Sevrage tabagique et prise de poids

Transcription

Sevrage tabagique et prise de poids
Jean-Paul BLANC
Diététicien-Nutritionniste
Neuilly sur Seine
www.cabinet-de-nutrition-et-dietetique.eu
LA QUESTION DE LA PRISE DE POIDS CHEZ LE FUMEUR EN SEVRAGE
TABAGIQUE
Au cours de la dernière décennie les comportements se sont quelque peu modifiés : les adultes
fument beaucoup moins mais il y a augmentation du tabagisme chez les ados (et surtout chez
les filles). En France, le nombre de nouveaux cas de cancers a fortement progressé en l’espace
de 20 ans, passant de 170 000 à 280 000 cas.
Le tabac est responsable à lui seul de 32 000 décès par cancer chez l’homme (poumon, vessie,
pharynx, larynx, œsophage) et 2500 chez la femme (chiffre en augmentation régulière car de
plus en plus de femmes fument). A cela, il est nécessaire d’ajouter les décès par maladies
cardio-vasculaires et les décès par affections respiratoires aigues ou chroniques.
70 % des fumeurs désirent arrêter et plus de 50 % ont déjà fait au moins une tentative pour
cesser le tabac. Beaucoup de femmes fument et la perspective d’une prise de poids est une des
principales causes de non - arrêt de la cigarette. De même, il est fréquent de voir des femmes
reprendre l’intoxication tabagique suite à la prise de poids qui suit le sevrage. Elles récupèrent
ainsi une normalité pondérale et préfèrent un risque hypothétique et futur à un surpoids
immédiat.
Un fumeur de moins de 55 ans consommant plus de 15 cigarettes par jour a un risque
important de prendre 7 à 13 Kilos à l’arrêt du tabac. C’est ce qu’on remarque en consultation
et cette prise pondérale n’est pas toujours immédiate mais se produit après 3 à 4 mois
d’abstinence.
Les grandes questions qu’on se pose sont les suivantes :
- quel est l’ordre ordre de grandeur de la prise de poids ?
- celle-ci est-elle essentiellement féminine ?
- est-elle dûe à une augmentation des ingesta par le ou la patiente ?
- Il y a t-il une modification dans les différents nutriments ingérés ?
1 – LES FACTEURS DE PRISE DE POIDS
Ceux-ci sont multiples et sont liés aux entrées et sorties énergétiques :
Au niveau des entrées, on a montré que la nicotine réduit l’appétit interprandial et ceci
indépendamment de la teneur calorique des repas. La nicotine diminue la faim après les repas
et diminuerait les phénomènes de grignotage. L’usage du tabac engendre une diminution de la
sensibilité olfacto-gustative par l’action de la fumée sur les récepteurs situés sur la langue et
dans le nez. A l’arrêt du tabac, le phénomène est réversible et le patient recouvre les odeurs et
le goût, ce qui est de nature a favoriser la prise alimentaire. L’oralité de la cigarette chez le
fumeur va se retrouver remplacée par l’oralité de l’aliment que l’on grignote, que l’on
machouille, que l’on avale.
Au niveau des sorties énergétiques, la consommation de tabac présente un stimulus
thermogénique. On a montré que la thermogénèse post – prandiale est augmentée de 35 %
sans doute sous l’effet de l’activation du système nerveux sympathique. Il y a mobilisation
des réserves adipeuses et cela entraine une diminution de la prise alimentaire et une
diminution du poids par diminution de la masse grasse. L’arrêt du tabac va, par la suppression
de l’apport de nicotine, entraîner une inhibition immédiate de l’effet sympathique : sécrétion
d’insuline, la lipogénèse n’est plus inhibée et les nutriments sont drainés vers les réserves du
tissu adipeux. Ils sont moins disponibles pour assurer les dépenses courantes et le sujet, à
court de carburant disponible, a faim.
La nicotine provoque une augmentation de 6 % de la dépense énergétique basale
pendant 2 heures après chaque cigarette et une augmentation de 12 % du coût
énergétique de toute activité physique, même chez les non-fumeurs !
L’arrêt de la nicotine provoque une économie de la dépense énergétique de 200 Kcal
environ et une augmentation de la prise alimentaire d’environ 300 Kcal, soit 500 Kcal au
total.
2 - LES ETUDES
Une étude de 1989 (Hall et coll.) constate qu’en sevrage tabagique, les prises de glucides et de
lipides étaient augmentées entre les semaines 3 et 4 suivant l’arrêt ; un délai de un mois est
nécessaire pour étudier l’évolution du comportement alimentaire des fumeurs en sevrage
tabagique.
Chez les femmes, plusieurs facteurs peuvent augmenter la difficulté à arrêter de
fumer par rapport aux hommes. En effet, la cigarette sert parfois aux femmes à
contrôler leur poids. De plus, beaucoup de femmes se servent de la cigarette comme
régulateur de l’humeur (grâce à l’effet actif de la nicotine).
