PARTIE I Présentation Du syndrome de fatigue chronique

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PARTIE I Présentation Du syndrome de fatigue chronique
PARTIE I
Présentation du syndrome
de fatigue chronique
La complexité du syndrome de fatigue chronique rend quelque
peu difficile la tâche d’en bien cerner la problématique qui lui est
inhérente. En effet, le mot « syndrome » signifie le regroupement en
une entité de plusieurs symptômes ayant une même cause. Pourtant,
à partir d’une étiologie à caractère hétérogène, on tend de plus en plus
à circonscrire la maladie autour d’une fatigue de type épuisement, à
laquelle s’ajoutent des problèmes liés aux systèmes cardiovasculaire,
digestif, endocrinien, immunitaire, lymphatique et respiratoire. Quoi
qu’il en soit, il s’agit d’une véritable maladie, maintenant reconnue par
diverses autorités compétentes.
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Présentation
L
a question du nom de la maladie constitue un problème difficile à
régler, étant donné les différentes perspectives selon lesquelles on
identifie le syndrome de fatigue chronique, et il n’existe pas encore
de nom officiel libre de toute controverse. Pourtant, il est certain que
l’appellation « syndrome de fatigue chronique » est réductrice, car elle
occulte les anomalies biochimiques et celles reliées aux différents
systèmes du corps.
LE PROBLÈME DU NOM
Pour les besoins de ce volume, le terme « syndrome de fatigue chronique » sera utilisé afin de faciliter la lecture et la compréhension, étant
donné que c’est l’appellation la plus reconnue. Le débat demeure
toutefois entier, puisque le nom de « syndrome de fatigue chronique »
tronque grandement la réalité du problème. D’abord, la fatigue dont il est
question correspond bien davantage à de l’épuisement et elle constitue
simplement un symptôme parmi tout un ensemble, sans en être toujours
le principal. Ensuite, cette appellation occulte carrément les aspects de
douleurs et d’incapacités, sans parler des perturbations neurocognitives ou immunitaires. C’est pour cela que les noms « encéphalomyélite
myalgique » et « syndrome de la dysfonction immunitaire et de la fatigue
chronique » subsistent.
L’appellation « encéphalomyélite myalgique » est apparue à la suite
d’une épidémie ayant eu cours au Royal Free Hospital de Londres, en
1955. L’inexactitude de ce nom provient de l’absence de preuves de
l’inflammation du cerveau et de la moelle épinière (encéphalomyélite),
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L’ENCÉPHALOMYÉLITE MYALGIQUE OU SYNDROME DE FATIGUE CHRONIQUE
et de la présence non universelle des douleurs musculaires (myalgie),
malgré la présence de vasculite ou d’inflammation de vaisseaux du
cerveau. Toutefois, ce vocable permet de distinguer la fatigue chronique générale et la fatigue chronique associée à des symptômes
neurologiques.
Le terme « syndrome de la dysfonction immunitaire et de la fatigue
chronique » a été proposé afin de tenir compte des avancées de la
recherche mettant en cause un dérèglement du système immunitaire.
Pour plusieurs patients, il illustre le caractère secondaire de la fatigue.
Pourtant, il semble difficile d’évaluer l’importance des perturbations
immunitaires au niveau des causes des symptômes.
Le nom « syndrome de fatigue chronique » est apparu au moment
de la première définition1 acceptée par le Centre des maladies infectieuses (CDC ) d’Atlanta aux États-Unis, en 1988. En faisant référence
à une description de la maladie basée sur un seul symptôme, on a ainsi
évacué toute allusion à la cause, alors inconnue. Même s’il est navrant
et réducteur, ce terme s’est toutefois imposé comme le plus usuel,
peut-être par commodité.
Le terme « syndrome » illustre une situation médicale correspondant
à une condition dont le diagnostic repose sur une combinaison de
symptômes ou de signes. D’un autre côté, le mot « chronique » révèle
le caractère de longue durée, généralement supérieure à six mois,
d’une maladie. Dans le contexte du syndrome de fatigue chronique, le
symptôme que l’on retrouve le plus souvent est la fatigue sévère.
