Montoire : un carrefour de mythes

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Montoire : un carrefour de mythes
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Montoire : un carrefour de mythes
par François Delpla
Dans l’immense majorité des livres, même récents, qui traitent de la rencontre de Montoire
entre Hitler et Pétain, le 24 octobre 1940, on
“ apprend ” que Laval, le deuxième personnage
du gouvernement de Vichy, a manigancé
l’entrevue avec l’ambassadeur allemand Otto
Abetz, que le maréchal, peu ou mal informé, s’y
est rendu dans un souci exploratoire contre l’avis
de son entourage, et qu’il s’en est suivi une amélioration des relations germano-vichystes, sans
collaboration militaire. On s’interroge peu, en
général, sur ce que souhaitait Hitler. Avait-il du
temps à perdre, pour se laisser ainsi sonder? Il est
vrai que le sujet n’a guère passionné les historiens
allemands ou anglo-saxons. La majorité des rares
études sont françaises, et intégrées à des livres
plus généraux, à l’exception d’un ouvrage spécifique, dû à l’auteur de ces lignes et paru en 19961.
lons allemands et italiens sur les conditions d’un
armistice avec la France, dont l’armée est en train
d’être balayée par les Panzerdivisionen.
Mussolini est venu avec un grand appétit de colonies et de bateaux français. Hitler le frustre
d’entrée.
En ce qui concernait le cas de la France, la question qui se posait à ce moment avait trait au
moyen d’obtenir, au cours des négociations,
qu’un gouvernement français continue à fonctionner en territoire français. Ce serait de beaucoup
préférable à la situation créée par un refus du
gouvernement français d’accepter les propositions
allemandes et sa fuite à l’étranger, à Londres,
d’où il continuerait la guerre. (...) Le Führer exposa en détail quel accroissement de puissance la
flotte française représenterait pour l’Angleterre
(...). Dans certaines catégories, la capacité actuelle de la flotte britannique serait pratiquement
doublée, notamment en ce qui concerne les destroyers. Compte tenu du fait qu’un convoi protégé
par six destroyers ne pourrait plus être attaqué par
des sous-marins, on peut réaliser l’avantage
qu’aurait l’Angleterre en utilisant les nombreux
destroyers français. Le mieux serait donc
d’essayer de parvenir à un accord avec le gouvernement français pour la neutralisation de la flotte.
Cette neutralisation pourrait résulter de son désarmement dans des ports français sous une surveillance allemande et italienne, l’Allemagne
garantissant à la France, afin de l’y inciter, que la
totalité de la flotte lui serait rendue après la
conclusion de la paix2.
Une initiative hitlérienne
Pétain certes – et non, que l’on sache, Laval –
était demandeur d’une rencontre. Mais depuis
juillet ! Hitler a pris tout son temps pour répondre
et l’a fait quand cela l’arrangeait. Il est exact que
Pétain n’a pas été informé d’une acceptation ni
consulté sur les modalités et a été, plutôt, convoqué comme un domestique. C’est Laval qui transmet le message, au retour d’une rencontre exploratoire qu’il a lui-même, à Montoire déjà, le 22
octobre 1940, avec Hitler et son ministre des
Affaires étrangères Ribbentrop, en route pour
Hendaye où ils devaient converser le lendemain
avec le Caudillo d’Espagne. Il est faux que Laval
ait caché, à cette époque, quoi que ce soit de ses
contacts avec les Allemands à ses collègues du
gouvernement.
Le raisonnement hitlérien sur la flotte vaut aussi
pour les colonies françaises : si le gouvernement a
le bon goût de stationner en métropole et de s’y
exposer aux pressions allemandes, il convient de
lui laisser l’administration de ses territoires
d’outre-mer, faute de quoi ils basculeront dans le
camp britannique. On voit ici à la fois que Hitler
Pour comprendre Montoire, il faut remonter au 18
juin. Non pas à l’appel de De Gaulle (encore que
son ombre plane, nous le verrons, sur la rencontre), mais à la conversation de Munich entre
Hitler et Mussolini, destinée à accorder les vio-
Archives secrètes de la Wilhelmstrasse, t. IX,
livre 2, Paris, Plon, p. 333.
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François Delpla, Montoire, Paris, Albin Michel, 1996.
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manque d’ambitions africaines et qu’il n’est pas
bête : il anticipe, à sa manière, sur l’appel que de
Gaulle va lancer quelques heures plus tard et ses
“ conditions généreuses ”, inattendues chez les
Français de Londres comme chez les Britanniques, vont plus sûrement que le prestige de Pétain, et en confortant celui-ci, couper l’herbe sous
les pieds du général rebelle.
Cependant, dès le début de juillet, Hitler commande à son état-major un plan d’attaque contre
la Russie. Le 31 de ce mois, il explique à ses généraux que Moscou est la route la plus courte vers
Londres : si l’Angleterre ne se résigne pas, c’est
qu’elle compte sur “l'épée ” soviétique, donc
l’élimination de ce facteur la contraindra à la
paix.
