Les myopathies induites par les statines

Transcription

Les myopathies induites par les statines
À vos soins
Les myopathies induites
par les statines
Mme C.G. appelle un soir à la pharmacie, car elle se plaint de douleurs musculaires récentes. Elle mentionne ne pas faire d’exercice
régulièrement. Cette dame de 60 ans qui a une histoire familiale d’événements cardiovasculaires à un âge précoce prend régulièrement
du Diovan-HCT 80-12,5 mg, de l’AAS 80 mg, du Prevacid 30 mg et du Synthroïd 75 mcg. Après vérification de son dossier, vous notez
une récente augmentation de son médicament Lipitor 10 mg, passé à 20 mg après trois mois de traitement.
Discussion
Les inhibiteurs de l’HMG-coenzyme A réductase, aussi nommés « statines », sont des médicaments largement et efficacement utilisés
pour réduire les taux de cholestérol, prévenant
ainsi les problèmes cardiovasculaires et augmentant les chances de survie1. Ils empêchent
l’étape limitante de la synthèse du cholestérol,
soit la conversion de l’HMG-CoA en mévalonate, en inhibant substantiellement la
3-hydroxy-3-méthylglutaryl coenzyme A
réductase2,3. Cela permet donc la régulation
des récepteurs des lipoprotéines de faible densité (LDL) sur les membranes cellulaires et,
par conséquent, réduit les dommages athérosclérotiques du LDL4.
Les statines sont considérées comme sécuritaires, mais elles peuvent induire des myopathies de type nécrosant5. Environ 5 % des
patients éprouvent des myalgies, tandis que
l’incidence de rhabdomyolyse fatale a été
estimée à 1,5 cas sur 10 millions1,6. Les douleurs apparaissent généralement lors du premier mois suivant l’instauration du traitement. Des cas d’apparition plus tardive ont
été documentés, notamment quand le
patient commençait un entraînement régulier1. L’origine de ces douleurs musculaires
est encore nébuleuse, mais il semblerait que
la myotoxicité soit causée par l’altération de
la biosynthèse de la coenzyme Q10, un dérivé
du mévalonate1. La coenzyme Q10 est un
donneur d’électron essentiel dans la chaîne
de transport d’électrons mitochondriale. Sa
déplétion entraînerait possiblement une
diminution de l’énergie métabolique mitochondriale induisant ainsi l’apoptose des
cellules des muscles squelettiques et des
myalgies3,5.
Ces douleurs seraient généralement localisées non seulement au niveau des pectoraux,
des quadriceps, des muscles abdominaux,
mais aussi du masséter (muscle mandibulaire responsable de la mastication) et du bas
du dos1. Les myalgies auraient diverses présentations, soit une légère douleur musculaire ou une douleur intense limitant les
déplacements6. Certains facteurs pourraient
prédisposer à la myalgie, à savoir de fortes
doses, l’insuffisance rénale ou hépatique,
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l’âge, le sexe féminin, l’hypoalbuminémie et
l’hypothyroïdie, des doses plasmatiques élevées ou un métabolisme altéré3,5. Les niveaux
faibles de CYP3A4 et la coadministration de
fibrate ou d’inhibiteur du 3A4 pourraient
également prédisposer le patient aux myopathies5.
La conduite à tenir lorsqu’un patient présente des myalgies serait tout d’abord de vérifier son taux de CK sanguin. Un patient présentant des symptômes intolérables ou chez
qui le taux de créatines kinases (CK) est
10 fois supérieur à la limite normale devrait
cesser son traitement par les statines. La plupart des patients vont typiquement présenter
une augmentation modérée des CK, ainsi que
des symptômes, tels que la myalgie, des crampes et des faiblesses3. Nous devons également
évaluer si le patient ne présente pas une inter­
action médicamenteuse pouvant induire ces
myalgies. Dans la plupart des cas, les symptô-
Texte rédigé par Julie Richer,
étudiante de 3e année en Pharm. D.,
et François P. Turgeon, B. Pharm., M.Sc.,
Pharmacie Éric Sansregret et François P. Turgeon.