DÉFINITION
Pour mieux comprendre le syndrome de fatigue chronique, nous proposons trois définitions différentes afin d’illustrer le caractère complexe et mystérieux de cette maladie à large spectre. Afin d’élaborer
une définition il faut tenir compte de la difficulté de bien qualifier
le syndrome. En effet, la fatigue est souvent un aspect du problème
parmi un ensemble de dérèglements et n’est elle-même pas très conforme à la réalité. Par ailleurs, les ramifications du syndrome n’étant
pas complètement cernées, nous sommes contraints de nous en tenir
à une définition incomplète et donc litigieuse. Voici néanmoins trois
définitions établies par des sommités en la matière.
1. Il s’agit d’une définition de recherche standard qui n’a rien à voir avec l’aspect clinique
du syndrome.
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Présentation
Pour le médecin canadien Bruce M. Carruthers2, le syndrome de
fatigue chronique est une maladie systémique acquise sévère ayant des
symptômes relatifs à des dysfonctions neurologiques, immunologiques
et endocriniennes.
Les chercheurs belges Kenny de Meirleir et Patrick Englebienne3,
quant à eux, soutiennent que le syndrome de fatigue chronique se
définit cliniquement comme une fatigue persistante et débilitante
qui dure au moins six mois et qui s’accompagne d’une série de
symptômes : troubles neurocognitifs, douleurs musculaires, douleurs
aux articulations, maux de tête, problèmes de sommeil, malaises après
exercices, problèmes de ganglions lymphatiques et maux de gorge.
Enfin, le médecin américain Jacob Teitelbaum, ayant lui-même
souffert de la maladie durant les années 1970, stipule que le syndrome
de fatigue chronique constitue un ensemble de symptômes associés
à une fatigue sévère et non réparatrice. Parmi les symptômes on
trouve des problèmes de sommeil, diverses douleurs, des problèmes
de mémoire à court terme, des problèmes de concentration, des
problèmes à trouver le mot juste, des troubles d’orientation, une
grande soif, des problèmes d’intestin, des infections récurrentes et de
l’épuisement après exercices.
Sur le plan clinique, la définition du CDC d’Atlanta s’avérait
incomplète4, et c’est pour remédier à cette carence qu’une rencontre
d’experts internationaux a eu lieu au Canada, en avril 2001. Cette
réunion a constitué le point culminant d’une démarche amorcée
auparavant par Santé Canada afin d’établir un consensus concernant
une définition clinique du syndrome de fatigue chronique. Il s’agissait
d’un premier consensus à l’échelle mondiale. Or, pour y arriver,
11 médecins, ayant soigné ou diagnostiqué plus de 20 000 patients
du syndrome de fatigue chronique, se sont concertés. Les experts ont
établi le consensus en deux temps, puisqu’ils ont retenu 10 éléments
de la définition du CDC de 1994, d’une part, en y ajoutant 10 éléments
nouveaux, d’autre part (annexe 1).
Les données épidémiologiques concernant le syndrome de fatigue
chronique sont difficiles à établir, mais il n’en demeure pas moins que
les femmes constituent 75 % à 80 % des personnes atteintes. L’étiologie
2. Carruthers, Bruce M., M.D., et al.
3. De Meirleir, Kenny, M.D., et Englebienne, Patrick, Ph.D.
4. Carruthers et al.
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L’ENCÉPHALOMYÉLITE MYALGIQUE OU SYNDROME DE FATIGUE CHRONIQUE
du syndrome de fatigue chronique continue à être étudiée, notamment
en raison de l’hétérogénéité du syndrome, qui rend difficile la tâche
d’établir une cause unique. Par conséquent, plusieurs chercheurs
soutiennent que le syndrome correspond à un ensemble commun
de symptômes déclenchés par des combinaisons variées de facteurs
infectieux et non infectieux5. Selon certaines observations, 60 % à 80 %
des patients ont vécu à un moment précis un processus viral apparenté
à une grippe, avec douleurs musculaires et articulaires, et affirment
qu’ils ne sont plus les mêmes depuis6.
