Plan poeme 3 l eclair de rimbaud une saison en enfer

Transcription

Plan poeme 3 l eclair de rimbaud une saison en enfer
Plan poème 3 : section « Une saison en enfer » (1873),
« L’Éclair », Poésies de Rimbaud
INTRODUCTION :
"L'Éclair" est l'antépénultième section d'Une saison en enfer (avril-septembre 1871). Dans ce
chapitre, à l'exemple de ce qui se passe dans l'ensemble de l'œuvre, Rimbaud débat avec luimême. Le texte repose sur une oscillation rhétorique entre deux options de vie contradictoires.
Le poète se demande s'il ne serait pas temps pour lui de renoncer à ses chimères de poète et de se
réconcilier avec le Travail, ce devoir social auquel le jeune homme a hautement déclaré qu'il
refusait de se soumettre dans sa lettre du 13 mai 1871 adressée à Georges Izambard ("J'ai horreur
de tous les métiers", dit aussi le narrateur de la Saison au début de "Mauvais sang"). Le texte suit
un mouvement dialectique complexe qui rappelle maint passage d'Une saison en enfer. Comme tous
les chapitres de l'œuvre, "L'Éclair" pose de délicats problèmes d'interprétation.
Le titre "L'Eclair" est l'antépénultième titre d'Une saison en enfer avant "Matin" et "Adieu" et en
constitue comme une sorte d'illumination par l'analogie des deux mots. L'éclair qui signifie une
lumière vive aussitôt éteinte devient ici un monologue, une introspection, un va et vient continuel
entre les étincelles d'espoirs d'un travail humain et un fatalisme lourd d'inactivité. Confondu à la
science et au progrès, c'est le travail productif du XIXème siècle industriel. Le travail et la science
ont-t-ils les moyens de conduire au bonheur qui est le salut espéré avec la contrepartie des
misères sociales, son incapacité à vaincre la mort, la paresse ou la méchanceté. Le poète y répond
par la négative car la perspective n'est qu'une illusion trop vive et trop brève.
LECTURE
Problématiques :
1/ démontrez que ce poème illustre l’idée du « Voyant » selon Rimbaud ;
2/
3/
● Plan possible du commentaire
I/ Le déchirement du poète : damnation et salut
1. Un monologue intérieur haletant. Chaque paragraphe correspond à une prise de position
nouvelle, un revirement de la part du poète. Les exclamations, les tournures interrogatives, les
points de suspension traduisent un style oral, haché. La dernière phrase souligne le caractère
dialogique du discours. Le poète conversant avec son âme procède à un examen de
conscience.
2. C’est un damné qui parle. Le poète parle depuis l’abîme infernal. Dans l’eschatologie
rimbaldienne, l’enfer est sur terre, avant tout. C’est un monde de ténèbres qu’éclaire de façon
intermittente la conscience du salut. La dualité du bien et du mal est représentée par
l’opposition lexicale de la lumière et de l’obscurité, de la paresse ou indolence et de l’éclair
fugitif de la lucidité. Il est question d’accéder à l’éternité.
3. Lumières de la science ou lumière de la foi ? Le poète oscille entre le travail humain
glorifié par son époque actuelle, la science et le progrès et d’un autre côté, la foi, celle qui
promet des « récompenses futures, éternelles » (l. 7). Les deux options sont entachées de
scepticisme et d’ambiguïté. Le mot « explosion » (l. 1) qui qualifie le travail est soit une
illumination salutaire soit une déflagration destructrice. La foi et le salut annoncent
nécessairement la mort et contiennent aussi la menace de la damnation éternelle, de l’enfer
véritable. Curieusement, la lumière qui « gronde » (l. 9, comme le tonnerre), la chaleur de la
fournaise infernale sont très proches de l’explosion initiale.
II/ L’expression de la révolte
1. Révolte contre la science. La science est l’emblème de la rationalité positiviste que le poète
exècre. Dans une parodie de l’Ancien Testament, « l’Ecclésiaste moderne » (l. 3-4) voue une
entière confiance au progrès. Rimbaud inverse dans un pseudo-verset l’habituelle
recommandation de prudence de la Bible : « tout est vanité. Vanité de la grandeur et de la
science » devient « Rien n’est vanité » (l. 3). De plus, l’apologiste de la science dans la
Genèse était Satan sous l’aspect du serpent. Le discours universel, convenu et séducteur, tenu
par « Tout le monde » (l. 4) est décrié par un « je » (l. 8) qui peine à trouver sa place dans
cette société et qui se différencie toujours des autres. D’ailleurs, le ton monte et les
paragraphes deviennent plus amples jusqu’à leur retombée, retombée qui se fait sans
apaisement.
