LES ÉTIOLOGIES ET FACTEURS DE RISQUE DU PRIAPISME A
Transcription
LES ÉTIOLOGIES ET FACTEURS DE RISQUE DU PRIAPISME A
Rev. Int. Sc. Méd. Vol. 8, n°3, 2006, pp. 27-30 © EDUCI - 2006 LES ÉTIOLOGIES ET FACTEURS DE RISQUE DU PRIAPISME A PARTIR D'UNE SÉRIE COLLIGÉE DANS LE SERVICE D'UROLOGIE DU CHU DE COCODY A ABIDJAN DEKOU A.1, OUEGNIN G.A.2, KONAN P.G.3, KOUAME B.1, MANZAN K.4 1234- Assistant chef de clinique Maître de conférence agrégé Maitre assistant Professeur titulaire Service d'Urologie du Professeur DJEDJE Mady Alphonse (CHU de Cocody), BPV 13 Abidjan (Côte d'Ivoire) Correspondance : DEKOU Angoran, Service d'Urologie, CHU de Cocody BP. V 13 Abidjan (Côte d'Ivoire) Tel : 06 350 974 E-mail : [email protected] RÉSUME SUMMARY Contexte : Le priapisme est un phénomène morbide, rare qui pose des problèmes étiologique, thérapeutique et évolutif. Background : The priapism is a rare morbid phenomenon which arises aetiologic, therapeutic and evolutive problems. But : Identifier les étiologies et les facteurs de risque du priapisme chez le noir africain afin de conduire une prise en charge adéquate et d'améliorer le pronostic. Patients et méthodes : Il s'agit d'une étude rétrospective, descriptive et non comparative réalisée à partir de 46 dossiers de patients colligés sur une période de 26ans (février 1980 à février 2006). L’exploitation des dossiers selon des variables épidémiologiques anamnestiques et biologiques a permis l’identification des étiologies et facteurs de risque. Résultats : La drépanocytose constitue l’étiologie identifiée dans 28 cas (68,85%). Elle prédispose à de nombreuses rechutes de priapisme observées chez 9 drépanocytaires sur 28 (soit 32%). Dans 21% des cas, l'étiologie n'est pas retrouvée. Le mécanisme de survenue est dominé par la stase veineuse chez 98% des malades. 41% seulement ont consulté précocement. Il s'agit d'un phénomène morbide du sujet jeune dont 80%, avaient moins de 40 ans. Conclusion : La survenue du priapisme chez le noir africain doit faire rechercher, la drépanocytose. Son pronostic est péjoratif, du fait non seulement de son mécanisme de survenue mais également du fait de la prise en charge tardive. MOTS-CLÉS : PRIAPISME, NOIR AFRICAIN, ÉTIOLOGIE, FACTEURS DE RISQUE, DRÉPANOCYTOSE. Aims : To identify the aetiologies and risk's factors of priapism in black Africans in order to guide an adequate management and to improve the prognosis. Patients and methods : it was a retrospective descriptive and non comparative study which involved 46 files of patients gathered during a period of 26 years(from February 1980 to February 2006). The files exploitation according to epidemiologic, and biologic variables allowed the identification of aetiologies and risk factors of priapism. Results : the sickle cell disease remains the main aetiology identified in 68,84% (28 cases). The sickle cell disease furthers the relapses which have been observed in 9 of the 28 patients (32 %). In 21% of the cases, the aetiology has not been identified. The mechanism of the priapism is dominated by venous low flow (98% of patients). Only 41% consulted early. It was a phenomenon occurring in young men ; whose 80% had less than 40 years. Conclusion : The priapism in black African must lead necessary to research the sickle cell disease by hemoglobin electrophoresis. Its prognosis is pejorative, because of its mechanism, and the delay in the management. KEYS WORDS : PRIAPISM, BLACK AFRICAN, AETIOLOGIES RISK FACTORS, SICKLE CELL DISEASE. DEKOU A., OUEGNIN G.A., KONAN P.G., KOUAME B., MANZAN K. INTRODUCTION érection prolongée, douloureuse et irréductible. Le priapisme aigu est une érection anormalement prolongée, douloureuse et irréductible. Il survient le plus souvent en dehors de toute stimulation sexuelle et n'aboutit pas à une éjaculation. C'est une affection morbide certes rare, mais grave qui peut aboutir à une impuissance sexuelle définitive12. Son diagnostic est cependant évident et ne nécessite aucun examen complémentaire ; mais sa découverte pose des