13 Février 2014 - Journée Nationale de Prévention du Suicide. Le
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13 Février 2014 - Journée Nationale de Prévention du Suicide. Le
13 Février 2014 - Journée Nationale de Prévention du Suicide. Le suicide chez la personne âgée. Le taux de mortalité par suicide augmente avec l’âge. Plus une personne est âgée, plus le risque qu’elle décède par suicide est élevé. Une personne de 88 ans a 6 fois plus de risque de mourir par suicide, qu’une personne de 18 ans. On considère qu’avoir plus de 75 ans est en soi un facteur de risque de décès par suicide. Selon des données de 2010, INSERM, l’incidence du décès par suicide pour 100 000 habitants est de : 6.5 chez les 15-24 ans 29.4 pour les 75-84 ans 39.5 pour les 85-94 ans. En 2010 (INSERM) (contre 41 en 2003 DREES) Il faut en outre noter que, pour les âges élevés, le décès des personnes consécutif à un « syndrome de glissement » n'est pas comptabilisé comme suicide. Qu’est-ce qu’un syndrome de glissement ? On parle de syndrome de glissement lorsqu’une personne décide d’arrêter de se nourrir, et que du fait de son très grand âge et de son mauvais état de santé, cet arrêt de la prise de nourriture, entraine une dégradation rapide de l’état de santé, risquant de mener ou menant à la mort. Il n’est pas toujours évident de connaitre la motivation de celui qui arrête de manger d’autant qu’il est fréquent que la personne ait des troubles cognitifs et des troubles du langage qui limitent la communication à une communication presqu’exclusivement non verbale. Mais on peut penser que pour une part des personnes, le fait de ne plus s’alimenter est motivé, plus ou moins clairement, par la volonté d’abréger son existence. Le syndrome de glissement pourrait être considéré comme un suicide passif. « Si l'on parle davantage du suicide des adolescents, pour lesquels il s'agit effectivement d'une des principales causes de décès à un âge où l'on meurt peu de maladie, les personnes âgées sont, en proportion, nettement plus concernées par le suicide » Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) 2002, 2003 « On parle d’avantage du suicide des adolescent » Est-ce vrai ? Qui est ce « on ». Sur quoi se base cette affirmation. Et si elle est exacte, comment l’expliquer ? Je reviendrais sur ce point en fin d’intervention. Car avant cela j’aimerai éclaircir un autre point: pour quelles raisons le taux de suicide augmente-t-il avec l’âge? Il y a un modèle théorique assez intéressant dans le champ gériatrique qui est celui proposé par Jack Messy autour de la notion de perte. La perte vous connaissez. Pas besoin d’être vieux pour connaitre, pour en faire l’expérience. On en fait l’expérience très souvent, à tout âge. Il y a par exemple des micro pertes, dont on se remet très vite, quelques minutes à peine. Par exemple, une micro perte, vous avez rendez-vous avec un ami très cher que vous n’avez pas vu depuis très longtemps et vous vous réjouissez de cette rencontre. Au dernier moment l’ami vous téléphone et dit « je ne vais pas pouvoir venir ». Le moment qu’on allait passer ensemble, que je considérais comme déjà acquis, comme certain, est perdu. Ce moment n’aura pas lieu, il est ajourné. Pendant quelques instants je vais ressentir une légère baisse d’énergie, accompagnée d’une sentiment de déception, je pense à la bonne soirée qu’on aurait passée, la soirée perdue, ce projet qui n’est plus. Et puis très vite ça passe et je me dis « bon, alors qu’est-ce que je vais faire ce soir ? » Et c’est reparti. Et il y a des pertes très douloureuses, où on va avoir ce même mécanisme, qui au lieu de durer quelques secondes va durer quelques mois. Le décès d’un proche, d’un être aimé c’est une perte. Et non des moindres. Revenons plus en détail sur ce qui se passe quand on vit une perte. Chaque fois qu’on