Le culte et la raison - Samir Kassir Foundation
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Le culte et la raison - Samir Kassir Foundation
Avril 1996 Le culte et la raison TOUT LE MONDE EN FRANCE, «disait le général de Gaulle, a été, est ou sera gaulliste.» Au Liban, c'est encore plus simple: tout le monde est gaulliste, et plus que jamais aujourd'hui. Même ceux qui n'ont que le commerce le plus lointain avec le chef de la France libre s'y mettent pour honorer l'hôte du jour. S'il le fallait, ils iraient jusqu'à arborer la croix de Lorraine au revers du veston. C'est que le gaullisme, en plus de toutes ses qualités intrinsèques, a le mérite de donner à chacun au Liban ce qu'il a envie de voir. Gaullisme de la France éternelle qui, par-delà les avatars de l'Histoire, continue d'évoquer pour beaucoup de Libanais la «doulce mère» d'antan. Gaullisme de la réconciliation historique avec les Arabes après 1962, qui a réconcilié à son tour d'autres Libanais avec la France. Gaullisme de la France libre, évidemment, qui sert de modèle à tous ceux qui se sentent des envies de libérateur, même s'ils n'en ont pas la taille – ni le pragmatisme qui va avec. Gaullisme des réseaux et des amitiées privilégiées, si utile là-bas en ces temps de vaches maigres européennes et si pratique ici pour asseoir des légitimités fragiles. Mais soyons sport: que le président du Conseil mise sur ses excellentes relations personnelles avec Jacques Chirac est de bonne guerre. Il serait pourtant réducteur de ne voir que cette aspect des choses. La France a une politique au Liban, on le voit clairement depuis la multiplication des visites de responsables français à Beyrouth, et cette politique n'a rien de sordide ni de méprisable. Au contraire, encourager la reconstruction de l'unité nationale, en incitant notamment les chrétiens à réintégrer le cadre institutionnel de l'État, recoupe ce qui devrait être la préoccupation nationale numéro un dans le Liban d'après-Taëf. La France peut y contribuer grâce au crédit historique qu'elle conserve. Mais si l'on veut que cette contribution soit réellement efficace, il y faut deux conditions. La première, c'est que ce prestige ne soit pas amoindri par un excès de complaisance à l'égard du pouvoir en place. La seconde est d'éviter la tentation du folklore. À défaut, le message restera brouillé. ÉVITER LA COMPLAISANCE, CE N'EST PAS NÉCESSAIREMENT abuser de la critique, genre difficilement compatible avec la fiction de l'égalité diplomatique. C'est simplement ne pas avoir le quitus facile. C'est demander à ses partenaires la cohérence qu'on s'impose à soi-même. Avril 1996 Autrement dit, ne pas se contenter de jouer le rôle d'avocat des institutions auprès de la société, mais plaider aussi, et avec autant de force, la cause de la société auprès de ceux qui contrôlent les institutions. C'est sans doute ce que fera le président Chirac dans ses interventions publiques à Beyrouth, en particulier dans son discours au Parlement. Particulièrement bien choisi est d'ailleurs le cadre de ce discours. En lui-même, le choix délivre un message clair à ceux qui auraient envie de reprendre, pour les élections de 1996, la désastreuse politique de l'absence suivie en 1992. Mais il devrait être aussi un signe adressé aux autres, c'est-à-dire à tous ceux qui, au pouvoir et dans ses coulisses, n'en finissent pas de fignoler la loi électorale qui pousserait le plus sûrement les boycotteurs d'hier à camper sur leurs positions. Rassurez-vous, Monsieur le Président, demander la transparence du processus électoral ne saurait être compris comme la manifestation de quelque néo-colonialisme. Une telle «ingérence» serait encore mieux comprise et admise si elle s'accompagne d'une explicitation claire des enjeux de la politique française au Liban. Ces enjeux, on le sait depuis longtemps, n'ont plus rien à voir avec la vieille «protection» des chrétiens d'Orient, et c'est tant mieux ainsi. Pourquoi alors conserver un folklore qui n'est plus de saison? Du petit-déjeuner rituel que les officiels français de passage prennent à Bkerké aux messes «pour la France» auxquelles assiste, deux fois l'an, l'ambassadeur de la République laïque, les gestes sont nombreux qui entretiennent l'illusion d'une continuité de la politique française depuis Louis XIV. (Non! pas saint Louis. Tous les historiens sérieux vous diront que la fameuse lettre qui lui est attribuée est controuvée.) Bah! il faut bien que la diplomatie se nourrisse de symboles, dira-t-on. Pas quand le culte exagéré des symboles amène les moins lucides, par contrecoup, à parler de «trahison». QUAND LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE effectue une visite officielle, la première du genre, dans un État que la France a forgé, il est inévitable que l'on invoque l'Histoire. Au Liban, l'Histoire a été bonne fille avec la France. Grâce à de Gaulle surtout – et à sa politique arabe davantage qu'à une politique libanaise propre –, la France a gardé un statut à part parmi les puissances amies. Mais c'est pour des raisons beaucoup moins volontaristes, et beaucoup plus aléatoires, que quelque chose de «l'ouvre de la France» reste: la langue française. Or la chance de cette langue, c'est qu'elle est parlée maintenant audelà du milieu socio-confessionnel qui a longtemps vu dans le Avril 1996 bilinguisme une marque d'identité. Une telle avancée, on le conçoit, a de quoi allécher la diplomatie française. Elle réclame assurément des moyens. Mais, pour perdurer, cette francophonie renouvelée a besoin d'encore autre chose: que la politique à laquelle elle est associée sache commander le respect de tous. Samir Kassir Avril 1996 Id-Reference 96-Pr-000807 Media HC (Support) Title Le culte et la raison Subtitle Section Algarade Language Français Source L’Orient-Express Page 5 Date No 5, Avril 1996 Author Samir Kassir Co-Author Keywords Persons Locations Dates Themes Subject Charles.De.Gaulle – Jacques.Chirac – Louis.XIV France – Liban – Beyrouth - Bkerké 1962 – 1996 - 1992 Gaulliste – Liban – gaullisme – Histoire – France – Libanais – France.doulce.mère – Arabes – France.Libre – pragmatisme – Rafic.Hariri – relations.Hariri.Chirac – politique.Française.au.Liban – reconstruction.unité.nationale – chrétiens – après.Taëf – président.Chirac – élections.1996 – diplomatie.française – loi.électorale – pouvoir.boycotteurs – chrétiens.Orient – Histoire.Liban – politique.arabe – politique.Libanaise – langue.française Avril 1996