actualité, info Les morts de Niel et de Lance Armstrong

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actualité, info Les morts de Niel et de Lance Armstrong
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en marge
Les morts de Niel et de Lance Armstrong
nous ont menti, aussi incroyable
que cela puisse paraître. Certains
le savent bien que c’est Satan le
Grand qui fut à la manœuvre. Ils
le jureraient et brûleraient volontiers qui soutiendrait le contraire.
La Nasa et Niel en rirent, sans
doute. Pour un peu on jurerait
que Niel en rit encore.
Voici qu’aujourd’hui c’est Lance
qui nous ment. En pleure-t-il ?
Fait-il encore le malin ? Bien difficile certes de contester la réalité
de ses chronos, de ses classements
qui nous firent tous tant rêver.
C’était bien lui qui était sur
l’asphalte et dans la souf… Le beau se fit trouble,
france. Et nous n’oublions
puis le louche devint sale … rien. Ni les cols en trombe
(dans l’ascension, pour commencer), ni le capitaine corsaire,
– de troisième branche. Resteront
encore moins le mépris affiché de
les faits, têtus ; et les détails où se
ce yankee en jaune perpétuel.
nichent, dit-on, plus de diables
Quand on y réfléchit, tout fut
que d’archanges. Restent aussi la
longtemps pardonné à cet Amériméchanceté et la bêtise qui parcain. Il est vrai que l’on avait bien,
fois se nichent dans le cœur des
après coup, tout pardonné à Anhommes.
quetil le Normand, ses alcoolémies
Dans les deux cas, les exploits de
sur boyaux, ses amours troubles,
ces deux hommes étaient très
ses fessiers marqués de dents de
grands, trop. Et une règle non
chatons enragés. Et puis avec
écrite du spectacle veut que l’on
Lance, c’était mieux, c’était pire. Il
se plaise à ternir l’inhumain, le
monstre, la bête. On soupçonna le avait vu le Styx, nagé à mort vers
premier de n’avoir jamais foulé la l’autre rive. Ses globes en témoignaient à qui savait voir.
Lune. De méchants esprits tentè­
rent de faire croire à la supercherie. Avec Lance, on pouvait y croire,
Et ils y parvinrent ; du moins plus partager les angoisses : la médecine moderne était là, qui fit chez
souvent qu’on l’aurait imaginé.
lui son œuvre salvatrice. Pour le
Pas de pied sur la Lune, pas de
prix de l’ablation et des rayons
drapeau flottant puisqu’il n’y a
que l’on sait, il revint parmi nous.
pas d’air, une déclaration historique enregistrée sur cassette… Ils Vivent la médecine et le sport.
Cela se produisit dans le premier
quartier de la lune montante qui
suivit la fin du ramadan de l’an
2012. Deux hommes également
nommés Armstrong moururent
dans un même souffle. Tous deux
de nationalité américaine, tous
deux après avoir franchi des
vites­ses et des espaces toujours
inconnus des hommes. Et tous
deux propulsés par des énergies,
fossiles ou pas, au-delà de l’imaginable.
Hasard vs fatalité ? Chacun choisira puisqu’il n’existe pas – encore
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Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 5 septembre 2012
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Mars 26
2000 Neuchâtel
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athletes». Lance ne sera certes ni
le seul ni le dernier. Mais il risque
bien d’occuper longtemps encore
la première place.
Ainsi donc il a triché. Longtemps
et avec une sorte de perfection.
Comme Anquetil qui, bien après
coup, a reconnu les faits sans les
détailler. Mieux qu’Anquetil : il se
mure dans son silence, fera jusqu’au
bout le job du cycliste
maudit. Sauf s’il flanche,
bien sûr. Ou s’il trahit une
fois encore. Reste que l’on
en prendrait quand même
bien une, une petite explication. Pour la route. Et la
voici : elle nous est servie
à la régalade dans les colonnes du grand ordonnateur du spectacle, celui
qui connaît tout par définition des coulisses.
C’est page deux dans
L’Equipe datée du 25 août
(deux euros). Et c’est bête
comme chou. Il suffisait d’y penser. Lance n’était pas un homme
mais, signe Jean-Pierre Bidet,
«juste une machine». «Rescapé du
cancer, Armstrong a régné pendant sept ans sur le Tour de
France. Sans partage. Sans âme
non plus.» Et dire qu’on lui a
donné un dossard ! Notez : il faudra songer à l’avenir à dépister
les étrangers-machines qui ne
partagent rien et que Dieu a privés d’une âme.