S’il n’a pas de visées africaines, c’est que Hitler,
depuis le début de son action politique, s’est juré
d’éviter les erreurs de Guillaume II dans la guerre
précédente. Il choisira une direction d’expansion
et une seule. Celle-ci est claire dès 1924, et ne
variera plus. Ce sera l’est : un choix qui concilie
la stratégie et le racisme. Pour les besoins de la
cause, les Slaves sont déclarés “ sous-hommes ”,
qu’ils soient russes, ukrainiens ou polonais.
L’anticommunisme est donc ici second, il sera
surtout invoqué pour faire agréer les appétits hitlériens par les bourgeoisies occidentales.
Dès le début de l’année qui sépare l’armistice
français de l’attaque contre l’URSS, celle-ci apparaît donc, à qui lit les archives, comme une décision ferme, du moins dans l’esprit de Hitler, et,
par voie de conséquence, les velléités de campagne occidentale ne sont que leurres, destinés,
notamment, à tromper Staline le plus longtemps
possible et à lui faire espérer, même lorsque les
intentions allemandes sont devenues évidentes,
qu’il peut encore, fût-ce au prix de compromissions gigantesques, détourner la foudre contre
l’empire britannique.
Beaucoup croient, jusqu’aujourd’hui, qu’en 1939
Hitler a changé son fusil d’épaule et s’est résigné
à une lutte à mort contre la Grande-Bretagne,
coupable d’avoir dérangé ses plans polonais par
sa déclaration de guerre du 3 septembre. Mais
toute la campagne à l’ouest dément ce point de
vue. Durant la “ drôle de guerre ”, tandis que les
ennemis s’épargnent, les sondages de paix vont
bon train. Puis Hitler lance une offensive soigneusement dosée pour détruire le fer de lance de
l’armée française et écœurer les Britanniques.
Elle marque un temps d’arrêt devant Dunkerque
pour laisser aux adversaires le loisir de se décider
à la paix. Comme cela ne marche pas (à cause de
la présence inattendue de Churchill à la tête de
l’Angleterre), on augmente un peu les doses et on
occupe la France, à moitié, toujours sans faire
grand mal à la Grande-Bretagne sinon économiquement, par la fermeture de l’Europe à son
commerce.
Comme par hasard, d’ailleurs, Hitler s’en prend
aux Anglais dans des azimuts de plus en plus
orientaux. En août-septembre, il paraît menacer
leur métropole, en octobre-novembre il semble
viser Gibraltar et l’Afrique occidentale, en janvier-février c’est le tour de l’Egypte, en mars-avril
des Balkans, en mai de la Crète et de l’Irak ! Le
tout avec des effectifs ridicules. Pour amplifier
l’effet, le chef allemand a grand besoin de figurants étrangers. Il va en trouver un à Montoire, ô
combien docile.
Pétain-pantin
Le jeu de mots est rare, et c’est révélateur. Le
maréchal en impose, y compris aux auteurs
d’extrême gauche. Ils préfèrent le peindre en traître conscient plutôt qu’en figurine manipulée.
Franco bénéficie d’ailleurs de faveurs encore plus
indues. On a vu des communistes, dans le couloir
de la mort, se réjouir qu’à Hendaye, la veille de
Montoire, il ait, en “ rusé Galicien ”, refusé
d’entrer dans le jeu de Hitler, alors qu’il le servait
à merveille. Ces ratés de l’antifascisme
s’expliquent, il est vrai, moins par la surestimation des dictateurs français ou espagnol que par la
sous-estimation de l’allemand. On le voit comme
un primaire qui ne rêve que de cogner et ne sait
résister à une envie. S’il entreprend un voyage
ferroviaire vers la frontière basque, via la France
occupée, c’est nécessairement pour s’emparer de
Comme Churchill s’obstine, Hitler ne peut faire
autrement que de s’en prendre à son pays, dans
l’espoir de lui faire mesurer ce qu’il risque. Ce
sera la bataille d’Angleterre, dont on ne cerne pas
toujours bien les limites chronologiques (de la miaoût à la mi-septembre) et stratégiques : la Luftwaffe alterne les objectifs militaires et civils, ce
qui suffit à prouver qu’il ne s’agit pas de la préparation d’un débarquement, qui requerrait la
concentration des moyens sur la destruction des
défenses, de plus en plus fort jusqu’au jour J.
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L’agression anglaise du 3 juillet à Mers el-Kébir
donne toutes ses chances à cette orientation. Un
homme comme Baudouin, le ministre des Affaires
étrangères, qui au moment de l’armistice a tout
fait pour minorer l’influence de Laval et obtenir
la compréhension des Anglais envers le retrait
français de la guerre, apparaît en pointe parmi les
ministres vichyssois qui dès le soir du 3 juillet
prônent des mesures de rétorsion militaire, assorties d’une déclaration de guerre, et en demandent
l’autorisation à Hitler... qui temporise.
quelque chose. On ne suppose pas une seconde
que ce soit une feinte.
