Interview de Paul Auster
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Interview de Paul Auster
Interview de Paul Auster Un entretien avec son biographe, Gérard de Cortanze Dans vos livres, autobiographie et fiction sont intimement mêlées... Mes livres ne sont pas des récits autobiographiques. L'autobiographie touche à l'enveloppe extérieure. Ce qui m'intéresse, c'est le dedans. Mes livres racontent un morceau de moi qui doit être exprimé... au milieu d'un immense sentiment d'illusion dans lequel il faut vivre. Un des thèmes majeurs de votre œuvre reste la marche... Pour moi, le lien entre la marche et le langage est évident. Il y a un rythme des mots qui correspond au rythme des pas. Ce qui ne cesse de m'étonner, lorsqu'on marche dans les rues de Manhattan, c'est le contraste immédiat qui peut exister d'un quartier à un autre, mais aussi d'une rue à une autre, parfois. Vous avancez ou reculez de quelques mètres, vous tournez à tel ou tel coin de rue, et vous voilà projeté dans un univers totalement nouveau... La plupart des villes se divisent en quartiers : là, celui des magasins de vêtements, ici, celui des banques ou des restaurants. A New York, c'est impossible. La 47e rue, par exemple, rassemble de nombreuses bijouteries et une librairie, sans doute la meilleure de la ville. Rien n'est figé, tout bouge continuellement. New York reste un élément important de votre œuvre, mais comme malgré vous... D'une certaine façon, oui. J'y habite, c'est la ville que je connais le mieux, la majorité des histoires que je raconte en viennent. D'autre part, j'éprouve, c'est vrai, une fascination pour cette ville. Mais nombre de mes personnages n'y ont jamais mis les pieds... Vous avez choisi de vivre à Brooklyn, et non à Manhattan. Pourquoi ? Au départ, il s'agissait d'une simple question d'argent. Manhattan est évidemment un lieu passionnant, magnifique, mais extrêmement agressif. Tout y est placé sous le signe de la prétention, de la lutte pour l'argent, pour la célébrité. A Brooklyn, les gens ne se prennent pas au sérieux. C'est décontracté, facile. Ce qui est troublant dans votre New York littéraire, inventé, c'est qu'il en devient plus vrai que le vrai. La ville du « Voyage d'Anna Blume » est faite de plusieurs villes, et c'est le livre où, à mon sens, on sent le plus l'atmosphère de New York... J'utilise des noms, des lieux existants, bien réels. A d'autres moments, j'invente des noms de cafés, d'hôtels, de restaurants. Le Rita Hayworth Tavern, par exemple, existe bel et bien. Tout comme le Moon Palace qui a donné son nom à un de mes livres. Ce dernier est aujourd'hui fermé et a été remplacé par un magasin d'électroménager. Le Moon Palace, c'est le passé, mon passé... Votre New York est-elle une ville intérieure ? New York est une ville trop vaste pour qu'on espère la connaître intimement. Il m'arrive de décrire des endroits que je ne connais pas. Je n'ai pas pour mission d'être l'historien de la ville de New York, l'archéologue en chef. D'ailleurs, je ne suis l'historien de rien du tout. Tout ce que j'écris vient de l'intérieur. Je ne fais jamais de plan. Je ne défends aucune philosophie, n'échafaude aucune théorie. Une histoire naît, je ne sais d'où, ni pourquoi. Il y a dans ce processus incontrôlé quelque chose de totalement « organique ». Parfois, New York est le centre de l'histoire, parfois, elle n'en est que la périphérie. New York, ville où je vis et où j'écris, est une image qui vit dans ma réalité et dans mes fictions.