« Cosmodrama » : l`odyssée poético
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« Cosmodrama » : l`odyssée poético
« Cosmodrama » : l’odyssée poéticophilosophique de l’espace Pour ceux qui avaient apprécié, en 2009, Léger Tremblement du paysage, le plaisir sera vif de retrouver Philippe Fernandez au détour de son nouvel et étrange opus, Cosmodrama. Pour les autres, qui sont infiniment plus nombreux – voyez comme le monde est mal fait ! –, une occasion de se rattraper se présente, histoire de refaire justement le monde, quelque part en apesanteur entre science et poésie. Il s’agit d’une épopée de l’espace en chambre, d’un récit de science-fiction philosophique. Quelque part dans le cosmos, un vaisseau progresse avec à bord sept hommes et femmes qui, tirés d’un sommeil artificiel, ne savent visiblement plus pourquoi ils sont là. Leur but et, partant, celui du film, consistera à retrouver le sens de leur mission. Vertigineux, et en même temps d’une simplicité biblique, puisque rien n’empêche de penser que le vaisseau est la Terre, que les hommes sont les hommes et que la question que se posent les seconds est de savoir ce qu’ils font sur la première, qui tourne elle-même dans l’espace. Tati le dispute à Leibniz L’équipage réuni est censé y aider. Il y a là un astronome ronchon, un psychologue à la pipe ultranerveux, une douce biologiste aux cheveux blancs, une doctoresse brûlante, un journaliste abonné au col roulé, un aliénologue new age qui se partage entre Demis Roussos et Sébastien Tellier, un gars de la maintenance, peintre médiumnique à ses moments perdus. Ajoutons, pour faire bonne mesure, un chien, un singe, une visiteuse extraterrestre venue d’une civilisation apaisée, plus un nombre incalculable de doubles des personnages principaux quand les choses commencent à partir en vrille, à savoir pas trop tard dans le cours du film. Tout cela prend corps, en studio, dans une déclinaison de l’anticipation made in sixties. Des couloirs coudés qui ne mènent nulle part, des « lounges » confortables, des machines douces, tout cela coloré en orange, violet, moutarde ou turquoise, rehaussé de néons blancs. Côté son, ambiance sonar, automatisation douce et réverbération, bande électro de la plus belle eau. Les situations et dialogues, émaillés d’échappées romanesques et humoristiques, se nourrissent pour l’essentiel des hypothèses scientifiques les plus sérieuses. Big Gang, univers en expansion, matière invisible, intelligence des myxomycètes, théorèmes d’incomplétude de Gödel. Epargnons-nous les références – écrasantes – à Kubrick ou Tarkovski. Imaginons plutôt « La croisière s’amuse » scénarisée par Leibniz et tournée par Jacques Tati. Pourquoi y-a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Telle est la question à laquelle le film prend de temps de ne pas répondre en quatorze tableaux chapitrés comme autant du chemin du Christ. Le sujet est angoissant : comment vivre dans un monde qu’on sait voué à la destruction, comme représentant d’une espèce qui ne lui survivra probablement pas ? Le chien et le singe le supportent mieux que le psychologue, qui devient doucement dingue. Le film, quant à lui, nous aura fait rêver. N’est-ce pas là l’essentiel ? Jacques Mandelbaum COSMODRAMA,physiqueludique Cesontdesindividusenquêtedesens.Septpersonnagesenquêted’auteur. Des astronautes, semble-t-il, quoique ce ne soit pas très sûr. En revanche, il apparaîtbienqu’ilsdéambulentdansunvaisseauspatialoù,peuàpeuréanimés d’une phase de cryogénisation, ils prennent des verres, papotent et s’interrogent. Il semble aussi qu’ils aient une mission à accomplir. Laquelle ? Mais celle de tout un chacun, pardi ! De tout être doué de conscience. Appréhenderlemonde.Essayerdecomprendrel’obscuritéquinousentoure. Au moins, voilà un film qui vise les hauteurs et dont les dialogues sont brillamment articulés. Il est vrai que l’aréopage n’est pas neutre. Il y a un astronome (Jackie Berroyer), un reporter (Bernard Blancan), une biologiste (Sascha Ley), un psychologue (Emmanuel Moynot), une physiologiste, un sémiologue musicien. Sans oublier un homme à tout faire (Serge Larivière), candidedesurcroît,dontlesvisionsvoientlejourauboutdesonpinceau.Ainsi qu’unchienetuneguenon…Ettoutcepetitmondetraversel’espaceenessayant demettredesmotssurcequiledépasse.Cen’estpasiciqu’onseraattaquépar un alien ou une météorite. Mais chacun à sa façon apportera sa pierre aux mystèresduvivant. Aufait,lacréationdumondeest-ellelefruitd’unhasardoul’accomplissement d’une volonté supérieure ? Et, d’ailleurs, peut-on avoir la connaissance d’un systèmequandonluiappartient?Gödelpostulequenon,arméd’unthéorème dontlenomestsibeau:«théorèmed’incomplétude».Etsinon?Sinonrien maisc’estcerienquicompte.Inutiled’avoirpeur.«Cosmodrama»,dePhilippe Fernandez(quienseigneaussiàBordeaux),estunefablephilosophique,unrêve ludique dont le ton et les situations loufoques offrent un voyage captivant. L’espièglerieyestderigueuretlarigueur,scientifique.Petitprodige. SophieAvon Cosmodrama(Startraque) D’oùvenons-nous?Oùallons-nous?Abordd’unvaisseauspatialàla déconéo-pop,untypeencolroulésortd’unlongsommeilcryogénisé sanssavoircequ’ilfaitlàniquelestsonplandevol.Ildécouvresix hurluberlus tout aussi éberlués. Sans compter une guenon très maligneetunchienattachant,commedanstoutvoyagespatialdigne decenom!Dramedanslecosmos,ouplutôtquêtemétaphysique: ensemble,entreeux,ilsredécouvrentpeuàpeulesloisdel’universet delasociétéhumaine. Entièrement tourné en studio, ce film de Philippe Fernandez atteint uneformedeperfectionglacée,entrelepiquédel’image,l’usagede lamusiqueélectroniqueetlegraphismesophistiquédesintertitres.Le