La vaine «Querelle des Anciens et des Modernes» en architecture

Transcription

La vaine «Querelle des Anciens et des Modernes» en architecture
Les Cahiers de l’Urbanisme N° 73
Septembre 2009
Guy Conde-Reis
Ministère de la Région de
Bruxelles-Capitale
Direction des Monuments
et Sites
Architecte
La vaine «Querelle des Anciens
et des Modernes» en architecture
Et si Victor Horta avait été moins moderne
qu’il n’y paraît ?
La maison personnelle
de Victor Horta sise rue
Américaine 25 à Bruxelles
Vue du petit salon
récemment restauré par
Barbara Van der Wee
© Paul Louis
© SOFAM Belgique 2009
32
32-37
33
De haut en bas :
La maison Auguste Bénard
de Paul Jaspar située rue
Lambert-Le-Bégue 13-15
à Liège
Photo Guy Focant, © SPW
La modernité est un mode de civilisation
qui s'oppose par mécanisme au mode de la
tradition, et par là aux cultures antérieures
«De même en était-il de mon architectonique
qui visant, non à être un style, mais à la simple
expression de mes goûts et de mes capacités,
dénuée de tout emprunt, loin de s’inscrire dans
l’œuvre permanente, tend vers l’œuvre passagère.
À moins que, par l’énorme détour de la conversion
des goûts artistiques et publics, l’œuvre, ayant
résisté à la démolition, prenne caractère de permanence et de conservation définitive.»01
— Victor Horta, 1939
La maison Rassenfosse
de Paul Jaspar située rue
Saint-Gilles 366 à Liège
Photo Guy Focant, © SPW
La rupture induite par la modernité
Dans les différents pays où une forme d’Art nouveau a émergé, malgré des expressions formelles
parfois fort distinctes, le leitmotiv était le même :
une volonté commune de rompre avec l’historicisme et, parallèlement, celle d’inventer une
expression artistique en accord avec la société de
l’époque. Cette démarche, résolument moderne,
sous-entend une vision linéaire de l’histoire et une
lecture rationnelle du temps : au passé, succèdent
un présent et un futur. L’architecte s’est alors
senti investi d’une mission, celle de créer le cadre
de vie d’une nouvelle génération d’hommes.
Victor Horta a accordé une importance primordiale à tout ce qui pouvait évoquer la «modernité» à
son époque au point que cela devienne, en partie
du moins, une source d’inspiration. «Nouveau»
était synonyme de «moderne». L’utilisation de
techniques nouvelles dans ses bâtiments générait
des contraintes inédites auxquelles il fallait
trouver des solutions tout aussi novatrices. On
peut citer à l’infini les exemples de techniques
et matériaux innovants dans les réalisations de
Horta : les structures en acier visibles en façade,
l’électricité, le chauffage à la vapeur, les lavabos
importés des États-Unis, les larges baies vitrées
sans divisions pour laisser entrer abondamment
la lumière, les tuiles plates, le double vitrage, les
briques vernissées blanches commandées pour la
façade arrière de sa maison mais finalement mises sur les murs de la salle à manger (la pièce où
il recevait pourtant ses invités et clients proches),
le chauffe-plat électrique et le téléphone insérés
dans la table de cette même salle à manger, etc.
Toute cette technique, parfois à la limite de l’anecdotique, était toujours habilement intégrée à son
architecture par des détails infiniment raffinés.
Omniprésente, elle montre cependant combien
Horta n’a, longtemps du moins, pas douté de cette
modernité.
Il ne fut pas seul. Paul Jaspar, beau-frère de Paul
Hankar et fils de l’ingénieur qui avait fondé une
firme réputée d’ascenseurs de leur même nom, a
aussi intégré différentes techniques nouvelles
dans des villas Art nouveau.02 Il avait par ailleurs
introduit progressivement l’usage du béton armé
dans ses projets jusqu’à construire à Liège, en
1903, la Renommée, un vaste complexe culturel de
3000 m2 tout en béton armé.
