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La Mutation de Morgan
En 2002, Charles Morgan succède à son père Peter
aux commandes de la Morgan Motor Company et
s’attache à renouveler la gamme qui, même produite
en petites séries, doit répondre à des contraintes
d’homologation de plus en plus sévères quels que
soient les marchés (Europe, Japon, Australie et USA).
La Plus8, le fleuron de l’entreprise, est même
condamnée en raison des normes de pollution que
son bon vieux V8 Rover, âgé de plus de trente ans,
ne peut plus satisfaire. Mark Aston1, le directeur
industriel de l’époque est d’ailleurs
venu en
septembre 2003, au Mog du Touquet, sensibiliser le MCF à cette question épineuse des
homologations. Dans l’auditorium du Palais des Congrès, il a illustré ses propos par des vidéos de
crash tests subis par la structure en frêne de nos chères voitures : résultats ‘successfull’, mais à
quel prix pour une production annuelle de moins d’un millier de voitures !
Il y a donc urgence à accélérer la révolution de palais entamée quelques années plus tôt avec
l’Aero8 dont la conception totalement nouvelle (structure et mécanique) peut répondre
effectivement aux contraintes d’homologation et se rapprocher des standards d’une voiture sportive
digne de la concurrence. Mais, pour une entreprise qui a bâti son image sur un style rétro et la
philosophie du « no change » auxquels la clientèle est particulièrement attachée, il n’est pas simple
de faire cohabiter la ligne classique et celle de l’Aero qui, pour les puristes irréductibles, « n’est pas
une Morgan ». Cette Aero née, qui plus est, avec un strabisme inélégant peine à s’imposer.
Ajoutons à cela deux handicaps : des défauts de finition (telle l’étanchéité de la capote !) qui font
habituellement le délice des mordus de la gamme classique mais qui deviennent inacceptables pour
l’acheteur d’une voiture de l’ordre de 100 000 £ ainsi qu’une difficulté chronique à maîtriser les
équipements électroniques et électriques désormais omniprésents dans tout véhicule haut de
gamme.
Charles se trouve donc confronté à une équation complexe : faire évoluer par petites touches la
gamme classique, symbole de la marque et toujours premier contributeur aux résultats de
l’entreprise tout en améliorant, en développant et en fiabilisant la gamme Aero, gage de modernité.
Les années 2003-2013 seront décisives.
Il commence par s’attaquer aux styles de
chaque gamme en faisant confiance à un jeune
stagiaire recruté en avril 2004, Matthew
Humphries2, rapidement propulsé Chief Designer
et patron du Morgan Design. On lui doit
notamment la renaissance du Tourer, autre
victime des normes de sécurité qui avaient
condamné ses places arrière à la fin des années
90’s, et surtout la création du coupé Aeromax
1
en 2005, une œuvre d’art qui rappelle la Bugatti Atlantic. S’enchaîneront ensuite les multiples
versions de l’Aero8 (Supersport, Coupé) qui permettront de parachever la mise sur orbite de cette
voiture encore regardée avec un œil dubitatif par les mordus du « no compromise ».
Malgré ces nouveautés, Charles est convaincu que son entreprise qui célébrera ses 100 ans en 2009
doit accentuer sa singularité auprès d’une clientèle terriblement composite. Avec la flexibilité de
son outil industriel qui permet de réaliser un nouveau modèle en un temps record, il tente deux
coups de poker : relancer la Plus8 en habillant la structure et la mécanique BMW de l’Aero avec une
carrosserie classique et, plus audacieux, recréer un nouveau Threewheeler avec la technologie
d’aujourd’hui, 60 ans après la disparition du dernier « 3 roues » qui reste l’ADN de la marque. Défis
plutôt réussis. La Plus8, légèrement bodybuildée par rapport à la précédente, est un véritable
dragster qui se décline aussi en version speedster sans pare-brise. Quant au Threewheeler, malgré
des défauts de jeunesse apparemment corrigés à ce jour, il décoiffe et rencontre un réel succès, y
compris aux USA, car il est le seul véhicule au monde à offrir un style aussi déjanté.
Par ailleurs, Morgan entretient des liens étroits avec le monde universitaire pour surfer sur la vague
écolo avec un projet de véhicule électrique, le Morgan Life Car. De plus, en se positionnant comme
une référence de « green car » grâce à un benchmark établi par le binôme Clifford-Thames /Cardiff
University avec l’indicateur « Environmental Rating for Vehicles (ERV) », la 4/4 apparait comme l’un
des véhicules les plus écologiques de la planète3. Pourquoi ? D’abord parce que son système de
production (le « micro factory retailing ») est considéré comme socialement responsable – on ne
fait pas du personnel la variable d’ajustement - et que son empreinte écologique est dérisoire
comparée aux industries automobiles de masse.