Lance Edward Gunderson (dit
Armstrong) est né le 18 septem­bre
1971 à Dallas. On ne lui a donc
jamais demandé ce qu’il faisait
quand Niel parlait en direct aux
astres et aux hommes. Niel, lui,
est né deux fois, comme chacun
aujourd’hui s’en souvient. Le 5
LDD
Mais ce fut pour tous nous doubler. Moins pour séduire les filles
que pour empocher de l’or, le
maximum d’or. Il doubla ses
confrères, les effaça de toutes les
tablettes de cuivre. Sans aucun
remerciement. Un demi-dieu,
peut-être, mais ce n’était pas un
maître, non vraiment pas. Trop
doubler nuit au redoublement.
Vient un jour où doubler, c’est
voler. Le beau se fit trouble, puis
le louche devint sale. Et l’Américain ne comprit pas qu’il fatiguait.
Cancéreux amputé et vainqueur
passe encore mais pas autant de
Tours, pas autant de jaune, pas
tant et tant de gloire narquoise.
Il fallut une explication. Ne seraitce pas, paradoxalement, ce cancer
guéri qui lui donnait des débuts
d’aile ? Ne prenait-il pas quelques
compensations hormonales, certes
interdites mais que son état de
santé réclamait si on ne voulait
pas le condamner à mourir avant
l’heure ? Le normal et le pathologique furent convoqués et avec
eux l’endocrinologie, l’anatomie
comparée des glandes, l’auscul­
tation isotopique de la fonction
respiratoire. On tenta d’ouvrir le
crâne, de sonder l’âme. Sans
succès. Rien à voir. La suite est
connue, si elle n’est pas encore
écrite.
Niel le militaire n’a jamais plaisanté
avec son odyssée, n’a jamais sali
les étoiles de sa bannière. Tout au
plus ce terrien d’honneur militat-il pour que, de son vivant, le
voyage américain et humain se
poursuive dans le silence et l’infini interstellaire. Le pirate jaune
avait lui fait d’autres choix, de
loin plus solitaires, franchement
plus tordus. Comme celui de prêcher avec bracelet et contre le cancer, une forme comme une autre
de passer le temps, de jouer au
poker.
Puis, comme toujours en biologie,
la vérité sonna la fin de la course.
Non pas la belle métastase mais
le sale pot aux roses. S’il avait bel
et bien rendu l’âme, ils auraient
certes fait mine de pleurer. Mais
non les vaincus, tous les vaincus,
allaient désormais pouvoir cracher ; et on peut les comprendre.
Les rédactions allaient aussi devoir reprendre leurs nécros, les
enrichir d’un ou deux chapitres.
Sans doute ne serait-il pas le seul
dans le carré des pestiférés. Le
New York Times ne s’y trompait
pas qui, hier, titrait : «Armstrong
joins pantheon of tarnished star
août 1930 à Wapakoneta dans
l’Ohio puis le 21 juillet 1969 en
sortant d’Appolo 11.
Le Tour 1969 s’était achevé sur les
Champs Elysées la veille de la
sortie de Niel. Tous les amateurs
se souviennent que l’épreuve se
courait cette année-là à nouveau
par équipes de marques et non
plus par équipes nationales. Il est
fort possible que Lance ait appris,
à Dallas, que le Tour millésimé
Appolo fut le premier à être remporté par Eddy (Faema). Cette
année-là, le Belge formidable
remportera le classement individuel, le classement par points, le
classement du meilleur grimpeur
et le classement par équipes. Il
gagne donc évidemment le trophée
du combiné ainsi que celui de la
combativité. Soit tous les classements. Eddy-la-Comète-d’Huxley
fait sa première razzia. D’autres
suivront.
Lance se souvient sans doute
(comme nous) que, déclassé pour
dopage du Tour d’Italie qu’il
s’apprêtait à gagner, Eddy avait
aussi cette année-là bénéficié
d’une remise de suspension au
bénéfice du doute. Nous nous
souvenons tous de ce très grand
exploit : son échappée solitaire de
140 km. C’était le 15 juillet, 17e
étape, Luchon-Mourenx, 214,5
km. En 1969, le Tour avait été fixé
à 4417 km. Cette année-là, la dis­
tan­ce de la Terre à la Lune était de
384 000 km.
Ce soir dans nos cieux, la Lune
montera et croîtra, certes. Il
semble pourtant que tout cela,
depuis, a comme fondu.
Jean-Yves Nau
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