01
V. HORTA, dans Victor Horta.
Mémoires (1939), 1985, p. 60.
02
Le chauffage à vapeur à
basse pression dans la villa
Paul Orban à Tilff, 1900.
34
Cette fascination pour la modernité révèle un des
principaux paradoxes de l’Art nouveau. Ce mouvement s’était rêvé comme une rupture définitive
avec l’histoire. Né d’une opposition aux styles précédents, il leur restait cependant inévitablement
pendu, sans aucune chance d’échapper à cette
histoire qui suivait son cours. À l’Art nouveau se
sont, comme l’on sait, bien vite succédés d’autres
styles. Mais ces architectes ont naïvement pensé
être les derniers de l’histoire. Tels les Découvreurs
de nouveaux continents, il leur fallait ne pas avoir
peur de l’inconnu pour oser ainsi tout balayer
derrière eux. Gustave Serrurier avait donné à sa
maison personnelle construite à Cointe (Liège)
le nom de «Villa L’Aube» et fait placer sur sa
façade une mosaïque représentant un lever de
soleil flamboyant, symbole d’une renaissance. La
société tout entière allait «évoluer» vers des jours
meilleurs. Douce utopie.
L’hôtel Ciamberlani de Paul
Hankar situé rue Defacqz
48 à Bruxelles
Façade restaurée en 2007
Photo Guy Focant, © SPW
La nature comme modèle de progrès
«On n’enseigne pas l’art. En copiant la nature,
n’importe qui peut devenir un artiste.»03
Pour les architectes de l’Art nouveau, le programme et la fonction comptaient avant tout. De
l’usage devait découler la forme la plus «naturelle» possible. Mais quelle forme, loin des querelles
de styles et d’Écoles, allait pouvoir s’imposer
et avoir ce caractère universel recherché ? La
nature. À portée de main, la nature offrait une
image de souveraineté et d’évidente simplicité
qui devait les séduire. Pour Henry Van de Velde,
la «ligne» représentait le mouvement provoqué
par la vie intérieure ; se faisant courbe, elle était
aussi la plus appropriée à épouser physiquement
le corps et ses mouvements dans l’espace. Son
mobilier s’était peut-être voulu «ergonomique»
avant la lettre. La courbe détenait aussi une force
évocatrice infinie : «Les lignes en coup de fouet de
Horta – comme les chevelures serpentines des
femmes dans le domaine de l’affiche – traduisent
la vitalité intense de l’Art nouveau mais aussi l’inquiétude qui sourd en cette fin de siècle.»04
Il ne faudrait néanmoins pas résumer l’Art
nouveau à un «tortillement» exacerbé de lignes
courbes et à des fioritures appliquées de-ci
de-là. Si Horta est celui qui a le plus directement
puisé dans ce répertoire naturaliste, Serrurier
et Hankar, plus sensibles à la géométrie, se sont
aussi intéressés à la nature. Leurs papiers peints,
sgraffites, frises décoratives, textiles ont rendu
hommage à la faune et à la flore. Mais, au-delà
d’un sujet de décor, la nature leur apparaissait,
grâce au développement de la biologie et aux
théories de Charles Darwin, comme l’expression
d’une forme de perfection sur terre : chaque plante, chaque insecte, après des siècles d’évolution,
semblait avoir atteint la forme correspondant
rigoureusement à ses besoins. Ainsi devait-il en
être pour l’architecture.
Personne n’échappe à son passé
Il faut imaginer à cette époque combien les arts
appliqués piétinaient. Le développement d’une industrie avide d’enrichissement, associé au répertoire stylistique infini mis à sa disposition, allant
de l’architecture égyptienne au style Louis XVI,
avait mené à un surgissement massif d’objets
décoratifs de tous les styles et proportions.