Texte original soumis le 27 août 2010.
Texte final remis le 7 septembre 2010.
Révision : Sonia Lacasse, B. Pharm.
S Mme C.G. présente des douleurs et des crampes musculaires.
OFemme âgée de 60 ans sous Lipitor 20 mg depuis quelques semaines, après trois mois
de traitement par le Lipitor 10 mg. Ne fait pas d’exercice régulier. Histoire familiale
d’événements cardiovasculaires à un âge précoce. Médication actuelle : AAS 80 mg,
Diovan 80/12,5 mg et Synthroïd 75 mcg.
LDL = 4 mmol/L et cholestérol total/HDL = 5,5 lors du dernier bilan lipidique.
ALes médicaments de la classe des statines sont souvent associés à de la myalgie sous
forme de crampes, de douleurs et de faiblesse, avec ou sans élévation des CK. Bien
que toutes les statines puissent être associées à cet effet, les statines hydrosolubles
semblent moins poser de problèmes. De plus, des études laissent croire que certaines
statines sont moins problématiques que d’autres. Parmi celles-ci (pravastatine, fluvastatine et rosuvastatine), je suggérerais la rosuvastatine pour cette patiente,
à débuter à faible dose, puis à augmenter graduellement selon les bilans lipidiques.
La rosuvastatine est plus puissante que l’atorvastatine, ce qui pourrait permettre,
avec un ajustement adéquat, d’atteindre les valeurs cibles de cholestérol.
P
n
n
Cesser le Lipitor 20 mg immédiatement.
Taux de CK plasmatique immédiatement.
nRedébuter une statine (suggérons de la rosuvastatine 5 mg die) si CK inférieur à
10 fois la normale lorsque les myalgies se seront dissipées.
n Dans un mois, communiquer avec la patiente pour évaluer la présence de myalgies.
nDans trois mois, doser les taux de CK, ALT et AST, et faire un bilan lipidique, puis réévaluer la dose de la statine selon ce résultat.
novembre 2010 vol. 57 n° 7 Québec Pharmacie
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À vos soins
Les statines sont considérées comme sécuritaires,
mais elles peuvent induire des myopathies de type nécrosant.
Environ 5 % des patients éprouvent des myalgies, tandis que l’incidence
de rhabdomyolyse fatale a été estimée à 1,5 cas sur 10 millions.
mes devraient disparaître deux mois après
l’arrêt de la statine3.
Lorsque jugé nécessaire, le traitement peut
être recommencé avec une plus faible dose
ou une statine différente. Bien que la myotoxicité soit un effet de classe, la pravastatine,
la fluvastatine et la rosuvastatine seraient
moins imputables que la lovastatine ou la
simvastatine5. Selon d’autres auteurs, certains facteurs pharmacologiques seraient
associés à un plus faible risque de myalgie,
dont la faible biodisponibilité, la forte liaison
aux protéines plasmatiques, un métabolisme
non-CYP3A4, les substrats non glucuronidés et l’absence de métabolites actifs circulants5. Les statines hydrosolubles (telles que
la pravastatine ou la rosuvastatine) seraient
moins impliquées, en raison de leur incapacité à se dissoudre et à passer à travers la
membrane du sarcolemme3,6. Selon ces critères, la pravastatine, la fluvastatine et la rosuvastatine seraient moins impliquées dans les
myalgies6. Il est aussi possible d’utiliser l’association statine-ézétimibe pour atteindre
les cibles de LDL, chez un patient incapable
de tolérer une forte dose3,6. Malgré toutes ces
précautions, certaines personnes ne tolére-
ront aucune statine. Dans ce cas, on doit songer à utiliser une autre famille d’agents pour
maîtriser leur taux de cholestérol. Certaines
études mitigées laissent croire qu’une supplémentation de 200 mg/jour de coenzyme
Q10 pourrait réduire les symptômes chez
certains patients1,3,6.
