et de la
Santé. Les auteurs remercient les relecteurs de la revue pour
les améliorations importantes de l’article auxquelles leurs remarques et commentaires ont contribué.
336
L. WATIER ET COLLABORATEURS
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338
L. WATIER ET COLLABORATEURS
Annexe 1. – Vingt-neuf items du QLC et items associés aux quatre scores partiels.
Production
orale
Items du QLC
Attention
Motricité
Comportement Compréhension
1. Voix et Parole
– Parler bébé
– Voix chuchotée ou très faible
X
2. Langage – compréhension
– Comprend “Sur”
– Comprend “Sous”
– Comprend “Le plus long”
– Comprend “Le plus long”
– Qu’est-ce que ? (+ verbe d’action)
– Combien ?
– Pourquoi ?
– Désigne “ventre”
X
X
X
X
3. Langage – expression
Dit ses nom et prénom
Répond à “quel âge as-tu ?”
Utilise le “Je”
Phrases de 2 à 3 mots (+verbe)
Utilise des subordonnées
Vocabulaire normal ou riche
X
X
X
X
X
4. Motricité
Bonne motricité globale
Bonne habileté manuelle
Découpe avec des ciseaux
Utilise la colle de façon adaptée
X
X
X
5. Mémoire verbale
Retient facilement les comptines
6. Comportement dans le jeu et lors des activités d’éveil
Verbalise ses actions
Introduit la fiction
Exécute tout son travail
Soutient son attention
Activités normalement diversifiées
Aime entendre des histoires
X
X
X
X
7. Comportement en groupe et en général
Obéit à “chacun son tour”
Suit les “règles de vie” en classe
Problèmes de comportement
X
X
X
TROUBLES PRÉCOCES DU LANGAGE ET DU COMPORTEMENT ET RETARD EN LECTURE
339
Annexe 2. – Description des 5 épreuves réalisées au CE1.
1. Dictée de phonèmes, de syllabes simples et complexes isolées ou insérées dans un texte signifiant
L’épreuve comporte quatre parties : 1 — une liste de 10 syllabes et phonèmes : 1/2 point est attribué par son dont la
transcription est phonétiquement juste ; 2 — une liste de 10 syllabes faisant partie d’une phrase : 1/2 point est attribué par
son dont la transcription est phonétiquement juste ; 3 — une phrase : on accorde 1 point pour chaque syllabe juste ; seules
comptent les syllabes soulignées ; plus 1 point pour le verbe « est » correctement orthographié ; 4 — un texte : on accorde
1 point pour chacun des 5 mots deux fois soulignés s’ils sont écrits sans fautes de phonétique ; on ajoute 1 point pour
chacun des 11 mots soulignés une fois s’ils sont écrits sans aucune faute ; on ajoute 1 point pour le « t » de « vient ». Le
total maximum à l’épreuve est égal à 38.
2. Lecture de mots sans signification (non mots)
Une liste de 10 mots sans signification est présentée à l’enfant qui doit les lire. On compte 1 point lorsque le mot lu est
conforme au modèle écrit. La note maximale est de 10.
3. Épreuve de lecture de mots
Une liste de 10 mots est présentée à l’enfant qui doit les lire. On compte 1 point si le mot lu est strictement conforme au
modèle écrit. La note maximale est de 10.
4. Épreuve de lecture – Batelem 1
Il s’agit de la lecture de lettres et de syllabes isolées permettant de tester le déchiffrage et la reconnaissance d’éléments
fondamentaux du langage écrit. À chaque élément correctement lu, est attribué un point. La note maximale est de 20.
5. Épreuve de compréhension de la lecture – Inizan
Évaluation des capacités de compréhension de la lecture silencieuse : l’enfant doit compléter 19 dessins, en se référant à la
signification de la phrase écrite. On compte 1 point par réponse correcte, c’est-à-dire adjonction au dessin du seul détail
qui relève de la compréhension de la phrase entière. La note maximale est de 19.