Chez de nombreux fumeurs, particulièrement chez les femmes, la prise de poids est
souvent redoutée et s’oppose à la motivation à l’arrêt. C’est aussi une cause très
fréquente de récidive.
Toute une série de travaux épidémiologiques ont bien établi que, sur une
population donnée, à taille, sexe et âge égaux, les fumeurs pèsent moins que
les non-fumeurs. Ainsi, une étude publiée en 1991 par D. Williamson a suivi
pendant plus de 10 ans plus de 1000 sujets comparant fumeurs, ex-fumeurs et nonfumeurs.
Cette étude montre que chez les sujets ayant interrompu leur tabagisme, le
gain de poids moyen a été de 2,8 kilos chez l’homme et de 3,8 kilos chez la femme.
En fait quand on compare les trois populations, on voit que, sur la durée de l’étude
(10 ans), les ex-fumeurs rejoignent en moyenne le poids des non-fumeurs,
c'est-à-dire celui qu’ils auraient eu s’ils n’avaient pas fumé. Il n’y a donc pas au
sens strict du terme une prise de poids mais un retour au poids naturel.
Cependant, cela ne constitue qu’une moyenne, avec de grandes variations
individuelles. En effet on constate :
•
qu’environ un tiers des sujets ne prennent pas de poids lorsqu’ils arrêtent de
fumer ;
•
que la prise de poids est plus importante et plus fréquente chez la femme ;
52% d’entre elles prennent plus de 3 kilos, contre 44% seulement pour les
hommes ;
•
qu’une prise de poids supérieure à 13 kilos survient chez 14% de femmes,
contre 10% chez les hommes ;
•
que la prise de poids est d’autant plus importante que la consommation de
cigarettes était plus grande.
Cette prise de poids est liée à un double processus :
- la nicotine augmente les dépenses caloriques, on évalue l’augmentation à une moyenne de
300 calories par jour pour une consommation journalière de 20 cigarettes ;
- la nicotine freine l’appétit : à l’arrêt du tabac, la prise de poids est donc fréquente et parfois
importante.
Dans une étude menée au CHU Henri - Mondor de Créteil (Pr Lagrue) en 1998, on a fait
remplir aux personnes ayant adhéré au protocole d’arrêt du tabac, un carnet alimentaire où
elles notaient toutes leurs consommations en indiquant la quantité estimée, de même que les
matières grasses utilisées pour la cuisson. Les volontaires de l’étude notaient aussi les horaires
des prises alimentaires.
Ce relevé se fait sur 3 jours et permet une étude des ingesta journaliers.
A un mois de sevrage tabagique, 58 % des patients ont pris du poids contre seulement 10 %
qui en a perdu. La conservation du poids est constatée dans 32 % des cas. Ce sont souvent les
hommes qui prennent du poids et cette prise de poids, contrairement à une idée reçue, n’est
donc pas essentiellement féminine. Si les hommes sont plus nombreux que les femmes à
prendre du poids, on constate en revanche que ces dernières en prennent davantage :
-
60 % des hommes grossissent et cette prise de poids est limitée à 2,5 % du poids initial
57 % des femmes prennent du poids et cette prise de poids est estimée à:
2,5 à 5 % du poids initial pour 29 % d’entre elles,
7,5 à 10 % pour 7 % d’entre elles.
l’étude montre que ce sont les femmes qui ont le BMI le plus faible qui ont les prises de poids
les plus importantes alors que chez les hommes, se sont les BMI de départ les plus forts qui
prennent le plus de poids. Une explication a ces résultats : les femmes sont beaucoup plus
impliquées que les hommes et plus concernées par l’alimentation. Le fait que ce soient les
femmes au BMI le plus fort qui prennent le moins de poids s’explique par la peur de grossir
qui était sans doute préexistante à l’arrêt du tabac.
Au niveau du taux calorique, quelque soit le sexe, la ration énergétique moyenne n’augmente
pas de J0 à J30 ; c’est l’écart à cette moyenne qui s’est creusé : chez l’homme la variation
calorique est de 200 calories par jour le premier mois alors qu’elle est 2 fois moindre chez la
femme. A un mois de sevrage tabagique, il semble donc que :
- pour conserver son poids il faut diminuer sa ration énergétique,
- pour diminuer son poids, il faut nettement diminuer sa ration énergétique.
Au niveau des protides, on note une diminution dans 68 % des cas. Chez la femme, on
remarque une diminution des produits carnés et/ou lactés. Chez l’homme, il semble qu’il y a
réduction de l’apport de proteines végétales car l’augmentation des lipides est de l’ordre de 40
% et cette augmentation porte essentiellement sur les acides gras saturés (donc d’origine
animale). Le cholestérol ingéré augmente. Les hommes ont réduit leur consommation de
féculents.