D’après une étude menée auprès de jumeaux 7, les gènes pourraient avoir un rôle à jouer dans l’étiologie du syndrome de fatigue
chronique. Selon les auteurs, le taux relatif de l’influence génétique
dans l’apparition de la fatigue chronique qui n’est pas due à des
exclusions médicales ou psychiatriques, c’est-à-dire le syndrome de
fatigue chronique, avoisinait 51 %8.
HISTORIQUE
Le syndrome de fatigue chronique ne semble pas constituer une nouvelle maladie, puisque depuis longtemps on rapporte des tentatives
d’explication de cette grande fatigue. Dès 2000 avant J.-C., Hammourabi
décrivait déjà les manifestations de la maladie9. En 1750, on a essayé,
avec le traité de Manningham sur la fébricule, de trouver des explications psychologiques et biologiques à la fatigue accompagnée de
problèmes musculaires et neurologiques10. Celle qui est considérée
comme l’ancêtre des infirmières, la Britannique Florence Nightingale,
est revenue de la guerre de Crimée, en 1812, complètement épuisée.
Elle a passé plusieurs années chez elle, trop fatiguée pour recevoir plus
d’un visiteur à la fois, après avoir connu une vie énergique et active.
Il est vraisemblable de penser, tenant compte de son exposition aux
infections et de son travail inlassable, qu’elle ait été atteinte de ce qui
est aujourd’hui connu comme le syndrome de fatigue chronique.
5.
6.
7.
8.
9.
10.
[ChronicFatigueSupport.com/library/cfsdiagnosis.cfm].
Shor, 2003.
Buchwald et al., dans Shor, 2003.
Shor, 2003.
Lapp : AASFC, 2003.
Phaneuf, 1998.
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Présentation
Plus tard, lors de la guerre de Sécession aux États-Unis (18611865), le neurologue en chef des forces de l’Union a consacré un livre
à la version d’alors du syndrome de fatigue chronique, la « maladie
du soldat11 ». Le terme « neurasthénie », quant à lui, a été proposé en
1869 par George Beard. Bien que maintenant dépassé, il est encore
utilisé pour décrire un état de grande fatigue, souvent accompagnée de
troubles psychiques associés à des problèmes névrotiques représentés
par l’insomnie, la tristesse, l’angoisse et l’indécision.
Depuis les années 1930, la littérature médicale évoque des cas de
maladies comparables ayant connu des appellations différentes. Ainsi,
en 1934, on a assisté, en Californie, à une épidémie de poliomyélite
atypique dont les symptômes correspondaient à ceux du syndrome
de fatigue chronique. Le médecin britannique Melvin Ramsay a été le
premier spécialiste à observer que les personnes atteintes du syndrome
de fatigue chronique, alors appelé neurasthénie, demeuraient malades
même après de longues périodes de repos et que dans certains cas il
n’y avait aucune guérison. Ces constatations ont été faites lors d’une
épidémie chez des infirmières du Royal Free Hospital de Londres, en
1955. Jusqu’alors connue sous le vocable « neurasthénie », la maladie
a été renommée par le Dr Ramsay « encéphalomyélite myalgique »
(myalgic encephalomyelitis).
En 1969, Luis Leon-Sotomayor a publié à New York un livre
intitulé Epidemic Diencephalomyelitis : A Possible Cause of Neuropsychiatric, Cardiovascular and Endocrine Disorders. Or, malgré des
signes d’infection, des troubles du système nerveux central, l’hypertrophie du foie et de la rate, des problèmes de ganglions et de muscles,
et le fait que certaines personnes avaient toujours des limitations
fonctionnelles après plus de 15 ans, deux psychiatres britanniques,
les Drs McEvedy et Beard ont conclu, en 1970, que le syndrome de
fatigue chronique était de « l’hystérie collective12 ». Pour la Dr Ellen
Goudsmit, psychologue, l’hypothèse de l’hystérie collective découlait
de l’impossibilité d’identifier une cause organique, et ce, malgré des
symptômes évidents indiquant la présence d’un agent infectieux13.
Plus près de nous, c’est dans les années 1980 que l’intérêt pour
le syndrome de fatigue chronique s’est manifesté avec une première
définition proposée en 1988 par le Centre américain des maladies
11. Jacobs, Gill.
12. Jacobs.
13. [freespace.virgin.net/david.axford/artic102.htm].