Malgré tout, trop à l’étroit dans son costume de constructeur de véhicules sur-mesure, l’entreprise
doit engager une restructuration plus profonde pour accorder une place plus large au
développement, à la qualité et au commerce international. C’est ainsi que naît le 3 octobre 2010 la
holding Morgan Technologies Ltd dont l’usine ne constitue plus que le pôle manufacturing divisé en
3 lignes (Classic, Aero, Threewheeler), les autres pôles étant dédiés aux différents marchés qui se
trouvent, comme ça devient le cas en France, couverts par plusieurs importateurs. Charles est
confiant, un trust familial possède 48% des actions, (mais sans droit de vote), le reste de
l’actionnariat étant réparti entre lui-même (30%), sa sœur Jill (11%), également opérationnelle
dans l’entreprise et deux managers (11%). Charles reste le boss et rêve déjà de marchés plus
prometteurs tels que l’Inde et la Chine.
Mais cette politique exige des moyens et malgré un chiffre d’affaires qui passe de l’ordre de 29 M£
en 2010 à 35 M£ en 2013, les bénéfices fondent de 1,3 M£ à 0,12 M£ sur la même période et
diminuent encore en 2014. Le cash suit la même pente de 1,7 M£ fin 2010 à 0,4 M£ fin 2014. La
distribution de dividendes cesse par la même occasion dès 20134. Panique à bord chez les
actionnaires du trust familial qui n’hésitent pas à accuser Charles de mener une politique trop
coûteuse et finissent par faire pression sur le conseil d’administration pour qu’il sorte de l’entreprise.
La décision est entérinée le 14 octobre 2013. Dur, dur…
Aujourd’hui, Charles avoue avoir été sonné par cette éviction, il s’en est d’ailleurs largement ouvert
sur les réseaux sociaux (compte twitter particulièrement) et dans la presse5, ce qui lui a valu et lui
vaut encore de nombreux messages de sympathie et de soutien. Il s’est défendu6 et n’aurait pas,
parait-il, abandonné l’objectif de reprendre la main en cherchant à racheter les actions de sa sœur7.
2
J’ai encore en mémoire son passage au Mog 2013 à Reims , au volant de son Aero, véritable œuvre
de street art, puis lors du Mog 2014, dans la Galerie des Glaces du Château de Versailles mêlé à un
groupe de touristes chinois auquel, quelques mois plus tôt, il aurait sûrement bien aimé vendre
quelques threewheelers. Il semblait réellement préoccupé. Qu’est-il devenu ? Son profil sur Linkedin
apporte la réponse : il collabore à une filiale de CBS Interactive dédiée à l’automobile :
roadshow.com. Mais comme le précise la dernière ligne de son CV « Charles is currently looking to
advise companies who want to grow8 ». C’est clair.
Quant à sa succession à la tête de Morgan Technologies Ltd, elle est assurée depuis le 1er juin par
Dominic Riley, un financier, par ailleurs Chairman de Burgess Marine Ltd, de Chemigraphic Ltd et de
Global Corporate Venturing. Comme le souligne sa biographie sur Linkedin9 : « Dominic has led
turnaround, growth and exit for several businesses including private equity, privately owned and
public companies, delivering strong returns for all parties. » Pas besoin de traduire, la création et le
brin de folie automobile ne sont plus les priorités. On parle désormais de redressement.
Les lois de la finance s’imposent à l’entreprise de Malvern, comme à toute entreprise, à condition
qu’elle s’applique prioritairement à son activité directe. Quand vous sillonnerez cet été une route
touristique au volant de votre Morgan, le nez au vent, ayez une pensée pour ces hommes, Peter et
Charles Morgan qui ont su faire de l’automobile, ce produit aujourd’hui encadré par une masse de
réglementations et de restrictions, une source de bonheur et de liberté. S’ils ont été excessifs dans
un sens ou dans l’autre, ils sont pardonnés. Que le club apporte à Charles au moins un soutien
moral, voire davantage, par exemple un projet d’implantation en France d’un site Morgan avant que
le Brexit isole l’économie britannique…Why not ? Quoiqu’il en soit, cette entreprise restera à mes
yeux une exception attachante dans le monde automobile. Je lui souhaite bon vent.
Alain HERMAN
1
Mark Aston
2
Matthew Humphies est aujourd’hui un grand designer dans le domaine des montres.
3
Why Morgans are green. Paul Nieuwenhuis & Peter Wells.
4
Morgan Technolgy Limited https://companycheck.co.uk/company/07459137/MORGAN-TECHNOLOGIESLIMITED/summary
5
Charles Morgan - Management Today (salaire zéro)
6
Charles Morgan se défend – PistonHeads
7
Charles Morgan essaye de racheter les parts de sa sœur – Management Today
8
Charles Morgan linkedin
9
Dominic Riley linkedin
3

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