(VIIIe-XIVe - Espaces pédagogiques interactifs

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(VIIIe-XIVe - Espaces pédagogiques interactifs
Université Paris 1-Panthéon Sorbonne
UFR 09
E.P. 0936E05
PAUVRETÉ ET EXCLUSION (VIIIe-XIVe SIÈCLE)
1e semestre
Cours : Laurent Feller
Travaux Dirigés : Julie Claustre-Mayade et Didier Panfili
2016-2017
Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève, ms 559, fol. 8 v°, troisième quart du XIIe siècle
Recueil de documents relatifs à Saint-Martin de Tours : saint Martin partageant son manteau
1
Du bon et du mauvais usage d’Internet
Recherche documentaire
Les très nombreux sites Internet offrent une documentation de toute sorte, dont la qualité et l’utilité sont
extrêmement variables. L’étudiant doit apprendre à utiliser cette documentation avec intelligence, curiosité,
esprit critique, tout comme pour la documentation écrite.
Sites particulièrement utiles :
• les catalogues de bibliothèque :
http://bib.univ-paris1.fr/etudiants : catalogue des bibliothèques de l’Université Paris 1
www.sudoc-abes.fr : catalogue collectif des bibliothèques universitaires
• les ouvrages et articles en ligne
http://gallica.bnf.fr/ : la bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France
http://bib.univ-paris1.fr : le portail documentaire (très nombreuses revues) accessible depuis les ordinateurs des
bibliothèques de Paris 1
• Ménestrel = le réseau des médiévistes (très utile pour les références que l’on y trouve)
www.ext.upmc.fr/urfist/mediev.htm
EPI (Espace pédagogique interactif) de l’Université Paris 1
Une grande partie des enseignants d’Histoire médiévale mettent des informations concernant leurs cours ou leurs
TD sur le site « Espaces Pédagogiques Interactifs (EPI) de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne »
(programmes, fascicule, textes, plans, etc).
http://epi.univ-paris1.fr [puis histoire-L2-médiévale]
Chaque étudiant est donc invité à s’y rendre régulièrement. Les documents concernant les cours sont accessibles
à tous les étudiants, les documents concernant les TD sont accessibles aux seuls étudiants de L2-histoire (les
autres étudiants peuvent demander à leurs chargés de TD de les inscrire).
Corrigés en ligne
Il est possible de trouver sur Internet des corrigés de commentaire de document ou de dissertation. Ces corrigés
sont souvent médiocres. Ne pas effectuer de travail personnel en recopiant un tel corrigé est un plagiat, c’est-àdire le fait de recopier un texte en feignant d’en être l’auteur. Il est désormais relativement facile aux
enseignants, également grâce à l’outil informatique, de savoir et de prouver qu’il y a eu plagiat (plusieurs sites
permettant de détecter les plagiats sont connus et efficaces). Les étudiants qui se livreront à ces pratiques
illicites seront donc sanctionnés par les enseignants d’histoire médiévale (zéro au devoir).
Corrigés en ligne payants
Des sites marchands achètent et vendent sur Internet des corrigés. Ces documents sont rédigés par des étudiants
d’après des notes de cours. Les « vendeurs » s’approprient illégalement le travail de leurs enseignants pour en
tirer profit. Il s’agit donc d’une grave atteinte au droit d’auteur et au droit de propriété intellectuelle susceptible
de poursuites judiciaires.
Les étudiants qui utiliseraient ces corrigés relèvent de sanctions disciplinaires comme pour une fraude à
l’examen (non-validation de l’année, exclusion provisoire ou définitive de l’université).
La charte de bonne conduite qui suit doit être signée par l’étudiant et remise à l’enseignant de
TD lors de la première séance.
Je, soussigné(e), certifie avoir pris connaissance du texte ci-dessus.
Je m’engage à ne pas vendre ni acheter de travaux personnels (reprises d’exposés, prises de
notes de cours, fiche de lecture, etc.) sur un site Internet.
Nom
Prénom
Date
Signature
2
Table des matières
ORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE.....................................................................................4
Thème 1 : Pauvreté volontaire....................................................................................................7
1/ Les biens du monastère selon la Règle de Benoît...................................................................7
2/ Le testament de François d’Assise..........................................................................................8
Thème 2 : Contrats agraires italiens (fin VIIIe – fin XIVe)......................................................10
1/ 784, 18 avril, Calendasco......................................................................................................10
2/ 788, 16 mars. – Eglise de Saint-Savin...................................................................................11
3/ Contrat du 2 septembre 1342................................................................................................11
4/ Contrat du 18 novembre 1384...............................................................................................12
Thème 3 : L’esclavage (VIIIe-XVe siècle)................................................................................13
1/ Les esclaves et leur statut en Germanie : un épisode de traite d’après la vita de saint
Emmeram (avant 770)...............................................................................................................13
2/ L’esclavage en Italie aux XIVe-XVe siècle...........................................................................14
Thème 4 : Aumône et assistance...............................................................................................16
1/ La prise en charge des pauvres : l’acte de Charles le Chauve de 867 pour Saint-Vaast
d’Arras......................................................................................................................................16
2/ Géraud d'Aurillac et les pauvres...........................................................................................18
3/ Une société de secours mutuel à Paris (1319).......................................................................20
4/ Le rôle des aumônes de Charles de Navarre (décembre 1376).............................................21
Thème 5 : La conjoncture du XIVe siècle.................................................................................23
1/ La famine en Toscane en 1329 racontée par Domenico Lenzi.............................................23
2/ Le dépeuplement du village de Castellet-lès-Sausses (1343)...............................................25
3/ Inventaire après décès d’un paysan romagnol (2 janvier 1383 n. st.)...................................26
Thème 6 : Le cas anglais...........................................................................................................28
1/ Le statut des laboureurs anglais de février 1351...................................................................28
2/ Les revendications des paysans anglais d’après Froissart (1381).........................................29
Annexe - Textes patristiques concernant les notions de pauvreté et de richesse......................31
3
ORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE
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l'Europe urbaine, Jean-Luc Pinol éd., vol. 1, Paris, Éditions du Seuil, 2003, p. 285-592.
BOURIN M., CHERUBINI G., PINTO G. (dir.), Rivolte urbane e rivolte contadine
nell'Europa del Trecento. Un confronto, Florence, University Press, 2008.
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Méditerranée occidentale autour de 1300 : tensions destructrices, tensions novatrices »,
Annales HSS, 2011, n° 3, p. 663-704.
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Méditerranée occidentale, Rome, Ecole Française de Rome, 2011.
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4
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- t. 4, Évêques, moines et empereurs (610-1054), Paris, Desclée, 1993 ;
5
- t. 5, Apogée de la papauté et expansion de la chrétienté (1054-1274), Paris, Desclée, 1993 ;
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6
Thème 1 : Pauvreté volontaire
1/ Les biens du monastère selon la Règle de Benoît
Chapitre 31. Des qualités requises du cellérier du monastère
1
On élira pour cellérier du monastère un membre de la communauté ayant de
l’expérience, mûr de caractère, sobre, qui ne soit pas gros mangeur, ni hautain, ni
agité, ni injuste, ni borné, ni dépensier, 2 mais craignant Dieu et qui soit comme un
père pour toute la communauté. 3Il prendra soin de tout. 4Il ne fera rien sans ordre de l'abbé.
5
Il observera ce qu'on lui prescrira […]
8
Qu'il garde son âme, se souvenant toujours de cette parole de l'Apôtre : Celui qui aura
bien gouverné s'acquiert un rang honorable. 9Il emploiera toute sa sollicitude au soin des
malades, des enfants, des hôtes et des pauvres, bien convaincu qu'au jour du jugement
il aura à rendre compte pour eux tous. 10 Il regardera tous les ustensiles et tous les
biens du monastère comme des ustensiles sacrés de l'autel. Il ne commettra aucune
négligence. 11 Il ne versera pas dans l'avarice, il ne sera pas prodi gue, ne dilapidera pas
le bien du monastère, mais fera tout avec mesure et selon l'ordre de l'abbé. […]
15
Qu'il prenne soin de ce que l'abbé lui aura enjoint, et qu'il n'ait pas l'audace de
s'occuper de ce que l'abbé lui aura interdit. 16II fournira aux frères ce à quoi ils ont droit,
sans suffisance ni retard, pour qu'ils ne soient pas irrités […] . 17Si la communauté est
nombreuse, on lui donnera des aides qui lui permettront de remplir son service l'esprit
tranquille. 18On donnera et l'on demandera en temps opportun ce qui doit être donné et
demandé, 19pour que nul ne soit troublé ni affligé dans la maison de Dieu.
Chapitre 32. Des outils et objets du monastère
1
L'abbé remettra aux frères dont la vie et les mœurs lui inspirent confiance les biens du
monastère : outils, vêtements et autres objets. 2Il leur en confiera la garde et le soin au fur
et à mesure qu'il le jugera utile. 3 L'abbé en tiendra un inventaire pour savoir ce qu'il
donne et ce qu'il reçoit, quand les frères se relaient dans la charge des objets qui leur
sont assignés. 4 Si quelqu'un traite les choses du monastère de façon malpropre ou
négligente, il sera réprimandé; 5 s'il ne se corrige pas, il subira la rigueur de la règle.
Chapitre 33. Les moines doivent-ils avoir quelque chose en propre ?
1
C'est surtout ce vice-là qu'il faut radicalement extirper du monastère. 2 Nul ne prendra la
liberté de donner ou de recevoir quelque chose sans ordre de l'abbé, 3ni d'avoir rien en
propre, absolument rien, ni livre, ni cahiers, ni crayon, absolument rien. 4D'autant qu'il ne
lui est même pas permis de disposer à son gré de son corps ni de ses désirs. 5Mais il faut
attendre du père du monastère tout le nécessaire et ne se permettre d'avoir rien que l'abbé
n'ait donné ou autorisé. 6Tout sera commun à tous, comme dit l'Écriture, afin que nul ne
dise ou prétende qu'une chose est à lui. 7 S'il est reconnu que quelqu'un se complaît dans ce
vice détestable, on le réprimandera une et deux fois ; 8 s'il ne se corrige pas, il subira un
châtiment.
Chapitre 34. Si tous doivent recevoir le nécessaire de manière uniforme
1
Il est écrit : On donnait à chacun selon ses besoins. 2Par suite nous disons qu'il faut, non
pas faire acception des personnes — tant s'en faut —, mais prendre en considération les
infirmités. 3Que celui qui a besoin de moins rende grâces à Dieu et ne s'attriste pas. 4Pour
celui à qui il faut davantage, que son infirmité le rende humble et qu'il ne s'enorgueillisse
pas de la bonté qu'on a pour lui.
7
Extraits de La Règle de Saint Benoît, éd. DE VOGÜÉ A. et NEUFVILLE J., I-VI,
Sources chrétiennes 181-186, Paris, 1972-1977.
2/ Le testament de François d’Assise
Le Seigneur m'a fait la grâce à moi, Frère François, de commencer ainsi à faire
pénitence. Lorsque j'étais dans un état de péché, il me semblait trop amer de voir des lépreux ;
mais le seigneur lui-même me conduisit parmi eux, et j'exerçais la miséricorde à leur égard.
Et, en les quittant, ce qui m'avait paru amer s'était changé pour moi en douceur pour l'âme et
pour le corps. Et, ensuite, j'attendis peu, et je sortis du siècle.
