Prix Women World Summit Foundation (WWSF) pour la créativité en

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Prix Women World Summit Foundation (WWSF) pour la créativité en
Prix Women World Summit Foundation (WWSF) pour la créativité en milieu rural 2010
Candidate :
NARMADA BALDEVA GOND - ÂGE: 60 ans
VILLAGE DE CHILGHAT, DAMOH DISTRICT – BUNDELKHAND, MADHYA PRADESH – INDE
Contact : c/o Ekta Parishad : Gandhi Bhavan, Shyamala Hills
Bhopal-4223821, INDE. Tèl : +91 755 422 821. Email: [email protected]
NARMADA:
LA LUTTE NON VIOLENTE POUR L’ACCÈS À LA TERRE
ET LA DEFENSE DES DROITS DES PLUS PAUVRES
Dossier présenté par :
Liliane de Toledo Grant, 53 chemin Planta, 1223 Cologny/Genève – Suisse
Tèl : +41 22 / 735 86 59 – Email : [email protected]
En annexe : Lettres de recommandation d’Ekta Parishad et de la South Asia Peace Alliance
(SAPA) • Album photo • DVD sur la lutte des femmes rurales pour l’accession à la terre et
copies d’articles de journaux locaux (en hindi)
1
NARMADA: LA LUTTE NON VIOLENTE POUR L’ACCÈS À LA TERRE ET LA
DEFENSE DES DROITS DES PLUS PAUVRES
Ce dossier présenté par Liliane de Toledo Grant –Genevoise ayant longtemps travaillé pour la Croix
Rouge Internationale, passionnée par l’Inde et les défis d’un développement juste et durable- décrit le
parcours de vie et l’action de Narmada, une femme Adivasi 1 originaire de la région très féodale du
Bundelkhand, la plus pauvre de l’Etat indien du Madhya Pradesh. L’histoire de Narmada est aussi celle
d’Ekta Parishad , ou « Forum de l’Unité », large mouvement populaire d’inspiration gandhienne
comptant quelque 380 organisations locales et plus d’un million de sympathisants dans 11'000 villages.
Présent dans 11 Etats (sur 27 que compte l’Union Indienne) et travaillant avec les plus démunis, sa
mission est de réveiller leur force intérieure (empowerment) et de leur donner les moyens de défendre
leurs droits aux ressources vitales que sont la terre, l’eau et la forêt selon des méthodes de lutte nonviolentes. C’est ce que Rajagopal, président d’Ekta Parishad, appelle la troisième voie, entre silence et
violence.
La première fois que j’ai entendu parler de Narmada, c’était en 2006 au grand forum de l’organisation
française Terre du Ciel dont le thème était “Bâtir une civilisation de l’amour” .
Je traduisais l’intervention de Rajagopal, disciple de Gandhi, porte-parole des sans terres et des sans
voix de l’Inde et fondateur du mouvement social indien Ekta Parishad. Il s’adressait à une assemblée de
quelque 1 500 personnes, les exhortant à agir en faveur d’ une société planétaire plus équitable et plus
solidaire. Afin d’ inspirer les participants à se mobiliser en dépassant leur sentiment d’impuissance, il
leur raconta l’histoire de Narmada.
Narmada, Adivasi illettrée était réduite à louer ses bras à qui voulait bien lui offrir du travail comme
ouvrière agricole ou manœuvre pour la construction et l’entretien des routes, ce qui lui rapportait un
salaire de 20 à 35 roupies (CHF 0,50 à 0,80) par jour. Comme une immense majorité des travailleurs
non qualifiés en Inde, Narmada et sa famille font partie des paysans sans terres expulsés de leurs forêts
ou villages d’origine, sans compensation et contraints aux plus basses tâches. Avec l’accélération du
développement économique ultra libéral et globalisé, toujours plus de surfaces cultivables sont
attribuées à l’expansion des villes et du réseau routier, aux constructions de barrages, aux exploitations
minières et forestières, aux implantations industrielles ou à la création de complexes et parcs
touristiques.
Il y a une vingtaine d’années, Narmada a suivi un premier programme de formation d’Ekta Parishad
conçu pour aider les plus marginalisés à prendre leur destinée en main.
Ce programme incite les participants à quelques prises de conscience fondamentales :
•
1
La pauvreté, n’est pas due au karma2, mais plutôt à une organisation sociale et à un modèle de
développement économique qui favorise les plus riches.
Les Adivasis sont des tribus aborigènes qui sont les plus anciennes populations de l’Inde.
2
Karma : notion hindouiste et bouddhiste selon laquelle la vie en cours est le résultat des actions, positives et négatives,
menées dans une (ou des ) existence(s) précédente(s).