vit une perte, on ne s’intéresse plus au présent. Le présent ne nous fait plus envie. Il n’a pas de gout, pas de couleur, il sonne creux, il est vide et triste. On se sent déprimé, triste, plus d’énergie, plus d’envie et on n’habite plus vraiment le présent. On y est sans y être. On y est physiquement mais notre tête est ailleurs. On est où ? Et bien on peut être à deux endroits, soit dans notre imagination avec la personne décédée. On pense à ce qu’on ferait avec elle si elle était là, ce qu’on lui dirait, ce qu’elle répondrait. Et puis on peut être aussi dans le passé, dans les souvenirs. Dans le deuil on revisite chaque souvenir vécu avec la personne décédée et ce plusieurs fois. On est entièrement tourné vers nos souvenirs. On regarde les photos. Et puis au fil du temps, dans le meilleur des cas, peu à peu, on passe un petit peu moins de temps avec ses souvenirs et on recommence doucement tout doucement, à s’intéresser au présent, à l’ici et maintenant, par petites touches successives. A lui retrouver un peu de couleur, de saveur, de sonorité. Et peu à peu on réinvestit le présent. Dans la vie on traverse un nombre incalculable de phases comme celle-là. Qui durent de quelques secondes (pour un diner annulé) à quelques mois ou années (pour le décès d’un proche). Seulement voilà, quand on vieilli, on accumule les pertes. Le rythme des pertes s’accélère. On vit de plus en plus de pertes, et des pertes lourdes, et puis il y a des moins en moins de gains. On perd des amis et on a de plus en plus de difficultés à s’en faire de nouveaux. Ben oui quand on entend mal, ce n’est pas évident de se faire des nouveaux amis. Ah oui parce qu’on perd l’audition aussi, peu à peu. On voit de moins en moins bien. On perd son conjoint, ses frères et sœurs. On perd la capacité de conduire, de marcher etc… On perd son logement aussi quand y vivre n’est plus possible et qu’il faut se résoudre à vivre en collectivité. Chaque perte fait vivre une phase de tristesse et de désinvestissement du présent, phase plus ou moins intense, phase toujours traversée. Jusqu’à ce que… jusqu’à ce que survienne ce que Jack Messy appelle la perte en trop. La perte en trop c’est la perte qui fait déborder le vase et qui amène le sujet à coincer. La perte où le sujet se dit « celle-là je vais peut pas la traverser. C’est fois c’en est trop ». Les capacités du sujet à traverser la perte sont dépassées. La phase de dépression réactionnelle n’est plus une phase mais un état figé qui s’enlise, qui s’installe et qui dure. Ici le deuil n’est pas un processus, qui évolue, mais un état figé. Alors jack Messy nous met en garde : la perte en trop est parfois une perte qui vue de l’extérieur est anodine, insignifiante. Elle perd son poisson rouge. Décès du poisson rouge. On se dit « Bon ben ça va aller. Elle a perdu son mari, elle a traversé. Elle a perdu la marche, elle a traversé. Elle a perdu sa sœur, elle a traversé, elle a traversé toutes ces pertes. Alors le poisson rouge, ça va aller. » Et bien pas forcément. Quand je dis que la perte en trop est la perte qui fait déborder le vase, ça signifie que les choses fonctionnent comme si il y avait un effet cumulatif. Comme si la perte du poisson rouge, venait rappeler toutes les autres pertes et raviver les blessures qui étaient associées, comme si toutes les pertes étaient reliées entre elles par une chaine et que chaque nouvelle perte nous renvoie aux précédentes qui avaient étés plus ou moins bien digérées. Une aide-ménagère qui change de région et qu’on ne verra plus. Un conflit avec un proche. Voilà à mon sens pourquoi le taux de décès par suicide augmente avec l’âge. En vieillissant les rythmes des pertes s’accélèrent, des pertes lourdes. Et la capacité qu’a la personne à surmonter la perte peut s’enrayer. Peut alors s’installer une souffrance psychique de nature