jeudécaléetréjouissantdesacteurs–deBernardBlancan,trèspincesans-rire,àJackieBerroyerensavantdébordéparseshypothèses–ne ressortquemieuxdecetécrinformel. Cetantifilmdescience-fiction,volontiersironique,estaussiunovni, au sens littéral du terme, une expérience parascientifique sur un spectateurquidoitselaisserembarquersanssecrisper.Car,aubout du voyage, l’ambition du réalisateur est d’évoquer l’odyssée de l’univers, du multivers (les univers parallèles !), au prisme de la consciencehumaine.Voiredefaireœuvre«filmosophique»…Untrip étrangeetrafraîchissantauseuildel’été. DavidFontaine «COSMODRAMA» : LA PLANÈTE DES SAGES Fable philosophico-cosmique un poil snob de Philippe Fernandez. Dans Conte philosophique (la caverne), son premier court métrage réalisé pour le centenaire du cinéma, Philippe Fernandez était remonté à l’origine de la pensée de l’image : l’allégorie de la caverne, dont il proposait une adaptation littérale en même temps que l’invention d’un nouveau genre, la filmosophie. Le geste était franc, iconoclaste et, il faut l’avouer, un peu ahurissant de naïveté. La vision de Cosmodrama nous fait pourtant nous demander si ce touche-àtout passé par l’art vidéo et la musique n’a pas effectivement mis le doigt sur quelque chose de nouveau. L’action se déroule dans une station spatiale à la dérive, où sept astronautes (comme dans Alien) se réveillent après un long sommeil artificiel. Pourquoi sont-ils là, se demandent-ils en chœur, comme dans un sujet du bac philo ? Un studio de télévision et un lounge tout équipés vintage vont bientôt décider de leur emploi du temps : axiomatiser à voix haute, danser sur des jerks électroniques, divaguer à foison. Tous les sujets y passent, des trous noirs à l’intelligence des myxomycètes, et l’enchaînement des événements est à peu près toujours le même - on s’interroge, on élucide, on boit des cocktails, et on recommence. A l’écran, le film multiplie les références à l’âge d’or de la SF à la télé, et la ligne suivie par les acteurs (Bernard Blancan, Serge Larivière ou Jackie Berroyer) oscille entre sitcom et Luc Moullet. Ce déploiement de fantaisie rétro très précis peine pourtant à faire oublier le régime très bizarre du film, à la fois aride et babillard, qui ne cesse de célébrer les mystères de l’univers, mais sans doute trop snob pour jamais en figurer aucun à l’écran. A un moment révélateur, le personnage de l’intendant expose ses peintures «médiumniques» au psychologue, qui s’interroge : «Vous croyez qu’on pourrait venir de là ?» Le spectateur, de son côté, se fiche de la réponse, trop occupé qu’il est à admirer ces paysages naïfs d’extérieurs cosmiques qui offrent soudain autant de visions à un film qui se refusait, jusque-là, obstinément à en porter aucune. Olivier Lamm Notelecteurs:4.7(3votes) Cosmodrama:métaphysique etpyjamas Présenté à tort comme une parodie de Star Trek, Cosmodrama raconte la déambulationgroggydequelquesmarginauxenpyjamasdansundécordevaisseau spatialtoutdroitsortides60’s.LaréalisationindépendantedePhilippeFernandez estunvéritableovni,unexercicedestylequimarielavulgarisationscientifiquefaçon TempsXdesfrèresBogdanoffàl’humourabsurdedeJaredHess(GentlemenBroncos, NapoléonDynamite). C’estbienconnu,lascience-fictionn’apasbonneréputationenFrancecesderniers tempsetlaplupartdestentativespourfairerenaîtrelegenresesontsoldéespardes échecsaubox-office.Cosmodramaauradumalàinverserlatendancemaisgageons que sa sélection cannoise aux côtés d’un frère de genre (Gaz de France de Benoît Forgeard)estdebonaugurepourlasuitedesévènements.Enoutre,Cosmodramaest unbelactederésistancequitendàréconcilierlepublicfrançaisaveclegenremaudit. Philippe Fernandez signe un délire pop et psyché dont le tour de force réside dans l’impeccablelisibilitédurécit.Lecinéastetémoigneeneffetd’unestupéfiantecapacité àrépondreauxquestionstarabiscotéesdugenreavecuneclartérareetsansjamais que le didactisme ne prenne le pas sur la comédie. Férus de science-fiction, vous n’apprendrezrien,oufortpeu,maislevoyageauxconfinsdesuniversnes’avèrerapas vainpourautantpuisquelevirusnostalgiquealabonneidéedecontaminerchaque plan de ce space-opéra de carton. A l’heure du numérique, Philippe Fernandez compose une ode désuète et amusée aux vaisseaux tapissés de moquette et aux pyjamascolsroulésoùlesscènesoniriquessontd’uneinfiniepoésieetoùilfaitbon danseravecl’absolunéantsoussespieds.Levoyageàl’aveuglettedansl’espace-temps dureunpoiltroplongtemps,maisceseraitfairelafinebouchequedereprocherà Cosmodramaunexcèsdegourmandise. ElisabethYturbe Cinq hommes et deux femmes à bord d’un vaisseau -spatial aux coloris pop très années 1970. Rien de spectaculaire au programme de cette odyssée sous les étoiles, mais, entre comédie et vulgarisation ludique, une réflexion sur l’origine de notre Univers et de la vie sur Terre. Avec, moment de choix, Jackie Berroyer en astrophysicien qui cause big bang, trou noir, « multivers »… Pas moins ! Et, miracle de ce voyage à travers l’infini, on en revient plus intelligent. Frédéric Theobald Les naufragés de l’espace Original, visuellement élaboré, et bénéficiant d’un scénario aussi intelligent que teinté d’humour, cet OVNI du paysage cinématographique français est un véritable ravissement. L’argument : Un vaisseau spatial lancé dans l’Univers. Des scientifiques plutôt perdus tentent de comprendre où ils sont. Notre avis : Après Léger tremblement du paysage (2008), Cosmodrama est le second long métrage de Philippe Fernandez, cinéaste, mais aussi professeur aux Beaux-Arts de Bordeaux, artiste et vidéaste. Il s’agit de l’une des rares incursions du cinéma français dans le genre de la sciencefiction. Sélectionné dans la section ACID du