Et le Seigneur me donna une telle foi dans les églises, que je l'y adorais ainsi
simplement en disant : "nous vous adorons, ô très saint Seigneur Jésus Christ, ici et dans
toutes vos églises qui sont dans le monde entier, et nous vous bénissons parce que vous avez
racheté le monde par votre sainte croix". Ensuite, le Seigneur me donna tant de foi aux prêtres
qui vivent selon la forme de la sainte Eglise Romaine, à cause de leur caractère, que s'ils me
persécutaient, c'est à eux que je veux avoir recours. Et quand j'aurais autant de sagesse que
Salomon, si je trouvais de pauvres prêtres vivant selon le monde, je ne veux pas, contre leur
volonté, précher dans les paroisses où ils demeurent. Ces mêmes prêtres, et tous les autres, je
veux les craindre, les aimer et les honorer comme mes maîtres. Et je ne veux point faire
attention à leurs péchés, parce que je discerne en eux le Fils de Dieu, et qu'ils sont mes
maîtres. (...)
Après que le seigneur m'eut confié la charge des Frères, personne ne me montrait ce
que je devais faire ; mais le Très Haut lui-même me révéla que je devais vivre conformément
au saint Evangile. Et moi, je fis écrire cette forme de vie, en peu de paroles bien simples, et le
Seigneur Pape me la confirma. Ceux qui venaient embrasser cette vie donnaient aux pauvres
tout ce qu'ils pouvaient avoir. Et nous nous contentions d'une seule tunique rapiécée en dedans
et en dehors; avec une corde et des caleçons ; et nous ne voulions rien de plus.
Nous, les clercs, nous disions l'Office comme les autres clercs ; les frères lais disaient
le Pater Noster. Nous demeurions assez volontiers dans de petites églises pauvres et
abandonnées ; nous étions simples et soumis à tout le monde. Moi- même, je travaillais de
mes mains, et je veux travailler ; je veux absolument que tous les autres Frères s'occupent
ainsi à un travail honnête ; pour ceux qui ne savent point travailler, qu'ils l'apprennent, non
pour le cupide désir d'en recevoir un salaire, mais pour le bon exemple, et pour fuir l'oisiveté.
Si nous ne sommes point récompensés de notre travail, recourons à la table du Seigneur en
demandant l'aumône de porte en porte. Pour saluer, le seigneur m'a révélé que nous devions
dire : "Que le Seigneur vous donne sa paix." Que les Frères se gardent bien de recevoir sous
aucun prétexte ni églises, ni demeures, ni tout ce qu'on construit pour eux, si cela n'est pas
conforme à la sainte pauvreté que nous avons promise dans la règle ; qu'ils y séjournent
toujours comme des hôtes, des étrangers et des pèlerins. Je défends formellement par
obéissance à tous les Frères, en quelque lieu qu'ils soient, d'oser demander quelque lettre en
Cour de Rome, par eux-mêmes ou par personne interposée, pour une église ou pour quelque
autre lieu, sous prétexte de prédication, ou à cause de quelque persécution corporelle ; mais
quand ils ne seront pas reçus dans une contrée, qu'ils fuient dans une autre pour y faire
pénitence dans la bénédiction de Dieu.
Et je veux absolument obéir au ministre général et au Gardien qu'il lui plaire de me
donner ; et je veux être tellement lié entre ses mains que je ne puisse ni aller ni agir en dehors
8
de sa volonté, parce qu'il est mon maître. Et bien que je sois simple et infirme, je veux
pourtant avoir toujours un clerc qui me dise l'office comme il est marqué dans la règle. Que
tous les autres Frères soient aussi tenus d'obéir à leur Gardien et de dire l'office selon la règle.
S'il s'en trouvaient quelques uns qui ne disent pas l'office selon la règle et voulussent y faire
des changements, ou qui ne fussent pas catholiques, que tous les Frères, en quelque endroit
qu'ils soient ou qu'ils en trouvent un de ceux là, soient aussi tenus par obéissance de le
présenter au custode le plus proche du lieu où ils l'auraient trouvé. Et que le custode soit tenu
par obéissance de le faire bien garder jour et nuit, comme un prisonnier, de telle sorte qu'il ne
puisse être enlevé de ses mains, jusqu'à ce qu'il le remette lui-même personnellement entre les
mains de son Ministre. Le ministre à son tour, sera rigoureusement obligé, en vertu de
l'obéissance, de le faire accompagner par des frères comme un prisonnier, jour et nuit,
jusqu'au moment où on le déférera au cardinal d’Ostie, qui est Maître, Protecteur et
Correcteur de cette fraternité. Et que les Frères ne disent point : “Ceci est une autre Règle”,
car c’est un souvenir, une admonition et une exhortation et mon testament que moi Frère
François, votre tout petit Frère et Serviteur, je vous adresse à vous mes Frères bénis, et cela
pour que nous observions plus catholiquement la Règle que nous avons promis au seigneur de
garder.
Que le Ministre Général et tous les autres Ministres et Custodes soient tenus par
obéissance de ne rien ajouter ou retrancher à ces paroles. Qu’ils aient toujours avec eux cet
écrit joint à la Règle, et dans tous les chapitres qu’ils tiennent, lorsqu’ils lisent la règle, qu’ils
lisent aussi ces paroles. Je défends formellement, par obéissance, à tous mes Frères, clercs et
lais, d’ajouter des gloses à la Règle ni à ces paroles, en disant : “C’est ainsi qu’elles doivent
s’entendre”. Mais comme le Seigneur m’a fait la grâce de dire et d’écrire purement et
simplement la Règle et ces paroles, entendez-les de même simplement, purement et sans
glose, et avec sainte opération, observez-les jusqu’à la fin.
Saint François d’Assise, Documents, Th Desbonnets et D.Vorreux éd.,
Paris, Editions franciscaines, 1968, p.93-97.
9
Thème 2 : Contrats agraires italiens (fin VIIIe – fin XIVe)
1/ 784, 18 avril, Calendasco
Au nom du Christ. Sous le règne de Charles et de Pépin son très heureux fils, hommes très
excellents, rois en Italie, en l’année de leur piété au nom de Dieu, 13ème, le quatrième jour
des Kalendes de mai, septième indiction. Il a été convenu entre Walcausus, fils de feu
Wincausus et entre Stavelene, homme libre, que, au nom de Dieu, le susdit Walcausus devait
donner et qu’à partir de ce jour il donnerait au susdit Stavelene, pour qu’il la travaille et la
mette en valeur à titre de massaro une exploitation (casale) de sa propriété qui se trouve au
fonds Casaliagneni, près de la porte Pecata, exploitation qui avant ces années a été régie par
Venator, massaro, avec sa maison, sa cour, son jardin, son aire, ses champs, ses prés, ses
vignes, ses forêts, le culte et l’inculte, avec tout et sur toutes choses comme je l’ai dit, la
moitié de ce que le susdit Venator détenait en entier. Moi, Stavelene susdit, je promets de
résider sur cette exploitation et de travailler et de mettre en valeur ces biens sans négligence ni
fraude, de telle sorte que ces biens soient améliorés et pas dégradés, cela pour une durée de 15
années continues ; et que nous vous en rendions chaque année le tiers de tout le grain que le
Seigneur nous donnera, et du vin, la troisième amphore, ce grain et ces amphores étant portés
en leur temps à l’oratoire de Sainte-Marie de Muntecello et d’Albiani sans retard ni mesure
dilatoire. Comme cadeau coutumier (exenia), chaque année, deux paires de poulets, vingt
œufs, pour le chevreau, un tremis ou des deniers qui équivalent à un tremis (tiers de sou), tout
cela donné à Saint Quiricus. Pour ce qui est des corvées (opera), une semaine deux jours et la
suivante un jour, jusqu’au terme du contrat. Et ces corvées, tu dois les faire ici à Montecello et
à Versas ou bien à Albiano, à la main (maneveles) et avec des bœufs, comme cela sera
nécessaire, et ces corvées sont faites avec annone seigneuriale1. Que l’on ne demande rien de
plus. Et dès à présent, le susdit Walcausus donne au même Stavelene une paire de bœufs afin
qu’il travaille cette exploitation, un joug, un soc de charrue, une brebis, une chèvre, un porc,
dans des conditions telles que, à la fin du contrat (livello), tu doives laisser ce bétail sur cette
terre, ou bien s’il ne s’en trouve pas ce jour, tu en sois débiteur ; et pour ce qui concerne les
autres animaux qui auront été nourris ici ou qui auront été acquis ou bien les outils, à la fin du
contrat que le quart t’en revienne en profit. Les deux parties ont prévu une clause pénale, de
telle sorte que si nous n’accomplissions pas ce qui est dit, ou si nous voulions nous en aller
avant le terme, la partie qui n’aura pas respecté son engagement doive composer envers
l’autre partie ou envers nos héritiers à titre de peine, 15 sous et que cette charte demeure dans
sa fermeté. De là, deux chartes de cet accord de même teneur ont été écrites et chaque partie
l’a donné à l’autre. Fait à Kalendasco2, avec bonheur.
+ Signe de la main de Stavelene, fils de feu Dominique qui a demandé que cette charte fût
faite.
+ Signe de la main de Theutpert de Calendasco fils de feu Ansuald, témoin.
+ Marin, notaire requis à cette charte d’accord ai souscrit comme témoin de Stavelene.
Moi, le notaire susdit, scribe de cette charte d’accord (convenientia) après l’avoir transcrite, je
l’ai complétée et donnée.
P. Galetti, Le carte private della cattedrale di Piacenza, 1, 784-848, n° 1, p. 29-30.
1 Comprendre : nourriture distribuée par le seigneur, casse-croûte ou repas plus copieux.
2 Com. Prov. Plaisance (Italie)
10
2/ 788, 16 mars. – Eglise de Saint-Savin.
Sous le règne de notre seigneur Charles et de Pépin son très heureux fils, hommes très
excellents, rois en Italie, en l’année de leur heureuse royauté 14e et 7e, le 16e jour du mois de
mars, indiction 11. Nous Leboald fils de feu Loup vous demandons à vous Senepert, homme
vénérable, diacre, gardien de la basilique de Saint-Savin construite en dehors des murs de la
ville de Plaisance, avec la volonté et le consentement de vos prêtres, de daigner nous donner à
travailler et mettre en culture dans le fonds du casale Rutiliano la terre que feu Rodulus a
tenue, ainsi que deux pièces de vigne sises à Felegario, pour une durée de 20 années
continues. Et que nous vous en rendions de tout le méteil, le tiers, battu et porté ici à Plaisance
à la maison de Saint-Savin ; du vin, la moitié apporté de même ; des cadeaux coutumiers, un
par an : une paire de poulets et 10 œufs ; en argent, 6 deniers, donnés à la saint Antonin. Pour
ce qui est des corvées, chaque année trois jours de labour à Felegari. Pour qu’il en soit ainsi,
pour que ce bien soit amélioré en tout et qu’il n’y ait ni fraude ni négligence, ils convinrent
entre eux que si l’un d’eux ou de ses successeurs ou héritiers voulait s’en aller avant ces vingt
ans (...) ou s’il ne payait absolument pas tout ce qui est dit plus haut, alors que la partie
coupable compose envers l’autre 20 sous de deniers et que cette charte de précaire demeure en
sa fermeté. Et si Loboald et ses héritiers ne payaient pas, que le régisseur de Saint-Savin ait la
possibilité de prendre des gages et de le contraindre. De cela, nous avons fait écrire deux
chartes de précaire de même teneur et chacun a donné à l’autre la sienne. Fait dans la demeure
de Saint-Savin.
+ Moi Ambroise fils d’Aldon, monétaire, requis pour cette précaire ai souscrit comme témoin
de Lodoald.
+ Seing de Loboald qui a demandé que cette charte de précaire soit faite.
+ Moi Davet, monétaire, requis pour ce par Lodoald ai souscrit comme témoin.
+ Moi, Aribert, monétaire, requis comme témoin par Lodoald, ai souscrit.
+ Cunipert, prêtre, scribe de cette précaire, après l’avoir remise, l’ai complétée et donnée.