2
•
La pauvreté est aussi due à une mauvaise gestion des maigres ressources disponibles,
notamment à cause de l’alcoolisme et du tabagisme.
•
Les pauvres et les illettrés ont des atouts et des talents qu’ ils doivent utiliser.
•
Les pauvres ont des droits qu’ils doivent connaître et comprendre pour réclamer leur application
aux autorités concernées.
•
La lutte doit être disciplinée et non-violente ; elle doit se mener « tous ensemble » en faisant
abstraction du système des castes ou des appartenances politiques.
•
Il faut apprendre à combattre la peur à l’intérieur de soi pour être en mesure d’agir
courageusement et efficacement à l’extérieur.
•
Les pauvres ne doivent pas demander comme des mendiants, mais dans un rapport d’égalité,
comme des gens qui ont des droits.
•
Tout programme d’action doit être progressif et réaliste.
Cette formation a été pour Narmada le premier pas sur le chemin de l’émancipation.
Quelques années plus tard, elle était prête à agir de manière décisive. Près de son village, il y avait des
terres en friches propriété du “Forest Department” 3, situées au bord d’une rivière et inutilisées. Elle
réussit à convaincre quelque 200 familles vivant dans le dénuement le plus total de s’installer sur ces
terres et de les cultiver. Un beau jour, le groupe s’établit sur ce qui allait devenir le village de Chilghat. Ils
nettoyèrent les champs, construisirent des petites huttes en branchages et commencèrent à cultiver les
700 acres4 qu’ils avaient investis. Narmada, son mari, ses cinq fils et sa fille furent parmi les premiers
occupants : “ Il fallait que nous nous organisions pour ne pas mourir de faim avec nos enfants. Nous ne
devions pas attendre d’aide d’autres que nous-mêmes!”
Après quelques mois, les gendarmes vinrent pour mettre fin à l’occupation et emmener tous les
hommes au poste de police. A cette occasion, Narmada se révéla comme la leader de la communauté.
Avec d’autres femmes, elle s’interposa en disant aux représentants de l’ordre: “ Si vous arrêtez les
hommes, prenez-nous, les femmes, avec eux car nous aussi nous occupons ces terres … vous allez
devoir trouver beaucoup de camions pour nous prendre tous !”. Face à cette résistance inattendue qui
ne fléchit pas au fil des heures, la police quitta les lieux pour revenir quelques semaines plus tard, brûler
les huttes et arrêter sept hommes qui travaillaient dans les champs.
Sous la houlette de Narmada, toute la population de Chilghat augmentée des pauvres des villages
voisins, s’est rendue au poste de police qu’elle a pacifiquement encerclé en déclarant que personne ne
bougerait tant que les hommes n’auraient pas été libérés. Après deux jours d’occupation, les hommes
3
En Inde, Le « Forest Department » est propriétaire d’immenses territoires. Après l’indépendance, seul 1,3% des terres ont
été redistribuées aux paysans qui la cultivent. Le « Forets Department » a le pouvoir de déclasser un terrain agricole pour
l’attribuer à un projet de développement économique privé ou public. C’est pourquoi la réforme agraire et son application est
l’objectif principal d’Ekta Parishad.
4
Ancienne mesure agricole britannique encore utilisée en Inde, 1 acre = environ 52 ares (520 m2).
700 acres = 36 hectares ou 364’000 m2.
3
ont été relâchés. Une poursuite judiciaire fut, cependant, lancée à leur encontre. Les villageois se sont
cotisés pour payer les services d’un avocat , ami d’Ekta Parishad. Avec son aide, ils se sont défendus
pendant de nombreuses années, tout en subissant de nouvelles descentes de police, toujours
repoussées avec la même détermination non-violente.
Environ un tiers des nouveaux villageois se sont découragés et ont abandonné le combat et les lieux.
120 familles sont restées sans se laisser intimider par les harcèlements continus. Elles s’organisèrent et
cultivèrent champs et potagers, construisirent des maisons en pisé, élevèrent vaches et chèvres et
établirent sur ces sols déserts ce qui est devenu un joli village où le mode de vie est très simple (ni eau
courante, ni électricité) mais digne, comprenant même une école pour les enfants, fierté de la
population ! Certaines doivent encore compléter leurs revenus avec des emplois journaliers, cependant
la culture des terres leur assure, à tous, la survie alimentaire. Face à Narmada, cette femme
courageuse qui, avec le soutien d’Ekta Parishad, a su mobiliser sa communauté, la police a, finalement,
abandonné la partie.