Festival de Cannes, le film est traité sur le ton d’une comédie dramatique métaphysique, plus proche du second degré du Godard d’Alphaville que du grand spectacle hollywoodien. Car loin de rivaliser, on pouvait s’en douter, avec des divertissements industriels comme Les gardiens de la galaxie ou des projets plus ambitieux de la trempe d’Interstellar, Cosmodrama propose une approche plus singulière et décalée, en conformité avec son budget et son label de petit film d’auteur. Soit donc un vaisseau spatial dans lequel l’équipage se réveille de cryogénisation, en état d’amnésie. Un singe et un chien se trouvent en présence d’un astronaute, d’un biologiste, d’un psychologue, d’un sémiologue, d’une généticienne et d’un reporter. Ne sachant plus ni où ils sont, ni d’où ils viennent, ni le but de leur mission, les cosmonautes doivent se baser sur leurs observations pour émettre des hypothèses... L’œuvre est subtilement découpée en « quatorze stations », chaque scène présentant une multitude de théories (philosophique, physique...) sur les rapports entre l’humain et l’univers. Par une série de gags et situations saugrenues, l’auteur se fait ensuite un malin plaisir à les remettre en cause. Ce pourrait être confus, répétitif, ou ne dépassant pas le niveau d’un sketch des Inconnus. C’est au contraire d’une finesse et d’un humour pince-sans-rire comme on aimerait en découvrir plus souvent à l’écran. Sur le plan visuel, le réalisateur aligne les références et multiplie les clins d’œil, du vaisseau de 2001 à l’esthétique kitsch de Star Trek. Il en résulte un trip pop, psychédélique et jubilatoire, tourné avec quatre bouts de ficelle. Car Philippe Fernandez ne cherche pour rien au monde les mises à jour techniques de l’ère numérique, et opte pour des décors de carton-pâte et des trucages d’un autre âge. On retrouve un esprit similaire à la démarche artisanale de Manoel de Oliveira qui s’efforçait de retrouver la magie de Méliès dans L’étrange affaire Angélica. Jackie Berroyer, Bernard Blancan et les autres acteurs semblent s’amuser comme des fous à ce délirant jeu de pistes délibérément hors des sentiers balisés du cinéma français. Gérard Crespo Cosmodrama réaliséparPhilippeFernandez UNCAFÉPHILODANSLECOSMOS,parPierre-ÉdouardPeillo Adepte du cinéma philosophique, celui où la métaphore prend le pas sur les sentiments, le réalisateur Philippe Fernandez se lance cette fois dans « un drame métaphysique en quatorze stations écrit […] à partir d’hypothèses scientifiques ordinaires », comme l’annonce un des cartons en ouverture de Cosmodrama. S’en tenant à ce programme (quoique l’étiquette « drame » soit essentiellement ironique), ce Solaris balisé déambule dans les couloirs d’un vaisseau spatial vintage, alors que vient de se réveiller d’un sommeil cryogénique une équipe de scientifiques amnésiques, ne sachant plus à quoi tient leur mission. Pendant les premières minutes du film, on en vient donc à rêver d’une alternative lo-fi et loufoque aux grandes équipées épiques de la science-fiction hollywoodienne. Néanmoins, s’il est difficile de dire du mal de cette entreprise plutôt amusante dans son ensemble, le résultat de ce huis clos disert donne la curieuse impression d’assister à du Beckett lustré : pas une turbulence d’absurde ne viendra tout à fait troubler ce voyage intergalactique en orbite autour des grands mystères de la condition humaine et de sa place dans l’univers. Compartimentage Assumant de bout en bout son ambition d’être un digest de questions ontologiques, Cosmodrama s’apparente à un café philo flottant dans le cosmos : qu’est-ce qui est préférable psychologiquement, un univers stable et donc l’idée d’éternité sans origine ou un univers en expansion qui oblige à accepter l’idée que toute la matière fut, en un temps, concentrée dans une tête d’épingle ; l’univers a-t-il voulu la pensée ou n’en a-t-il que faire ; le mystère est-il la condition sine qua non de l’existence ? Etc... Soit autant d’interrogations stimulées par les exposés de l’astronome à bord du vaisseau (passionnants d’ailleurs, mais comme l’est également la lecture d’un article scientifique). Ainsi, nécessairement bavard pour accomplir sa charge de cours, le film de Philippe Fernandez offre la parole à tour de rôle à ses personnages avec un didactisme manifeste. Chacun à sa spécialité et s’y cantonne : pour l’astronome, c’est la matière ; le reporter s’intéresse forcément à l’esthétique et la narration ; la biologiste au vivant ; le psychologue à la pensée et ainsi de suite... Progressivement, Cosmodrama s’enferme un peu dans une monotonie chapitrée semblable à des fiches de révisions illustrées pour étudiants en philo, tandis que cette routine se retrouve tout juste agitée par quelques saillies gaguesques et poétiques – elles aussi réduites à des parenthèses hermétiques. Glacisesthétique Ce compartimentage ne colle que trop bien à la rigidité plastique du film qui, de ce fait, maintient sous un glacis de maîtrise l’angoisse potentielle des mystères qu’il a choisi de sonder. Design tout en pastel laqué, néons laiteux, cinématographie tirée au cordeau et costumes sixties : on croirait presque assister à du Wes Anderson sans intention narrative, où des Playmobil se retrouveraient soumis à un jeu d’ergotage trop sage. Ces images standardisées, offrant justement un contrepoint douillet au flou métaphysique des dialogues, ne semblent néanmoins jamais contaminées par le vide cosmique et existentiel qui entoure le vaisseau. On reconnaîtra toutefois qu’il faut une certaine agilité – indéniablement à l’œuvre ici, mais peut-être trop méthodique – pour réussir ainsi un geste ambitieux : mettre