Ibid., p. 31, n° 2
3/ Contrat du 2 septembre 1342
“Au nom de Dieu, Amen. Bernardo fils de feu Vannello Asquini, citoyen de Lucques, du
quartier des Saints Simon et Jude, a loué et concédé à Dino de feu Collucio, appelé Ortica, de
la commune de la Chapelle San Bartolomeo, de la paroisse de Massa Pisana, une pièce de
terre en vigne, avec une maison à solfier, avec les oliviers et les figuiers et autres arbres
fruitiers, et avec une cour et un puits, sis dans les confins et terroir de la dite commune de San
Bartolomeo... au lieu dit « aux châtaigners » bornée d'une part par la terre de Lemmo de
Portico, de Lucques, d'une autre par la terre et la maison de Bartolomeo, fils de feu Ugolin, de
feu Maître Bartolomeo, de Lucques, de l'autre par le chemin public et de l'autre par la terre
des fils Asquini. Item une autre pièce de terre en partie olivette, en partie bois, sise dans les
confins et terroir de la commune San Giovanni de Scheto, de la même paroisse, bornée d'une
part par la terre des fils Asquini, d'une autre par la terre de Pietro Paganelli de Lucques, de
l'autre par la terre de l'oeuvre de San Giovanni Magiore de Lucques, de l'autre par la terre du
monastère San Giorgio de Lucques, de l'autre par le chemin public, au lieu dit « au perrier »
ou « aux chataigniers ». Item, il a loué et concédé au dit Dino, avec les dites terres,
l'équipement suivant une jarre contenant environ cent quatre setiers de vin, un tonneau
contenant trente-six setiers de vin environ, une petite jarre contenant douze setiers de vin
environ, un couffin contenant vingt-quatre setiers environ de blé, qui tous sont dans la dite
maison. Pour ces terres et pièces de terre bien labourer, améliorer et ne pas les détériorer
11
sciemment, et ces choses et équipements en user de bonne foi sans les détériorer, depuis les
prochaines calendes d'Octobre, pour les dix prochaines années.
Et le dit Dino, entrepreneur, a promis, en échange, de fidèlement labourer, fumer et semer les
dites pièces de terres qui sont arables, en temps voulu et à ses frais. De labourer, biner, tailler,
lier celle qui est en vigne, en fournissant dépense, travail, liens, échalas, et de renouveler et
provigner cette vigne chaque fois que ce sera utile. De maintenir en état les haies et fossés. De
ne pas couper les châtaigniers les oliviers et les arbres fruitiers sans la permission de
Bernardo, le bailleur ou de ses héritiers... De moissonner les blés, vendanger et fouler les
raisins, cueillir les olives, les châtaignes et les fruits en temps voulu. De donner, livrer et
porter la moitié de tous les fruits, blé, vin, huile, châtaignes, figues et autres fruits des dites
terres... de bonne foi et à ses frais, au dit Bernardo et à ses héritiers... Et de résigner les dites
choses et équipement dans la dite maison, dans l'état où ils sont au dit Bernard et à ses
héritiers à la fin du terme susdit.”
Éd. de G. Duby d’après : I. Imberciadori, Mezzadria classica toscana con documentazione inedita dal IX al XIV
sec., Florence, 1951, p. 137-138.
4/ Contrat du 18 novembre 1384
“Au nom de Dieu, amen. Du 18 de Novembre 1384.
Soit manifeste à qui lira cet écrit que moi Recho di Mugnaio ai concédé à Andrea di Braccio
mon bien du Poggio, avec tous ses biens et confins, situé dans la paroisse de Santo Cervagio à
Pelagho, avec les vignes et toutes les pièces de terre qui appartiennent à cette exploitation.
Avec cette convention : Moi, Recho, je dois mettre la moitié de toute la semence qui sera
semée sur ledit bien, et Andrea, l'autre moitié. Et il doit me donner la moitié de ce qui sera
récolté sur le dit bien, blé, avoine, huile et vin. Le dit Andrea doit tenir deux porcs sur le dit
bien, et il doit payer la moitié de leur pasnage, et moi, Recho, l'autre. Et il doit me donner la
moitié de la viande. Le dit Andrea doit aussi mettre deux ouvriers par an dans la vigne de
Recho. Et moi, Recho di Mugnaio, je dois lui prêter, pour les boeufs, quinze florins d'or, et le
dit Andrea doit tenir une paire de boeufs à ses frais, et pour tous les dommages, dont Dieu le
garde, et toute l'exploitation. Et nous voulons que la concession soit faite pour les quatre
années à venir. Et le dit Andrea doit me donner chaque année une paire de bons chapons et dix
douzaines d'oeufs. Et le dit Andrea doit encore faire l'huile des olives qui seront sur la dite
exploitation...”
Éd. de G. Duby d’après : D. Catellacci, The Scritte di mezzeria in volgare del secolo decimo quarto, dans
Archivio storico Italiano, 1893.
Textes édités et traduits dans G. Duby, L’Economie rurale et la vie des campagnes dans l’Occident médiéval,
Aubier-Montaigne, Paris, 1962, t. II, p. 3-78, n°182-183.
12
Thème 3 : L’esclavage (VIIIe-XVe siècle)
1/ Les esclaves et leur statut en Germanie : un épisode de traite d’après la vita
de saint Emmeram (avant 770)
Un pieux et sage vieillard me raconta comment, un beau jour, il avait voulu se rendre à l'église
du saint martyr de Dieu, Emmeram, à Ratisbonne, afin d'obtenir son intercession pour ses
méfaits. Il se mit donc en route, seul. Cependant, lorsqu'il parvint en un lieu désert appelé «
Le pâturage lointain », il tomba sur des bandits qui le volèrent et qui, après lui avoir lié les
mains et l'avoir bâillonné, de telle manière qu'il lui fût impossible de prononcer une parole, lui
firent passer la frontière et le vendirent chez les Francs. Et celui qui l'acheta le revendit alors à
quelqu'un qui résidait dans les territoires septentrionaux des Thuringiens. [...]. Lorsque le
bonhomme s'avisa qu'il était à présent près des idolâtres païens, il se mit de toutes ses forces à
servir assidûment son seigneur terrestre. Car il était bien instruit des arts manuels, il savait
faire fonctionner un moulin pour le plus grand profit de son maître, et excellait en outre dans
la construction des bâtiments. Ainsi trouva-t-il faveur aux yeux de son maître. Lorsqu'il eût
donné trois années entières de bons et loyaux services [...] il arriva qu'un de ses compagnons
d'esclavage mourût sans avoir procréé et en laissant une veuve qui était en même temps jeune
et fort belle, sous l'angle de la chair corruptible. Le maître terrestre enjoignit alors au
bonhomme de se joindre à elle par le mariage et d'avoir la jouissance de la tenure et de ses
dépendances. Le pieux vieillard, cependant, résista, disant : « J'ai laissé une femme chez les
miens lorsque, pour mes péchés innombrables, je fus capturé, exilé de ce pays et amené ici.
Comment, si elle est encore en vie, puis-je en prendre une autre pour épouse ? » À quoi son
maître rétorqua fermement: « Si tu ne la prends pas, que le Seigneur me tienne rigueur si je ne
te cède pas aux Saxons, qui vénèrent les idoles. Car je sais d'expérience que si tu refuses de
recevoir de moi une femme, tu n'as pas l'intention de rester mais que, bien au contraire, tu te
prépares à t'échapper, et je serai escroqué du prix de ton achat. » Comme ils discutaient
longuement, le bonhomme comprit qu'il ne pourrait pas s'opposer à la volonté de son maître.
[...] II accepta donc par nécessité de se joindre à elle, conformément à la volonté de son
maître. Sur quoi ce dernier, tout heureux, prit la main droite de la femme et, passant une robe
sur ses épaules comme le requiert la pratique du mariage, il la lui donna en mariage en
présence des autres esclaves, de sa propre épouse et de leurs enfants. Car il l'estimait
beaucoup en raison de ses capacités. Ensuite le pieux vieillard, avec la compagne qu'il avait
reçue, gagna la demeure de celle-ci, où il devait consommer l'union. Lorsqu'ils furent entrés
dans la chambre et que, suivant la coutume du mariage, ils eurent reçu à manger, ils prirent
place dans le lit qu'elle avait préparé. Mais le pieux vieillard se hâta de la prévenir : « Prends
garde, très chère soeur, que par le péché de cette union nous n'offensions le céleste et suprême
Créateur [...]. Profite des récompenses que me vaut mon savoir-faire ; mais veille bien, tant
que vit mon épouse, à ne pas provoquer destruction de l'âme en copulant avec moi. » [...] Ce
qu'entendant elle fut remplie de dépit. Dégoûtée, elle se tourna vers le mur et se barricadant
derrière les couvertures elle s'endormit, gagnée par la fatigue. Quant à lui, il répandit pleurant
des prières incessantes du plus profond de son cœur, que le Créateur Serein daigne mettre un
terme à ses tribulations. [...]
Ses prières furent aussitôt entendues. À peine était-il endormi qu'un homme de haute stature
et de grande beauté apparut au pied de son lit et, avec le bâton qu'il tenait à la main, frappa le
13
dormeur, disant : « Lève-toi et rends-toi l'église du saint martyr, là où tu avais fait le vœu de
te rendre. » Le vieillard répondit : « Comment marcherai-je loin sans vivres ? » L'homme qui
se tenait là lui enjoignit nouveau : « Lève-toi sans tarder. Prends le pain qui est l'étage ; cette
nourriture te suffira jusqu'à la fin du voyage [...]. À l'étage, il trouva une superbe miche de
pain, que personne, à sa connaissance, n'avait placée à cet endroit ; le pain du mariage qu'il
avait mangé ce même soir dans même maison avec la femme susdite ne pouvait s’y comparer.
L'ayant trouvée, il la plaça près de sa poitrine laissa tout le reste de ce qui se trouvait là, de
peur de faire tort à son maître terrestre en emportant quelque bien hormis son unique manteau
et une hache à deux têtes qu'il avait fabriquée de ses propres mains.
Arbeo, Vita et passio sancti Haimhrammi martyris, éd. Bruno Krusch, MGH SS Rerum Germanicartum in usum
scholarurm separatim editi 13, Hanovre 1920. Trad. angl. : C. Hammer, A large-scale Slave Society of the early
medieval Ages: Slaves and their Families in Early-Medieval Bavaria, Abingdon, 2002, p. 133-135. Tiré de A.
Stoclet, Les sociétés en Europe du milieu du VIe à la fin du IXe siècle, Lyon, 2003, p. 70-72.
2/ L’esclavage en Italie aux XIVe-XVe siècle
21.- Contrat d’achat d’une esclave (19 mai 1441)
Au nom du Christ, amen. L’an de sa Nativité mille quatre cent quarante et un, indiction quatre, le
dix-neuf mai. Ser Domenico, fils de feu Moricon le gardien du fondaco3, habitant de Venise,
quartier Sant’Antonino, a spontanément, librement et en pleine connaissance donné, vendu et
remis, sous le lien de la servitude perpétuelle, à Nicolo Filippi de Marano de Ferrare, présent,
achetant pour lui et ses héritiers, stipulant et recevant, une sienne esclave, de nationalité
tcherkesse, âgée de dix-sept ans environ, appelée dans sa langue Comora et à appeler dans le
saint baptême et en latin Franceschina, saine et sans défaut d’esprit et de corps et dans tous
ses membres, cachés et visibles, non atteinte du haut mal, selon l’usage de Venise pour le prix
de quarante cinq ducats d’or, dont ledit vendeur se contente et qu’il a reconnu avoir eus et
entièrement reçus dudit acheteur (…), donnant et conférant audit acheteur et à ses héritiers
entière et absolue propriété de ladite esclave avec pleine autorité et pouvoir de faire et
disposer de ladite esclave selon sa volonté (…).