Les preuves sont pourtant légion... plus que les
troupes qu’il maintient à l’ouest. J’en extrais ici
une toute petite, du faisceau rassemblé dans le
livre. La rencontre de Montoire est suivie de
conversations germano-vichystes sur la reconquête, proposée par Pétain dans le wagonsalon, des colonies d’AEF passées à de Gaulle en
août. Dans sa directive du 12 novembre, Hitler
accorde la direction “ exclusive ” de ces pourparlers aux Affaires étrangères, au détriment de
l’armée, invitée seulement à rester “ en liaison ”
avec les services de Ribbentrop. À la conclusion
de ces pourparlers, les militaires recevront des
“ instructions détaillées ”. Peut-on rêver dispositions plus dilatoires et, pour l’historien, plus belle
preuve d’une volonté de laisser planer la menace
d’une action, plutôt que de l’entreprendre? Dans
l’hypothèse d’un dessein arrêté depuis juillet, et
même depuis beaucoup plus longtemps,
d’attaquer l’URSS après la France, il s’agit pour
Hitler d’obtenir sur ses arrières le maximum de
sécurité. Il ne faudrait pas que Pétain et Franco se
sentent libres de leurs mouvements, ni délaissés
par l’Allemagne nazie face à un monde anglosaxon qu’enhardirait par le retournement allemand vers l’est et qui entendrait leur faire payer
leurs compromissions déjà lourdes. Hitler doit
donc simuler une attention profonde, à la fois de
grand frère et de gendarme, envers ces deux puissances éclopées par la guerre civile ou étrangère.
Sur ce dossier, on l’ignore souvent, c’est Laval
qui est en retrait. Ce vieux pacifiste est certes prêt
à tout pour séduire Hitler, mais guère pressé de
faire rentrer la France dans la guerre; en revanche,
quand de Gaulle, fin août, s’empare de l’AEF
grâce à un soutien logistique de l’Angleterre, il y
voit une occasion de prendre les armes contre
elle, de manière “ défensive ”.
Cela n’est pas pour déplaire... à Churchill. Loin
d’être le visionnaire assuré qu’on oppose encore
constamment, en cette année anniversaire, à nos
vichystes aveugles, le Vieux Lion tranche sur ses
contemporains par une volonté ferme d’en découdre avec le nazisme mais il n’est nullement certain de le vaincre. C’est, jusqu’à Pearl Harbor, un
homme aux abois, menacé d’être renversé par ses
compatriotes “ raisonnables ” et impatient, pour
leur damer le pion, de voir rentrer les Etats-Unis
dans la guerre. Il essaie donc d’attirer Hitler vers
l’Afrique et notamment vers le Sénégal, cette
colonie française qui regarde le Brésil. C’est sous
cet angle qu’il faut scruter l’attaque contre Dakar
(23-25 septembre), dont la maladresse pourrait
être en partie calculée; chacun sait, en tout cas,
que si la place tient c’est à cause des marins vichystes ivres d’anglophobie que l’amiral North a
laissé passer à Gibraltar sans que le moindre Anglais en ait fourni à ce jour une explication plausible.
Cela dit, Pétain est, tel Pinocchio, un pantin doté
d’une conscience. Il croit avoir une politique,
aussi dommageable que possible aux convoitises
traditionnelles de l’Allemagne envers son pays.
Pensant agir en patriote, il n’a de cesse d’offrir
ses services au vainqueur, dans l’espoir de
l’obliger à ménager la France au moment du traité
de paix. Sa diplomatie est nettement anglophobe,
même s’il tient en laisse dès le 16 juin la tendance
de son gouvernement la plus zélée à cet égard,
représentée par Alibert et, bientôt, par Laval. Ces
hommes poussent, depuis le début, au renversement des alliances, et vont chercher à séduire
Hitler non seulement par une politique extérieure
“européenne”, c’est-à-dire hostile aux AngloSaxons, mais par une politique intérieure fascisante et, en particulier, antisémite.
Quoi qu’il en soit, l’épisode permet à Pétain de se
présenter plus faraud devant Hitler. Il vient, entre
autres, chercher un bon point. Ayant montré sa
capacité de repousser les Anglais en Afrique, la
France de Vichy a bon espoir de desserrer les
contraintes de l’armistice et d’être autorisée à se
réarmer de plus en plus. Le prestige du général
Weygand est jeté dans la balance. Il était jusqu’au
remaniement ministériel du 5 septembre le seul
ministre qui retenait ses collègues sur la pente de
la collaboration. Débarqué du gouvernement pour
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nouent entre deux ambassadeurs en Espagne, La
Baume pour la France et Hoare pour l’Angleterre.
Elles achoppent essentiellement sur la question
des colonies gaullistes : l’Angleterre voudrait que
Vichy s’engage à ne pas les attaquer, ce que Pétain refuse absolument. Il semble qu’alors Charles-Roux essaie de débloquer les choses à Londres même, et que son truchement, peut-être
inconscient, soit Rougier. Celui-ci, en effet, dans
ses livres d’après-guerre, ne nomme jamais Charles-Roux, alors qu’il ne fait pas mystère de ses
liens avec Weygand. Or le général, depuis qu’il
est installé à Alger, est en contact quasi-quotidien
avec Charles-Roux par l’intermédiaire d’un jeune
diplomate, Pierre de Leusse, en poste au ministère.
plaire à l’Allemagne (Abetz l’avait nommément
souhaité), il se voit offrir en compensation le
poste de représentant de Pétain en Afrique... et
tarde à l’occuper, prétextant un accident d’avion
qui ne lui avait occasionné qu’une blessure légère.
