Introduction Nietzsche, Généalogie de la morale, avant
Transcription
Introduction Nietzsche, Généalogie de la morale, avant
Début explication Nietzsche, Généalogie de la morale, avant-propos, §6. Dans l'avant-propos de la Généalogie de la morale, Nietzsche définit le projet de son livre : conduire une interrogation sur la valeur des valeurs morales, au moyen d'une enquête généalogique sur leur origine historique. Dans le cinquième paragraphe, qui précède ce texte, Nietzsche prend l'exemple de la pitié, valeur sur laquelle Schopenhauer voulait fonder la morale, et que Nietzsche dénonce comme nihiliste et inspirée par la faiblesse et le rejet de soi-même. Dans ce texte, Nietzsche explicite et définit rigoureusement sa méthode, à partir de l'exemple de la pitié. Cette méthode s'oppose aux tentatives traditionnelles de trouver un fondement de la morale, en conduisant à la mise en cause radicale de la valeur même de toute morale. Dans la première partie du texte, Nietzsche affirme la nouveauté de sa méthode, nouveauté que Nietzsche désigne lui-même comme vertigineuse et inquiétante, dans la mesure où elle est essentiellement une démarche critique. Puis il décrit l'objet de l'entreprise généalogique : celle-ci se donne comme une enquête sur les circonstances historiques qui ont conduit à la naissance de telle ou telle valeur, et à ses transformations. C'est la compréhension de ce processus historique qui permet d'évaluer ces valeurs, à la manière d'un médecin qui déchiffre des symptômes en les ramenant à leurs causes et au processus qui les a produit. À Schopenhauer qui met en avant cette valeur de la pitié, Nietzsche oppose d'abord, en résumant en quelques formules ses analyses du paragraphe précédent, qu'elle doit d'abord être considérée comme un symptôme de faiblesse et de maladie. Si Nietzsche évoque son aversion pour « la honteuse effémination sentimentale » d'aujourd'hui, c'est que la pitié est une valeur qui prend la forme d'un sentiment : une passion que l'âme éprouve et subit, et non un acte libre de la volonté, un principe rationnel (comme l'impératif catégorique kantien) ou un état de l'esprit (comme l'ataraxie épicurienne). Elle a par ailleurs été décrite au §5 comme symptôme de négation et de perte de soi, caractères qui conduisent Nietzsche à la rejeter comme efféminée. La femme apparaît ainsi pour lui ici comme un être assujetti à ses sentiments et subordonnant sa propre identité à celle d'autrui (de ses enfants ou de son mari par exemple, suivant l'idéologie du XIXe siècle). Nietzsche semble donc dans ce passage rejeter une valeur au nom d'une autre valeur, la pitié au nom de l'affirmation virile de soi. Mais la suite de l'analyse montre que la méthode de Nietzsche est plus complexe et plus profonde. Rejeter une valeur au nom d'une autre valeur est au fond le geste le plus traditionnel de la philosophie morale. La philosophie morale choisit toujours une valeur à partir de laquelle elle évalue toutes les autres : faut-il préférer le plaisir à la tranquillité de l'âme, le devoir au plaisir ? C'est donc toujours à partir d'une valeur particulière que les autres sont évaluées. Les philosophies morales sont toujours fondées sur des choix particuliers. Elles développent donc à chaque fois « une question isolée, un point d'interrogation a part », comme l'est celui de la pitié. A ces questions particulières Nietzsche oppose sa méthode comme relevant d'un type profondément nouveau d'interrogation, qui ne cherche pas un fondement particulier, mais qui refuse au contraire tout fondement, c'est-à-dire tout sol et tout point de départ. L'esprit est ainsi saisi « comme un vertige », parce que son regard plonge alors vers des abîmes, suivant une perspective et un point de vue à la fois nouveau et mouvant (Nietzsche définit souvent sa philosophie comme un perspectivisme, dans lequel les phénomènes sont toujours susceptibles de plusieurs points de vue). Conduisant au vertige, la philosophie nietzschéenne apparaît tout sauf rassurante. Elle conduit le philosophe au soupçon et à la méfiance. Nietzsche laisse ainsi entendre que la démarche généalogique, non seulement ne propose pas un point de départ absolu, mais ne dévoile en vérité sur les valeurs aucune vérité ultime, absolue et définitive.