Traduit du latin. Edité dans E. Peverada, Schiavi a Ferrara nel Quattrocento, Ferrare, 1981, n° 2, p. 24-25, publié et
traduit dans Archives de l’Occident, t. 1 : Le Moyen Âge, éd. O. Guyotjeannin, Paris, Fayard, 1992, p. 708-709.
22.- A la recherche d’une esclave en fuite (12 août 1388)
Au nom de Dieu, amen. Le 12 août 1388.
Lodovico Marinit’a écrit ce matin comment cette nuit s’est enfuie une esclave, âgée d’environ
vingt ans, cheveux et yeux bruns, bien formée de buste, c’est-à-dire ni grasse ni maigre ; elle
est toute petite et son visage n’a guère le type tartare, mais plutôt le type contraire ; elle n’est
pas habile dans notre langue. Elle s’appelle Margherita, et je l’ai achetée il y a quelques mois
à Marco di Bellaccio, qui m’a dit l’avoir eue d’un ami à Naples. Voilà le signalement que je
peux te donner. Elle s’est enfuie de Marignolla cette nuit, comme je te l’ai dit, avec ses
3 Le fondaco, mot dérivé de l’arabe, désigne un entrepôt.
14
vêtements, à savoir une jupe mêlée4, qui tire sur le bleu, et neuve, une veste5, un voile et
autres babioles, et aussi une vieille jupe en peau d’agneau avec dessus une ceinture noire, et
(elle porte) la plupart du temps une capuche. Si je me rappelais d’autres particularités, je te les
écrirais, mais on ne peut se tromper à avoir tous ces détails. Nous n’avons pas eu de
nouvelles, sauf que j’ai envoyé aux renseignements quelques travailleurs sur la route de Pise ;
et ils disent avoir rencontré des cavaliers qui leur ont dit avoir trouvé à Empoli une esclave
qui répondait au signalement que je t’ai donné, si ce n’est qu’elle portait une grande robe 6, et
elle pourrait avoir changé quelque chose de son accoutrement pour ne pas être reconnue. Il
paraît qu’elle était avec un cordonnier d’ici ; et derrière eux il y avait un boiteux avec un
baluchon, qui étaient peut-être ses vêtements à elle. Jusqu’à présent, je n’en sais pas plus. A
nouveau je te prie, pour l’amour de Lodovico et de moi, de continuer à la rechercher, si elle
était venue ou devait venir par chez toi, et de la faire arrêter en donnant les preuves de sa
fuite. En outre, je te prie de dépêcher un message à Livourne pour l’empêcher, si elle y va,
d’embarquer, et un autre aux bateliers de l’Arno pour l’empêcher d’aller à Gênes ; ou alors
fais ce qui te semble le mieux et mets-toi d’accord avec Bartolomeo, qui séjourne chez
Francesco di Bonaccorso et qui a été prévenu par Lodovico ; et faites-moi tous deux ce
service, que je puisse dire, si je l’ai à nouveau, que c’est grâce à votre bonté. Je suis ton
obligé. Dieu soit ton garde.
Francesco Saccheti7, salut, de Florence.
PS : aucunes fois, on les retrouve au bordel : tu peux aussi annoncer cela. Envoie la lettre à
MicheleGuinigi à Lucques, il l’aura avec celle que nous lui écrivons sur la même affaire.
D’après le texte original en dialecte toscan, édité par R. Ceserani et L. de Federicis, Il materiale et l’immaginario :
laboratorio di analisi dei testi et di lavorocritico, tome III, Turin, 1979, p. 61-62, publié et traduit dans Archives
de l’Occident, t. 1 : Le Moyen Âge, éd. O. Guyotjeannin, Paris, Fayard, 1992, p. 709-710.
4 De tissu mêlé.
5 Guarnello : sorte de veste de travail sans col et sans manche.
6 Grande robe sans manche, assez riche.
7 Marchand, écrivain de nouvelles et poète florentin.
15
Thème 4 : Aumône et assistance
1/ La prise en charge des pauvres : l’acte de Charles le Chauve de 867 pour
Saint-Vaast d’Arras
« Au nom de la sainte et indivisible trinité, Charles, par la grâce de dieu, roi.
Si nous confirmons par nos édits ce que nos prédécesseurs, inspirés par la Providence divine
et illuminés par la grâce d’en haut, ont jugé à propos d’établir à la sollicitation et aux dévotes
prières de la sainte église de dieu et de ses fidèles, pour le maintien et l’utilité des églises, et
des serviteurs de dieu, et si, nous conformant à ces religieuses pensées, nous remplissons ce
pieux office avec l’aide du Seigneur, nous estimons que ce sera à notre avantage, pour la
béatitude éternelle et la protection de tout le royaume commis à nos soins, et nous avons la
confiance d’avoir, à ce sujet dans l’avenir, le Seigneur lui-même pour rémunérateur.
Qu’il soit donc connu de tous les fidèles de la sainte église de dieu et aux nôtres, présents et
futurs, que la communauté des religieux du monastère appelé Nobiliacus, où repose le
précieux corps de saint Vaast, confesseur du Christ, nous a, par les très humbles prières de
ceux qui y servent dieu, instamment sollicité que pour l’amour du tout-puissant et
l’accroissement futur de son culte, et dans la crainte que l’ordre institué dans cette maison, ne
vînt dans les temps futurs à être troublé par la négligence, la perversité ou la diminution de
leurs successeurs, nous ordonnions d’établir par notre autorité un précepte sur les domaines
affectés à la dite congrégation de moines pour ses nécessités de tous genres, afin que par ce
moyen tous les biens qu’ils possédaient déjà et ceux qu’ils sollicitaient humblement de notre
sublimité, puissent désormais demeurer fermes et stables entre leurs mains.
Ainsi, prêtant l’oreille à leurs prières parce qu’elles étaient nécessaires et raisonnables, nous
avons voulu qu’il soit fait comme ils le demandaient, et nous avons affecté les domaines cidessous désignés pour servir perpétuellement leurs besoins et leurs usages : pour la matricule
du monastère, Simencourt (Maynbotvillam), « Bais », « Senous », Hébuterne, Pommier,
Herlincourt, dix manses à Bonvincourt avec « Longo Bragio », Menin, Moorseele (ou
Moorsel), Seldigem ( ?), Givenchy, un manse à Sainte-Catherine (autrefois Demencourt), un
manse « in Farneolo ».
Nous avons assigné ces domaines avec leurs serfs et toutes leurs dépendances pour l’usage de
ceux qui sont chargés du luminaire et de la matricule et pour les autres choses nécessaires aux
églises dans le dit monastère, avec le cens de toutes les précaires de l’abbaye, de telle sorte
que ce qu’il faudra pour la médecine soit suppléé par les dits domaines.
Pour les besoins des frères, c’est-à-dire pour la boisson et la nourriture, nous avons assigné les
domaines qui suivent : la moitié du bourg appelé « Nova villa », situé à côté du monastère et
une taverne, la villa de Feuchy, Sainte-Catherine (autrefois Demencourt), Thelus, Biache[Saint-Vaast], Hendecourt[-les-Ransart] et « Bernella » ; en Beauvaisis, Moislains, Puzeaux et
Angicourt, un manse seigneurial et XXIV autres manses avec l’église, les vignes et les autres
dépendances, Vaux sur le fleuve de la Somme, avec une brasserie et deux moulins et les
manses appartenant à ces domaines qui ont été dans notre seigneurie (in dominicatu nostro),
Estaires, Sauchy (ou Sailly ?), Armentières, Mastaing, Meurchin, Zerkeghem. Nous avons
ordonné que toutes ces localités, avec toutes les précaires et les domaines indiqués ci-dessus
soient, après la mort de tous ceux qui les détiennent maintenant, affectées pour toujours aux
besoins des frères, ainsi que leurs dépendances et les familles, les églises et toutes les autres
16
choses qui en dépendent ; nous avons également confirmé la précaire d’Emmon et de
Cagengaire.
Quant à la chambrerie (camera) des dits religieux, nous lui avons assigné les domaines que
voici : Athies, un autre Sauchy (ou Sailly ?), Ligny, Campigneulles, trois manses à
Coullemont ( ?), un manse à Lambres, et un autre aux Hées, où demeure un homme nommé
Godon et une taverne dans le bourg (vicus) du monastère, avec toutes leurs dépendances,
familles, églises et autres choses leur appartenant, de telle manière que les plantations et les
provisions de bois, ainsi que les volailles et les œufs provenant de ces domaines servent aux
usages des frères et appartiennent au prévôt.
Tout le surplus sera employé pour les vêtements, les chaussures et les autres objets
nécessaires. Mais tout le lin des domaines affectés aux besoins des frères, avec la laine,
jusqu’à la somme de quatre cents livres, reviendra à la chambrerie. L’excédent de laine, mais
non en lin, sera à la disposition du prévôt ; car nous voulons que tout le lin revienne à la
chambrerie.
Si ce qui a été délégué à la chambrerie sur les domaines ci-dessus ne peut suffire aux besoins
des frères, il y sera suppléé sur les domaines appartenant à la prévôté. Seront affectés à la
porterie Berneville, un manse et à Anzin un moulin, et à Agnez cinq manses avec un moulin et
toute la dîme de l’abbaye, que le directeur du monastère, ou son délégué, aura soin de
recouvrer intégralement. A l’hôpital des pauvres appartiendront, à Dainville sept manses, dans
la villa de Buneville et à Linzeux trois manses avec les serfs des deux sexes y demeurant et le
cinquième de la dîme qui est attribuée à la porterie ; et en outre de toutes les provisions de
bois venant des domaines qui appartiennent à la prévôté ou à la chambrerie, le dixième chariot
sera donné au dit hôpital. Nous avons destiné à la maison des infirmes le tonlieu du marché
qui servira également aux usages des frères infirmes et sera à la disposition de l’attentif frère
gardien des infirmes.
Tous ces dits domaines avec les serfs, les revenus et les dépendances qui leur appartiennent,
nous les concédons de notre autorité et munificence royale, par cette charte de confirmation et
à titre perpétuel, aux frères de la dite congrégation, selon qu’il a été exprimé ; nous les leur
confirmons perpétuellement et nous voulons que les serfs qui ont légalement appartenu aux
dits domaines du temps d’Adalung8, en quelque lieu qu’ils soient, leur soient attribués sans
rétractation.
Les clôtures du monastère et les édifices, tant des susdits domaine que des autres propriétés,
ainsi que la coutume en a toujours été, seront construits et restaurés, partout où besoin sera.
Nous ordonnons, en vertu de notre puissance royale, qu’aucun de nos successeurs, rois ou
abbés, n’ait l’audace de soustraire ou de diminuer ce qui est établi par notre édit inviolable, ou
de le détourner pour son profit personnel ou de l’accorder en bénéfice à qui que ce soit. Qu’il
ne s’avise pas davantage d’exiger des services ou des chevaux de poste, de recevoir des
dépenses ou des logements d’hôtes, qu’il ne réclame aucune somme d’argent ni aucun droit de
gîte en dehors des charges coutumières imposées d’ancienne date aux susdits domaines pour
les besoins du monastère et qu’il n’ait pas la présomption d’y rien ajouter.
