Séquence IV. Dumas, La Femme au collier de

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Séquence IV. Dumas, La Femme au collier de
Séquence IV. Dumas, La Femme au collier de velours, texte 3
Vivante ou morte ? « A la première marche de l’escalier […] le cliquetis des louis », p. 117-118.
Correction du commentaire
Situation du passage : L’extrait étudié se situe à la fin du récit. Hoffmann, le personnage principal, a enfin retrouvé
Arsène (qui est « la femme au collier de velours » du titre). Elle errait dans les rues dans un état second après une
journée particulièrement violente de la Terreur pendant laquelle un nombre important d’opposants au régime
révolutionnaire a été guillotiné. Amoureux de la jeune femme, Hoffmann cherche à la séduire et à la protéger. C’est
pourquoi il la conduit dans un hôtel où ils seront à l’abri.
Problématique : En quoi ce passage prépare-t-il l’issue surnaturelle de cette dernière rencontre entre Arsène et
Hoffmann ?
Plan :
I.
Une scène qui en dit long sur le caractère des personnages
II.
Des indices préparant l’issue fantastique du récit
*
Une scène qui en dit long sur le caractère des personnages
a. Des personnages dans une situation de crise
Cette scène fictive se déroule dans un contexte historique réel : le régime de la Terreur qui a secoué la France en
1793. Les personnages sont pris dans cette tourmente, même s’ils trouvent refuge dans un hôtel pour la nuit. En
témoigne le premier dialogue entre Hoffmann et Arsène, p. 117 : « - Pauvre femme, murmura Hoffmann, comme
vous avez dû souffrir ! / - Oui, oui, répondit Arsène, beaucoup… J’ai beaucoup souffert. »
Idem, un peu plus bas : « Vous devez avoir faim ».
En outre, l’intervention du garçon nous rappelle clairement que nous sommes en France au moment de la
Révolution : « on ne dit plus garçon, mais officieux ».
I.
b. Hoffmann fou amoureux
Hoffmann se montre très prévenant et protecteur tout au long de la scène. Cela passe par le dialogue, mais aussi par
le récit et les descriptions qui montrent son attitude.
Sur le plan du dialogue, il s’inquiète de l’état de la jeune femme, utilise des exclamatives qui soulignent son émotion :
« Arsène ! Arsène ! », p. 118, essaie de la réconforter en lui offrant l’or qu’il a gagné au jeu.
Sur le plan de l’expression physique, on note par exemple, p. 117, qu’il l’aide à marcher : « Hoffmann lui offrit son
bras ». Ses sentiments s’expriment par son regard : « Hoffmann jeta avidement les yeux sur Arsène » (haut de la p.
118).
Tous ces indices nous indiquent qu’il aime Arsène. Mais l’on peut être surpris qu’il traduise cet amour par un don
d’or, comme s’il avait besoin d’acheter l’affection d’Arsène. De fait, la jeune femme – et Hoffmann le sait déjà –
n’aime rien tant que la richesse. Même si cette attitude est humiliante pour lui, il s’abaisse donc à lui donner ce qu’elle
veut. Son amour est un amour passionnel, déraisonnable, et non partagé.
c. Arsène vénale
Arsène nous paraît ici dans un état de fatigue extrême. Elle semble très loin de cette chambre d’hôtel, à peine
présente. Elle a « beaucoup souffert » et semble traumatisée par ce qu’elle vient de vivre, sous le choc. Si l’idée d’un
« souper » ne parvient pas à la ramener au réel, en revanche elle apprécie le feu de cheminée (p. 118). Sa description,
dans le deuxième paragraphe de cette page (voir le texte), paraît très réaliste. C’est bien là l’attitude d’une femme qui
vient de vivre des moments terribles, et qui essaie de se réconforter un peu.
Toutefois, ce qui semble le plus capable de la ramener à la vie, c’est l’or d’Hoffmann : « A ce bruit, Arsène sembla se
ranimer » et, un peu plus loin, « A moi ! ». Cette exclamative, répétée à deux reprises, marque sa surprise, mais aussi
son avidité. Elle amie tellement l’or qu’elle « plong[e] dans le monceau de métal ses mains pâles […] jusqu’au
coude ». Mieux, elle semble, au contact de l’or se transformer elle-même en métal : « elle prononçait ces paroles d’un
accent vibrant et métallique qui se mariait d’une incroyable façon avec le cliquetis des louis ». Le chiasme entre les
mots « vie » et « or » souligne ce lien très fort : « cette femme, dont l’or avait été la vie, sembla reprendre vie au
contact de l’or ».
⇒ Ainsi, cette page nous donne des indications sur le contexte et sur l’état d’esprit des personnages. Mais elle
offre aussi des éléments troublants qui sont autant d’indices préparant l’issue surnaturelle d’un récit
fantastique.
II.
Des indices préparant l’issue fantastique du récit
a. L’état étonnant d’Arsène
D’une façon rationnelle, on peut interpréter l’état étrange d’Arsène comme un état post-traumatique. Mais force est
de constater que le narrateur insiste beaucoup sur l’étrangeté de la jeune femme. Dès le début de l’extrait, son état de
danseuse, rappelé par l’expression « légère sylphide », contraste avec sa « difficulté invincible à lever le pied ». Avec
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insistance, le narrateur utilise une métonymie (la chaussure pour le pied, la démarche ) et une antithèse pour indiquer
à quel point les déplacements lui sont difficiles : « on eût dit que sa légère chaussure de satin avait des semelles de
plomb ». Elle est « toujours raide et immobile » (p. 118) et nombreuses sont les expressions qui indiquent à quel
point son corps a été mis a rude épreuve – cf . par exemple le fait qu’elle soit gelée (« il sentit le froid qui se
communiquait de ce corps au sien ») ou le fait qu’elle semble avoir du mal à tenir sa tête droite (« elle semblait
occupée à maintenir de ses deux mains sa tête droite sur ses épaules »).