S’il se décide, c’est après Dakar. L’épisode a
rendu à l’armée d’Afrique une certaine fierté,
qu’il a l’intention d’exploiter “ contre tout ennemi ”. C’est le début d’une politique d’attentisme,
qu’on projette généralement (et généreusement)
sur tout le gouvernement de Vichy sauf Laval,
mais que Weygand va avoir bien du mal à faire
partager. Pour l’heure, avant Montoire, il ne dispose sur les bords de l’Allier que d’un relais solide, qui n’est pas au gouvernement : il s’agit de
François Charles-Roux, secrétaire général du
ministère des Affaires étrangères.
Toujours est-il que Rougier arrive à Londres, via
Lisbonne, le 22 octobre, précédé d’une certaine
aura : l’ambassade anglaise au Portugal a dûment
signalé son passage, ce qui explique peut-être
qu’il soit d’emblée reçu dans les sphères gouvernementales. Il rencontre, le 23 octobre, Alexander
Cadogan, premier sous-secrétaire du Foreign Office. Celui-ci, le lendemain, résume leur conversation devant le cabinet de guerre : Rougier a demandé que l’Angleterre s’engage à ne plus attaquer de colonies françaises et qu’elle desserre le
blocus, du moins pour les produits alimentaires.
L’étonnant professeur Rougier
Louis Rougier (1889-1982) est un philosophe
universitaire assez considérable, qui ne répugnait
pas aux engagements politiques. Il joue à
l’époque de Montoire un rôle que les historiens
favorables au gaullisme ou à la Résistance ont
tendance à minorer et les pétainistes à hypertrophier. Il leur a hélas donné lui-même un triste
exemple, en falsifiant une pièce qu’il invoque
comme une preuve décisive. J’ai fait quelque peu
progresser la connaissance et l’équité en recourant aux seuls documents qui pouvaient départager les plaideurs, ceux des archives anglaises.
Si Churchill fait mauvais accueil à cette première
tentative, cela n’empêche pas Halifax, le ministre
des Affaires étrangères, de recevoir en personne,
le 24, peu après la réunion du cabinet et peu avant
la rencontre de Montoire, le dénommé Rougier
qui, alors, devient plus prolixe et plus précis : il
propose, en Afrique, un armistice de six mois,
pendant lequel chacun s’engage à ne pas attaquer
les colonies de l’autre -de nouveaux territoires
pouvant cependant passer à de Gaulle, par la seule
persuasion. A une question de Halifax sur sa représentativité, Rougier fait une réponse des plus
intéressantes : “ s’il était capable de rapporter ” à
Baudouin et à Pétain, qui sont au courant de son
voyage et désireux de connaître le résultat de ses
sondages, “ quelques chose qui donnerait l’espoir
d’établir de meilleures relations entre les deux
pays, sa mission prendrait probablement un caractère plus officiel. ”.
On ne saurait lui dénier le qualificatif d'anglophile. Il fait partie, précisément, de cette frange de
l’opinion française qui ne perd pas son sang-froid
au moment de Mers el-Kébir et n’a de cesse de
rétablir des liens entre Vichy et Londres. C’est
ainsi qu’au lendemain d’un discours agressif de
Baudouin, fin août, il se rend en Suisse et prend
télégraphiquement contact avec des intellectuels
britanniques, afin d’obtenir que la marine anglaise
relâche son blocus des côtes françaises. Ayant
reçu un accueil encourageant, il s’en va trouver
Pétain, le 20 septembre semble-t-il, et obtient sa
bénédiction pour poursuivre ses sondages, seulement sur la question du blocus.
Comme dans d’autres domaines, ce sont les événements de Dakar qui semblent avoir changé la
perspective. Ils déclenchent paradoxalement une
tentative de rapprochement franco-britannique,
dont l’épicentre est Madrid. Des conversations
ayant pour but de calmer le jeu en Afrique se
En clair, cet armistice de six mois n’est pas une
offre du gouvernement français mais seulement de
sa tendance la plus anglophile, que Rougier présente, au début de la conversation, comme com-
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Ces deux versions montrent bien la distance entre
la propagande d’après la guerre, faite par des gens
qui en connaissent le résultat et définissent la
conduite à tenir en fonction de lui (ainsi, bien
souvent, que la conduite tenue), et l’histoire, qui
s’efforce de saisir les tâtonnements au jour le
jour. Ni Rougier, ni Churchill, ne savent qu’on va
débarquer en Normandie le 6 juin 1944, sans que
Vichy se soit allié, dans l’intervalle, avec
l’Allemagne, et tous deux craignent, quoique inégalement, qu’une telle décision soit en gestation
après Montoire. Elle serait plus catastrophique
pour Rougier, dont le projet de redorer le lustre
du maréchal s’écroulerait, que pour Churchill,
pour qui seul compte le résultat final et qui, en
l’occurrence, escompte qu’une menace immédiate
de mainmise allemande sur l’Afrique française
hâterait l’entrée en guerre des Etats-Unis.
posée de Weygand et de Charles-Roux -sans paraître s’aviser que ni l’un ni l’autre ne sont au gouvernement. Il s’agit de donner du poids, et à cette
tendance, et à sa proposition d’armistice colonial,
en montrant qu’elle a les faveurs de l’Angleterre,
et l’espoir que Vichy se rallie à cette solution ne
serait pas nul.