Tout ce qui est prescrit ci-dessus est ordonné pour cent douze moines ; il ne sera permis à
personne de restreindre ce nombre ; mais on pourra l’augmenter, si on le juge à propos, et, en
multipliant et complétant leurs ressources, accroître en proportion les serviteurs du culte
divin, de telle manière que, dans les temps futurs, les religieux observant la règle de saint
Benoît, dans la dite communauté, puissent sans trouble et librement y servir dieu et prier
assidûment pour nous, afin que la récompense de cette présente confirmation, en ce qui nous
concerne, et celle de la sainte observance de la règle, en ce qui les regarde, soient
8 Abbé de Saint-Vaast de 809 à 839.
17
respectivement obtenues dans la béatitude éternelle. Pour corroborer davantage, et pour étayer
cette charte émanée de notre sublimité, nous avons décrété que le privilège épiscopal soit
observé à perpétuité et tenu ferme par tous les fils de l’église.
Et afin que cette disposition, que nous avons établie et confirmée pour l’amour de dieu et le
salut de notre âme, obtienne une ferme exécution et puisse désormais demeurer inébranlable,
nous l’avons signée de notre main, et nous l’avons fait sceller de notre anneau.
Adalgaire, notaire, en a vérifié la teneur en remplacement de Gunzelin.
Donné le troisième jour des calendes de novembre, indiction première, la troisième année du
règne du très glorieux roi Charles.
Fait au Palais-Royal d’Andreville, au nom du Seigneur en toute félicité. Amen. »
Texte traduit du latin, extrait de : G. Tessier éd., Recueil des actes de Charles le Chauve, 3 vol., Paris,
1943-1950, vol. 2 n°304, p. 170-176
2/ Géraud d'Aurillac et les pauvres9
I. On prévoyait toujours devant lui des bancs pour les pauvres ; parfois même, c'était des
tables qu'on y préparait pour eux : il tenait à voir par lui-même ce qu'on leur donnait, et en
quelle quantité, pour les sustenter. Et pas de limite fixée d'avance au nombre de gens à
accueillir : s'il s'en présentait plus que prévu, pourvu seulement qu'on vît bien qu'ils étaient de
la condition requise pour être admis, on introduisait tout le monde auprès de lui. A personne
d'ailleurs on n'eût fermé la porte sans lui avoir fait l'aumône. Ses serviteurs veillaient à ce qu'il
eût toujours sous la main de quoi donner à manger, pour pouvoir le donner lui-même. On y
mettait aussi de quoi boire : il regardait, goûtait, puis il le leur passait, pour que fussent les
premiers à boire ceux avec qui il partageait aussi son pain.
Pleinement convaincu qu'en leur personne c'est le Christ qu'il recevait, c'est à Lui aussi qu'en
eux, avec grande révérence, il rendait honneur, et en eux toujours, il accueillait en sa demeure
Celui, dit le Prophète , qui console en rendant ses forces à qui est las. Comme ils
compromettent déplorablement la récompense qui les attendait, ceux qui, tout en faisant
remettre une aumône à la porte, ne font pas entrer les pauvres auprès d'eux ! Car le Christ a dit
: J'étais étranger, et vous m'avez accueilli ; or, en agissant de la sorte, ils semblent lui interdire
leur demeure.
Puis, pour s'élever, comme l'a demandé le Seigneur, plus haut que la justice des Pharisiens, il
faisait mettre à part la neuvième partie du revenu de ses terres. C'est sur ces réserves qu'en
certaines de ses maisons on nourrissait les pauvres, et c'est par ce moyen aussi qu'on leur
fournissait vêtements et chaussures. Quant aux pauvres qu'il rencontrait en chemin, il prenait
toujours de l'argent en prévision du cas, et, soit de sa main, soit par un serviteur de confiance,
il le leur faisait distribuer sur place, avec la discrétion voulue.
Lors de distributions d'argent faites au nom de quelque personnage, il lui arriva, mêlé aux
nécessiteux, d'en recevoir comme eux, tout heureux et au comble de ses vœux de se voir ainsi
assimilé aux pauvres. Toutefois il en faisait aussitôt don, cependant que par reconnaissance il
offrait une bonne partie de son office divin à l'intention de ceux dont il avait reçu ce même
cadeau.
Livre I, chap. 14
9 Odon (879-942), fut abbé de Cluny de 926 à sa mort. Sa Vie de saint Géraud est la première « biographie »
d’un chevalier chrétien qui mène dans le monde une vie monastique, toute entière tournée vers le service de Dieu
et de l’Église.
18
II. Les pauvres, et les victimes d'une injustice, avaient toujours libre entrée auprès de lui. Et
nul besoin, pour recommander leur cause à son attention, de lui apporter un présent. Car plus
il les voyait dans une étroite indigence, plus c'était là pour eux le meilleur moyen de plaider à
ses yeux leur infortune.
Le renom de cette bonté se répandait non seulement aux alentours, mais même en pays
éloignés. Et comme tout le monde savait que sa bienfaisance s'étendait à tout le monde,
beaucoup venaient lui demander la solution de leurs difficultés.
Il ne dédaignait pas de s'occuper ainsi, soit directement, soit par ses gens, des affaires des
pauvres, et, dans toute la mesure du possible, de leur accorder son appui. Souvent, en effet,
apprenant que des gens se faisaient une guerre sans merci, le jour où leur affaire devait passer
devant lui, il faisait célébrer des messes à leur intention. Et s'il ne voyait pas de moyen
humain de porter remède, il implorait en ces cas-là le secours divin.
Une chose qu'il ne pouvait souffrir, c'était qu'un seigneur, sur le premier caprice de colère
venu, pût s'emparer des terres d'un de ses hommes : il faisait alors évoquer l'affaire, et, partie
par persuasion, partie d'autorité, il calmait la colère de cet homme déchaîné.
Un trait suffirait à montrer que son souci de justice se faisait sans cesse plus ferme et plus
exigeant : dès qu'un pauvre se trouvait dans la dépendance de plus puissant que lui, il avait
grand soin, tout en soutenant le plus faible, de fléchir le plus fort sans léser ses droits.
Bref, dans sa soif si sincère de justice, il ne souffrait de la voir offenser ni chez ses sujets ni
chez des étrangers.
Livre 1, chap. 17
III. Il n'oubliait pas non plus que la justice des chrétiens doit surpasser celle des Pharisiens.
Aussi, outre la dîme qu'il faisait très exactement acquitter sur toutes ses récoltes, il en faisait
également mettre de côté la neuvième partie, qu'il distribuait au fur et à mesure des besoins
des pauvres. Puis, quand besoin aussi s'en faisait sentir, on achetait des vêtements pour les
pauvres, au fur et à mesure qu'il s'en présentait. De plus, il prenait constamment avec lui de
l'argent, pour donner aux pauvres qu'il rencontrait en chemin, secrètement autant que possible,
soit de sa main, soit par quelqu'un de connivence avec lui sur ce point.
Et comme le produit de ses champs et de ses vignes lui était amplement suffisant, on n'a
pourtant jamais entendu dire que ses fermiers s'en soient à l'occasion approprié quelque
chose ; et lui non plus jamais ne voulut acheter de terres, sauf un petit champ qui se trouvait
enclavé dans une de ses propriétés, alors qu'au contraire les riches, sur ce point-là, prennent
d'ordinaire si vite feu, sans tenir compte de la terrible malédiction du Prophète : Malheur à
vous qui ajoutez sans cesse maison à maison, et sans cesse accumulez terre sur terre. C'est
que Géraud, docile au précepte de l'évangile, se contentait de ses revenus.
Et de même que lui ne maltraitait personne, et ne commettait jamais d'injustice, de même
l'ordonnateur du monde, le Seigneur, gardait en sécurité tout ce qui relevait de lui contre toute
agression des gens sans aveu et des pillards. C'est qu'en vérité son domaine s'étendait sur tant
de propriétés, en tant d'endroits de provinces diverses, que, comblé de biens comme il l'était,
on pouvait le dire véritablement riche propriétaire. Et pourtant cette quantité considérable de
terres ne lui inspirait nul orgueil, pour la raison, selon le mot du Psalmiste, qu'il ne désirait
rien sur la terre hormis le Seigneur. Rien d'étonnant que le Seigneur lui ait fait don de ce
surcroît, puisque c'est le royaume de Dieu, lequel prime le reste, qu'il lui demandait.
Quoi qu'il en soit, Dieu lui avait accordé un tel accroissement, il fut si continûment couvert et
protégé, que le mot de Job semble s'appliquer parfaitement à lui : Tu l'as entouré d'un
rempart, et ses biens sur la terre sont allés croissant.
19
Livre I, chap. 28
Vie de Géraud d'Aurillac par Odon, abbé de Cluny, Traduction du Père G. de Venzac, dans la
Revue de la Haute-Auvergne, t. 43, 74ème année, juill.-déc. 1972, p. 220-322.
3/ Une société de secours mutuel à Paris (1319)
A touz ceux qui ces lettres verront Henri de Taperel, garde de la prevosté de Paris, salut. Nous
fasons assavoir que, comme les ouvriers conreurs de robe [de vaire deme] 10urenz à Paris nous
aient supplié humblement que, comme pour le grant travail de leur mestier il enchient souvent
en grieives et longes maladies, si qu'il ne puent ovrer [lacune du texte], il leur convient quérir
leur pain et mourir de mesaise, et la plus grant part[i]e de eus ait grant volonté et bonne
devocion de pourveeir sus les [lacune du texte] de leur dit mestier à leur cous, se il nous
plaist, en ceste manière, c'est assavoir que chescun qui sera malade, tan comme il sera malade
ou impotens [recevra] chescune semaine trois souls parisis, pour soy vivre, et quant il
relèvera de celle maladie ou impotence, il aura troys soulz pour la semaine qu'il relèvera et
autres trois soulz une foiz pour soy efforcer, et est leur entencion que ce soit de maladie ou
impotence d'aventure, et non pas de bleceures qui leur fussent faites par leur diversité, quar en
ce il ne prandroient riens, et les ouvriers conreeurs qui voudront estre acuilliz et partir à ceste
aumosne bailleront chaiscun dix soulz d'entrée et six deniers au clerc et paieront chaiscun de
eus chaiscune sepmaine un denier parisis ou la quinzaine deus deniers et les seront tenu
d'aporter là où ladite aumosne sera reçeue, et qui y devra plus de sis deniers d'areraigez, il sera
débouté dou bienfait d'icel aumosne, juques à tant qu'il ait paie. Se il y avoit conreeurs qui ne
vousist paier ce que dit est dessus, il ne seroit point acuilli à l’aumosne et n'i auroit nul profit à
son besoing et que ces deniers soient receuz par sis persoines dudit mestier, et ne pourront ces
deniers convertir en autres usaiges, sus paine de corps et de bien, et en rendront une foiz
chescun an compte au commun dudit mestier et du deffaut seront puniz par nous prevost de
Paris et par noz successeurs, et changera ledit commun au compte les dites sis persoines et le
clerc, se il lour plaist, et se il leur plaist que il demurent, il demourront. Nous qui le commun
profit et l’onour de Dieu et de la benoite Vierge Marie et de nostre sire le roy voulons, et
desirrons faire, si comme à nous appartient, le profit dou commun poiple, voulons et ottroions
au diz ouvriers conreeurs de robe vaire que il puissent faire et ordonner, facent et ordrennent
(sic) les choses dessus dites de nostre auctorité, licence et commandement, sauf en toutes
choses le droit et l’onor de nostre sire le roy et de son peuple, et que par ce taquehan,
assemblée ou conspiracion populaire ne soit faite ou préjudice ou doumaige de nostre sire le
roy et de son dit peuple. En tesmoing des choses dessus dites, nous avons signées ces lettres
de nostre propre signet et les avons fait seeller du seel de la prevosté de Paris. Ce fut fait en
l’an de grâce mil CCC diz et huit le semadi diz jours de février.