Telle est l’histoire que j’avais entendue. Par la suite, j’ai eu l’occasion de me rendre en Inde, de visiter
les projets d’Ekta Parisahd, de rencontrer Narmada dans son village et de découvrir tout ce qu’elle et les
villageois de Chilghat avaient réalisé depuis ce premier acte fondateur de “désobéissance civile”5.
FORMATIONS D’EKTA PARISHAD POUR LES ANIMATEURS ET LEADERS RURAUX
Narmada a suivi plusieurs des formations proposées par Ekta Parishad aux animateurs et leaders
ruraux « aux pieds nus » . Les techniques de transmission sont adaptées à des personnes ayant peu,
ou pas, d’instruction : discussions, réflexions en groupe, débats, chants, théâtre, jeux, démonstrations
pratiques et entraînement aux méthodes de lutte non-violentes développées par Gandhi comme la
marche, le sit-in6 ou le jeûne.
Ces stages lui ont permis, au fil des années, de progresser à titre personnel pour ensuite introduire de
grandes améliorations dans la vie des villageois de Chilghat, mais aussi de bien d’autres villages
puisque, aujourd’hui, c’est elle qui forme et inspire les autres.
Parmi les connaissances acquises figurent l’hygiène de base, les soins de santé primaires, la
connaissance des herbes médicinales, la gestion de l’eau, la collecte de l’eau de pluie, l’enrichissement
de la terre par les méthodes de vermicompost, l’introduction de cultures vivrières et potagères, la
transformation des produits laitiers, la gestion d’un budget familial ou la création d’une caisse d’épargne
villageoise et solidaire selon le système du micro-crédit. Au niveau de l’organisation de ce nouveau
village, elle a contribué à la création d’un conseil de village (dont elle fait partie), appelé Panchayat, fort
5
La désobéissance civile est le refus de se soumettre à une loi, un règlement, une organisation ou un pouvoir jugé inique par
ceux qui le contestent. Henri Thoreau a créé le concept de “désobéissance civile » qui a été repris, entre autres, par Gandhi
et Martin Luther King.
6
Le sit-in est une méthode d'intervention directe qui consiste à s'asseoir sur la voie publique, dans un édifice public ou un
établissement privé et à rester sur les lieux pour interpeller l'opinion et les pouvoirs sur une situation d'injustice afin d’obtenir
la résolution d’un litige.
4
et solidaire capable de lutter contre les tentatives d’expropriation. A noter que les terres occupées ont
été attribuées en fonction de la taille des familles.
L’apprentissage de nouvelles techniques est soutenu par la transmission des valeurs morales
fondatrices de l’approche gandhienne : se préoccuper des plus pauvres, ignorer le système des castes
pour être solidaires et unis, dire la vérité, ne pas avoir peur de se lever contre l’autorité si celle-ci est
inique et toujours appliquer des méthodes non-violentes que ce soit dans la lutte pour ses droits ou la
résolution des conflits.
JANADESH 2007, LE VERDICT DU PEUPLE
En octobre 2007, lorsque 25 000 paysans sans terres, tribaux, Intouchables et démunis ont entrepris, à
l’appel d’Ekta Parishad, une longue marche non-violente de 340 km de Gwalior à Delhi, Narmada a fait
partie de l’aventure intitulée Janadesh ou « le verdict du peuple ». Pendant 30 jours, ce rassemblement,
nommé par un réalisateur de films, « la marche des gueux », a fait preuve de détermination, de dignité
et de discipline pour réclamer au gouvernement indien ses droits à la terre, à l’eau et à la forêt.
Au niveau national, Ekta Parishad compte parmi les résultats principaux de cette action, la création
d’une commission pour la réforme agraire et l’amendement de la loi forestière pour que les populations
indigènes soient mieux protégées.
De retour au village, tous les participants à Janadesh se sont trouvé un courage renouvelé pour exiger,
en faisant pacifiquement le siège des bureaux des responsables concernés, que les lois destinées à les
aider soient appliquées. C’est ainsi qu’ils ont obtenu le droit au travail - 100 jours d’emploi garantis aux
plus pauvres - et le droit à une carte de rationnement permettant aux plus démunis d’obtenir blé, riz,
sucre et huile à prix réduits.
Au village de Chilghat, 19 familles ont reçu des titres de propriété en réclamant que soit appliquée la loi
qui dispose que celui qui travaille la terre depuis plus de 5 ans en devient propriétaire.