problèmes étiologiques. Néanmoins, la connaissance, le dépistage et la prise en charge correcte des priapismes intermittents ou chroniques (érection douloureuse, prolongée et spontanément résolutive) chez certains patients prédisposés peuvent concourir à éviter ou prévenir toute complication (priapisme aigu). Chaque dossier a été exploité à l'aide d'une fiche d'enquête préalablement établie. Les variables étudiées étaient les suivantes : - l'âge du patient, - le délai de consultation, - les étiologies ou facteurs étiologiques (de priapisme intermittent ou aigu, de prise médicamenteuse, de pratique de rapport sexuel après prise de stimulant sexuel, de maladie hématologique), - le phénotype hémoglobinique, - les données de l'hémogramme. L'examen des données de l'hémogramme avait pour but d'écarter toute suspicion de maladie hématologique maligne pouvant expliquer le priapisme. Dans ce travail, nous nous proposons d'identifier les étiologies et les facteurs de risque chez le noir africain contribuant ainsi à prévenir le priapisme et à améliorer son pronostic. II- RESULTATS II-1 AU PLAN ÉPIDÉMIOLOGIQUE 2 patients en moyenne étaient recensés par an. I- MATERIEL ET METHODES L'on a enregistré 39 Ivoiriens (84,78%) et 7 ressortissants de l'Afrique de l'Ouest (15,22%). L'âge des malades variait de 11 ans à 69 ans avec une moyenne de 31 ans et une prédominance du priapisme entre 21 ans et 40 ans, comme l'indique le tableau n°I. Il s'agissait d'une étude rétrospective qui a porté sur 46 dossiers de patients qui ont été hospitalisés au CHU de Cocody à Abidjan entre février 1980 et février 2006 pour priapisme aigu (soit 26 ans). Le diagnostic du priapisme était évident devant un examen physique qui découvrait une Tableau n°I : Récapitulatif des tranches d'âges, des étiologies facteurs de risque et des mécanismes du priapisme Mécanisme Priapisme Priapisme artériel Veineux Effectif Drépanocytaire Idiopathique Médicaments Rapport sexuel [11-20] 3 3 0 0 0 [21-30] 18 12 4 2 0 0 [31-40] 16 10 4 2 0 0 [41-50] 6 3 2 1 0 0 [51-60] 2 0 0 0 1 1 Total et pourcentage 46 (100%) 28 (60,85%) 10 (21,74%) 5 (10,88%) 2 (4,36%) 1 (2,17%) Total et % mécanismes 46 100%) A ge 45 (97,83%) Compression pelvienne 0 1 (2,17%) Le priapisme est presque essentiellement de bas débit 45 cas (97,83%) avec la drépanocytose comme étiologie dominante 28 cas (60,85%). Les hommes entre 21ans à 40 ans sont les plus exposés. Rev. Int. Sc. Méd. Vol. 8, n°3, 2006, pp. 27-30 © EDUCI 2006 28 Les étiologies et facteurs de risque du priapisme à partir d'une série colligée dans le Service d'Urologie ... II-2 DONNÉES ÉTIOLOGIQUES 68,85% des malades (28 cas), qui souffraient de priapisme étaient porteurs d'hémoglobinopathie (drépanocytose). Dans 1 cas, il s'est agit d'un patient âgé de 53 ans, qui souffrait d'un priapisme par hyper débit consécutif à un cancer de la prostate avec blindage pelvien, comprimant les vaisseaux iliaques. II-3 FACTEURS DE RISQUE - 5 patients (10,88%) avaient utilisé des médicaments dont 3 : des aphrodisiaques sous forme de pommade de nature non précisée ; 1 patient était sous antirétroviraux (ARV) non précisés et enfin 1 était sous neuroleptique (largactil*) ; - 2 patients (4,36%) ont signalé des rapports sexuels prolongés ; - chez 21,74% des malades (10 cas), aucune étiologie ou facteur de risque n'a été retrouvé. Il est apparu par ailleurs que l'âge variait avec les étiologies : - l'âge des patients qui souffraient de priapisme d'origine drépanocytaire variait entre 11ans et 44 ans avec une moyenne de 28 ans ; - pour le priapisme d'origine médicamenteuse : l'âge oscillait entre 28 et 41 ans avec une moyenne de 34 ans. - la moyenne d'âge des patients présentant un priapisme apparemment idiopathique était de 34 ans [26 ans-50 ans] ; - les deux patients qui ont présenté le priapisme secondaire à des rapports sexuels prolongés avaient 52 et 69 ans, avec une moyenne d'âge de 60,5 ans. II-4 LES ANTÉCÉDENTS, LE MÉCANISME ET LE DÉLAI DE CONSULTATION 21,74%, soit 10 patients ont signalé des antécédents