Archives nationales de France, Trésor des Chartes, reg. 65*, pièce VIII xxXVIII. Vidimus de Philippe de
Valois en décembre 1328. Document en moyen français édité par : FAGNIEZ G., Études sur l’industrie
et la classe industrielle à Paris au XIIIe et au XIVe siècle, Paris, 1875, (réimpr. Genève-Paris, SlatkineChampion, 1975), XII, p. 290-291. Trad. dans Sources d’histoire médiévale IXe-milieu du XVe siècle,
G. Brunel et E. Lalou dir., Paris, Larousse, 1992, p.481-482.
10 Les lacunes du texte proviennent d’un trou dans le feuillet du manuscrit. Des hypothèses
de restitution sont proposées entre crochets pour certaines de ces lacunes.
20
4/ Le rôle des aumônes de Charles de Navarre (décembre 1376)
C'est l'ordonnance de l'aumône du roi.
Premièrement pour chaque jour, cinq pauvres et à chacun, trois sous.
Item avec ce, pour chaque mercredi pour saint Antoine, deux pauvres et à chacun, trois sous.
Item chaque jour pour hommage, cinq sous.
Item pour chaque vendredi, treize pauvres et mandés, et à chacun, 28 deniers, pain, vin et
viande.
Item pour chaque samedi, quinze pauvres et à chacun 15 deniers, pain, vin et viande.
Item pour chaque dimanche quinze pauvres et à chacun 12 deniers, pain, vin et viande.
Item chaque lundi, mardi, mercredi et jeudi de toute l'année, treize pauvres et à chacun pain,
vin et viande.
Item pour les Mandés de saint Michel, saint Jean-Baptiste, saint Jean l'Evangéliste, saint
Pierre et saint Paul, saint Jacques le Grand, saint André, saint Denis, saint Laurent, saint
Christophe, saint George, saint Fremin, saint Martin, saint Antoine, saint Léonard, saint
Nicolas, La Madeleine, sainte Catherine, le premier jour de l'an, le jour des Rois, le jour des
Cendres, le jour de Pâques fleuries, le vendredi aouré, le jour de l'Ascension, le jour de la
Trinité, le jour du sacrement, le jour des morts, le jour saint Etienne, saint Nicaise et saint
Louis de France qui font ensemble 29, à chaque mandé 15 pauvres, et à chacun 28 deniers,
pain, vin et viande. Et pour chaque mandé, l'offrande du roi un florin d'Aragon, et pour son
hommage dix sous. Item pour les mandés des fêtes Notre Dame et pour les mandés de Pâques,
Pentecôte, Toussaint et Noël qui font en somme neuf, à chacun mandé 15 pauvres et à chacun
28 deniers, pain, vin et viande, et pour chaque mandé pour l'offrande du roi un florin d'Aragon
et pour son hommage un florin.
Item pour les offrandes aux trois messes de Noël, trois florins d'Aragon.
Item pour le mandé du jeudi absolut à treize pauvres, treize francs.
Item pour les fêtes de sainte Agathe, la conversion saint Paul, sainte Agnès, la chaire de saint
Pierre aux liens, la décollation de saint Jean-Baptiste, sainte Cécile, sainte Luce et saint
Thomas de Cantorbéry, à chaque fête quinze pauvres et à chacun, 12 deniers, pain, vin et
viande.
Et si deux ou trois aumônes échoient le même jour et si on ne les accomplit pas [toutes], on
les recouvre d'un jour sur l'autre au plus proche que l'on peut.
Item on doit donner chaque année le jour saint Laurent, à autant de pauvres que le roi aura
d'années, à chacun un florin ; et on a donné pour cette année qui est l'an LXXVI à 44 et on
augmentera d'un pauvre d'année en année tant que Dieu lui donnera vie.
Item on doit donner chaque année au 9e jour de novembre, jour auquel le roi fut délivré de
prison, à autant de pauvres qu'il y aura d'années qu'il fut délivré, à chacun un florin ; il a
donné cette année qui est l'an LXXVI à 20 pauvres et on augmentera d'un pauvre d'année en
année tant que Dieu lui donnera vie.
Item on doit donner un jour de la semaine à autant de pauvres qu'il a d'années et à un de plus
autant de deniers, et ce continûment tant que Dieu lui donnera vie.
Item on doit donner le jour de vendredi aouré à 200 pauvres, à chacun deux sous et deux pains
doubles.
Item on doit semblablement donner le jour de la fête des morts à 200 pauvres, à chacun deux
sous et deux pains doubles.
Item le roi doit offrir chaque vendredi de l'année lors du baiser de la croix après la messe 5
sous.
Item il vêtira et chaussera chaque année 50 pauvres au premier jour de l'an, c'est à savoir à
chacun 6 coudes de drap à 3 aunes de par. et une paire de souliers.
21
Item il vêtira et chaussera de la même manière chaque année au jour de saint Antoine 50
pauvres.
Item il vêtira et chaussera semblablement 100 pauvres quand il l'ordonnera entre la saint
Michel et la Toussaint pour son salut et pour l'âme de la reine que Dieu absolve.
Item il ordonne que chaque année le jour de saint Antoine, il aura autant de pauvres que il y a
chaque lundi pour son âge et ils auront semblablement qu'audit lundi, nonobstant l'ordonnance
dessus dite.
Item on doit donner le premier de chaque mois de l'année à autant de pauvres, autant de
deniers qu'il y a de jours dans le mois.
Item il a ordonné de faire dire chaque semaine des quatre temps, le mercredi, le jeudi, le
vendredi, le samedi, 50 messes de requiem, et chaque prêtre aura pour la messe 5 sous et
chacun de ces jours il aura 50 pauvres et chacun aura deux sous et deux pains doubles.
Item il a ordonné de donner chacun des dimanche de Carême et le jour de Pâques, ce qui fait
sept jours, à 100 pauvres, à chacun deux sous et deux pains doubles.
Item il a ordonné de donner, à chacune des cinq fêtes de Notre Dame, aux cinq pauvres
quotidiens auxquels il a l'habitude de donner à chacun trois sous, en plus un florin.
Nous Charles par la grâce de Dieu roi de Navarre, comte d'Evreux, qui avons mandé et
mandons par ces présentes à Charles notre fils aîné, puisque par especial il représentera notre
personne après notre décès dès que nous serons trépassé, qu'il prenne la charge des aumônes
écrites ci-dessus et qu'il les fasse et accomplisse en la forme et manière dessus déclarées. En
témoin de ce nous avons fait mettre notre contre-sceau en ce présent rôle au mois de
décembre l'an de grâce 1376.
Texte en français modernisé. Ed. Priscille Aladjidi, Le roi père des pauvres (France XIIIe-XVe siècle),
Presses Universitaires de Rennes, 2009, p. 403-405.
22
Thème 5 : La conjoncture du XIVe siècle
1/ La famine en Toscane en 1329 racontée par Domenico Lenzi
[Samedi 8 avril 1329]. Comme les seigneurs officiers [de l’office du Blé] virent sur la place
d’Orsanmichele peu de grains et encore moins de pain et autres céréales, et qu'une grande
foule de personnes de divers lieux, de la ville et de la campagne, venait pour y acheter, si bien
que le tiers à peine pourrait s'approvisionner, ils firent, par crainte des troubles, chercher le
chevalier et les sergents du podestat. Quand ils furent réunis, armés comme pour aller à la
bataille ou au pillage, les Six [de l’office du Blé] et le podestat proclamèrent l'ordre que
personne, marchand ou autre, qui aurait du grain à vendre, pour quelque raison que ce soit, ne
devrait le vendre plus de 30 sous [le setier 11], sous peine d'amende arbitraire. Aussitôt l'ordre
proclamé, ils allèrent sur la place en avertissant que ceux qui avaient [à vendre] du grain
calvello ou sicilien, de bonne qualité, seraient remboursés aux frais de la commune ; et ils
versaient par setier une compensation de douze deniers, un peu plus ou un peu moins à leur
estimation. Et la foule des acheteurs était si grande que chacun n'aurait pu toucher un demisetier ; ils commencèrent à grogner et à se dire l'un à l'autre : "Ce sont ces marchands qui font
la vie chère ; il faudrait tous les tuer et dépouiller." Les Six se tenaient au banc à côté du pilier
de la loge [d'Orsanmichele]. Ils donnèrent aussitôt l'ordre aux sergents du podestat de protéger
les marchands, pour que personne ne les inquiétât [...].
[Mercredi 12 avril 1329]. Les Six proclamèrent dans la cité, de la part du podestat, l'ordre que tous
ceux qui avaient du grain ou des céréales, plus qu'il n'en fallait pour vivre d'ici au l er juillet
prochain, devaient leur en apporter une déclaration écrite, ceux de la cité dans les cinq jours,
ceux de la campagne dans les dix jours, sous peine de confiscation [...].
[Vendredi 28 avril 1329]. Le grain fut vendu en peu d’heures et beaucoup restèrent, qui n'en
avaient pas eu, un grand nombre de la cité et quelques-uns de la campagne, et ils faisaient
grande plainte et récrimination et disaient : "Voici une cité mal gouvernée, que nous ne
pouvons avoir de grain ! Et il faudrait aller aux maisons de ces voleurs qui en ont, y mettre le
feu et les y brûler dedans pour ce qu'ils nous tiennent dans cette faim!" [...] Ce jour, les Six de
la commune de Florence envoyèrent acheter du grain à Figline 12. Quand ils furent revenus au
marché, les acheteurs communaux interdirent par proclamation à quiconque d'acheter du grain
pour le revendre et autorisèrent ceux qui en voulaient pour en manger, à en acheter deux
setiers par personne. Ce jour, lesdits acheteurs achetèrent 36 sommes13 de grain communal
bon, dont le setier valait 35 sous ; coût de voiturage et de gabelle par setier porté à Florence, 2
sous [...].
[Mai 1329]. Durant ce temps, il y eut à Florence une très grande et cruelle famine et cherté - vous
devez le savoir, messires qui me lisez - ; et les autres parties du monde n'y échappèrent pas.
Partout, selon ce que des hommes dignes de foi rapportèrent dans notre cité, la faim se fit si
cruelle et si grave que les pauvres recouraient à diverses racines et fruits d'arbres et viandes
11 1 setier = 24,363 litres.
12 Figline : Figline Valdarno, important centre rural, à 25 km au sud-est de Florence.
13 1 somme = 6 setiers.
23
nauséabondes à la bouche comme au nez. Mais l'Italie, et la Toscane grandement, se virent
plus qu'autres régions remplies et entourées de ce fléau. Et ce que je peux dire, c'est que ma
patrie, Florence, que sa campagne ne suffit pas à approvisionner en grain plus de cinq mois
[dans l'année], et où l'approvisionnement est de tout temps plus cher que partout ailleurs en
Italie, a pu, au temps de cette famine, suffire à soutenir, à elle seule, la moitié des pauvres de
la Toscane, grâce à l'aide providentiellement fournie par ses bons citoyens riches et leur
argent. Et il faut rappeler - ce fut et c'est encore vrai - que, chassés des riches domaines pleins
de grains tout alentour et sans autre ressource, les pauvres se mirent tous à affluer, avec leur
pauvreté, à Florence, comme à leur seul port d'espoir et de consolation.[...].
[Lundi 29 mai 1329]. Quand la place [Orsanmichele] fut fournie [en grain], les acheteurs, des
citoyens, des paysans, arrivèrent en foule et se rassemblèrent sur la place pour avoir du blé.