dépressive, durable, chronique. Processus de deuil, état de deuil. Que pouvons-nous faire pour aider une personne qui vit une perte douloureuse ? Et bien nous pouvons l’accompagner, dans ces deuils, dans ces pertes que lui fait vivre l’avancé en âge. Par l’écoute. Ces accompagnements, ces écoutes, sont plus ou moins faciles. Les plus évidents sont ceux où les personnes parviennent à évoquer la personne perdue, ou la fonction perdue. « Ah du temps où je pouvais marcher, je faisais ceci, cela. Si je pouvais marcher je ferai ceci cela ». Et là il s’agit de tenir la plainte. Il faut tenir la plainte ça veut dire qu’il faut réussir à entendre ça, à le laisser dire, parce que y a pas de rencontre possible si on n’est pas en mesure d’entendre tout ça et de tenir l’écoute. Même si la personne a déjà dit la même chose la fois d’avant et encore avant. Tenir la plainte c’est supporter d’entendre ça, quand bien même on l’a déjà entendu à plusieurs reprises et résister à la tentation de chercher une solution. Car plus elle parle de ce qu’elle a perdu, plus vite elle arrivera à s’intéresser de nouveau au présent. La focalisation sur ce qui est perdu est une phase nécessaire qu’il s’agit d’accompagner. Un peu moins évident : les personnes qui se plaignent mais qui se plaignent à côté. Une vieille femme qui a appris le décès de son fil et dans les semaines qui suivent va avoir toute une série de plaintes diverses et changeantes : des douleurs physiques, constipation, des plaintes quant à son entourage, les soignantes du service de soin à domicile sont trop ceci ou pas assez cela, le service de livraison des plateaux repas, plateaux dont la qualité se serait brutalement dégradée. Déplacement qui est un indice de la douleur et du risque de blocage du processus de deuil. Parce que ça fait trop mal de parler du vrai sujet. Attendre patiemment. Tenir la plainte. Et enfin méfiez-vous de celui qui semble supporter une perte sans problème. Méfiez-vous de celui qui ne se plaint pas. Méfiez-vous de celui qui semble dire « même pas mal ». Dans la perte l’absence de plainte, au-delà l’absence de réaction est un signe inquiétant. La plainte a mauvaise presse. Surtout dans les vieilles générations. « C’est pas bien de se plaindre » Et pourtant, la plainte est la première étape sur chemin de la guérison. Il y a des handicapés de la plainte. Des personnes qui ne savent pas se plaindre. Je le redis, la plainte c’est la première étape de la traversée du deuil. Celui qui ne sait pas se plaindre, ne sait pas guérir. Celui qui ne peut exprimer sa souffrance par la plainte risque fort de l’exprimer par son comportement (refus de manger, syndrome de glissement, suicide passif, ou passage à l’acte avec tentative de suicide. Méfiez-vous de celui qui encaisse une perte sans se plaindre, prenez votre temps avec lui, prenez un deuxième café, restez bien à l’écoute. Si vous êtes patient, peut-être qu’à un moment il va formuler un embryon de plainte, minuscule, avec la trouille au ventre que vous ne le rembarriez (faut pas se plaindre ! Ce n’est pas bien). Alors ne le rembarrez pas mais n’en faites pas trop non plus, ne sautez pas non plus sur l’embryon de plainte comme un loup affamé sur sa proie, ne le félicitez pas d’avoir réussi enfin à se plaindre. Sinon l’autre va avoir peur que vous ne l’aimiez que pour sa plainte. Faites juste un truc du genre… On parle peu du suicide chez les personnes âgées. On parle peu du suicide chez les personnes âgées ? J’ai voulu vérifier cette affirmation. En allant sur amazon et en tapant 1) Suicide jeunes : 1« le suicide des jeunes, comprendre accompagner prévenir » 2« le suicide des jeunes » 3« aider à prévenir le suicide chez les jeunes » 4« adolescence et psychopathologie 5« et si on parlait du suicide chez les jeunes » 6« le suicide chez les jeunes » 2) Suicide