JAN SATYAGRAHA 2012, LA FORCE DE LA VERITE
Cependant, beaucoup trop souvent, même les lois décidées par le gouvernement national restent lettre
morte au niveau du district et du village où la corruption règne en maître. C’est pourquoi une nouvelle
mobilisation est prévue en 2012 : Jan Satyagraha « la force de la vérité», marche qui rassemblera, dans
son étape finale, 100 000 démunis pour poser un ultimatum au gouvernement national de Delhi au sujet
du droit à la terre, à l’eau et à la forêt et surtout de son application.
Dans les villages où elle est active, Narmada encourage le plus grand nombre à se préparer à cette
nouvelle manifestation en suivant les consignes d’Ekta Parishad qui recommande d’économiser, chaque
jour, une roupie dans un pot en terre et une poignée de riz. L’argent est destiné à ceux qui participeront
à la marche, le riz à ceux qui resteront au village sans le soutien des hommes et des femmes absents.
5
EMPOWERMENT / EMANCIPATION DES FEMMES
Depuis son premier stage de formation, Narmada a appris à comprendre les mécanismes de la
pauvreté, structurer une argumentation, parler en public, mobiliser la communauté, transmettre
techniques et connaissances et stimuler courage, espoir et enthousiasme. Elle est devenue un modèle
de ce qui est possible lorsqu’une pauvre prend sa destinée en main en réveillant ses forces vives. Elle
est aussi emblématique du parcours qu’Ekta Parishad accompagne et rend possible par son action de
base. La moitié des membres d’Ekta Parishad sont des femmes ; comme elles le disent fièrement, “ce
sont les femmes qui marchent en première ligne de toutes les manifestations, car ce sont elles qui ont la
vraie force !”. Dans le district de Damoh, plusieurs autres communautés d’exclus -Dalit7 et Adivasi - ont
obtenus des terres en suivant l’exemple de Narmada.
Narmada, qui a maintenant une soixantaine d’années, est aujourd’hui présidente de l’association
“Navrachna”, structure affiliée à Ekta Parishad, responsable des programmes de formation pour les
jeunes, les femmes, les animateurs et les leaders ruraux. Lorsque je me suis étonnée de savoir
comment elle pouvait assumer cette fonction alors qu’elle ne sait ni lire, ni écrire, Rajagopal m’a
expliqué comment Ekta Parishad fournit aux personnes illettrées une forme simplifiée de secrétariat leur
permettant d’assumer des fonctions représentatives ou politiques. C’est ainsi que plusieurs
personnalités, leaders de village formées par Ekta Parishad, non scolarisées, mais reconnues pour leur
force morale, leur expérience et leur capacité à mobiliser la communauté ont été élues aux dernières
élections locales. Le Madhya Pradesh, vient, en effet, d’adopter une loi exigeant 50% d’élues féminines
dans les structures villageoises et communales. Cette décision a propulsé beaucoup d’animatrices
d’Ekta Parishad comme membres des Panchayats au niveau du village, du tehsil (groupe de villages) et
du district.
La dernière fois que j’ai vu Narmada, c’était en janvier 2010, au Colloque de Bhopal « Vers une
économie non-violente » organisé conjointement par Ekta Parishad et l’association Gandhi International.
Narmada était l’une des représentantes des communautés Adivasis. Le jour de l’inauguration, tous les
délégués ont été invités à dîner chez le ministre en chef du Madhya Pradesh, Son excellence Shivraj
Singh Chauhen. Comme celui-ci a pris la peine de saluer tous les invités, j’ai eu l’occasion de faire une
photo de Narmada avec le chef de son Etat ! Elle a ramené cette image dans son village comme un
précieux trophée, celui qui illustre le chemin parcouru depuis le moment ou elle a levé la tête et trouvé,
au fond d’elle-même, le courage de lutter pour ses droits et ceux des plus pauvres.
En conclusion de nos échanges, Narmada me dit encore: “ Avec Ekta Parishad, nous avons découvert
un autre monde ! Nous étions tellement ignorants, mais aujourd’hui, nos yeux sont ouverts. D’esclaves
voués à aller grossir les bidonvilles de Delhi ou Bombay, nous sommes devenus des êtres humains fiers
de lutter pour nos droits. Nous avons une terre et nous pouvons travailler pour notre futur et celui de
nos enfants. Je n’ai pas été à l’école, mes enfants non plus, mes petits enfants, eux, peuvent étudier et
aspirer à une vie meilleure ”.
"VOUS DEVEZ ÊTRE LE CHANGEMENT QUE VOUS VOULEZ VOIR DANS LE MONDE." GANDHI
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Les dalits sont les hors castes appelés aussi intouchables, ils sont environ 200 millions vivant, pour la plupart, dans une
grande misère.
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