sous cloche un abysse. Cosmodrama : Huis clos intersidéral, kitsch et humour absurde – ♥♥♥½ Présenté à Cannes en 2015 dans la section ACID, ce film présenté comme un hommage aux séries télévisées de Science-fiction des années 1970 est un véritable Objet Filmique Non Identifié où le kitsch et la technologie à la pointe de ces années se confronte à la plus grande question de l’humanité, que se posent encore les films de Science-fiction les plus avant-gardiste: d’où venonsnous ? Philippe Fernandez propose avec Cosmodrama un film vraiment très original, à rebours de tous les blockbusters actuels qui misent avant tout sur les effets spéciaux avant de proposer un scénario vraiment original. Ici, rien de superfétatoire mais un scénario bien pensé, des dialogues drôles, incisifs et qui donnent la part belle aux comédiens. Ce huis-clos jubilatoire de scientifiques hésitant entre leur mission et leur ennui lascif se découpe en plusieurs actes sans suivre un découpage ou une évolution traditionnelle. Des drames il y en aura, mais bien trempé dans l’humour, le sarcasme, le décalage et les réflexions métaphysiques cosmiques. Cosmodrama de Philippe Fernandez Coproduction belge portée par Michigan Films, Cosmodrama, où l'on retrouve Serge Larivière en régisseur d'un étrange vaisseau spatial coiffé d'une perruque blonde peroxydée, est une étrange comédie qui voyage, sous le mode du mystère par étape résolu ("Un drame métaphysique en 14 stations interstellaires" sous-titre le premier carton du film), dans les méandres de l'univers et de sa formation. Professeur aux Beaux-Arts de Bordeaux, artiste, vidéaste, cinéaste, Philippe Fernandez signe un second long-métrage étonnant, plutôt fascinant mais dont on n'arrive pas trop, au final, à décider si c'est du lard ou du cochon... Statique, voir un brin guindé, dans ses propositions esthétiques, le film, pourtant plutôt situ déglingué, manque juste d'un zeste de lâcher-prise pour être tout à fait hilarant. En gros, ça se prend au sérieux, même si ironiquement, ça ne se prend pas au sérieux. Ou peut-être qu'en fait, ça ne se prend pas du tout au sérieux mais que ça singe du même coup... etc... Oui c'est compliqué. À l'image du film... Dans un étrange vaisseau spatial absolument seventies qui multiplie les couleurs psychédéliques, au mobilier top design, aux décors dépouillés et presque vides, errent six personnages en quête d'auteur, accompagnés d'un homme à tout faire, d'un chien et d'un singe. Ce qu'ils font là ? Où ils vont et pourquoi ? Ils n'en savent rien et commencent donc à se poser ces questions tous ensemble. Il y a là l'astronaute, le reporter, le sémiologue, le psychologue, la biologiste et la généticienne... Tous vaquent à leur spécialité, interagissent ensemble, nourrissent leur réflexion. Tandis que l'astronaute (magistralement interprété par Jackie Berroyer, tendre savant fou) guide l'équipe au fil des étapes de ce long chemin de croix, le reporter, lui, installe son enquête et sa caméra au sein de cette aventure et le sémiologue (très Freud en son costume) en perd peu à peu son langage (des signes) et pète de plus en plus les plombs. Proposition esthétique tenu de bout en bout, Cosmodrama s'amuse à construire son odyssée métaphysique sur le mode de l'absurde et d'un humour plutôt pince-sans rire. Singeant les décors de la SF des années 70 (on pense évidemment au vaisseau de 2001 Odyssée de l'espace, aux troublantes aventures de Solaris, à l'esthétique d'Orange mécanique, à celle, souvent unicolore flashy de Star Trek), le film prend le parti de s'épurer, construisant un espace atemporel où se déploient librement de multiples scénettes qui font rebondir les interrogations existentielles et scientifiques que se posent l'équipe sur ce qui leur arrive dans ce vaisseau. En travaillant sa scénographie sur le mode du tableau, du cadre fixe et de la chorégraphie, il pointe la fiction au cœur de la représentation et raconte l'origine de la vie et du vivant comme un conte qu'il vient lui-même, en quelque sorte, déployer à mesure qu'il l'interroge. Mais si la proposition est radicale et profonde, que le sérieux des hypothèses scientifiques ré-enchante notre imaginaire pourtant saturée d'histoires à dormir debout, si l'on admire l'écriture du scénario qui réussit à précipiter ces questions dans sa narration, si l'on se délecte de ce travail de représentation discrètement burlesque, Cosmodrama reste quand même, d'avoir systématisé autant ses partis pris esthétiques, un peu figé dans ses décors et sa pantomime répétée. Anne Feuillère Des hommes hagards longent les dédales labyrinthiques de couloirs interminables. Dans ce vaisseau faussement futuriste aux couleurs pop des années 60 faisant la part belles à toute une palette de nuances violettes, oranges et marrons, nous voilà immédiatement étouffé par chaque centimètre de décor occupé, dont il n’existe aucune ligne de fuite permettant aux personnages, comme au spectateur, de s’échapper. Des vues du cosmos en carton aux costumes ringards moutarde et col roulé, tout ici appelle un délicieux effet suranné voire, anachronique. Que font-ils ici ? Qui dirige le vaisseau ? Où vont-ils ? Autant de questions sans réponse, oscillantes, dont même les mouvements de travellings renforcent cette impression de flottement. « Cosmodrama » se lance ainsi dans un excitant voyage aux confins de la réalité, du moins celle dont nous avons conscience, dont les multiples galeries du vaisseau pourraient refléter les couloirs de la pensée. Avides de « savoir » afin de « comprendre » -car tel est fait l’être humain, frustré de ne pas maîtriser le monde qui l’entoure- les astronautes