L`utilisation de caméras de surveillance dans les lieux publics

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L`utilisation de caméras de surveillance dans les lieux publics
L
‘utilisation de caméras de surveillance
dans les lieux publics : est-ce
indispensable et quelles sont les
limites?
L
‘utilisation de caméras de surveillance dans
les lieux publics : est-ce indispensable et
quelles sont les limites ?
Les entreprises privées et les organismes
publics, dont les institutions
d’enseignement, ont de plus en plus recours
à l’utilisation de caméras de surveillance
dans le but de protéger leurs biens contre
des actes criminels et dans le but d’assurer
la sécurité des personnes qui utilisent ou
fréquentent leurs établissements. On
pourrait croire que lorsqu’un individu
déambule dans un lieu public, il ne doit pas
se surprendre de la présence de telles
caméras et du fait qu’il puisse être filmé
pour des raisons de sécurité. Cela signifie-til que l’entreprise ou l’organisme ait des
droits illimités de surveillance?
En soi, l’utilisation de caméras de
surveillance n’est pas illégale. Cependant,
cette utilisation peut porter atteinte au droit
à la vie privée des individus qui sont ainsi
filmés. Les institutions d’enseignement qui
utilisent ce type de matériel doivent donc
s’assurer de suivre certaines règles si elles
ne veulent pas être accusées d’atteinte à un
droit fondamental.
La Charte québécoise des droits et libertés
de la personne garantit à son article 5 le
droit à la vie privée. Le Code civil du
Québec fait de même à ses articles 35 et 36.
Par ailleurs, les images captées par les
caméras sont considérées comme des
renseignements à caractère personnel
puisqu’elles permettent l’identification
d’une personne et sont donc visées par les
règles édictées par la Loi sur l’accès aux
documents des organismes publics et sur la
protection des renseignements personnels, de
même que par la Loi sur la protection des
renseignements personnels dans le secteur
privé.
Le droit à la vie privée protégé par la Charte
inclut le droit à la solitude, à l’anonymat1 et à
l’intimité. Il assure donc à chaque individu
un « halo d’intimité capable de résister à
l’intrusion d’autrui, État ou individu »2.
Filmer un individu alors qu’il se trouve dans
un lieu public peut donc constituer une
atteinte à sa vie privée puisque ses faits et
gestes sont alors observés et enregistrés par
autrui.
Le fait de déambuler dans un lieu public, tel
que les terrains ou les locaux d’une
université, peut-il être interprété comme une
renonciation par l’individu à son droit à la vie
privée? La jurisprudence a développé à ce
1
The Gazette (Division Southam inc.) c. Valiquette,
[1997] RJQ 30 (C.A.).
2
Brun, Henri et Tremblay, Guy, Droit constitutionnel,
4 ed., Cowansville : Éditions Yvon Blais, 2001, p.
1077.
sujet la notion de « attente raisonnable en
matière de vie privée »3. En effet, le droit à
la vie privée s’évalue en fonction des
attentes qu’une personne raisonnable peut
avoir. Ainsi, l’attente de vie privée sera
plus grande si la personne se trouve dans
une salle de classe plutôt que sur la rue.
Elle sera bien sûr bien plus grande encore si
une personne se trouve dans une salle de
toilette même s’il s’agit d’une toilette
publique. C’est en fonction de cette attente
que le droit à la vie privée doit être évalué
et appliqué.
question de l’utilisation de caméras de
surveillance par des organismes publics dans
les lieux publics4. Dans son document de
présentation, elle énonce dix règles devant
aider un organisme public à décider si
l’utilisation de caméras de surveillance est ou
non nécessaire à son activité et non pas
simplement utile et si elle constitue une
atteinte minimale au droit à la vie privée.
1. Une étude de criminalité ou des
risques et dangers devrait être
effectuée avant de choisir les caméras
comme outil de surveillance;
Par ailleurs, une atteinte à la vie privée,
quoique réelle, peut être justifiée dépendant
des circonstances. Ainsi, si des actes
criminels sont fréquemment commis dans
un stationnement isolé, la nécessité
d’assurer la sécurité des lieux pourra
constituer une justification à l’atteinte à la
vie privée que constitue l’installation de
caméras de surveillance. L’atteinte devra
cependant être la plus minimale possible
tout en permettant que l’objectif de sécurité
soit atteint.
2. Des solutions alternatives, moins
invasives dans la vie privée des gens,
devraient être envisagées;
3. L’utilisation des caméras, lorsque
requise, devrait être limitée à des
moments précis et circonscrits;
4. Un avis devrait informer le public que
les lieux sont surveillés, incluant les
coordonnées du propriétaire;
5. Les enregistrements devraient être
conservés le moins longtemps
possible;
Afin de baliser la façon dont doivent agir
les organismes publics en semblable
matière, la Commission d’accès à
l’information a entrepris, en mai 2003, de
mener une consultation publique sur la
4
3
R. c. Edwards, [1996] 1 R.C.S. 128.
Commission d’accès à l’information, Consultation
publique. L’utilisation de caméras de surveillance par
des organismes publics dans les lieux publics,
Document de présentation, Mai 2003, 27 pages.
6. Les caméras ne devraient jamais
être dirigées vers des lieux privés
(douches, salles de bain et
d’essayage, etc.);
7. Une personne responsable du
fonctionnement des caméras devrait
connaître les règles régissant la
protection de la vie privée;
8. L’accès aux enregistrements devrait
être rigoureusement réglementé et
restreint;
9. Une personne filmée devrait avoir
accès à ses images et devrait
pouvoir demander une rectification,
selon les termes des lois pertinentes;
10. Une évaluation de la pertinence de
l’utilisation de cette technologie
devrait être menée régulièrement.
En respectant ces conditions, il est donc
probable que des caméras de surveillance
puissent validement être installées dans les
corridors d’un établissement d’enseignement,
dans ses entrées, dans les stationnements
ainsi que dans les lieux où les étudiants
déambulent régulièrement afin d’assurer la
sécurité des personnes qui s’y trouvent et
prévenir les méfaits. Par contre, certains lieux
réservés à ces activités plus privées, dont les
salles d’entrevue et les lieux de culte, ne
pourraient, à moins de circonstances
spéciales, être l’objet de telle surveillance.
En définitive, un organisme public devrait
toujours s’assurer qu’il remplit son devoir
d’assurer la sécurité des individus qui
fréquentent son établissement, en prenant
cependant soin, pour ce faire, de ne pas
attenter aux droits des individus qu’il
souhaite protéger.

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