La nicotine stimule la libération d’adrénaline par les surrénales et induit par l’intermédiaire de
l’adrénaline, un accroissement de la masse protéique impliquant une augmentation des
besoins donc des apports. Le sevrage nicotinique s’accompagnerait d’une diminution des
besoins en protéines d’où une diminution des apports, même chez des patients ayant des
patchs de nicotine à dose dégressive.
Pour les lipides, on étudie les acides gras saturés, les lipides totaux et le cholestérol.
Au niveau des glucides, l’augmentation des glucides simples concerne 58 % de la population
étudiée avec augmentation des produits sucrés pour les hommes et augmentation des fruits et
légumes chez les femmes ainsi que des produits laitiers (lactose ++, notamment avec les
produits « light 0 %..»au détriment du fromage.
Au niveau de l’alcool, la consommation augmente dans 42 % des cas, toute population
confondue, avec une augmentation plus significative dans la population masculine (73 %).
Lipides, glucides et alcool semblent se partager la cause de la prise de poids.
3 – LES SOLUTIONS A ENVISAGER
Cette prise de poids est souvent un obstacle à l’arrêt du tabac, soit elle retarde ou
empêche la motivation à l’arrêt, soit elle détermine une rechute. En ce domaine, il
existe indéniablement une susceptibilité psychologique individuelle, plus nette chez
la femme que chez l’homme. Il est alors essentiel d’expliquer à l’avance que la prise
de poids constitue un élément extrêmement fréquent, en partie inévitable puisqu’il
s’agit d’un retour à un poids naturel, que d’une part le risque de grossir est sans
commune mesure avec le risque du tabagisme et que d’autre part, si l’on prend tout
de suite les mesures et les précautions nécessaires, il est possible d’éviter ou de réduire ce
trouble :
• Par des mesures simples de diététique :
il est indispensable de ne pas parler de régime, mais plutôt de suggérer des modifications
dans le type d’alimentation. Il faut privilégier une alimentation pauvre en sucres, en
sauces, beurre, sel… en augmentant les quantités de légumes et de fruits
riches en fibres.
• Par des apports nicotiniques (patch) qui constituent le moyen le plus efficace
pour réduire la prise de poids :
ces apports vont maintenir en partie l’élévation des dépenses énergétiques avec parallèlement
une moindre augmentation des prises alimentaires.
• Par l’exercice physique :
Le sport est très efficace et permet de compenser l’arrêt de la cigarette. Il procure du plaisir au
bout d’un certain temps (endomorphines) et brûle des calories ( 250 à 400 Calories à l’heure)
sans compter qu’il augmente la masse musculaire qui - elle-même - consomme de l’énergie
(tonus musculaire de repos).
Le suivi va s’avérer indispensable. Les consultations anti-tabac sont en nombre croissant et
améliorent les chances de réussite à chaque tentative. C’est aussi le moment de faire un
check-up diététique avec un bilan nutritionnel (et parfois une mesure de composition
corporelle).
Corriger les erreurs nutritionnelles les plus fréquentes est indispensable, se (re)mettre à une
activité physique régulière permettra aussi de compenser le manque de tabac et de brûler
quelques calories supplémentaires : il faudra contrôler les apports et augmenter les dépenses
d’énergie.
Les thérapies comportementales sont également susceptibles d’aider le sevrage. Les
techniques sont aujourd’hui bien rodées et permettent de renforcer la motivation, atout
essentiel pour réussir à s’arrêter.
4– EN CONCLUSION
L’arrêt de la nicotine provoque une économie de la dépense énergétique de 200 Kcal environ
et une augmentation de la prise alimentaire d’environ 300 Kcal, soit 500 Kcal au total .Pour
prévenir la prise de poids, il va être nécessaire de diminuer la prise alimentaire. Il semble que
se pose un problème de faim accrue au moment des repas, plutôt qu’un besoin de
compensation.
L’exercice physique régulier est indispensable car il provoque une activation du système
nerveux sympathique. Il faut qu’il soit quotidien et idéalement étalé dans la journée. La prise
alimentaire devra être diminuée de 300 Kcal ( ou de 500 Kcal si pas de sport !..)
5- ADRESSES UTILES
•
•
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www.paris.fr/FR/Solidarites/Sante/centres_tabacologie.ASP
www.exfumeur.com
AFTCC Association Française de thérapie comportementale et cognitive :
www.aftcc.org
• www.stoptabac.com
• Annuaire des consultations de tabacologie : oft.spim.jussieu.fr
• Drogues, alcool, tabac infos services : appel au 113 (gratuit) ou 0 825 309 310
• www.tabac-info.net
• AFDN Association des Diététiciens Nutritionnistes Français

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