Présentés au public à l’occasion des grandes
expositions puis mis en vente dans les grands
magasins, ces objets aussi inutiles que kitsch
envahissaient les intérieurs d’une petite bourgeoisie en quête d’identité. Ce débordement de laideur
avait déjà fait son œuvre dans l’esprit des futurs
03
Citation de Hokusaï,
reprise par E. GALLE, dans
Goncourt et les métiers
d’art (1896), 1993, p. 38.
04
F. AUBRY, dans Art nouveau
en Belgique. Architecture et
intérieurs, 1991, p. 12.
35
fondateurs des Arts and Crafts, notamment après
l’Exposition universelle de Londres en 1851. Une
réaction similaire allait frapper, à partir des années 1890, nos architectes belges de l’Art nouveau.
Les Arts and Crafts ainsi que les théories de John
Ruskin ont eu une influence certaine sur l’Art
nouveau belge. Pratiquement, on sait que Horta,
Hankar et Serrurier utilisaient les papiers peints
et tissus de William Morris et que Van de Velde
faisait même à ses débuts commerce de leur
importation. Serrurier aurait vendu également au
commencement de sa carrière du mobilier distribué par le grand magasin Liberty à Londres (qui
commercialisait la production Arts and Crafts).
Mais sur le plan intellectuel, les liens sont plus
complexes entre ces deux mouvements artistiques. Van de Velde a écrit plusieurs articles sur
Morris qui avait fait sur lui «une impression profonde». Sa première réalisation architecturale, le
Bloemenwerf, s’inspire directement des cottages
de Charles Voysey 05 et peut-être aussi dans une
moindre mesure de la façade du grand magasin
Liberty avec sa série de pignons à colombages
(pourtant de style Tudor). Mais si nos architectes
devaient admirer les lignes essentielles, presque
brutes, de cette architecture Arts and Crafts faussement pittoresque, ainsi que le fait de revaloriser
les «Arts et Métiers» et de vouloir mieux les marier
à leur cadre architectural, une grande différence
devait les séparer. Ruskin et Morris prônaient
un retour au modèle de la société féodale et à
l’architecture préclassique, un retour également à
la mise en œuvre traditionnelle et au renoncement
des produits manufacturés. Cette vision réactionnaire ne pouvait pas obtenir l’assentiment des
architectes Art nouveau belges, ouverts également aux matériaux modernes et à l’industrie. En
sens inverse, l’Art nouveau (ou le Modern Style
en Angleterre – le nom est plus approprié) n’était
pas très apprécié outre-Manche. Voysey l’estimait «malsain et révoltant» et n’y voyait qu’une
«débauche des sens».
Les Anglais n’ont pas été les seuls à fustiger
l’Art nouveau. Les critiques furent à son égard
nombreuses, moqueuses parfois, dans les journaux ou même les revues d’art de l’époque. Cela
n’empêcha pas nos architectes de persévérer
dans la voie de la modernité. Ces critiques étaient
attendues et les confortaient presque dans leurs
convictions ; c’était le prix à payer pour cette
rupture avec la tradition. Et ce jeu faisait partie du
mécanisme de la modernité.
Les architectes de l’Art nouveau se sont aussi
inspirés de l’architecture ancienne mais de celle
qui était à leurs yeux le plus éloigné qui soit de
l’académisme. Hankar a beaucoup puisé dans
l’architecture japonaise ou chinoise, raffinée
et retenue, usant toujours de cette habileté à
tirer esthétiquement parti du nécessaire. Les
assemblages et structures laissés apparents sur
les plafonds à caissons ou les lambris, tels ceux
des temples et des palais du Japon, ont directement inspiré Hankar. Il devait, d’une façon ou
d’une autre, en avoir étudié les détails soignés.