Quand l’heure [de la vente] sonna, la place était remplie d’acheteurs, citoyens et paysans, sous
la loggia et aussi dehors. On se pressait autour des cuves, et la presse était si grande qu’on se
bousculait, se heurtait, qu’on en venait même aux coups et les cris, les gémissements, les
hurlements étaient si forts qu’on aurait cru qu’il tonnait. C’était grande pitié à entendre et
certainement la puissance divine elle-même en était émue [...].À beaucoup d’individus,
hommes et femmes, on coupa et subtilisa la bourse. Face à ce brouhaha, les Six du blé firent
installer la hache et le billot, à la garde de deux hommes d’armes. Cela pour intimider les
bagarreurs et les voleurs. Puis le chef de la police, un homme à poigne, fit le tour des cuves
pour en éloigner les gens. Ceux qui n’eurent pas de blé ce jour là furent extrêmement
nombreux et ils s’en retournèrent chez eux abattus, sanglotant, en larmes, et s’en prenant avec
amertume à la providence divine.
Traduit du toscan. Domenico Lenzi, Specchio umano, G. Pinto éd., Il libro del biadaiolo, Florence,
Olschki, 1983, p. 292-294, 302-303 et 317 et suiv.
Guyotjeannin, Olivier, Archives de l'Occident. Le Moyen Age V e-XVe siècle, Fayard, coll. dirigée par
Jean Favier, vol. 1, Paris, 1992, n° 146, p. 460
24
2/ Le dépeuplement du village de Castellet-lès-Sausses (1343)
Au nom de notre Seigneur Jésus-Christ, Amen [...] l'an de l'Incarnation 1343, VIII e jour du
mots de juillet, onzième indiction [...]
Sachent tous présents et à venir que, s'étant transporté dans la cour royale de Puget-Théniers
devant nobles et sages personnes messires Autrand Ainesi, juge, et Guillaume Brianson,
clavaire, tous deux officiers royaux de ladite cour, noble homme Pierre de Sausses, coseigneur
dudit lieu de Castellet-lès-Sausses, aux nom et place de l'université des hommes dudit lieu de
Castellet-lès-Sausses, offrit et présenta auxdits sires certaines lettres patentes de noble et
puissant seigneur Hugues, seigneur des Baux, comte d'Avellino et sénéchal des comtes de
Provence et de Forcalquier [...]
[Suit la teneur des lettres et des bans du 28 février 1343, demandant sur la requête de la
communauté qu'un recours de feux soit exécuté à Castellet-les-Sausses.]
Lesdits sires juge et clavaire, le 9 juillet, se rendirent personnellement audit bourg fortifié de
Castellet-lès-Sausses avec moi, notaire ci-dessous et Guillaume Thomas messager de la
susdite cour. Arrivés audit bourg, ils firent comparaître en leur présence Jacob Palier, bayle
royal dudit bourg et, après discussion et délibération avec ledit bayIe sur les conditions et
qualités des hommes dudit bourg, ils convoquèrent Raymond Ausap, Guillaume Olivier,
Vincent Aoudi, Fromentin Fromentin, Guillaume Collana et Jacob Morracone, personnages
importants et loyaux et considérés dans ledit bourg comme les plus représentatifs. Lesdits
messires juge et clavaire, après avoir reçu les serments desdits hommes prêtés sur les saints
Évangiles de Dieu, la main sur le Livre, ordonnèrent auxdits hommes de leur montrer et de
leur faire voir à eux-mêmes, lesdits sires juge et clavaire, une par une, toutes les maisons dudit
bourg dans lesquelles des personnes habitent, font feu et demeurent, personnes qui sont
astreintes en quelque manière à payer les fouages ou qui ont régulièrement payé ces fouages ;
de leur indiquer les noms et prénoms de ces personnes ; de conduire lesdits seigneurs à travers
ledit bourg de porte en porte, de tout leur montrer sans omettre personne et de leur nommer
tous les habitants du territoire dudit bourg résidant hors dudit bourg. De même si quelque
habitant dudit bourg s'était transporté dans les régions proches de la mer, ou ailleurs, en
laissant sa maison dans le bourg, tout en ayant l'intention d'y revenir au retour de la saison
d'été, qu'ils le leur nomment et déclarent afin que pleine et complète vérité soit établie sur le
véritable nombre des feux. [...]
[Total des feux : 69]
Après s'être ainsi diligemment mis en quête des feux, les susdits sires juge et clavaire firent le
décompte de ces feux et les trouvèrent considérablement moins nombreux : il en manquait 41.
Voulant comprendre la cause de cette diminution, ils interrogèrent à ce sujet lesdits hommes
[les 6 notables], lesquels hommes répondirent d'une seule voix que ce bourg et son territoire
avaient été dévastés par des tempêtes et que, pour cette raison, les populations furent, pendant
plusieurs années, privées de leurs récoltes habituelles, que certains ne purent supporter la
charge de leur entretien et celui de leurs familles, qu'ils s'endettèrent auprès des juifs, et que
pour finir, après avoir vendu leurs biens, ils abandonnèrent à jamais ce dit bourg. Tel est le
sort en particulier des hommes ci-après […]
Jean Porcelli, endetté envers plusieurs juifs, abandonna tous ses biens et s'enfuit ; lesdits juifs
firent confisquer tous ses biens et les firent vendre.
Guillaume Peyroni ne possédait rien, aussi s'en alla-t-il, abandonnant complètement ledit
bourg.
25
Laugier Plasenta se maria en Provence et l'église de Moustiers reçut tous ses biens.
Feraud Payen mourut sans descendance et ses frères tiennent ses biens, lesquels ont été
décomptés parmi les feux.
Vincent Milon de Castellet-lès-Sausses donna tous ses biens et partit.
Jacques Jumeri mourut sans descendance ai biens. La femme de Jacques Sante partit et
l'hôpital reçut le peu qu'elle avait. Jacques Olivier donna tous ses biens à sa fille et s'en alla.
Guillaume Milon vendit tous ses biens, partit et mourut.
Raymond Alba demeure à Grasse et son seigneur reçut tous ses biens.
Guillaume Blanqui vendit tout ce qu'il avait et partit.
Pierre Ricolfi habite dans le bourg fortifié de Méailles où il s'est marié et il ne possède aucun
bien.
Raymond Ricolfi est mort au bourg fortifié de Puget-Théniers et ne possède ici aucun bien.
Pierre Laugier est mort et tous ses biens ont été vendus.
Rigo Bon s'est marié dans le bourg fortifié du Cannet et c'est là qu'il demeure : dans le bourg
fortifié de Castellet, il ne possède aucun bien.
Voilà ce que lesdits hommes rapportèrent sur la foi du serment et ils demandèrent que tout
ceci fasse l'objet d'un acte écrit.
Texte édité dans E. Baratier, La démographie provençale du XVe au XVIIIe siècle, Paris, SEVPEN,
1961, p. 224, pièce justificative.
3/ Inventaire après décès d’un paysan romagnol (2 janvier 1383 n. st.)
1384 [a.st.], indiction 7, 2 janvier. Inventaire de tous les biens et possessions meubles et
immeubles, restés de l'héritage de Giovanni di Menghuccio de Casale14, appartenant et
revenant à Biagio, fils et héritier de Giovanni, demandé par Gisela, veuve de Giovanni, mère
et tutrice de Biagio ; lesquels biens la tutrice a certifié et dit par son serment se trouver chez
elle et en sa garde avec les biens de sondit fils Biagio, en présence de Guido di Niccolino et
de Guido di Masio de Castrocaro, cousins dudit Biagio, présents [les témoins ci-dessous].
Premièrement une habitation sise à Casale, avec terrain15, demeure et jardin ; confronts :
Guido di Guido, d'un côté, la route publique de l'autre, le bien des héritiers de Tonso
Zanuccolo, et autres confronts.– Une pièce de terre plantée de vigne, au lieu dit "Lassina"
dans ledit finage, qui fait 15 perches16, sauf droit de [nouveau] calcul ; confronts : Tura di
Martino dit Bacchino, le bien de l'église San Niccolò de Castrocaro et Pietro di Ugolino de
San Savino au territoire de Modigliana.– Une pièce de terre en indivision avec Betta, sœur de
Biagio, sise au finage de Casale, au lieu dit "La Valle" près de la route de la commune, de 4
tornature17.– Une pièce de terre audit finage, au lieu dit "La Macagna", en indivision avec sa
sœur, qui fait 3 tornature.– Une pièce de terre sise au finage de, Casale, au lieu dit
"Serbadella", partie cultivable et partie boisée, qui fait une demie tornatura.– Une pièce de
terre arable sise à "Laureta" audit finage, près de la route de la commune, qui fait 3
tornature.– Une pièce de terre inculte sise audit finage [au lieu dit] "Ar Viaço'", elle fait une
14 Localité du territoire de Castrocaro, en Romagne, à une dizaine de km SW de Forlì, dans le
piémont des Apennins.
15 Le mot area est sans doute pris dans son sens technique (italien aia) d'espace de terre
battue, sis devant la maison et servant au battage du grain.
16 Sans doute ici la perche de Forlì, qui fait environ 4,9 m.
17 La tornatura de Forlì fait environ 23,8 ares.
26
tornatura.– Une pièce de terre boisée à "Cortina", en indivision avec Franceschino di Zanolo
de Casale. Et généralement certaines autres pièces de terre incultes, où qu'elles soient au
finage de Castrocaro en divers endroits et lieux dits, de l'héritage dudit Giovanni.
Un tonneau de la contenance de six assaggi.– Un petit tonneau de [la contenance de] 5
barils.– Une grande huche en bois de peuplier.– Un coffre en noyer avec serrure.– Une grande
table en bois de peuplier.– Un baril.– Une paire de cuves.– Un grand chaudron.– Une couette
de plumes18 ... avec une taie en lin.– Une couverture de lin teinte en bleu, déchirée et sale 19.–
Un oreiller de plume couvert de lin.– Une serviette à main, déchirée.– Une nappe [longue] de
5 bras. – Une paire de draps, dont l'un est déchiré, chacun de 12 bras. – Un grand récipient de
cuivre.– Un joug à bœufs.– Une bêche cassée.– Deux pioches, l'une bonne, l'autre en pièces.–
Un petit soc.– Un petit coutre.– Deux jarres à huile sans poignée.– Une lampe.– Sept grandes
écuelles et 7 petites et sept tailloirs.– Une bassine en bois.– Une paire de forces.– Une râpe.–
Un couteau de table.– Un filet20, déchiré au fond.– Un morceau de toile.– Deux moutons et
deux brebis.– Une ânesse estimée 4 livres.– Deux jeunes agnelles.– Une mezzina 21 de porc
salé.– Huit fioles22 d'huile.– Une pioche.– Une lance.
De même elle dit qu'elle a [à payer] sur les biens dessusdits une dette de 3 livres 14 sous en
tout, pour le coffret nuptial de sa fille quand elle s'est mariée et pour le tissu d'une tunique
pour elle. Présents Ugolino di Rosso de Lazzarola, territoire de Modigliana, habitant de
Casale, et son fils Andriolo et Francesco di Rigone de Casale et Giacomo di Guido, témoins
appelés, reçus et sollicités pour le susdit inventaire.
Edité dans G. Cherubini, « Una famiglia di piccoli proprietari », réimpr. Dans ID. , Signori, contadini,
borghesi : Ricerche sulla società italiana del basso Mediœvo, Florence, 1974, p. 493-494, publié et
traduit dans Archives de l’Occident, t. 1 : Le Moyen Âge, éd. O. Guyotjeannin, Paris, Fayard, 1992, p.
551 et suiv.