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L’ENCÉPHALOMYÉLITE MYALGIQUE OU SYNDROME DE FATIGUE CHRONIQUE
infectieuses, établi à Atlanta, qui a donné le nom de « syndrome
de fatigue chronique ». Cette définition faisait suite à une épidémie
dite du « lac Tahoe » qui s’est déroulée à partir de 1982 et que l’on
a appelée « syndrome du lac Tahoe » ou « syndrome des yuppies14 ».
Selon le Collège des médecins du Québec, qui a reconnu le syndrome
de fatigue chronique en 1998, le premier rapport canadien concernant
la maladie a été publié en 1985. C’est à Cambridge, en Angleterre, en
avril 1990, qu’a eu lieu la première rencontre mondiale consacrée au
syndrome de fatigue chronique.
En 1992, le Dr Byron Hyde, médecin d’Ottawa, a publié une encyclopédie concernant le syndrome de fatigue chronique, en collaboration
avec les Drs Jay Goldstein et Paul Levine, intitulée The Clinical and
Scientific Basis of Myalgic Encephalomyélitis/Chronic Fatigue
Syndrome15. Regroupant la plupart des recherches sur le syndrome
étalées sur une période de 10 ans, cette compilation de 75 chapitres
et 725 pages aborde différents aspects de la maladie comme l’histoire,
l’épidémiologie, le syndrome de fatigue chronique chez les enfants,
l’investigation, la virologie, l’immunologie, la réponse d’un porteur de
parasite (host response), l’intolérance alimentaire, la cartographie du
cerveau, la neurophysiologie, la neuropsychologie, la psychiatrie, les
troubles du sommeil, la fibromyalgie, le traitement et la gestion de la
maladie. Fait intéressant à noter, 80 personnes ayant des connaissances
de pointe sur le syndrome, à l’époque, ont contribué à la réalisation de
cet ouvrage.
Au Québec, c’est en juin 1998 que le Collège des médecins du
Québec a publié ses Lignes directrices concernant le syndrome de
fatigue chronique, signifiant ainsi une reconnaissance formelle de la
maladie. Dans ce document, le Collège se penche sur la définition,
l’épidémiologie, l’étiologie, l’évaluation médicale, le diagnostic différentiel et l’investigation de base, et sur les principes directeurs en
matière d’invalidité. Enfin, en 2001, le consensus se fait sur une définition clinique.
14. Phaneuf, 1998.
15. Nightingale, 1993.
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Présentation
RECHERCHE
Pour Gill Jacobs, conseiller de l’organisation britannique Action for
ME, la recherche a démontré l’existence de problèmes liés au système
immunitaire. Selon le Dr Leonard Jason, psychologue américain, les
chercheurs ont longtemps mis l’accent sur la perspective virale, estimant qu’un virus était à l’origine du syndrome de fatigue chronique.
À l’heure actuelle, pourtant, il devient de plus en plus évident qu’il s’agit
d’un ensemble constituant une maladie cliniquement distincte, dont
l’origine provient d’une combinaison de facteurs16. Le Dr Jason estime
que les recherches tiennent également de plus en plus compte de l’aspect des problèmes cérébraux transitoires présents dans le syndrome
de fatigue chronique17.
Par ailleurs, le chercheur belge Kenny De Meirleir et ses collègues
abordent les perspectives biochimiques concernant les anomalies moléculaires et les problèmes antiviraux liés au système immunitaire. De
manière globale, toutefois, lorsqu’on jette un coup d’œil au résumé de
la conférence de janvier-février 2003 de l’American Association for
Chronic Fatigue Syndrome (AACFS), on s’aperçoit que la recherche
touche plusieurs aspects du syndrome de fatigue chronique : la biochimie
l’épidémiologie, l’immunologie, l’infectiologie, l’aspect psychosocial, la
physiologie, le système nerveux central, la technologie médicale, la
toxicologie et les traitements18.
16. Wall : [www.ChronicFatiguesupport.com].
17. Idem.
18. AACFS : [www.aacfs.org].
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