Tout comme il est possible qu’il se soit inspiré de
l’architecture traditionnelle du nord de l’Espagne
avec ses larges pans vitrés dans les façades.06
L’Art nouveau a été moins radical qu’on ne pourrait le croire et que ses architectes ne l’auraient
avoué : ils avaient pourtant tous, comme nous le
confie Horta lui-même à la fin des années 1930,
puisés à de multiples sources :
«… mes aspirations à l’égard d’une architecture
à créer par l’abandon des styles et l’application
généralisée des matériaux apparents. Il n’y avait
pas là l’idée folle de créer une architecture de
toute pièce, pas même de lui faire faire un pas en
avant en tant qu’art à proprement parler, mais
simplement d’exprimer cet art par son caractère
à soi, par son langage personnel plutôt que par le
langage convenu des styles.
Nous avions une bien trop sincère admiration pour
les maîtres et l’architecture existante (la Belgique
y compris, n’en déplaise à certains esthètes
d’aujourd’hui) ; nous avions, plus sûr garant encore, déjà un acquis, une expérience trop largement
suffisante pour avoir d’aussi vaines et absurdes
prétentions que seule l’ignorance peut avoir.»07
La fin de l’Art nouveau
Très vite, dans cette spirale de la modernité,
l’Art nouveau se montrera perdant. L’élan des
premiers architectes et les fondements de leurs
idées vont très vite se diluer. En quelques années à peine, l’Art nouveau devient à son tour un
style avec des caractéristiques définies. Jules
Brunfaut n’aimait pas l’Art nouveau ; il se plia
pourtant à l’exercice à la demande de son client,
Édouard Hannon. À partir de 1900, on faisait
déjà à Bruxelles et en province de l’Art nouveau
comme on aurait fait du classique ou du néorenaissance. L’essentiel avait cédé au superflu,
le nécessaire à l’inutile, et ces lignes redessinées mille fois jusqu’à obtenir la juste tension
étaient maintenant remplacées par un fouillis
de courbes et contre-courbes préfabriquées
et plaquées sur une porte ou un balcon. Le
bourgeois s’était laissé séduire par l’Art nouveau
et demandait à une nouvelle génération d’architectes de se plier à ce qui était devenu une mode
de plus. Désormais l’Art nouveau se cantonnera
souvent à la seule façade, visible des passants,
mais à l’arrière de celle-ci les espaces demeureront conventionnels et éclectiques. Il n’était
pas rare d’y trouver un salon Louis XVI, avec
ses soieries, ou néorenaissance, avec ses cuirs
de Cordoue. La maison Saint Cyr de Gustave
Strauven présente même une cage d’escalier
de style empire à côté d’une salle à manger en
néorenaissance flamande.
05
Walnut Tree Farm, à
Castlemorton, construit en
1890 par Ch. Voysey.
06
Fr. LOYER, dans Paul
Hankar. La Naissance
de l’Art nouveau, 1986,
p. 92-93.
07
V. HORTA, op. cit., p. 30.
36
C’est pourquoi, Horta et Van de Velde, fidèles à
leurs rêves, vont abandonner l’Art nouveau pour
chercher des expressions architecturales plus
modernes encore.
Le temps des désillusions
L’autobiographie est un genre littéraire qui va
connaître un véritable engouement au 19e siècle.
Plusieurs écrivains s’y adonnent mais également quelques artistes soucieux de laisser des
précisions sur leur carrière. Cet exercice nombriliste est lui-même représentatif du mode de
la modernité qui met en scène l’individu avec sa
conscience autonome et l’encourage à se démarquer et à se libérer des traditions du passé. La
modernité s’accompagne souvent d’un caractère
prophétique. Josef Hoffmann, Louis Sullivan ou
Frank Lloyd Wright ont rédigé des autobiographies
devenues célèbres.
