Petit journal_Mise en page 1

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Petit journal_Mise en page 1
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FORMES BIOGRAPHIQUES
29.05.2015 >20.09.2015
Toute biographie est une construction. En une soixantaine d’œuvres
de tous types (peinture, photographie, sculpture, dessin, film,
assemblage…), l’exposition interroge le modèle constructif de la
biographie, tel qu’il est mis en œuvre dans l’activité artistique, à
partir d’éléments (documentaires ou fictifs).
Commissaire de l’exposition :
Jean-François Chevrier, assisté d’Élia Pijollet
Palier
Une citation de William Carlos Williams et une œuvre de Florian Fouché
accueillent le visiteur. Le médecin-écrivain de Paterson (États-Unis, New
Jersey) décrit la naissance du poème biographique dans la parole de ses patients. Le petit théâtre sur roulettes de
Florian Fouché, Dans le train Lyon-Bucarest, installé entre l’escalier monumental et le spectaculaire mur vitré qui
ouvre sur la Maison Carrée, interprète l’idée de passage. Dans le compartiment du train fictif, censé relier Lyon à
la capitale roumaine, un personnage familier, littéralement «proche», surgit d’un passé obsédant.
Salle 1. LE NOM, LA CHAMBRE
La chambre de naissance est un lieu premier, un espace d’origine de la biographie, vécue, dite (racontée), ou
fantasmée. Au commencement, selon Gérard de Nerval, la combinaison du nom patronymique et de la chambre
définit l’individu. Les mécanismes de consécration de l’ordre social se greffent sur cette inscription initiale du sujet
dans l’espace symbolique. Les premières données de l’état civil correspondent aux coordonnées spatio-temporelles
de la biographie ; elles induisent un enchaînement généalogique. Mais celui-ci peut être défait. L’espace s’ouvre.
Le sujet s’évade. Il « a perdu la fin » (Edward Krasinski). Les détours des poètes-artistes (Philip Guston/Clark Coolidge,
Marcel Broodthaers, Robert Filliou) sont le plus long chemin de la naissance à la mort. Toute ressemblance est
provisoire, la mort même n’est pas une fin (Claire Tenu, Anne-Marie Schneider). Malgré son sous-titre, « Petit Martin
à la table », la Photo de Martin Honert n’est pas un autoportrait mais une effigie de l’enfance confrontée au monde
des adultes : l’enfant est isolé dans un lieu fixe et abstrait, indéterminé.
Salle 2. TERRE, AIR ET LETTRE
La naissance a couplé le nom patronymique avec le lieu et la chambre. Mais les noms forment aussi des
constellations; les parcours biographiques varient, bifurquent, avec le langage, dans la langue. À la fin de sa vie, Nerval
écrivait, en marge d’un portrait dont il refusait la ressemblance : « Je suis l’autre ». Quinze ans plus tôt, lors de sa
première « crise » et de son premier internement psychiatrique, il avait déjà tiré profit de faits attestés pour se construire
une généalogie élargie, expansive. Concentrée sur un double feuillet couvert d’inscriptions, cette invention
biographique inaugure le mythe individuel du poète : l’affabulation lyrique s’élabore à partir d’une «terre de
Nerval» bien réelle. Dans le Quincy Book de Carl Andre, l’image du pays natal se rattache à cet investissement du
territoire comme matière et symbole. Le polyptyque de Marc Pataut est issu d’un travail mené dans l’ancien pays
minier de Sallaumines, intitulé Du paysage à la parole. Depuis les années 1950, la mythologie d’Étienne-Martin,
grand lecteur de Nerval, s’est construite sur la figure de la maison natale. Les Demeures définissent l’habitat
comme dessin et parcours (tracé) d’une biographie réelle et imaginaire, singulière et commune. La Maison a une
face et une épaisseur, une physionomie et une physiologie, comme le corps. Elle forme un volume foisonnant, un
bloc massif et creux, strié. Mais il existe aussi, bien sûr, des parcours sans demeure, des formes de vagabondage dans
les territoires réels et imaginaires : les rues de la bien nommée Imphy photographiée par Antonios Loupassis
répondent aux mirages d’André du Colombier. Les énoncés de Colombier procèdent de l’exemple de Duchamp,
mais dans un esprit de candeur, feinte et réelle, sans équivalent. Le sens passe comme le furet ; le mystère est brut,
limpide ou absurde, sans surcharge, aussi ténu que les petites illuminations de la vie ordinaire.
Salles 3 & 4. ASSEMBLAGES (AUTO)-BIOGRAPHIQUES
Comme Broodthaers et Filliou, Dieter Roth fut l’interprète d’une conception constructive et subversive de la
biographie qui combine assemblage et jeux de langage. Il caractérisa lui-même son activité comme un effet de bascule
entre le caractère exceptionnel de l’œuvre d’art et les faits et gestes ordinaires de la vie quotidienne. L’autoportrait
en graines pour oiseaux a inauguré en 1968 un work in progress : la Sculpture-jardin (Gartenskulptur), qui a
proliféré jusqu’à la mort de l’artiste en 1998, et même au-delà, son fils ayant poursuivi l’entreprise jusqu’en 2008.
