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n° 44
|La solidarité à la sauce Bill Gates
Par Damien Millet,
président du CADTM France
(Comité pour l'annulation de la dette
du tiers-monde)
Paru dans les pages « Rebonds »
de Libération - 17 août 2006
Le 26 juin dernier, les deux individus les plus riches du monde ont fait l'actualité ensemble. Le
premier, Bill Gates, dirige une fondation caritative à laquelle le second, Warren Buffett, a promis
une grande part de sa fortune. La 16e conférence mondiale sur le sida, ouverte le 13 août à
Toronto, a confirmé le rôle de plus en plus important joué par les fondations privées dans l'aide
internationale (Libération du 14 août) : la fondation Gates a annoncé un don de 500 millions de
dollars sur cinq ans au Fonds mondial contre le sida. A première vue, la générosité de ces
philanthropes peut sembler une bonne nouvelle pour tous. Pourtant on sent bien, confusément, que
quelque chose ne tourne pas rond.
La fortune de Bill Gates, fondateur de la multinationale informatique Microsoft, s'élève à 50
milliards de dollars. Elle fut acquise grâce à une démarche très agressive dans le but d'imposer
partout dans le monde un système d'exploitation (que les mots sont cruels !) et des logiciels très
coûteux et loin d'être parfaits. Celui qui achète aujourd'hui un ordinateur grand public est pris dans
le piège Microsoft, et il faut une volonté de fer pour en sortir. Il rejoindra les millions d'individus
contraints d'appuyer sur une icône «Démarrer» pour arrêter leur ordinateur...
De ce fait, la fondation Bill et Melinda Gates dispose d'environ 30 milliards de dollars qu'elle
consacre à l'amélioration du secteur de la santé et au développement technologique des pays
pauvres. Les esprits sceptiques remarqueront que, pour boucler la boucle, ce développement se
fera sans doute avec des logiciels Microsoft.
La fortune de Warren Buffett, de l'ordre de 44 milliards de dollars, provient de secteurs
économiques plus classiques comme l'alimentation (sodas, crèmes glacées) ou l'assurance. Sur ses
vieux jours, ce «requin» des affaires a promis de donner, à terme, 85 % de sa fortune à des
fondations, dont plus de 30 milliards de dollars à la fondation Gates. Un record qui ferait presque
passer les Rockefeller, Carnegie ou Ford pour des petits joueurs...
Avec de tels fonds propres, le budget annuel de la fondation Gates va doubler, pour atteindre
environ 3 milliards de dollars. C'est cinq fois celui de l'Unesco, l'institution des Nations unies pour
l'éducation, la science et la culture. C'est presque autant que le budget 2006-2007 de l'Organisation
mondiale de la santé (3,3 milliards de dollars)... Néanmoins, cela ne va pas suffire à colmater les
brèches financières : chaque année, les gouvernements des pays en développement remboursent
200 milliards de dollars à de riches créanciers, sans doute eux aussi très généreux, au titre du
service de la dette.
Si le montant du don de Buffett est exceptionnel, les annonces de ce type, de la part d'individus
fortunés, se multiplient. Mais cette course au gigantisme du don ne révèle-t-elle pas la faillite de
l'organisation collective de la solidarité ? Sans le moindre contrôle sur l'utilisation de ces dons, le
risque est grand que l'on sélectionne des projets visibles et immédiatement rentables, et que l'on
fasse l'économie d'une analyse globale de long terme suffisante.
Dans l'économie mondialisée, le principe même de la solidarité entre les êtres humains est en cours
de confiscation par une poignée d'individus, avec la passivité complice des Etats. Après avoir
considéré que tous les coups étaient permis pour faire fortune, les plus forts à ce jeu peuvent
décider de la façon dont il convient de venir en aide aux plus nécessiteux sur la planète.
réflexions et débats
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Qui demande l'avis des premiers concernés, les plus démunis ? La lutte contre la pauvreté peut-elle
légitimement être confiée aux plus riches ? Et d'ailleurs, est-ce normal que la fortune des deux
personnes les plus riches au monde soit quatre fois plus importante que l'aide publique au
développement annuelle des pays riches à l'égard des 50 pays les moins avancés ?
La responsabilité des Etats est clairement engagée car les politiques néolibérales qu'ils appliquent
depuis les années 80 sabotent tout système de sécurité sociale, les faisant renoncer à leur rôle de
garant du bien collectif et de la justice sociale.
En France, des initiatives comme le Téléthon, l'Opération pièces jaunes ou les Restos du coeur se
substituent à l'Etat en ce domaine et font porter l'effort financier de la solidarité sur une large part
de la population attendrie. L'une de ces opérations est même organisée par l'épouse du chef de
l'Etat, révélant la duplicité du pouvoir politique. Les raisons qui ont permis à l'ancien patron de
Microsoft et à Warren Buffett de faire fortune, et donc de paraître infiniment généreux en bout de
course, sont celles qui ont plongé des milliards d'êtres humains dans le besoin et la pauvreté.
La recherche maximale du profit a mené le monde dans une impasse. Avec la réduction du rôle des
Etats et la toute-puissance des donateurs privés, les peuples les plus pauvres vont être contraints,
comme au Moyen Age, de compter sur la générosité du seigneur protecteur ou de périr.
Ce recul intolérable est orchestré en coulisses par la logique de la dette, subtil instrument
d'oppression, qui organise un colossal transfert de richesses des populations du Sud vers les
créanciers, en même temps qu'un transfert de la prise de décision vers le FMI, la Banque mondiale,
les grandes puissances et les entreprises multinationales.
Pour mettre fin au hold-up actuel sur la solidarité au niveau mondial, cet esclavage de la dette doit
être aboli. Il sera alors possible de remettre en cause ce modèle économique néolibéral qui organise
structurellement une injuste répartition de la richesse dont l'hyperfortune de Bill Gates et Warren
Buffett ne constitue que la partie visible.
réflexions et débats
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