Les expressions, apparemment métaphoriques et hyperboliques, évoquant la mort et la résurrection sont filées à la
fin du texte : le froid de son corps, sa raideur, la pâleur de ses mains sont cohérents avec la mort. « Elle sembla
reprendre vie » laisse supposer qu’elle a perdu cette vie, tout comme le terme de « résurrection ». On peut envisager
que le narrateur indique par là l’extrême fatique d’Arsène, mais cela peut également laisser supposer (hypothèse qui
sera formulée un peu plus loin dans le récit) qu’Arsène est bel et bien morte, qu’elle a été décapitée ce jour-là, sur la
guillotine au pied de laquelle Hoffmann l’a trouvée. Le « collier de velours » du titre sert en l’occurrence à masquer la
marque de la décapitation.
Ainsi, l’issue fantastique du récit est préparée : soit Hoffmann a bel et bien conduit le fantôme d’Arsène dans cet
hôtel (et le récit est surnaturel), soit il est fou et il a cru, dans son délire, qu’il accompagnait Arsène (explication
rationnelle). Le fait que le garçon n’évoque à aucun moment Arsène (peut-être ne la voit-il pas ?) rend cohérente
cette hypothèse.
Or la définition du fantastique (selon Tzvetan Todorov) est précisément la suivante : la fin du récit peut s’expliquer
soit par l’intervention du surnaturel, soit de façon rationnelle et le lecteur reste dans le doute. C’est bien ce qui se
passe ici.
b. Le motif de l’or au service de l’unité du récit et de sa dimension fantastique
Cette dimension fantastique est renforcée, au niveau du récit, par le motif filé de l’or, qui prend une dimension
inquiétante et magique. En effet, les louis d’or apparaissent presque par magie : « Hoffmann commença par
retourner son chapeau au-dessus de la table … ils ruisselèrent […] ses poches dégorgèrent l’immense butin […] un
monceau d’or mobile et resplendissant s’entassa sur la table ». Il faut d’abord noter que d’un chapeau, même haut de
forme, il est difficile, sans recours à la magie, de contenir une quantité d’or si importante qu’une jeune femme puisse
s’y plonger « jusqu’au coude ». Par ailleurs, on a l’impression que l’or prend vie (cf. leur position de sujets agissants
dans la phrase), en tout cas que le métal est mobile comme un liquide, comme un fleuve d’or.
Le « bruit des louis », leur « cliquetis » insistant apparaît également comme quasi magique, d’autant qu’il se fond avec
la voix métallique d’Arsène, qu’il semble ranimer de l’extérieur.
En outre, une lumière dorée baigne la scène, depuis le brasier, la cheminée, les bougies (p. 117) jusqu’aux rayons de
l’or (p. 118) qui croisent ceux du regard d’Arsène.
Ainsi, sur le plan
• de la matière (le solide paraissant liquide) et du toucher (les bras peuvent se plonger dans l’or et se ranimer à
son contact)
• comme sur celui de l’ouïe qui commence la résurrection
• ou sur celui de la vue, avec sa lumière et son éclat irréels, l’or semble renforcer l’aspect surnaturel de la
scène.
c. Le motif du regard comme fil directeur du récit et clin d’œil au projet de l’ouvrage
En outre, on retrouve un autre motif, celui des yeux, filé tout au long du récit et à l’importance capitale car il
fonctionne avec l’intertexte d’un conte du « vrai » Hoffmann, L’Homme au sable, dans lequel le personnage de
Nathanaël pense que ses yeux lui ont été volés par l’homme au sable (qui ressemble beaucoup au médecin de La
Femme au collier de velours) et qui semble perdre la raison dès lors qu’il achète une lunette à un marchand ambulant qui
ressemble à cet « homme au sable » de l’enfance (comme le personnage Hoffmann, chez Dumas, semble l’avoir
perdue dès lors qu’il a regardée Arsène avec la lunette prêtée par le médecin à l’opéra). Ici aussi, le regard fait signe et
paraît important. C’est d’abord Hoffmann qui « jeta avidemment les yeux sur Arsène » : cette avidité rend
vraisemblable l’hypothèse rationnelle selon laquelle c’est dans un moment de folie qu’Hoffmann vit cette scène et
que, peut-être, tout ce qui nous en est décrit ne s’est déroulé que dans son imagination. A l’inverse, le regard
d’Arsène nous entraîne plutôt du côté d’une explication surnaturelle de l’extrait, cf. « ses yeux vitreux, s’éclaircissant,
lançaient des rayons qui se croisaient avec ceux de l’or ». Cela lui donne un aspect non seulement surnaturel mais
inquiétant, nous ne semblons pas être dans le monde réel.
Conclusion
Ainsi, notre passage prépare bien l’issue de l’histoire d’Arsène et d’Hoffmann. Si le lecteur ne parvient pas à trancher
clairement entre les deux hypothèses finales, et qu’il peut encore croire à la réalité de ce duo, il est déjà conduit à
supposer soit qu’Arsène est morte et que c’est avec une sorte de morte-vivante qu’Hoffmann passe cette soirée
(hypothèse surnaturelle), soit qu’Hoffmann, fou amoureux de cette femme qu’il a retrouvée décapitée au pied d’une
guillotine, a perdu la raison à ce spectacle affreux et, dans une opération de déni (NB. en psychanalyse, consiste à nier
la réalité, même lorsqu’elle paraît rationnellement incontestable), a imaginé cette soirée en tête à tête (explication
rationnelle).
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