2. Révolte contre une vie ordinaire. La juxtaposition des deux verbes « feignons » et
«fainéantons » (l. 14) peut être lue comme deux injonctions distinctes : il s’agit de revêtir des
rôles d’emprunt, d’être hypocrite, au sens grec du terme (un acteur), et de s’adonner à
l’oisiveté. Celle-ci est facilitée par les rôles eux-mêmes qui sont ceux de marginaux, de parias
de la société. Mais on peut supposer aussi que le poète, s’il renonce à sa quête d’absolu et à sa
révolte, voit comme une contrainte le fait de feindre et de faire comme les autres, ce que
soulignerait peut-être la paronomase « feignons » et « fainéantons » (dont le substantif est,
selon une orthographe familière, « feignant »). Fainéanter, c’est avoir l’insouciance, la
légèreté de pensée des jeunes gens de vingt ans : « Aller mes vingt ans, si les autres vont vingt
ans » (l. 21). Mais cette vie est inauthentique. Elle est un amusement, un divertissement au
sens pascalien du terme : « ô pitié ! » (l. 13) ironise le poète.
3. Révolte contre sa « sale éducation d’enfance » (l. 20). La dernière révolte est menée contre
la religion et l’éducation chrétienne. Au moment même où il se rêve bandit, surgit l’image du
prêtre qu’il pourrait incarner, image contradictoire qui dit l’obsession du salut, façonnée par
un passé pieux et peut-être par l’accident personnel qui l’a vu frôler la mort (allusion possible
avec « lit d’hôpital », l. 17, à l’incident du 10 juillet, à Bruxelles). Il y a chez le poète cette
inclination à la passivité, au regret nostalgique pour une atmosphère sacrée (« les échappons
nous? », l. 7, dit-il à propos des chances de salut), avec l’attrait puissant du parfum et des
odeurs comme activateurs du souvenir (« gardien des aromates sacrés », l. 18) et d’un autre
côté, il y a le sursaut de l’insoumis : « Non ! non ! » (l. 22). C’est la mort qui doit être
combattue. C’est contre le temps qu’il doit lutter comme une bête traquée, c’est dans cette
cause qu’il veut placer son orgueil, même si l’éternité d’un vain Paradis lui est définitivement
fermée.
CONCLUSION :
Dans cet antépénultième chapitre d'Une saison en enfer, Rimbaud annonce — si du moins notre
interprétation est exacte — sa volonté de rompre avec un certain type de mode de vie et un
certain type de poétique fondés sur l'idéalisme : la quête de l'Absolu, de l'Inconnu (ce qu'on
appelle parfois "la Voyance"). Il voit une issue possible dans le Travail et la Science. Pourtant, il
se débat au milieu d'hésitations multiples ; il a encore la nostalgie de ce Bonheur jadis promis aux
hommes par le christianisme et qu'il a naguère cherché à approcher par l'exercice d'une magie
poétique. Mais il lutte pour se déprendre de cette chimère qui l'intoxique comme une drogue, un
poison mortel.
Le texte, tout en mettant en scène les oscillations sans fin de la conscience, l'hésitation du sujet
entre deux options de vie contradictoires, accorde sa préférence à l'une d'entre elles : la
conversion au "travail", la rupture avec le passé. Tous les commentateurs ne sont pas de cet avis.
Pierre Brunel, par exemple, résume ainsi le sens profond du texte : "Le texte aboutit à une
acceptation de soi-même comme non-travailleur ou, — selon un autre sens du mot travail —
comme révolté contre le temps (voir dans Les Illuminations "À une raison")" (op. cit. 2000, p.95).
Selon nous, au contraire, comme nous avons essayé de le montrer, le mouvement du texte
illustre en la dramatisant la résistance décroissante de l'utopiste (du quêteur d'éternité)
face à "la réalité rugueuse à étreindre" (Une saison en enfer, "Adieu").
En cela, il résume et confirme le mouvement d'ensemble de la Saison, qui est quand même en
définitive (malgré les voltes-faces et les palinodies qui en brouillent parfois le sens) le récit d'une
victoire du damné ("Car je puis dire que la victoire m'est acquise", "Adieu"), fondée sur son
arrachement progressif aux illusions dont son enfer était fait :
"J'ai créé toutes les fêtes, tous les triomphes, tous les drames. J'ai essayé d'inventer de nouvelles
fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs, de nouvelles langues. J'ai cru acquérir des
pouvoirs surnaturels. Eh bien ! je dois enterrer mon imagination et mes souvenirs ! Une belle
gloire d'artiste et de conteur emportée ! Moi ! moi qui me suis dit mage ou ange, dispensé de
toute morale, je suis rendu au sol, avec un devoir à chercher, et la réalité rugueuse à étreindre !
Paysan !" ;
Une saison en enfer, "Adieu".