18 Lecture incertaine.
19 Lecture incertaine.
20 Pour la pêche.
21 Mesure de contenance, sans doute appliquée ici à du lard.
22 Mesure de capacité.
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Thème 6 : Le cas anglais
1/ Le statut des laboureurs anglais de février 1351
Comme naguère, contre la malice des serviteurs qui après la pestilence étaient chers et ne ne
voulaient servir sans prendre gages exagérés, il fut ordonné par notre seigneur le roi. avec
l'accord des prélats, nobles et autres de son entourage. que ces serviteurs, hommes et femmes,
fussent obligés de servir aux salaires et gages qui étaient accoutumés, au lieu où ils devraient
servir, en la vingtième année du règne de notredit seigneur le roi [l 346- 1347] ou cinq ou six
ans auparavant, et que les serviteurs refusant de servir à ces conditions fussent punis par
emprisonnement de corps, comme il est plus à plein contenu dans cette ordonnance [...] ; pour
ce qu'il a été donné à entendre à notredit seigneur le roi en ce présent parlement, par la
pétition du commun, que lesdits serviteurs n'ont égard à ladite ordonnance, mais à leurs aises
et arrangements particuliers quittent le service des Grands et des autres s'ils n'ont fournitures
et gages (livresons et loyers) au double ou triple de ce qu' ils avaient coutume de recevoir en
ladite vingtième année du règne et avant, au grand dommage des Grands et appauvrissement
de tous ceux dudit commun, à quoi ledit commun priait d' apporter remède ; pour quoi, audit
parlement, avec l'accord des prélats, comtes, barons et autres Grands et dudit commun ici
assemblés, pour réprimer la malice desdits serviteurs, est ordonné et établi ce qui s'ensuit, à
savoir :
Que chaque charretier, valet et conducteur de charrue, berger porcher, garçon de laiterie et
tous autres serviteurs prennent les fournitures et gages accoutumés en ladite vingtième année
[du règne] et quatre ans auparavant ; en sorte que dans les régions où l'on use donner du blé
[comme salaire], ils prennent, par boisseau, 10 deniers ou du blé à la volonté de l'employeur,
jusqu'à ce qu'autrement soit ordonné ; et qu' ils s'engagent pour servir à l'année ou aux termes
accoutumés, et jamais à la journée ; et que nul ne prenne, au temps du sarclage et des foins,
qu'un denier par jour ; et les faucheurs des prés, 5 deniers 1' acre, ou 5 deniers la journée ; et
les faucheurs [de blé] 2 deniers la première semaine d'août et 3 deniers la deuxième semaine
et jusqu' à la fin d' août, et moins dans les régions où l'on use donner moins, sans demander,
donner ou prendre le manger ou autre courtoisie ; et que ces travailleurs portent ouvertement
en leurs mains leurs outils aux villes marchandes et que là ils soient embauchés en lieu public
et non privé.
Item que nul ne prenne, pour le battage d'un quartier de blé, plus de deux deniers et demi ;
d'un quartier d'orge, fèves, pois et avoine, un denier et demi, si l'on usait donner tant [...] : et
que nul d'eux ne quitte la ville où il réside en hiver, pour servir [ailleurs] en été , s'il peut avoir
service dans cette même ville au taux ci-dessus ; sauf que les gens des comtés de Stafford,
Lancastre et Derby, et les gens de Craven23 et des marches de Galles et d'Ecosse et autres lieux
peuvent, en août, venir travailler dans d'autres comtés et s'en retourner sauvement, comme ils
usaient le faire auparavant [...].
Item que charpentiers, maçons, tuiliers et autres couvreurs de maisons, ne prennent pour leur
ouvrage que ce qu'ils usaient prendre, c'est à savoir à la journée, le maître-charpentier 3
deniers et l'autre charpentier 2 deniers, le maître-maçon de franche pierre 4 deniers et l'autre
maçon 3 deniers et leurs aides 1 denier et demi, le tuilier 3 deniers et son aide 1 denier obole,
le couvreur de chaume et paille 3 deniers et son aide 1 denier obole ; les plâtriers et autres
23 Sans doute Craven Arms, à 65 km à l'ouest de Birmingham.
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faiseurs de murs d'argile et leurs aides, la même chose, et sans le manger ni le boire, c'est-àdire de Pâques à la Saint-Michel ; et ensuite moins, à la discrétion des juges qui seront
chargés de cela. Et ceux qui font charrois par terre ou par eau ne prendront pour ces charrois
plus qu'ils n'usaient faire la vingtième année [du règne] et quatre ans avant [...].
Texte modernisé dans O. Guyotjeannin, Archives de l'Occident, Paris, Fayard, 1992, t. I, p. 467-469
d'après le texte en anglo-normand, éd. B.H. Putman, The enforcement of the Statutes of Labourers,
1349-1359, 1908, Appendice, p. 12*-14*.
2/ Les revendications des paysans anglais d’après Froissart (1381)
Uns usages est en Engletiere et ossi est il en plusieurs pais, que li noble ont grant
francisse [franchise ] sus leurs hommes et les tiennent en servage, c’est a entendre que il
doivent de droit et par coustume labourer les terres des gentils hommes, quellier [cueillir ] les
grains et amener a l’ostel, mettre en la grange, batre et vaner, et par servage les fains fener
[faner ] et amener a l’ostel, la busce [bûche ] copper et amener a l’ostel et toutes telles
oevres ; et doient cil homme tout ce faire par servage as signeurs, et trop plus grant fuisson de
tels gens a en Engletiere, et par especial en la comté de Kemt, d’Exsexs, de Souxexs et de
(Beteforde) [Kent, Essex, Sussex, Bedfordshire ] en i a plus que ens ou demourant [dans le
reste ] de toute Engletiere.
Ches meschans gens en es contrees que j’ai nommees se commenchierent a eslever
pour che que il dissoient que on les tenoit en trop grande servitude, et que au commenchement
dou monde il n’avoit esté nuls sers devers son signeur, enssi comme Lucifer fist envers Dieu ;
mais il n’avoeint pas celle taille, car il ne estoient ne engle [ange ] ne esperit, mais homme
fourmet a la samblance de leurs signeurs et on les tenoit comme bestes, laquelle cose il ne
voloient ne pooient [pouvaient ] plus souffrir, mais voloient estre tout uns, et, se il labouroient
ou faisoient aucuns labourages pour leurs signeurs, il en voloient avoir leur salaire.
En ces esrederies [fureurs ] les avoit dou tamps passet grandement mis et boutés uns
fols prestre d’Engletiere de la conté de Kemt, qui s’appelloit Jehans Balle [John Ball], et, pour
ses folles paroles, il en avoit jeu [il en était tombé ] en prison devers l’arcevesque de
Cantorbie [Cantorbéry ] par trois de fois, car cils Jehan Balle avoit eu l’usage que, les jours
du diemence apres messe, quant toutes les gens issoient hors dou moustier, il s’en venoit en
(l’aitre) et la praiechoit et faissoit le peuple assembler autour de li et leur dissoit : “ Bonnes
gens, les coses ne poent bien aler en Engletierre ne iront jusques a tant que li bien iront tout de
commun et que il ne sera ne villains ne gentils homs, que nous ne soions tout ouni. A quoi
faire sont cil que nous nommons signeur, plus grant maistre de nous ? A quoi l’ont il deservi
[mérité ] ? Pour quoi nous tiennent il en servitude ? Et se nous venons tout d’un pere et d’une
mere, Adam et Eve, en quoi poeut il dire ne monstrer que il sont mieux signuor que nous, fors
parce que il nous font gaaignier [cultiver ] et labourer ce que il despendent [dépensent ] ? Il
sont vestu de velours et de camocas [étoffe de soie ] fourés de vair et de gris, et nous sommes
vesti de povres draps. Il ont les vins, les espisses et les bons pains, et nous avons le soille
[seigle ], le retrait (et) le paille et (buvons) l’aige [eau ]. Ils ont le sejour et les biaux manoirs
et nous avons le paine et le travail, et le pleue [pluie ] et le vent as camps, et faut que de nous
viengne et de nostre labeur ce dont il tiennent les estas. Nous sommes appelés serfs et batu, se
nous ne faissons presentement leur service ; et (si) n’avons souverain a qui nous nos puissons
plaindre ne qui nous en vosist [voulut ] oïr ne droit faire. Alons au roi, il est jovenes [jeune ],
et il [lui] remonstrons nostre servitude, et li dissons que nous vollons qu’il soit autrement ou
nous i pourverrons de remede. Se nous i alons de fait et tout ensamble, toutes manieres de
gens qui sont nommé serf et tenu en servitude, pour estre affranchi, nous sieuvront [suivront ].
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Et quant li roi nous vera ou (orra), ou bellement [de bon gré ] ou autrement, de remede il i
pourverra. [...]
Jean Froissart, Chroniques, éd. S. Luce, G. Raynaud, L. Mirot, Paris, Société de l’Histoire de France,
tome X, p.95-96.
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Annexe - Textes patristiques concernant les notions de pauvreté et
de richesse
Chrysostome, Hom. II au peuple d’Antioche (Patrologia Graeca, 49, p. 39) : « "Avertissez, dit
l’Apôtre, les riches de ce siècle de ne pas se livrer à l’orgueil" (I Tim 6, 17). Quand il dit les
riches de ce siècle, il veut faire entendre qu’il est d’autres riches, les riches du siècle futur, tels
que Lazare, qui était pauvre dans la vie présente, et qui est riche dans l’autre ; qui possède pour
toujours, non de l’or, de l’argent, ni toutes ces matières que le temps corrompt et détruit mais ces
biens ineffables… ; car la vraie richesse, la véritable opulence, consiste à jouir de ces biens qui ne
peuvent recevoir ni altération ni changement. Ce n’était pas ainsi qu’était riche, ce riche qui
dédaignait (Lazare) ; mais il était le plus pauvre de tous ».
Chrysostome, Hom. XXXIV sur la Ière Ep. aux Corinthiens (PG 61, col. 293) : « Comment donc
devient-on riche? Il a été dit en effet : "La richesse et la pauvreté proviennent du Seigneur" (Sir
11, 14)… Mais toute richesse et toute pauvreté vient-elle vraiment du Seigneur ? ...Nous voyons
que la richesse provient des vols, des pillages des tombeaux, des sorcelleries et d’autres méfaits
semblables… Apprenez aussi que même la pauvreté ne vient pas de Dieu… En effet, lorsque le
jeune prodigue dilapide la richesse avec les prostituées et les rites magiques ou avec d’autres
passions de ce genre, et qu’il devient pauvre, n’est-il pas évident qu’il n’a pas été rendu tel par
Dieu, mais plutôt par ses débauches? ».
Ambroise, Commentaire à l’Evangile de Luc, VIII, 85, p. 330 : « Qu’ils apprennent [les riches] qu’il
n’y a pas de faute à être riche, mais à ne pas savoir user des richesses : car les richesses, qui sont
entraves pour les méchants, sont chez les bons ressources pour la vertu. Oui le riche Zacchée a été
choisi par le Christ. Mais en donnant aux pauvres la moitié de ses biens, en remboursant même
quatre fois ce qu’il avait frauduleusement dérobé… il a reçu une récompense plus abondante que
ses largesses ».
Chrysostome, Hom. XXXIV sur la Ière Ep. aux Corinthiens (PG 61, col. 294) : « Quelle est donc la
pauvreté et quelle est la richesse que donne le Seigneur? Rappelez-vous du patriarche, et vous
saurez [reconnaître] la richesse que Dieu donne… La pauvreté qui provient de lui est aussi digne
de louange ; elle enseigne à ce riche, en disant : "Si tu veux être parfait, vends tes biens et donne
aux pauvres, et puis suis-moi" (Mt 19, 21), et ailleurs il recommande à ses disciples en disant :
"Ne cherchez à acquérir ni or, ni argent, ni deux tuniques"… Si en effet ils ne nous sont pas du
tout utiles ceux qui sont riches, pourquoi sont-ils devenus tels ? Que peut-on répondre ? Qu’ils ne
sont pas utiles ceux qui s’enrichissent pour eux-mêmes, mais que sont absolument utiles ceux qui
ont été rendus riches par Dieu. Et cela vous l’apprenez de leurs actions. En fait Abraham
possédait sa richesse au profit des étrangers et de tous les nécessiteux ».
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