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La Saga Maeght
Par Yoyo Maeght
Editions Robert Laffont
Yoyo Maeght, petite-fille de Marguerite et Aimé Maeght, pose son regard sur la vie d’une
communauté où se retrouvent artistes, écrivains, mécènes, cinéastes, musiciens et les tous les
amoureux des arts. Elle détaille l’épopée de ses grands-parents dont le nom est maintenant
indissociable de l’histoire de l’art du XXe siècle.
Son récit égrène une incroyable galerie de portraits avec foule de souvenirs et témoignages
révélateurs de la fantaisie et de la détermination des artistes, des années 1930 à aujourd'hui.
Dans un tourbillon de vernissages, fêtes, expositions, elle dresse un portrait truculent du monde
de l’art et raconte avec amusement la complicité qui la relie à Miró, Chagall, Braque, Prévert,
Montand… Elle relate une quantité d'anecdotes, de rencontres et d'évènements qui sont de
précieuses informations historiques tout en révélant ce qu’est l’esprit Maeght.
C’est, aussi et surtout, un émouvant hommage à
son "Papy" chéri - Aimé Maeght - génial éditeur,
marchand d'art, collectionneur et mécène, qui
voua sa vie à l'art moderne et contemporain.
Simple ouvrier lithographe, il commence à
travailler avec Bonnard puis Matisse. De ces
rencontres décisives nait la galerie Maeght, à
Paris en 1945, où seront exposés maîtres
modernes et talents en devenir. Puis Aimé forge
de magnifiques et solides amitiés avec Braque,
Miró, Giacometti, Léger, Chagall, Calder, Tàpies,
Chillida... mais aussi avec Malraux, Prévert,
Aragon, Char, Reverdy, Sartre, ou Genet. Pour
eux, il crée, en 1964, la Fondation Marguerite et
Aimé Maeght à Saint-Paul-de-Vence.
La Saga Maeght est à la fois l'épopée d'une
dynastie amoureuse des arts sur trois
générations, l'aventure triste d'un clan déchiré à
la mort du patriarche et un voyage dans l'intimité
des plus grands artistes de notre histoire
contemporaine.
En couverture :
Jacques Prévert, Pablo Picasso et Yoyo Maeght, août 1963.
Photo © Edward Quinn
Format : 24 x 15 x 3 cm
336 pages - 60 photos documents
Prix : 21,50 €
ISBN : 2-221-13616-0
Contact : [email protected]
La Saga Maeght
Par Yoyo Maeght
Editions Robert Laffont
Extrait
Les soirs de vernissage, la galerie de Papy est bondée. Les conversations animées s'impriment en nous pour
toujours. Deux critiques s'engueulent dans un coin :
« As-tu vu cette exposition de merde ! Que veut dire cet artiste qui décharne les corps ?
- Comment oses-tu ? Le gars est un génie ! »
Pas de tiédeur, pas de consensus. Á cette époque, la censure officielle est encore en vigueur et la vie sociale
très policée, alors en privé, toutes les outrances, tous les excès sont possibles - on peut même dire ce que l'on
pense. Flo et moi nous nous faufilons un peu plus loin. Ici, on parle italien et anglais alternativement, comme
si c'était une seule et même langue. Là, une foule se presse autour d'Aragon et d'un minet qui le tient par la
main. J'ai beau fréquenter une très stricte école catholique du VIIe arrondissement, voir deux hommes
ensemble m'apparaît comme une chose banalement naturelle, à tel point que j'aurai bientôt des ennuis à la
cantine en expliquant à une camarade horrifiée que, bien sûr, deux hommes peuvent tout à fait s'aimer.
Joannet, le fils de Pepito Artigas qui fut le grand complice céramiste de Miró, vient d'arriver avec sa femme,
la magnifique Mako. Elle porte un kimono traditionnel japonais et des socques en bois, son visage
impassible est d'une beauté hiératique. On entend aussi des voix du terroir aux accents roulants, aux « r »
rocailleux, au phrasé syncopé. Je saute dans les bras d'Ubac pour l'embrasser, il discute avec Frénaud qui me
fait une grimace en guise de marque d'affection, Chagall chuchote en russe avec sa femme et commente les
tableaux, comme je passe devant lui, il me caresse affectueusement la tête et me décroche un clin d'œil
narquois ; c'est pour moi le signe qu'on m'autorise à m'échapper pour aller jouer dans la cour en attendant
qu'on aille dîner.
Ah, les dîners de vernissage ! Ce sont de véritables événements organisés pour célébrer l'artiste. Ils
rassemblent près de cent cinquante personnes. Tous se pressent pour prendre place aux tables stratégiques,
celle de l'artiste, celle de Papy et Mamy, celle de l'écrivain qui a rédigé les textes du catalogue, ou encore
celle du directeur de la galerie... S'y retrouvent Prévert, le journaliste et producteur Pierre Dumayet, Aragon,
Diego Giacometti - le frère d'Alberto - et presque tous les autres artistes de la galerie Maeght, Yves
Montand, André Malraux, Michel Guy, des critiques influents, de très puissants hommes d'affaires, des
politiques, des acteurs, des femmes excentriques, des élégants, de futurs talents de la mode ou de la scène
artistique. Pas de table pour les enfants, nous sommes toujours parmi les adultes. Pour ces mémorables
dîners, Papy choisit des endroits décalés : une péniche (cela se fait encore très peu), un bistrot typiquement
parisien, un bal musette, un cirque. Il y a souvent un groupe de jazz mais ce peut tout aussi bien être un
orchestre des rues. C'est toujours l'occasion de danser. Calder valse avec Nina Kandinsky, Papy invite
chacune de nous pour un tour de piste, Mamy rit aux anges, elle adore ces ambiances joyeuses. Pourtant, elle
ne perd pas des yeux les convives, tente de deviner si le succès de l'exposition sera au rendez-vous.
Ce soir, nous sommes au Train Bleu, le célèbre restaurant aux dorures magnifiques qui surplombe la gare de
Lyon, privatisé pour l'occasion. Quand nous arrivons, les tables sont parfaitement dressées et les serveurs au
garde-à-vous. Bien sûr, le menu posé devant chaque convive est orné d'une lithographie originale de l'artiste
exposé ce soir à la galerie. Les conversations tournent, bruissent, rien n'est considéré comme hors de notre
portée. Je me gorge de tout cela. Ces outrances, ces passions s'emmagasinent en moi, en strates successives.
Comme une musique enivrante, je n'en perds rien, ne veux rien en perdre, je lutte contre le sommeil. Miró
trace un oiseau au dos d'un menu et me le tend. Je m'endors bien plus tard, sur l'épaule de Flo, dans la Rolls
qui roule silencieusement en direction de la maison, à travers un Paris désert. Bien sûr, pas d'école pour nous
le lendemain.
Contact : [email protected]