vont instinctivement mettre en commun leur savoir-faire (biologie, psychologie, astronomie…) à la faveur d’une grande enquête extrascientifique censée parvenir à déchiffrer le sens de tout ceci et, pourquoi pas, le sens même de la vie, comme son rapport à l’univers. Paradoxalement, l’omniscience (et « l’omni-science », qu’incarnent chacun des personnages à travers leurs connaissances propres) est probablement le plus grand mystère auquel ce curieux équipage se retrouve confronté, dont le maniérisme scientifique devient quelquefois plus aliénant que réellement intelligent. De cette incapacité à élucider, le film met alors en exergue ce motif omniprésent du « trou » comme origine du questionnement – matérialisé ici par une fenêtre vitrée au sol du lounge, autour de laquelle s’observe le cosmos et s’exposent les raisonnements. De là fusent un tas d’interrogations : le trou de mémoire (pourquoi sont-ils ici ?), le trou noir (qu’y a-t-il après ?), le trou de l’espace (qu’est-ce que l’infini ?), le trou dans l’histoire (qu’y avait-il avant le big bang ?), etc. « Plus vous remontez le début des événements, plus le début devient hors d’atteinte », explique l’un d’eux. Illustration parfaite de l’acharnement vain de l’homme à tout rationaliser, dont le film se moque malicieusement. De démonstrations scientifiques a priori imparables (puisque la science prouve) et pourtant défaillantes, le spectateur échoue à comprendre. Et, heureusement ! Car rien n’est plus plaisant dans « Cosmodrama » que de s’abandonner aux réflexions sérieuses pour envisager, un instant, préférer accorder plus de crédit au surnaturel, telles les « peintures médiumniques » de l’homme de ménage – finalement peut-être plus éclairé que l’ensemble des penseurs érudits du vaisseau – dont les paysages nous semblent – enfin – un peu familiers au beau milieu de l’espace. Une constellation humaine atypique aux considérations intersidérales, que la galaxie de Philippe Fernandez malmène avec infini plaisir. Pourquoi le film est-il si amusant ? Vous comprendrez donc que je renonce à chercher une réponse ! BABYMAD91 Cosmodrama ou la métaphysique dans l’espace Philippe Fernandez présente son drame métaphysique raffiné sur les quatorze stations du chemin de croix Dans Cosmodrama, sept astronautes, un chien et un singe se réveillent dans un vaisseau spatial au terme d'un processus de cryoconservation. Aucun d'entre eux ne sait ce qu'il fait là ni ne connaît la destination de l’engin spatial, apparemment activé en mode pilotage automatique. Si Cosmodrama était un film de science-fiction comme les autres, il aurait des effets spéciaux, des combats, des extraterrestres, et au moins la moitié des personnages mourraient à la fin, mais Cosmodrama sort des sentiers battus. Le générique rompt vite les attentes suscitées par le titre pour exposer dès le départ la singularité du film : il s’agit en réalité d’un "drame métaphysique en quatorze stations". Cette description, à la fois pompeuse et ironique, s’inscrit parfaitement dans l'esprit du film qui, à chaque nouvelle scène, déploie mille et une théories (physique, philosophique, sémiotique ...) sur la relation entre l'homme et l'univers, pour ensuite en déconstruire sans vergogne tous les aspects intellectuels et solennels. Cette déconstruction s'opère au moyen de situations grotesques dans lesquelles se retrouvent empêtrés des personnages farfelus qui interagissent en légitimant leurs actions par une vague répartition des tâches. Philippe Fernandez, dont le premier long-métrage, Léger Tremblement du paysage, a été présenté à Cannes en 2008, est non seulement réalisateur mais aussi professeur d'art contemporain à l'Université de Bordeaux, ce qui explique l’esthétique soignée du film, avec ses décors et costumes inspirés des séries de science-fiction des années 1970. Lors d'une rencontre avec le public, Fernandez a reconnu que, dans le processus de création, les images lui viennent à l’esprit d’abord, suivis, ensuite, par les idées et rouages de l'intrigue. Cela dit, un scénario qui se veut métaphysique n'aurait su passer à côté de la religion, et en effet, le réalisateur structure son intrigue en quatorze chapitres, une référence très claire aux quatorze stations du chemin de croix, sauf qu'ici, au lieu du Christ, ce sont des cosmonautes qui font ce parcours (ils sont au nombre de sept, comme les apôtres de l'Espagne). Ce vaisseau cosmodramatique se pose en microcosme d’un monde terrestre dont les habitants, préoccupés, ne sont pas sûrs de savoir qui ils sont et où ils vont, mais continuent à aller de l’avant, avec toujours plus de questions que de réponses. Cosmodrama, produit par Atopic, a été tourné dans les Studios de l'Océan de La Rochelle. Victor Pinto La science débarrassée de ses démons : entretien avec Philippe Fernandez pour son film "Cosmodrama" Le dernier film présenté à Cannes au sein de la sélection ACID en mai 2015 était Cosmodrama de Philippe Fernandez. Il s’agit de son second long métrage après Léger tremblement du paysage (2008). Il retrouve par la même occasion son acteur complice Bernard Blancan dans un univers où la science devient poésie. Au XIXe siècle, les expérimentations scientifiques d’Étienne-Jules Marrey contribuent à la naissance du cinéma. Cinéma, science et poésie feront encore bon ménage chez Jean Painlevé. Comment selon vous les origines scientifiques du cinéma comme outil pour étudier le mouvement vous inspirent-elles pour créer vos univers de fiction, qu’il s’agisse de Léger tremblement du paysage ou de Cosmodrama ? Philippe Fernandez : Je n'ai découvert les films de Jean Painlevé que très tardivement, et je ne