Mariage d’Anne-Marie Schneider est une autre forme d’assemblage, hybride de film d’animation et de reportage
intime, à teneur burlesque. Les ruptures d’échelle de l’assemblage sont exacerbées dans les trois saynètes de La Vie
de Mohr (le maure, le nègre, alter ego de l’artiste) imaginées par Thomas Schütte. Le décor bricolé à la mesure
des figurines comprend, à titre de dépouilles ou de reliques, des vêtements de l’artiste, témoins de sa biographie,
depuis l’enfance.
Salles 5, 6 & 7. OÙ VIVRE ? EXILS ET MIGRATIONS
La singularité d’une vie appelle le récit, même dans les situations hostiles à l’expérience individuelle. La biographie
se construit malgré ou contre ce qui nie l’individu et l’idée même de destin. L’image artistique peut exprimer ce
combat, sous des formes diverses, du tableau à l’archive. Le tableau de Sigmar Polke, Fugitifs, condense le pathos
associé aux migrations. Dans We Mourn Our Loss #4 (Nous pleurons nos morts), Kerry James Marshall superpose
le souvenir de son père à l’histoire de la lutte pour les droits civiques. Jusqu’en 2000, Ahlam Shibli avait fait de la
Palestine, son pays natal, et « pays fantôme », le cadre unique de son travail photographique. Catastrophe. Refuge
in Frost (Refuge dans le gel) est un ensemble d’images prises ailleurs, en 2002 et 2004, qui traite des « conditions
de l’exil quotidien ». Aujourd’hui, quand le racisme et la xénophobie sont le ressort ordinaire des idéologies
sécuritaires et de la police des migrations, la « victoire » de la forme biographique peut paraître dérisoire. C’est cette
réalité dont témoignent les diptyques de Madeleine Bernardin Sabri, issus de son expérience à la CAFDA
(Coordination de l’accueil des familles demandeuses d’asile). Des bribes de mémoire sont enserrées dans le petit
bloc de mots qui fait pendant à l’image, mais les détails traumatiques n’ont pas d’équivalent visuel. L’archive formée
par Santu Mofokeng en Afrique du Sud au temps de l’apartheid, The Black Photo Album, sous-titré Look at Me: 18901950, est constituée de faits visuels, légendés et problématisés. L’invitation du sous-titre, « Regarde-moi », est la voix
de l’image ou du sujet historique dans l’image. Un autre rapport image/texte fait jouer la distance de l’exil dans le
film de Chantal Akerman, News from Home : la jeune cinéaste lit en voix off, sur des vues prises à New York, des
lettres répétitives et plaintives que sa mère lui adresse de Belgique.
Salle 8. CRISE ET RÉINVENTION BIOGRAPHIQUES
L’artiste brésilienne Lygia Clark déclarait en 1971 : « Sans rien contrôler – voilà la contradiction –, je me reconstruis,
je fais ma biographie. » Il s’agissait de surmonter l’écart entre l’expérience intime et la dimension publique de l’œuvre
« projetée vers le dehors ». Cet écart est constitutif d’une crise et d’une réinvention biographiques qui engagent et
mobilisent l’image du corps vécu. Les Configurations du corps de VALIE EXPORT (pseudonyme adopté comme
un label poétique) déclinent des postures dictées par des formes architecturales et des lieux inhabitables. La
séquence de sept photographies de David Lamelas est fondée sur l’idée d’« appropriation d’un personnage », un
personnage-type de la modernité médiatique : la star du rock, dont l’identité est «entièrement une affaire d’image».
L’« adieu » d’Henrik Olesen à son père et à sa mère est un acte de rupture qui vise à dissocier la biographie de la
généalogie et de la reproduction sexuée. Olesen rejoue l’abjection du « père-mère » chez Antonin Artaud. Le corps
émacié, réduit à un bâton, sans plein ni délié, est détaché des liens familiaux. La pauvreté du matériau de
construction rappelle combien le jeu de la fiction peut être indifférent à la qualité mimétique des objets-accessoires.
La généalogie artistique est suspendue au vide qui enveloppe les éléments de l’installation, dans l’espace vacant des
formes biographiques épuisées ou à venir.
Salle 9. PERSONNAGES
Black Hamlet, Crazy Henry, Giulia et Toussaint, les quatre marionnettes groupées par Peter Friedl sous le titre The
Dramatist (Le Dramaturge), sont des personnages en quête d’auteur : John Chavafambira, l’«Hamlet noir » dont l’histoire
a été relatée par le psychanalyste Wulf Sachs en 1937 ; Henry Ford, qui fonda l’industrie de l’automobile à Detroit ;
Julia Schucht, la femme, russe, du dirigeant et théoricien communiste Antonio Gramsci ; Toussaint Louverture, né
esclave à Saint-Domingue, protagoniste de la révolution haïtienne, mort en 1803 pendant sa détention en France. Cette
étrange assemblée dessine une image fragmentaire et discontinue de l’histoire : quatre profils biographiques sans autre
lien apparent que l’auteur, figuré par un moulage mortuaire en plâtre. Des dessins d’enfance prêtent une continuité
biographique à ce cinquième personnage. Avec le film vidéo de Laure Bréaud, Au bout du petit matin (Contes
Créoles 1), tourné aux Antilles en 2012, la scène se déplace dans l’actualité. L’argument du film, la violence subie par
des chevaux dans un haras, prolonge le grand roman anticolonial de l’écrivain Martiniquais d’adoption Salvat Etchart,
Le Monde tel qu’il est (1967).
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