C’est alors que la mission Rougier entre en interférence avec la conversation de Montoire. Voyons
d’abord brièvement ce qu’en dit son auteur, à
partir de 1945, dans un livre plusieurs fois remanié, mais constant sur cet épisode : à l’heure
même de Montoire, il était en conversation amicale avec Churchill et lui proposait un armistice
colonial (il tait toute mention d’une durée). Le 26,
il revoit le premier ministre qui, furieux, lui reproche non seulement la rencontre Pétain-Hitler
mais son résultat, tel que le relate la presse britannique à partir de renseignements venus de
Suisse : un traité va être signé, aux termes duquel
la France entre dans la guerre aux côté de
l’Allemagne et lui prête ses colonies, ainsi que sa
flotte. Avec un sang-froid teinté de mépris,
l’émissaire français dit que de tels bruits sont
forgés par quelque officine allemande, qu’un
premier ministre britannique n’a pas à en tenir
compte et que lui-même se porte garant que Pétain ne signera rien de tel. Et Churchill, alors, de
se calmer, et de reprendre la négociation d’un
accord secret, qui aurait fini par aboutir au bout
de quelques jours à un “ mémorandum ” annoté
par Churchill et soumis à la signature de Pétain.
L’étrange chute de Baudouin
et de Charles-Roux
Un point n’avait jamais été mis en lumière, bien
que l’information à son sujet date de 1967, à
l’occasion de la publication – pourtant bien partielle – du journal de Harold Nicolson, alors secrétaire parlementaire au ministère anglais de
l’Information. Les faux bruits sur l’accord négocié à Montoire, et sur le point d’être signé, faisant
rentrer l’empire colonial français dans la guerre
aux côtés de l’Allemagne, émanent non de Berne
mais de Madrid et c’est La Baume qui les a
transmis, avec angoisse, à Samuel Hoare. Le cabinet, réuni l’après-midi, avait décidé de faire
publier ces rumeurs dans la presse, tout en les
attribuant, pour ne pas découvrir La Baume, à une
source suédoise ou helvétique.
Tout cela semble entièrement imaginaire. Lors de
son premier entretien avec Rougier, qui a lieu le
25 et non le 24 (nous ignorons s’il y en eut
d’autres ensuite, mais sommes assurés qu’il n’y
en eut pas avant), Churchill ne parle pas des
bruits qui courent sur la rencontre de Montoire,
alors qu’il les connaît, et passe directement aux
conséquences : si la France de Vichy entre en
guerre, sa capitale sera bombardée, et un gouvernement dissident devrait se former en Afrique du
Nord, avec lequel les Anglais sont prêts à
s’entendre. En revanche, si Vichy résiste aux
pressions allemandes, le blocus sera relâché, mais
dans ce cas encore il faudrait mettre en place une
“ sphère de résistance ” en Afrique du Nord, que
les Anglais assisteraient. Weygand est invité à
envoyer un officier à Gibraltar pour en causer et
Rougier va adresser un message à Vichy par
l’intermédiaire de Hoare, adjurant son gouvernement de ne rien décider avant son retour.
Il est exclu qu’un diplomate aussi expérimenté les
ait inventées. Il serait tout aussi srprenant qu’il ait
agi sans instructions de son ministère. Cependant,
il n’apparaît pas comme l’interprète de son gouvernement, puisqu’il le trahit en en disant du mal
et, qui plus est, à tort. Quelqu’un, à Vichy, a donc
agi en franc-tireur. Quelqu’un d’influent sur les
fonctionnaires des Affaires étrangères. La teneur
du message nous permet d’être encore un peu plus
précis : il est dit que le gouvernement de Vichy
doit se décider, dans la journée du 25, au sujet de
sa participation à la guerre, proposée par
l’Allemagne, et que deux camps se dessinent,
Pétain et Weygand penchant pour le refus, Laval
et Darlan pour l’acceptation. Nous reconnaissons
bien là Charles-Roux, très lié à Weygand et
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s’efforçant de présenter ses options, qu’il partage,
comme celles de Pétain.
septembre, que Hitler hésite à envahir
l’Angleterre, Weygand et Charles-Roux se mettent à pencher vers l’attentisme, mais ils sont bien
les seuls (je veux dire à leur niveau de responsabilité, car certainement beaucoup de leurs subordonnés respectifs les approuvent). La totalité du
gouvernement remanié le 5 septembre songe, au
contraire, à profiter de la prolongation probable
de la guerre pour monnayer auprès de
l’Allemagne les services que pourrait lui rendre la
France. Ce contexte seul permet d’expliquer la
proclamation de la Révolution Nationale (10 octobre) et le statut des Juifs. Ce dernier est, dans
l’immense majorité des livres et des articles, daté
du 3 octobre. En fait il est du 18 : c’est ce jour-là
qu’il est publié à l’Officiel, comme ayant été
adopté en conseil des ministres le 3, mais rien
n’en avait entre-temps filtré. Par ailleurs, un tel
délai de publication tranche avec les habitudes. Il
y a donc eu certainement des hésitations et probablement des tractations, auxquelles on a tout lieu
de croire qu’Abetz a été mêlé.