de priapisme intermittents dont 9 drépanocytaires et 1cas de cause médicamenteuse. Le priapisme de bas débit a constitué le mécanisme prédominant dans 97,83% des cas. 19 malades, soit 41,30% ont consulté dans les 36 premières heures de l'évolution du priapisme contre 58,69% (27 cas) après 36 heures. III- DISCUSSION Le priapisme est un phénomène de morbidité rare dont la découverte pose des problèmes étiologique, thérapeutique et évolutif. L'incidence hospitalière du priapisme dans notre étude est très faible 2 cas par an, cela s'explique par le fait que de nombreux préjugés entourent cette maladie dont la cause dans Rev. Int. Sc. Méd. Vol. 8, n°3, 2006, pp. 27-30 © EDUCI 2006 l'imaginaire populaire serait un envoûtement, un mauvais sort jeté à celui qui a cherché la femme d'autrui. Si bien que les malades ne consultent pas du tout ou s'ils le font, c'est tardivement qu'ils se décident à rencontrer les professionnels de santé, après avoir erré longtemps sans succès, notamment auprès des guérisseurs. Or, la littérature indique que les meilleurs résultats thérapeutiques sont obtenus dans les 36 premières heures de l'évolution du priapisme4,7,9,11,12,15. Dans notre travail, ce sont 58,69% des malades qui ont consulté après 36 heures d'évolution de la maladie. Néanmoins, cette incidence du priapisme est élevée dans la population des drépanocytaires4-7,12,15. En effet, la drépanocytose constitue dans notre étude, la cause prédominante du priapisme (68,85%) comme le soulignent également des auteurs africains4,5,7 dans une proportion qui varie entre de 54% à 74%. Les auteurs européens et américains1,8 rencontrent moins de 30% de drépanocytose, et signalent au contraire, un abus d'alcool et de médicaments1,2,3,8,10 qui dans le contexte africain reste un phénomène marginal. La survenue du priapisme chez deux patients respectivement sous antirétroviraux et neuroleptique (Largactil*), mérite réflexion. Il faudrait par ailleurs, noter que le priapisme d'étiologie non identifiée est rapporté dans des proportions presque identiques par la littérature à travers le monde entre 25% et 40% 4,8,11, mais avec une fréquence relativement plus basse dans notre série (21,74%), probablement liée à la faiblesse de notre échantillon. De plus, il est à noter que les drépanocytaires sont exposés à faire le priapisme6,12. 9 drépanocytaires sur 28 de notre échantillon ont présenté des épisodes de priapisme intermittent dans leurs antécédents. D'où la nécessité de reconnaître le priapisme intermittent qui se caractérise par des érections prolongées parfois douloureuses rétrocédant parfois spontanément et qui se répètent souvent. Chez l'enfant, le priapisme se traduit par des tuméfactions intermittentes de la verge, ou périnéo-scrotale parfois courtes et indolores : c'est pourquoi chez ce dernier, en cas de crise de drépanocytose, il est recommandé d'inspecter systématiquement la verge12,13. Ainsi, une prise en charge adéquate et rapide des crises intermittentes de priapisme pouvant atteindre plusieurs épisodes par semaine, est l'objectif thérapeutique essentiel chez les malades drépanocytaires12 pour éviter d'une part la survenue de priapisme aigu et d'autre part, une altération progressive de la fonction érectile 29 DEKOU A., OUEGNIN G.A., KONAN P.G., KOUAME B., MANZAN K. pouvant aboutir à une impuissance sexuelle définitive, car comme le dit ROUPRET et coll.12, le priapisme drépanocytaire est un priapisme à rechutes. Cette prise en charge se fait de façon ambulatoire par la prise orale d'étiléfrine le plus souvent en une seule prise le soir au coucher (les crises se déroulant le plus souvent la nuit) associé au traitement étiologique. Le priapisme veineux, constitue le mécanisme le plus courant, 95% dans la littérature 12, il représente 98% dans notre étude. Son pronostic est péjoratif 12 parce qu'il évolue vers une ischémie. Le priapisme artériel est exceptionnel mais son pronostic est meilleur comme le souligne certains auteurs12 dont l'étude rapporte que certains patients dont le