Pour prévenir les douleurs musculaires
induites par les statines, les plus faibles doses
devraient être utilisées et l’on devrait éviter
l’association avec les inhibiteurs du 3A4 (dans
le cas de la simvastatine et de l’atorvastatine)
ou avec des fibrates1,5. n
Opinion pharmaceutique 3. Siddiqi, A.S, Thompson P.D. How do you treat
patients with myalgia who take statins ? Current
Atherosclerosis Reports, 2009; 11: 9-14.
4. Jasinska M, Owczarek J, Orszulak-michalak D.
Statins : A new insight into their mechanisms of
action and consequent pleiotropic effects. Pharmacological reports, 2007; 59: 483-99.
5.Bannwarth, B. Drug-induced myopathies. Expert
opin. Drug saf, 2002; 1(1): 65-70.
6. Jacobson, T.A. Toward « pain free » statin prescribing : Clinical algorithm for diagnosis and
management of myalgia. Mayo Clin Proc, 2008;
83 (6), 687-700.
Bonjour Docteur,
Vous avez récemment modifié le traitement de
Mme C.G. en augmentant sa dose de Lipitor
de 10 mg à 20 mg puisque son récent bilan
lipidique n’atteignait pas les valeurs cibles.
Depuis ce temps, elle me dit souffrir de
myalgies. La classe des statines, dont le Lipitor
fait partie, est souvent associée à ce type d’effet
secondaire. Dans le cas de Mme C.G., ses
myalgies semblent bénignes, puisqu’elles ne
l’empêchent pas de vaquer à ses occupations
régulières. Je vous suggère d’interrompre son
traitement jusqu’à ce qu’elle soit asymptomatiActe pharmaceutique facturable
que, ainsi que de tester son taux de CK.
Opinion pharmaceutique : Substituer pour
Si le taux de CK n’est pas supérieur à 10 fois
cause d’effets secondaires ou intolérance la valeur normale, je vous suggère de changer le
(DIN : 00999598).
Lipitor 20 mg pour de la rosuvastatine 5 mg
lorsque les myalgies auront disparu. Selon
certaines études, la rosuvastatine semblerait
moins impliquée dans les myalgies, entre
autres en raison de son hydrophilie. Il est préférable d’introduire ce médicament à plus faible
dose et d’ajuster afin de vérifier la tolérance de
la patiente. De mon côté, je veillerais à suivre
les signes de myalgie chez cette patiente.
En toute collaboration, la pharmacienne
Références
1. Sinzinger H, Wolfram R et Peskar B.A. Muscular
side effects of statins. Journal of cardiovascular
pharmacology, 2002; 40: 163-71.
2.Cattaneo D, Baldelli S, merlini S, et coll. Therapeutic use of HMG-CoA reductase inhibitors : Current practice and future perspectives. Expert opin.
Ther Patents, 2004; 14(11): 1553-66.
Question de formation continue
1) Lequel des énoncés suivants est
vrai ?
A.L’origine des douleurs musculaires
causées par les statines est attribuable à l’accumulation de coenzyme
Q10, un important donneur d’électron de la chaîne mitochondriale,
dans les cellules musculaires lisses.
B.Les myalgies causées par les statines
n’apparaissent que plusieurs mois
après le début du traitement.
C.Lorsqu’un patient ressent des
myalgies lors du traitement par les
statines, on devrait immédiatement
cesser ce traitement et ne plus
jamais le réintroduire.
D.Plusieurs facteurs peuvent prédisposer aux myalgies, entre autres le
sexe, la fonction rénale et la fonction
thyroïdienne.
E.Plus une statine est puissante, plus
elle risque d’entraîner des myalgies.
Veuillez reporter votre réponse dans le formulaire de la page 74 
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