pense pas avoir été influencé par ce type de cinéma dans ma conception de ces deux projets. Pour Léger tremblement du paysage, ce sont plutôt des films pédagogiques à destination des écoles que je voulais insérer, parce que j'éprouve pour eux une vraie affection. J'en avais utilisés précédemment à plusieurs reprises pour des pièces plasticiennes, en extirpant de la poésie de leur pédagogie désuète. Ce mixage semble bien encore dans l'ADN de Cosmodrama, mais si l'on y voit des films scientifiques, dont celui, bizarrement assez unique, d'une division cellulaire, c'est plutôt sur ce mode de l'insertion que de l'influence. Votre question me donne envie de raconter une anecdote assez savoureuse à propos de films scientifiques… J'ai écrit la scène du myxomyxète à partir de la description qu'en a faite Jeremy Narby dans son livre Intelligence dans la nature, et à l'époque, en 2009, il n'y avait aucune image disponible de l'expérience. J'avais décidé de créer les images de toutes pièces après le tournage, en post-production. Quand le moment fut venu, l'animateur sollicité m'a proposé quelques possibilités, et pendant que nous étions en train d'en discuter, quelqu'un qui était présent à côté a cherché d'éventuelles images de référence sur Internet. Et là, surprise, dans l'intervalle de temps qui s'était écoulé depuis l'écriture du scénario, le filmage du comportement du myxomyxète dans un labyrinthe était devenu une sorte de sport planétaire, avec de très nombreux films amateurs postés sur Internet, depuis, apparemment, que le scientifique à l'origine de l'expérience avait posté le sien sur YouTube en 2010 ! Peut-on voir Cosmodrama comme la suite directe de Léger tremblement du paysage ? Ph. F. : C'en est bien la suite. Dans ce film précédent les personnages ont tous le regard tourné vers le ciel, pour des raisons et des intérêts différents ; dans Cosmodrama c'est exactement comme s'ils étaient allés voir de plus près de quoi il retournait. Ils sont passés de l'autre côté des nuages. Et j'aime en effet concevoir mes films comme une suite, d'abord pour l'idée de construire un ensemble, ce qui est quand même plus ambitieux artistiquement que de faire quelques films, ensuite parce que chaque film ouvre une question nouvelle qui sera "traitée" dans le suivant. Car ce sont bien des questions que je me pose qui sont à la base de chacun, la phase de scénario étant l'occasion de me confronter au sujet. Cosmodrama, par exemple, finit sur la question de l'évolution, et je compte bien la traiter "filmosophiquement" dans un prochain projet. Et avant Cosmodrama, je ne connaissais pratiquement rien de la cosmologie. Le film est porté par cette envie de connaissance. C'en est même, en l'occurrence, le sujet. Pouvez-vous parler de votre fascination pour la recherche scientifique ? Ph. F. : Au début des années 1990 je suis tombé par hasard sur un livre qui était en train de devenir un best-seller, Le Chaos et l'harmonie de Trinh Xuan Thuan (dont est inspiré Léger tremblement), et ce livre m'a ouvert la porte de la littérature scientifique que je n'ai pas refermée depuis. Ce que les scientifiques découvrent et décrivent du monde sont les informations qui m'ont le plus appris sur moi-même, les autres, l'existence, une nourriture de l'esprit incroyablement propice à philosopher. La réalité y apparaît tellement fascinante que cela m'a conforté dans l'idée qu'aucune histoire que je pourrais inventer moi-même ne serait plus intéressante que celles de l'apparition de la vie et de la conscience. Et appliquer cette pensée dans un médium aussi confiné dans le narratif qu'est le cinéma, est un défi artistique assez motivant. Avec Cosmodrama vous utilisez les références issues du genre de la science-fiction des années 1960-1970 à l’heure où la science avait un rôle ambivalent, faisant naître aussi bien de grands espoirs que les plus grands cauchemars (peur atomique). Comment appréhendez-vous la science à notre époque ? Ph. F. : La science d'aujourd'hui me semble, justement après l'épisode de la bombe atomique, plutôt débarrassée de ses démons. Ce sont les scientifiques qui luttent contre le réchauffement climatique, ou cherchent des énergies propres. L'extraction des gaz de schiste ou les OGM sont de l'ingénierie industrielle, voire financière, et ce sont des argumentaires scientifiques qui en démontrent la nocivité. J'ai le sentiment que nous ne sommes plus dupes et que nous pouvons maintenant discerner les deux. Quoi qu'il en soit, si je trouve notre époque humainement insupportable, terriblement marquée par la tendance inextinguible à l'autodestruction, elle est philosophiquement assez intéressante, avec la coexistence sans précédent d'une science très avancée et très diffusée, et du renforcement inattendu des obscurantismes religieux les plus radicaux. Je compte d'ailleurs intégrer ça, avec le créationnisme par exemple, dans mon projet autour de la question de l'évolution. Et ce n'est pas si simple qu'on peut le penser, parce que si la théorie de l'intelligent design, associée au créationnisme, heurte la raison scientifique, l'étude scientifique des comportements de la nature laisse en revanche une certaine place à l'intelligence ou tout au moins à la reconsidération de ce concept (comment une cellule "sait-elle", par exemple, ce qu'elle doit faire, comment elle doit se transformer pour que la machine fonctionne mieux quand l'environnement change ?). Voilà, mes lectures nourrissent toutes ces réflexions. Au passage, je signale qu'il ne faut pas aller beaucoup plus loin qu'au supermarché pour les trouver... Il est assez amusant de constater que toutes ces informations