Horta et Van de Velde n’ont pas failli à la tradition ;
ce dernier nous a même laissé des milliers de
pages manuscrites ou dactylographiées. Dès 1918
et jusqu’à ses derniers jours, il a écrit et réécrit
sa vie, ses rencontres, ses succès, allant jusqu’à
donner d’un même événement des versions différentes. Ces notes constituent un témoignage unique sur son époque et son milieu artistique, mais
pêchent aussi par la fierté inébranlable du personnage, resté convaincu toute sa vie de son rôle
prépondérant dans la modernité : «Tel une traînée
de poudre, le nom de van de Velde surgit dans les
colonnes des grands journaux allemands et dans
les comptes rendus des plus éminents critiques.
Du jour au lendemain, je disposais en Allemagne
d’une célébrité qui allait s’étendre et amener au
Bloemenwerf un pèlerinage de visiteurs désireux
de s’entretenir avec cet apôtre de la rupture avec
les styles.»08
Horta a produit des mémoires plus succinctes,
moins littéraires ou même intellectuelles, mais
en revanche teintées d’une grande sincérité. On
y sent l’homme fatigué, redevenu humble, déçu
parfois, s’amusant de ceux qui sont séduits à leur
tour par la modernité sans y voir le piège déjà se
refermer sur eux :
«Quand une brique vous tombe sur la tête et
qu’une seconde passe à côté, estimez-vous
heureux et passez votre chemin en estimant
que d’être endolori à moitié est encore une bien
grande chance ! Je sais que mes jeunes confrè-
res – je parle des ultras-modernistes, qu’inspire
plus ultra-moderniste encore – ne voient dans
mon œuvre que suite de ferrailles torturées et de
pierres contournées posées dessus à même leur
poids dans un ordre que la fantaisie ne su rendre
qu’approximativement symétrique : soit à révéler
un ensemble de fautes à faire gonfler d’orgueil le
plus inaverti des élèves et des maîtres de l’architecture «fonctionnelle»…»09
Le mythe de la modernité
Chaque période à ses «modernes». La modernité se tourne parfois entièrement vers l’avenir,
mais d’autres fois, elle se drape, hypocritement,
de théories réactionnaires. Mais toujours elle
demeure réinterprétation. C’est toute la complexité de notre mode de civilisation, sans cesse
en mouvement. La modernité n’est pas née avec la
Révolution industrielle ou la Révolution française,
non, elle remonte aux origines de notre civilisation.
C’est la prise de conscience de cette modernité qui
est relativement récente (siècle des Lumières ?).
Depuis, la modernité a prouvé qu’elle était devenue
tradition à son tour (Horta l’avait bien compris),
prisonnière d’une succession de cycles dont le
moteur de relance est l’illusion de la rupture. Ces
cycles, depuis le 20e siècle, se sont accélérés
significativement, au point de se superposer
aujourd’hui, n’attendant même plus le rythme des
générations. Chaque sous-groupe dans la société,
communautés aussi innombrables que sophistiquées, revendique sa propre modernité. Cette
suractivation, soutenue par les mass-médias (dont
Internet), confine à l’absurdité, discréditant la notion de modernité qui devient simple effet de mode
ou même gadget. On a parlé de postmodernité,
on parle aujourd’hui d’hypermodernité. Comment
échapper à cette spirale ?
La modernité est l’expression maladroite d’une
forme d’idéalisme de l’homme, poussé sans cesse
à espérer un monde meilleur. L’homme porte en lui
un sens inné de l’évolution et les architectes, notamment les pionniers de l’Art nouveau, ont tenté
de répondre de façon pratique à ses espérances. On sait aujourd’hui que leurs réponses, des
réalisations architecturales pourtant magistrales,
n’ont pas été satisfaisantes. Très vite, elles ont
été dépassées par des mouvements artistiques
encore plus «modernes». D’autres suivront encore
dans l’avenir. Jusqu’au jour où l’homme aura
atteint la sagesse et se contentera de besoins
simples… (On peut toujours espérer.)
08
H. VAN DE VELDE, dans
Récit de ma vie, I, 1992, p.
332.