Les soupçons sont encore renforcés par les silences de ses mémoires. Le récit très factuel et assez
chronologique de ses “ cinq mois tragiques aux
Affaires étrangères ” s’achève pratiquement le 21
au soir, lorsqu’on apprend le départ de Laval pour
une destination mystérieuse qui se révélera être le
premier rendez-vous de Montoire. Lui qui s’est
décrit, au cours des semaines précédentes, débordant d’activité pour contrarier les initiatives du
ministre auvergnat, voilà que tout d’un coup il
aurait pris une pose de spectateur et attendu la
suite en victime résignée, jusqu’à sa démission, le
30 octobre, suivant avec un intervalle de deux
jours, d’ailleurs inexpliqué, celle de Baudouin et
son remplacement par Laval, survenu le 28.
Or, précisément, le 30, rien de décisif n’était survenu et Vichy ne s’était guère plus compromis
que dans les jours précédant Montoire qui avaient
vu, entre autres, l’adoption du statut des Juifs, le
18 octobre. Puisque l’entrevue de Montoire n’a
encore débouché sur rien de concret, il n’y a aucune raison que Charles-Roux abandonne son
action dont il exprime lui-même ainsi, en 1949,
résumant une note du 14/10/1940, la philosophie :
“ Encadrer de quelques garde-fous la voie d’une
négociation franco-allemande3 ”. Il y a encore
moins de raisons que Baudouin, dont le grief essentiel contre Montoire est de ne pas y avoir été
convié, cède son fauteuil à Laval qui ne le brigue
d’ailleurs pas, préférant l’Intérieur. Ces démissions en cascade s’expliqueraient en revanche
beaucoup mieux par la découverte de la faute de
La Baume, et par une enquête sur ses origines -La
Baume lui-même n’étant pas sanctionné, car sa
mutation en novembre à Berne, autre ambassade
importante, avait été prévue avant ces événements.
Quoi qu’il en soit, la date du 18 invite, bien plus
que celle du 3, à regarder le statut comme une
manière de dérouler sous les pas de Hitler le tapis
rouge de Montoire. Ce qui contribue d’ailleurs à
expliquer la persistance de la datation du 3,
conforme à l’idée dominante que le statut procède
essentiellement d’un antisémitisme autochtone,
enraciné dans l’affaire Dreyfus. Il est sûr qu’une
certaine droite, dont Charles Maurras est la figure
la plus typique, est comme un poisson dans l’eau
de Vichy, du moins à cette époque. Son influence
est patente, aussi bien sur le statut que sur la déclaration du 10 octobre qui lance la Révolution
nationale. Il n’en reste pas moins que le gouvernement n’est pas obnubilé par des soucis de revanche interne mais, bien plutôt, par la conduite à
tenir vis-à-vis de l’Allemagne. Le ministre maurrassien Alibert peut bien, début juillet, déclarer en
privé qu’il prépare un statut des Juifs “ aux petits
oignons ”, le plat ne sera servi qu’à la veille de
Montoire, dans l’espoir d’obtenir cette entrevue et
de la placer sous les meilleurs auspices. Une
preuve subsidiaire en est donnée par l’absence de
toute mesure d’application du statut entre le 18 et
le 24, signe que seul comptait, dans l’immédiat,
ce qu’on appellera plus tard un “ effet
d’annonce ”. Nous pouvons en conclure que les
réactionnaires du gouvernement de Vichy pratiquent une forme de vertu : ils s’interdisent de
faire ce dont ils meurent d’envie, tant que
Grâce à Hitler...
En fait, Charles-Roux avait quelques raisons de
s’affoler. Sa conspiration avec Weygand était un
combat d’arrière-garde, quasiment désespéré, si
on s’en tient aux données vichyssoises du problème. Depuis août, par petites touches, le glissement de Vichy vers l’Allemagne ne cesse de
s’accentuer. Lorsqu’il apparaît, vers la mi3
Charles-Roux (François),Cinq mois tragiques aux
Affaires étrangères, Paris, Plon, 1949, p. 368.
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pas définie. Le refoulement du gaullisme en Afrique se cache au détour d’une phrase où l’orateur
affirme que la France “ reste souveraine ” et qu’il
lui appartient, en conséquence, de “ réduire les
dissidences de ses colonies ”. Mais ce n’est pas
Pétain qui s’est ravisé, c’est Hitler qui l’a
contraint à plus de retenue en lui faisant endosser
un communiqué évasif sur les modalités de la
collaboration. Dans ce discours, Pétain, en maintenant explicitement son offre de collaboration
militaire par le biais de la défense de l’Empire,
garde donc exactement la même posture qu’à
Montoire.
l’Allemagne n’a pas l’air disposée à faire des
concessions en échange.