priapisme évoluait depuis plusieurs mois ont retrouvé leur puissance sexuelle. Le priapisme comme le constatent de nombreux auteurs est une affection fréquente chez le sujet jeune7,9,15, il survient même plus tôt chez les drépanocytaires parmi lesquels l'on retrouve également des enfants. Cependant, le priapisme provoqué par les rapports sexuels prolongés et la prise de stimulant sexuel se rencontre un peu plus tardivement, chez les adultes et personnes âgées. Cela pourrait s'expliquer d'une part par le stress quotidien devant les problèmes professionnels et/ou familiaux et d'autre part, par la baisse de la libido et l'apparition de la dysfonction érectile aux âges avancés, liées à une baisse linéaire de la sécrétion de la testostérone à partir de 40 ans14 et qui amène certains hommes à s'aider de procédés qui favorisent et maintiennent l'érection pour accomplir l'acte sexuel. En définitive, il est à noter que le priapisme est surtout très fréquent chez les drépanocytaires et se présente ainsi comme une complication de la drépanocytose qui est une maladie héréditaire rencontrée avec prédilection chez le noir. CONCLUSION A l'issue de ce travail portant sur les étiologies et les facteurs de risque du priapisme dans le service d'urologie du CHU de Cocody, nous avons retenu les résultats suivants : - il s'agissait d'un phénomène rare, car nous avons noté une incidence hospitalière de 2 cas par an. Le priapisme était de mécanisme le plus souvent veineux qui est péjoratif (97,83%) ; - il s'agit d'une urgence médicochirurgicale dont la découverte chez le noir impose la Rev. Int. Sc. Méd. Vol. 8, n°3, 2006, pp. 27-30 © EDUCI 2006 recherche de la drépanocytose par la réalisation de l'électrophorèse de l'hémoglobine (28 cas, 68,85% dans notre série). La survenue d'épisodes aigus succédant au priapisme intermittent ou chronique avec altération de la fonction érectile est la hantise au cours de ce phénomène. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. ADJIMAN S, FAVA P, BIBBKER MO, CHATELAIN C : Priapisme induit par l'héparine, un pronostic sombre. Ann. Urol, 1998, 122-128. 2. BONDIL P : Priapisme iatrogène par injection intra caverneuse de drogues vasoactives dans le traitement de l'impuissance sexuelle. Presse Méd. 1986,15 : 665 3. BROYART A : Protocole priapisme : traitement du priapisme aigu, prévention du priapisme aigu. In Protocoles urgences médicales. Edit. PUMA Aulney-sous bois, 2000, 6 : 1-4. 4. DIAGNE BA, BAH, SEYESH HL, TOSSOU H : Priapisme : problèmes étiologiques et thérapeutiques. Afr. Méd., 1986, 25 : 351-358. 5. FALANDRY L : Priapisme : traitement et résultats à propos d'une série personnelle de 56 cas. Prog. Urol, 1999, 9 : 496-500. 6. GBADOÉ DA, KOFFI SK, AKAKPO-MAXWELL O, LAWSON-EVI K, GUÉDEHOUSSOU T, ASSIMAJI KJ : Prise en charge du priapisme drépanocytaire par médication alpha adrénergique. Cahiers/Santé, 2002, 3 : 343-7. 7. LATOUNDJI S, ALPHONSO G, ANANIL-ZOHOUNI : priapisme drépanocytaire au Bénin. Méd. Afr. Noire, 1992, 122-126. 8. LUE F TOM : Physiology of penile erection and physiopathology of erectile dysfunction and priapism. Campbell's urology, 7 th ed, 1998, 38 : pp. 1157-59. 9. NELSON JM, WINTER CC : Priapism : evolution of management in 48 patients in 22 years serie. J.Urol, 1977, 177: 445-458. 10. PELLERIN JP, ENB CL, AYZONKI I : Le priapisme médicamenteux. J.Urol, 1989, 95 : 64-65. 11. RAVERY V, DELMAS V, RESTREPO F, HERMIEU JF, BOCCOND-GIBOD L : Priapisme de l'adulte : à propos de 15 cas. Prog. Urol., 1995, 697-700. 12. ROUPRET M, BELEY S, TRAXER O, KIRSH-NOIR F, JOUANET P, JARDIN A, THIOUNN N : Prise en charge du priapisme chez les patients drépanocytaires. Prog. Urol, 2005,15 : 392-397. 13. SIBAI H, SAKOUTE A, YAAKOUBI M, FEHRI M : Priapisme et infection pulmonaire chez l'enfant. Ann. Urol. 37 (2003) : 143-145. 14. TEREMBLAY R, HARMATHY T : L'andropause. Supplément de l'Act. Méd., 11 mars 1998. 15. TSCHIPETA N, LUFUMA A, ZEZ N : Priapisme drépanocytaire : considérations thérapeutiques. J.Urol. Néphrol, 1980,86 : 699-702. 30