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QUESTION’AIR
FICHE n°
Les fiches du Centre d’enseignement militaire supérieur Air
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Droit et institutions - Septembre 2013
Les prix Nobel ont-ils encore une utilité ?
Alfred Nobel (21 octobre 1833 - 10 décembre 1896), chimiste et industriel suédois, inventeur de la dynamite, était propriétaire de l’entreprise d’armement Bofors. Il a légué son immense fortune (32 millions de couronnes) à la Fondation Nobel et la charge d’en distribuer chaque année les revenus sous la forme de prix. C’est
dans son testament qu’Alfred Nobel appelle de ses vœux la création de prix qui récompensent chaque année
cinq personnes ayant rendu de grands services à l’humanité dans les domaines de la physique, de la médecine,
de la chimie, de la littérature et de la diplomatie (promotion de la paix dans le monde). Ainsi, le 10 décembre,
date anniversaire de la mort de M. Nobel, le roi de Suède remet les prix aux lauréats. Ceux-ci repartent donc
avec une médaille, un diplôme, l’assurance de marquer l’histoire de leur nom, et 10 millions de couronnes suédoises (environ 1 million d’euros), afin de poursuivre leurs travaux dans les meilleures conditions.
Source image: http://www.nobelprize.org/
I. La finalité première du prix Nobel : le service à l’humanité
Le testament d’Alfred Nobel précise que « la nationalité des savants primés ne doit pas jouer de rôle
dans l’attribution du prix ». La vision humaniste de ce « citoyen du monde » était nourrie de conceptions
universalistes, ainsi que d’une fascination pour les prouesses de l’esprit.
Ainsi, de 1901 à 2012, le prix Nobel a été décerné à 839 personnes physiques et à 24 organisations
qui, ensemble, représentent une contribution majeure à l’histoire culturelle et scientifique de l’humanité.
Quelques personnes et organisations ont été récompensées plus d’une fois, de sorte qu’au total 835 personnes et 21 organisations ont reçu le prix Nobel.
Le premier prix Nobel de physique, en 1901, est allé à Wilhelm Conrad Röntgen pour la découverte
des rayons X. Ceux-ci portent son nom dans de nombreuses langues et sont utilisés quotidiennement dans
les services médicaux du monde entier.
En 1905, la première femme à obtenir le prix a été la baronne Bertha von Suttner, femme de lettres
autrichienne, prix Nobel de la paix pour son action au sein du mouvement pacifiste en Allemagne et en
Autriche. Marie Skłodowska Curie a reçu son second prix Nobel en 1911 – cette fois en chimie, pour
avoir isolé et étudié un nouvel élément, le radium. Cette découverte, de même que les recherches sur la
­radioactivité qui lui avaient valu le prix Nobel de physique en 1903, a largement contribué au progrès de la
science médicale.
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Quelques découvertes récompensées (de gauche à droite, dans le sens des
aiguilles d’une montre) : les rayons X ; le phare AGA, un phare automatique
fonctionnant à l’acétylène ; la structure moléculaire en double hélice de
l’ADN ; la pénicilline.
Dans son testament, le philanthrope suédois demande que soient primées cinq découvertes majeures pour l’humanité dans les domaines de la physique, la chimie, la médecine, la littérature et la diplomatie. C’est ce dernier qu’on appelle « prix Nobel de la paix ». Alors qu’Alfred Nobel décède en 1896,
c’est seulement quatre années plus tard avec l’intervention du roi de Suède et de Norvège que la Fondation
Nobel est créée.
Il n’existe pas de prix Nobel de mathématiques (la médaille Fields est considérée comme son équivalent dans le domaine). Les raisons évoquées pour cela sont nombreuses et souvent mal fondées. Certains prétendent que sa femme l’aurait trompé avec un mathématicien, ce qui l’aurait conduit, par jalousie,
à exclure cette discipline. D’autres pensent, ce qui est plus vraisemblable, qu’il a souhaité récompenser les
découvertes scientifiques directement appliquées au service de l’humanité, ce qui revient de facto à exclure
les mathématiques, discipline abstraite, qu’Alfred Nobel, en tant que chimiste, ne semblait pas vraiment
apprécier. Enfin, il existait déjà à l’époque un prix scandinave : le prix des Acta Mathematica, nom d’une
revue de mathématiques encouragée par le roi Oscar II de Suède récompensant les découvertes majeures
dans l’analyse mathématique supérieure.
Ce prix a été créé par le roi de Suède sur la demande du mathématicien Gosta Magnus MittagLeffler.­1 Quant au prix pour la diplomatie, censé promouvoir la paix dans le monde, paraît original, parmi
quatre autres activités plus « scientifiques ». Cependant il est aujourd’hui un des plus disputés et réputés
dans le monde politique.
II. Les évolutions du prix Nobel
Afin de suivre l’air du temps et de continuer à récompenser les chercheurs dans les domaines considérés comme les plus « nobles », la Fondation Nobel a su évoluer et intégrer les sciences économiques, qui
ont connu un essor constant au XXe siècle. À l’occasion de son tricentenaire, en 1968, la Banque de Suède
a voulu créer un prix récompensant les découvertes dans le domaine de l’économie. Ainsi, ne pouvant créer
un nouveau « prix Nobel », elle a institué le « prix de sciences économiques à la mémoire d’Alfred Nobel ».
Ce prix est financé par une donation faite la même année par la banque à la Fondation Nobel.
1. La correspondance entre Henri Poincaré et Gösta Mittag-Leffler, éditions Birkhäuser, 1999, pages 158, 159.
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Le prix de sciences économiques est attribué par l’Académie royale des sciences de Suède suivant
les mêmes principes que les prix Nobel.