Mais cette vertu a son vice : la multiplication des
petits pas, destinés à montrer à l’Allemagne qu’on
est disposé à nazifier la pays, pourvu qu’elle accorde
des
récompenses
en
termes
d’adoucissement de l’armistice et, surtout,
d’engagements sur le traité de paix. Ces signes
abondent dès le départ et balisent le chemin de
Montoire comme les cailloux du petit Poucet.
Une théorie bien peu exacte, et encore très répandue, veut que Pétain soit allé à Montoire demander une politique plus clémente au sujet des prisonniers, de l’Alsace-Lorraine et de la ligne de
démarcation. Certes il avait ces choses en tête
mais une autre primait : l’offre d’une entrée en
guerre de la France contre l’Angleterre, par le
biais de la reconquête des colonies gaullistes.
Pétain en parle dès sa première tirade, puis Laval
revient à la charge. Hitler fait la sourde oreille et
maintient la discussion dans des généralités, après
quoi il impose un communiqué suivant lequel les
deux parties ont décidé d’une collaboration, dont
les modalités seront définies plus tard. Ni Pétain,
ni Laval n’ont dit un mot des prisonniers, de la
ligne de démarcation ou de l’Alsace.
Elle va changer, cependant... toujours en raison de
l’attitude allemande. Là encore, il faut redresser
une idée reçue. On croit quelquefois que les messages très durs du président américain et du roi
britannique ont fait réfléchir le maréchal. C’est si
peu vrai qu’il laisse Laval rédiger, tardivement,
des réponses cassantes. Le point important, c’est
que, parfaitement conscient de s’être compromis à
Montoire, il en attendait des contreparties immédiates et que non seulement elles ne viennent pas,
mais qu’au contraire les camouflets s’accumulent.
Vichy et l’Allemagne discutent alors tous les
jours, à la commission d’armistice de Wiesbaden.
Au lendemain de Montoire, les délégués français
s’attendent à un changement d’atmosphère, et ont
la déception de n’en constater aucun. Le ton est
donné par Ribbentrop à Abetz dans une note du 4
novembre : il lui demande de faire comprendre au
gouvernement français que l’Allemagne n’admet
pas les “ conclusions unilatérales en faveur de la
France que Laval semble tirer ” de la rencontre du
wagon. Une provocation achève de gâcher
l’ambiance. Cent mille habitants de la Moselle,
qui refusent de devenir allemands, sont expulsés
vers le sud de la France : l’annonce en est faite le
3 novembre à Wiesbaden, Laval demande un rendez-vous au Gauleiter de Metz, qui l’accorde pour
le 7 puis le décommande, annonçant que la mesure est exécutoire le... 11 novembre. Hitler, qui a
le sens des dates, choisira aussi deux ans plus tard
celle du “ honteux ” armistice de 1918 pour envahir la zone sud.
C’est donc Hitler, et lui seul, qui permet à la
France vichyste de sauver ce qui lui reste de virginité, en n’entrant pas en guerre à ses côtés. Mais
Pétain et Laval ne vont pas tirer de l’excursion les
mêmes enseignements.
La reconversion du maréchal
Pétain fait, le 30 octobre, un discours célèbre,
pour expliquer à ses compatriotes désorientés ce
qu’il est allé faire à Montoire. Un membre de
phrase, en particulier, retient l’attention. Il explique que la collaboration “ dans la voie ” de laquelle il engage le pays est “ exclusive de toute
pensée d’agression ”. Beaucoup entendent
“ agression contre l’Angleterre ” et en concluent
que Pétain a négocié une collaboration économique et non militaire, voire qu’il aurait refusé mordicus à Hitler une entrée en guerre de la France.
Mais ici, comme dans le compte rendu des discussions rendu public depuis 1961 et en général très
peu pris en compte, on s’abstient de remarquer la
reconquête annoncée des colonies gaullistes. Il est
vrai que, dans la conversation, Pétain a expliqué
que, pour lui, la collaboration consistait en cette
reconquête, alors que dans ce discours elle n’est
Mais à présent c’en est trop pour Pétain. Un tournant important se produit le 9 novembre, jour où
il approuve une “ note sur la collaboration ” demandée le 7 à l’amiral Darlan, et expédie à
Weygand une lettre qui s’en inspire. C’est alors
que la collaboration est définie comme strictement économique. Le maréchal ment effronté-
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tes traqués, des auditeurs de la BBC pourchassés,
qui se met en place dans les semaines suivant
Montoire, qui sont aussi celles où le slogan de
“ révolution nationale ” prend son bref essor. Et si
le statut des Juifs n’a pas rempli sa fonction
d’assouplisseur des relations, il va finalement,
avec des inégalités de zèle révélatrices suivant les
ministères, s’appliquer dans toute sa rigueur au
bout de quelques mois.