capitales pour l'esprit et donc l'humanité sont offertes à tous entre les céréales et les sous-vêtements, qu'il suffit d'ouvrir le première venue des revues d'actualités scientifiques… Je me suis d'ailleurs effectivement attaché à écrire Cosmodrama à partir de ces informations courantes, en leur donnant un caractère faussement extraordinaire. C'est une des idées du film… Pour finir de répondre à votre question, je dirais que j'aimerais beaucoup voir les rapports humains plus imprégnés des découvertes scientifiques, et que je pourrais presque revendiquer une petite dimension politique à ce film dans le fait d'en promouvoir le goût, d'œuvrer à partager cette fascination que vous avez perçue. Contrairement à votre premier long métrage, Cosmodrama est entièrement tourné en studio : comment s’est passée pour vous cette expérience de tournage ? Cela offre-t-il plus de liberté artistique et de contrôle (pas d’aléas climatiques, de lumière et d’autres imprévus du monde extérieur) sur votre désir de fiction ? C'était en effet une expérience nouvelle. Évidemment, on contrôle mieux ce que l'on veut faire, et c'est un vrai confort. Je me souviens des angoisses matinales régulières relatives à la météo quand je tournais le précédent. Anecdote intéressante, encore : le dernier chapitre de Cosmodrama était conçu en extérieur, sur une île censément déserte et étrange, afin que mes personnages soient confrontés à une vraie lumière, au souffle du vent, à la présence de l'eau, qu'ils les redécouvrent. On a tourné cette séquence, c'est-àdire déplacé une équipe, sept acteurs et des animaux… et là, trahison absolue de la météo. Alors que la saison devait être aux changements rapides de temps, je n'ai eu droit qu'à un ciel plombé, sans lumière ni moindre souffle de vent, pendant les trois jours de tournage prévus. Séquence inmontable, inintéressante. Comme le tournage en studio avait lieu après, je l'ai réécrite afin de pouvoir la refaire là, en abandonnant l'idée de la tourner en extérieur. Cela change la fin du film, où cette confrontation avec la réalité physique des éléments n'a plus lieu, mais cela lui apporte aussi plus de radicalité dans l'artificialité assumée. Le studio devient signifiant, signifiant d'un enfermement indépassable, d'une limitation indépassable de la connaissance, qui est le sujet. Stylistiquement c'est intéressant aussi, ça nous rapproche des planètes en carton-pâte de Star Trek, qui était quand même la référence première. Vos personnages étant atypiques et n’ayant pas de repères socioculturels clairement identifiés, comment avez-vous travaillé avec vos acteurs pour donner vie à leurs personnages ? Ph. F. : Ça passe d'abord par les explications préalables, au moment de la rencontre, où j'expose ce que je veux, ce qui m'intéresse, comme dans ce cas réussir un ensemble stylisé, une représentation assumée comme telle. Je crois que tous les comédiens ont regardé au moins mon film précédent, pour comprendre à quel type d'auteur ils avaient à faire. Ensuite j'ai travaillé individuellement avec chacun, en amont du tournage, mais pas plus que quelques heures, distribuées sur un maximum de deux jours : le comédien lisait son texte, et on réglait le ton de chaque réplique une par une. Et c'est ce qu'ils ont redonné une fois sur place, aidés par le décor et les costumes. Le travail a juste été plus long avec le seul comédien non professionnel de la distribution, évidemment (car il y en a un, et pas des moindres). En tout cas, je me réjouissais tous les jours de l'ensemble des personnalités que j'avais réussi à réunir. Dans mon cas, c'est quand même là que tout se joue. Les personnages ne connaissant pas leur destination ni leur mission exacte, peuton considérer le réalisateur du film comme le seul maître à bord ? Ou bien vous situez-vous plus comme un expérimentateur scientifique confrontant vos personnages à des situations sans connaître au préalable l’issue ? Ph. F. : Tout est écrit à l'avance dans le détail, par nécessité personnelle, mais aussi professionnelle, parce que la moindre demande de financement exige scénario, note d'intention détaillée, etc. Les laboratoires d'effets spéciaux font leurs devis sur storyboard… L'assistant à la mise en scène fait le planning des journées dans les semaines qui précèdent le tournage, en concertation avec le chef opérateur qui indique sur plans le temps qu'il lui faudra pour installer chaque angle de prise de vue… Nous n'étions absolument pas dans un dispositif pouvant intégrer de l'improvisation, et quand il y a eu des changements à faire, comme celui de la séquence finale, tous les chefs de poste y ont travaillé en concertation. J'ai même plusieurs fois eu l'impression d'être le dernier à avoir quelque pouvoir sur le déroulement des choses… Mais cela m'intéresse que l'on puisse ressentir que les personnages ne sont pas pris dans un récit trop ficelé, qu'ils auraient comme une vie propre. Mais ce n'est pas du tout le cas, tout est écrit à la virgule près, notamment à cause des textes qui devaient rester dans une logique scientifique. Un acteur qui se trompe sur un mot, et c'est arrivé, et la scène n'a plus de sens ! Mais j'aimerais beaucoup, je crois, pouvoir tourner un jour un film susceptible d'intégrer plus de liberté par rapport au scénario. Comment se partage dans la réalisation de votre film, votre désir de cinéma entre vous, le compositeur, le chef déco, le chef opérateur… Le rôle de chacun est incontournable : quelles indications leur avez-vous donné pour qu’ils libèrent leur propre créativité ? Ph. F. : Ça s'est passé différemment avec chacun. Le compositeur, Sylvain Quément, avait un cadre