09
V. HORTA, op. cit., p. 100.
37
L’usage du métal et sa conservation :
le cas de la maison Saint Cyr
La chapelle Brugmann de
Victor Horta inscrite dans
le complexe de l’hôpital
Brugmann à Bruxelles
Nouvelles grilles de clôture
faites d’après les plans
d'archives de Horta
Photo Guy Focant, © SPW
© SOFAM Belgique 2009
L’Art nouveau n’est pas le premier mouvement
de notre histoire à avoir intégré de façon
significative le métal dans l’architecture. Il
est vrai cependant qu’au début, à partir des
années 1840, les architectes réservaient l’utilisation structurelle du métal aux bâtiments
qui s’écartaient des typologies traditionnelles.
La fonte était utilisée pour les colonnes d’entrepôts et de marchés couverts, le fer forgé
pour les structures des verrières des passages
couverts, etc. Mais grâce à l’Art nouveau, le
métal acquiert ses lettres de noblesse et fait
son entrée notamment dans les habitations
privées. Avec cette aspiration à plus de
rationalité qui anime les premiers architectes
de l’Art nouveau, le métal sera non seulement
utilisé pour ses qualités spécifiques et au
maximum de ses possibilités, mais restera
apparent de sorte à devenir un élément à part
entière de l’architecture.
Un des meilleurs exemples que nous ayons, où
le métal a été exploité autant qu’il était techniquement possible de le faire, est la maison
Saint Cyr de Gustave Strauven (1900). Elle
concentre sur sa façade à la fois des colonnes
La maison Saint Cyr de
Gustave Strauven sise
square Ambiorix 11 à
Bruxelles
état avant la restauration
en cours
en fonte particulièrement fines, surmontées
de chapiteaux en zinc préformé, des grilles
où s’entremêlent une multitude de plats en fer
forgé selon des arabesques qui courent depuis
les grilles d’entrée jusqu’à la flèche au sommet
de la façade et des poutrelles cintrées en un
cercle complet (pour la baie circulaire).
À l’époque, Strauven ne se doutait cependant
pas que cette utilisation presque excessive de
métal pourrait signer l’arrêt de mort prématuré de sa réalisation majeure. Au bout d’un
siècle, la façade menaçait de se démanteler,
voire de s’écrouler, au point qu’il a fallu, le
temps que les études et le permis d’urbanisme aboutissent, la soutenir d’urgence avec
des étançons. La raison de cette dégradation
était due, outre l’étroitesse de la façade et
son ancrage insuffisant dans les mitoyens, à
l’oxydation avancée des structures métalliques. Les colonnes et les poutrelles étaient
rouillées et avaient fait éclater la pierre à
plusieurs endroits, déplacer la maçonnerie
de briques de Silésie et fissurer les dalles de
balcons. Leur restauration n’a pu se faire
qu’au prix d’un démontage complet de toute
la partie supérieure de la façade ainsi que des
balcons et des sols des loggias construits sur
voussettes. Contrairement aux règles d’usage
en restauration, les colonnes et les poutrelles
exposées aux intempéries ont été remplacées
par des éléments de format identique mais
en acier inoxydable (non plus en fonte ou
fer). L’ensemble des grilles a également été
démonté pour être sablé et métallisé en atelier.
La dernière couche de peinture sera néanmoins à base d’huile naturelle et appliquée à
la brosse. Surtout, comme tout ce qui est en
métal sur cette façade, les grilles retrouveront
bientôt leur couleur d’origine selon le résultat
des sondages menés par l’Institut royal du
Patrimoine artistique. Paradoxalement,
Strauven avait choisi de donner à ces éléments,
bien que constitués de métaux différents, la
même couleur vert-de-gris du bronze patiné.
Maître de l’ouvrage : Movast
Maître d’œuvre : H. Jacobs pour SumProject
Ingénierie : M. Wertz pour Origin
Entreprises : MD-Construct, PIR2 et
Costermans
Conseiller scientifique : O. Berckmans