ment au général qui, après Montoire, avait manifesté par plusieurs messages sa grande inquiétude,
en prétendant qu’il s’est contenté de réclamer à
Hitler “ l’amélioration du sort des prisonniers, du
ravitaillement, des communications, etc. ”
Pendant ce temps, Weygand avait eu la visite de
Rougier, porteur d’un message de Churchill
l’invitant à entrer en dissidence. S’il n’en fait
rien, il semble tout de même que l’idée d’un armistice colonial en Afrique fasse son chemin. En
témoigne en particulier le fait qu’avant Montoire
il ait préparé assez activement des opérations
contre les positions gaullistes, alors qu’après il
semble traîner les pieds, notamment lorsqu’à la
mi-novembre le ministre des colonies, l’amiral
Platon, vient le secouer. Un moment de vérité
survient lorsque Leclerc attaque le Gabon, dernière portion d’Afrique Equatoriale française qui
manquât aux gaullistes. Sa capitale Libreville est
investie le 7 novembre, précisément le jour où
Pétain amorce son tournant. La presse de Vichy
reste discrète, alors qu’elle s’était déchaînée au
moment de Dakar, et Weygand n’envoie pas le
moindre renfort. Tout se passe comme si Vichy
entendait tenir fermement le Maghreb et l’AOF,
en laissant l’AEF à la “ dissidence ”.
Il est clair qu’après un délai d’une quinzaine,
Pétain, contrairement à Laval, a eu honte de Montoire et a compris que l’ennemi ne visait qu’un
effet, dirions-nous aujourd’hui, médiatique, auquel il s’était prêté avec une sotte complaisance.
Mais il n’est pas moins clair qu’il a choisi de
boire jusqu’à la lie le vin qu’il avait tiré, en interdisant de plus en plus toute critique aux Français.
Conclusion
Deux mythes commodes et symétriques ont longtemps empêché de comprendre Montoire : de ce
qu’il n’en est rien sorti, les vichystes d’alors et
d’aujourd’hui infèrent que rien ne s’y est passé;
de ce que le mot “ collaboration ” orne à partir de
ce jour le fronton de la politique de Vichy, les
résistants et leurs épigones concluent qu’un seuil
d’infamie a été franchi. Les premiers vous expliquent qu’une poignée de main est un geste sans
conséquence alors que pour les autres elle transmet toutes les maladies.
Cependant, autour de Laval, un noyau activiste se
fait jour. L’Auvergnat, contrairement à Pétain, ne
pense pas qu’on est allé trop loin à Montoire,
mais pas assez. Il va s’entêter dans sa politique de
concessions unilatérales destinées à séduire
l’Allemagne et mener avec conviction des pourparlers avec les Allemands sur la reconquête du
Tchad. Son renvoi, le 13 décembre, prend donc
racine dans la divergence sur les leçons à tirer de
Montoire qui se fait jour le 9 novembre.
Tout a été faussé par le résultat de la guerre, inattendu de tous les acteurs, sauf peut-être Churchill
et de Gaulle, en ce mois d’octobre. Un Reich occupé et écrasé grâce à l’engagement vigoureux de
l’URSS et des Etats-Unis, voilà un dénouement
dont on chercherait en vain l’esquisse dans les
propos, non seulement des nazis ou de leurs plus
zélés serviteurs français, mais de Weygand, Rougier ou Charles-Roux, qui s’efforçaient d’espérer
une paix blanche entre adversaires épuisés. Or en
1945, non seulement ces trois-là affirment qu’ils
ont pressenti très tôt le dénouement, et faussent
ainsi le sens de leurs efforts d’octobre 40 qui
consistaient seulement à maintenir un certain
équilibre entre Berlin et Londres, mais ils accueillent généreusement sous ce parapluie ceux qui
fonçaient tête baissée vers Montoire, Pétain le
premier.
Il est plus juste de dire que tout découle de
l’armistice et que ce texte, dont chaque mot a été
pesé pour ôter au signataire français toute marge
Il ne faudrait pas croire pour autant qu’alors le
régime de Vichy devienne tant soit peu
“ résistant ”. Bien au contraire. Sa politique
d’avant Montoire et des jours immédiatement
postérieurs, même si elle reposait sur une forte
dose d’autosuggestion, avait au moins quelques
ambitions patriotiques. A présent c’est plutôt
l’autoconservation qui est de mise. L’une des
conséquences les plus nettes de Montoire est le
durcissement du régime sur le plan intérieur,
qu’exprime bien, en une de ses phrases finales, le
discours du 30 : Pétain dit qu’il a parlé jusque là
le langage d’un père et qu’il passe à présent au
langage “ du chef ”. C’est le Vichy des voyages
triomphaux, des cardinaux bénisseurs, des gaullis-
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Darlan vient occuper pendant l’année 41 la fonction de Laval, qui l’amènera, lui, à Berchtesgaden
en mai : prélude à la collaboration militaire avortée des “ protocoles de Paris ” et au second statut
des Juifs, aggravant le premier et, comme lui,
soigneusement appliqué.
de manœuvre, l’oblige à une alternance de dialogues compromettants et de bouderies stériles. Les
rôles, jusqu’au début de novembre, sont assez
indistincts. C’est alors que se fait jour une spécialisation de Laval dans le dialogue compromettant,
et de Pétain dans une attitude plus hautaine qui se
garde d’aller jusqu’à la rupture. Ils resteront liés,
jusque dans la condamnation à mort, même si
Bibliographie
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secrets de Hitler, Paris, Fayard, 1969.
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