Cependant l’institution des prix Nobel n’a pas été épargnée par la crise économique. Ainsi en juin
2012, le conseil de direction de la Fondation Nobel a décidé de revoir à la baisse les coûts d’organisation
de la cérémonie de remise des prix ainsi que la dotation des lauréats. Les lauréats 2012 ont donc reçu une
dotation pécuniaire inférieure de 20 % à celle allouée à leurs prédécesseurs. Passant ainsi de 10 millions de
couronnes suédoises (1 126 000 euros) par prix depuis 2001, la récompense pécuniaire, d’un montant très
important pour chaque prix, s’élève désormais à 8 millions de couronnes (900 000 euros).
Source : http://sweden.se Photo : Dan Hansson/SvD/Scanpix
Toutefois, la question de l’utilité d’un tel prix se pose : est-il nécessaire de donner tant d’argent à
des personnes âgées qui ne sont expertes, généralement, que dans leur domaine ? Les travaux de ces chercheurs sont-ils si indispensables à l’humanité alors que de nombreux problèmes dont les solutions sont
connues ne sont toujours pas résolus ? Nombreuses sont les questions que soulève aujourd’hui l’institution
du prix Nobel.
Chaque année, le roi Carl XVI Gustaf remet personnellement leur diplôme aux
lauréats au cours d’une cérémonie solennelle au Palais des concerts de Stockholm.
III. Les limites de ce type de récompense
Le prix Nobel consacre généralement les travaux de chercheurs âgés. Beaucoup préféreraient que
le prix soit attribué à des personnes à plus fort potentiel qui pourraient faire rayonner la Fondation en
touchant un public plus large. Cela pourrait promouvoir plus activement la recherche et les innovations,
autour de figures plus accessibles, propres à jouer un rôle de moteur dans leur domaine. Il est intéressant, à
ce propos, de noter que la médaille Fields est décernée aux chercheurs de moins de 40 ans.
Par ailleurs, l’attribution du prix Nobel fait souvent l’objet de polémiques. Les intérêts politiques, le rôle des lobbies et les vastes campagnes de promotion de tel ou tel candidat par leur pays
d’origine ou leurs soutiens financiers pèsent certainement dans les délibérations du jury. En outre, la
Suède et la monarchie suédoise profitent sans conteste des retombées de ce prix, en termes de culture et
de rayonnement sur la scène internationale. La Fondation Nobel est un outil de « soft power » essentiel
pour cette nation scandinave.
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Nombreuses aussi sont les querelles qu’engendre ce prix car il suscite une véritable compétition
entre les candidats au niveau tant des pays que des personnes, celle-ci renforcée par la dotation et le prestige
à la clé qui en font un objet de concentration du travail de nombreux lobbies.
Certaines voix s’élèvent aujourd’hui contre le caractère « cloisonnant » des prix Nobel. Si le découpage par grands domaines de recherche pouvait fonctionner du temps d’Alfred Nobel, les sciences modernes, surtout les sciences appliquées, tendent à devenir, de plus en plus, transdisciplinaires. La Fondation
peut créer de nouveaux prix, mais pas de nouveaux « prix Nobel » au sens originel. Le testament d’Alfred
Nobel établit donc une sorte de carcan, dont la Fondation ne peut faire abstraction, au risque de dévaluer
le prix, réservé à une élite bien choisie.
IV. Au-delà du prestige et de la renommée, le besoin d’experts récompensés
Malgré les nombreuses critiques, force est de constater qu’il reste aujourd’hui la récompense la plus
prestigieuse et la meilleure occasion pour les lauréats de se faire connaître et de faire connaître leur travail.
Chaque personne primée l’étant pour son domaine de compétences, celle-ci peut poursuivre ses travaux en obtenant plus facilement contact avec ses confrères étrangers, elle peut faire connaître au grand
public ses progrès, ses découvertes, et ainsi servir l’humanité. Les lauréats sont conviés dans le monde entier
pour animer des conférences, pour soutenir des projets. Ils deviennent donc la voix de la science et du progrès au-delà des frontières.
Ainsi, en rencontrant des personnes extérieures, en s’ouvrant au monde, les prix Nobel deviennent
des « véhicules » de leurs connaissances, mais aussi des récepteurs de nouvelles connaissances. Ils permettent une circulation des connaissances dans le monde en s’ouvrant à d’autres spécialistes, en ouvrant
leur esprit et en ne restant plus cloisonnés dans leur domaine de compétences, nécessairement restreint par
leurs travaux acharnés pour obtenir la précieuse récompense.
Enfin, il est évident qu’il faut motiver les personnes les plus à même de découvrir et d’agir pour le
bien de l’humanité. Pour cela les récompenses, l’attribution des prix concourent à la reconnaissance et à
la notoriété internationales. Ils permettent une interactivité accrue, c’est en ce sens que les prix ont donc
toujours apporté leur contribution.
Il ne faut pas négliger l’investissement que font les passionnés dans leurs recherches et leurs travaux.
Ainsi, savoir qu’ils seront récompensés leur permet de croire toujours plus à ce qu’ils entreprennent malgré
les difficultés et les étapes à franchir.
Pour aller plus loin :
– Antoine Jacob, L’histoire du prix Nobel, éditions François Bourin
– http://www.franceinfo.fr/monde/le-plus-france-info/prix-nobel-la-vie-d-apres-759289-2012-10-08
– http://nobelprize.org
ISSN 1963-2150
Rédaction en chef et direction de la publication : Centre d’enseignement militaire supérieur Air (CEMS Air)
Édité par le Centre d’études stratégiques aérospatiales (CESA) - École militaire - 1 place Joffre - 75700 PARIS SP 07
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