assez strict, avec beaucoup de repères précis : la musique américaine d'avantgarde des années 1960, parce que la NASA en avait commandée à Terry Riley, entre autres, pour les disques gravés emportés par la sonde Voyager à l'intention des extraterrestres ; les jerks électroniques de Pierre Henry et Michel Colombier parce qu'il y a un jukebox au salon ; l'orgue électrique, instrument phare du mouvement musical psyché-cosmique initié par Sun Ra ; et plus généralement les rythmes et les sonorités du début des années 1970 qui datent la fiction. Mais il était plutôt demandeur de ces contraintes, et dans ce cadre a réussi à développer un propos musical formidable, à la fois référencé et très personnel. En tout cas, une fois ces contraintes avancées, et la tonalité de chaque morceau précisée par rapport au déroulement du film, nous nous sommes "accordés" en nous concentrant sur deux ou trois morceaux, et une fois le ton juste trouvé, qui nous satisfaisait tous les deux, je ne suis pratiquement plus intervenu sur rien. Tout était parfait, et superbe. Sylvain s'est aussi occupé de la sortie de la BO en vinyl, et je suis très heureux qu'il soit fier de son travail. Avec le chef déco, Paul Chapelle, la configuration de travail a été différente, parce qu'il est arrivé tard sur le projet, et que j'avais déjà pas mal avancé sur le décor en faisant le storyboard et des photomontages préparatoires dont j'ai besoin pour écrire le film : étant originellement plasticien, je le pense autant en images qu'en éléments de récit. Mais il a dû faire preuve d'une grande inventivité pour trouver des solutions élégantes malgré un budget trop étroit. Il a par exemple imaginé ce système de tubes lumineux qui irrigue tout le vaisseau, qui lui apporte sa touche spatiale imparable et sa base technique de luminosité. Quant au travail avec le chef opérateur, Fred Serve, avec qui je n'avais jamais travaillé, c'est encore un autre cas de figure : concernant le cadre, une collaboration ordinaire, basée sur le storyboard et ajustée en fonction du décor ; pour la lumière en revanche je n'avais pas d'idée arrêtée de ce que je voulais ; il a donc proposé une lumière pour les premiers plans que l'on a tournés, c'était juste sublime, et ça a continué comme ça jusqu'au bout sans que je ne lui demande jamais de changer quoi que ce soit ! Il me semble donc que les trois parties prenantes dont nous avons parlé se sont glissées avec attention dans l'univers proposé, et y ont développé leur talent : que demander de mieux ? Le résultat parle. Cosmodrama est aussi un voyage dans l’histoire du cinéma. Avec votre travail en studio, vous retrouvez la créativité de Méliès, mêlant décor et démultiplication des personnages. Comment votre rapport à l’histoire du cinéma nourrit votre propre univers ? Ph. F. : Je tiens en grand sérieux l'histoire du cinéma, et l'histoire culturelle en général. Je pense qu'il en va de ma responsabilité artistique d'en être à la hauteur, et je dirais que l'histoire du cinéma est mon premier interlocuteur, le cadre en fonction duquel je vais faire mes choix et prendre mes décisions. Un grand nombre des éléments du film proviennent de réflexions que je poursuis sur l'évolution des formes et du médium dans lequel j'ai envie de m'inscrire en tant qu'auteur. Ça touche par exemple la dramaturgie, les contenus, l'usage de la musique, le degré relatif de fiction et de distanciation, le rapport aux genres, la référenciation éventuelle… J'attends du spectateur, et encore plus du critique, qu'il ne méconnaisse pas ce background qui a constitué notre regard, et qu'il soit capable de mesurer et d'apprécier les écarts que je tente dans mes propres propositions de spectacles différents, d'adresse différente au regardeur. C'est ainsi que je définirais mon rapport à l'histoire du cinéma : m'en nourrir pour ne pas répéter, pour aller ailleurs, là où on ne s'y attendait pas, pour inventer. C'est ce que m'apporte l'histoire du cinéma : le goût et le devoir d'inventer. Dans l'annonce faite par le magazine Bref de la sélection de l'ACID à Cannes, j'ai été qualifié ainsi : l'imprévisible Philippe Fernandez. Ça m'a beaucoup plu ! J'aime étonner, comme j'aime être étonné. PAROLE DE CINÉASTE Cosmodrama,uneodysséecorticale Un vaisseau spatial vogue dans l’espace-temps intersidéral. À son bord, sept spationautes,uneguenon,unchien,unchouromanesco,uneamibeetunfantôme, nous feront vivre un grand drame cosmique mêlant poésie, burlesque et questionnementmétaphysique. Dans leur gigantesque vaisseau, ce dédale de couloirs qui relient cellules de travail, salledeboxe,saunaetlounge,nosvoyageursspatiauxcherchentàpercerlemystère de leur condition, la nôtre, celle de l’homme perdu au milieu de l’univers. D’où viennent-ils ? Où sont-ils ? Que doivent-ils faire ? La science leur permet-elle d’échapperaudoutequilesétreint?Auvidequilesentoureetquicompose95%de l’espace? Investissantladimensionlaplusplastiqueducinéma,l’auteurdélaisselesformesde lanarrationclassiqueauprofitd’unedramaturgieformelleoùlapuissancedel’image soutientnotrepensée.Filmdesensationscorticales,Cosmodramanousmagnétisepar sa chromatique ardente, son décor saillant, ses costumes surannés, ses accessoires designés au cordeau, ses envoûtantes notes sonores. Un pari osé à l’heure où la science-fictionadepuislongtempsrendulesarmesaugenredufilmd’action.D’autant plusoséquelacinématographiefrançaises’estdelonguedateinterdited’explorerces lointainescontréesstellaires. PhilippeFernandezfranchitavecCosmodramauneétapedeplusdanslaconstruction d’uneœuvrefilmosophiquefondéesurlaprimautédel’imageetlerafraîchissement delapensée. RimaSAMMAN,cinéastemembredel’ACID