personnes agées a. « le suicide des personnes âgées » à paraitre le 20 février 2014 b. « troubles dépressifs et personnes âgées » c. « adolescence et psychopathologie » Sur cairn info : 6449 pour « suicide jeunes » contre 1078 pour « suicide personnes âgées » soit presque 6 fois moins Le monde : 9932 contre 2256 soit 4,4 fois moins Bref la question du suicide chez les personnes âgées semble susciter moins d’intérêt chez les auteurs/éditeurs ou lecteurs. Alors même que le taux de suicide augmente avec l’âge. Comment comprendre cela ? Alors on peut faire l’hypothèse suivante : les gens considèrent que le suicide des personnes âgées est un sujet moins important que le suicide des jeunes parce que c’est moins grave. Avec une idée qui revient souvent qui serait la suivante : les personnes âgées se suicident par choix. C’est moins grave parce que c’est un choix. En quelque sorte, le suicide d’une personne âgée serait un acte raisonné, le fruit d’une réflexion. Alors que le suicide d’un jeune serait le résultat d’une souffrance. C’est un suicide philosophique. La personne aurait réfléchi et décidé de ne pas vivre le temps qui lui reste à vivre. Un choix serein, calme, zen, sans une ombre d’ambivalence, issue de la sagesse d’une personne qui décide de ne pas vivre. Et bien cela c’est un fantasme. Appelons le fantasme du suicide serein. Le fantasme du suicide sans tristesse. Dans ce fantasme il y a un point qui est ignoré. Ce point c’est qu’une personne qui se suicide le fait parce qu’elle vit une souffrance très intense, insupportable. Qu’une personne qui se suicide, quel que soit son âge, le fait pour arrêter cette souffrance devenue insupportable. Mon expérience est que les personnes âgées qui se suicident ou tentent de le faire sont aux prises avec une grande souffrance. Selon mon expérience on ne se suicide qu’après des semaines d’intense tristesse, d’une intense souffrance morale. Quel que soit l’âge. Je ne connais pas de contre-exemple de personne qui se soit suicidée sans être passé au préalable par ce tunnel de souffrance psychique. Pourquoi ce fantasme du suicide sans tristesse ? Et bien ce fantasme du suicide sans tristesse joue une fonction de mécanisme de défense contre l’angoisse que nous pouvons éprouver lorsque nous pensons à notre propre vieillissement. Il nous permet de nous faire croire que nous pourrions arrêter notre vie sans avoir à passer par la case tristesse. Il nous permet de nous imaginer maitrisant la situation et de nous dire « tant que je serai heureux je vivrai, et dès que je le serai plus, j’arrêterais tout en toute sérénité ». Mais je le redis, imaginer qu’on pourrait se suicider avant d’être malheureux c’est mettre la charrue avant les bœufs. Mon expérience auprès des personnes âgées m’incite à penser que même chez les vieux, on se suicide après avoir été très malheureux très longtemps. Et ça m’amène à formuler l’hypothèse suivante, contraire à celle de tout à l’heure (on parle moins du suicide des vieux parce que ce n’est pas grave) qu’on peut retourner comme un gant : on parle moins du suicide des vieux parce que c’est trop grave. C’est trop grave, ou plutôt c’est trop angoissant d’imaginer que peut être un jour je serai vieux et triste. Que peut être je mourrai malheureux. Le fait qu’on parle peu du suicide des personnes âgées serait alors dû à un évitement, évitement d’une réalité qui nous est pénible et à laquelle nous n’avons pas envie de penser. Cet évitement du sujet dit peut être quelque chose de notre propre peur face à la vieillesse en général et face à notre vieillesse. Mais de toute évidence c’est en train de changer. Le fait que cette journée ait pour titre « le suicide des personnes âgées » en témoigne. Il est peut-être temps d’affronter cette peur et d’y remédier autrement que par l’évitement. Romain PAGER Psychologue Clinicien